The Project Gutenberg eBook of Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

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Title: Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

Author: duchesse de Dorothée Dino

Editor: Fürstin Marie Dorothea Elisabeth de Castellane Radziwill

Release date: August 13, 2016 [eBook #52797]

Language: French

Credits: Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DE 1831 À 1862, TOME 3 (DE 4) ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

I

CHRONIQUE
DE
1831 A 1862

I

Il a été tiré de cet ouvrage 10 exemplaires sur papier de cuve
des papeteries d'Arches, numérotés de 1 à 10.

II

DUCHESSE DE DINO
(PUIS DUCHESSE DE TALLEYRAND ET DE SAGAN)


CHRONIQUE
de
1831 A 1862
Publiée avec des annotations et un Index biographique
PAR
LA PRINCESSE RADZIWILL
née Castellane


III
1841-1850


Troisième édition

PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT ET Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, RUE GARANCIÈRE—6e


1909

IV

Tous droits de reproduction et de traduction
réservés.
Published 1909.

1

DUCHESSE DE DINO


CHRONIQUE

1841

Rochecotte, 1er janvier 1841.—La journée d'hier s'est passée sans grand incident. Le matin, j'ai fait dire dans ma chapelle une messe pour feu M. de Quélen; j'y ai pleuré de tout mon cœur. Le soir, mon fils Alexandre, mon gendre et Pauline ont fait de la musique, chanté des vaudevilles, représenté des charges et fait un train dont j'étais charmée pour eux, parce que je meurs toujours de peur qu'ils ne s'ennuient ici, mais qui, je l'avoue, contrastait tout particulièrement avec ma disposition d'âme. Au coup de minuit, on a servi du punch: il est tombé plus d'une larme dans mon verre en songeant à ceux avec lesquels j'ai si longtemps passé ce moment.

Rochecotte, 2 janvier 1841.—Voici ce que M. de Salvandy m'écrit sur la réception académique de M. Molé: «M. Molé a parlé au milieu d'un magnifique auditoire. Il était assis entre M. Royer-Collard et M. de Chateaubriand, 2 qui a fait une grande exception à ses habitudes en se montrant en public; c'était comme un honneur particulier fait soit à M. Molé, soit à la mémoire du défunt Archevêque. Tout le plus beau monde du faubourg Saint-Germain s'y trouvait; de plus, toute la société particulière de M. Molé et tout ce qui s'appelle le monde d'aujourd'hui. Un constant applaudissement a soutenu M. Molé, et il a mérité ce suffrage, par l'esprit, le bon goût et le courage de sa parole. Il a abordé noblement, en face et avec respect, cette pure et sainte mémoire. Il a parlé de M. de Quélen sans concessions, sans réticences, sans ménagements pour sa situation personnelle. Il semblait brûler les vaisseaux de l'ambition, tant il a célébré de haut les anciennes mœurs et l'ancienne société, les idées et les principes d'ordre. L'éloge vif du Roi est la seule part faite au temps présent, et vous savez que le temps présent ne lui en saura qu'un gré médiocre. Ce qui m'a frappée, c'est la vive adhésion de l'auditoire; c'est cette réhabilitation publique du Prélat persécuté; c'est cette canonisation laïque au milieu d'un public qui n'était pas tout entier, ni de bonne compagnie, ni légitimiste; car il y a eu approbation effervescente de quelques passages de la réponse de Dupin, passages dirigés contre la Restauration et contre l'Anglais. Cette réponse de Dupin est l'homme même; c'est vous en dire assez! M. Guizot et M. Thiers ont semblé prévoir l'ovation de M. Molé, car ils n'ont pas paru, ce qui a été fort remarqué. En résumé, cette séance grandit M. Molé dans l'opinion et l'estime de tous les gens de bien, mais la journée a surtout été excellente pour la mémoire de l'Archevêque, 3 pour sa famille, pour ses amis, pour ceux qui ont senti sa bénédiction en mourant, et c'est pourquoi je me hâte, Madame, de vous en parler; c'est une manière de m'en rendre un compte plus vrai, et plus touchant encore que d'y avoir simplement assisté!

«M. Guizot m'a communiqué des dépêches de Saint-Pétersbourg, de Vienne, de Londres, excellentes partout; désir de ramener la France au concert européen; résolution de faire les avances, recherche des moyens et de l'occasion; la paix rétablie, et je dirais moi-même, plus que la paix.»

Je suis charmée du succès de M. Molé, que je lui avais prédit, lorsqu'il me fit la lecture de son discours à Paris, au mois de septembre; bien aise pour lui, mais surtout de l'effet produit en faveur de ce saint Archevêque, si mal jugé de son vivant.

Rochecotte, 3 janvier 1841.—J'ai reçu beaucoup de lettres de Paris hier, répétant à peu près les mêmes choses que M. de Salvandy sur la séance académique de M. Molé. Il paraît que Dupin a été vraiment ineffable, qu'il a été Dupin enfin. M. Royer-Collard grommelait tout le temps qu'il prononçait son discours, et disait: «Ce discours est un carnage!» En effet, tout le monde est tombé sous les coups de ce Dupin. On a remarqué le tonnerre d'applaudissements aux invectives contre la révélation des secrets d'État, qui allaient droit à M. Molé. Mais ce qui a été, assure-t-on, tout à fait dramatique, c'est le geste de Dupin en rappelant qu'un Molé, échevin de Troyes, avait aidé 4 Charles VII à chasser les Anglais. Le geste et la pose ont enlevé les applaudissements qui ont éclaté à plusieurs reprises. Heureusement, le Corps diplomatique n'y était pas! C'est assez drôle de voir Dupin déblatérer contre la Coalition, lui qui en était.

M. Molé doit être extrêmement satisfait de son triomphe, qui a été complet, brillant, vif et inusité. Voici le texte d'une lettre de M. Royer-Collard à ce sujet: «Plus d'une lettre aujourd'hui vous porte la nouvelle du triomphe de M. Molé. En effet, il a triomphé devant une nombreuse et brillante assemblée. J'ai entendu avec plaisir ce discours, que nous connaissions, vous et moi, depuis assez longtemps. Si ce n'est pas l'œuvre d'un artiste, c'est la production d'un homme de beaucoup d'esprit qui connut de meilleurs temps que le nôtre, et qui en garde de bonnes traditions. Les défauts n'ont pas été aperçus; le courage a paru si naturel qu'il n'a pas été remarqué; les beautés, car il y a des beautés, ont été comprises et vivement senties. M. de Quélen a partagé l'honneur de la journée; c'est lui, à vrai dire, qui a triomphé, tant l'auditoire a pris part à cette réhabilitation solennelle. J'ai vu des larmes couler des yeux les plus endurcis. Comme M. Affre n'avait pas songé à son prédécesseur, personne n'a songé à M. Affre. M. de Quélen a emporté avec lui l'Archevêque de Paris; il n'y en a plus, il n'y en aura plus; il a cette éclatante et triste gloire.»

Je jouis extrêmement de ce triomphe post mortem; j'en ai le droit, car j'ai honoré, défendu, soigné et peut-être même consolé le vivant.

5 Il y a, dans le discours de M. Molé, quelques lignes parfaites sur Mgr le Cardinal de Périgord.

Avant les séances académiques, les discours doivent passer sous les yeux d'un Comité d'académiciens chargés de les examiner et de décider si rien n'en doit être rayé. M. Dupin n'a pas fait en conscience la lecture du sien, il a été autre en séance publique qu'en séance secrète. On s'attendait à ce que, le lendemain jeudi, jour de la réunion particulière de l'Académie, on lui en demanderait des explications. Mignet, présent à la séance publique, était, dit-on, de fort mauvaise humeur; les journaux de M. Thiers se préparent à fulminer contre Dupin.

On dit que Mgr Affre a voulu changer les maîtrises de sa Cathédrale sans assembler le Chapitre; que le Chapitre s'est assemblé pour s'en expliquer; que Mgr Affre, en l'apprenant, a fait une scène affreuse et a défendu toute réunion qu'il n'aurait pas lui-même autorisée. Mais le Jour de l'An arrive. Le Chapitre avait l'habitude de se rassembler pour aller offrir ses vœux à l'Archevêque: la défense étant positive, ils ne se sont pas réunis et n'ont pas été chez l'Archevêque. Cela amènera quelque nouvel orage, car Mgr Affre est orageux. On a eu beaucoup de peine, au Sacré-Cœur, à obtenir la permission de dire une messe de bout de l'an pour Mgr de Quélen; cependant, cela a été accordé, et on y étouffait tant il y avait de monde.

Rochecotte, 5 janvier 1841.—Depuis vingt heures, il tombe de la neige sans discontinuer; nous sommes absolument 6 enterrés sous cet épais linceul: c'est le Nord dans toute sa froide horreur; pas moyen de sortir. Toutes les communications vont être coupées, pour peu que cela dure encore ainsi quelques heures. Quel hiver!

Rochecotte, 7 janvier 1841.—J'ai reçu hier une lettre de Mme de Lieven, dont voici l'essentiel: «Le monde me paraît mieux, mais pas encore raffermi. Vous ai-je écrit depuis les nouvelles de Saint-Pétersbourg? Ne croyez pas aux exagérations de certains journaux sur ce point; mais croyez, ce qui est vrai, que le ton des dernières communications est convenable, que la Russie désire sincèrement voir la France rentrer dans le concert européen, et qu'elle fait des vœux pour le maintien du Ministère actuel. Cette démonstration, que les experts ont jugée plus amicale qu'aucune qui soit venue de Saint-Pétersbourg, a fait plaisir ici et donné beaucoup d'inquiétude aux Anglais. Voilà tout pour le moment. On cherche, à Londres, les moyens de se raccrocher à la France, on les cherche et on les désire partout. Savez-vous un moyen? Jérusalem. Jérusalem délivrée du joug des infidèles; Jérusalem, ville chrétienne, ouverte à tous les cultes chrétiens; ville libre sous la garantie de la chrétienté. Aimez-vous cela? Moi, j'en ai grande envie. Osera-t-on repousser une idée si simple, d'une exécution si facile? Car si jamais cela se peut, c'est aujourd'hui. Lord Melbourne se moquera de cela probablement, et lord Palmerston aussi.

«On bavarde beaucoup sur l'ouverture du Parlement; on dit que Peel et les radicaux renverseraient aisément le 7 Ministère, mais je n'en vois pas de bonnes raisons dans ce moment. Nous verrons.

«L'Académie a été un événement pour vingt-quatre heures. M. Molé a eu un grand succès; moi qui n'ai fait que lire son discours, j'ose le trouver un peu apprêté. Il fait cet effet sur beaucoup de monde; on ajoute même qu'il est assez insignifiant. Je n'ai rien à dire de celui de M. Dupin: comme convenance, il est jugé; mais il m'a divertie.—C'est que j'ai le goût très mauvais!

«Vous ne vous serez pas trompée, j'espère, sur le dénouement d'Égypte. Méhémet-Ali, quoi qu'il arrive, conserve le Pachalik héréditaire: mais quelle confusion entre ces marins, cet Ambassadeur et ce Ministre des Affaires étrangères!

«On dit, ma chère Duchesse, que le Roi de Prusse est un peu vague dans sa conduite, que cela se remarque dans son pays, que sa popularité est fort en déclin, et que tous les jours on regrette davantage le vieux Roi.»

Rochecotte, 12 janvier 1841.—Voici ce que m'écrit M. de Salvandy. «Il me paraît que les Puissances cherchent sérieusement l'occasion et le moyen de nous faire rentrer dans le concert européen. Les déclarations de M. de Metternich, la dépêche russe, si nouvelle dans ses expressions sur la sagesse du Roi, les services qu'il rend à l'Europe, et le désir de s'entendre avec son gouvernement; les sentiments enfin de la Prusse, plus français et moins russes que jamais, donnent à réfléchir à l'Angleterre. Lord Palmerston se voit plus d'embarras qu'il ne 8 pensait. Le duc de Wellington et sir Robert Peel proposeront des amendements; on dit qu'ils seront français et qu'ils passeront; les Tories s'en prétendent assurés. Je ne puis le croire. Je ne saurais imaginer que les succès réels de Palmerston sur tout le continent asiatique, depuis Saint-Jean d'Acre jusqu'à la Chine, fussent la date et l'occasion de sa chute. Quoiqu'il en soit, il est certain que l'Angleterre, gouvernement et nation, se préoccupe de notre isolement et de notre liberté d'action.

«Ici, la question des fortifications tient tout en suspens. Elle s'est simplifiée par le parti qu'a pris M. Thiers de ne rien proposer qui ne soit consenti par le Gouvernement. Il renonce à ses amendements, ou les modifie selon les vœux du Cabinet; ainsi là ne sera pas la lutte. La victoire ou l'échec seront communs à MM. Thiers et Guizot; cependant, par une étrange disposition des esprits, M. Guizot est, il semble, menacé dans ce début. MM. de Lamartine, Passy et Dufaure, quarante voix de la gauche, Tracy et Garnier-Pagès réunis, en tout cinquante voix au moins, repoussent le projet. On se demande si le maréchal Soult n'est pas aussi de l'opposition à cet égard. Il y a des nuages autour de lui; on se demande si les réserves qu'il a faites pour les forts détachés en 1833, contre le système mixte et l'enceinte continue en 1840, ne dominent pas sa pensée plus que tout autre intérêt; s'il n'espère pas les faire prévaloir par le rejet d'une moitié de la loi, ce qui pourrait bien la renverser tout entière, et renverserait aussi la partie oratoire du Cabinet, liée à la défense du projet entier; on se demande encore si ce dernier résultat n'est pas 9 le but de la stratégie parlementaire du Maréchal. Le Prince Royal, que j'ai vu hier, me paraît inquiet de ce soupçon. Quelle serait alors l'arrière-pensée? Une combinaison Passy-Dufaure, Passy aux Affaires étrangères? Ce serait la Restauration du ministère du 2 Mai, qui n'était pas viable la première fois, qui ne le serait pas davantage maintenant qu'il est mort. Une combinaison Soult-Molé, c'est peu vraisemblable. Enfin, M. Molé sortirait-il de ses ruines? Tout cela est fort obscur. M. Molé est bien difficile. Il y a encore trop de gens pour qui l'adhésion serait une amende honorable. Quoi qu'il arrive, il est certain que M. Guizot est entamé, et qu'aux Tuileries même on accepte mieux qu'on ne l'eût fait autrefois les chances de sa mortalité. On remarque qu'il ne nomme pas Londres. Les choses en seraient-elles au point que lui, qui n'a jamais douté de sa fortune, en doutât cette fois et qu'il se réservât une retraite?

«Rambuteau a, hier, pendu la crémaillère dans ses nouveaux appartements de l'Hôtel de Ville. Ils sont magnifiques. Il y a grandeur, luxe, bon goût; les peintures, les ornements, les meubles sont admirables. On a plaisir à voir un monument qu'on peut louer, et puisque nous sommes sous le régime de l'élection, je suis bien aise de voir qu'il en peut sortir des choses marquées au coin du bon goût et d'une certaine grandeur. Mais il est curieux de voir la Ville de Paris traiter ainsi son Préfet. Espérons que cela fera planche pour les Rois.

«M. Pasquier a eu un grand chagrin, celui de ne pas remplacer à l'Académie M. Pastoret. Il y a beaucoup pensé, 10 mais la candidature de M. de Sainte-Aulaire était trop bien établie. Il se réserve pour la succession de l'évêque d'Hermopolis [1]. N'admirez-vous pas, Madame, qu'à son âge on capte des héritages, et que dans son rang on ait encore des ambitions?»

Rochecotte, 18 janvier 1841.—Voici ce que Mme de Lieven m'écrit de Paris, sous la date d'avant-hier: «Mme de Nesselrode est très préoccupée des grands hommes de France; décidément, c'est eux qu'elle est venue voir à Paris. M. Eynard, de Genève, en tient boutique ici. Il fait dîner Mme de Nesselrode alternativement avec eux; je ne crois pas qu'il lui en manque maintenant un seul, si ce n'est Garnier-Pagès.

«On attend le discours de la Reine d'Angleterre avec quelque curiosité. Dira-t-elle un mot convenable pour ici? Ici, on ne se détourne pas d'une ligne de ce qu'on a résolu. Paix armée, attente tranquille, isolement, ne menaçant personne; ni inquiet, ni inquiétant. Les voisins, cependant, sont agités; ils voudraient voir finir cet état de suspens; l'obstination de lord Palmerston les désespère, car il n'est que trop vrai que c'est le véritable Cupidon qui gouverne l'Europe. Il faut trouver un moyen de raccrocher la France à quelque chose, et le Cupidon n'a pas encore été trouvé. Quant à l'hérédité pour le Pacha, elle est certaine.

11 «La France a fait la paix avec Buenos-Ayres, et Rosas, le tyran de cette République, s'annonce ici comme ambassadeur; il viendra au printemps. L'Angleterre arrangera le différend entre l'Espagne et le Portugal.

«On ne parle que fortifications. On ne sait pas trop si la Chambre en voudra. Le Roi d'un côté, M. Thiers de l'autre y prennent des peines infinies. Le Ministère soutiendra, parlera, mais ne mourra pas de chagrin si elles ne passent pas.

«M. de Barante a ordre de rester à Pétersbourg. Il y a là des coquetteries très innocentes; il faudra du temps pour qu'elles deviennent quelque chose. M. de Lamartine a eu une audience de deux heures et demie du Roi, dont il s'est dit très frappé; il en parle beaucoup. Ce n'est qu'après la note sur les fortifications qu'on s'occupera des mutations diplomatiques.»

Voici maintenant les nouvelles que me donne Mme Mollien: «On désire bien fort la loi des fortifications aux Tuileries, et très peu à la Chambre. On sait gré, au Château, à M. Thiers, de s'être, dans son rapport, renfermé dans la généralité. Il veut rassurer la Chambre sur son compte. On dit qu'il commence à être très fatigué de ses partisans de la gauche, et qu'il a eu une scène vive jusqu'à l'injure avec Odilon Barrot dans laquelle il a appliqué l'épithète de canaille aux journalistes du parti. Le fait est que si cette loi ne passait pas, les trente millions déjà dépensés, les travaux commencés, les propriétés particulières achetées, détruites, bouleversées, le bois de Boulogne dévasté, tout cela le mettrait dans une situation terrible; 12 aussi se fait-il doux comme un mouton; il envoie sa femme aux Tuileries. Le Ministère se consolerait de ce qui ferait son embarras. Le Château, au contraire, fait en ceci cause commune avec lui. C'est une position fort complexe. M. le Duc d'Orléans est très mécontent; le rappel du maréchal Valée, prononcé en deux heures, sans l'avoir averti, l'a fort blessé; il craint son retour, parce que c'est un de ses ennemis personnels, et il craint pour l'Afrique entre les mains de Bugeaud. Du reste, il s'efface de plus en plus, pour déférer à la pensée du Roi, qui s'effarouche de son successeur comme Louis XIV le faisait du Grand Dauphin. Tous nos Princes vivent comme des Infants d'Espagne, dans la solitude et l'obscurité. Le Pavillon Marsan est un cloître où on s'ennuie. Au rez-de-chaussée, pas trop d'esprit; au premier, pas le contraire. Le Roi a toujours la même confiance impériale dans son étoile. Il tient moins à M. Guizot qu'il y a quelque temps, ne s'effrayant plus autant d'un changement ministériel.»

Rochecotte, 27 janvier 1841.—Le duc de Noailles, qui nous est arrivé hier, a lu ce matin, dans le salon, la moitié du morceau qu'il a écrit sur le Jansénisme, et qui doit trouver place dans la publication qu'il prépare sur Mme de Maintenon [2]. Cette partie est faite avec talent et clarté. Je lui reproche, cependant, de se montrer trop partial pour les Jansénistes et de ne pas tenir assez le juste milieu.

13 Rochecotte, 1er février 1841.—J'ai reçu hier ce bulletin de M. de Salvandy: «Nous avons le ministère le plus aplati, le plus amoindri, le plus évanoui qui se soit jamais vu. Je ne sais si je vous ai, Madame, répété ce que je leur ai dit souvent, c'est qu'il n'y avait pour eux qu'un danger: non pas d'avoir une opinion qui serait battue, mais de n'avoir pas d'opinion, ou, ce qui serait pis, d'en avoir deux. Ils ont donné en plein dans l'écueil, d'une façon sublime, par le discours de Guizot; d'une façon niaise, par celui du maréchal Soult; d'une façon misérable, par l'attitude et le langage de tous. La vérité est que, dans le principe, ils ont présenté le projet de loi sur les fortifications contre l'opinion du Maréchal, violentant leur chef en fait d'art militaire, parce qu'ils croyaient que l'opinion publique était là. Depuis, le rôle qu'a pris M. Thiers comme rapporteur les a empêchés de dormir, et tout en s'accordant avec lui dans la Commission, ils lui quêtaient, près de nous, dans la Chambre, des échecs. L'amendement Schneider a été présenté d'accord avec eux, contre M. Thiers, et, par une autre combinaison plus ou moins avouée, d'accord avec le Maréchal, contre M. Guizot. Aussi M. Guizot s'est-il tout à coup ravisé, et après nous avoir, par une phrase significative, demandé de le voter dans son grand discours, il est venu sur tous les bancs, il y a trois jours, déclarer solennellement qu'il le combattrait. L'immense succès de M. Dufaure a changé de nouveau ces dispositions, car on craint que la force ne soit là. Hier soir, Thiers les a sommés de s'expliquer. Ils ont demandé la nuit pour y réfléchir; la réflexion ne peut rien 14 apprendre qui rende digne, ni politique une telle conduite. Jamais on ne gouverna si mal une question. Ils ont réussi à se placer sous le protectorat de M. Thiers, en l'exaspérant par des trahisons évidentes, et à se séparer de MM. Passy et Dufaure, en blessant au même moment le parti conservateur dont la majorité repousse la grande muraille de M. Thiers. Quoi qu'il arrive, ils sont battus, car ils ont tour à tour conspiré contre tous. Que sortira-t-il de tout ceci? Au moins un grand discrédit et de profondes divisions. Je vais à la Chambre, d'où j'essayerai encore de vous dire, par post-scriptum, le langage du Cabinet et le vote de l'Assemblée, mais je m'attends à des tempêtes, et présidant la Chambre, au lieu et place de M. Sauzet, il me faudra avoir la main sur l'outre aux ouragans.»

«Post-scriptum de la Chambre.—Le Maréchal nous fait un discours insensé de duplicité cousue de gros fil, qui met le feu à la Chambre. Je n'ai que le temps de vous offrir mes hommages et d'envoyer à la poste.»

Rochecotte, 2 février 1841.—Les lettres d'hier ne disent rien; les journaux annoncent le rejet de l'amendement Schneider et l'adoption probable des forts et de l'enceinte continue, et cela, après le plus inconcevable discours du maréchal Soult, rajusté par celui, vraiment habile, de M. Guizot.

Rochecotte, 4 février 1841.—Il faisait bien froid hier, 15 mais il faisait très clair, et je me suis promenée avec mon gendre dans les bois, où, malgré l'absence de feuilles, on est toujours plus abrité; mais aujourd'hui, il neige comme en Sibérie; cette nuit, le thermomètre est tombé à plus de 10 degrés. Quelle jolie reprise d'hiver!

Les journaux nous disent les fortifications votées; ceux mêmes qui les ont votées ne les voulaient pas, et on ne sait vraiment pas qui est dupe dans tout ceci. Une des plaisanteries de Paris, c'est de ne plus dire, quand il est question du maréchal Soult ce qu'on en a dit si longtemps, l'illustre Épée, mais de dire l'illustre Fourreau. C'est assez drôle et m'a fait rire.

Rochecotte, 5 février 1841.—Voici le passage principal d'une lettre de la comtesse Mollien: «Nous voilà donc fortifiés. Dans cette question très compliquée, tout le monde s'est attrapé, et, en définitive, on ne voit pas trop qui y gagne, excepté M. Thiers dont la joie, encore, est fort troublée par le succès de M. Guizot, car on convient, généralement, que c'est son dernier et très admirable discours qui a entraîné la Chambre des Députés. Reste maintenant celle des Pairs, qui pourrait bien, dit-on, se montrer assez taquine. Elle veut bien des forts extérieurs, plus ou moins éloignés, rattachés, etc..., mais on aura de la peine à lui faire admettre l'enceinte continue. En lisant les articles du Journal des Débats, vous aurez vu sans doute qu'il était favorable à cette loi. Il n'en est rien, cependant; c'est Auguste de Veaux, le fils de Bertin de Veaux, qui seul était de cet avis, même avec une telle chaleur 16 qu'il a violenté le journal en dépit de son père et de son oncle, non moins violents que lui dans l'opinion contraire, mais qui ont fini par céder à la jeunesse et à la qualité de député. Au Château, on est ravi, mais on n'y cache pas assez, ce me semble, que l'enceinte n'était que le passeport du reste. M. Bertin de Veaux disait, avant-hier, que cette enceinte était le tombeau de la civilisation parisienne, en attendant qu'elle devînt celui de la Monarchie. Il est sûr qu'elle était déjà devenue celui de la conversation. On s'y était absorbé; femmes et hommes, jeunes et vieux, en faisaient leur unique préoccupation: c'était parfaitement ennuyeux et ridicule!

«Il y a eu un bal monstre aux Tuileries. Il n'y en aura pas d'autres: pas de petit bal, un seul concert, voilà tout; seulement, le lundi gras, un petit bal déguisé, uniquement pour la famille et les maisons. Il n'y aura de déguisé que la jeunesse; les femmes non dansantes tout en blanc pour faire ressortir les autres.»

Rochecotte, 7 février 1841.—Il paraît que la Chambre des Pairs prend très mal les fortifications et qu'elle veut leur résister; je doute qu'elle en ait l'énergie. Mlle de Cossé épouse le duc de Rivière. Elle sera fort riche et veut être duchesse; lui, a bien peu de fortune. La vieille Mme de la Briche est parfaitement en enfance; ce qui n'empêche pas qu'elle veuille voir du monde, et n'y dise et n'y fasse des choses étranges.

Rochecotte, 9 février 1841.—On mande à mon gendre 17 que la désunion sur les fortifications et la manière dont tout cela a été mené, a préparé pour tout le monde une fausse position. La division est dans le Conseil, dans la Chambre, partout. La Chambre des Pairs est décidément agitée et mécontente, aspirant à voter un amendement, y étant poussée par le maréchal Soult, Villemain et Teste, mais arrêtée par Guizot et Duchâtel.

Au milieu de tous ces troubles, on laissera passer très aisément les fonds secrets. Il n'y a donc plus d'autre question grave pour cette session, et M. Thiers, dit-on, n'est pas en état de livrer bataille sur celle-là.

La situation, au fond, à ce que dit M. Guizot, lui semble bonne, car la gauche, ajoute-t-il, est hors des affaires pour longtemps. Il se montre de plus en plus content du dehors, des avances qu'on lui fait, et dont il se vante beaucoup. Il va jusqu'à dire que le faisceau des quatre Puissances est rompu, ce qui me paraît un peu prématuré.

Rochecotte, 11 février 1841.—Je trouve ceci dans une lettre que m'écrit le duc de Noailles: «J'étudie les fortifications, puisque cette absurde loi nous arrive. Je ne puis la digérer et je ne veux pas qu'elle passe avec mon silence. Mgr le duc d'Orléans y est acharné. Il vient tous les jours à la Chambre des Pairs, même quand il n'y a que des pétitions à discuter; il note, il pointe, avec notre Grand Référendaire, M. Decazes, qui se traîne à la Chambre avec un carnet, tous les Pairs pour ou contre et compte les votes à l'avance. Il a dépêché hier quelqu'un, 18 pendant la séance, à M. de Vérac, qui paraît rarement à la Chambre, pour savoir son opinion. Il a dit que si on manquait d'eau pour le mortier des constructions, il donnerait plutôt de son sang pour qu'elles ne soient pas interrompues. Il a dit à M. de Mornay, qui a parlé contre à la Chambre des Députés, qu'il avait parlé en marquis et non en patriote. Enfin, il chapitre tous les Pairs, les fait venir, leur donne à dîner, emploie tous les moyens. Il est vrai que presque toute la Chambre votera pour, tant les révolutions qui ont sillonné ce pays-ci l'ont aplati. Vous qui avez de l'attachement pour M. le duc d'Orléans, vous souffririez d'entendre tous les propos inconvenants et révolutionnaires que cette loi lui fait tenir, et qui circulent partout. M. Molé jette feu et flamme contre les fortifications, mais n'aura probablement pas le courage de parler contre; M. Pasquier est tout aussi furieux, et sera, probablement, tout aussi silencieux.

«Nous avons eu une charmante soirée pour les incendiés de Lyon, chez Mme Récamier [3]. Je m'étais chargé de l'arrangement des lieux, et l'estrade placée au fond du salon faisait à merveille pour la musique et la déclamation. Les artistes musiciens ont exécuté admirablement. La petite Rachel est arrivée tard, parce que le comité du Théâtre Français l'avait, par méchanceté, forcée à jouer ce même jour Mithridate. Elle est venue à onze heures, 19 avec une bonne grâce, un empressement et une abnégation de toute prétention qui ont charmé tout le monde; elle a fort bien dit le Songe d'Athalie et la scène avec Joas. Ce sera bien mieux encore sur le théâtre, les effets de scène étant perdus dans un salon. On a été également ravi de sa conversation et de ses manières. La recette a été excellente: 5000 francs; deux cents billets ont été envoyés, à 20 francs le billet, mais presque tout le monde a payé 40 francs, 50 francs et même 100 francs le billet. C'est une très jolie forme de quête. M. de Chateaubriand, qui se couche à neuf heures d'habitude, est resté jusqu'à minuit. M. de Lamartine y était aussi, et deux abbés pour caractériser le couvent: l'abbé Genoude et l'abbé Deguerry.»

Le Duc s'est livré également à la politique et aux arts!

Rochecotte, 12 février 1841.—Plusieurs journaux légitimistes ont publié de soi-disant lettres, écrites pendant l'émigration par le roi Louis-Philippe au marquis d'Entraigues, et une longue lettre écrite à feu M. de Talleyrand par le Roi, durant l'ambassade de Londres. Le Cabinet a trouvé qu'il fallait saisir les journaux, arrêter les gérants et porter devant les tribunaux une plainte en faux. J'ai fait demander le journal qui contenait la lettre prétendue écrite à M. de Talleyrand. Elle est absolument controuvée, j'en ai la conviction. M. Delessert, préfet de police, a fait prier mon fils, M. de Valençay, de m'écrire pour me demander: 1o si je savais qu'on eût volé des papiers à M. de Talleyrand à Londres; 2o si on avait pu 20 lui en soustraire à Paris durant sa maladie et au moment de sa mort; et 3o enfin, si je connaissais une femme mêlée à toute cette affaire [4], qui prétend avoir habité Valençay et même le Château; enfin, quels sont mes souvenirs et mon opinion sur toute cette histoire. J'ai causé de tout cela avec mon gendre; nous avons trouvé qu'il n'y avait pas moyen de refuser une réponse; je l'ai donc faite à M. de Valençay, en lui disant de lire ma lettre à M. Delessert, sans la lui laisser entre les mains. Je dis dans cette lettre que je n'ai jamais connu cette femme, ni n'ai entendu parler d'elle, ce qui est l'exacte vérité; que tous les papiers importants de M. de Talleyrand ayant été déposés par lui en pays étrangers, en lieux et mains sûrs qui rendent la violation de dépôt impossible, on n'aurait pu en trouver aucun chez lui à Paris, si même on avait cherché à en soustraire, ce dont je ne m'étais nullement aperçue; et qu'enfin tous mes souvenirs et toutes mes impressions se réunissent pour être convaincue de la fausseté de la lettre en question. En effet, c'est une très longue lettre sur les affaires européennes, qui n'a jamais été écrite par le Roi. D'ailleurs, jamais le Roi, ni Madame Adélaïde, n'ont manifesté, dans leurs lettres à M. de Talleyrand, les pensées, ni les opinions, ni les projets exposés dans cette lettre. Il paraît que l'abbé Genoude et M. de La Rochejaquelein, dans un voyage qu'ils ont fait en Angleterre, ont acheté de cette femme les soi-disant lettres 21 du Roi, et qu'ils sont venus les publier en France, dupes de leur animosité et esprit de parti. Cependant, le tout est une affaire très désagréable pour le Roi, et le procès fort ennuyeux à suivre. Ces messieurs prétendaient avoir les originaux de la main du Roi; ce sont sans doute des pièces de faussaires, mais il est odieux d'avoir à le prouver.

On publie aussi, dans les journaux légitimistes, des fragments de journal, ou plutôt des Mémoires de Mme de Feuchères; c'est d'une fausseté évidente pour moi qui n'ai pas ignoré les relations qui ont existé entre elle et la Famille Royale, et qui étaient fort différentes de ce que ces fragments les représentent. Sa famille et ses exécuteurs testamentaires ont fait publier une dénégation absolue de l'existence de ces prétendus Mémoires. Eh bien! les journaux légitimistes vont toujours leur train et continuent cette ridicule publication, et il y a des imbéciles ou des méchants qui veulent encore y croire.

Rochecotte, 15 février 1841.—On m'a demandé quelle espèce de personne est Mme de Salvandy, qui correspond avec le ministre d'Autriche aux États-Unis. Elle s'appelle Mlle Ferey de son nom, elle est nièce des Oberkampf: cela tient aux toiles peintes de Jouy [5]; ce n'est pas une personne distinguée, cependant elle n'est pas vulgaire; elle n'est pas jolie, mais elle n'est pas laide; elle 22 n'est pas aimable, mais elle n'est pas mal élevée; elle n'est pas spirituelle, mais elle n'est pas sotte; il me semble qu'après cela, on peut être bien convaincu qu'elle n'est pas une négation. Il est juste d'ajouter qu'elle est bonne fille, bonne femme et bonne mère; qu'elle ennuie son mari et qu'elle fatigue ses enfants, le tout à force d'être correcte; pour achever, c'est une protestante exacte au prêche, et qui ne se lasse pas de semer de petites Bibles françaises, en cachette de son mari, qui, lui, est très bon catholique.

Voici le bulletin de ma correspondance, que j'ai trouvé ici hier en arrivant de Tours, où j'avais été passer quelques heures pour une loterie de charité:

Mme de Lieven: «La passion des Tuileries pour les fortifications de Paris remonte, dit-on, à Dumouriez. On les veut, on les aura, car la Chambre des Pairs donnera, à ce qu'on croit, la majorité, malgré la conspiration Pasquier-Molé-Légitimiste. L'Angleterre va être obligée de faire des avances à la France, car le Parlement l'y pousse, et l'Autriche aussi. Malgré les succès extérieurs du Cabinet anglais, le Ministère s'affaiblit; on va jusqu'à dire qu'il croulera. Lord Palmerston seul est plein de confiance en sa fortune. Toute l'Europe montre une grande confiance à M. Guizot, surtout M. de Metternich qui ne lui demande qu'une chose, c'est de durer. Je le crois aussi solide qu'on peut l'être en France. Je crois que le projet sur Jérusalem ne tombera pas dans l'eau.»

La duchesse de Montmorency: «Je vous ai mandé, il y a quelques jours, que Mgr Affre avait, dans un moment 23 de mauvaise humeur, défendu au Chapitre de se rassembler, et qu'alors, celui-ci, pour suivre ses ordres dans toute leur rigueur, n'avait pas été lui souhaiter la bonne année, puisque, pour cela, il fallait se réunir. Tout cela a jeté dans le clergé un désordre qui, aujourd'hui, est au comble. Et voilà qu'aux Tuileries même, on commence à se repentir du triste choix qu'on a fait de M. Affre, car il a fait une scène violente à M. Guillon, évêque de Maroc, premier aumônier de la Reine et fort aimé au Château. Celui-ci, quoiqu'il eût été grand ennemi de Mgr de Quélen, a été se plaindre au Roi de Mgr Affre. Malheureusement, on ne peut le destituer. Il a fait quitter à M. de Courtier, curé très populaire des Missions étrangères, sa paroisse; celui-ci ne vit plus que de ses messes. Les chanoines de Notre-Dame ne disent plus la messe au maître-autel, parce que ce serait une façon de se rassembler; de même à matines et aux autres offices. C'est comme si la Cathédrale était en interdit. Mgr Affre est si violent, qu'ayant dicté d'étranges lettres à son secrétaire, jeune et innocent abbé, celui-ci s'est permis une observation; aussitôt il a été mis à la porte avec le bâton blanc. Comme c'est chrétien, pastoral, évangélique!

«M. Demidoff a renvoyé le secrétaire, le maître d'hôtel et les domestiques qu'il avait ici. On ne le sait point encore arrivé en Russie, ni si l'Empereur Nicolas permettra à sa femme d'y entrer avec lui: on en doute.

«Le duc Decazes a ses affaires dans un affreux désordre, ses gens le quittent; on le dit, du reste, fort malade.»

24 M. Raullin: «Nous avons eu hier, à Notre-Dame, une prédication du Révérend Père Lacordaire, qui veut rétablir ou établir en France l'ordre des Dominicains, avec leur bel habit blanc. Tout Paris y est venu: l'église était comble. On a beaucoup dit, pour et contre ce sermon; c'était une prédication à la manière de Pierre l'Ermite prêchant la Croisade aux peuples, seulement la Croisade n'était contre personne, mais pour le catholicisme. C'était Rome et la France, marchant ensemble depuis Clovis à la conquête de la vraie liberté et de la civilisation. Il y avait, dans tout cela, un mélange de papauté et de nationalité, de monarchie spirituelle et de liberté universelle, de manière à faire trembler les piliers et à remuer les fondements de toutes les églises gallicanes. Je ne voudrais pas qu'on renouvelât souvent de pareils essais, mais une fois, en passant, ce n'est pas un mal. J'ai surtout été frappé de cet immense concours de monde et de l'attention infinie avec laquelle on suivait toutes les paroles de ce résurrecteur des Dominicains. Que sera-t-il de cette tentative? J'ai peur que l'imagination seule et le pittoresque n'en fassent les frais. Je n'aime pas qu'on débute par l'extraordinaire.»

La duchesse d'Albuféra: «Mme de Rambuteau, pour se tirer de la terrible foule qui envahit les salons de l'Hôtel de Ville, a déclaré qu'elle n'inviterait, en fait de nouvelles connaissances, que ceux qui se feraient présenter chez elle les mardis matin. C'est ce qu'elle a répondu à un billet de Mme d'Istrie, qui lui demandait de lui présenter sa sœur, Mme de La Ferronnays. On a trouvé ce mot de 25 présentation ridicule de la part de Mme de Rambuteau envers Mme de La Ferronnays; on en glose, on s'en moque, et beaucoup de personnes comme il faut ne veulent plus retourner à l'Hôtel de Ville.

«Mme de Flahaut n'est occupée qu'à attirer le faubourg Saint-Germain chez elle; cela donne beaucoup d'humeur à M. le duc d'Orléans: mais comme les Princes ne vont plus dans les salons, Mme de Flahaut dit qu'elle ne continuera pas à sacrifier ses goûts aux fantaisies de M. le duc d'Orléans. Émilie, sa fille, qui gouverne la maison, pousse dans ce sens-là. Les jeudis, on danse chez Mme de Flahaut: on disait, chez la marquise de Caraman, que c'étaient des bals de jeunes personnes; à cela, la Marquise a repris: et de jeunes femmes, car j'y suis priée. Là-dessus, on s'est souvenu de son extrait de baptême, qu'on n'a pas trouvé d'accord avec cette prétention!»

Enfin, M. de Valençay m'écrit que Mme de Saint-Elme, l'auteur des Mémoires de la contemporaine, est fort impliquée dans l'affaire des soi-disant lettres du Roi. Le Préfet de police est toujours très occupé d'arriver au fond de cette intrigue.

M. de Valençay a été entendre le Père Lacordaire qui représentait, dit-il, un beau tableau espagnol. Son discours a été très républicain, ses expressions très différentes de celles employées jusqu'à présent en chaire, mais il a beaucoup de talent et de verve.

Il ajoute que M. de Chateaubriand lit ses Mémoires chez Mme Récamier: Mme Gay s'y pâme d'admiration; 26 Mme de Boigne y fait la grimace: ces deux sensations sont devenues évidentes à un portrait très brillant de M. le duc de Bordeaux. Mme la duchesse de Gramont-Guiche, qui y était, a été médiocrement contente d'un passage où il était question d'elle, et où M. de Chateaubriand dit: Madame de Guiche qui A ÉTÉ d'une grande beauté.

Voilà tout ce que je trouve dans mes lettres qui vaille la peine d'être extrait, et encore y a-t-il bien du fatras.

Rochecotte, 23 février 1841.—On m'avait conseillé, il y a quelque temps, de lire un roman de M. de Sainte-Beuve, sans m'effrayer du titre: Volupté. J'en ai lu la moitié hier: malgré un peu de divagation plus métaphysique que religieuse, une certaine afféterie et le raboteux du style de Sainte-Beuve, je suis touchée de cet ouvrage, dans lequel il y a une connaissance profonde du cœur humain, un sentiment vrai du bien et du mal, et, en général, une élévation délicate de la pensée, rare chez nos auteurs modernes.

On mande de Paris à mon gendre que la Chambre des Députés a été émue du rapport de M. Jouffroy sur les fonds secrets. Il paraît que la Chambre vivait dans une quiétude profonde et que ce rapport l'a troublée: il ranime toutes les querelles, met tous les Ministères passés sur la sellette; il fait de la politique du Cabinet actuel des définitions inacceptables pour beaucoup de ceux qui le soutiennent. Enfin, c'est un incident malheureux, qui a de la portée, en donnant de la force à cette fraction importante de la Chambre qu'on appelle Dufaure-Passy.

27 Rochecotte, 24 février 1841.—J'ai trouvé dans l'Ami de la religion, petit journal que je reçois pour le prêter à mon curé, un long extrait du fameux sermon de M. Lacordaire, qui a fait dernièrement tant de bruit à Paris, et qui, heureusement, parait y avoir été fort désapprouvé. En effet, ce que j'y ai lu est inimaginable, quoique semé de passages pleins de verve et de talent. Mais ils sont noyés dans des choses étranges jusqu'au scandale et au danger. Il a pris pour texte le devoir des enfants à l'égard des parents, et il part de là pour faire de la démocratie avec enivrement. Il dit que Jésus-Christ était un bourgeois, classe moyenne avant tout, et que la France est protégée de Dieu parce qu'elle respire la démocratie. Feu Mgr de Quélen avait bien raison de ne jamais permettre à M. Lacordaire de prêcher, à moins qu'il n'y assistât pour le surveiller: il se défiait de ces étranges doctrines, puisées jadis dans son commerce avec M. de Lamennais, et, quoiqu'il soit resté catholique, il est resté aussi imbu du mauvais lait sucé dans sa jeunesse.

Le prince Pierre d'Aremberg m'écrit que, le jour de la quête à Notre-Dame, Mgr Affre s'est fait nommer les dames quêteuses à la sacristie; qu'il ne leur a pas dit un mot, qu'il ne les a pas remerciées, à quoi elles s'attendaient, y ayant toujours été habituées par Mgr de Quélen, qui le faisait toujours avec une grâce parfaite, et qu'il les a fait entrer dans l'église par un: Allons, marchons, des plus militaires, ce qui, à la lettre, a été accueilli par des murmures de la part de ces dames!

M. de Valençay m'écrit savoir de bonne source qu'on 28 attend toujours une ouverture de la part du Cabinet anglais, et que, pour le coup, on croit qu'elle va venir. Il avait rencontré Mme de Lieven qui l'avait chargé de me le mander, et d'ajouter que M. Guizot est au mieux avec les Cours allemandes. Il paraît que cette semaine va se décider le sort du Cabinet anglais, qui sera fort attaqué.

Les fortifications ne seront votées ou rejetées par la Chambre des Pairs que dans quinze jours: elles seront rudement attaquées par M. Molé, par le Chancelier et les légitimistes. La Cour est fort en colère contre les deux premiers. On ne sait vraiment pas encore quel pourra être le sort de cette loi.

Mme de Nesselrode a quitté Paris, pleine d'engouement pour la vie qu'on y mène, pour les choses et pour les personnes. Je continue à rendre justice à son bon cœur, à son âme généreuse, mais je n'ai plus aucune considération pour son jugement.

Rochecotte, 26 février 1841.—On m'écrit, de Paris, qu'il y a eu chez Mme Le Hon un bal très bien composé; qu'à présent, elle et Mme de Flahaut cherchent à épurer leur salon et à y attirer le faubourg Saint-Germain; qu'on espère, à cet égard, une sorte de réaction, que l'on veut absolument être du grand monde, qu'on dédaigne ceux qu'on recherchait et qu'on courtise ceux qu'on dédaignait.

On m'écrit de Vienne que la fille du ministre de Prusse Maltzan, jeune et jolie personne de vingt-quatre ans, épouse lord Beauvale, ambassadeur d'Angleterre: il pourrait être grandement son père; il a été fort libertin, il est 29 rongé de goutte; cependant, elle l'a préféré à plusieurs autres partis, parce qu'il est Pair d'Angleterre, Ambassadeur et frère du Premier Ministre. Elle était décidée à faire un brillant mariage.

Rochecotte, 27 février 1841.—Ma fille a reçu hier une longue lettre de la jeune lady Holland, qu'elle a beaucoup connue à Florence. Cette petite Lady est maintenant à Londres. J'ai demandé à ma fille la permission d'extraire de cette épître ce qui en est intéressant. Les fautes de français sont dans l'original, je les y laisse pour conserver la couleur locale, si respectée aujourd'hui: «Je crois qu'en cherchant bien, on ne trouverait pas une position plus pénible que la nôtre, parce que je crois qu'il n'existe pas, peut-être, une femme comme lady Holland, ma belle-mère. C'est quelque chose qui surpasse tout ce qu'on pourrait imaginer de plus extraordinaire, de plus rapace, de plus égoïste: c'est un caractère que, dans un roman, on trouverait exagéré, impossible. Elle a, vous l'avez su, tout, tout au monde, dans la succession de mon beau-père; mais cela ne lui suffit pas; elle veut détruire Holland-House où elle a passé quarante ans de sa vie; elle veut bâtir, elle veut vendre, Dieu sait ce qu'elle ne veut pas, car elle voulait, l'autre jour, par un arrangement avec son fils, nous enlever notre petite rente fixée à notre mariage, de sorte que si le Ministère changeait demain (chose fort possible) et que nous quittions, comme de raison, notre poste, nous serions réduits à vivre sur les intérêts de ma dot. Heureusement, elle ne peut détruire 30 Holland-House sans le consentement de mon mari, et il a dit qu'on lui couperait plutôt la main que de le faire consentir à sacrifier la plus petite partie, même du parc. De même, elle ne peut vendre l'autre propriété d'Ampthill sans son consentement: il le donnerait volontiers, pour lever les hypothèques considérables dont elle a chargé des biens qui étaient immenses et sans une dette à l'avènement de son mariage avec lord Holland, si elle, de son côté, voulait faire quelque chose. Elle a tant dans son pouvoir, tant, dont malheureusement elle peut disposer, qu'on a conseillé à mon mari de demander quelque chose d'équivalent pour ce consentement; il ne lui demandait que de conserver la maison telle qu'elle était du vivant de son père, de ce père qu'il adorait, dont la mémoire lui est si chère; que la bibliothèque, les papiers qu'il a laissés, toutes ces choses lui tiennent plus au cœur cent fois que le solide, que l'argent dont elle peut disposer. Eh bien! elle ne veut pas, elle ne veut rien faire. Elle a consulté tous ses amis, qui tous lui ont démontré la vérité, l'ont priée de faire ce qu'elle doit faire. Non, ce sont des scènes, des injustices; et il faut tout voir, tout entendre, et ne pas se plaindre! La position est difficile, et quelquefois je sens mon sang bouillir dans mes veines; mais pour mon mari, je me retiens, et je fais comme ses fils, comme sa fille, qui sont des anges pour elle, et qui se conduisent avec une délicatesse, une tendresse, une réserve dont elle n'est, parfois, sûrement pas digne. Enfin, il faut espérer qu'un jour viendra où nous pourrons vivre tranquilles et rentrer dans cette chère maison qu'il ne nous a pas été 31 permis d'approcher depuis notre arrivée. Pour le moment, il faut partir sitôt que nous le pourrons et retourner à Florence en passant par Paris.

«Fanny Cowper n'épouse pas Charles Gore; elle ne peut encore se fixer, ni se décider; elle est toujours fort jolie [6]. La beauté par excellence, c'est lady Douro. Le duc de Wellington est de nouveau rétabli, mais il fait de telles imprudences qu'on ne peut jamais être en sûreté sur lui. On siffle lord Cardigan au théâtre, ce qui est fort ennuyeux pour ceux qui y vont. J'ai été à son jugement, qui m'a fort intéressée [7]. Il est bel homme, et il était pâle et intéressant; aussi, avons-nous été, nous Pairesses, contentes de sa libération. Mais c'était un peu théâtral, et je crains que, dans ces temps de réforme et de mécontentement, cela ne donne des griefs contre la Chambre des Pairs. Mon mari a prononcé bien les paroles: Pas coupable, sur mon honneur, mais celui qui les a prononcées mieux que personne était mon cousin, lord Essex. Du reste, vers le soir, les robes des Pairs, les tapisseries rouges, la présence des dames, etc., tout cela faisait un effet frappant. Les dames les plus admirées étaient lady Douro, lady Seymour, lady Mahon, ma cousine Caroline Essex.

32 «Notre chère tante, miss Fox, que nous aimons tant, puisqu'elle a été une vraie mère pour mon mari, nous a mis dans la peine; elle a été bien malade, mais j'espère qu'elle est sauvée; elle pleure son frère qu'elle aimait pour lui, pour lui seul; ni vanité, ni regrets d'importance ou d'ambition n'entrent dans sa douleur, et tout ce qu'elle a vu ou entendu depuis sa mort l'a choquée, peinée. Nous avons été aussi en alarme pour ma pauvre cousine lady Melbourne: elle a été à la mort, d'une fausse couche de cinq mois; elle est sauvée, je crois et j'espère, mais ce sont des scènes qui font mal et restent empreintes sur le cœur. Elle croyait mourir, et quittait tout ce qu'elle aimait avec tranquillité, soumission et tendresse, n'oubliant rien de ce qui pouvait conduire au bonheur de son mari qu'elle laissait.

«Nous passâmes une semaine, le premier de l'An, à Windsor; un tableau de bonheur parfait; notre chère petite Reine, le beau Prince Albert et la petite Princesse, bel enfant de bonne humeur, se laissant tout faire avec un sourire, signe certain de bonne santé. On dit que la Reine est encore grosse. Nous y dînâmes il y a quatre ou cinq jours, elle me parut un peu souffrante, mais deux soirs après, elle dansa beaucoup; mais, au reste, elle est si forte qu'on ne peut juger sur les apparences.»

Rochecotte, 1er mars 1841.—Voici mon dernier mois de Rochecotte qui commence. Je l'envisage à regret. Je me suis trouvée ici aussi bien que je puis être à présent; j'y vis exemptée de fatigue, d'agitations, de blessures et 33 de contrainte; je retrouverai tout cela à Paris, mais comme il y aurait une certaine affectation à n'y pas aller du tout, et qu'avant de partir pour l'Allemagne, j'ai pas mal de petits arrangements à prendre, de préparatifs à faire, qui ne peuvent s'accomplir qu'à Paris, j'en prends, quoiqu'en grommelant, mon parti pour le mois d'avril.

J'ai reçu, hier, une lettre de Mme Mollien, qui me paraît assez amusante d'un bout à l'autre: «Il faut donc vous parler de ce bal costumé, vrai bal de carnaval et qui fera époque dans les annales des Tuileries pour avoir, pendant quelques heures, ramené dans ses murs, d'ordinaire assez tristes, la folle, franche et vive gaieté qui ne se voit guère que dans de plus simples salons: c'est au Prince de Joinville qu'est dû le succès de cette soirée. Rien ne peut résister à son entrain. Les costumes étaient variés, en général assez riches et de bon goût, à quelques exceptions près; il y a des exceptions partout. La Reine, les vieilles Princesses et les vieilles dames non costumées s'étaient rendues successivement dans la galerie Louis-Philippe; tous les costumes, hommes et femmes, se réunissaient dans une autre partie du Château, pour faire une entrée solennelle, qui eut lieu vers huit heures et demie, au bruit d'une musique infernale, composée de toutes sortes d'instruments plus ou moins barbares, que le Prince de Joinville a rapportés de ses voyages. Lui-même, en vrai costume turc, portait devant lui un immense tambour, oriental s'il en fut, dont il faisait un très bruyant usage. Un magicien, en guise de héraut, précédait le cortège, qui était conduit par la Duchesse d'Orléans: elle était superbe 34 et avait le plus grand air. Son costume était celui de Marie de Bourgogne, velours noir, richement brodé d'or et garni d'hermine; le grand bonnet pointu, qui fait partie de ce costume, était orné par devant d'une barbe de velours, bordée tout autour par d'énormes chatons; le susdit bonnet était lui-même en drap d'or, surmonté à son extrémité d'un voile de tulle brodé en or. Deux dames et deux hommes, également en costume du temps de Louis XI, escortaient la Princesse: les deux femmes, dont le costume était pareil au sien, mais seulement moins riche, étaient Mmes de Chanaleilles et Olivia de Chabot; les hommes étaient M. Asseline, son secrétaire des commandements, et M. de Praslin, qui était à merveille dans un vêtement long, tout de velours brun et en martre, et qui s'appelait Philippe de Commines. Ma pauvre Princesse Clémentine n'était pas bien: elle portait un costume turc, rapporté par le Prince de Joinville, lors de son voyage en Syrie; c'était riche, mais lourd, peu gracieux, et sa mobile et charmante figure n'a retrouvé tous ses avantages qu'après souper, lorsque, pour danser plus à son aise, elle s'est débarrassée de son énorme coiffure qui l'écrasait. La Duchesse de Nemours, au contraire, était ravissante: elle avait copié un portrait de la femme du Régent, à qui on prétend qu'elle ressemble; une robe de dessus en velours, rouge, très courte, bouffante, relevée tout autour par des rubans et des diamants, sur une jupe de satin blanc, garnie de deux rangs de grosses franges chenilles et perles posées en guirlandes; un petit toquet de velours, avec une seule petite plume droite, posé en biais et bordant 35 le front, en le dégageant extrêmement d'un côté; des cheveux très blonds, légèrement poudrés, frisés, mousseux, relevés de côté, tombant de l'autre, tout cela avait un certain air coquet, et, en même temps, négligemment abandonné qui était charmant; je ne l'ai jamais vue si jolie: ce n'était qu'un cri. Le reste ne vaut pas la peine d'être nommé. Cependant, il y avait de très belles toilettes. Des dames du temps de la Ligue, de la Fronde, de Louis XIII, de Louis XIV, quelques Espagnoles, et, entre autres, une vivandière du temps de Louis XV, qui faisait fureur. Mme de Montalivet et Mme de Praslin s'appelaient, à l'envi l'une de l'autre, Mlle de Hautefort. Beaucoup de dames poudrées. Le Duc d'Orléans n'était pas revenu de Saint-Omer, comme il l'avait fait espérer, au grand chagrin de la Princesse, pour qui, je crois, cela a beaucoup gâté la soirée. Le Prince de Joinville s'est promptement délivré de son costume turc. Ses deux jeunes frères étaient d'abord apparus en costumes militaires des derniers siècles. Après la première contredanse, tous trois s'en allèrent et revinrent bientôt, le Prince de Joinville et le Duc d'Aumale, en débardeurs, et le Duc de Montpensier en fifi du temps de la Régence. Si vous avez près de vous quelque habitué des bals masqués (je ne pense pas que ce soit M. de Castellane), faites-vous expliquer ce que sont ces costumes. Leur principal mérite, et qui, probablement, les avait fait choisir, est de seconder merveilleusement les projets de gaieté, car ils en autorisent et même en exigent l'allure. Les contredanses ne se formaient que sur deux rangs; comme on avait beaucoup de place, on se mettait à 36 l'aise. Comme les couples des deux bouts auraient eu trop d'espace à parcourir, chaque figure n'était répétée que deux fois au lieu de l'être quatre; ainsi, toujours en mouvement, sans repos, sans relâche, chaque contredanse se terminait par un galop général, sur l'air final joué seulement sur une mesure beaucoup plus vive. Cela a duré ainsi jusqu'à trois heures et demie du matin, dans une progression de mouvements et d'ardeur de danse à laquelle je ne croyais plus. La Reine s'est fort amusée; le Roi lui-même a paru prendre plaisir à toutes ces gaietés: il est resté jusqu'au souper, qui a été servi dans la galerie de Diane, sur de petites tables rondes, comme aux petits bals. Les Infants et Infantes d'Espagne étaient tous costumés, excepté cependant père et mère: celle-ci n'a dansé que l'anglaise qui a terminé le bal; elle avait pour cavalier un Incroyable de la Révolution. C'était... incroyable! Elle s'est cependant dispensée du dernier galop qui a mis fin à l'anglaise et qui a surpassé tous les autres. Le Prince de Joinville avait pour page le Duc de Nemours, qui a pris, toute la soirée, une part très joyeuse à toutes ces gaietés; il tâchait bien un peu d'imiter son frère, mais ce Prince de Joinville, si fou, en même temps si grave et si beau de figure, si plein de verve et d'originalité, est, de tous points, inimitable. J'ai oublié de vous citer M. et Mme de Chabannes; elle, en dame de la Cour de Charles IX; son costume, dessiné, disait-elle, par Paul Delaroche, était parfaitement exact et rigoureux, et la rendait parfaitement laide; lui, s'était enveloppé de la tête aux pieds de ces flots de mousseline blanche dont se revêtent 37 les Arabes; ce n'était pas une imitation: costume, poignard, pistolet, de plus un énorme fusil, pris par lui à Blidah, Milianah, etc... tout cela venait d'Alger. Il était de service, et c'est dans cet équipage qu'il a précédé le Roi et la Reine, lorsqu'ils ont passé de leur appartement dans la salle de bal. J'ai trouvé que ce n'était pas celle de ses campagnes où il avait montré le moins de courage.

«Le bal a eu un lendemain. Tous les costumés dansants et de bonne volonté se sont réunis chez M. de Lasalle, officier d'ordonnance du Roi, l'Incroyable de l'Infante, dont la femme avait un très riche costume dit Mademoiselle de Montpensier. Le Duc de Nemours, le Prince de Joinville et le Duc d'Aumale ont été à cette réunion improvisée, qui s'est prolongée jusqu'à cinq heures du matin, et qui a été, dit-on, prodigieusement gaie. C'était le Mardi-Gras: tout est permis ce jour-là. La matinée avait aussi voulu être amusante: Madame Adélaïde avait, comme de coutume, son déjeuner d'enfants. Le Roi et la Reine y vont toujours, ainsi que les Princesses. C'est au Palais-Royal, dans les appartements mêmes de Madame, que cela se passe. Plusieurs tables sont dressées dans trois pièces; la famille royale s'établit à une de ces tables, qui sont servies de toutes sortes de choses recherchées. C'est là, le grand divertissement. Madame y avait ajouté, cette année, un petit spectacle pour amuser le Roi: on jouait une pièce du théâtre des Variétés, le Chevalier du guet, qui a peut-être amusé le Roi, mais les enfants pas du tout; j'en suis garant: j'avais mes deux neveux, que Madame avait invités avec une obligeance qui ne m'avait pas permis 38 de refuser; je suis restée là depuis trois heures jusqu'à sept, puis je suis encore retournée passer la soirée aux Tuileries, parce que j'étais de service, ce qui fait que, le mercredi des Cendres, j'étais morte de fatigue.

«Pas un mot aujourd'hui des fortifications, ni des fonds secrets, quoiqu'à vrai dire, certains hommes d'État pourraient ne pas se trouver tout à fait déplacés au milieu des déguisements du Carnaval.»

Rochecotte, 2 mars 1841.—M. de Valençay me mande qu'il a dîné hier jeudi chez le maréchal Soult, un grand dîner de quarante couverts. Les Ailesbury, les Seaford, lady Aldborough, les Brignole et Durazzo, les Francis Baring y assistaient. Mon fils était assis à table à côté de Francis Baring, homme d'un esprit agréable qu'il avait beaucoup vu chez M. de Talleyrand, surtout en Angleterre et qui semble avoir conservé de l'attachement pour sa mémoire. Ils ont beaucoup causé. Sir Francis lui a dit qu'un grand nombre de lettres de M. de Talleyrand lui avaient dernièrement passé par les mains, car il venait de parcourir et de mettre en ordre toute la correspondance de son beau-père, le duc de Bassano. Il a ajouté que son impression, après cette lecture, était de donner toute raison à mon oncle dans les différends qu'il a eus avec le duc de Bassano sur la politique de l'Empereur Napoléon. Dans le courant de cette conversation, Francis Baring a dit, comme un avis qui pourrait nous être utile, qu'un de ses amis est venu chez lui, il y a peu de temps, et lui a dit: «Vous ne savez pas que Thiers se vante d'avoir trouvé, en 39 fouillant dans des papiers, des choses qui compromettent M. de Talleyrand dans l'affaire du duc d'Enghien.» Mon fils est entré alors dans quelques détails, pour démontrer à Baring que les renseignements prétendus trouvés par M. Thiers ne pouvaient être qu'erronés; que son oncle avait toujours ignoré les projets de l'Empereur, sa pensée secrète sur le duc d'Enghien, et tous ceux qui ont connu Napoléon ne s'en sont point étonnés.

Je suis bien aise de savoir ce que M. Thiers se plaît à répandre, pour donner crédit à l'Histoire du Consulat et de l'Empire qu'il écrit en ce moment.

Quand vous serez revenu de votre exil [8], je vous prierai de demander à Francis Baring communication des lettres dont il a parlé à mon fils; ces pièces figureraient bien, ce me semble, dans notre grand ouvrage [9].

La discussion sur les fonds secrets s'est prolongée beaucoup plus qu'on ne s'y attendait. Le vote, du reste, n'est pas douteux.

La nouvelle d'hier était la faible majorité du Ministère anglais sur le bill de lord Morpeth. Le chiffre de cinq est bien faible [10]. Indiquerait-il la chute prochaine du Cabinet?

40 On ne peut pas dire encore quel sera le sort des fortifications de Paris à la Chambre des Pairs. Le duc de Broglie se montre des plus violents en faveur de cette loi.

Les journaux apprennent le mariage du vieux Roi des Pays-Bas avec la comtesse d'Oultremont [11]. La tante du Roi de Prusse, la vieille électrice de Hesse, vient de mourir. La pauvre femme a eu une triste existence semée de bien d'épreuves et de traverses! Son vilain mari épouse cette dame avec laquelle je l'ai souvent rencontré à Bade.

Rochecotte, 3 mars 1841.—Le duc de Noailles m'écrit que M. de Flahaut fait une cour assidue à M. Guizot, partout, et surtout chaque soir, chez Mme de Lieven, où ses prévenances commencent dès la porte. Bref, il lui paraît dévoué comme il l'était à M. Thiers; cependant, il n'aura Vienne que si Sainte-Aulaire va à Londres, et pour cela, il faut que M. de Broglie, qu'on presse d'accepter Londres, continue de s'y refuser.

Le Duc mande encore que le Roi regarde la question des fortifications comme une question de paix et dit qu'il faut rendre les guerres plus difficiles pour les rendre plus rares; qu'il est bon que l'Allemagne se fortifie chez elle, et que nous nous fortifiions chez nous, parce qu'il faut arrêter notre fougue et élever mutuellement des obstacles qui empêchent de s'attaquer. Le duc d'Orléans, au contraire, prend la chose du côté révolutionnaire. Il 41 dit que l'Europe ne s'arrangera jamais de sa dynastie, ni du principe de gouvernement qui a triomphé en 1830; qu'un jour ou l'autre, elle l'attaquera, et qu'il faut, dès aujourd'hui, préparer sa défense. Quant au duc de Noailles, il me paraît, lui, préparer un discours, auquel il met beaucoup de prétention.

Rochecotte, 5 mars 1841.—Voici un passage d'une lettre que j'ai reçue, hier, de M. Molé: «La Coalition a rendu le bien désormais impossible; on ne peut plus exercer le pouvoir qu'au prix de concessions, que je ne ferai jamais; je regarde donc ma carrière politique, ou plutôt ministérielle, comme terminée. Quand les choses en vaudront la peine, je ferai mon devoir à la Chambre des Pairs; rien de plus, rien de moins; j'y suis irrévocablement décidé. L'aveuglement est partout, mais là surtout où il importait tant de trouver la clairvoyance. C'est ce qui me fait le plus redouter l'avenir. Je me le représente sous de sombres couleurs, et je vais jusqu'à craindre qu'il ne soit prochain.»

M. de Salvandy, dans une lettre où il me dit qu'allant ce mois-ci, pour des affaires de famille, à Toulouse, il me demandera l'hospitalité en passant, ajoute: «La campagne des fonds secrets a été aussi pitoyablement menée que celle des fortifications. M. Thiers en sort battu et impossible; M. Guizot, victorieux en paroles, affaibli par le fait, car la majorité reste inquiète des réserves de M. Dufaure. La session semble terminée, cependant les lois de crédit la réveilleront aux dépens de M. Thiers, et 42 la discussion de la loi des fortifications, si elle tournait, à la Chambre des Pairs, selon les désirs de M. Molé, ce que je ne crois pas, la compliquerait encore davantage.»

Les journaux annoncent la mort de M. de Bellune, qui a reçu tous les sacrements de la main de mon cousin, l'abbé de Brézé, en présence de M. de Chateaubriand, du marquis de Brézé et de M. Hyde de Neuville. On ne saurait finir en plus pur carlisme. M. Alexandre de La Rochefoucauld est mort aussi, mais moins légitimement.

M. Royer-Collard reste triste, accablé, souffrant, et indigné que M. Ancelot ait eu la succession académique de M. de Bonald au lieu de M. de Tocqueville.

Rochecotte, 7 mars 1841.—Je suis charmée de votre goût pour les lettres de Mme de Maintenon [12] et beaucoup trop honorée des analogies que vous trouvez entre mon genre d'esprit et le sien; du reste, le duc de Noailles m'a dit plusieurs fois la même chose. Je voudrais justifier plus complètement cette ressemblance, car, outre la qualité de son esprit, elle avait, avec quelques-unes des faiblesses de son temps et de sa position, une élévation d'âme, une fermeté de caractère et une pureté de principes et de vie, qui la mettent bien haut dans mon estime, et qui expliquent, bien plus encore que sa beauté, ses grâces et sa hauteur de pensée, l'étonnante fortune qui l'a couronnée.

Rochecotte, 8 mars 1841.—Hier au soir, mon gendre 43 nous a lu un très joli article sur Mlle de Lespinasse, dans le numéro de la Revue des Deux Mondes du 1er mars. Cet article est bien fait et m'a rappelé plusieurs particularités que M. de Talleyrand m'a racontées sur cette personne qui ne lui plaisait pas. Il trouvait qu'elle manquait de simplicité, car un des caractères supérieurs du goût de M. de Talleyrand était son respect et son attrait pour la simplicité. Il l'admirait en toutes choses: dans l'esprit, dans les manières, dans le langage, dans les sentiments, et il a fallu un concours de circonstances bien étranges, une position bien forcée, pour que ce noble instinct de simplicité ne se soit pas toujours conservé dans son caractère et dans ses actions. L'exagération et l'affectation lui ont toujours été antipathiques et son commerce m'en a singulièrement corrigée. J'en avais un peu lorsque je me suis mariée, et j'espère qu'il ne m'en reste guère; c'est bien à lui que je le dois, ainsi que tant d'autres choses dont je ne puis assez rendre grâce à sa mémoire. Pour en revenir à Mlle de Lespinasse, je me souviens parfaitement d'avoir lu ses Lettres, qui parurent peu après celles de Mme du Deffant. Elles ne m'attirèrent pas beaucoup. La fausse exaltation n'est pas de la vraie sensibilité; la passion n'est pas de la tendresse. Dans l'absence de principes qui caractérise le dix-huitième siècle, on ne se sauvait que par le joug qu'imposait le grand monde, par ses coutumes et par ses exigences. Pour peu que l'on n'y appartînt pas absolument, rien n'arrêtait; l'imagination entraînait bien loin et bien bas. Mlle de Lespinasse, sans famille et sans fortune, n'étant pas obligée de compter avec un monde 44 auquel elle n'appartenait qu'à moitié, a mené la vie d'un homme d'esprit à bonnes fortunes. Mais me voilà faisant moi-même un article de revue: celui que nous lisions hier vaut beaucoup mieux.

Rochecotte, 9 mars 1841.—Voici l'extrait d'une lettre que j'ai reçue de la duchesse de Montmorency: «Ici on ne pense qu'aux fortifications. Les moins politiques en sont occupés, et ceux qui sont supposés devoir voter pour, sont très mal traités dans la société. Mon mari dit qu'il n'est pas encore éclairé; cela fait dire par notre famille qu'il est gagné par le Roi; le fait est qu'il est travaillé par mon fils, qui en est chargé par le Château; tout cela m'excède.

«M. Gobert, trésorier de l'Œuvre des orphelins du choléra, et qui est resté fort dévoué à la mémoire de feu Mgr de Quélen, a eu une horrible scène avec Mgr Affre, qui, à l'assemblée de l'Œuvre, a voulu le chasser. M. Gobert a répondu qu'il ne bougerait pas; bref, cela a été très scandaleux: on ne peut comprendre comment ces scènes, ces colères, ces abus d'autorité finiront.

«Le duc de Rohan marie sa fille au marquis de Béthisy: c'est un mariage convenable.

«Vous verrez, dans le journal, la comédie filiale du prince de la Moskowa. On loue M. Pasquier de ne pas lui avoir accordé la parole. On m'a raconté que c'est le duc d'Orléans qui a décidé le prince de la Moskowa à faire son entrée aux Pairs, afin de voter pour ces sottes fortifications. 45 C'est aussi le duc d'Orléans qui tient le Journal des Débats. Le vieux Bertin et les principaux rédacteurs sont très opposés aux fortifications, mais le jeune Bertin, officier d'ordonnance du duc d'Orléans, et M. Cuvillier-Fleury, secrétaire des commandements du duc d'Aumale, font insérer dans le journal ce qu'ils veulent, ou plutôt ce que le Château veut. Je sais que Bertin de Veaux a dit, l'autre jour, à quelqu'un de ma connaissance: «Ne croyez pas au moins que je sois pour une aussi fatale mesure.»

Rochecotte, 14 mars 1841.—Il faisait si beau hier, et j'étais si en retard d'une visite à rendre à ma sous-préfète [13], que je me suis décidée à aller, entre le déjeuner et le dîner, à Chinon, avec mon gendre. La route qui mène de chez moi à Chinon est jolie et facile. J'ai été visiter, à Chinon même, les grandes et nobles ruines du Château, qui domine la riante et riche vallée de la Vienne; la salle où Jeanne d'Arc est venue offrir sa sainte épée à Charles VII; la tour où Jacques Molay, le Grand Maître des Templiers, a été longtemps détenu; le passage souterrain menant à la maison d'Agnès Sorel; tout cela s'aperçoit encore; surtout, on y porte l'œil de la foi, ce qui est le mieux en fait d'archéologie. Si on soignait cette ruine comme celle de Heidelberg, on en ferait un objet tout à fait pittoresque. Je me suis arrêtée un quart d'heure au Bureau de bienfaisance, où se trouve maintenant une Sœur supérieure qui a passé quatorze ans dans l'établissement 46 de Valençay, et qui m'avait plusieurs fois exprimé le désir qu'elle aurait de me voir. C'est une sainte personne, qui partout est chérie; elle a été pleurée à Valençay. Quand j'ai sonné au portail, une sœur est venue me dire que la Supérieure était à la mort, et avait reçu, peu d'heures auparavant, les derniers Sacrements. Cependant, ayant voulu que la malade sût que j'étais là, celle-ci a voulu absolument me voir. J'ai été bien attendrie de cette entrevue qui a illuminé le visage défaillant de cette excellente personne. Elle m'a dit la même chose que feu Mgr de Quélen: c'est que, depuis le jour où elle m'avait vue pour la première fois jusqu'à celui de sa mort, qui allait avoir lieu, il ne s'était pas passé une journée où elle n'eût prié pour moi. C'est doux d'être aimée par des âmes chrétiennes: elles ont une fidélité qui n'appartient qu'à elles.

En revenant de Chinon, j'ai trouvé deux lettres, qui auront influence sur l'emploi de mon été. L'une est du Roi de Prusse qui a appris mes projets de voyage et me demande d'aller le voir à Sans-Souci. Ceci me décide à être à Berlin vers le 12 mai. Voilà un premier point arrêté. La seconde est de mes sœurs, qui me mandent qu'elles resteront à Vienne jusqu'au 1er juillet, et que je devrais bien réaliser le projet que j'avais fait d'y aller voir Mme de Sagan, si elle avait vécu. Je tiens à ce que mes sœurs et moi restions unies: je le trouve convenable, et puis cela m'est doux et repose le cœur; nous sommes réduites à un si petit groupe; et les liens du sang ont une puissance qu'on est bien étonné de voir subsister, à travers tout ce 47 qui, naturellement, devrait la détruire, ou au moins l'affaiblir.

Rochecotte, 16 mars 1841.—J'ai eu hier cette lettre de Mme de Lieven: «Le firman d'hérédité a l'air d'un vrai humbug. Le Pacha l'a trouvé aussi et Napier, l'amiral anglais, l'a trouvé encore davantage; il a conseillé au Pacha de refuser, ce que celui-ci a fait très poliment. Pendant que ceci se passait en Orient, ici on recevait une invitation très polie de Londres de rentrer dans le concert européen pour régler la question générale de l'Orient, et cette invitation était précédée d'un protocole annonçant que la question égyptienne était vidée entièrement. Comme les termes de l'invitation paraissaient bons, on s'est montré ici disposé à entamer les pourparlers. Votre Gouvernement a proposé des changements de rédaction qui ont été tout de suite acceptés, et voilà qu'on était à peu près à la veille de conclure, lorsqu'arrivent les nouvelles que je vous ai dites plus haut. M. Guizot a, sur-le-champ, tout suspendu, car au lieu de l'affaire égyptienne terminée, elle recommence, et le Sultan et le Pacha s'entendent moins que jamais. C'est lord Ponsonby qui a dicté le firman, les trois autres représentants s'y étaient opposés. Les Anglais qui sont à Paris sont honteux de ce méprisable trick; tout le monde regarde ce fait comme un acte de mauvaise foi, et ici on rit un peu de l'embarras que cela va causer aux puissances du Nord, parce qu'il faut redresser cela, sous peine de voir recommencer toute la querelle, comme s'il n'y avait pas eu de traité du 15 juillet. En 48 attendant, les Allemands grillent de voir finir l'isolement de la France, qui les force à des armements fort coûteux et la France ne se prêtera à aucun rapprochement, tant que subsistera le différend avec l'Égypte.

«Et l'Amérique!... Lady Palmerston m'écrit toutes les semaines et me dit dans sa dernière lettre: «Nous sommes très contents des nouvelles d'Amérique, tout cela s'arrangera»; c'est-à-dire que le pauvre Mac Leod sera pendu, et le territoire anglais sera envahi: si cela leur convient, à la bonne heure [14]. En Chine, les affaires anglaises vont aussi très mal.

«Bresson retournera sûrement à Berlin. M. de Sainte-Aulaire arrive ces jours-ci. Il ira à Londres.... mais!... quand?... Quand vous y enverrez un ambassadeur. Je ne sais qui aura Vienne.

«Lord Beauvale a pris un accès de goutte pendant la bénédiction nuptiale [15]. Il a dit au prêtre de se dépêcher; on l'a ramené chez lui très malade; le lendemain, il était dans son lit, sa femme dînant sur une petite table à côté! Ils viendront à Paris en allant en Angleterre.

«Adèle de Flahaut se meurt. Le père est comme un fou; la mère a le courage d'un homme.

«Je me décide à vous envoyer la lettre même de lady 49 Palmerston, pour que Pauline y lise des détails qui l'intéresseront.»

Voici cette lettre de lady Palmerston à la Princesse: «Je viens vous annoncer le mariage de ma fille Fanny avec lord Jocelyn. C'est un charmant jeune homme de 28 ans, de belle figure, très gai, très dévoué, spirituel et aimable, et qui a voyagé dans toutes les parties du monde. Il revient en ce moment de la Chine, dont il donne des détails très intéressants. Nous sommes tous fort contents de ce mariage, qui est tout à fait un roman. Il a écrit sa proposition de Calcutta, il y a un an et demi, mais sans pouvoir attendre la réponse, étant obligé de partir pour Chusan; il a passé ainsi près de deux ans, ballotté entre la crainte et l'espérance, et il est arrivé à Liverpool sans savoir s'il ne la trouverait pas mariée à un autre, car dans les papiers anglais qu'il voyait parfois, il trouvait souvent l'annonce du mariage de Fanny avec d'autres. Le père de lord Jocelyn est lord Roden, grand tory, mais vous savez que c'est là une bagatelle qui ne nous inquiète pas, car le bonheur de Fanny est notre premier objet, et l'amour ne suit pas la politique; et puis, il n'est pas enragé comme son père, mais très raisonnable et sage dans ses idées.

«Les nouvelles d'Amérique sont assez bonnes au fond; tout est clabaudage et affaire de parti; ceux qui sortent veulent rendre difficile la position de ceux qui entrent; c'est à peu près comme en Europe.»

Je veux copier aujourd'hui une petite romance, composée par Henri IV et que j'ai trouvée dans les Mémoires de Sully. Elle me paraît pleine d'élégance et de charme, 50 et plus gracieuse encore que Charmante Gabrielle.

Viens, Aurore,

Je t'implore,

Je suis gai quand je te vois;

La Bergère

Qui m'est chère,

Est vermeille comme toi.

Elle est blonde,

Sans seconde,

Elle a la taille à la main;

Sa prunelle

Étincelle,

Comme l'astre du matin,

De rosée

Arrosée.

La rose a moins de fraîcheur;

Une hermine

Est moins fine;

Le lys a moins de blancheur!

Que c'est joli! Les lettres de Henri IV sont aussi charmantes. Enfin c'est lui, quand il est en scène, qui donne de l'intérêt à ce singulier ouvrage, le plus lourd, le plus diffus possible, mais néanmoins attachant pour qui y sait ramer avec patience.

Rochecotte, 27 mars 1841.—On a écrit à mon gendre que le discours de M. Molé contre les fortifications n'avait pas répondu à l'attente générale; que celui de M. d'Alton-Shée, que l'on dit avoir été fait par M. Berryer, étincelait d'esprit et de bonnes moqueries, et avait charmé la Chambre des Pairs, tout aussi foncièrement contre la loi que l'était la Chambre des Députés; néanmoins, elle la votera probablement tout comme a fait l'autre.

51 Rochecotte, 29 mars 1841.—Me voici dans ma dernière semaine de campagne. Elle va être remplie par mille affaires, rangements, comptabilité, ordres à laisser. Je regretterai beaucoup ma solitude, ma paix, l'ordre uniforme de mes journées, la simplicité de mes habitudes, l'activité efficace, sans fatigue et sans agitation, qui profite aux autres, et par conséquent à moi-même. Je ne suis pas sans inquiétude de quitter la retraite protectrice où je m'abritais pour remettre à la voile. La navigation du monde est la plus difficile, la plus orageuse, et je ne m'y sens plus du tout propre; je n'ai plus de pilote et je ne sais pas, à moi seule, conduire ma barque; j'ai toujours peur de me briser contre quelque écueil. Mes nombreuses expériences ne m'ont pas rendue habile, seulement elles m'ont mise en défiance de moi-même, et cela ne suffit pas pour faire bonne traversée!

Rochecotte, 2 avril 1841.—J'ai vu, dans le journal, la mort de la vicomtesse d'Agoult, dame d'atours de Mme la Dauphine. Il me semble que la perte d'une amie si ancienne et si dévouée doit être, en exil surtout, un coup bien sensible pour cette Princesse, à laquelle pas un chagrin, pas une épreuve n'ont été épargnés.

Rochecotte, 3 avril 1841.—Les journaux m'ont appris que l'amendement, qui aurait fait retourner la loi sur les fortifications à la Chambre des Députés, a été rejeté par les Pairs à une assez grande majorité, ce qui indique que la loi même sera adoptée. Le Château en sera ravi!

52 La duchesse de Montmorency me mande que je retrouverai Paris occupé de magnétisme. Chacun a sa somnambule. On a de petites matinées ou soirées, pour voir les effets du somnambulisme. C'est Mme Jules de Contades, sœur de mon voisin, M. du Ponceau, qui a mis cela en vogue. Son frère, qui est depuis trois mois à Paris, y a fait venir une Angevine, qui est un sujet principal de magnétisme. Elle était chez lui à Benais [16] l'automne dernier et le Dr Orye m'en a raconté des merveilles. Il était très incrédule, mais ce qu'il a vu de cette personne l'a fort ébranlé.

Rochecotte, 4 avril 1841.—Décidément, voilà Paris embastillé. Le duc de Noailles m'écrit là-dessus une lettre très politique, probablement très judicieuse, mais qui m'a ennuyée. Il ajoute ceci: «Je vous dirai pour nouvelle, que la princesse de Lieven donne à dîner; elle a une très belle argenterie, de la vaisselle plate, et elle m'a engagé lundi dernier avec M. Guizot, Montrond, M. et Mme de La Redorte, M. Peel (frère de sir Robert Peel) et Mrs Peel. C'était le second dîner qu'elle donnait. Le premier avait été pour son Ambassadeur et sa nièce Apponyi. Elle a donné aussi une soirée à la Duchesse de Nassau, la veuve, fille du prince Paul de Wurtemberg, venue passer quinze jours à Paris pour voir son père, qui vient d'être à la mort et reste très menacé. La Duchesse de Nassau est sourde, mais agréable et gracieuse. Elle ne voulait 53 pas aller aux Tuileries, son père l'y a obligée; toute la Famille Royale, excepté le Roi, est allée chez elle le lendemain. Elle a été invitée à dîner pour trois jours après et a refusé, disant qu'elle devait aller ce jour-là à Versailles; elle a refusé avant d'en parler à son père, qui n'est assurément pas Philippiste, mais qui a senti l'inconvenance de ce refus; il a exigé qu'elle demandât l'heure de la Reine pour aller prendre congé; la Reine a fait dire qu'elle était très fâchée, mais que les devoirs de la Semaine sainte ne lui permettaient pas de la recevoir. La Cour avait, dès son arrivée, mis des loges à sa disposition; elle a refusé, disant qu'elle n'irait pas du tout au spectacle, et cependant, elle a été à l'Opéra dans la loge de la duchesse de Bauffremont. Dans notre Faubourg, on est charmé de cette conduite, qui me paraît pleine de sottise et de mauvais goût.» En effet, je trouve cette équipée absurde.

Puisque vous lisez [17] le petit Fénelon, souvenez-vous que je vous recommande surtout le troisième et le quatrième volumes. Je les mets à l'égal, tout à la fois, de Mme de Sévigné et de la Bruyère. Le tout fondu dans la grâce inimitable et le sérieux fin et doux de l'évêque chrétien, grand seigneur, homme de Dieu et du monde, et qui, comme disait Bossuet, avait de l'esprit à faire peur.

Je pars dans une heure. J'ai le cœur fort gros de m'en aller. Quand et comment reviendrai-je? L'imprévu a une trop large part dans la vie de chacun.

54 Paris, 6 avril 1841.—M'y voici, dans ce grand Paris. La première impression n'est pas du tout gracieuse!

Paris, 9 avril 1841.—Mme de Lieven, qui m'avait écrit pour me voir et que j'avais priée à dîner tête à tête avec moi, ce qu'elle a accepté, est apparue parée, démaigrie, de bonne humeur. Elle m'a raconté que son Empereur est toujours également farouche, que la petite Princesse de Darmstadt se trouve fort mal du climat de Saint-Pétersbourg, que le froid lui a rougi le nez; le jeune héritier n'en est plus du tout épris, cependant il va épouser. La Princesse assure qu'il n'y a rien du tout de décidé pour les mouvements diplomatiques, si ce n'est que Sainte-Aulaire ira à Londres et Flahaut à Naples; le reste est très au hasard. On croit que Palmerston encourage secrètement les étranges procédés Ponsonby, car rien ne se termine dans la question d'Orient. Lord Granville est obligé de donner sa démission à cause de sa santé. Lady Clanricarde désire extrêmement Paris, mais la petite Reine et lady Palmerston ne l'aiment pas: elle s'est cependant réconciliée avec lord Palmerston qu'elle détestait jadis. On dit que la Reine a envie de nommer à Paris lord Normanby, qui est insuffisant dans le Cabinet.

M. Decazes est déjà assez mal pour qu'on pense à son successeur; les uns parlent de M. Monnier, les autres nomment des noms que je n'ai pas retenus.

Paris, 10 avril 1841.—Je voudrais avoir quelque 55 chose d'intéressant à conter de Paris, où tant d'intérêts s'agitent et se combattent; eh bien! point du tout; il me semble que j'y suis plus stérile et hébétée qu'à Rochecotte. Cependant, j'entends beaucoup de paroles bourdonner à mes oreilles, mais elles ne laissent pas de traces, et elles empêchent seulement le cours tranquille de mes réflexions.

Hier, après mon déjeuner, j'ai été chez Madame Adélaïde, qui, ayant appris indirectement que j'étais à Paris, m'a fait demander. J'avais compté ne me manifester au Château qu'après Pâques. Je l'ai trouvée souffrante et singulièrement changée, maigrie, voûtée, fatiguée, vieillie. Elle a été parfaitement bonne pour moi, mais vraiment ennuyeuse par son interminable morceau sur les fortifications. Je crois que c'était pour me l'adresser qu'elle m'avait fait venir, comme si j'avais, ou qu'il fût important que j'eusse une opinion à ce sujet. Ce qui m'a amusée davantage, c'est le portrait de la Reine Christine d'Espagne, qu'elle m'a montré et qui est très agréable. Cette Reine n'a point été jusqu'à Naples parce que son frère n'a pas voulu l'y recevoir. Elle doit être maintenant à Lyon, et on suppose qu'elle reviendra ici, où la Cour me paraît lui être très favorable. On s'y montre moins bien disposé pour la grosse Infante; on lui en veut d'avoir, tout dernièrement, mis ses trois filles aînées au couvent: cela ne s'explique pas. Depuis qu'elle était ici, elle avait mené ses trois Princesses au bal et partout, et puis, maintenant, cette réclusion!

M. Molé est venu me voir à la fin de la matinée, il est 56 très sombre sur la politique. Le fait est que, très évidemment, personne n'a gagné en force, ni en considération. Il paraît que la Cour s'est tellement commise pour ces malheureuses fortifications, dont personne ne veut, pas même ceux qui ont voté pour, que l'effet a été jusqu'au ridicule. On a blessé, à cette occasion, bien du monde, et tous ceux qui ne promettaient pas leur vote ont été moqués et injuriés à bout portant. On dit que le Prince Royal ne s'y est pas épargné. J'en suis bien peinée, car je le serai toujours de tout ce qui peut lui nuire. Il est, en ce moment, à Saint-Omer.

Paris, 12 avril 1841.—On entre chez moi, à l'instant, me dire une nouvelle saisissante. La jolie duchesse de Vallombrose, si jeune encore, grosse de son second enfant, et heureusement accouchée il y a quelques jours, a été saisie le surlendemain d'une fièvre puerpérale, et la réponse au domestique que j'ai envoyé pour savoir de ses nouvelles, est qu'elle est morte cette nuit. Quelle horreur! C'est la même maladie dont la petite maîtresse d'école de Rochecotte a été guérie par des médecins de campagne, tandis que la duchesse de Vallombrose, entourée de toute la Faculté, meurt en dépit de cette prétendue science. Ah! que la vie tient peu ce qu'elle promet!

Paris, 13 avril 1841.—Partout, hier, on ne parlait que de cette mort de la duchesse de Vallombrose. Elle ne se doutait pas de son danger, la malheureuse, et quand on a fait chercher un prêtre, qui, heureusement, s'est 57 trouvé homme d'esprit habile (l'abbé Dupanloup), il a eu à la préparer à ce terrible inattendu. Voilà de ces morts qui, du temps de Louis XIV, auraient opéré de soudaines conversions, mais rien n'agit plus sur les esprits blasés et les consciences éteintes de notre temps, où tout est plat et écrasé, au dedans et au dehors.

Paris, 14 avril 1841.—M. de Sainte-Aulaire est venu déjeuner chez moi, hier, et me questionner sur les détails matériels et sociaux de l'ambassade de Londres, à laquelle il se prépare. M. Royer-Collard est arrivé avant qu'il ne fût parti; ils ont parlé de l'Académie française et d'un nouveau travail dont s'occupe M. Nodier, l'Histoire des mots. On dit que ce sera un ouvrage curieux et sérieux, fait à merveille par un homme de beaucoup d'esprit, un vrai monument.

M. Royer-Collard m'a dit que le jour de la mort de sa fille la porte de son cabinet s'est ouverte trois fois en un quart d'heure, pour y faire entrer M. Molé, ce qui était tout simple, M. Thiers, ce qui l'était moins, et M. Guizot, ce qui ne l'était pas du tout. La réunion rendait la chose plus singulière encore. M. Guizot s'est jeté, pâle et en larmes, sur M. Royer-Collard qui, dans ce jour de deuil, n'a pas eu la force de le repousser, ce dont je l'ai fort loué. Deux des enfants de M. Guizot ayant été depuis à la mort et ayant été tirés d'affaire par M. Andral [18], M. Royer-Collard a été chez M. Guizot lui faire compliment sur leur 58 rétablissement. Depuis ce temps, quand ces messieurs se rencontrent à la Chambre, ils se donnent la main et échangent quelques paroles. Moi, qui suis pour les pacifications générales, et qui trouve que plus on avance dans la vie, plus il faut y tendre, j'ai dit et répété à M. Royer-Collard que j'étais charmée de le voir adouci.

J'ai eu mes enfants à dîner. Après leur départ, je me suis couchée. Il ne tiendrait qu'à moi d'aller dans le monde ou d'en recevoir chez moi; mais j'en ai le plus invincible dégoût, et l'heure pendant laquelle je laisse ma porte ouverte me semble la plus longue de la journée. M. de Talleyrand, notre cher M. de Talleyrand, qui avait tant de perspicacité et qui disait, sur chacun, bien plus vrai encore que je ne croyais, disait sur moi, avec grande raison, que, mes enfants mariés, je ne resterais pas dans le monde. En effet, je ne puis plus du tout m'y supporter: mon curé, mes sœurs blanches, mon jardinier, mes pauvres et mes ouvriers, voilà mon monde. Ce qu'on appelle les amis, dans le monde, pâlit auprès d'eux; Mme de Maintenon disait: «Mes amis m'intéressent, mais mes pauvres me touchent.» Je me suis bien souvent fait l'application de cette phrase, que je comprends merveilleusement.

Paris, 16 avril 1841.—C'était hier que le duc de Rohan-Chabot, dont nous sommes un peu parents, mariait sa fille aînée au marquis de Béthisy. C'était une belle noce, dans le plus pur du faubourg Saint-Germain. J'étais priée à la messe de mariage. Saint-Thomas-d'Aquin contenait 59 à peine la foule. On étouffait dans la sacristie, on s'est grossièrement coudoyé sur le péristyle; la pluie battante augmentait la confusion, au lieu de modérer la hâte que chacun avait de rentrer chez soi. L'abbé Dupanloup, qui, chaque jour, baptise, confesse, enterre ou marie quelqu'un de notre quartier, a fait un discours un peu long, mais touchant pour ceux qui l'écoutaient; presque personne ne songeait à autre chose qu'à ce qui occupe dans un salon: la toilette et la coquetterie. Il est bien rare qu'à Paris et dans notre monde un mariage soit grave et recueilli, et les paroles dites par le prêtre sont les seules qui tombent sérieusement au milieu de cette extrême frivolité, qui ne permet pas même de les laisser écouter. C'est un spectacle qui fait faire plus d'une triste réflexion, surtout pour ceux qui se rappelaient que la veille on avait dit, dans cette même église, les dernières prières sur le cercueil de cette jeune et belle duchesse de Vallombrose.

Paris, 17 avril 1841.—J'ai profité hier de l'obligeance du comte de Rambuteau, qui m'avait offert sa loge pour la dernière représentation de Mlle Mars. La foule était grande, la salle remplie de tout ce qu'on connaît; toute la Famille Royale s'y trouvait. Mlle Mars avait épuisé tous les artifices de la toilette, et avec un succès étonnant. Elle a épuisé aussi toutes les ressources de son talent, et avec un succès plus complet encore. Son son de voix n'avait besoin d'aucun art, d'aucune étude; il était toujours jeune et modulé; si elle avait voulu renoncer aux 60 rôles trop jeunes et modifier son emploi, elle aurait pu rester longtemps encore au théâtre. On lui a fait de brillants adieux: elle succombait sous les fleurs et les applaudissements. Le Misanthrope a été honteusement massacré par toute cette pauvre troupe, et Mlle Mars seule respectait Molière. Dans les Fausses Confidences, il y a eu plus d'ensemble et de mouvement, et Mlle Mars a triomphé.

Paris, 25 avril 1841.—M. Royer-Collard m'ayant dit, à son avant-dernière visite, qu'il avait une vingtaine de lettres de M. de Talleyrand, et qu'il me les donnerait, si cela me faisait plaisir, j'ai accepté, étant bien aise de réunir le plus possible d'autographes de lui. Il me les a apportées avant-hier. Je les ai relues hier, il y en a quelques-unes d'agréables par le cachet de simplicité gracieuse et fine qui lui était propre. J'y ai retrouvé quelque chose que je cherchais depuis longtemps, sans avoir pu remettre la main dessus: c'est la copie de la lettre que M. de Talleyrand écrivit à Louis XVIII, lorsque parurent les Mémoires du duc de Rovigo au sujet du duc d'Enghien [19]. Je savais qu'il avait écrit, mais j'avais confondu les dates; il m'était resté l'idée que cette lettre avait été adressée à lord Castlereagh, tandis que ce fut au Roi; M. de Talleyrand en envoya une copie à M. Royer-Collard, et c'est celle-là que j'ai retrouvée à ma grande satisfaction.

61 M. de Villèle, qui n'était pas venu à Paris depuis 1830, y est en ce moment. C'est un événement pour les légitimistes; ils désirent vivement qu'il se réconcilie avec M. de Chateaubriand, et cependant, ces deux messieurs ne se sont pas revus encore... Pourquoi? Parce qu'aucun des deux ne veut faire la première visite, tout en déclarant qu'ils seraient ravis de se revoir et d'oublier le passé.

Paris, 26 avril 1841.—Hier, avant le salut, j'ai fait mes adieux à toutes mes bonnes amies du Sacré-Cœur. Toutes ces dames sont très comme il faut, et Mme de Gramont est vraiment une personne rare par l'esprit, la bonté, la grâce et la fermeté réunis; elle est bonne pour moi, et je me trouve mieux avec elle qu'avec toutes les personnes du monde. C'est que je n'y suis plus propre du tout, au monde, j'en fais journellement l'expérience: outre qu'il me dégoûte, m'irrite et me déplaît, il me trouble, me blesse, m'agite, et j'y vais chaque jour moins; tout l'équilibre, toute la paix, difficilement reconquis dans ma retraite, se perdent ici; j'y suis mécontente de moi-même, et peu satisfaite de ceux mêmes dont je n'ai pas à me plaindre.

Paris, 29 avril 1841.—J'ai eu hier à la fin de la matinée une infinité de visites qui venaient me faire des adieux et qui m'ont toutes paru ennuyeuses; je n'en excepte que celle de ce bon et excellent ambassadeur [20] 62 de Russie, qui va aller passer une partie de l'été à Carlsbad. Décidément, sa souveraine ne va point à Ems. Il paraît que les Cours de Saint-Pétersbourg et de Berlin sont très mal ensemble, et que ce n'est que pour éviter une brouillerie complète que le Roi de Prusse a envoyé son frère Guillaume assister aux noces du Grand-Duc héritier. La froideur des deux Cours tient à des intérêts de commerce très opposés, à l'impopularité des Russes en Allemagne, dont les gouvernements sont obligés de tenir compte, mais surtout à la tenue des États dans le grand-duché de Posen et à la liberté qui y est accordée de se servir de la langue polonaise. L'Empereur Nicolas est entré en rage et a dit qu'autant vaudrait être voisin de la Chambre des Députés français. Ces détails sont très officiels, je les tiens du Roi lui-même, que j'ai vu longtemps hier, chez sa sœur à laquelle j'avais été faire mes adieux. J'ai trouvé, lui et elle, très émus du jugement d'acquittement prononcé, il y a quelques jours, dans la fameuse affaire des fausses lettres attribuées au Roi [21]. Ce jugement est, en effet, bien inique et bien injuste, car personne ne peut, mieux que moi, connaître la fausseté de ces lettres. A cette occasion, il a été question dans notre entretien de bien des choses qui prouvent qu'on ne saurait 63 trop peu écrire, qu'il ne faudrait presque rien confier au papier, et qu'il faudrait surtout tout détruire. Je suis rentrée chez moi avec une vraie terreur à cet égard.

Paris, 1er mai 1841.—Hier, j'ai été prendre les commissions de Mme la Duchesse d'Orléans pour Berlin; elle m'a montré ses deux enfants. Le Comte de Paris, l'aîné, est tout le portrait du Roi, son grand-père, timide du reste, et délicat; le second ressemble à sa mère et paraît avoir plus de vivacité que son frère.

Paris, 3 mai 1841.—Le temps s'est un peu rafraîchi par un orage dans la nuit, qui a eu le mérite de n'éclater qu'après tous les feux d'artifice et les illuminations faits à l'occasion du baptême du jeune Prince [22]. Tout s'est bien passé à Notre-Dame, noblement, dignement; le petit Prince a été charmant. On a remarqué l'extrême bonne grâce de Mme la Duchesse d'Orléans, ses belles révérences, et le soin avec lequel elle a fait faire les signes de croix, dès l'entrée à l'église. J'avais voulu y aller, et j'avais toutes les facilités pour le faire grâce aux bontés de Madame Adélaïde, mais inquiète de ma fille, et ne voulant pas manquer la visite de son médecin, je n'y ai pas été [23].

Paris, 5 mai 1841.—M. Bresson, qui est venu me 64 faire ses adieux hier, me paraît destiné à retourner tout simplement à Berlin, ce qui lui plaît médiocrement; il s'était évidemment flatté d'aller à Vienne. Le Roi veut y envoyer Montebello, mais M. Guizot, poussé par Mme de Lieven, veut que Vienne soit donné à M. de Flahaut. Il circule beaucoup que Mme de Lieven fait et défait les ambassadeurs, et les cris, contre elle, dans le Corps diplomatique français, sont violents.

Pauline est mieux, mais pas assez bien pour m'accompagner à Berlin; j'ai le cœur gros de la quitter; ce long voyage à faire seule me pèse lourdement. C'est du véritable isolement. Enfin je serai ravie quand je me retrouverai en Touraine; je sens que c'est là que sont mes vraies racines; j'y ai des intérêts, des devoirs, un bon centre d'activité. Partout ailleurs je vivote, mais je ne m'enracine pas.

Metz, 6 mai 1841.—Me voici donc hors de Paris, n'y regrettant rien que ma fille, mais n'espérant pas grand'chose de mon voyage comme agrément; je redoute les déplacements et cette vie fatigante, vide et bête, des grandes routes et des auberges.

Mannheim, 8 mai 1841.—Je suis repartie de Metz hier à midi, après m'être bien reposée. De là, je suis venue ici sans m'arrêter et j'y suis arrivée à 10 heures du matin. Je n'ai point été fouillée à la frontière, mais dans la nuit un orage flamboyant a failli me faire perdre courage; cependant, j'ai fait (c'est le cas de le dire) tête à l'orage, 65 et me voici à Mannheim. L'invariable Schreckenstein me guettait et a voulu me mener au Château où on m'avait préparé un appartement; j'ai résisté, et je crois que j'ai aussi bien fait pour les autres que pour moi-même. Après m'être habillée, j'ai été chez la Grande-Duchesse Stéphanie qui avait mis une voiture à ma disposition. Elle est mieux, d'aspect, qu'à Umkirch, où elle couvait sa terrible maladie, mais elle a de la peine à mouvoir son bras gauche et traîne un peu la jambe. On murmure autour d'elle que ce qu'elle prend pour du rhumatisme est plus sérieux; les médecins vont l'envoyer à Wildbad. Elle cause toujours de la même manière. La Princesse Marie est un peu alourdie et un peu fanée, pas trop encore, mais il ne faudrait plus attendre pour la marier.

J'ai été chez la baronne de Sturmfeder, grande maîtresse en titre, et chez la vieille Walsch, égayant sa vieillesse avec le Charivari, les Guêpes et les Nouvelles à la main, libelles qui sont à la mode maintenant; c'est là dedans qu'elle puise ses notions et ses bienveillances. En sortant du Château, je me suis fait conduire chez la duchesse Bernard de Saxe-Weimar, que j'ai connue en Angleterre, et dont le mari est l'oncle chéri et chérissant de Mme la Duchesse d'Orléans. C'était une preuve d'égard, d'autant plus convenable à donner que je dois les rencontrer tantôt à dîner au Château. Me voici rentrée, et me reposant jusqu'à l'heure de ce dîner, qui est à 4 heures et demie.

Depuis Paris, j'ai beaucoup lu; d'abord un nouveau roman de Bulwer: Night and Morning; cela a quelque 66 intérêt, mais ne vaut pas les premiers ouvrages du même auteur. Puis, un livre fort court, mais qui m'a ravie: ce sont les Lettres de la princesse de Condé, sœur du dernier duc de Bourbon, morte religieuse au Temple. Ces lettres ont été écrites, dans sa jeunesse, à quelqu'un qui vit encore et pour qui elle a eu une affection très vive, mais très pure. C'est M. Ballanche, l'ami de Mme Récamier, qui les a publiées, sans en être le héros. Elles sont authentiques, simples, élevées, tendres, pleines de dévouement, de délicatesse, de sensibilité, de raison, de courage, et écrites à une époque et au milieu d'un monde où l'auteur, son style et ses sentiments, tout faisait exception. C'est d'un charme extrême [24]. Enfin, j'ai lu un petit opuscule de lord Jocelyn, mari actuel de Fanny Cowper, sur la campagne des Anglais en Chine. Le nom de l'auteur m'a tentée, mais le livre ne m'a pas du tout intéressée.

Mannheim, 9 mai 1841.—J'ai dîné hier chez la Grande-Duchesse, qui, ensuite, m'a montré tout le Château, que j'ai eu l'air de voir pour la première fois. Elle m'a dit tant de choses que j'ai peine à me souvenir de quelques-unes. Ce qui m'est resté net dans la mémoire, c'est que la Princesse Sophie de Würtemberg, mariée au Prince héréditaire des Pays-Bas, est fort mal avec sa belle-mère, qui ne veut pas même voir les enfants de son fils. 67 Cette Reine a établi la plus sévère étiquette, et des costumes de Cour à l'infini.

J'ai appris aussi que le Roi de Prusse avait établi une loi qui rendait le divorce fort difficile dans ses États. Il était, il est vrai, scandaleusement facile à obtenir; mais la Grande-Duchesse, qui espérait celui du Prince Frédéric de Prusse, a bien du chagrin de ce contre-temps. Le fait est que ce pauvre Prince Frédéric, dont la femme est folle, devrait avoir quelque moyen de rompre un si triste nœud. Le premier usage qu'il en ferait serait d'épouser la Princesse Marie.

La duchesse de Weimar m'a dit que sa sœur, la Reine douairière d'Angleterre [25], avait tout un côté des poumons détruit, et l'autre très délicat. La vue de la duchesse de Weimar m'a rappelé Londres, Windsor, le beau temps enfin. Sa ressemblance avec sa sœur, et jusqu'à leur son de voix semblable (quoique ce ne soit pas leur belle partie) tout m'a émue, en me reportant à ces années déjà si loin de moi!...

Mannheim, 10 mai 1841.—Je vais quitter Mannheim, après y avoir été fort gracieusement reçue. La pauvre Grande-Duchesse parle beaucoup de sa mort, ce qui ne l'empêche pas de faire beaucoup de projets. Je voudrais que celui de marier sa fille fût réalisé. Elle m'a promenée, hier, en calèche, dans d'assez jolies promenades aux bords du Rhin. On a fait à Mannheim un port qui attire le 68 commerce et donne du mouvement à cette ville qui en manquait depuis si longtemps, et qui, à tout prendre, me paraît préférable à Carlsruhe. J'ai eu, ici, une lettre de mon gendre, écrite le lendemain de mon départ de Paris. Pauline n'allait pas plus mal, quoiqu'elle fût encore nerveusement ébranlée et très faible. Voici, en outre, ce que contient sa lettre: «Au baptême du Prince, on a signé l'acte dans l'ordre suivant: le Roi et sa famille, puis les Cardinaux, le Président et le Bureau de la Chambre des Pairs, puis celui de la Chambre des Députés; arrive là M. de Salvandy (vice-président) qui refuse publiquement de signer, sur ce que la Chambre des Députés ne peut passer après les Cardinaux. Il veut porter ceci à la tribune; cela aurait un effet d'autant plus fâcheux que la Chambre se montre, à l'occasion de la loi sur l'instruction secondaire, de très mauvaise humeur contre la réaction qui s'opère visiblement en faveur de la religion, et que cette susceptibilité de plus peut faire éclater un mauvais orage.»

Gelnhausen, 11 mai 1841.—J'ai été menée beaucoup plus vite que je ne pensais; et au lieu de coucher à Francfort comme c'était mon intention, j'ai fait dix lieues de plus, et me voici dans une petite auberge qui, du moins, n'est pas sale; ce qui me permettra de gagner demain Gotha sans entamer la nuit en voiture. J'ai déjeuné à Darmstadt. En traversant Francfort, j'ai été assaillie par bien des souvenirs, car je l'ai déjà traversée à différentes époques, et dans des circonstances bien diverses. La 69 première a été la plus importante, car c'est à Francfort que je me suis mariée. Plus tard, c'est là que j'ai vu, pour la première fois, le bon Labouchère; il me l'a souvent rappelé depuis.

La Grande-Duchesse Stéphanie m'a donné un livre qui vient de paraître à Stuttgart, mais qui a été évidemment publié sous une direction autrichienne, car les pièces qu'il contient me paraissent devoir originer de Vienne et, qui plus est, du cabinet du prince de Metternich, ou peu s'en faut. Ce petit volume contient les notes rédigées en français par Gentz, sur plusieurs questions politiques, toutes très anti-françaises; leur publication actuelle et l'avant-propos de l'éditeur me paraissent leur donner une intention. Ce qui y a le plus d'intérêt pour moi, c'est le journal de Gentz, pendant son séjour au quartier général prussien, dans la semaine qui a précédé la bataille d'Iéna. C'est finement observé, vivement écrit; c'est curieux, très curieux. Il y a aussi des commentaires sur une correspondance entre M. Fox et M. de Talleyrand, lors de la rupture de la paix d'Amiens. Ce volume a vraiment plusieurs genres de mérite.

Gotha, 12 mai 1841.—Je voulais arriver hier soir ici, mais il y a tant de côtes aux environs de Fulda et d'Eisenach qu'il m'a fallu coucher à Eisenach, où, comme de raison, j'ai rêvé à sainte Élisabeth! Je m'arrête ici quelques heures, pour voir la Duchesse douairière qui était fort aimée de ma mère, et qui m'en a voulu, l'année dernière, d'avoir été en Allemagne sans être venue jusqu'ici. 70 Mon très ennuyeux voyage se passe du reste sans accident et par un assez beau temps.

Wittemberg, 13 mai 1841.—La Duchesse douairière de Gotha m'a reçue avec mille bontés, m'a fait dîner chez elle, en faisant inviter en toute hâte cinq à six personnes de la ville, qui m'avaient connue dans mon enfance. Elle dîne à 3 heures; à 6 heures, je lui ai demandé la permission de la quitter pour continuer ma route. Je serais restée, si la pauvre Duchesse n'était pas devenue tellement sourde que c'était, à la lettre, exténuant d'avoir l'honneur de lui répondre. J'ai préféré passer la nuit en voiture, car si j'avais couché à Gotha, il m'aurait fallu passer la soirée au Château. Je vais donc me reposer longuement ici, afin d'arriver un peu en force à Berlin. J'ai assez bien supporté la route jusqu'ici: ma petite station à Mannheim avait agréablement coupé la longueur de ma vie roulante.

J'ai lu, pendant ces deux derniers jours, une vie de la Reine Blanche de Castille par une demoiselle, dont les journaux ont dit du bien. Les faits sont intéressants, mais le style est de la mauvaise école et l'esprit très anti-catholique. Tout en lisant, j'argumente tout bas contre l'écrivain; le tout bas est surtout à propos ici, à Wittemberg, l'ancien berceau de la Réforme, car c'est du couvent des Augustins, dont les restes sont encore devant mes yeux, que Luther a jeté son premier brandon, et c'est dans l'église, à côté de l'auberge, qu'il est enterré.

71 Berlin, 15 mai 1841.—Je suis arrivée ici hier au soir; je n'y ai vu encore que mon homme d'affaires, M. de Wolff. A midi, j'ai été chez la comtesse de Reede, Grande-Maîtresse de la Reine, et ancienne amie de ma mère; puis, chez la Grande-Maîtresse de la Princesse de Prusse, remettre les nombreux paquets que m'avait confiés Mme la Duchesse d'Orléans pour cette Princesse. Ensuite chez les Werther, la comtesse Pauline Néale et Mme de Perponcher. Je n'ai trouvé personne.

Berlin, 16 mai 1841.—Devinerait-on qui vient de me donner le bras pour me conduire à la messe d'où j'arrive? Pierre d'Arenberg, qui est ici pour demander que ses propriétés sur la rive droite du Rhin soient érigées en fief pour un de ses fils.

Berlin, 17 mai 1841.—Aujourd'hui est un jour qui me retombe lourdement et douloureusement sur le cœur: ce troisième anniversaire de la mort de notre cher M. de Talleyrand a encore une bien grande vivacité de souvenirs et je suis sûre qu'ils exerceront aussi leur puissance sur d'autres. Je regrette de ne pouvoir le passer dans le recueillement, ce qui est impossible ici.

La journée d'hier a été d'un mouvement inaccoutumé pour moi et dont je suis toute fatiguée. La messe, puis des visites indispensables aux grandes dames du pays; un dîner chez les Wolff, le thé chez la Princesse Guillaume, tante du Roi; une prima sera chez les Radziwill; une fin de soirée chez le vieux prince de Wittgenstein. A travers 72 tout cela, une longue visite de Humboldt, qui part dans peu de jours pour Paris; il n'y avait pas moyen de respirer. Ce qui est terrible ici, c'est que tout commence de si bonne heure et que les coupes des journées sont si singulières, qu'elles fractionnent le temps de la manière la plus désagréable.

Berlin, 18 mai 1841.—J'ai dîné, hier, chez le Roi et la Reine, qui étaient venus passer quelques heures en ville. Ils sont très bons et aimables pour moi. J'y ai vu arriver le Prince Frédéric de Prusse, venant de Düsseldorf, aussi une de mes anciennes connaissances d'enfance: il a l'air étonnamment jeune encore. On attend ici sa femme, qui, de folle qu'elle était, n'est plus à ce qu'il paraît qu'imbécile.

On disait, hier, chez le Roi, qu'une de ces malheureuses Infantes d'Espagne que leur mère avait mises au couvent si cruellement, s'en était échappée, avec un réfugié polonais, mais qu'elle avait été reprise à Bruxelles: c'est une jolie équipée pour une Princesse! Aussi comment enfermer du sang espagnol de vingt ans? Le Roi a dit encore qu'Espartero avait été proclamé seul Régent et Dictateur en Espagne.

Berlin, 20 mai 1841; jour de l'Ascension.—Je suis partie, hier, par le premier convoi du chemin de fer de Berlin à Potsdam. Le Roi m'avait fait inviter à assister à une grande parade: c'était très beau, le temps propice, 73 les troupes superbes, la musique excellente, mais la journée a été un peu fatigante.

Avant-hier, j'avais dîné chez la Princesse de Prusse, et le soir j'avais été à un raout chez la comtesse Nostitz, sœur du comte Hatzfeldt. Ici, il n'y a qu'à marcher, à se montrer de bonne humeur, de bonne grâce et reconnaissante de tout bon accueil; ce qui n'empêche pas que quand je pourrai rentrer dans ma vie paresseuse, je serai ravie.

Berlin, 21 mai 1841.—La vie d'ici se ressemble beaucoup; les dîners chez les Princes, etc... Hier, j'ai dîné chez la Princesse Charles; avant, j'avais passé une heure chez la Princesse de Prusse dont la conversation est sérieuse et élevée. Le soir, j'ai été, pendant quelque temps, près du fauteuil de la vieille comtesse de Reede, où était sa fille Perponcher, puis il a fallu faire acte d'apparition chez les Werther qui reçoivent le jeudi.

Berlin, 22 mai 1841.—Hier soir, j'ai été chez les Wolff, qui avaient réuni quelques savants, artistes, gens de lettres. A Berlin, la société de la haute bourgeoisie est celle qui offre le plus de ressources de conversation.

Le Roi actuel a les plus grands projets d'embellissement pour sa capitale, et donne une impulsion remarquable aux arts.

Ma vie est toujours assez semblable: hier, un dîner chez la Princesse Guillaume, tante; une première soirée chez la Princesse de Prusse, et une fin de soirée chez 74 Mme de Perponcher, où un artiste distingué, Hensel, nous a montré son album, plein de portraits curieux. Tout cela par une chaleur inusitée.

La Princesse Frédéric, celle de Düsseldorf, qui a de temps en temps la tête un peu dérangée, dînait chez la Princesse Guillaume; elle a pu être assez belle, et n'a rien de trop étrange.

Pauline m'écrit de Paris que, pour changer d'air et essayer ses forces, elle va aller à Genève, et, si elle y est en train, elle viendra par la Bavière me retrouver à Vienne.

Je retourne ce matin à Potsdam où j'ai été engagée à passer la journée: je reviendrai demain. Ah! que mon petit manoir tourangeau me paraîtra doux à retrouver!

Berlin, 24 mai 1841.—La soirée ayant fini à Potsdam à 10 heures, j'ai pu revenir hier au soir par le dernier convoi du chemin de fer, après une journée passée auprès de la Reine, qui gagne beaucoup à être vue de près, ce qui arrive toujours aux personnes simples et un peu intérieures. La promenade du soir a été agréable, et la conversation pendant le thé sous les portiques de Charlottenhof très intéressante, le Roi ayant beaucoup causé sur l'état des arts en Allemagne.

Berlin, 25 mai 1841.—J'ai été hier aux manœuvres avec la Princesse de Prusse, son jeune fils et la Princesse Charles. L'état-major du Roi était très brillant, l'emplacement fort beau, le temps à souhait, le coup d'œil des 75 troupes, celui des spectateurs venus en foule de la ville, les calèches des dames, enfin l'ensemble, vraiment digne du pinceau d'Horace Vernet; cela n'a pas été long: une heure, pas davantage. La Princesse de Prusse m'a ramenée déjeuner chez elle, et m'a gardée à causer presque jusqu'au dîner. Mme de Perponcher est venue me prendre, pour aller dîner près du fauteuil de sa mère, que la goutte rend toujours un peu infirme. J'ai été ensuite, avec les Radziwill, au jubilé de l'Académie de chant. Elle est composée de quatre cent cinquante membres, tous amateurs de toutes classes. D'après l'institution, il ne leur est pas permis d'avoir d'autre orchestre qu'un simple piano et on n'y exécute que de la musique sacrée. Cela ressemble à l'Ancient music de Londres, mais ici on exécute infiniment mieux, et avec un ensemble, une justesse et une majesté remarquables. Il n'y a que des Allemands pour chanter ainsi les fugues les plus compliquées, sans soutien d'orchestre, et avec une si énorme masse de voix!

A une soirée chez la comtesse Néale où j'ai été ensuite, lord William Russell racontait que son Ministère avait eu une énorme minorité dans le Parlement mais, en même temps, il ne semble pas croire à sa retraite. Il m'a dit que ce pauvre Mitford que j'ai rencontré dernièrement si à l'improviste, descendant de la diligence à Fulda pour rejoindre sa femme à Wiesbaden, l'a trouvée partie, avec qui? avec Francis Molyneux. Elle n'est plus très jeune, elle n'est pas très belle, elle a des enfants!...

Mon fils Valençay me mande que les courses, à Chantilly, 76 ont été très brillantes et élégantes; il a demeuré au Château, et m'en raconte des merveilles. Il dit que l'Infante, reprise et ramenée, demeure chez Mme Duchâtel, femme du Ministre de l'Intérieur, ayant refusé positivement de rentrer sous la gouverne de sa mère, dont elle craint les coups. Elle persiste à dire qu'elle a épousé le Polonais, mais elle s'obstine à cacher le nom du prêtre qui les aurait mariés.

Berlin, 26 mai 1841.—Le vieux Roi des Pays-Bas, qui est ici sous le nom de Comte de Nassau, est en fort mauvais état de santé; on le croit atteint de la gangrène sénile. Sa femme [26], qui est très bien traitée par la famille royale de Prusse, soigne beaucoup le Roi, qui ne peut se passer d'elle un moment; elle ne bouge pas d'auprès de lui. On dit qu'au fond elle est très ennuyée et porte péniblement cet illustre mariage, qu'on ne veut pas reconnaître en Hollande, ce qui met le vieux Roi en fureur. On fonde le refus de reconnaître en Hollande ce mariage sur ce que les bans n'ont pas été publiés; et on n'a pas osé les publier, parce qu'on a craint les démonstrations les plus violentes du public.

J'ai été hier matin, avec les Wolff et M. d'Olfers, le Directeur des Beaux-Arts, voir l'atelier de Wichmann, où j'ai fait une commande, d'après un charmant modèle que j'y ai vu; c'est une nymphe qui puise de l'eau: cela sera exécuté dans un an.

77 Le Prince de Prusse m'a fait une longue et intéressante visite. Il m'a beaucoup parlé de l'état du pays et des difficultés du gouvernement. Certes, il y en a, et plus d'une, mais aussi il y a encore ici des points d'appui solides.

Berlin, 28 mai 1841.—Ma matinée d'hier s'est passée en affaires avec M. de Wolff. Notre entretien a été interrompu par le Grand Maréchal de la Cour, qui m'a apporté, de la part du Roi, un cadeau auquel je suis fort sensible. C'est la copie en fer d'une statue que j'ai trouvée jolie, l'année dernière, à Charlottenhof: un jeune faune, qui, du haut d'une colonne placée au milieu d'un bassin, jette de l'eau par une urne sur laquelle il s'est accroupi. Le tout a six pieds. C'est fort joli. Le Roi m'a fait dire qu'il me demanderait de le placer sur une des terrasses de Rochecotte, ce qui sera certainement exécuté.

J'ai dîné chez la Princesse Albert. Son père va mieux; elle part ces jours-ci avec lui pour la Silésie. Son mari m'a impatientée; quant à elle, c'est un petit cheval échappé. Le tout n'était pas fort à mon gré. M. et Mme de Redern, qui y dînaient aussi, m'ont menée dans leur loge à la Comédie allemande, pour entendre Seidelmann dans le rôle du Juif [27]. C'est l'acteur à la mode; mes souvenirs d'Iffland me l'ont fait paraître inférieur.

Berlin, 30 mai 1841.—Les Radziwill ont très obligeamment arrangé une matinée musicale chez eux, dans 78 une jolie salle voûtée, ouvrant sur leur superbe jardin. On a exécuté le Faust de Gœthe, mis en musique par le feu prince Radziwill, père de la génération actuelle. Devrient, le premier tragique du théâtre de Berlin, déclamait certains passages, accompagné par les instruments; puis un nombreux détachement du Conservatoire exécutait les chœurs. C'était d'un très bel effet, et cela m'a fait réellement plaisir [28].

Berlin, 31 mai 1841.—Je veux partir demain d'ici, pour Dresde, et de là, pour Vienne.

Hier, j'ai été à la grand'messe de la Pentecôte, qui a été très bien exécutée et chantée à l'église catholique, mais cette église était si encombrée de monde, et la chaleur si étouffante, que j'ai cru m'y trouver mal. Cependant, il a fallu, en sortant de la messe, aller aux audiences de congé de la Princesse de Prusse et de la Princesse Charles, puis à un dîner chez une ancienne amie. Pendant que nous étions à table, m'est arrivée l'invitation de 79 me rendre pour le thé à Schœnhausen, maison de plaisance du Roi, à deux lieues de Berlin. Je suis heureusement arrivée à temps à Schœnhausen; on y a pris le thé, et plus tard on a soupé à l'italienne sous une vérandah éclairée par des lampes. Outre la Famille Royale et le service, il y avait le Duc et la Duchesse de Leuchtenberg, M. d'Arenberg, moi, Rauch, Thorwaldsen, et le directeur général du Musée, M. d'Olfers. C'était agréable et intéressant. Thorwaldsen a une belle tête, dans le genre de celle de Cuvier, mais avec une coiffure étrange, de longs cheveux blancs qui tombent sur ses épaules. Je préfère le visage de Rauch, mieux proportionné et, à mon sens, plus noble et plus simple. La Duchesse Marie de Leuchtenberg ressemble extrêmement à son père, l'Empereur Nicolas, avec une expression toute différente; c'est une tête classique, mais trop longue pour le corps, qui est petit. Elle est blanche comme un lis: des façons sautillantes et évaporées ne m'ont pas charmée. La Reine m'a nommée à elle, et le Roi m'a amené le Duc de Leuchtenberg qui ressemble, à frapper, à sa sœur la Duchesse de Bragance, mais dont l'ensemble est commun, et ne justifie en aucune façon la mésalliance. J'ai fait à Schœnhausen mes derniers adieux.

Dresde, 2 juin 1841.—Avant-hier, je suis partie de Berlin, comblée, gracieusée, gâtée, mais fatiguée par une chaleur effroyable. Le baron de Werther, que j'ai vu le dernier jour à Berlin, m'a dit qu'il craignait que M. Bresson ne s'y trouvât plus aussi bien que pendant les dernières 80 années; que, décidément, son discours avait fort déplu et inspiré une grande méfiance; qu'il était mal instruit s'il croyait le contraire, et que toutes ses bonnes voies d'information et d'action étaient fermées depuis la mort du feu Roi. La Princesse de Prusse et Mme de Perponcher m'ont parlé dans le même sens. J'ai su aussi que, lorsque le traité du 15 juillet avait été connu ici, M. Bresson avait eu un mouvement de violence inconcevable, au point de se promener sous les Tilleuls et d'y vociférer la guerre, de la façon la plus étrange. Je suis vraiment peinée pour lui qu'il reprenne ce poste qu'il s'est gâté.

Dresde, 3 juin 1841.—J'ai été hier soir au Théâtre, pour voir la nouvelle salle qu'on vient de construire et qui a une grande réputation en Allemagne. Elle est, en effet, assez grande, d'une fort jolie forme, très bien décorée. Les loges sont commodes, on est bien assis; le tout a un air de grandeur. Les décorations sont très fraîches, les costumes brillants; l'orchestre bon, mais les chanteurs si mauvais que je n'ai pu y rester plus d'une demi-heure.

Prague, 5 juin 1841.—Prague n'est pas sans intérêt pour moi: j'y ai passé, avec ma mère et mes sœurs, l'année du deuil de mon père; j'y suis revenue deux fois depuis, peu après le Congrès de Vienne. J'y ai passé la journée d'aujourd'hui, y ai pris une voiture et crois avoir vu tout ce qu'il y avait de curieux, ou à peu près. 81 Les trois principales églises, le tombeau de Tycho-Brahé, son observatoire; tous les ex-voto en l'honneur de saint Jean Népomucène, ses reliques, le vieux Château, le Calvaire d'où l'on plonge sur Prague en panorama; le cheval de bataille empaillé de Wallenstein; toutes les diverses traces de la guerre des Hussites, de celle de Trente ans; enfin les bombes lancées par Frédéric II; la chapelle, qui recevait deux fois par jour les prières de Charles X et qui a été restaurée par lui, porte les armes de France et de Navarre. Prague, comme Nuremberg, est une des plus anciennes villes d'Allemagne: si cette dernière est plus intéressante pour les artistes, la première l'est davantage pour l'archéologue; je me range parmi ceux-là. Prague renferme seize couvents; on y rencontre des moines de toute espèce; en bien plus grand, cela rappelle Fribourg, en Suisse. Mais ce qui lui donne un aspect tout particulier, ce sont ces grands hôtels, presque tous inhabités par les grands seigneurs bohèmes, leurs possesseurs, qui, pour la plupart, désertent Prague pour aller à Vienne. J'ai eu la curiosité d'aller un moment au spectacle voir jouer une farce locale du théâtre de la Leopoldstadt, de Vienne. La salle, assez laide, était comble et l'hilarité du public inextinguible; je n'y suis pas restée longtemps, il faisait trop chaud, et les lazzi viennois ne sont pas à mon goût: je ne les comprends pas!

Vienne, 8 juin 1841.—J'ai fait, de Prague ici, le plus maussade voyage; le temps s'est gâté, il a fait froid, orageux, humide. J'ai passé la première nuit en voiture, et la 82 seconde dans une humble auberge. Je suis enfin arrivée cette après-dînée à trois heures, et je suis descendue dans un appartement que mes sœurs avaient retenu pour moi. J'ai déjà vu mon ci-devant beau-frère, le comte de Schulenbourg, dont je vais faire mon majordome; c'est essentiellement sa vocation!

Il me semble bien étrange de me retrouver à Vienne [29]. Vienne!... Toute ma destinée est dans ce mot! C'est ici que ma vie dévouée à M. de Talleyrand a commencé, que s'est formée cette association singulière, unique, qui n'a pu se rompre que par la mort, et quand je dis se rompre, j'ai tort; je devrais dire se suspendre, car je sens mille fois dans l'année que nous nous retrouverons ailleurs. C'est à Vienne que j'ai débuté dans cette célébrité fâcheuse, quoique enivrante, qui me persécute bien plus qu'elle ne me flatte. Je me suis prodigieusement amusée ici, j'y ai abondamment pleuré; ma vie s'y est compliquée, j'y suis entrée dans les orages qui ont si longtemps grondé autour de moi. De tout ce qui m'a tourné la tête, égarée, exaltée, il ne reste plus personne; les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, tout a disparu. Eh! mon Dieu! Le monde n'a-t-il pas changé tout à fait deux fois depuis? Et 83 ma pauvre sœur, chez laquelle je devais demeurer? morte aussi! Reste le prince de Metternich. Il m'a fait dire des paroles fort aimables; je le verrai probablement demain...

Je ne suis pas bien sûre de dormir cette nuit; je suis fort troublée de tous ces fantômes que les lieux évoquent, et qui me parlent tous le même langage, celui de la profonde vanité des choses de ce monde.

Vienne, 10 juin 1841.—Le choix de M. de Flahaut comme ambassadeur de France ici, qui semble de plus en plus probable, d'après les dernières nouvelles de Paris, est généralement redouté. Pour désarmer cette opinion, Mme de Flahaut a écrit à lord Beauvale, ambassadeur d'Angleterre, qu'il ne fallait pas s'effaroucher de l'arrivée de son mari puisqu'elle ne pourrait l'y suivre de longtemps! Je trouve cette façon de se faire accepter incomparable!

Je suis rentrée chez moi, hier, à deux heures après midi, pour y attendre le prince de Metternich, qui m'avait fait dire qu'il y viendrait à cette heure-là. En effet, il est venu. Je ne l'ai pas trouvé très changé; j'ai eu un véritable plaisir à le revoir et à le retrouver avec toute sa fraîcheur d'esprit, son excellent jugement, sa grande connaissance des hommes et des choses et une bienveillance amicale et affectueuse pour moi, dont il ne s'est jamais départi. Il est resté deux heures, qui m'ont été fort précieuses. Il ne fait, en général, de visites à personne. Quant à sa femme, elle m'a fait dire que, si elle n'avait pas craint de me gêner, elle serait venue; car elle avait 84 le plus grand désir de me connaître. Il est impossible d'être plus gracieuse. Je dîne aujourd'hui chez eux, dans leur villa du faubourg, où ils passent le printemps.

On m'écrit que Schlegel, l'admirateur platonique de Mme de Staël, est à Berlin, pour aider à la publication des œuvres du grand Frédéric. On y attendait M. Thiers, que je suis charmée d'éviter. On était décidé à l'y traiter en académicien, historien, mais nullement en homme politique, encore moins en homme d'État. Pendant ce temps, il paraît que M. Guizot se promène avec la princesse de Lieven, à 9 heures du matin, sous les ombrages des Tuileries: c'est, pour eux, réveiller la nature.

J'ai trouvé la carte du maréchal Marmont, hier au soir, en rentrant; je l'avais vu, lui, de loin, à l'Opéra.

Vienne, 11 juin 1841.—J'ai dîné, hier, chez M. de Metternich: c'est un joli établissement, qui ressemble en petit à Neuilly, où il a réuni beaucoup d'objets d'art, mêlés agréablement à de belles fleurs et à beaucoup d'autres choses, sans que cela soit surchargé. Il n'y avait à ce dîner, outre les maîtres de la maison, que la fille non mariée du premier mariage, mes sœurs, les Louis de Sainte-Aulaire et les deux messieurs de Hügel, qui sont les habitués de la maison. La princesse de Metternich a une fort jolie tête, beaucoup de naturel, du trait, de l'originalité, et ayant eu la bonne grâce de vouloir me plaire, il était impossible qu'elle n'y réussît pas. Après le dîner, j'ai été chez quelques membres de la famille Hohenzollern qui sont ici, et enfin prendre le thé chez une amie intime 85 de mes sœurs: il s'y trouvait une douzaine de personnes qui m'étaient presque toutes inconnues, excepté le prince Windisch-Graetz, un comte O'Donnel, vieux débris de l'hôtel de Ligne, et le maréchal Marmont, qui ne m'a pas semblé changé.

Vienne, 12 juin 1841.—J'ai été hier matin, avec mes sœurs, chez la princesse Amélie de Suède, leur grande amie. J'ai vu, chez elle, sa sœur, la Grande-Duchesse d'Oldenbourg; elle va avec son mari à Munich, y voir la Reine des Grecs, qui est venue y faire un voyage. J'ai été ensuite chez une Polonaise, que j'avais connue jadis chez la princesse Tyszkiewicz, à Paris, dont elle était nièce à la mode de Bretagne. Elle s'appelait Mme Soba[´n]ska, et a eu une certaine célébrité. Je l'ai trouvée pas mal changée; elle a de l'esprit, de beaux yeux, mais elle est méchante et commère; c'est une de ces personnes à redouter. A peine étais-je rentrée de ces courses, que j'ai eu la visite du maréchal Marmont. Il m'a beaucoup parlé de son désir de rentrer en France, mais il a encore, je crois, plus de raisons pécuniaires que de motifs politiques qui l'en empêchent. Il passe sa vie ici à l'ambassade de France.

Vienne, 14 juin 1841.—J'ai été, hier, entendre la messe chez les Capucins, afin de voir ensuite le P. François, celui qui a assisté ma sœur dans ses derniers instants. Je désirais avoir de lui des détails religieux que mes autres sœurs ne pouvaient me donner. J'ai trouvé un 86 homme doux et fin qui, sous sa robe de frère mendiant, m'a paru connaître le monde et aussi s'y frayer sa route. On dit qu'il dirige ici toutes les consciences combattues entre Dieu et le monde. C'est une rude tâche dans laquelle les triomphes définitifs sont difficiles.

Vienne, 15 juin 1841.—Louis de Sainte-Aulaire est venu me voir hier matin. Il m'a conté que la maladie du maréchal Soult, dont parlent les gazettes, tient moins au rejet de la loi de recrutement, contre laquelle M. le Duc d'Orléans a voté publiquement, qu'à une colère paternelle. Il a regardé la nomination de M. de Flahaut à Vienne comme un passe-droit fait à son fils. Il menaçait de se retirer, et on ne sait pas si M. de Flahaut aura la gloire de causer une dislocation du Cabinet, ou bien s'il lui faudra définitivement renoncer à Vienne. M. Bresson était parti de Paris pour Berlin de fort mauvaise humeur.

Vienne, 16 juin 1841.—J'ai reçu, hier, de Paris, une lettre de Mme de Lieven; en voici l'extrait: «Le maréchal Soult fait une petite crise ministérielle. Le Duc d'Orléans a voté contre lui dans la loi de recrutement; le Maréchal a été battu; il a été fort colère; il est survenu des spasmes au cœur, une menace d'apoplexie, ce qui fait qu'il menace de sa retraite. Le Duc d'Orléans est allé chez lui, il a refusé de le voir; il est fort douteux qu'on parvienne à l'apaiser; de plus, la Maréchale a sérieusement peur pour sa vie. Voilà donc un gros embarras, car il 87 faudra le remplacer pour les deux postes qu'il occupe. M. Guizot est bien décidé à ne point se faire Président du Conseil. Enfin... on espère cependant encore que le Maréchal restera. En Angleterre, c'est plus gros que cela: la dissolution du Parlement va avoir lieu probablement demain, mais les élections sont douteuses; il se pourrait qu'il revînt une Chambre pareille à celle qu'on renvoie, et alors, il n'y aurait plus moyen de gouverner pour personne. En attendant, le pays sera fort agité. L'affaire d'Orient n'est point arrangée; au contraire, la Turquie se dérange tous les jours davantage.

«Lady Jersey veut que sa fille épouse Nicolas Esterhazy; il y a grande passion entre les jeunes gens. Paul Esterhazy tâche de s'en défaire, ce qui est difficile.

«L'accueil fait au Prince de Joinville à La Haye a été des plus empressés: le Roi et la Reine l'ont comblé d'amitié! Qu'en dira-t-on à Pétersbourg?

«M. de Flahaut a été proposé pour Vienne; on l'y accepte avec peu d'empressement. En tous cas, il ne peut encore y avoir ici ni mutations, ni nominations, car le poste de Londres restant vacant, vu que lord Palmerston suspend la clôture de l'affaire d'Orient, rien ne se fera avant l'envoi de Sainte-Aulaire à Londres.»

Vienne, 17 juin 1841.—Charles de Talleyrand est venu hier me conter les nouvelles les plus fraîches de Paris. L'affaire du maréchal Soult est arrangée. Il reste, et son fils ira comme ambassadeur à Rome. Le Maréchal reçoit six cent mille francs pour liquider je ne sais quelle 88 avance, qu'il prétend avoir faite à l'État. L'affaire turco-égyptienne est finie: l'acte ratifié est parti pour Alexandrie et les cinq Cours se rencontreront à Londres, si déjà elles ne s'y sont tendu la main.

Vienne, 18 juin 1841.—Hier soir, j'ai été entendre une tragédie allemande, puis prendre le thé chez le prince de Metternich, où le Prince se mit à causer, à la fin de la soirée, autour d'une table ronde, et où il est, vraiment, très aimable et intéressant. Excepté le dimanche, qui est leur jour de réception, il y vient peu de monde, ce qui rend la chose beaucoup plus agréable, à mon gré. Le maréchal Marmont y est tous les jours.

Vienne, 19 juin 1841.—J'ai été, hier, avec mes sœurs, visiter la Galerie Impériale des tableaux. Je suis étonnée qu'on n'en parle pas davantage; elle contient de fort belles choses. Elle est hors de la ville, dans un palais nommé le Belvédère, qui a été bâti par le prince Eugène de Savoie: ses proportions intérieures sont très belles.

J'ai dîné chez la princesse Paul Esterhazy avec le prince et la princesse de Metternich et leur fille, le prince Wenzel, Lichtenstein, Schulenbourg, lord Rokeby, le comte Haugwitz et le baron de Hügel. La princesse Esterhazy était fort comique, avec ses terreurs d'avoir lady Jersey pour co-belle-mère. Le mariage n'est cependant pas encore certain.

Vienne, 21 juin 1841.—Je suis ravie que vous aimiez 89 les Lettres de Fénelon [30]. Tout est là, et sous une forme qui explique bien le culte fidèle et courageux dont cet aimable et saint Archevêque a été l'objet de la part des courtisans du grand Roi. Il sait donner à la religion un charme et une grandeur, une simplicité et une élévation entraînantes, et si, en s'initiant dans son commerce avec ses amis, on ne se convertit pas absolument, il est, du moins, impossible de n'y pas puiser le goût du bien, du beau, et le désir de mieux vivre pour bien mourir.

L'Histoire de Port-Royal, de Sainte-Beuve, a certainement de l'intérêt; le sujet est grand, mais traité avec un langage qui n'est ni assez sérieux, ni assez simple, pour parler dignement des âpres et imposantes figures du Jansénisme.

Vienne, 25 juin 1841.—Je veux partir mercredi prochain et reprendre par Prague la route qui me ramène en Saxe chez mes nièces; de là, par la Lusace, d'abord dans la Haute-Silésie, chez ma sœur Hohenzollern, qui y sera alors, puis enfin chez moi, à Wartenberg, où je compte être le 26 juillet.

Vienne, 26 juin 1841.—J'ai dîné hier chez le prince de Metternich; il n'y avait que strictement la famille. De là, je suis allée au spectacle, puis au Volksgarten, espèce de Tivoli où Strauss joue ses valses, où des Styriens chantent, où toute la bonne et la mauvaise compagnie de 90 Vienne se réunissent dans cette saison. Mes sœurs, qui étaient avec moi, m'ont ensuite ramenée chez elles où nous avons pris le thé.

On est bien mécontent de lord Palmerston, qui toujours au moment de terminer la question égyptienne suscite de nouveaux empêchements. Sa conduite est singulièrement louche. On se perd en conjectures, et on en a beaucoup d'humeur où je dînais hier.

Vienne, 28 juin 1841.—Il a fait hier, ici, un temps fort singulier. Il a soufflé, du midi, un vent violent qui a fait tourbillonner des flots de poussière; la ville et les environs en étaient enveloppés; ce vent brûlant était un véritable siroco qui desséchait et accablait.

J'ai été à la messe aux Capucins, pour faire mes adieux au P. François, qui m'a donné sa bénédiction. Je suis rentrée chez moi pour attendre et entendre le maréchal Marmont: il m'avait demandé d'écouter les quarante pages de ses Mémoires manuscrits, qu'il a consacrés à sa justification, relativement à sa conduite dans les journées de juillet 1830. Je ne pouvais refuser. Cela ne m'a pas appris grand'chose de nouveau, car je connaissais tous ces faits singuliers, qui prouvent si évidemment que l'imbécillité du gouvernement a été idéale et que le Maréchal a été très malheureux d'être appelé à une action aussi mal imaginée que mal préparée. Il n'avait donc pas à se justifier à mes yeux, mais enfin, j'ai écouté, avec intérêt surtout, les détails de la scène avec Monseigneur le Dauphin, dont je ne savais pas l'existence, et dont les paroles, les 91 gestes sont inimaginables [31]. Cette lecture, interrompue par plusieurs réflexions, a duré d'autant plus longtemps que le Maréchal lit lentement, barbouille et ânonne extrêmement; son débit est le plus embourbé qu'il soit possible.

Je suis allée ensuite avec mon beau-frère Schulenbourg dîner à Hitzinger, village près de Schœnbrunn, chez la comtesse Nandine Karolyi, qui ne me plaît pas du tout, mais qui, m'ayant fait la politesse de me prier, a été fort obligeante. Elle habite la moitié d'un cottage charmant, qui appartient à Charles de Hügel le voyageur, qu'un dépit amoureux, ayant la princesse de Metternich pour objet, a fait passer sept ans en Orient. Il en est revenu, a bâti cette maison, l'a remplie de choses curieuses rapportées de l'Inde. Il habite une moitié de la maison, Nandine l'autre; le tout, entouré de fleurs et dans une jolie situation, a un aspect fort anglais. Je ne me suis pas du tout plu à ce dîner: la maîtresse de maison est singulière, l'exagération du type viennois et les messieurs qui l'entourent à l'avenant. Je suis partie le plus tôt possible, et suis allée passer une heure en tête à tête et faire mes adieux à la princesse Louise de Schœnbourg.

Vienne, 29 juin 1841.—Hier, à la chute du jour, j'ai été avec mes sœurs, Schulenbourg et le comte Haugwitz, 92 au Volksgarten, où tout Vienne cherchait à humer un peu de rosée, à travers des nuages de tabac; un feu d'artifice et Strauss faisaient diversion. Ce qui y était positivement rafraîchissant, c'étaient les glaces, dont on m'a paru faire une énorme consommation. La population de Vienne est paisible, bien habillée, de bon aspect, et toute mêlée, dans ce genre de plaisir, à la plus haute aristocratie. Aucune trace de police qui serait parfaitement inutile.

Vienne, 30 juin 1841.—Je quitte Vienne ce soir. La chaleur est toujours excessive, et je crois qu'elle va rendre mon voyage bien pénible. Je n'expédierai cette lettre que de Dresde; pour la correspondance, il vaut mieux être hors des États autrichiens. Il m'est égal qu'on trouve dans la mienne l'expression de mon affection, mais non pas mes impressions et mes jugements; aussi, j'espère avoir été très prudente sous ce rapport pendant mon séjour ici.

Tabor, 1er juillet 1841.—J'ai quitté Vienne hier à sept heures du soir. J'avais eu, dans l'après-midi, la visite du prince de Metternich: il a été aimable, confiant, cordial; il n'est pas du tout vrai qu'il soit baissé; il a peut-être un peu plus de lenteur et de diffusion dans le débit, mais aucun trouble dans les idées; le jugement est net et ferme; il conserve de la modération dans l'action et de la douceur dans l'humeur; enfin, il est bien lui-même. Il m'a fort engagée à prendre mon chemin de retour par le Johannisberg, où il ira, de Kœnigswart, au mois d'août, pour y rester jusqu'en septembre. Sa femme m'y a fort engagée 93 aussi, et a été extrêmement gracieuse pour moi. J'aime fort sa beauté, qu'un mauvais son de voix, des façons parfois communes, un langage assez rude, gâtent souvent. Elle est généralement détestée à Vienne; je m'en étonne, car je crois le fond très bon, quoique inculte. Plusieurs personnes sont venues me dire adieu au dernier moment, très obligeamment. Mes sœurs, Schulenbourg, le comte Maurice Esterhazy, le plus petit et le plus spirituel de tous les Esterhazy, m'ont reconduite à deux lieues de Vienne, où ma voiture de voyage m'attendait. Le comte Esterhazy est le même que celui qui était à Paris; il a, depuis, été attaché à la mission d'Autriche à Berlin, où je l'ai vu dernièrement et d'où il est arrivé, il y a quelques jours, à Vienne, se rendant en congé en Italie, où sa mère est assez malade en ce moment. Il est fort de la société de mes sœurs, assez malicieux, comme tous les très petits hommes, mais fin causeur et beaucoup plus civilisé et de bon goût qu'on ne l'est en général à Vienne, surtout chez les hommes, qui y sont, au fond, très ignorants. En tout, je préfère le ton de Berlin à celui de Vienne. A Vienne, on est plus riche et plus grand seigneur, très naturel, trop naturel! A Berlin, je conviens qu'il y a un peu de prétention et de recherche, mais bien plus de culture et d'esprit. A Vienne, la vie est extrêmement libre et facile; on y fait tout ce qui plaît, sans que cela paraisse singulier; mais, sans s'étonner des autres, on n'en médit pas moins très couramment du prochain, et je dirais volontiers qu'il y règne une fausse bonhomie très dangereuse; à Berlin, on est plus solennel, on observe beaucoup plus un certain décorum, 94 un peu raide, je l'avoue, mais aussi on y a plus de mesure dans le langage, et, avec moins de motifs de médisance, une bienveillance plus réelle. Personnellement, je ne puis assez me louer de l'hospitalité de ces deux villes, et je reste reconnaissante envers l'une et l'autre. Ce qui m'a fort déplu, à Vienne, c'est cette façon qu'a chacun, homme ou femme, de s'appeler par les noms de baptême. Pour peu qu'on se connaisse un peu, et qu'on soit de la même coterie, il n'est plus question du nom de famille, et c'est assez mal de s'exprimer autrement. Les femmes s'embrassent prodigieusement entre elles, et habituellement sur la bouche, ce qui me semble horrible; les hommes prennent et baisent les mains des femmes constamment; aussi, au premier aspect, tout le monde a l'air, au moins, de frères et sœurs. Vingt personnes, en parlant de moi ou à moi, disaient: Dorothée; les moins familiers disaient duchesse Dorothée; les très formalistes chère Duchesse; personne ni Madame, ni madame la Duchesse; et pour mes mains, je suis étonnée qu'il m'en reste; mes joues, que je tâchais de substituer à mes lèvres, ont été aussi vraiment martelées. La galanterie des femmes est évidente à Vienne; aucune ne cherche à dissimuler, ce qui n'empêche pas les églises d'être pleines et les confessionnaux assiégés, mais personne n'a l'air recueilli, et la dévotion sincère et effective de la Famille Impériale n'a aucune influence sur la société, dont toute l'indépendance est concentrée dans une fronderie habituelle contre la Cour.

Dresde, 3 juillet 1841.—Me voici revenue où j'étais 95 il y a un mois. Je suis venue de Tabor sans m'arrêter autrement que pour dîner hier à Prague et pour déjeuner ce matin à Téplitz. Je ne me lasse pas d'admirer le pays qui est entre Téplitz et Dresde. C'est la belle Saxe, riche et gracieuse, se mariant agréablement à la forte et sauvage Bohême; c'est la seule partie pittoresque de la route entre Vienne et Dresde, si j'en excepte Prague et ses environs rapprochés.

Aux portes de Téplitz, j'ai vu descendre, du haut d'une montagne surmontée d'une chapelle, une procession de pèlerins, des rosaires à la main, et chantant des cantiques: c'était touchant, et m'a donné envie de monter à mon tour faire mes vœux, mais un orage qui commençait à gronder m'a forcée de continuer sans arrêt.

Je lis l'Histoire de la vie, des écrits et de la doctrine de Luther, par M. Audin. C'est ce que j'ai lu à ce sujet de plus érudit, de plus impartial, de plus intéressant et de plus catholique. J'ai fini, en quittant Vienne, la Vie de saint Dominique, par l'abbé Lacordaire. C'est écrit à l'effet et ne me plaît que médiocrement.

J'entends dire ici, dans l'auberge, qu'on y attend M. Thiers depuis trois jours; j'espère qu'il n'y arrivera que demain après mon départ. Je compte me rendre ce soir même à Kœnigsbruck chez mes nièces et y rester quelques jours.

Kœnigsbruck, 5 juillet 1841.—Je suis arrivée hier ici à cinq heures. J'avais eu, à Dresde, la visite du duc Bernard de Saxe-Weimar, qui logeait dans la même auberge 96 que moi. Il venait de Berlin, où il avait passé quinze jours chez sa nièce la Princesse de Prusse.

La même auberge m'a fait aussi revoir la comtesse Strogonoff, précédemment comtesse d'Ega, que j'ai vue l'année dernière à Bade et qui, là, m'avait prise fort à gré. Elle m'a raconté qu'aussitôt après mon départ de Bade, jusqu'au moment où Mme de Nesselrode était elle-même partie pour Paris, celle-ci passait toutes ses soirées à la table publique du jeu de Benacet, et, en regard du vieux électeur de Hesse, perdant ou gagnant dans la soirée, avec le même sang-froid imperturbable, les vingt louis, taux qu'elle s'était fixé. Quelle étrange personne!

A la messe, à Dresde, j'ai revu la veuve du Prince Maximilien de Saxe, revenue de Rome, où elle a épousé son chambellan, un comte Rossi, cousin du mari de Mlle Sontag. Elle est obligée de revenir de temps en temps à Dresde, à cause de son douaire; son mari, toujours en guise de chambellan, l'accompagne. Elle n'est, ce me semble, ni jeune, ni jolie, ni bien tournée, ni élégante; lui est grand, avec une barbe jeune France, et les certaines allures spéciales d'un mari de Princesse.

J'ai trouvé ici le comte de Hohenthal, sa femme et Fanny, mes deux nièces, fort affectueux dans leur accueil, tout pleins des souvenirs rapportés de leur voyage en Italie. Il fait très beau temps; le silence, le calme et le repos de la campagne me font plaisir. J'ai aussi trouvé des lettres de Paris. M. Molé m'écrit quatre pages, dans lesquelles il n'y a rien ce me semble, si ce n'est que 97 Mme de Lieven règne et gouverne à Paris, pour ne rien dire de plus.

La duchesse d'Albuféra me mande que la princesse de Lieven donne des petites soirées musicales, pour faire entendre sa nièce, la comtesse Annette Apponyi. La Princesse reprend tous les goûts de la jeunesse et du bonheur. Il serait heureux que le don de M. Guizot allât jusqu'à faire reverdir et refleurir les destinées de la France.

La duchesse de Montmorency me mande que la vicomtesse de Chateaubriand est allée faire son service près de Mme la Duchesse de Berry. Se serait-on douté qu'elle fût Dame? Elle l'a demandé il y a longtemps. Elle a emmené avec elle la nourrice de M. le Duc de Bordeaux, celle qui n'a pu le nourrir que trois jours. Quel singulier voyage! On n'y comprend rien.

Le duc de Noailles m'écrit qu'il se prépare, en face des événements qui s'accomplissent en Orient par le soulèvement successif des provinces, un mouvement à Paris, qui pourrait être analogue à celui qui a eu lieu à l'occasion de la Grèce, il y a quelques années. On veut former un Comité pour le soulagement (c'est-à-dire pour le soulèvement) des populations chrétiennes de l'Orient; ce Comité est composé d'hommes de la gauche et d'hommes du centre; on propose aux légitimistes d'en faire partie, et on leur offre la présidence, qui serait dévolue à lui, duc de Noailles. Cette question a été compliquée par le parti royaliste, qui voulait aussi faire quelque chose dans ce sens, qui a même déjà commencé, mais maladroitement, petitement.

98 Mon fils, M. de Dino, me mande qu'un nouvel arrêté de l'Archevêque de Paris a ordonné qu'il n'y eût plus de portes au milieu des confessionnaux. On dit que cela paraît fort ridicule; en effet, c'est une précaution un peu humiliante d'une part pour le Clergé et de l'autre bien superflue, car les côtés des confessionnaux sont tous fermés de façon à ce qu'il y ait toujours une séparation très effective entre les pénitentes et les confesseurs, et le milieu étant fermé, le confesseur pouvait, du moins, sans distraction, écouter ses pénitentes. Ce Mgr Affre ne sait qu'imaginer comme ridicule.

Kœnigsbruck, 6 juillet 1841.—La mort de la Reine de Hanovre [32], que je viens d'apprendre, me fait de la peine. Encore une image de Londres effacée pour moi!

La duchesse d'Albuféra me mande que la princesse de Lieven, dans sa petite maison de campagne, à Beauséjour, où elle passe la journée, mène une vie toute pastorale; elle y a un petit jardin qu'elle arrose avec de petits arrosoirs, qu'on a vu déposer à sa porte, rue Saint-Florentin, par M. Guizot, qui va tous les jours dîner à Beauséjour. Aux obsèques de M. Garnier-Pagès, le député radical, l'affluence du monde a été telle que la tête du convoi était déjà à la Bastille, quand la queue était encore à la porte Saint-Denis. Les discours prononcés sur sa tombe sont tous remplis de maximes 99 révolutionnaires et divines, à la façon des Paroles d'un croyant, de M. de Lamennais. Le rédacteur du journal le Peuple a dit: «Nous te portons nos regrets, mais cela ne suffit pas, nous te portons aussi nos promesses!» Voilà mes rapsodies de Paris.

Hohlstein, 11 juillet 1841.—J'ai quitté mes nièces avant-hier après le dîner et suis arrivée ici hier dans la matinée [33]. J'ai traversé toute la Lusace, qui est une belle province; le temps était enfin redevenu beau, mais aussitôt arrivée ici, la pluie a recommencé avec fureur; elle a continué pendant toute la nuit, et en ce moment elle tombe avec rage, ce qui gâte la belle vue que je devrais avoir des fenêtres de ma chambre qui donnent sur les montagnes de Silésie.

Hohlstein, 13 juillet 1841.—J'ai profité, hier, de quelques éclaircies, pour visiter le parc, le potager, les alentours. Le tout est joli, soigné, parfois pittoresque. J'ai reçu une lettre de Mme d'Albuféra, dont voici quelques passages: «Mme de Flahaut part demain, avec ses filles, pour Ems; elle est bien affectée de ce qui se passe au sujet de son mari. Hier, elle était en larmes, à Beauséjour, chez la princesse de Lieven. Il ne paraît que trop décidé qu'ils n'iront pas à Vienne. On pense assez que ce sera M. Bresson et que le marquis de Dalmatie lui succédera à Berlin; resteraient Turin et Madrid à 100 donner: Mme de Flahaut m'a dit que si on proposait l'un ou l'autre à son mari, elle est d'avis de refuser, mais que c'est à lui de décider; je sais que ses amis l'engageraient à accepter. Il reste à Paris pour attendre la fin de tout ceci; il dissimule ses peines mieux que sa femme, mais on voit qu'il souffre de plus d'une manière. Il n'est pas question de Naples, où on dit que le Roi ne veut pas d'eux.

«Tout ce qui se passe en Angleterre ajoute à la tristesse de Mme de Flahaut: le triomphe des Tories paraît sûr, et la déchéance des Whigs inévitable. Les Granville sont à la Jonchère [34], attendant l'issue de tout cela. Lord Granville ne peut pas remuer la main et a encore un peu de difficulté à s'exprimer, mais son intelligence est intacte.»

Hohlstein, 21 juillet 1841.—Les journaux donnent la date officielle du jour où les plénipotentiaires des cinq Cours ont signé enfin le protocole collectif relatif à l'Orient [35].

Je m'imagine que cela va faire décider le mouvement dans le Corps diplomatique français.

J'ai une longue lettre de M. de Chalais, mais il ne me parle que de son intérieur, sans nouvelles, si ce n'est que la princesse de Lieven a écrit une longue lettre au duc de Noailles pour le prier de permettre que, dans son 101 testament, elle le nomme son exécuteur testamentaire, ayant, dit-elle, l'intuition de mourir à Paris. En attendant, elle paraît s'y porter à merveille.

M. Royer-Collard me mande ceci, en me parlant du discours académique de M. de Sainte-Aulaire: «Il faut bien que je vous dise un mot de la réception de Sainte-Aulaire. Les journaux le flattent; l'auditoire était fort brillant, le discours du Récipiendaire pâle et froid; celui de M. Roger a mieux réussi qu'il ne le méritait, tant pis pour le public.» M. Royer-Collard me dit aussi qu'après avoir été avec sa fille visiter Versailles, il a eu un retour de cette fièvre qui a failli l'emporter, il y a quelques années, à Châteauvieux. Il est bien évident que toute son organisation a reçu alors un choc dont il ne se remettra plus.

Günthersdorf, 27 juillet 1841.—Je suis partie de Hohlstein avant-hier matin et suis arrivée à deux heures à Sagan. Après le dîner, j'ai été au Château indiquer quelques portraits de famille que je veux faire copier pour Rochecotte; ensuite à l'église, pour y fixer le lieu et la forme du petit monument qu'il est temps enfin d'élever à mon père, dont les restes, au bout de quarante ans, sont enterrés dans cette église, sans que l'on sache, autrement que par la tradition, le lieu où ils sont placés. Hier, j'ai été, de bonne heure, à la petite église pittoresquement située au bout du parc de Sagan, dans le caveau de laquelle les restes de feu ma sœur sont déposés. J'y ai fait dire une messe, à laquelle j'ai assisté, pour le repos de son âme. Elle était toute remplie de belles fleurs et de 102 plantes rares, que le jardinier du Château y avait portées; il y était venu aussi beaucoup de monde. Je suis ensuite partie pour Deutsch-Wartenberg, qui m'appartient, après quoi, je suis venue ici, le soir, avec M. de Wolff, qui reste deux ou trois jours, pour se rencontrer avec M. de Gersdorf que j'attends. A eux deux, ils verront à aplanir la question litigieuse entre mes fils et ma sœur Hohenzollern, relativement aux prétentions allodiales de celle-ci sur la majeure partie de Sagan.

J'ai trouvé ici quelques améliorations; le jardin est bien tenu et le tout fort propre.

J'ai reçu plusieurs lettres: une, de Mme de Lieven, en date du 15, me dit que la Reine Victoria fait une tournée de châteaux chez les ministres Whigs, qu'on trouve fort déplacée dans les circonstances actuelles, et qu'on ne serait pas étonné d'un coup d'État de sa part, plutôt que de subir les Tories; qu'il serait possible aussi que, pour éviter sir Robert Peel, elle fît appeler lord Liverpool, ce qui n'aurait aucun succès. On dit que le fils aîné de lady Jersey va épouser la fille de sir Robert Peel; que lady Palmerston est la plus révolutionnaire et la plus enragée d'avoir à quitter le Ministère. Tous ces on-dit sont assez vides et vagues.

La duchesse de Montmorency dit le mariage de Mlle Vandermarck, fille de l'agent de change, avec le comte de Panis, propriétaire du beau château Borelli, près de Marseille.

Günthersdorf, 31 juillet 1841.—M. Bresson m'écrit de Berlin, qu'il y attend, du 15 au 20 août, le général de 103 Rumigny que le Roi de Prusse a fait inviter aux manœuvres de Silésie et de Berlin. C'est à la même époque, me dit-il, que M. et Mme Thiers doivent arriver à Berlin.

Le duc de Noailles m'écrit que lady Clanricarde passera l'hiver prochain à Paris, et qu'on croit lord Cowley appelé à la succession de lord Granville. Il ajoute que la petite Rachel venait d'arriver à Paris; qu'il n'y avait que le maréchal Soult dont le triomphe en Angleterre pût être comparé au sien; qu'il avait reçu de ses lettres, de Londres, dans lesquelles elle montrait tout le ravissement de ses succès, sans que (nouveau prodige!) ils lui tournassent la tête. Je crois celle du Duc moins ferme dans cette circonstance.

Günthersdorf, 1er août 1841.—Mme de Perponcher me mande que le Roi de Hanovre est au dernier degré du désespoir de la mort de sa femme qu'il paraît avoir admirablement soignée. Il s'était longtemps fait illusion sur son état: quand les médecins lui ont annoncé qu'elle était désespérée, il est resté comme atterré. Cependant, aussitôt qu'il a eu repris ses spirits, il est entré chez la Reine et lui a parlé de ses devoirs religieux, comme un catholique aurait pu le faire. La Reine a reçu cette terrible annonce avec la plus grande fermeté; elle a communié avec le Roi, sa fille, la duchesse d'Anhalt et le pauvre prince Georges. Le désespoir de celui-ci a été déchirant: ne pouvant voir sa mère, il ne pouvait se persuader qu'elle fût morte, et a demandé qu'on lui fit toucher ses restes; dans le moment où le père a mis la main glacée de la mère dans celle du fils, le pauvre aveugle a été saisi comme d'un accès de 104 folie; on l'a, depuis, fait partir pour les bains de mer. Ces détails sont cruels et vraiment très attendrissants.

Günthersdorf, 6 août 1841.—Mes sœurs sont ici depuis le 1er de ce mois et paraissent s'y plaire assez, malgré le temps détestable que nous avons.

J'ai reçu hier une lettre de M. Bresson qui me dit: «Rien de positif de Paris; M. de Flahaut a refusé Turin et il évite de se prononcer sur l'offre de Madrid; il s'en tient, dit-il, à la promesse qui lui a été faite de Vienne, ce que M. Guizot n'admet pas. Faite ou non, il se donne tout le mouvement possible pour qu'elle s'accomplisse, et Mme de Flahaut guette, d'Ems, l'arrivée de M. et de Mme de Metternich au Johannisberg. Pour moi, je conserve mon attitude expectante, fort décidé à ne quitter Berlin que pour Vienne ou Londres.

«M. de Werther a donné sa démission de ministre des Affaires étrangères. Il sera remplacé par le comte Maltzan, mais on ne sait pas encore qui remplacera celui-ci à Vienne. Le Roi a accordé à Werther l'Aigle noir et a rendu héréditaire dans sa famille le titre de Baron, qui jusqu'à présent n'avait été que personnel. Arnim, de Paris, est nommé Comte.

«Les affaires de Toulouse [36] m'inquiètent plus; 105 aucune autre ville de France n'a imité ce triste exemple: Les journées de Juillet ont été célébrées avec ordre. L'emprunt ne sera pas nécessaire en totalité; les brèches financières se réparent, et il nous restera la France retrempée et sa force militaire réorganisée. Que tout cela ne profite qu'à la paix, je le désire ardemment.»

Voilà la prose, ou si on aime mieux, la poésie de M. Bresson.

Günthersdorf, 7 août 1841.—J'ai reçu une lettre de M. Molé, qui se plaint de sa santé, traite les troubles de Toulouse et tout l'état de la France avec autant de tristesse que M. Bresson en parlait avec satisfaction dans la lettre citée hier.

La duchesse de Montmorency m'écrit que Mgr Affre, ayant défendu à M. Genoude de prêcher, celui-ci est venu lui demander le motif de cette interdiction. Monseigneur a répondu que c'était à cause de ses opinions anti-gouvernementales. M. Genoude s'est fâché et a répliqué que, si Monseigneur persistait dans cette défense, il ferait imprimer tout ce que Mgr Affre a écrit, il y a quelques années, contre la Monarchie de Juillet, et dont il a en mains les pièces originales et signées. Sur ce, l'Archevêque s'est radouci, et M. Genoude prêchera. Voilà, ce me semble, une attitude épiscopale bien digne! Cela me fait faire des comparaisons avec le passé, et me confirme dans ma conviction que Mgr de Quélen a été le dernier véritable Archevêque de Paris. Le temps actuel ne semble plus comporter aucune grande et noble existence 106 en aucun genre. Tout se réduit, tout s'avilit et s'aplatit.

Günthersdorf 16 août 1841.—En mettant cette date à ce papier, je ne puis m'empêcher d'être saisie au cœur par un souvenir qui me sera toujours cher et sacré: c'est aujourd'hui la Saint-Hyacinthe, la fête de feu Mgr de Quélen! Je suis sûre qu'au Sacré-Cœur on entend la messe à son intention. Pendant bien des années, on lui portait, ce jour-là, un arbuste de ma part. Il y a deux ans, encore malade, à Conflans, il fit entrer mon domestique qui lui portait un oranger, et me fit écrire, par Mme de Gramont, que de tous les bouquets qu'il venait de recevoir le mien lui avait fait le plus de plaisir. Je ne puis, maintenant, que lui adresser des prières dans le Ciel. Je me figure souvent qu'il y est réuni à Celui pour lequel il a tant prié lui-même, et que tous deux demandent pour moi, à Dieu, la grâce d'une bonne mort, et avant tout, celle d'une vie chrétienne, car il est rare qu'on arrive à l'une sans l'autre, et si Dieu fait quelquefois des grâces tardives, il ne faut pas s'y reposer et négliger de les mériter. Je me dis souvent de ces paroles vraies et sérieuses, sans trouver qu'elles me profitent assez. L'esprit du monde, ce vieil ennemi, est difficile à déraciner.

A Wartenberg, j'ai inspecté l'école protestante. L'an dernier, j'avais assisté à l'examen des enfants catholiques; sans prévention, je puis assurer que cette dernière est infiniment supérieure à l'autre.

La poste m'a apporté une lettre du Maréchal de la 107 Cour, qui m'annonce officiellement, de la part de Leurs Majestés, leur passage ici, le 31 de ce mois.

Günthersdorf 18 août 1841.—J'ai reçu une lettre de M. Bresson, qui, m'ayant depuis longtemps annoncé sa visite, me demande de la placer le 31 de ce mois, de rester ici le 31, pour le passage du Roi, et de repartir le 1er. Il me dit que le Roi, ayant su son projet de venir ici, venait de lui dire à sa dernière audience qu'il espérait le rencontrer chez moi. Il me dit aussi que les nominations diplomatiques ne se feront qu'après l'installation du ministère Tory, auquel la Reine d'Angleterre ne pourra pas échapper.

Il ajoute que M. et Mme Thiers sont à Berlin et y provoquent une vive curiosité. On fait haie sur leur passage. M. Thiers paraît s'appliquer à ôter à son voyage tout caractère politique et se montre très circonspect. Il a demandé à voir le Roi. M. Bresson attendait, quand il m'écrivait, la réponse de Sans-Souci à cette demande.

Günthersdorf, 20 août 1841.—J'ai fait hier une longue course dans mes propriétés, de l'autre côté de l'Oder. Il faisait très beau. Le temps est aussi, ce matin, fort clair; Dieu veuille qu'il en soit ainsi le jour où le Roi passera ici.

Günthersdorf, 21 août 1841.—En Allemagne, on fête encore plus les jours de naissance que les jours de fête [37]; 108 aussi, depuis hier, les compliments et bouquets vont leur train. Tous les curés catholiques sont venus, hier, m'offrir des vœux et m'ont promis de dire ce matin la messe à mon intention. Hier au soir, tous les maîtres d'écoles catholiques (il y en a douze dans mes terres), se sont réunis, quoiqu'il y en ait qui demeurent à huit lieues d'ici; ils sont venus me chanter, en parties, avec les meilleurs élèves de leurs écoles, des vers simples et touchants, réellement très bien dits et inspirés, sans accompagnement d'instruments: c'était fort joli et aimable. Je suis très sensible aux témoignages d'affection; j'ai donc été fort touchée.

Günthersdorf, 22 août 1841.—J'ai eu, hier, une nombreuse compagnie à dîner; je l'ai menée au tir arrangé dans la Faisanderie. Tous les gardes, fermiers et employés y étaient réunis; il y avait de la musique dans les bosquets, des fleurs partout, et du soleil à souhait. J'ai donné trois prix: une carabine de chasse, un couteau de chasse et une gibecière. Les deux Préfets, dans les départements desquels j'ai des terres, sont venus après le dîner et ont pris le thé. Il faisait si beau que, malgré la nuit, tout le monde n'est parti qu'à l'heure de mon coucher.

Günthersdorf, 25 août 1841.—J'ai eu, hier, une lettre de la princesse de Lieven; en voici le principal: «On dit que la société viennoise ferait mauvais accueil à M. Bresson: M. de Metternich le fait insinuer ici. Il n'a pas grand goût à aucun de ceux qui sont sur les rangs 109 pour cette place, mais encore moins pour Bresson que pour les autres; Apponyi ne se gêne pas pour le dire. Je pense que lord Cowley remplacera lord Granville. Lady Palmerston est désolée de perdre Downing Street [38]. Lord Palmerston fait meilleure contenance qu'elle. Son discours aux électeurs de Tiverton l'a tout à fait achevé dans l'opinion du public français; il en reste ici bien de la rancune, et l'on se sépare de lui assez mal.»

Je compte quitter la Silésie d'aujourd'hui en huit; je voudrais fort saluer ma douce Touraine au 1er octobre. Les gazettes locales ne disent rien, si ce n'est que le Roi a reçu M. Thiers, non pas à Sans-Souci, mais à Berlin, en audience particulière, et que l'audience a duré vingt minutes. M. Thiers portait l'habit d'académicien et les ordres de Belgique et d'Espagne. Il a été, dans tout son voyage, l'objet d'une curiosité extrême mais plus vive que bienveillante, et s'il comprenait l'allemand, il aurait pu entendre plus d'une parole déplaisante.

J'ai fait des arrangements avec mon jardinier et un architecte, pour les décorations du jour où le Roi s'arrêtera ici. Elles consisteront en beaucoup de guirlandes, pyramides, festons et arceaux de dahlias de toutes couleurs, qui, depuis l'avenue jusqu'à la maison, décoreront la route que suivra le Roi. Ce lieu-ci n'a rien de grandiose, d'imposant; il n'a aucune vue; il est frais, vert, les arbres sont beaux, le jardin soigné, la maison grande, mais plate, sans architecture, et surmontée d'un fort 110 grand et vilain toit; il n'y a donc qu'à force de fleurs qu'on peut donner à tout cela une certaine grâce. Le vestibule intérieur se transforme en orangerie; enfin, le tout aura un petit air de fête, sans prétentions, qui prouvera au moins ma bonne volonté.

Günthersdorf, 30 août 1841.—Ma nièce Hohenthal m'est arrivée hier. Elle m'a raconté que Mme Thiers était si malade à Dresde que de l'auberge on l'avait transportée dans la maison du médecin. M. Thiers a dit à quelqu'un, de qui ma nièce le tenait, que son audience chez le Roi de Prusse avait été courte et froide et que le Roi ne lui avait parlé que d'art, en quoi il me paraît avoir eu parfaitement raison. Le général de Rumigny, au contraire, est traité à merveille.

Günthersdorf, 31 août 1841.—Hier, après dîner, je suis partie avec mon neveu Biron et nous avons été à Grünberg y attendre Leurs Majestés chez la Grande-Maîtresse de la Reine qui l'y avait précédée. La prodigieuse quantité d'arcs de triomphe, de députations, de harangues, de cavalcades, a si bien retenu les Majestés qu'Elles ne sont arrivées à leur coucher qu'à dix heures et demie du soir, ce qui, du reste, a été très favorable aux illuminations et feux d'artifice de notre chef-lieu. Plusieurs des principaux propriétaires de ce district y étaient venus. Le Roi, ainsi que la Reine, m'ont reçue seule d'abord, puis le reste du monde. Leurs Majestés voulaient me retenir à souper, mais, ayant encore beaucoup 111 de choses à régler ici, j'ai demandé la permission de me retirer. Je suis rentrée à une heure et demie du matin. Heureusement, la nuit était admirable et le clair de lune superbe.

J'ai trouvé le général de Rumigny à Grünberg. Il suit le Roi aux manœuvres et vient ici ce matin. Le temps est charmant, éclatant, et j'ai envie de me mettre à genoux devant le soleil, pour le remercier de sa bonne grâce.

Günthersdorf, 1er septembre 1841.—La journée d'hier s'est très bien passée. Leurs Majestés étaient de très bonne humeur et très aimables, le temps à souhait, les fleurs en abondance, le déjeuner bon, le service convenable, la population, en habits de fête, fort nombreuse et fort respectueuse. J'ai suivi le Roi, en calèche, avec mon neveu, jusqu'au premier relais, qui est dans un village à moi, où Sa Majesté a trouvé encore un arc de triomphe, mes gardes, et toutes sortes d'accueils champêtres. Le Roi, qui ne savait pas que je suivais, car je n'en avais pas prévenu, a été tout surpris de me voir; il est descendu de sa voiture et m'y a fait prendre sa place, parce que la Reine a voulu encore m'embrasser; enfin, ils ont eu l'air satisfait, et cela m'a fait un très grand plaisir.

Le général de Rumigny est parti aussitôt après le Roi, M. Bresson après le dîner, les Biron après le thé, ma nièce Hohenthal cette nuit; je suis seule ici.

Günthersdorf, 2 septembre 1841.—Je pars décidément 112 ce soir; je trace, avant de partir, un nouvel ajouté au jardin, qui le rendra vraiment grandiose, et je laisse de la besogne à l'architecte pour changer le toit lourd et pourri en un attique à toit plat.

Berlin, 3 septembre 1841.—J'arrive ici, ayant mis dix-sept heures pour faire cinquante-quatre lieues de France. Ici, où on ne peut pas faire courir devant soi, c'est très bien aller.

M. Bresson m'a conté qu'il était impossible d'être plus maussade et plus désagréable que Mme Thiers; elle a été malade, ou a fait semblant, et a déclaré qu'elle mourrait si elle restait plus longtemps en Allemagne, qui lui apparaissait comme la Sibérie.

Berlin, 5 septembre 1841.—Je suis allée hier chez les Werther, qui vont bientôt changer leur position diplomatique contre une situation de Cour; c'est Werther qui, en bon courtisan, a demandé ce changement, en temps utile; il s'est, par là, épargné un dégoût et procuré une bonne situation. Mme de Werther et Joséphine regrettent ce qu'elles quittent.

Berlin, 6 septembre 1841.—Je vais me livrer au chemin de fer jusqu'à Potsdam. A Potsdam, je ferai ma toilette et dînerai chez la Princesse Charles de Prusse, au Klein Glienicke, aux portes de la ville; je me remettrai ensuite en route et passerai la nuit en voiture, pour arriver demain dans la matinée à Leipzig, où je trouverai 113 les Hohenthal qui m'amènent ma nièce Fanny Biron que j'ai consenti à emmener avec moi en France; on redoutait pour sa santé, qui est délicate, un hiver de Saxe.

Leipzig, 7 septembre 1841.—J'ai quitté mon auberge de Berlin hier matin. J'ai été prendre du chocolat chez Mme de Perponcher, où j'ai appris la triste nouvelle de la mort subite de ma jeune et charmante voisine, la princesse Adélaïde Carolath, mariée sous les auspices les plus dramatiques, il y a un an, à son cousin, et qu'une rougeole rentrée a enlevée en peu d'heures. C'était une personne vraiment idéale, et j'ai été bien saisie de cette disparition si prompte.

J'ai été de Berlin à Potsdam avec le baron d'Arnim, Maître des cérémonies, qui dînait aussi à Glienicke. La Princesse m'a fait faire, en poney-chaise, le tour du parc; après le dîner, une promenade à pied, puis les adieux.

Weimar, 9 septembre 1841.—Nous nous sommes séparées hier matin, à Leipzig, des Hohenthal. Les deux sœurs ont eu le cœur gros en se quittant, cependant le grand air, le joli pays que nous avons traversé ont remis Fanny.

J'ai reçu ici une lettre de la Princesse de Prusse, qui, établie à Kreuznach sur le Rhin, me prie de l'y aller voir, du Johannisberg. J'irai certainement, quoique cela me fasse rester un jour de plus en route.

Francfort-sur-le-Mein, 11 septembre 1841.—Je suis 114 arrivée ici ce matin. Le temps est très beau. Ma nièce va aller, avec son ancienne gouvernante, passer quelques jours à Bonn près de son frère, qui y est en garnison et qui est malade en ce moment. Nous nous retrouverons le 15 à Mayence. Moi, je vais demain au Johannisberg.

Francfort, 12 septembre 1841.—Hier, à l'heure du thé, nous est arrivé le comte Maltzan, qui de Kreuznach où il prend les bains est venu voir sa nièce Fanny. Il est fort aise d'être Ministre des Affaires étrangères. Je doute qu'à la longue il convienne au Roi de Prusse, car il est véhément, irascible, emporté, et le Roi, bon comme un ange, est vif comme salpêtre; mais cela ne me regarde pas. Le Comte est aimable et doux dans sa conversation de salon, et quand il sera déshabitué du commérage, défaut dont il a été infecté à Vienne, il sera très agréable, pour ceux qui n'auront pas d'affaires à traiter avec lui.

Johannisberg, 13 septembre 1841.—Je suis arrivée ici hier à deux heures par une chaleur extrême. Je connaissais déjà ce lieu-ci; on y a fait peu de changements. La vue est très étendue, très riche, mais je trouve celle de Rochecotte, qui est analogue, plus gracieuse, tant à cause de la forêt qui couronne ma maison, que par la végétation de la Loire et des coteaux qui sont en face de moi, et qui rendent la vallée plus verte et plus belle. Ici, les vignes seules envahissent tout. Le château est très grand, et les appartements spacieux, mais assez pauvrement meublés. J'y ai été reçue à merveille, non seulement par 115 les maîtres de la maison, mais par bien d'autres personnes de ma connaissance; mon cousin Paul Medem, qui aime autant retourner à Stuttgart comme Ministre que d'aller à Vienne comme Chargé d'affaires; M. de Tatitscheff, à peu près complètement aveugle, et Neumann qui retourne demain à Londres.

Je ne sais aucune nouvelle; le prince de Metternich dit qu'il n'y en a pas. Il est fort aise de la chute des Whigs en Angleterre, et fort gracieux pour M. Guizot; il regrette qu'on ne lui envoie pas le duc de Montebello à Vienne; il reçoit des lettres humbles de M. de Flahaut, et commence à trouver qu'un Ambassadeur qui fait d'avance des platitudes doit être plus facile à manier que tout autre. Du reste, rien n'est encore officiellement connu sur le mouvement diplomatique français. On attend aujourd'hui les Apponyi, venant de Paris, et s'arrêtant ici avant de se rendre en congé en Hongrie; ils apporteront, croit-on, quelque chose de positif sur la nomination de l'Ambassadeur de France à Vienne.

Johannisberg, 14 septembre 1841.—Je suis venue à bout de ma course à Kreuznach, qui a pris toute ma journée d'hier. Je ne suis revenue qu'à huit heures et demie du soir; j'ai dû traverser le Rhin dans l'obscurité, ce qui m'a fait un très médiocre plaisir, malgré la beauté du spectacle, car les bateaux à vapeur portant des réverbères, les lumières des rivages se reflétant dans la rivière, les masses des rochers grandis encore par les ombres de la nuit, tout cela faisait un effet imposant, dont je n'ai joui 116 qu'à moitié, parce que j'avais un peu peur. A Kreuznach, j'ai passé plusieurs heures avec la Princesse de Prusse, toujours parfaite pour moi; j'ai eu le chagrin de la trouver fort changée, inquiète de sa santé, fatiguée par les eaux, et, jusqu'à présent, n'en éprouvant pas d'autre effet. J'ai dîné chez elle avec le comte Maltzan.

Le prince de Metternich a reçu, hier, la nouvelle officielle de la nomination de M. de Flahaut à l'ambassade de Vienne: cela lui plaît médiocrement. Le reste du mouvement diplomatique français n'était pas connu.

M. de Bourqueney est fort à la mode ici. Le Prince, sans le connaître personnellement, a beaucoup loué sa façon de faire à Londres, quoiqu'il ait ajouté qu'un diplomate collaborateur du Journal des Débats était une des étrangetés de notre époque.

Johannisberg, 15 septembre 1841.—Hier, je n'ai pas quitté le château de toute la journée, quoiqu'il fît très beau. J'étais bien aise de me reposer; d'ailleurs, on est ici trop occupé à recevoir toutes les personnes qui se succèdent pour songer à la vie de campagne proprement dite.

Mayence, 16 septembre 1841.—J'ai quitté le Johannisberg hier, fort touchée de toute la bienveillance des maîtres du lieu, et fort aise de mon séjour auprès d'eux. Je suis arrivée ici de bonne heure. J'y ai trouvé Mme de Binzer, Paul Medem et le baron de Zedlitz qui m'y attendaient; le baron, poète connu, est maintenant le successeur 117 de Gentz, auprès du prince de Metternich, pour je ne sais quelle publication politique. Pendant que je dînais avec tout ce monde, trois coups de canon ont signalé le bateau à vapeur sur lequel la Princesse de Prusse remontait le Rhin pour se rendre, par Mannheim, à Weimar. Le bateau relâchant dix minutes ici, à trente pas de l'auberge, j'ai été passer ces dix minutes à bord avec la Princesse. Elle ne s'y attendait pas, et m'a témoigné la plus aimable satisfaction de cette petite attention.

La soirée étant chaude et belle, nous avons été nous promener en calèche autour de la ville, dont les environs sont jolis, et voir la statue de Gutenberg, par Thorwaldsen, qui est d'un beau style. En rentrant, nous avons appris qu'un courrier des Rothschild, arrivant de Paris, avait apporté la nouvelle d'une petite émeute à Paris, et d'un coup de pistolet tiré sur le duc d'Aumale, mais qui ne l'a pas atteint [39].

Metz, 18 septembre 1841.—Je suis arrivée hier soir ici, accompagnée d'une pluie diluvienne, qui rend les voyages fort peu agréables. J'ai trouvé à l'auberge le général d'Outremont, qui a longtemps commandé à Tours. Il est en inspection à Metz, et a demandé à me voir; il m'a parlé des troubles de Clermont comme plus sérieux encore 118 que ceux de Toulouse; en effet, le journal qu'on vient de me prêter en parle très gravement.

Paris, 20 septembre 1841.—Me voici donc rentrée dans la grande Babylone. Barante, le bon et excellent Barante, guettait mon arrivée; il a passé la soirée ici, et voici ce qu'il m'a appris: les troubles de Clermont ont eu, ont peut-être encore le caractère le plus grave; c'est une véritable Jacquerie, et les manifestations sont plus inquiétantes que tout ce qui s'est vu en France, depuis 1830 [40]. Barante, après trois ans et demi d'absence, est frappé et effrayé des dégradations en tous genres, et surtout dans la morale politique, qui se manifestent ici. Il disait spirituellement qu'il n'avait point encore vu, ici, un homme en estimant un autre. Il va aller passer six semaines chez lui, en Auvergne, puis restera l'hiver ici, et ne retournera qu'au printemps à Saint-Pétersbourg. Sainte-Aulaire est parti, il y a quarante huit heures, pour son nouveau poste à Londres. Sa femme ne le rejoindra qu'au mois de février, et Mme de Flahaut n'ira à Vienne qu'après avoir marié sa fille Émilie, pour laquelle il ne se présente pas encore d'épouseur.

Voilà Bertin l'aîné mort, et Bertin de Veaux avec une nouvelle attaque!

119 Paris, 21 septembre 1841.—Mme de Lieven m'a relancée hier de très bonne heure. Elle venait pour questionner, et ne m'a rien raconté. Elle pourra répéter à l'Europe ce que je lui ai dit du coin que je connais! J'ai pris le parti de dire du bien de tout le monde, ce qui l'a impatientée! J'ai fini par lui dire que, partout, on croyait et disait que c'était elle qui faisait et défaisait les ambassadeurs, ce qui l'a embarrassée! Du reste, ce que je disais là était vrai; on le croit partout, et je crois qu'on a raison de le croire. Elle m'a invitée à dîner jeudi à Beauséjour.

Humboldt est venu à son tour. Je lui ai conté la Silésie. Enfin, M. de Salvandy est arrivé, ravi d'être ambassadeur à Madrid, et se réservant de revenir pour la session de la Chambre des Députés, et d'y garder sa vice-présidence. Mon fils Valençay est venu dîner avec moi, et m'a appris la mort du vieux Hottinger, qui me fait de la peine; c'était un homme très honorable, attaché à feu M. de Talleyrand, et ami de Labouchère. Il y a là bien des souvenirs d'un passé qui s'efface extérieurement avec une effrayante rapidité.

Il y a une petite émotion permanente dans les quartiers éloignés de Paris. On n'en comprend pas même le but; mais il me semble que ce soit comme l'état normal de Paris. Revenir aux grands éclats de 1831! C'est se rajeunir sans se fortifier, quand il faudrait se vieillir pour se grandir. Heureusement que les troupes sont excellentes partout; mais aussi, il en faut partout. On est fort décidé 120 et même désireux à s'en servir vigoureusement; c'est très bien, mais qu'il est heureux de le pouvoir, et de n'avoir pas une guerre extérieure à côté des plaies du dedans!

Mes lettres d'Auvergne ne sont pas satisfaisantes [41]. Décidément, Pauline passera son hiver dans le midi, à Rome si je ne vais pas à Nice. Elle désire si vivement me revoir, que je me décide pour Nice, où j'irai au mois de décembre pour en revenir au mois de mars. J'espère que ce sera bon aussi pour ma nièce Fanny. Pour moi, personnellement, c'est un grand sacrifice; j'aurais besoin d'un long repos, et de me caser pour longtemps à Rochecotte; mais Pauline est réellement malade, elle me désire beaucoup, et me l'exprime si tendrement; son mari se joint à elle avec tant d'insistance, qu'il n'y a pas à hésiter.

Paris, 22 septembre 1841.—J'ai été, hier soir, avec mon fils Valençay à Saint-Cloud, où j'ai pu, tout d'une fois, voir la Famille Royale réunie, même les Majestés belges. Tous partent pour Compiègne. La Reine avait des nouvelles du prince de Joinville, de Terre-Neuve. Il se dirigeait vers Halifax.

Paris, 23 septembre 1841.—J'ai vu hier l'abbé Dupanloup, qui m'a dit avoir en sa possession une correspondance de M. de Talleyrand avec le cardinal Fesch, du plus grand intérêt, et aussi celle de M. de Talleyrand avec le Chapitre d'Autun, aux époques les plus délicates 121 et les plus difficiles; il est d'autant plus heureux de ces découvertes, qu'elles confirment son système sur M. de Talleyrand, et font, en général, beaucoup d'honneur à celui-ci.

J'ai été dîner hier à Beauséjour, chez Mme de Lieven, et j'y ai mené Barante, qui était prié. Les autres convives étaient le duc de Noailles, M. Guizot et M. Bulwer. La conversation a été assez animée et variée, et celle de Barante de beaucoup la plus naturelle et la plus agréable. Quant à des nouvelles, on n'en disait pas.

Paris, 26 septembre 1841.—J'ai été hier, à Champlâtreux avec le baron de Humboldt. Le temps nous a été fort contraire, et a gâté cette course. Je connaissais Champlâtreux d'ancienne date. Les années ne lui ont pas nui, au contraire, car M. Molé l'a noblement arrangé, c'est-à-dire, que ce qui est arrangé est bien, mais il faudrait continuer, et surtout enlever aux grands appartements les tout petits carreaux des croisées, qui nuisent à l'effet général. A tout prendre, c'est une noble demeure, point du tout féodale, mais grave, parlementaire, telle qu'elle convient au descendant de Mathieu Molé, dont, avec raison, le souvenir est partout. Ce qui est très bien, c'est que le portrait de la grand'mère, fille de Samuel Bernard, est dans le grand appartement. C'est avec sa dot que le grand-père de M. Molé a bâti le château actuel. Le parc est beau et largement dessiné. M. et Mme Molé sont de fort gracieux et aimables maîtres de maison.

C'est de Paris à Saint-Denis que les fortifications sont 122 le plus avancées. Cela est, pour le moment, tout simplement affreux, et représente le chaos!

L'événement d'hier (car, dans ce pays, chaque jour a le sien) a été l'acquittement vraiment scandaleux du National [42]. Il faut convenir que nous avons ici de bien mauvais visages.

Paris, 1er octobre 1841.—J'ai vu hier, chez moi, M. Guizot, auquel je voulais parler en faveur de Charles de Talleyrand, qui, j'espère, ira bientôt rejoindre M. de Sainte-Aulaire à Londres. M. Guizot m'a appris que c'était décidément lord Cowley qui serait ambassadeur à Paris. C'était le choix désiré ici. Sir Robert Peel a refusé à lord Wilton et au duc de Beaufort des charges de Cour, disant qu'il fallait, auprès d'une jeune Reine, des personnes plus sérieuses, et d'une moralité moins douteuse. Le duc de Beaufort a refusé l'ambassade de Saint-Pétersbourg, et le marquis de Londonderry celle de Vienne. Tous deux voulaient Paris; ils ont beaucoup d'humeur de ne pas l'obtenir, et forment déjà un petit centre d'opposition.

M. Guizot explique comme ceci les deux nominations, assez singulières, de M. de Flahaut, comme ambassadeur à Vienne, et de M. de Salvandy à Madrid. C'est qu'il a trouvé de bonne politique d'enlever l'un à M. Thiers et l'autre à 123 M. Molé. C'est une admirable explication, et très utile aux intérêts du pays!

Courtalin, 3 octobre 1841.—Je suis arrivée hier soir ici, après avoir dîné et couché à Jeurs, chez Mme Mollien. Me voici au milieu de toute la famille Montmorency, dont une grande partie se trouve ici en ce moment.

Rochecotte, 7 octobre 1841.—Me voici enfin rentrée dans mon petit Palazzo où je suis arrivée hier dans la matinée, enchantée de m'y retrouver, et de voir tous les arrangements et embellissements qui y ont été faits pendant mon absence.

Rochecotte, 12 octobre 1841.—J'ai employé tous les derniers jours à l'arrangement de ma nouvelle bibliothèque et au placement des livres. Cela m'a un peu fatiguée, mais fort amusée. Mon fils et ma belle-fille Dino sont arrivés, ainsi que ma nièce Fanny et sa gouvernante qui ont passé quelques jours à Paris, après mon départ.

J'ai eu hier la visite de la Supérieure des Filles de la Croix, de Chinon, cette sainte fille qui, au printemps dernier, venait d'être administrée quand je fus la voir; cette bonne sœur prétend que c'est depuis ma visite qu'elle a commencé à aller mieux. Elle m'a apporté des chapelets, et a désiré prier dans ma chapelle; elle a enlevé ma lithographie d'une chambre où elle l'a trouvée, et n'a pas eu beaucoup de peine à me décider à fonder une place d'orpheline dans l'établissement qu'elle dirige. J'ai donc 124 acquis le droit d'envoyer une orpheline du village de Saint-Patrice, dont Rochecotte fait partie, recevoir une éducation chrétienne chez ces excellentes dames, et je vais procéder aujourd'hui au choix.

Rochecotte, 14 octobre 1841.—On est fort occupé à Paris de la nouvelle face des affaires d'Espagne. La guerre civile y est vraiment rallumée; tout cela fait horreur, et tournera, en définitive, au massacre de l'innocente Isabelle [43]. La Reine Christine n'a aucune envie de quitter Paris, où elle s'amuse. Elle a la terreur de rentrer en Espagne, dont elle parle avec dégoût et mépris. Elle passe, auprès de tous ceux qui la connaissent, pour spirituelle, aimable et au besoin courageuse; mais naturellement paresseuse, aimant son plaisir, s'y livrant tant qu'elle peut, et au désespoir de jouer, forcément, un rôle politique; aimant beaucoup les enfants qu'elle a de Munoz, et se souciant très peu de ses filles Royales.

Rochecotte, 24 octobre 1841.—J'ai eu hier, quelques lettres à nouvelles. Voici ce que dit Mme de Lieven: 125 «L'Angleterre est dans un trouble visible des nouvelles d'Amérique, et les spéculateurs de tous les pays sont fort alarmés; il est bien difficile que la guerre ne sorte pas de toute cette complication de Grogau [44], ajoutée à celle de Mac Leod. Quant à l'Espagne, on voit tout dans les journaux. Les tentatives d'insurrection échouent partout; Espartero fait son devoir en punissant, mais quelle pitié de voir tomber ce qu'il y a de plus élevé et de plus brillant en Espagne! La mort de ce Diego Leon, l'idole de l'armée et de Madrid, fait verser des torrents de larmes à la Reine Christine. Je ne sais comment elle se tirera des publications d'Olozaga: elle les désavoue, mais personne ne croit à ses désaveux. On a demandé le renvoi de France de Christine. Naturellement, le gouvernement refuse et continuera son hospitalité à la nièce de la Reine des Français. Je ne crois pas que Salvandy parte tout de suite pour son poste de Madrid. Sainte-Aulaire plaît à Aberdeen; Flahaut part seul ces jours-ci pour Vienne.»

La duchesse d'Albufera me mande que Mme la duchesse de Nemours est grosse, à la grande joie de la Reine, et qu'à Compiègne, ce ménage, si longtemps troublé, avait l'air en bon accord.

126 Rochecotte, 25 octobre 1841.—J'ai eu hier une lettre de M. de Salvandy dont voici l'extrait: «Il n'est pas impossible que, dans une douzaine de jours je reçoive l'ordre du départ. Vous avez vu, Madame la Duchesse, ce qui s'est passé à Madrid, cette insurrection, ses premières apparences, son brusque dénouement. Nous avons eu ici toutes les illusions imaginables; nous les avons affichées, criées, mises dans nos actes publics et particuliers, dans nos rapports avec le gouvernement espagnol, avec son Ministre, avec tout le monde. Le Ministre a demandé le renvoi de la Reine Christine, qu'on lui a justement et durement refusé, mais si durement qu'on ne sait ce que feront et diront ceux de Madrid. Jusque-là, les relations sont à peu près interrompues. On ne peut rien savoir avant une dizaine de jours. Maintenant, nous sommes fort déconcertés de toutes nos sottises; nous cherchons à sortir de là tout doucement; au premier bon vent on pressera mon départ. Dans cette position sans dignité, je me trouve, seul, en situation tolérable, parce que je n'ai partagé aucune de ces folies. Je les ai notoirement contredites; l'Espagne m'en sait gré. Elle me demande de partir; j'indique deux ou trois points, sur lesquels je désire avoir satisfaction. Ils me seront accordés; par là, nous aurons un peu meilleur air, mais je suis confondu de cette manière de conduire les affaires de ce monde.»

M. de Salvandy m'annonce sa visite ici, en se rendant en Espagne.

Rochecotte, 6 novembre 1841.—On me mande que 127 l'ambassadeur de Russie à Paris vient de recevoir un courrier de son souverain, avec l'ordre de partir dans huit jours pour Saint-Pétersbourg. On se perd en conjectures...

Rochecotte, 11 novembre 1841.—La duchesse d'Albuféra me mande que la véritable raison du voyage d'hiver que l'Empereur Nicolas fait faire à son Ambassadeur, le comte Pahlen, est pour éviter qu'il ne fasse le compliment du Jour de l'An au Roi, comme doyen du Corps diplomatique. On dit même que, pour avoir le moins ancien des Ambassadeurs à Paris, il va remplacer Pahlen par M. de Bouténieff, mais ce n'est qu'un on dit.

Rochecotte, 16 novembre 1841.—Hier, au moment de nous mettre à table, j'ai vu arriver M. de Salvandy; je pensais qu'il allait à Madrid. Point du tout. Ennuyé d'être sans cesse questionné, à Paris, sur les motifs de ses délais, sur l'époque de son départ, il a résolu de faire une tournée de châteaux, pour ne pas avoir à répondre aux curieux! Il venait de Pontchartrain, et doit, d'ici, aller chez Mme de Maillé, et chez d'autres de ses amis. Il dit que la session des Chambres sera orageuse à Paris, et que les embarras viendront des concurrences ministérielles de MM. Dufaure et Passy.

Rochecotte, 18 novembre 1841.—M. de Salvandy est parti hier, après le déjeuner; il avait reçu, la veille, d'atroces nouvelles d'Espagne, où les massacres anarchiques 128 continuaient, et où il paraît que la présence d'un Ambassadeur de France est enfin désirée par Espartero. M. de Salvandy suppose donc qu'il traversera bientôt les Pyrénées. Avant de partir, il nous a conté une anecdote assez drôle. Il a rencontré, il y a quelques jours, M. et Mme Demidoff, chez la duchesse Decazes; il n'y avait que trois ou quatre personnes dans le salon, la conversation y était presque générale: on y parle de l'histoire qui circule à Paris en ce moment, que Mlle Rachel se serait vendue à M. Véron pour 200000 francs. Sur cela, M. Demidoff, avec un air et une façon inimitables, s'est écrié: «Voyez la puissance de l'argent!» Les personnes qui étaient là, après un coup d'œil involontaire à Mme Demidoff, se sont tues. Une visite, annoncée peu après, a fort heureusement rompu ce silence.

J'ai eu, hier, une lettre de Mme de Lieven. Elle dit que la Reine d'Angleterre a été désappointée de ne pas accoucher de deux jumeaux; elle comptait que le prince de Galles serait accompagné d'un duc d'York [45]. L'Angleterre a fait passer une note pour demander l'explication de la concentration des troupes françaises vers les Pyrénées, et pour annoncer qu'elle ne souffrirait pas que nous portassions la guerre en Espagne. Elle a arrêté des velléités très vives d'y soutenir, par du canon, les amis de la Reine Christine. Cette Reine est au désespoir qu'on veuille se servir d'elle comme prétexte; elle dit, en parlant d'elle-même, que ses chances sont finies, qu'il ne faut pas s'en 129 occuper; elle ne veut pas rentrer en Espagne, disant qu'elle ne manquerait pas d'y trouver le sort de Marie-Antoinette.

Nous avons lu, hier au soir, dans le salon, un éloge de Mme de Rumford, fait par M. Guizot, et qu'il m'a envoyé; je le trouve un peu âpre, avec des phrases très longues; bref, il manque de grâce, mais non pas d'esprit.

Rochecotte, 27 novembre 1841.—J'ai eu des lettres de mon gendre, de Carrare, du 17. Ils devaient être dès le lendemain à Florence, mais ils ont éprouvé une tempête de dix-huit heures dans le golfe de la Spezzia, des dangers, des avaries; enfin, ils se trouvaient heureux d'être à terre, dans un voiturin, car il n'y avait pas eu moyen de débarquer leur voiture. Les détails qu'il me donne sont cruels. Ma pauvre Pauline était fatiguée, épuisée, anéantie. Elle avait eu le pressentiment que sa traversée tournerait mal, car elle me mandait, de Gênes, qu'elle prenait cette route avec une extrême répugnance.

Rochecotte, 28 novembre 1841.—J'ai eu une lettre de Pauline, de Lucques, qui ajoute des détails graves à ceux que son mari m'avait donnés. Ils ont failli sombrer, et ils ont gagné, de leur personne, un rocher de la côte dans une nacelle. Mon gendre a manqué être englouti; enfin, c'est un vrai sinistre! Il me tarde bien de savoir ma chère Pauline se reposant enfin pendant quelques semaines à Florence. Pendant les terribles heures qu'ils ont passées en mer, deux navires ont péri, corps et biens, devant Livourne.

130 Rochecotte, 2 décembre 1841.—J'ai terminé, hier, mes visites d'adieux, par un temps qui a donné vraiment quelque mérite à ma politesse. A la fin du dîner, nous avons vu arriver M. de Salvandy, allant cette fois-ci pour de bon à Madrid. Il repart ce matin.

J'ai eu hier des lettres du 22, de Florence, de Pauline; elle y vivait d'emprunt, n'ayant encore retrouvé ni malles, ni voiture; elle y est arrivée en vraie héroïne de roman, avec sa cassette à bijoux sous le bras, et pas une chemise!

Rochecotte, 3 décembre 1841.—Hier matin un coup de tonnerre, un large éclair, suivi d'une trombe d'eau qui a éclaté sur Rochecotte, nous a tous fait précipiter hors de nos chambres. Il y a eu deux pouces d'eau dans la salle à manger et quatre dans la cuisine. Mme de Podenas est arrivée peu après avec son fils, de chez sa mère, la duchesse des Cars, qui habite un château de l'autre côté de Tours. J'ai beaucoup connu jadis Mme de Podenas, je la retrouve toujours avec plaisir; j'avais même l'intention, la croyant en Italie, d'aller de Nice à Gênes la voir, car elle est établie depuis quelques années dans une villa près de cette ville, qu'elle a achetée, qui s'appelle Il Paradiso, bâtie par Michel-Ange. Elle est fort changée, mais toujours spirituelle et aimable. Elle est repartie courageusement dans la soirée. M. de Salvandy était reparti hier matin pour Madrid; Alava, qui était ici, pour Tours; Vestier, pour Chinon; mon fils, pour Valençay; nous sommes seules, Fanny et moi, jusqu'à notre prochain départ pour Nice.

131 Rochecotte, 5 décembre 1841.—J'ai été livrée hier, uniquement, aux préparatifs qui précèdent un départ; ma nièce est toujours souffrante, moi pas trop bien, et le temps affreux.

J'ai reçu, hier, une lettre fort aimable et obligeante de M. le duc d'Orléans. Il m'écrit pour me dire adieu avant mon départ, et me témoigner la part qu'il a prise aux dangers courus en mer par les Castellane, dont il avait entendu parler par la duchesse d'Albuféra. Il se montre fort inquiet de l'état général des esprits et très peu satisfait de la direction supérieure.

Saint-Aignan, 7 décembre 1841.—J'ai quitté hier matin mon bon petit Rochecotte, pour reprendre cette sotte vie des grandes routes, rendue plus pénible encore par la très hideuse saison. Nous avons déjeuné à Tours avec le Préfet, Alava et Vestier. En passant devant Chenonceaux, j'y ai fait une visite d'une demi-heure, que je devais depuis des années, à Mme de Villeneuve. Une pluie furieuse nous a ensuite conduites ici. La route, en quittant le département d'Indre-et-Loire, pour entrer dans celui de Loir-et-Cher, cesse d'être bonne; d'ailleurs, la pluie et les débordements du Cher l'ont gâtée et on passait dans une espèce de lac; je ne puis point cacher que j'ai poussé quelques cris perçants. Nous avons été très bien reçues par M. de Chalais, son frère, le baron et la baronne de Montmorency. Ce sont tous les habitants du château, avec l'architecte qui y travaille. On y fait d'assez grands travaux, solides et même riches comme construction, mais, 132 malheureusement, d'un style qui ne me paraît pas assez analogue à celui des constructions primitives. C'est, par exemple, une grosse tour saxonne à côté des tourelles pointues de Louis XI. Ce château est très froid; les calorifères, les doubles croisées, les tapis, les portières, les draperies de Rochecotte, me gâtent toute autre demeure; je gèle partout ailleurs.

Hier, à Chenonceaux, j'ai vu un très joli portrait de la Reine Louise de Vaudémont, et un grand vitrail de couleur (peinture moderne) que le Roi venait d'envoyer aux Villeneuve. Le duc de Montpensier qui, cet été, d'Amboise, avait visité Chenonceaux, leur a valu cette attention, qui prouve que le jeune Prince n'est pas, comme moi, entré dans la chambre à coucher de Mme de Villeneuve, où le portrait de Mgr le duc de Bordeaux, donné par Berryer, est suspendu à côté de son lit et de façon à frapper soir et matin les regards de la châtelaine.

Valençay, 8 décembre 1841.—Je suis arrivée ici hier soir. Je vais entendre la messe chez les Sœurs, près du tombeau de notre cher M. de Talleyrand. Demain matin nous nous remettons en route, pour aller dîner et coucher chez Mme d'Arenberg, à Menetou-Salon.

Menetou-Salon, 10 décembre 1841.—Le prince et la princesse d'Arenberg ont mis tant de bonne grâce à nous garder un jour de plus, le temps était si exécrable, Fanny et mon fils Valençay, qui est venu nous rejoindre hier, ont été si fort de l'avis de ce délai, que je me suis décidée 133 à rester encore ici toute la journée d'aujourd'hui. Hier, il n'y a pas eu moyen de sortir de la maison; c'est à peine si nous avons eu le courage de parcourir le château, que M. d'Arenberg a tiré de ses ruines pour en faire une vaste et noble demeure. Elle a un caractère de château de chasse que j'aime; c'est grave, simple, commode, et situé au milieu de fort beaux bois. Je préfère beaucoup Menetou à leur château de Franche-Comté, Arlay. Les trois enfants de ma cousine sont bien élevés, gais et gentils; tout l'intérieur est fort heureux, fort uni, raisonnable, bien et largement établi.

A l'extrémité de la maison, ce n'est qu'ébauche encore, mais avec de beaux bois, de l'espace et de la fortune, tout s'arrange assez facilement, et ces trois conditions sont toutes à la disposition des d'Arenberg. Je ne blâme qu'une seule chose à Menetou, c'est l'horrible barbouillage de rouge, blanc et orange dont on a enduit les murs extérieurs. M. d'Arenberg dit que c'est flamand, cela me semble hideux. Le chenil est un véritable petit bijou; en tout, la vénerie domine, et tout s'y fait au son des fanfares et au bruit des chiens. Les enfants savent par cœur toutes les chansons de chasse, et distinguent à l'instant la vue du débouché et le sanglier du marcassin; c'en est curieux.

Lyon, 14 décembre 1841.—Avant-hier, dimanche, après la messe, nous sommes parties, escortées par mon fils Valençay et par M. d'Arenberg, pour Bourges, où j'ai visité la maison, assez curieuse, de Cujas, et celle, bien 134 intéressante, de Jacques Cœur; puis l'École normale, autrefois la maison du frère de Jacques Cœur; de là, l'ancien palais de Charles VII devenu maintenant un couvent de Sœurs bleues; et enfin la Cathédrale. On y lisait l'oraison funèbre de M. de Villèle, dernier Archevêque de Bourges. Don Carlos [46], sa femme et ses enfants assistaient avec raison à cet hommage rendu au Prélat qui, par ses aumônes et ses respects, adoucissait leur triste captivité. Don Carlos est moins laid, surtout moins chétif que je ne pensais; sa femme était tellement cachée par son chapeau que je n'ai pu la distinguer. Ce chapeau et ce châle étaient ceux d'une pauvresse; cela fait pitié. Je suis passée devant la petite et triste maison qui leur est assignée, et qui est entourée de corps de garde et de gens de la police.

Pour changer de chevaux, à Bourges, il faut des formalités infinies, des autorisations du Préfet, des visas, enfin, c'est insupportable. Après avoir passé par toutes ces vexations et avoir déjeuné, nous nous sommes séparées de M. de Valençay et de M. d'Arenberg. Nous espérions gagner Moulins le même jour, mais le temps était devenu si effroyable, que nous avons pris gîte dans un horrible cabaret où il fumait à aveugler. Au petit point du jour, nous nous sommes remises en route hier, et sommes arrivées ici aujourd'hui à midi. Lyon m'a frappée comme 135 par le passé (c'est la cinquième fois que j'y viens) par sa position originale et pittoresque, mais j'y ai trouvé un changement fâcheux, depuis quinze ans que j'y étais venue pour la dernière fois: c'est que l'énorme quantité des machines à vapeur qui s'y sont accumulées et l'usage du charbon de terre ont noirci tous les édifices; le brouillard de la saison est teint en noir, précisément comme à Londres, de sorte qu'à la couleur générale et à l'odeur j'ai eu peine à comprendre que je n'étais pas en Angleterre. Lyon a beaucoup perdu par là, et même la jolie place Bellecour me semble, depuis qu'elle est d'un brun gris, ne plus justifier sa réputation.

Aix-en-Provence, 17 décembre 1841.—Je n'ai heureusement aucun accident à conter, et, malheureusement, aucune belle description à faire. Le ciel même de la Provence est fort peu beau en ce moment; son sol, toujours aride et dépouillé; les oliviers sont de vilains petits arbres, et la région des orangers ne commence pas encore ici. La première fois que je visitai le Midi, j'eus beaucoup de déceptions sous le rapport du paysage, et chaque fois que j'y reviens, je me confirme dans la conviction, qu'excepté la vue sur la Méditerranée, quand on y est parvenu, et la couleur du ciel quand, par exception, il n'est pas voilé comme maintenant, il ne faut rien demander de beau à ce pays-ci. Nous avons visité Avignon assez en détail: c'était une ancienne connaissance pour moi, mais Fanny en était curieuse, et nous y avons déjeuné ce matin. Nous avons exploré l'ancien château 136 des Papes, qui actuellement est une caserne, et l'église de la Miséricorde.

Nice, 20 décembre 1841.—Me voici donc au terme de ce voyage, qui a duré quinze mortels jours! Nous avons quitté Aix avant-hier, après que ma nièce eut satisfait à ses curiosités archéologiques; nous sommes parties avec un soleil qui aurait été réjouissant, sans l'accompagnement du mistral. Arrivées à neuf heures du soir à Brignoles, mais effrayées de l'horrible saleté de l'auberge, nous nous sommes décidées à passer outre. Une fois engagées dans les montagnes de l'Esterel, qu'il faut quatre heures pour monter et trois pour redescendre, le froid est devenu cruel. A l'aube du jour, les cimes des montagnes nous sont apparues couvertes de neige. Au point culminant de la montagne, où se trouve le relais de poste, vingt montagnards à allures assez sauvages, ayant tous des fusils à la main, se disposaient à partir pour chasser les sangliers et les loups qui habitent ces rudes contrées. Cette halte de chasseurs montagnards, auxquels s'étaient joints des gendarmes et des douaniers, tirant déjà à l'essai des coups de fusil dont les échos des rochers répétaient le son, faisait un tableau qui aurait été curieux à dessiner, mais personne de nous ne pensait au pittoresque, tant notre nuit nous avait semblé glaciale. Arrivées dans la vallée, la température a brusquement changé; le soleil était chaud, la mer bleue, les oliviers grands et couverts de fruits, les orangers chargés de leurs pommes dorées, les haies de rosiers en fleurs. La ville de Cannes, dominée 137 par son vieux château, se détachait à ravir, comme fond de paysage, sur les âpres montagnes que nous quittions; l'île Sainte-Marguerite avec tous ses souvenirs, nageant paisiblement sur cette mer d'azur, complétait fort bien le paysage, dont nous avions besoin pour nous dégeler et nous remettre en goût du Midi, contre lequel nous étions fort en train de médire. Avant d'entrer à Cannes, nous avons vu à droite la villa Taylor et à gauche la villa Brougham, qui ont l'air de maisons de campagne d'agents de change retirés. Celle de lord Brougham est séparée de la route par une grande grille en fer, dont chaque pointe est surmontée d'une grande fleur de lis dorée.

De Cannes, il ne nous restait plus que neuf lieues à faire pour arriver à Nice; il était neuf heures du matin, nous pensions donc pouvoir dîner hier ici, mais voici nos malheurs! Arrivées à Antibes, dernier relais avant Nice, à midi, point de chevaux, et déclaration formelle de ne pouvoir en obtenir avant quatre heures, moment auquel on ne conduit plus à Nice, à cause de la rupture du pont du Var, qu'on ne passe plus, une fois la nuit venue. Nous voilà donc obligées de rester toute la journée à Antibes, et d'y coucher; mais coucher où? Rien ne peut donner l'idée des auberges de cette ville où jamais les voyageurs ne s'arrêtent: ce sont des cabarets de muletiers, du plus dégoûtant aspect. On nous a servi un repas qui nous a si bien révoltées que nous nous en sommes tenues au pain sec, et au lieu de coucher dans des lits, qui cependant, après la nuit précédente, auraient 138 été très à propos, nous avons repris position dans nos voitures. Enfermées dans ces boîtes, et remisées dans une écurie à moitié grange, nous avons attendu le jour, qui a paru fort tard. Les chats ont miaulé autour de nous [47], puis un gros orage a éclaté comme si nous étions au cœur de l'été: le tonnerre, les éclairs, le déluge, tout menaçait notre chétif abri. Enfin, à sept heures du matin, nous avons été délivrées de notre prison, et nous nous sommes dirigées vers Saint-Laurent du Var. Là, il a fallu quitter nos voitures et nous embarquer dans une petite nacelle, qui, après nous avoir bien ballottées, nous a fait arriver aux douanes sardes, où deux carabiniers nous ont permis de nous chauffer à leur bivouac; nos voitures sont remontées à trois quarts de lieue plus haut, où elles ont passé la rivière à un gué presque impraticable, et à grand péril. Pendant ce temps, nous trempions un peu de pain sec dans du vin du pays, fort aigre, et nous recevions, sous des parapluies, des coups de vent et de pluie. Enfin, nous sommes cependant arrivées à une heure à Nice, par une pluie battante, longeant une mer furieuse; la bourrasque dure encore et soulève avec un bruit affreux les vagues, jusqu'à leur faire presque toucher le sommet de la terrasse sur laquelle est bâtie la maison dont j'occupe, avec Fanny, le second étage. Nos fenêtres plongent sur la mer, rien en face, rien à droite, rien à gauche que la mer. Par le soleil, la réverbération sera affreuse; par la pluie, c'est une grande nappe grise qui se confond avec le ciel et forme le plus 139 triste rideau possible. Le bruissement des vagues est aussi des plus lugubres. Notre salon est immense et malgré une cheminée, très froid; ma chambre pourrait être chaude, car elle est très petite, mais la cheminée fume; le tout est sale, comme le sont toutes les anciennes maisons de Nice; je ne puis dire l'impression générale de tristesse et de désolation que nous éprouvons. Le bon côté, et qui console de tout le reste, c'est d'avoir revu Pauline, ni mieux, ni moins bien que lorsque je l'ai quittée il y a sept mois, souffrant toujours de la gorge, maigre et échauffée de teint, mais enfin sans aucune aggravation. Les Castellane demeurent à un bout du quartier, qu'ici on nomme la Terrasse, et moi à l'autre.

Nice, 22 décembre 1841.—J'ai été, hier, entre le déjeuner et le dîner, chez la Grande-Duchesse Stéphanie, qui passe l'hiver ici avec sa fille. Elle m'a fait monter en voiture avec elle, pour nous promener sur la jetée, par un ciel qui m'a rappelé le Chain-Pier de Brighton. La Grande-Duchesse est très bien logée, assez loin de la mer, au milieu d'un charmant jardin, d'où il y a une belle vue sur la montagne. La maison est bien meublée, gaie et propre; tout le contraire de la mienne et guère plus cher. La Grande-Duchesse est infiniment mieux depuis qu'elle a pris les eaux de Wildbad; mais son mouvement, son agitation, les soubresauts de sa conversation, que la maladie avait amortis, ont repris avec un redoublement vraiment inquiétant.

Je n'ai rien reçu de Paris hier; une nouvelle crue a 140 emporté les barques et a rendu le gué impraticable, de sorte que le Var ne pouvait plus se passer, deux heures après le moment où nous l'avons traversé.

Nice, 24 décembre 1841.—J'ai fait, hier, une grande quantité de connaissances chez la Grande-Duchesse; peu valent la peine d'être nommées, sauf les de Maistre. Elle met sur ses cartes: la comtesse Azelia de Maistre, née de Sieyès. Ces deux noms vont singulièrement ensemble. Du reste, elle paraît fort bonne personne, et lui, me semble avoir tout l'esprit et l'espèce d'esprit qu'impose son nom.

Nice, 25 décembre 1841.—Hier, après le déjeuner, j'ai mené ma nièce et les Castellane à Saint-Charles, par le plus beau temps du monde; un soleil trop beau, car on était en nage pour faire deux pas; le ciel était magnifique, la vue belle et le parfum des roses, des violettes et des fleurs d'oranger enivrant; en redescendant en ville, j'ai mis quelques cartes et suis rentrée me reposer, car l'action de ce soleil ardent et l'air vif de la mer éprouvent prodigieusement.

Il y a ici un singulier usage: la veille, et le jour de Noël, et toute la nuit intermédiaire, on tire toutes les demi-heures des pétards; des bandes de mariniers et de gens du pays traversent les rues en chantant et en criant, à faire horreur, tant c'est bruyant. Depuis vingt-quatre heures, ce sabbat ne cesse pas un instant, et a troublé, je pense, tous les sommeils.

141 Nice, 27 décembre 1841.—Je me souviens du temps où on allait à Mannheim faire sa cour à la Grande-Duchesse Stéphanie, le jour de la Saint-Étienne. Eh bien, hier, on a fêté ici ce même jour. A dix heures, elle a été entendre la messe au collège des Jésuites; le Père Recteur, qui est poli et aimable, avait invité une douzaine de personnes de la société particulière de la Grande-Duchesse; ma fille et moi en étions. La messe en musique a été très bien exécutée, puis, à la suite de la Grande-Duchesse, on a visité, par exception, tout l'établissement, et les dames ont tout vu, même les cellules des Pères. Dans chaque classe, un des élèves a fait un petit discours simple, convenable et à propos. Nous avons ensuite trouvé du café, du chocolat et des sorbets, avec beaucoup de gâteaux et de bonbons, servis dans le parloir du Recteur, qui là, a offert à la Grande-Duchesse un reliquaire, avec une relique de saint Étienne. Comme elle professe une grande admiration pour Silvio Pellico, il a ajouté un exemplaire, bien relié, des poésies de celui-ci, et une lettre autographe de Pellico. Le Père Recteur a été le soutien et le consolateur de la mère de Pellico, pendant que celui-ci était en prison, et il a beaucoup contribué depuis à sa vie chrétienne. On dit que Silvio Pellico vit maintenant dans une sainteté tout à fait rare. Ce petit hommage, de fort bon goût, a eu le plus grand succès. Avant de quitter le collège, on est entré dans le cabinet de physique, où on a fait plusieurs expériences d'électricité; on est parti enfin; à la sortie, tous les Pères et tous les élèves étaient en ligne, et le plus jeune des enfants a offert à la Grande-Duchesse 142 un bouquet comme on n'en fait que dans ce pays-ci, où les fleurs abondent et où leurs couleurs et leurs parfums sont incomparables. Toute cette matinée a été arrangée à merveille; rien de pédant, rien de trop long; l'esprit et l'usage du monde, si particuliers aux Jésuites, s'y étaient sensiblement montrés; les élèves avaient un air de santé, de politesse avec de jolies façons.

Après dîner, nous avons été, avec Fanny et les Castellane, chez la Grande-Duchesse, où la princesse Marie avait invité une cinquantaine de personnes, pour assister à des proverbes accompagnés de couplets, que plusieurs personnes de la société russe et italienne avaient arrangés pour la circonstance, et qu'ils ont fort bien tournés.

Nice, 29 décembre 1841.—J'ai fait plusieurs visites hier, entre autres à la comtesse Louis de Narbonne, veuve de l'ami de M. de Talleyrand et mère de Mme de Rambuteau. Elle est assez aimable et spirituelle, mais on s'aperçoit aisément qu'elle a beaucoup vécu en province, et fort peu avec son mari. Elle est Mlle de Montholon de naissance, et cousine du premier mari de Mme de Sémonville.

Nice, 30 décembre 1841.—C'était hier le jour où Pauline accomplissait ses vingt et un ans! Double anniversaire de naissance et de majorité! Elle est venue déjeuner chez moi avec son mari et sa petite fille. Elle y a trouvé 143 quelques petits souvenirs et un gâteau allemand, avec autant de bougies que d'années. Cette petite surprise lui a fait plaisir. Dans la matinée, j'avais été avec Fanny et son ancienne gouvernante, visiter un jardin réputé ici, placé à mi-côte, garanti du vent par des collines boisées, avec des doubles vues, des montagnes et de la mer, extrêmement jolies. La villa qui est au milieu était fermée; mais le jardin, très riche en fleurs rares et beaucoup plus soigné qu'ils ne le sont généralement ici, était ouvert; nous avons rencontré le propriétaire, négociant de Nice, au bout d'une allée où il dirigeait ses ouvriers. Il a été très poli, nous a comblées de fleurs, et m'a promis des graines pour Rochecotte. Sa villa s'appelle «Sainte-Hélène». Nous sommes revenues fort contentes de notre promenade, quoique le temps fût un peu rèche.

Nice, 31 décembre 1841.—La Grande-Duchesse est arrivée chez moi, hier, à l'issue de mon déjeuner, et m'a enlevée pour me mener dans une maison de campagne des environs, fort bien située, et remarquable par des fonds boisés et couverts de pins, de chênes-verts et d'arbousiers. L'ombre est une chose rare ici, où les jardins sont en général en terrasses, en plein midi, et conduisant tous plus ou moins près de la mer; une variété, dans ce genre, ne laisse pas que d'avoir son mérite. D'ailleurs, la promenade d'hier m'a fait songer à celle que je me suis arrangée dans le bois de Rochecotte, et sous ce rapport, déjà, elle m'a plu. Le propriétaire est un négociant retiré, vieux célibataire. Il est très poli, et, selon l'usage du 144 pays, il nous a comblées de bouquets, et fait prendre de l'orangeade. J'ai trouvé cette boisson un peu fraîche pour la circonstance, car il ne faisait pas chaud du tout, surtout dans la calèche qui nous a amenées; aussi suis-je revenue de chez la Grande-Duchesse chez moi à pied pour me réchauffer; c'est une distance à peu près comme celle du Louvre à l'Arc de Triomphe des Champs-Élysées.

C'est aujourd'hui le dernier jour d'une année que je vois finir sans regret. Elle a compté double dans ma vie par sa longueur; elle ne m'a pas été, cependant, hostile. Les mois passés à Rochecotte ont été paisibles, et ceux où j'ai habité l'Allemagne n'ont manqué ni d'intérêt ni de satisfaction.

Nous voici au second anniversaire de la mort de Mgr de Quélen. Il ne saurait passer inaperçu pour moi, car j'ai perdu beaucoup en lui, et sa bonté égale, constamment protectrice, a laissé un de ces vides qui ne se remplissent pas, car rien ne remplace la consécration du temps.

145

1842

Nice, 1er janvier 1842.—Hier, j'ai été, avec mon gendre, faire une très belle promenade. Nous avons été en voiture jusqu'au pied d'un rocher sur lequel est bâti un couvent d'hommes. L'église en est jolie, surtout par un portique avancé, sous lequel on a une très belle vue de la mer, d'où l'on découvre Nice, le fort Saint-Elme et tous les points principaux de la contrée, gracieusement encadrés. On monte à pied au couvent, qui s'appelle Saint-Pons; l'ordre religieux qui s'y trouve est assez nouveau, et se nomme gli oblati della santissima Virgine. Les jeunes prêtres ordonnés, entre le moment où il leur est permis de dire la messe et celui où ils peuvent exercer le saint ministère de la confession, c'est-à-dire où ils ont charge d'âmes, viennent ici passer un an pour s'y préparer. C'est un établissement que je crois particulier à Nice et qui me paraît fort sage.

Nice, 2 janvier 1842.—J'ai été, hier soir, avec les Castellane, à la réception officielle du gouverneur de Nice [48]. Il est d'usage, ici, qu'au premier jour de l'An, toutes les 146 personnes du pays qui sont présentées à la Cour et tous les étrangers aillent, les hommes en uniforme et les femmes en grande parure, à cette réception. On est censé aller féliciter le Roi et la Reine de Sardaigne. Cela ressemble un peu à un drawing-room de Londres, et pas mal à un des grands raouts diplomatiques de Paris. Il y avait quelques figures étranges, mais, à tout prendre, du beau monde; on y étouffait. Quelques parties se sont formées dans le dernier salon, où il faisait moins chaud; les glaces et les rafraîchissements circulaient, et les fleurs qui, ici, ne manquent nulle part, s'y trouvaient en profusion, ainsi que beaucoup de lumière. Le tout ensemble avait bel air. J'ai fait deux fois le tour des salons, une fois au bras de mon gendre, et l'autre, au bras du duc de Devonshire qui me soigne beaucoup. La Grande-Duchesse y était couverte de diamants, mais pas en beauté, car elle n'avait rien autour du visage, ce qui la vieillissait. La Princesse Marie est mieux aussi quand elle est moins parée.

Nice, 3 janvier 1842.—Je ne puis dire combien les églises, ici, me déplaisent; on a beaucoup de peine à s'asseoir; on est entouré d'une population sale, dégoûtante, qui crache et vous infecte de vermine. Puis, l'architecture est toute gâtée par de vilains lambeaux d'étoffe d'or et de soie, tous passés, tous déchirés, du plus vilain effet. Le chant des pénitents, qui forment ici des confréries, n'est pas mélodieux. Excepté ce que j'ai vu au collège des Jésuites, rien de ce qui est religieux ne m'a édifiée 147 ici. Dans les rues, vous êtes assaillis par les plus hideux mendiants; tous les escaliers sont encombrés par eux, et d'une saleté telle, qu'on rentre avec des jupons bons à jeter.

Nice, 4 janvier 1842.—Il fait gris et humide; c'est à se croire à Brighton. C'est le troisième jour de cet agréable temps, qui fait ici l'effet d'une trahison. Quand il fait clair, on est constamment sous la menace d'une maladie inflammatoire, parce que le vent aigre combat victorieusement l'action ardente du soleil, qui ne rend le vent que plus dangereux; et quand le soleil se cache, le vent, à la vérité, cesse, mais alors, on a devant soi ce grand drap gris de la mer, qui a l'air d'un linceul prêt à vous envelopper; autant être à Paris ou à Londres!

On me mande, de Paris, que la condamnation de Dupoty sera probablement attaquée, comme illégale, à la Chambre des Députés [49]. Cependant, la nomination de M. Sauzet à la Présidence, et cela à une grande majorité, est un bon début pour le Ministère. On ne sait comment se passera le retour de Madrid de Salvandy, qui n'a pas voulu remettre ses lettres de créance à Espartero. Les Ambassadeurs à Paris trouvent qu'il a eu raison, et qu'il y a un exemple de pareille chose sous Louis XIV.

148 Nice, 5 janvier 1842.—On m'écrit, de Paris, que le second procès de la Chambre des Pairs ne sera ni long ni difficile. Les révélations faites par les accusés, condamnés à mort et qui ne seront pas exécutés, permettront d'arrêter et de mettre en accusation une soixantaine d'individus, mais toujours de la même classe; on se bornera à n'en mettre en jugement que quatre ou cinq, qui sont un peu au-dessus de la classe des ouvriers, et sont les plus compromis. On dit que ce qui résultera de plus important de cette seconde affaire, c'est la manifestation des liens existant entre les communistes, les égalitaires et la société réformiste dont sont MM. Arago, etc., etc., et dont M. Dupoty était le secrétaire.

On est fort occupé de la question d'étiquette qui, en Espagne, arrête Salvandy. M. Guizot dit qu'il a envoyé des instructions très précises à Salvandy de revenir, si Espartero persiste à ne pas vouloir lui permettre de présenter ses lettres à la petite Reine. On s'attendait à son retour. C'est faire bien peu de cas de la France que de laisser partir son Ambassadeur, parce qu'il réclame une chose toute naturelle. Quand Cellamare et je ne sais plus quel autre ambassadeur sont venus à Paris, ils ont remis leurs lettres de créance à Louis XV, âgé de six ans, et non pas à M. le duc d'Orléans, Régent. Cela se dit et se répète beaucoup, mais ne fait pas d'effet à Madrid.

Nice, 6 janvier 1842.Il a neigé hier, plusieurs heures de suite, à Nice! et cela par un vent qui nous glaçait, tout accroupies que nous étions auprès de la cheminée, 149 dans laquelle je fais une énorme consommation de pommes de pin et de petites branches d'olivier, qui se vendent à la livre, ici; je m'y ruine sans parvenir à me réchauffer.

Nice, 7 janvier 1842.—Il a neigé, hier, à peu près tout le jour; la neige a si bien tenu que, sur la terrasse qui sépare ma demeure de la mer, et qui est une promenade publique, tous les gamins de Nice se sont rassemblés et ont fait, en poussant des cris sauvages, de grosses boules de neige, qu'ils lançaient ensuite, insolemment, en hurlant de la façon la plus animale, à la face des passants. J'ai regardé ce singulier spectacle de mes fenêtres, car je ne suis pas sortie de la journée.

Mon grand salon me désole pour deux motifs: le premier, parce qu'il n'y a pas moyen de le chauffer; le second, parce qu'il m'a valu, de la part de la Grande-Duchesse, une demande de soirée. Les Castellane ayant appuyé la motion, j'y ai consenti, quoique à regret, parce que c'est toujours plus ou moins un embarras, et que je suis profondément paresseuse. J'ai donc livré mon salon à la Princesse Marie, à Fanny et à Pauline; j'ai chargé mon gendre de tous les arrangements matériels, et j'ai déclaré que je ne me mêlerais de rien, que de payer et de faire des révérences aux invités. Cela convient à la jeunesse! La Grande-Duchesse veut un quadrille et elle met tout Nice en mouvement pour cela. Cela doit avoir lieu lundi prochain, le 10; il y a cent cinquante personnes sur ma liste. Cela s'appellera un thé dansant. 150 Le quadrille sera de douze dames représentant les mois, et de quatre enfants, représentant les saisons; je sais mal les détails, ne m'en mêlant pas. C'est, au fait, la Grande-Duchesse et Pauline, qui est plus en train, ici, que je ne l'ai vue depuis longtemps, avec le comte Eugène de Césole, qui arrangent tout chez la Grande-Duchesse. Je ne livre mon salon que le matin même du jour.

Nice, 11 janvier 1842.—Ma soirée a eu lieu hier; ce n'était pas précisément un bal, mais un thé, avec un peu de musique, après lequel on a dansé trois contredanses, une mazurka et deux valses; tout était fini à une heure.

A l'occasion du départ du comte Pahlen de Paris, notre Mission, à Saint-Pétersbourg, a eu ordre de ne pas aller à la Cour le jour de la Saint-Nicolas, et tout le monde s'est dit malade. Ordre alors à M. de Kisseleff et à tous les Russes de ne pas paraître aux Tuileries le Jour de l'An. A ce sujet, Barante me mande ceci: «Je m'attendais depuis longtemps à ce que la bizarre idée de manifester ses sentiments personnels, en dehors de la politique de son Cabinet, conduirait l'Empereur à la nécessité d'une détermination tranchée; je crois, pourtant, qu'encore à présent, il tâchera qu'elle ne le soit que le moins possible. Il est très probable qu'il y aura un retard indéfini au retour du comte Pahlen.»

Du reste, notre Ministère a la majorité, et paraît très satisfait.

Nice, 13 janvier 1842.—On m'écrit, de Paris, que 151 M. de Salvandy a, décidément, ordre de revenir avec tous ses attachés. Son ambassade aura été de courte durée. Nous voici aussi mal avec l'extrême Midi qu'avec l'extrême Nord de l'Europe! Tout le monde s'accorde à dire que la prétention d'Espartero était inadmissible et que c'est l'Angleterre qui a soufflé le feu!

Nice, 16 janvier 1842.—A Saint-Pétersbourg, on a déprié Casimir Perier [50] de plusieurs soirées où il était invité, et, par ordre supérieur, les loges, à droite et à gauche de la sienne, au théâtre, restent vides. Où tout cela conduira-t-il?

Nice, 17 janvier 1842.—J'ai fini hier ma matinée chez la femme du gouverneur, la comtesse de Maistre, qui était en famille: sa belle-sœur [51], non mariée, a l'esprit fin; M. de Maistre cause avec distinction, et Mme de Maistre a l'air de la meilleure femme du monde. J'ai passé là les moments les plus agréables, comme conversation, que Nice puisse offrir.

Nice, 19 janvier 1842.—Il a fait hier, une journée charmante; aussi me suis-je promenée à pied avec mon gendre pendant deux heures, flânant le long de la mer; regardant les pauvres galériens travailler au port; examinant les effets du soleil sur la mer et ses brillants reflets sur les montagnes, dont le dernier plan était couvert de 152 neige; suivant des yeux les navires avec leurs voiles latines, et échangeant, de temps en temps, quelques mots de politesse avec des connaissances qui, attirées par ce jour d'exception, faisaient comme nous.

Mme de la Redorte mande, de Paris, que rien n'égale les ovations que le parti carliste fait au Chargé d'affaires de Russie, M. de Kisseleff, depuis l'éclat des susceptibilités: il a été reçu triomphalement à leur club, sans même avoir demandé à l'être. Du reste, il est invité au grand bal des Tuileries, et on suppose qu'il s'y rendra. Elle dit aussi que les rapports de M. Guizot et de Mme de Lieven ont pris un caractère tel que l'opinion s'en émeut, et qu'il est possible qu'on en parle à la Chambre des Députés. Les journaux, à ce qu'il paraît, ne s'en gênent pas.

Nice, 20 janvier 1842.—J'ai passé ma matinée d'hier à préparer les atours d'un quadrille, qui était confié à ma direction. Après le dîner, j'ai coiffé mes quatre dames. Elles ont fait, avec beaucoup de succès, leur entrée au bal avec leurs quatre cavaliers; Pauline et Fanny en bleu et noir, Mme de Césoles et une dame italienne en rose et noir, toutes quatre couvertes de diamants, portant de très bonne grâce la mantille espagnole. M. de Césoles et Frédéric Leveson, fils de lord Granville, étaient les cavaliers bleus, le comte d'Aston et un jeune Russe, les cavaliers roses. Le bal était joli, parfaitement éclairé, avec un grand nombre de costumes soignés et élégants, mais il me semble que notre quadrille était le plus joli; Mme de Césoles et Pauline ont été les reines de la fête. Mme de 153 Césoles a une figure toute espagnole, et quoique fatiguée par six enfants coup sur coup, elle est encore, à l'aide d'un peu de parure, fort jolie; elle est très douce, et gentille personne. Pauline est ici en beauté; elle y est, de plus, très à la mode, très fêtée, un peu la première partout; cela plaît à tout le monde, même aux plus sages, et cela lui donne un entrain qui l'embellit.

Nice, 21 janvier 1842.—J'ai reçu une lettre du duc de Noailles, qui me dit le mariage de sa fille avec leur cousin Maurice. Il consacre ensuite quatre pages à me faire l'éloge du talent de Mlle Rachel; à me dire qu'il lui donne des conseils pour jouer Célimène, et que le conseil principal consiste à aimer beaucoup, tout le secret du rôle étant là.

Hier, il a fait très beau, et j'en ai profité, pour faire à pied, avec mon gendre, l'ascension d'une montagne imposante, qui sépare le vieux Nice du nouveau. On a fait une route tournante, par laquelle on gravit assez commodément cette montée; en haut, on a devant soi une vue de mer qui, à certaines heures, permet de distinguer non seulement les îles Sainte-Marguerite, mais encore la Corse; à droite et à gauche, on plonge, comme dans un panorama, sur la nouvelle et la vieille ville; et enfin, en se retournant, on est en face de toute l'enceinte des collines qui enferment Nice du côté du nord; ces collines sont plantées, semées de villas, d'églises, de couvents, et ont en arrière-plan d'assez beaux rochers qui eux-mêmes s'appuient sur des pics couverts de neige. La variété et 154 l'étendue des points de vue rendaient cette promenade intéressante. Au haut de la montagne, sur une plate-forme assez vaste, se trouvent les vestiges d'un ancien fort ruiné.

Nice, 24 janvier 1842.—J'ai été, hier, après le dîner, chez la Grande-Duchesse Stéphanie, écouter la lecture d'une pièce nouvelle de Scribe, qui fait beaucoup de bruit en ce moment à Paris, et qui s'appelle la Chaîne; c'est M. de Maistre, qui lit très bien, qui nous l'a lue: elle est en cinq actes, le dialogue est spirituel, l'intrigue bien nouée et l'entente de la scène parfaite, enfin, elle a beaucoup d'intérêt; seulement, j'y ai retrouvé cette trivialité du style qui est le propre de l'auteur, puis un peu trop de complication dans les événements, ce qui ôte de la rapidité à l'action et fatigue, par moment, le spectateur. A la représentation, elle doit faire beaucoup d'effet.

Barante me mande ceci: «Notre petite querelle avec la Russie semble apaisée; on s'est rendu coup d'épingle pour coup d'épingle. Il convient à l'Empereur d'en rester là, et peut-être soignera-t-il désormais un peu ses procédés? On dit que le comte Pahlen pourrait être de retour dans six semaines. Tous les Russes d'ici avaient une amusante peur d'être rappelés de leur cher Paris!

«M. de Salvandy va arriver aujourd'hui, après une belle ambassade; le fond de l'affaire eût été le même avec tout autre, mais on assure que le langage, l'attitude, les rédactions ont été quelque chose d'inouï dans les annales de la diplomatie. J'en suis fâché, car il est homme honorable, excellent; il a de l'esprit et un bon jugement.» 155 Voilà Barante. Voici maintenant Salvandy lui-même, qui m'écrit en date du 16 janvier, de Tours, retournant à Paris: «J'ai vécu, pendant six semaines, dans tous les ennuis et toutes les appréhensions: un travail continu (plus de dépêches que jamais ambassade effective et prolongée n'en a écrit) remplissait mes jours et mes nuits. J'ai rencontré des difficultés que j'avais signalées, et contre lesquelles on m'avait hardiment rassuré; d'odieuses intrigues les ont rendues insolubles. Pendant seize jours, rien ne m'a été écrit,—des courriers ordinaires même m'ont été supprimés. J'ai prolongé l'incident tant qu'il a été supportable; je l'ai clos, quand il fallait fuir ou être chassé. Maintenant que ferons-nous? Je garantis une seule chose, c'est qu'en Espagne, la France peut tout ce qu'elle veut. L'Espagne m'a amplement dédommagé des insolences suggérées à ses gouvernants. J'ai trouvé, à Bayonne, une excellente note de lord Aberdeen, qui espère qu'il n'y a pas eu en ceci de menées anglaises, et se prononce pour le principe soutenu par la France. Je vais savoir, à Paris, ce que deviendra toute cette affaire.»

Nice, 26 janvier 1842.—La duchesse d'Albuféra m'écrit le retour à Paris de M. de Salvandy et dit qu'on lui prête mille ridicules, comme, par exemple, d'avoir écrit, de Tolosa: L'ambassade de France touche aux Pyrénées, demain elle passera la Bidassoa. Il a envoyé, de distance en distance, ses attachés, l'un après l'autre, à franc étrier sur Paris, pour annoncer sa marche; il avait laissé le jeune fils de M. Decazes à Madrid, comme Chargé 156 d'affaires. L'assentiment unanime des Cortès aux exigences d'Espartero embrouille encore la question.

Le nouveau Stabat de Rossini fait fureur à Paris: on dit que c'est superbe, mais nullement religieux, et que des paroles profanes iraient tout aussi bien à cette composition. Du reste, elle a le mérite de prouver que ce beau génie musical n'est pas éteint, comme on pourrait le craindre après un si long silence. On dit que la Grisi est admirable dans les solos de ce Stabat. Elle a la tête tournée pour le chanteur Mario; son mari veut se séparer d'elle; elle s'y refuse, on ne sait pas pourquoi, et se voit au moment, par ce refus, obligée de donner, je ne sais par suite de quelle condition, 800000 francs à ce mari, ce qui ne plaît pas à la dame; elle en montrait de la tristesse à Lablache qui, avec son inimitable accent italien, l'engageant à se séparer plutôt que de payer, lui a dit: Mâ, qu est-ce que ça te fait? Tout le monde il sait bien qué tou es oune coquine. Après une citation de si bon goût, je me tais.

Nice, 28 janvier 1842.—J'ai fait hier une visite à la Princesse Marie qui est retenue chez elle par une indisposition. Elle m'a appris plusieurs mariages princiers: celui de la Princesse Marie de Prusse, cousine du Roi, avec le Prince Royal de Bavière (c'est un mariage mixte, mais tous les enfants seront catholiques); celui d'une des jeunes Princesses de Bavière avec l'Archiduc héritier de Modène; celui du Prince Royal de Sardaigne avec une des filles de l'Archiduc vice-roi de Milan; et, enfin, celui de la 157 Princesse de Nassau, demi-sœur du Duc régnant, avec le Prince de Neuvied. Je voudrais bien qu'il s'offrit aussi un parti pour la pauvre Princesse Marie elle-même: je crois que ce serait le vrai remède aux terribles agitations nerveuses de sa mère.

Mme de Lieven me mande ce qui suit: «Salvandy a manqué de savoir-faire, Aston de bonne volonté, le Gouvernement espagnol d'intelligence, car, évidemment, tout ceci est contre son intérêt; on travaillait à le faire reconnaître par les autres puissances; ce qui vient de se passer, à Madrid, au sujet du point d'étiquette, éloigne ce moment de toute la durée de la régence d'Espartero. Le Cabinet anglais a pris fait et cause pour la France, mais cela est venu un peu tard, car Salvandy était parti, et, jusque-là, Aston avait soutenu les prétentions d'Espartero. Cependant on prend acte de l'opinion de l'Angleterre; elle aura tout son poids.

«Je ne vous dis rien des indispositions de Périer et de Kisseleff: elles sont finies. Mon frère m'annonce le retour prochain de notre ambassadeur ici.

«Voilà donc le Roi de Prusse en Angleterre [52]. Figurez-vous qu'à son arrivée à Ostende, les vaisseaux anglais n'y étaient pas encore. Au fond, tout le monde trouve que le Roi de Prusse fait trop; assurément, jamais grand souverain n'a fait autant. Lord Melbourne sera du baptême; les Palmerston sont conviés pour un autre jour, lady Jersey, je crois, jamais: imaginez qu'elle n'a pas vu la 158 Reine, depuis que son mari est Grand-Écuyer! Je ne sais pourquoi, le Roi Léopold n'est pas du baptême; c'est étrange.»

Nice, 2 février 1842.—C'est aujourd'hui un jour qui autrefois se fêtait toujours dans notre intérieur: M. de Talleyrand était né le 2 février 1754, il y a quatre-vingt-huit ans, et il y en a bientôt quatre qu'il est mort. Pour qui avance dans la vie, elle se remplit d'anniversaires douloureux, qui la marquent amèrement...

Hier, j'ai été, avec la Grande-Duchesse et une assez nombreuse société, en France, c'est-à-dire de l'autre côté du Var, au château de Villeneuve, qui appartient à M. de Panis, gentilhomme riche et considérable de Provence, que j'ai connu, autrefois, chez une de ses cousines. Il passe ses hivers dans ce château auprès du Var; il l'a restauré, et sans le badigeonnage jaune dont il a coloré les anciens murs et les grosses tours, il serait remarquable de construction, comme il l'est de vue et de situation.

Nice, 7 février 1842.—Une migraine m'a fait manquer, hier, un des grands amusements de l'Italie, le jour du Dimanche gras, c'est la bataille des confetti: tout le monde était sur le cours, se jetant des dragées; les personnes que j'ai vues le soir ne pouvaient plus remuer leurs bras, tant elles avaient lancé de bonbons. Cela se passe aux joies et aux cris de tous les gamins, qui hurlent d'une telle sorte que je les entendais de mon lit. Un petit navire de guerre français est en rade ici. L'équipage a débarqué 159 et s'est promené sur le Cours, les matelots, en habits de fête, dansant une danse qui leur est particulière. On dit que cela a été fort joli. Mon gendre a invité les officiers de ce brick à venir ce soir au spectacle qu'il donne chez lui.

Il y a ici un singulier usage pendant le Carnaval: le matin, toutes les rues sont pleines de masques et l'entrain va jusqu'à la folie, mais à la chute du jour, les masques tombent, et tous ceux qui appartiennent à des Confréries se revêtent de leurs habits de pénitents; hommes et femmes, cierges en mains, ils suivent les processions qui, au même instant, sortent de chaque église au son des cloches; le curé, sous le dais, portant le Saint-Sacrement, clôt la marche. Partout où passent ces processions, qui ont un aspect fort singulier, car il y a des pénitents gris, blancs, noirs et rouges, tout ce qui se trouve de monde dans les rues se jette à genoux; les pénitents chantent et agitent leurs cierges; cela a quelque chose de plutôt sinistre que d'édifiant. Les processions finies, les bals masqués commencent. Ces processions sont destinées à expier ou à contre-balancer les folies du Carnaval!

Nice, 8 février 1842 (Mardi gras).—Ma matinée d'hier s'est passée à fabriquer les costumes de Pauline. La Grande-Duchesse lui avait prêté des diamants qui, avec ceux qu'elle a et les miens, ont produit le plus bel effet. Elle était fort en beauté, et s'est très bien tirée du rôle difficile de la duchesse de Chevreuse dans Un duel sous Richelieu, qui est un mélodrame à grands effets; un duo-bouffe, chanté par deux Italiens, a séparé le drame de la 160 petite pièce, les Héritiers, dans laquelle mon gendre, jouant le rôle d'Alain, a été supérieur. Toute la troupe a bien joué; la salle était très jolie, et tous les accessoires très bien. Les acteurs sont venus souper chez moi, où la Grande-Duchesse m'a fait l'heureuse surprise d'arriver. Elle a voulu qu'on bût à ma santé, ce spectacle ayant été donné pour ma fête, qui était le 6 février, mais qu'on avait dû remettre à cause du dimanche. Tout n'a fini qu'à deux heures du matin: c'était un peu fatigant, mais on y a mis une telle obligeance pour moi, que je n'ai pu qu'en être fort reconnaissante et en conserver un agréable souvenir.

Nice, 9 février 1842 (Mercredi des Cendres).—Hier, j'ai pu prendre part à tout ce qui a marqué ici les folichonneries carnavalesques. D'abord, un déjeuner dansant chez une grande dame russe, dont la maison est au milieu d'un des plus beaux jardins de Nice; de là, on s'est rendu au Corso où la bataille des confetti avait déjà commencé. J'étais avec la Grande-Duchesse, la Princesse Marie et Fanny; après avoir fait un tour en calèche, nous avons été nous placer sur une terrasse réservée, d'où nous avons grêlé, sur les passants, des dragées; on nous en jetait, de bas en haut, et les plus élégants, au lieu de dragées, jetaient de petits bouquets de violettes et de roses. Pour jeter les dragées, on a des espèces de cuillères, avec lesquelles on lance très loin; les femmes tiennent, devant leurs yeux, des masques en fil de fer, car ces dragées, lancées avec force, ne laissent pas de faire très mal, 161 quand elles atteignent la peau. Ce qui vraiment est singulier, mais réel, c'est l'espèce de rage qui gagne les plus calmes: on finit par en perdre la tête. Pauline était la plus animée de tout le Corso. On me racontait que feu l'Empereur d'Autriche François II, qui, assurément, n'était rien moins que vif et animé, se trouvant à Rome lors du Carnaval, était devenu comme enragé à cette bataille. Le beau monde est le plus acharné: le peuple ne songe guère qu'à ramasser les dragées. La musique militaire jouait au bout du Cours; le temps était superbe, aussi est-on resté jusqu'à la nuit close à l'air, sans avoir froid. A huit heures et demie, bal chez d'autres étrangers, incomparablement le plus joli, le mieux arrangé et le plus gai de tous ceux qui ont été donnés ici.

La Grande-Duchesse m'a conté une nouvelle qui lui fait de la peine. C'est le mariage de la Princesse Alexandrine de Bade avec le Prince héréditaire de Cobourg. Il lui est amer de voir tous les partis possibles échapper pour sa fille tandis que, vraiment, la Princesse Marie est beaucoup plus agréable, plus distinguée et plus riche que sa cousine. La Grande-Duchesse s'inquiète du sort de sa fille après elle, surtout depuis la mort de la Reine douairière de Bavière. Elle a aussi des inquiétudes pour les Wasa, qui sont horriblement dérangés dans leur fortune.

Nice, 10 février 1842.—Le temps était incomparable hier, le mois de mai n'est pas plus beau à Paris: aussi, après l'office des Cendres et le déjeuner, avons-nous voulu en profiter. Les Castellane, dans leur petite voiture traînée 162 par deux poneys corses, Fanny, le comte Schulenbourg, mon beau-frère, venu de Milan, me faire une petite visite, et moi, à ânes, avons été à Villefranche, petit port de mer situé pittoresquement. On y arrive par un chemin assez difficile, mais où les points de vue sont admirables. Un vaisseau de guerre sarde sortait du port, et nous l'avons vu, du haut du fort qui sert en même temps de prison d'État, appareiller et faire la manœuvre nécessaire pour prendre le vent, afin de sortir de la rade, et gagner la pleine mer. Ces mouvements, lents et précis, d'un beau bâtiment, glissant sur une mer de lapis et de diamants, dont les voiles blanches sont éclairées par un soleil du midi, forment un des plus beaux spectacles qui se puissent rêver, et un de ceux qui saisissent le plus la pensée aussi bien que les yeux!

Nice, 17 février 1842.—J'ai reçu hier cette lettre du pauvre Salvandy: «Depuis mon retour, j'ai été saisi d'un sentiment uniforme et profond de découragement, de dégoût et d'ennui. La goutte s'y est mêlée, plutôt comme un secours que comme un surcroît, car elle m'a dispensé de sortir, de voir du monde. Ce n'est que depuis quelques jours que je suis entré en communication avec les salons. Il me faudrait des volumes pour vous dire toutes les choses qui, à mon retour, m'ont émerveillé et attristé. Ainsi, j'ai reçu une approbation entière sur tous les points, sauf sur les longs délais que j'avais mis à quitter Madrid, tandis que, dans le monde, j'étais accusé d'avoir agi trop précipitamment. J'ai trouvé, dans la société assez restreinte 163 où je devais me croire des amis, une malveillance qui m'a blessé. J'ai trouvé que ce temps de mes délais, que j'avais accordé à préparer la politique qu'on voudrait adopter (si on pouvait en adopter une), avait été employé à préparer l'opinion contre moi. Les belles dames savaient une foule de mots de mes dépêches, la plupart controuvés, bien entendu, ou étrangement dénaturés, et c'étaient précisément celles des belles dames de Paris, dont je croyais pouvoir attendre le plus de défense, parce que ce sont elles qui ont, avec le chef et les hauts employés du département, le plus de relations. Cependant, comme il m'a fallu envoyer toutes mes notes aux grandes Cours, il m'en revient une approbation flatteuse; Sainte-Aulaire m'écrit que ce sont des monuments de droit public qui resteront; Bresson me fait dire les mêmes choses de la part de la Cour de Prusse.

«La position ministérielle, ici, me paraît très précaire. Vous verrez le chiffre de notre majorité d'hier: huit voix seulement, sur la question des incompatibilités; je ne suis pas éloigné de croire qu'elle sera plus forte sur les adjonctions électorales, mais MM. de Lamartine, Passy, Dupin, Dufaure, parleront contre le Ministère; en supposant que, malgré cet effort, on l'emporte, il restera un ébranlement auquel je ne crois pas qu'on résiste. Qu'arrivera-t-il alors? Un Cabinet sans Thiers ou Guizot est bien difficile à former, plus difficile à soutenir, et si l'un n'était plus possible, l'autre ne le serait pas encore. Je suis fort en dehors de ce mouvement. Le jour de mon arrivée, pris de la goutte, je me hâtai de me présenter chez le Roi, le Prince Royal, la Reine Christine, et chez M. Guizot, convaincu 164 que je ne le pourrais plus le lendemain; en effet, j'ai été cloué sur mon fauteuil pendant plusieurs jours.»

Mme de Lieven m'écrit aujourd'hui ceci: «Le succès du Roi de Prusse à Londres a été complet. Il a plu à la Cour, à la ville, aux saints, aux littérateurs, au peuple; même ce qui, à distance, nous a paru un peu trop sentimental, a réussi là-bas. Je veux dire tous ces actes de dévotion avec Mrs Frey [53], etc... On dit qu'il s'est occupé sérieusement de quelque union des Églises anglicanes et luthériennes, et que sous ce rapport, il résultera quelque chose de son voyage en Angleterre. Je doute que cela plaise à ses sujets; ceux qui sont à Paris frondent beaucoup.

«La fête que le duc de Sutherland a donnée au Roi a été une féerie. On dit qu'il en a été extrêmement frappé. On croit avoir remarqué en lui quelques signes d'ennui de la vie de Cour. Les soirées de la Reine ne l'ont pas diverti, ni sa conversation, c'est qu'aussi... Ah! mon Dieu!... et ce beau mari jouant aux échecs, précisément comme un automate!

«Sainte-Aulaire continue de plaire aux Anglais, et sa femme vient de partir pour aller le rejoindre. Barante attend le retour de Pahlen; il y a des personnes qui doutent de ce retour: nous verrons.

«Le Carnaval a été superbe; le bal du duc d'Orléans 165 plus magnifique qu'aucun bal de l'Empire ou de la Restauration. Maintenant, on s'enfonce dans les questions intérieures; le Ministère combat toutes les réformes et les réformistes sont assez forts.

«Lehon ne reviendra plus ambassadeur ici. Les Cowley ouvrent leur maison la semaine prochaine.»

Il est vrai que le voyage du Roi de Prusse à Londres a souverainement déplu à Berlin. On a trouvé que c'était trop de déplacement, trop d'argent, trop de courtoisie pour un si grand souverain à l'égard d'une Reine si peu parente. L'amour-propre et l'avarice nationaux en ont souffert. Les cadeaux que le Roi a emportés ont été magnifiques, et ce voyage de quinze jours, où en Angleterre il a été l'hôte de la Reine, lui aura coûté un million d'écus, ce qui pour la pauvre Prusse est énorme. De plus la combinaison religieuse dont parle Mme de Lieven est précisément ce dont on ne veut pas en Prusse. Le feu Roi, qu'on honorait tant, a failli troubler son pays, en se mêlant trop de liturgie et de dogme: il en est resté des germes d'humeur dans le pays, incommodes pour le gouvernement; si on va encore remanier tout cela, on agitera les esprits, ce qui pis est, les consciences, et on jettera un mauvais ferment de plus dans un pays dont la corde religieuse est très sensible.

Nice, 21 février 1842.—J'ai été hier au couvent de Saint-Barthélemy. Il est ici d'usage d'aller chaque dimanche de Carême entendre Vêpres, tantôt dans un des couvents, tantôt dans l'autre, dont Nice est entouré. Toute la population 166 s'y transporte, mange et boit devant les églises; on y vend des jouets et des fleurs. La musique, la danse sont défendues pendant le Carême, ce qui fait que les plaisirs populaires sont réduits à la mangeaille. Les grandes masses de monde, les calèches, les ânes et les chevaux de selle des étrangers qui s'y mêlent, rendent le coup d'œil animé et joli.

Nice, 23 février 1842.—On vient de m'apprendre la mort de ce pauvre Pozzo di Borgo. Pour lui-même, comme pour les siens, il valait mieux que cette triste vie végétative se terminât. Il laisse 400 000 francs de rente, la moitié à son neveu Charles, mari de Mlle de Crillon, avec son hôtel de Paris et sa villa de Saint-Cloud; le reste à des parents en Corse.

Nice, 25 février 1842.—Nous avons eu, hier, de ma fenêtre, un spectacle plein d'angoisse. Il faisait une tempête terrible, qui même n'est pas encore calmée aujourd'hui; de pauvres navires ont lutté tout ce temps contre la fureur des flots, et nous sommes restées longtemps à guetter leur sort; heureusement aucun n'a péri.

Je suis sortie, malgré cet horrible temps, pour aller porter mon offrande à une quête qui se faisait pour les sœurs de Saint-Vincent de Paul, à l'hospice même qu'elles dirigent. J'y ai vu Mlle de Maistre, la fille aînée du Gouverneur, âgée de vingt et un ans, qui y fait son noviciat de sœur de la Charité. Elle a une vocation prononcée et paraît heureuse; on la dit spirituelle et très instruite; c'est 167 le cas de toute sa famille; sa figure est très agréable, intelligente et sereine.

M. Pasquier, à ce que l'on m'écrit, reçoit les compliments sur sa nomination à l'Académie française. C'est M. Molé qui recevra M. de Tocqueville, et M. de Barante recevra M. Ballanche. J'ignore qui recevra M. Pasquier. M. de Tocqueville succède à M. de Cessac, ancien Directeur au Ministère de la Guerre sous l'Empire; ce n'est pas un éloge saillant à faire; il est même difficile d'en tirer parti, pour qui que ce soit, mais surtout pour M. de Tocqueville, qui n'est, ni par son âge, ni par les habitudes de son esprit, de ce temps-là. Il a parlé de son embarras à M. Thiers, qui lui a dit qu'il pourrait peut-être lui être utile et lui fournira quelques données intéressantes, possédant des lettres de l'Empereur à M. de Cessac, qu'il allait lui envoyer. En effet M. de Tocqueville reçoit le lendemain, sous enveloppe, une lettre de Napoléon à M. de Cessac, mais dont la première ligne contient ceci: Mon cher Cessac, vous êtes une bête. C'est M. de Tocqueville lui-même qui écrit cette drôlerie à son cousin, le marquis d'Espeuil qui est ici. M. d'Espeuil a épousé Mlle de Chateaubriand, proche parente de M. de Tocqueville.

Nice, 27 février 1842.—J'ai une lettre de M. de Barante, qui paraît moins sûr du retour du comte Pahlen à Paris. La vraisemblance est un retard indéfini, jusqu'à ce que quelque incident le termine, d'une façon ou d'une autre. En attendant, Périer est à Saint-Pétersbourg dans une situation officielle convenable, mais la société 168 continue à le tenir au ban de proscription; elle veut se montrer offensée dans ses sentiments de respect et de patriotisme.

Barante me dit de meilleures paroles sur la situation intérieure. Les quarante et une voix de majorité paraissent avoir une grande importance, les opposants, de toutes nuances, ayant mis tout leur espoir sur cette discussion. Le Ministère lui-même n'espérait guère un chiffre si élevé. Le discours de M. Dufaure et celui de M. de Lamartine ont été accueillis par les Centres avec une sévérité sans égards; toute parole qui semblait conforme aux doctrines de la gauche excitait des murmures. Enfin, il y a une certaine réaction en faveur de l'ordre et de la conservation; il s'agit de voir si elle aura quelque influence sur les élections; la France se trouverait alors en meilleur état que depuis dix ans. Voilà, du moins, les expressions de Barante qui, à la vérité, est assez optimiste.

Il me dit aussi que M. de Chateaubriand, qu'il rencontra à l'Abbaye-au-Bois, chez Mme Récamier, est devenu grognon, taciturne, mécontent de tout et de tous. La tâche de Mme Récamier est difficile, car il s'agit de calmer l'irritation d'un orgueil malade et de suppléer aux émotions du succès, qui ont été la seule affaire et la seule affection de la vie de M. de Chateaubriand. Je n'ai jamais éprouvé la moindre sympathie pour cette nature sèche et vaniteuse.

Nice, 3 mars 1842.—C'est ce soir que nous fêtons la Mi-Carême par un spectacle, dont je serais charmée d'être 169 débarrassée, non pas que j'en augure mal, mais parce que je trouve que ce genre de plaisir, pour ne pas faire fiasco, exige des soins et des peines, au delà de ce qu'il vaut. D'ailleurs, les Castellane m'ont remis le soin de faire les invitations et j'ai les doigts usés à force d'écrire des adresses. De plus, c'est moi qui, à la lettre, fabrique les quatre costumes de Pauline et ceux de Charles de Talleyrand; puis ils ont voulu que je leur fasse étudier leur rôle. C'est moi qui recevrai toute la compagnie; j'ai à jouer une mauvaise petite scène de rien, à la vérité, dans la seconde pièce, mais encore faut-il la savoir et la dire; et enfin c'est moi qui donne le souper des acteurs. C'est vraiment un peu rude! En fait, n'ai-je pas passé ma vie à être tyrannisée par l'un ou par l'autre? Me soumettre est encore, ce me semble, ce que j'ai le moins oublié de ma vie passée; et j'ai quelquefois obéi plus de travers que maintenant.

Nice, 4 mars 1842.—Je suis un peu engourdie ce matin. Le spectacle d'hier a été long et suivi d'un souper d'acteurs qui a encore prolongé la veillée. Il m'a semblé qu'on s'était amusé. Le plus joli du spectacle a été le prologue, composé par mon gendre; c'était une critique assez bien faite du précédent spectacle, où un très gentil garçon a singé les différents acteurs et où il a proposé, pour remplacer la prima donna, censée indisposée subitement, une jeune débutante. Alors, deux enfants vêtus en petits laquais du siècle dernier, ont apporté une petite chaise à porteurs, dorée et surmontée d'une couronne de bougies allumées, et dans cette chaise à porteurs, ma petite fille 170 Marie, en costume complet du temps de Louis XV, perruque poudrée, grande robe, force diamants. Vous n'avez rien vu de si joli, de si digne, de si posé, de si gracieux. Elle est entrée et sortie de sa chaise, et a fait le tour de la scène, tout à fait en grande dame. Ce prologue a été charmant et a eu un succès fou. Pour moi, comme une sotte, je me suis mise à pleurer d'attendrissement, en voyant les grâces de cette chère enfant. Le mélodrame a été fort bien joué; le Malade imaginaire pas assez su, ni battu assez chaud: d'ailleurs, le tout a rendu le spectacle démesurément long. Les costumes du mélodrame étaient magnifiques et dans le Malade imaginaire, exactement ceux du temps de Molière. Enfin, les trois couplets de la fin, pour Madame la Grande-Duchesse, étaient charmants et du meilleur goût.

Nice, 14 mars 1842.—Le prince Wasa est arrivé hier de Florence, où il a laissé sa femme, pour faire une visite de quelques jours à sa belle-mère, la Grande-Duchesse Stéphanie, qui, je crois, s'en serait bien passée. Elle l'a promené tout aussitôt dès son arrivée, et nous les avons rencontrés sur la goélette française, commandée par M. de Clérambault que nous avions été visiter, les Castellane, Fanny, Charles de Talleyrand et moi, ainsi que le yacht de lord Ranelagh, qui sont tous deux à l'ancre dans le port de Nice. M. de Clérambault a été le camarade de mon fils, M. de Dino, lorsque celui-ci servait dans la marine; j'ai été bien touchée de voir dans sa cabine, autour du portrait de sa mère, un chapelet et un petit crucifix que le Pape lui 171 a donnés, sous la condition qu'il les suspendrait dans sa cabine, ce qu'il observe religieusement. Ce jeune officier s'est fort distingué à la prise de Saint-Juan d'Ulloa [54]; il y a été décoré à vingt-huit ans. Quelle folie de mon fils de n'avoir pas suivi la même marche!

Nice, 15 mars 1842.—La matinée d'hier a été tout entière consacrée à la belle nature. La Grande-Duchesse avait arrangé un pique-nique de vingt personnes, dont nous étions. Nous avons été en voiture, chacun de notre côté, jusqu'à un cabaret, situé au haut d'une montagne, qui s'élève entre la baie de Nice et celle de Villefranche; puis, en coupant, par une autre montagne, on a été à Beaulieu, où on a déjeuné sous de grands oliviers; après quoi, on est monté à ânes, et le long d'une corniche assez étroite, qui côtoie la baie de Saint-Soupir, on s'est rendu à Saint-Hospice, où se trouvait le yacht de lord Ranelagh. Le temps était si beau et la mer si calme, la distance si courte, que même moi je me suis risquée; cependant, non seulement le vent n'était pas contraire, mais il y en avait si peu que nous n'avancions guère, et que nous avons mis une heure et demie pour rentrer à Nice, ce que l'on fait, le plus souvent, en une demi-heure.

172 Nice, 18 mars 1842.—Mme de Lieven mande qu'on est fort content à Londres et à Paris de la conduite de Sainte-Aulaire à Londres, mais qu'il n'en est pas moins vrai qu'il y a, et qu'il restera de l'aigreur entre les deux Cabinets. Le Roi de Prusse ira à Pétersbourg à la fin de Juin.

M. Bresson m'écrit qu'il faut renoncer à voir le comte Maltzan reprendre le portefeuille des Affaires étrangères. On ignore encore si le Roi se décidera pour le remplacer en faveur de Kanitz ou de Bülow. Ce seraient deux directions différentes: Kanitz est piétiste et légitimiste, Bülow n'est ni l'un ni l'autre.

Nice, 21 mars 1842.—Depuis quelques jours, je me sentais de grands malaises; avant-hier, la fièvre s'est déclarée si vive que j'ai été obligée de me mettre au lit, et j'ai été, bientôt après, couverte d'une éruption sur tout le corps. C'est l'épidémie régnante ici depuis quinze jours; on l'appelle, en italien, la rosalia; cela tient le milieu entre la scarlatine et la rougeole, et n'est aussi maligne, ni que l'une, ni que l'autre; ce qui n'empêche que cela ne rende fort malade.

Nice, 24 mars 1842.—On est ici très bien pour moi, et tout le monde me témoigne, en vérité, plus d'intérêt que je ne mérite, à l'occasion de ma maladie. La Grande-Duchesse, dès que sa fille a été atteinte du même mal que moi et qu'elle n'a plus craint de lui porter la contagion, est venue me voir, et la comtesse Adèle de Maistre, sœur 173 du Gouverneur, une espèce de sainte fort spirituelle et aimable qui m'a prise en amitié, me soigne comme si elle était ma sœur; j'en suis bien touchée. Le bon Prieur des Récollets de Cimier, ayant su par le Frère quêteur, qui m'apporte des fleurs en échange de ce que je mets dans sa besace, que j'étais malade, est venu me voir. Je l'ai reçu avec plaisir. Le médecin assure que ma convalescence est franche, et que dans peu de jours il me laissera prendre l'air. Dans ces climats, les maladies éruptives n'ont pas la gravité qu'elles ont dans d'autres régions.

Nice, 27 mars 1842.—Toute la société est ici au moment de se disperser. Il reste cependant, même l'été, quelques familles étrangères à Nice; le climat et le bon marché y fixent assez de monde, si ce n'est définitivement, du moins pour quelques années consécutives.

Ce matin, j'ai été réveillée en sursaut par des coups de canon qui annoncent la Résurrection de Notre-Seigneur, ce qui, joint aux crécelles des gamins et aux tambours de la garnison, fait un sabbat effroyable; car c'est aujourd'hui Pâques. Hier, toutes les maisons, et chaque chambre de chaque maison, ont été bénites par un des prêtres des paroisses qui, suivi d'un enfant de chœur, asperge ainsi toutes les demeures.

Une lettre d'Allemagne qui m'arrive à l'instant m'apporte une nouvelle très importante dans mes intérêts. C'est que, mon neveu ayant définitivement refusé d'entrer dans les arrangements proposés par sa mère, ma sœur m'a vendu toute la partie allodiale de Sagan, ou ce qu'elle 174 réclamait comme telle. Ceci va produire un grand mouvement dans mes affaires, et m'obligera absolument à un voyage en Prusse l'année prochaine.

Nice, 29 mars 1842.—J'ai été hier me promener en voiture et mettre des cartes chez toutes les personnes qui, pendant ma maladie, m'ont témoigné de l'intérêt. Je me suis très bien trouvée d'avoir pris l'air.

M. de Barante me mande que M. de Rémusat fait des lectures d'une œuvre appelée Abélard [55]; il dit que c'est une singulière production, sous forme dramatique. Cette lecture tient trois séances, chacune de trois heures; c'est long.

Nice, 30 mars 1842.—Je compte partir bientôt d'ici, et j'écrirai plus librement, une fois que je serai sur terre française, car dans les États sardes, avec surabondance de cabinets noirs, avant qu'une lettre arrive ou qu'elle parte, elle a déjà été ouverte plusieurs fois: les traces en sont visibles. Cette prévision a bien souvent paralysé ma plume.

Nice, 1er avril 1842.—J'ai été, hier soir, à un grand bal qu'a donné le duc de Devonshire, pour clore la saison de Nice; c'était magnifique, comme tout ce qu'il fait; l'éclairage de la salle était surtout très nouveau et joli: 175 point de lustres, mais trois grands arceaux formés de branches de palmiers et couronnés d'un rang de bougies; chacun des arceaux posé sur des pilastres de chaque côté de la salle: c'était on ne saurait plus élégant, nouveau et de bon goût. J'ai fait là mes adieux à toute la société réunie. Je quitte Nice assez satisfaite du séjour que j'y ai fait; il y a bien eu quelques inconvénients, mais le bon l'a emporté sur le mauvais; et le souvenir général restera agréable.

Aix-en-Provence, 3 avril 1842.—J'ai quitté Nice hier, fort triste de me séparer du trio Castellane; ils me regrettent aussi. Le temps était superbe, la mer gros bleu, la floraison abondante, la route jusqu'à Cannes admirable, la montagne de l'Esterel encore assez rude. J'ai été sans m'arrêter jusqu'ici, espérant y trouver l'abbé Dupanloup et causer avec lui. Je ne l'ai manqué que d'une heure. Il a été forcé de continuer sans arrêt à cause des exigences rigoureuses de la malle-poste; il m'a laissé un petit billet de regret. Je vais partir pour Nîmes, en prenant par Arles, route que je ne connais pas. Quant à Nîmes, j'y ai été, lors de mon premier voyage dans le Midi, en 1817; il y a terriblement longtemps.

Nîmes, 5 avril 1842.—Je suis arrivée ici hier au soir. Il pleuvait lorsque nous avons passé à Arles, ce qui ne nous a pas permis d'en visiter les curiosités. Ce qui m'a frappée, c'est cette route nouvelle, magnifique, pleine de travaux d'art, traversant le plus affreux pays du monde, 176 et conduisant d'Aix ici; elle traverse d'abord une contrée qui s'appelle la Crau; c'est d'une aridité affreuse: des cailloux, puis des cailloux et toujours des cailloux. On a fait des saignées à la Durance, pour couper cette terre maudite d'une infinité de petits canaux; il faut espérer que cela finira par y appeler un peu de végétation. D'Arles ici, c'est un peu moins laid, quoique la Camargue ne soit pas belle, et qu'excepté des bœufs sauvages, je n'y ai rien vu de curieux. Quant aux Arlésiennes, qui ont une si grande réputation pour leur beauté et leurs jolis costumes, j'ai joué de malheur, car je n'ai vu que de très vilains visages et des vêtements sans grâce et fort malpropres.

Mes compagnons de voyage, Fanny, sa gouvernante, et Charles de Talleyrand, viennent de partir pour aller voir le pont du Gard, que j'ai vu jadis. A leur retour, nous visiterons les curiosités de la ville et nous irons ensuite à Montpellier.

Montpellier, 6 avril 1842.—Nous avons visité hier les antiquités de Nîmes, que j'ai été bien aise de revoir. Elles sont fort bien conservées, et je me suis rappelé qu'elles m'ont, il y a quelques années, fait comprendre le charme des proportions. Malheureusement, nous avons un très vilain temps: c'est bien du guignon, de trouver la pluie dans une contrée dont la calamité habituelle est la sécheresse.

Toulouse, 8 avril 1842.—Nous avons quitté Montpellier avant-hier, à la fin de la matinée. J'y ai donné à 177 déjeuner au Recteur de l'Académie [56] et à sa fille aînée, qui est ma filleule, car sa mère, enlevée par le choléra, avait été élevée avec moi et je suis toujours restée en relations avec cette respectable famille. Puis, nous avons été voir le musée Fabre, qui est assez médiocre [57], et celui, mieux choisi et plus élégamment arrangé, du marquis de Montcalm. Enfin, sous des parapluies, nous avons fait le tour de la fameuse promenade du Peyrou. Quand le temps le permet, ce qui n'était pas le cas hier, on découvre d'un point la mer, les Pyrénées, les Cévennes et les Alpes. Il a fallu renoncer à rien voir, si ce n'est le château d'eau, les aqueducs et la statue équestre de Louis XIV.

Bordeaux, 10 avril 1842.—Nous sommes venus de Toulouse ici sans nous arrêter; le temps était moins laid, mais un vent aigre a succédé à la pluie, et je m'en gare en restant au coin du feu, pendant que les autres explorent la ville. J'ai beaucoup, et à diverses reprises, visité le Midi de la France, ce qui fait que j'en prends à mon aise des obligations du voyageur. Aujourd'hui, nous repartons, et après-demain, s'il plaît à Dieu, nous coucherons à Rochecotte. Il me tarde bien d'être en repos dans mon cher home.

178 Les lettres de Berlin disent que c'est vraiment Bülow qui succède à Maltzan. C'est le principe opposé à Kanitz qui triomphe dans Bülow. Maltzan est dans une maison de santé à Charlottenburg.

Mme de Lieven a été malade de la grippe. M. Guizot ne bougeait pas de son chevet. Tous deux sont mélomanes à l'excès. M. Guizot ne parle que musique et prétend ne pas dormir les nuits qui suivent ses jours de loge aux Italiens. On se moque fort de tout cela.

Il y aura, cet été, un camp qui voyagera d'Alsace en Champagne. On attaquera des villes telles que Châlons, Vitry, etc. C'est le duc d'Orléans qui sera à la tête.

Rochecotte, 13 avril 1842.—Me voici donc rentrée chez moi!

A Bordeaux, pendant que nous déjeunions, ma porte s'est ouverte, et j'ai eu la visite de l'abbé Genoude. Je l'ai, à la vérité, très souvent rencontré dans ma vie, mais je ne l'avais jamais vu chez moi; il était dans la même auberge, venait de prêcher; bref, il m'a fait cette politesse inattendue. Il a beaucoup d'esprit, même de l'agrément; il a voulu être des plus gracieux et des plus insinuants. J'ai été très polie, parce que ce n'est pas quelqu'un qu'il faille heurter, mais je n'ai point été au delà. En sortant, il a pris à part Charles de Talleyrand, dont il voyait autrefois souvent la mère, et lui a dit que son journal était absolument à mes ordres [58], chaque fois que je voudrais y faire insérer 179 quelque chose. Tout cela est bien étrange, et bien parfaitement de l'époque.

Rochecotte, 16 avril 1842.—J'ai eu une lettre de Toulon des Castellane; ils y attendaient que la mer leur permît de traverser jusqu'en Corse; cependant, si elle restait mauvaise encore deux jours, ils comptaient aller droit, par terre, à Perpignan. J'espère que c'est ce dernier projet qui aura été suivi.

Rochecotte, 17 avril 1842.—Les Castellane se sont décidés pour la Corse [59].

Voici ce que m'écrit Sainte-Aulaire, de Londres: «Je n'ai pas mangé ici mon pain blanc le premier. Le traité non ratifié, les controverses de tribune pour Alger et, plus que tout, l'anglophobie que notre presse entretient et proclame, tout cela m'a fait une position politique peu agréable. Au fond de toutes les aigreurs, il y a cependant volonté et nécessité réciproques de ne pas se brouiller; c'est ce fonds que je travaille à exploiter, et qui finira par être mis en valeur. La société est bonne et aimable pour nous. La Cour plutôt froide, mais polie.»

M. de Salvandy m'écrit de Paris: «La politique est 180 froide et morose. M. Guizot règne sur la corde. Les questions de droit de visite l'agitent et ébranlent bien des choses avec lui. Le Roi est fort occupé de l'Espagne, du mariage; la mission de M. Pageot porte ses fruits; les vetos que j'ai conseillés et obtenus ont rendu impossibles les résolutions qui auraient été une honte et un péril. Nul autre qu'un Bourbon ne régnera sur l'Espagne. En attendant, M. Molé fait de la littérature. Jeudi, il recevra M. de Tocqueville à l'Académie française; si la journée lui est bonne, ce sera un événement, car il gagne du terrain, il se fortifie par l'absence et l'effacement; des trois rivaux, Thiers perd par l'action et par le repos; M. Guizot est près de perdre par l'action ce qu'il gagne par la parole; M. Molé s'affermit dans l'inaction et le silence, après avoir beaucoup grandi dans la lutte.»

Rochecotte, 21 avril 1842.—Il doit y avoir aujourd'hui un spectacle aux Tuileries. On y jouera Polyeucte et Richard Cœur-de-Lion.

La Reine doit aller ce matin dans une tribune, à l'Académie, pour la réception de M. de Tocqueville par M. Molé. Ces solennités deviennent très à la mode.

On s'anime fort, à Paris, contre l'Angleterre; l'opinion se prononce avec irritation contre le droit de visite, et on assure que les électeurs demanderont dans la profession de foi des députés l'engagement de ne pas céder sur ce point. Mme de Lieven qui, en général, est optimiste, est, dit-on, triste, et répète assez que les affaires se gâtent beaucoup. Il n'est question, à Londres, 181 que d'un bal costumé pour le 12 de mai. Les dames sont, à cet égard, dans une grande agitation; elles demandent à Paris des gravures et des modèles.

Pauline m'écrit d'Ajaccio qu'elle est très satisfaite de son entreprise, ayant déjà oublié trente-six heures de mal de mer et allant avec son mari en Sardaigne. Tout cela m'ébouriffe singulièrement; mais enfin, cela prouve de la force, et cela la retient loin de la froide Auvergne. Et puis, elle s'amuse, elle est heureuse, que souhaiter de mieux?

Rochecotte, 22 avril 1842.—Barante m'écrit, la veille de la séance académique dont j'ai parlé: «La séance sera belle. Les discours sont tous deux très remarquables: ce sera une joute grave et courtoise sur la Révolution, l'Empire et la Démocratie. M. Royer-Collard est ravi d'avance, le public très affriandé, l'Académie toute contente de se trouver ainsi à la mode. Je crains, en recevant M. Ballanche dans huit jours, de ne pas rencontrer aussi bien, car je me suis trouvé conduit par les ouvrages de mon récipiendaire à faire un discours philosophique, un peu trop sérieux pour l'occasion et l'auditoire.

«La politique s'est transformée en une démence de chemins de fer, dont les députés se débrouilleront je ne sais comment.»

Rochecotte, 24 avril 1842.—Les lettres et les journaux de Paris sont pleins des discours de M. Molé et de M. de Tocqueville. Ils s'accordent à dire que le premier a eu 182 beaucoup de succès, que le second a été prodigieusement ennuyeux; ce que j'en ai lu moi-même dans le Journal des Débats me laisse la même impression.

Les gazettes disent la mort des maréchaux Moncey et Clausel.

Rochecotte, 25 avril 1842.—Il paraît, d'après ce que j'en entends dire, que rien n'est comparable aux façons de s'amuser des jeunes femmes actuelles; celles qu'on appelle les lionnes surtout imaginent des divertissements dignes de la Régence. A ce sujet, je me souviens de cette réponse de M. de Talleyrand à une jeune femme qui répliquait, assez impertinemment, que dans sa jeunesse à lui, on ne faisait pas mieux: «Cela se peut,» lui dit M. de Talleyrand, «mais si l'on ne faisait pas mieux, on faisait autrement.»

Mme Mollien me rend compte du spectacle aux Tuileries. Elle dit que la salle, une fois rangée, offrait un beau coup d'œil, mais que, pour en arriver là, il y avait eu chaos. On avait décidé, par autorité suprême, que tout le monde se rendrait dans les salons et suivrait la famille Royale, ce qui fait que, derrière le dos de la dernière Princesse, toutes les femmes se précipitaient les unes sur les autres, sans égard ni distinction aucune, et que la foule se grossissant à mesure qu'on avançait, la mêlée a dégénéré en bataille; Mme de Toreno y a perdu sa mantille; rien dans ce genre n'a encore été plus complet. La représentation a été froide: quoique le Roi donnât l'exemple des applaudissements, il n'était pas 183 imité; on sentait qu'il y avait très peu d'harmonie entre l'auditoire et le sujet représenté. M. Thiers dormait de tout son cœur.

Tout le monde raffole à Paris d'un portrait qu'Ingres vient de faire de Mgr le duc d'Orléans et qu'on dit admirable.

Rochecotte, 27 avril 1842.—Le château de Coblentz est en construction pour devenir un château royal; huit cents ouvriers sont employés à le rendre habitable pour l'automne prochain, le Roi de Prusse comptant y passer septembre et octobre.

Voici textuellement le jugement de M. Royer-Collard sur la séance de l'Académie: «M. Molé a eu les honneurs. Il a effacé M. de Tocqueville, injustement, à mon avis. J'avais lu les discours, je prenais un vif intérêt à celui de Tocqueville, quoique je pusse bien prévoir qu'il n'obtiendrait pas les sympathies de l'auditoire. L'élévation des pensées, des traits admirables, de beaux sentiments ne rachetaient pas l'équité des jugements. J'ai appris là, mieux que je ne savais, à quel point l'Empereur et l'Empire règnent dans les esprits. M. Molé le savait mieux que moi, et il s'en est heureusement prévalu. A beaucoup d'esprit, et un art infini de dissimulation, il a joint une coquetterie de débit qui ne sera pas surpassée. L'Empire fardé, la Démocratie traversée et dénigrée, sont des vengeances tirées du discours supérieur de M. de Tocqueville.» M. Royer-Collard a annoncé qu'il ne se représenterait plus aux élections. Il est probable qu'un de 184 ses neveux le remplacera à la Chambre prochaine.

Voici encore un extrait de Mme de Lieven; comme toujours je n'y change pas un mot: «On a peu de chance de revoir Pahlen à Paris. On dit qu'il serait possible que Gourieff y fût envoyé; il a beaucoup d'esprit, une immense fortune, une femme encore belle, assez galante; tout cela ferait assez bien à Paris. Vous serez fâchée du malheur arrivé ce matin à M. Humann. Il vient d'être frappé d'apoplexie et reste dans un état qui ne laisse aucun espoir. Vous le voyiez souvent à Bade, moi un peu; il nous plaisait à toutes les deux. Il avait de l'importance dans les affaires et son successeur à trouver va devenir un embarras. La reine Victoria ne pense qu'à son bal costumé. Elle-même sera en reine Philippa; elle exige que toute sa Cour prenne les costumes du temps. Lord Jersey est obligé d'y passer, ce dont il est consterné. Sa fille mariée est arrivée à Vienne [60]. Le prince Paul Esterhazy veut aller à Londres pour empêcher lady Jersey de suivre sa fille; on dit même qu'il veut conserver son poste, mais Metternich prétend que l'Ambassadeur ne réside pas à Vienne. Paul Medem est un grand favori des Metternich. Arnim part d'ici, en congé, c'est Bernstorff qui fera l'intérim. Je m'étonne que Bülow envoie cela ici. J'ai idée que Bülow sera un ministre très faiseur et fort content de l'être. Le mariage de la Reine Isabelle occupe tous les Cabinets, celui de Vienne compris, mais par quoi cela finira-t-il?»

185 La perte de M. Humann me fait de la peine. Il s'était montré bienveillant, obligeant; il avait un esprit très fin et distingué. Il n'y a pas huit jours qu'il a parlé de moi en termes excellents à la duchesse d'Albuféra. La bienveillance est toujours regrettable. Le Journal des Débats nous dit aussi la mort de Bertin de Veaux; j'y suis très sensible, quoiqu'il ne fût plus de ce monde déjà depuis quelque temps: il avait un esprit remarquable et un fort bon cœur, qu'il avait conservé très affectueux pour moi et pour la mémoire de M. de Talleyrand. Pendant vingt ans, il avait été dans notre intimité, nos habitudes journalières, notre confiance. Et puis des vides!... toujours des vides!... Quelle solitude progressive!

Rochecotte, 28 avril 1842.—Le Cabinet a bien fait de se compléter sur-le-champ [61] et de forcer M. Lacave-Laplagne à accepter, sur le refus de M. Passy. Mais la perte reste réelle et les embarras du Ministère vont augmenter par cette mort.

Le journal d'hier rapporte un mot assez drôle du maréchal Soult qui, en apprenant les morts successives de la semaine dernière, a dit: «Ah cela! il paraît que le rappel bat là-haut!»

Rochecotte, 2 mai 1842.—J'ai des nouvelles des Castellane, de Bonifacio, au moment où ils allaient passer en Sardaigne: le singulier voyage réussissait, Dieu merci, très 186 bien. Ils doivent maintenant être en route, de Toulon à Perpignan. Je serai charmée quand je les saurai revenus sur le Continent, ne fût-ce que pour avoir plus souvent et plus régulièrement de leurs nouvelles.

Les heureuses couches de Mme la duchesse de Nemours, et la naissance d'un comte d'Eu, sont des joies bien naturelles pour la Famille Royale.

Rochecotte, 5 mai 1842.—J'ai des nouvelles de Pauline, de Toulon, sans détails; elle débarquait; mais enfin je la sais sur la terre ferme et j'en suis bien soulagée.

Mgr le duc d'Orléans a voulu entendre l'Abélard de M. de Rémusat et a été, pour cela, passer trois soirées chez Mme de Rémusat, où il n'y avait qu'une douzaine de personnes de l'opposition, telles que M. et Mme Thiers.

Rochecotte, 6 mai 1842.—Les Castellane sont enfin à Perpignan, ravis de leur course en Corse et en Sardaigne. Pauline a chevauché, un stylet à la ceinture; elle a couché chez les bandits, soupé à côté d'Orso della Robbia, le héros de Colomba [62]; elle s'est abritée sous le rocher du Coup double, et a accepté, en signe d'admiration, un poignard rouillé par le sang de la vendetta. Ce qui est mieux que tout, c'est qu'elle a eu la force de tout supporter, qu'elle est parfaitement heureuse et amusée, que son 187 mari est charmé d'avoir accompli une entreprise originale, et que leur petite Marie est brillante de santé et de gentillesse.

Le parti carliste se scinde de plus en plus. Le duc de Noailles est à la tête de la portion modérée qui augmente fort; Berryer reste à la tête de l'autre, qui n'est plus guère qu'un groupe, mais un groupe dérivant de plus en plus vers la gauche.

Rochecotte, 10 mai 1842.—J'ai eu de bonnes nouvelles des Castellane. Ils me manquent bien; l'aimable humeur de Pauline, les ressources infinies de la conversation d'Henri, les grâces de Marie, me sont d'un secours extrême; je me repose en confiance avec eux, sans jamais m'ennuyer; je me détends dans leur atmosphère; ils me sont devenus tout à fait nécessaires, je les place dans tous mes projets et prévisions d'avenir, et je n'imagine plus ma vieillesse séparée d'eux. Je me flatte qu'ils me comptent aussi pour quelque chose dans leur vie. Hier, j'ai reçu d'Henri une lettre charmante, toute pleine de confiance et de paroles tendres, sur ce que j'étais pour eux, et pour lui en particulier. Quand une fois on s'est fait à ses originalités, on s'attache à lui par ses meilleurs côtés; il est plein de droiture, de loyauté, de sincérité; il a de la dignité d'âme et une parfaite noblesse de cœur. Louis, mon fils, est aussi bien doux à vivre, et a une parfaite sûreté de commerce. Alexandre a des qualités, mais sa position aigrit son caractère et rend son humeur très inégale. Il me fait parfois grand'pitié, car ses finances 188 ne lui permettent pas de prendre le grand parti dont il serait tenté. Il aime ses enfants, et je lui en sais gré. J'aime aussi sa petite-fille, qui est jolie, douce, et qui me touche par les prévisions assez tristes de son avenir. D'ailleurs, moi qui me passais à merveille des petits enfants, je suis toute métamorphosée à cet égard, au point que j'éprouve un vrai manque, quand je n'ai plus l'une ou l'autre de ces petites créatures auprès de moi. Je m'en occupe et m'en amuse beaucoup; j'ai des attendrissements profonds pour ces petits êtres si débiles, et auxquels la Providence peut avoir réservé tant et de si étranges destinées. C'est singulier comme l'âge modifie toutes les dispositions: grand bienfait de la Providence, qui, par là, évite bien des épines.

Rochecotte, 11 mai 1842.—Les journaux nous ont appris hier l'affreux malheur arrivé sur le chemin de fer de la rive gauche de Versailles à Paris: les détails en sont hideux; le Galignany les donne au complet, sans cependant pouvoir préciser le nombre exact, ni les noms des victimes; les cadavres, surtout ceux des brûlés, ne laissant aucun signe humain d'après lequel on puisse distinguer un corps d'un autre. Depuis l'établissement des chemins de fer, c'est le malheur le plus considérable, le plus compliqué et le plus affreux qui les ait marqués. Il me semble que les amendes devraient être énormes, afin qu'on fût plus soigneux, car les accidents n'arrivent que par manque de précautions et d'attention suffisante.

189 Rochecotte, 15 mai 1842 (jour de la Pentecôte).—M. de Barante est arrivé hier, à la fin de la matinée, toujours aimable, bon et affectueux. Les personnes qu'il a trouvées ici gênent un peu la conversation: il ne m'a appris aucune nouvelle proprement dite; son propre avenir reste toujours fort incertain; si la santé de M. de La Tour-Maubourg reste aussi déplorable qu'elle l'est, il lui faudra quitter les affaires, et alors Barante aurait Rome. La question de Pétersbourg pourra rester très longtemps encore où elle en est.

Il n'est question, à Paris, que de la prodigieuse magnificence de la maison Hope, et des fêtes qu'on y donne. Les salons de Versailles, du Versailles de Louis XIV, pas moins que cela [63]!

Rochecotte, 16 mai 1842.—En allant, hier, en voiture, à la messe de la paroisse, le cocher a voulu obstinément, malgré mes observations, prendre une fausse route du bois; il nous y a versés; lui-même a la jambe droite brisée; Mme de Sainte-Aldegonde et moi étions dans le fond de la calèche, Mme de Dino et M. de Barante sur le devant, Jacques sur le siège de derrière; il s'en est élancé 190 à temps et n'a rien eu; Barante et ma belle-fille rien non plus; moi, j'étais du côté où la voiture a versé, et Mme de Sainte-Aldegonde est tombée sur moi; je me suis ainsi trouvée serrée entre ma voisine et la capote de la voiture. Nous avons été secourus par les gens qui allaient à la messe: Mme de Sainte-Aldegonde s'est donné un effort dans les muscles du cou, en voulant se raidir et se retenir; mais enfin, il n'y a de vraiment à plaindre que le cocher. Toute la journée s'est passée dans l'émotion de cet événement, et dans les différents petits soins qu'il a exigés.

Rochecotte, 17 mai 1842.—Je suis encore ébranlée de ma chute d'avant-hier, et endolorie par les contusions qui en ont été la suite: il me faudra plusieurs jours avant que les traces de cet accident soient entièrement effacées. Le cocher va aussi bien que le permet son état.

J'ai été, hier, presque toute la matinée assise à l'air, par un temps charmant. Du reste, aucune nouvelle, ni grande, ni petite, ni rien de ce qui pourrait donner le moindre intérêt à la journée. Barante, par sa charmante conversation si pleine et si douce, jette pour moi un grand agrément sur le peu de jours qu'il passe ici: il y a longtemps qu'une aussi bonne aubaine n'avait été mon partage; j'en jouis infiniment, et avec d'autant plus de satisfaction que la sincérité est aussi complète que le plaisir est réel. Il a tant de droiture, de sûreté, de bienveillance, que rien en lui n'est à redouter; son âme est fort pieuse, et son esprit n'en est ni éteint, ni comprimé.

191 Rochecotte, 30 mai 1842.—Nous avons été, hier, à la paroisse, pour la Fête-Dieu. Nous avons suivi la procession, par un soleil ardent, jusqu'au reposoir où on avait porté la petite Clémentine de Dino. M. le Curé lui a mis le Saint-Sacrement sur la tête. On dit que cela porte bonheur aux enfants. La petite, qui est fort jolie et fort douce, s'est comportée à ravir; dans les bras de sa nourrice, jolie femme agenouillée, au milieu de toute la population, de l'encens, des fleurs et de cette belle nature, le spectacle était ravissant; pour moi, il m'a fait pleurer, et j'ai demandé à Dieu, du fond de mon cœur de grand'mère, que ce gentil petit être devînt une bonne et honnête chrétienne.

Rochecotte, 1er juin 1842.—Mgr le duc d'Orléans va faire une grande tournée militaire, préliminaire des manœuvres et des camps. On dit qu'il doit avoir une entrevue avec le Roi des Pays-Bas à Luxembourg. Le duc Bernard de Saxe-Weimar arrive à Paris, et le duc Gustave de Mecklembourg, autre oncle de Madame la Duchesse d'Orléans, y est déjà. L'Empereur du Brésil épouse la dernière sœur du Roi de Naples.

Le Ministère a éprouvé quelques échecs dans la discussion du budget: on commence à répandre qu'il pourrait bien avoir le dessous dans les élections.

Lord Cowley a été inviter les Princes à assister au bal qu'il donnait le 24, pour le jour de naissance de la Reine Victoria: ils l'ont refusé. D'après cela, l'Angleterre n'est pas à la mode; aussi suis-je étonnée que le Prince de 192 Joinville et le duc d'Aumale choisissent ce moment pour y aller voyager.

Le Charivari contient deux articles qu'on dit remarquablement méchants contre Mme de Lieven et M. Guizot; l'un est intitulé: les Deux Pigeons; l'autre: Course en tilbury au clair de la lune.

La Reine Christine a ostensiblement loué la Malmaison pour y passer l'été; mais il paraît qu'elle l'a achetée à l'aide d'un prête-nom.

Le prince de Polignac est à Paris, pour le mariage de son fils avec Mlle de Crillon: il se promène dans les rues sans exciter la moindre curiosité. Les légitimistes, qui lui en veulent beaucoup, ne le voient pas.

On me mande, de Nice, que la Grande-Duchesse Stéphanie, au moment où sa fille était guérie de la rosalia, ayant négligé, avec son imprudence accoutumée, les indices précurseurs, et étant allée se promener sur mer, malgré l'avis des médecins, est rentrée fort malade d'une course tardive: elle était, le 25, très gravement atteinte, et le médecin de Nice avait fait chercher à Marseille d'autres médecins en consultation. Cela m'attriste, car j'ai un fond de reconnaissant attachement pour la Grande-Duchesse.

J'ai de bonnes nouvelles de Pauline. Mon gendre avait été, sans elle, faire une visite à Madame Adélaïde, à Randan; il y a été très bien reçu, mais une chute de cheval l'a fait revenir tout éclopé chez lui [64].

193 Rochecotte, 4 juin 1842.—Nos jeunes Princes, qui devaient aller en Angleterre, ont remis leur départ pour une époque indéterminée: les circonstances du moment n'auraient pas donné d'à-propos à ce voyage.

Rochecotte, 7 juin 1842.—J'ai reçu une lettre de Pauline, qui est bien triste. Son mari lui est revenu malade de Randan, soit des suites de la chute de cheval, soit d'un rhumatisme inflammatoire; n'importe la cause, l'effet a été sérieux: fièvre, délire, attaques de nerfs, douleurs atroces, évanouissements, tout cela au milieu des montagnes, obligé d'être rapporté sur un brancard, sa femme à cheval à ses côtés! Cela compose une existence bien agreste, bien périlleuse. Point de médecin à proximité. Je suis troublée de cette façon de vivre, qui ne va guère à la délicate organisation de Pauline. L'amour et le devoir embellissent tout à ses yeux, mais au moment de l'épreuve, elle sent bien qu'elle est fort seule, au milieu d'une contrée toute sauvage. Son mari était mieux au moment du départ de sa lettre. Je suis bien impatiente de recevoir des nouvelles plus fraîches.

Rochecotte, 11 juin 1842.—On m'écrit, de Paris, que Barante ne retournera décidément pas à Saint-Pétersbourg, parce qu'on n'y enverra plus d'Ambassadeur; on se bornera à un simple Ministre: on ne me dit pas sur qui tombera le choix. Il y aura, aussitôt après les élections, 194 une petite session des Chambres, de quinze jours, qui aura lieu au mois d'août.

Rochecotte, 14 juin 1842.—Les journaux parlent du succès prodigieux du cours de M. Dupanloup sur l'éloquence sacrée, à la Sorbonne. Nous allons aussi y voir la brusque clôture de ce cours. Cela occupe beaucoup à Paris. M. Royer-Collard me mande qu'il trouve que l'abbé Dupanloup a eu tort de citer Voltaire (on pense bien de quelle façon!) dans son cours. Il me rappelle que, sous la Restauration, le clergé, par ses attaques contre Voltaire, l'a fait réimprimer dix-huit fois; à présent, on ne le lit presque plus, il faudrait donc n'en plus parler. C'est l'Abbé lui-même qui a écrit au Doyen de la Faculté que, pour éviter de nouveaux désordres, il suspendait son cours. Le Doyen a communiqué la lettre au Ministre de l'Instruction publique, celui-ci a pris l'Abbé au mot, sans proposer aucune mesure préventive pour éviter le scandale qui, comme toujours, provenait d'une très petite, mais très bruyante et turbulente minorité.

Mme de Lieven me mande, sans détails, la mort de Matusiewicz. Cette pauvre Conférence de Londres s'éclipse rapidement; M. de Talleyrand, le prince de Lieven, Matusiewicz... La Princesse me dit aussi que la misère est extrême en Angleterre: l'Association douanière d'Allemagne a porté un rude coup au commerce anglais. Sir Robert Peel est excessivement puissant et paraît devoir le rester: tout disparaît à côté de lui. La Reine Victoria, dans la dernière circonstance, s'est conduite avec courage 195 et convenance. Son assassin échappera, car la balle ne s'est pas retrouvée [65].

M. Guizot est, comme toujours, enchanté de la session qui vient de finir, et des espérances des élections prochaines. Barante s'amuse fort à Londres d'où il écrit de très jolies lettres: il a été très bien reçu à Windsor. Il me dit qu'il n'a pas trouvé lady Holland fort changée, depuis les quinze années qu'il ne l'avait vue. Elle a toujours, à ce qu'il paraît, sa contenance droite et impérieuse. Au nom et au souvenir de son mari, ses yeux se remplissent de larmes, qui ne vont pas au reste de sa physionomie: elle est environnée de si peu de bienveillance, que cette douleur est presque un sujet de plaisanterie pour la société. Lady Clanricarde est intarissable contre la Russie. Lord Stuart en est revenu apoplectique, et même, dit-on, un peu atteint dans son intelligence: on pense qu'il ne retournera pas à Saint-Pétersbourg.

Voici ce que me dit Barante sur la disposition générale de l'Angleterre envers la France: «Politiquement parlant, je crois qu'il y a un désir sincère de bien vivre avec nous; par conséquent, regret et inquiétude des manifestations de nos Chambres et de nos journaux; on sait bien que c'est de la mauvaise humeur, et non point une volonté de guerre; mais comment prévoir ce qui peut advenir si ce mouvement d'opinions continue et s'augmente?»

196 Rochecotte, 16 juin 1842.—M. et Mme de La Rochejaquelein, mes voisins d'Ussé [66], sont venus passer, hier, une partie de la journée ici: elle, a été bien jolie et bien aimable, et il lui reste de l'un et de l'autre; son mari est une espèce de chasseur sauvage de la Vendée qui n'a pour lui que la plus belle blessure du monde: elle lui traverse tout le visage sans le défigurer.

Rochecotte, 17 juin 1842.—En rentrant d'avoir rendu à Mme de La Rochejaquelein sa visite, j'ai trouvé une lettre de Pauline; après l'avoir lue, je me suis tout de suite décidée à me mettre en route pour aller assister cette pauvre enfant. Comme c'est une route pénible, difficile et presque dangereuse dans les montagnes, et que je serai probablement obligée de faire la dernière journée à cheval, qu'ensuite la présence d'un homme pourra être utile à Pauline, je me suis décidée à accepter l'offre de ce bon Vestier, qui connaît le pays et est dévoué aux Castellane, qui l'aiment; il m'accompagnera donc; il s'établira sur le siège, à côté de Jacques; sa présence me sera une grande sécurité. Je vais aller sans m'arrêter. Je laisse 197 ici tout mon monde, et ma maison marchera comme si j'y étais. Voilà encore une rude épreuve. Dieu est grand! Baissons la tête, adorons, et disons que le bonheur n'est pas ici-bas.

Aubijou, 22 juin 1842.—Je suis partie le 18 au matin de Rochecotte. Ma voiture sans paquets, quatre chevaux en plaine, six dans les montagnes, un courrier en avant, aucun arrêt, et je suis arrivée ici en quarante-huit heures, ce qui est merveilleusement bien cheminer. J'ai trouvé mon gendre dans un changement affligeant: l'état de la cuisse, première cause de la maladie, est amélioré et ne donne plus d'inquiétude, mais la secousse nerveuse qui s'est produite ne laisse pas que de m'alarmer. Il y a du mieux, mais ce n'est pas encore de la convalescence; je ne retournerai chez moi que quand je la verrai établie; dès qu'il sera transportable, il ira aux eaux de Néris. Pauline n'est pas malade, mais elle commence à se fatiguer, d'autant plus qu'elle est dans une agitation et une inquiétude extrêmes; elle est bien dévouée. La présence de Vestier, qui m'a été très secourable dans ces contrées fort sauvages, fait un grand plaisir à mon gendre. Je bénis le Ciel qu'il ait eu la charitable pensée de venir avec moi, car il est, de beaucoup, la personne dont le malade s'arrange le mieux.

Les chemins, pour aborder ici, sont affreux. Le pays, depuis trois lieues, cesse d'être pittoresque, pour devenir nu, âpre, sauvage; le climat est désagréable, et l'établissement provisoire dans lequel nous sommes tous campés 198 pêle-mêle, abominable, surtout pour un malade: c'est une maison en bois; on y est dévoré de puces et de souris; rien ne ferme, les courants d'air y règnent librement, et le bruit est odieux. On est à six lieues d'une pharmacie, on manque de tout; c'est inimaginable! Je suis désolée qu'on bâtisse dans un pareil pays. Il y a tout à créer, même le terrain plat sur lequel on pourra bâtir la maison. Elle ne sera finie que dans des années; les Castellane espèrent pouvoir en habiter le quart, l'année prochaine!

Aubijou, 23 juin 1842.—Mon gendre est beaucoup plus calme. Il fait un temps hideux: hier, il a tonné et plu à verse pendant toute la journée. C'est un chien de pays, je n'en rabats rien, et je suis tout à fait désespérée de voir qu'on y bâtisse. On peut bien y vivre pour rien, quand on veut exister comme les naturels du pays, mais dès qu'on veut y introduire la moindre civilisation, cela devient très cher, et je crains qu'en définitive, sous le rapport de la santé et de la bourse, mon gendre n'ait à se repentir de s'y être enraciné. Il est impossible d'être plus raisonnable, plus douce, plus résignée, plus dévouée, plus méritante à tous égards que ne l'est Pauline, dans toute cette maladie, et dans les mille et une peines, tribulations, contrariétés qu'elle entraîne, elle se conduit avec autant de cœur que de bon sens; aussi est-elle l'objet de l'estime générale. Tous leurs domestiques les servent avec un véritable dévouement. On est à moitié enveloppé dans les nuages ici. Les habitants sont très sauvages: ils cuisent 199 du pain au mois de septembre pour six mois. Au mois d'octobre, ils s'enferment avec leurs bestiaux et ne communiquent plus entre eux: ils restent, ainsi, ensevelis dans des neiges qui ne sont pas toujours fondues au mois de mai. Il y a des parties très pittoresques en Auvergne, mais ce n'est pas de ce côté-ci; les montagnes sont trop rondes, leurs cimes trop plates et trop nues; aucune belle masse d'eau; bref, c'est monotone à l'excès. Les ruines du vieux château d'Aubijou sont le seul accident qui donne un peu de caractère au paysage: on les couvre de plantes grimpantes, et on fait bien; puis, mon gendre fait énormément planter, pour garnir et meubler le pourtour de la maison et la vue des fenêtres, mais il faudra bien du temps avant que tout cela pousse; en attendant, c'est bien triste, et je crois ce climat très éprouvant.

Aubijou, 24 juin 1842.—Mon gendre, qui repoussait toute idée de déplacement, vient, après une nuit très agitée, de déclarer tout à coup qu'il ne voulait plus rester ici; nous avons bien vite saisi ce désir au vol: les chevaux sont commandés, nous faisons nos paquets, mais on ne peut partir que demain. Henri partira couché, et ira à très petites journées. Les médecins déclarent que ce qu'il y aurait de pire, pour lui, serait de rester ici; j'en suis intimement convaincue: c'est le lieu le plus fatal pour être malade. Il se reposera quelques jours à Clermont, après quoi, il ira aux eaux de Néris qui lui sont ordonnées et que je crois les premières du monde pour les rhumatismes nerveux. J'irai un peu avec eux voir comment il supportera 200 la route, après quoi, je prendrai les devants; je ferai le détour de Néris pour leur trouver un bon logement, puis je continuerai vers Rochecotte, où je serai fort aise de me retrouver, car je suis horriblement fatiguée; je sens que si je vivais plus longtemps ici, j'y tomberais malade. Ma pauvre fille n'y tient plus. Au moins, soit à Clermont, soit à Néris, elle sera en pays civilisé, près des secours, et tirée du terrible isolement dans lequel elle se trouve ici.

Pour complaire à mon gendre, j'ai fait une promenade assez longue et curieuse, hier, dans le vallon dominé par ses nouvelles constructions. J'y ai trouvé de belles eaux et des arbres superbes, mais c'est encore inabordable, il faut se frayer des passages, la hache à la main.

Longueplaine, près Tours, 29 juin 1842. Chez M. de la Besnardière.—Nous sommes partis d'Aubijou le 25 au matin: ce n'était pas chose aisée; on a couché mon gendre sur un matelas, qu'on a établi dans leur grande voiture de voyage qui, heureusement, est fort commode; puis, il a fallu sortir des montagnes. Outre la voiture des Castellane, qui les contenait avec le médecin, la femme de chambre, l'enfant et deux laquais sur le siège, il y avait la mienne, où j'étais avec une femme de chambre, M. Vestier, et Jacques sur le siège, puis un petit tilbury traîné par des chevaux corses, dans lequel se trouvaient le cuisinier et un jockey auvergnat; à cheval, l'homme d'affaires, un garde et un nègre que mon gendre a ramené du Midi, qui se nomme Zéphir, et qui sonnait du cor: le tout était fort 201 singulier, et ressemblait à une scène du Roman comique. Ce qui n'était cependant rien moins que gai, c'était la route, avec ses rochers, ses précipices et ses dangers: en allant fort doucement, en soutenant les voitures, on s'en est tiré sans malheur. J'avoue, à ma honte, que j'ai assez cédé à la terreur pour avoir quitté ma grande voiture et avoir pris la place du cuisinier dans le tilbury, qui, plus léger et plus étroit, passait plus aisément. La nuit nous a surpris avant la fin des précipices, et je ne puis assez dire à quel point ma poltronnerie a alors honteusement éclaté: le fait est que j'ai pleuré. Les Castellane ont couché à Massiac; je les y ai laissés assez satisfaits de l'effet du grand air sur les nerfs d'Henri. J'ai passé outre; je suis arrivée le 26 au matin à Clermont: j'y ai vu le médecin qui, déjà, avait été appelé auprès d'Henri; je lui ai raconté la suite de sa maladie, et après lui avoir annoncé son arrivée pour le soir même, j'ai été à quelques lieues de cette ville visiter Randan. C'était une de mes grandes curiosités, puis, je savais faire, par là, quelque chose d'agréable à Madame Adélaïde. J'avoue que j'y ai trouvé une forte déception. Il n'y a que trois choses qui y justifient leur réputation: la vue, qui est admirable; les arbres, qui sont vieux et beaux, enfin les cuisines et les offices, qui sont beaux, trop beaux même, et tout à fait hors de proportion avec le reste de l'établissement, qui manque de grandeur; une avenue très mesquine de peupliers, traversant un vilain village, conduit à une palissade en bois peint, qu'il faut ouvrir pour entrer dans une sorte de quinconce, au bout duquel on tourne encore pour pénétrer dans la cour 202 du château, qui est étroite. L'entrée manque de noblesse, absolument, et il aurait été aisé, cependant, en perçant dans les bois une grande avenue, d'aboutir droit au château. Celui-ci est moitié en briques, avec des toits pointus, moitié avec des ajoutes en pierre de taille blanche plaquées sur l'ancienne construction, et d'un tout autre style, ce qui est choquant. Les appartements sont bas; les ornements en sont à la fois lourds et mesquins; le mobilier sans ensemble, sans style; ce n'est ni simple, ni magnifique, c'est une rapsodie de mauvais goût; le vestibule et l'antichambre sont extrêmement étriqués et de travers. Il n'y a aucun objet d'art; les sculptures sont en plâtre, et les peintures, qui consistent, pour la plupart, en quelques portraits de famille, sont de mauvaises copies. Dans le salon, qu'on appelle salon de famille parce que toute la génération actuelle s'y trouve réunie, j'ai remarqué, avec plaisir, le portrait de Mme de Genlis. L'appartement de Madame Adélaïde est très exigu et fort laid, à mon avis. Les corridors du premier étage sont étroits, sombres, et de travers. La bibliothèque est dans le salon principal, où on a aussi placé un billard. Je ne crois pas qu'il y ait, là, plus d'un millier de volumes. Une grande terrasse, qui couvre les cuisines, conduit du château à la chapelle: cette terrasse, très ornée de fleurs, offre une fort belle vue, mais une treille en fil de fer, qui en couvre la moitié, est si étroite et si basse, que c'est trop joujou. La chapelle est grande, mais sans style, et les décorations intérieures sans grâce; des vitraux modernes fort médiocres, un confessionnal peint et bariolé comme un écran, des bénitiers 203 en carton doré, tout cela, je le répète, manque de grandeur, de grâce et de goût. La salle à manger est ce qu'il y a de plus soigné: elle est voûtée, peinte à fresques, extrêmement bariolée, sans hauteur suffisante; il y a des personnes qui la vantent beaucoup; elle n'est pas de mon goût.

Je suis revenue à Clermont, au moment où les Castellane y arrivaient de leur côté. Mon gendre avait bien supporté la route. Le médecin nous dit qu'il serait en état, au bout de vingt-quatre heures, de partir pour Néris. Je les ai quittés le 27, satisfaite de l'assurance positive que m'a donnée le médecin qu'il n'y avait aucun danger, quoique la convalescence dût être longue et pénible. J'ai été à Néris préparer leur établissement, ce qui était nécessaire, car il y avait déjà bien du monde, et on avait beaucoup de peine à se caser. Ils y trouveront tous les Mortemart, M. Teste et bien d'autres. Le médecin de Néris, que je connais d'ancienne date, est un excellent homme, très soigneux, et que j'ai bien prévenu de ce qu'il trouvera. Je ne suis restée à Néris que le temps de dîner, d'y choisir l'appartement des Castellane, et, après avoir passé la nuit en voiture, je suis arrivée hier au soir ici, chez M. de la Besnardière, ce qui n'a été, pour moi, qu'un détour de deux lieues et m'a permis d'acquitter une ancienne dette: il m'en voulait beaucoup de ne l'avoir pas payée plus tôt. La maison est jolie, commode, propre, presque élégante, et pleine de petits conforts qu'on est étonné de trouver chez lui. C'est Rochecotte qui lui a donné l'envie de tirer celle-ci de sa vétusté: il y a employé Vestier, qui a très bien 204 réussi. Je déjeunerai ici, puis j'irai faire une visite à la Préfecture de Tours, et je serai chez moi pour dîner. J'ai grand besoin de repos.

Rochecotte, 30 juin 1842.—Je me suis arrêtée, hier, une heure à Tours chez les d'Entraigues: on y était dans le coup de feu électoral. J'ai trouvé, ici, tout le monde en bonne santé, excepté le général Alava, qui y est revenu en mon absence, et qui est tellement changé, dans ce peu de semaines, que je crois sa fin prochaine.

Rochecotte, 3 juillet 1842.—Le journal nous dit la mort de M. de Sismondi; malgré sa pédanterie, il est regrettable; c'était un homme de bien, fort érudit.

La jeunesse, ici, est occupée à étudier des motets qu'on doit chanter, aujourd'hui, dans ma chapelle, à l'occasion d'un salut solennel que M. le Curé viendra nous y donner, ce soir à cinq heures. On vient d'établir, dans cette paroisse, ce qui existait depuis longtemps dans les provinces voisines, une association de jeunes filles qui s'intituleront Filles de la Vierge: elles sont du monde et ne renoncent nullement au mariage; seulement, elles s'engagent à éviter les mauvaises compagnies, à vivre honnêtement, à réciter le petit Office de la Vierge, à fréquenter les sacrements et à donner le bon exemple; à l'église et aux processions, elles sont vêtues de blanc, avec des ceintures bleues. On m'a priée de leur donner une bannière et les ceintures bleues, ce que j'ai fait. Elles seront installées aujourd'hui, au nombre de quinze; ma chapelle étant 205 sous l'invocation de la Sainte Vierge, et pour me remercier de mes dons, elles veulent venir en procession, bannière déployée, y faire station. A cette occasion, Messieurs les Grands Vicaires ont permis qu'il y fût dit un salut en musique. Cela fait une grande solennité dans la paroisse. Heureusement, le temps est fort beau. Pauline aurait été charmée d'y assister, et je regrette doublement son absence.

Rochecotte, 4 juillet 1842.—La cérémonie d'hier a été très édifiante, élégante et pittoresque. Fanny, Alexandre et leur maître de musique ont extrêmement bien chanté, les jeunes filles étaient en blanc et bleu, la chapelle ornée de fleurs; il y avait au moins cinq cents personnes sur la terrasse à recevoir la bénédiction, donnée de l'autel, qui fait face à la porte de la chapelle ouvrant sur cette terrasse.

Rochecotte, 7 juillet 1842.—J'ai une lettre de la princesse de Lieven. Elle me dit que l'évêque d'Orléans [67] est nommé archevêque de Tours, et elle ajoute, de la part de M. Guizot, que je serai contente de ce Prélat. Une lettre de Pauline me dit que son mari se rétablit rapidement.

Rochecotte, 10 juillet 1842.—M. de la Besnardière est venu, hier, passer quelques heures ici, entre la formation 206 des bureaux et le vote du collège électoral de Tours; jamais ce département, habituellement si pacifique, n'a été plus en fermentation.

Rochecotte, 11 juillet 1842.—La grande nouvelle du pays, c'est que M. Crémieux, un avocat juif, a été élu. Il l'a emporté de trente-cinq voix. M. Crémieux est un étranger à cette contrée, il n'y a aucune racine; c'est vraiment inexplicable, si ce n'est par la faculté parlante de M. Crémieux, qui, en véritable avocat, a parlé, et parlé tant d'heures de suite qu'il en a rempli les gens de la campagne d'admiration. Si à Loches cela se passe de même, notre département tout entier sera à la gauche; le Ministère, qui ne voudra pas convenir qu'il n'a rien fait de ce que le Préfet lui avait demandé dans ces circonstances, s'en prendra à M. d'Entraigues, et peut-être le perdrons-nous, ce qui me ferait beaucoup de peine. Puis, si ces élections, qu'on regardait comme la consolidation de la réaction conservatrice, allaient tourner autrement qu'on ne s'y attendait, il serait permis d'avoir de fort sinistres prévisions.

Rochecotte, 12 juillet 1842.—J'ai eu la visite du docteur Orye et celle de M. de Quinemont. Tous deux m'ont raconté les dégoûtantes scènes électorales de Chinon, où M. Crémieux était épaulé par la lie de la population, à laquelle se sont malheureusement joints les légitimistes de la rive gauche de la Loire, où ils sont en grand nombre. Ce qui a aussi agi sur les électeurs paysans, c'est d'avoir 207 entendu M. Crémieux parler trois heures de suite sans se moucher, sans cracher et sans tousser, ce qui leur a paru superbe. Il me tarde bien de savoir quel est le résultat général de ce renouvellement, qui peut avoir de si grands et sérieux résultats.

Rochecotte, 14 juillet 1842.—Alava est revenu ici hier, tout plein des récits électoraux de Tours; il s'y est passé bien des vilenies. Il paraît, cependant, d'après les journaux, que sur la totalité des élections le Ministère aurait gagné quelque peu de voix; c'est beaucoup qu'il n'en ait pas perdu. Je suis, je l'avoue, bien désireuse de connaître le chiffre comparatif du total.

Rochecotte, 15 juillet 1842.—M. de Chalais venait d'arriver hier ici, et j'y attendais le Préfet, quand, au lieu de celui-ci, j'ai vu arriver de sa part un courrier, qu'il m'a envoyé pour m'annoncer la terrible nouvelle dont je reste atterrée: Mgr le duc d'Orléans mort! mort d'une chute de voiture! Je ne sais point d'autres détails, si ce n'est que c'est à Neuilly qu'il a expiré, avant-hier 13 juillet, à quatre heures et demie de l'après-midi, ayant fait cette chute le même jour à midi à Sablonville. Je ne puis penser qu'à ce douloureux événement, et comme malheur privé, et comme calamité publique. Que sera une longue Régence dans un pays volcanisé comme l'est la France? J'ai, personnellement, à regretter l'amitié dont ce jeune Prince m'avait donné d'honorables et flatteurs témoignages. C'est une perte pour mon fils Valençay. Je ne sais, en 208 vérité, si sa femme et sa mère survivront à ce terrible coup!...

Rochecotte, 16 juillet 1842.—M. de Chalais est reparti hier, à la fin de la matinée; je l'ai reconduit jusqu'à Langeais. En revenant, j'ai trouvé la maison remplie de voisins, qui venaient chez moi savoir des nouvelles détaillées de cette mort fatale, qui me paraît à chaque instant plus triste et plus grave dans toutes ses conséquences. Les détails que contient le Journal des Débats sont les seuls complets et officiels. En outre, on me mande que des passants ont vu le Prince se lever droit dans sa voiture, regarder devant lui, probablement pour voir si les chevaux emportés rencontreraient quelque embarras sur la route; elle était libre de tout encombrement; ces mêmes passants ont vu le Prince se rasseoir tranquillement, puis se pencher hors de la voiture et regarder derrière lui, comme pour parler au domestique qui était sur le siège de derrière: celui-ci avait déjà sauté à bas de son siège qui était vide. Probablement que le Prince a cru que le domestique était tombé, et que, dans un courageux et bienveillant désir de lui être utile, il se sera élancé alors pour lui porter secours, car ce n'est qu'après avoir vu que le domestique n'était plus à sa place qu'il a pris son élan.

Paris, 18 juillet 1842.—Personne ne m'écrit de Paris, où j'ai peu de correspondants en ce moment, et où, d'ailleurs, tout le monde est dans la stupeur et dans la 209 consternation; mais les journaux sont intéressants, et j'y cherche, avec une douloureuse avidité, tout ce qui a rapport à notre pauvre Prince et à sa malheureuse famille.

Je vois, avec peine, dans ces gazettes, que chacune, selon sa couleur, donne un chiffre différent, dans le classement des nouveaux députés élus. Les Débats annoncent une majorité de soixante-treize voix pour le Ministère; les autres la réduisent à trois voix; quelques-uns vont même jusqu'à dire que le Ministère est en minorité.

Je vois aussi que déjà on se met à discuter dans la presse les différentes formes de la Régence, sans savoir quelle est la loi que le gouvernement prépare à ce sujet. Quand la première stupeur aura cessé, on verra de bien tristes résultats se produire.

Rochecotte, 19 juillet 1842.—J'ai reçu, hier, une déchirante lettre de Madame Adélaïde. En vérité, elle est bien bonne de m'avoir écrit dès ces premiers jours; je lui avais écrit, mais sans compter sur une réponse. M. de Boismilon, le secrétaire de Mgr le duc d'Orléans, m'a écrit aussi de nombreux détails. On en est encore à ne pas penser, à ne pas parler d'autre chose que de la mort de ce malheureux jeune Prince.

M. d'Entraigues est arrivé aujourd'hui ici; il me quittera demain, car, dans le moment actuel, chacun désire être à son poste. Il est bien sombre sur toutes choses. Déjà, les radicaux de Tours ont donné un banquet, où ils n'ont pas craint de se réjouir de la mort de Mgr le duc d'Orléans.

210 Rochecotte, 21 juillet 1842.—Tout le monde s'accorde pour prédire la chute prochaine du Ministère, et le nom de M. Molé est dans toutes les bouches.

Le Conseil voulait que Mgr le duc d'Orléans fût enterré à Saint-Denis, la Reine a insisté pour Dreux. Je trouve qu'elle a eu tort.

Rochecotte, 22 juillet 1842.—Je ne puis détourner ma pensée de ce triste palais de Neuilly. La Reine est sublime. Jour et nuit à genoux dans la chapelle, penchée sur ce cercueil! Le Roi se partage entre les affaires et les sanglots. Mme la Duchesse d'Orléans trouve de la force dans son méthodisme intrépide. Le testament du pauvre Prince est, dit-on, admirable. La question de la Régence y est traitée fort au long; la solution est en faveur de Mgr le Duc de Nemours. Il n'avait cependant pas une très haute opinion de ce frère; ainsi, c'est une pure préférence accordée au sexe masculin et au droit d'aînesse. Il faut pourtant rendre justice au Duc de Nemours. Quand Chomel, le médecin, l'a rencontré, et lui a raconté les détails d'un événement dont il ne savait que le terrible sommaire télégraphique, il a perdu connaissance, et il a fallu un long temps pour le faire revenir; ces regrets lui font honneur et sont bien justifiés par cette affreuse perte, car le Duc d'Orléans, que j'ai bien connu, malgré quelques défauts de l'esprit et du caractère, était cependant, toutes choses pesées, un Prince et un homme fort distingué; ses beaux et bons côtés étaient nombreux: ainsi, par exemple, il avait un respect profond pour la tâche qui lui 211 était échue; il avait aussi appris de la dignité tout ce qu'une spirituelle perspicacité peut en faire découvrir, et ce qu'il en avait acquis, il ne l'eût sacrifié à aucun prix; sa sagacité, quoiqu'un peu inquiète, était prompte, étendue et féconde; quelque chose de triste planait sur sa pensée, sans qu'il se permît le découragement; sans cesse préoccupé de l'avenir, il s'y préparait toujours, et y croyait cependant fort peu; il était généreux, et se piquait de l'être; tenait à honneur d'être ami sûr et fidèle; tout cela sans grande émotion, mais avec une bonne grâce qui faisait moins regretter la sensibilité: celle-ci n'était pas dominante chez lui, et ne se révélait que dans de très rares occasions. Sa politesse était grande pour ceux auxquels il reconnaissait une supériorité quelconque. Il recherchait partout cette supériorité et lui accordait une déférence de bon goût. Son règne aurait eu beaucoup de ce qui manque trop à celui-ci: le ressort, l'aiguillon, l'enthousiasme; une fois engagé, il n'aurait jamais reculé: c'était le péril; mais la prudence lui serait venue, à la suite de la circonspection, qui déjà se manifestait en lui, et il y avait tout lieu de croire que, malgré son élan, il aurait appris, sur le trône, à résister aux entraînements téméraires. Dans ce moment-ci, chacun semble comprendre qu'avec la perte de cette anneau de la chaîne Royale, nous avons tous perdu de notre sécurité, que nos biens et nos têtes valent moins qu'avant! L'impression est si profonde, que le Ministère espère y trouver de la longévité: ce n'est pas mon opinion. Les premiers jours de stupeur passés, la politique se réinfiltrera dans la Chambre des Députés et 212 fera passer dans ses votes le courant d'opinions qui s'est produit dans les élections. On s'accorde à croire aux chances de M. Molé; M. Guizot et M. Thiers sont hors de la pensée du moment.

Ma nièce Fanny et sa gouvernante sont parties, hier, pour Paris; je les y suivrai dans peu de jours.

Rochecotte, 23 juillet 1842.—J'ai passé la journée d'hier à faire quelques préparatifs d'absence.

Le Roi est, dit-on, fort jaune, le visage contracté, le teint terreux. Mme la Duchesse d'Orléans a fait mettre sur le catafalque qui est dans la chapelle de Neuilly l'uniforme, l'épée et l'écharpe du défunt. La première fois que le Roi a aperçu ces insignes, c'est-à-dire le cinquième jour après l'événement, ses sanglots ont éclaté avec une telle violence qu'ils ont couvert ceux de la mère et des sœurs. On dit que les larmes de la Reine vont jusqu'à la faire tomber en pâmoison. La douleur de Mme la Duchesse d'Orléans est plus douce, ou, comme disent quelques personnes, plus calme. Quant au Duc de Nemours, il est tellement bouleversé qu'il en est, dit-on, méconnaissable. Le peintre Scheffer fait un tableau, qui représentera la chambre du cabaret où s'est consommée la terrible catastrophe du 13. La Reine dit continuellement aux personnes qu'elle voit: «Priez pour lui...; priez pour lui!» Son désespoir s'aggrave de beaucoup, par la pensée que son fils est mort sans avoir pu remplir les devoirs de la religion. Pas une voiture n'entre dans la cour de Neuilly. Il semble que tout y soit muré comme dans un tombeau.

213 Rochecotte, 24 juillet 1842.—Mes lettres disent que rien n'a été plus lugubre que les réceptions de condoléances. Le Roi sanglotait, comme un homme qui ne peut pas du tout se retenir. Les nuages politiques grossissent déjà... Je pars décidément demain matin pour Paris.

Paris, 27 juillet 1842.—J'ai déjà vu bien du monde. Valençay et Fanny d'abord, revenant de la séance Royale, où les sanglots du Roi avaient ému tous les assistants. On ne tarit pas sur les douleurs immenses de la Famille Royale et sur l'impopularité de M. Guizot. Cependant, M. Molé lui-même ne croit pas qu'il tombe dans la petite session actuelle des Chambres.

Paris, 28 juillet 1842.—Ma matinée d'hier a été fort douloureuse. Je l'ai passée en grande partie à Neuilly; je suis restée plus d'une heure avec Madame Adélaïde, qui m'a pénétrée par ses bontés. Elle m'a traitée comme la personne qui, après les siens, regrettait le plus profondément le pauvre Prince. Elle m'a fait entrer, prier et jeter de l'eau bénite dans cette petite chapelle presque entièrement remplie par le catafalque, et où peu de personnes pénètrent. Ce qui m'a, en grande partie, valu cette bonté, c'est que, dans le testament du défunt, se trouve, à ce que m'a dit sa tante, une phrase très honorable pour moi, ainsi que la mention d'un souvenir qu'il me lègue. Madame ne m'a pas donné d'autres détails, parce que, a-t-elle ajouté, Mme la Duchesse d'Orléans se réservait de 214 me les dire elle-même. Je dois la voir après les funérailles, ainsi que le Roi et la Reine. Rien ne peut donner l'idée du lugubre de Neuilly. C'est un vaste tombeau, et on s'y croit renfermé dans un mausolée. D'après le désir de la Reine, les psalmodies des prêtres ne cessent ni jour ni nuit; on les entend de tous les coins du château, c'est d'un triste cruel; pas une figure qui ne soit désolée, pas un visage qui ne soit altéré par les larmes.

En rentrant chez moi, j'y ai trouvé M. de Barante, le duc de Noailles et M. de Salvandy, qui m'attendaient. Je n'ai rien recueilli de nouveau, si ce n'est que M. Thiers, qui veut se rendre possible et se faire agréer par le Roi, prêche la douceur et la modération au parti de la gauche. Il y a une dépêche officielle de M. de Flahaut, qui dit qu'à la suite de sa chute de l'année dernière, Mgr le Duc de Bordeaux non seulement boite toujours, mais qu'il s'est formé un abcès dans la cuisse qui ne lui permet pas de prendre les bains de mer à Trieste, où il a fait décommander la maison qui, déjà, était retenue pour lui. A Berlin et à Vienne, le mouvement, à la nouvelle de la mort de Mgr le Duc d'Orléans, a été très bon.

J'ai vu ensuite longtemps ce pauvre Boismilon, qui est écrasé par la mort de son Prince. La veille de l'accident, Mgr le Duc d'Orléans, faisant ses préparatifs pour le camp, disait à son vieux valet de chambre allemand qui ne l'avait jamais quitté: «Mon vieux Holder, tu te fatigues; viens encore avec moi cette fois-ci, puis je sais une place pour toi, où tu te reposeras sans me quitter; je demanderai au Roi de te nommer gardien du caveau de Dreux 215 Ceci est textuellement exact, car Boismilon y était et l'a entendu.

Sainte-Aulaire est venu causer avec moi aujourd'hui. Il admire beaucoup l'Angleterre, mais déplore les mauvaises relations des deux gouvernements, en donnant absolument tort au nôtre. Il prévoit que, si les choses duraient sur le pied actuel, il n'y aurait bientôt plus que des Chargés d'affaires à Paris et à Londres.

Le duc de Noailles porte le deuil et s'est fait écrire à Neuilly, à titre de cousin. Il croit savoir que le duc de Poix a écrit au Roi à l'occasion de cette mort de Mgr le Duc d'Orléans. Le parti légitimiste est extrêmement morcelé, désuni, et, sans la mort du Duc d'Orléans, qui a ébranlé toutes les confiances de durée et de stabilité, la plupart des légitimistes se ralliaient. Maintenant, à moins que l'état du Duc de Bordeaux ne tourne mal, ce que l'on semble croire, je ne vois guère de chances de rapprochement, et, cependant les légitimistes ne suivent ni système, ni direction fixe. C'est une anarchie de plus, et voilà tout.

Paris, 30 juillet 1842.—M. Royer-Collard est venu me voir hier. Je l'ai trouvé, moralement, tel qu'il était dans les dernières années; physiquement, fort changé. Il le sent, et ne songe plus guère qu'à l'au-delà.

On a transféré solennellement, aujourd'hui, les restes du Prince Royal à Paris. C'était grave, digne, calme; le clergé y tenait une place énorme; c'était la première fois, depuis douze ans, qu'il se montrait en public; l'essai n'a 216 pas mal tourné. Toutes les boutiques étaient et sont restées fermées.

J'ai entendu dire, hier, que M. de Zea a perdu tout crédit et faveur près de la Reine Christine. L'Infante Carlotta a su plaire à sa nièce Isabelle, de façon à inquiéter Espartero. Il veut renvoyer de Madrid cette formidable Infante, et, déjà, les dames complices de cette intimité ont été écartées de la jeune Reine.

Mme la Duchesse d'Orléans ne témoigne pas le plus petit regret de perdre la Régence qui lui échappe, mais elle s'occupe et se préoccupe extrêmement de sa position de tutrice, de ses droits de mère, veut avoir toute liberté d'action, à ce double titre, et aplanir d'avance toute difficulté ou controverse à cet égard, tant pour le présent que pour l'avenir, pour cet avenir que la mort du Roi compliquera et rendra plus important.

Paris, 1er août 1842.—J'ai fait, hier, une visite à la marquise de Jaucourt, que j'ai trouvée en pauvre état. Elle avait su, la veille, par le Préfet de la Seine, qu'à la translation des restes du Prince Royal, les Princes, ses frères, avaient couru un grand danger. Des barils de poudre avaient été placés, pour les faire sauter; cela a été découvert à temps; on ne veut pas en faire de bruit. La pauvre Reine reçoit, chaque jour, des lettres anonymes, dans lesquelles on lui dit que, plus que jamais, les assassins poursuivent le Roi. Quels horribles monstres!

Paris, 2 août 1842.—Le Roi a eu une explication 217 assez vive avec M. Molé et lui a reproché de jeter le trouble et la désunion dans le parti conservateur. A cela, M. Molé a répondu qu'il regrettait de déplaire au Roi, mais qu'il ne pouvait lui obéir, vu qu'il croyait le salut de la France intéressé à la chute immédiate de M. Guizot. Mme de Lieven est ulcérée de cette réponse, et se possède beaucoup moins que par le passé.

Mme la Duchesse d'Orléans étonne un peu par ses préoccupations de position, non pas qu'elle témoigne vouloir être la Régente de la minorité, mais il semble qu'elle songe déjà à l'être pour la majorité, qui sera fixée, ou proposée du moins, pour dix-huit ans. Il y a bien des intrigues en jeu, bien du mouvement dans tous les esprits.

Mme la Dauphine devait se rendre à Vienne, pour la fête de l'Impératrice, comme elle en a l'habitude; mais, en apprenant la mort du Duc d'Orléans, elle a écrit pour s'excuser, et pour dire que, dans une pareille circonstance, elle ne voulait se montrer à aucune fête, et elle reste à la campagne. Je trouve que c'est d'un bon goût, d'une dignité admirables.

Paris, 4 août 1842.—La cérémonie de Notre-Dame a été grande, noble, belle, simple, imposante; rien n'y a été choquant, si ce n'est le bavardage bruyant des Députés, et M. Laffitte, qui, en jetant de l'eau bénite sur le catafalque, comme Doyen d'âge de la Chambre, n'a salué ni l'Archevêque, de qui il prenait le goupillon, ni le cercueil! Mgr le Duc de Nemours avait très bel air et très bonne grâce en faisant ses révérences; le Prince de 218 Joinville aussi; les deux autres Princes, non. Visconti avait merveilleusement bien décoré et arrangé Notre-Dame, dont les draperies noires relevaient encore la noble architecture, au lieu de la cacher. Le plain-chant, sans nuire à l'ensemble, faisait mieux que ne l'eût fait tout autre, tant il était bien exécuté. Il n'y avait vraiment pas moyen de rien critiquer, et l'émotion, si elle n'a pas été au même degré chez tout le monde, a cependant été visible chez tous.

Ma nièce Hohenthal m'écrit, de Téplitz, que M. le Duc de Bordeaux se trouve fort bien des eaux minérales, des bains et des douches. On a été péniblement surpris de le voir au spectacle, le soir même où on a appris la mort de Mgr le Duc d'Orléans.

Paris, 5 août 1842.—J'ai été hier au Sacré-Cœur faire mes adieux à Mme de Gramont. Elle venait de recevoir des lettres de Kirchberg [68], qui disaient que le lendemain du jour où on y avait appris la mort du Duc d'Orléans, on y avait fait dire une messe en noir, à laquelle le Dauphin, la Dauphine et Mademoiselle avaient, non seulement assisté, mais communié à l'intention et pour le repos de l'âme du défunt. Je ne connais rien de plus touchant et de plus chrétien.

De la rue de Varennes, j'ai été dire adieu à la princesse de Lieven à Beauséjour. Je l'ai trouvée très agitée de la crise ministérielle qui gronde dans l'air, très irritée contre 219 M. Molé, très enchantée des colères du Roi contre lui, et annonçant que M. Guizot ne se retirera qu'après avoir provoqué à la Chambre une expression nettement formulée de ce qu'on appelle son impopularité; qu'il ne se retirera pas sur la nomination d'un Président opposant; qu'il traversera l'Adresse et la loi de Régence; qu'il demandera ensuite des explications à la Chambre, et que ce n'est que devant sa répulsion directe et nettement exprimée, que le Cabinet se dissoudra. C'est ainsi que le Roi désire que les choses se passent.

M. Royer-Collard est venu ce matin chez moi. Il était fatigué, parlait de sa fin prochaine, et me faisait l'effet de quelqu'un qui y touche. Cela m'a attristée, et je n'ai pas été égayée à Maffliers, où j'ai été dîner, avec M. de Valençay, chez ces pauvres Périgord, dont l'intérieur est bien assombri par le dépérissement de Mme d'Arenberg.

Paris, 7 août 1842.—Hier, à deux heures, j'étais à Neuilly, d'après les ordres de Madame Adélaïde. J'ai pris congé d'elle, et le Roi, ayant eu la bouté de vouloir me voir, est venu chez sa sœur. Je l'ai trouvé fort jaune, et d'autant plus touchant qu'il est très naturel dans sa douleur; quelquefois, il parle d'autre chose, puis un mot le fait retomber dans son chagrin et il pleure abondamment. On dit la douleur de la Reine plus véhémente. Elle a eu la bonté, ainsi que Mme la Duchesse d'Orléans, de me faire dire des paroles très aimables et des regrets de ne pas me voir, mais elles craignent avec raison, que beaucoup d'autres dames ne demandent à pénétrer chez Elles, 220 si Elles faisaient la moindre exception. La Reine n'a vu, depuis son malheur, que sa famille, sa Maison et les Ministres.

En sortant de chez Madame, je suis allée voir Mmes de Dolomieu et de Montjoye. La première était sortie, la seconde était chez elle; celle-ci m'a montré la copie d'une lettre écrite à la Reine par un des Évêques consultés, qui est admirable, consolante, et qui m'a bien touchée. Enfin, la Reine se calme sur cette terrible question, et d'autant plus que, peu de semaines avant sa mort, le Duc d'Orléans étant un jour seul avec sa mère, lui dit qu'Elle se trompait si elle le croyait indifférent à la religion, et qu'il pouvait lui assurer que ses idées étaient fort modifiées à cet égard.

Le Roi venait de recevoir des nouvelles de Saint-Pétersbourg de M. Périer qui mande, dans sa dépêche, que l'Empereur Nicolas a pris le deuil, sans attendre de notification, et qu'il avait envoyé le comte de Nesselrode chez M. Périer, lui porter ses compliments de condoléances, en lui annonçant qu'il avait ordre d'écrire une dépêche à M. de Kisseleff, que celui-ci porterait à la connaissance de M. Guizot et qui contiendrait les mêmes compliments. C'est la même forme observée lors de la mort de la Duchesse de Würtemberg. Du reste, il n'y a aucun échange de notification particulière entre les deux Cours. Cette lacune dans l'étiquette a été établie par la Russie, lors de la mort du grand-duc Constantin, premier événement de ce genre depuis 1830, et que la Cour de Russie n'a point fait connaître à la nôtre, selon les anciens usages adoptés en pareilles circonstances.

221 Jeurs, 9 août 1842.—Je suis partie hier de Paris, après mon déjeuner. La chaleur y était grande; ici, il fait plus frais. M. et Mme Mollien sont toujours excellents pour moi. Je le trouve, lui, bien cassé.

Maintenon, 11 août 1842.—Je suis arrivée ici, hier, pour l'heure du dîner, ayant quitté, le matin, les bons Mollien, qui m'avaient reçue avec leur cordialité habituelle. Il était arrivé à Jeurs, avant mon départ, des lettres de Neuilly, qui disaient que la Famille Royale irait passer le mois de septembre à la ville d'Eu.

Il y a ici une ancienne célébrité, Mme Récamier, qui, grâce à une névralgie au visage, ne parle pas; elle a un sourire permanent qui me fatigue un peu. M. Ampère, professeur distingué et fort protégé par Mme Récamier, qui le mène à sa suite, a de l'esprit et du mouvement, sans grande distinction de manières. M. Brifaut, pâle académicien, également satellite de Mme Récamier, lit ici d'anciennes tragédies de sa façon. Il y a encore M. de Vérac, qui devient fort sourd, et Mme de Janson, belle-sœur de l'évêque de Nancy et sœur de la duchesse de Noailles, spirituelle et fine, mais timide et réservée.

Rochecotte, 16 août 1842.—J'ai quitté Bonnétable avant-hier, après les offices du dimanche, et Tours hier, après la messe de l'Assomption, et un déjeuner chez le Préfet. J'ai cru arriver charbonnée: je ne me souviens pas d'avoir eu aussi chaud de ma vie.

On me mande de Vienne que M. de Metternich est allé 222 à Kœnigwarth; qu'il doit, ensuite, se trouver en même temps que le Roi de Prusse aux bords du Rhin, mais qu'il se porte assez mal, qu'il a mauvaise mine, et que surtout, il devient très maigre. Barante m'écrit ceci: «J'ai eu quelques détails de plus sur l'impression que la mort de Mgr le Duc d'Orléans a produite sur l'Empereur. Elle a été vive. Horace Vernet, qui est arrivé l'autre jour de Pétersbourg, et qu'il a comme autrefois admis dans sa familiarité, m'a raconté des paroles remarquables, même par le sens politique. Je suis peu surpris de ses récits; à d'autres époques, dans d'autres occasions, l'Empereur s'est exprimé à peu près de même; mais il a adopté une position, il l'a constatée par certaines formes, il n'en résulte nul inconvénient pour lui, il n'y changera rien; seulement, il ne veut rien aggraver, et le retour réciproque des Ambassadeurs pourra s'arranger.»

Rochecotte, 23 août 1842.—Voilà donc la loi de Régence votée, à une imposante majorité. Les Pairs vont la confirmer, et, du moins sous ce rapport, on pourra être tranquille.

Rochecotte, 25 août 1842.—J'ai reçu, hier, une lettre qui résume, ce me semble, assez bien la situation actuelle de Paris. «La discussion sur la Régence a été belle, surtout curieuse: M. de Lamartine, passant à gauche, par rancune contre les conservateurs, qui ne l'ont pas fait Président; M. Thiers, secouant ses liens avec la gauche, parce qu'il veut se rendre possible; M. Odilon Barrot, engagé 223 dans cette manœuvre, manquant de parole au dernier moment, par crainte de se dépopulariser dans son parti; les légitimistes prenant hors de propos le verbe haut et se faisant fouler aux pieds. Tel a été le drame. Il a été représenté au bénéfice du Ministère, qui, si on avait suivi les conseils de M. Thiers, n'aurait retiré aucun avantage de cette petite session, qui se serait passée sans combat: au lieu de cela, on lui a fait gagner les batailles de la Présidence et de la loi de Régence. C'est un acompte sur la vraie session. Elle commencera avec une extrême vivacité, mais le Cabinet a toujours les mêmes chances de succès, chances incertaines, sans doute, qui consistent dans les difficultés de former une autre combinaison et dans le penchant des conservateurs à se tenir unis contre la gauche. Les attaques seront passionnées et rigoureuses; donc il y aura danger, mais aussi espoir.»

Rochecotte, 29 août 1842.—J'ai reçu hier la nouvelle de votre débarquement à Liverpool [69]. Soyez le bienvenu dans notre vieille Europe, qui, malgré ses inconvénients, vaut encore mieux que le Nouveau-Monde.

On me mande ceci, de Paris: «La Reine est pâle, maigre, abattue, mais calmée; elle ne se débat plus contre la douleur, elle semble l'avoir acceptée maintenant, comme un accompagnement nécessaire, mais mitigé, de toute sa vie; on peut lui parler d'autre chose: ainsi, je lui ai parlé de vos larmes et de vos regrets, à quoi 224 elle s'est écriée: «Ah! oui, je le sais, j'en étais sûre; le Roi et ma sœur ont été bien touchés de tout ce qu'elle leur a dit, et de tout ce qu'elle a montré de véritable peine. Mon pauvre enfant avait grande confiance en elle; il était vraiment de ses amis.» Tout cela s'est dit avec un accent qui vous aurait convenu. La Duchesse d'Orléans est revenue de Dreux. Elle avait insisté pour y aller avant de faire le voyage à Eu. On a pu croire qu'elle avait quelque velléité de s'établir à l'Élysée avec ses enfants, mais cette velléité eût été si nettement repoussée, qu'elle ne s'est pas reproduite. Le million affecté par les Chambres au Prince Royal reste au comte de Paris; sa mère comme tutrice en a la jouissance, de plus elle a son douaire de 100 000 écus; elle est donc riche pendant la minorité. Elle a fait de nombreuses réformes subalternes, mais elle conserve sa Maison d'honneur, et à son fils toute la maison militaire du feu Prince. On craint qu'elle ne sache pas bien gouverner ses revenus. C'était son mari qui réglait toute la dépense; elle n'en a, dit-on, ni l'habitude, ni l'intelligence. Les premiers élans de la douleur passés, bien des petites combinaisons, préoccupations, surgissent de tous côtés. Intrigues politiques, jalousies de famille, rivalités de Cour, tout trouve sa place, et, si le Roi n'y met ordre, il y aura un parti Orléans et un parti Nemours.»

Rochecotte, 31 août 1842.—Voici ce qu'on me mande de Paris, sur la vie qu'y menait la Famille Royale, avant son départ pour la ville d'Eu: «Leurs services n'entrent 225 pas dans le salon et ne mangent pas avec eux. Le Roi reçoit dans le billard les hommes qui viennent lui parler ou lui faire leur Cour; et la Reine, Madame Adélaïde, la Princesse Clémentine et Mme la Duchesse de Nemours passent ensemble la soirée à travailler autour de la table ronde. Enfin, les voilà partis pour Eu, et il faut espérer que le changement de résidence leur fera quelque bien. Le petit Duc de Chartres a donné, un moment, de sérieuses inquiétudes. Mme la Duchesse d'Orléans vit assez à part, avec Mme la Grande-Duchesse de Mecklembourg.»

Mme de Lieven, après avoir passé huit jours à Dieppe, s'y est tellement ennuyée, qu'elle est revenue en hâte à son petit Beauséjour, d'où elle m'écrit: «Thiers s'est décidément séparé de la gauche, et il se pose en successeur immédiat de M. Guizot, ce qui ne doit pas être du goût de M. Molé. Les Chambres seront convoquées pour le 9 janvier. Rien de nouveau sur Pahlen, ni sur Barante. Tout septembre se passera à Eu, puis viendra Saint-Cloud. La Reine d'Angleterre mène son mari en Écosse, pour le consoler, par la chasse aux grouses, de ce qu'elle ne lui a pas permis d'aller aux manœuvres sur le Rhin. Elle fera ce voyage sans éclat, assez petitement, trop petitement. Lord Aberdeen l'accompagne.»

Rochecotte, 8 septembre 1842.—Un de nos amis, en Angleterre en ce moment, m'écrit de Londres ce qui suit, «J'ai revu ici un de nos amis, l'excellent Dedel, Ministre des Pays-Bas, qui nous est sincèrement attaché. Nous avons bien reparlé ensemble des temps passés, et il m'a 226 raconté de curieux détails, qui vous paraîtront peut-être un peu rétrospectifs, par les faits auxquels ils se rapportent, mais qui me semblent n'être pas sans intérêt. Lors de l'avènement de la Reine Victoria, avant même que les membres du Corps diplomatique aient eu le temps de recevoir leurs nouvelles lettres de créance, la Reine a voulu les voir au Palais de Kensington. Ils furent tous présentés individuellement, par lord Melbourne et lord Palmerston. Quand les trois premiers, c'est-à-dire le prince Esterhazy, le général Sébastiani et le baron de Bülow, eurent été présentés, lord Melbourne, les prenant à part, leur dit: «Eh bien! Comment trouvez-vous ma petite Reine? N'est-ce pas qu'Elle est très bien? Elle a les meilleures dispositions pour tous les souverains étrangers, et je puis vous garantir qu'Elle vivra en paix avec tous. Il y en a un, cependant, contre lequel Elle a une haine étonnante. C'est de l'enfantillage, c'est foolish, et j'espère que nous parviendrons à détruire cela; imaginez qu'elle a une haine violente contre le Roi des Pays-Bas.» Ce qu'on imagine encore moins, disait Dedel, c'est un pareil langage dans la bouche d'un premier Ministre d'Angleterre. En continuant il m'a dit: Depuis que sir Robert Peel est à la tête du gouvernement, la Reine ne se mêle plus de rien. Elle le laisse faire entièrement. Elle avait pris un vif intérêt dans le Ministère de lord Melbourne, parce qu'elle était dans un excitement continuel, par suite de la situation toujours chancelante de son Cabinet; maintenant qu'Elle sait que, de longtemps, rien ne peut ébranler sir Robert Peel, elle ne se soucie plus des 227 affaires d'État. Ce changement a eu de fâcheux résultats pour le prince Albert. Elle ne s'occupe plus que de lui. Elle le tient en laisse, ne lui accorde pas un moment de relâche et exerce réellement sur lui une tyrannie, dont le jeune Prince dissimule mal, parfois, la fatigue et l'ennui qu'il en ressent. Au reste, la Reine a gardé de l'affection pour lord Melbourne, qui l'amusait, et qui a eu l'avantage d'être le premier à l'initier aux affaires d'État. Sa haine contre le Roi des Pays-Bas s'explique par l'influence que le Roi des Belges a longtemps exercée sur Elle, mais qui paraît s'être fort affaiblie dans ces derniers temps. Dedel dit que le Corps diplomatique à Londres fait maintenant la plus triste figure, qu'il n'a aucune considération dans la société, où on le compte fort peu. Le Ministre de Russie, le baron de Brunnow, est un homme de beaucoup de talent, et qui a, au suprême degré, l'esprit des affaires. Il est faux jusqu'à la fourberie; un véritable Gréco-Russe, très dangereux dans les relations qu'on a avec lui. Dedel reconnaît que Brunnow a eu de grands succès diplomatiques à Londres. On témoigne en général, de la bienveillance à M. et Mme de Sainte-Aulaire. On trouve Madame polie, et Monsieur assez amusant. M. de Barante a plu aux personnes qui ont causé avec lui. A tout prendre, disait Dedel, le général Sébastiani est encore celui des trois Ambassadeurs de France ayant succédé à M. de Talleyrand, qui a le mieux réussi à Londres. Il avait le coup d'œil très juste. Sa première impression, dans toutes les affaires, était bonne; son désavantage était de ne savoir pas développer clairement ses idées. Il avait très 228 bien compris la question d'Orient et l'aurait convenablement arrangée, si on l'avait laissé à son poste. Quant à M. Guizot, il a fait faute sur faute à Londres, et a bien montré qu'il ne savait absolument rien de ce que c'est que la diplomatie. Il s'est cru à Paris, où tout se mène par des intrigues parlementaires, et il a voulu séparer lord Holland, lord Clarendon, lord John Russell de lord Palmerston, oubliant que celui-ci était le beau-frère de lord Melbourne, qui en définitive était le maître; il a évidemment cherché à renverser le Cabinet, jeu fort imprudent et fort dangereux de la part d'un Ministre étranger. Il a aussi essayé d'ameuter quelques membres radicaux de la Chambre des Communes contre lord Palmerston, et a même poussé l'imprudence jusqu'à dîner avec eux en petit comité au Star and Garter, à Richmond. Lord Palmerston a dit une fois à Bülow: «M. Guizot doit me savoir gré de ne pas faire usage des pièces que j'ai entre les mains, et qui constatent de la manière la plus précise ses menées et ses intrigues pour renverser le Cabinet. Elles sont d'une nature telle qu'elles autoriseraient le gouvernement de la Reine à lui envoyer ses passeports.» Le voyage de Mme Lieven en Angleterre a fait aussi le plus grand tort à M. Guizot. Lord Palmerston, qui connaissait la haine de Mme Lieven contre lui, a vu, dans son arrivée, un nouveau coup qu'on voulait lui porter et sa vengeance n'a plus connu de mesure. En tout, la France, les Français et leur gouvernement sont très mal vus en Angleterre depuis deux ans, et on trouve que l'Ambassade de France actuelle n'est pas de force à changer ces dispositions. Le 229 Cabinet anglais actuel, qui blâme la conduite de lord Palmerston, croit toutefois avoir fait, depuis qu'il est au pouvoir, tout ce qu'il lui était convenablement possible de faire pour ramener l'esprit public de la France. Il reconnaît avec peine qu'il n'a pas réussi; mais il est bien décidé à ne rien faire de plus, et à attendre les événements en se tenant prêt à toutes les éventualités.

«Les choses marchent assez mal en Hollande, où la maison d'Orange devient de plus en plus impopulaire. On ne pardonne pas au vieux Roi sa rapacité, la manière dont il a exploité le pays pendant vingt-cinq ans, et encore moins son mariage avec une catholique belge, après avoir, durant deux années, condamné le pays à supporter un état aussi onéreux que la guerre, sans sa gloire et ses profits, tout cela pour l'agrandissement de sa famille. Le nouveau Roi est léger, inconsidéré, imprudent. On le blâme de se jeter dans les bras de la France, ce qui est une politique toute nouvelle et aventureuse pour la Hollande; on blâme surtout son entêtement à maintenir l'armée sur un pied ruineux pour le pays; le budget reste énorme: quatre-vingts millions de florins pour une population de moins de trois millions d'âmes. La nomination du baron Heskern, comme Ministre des Pays-Bas à Vienne, a causé un grand scandale en Hollande et y a renouvelé des bruits fâcheux.

Rochecotte, 11 septembre 1842.—J'ai reçu hier une lettre de M. de Salvandy, dont voici l'extrait: «Le plongeon de Thiers est fabuleux. L'amende honorable au Gouvernement a été complète; il lui a baisé la main. Je 230 l'aurais trouvé plus habile d'être plus digne. Cela arrive bien souvent. Je ne crois pas qu'il se soit, par là, rendu possible immédiatement, mais par cela seul, qu'il a l'air de l'être, le pouvoir est plus difficile à tout le monde. L'un des résultats de cette immense flatterie, c'est de rendre le Roi ingouvernable. M. de Lamartine n'a jamais été qu'un météore. Il écrit à M. Villemain qu'il va faire de la grande opposition; il n'y aura de grand que son impuissance et sa chute.»

Je compte partir, dans quelques heures, pour Valençay et y passer un mois chez mon fils, auquel je l'avais promis depuis longtemps.

Valençay, 24 septembre 1842.—J'ai été fort affligée de la mort de ma pauvre et excellente cousine, la princesse Pierre d'Arenberg. Elle avait, pour moi, beaucoup de bienveillance, comme son mari, et tout ce côté de ma famille. Je leur suis, à tous, bien sincèrement attachée. La sœur de charité, qui a soigné Mme d'Arenberg, lui a entendu dire, tout de suite après l'Extrême-Onction: «Mon Dieu! que votre volonté soit faite!» Je reste convaincue qu'elle a été éclairée sur son danger, dans les dernières quarante-huit heures de sa vie, et que c'est par force d'âme, et pour ne pas ôter à ses entours la consolation de la croire dans l'illusion, qu'elle n'a pas plus clairement parlé de sa fin. C'était une âme d'élite!

Valençay, 27 septembre 1842.—J'ignorais qu'il fût question du mariage du Prince de Joinville avec une 231 Princesse du Brésil; je croyais même que ces Princesses ne pouvaient quitter le Brésil, à moins que leur frère, l'Empereur, qui n'est pas encore marié, n'eût des enfants. Je m'étonne aussi que la Reine des Français ne redoute pas un peu le sang de ces Princesses de Bragance et leur éducation. Puis, pourquoi marier si tôt un jeune homme, marin de profession, qui a trois frères et déjà trois neveux? Cela prépare des quantités de branches collatérales, qui, grâce au partage des fortunes et à la lésinerie toujours croissante des Chambres, deviendront nécessiteuses, appauvries et bientôt une gêne pour le chef de la famille.

Valençay, 5 octobre 1842.—J'ai des raisons de croire au mariage de la Princesse Marie de Bade avec le marquis de Douglas: cependant, c'est moins fait que ne le disent les journaux.

Je partirai d'ici le 15; j'irai dîner à Tours, chez ces malheureux d'Entraigues, qui viennent de perdre une fille dans les circonstances les plus douloureuses, et j'arriverai pour coucher à Rochecotte. J'aime mieux une forte journée que la fatigue, le froid et les rhumes des auberges dans cette saison. M. Royer-Collard, qu'il m'aurait été impossible d'aller voir à Châteauvieux, à cause des chemins trop raboteux qui y mènent, a bien voulu venir ici hier. Cet effort, à son âge, et avec une santé affaiblie, m'a vivement touchée. Il m'a parlé de son intérieur, de ses intérêts les plus proches et m'a paru fort détaché de tout le reste.

232 Rochecotte, 16 octobre 1842.—Je suis arrivée hier soir pour me coucher. Le home a toujours un mérite particulier, qu'on ne trouve nulle part ailleurs. J'ai cependant quitté Valençay avec regret: j'y ai été fort soignée; tout le pays est resté bienveillant pour moi; j'aime beaucoup mon fils, dont le commerce me plaît; puis, nulle part les souvenirs ne sont aussi nombreux et aussi puissants sur moi qu'à Valençay...

Il vient de se passer, à Nice, un fait écrasant de merveilleux, et dont je connais tous les acteurs: leur véracité, leur droiture, leur foi et leurs lumières sont incontestables. La fille aînée du comte de Maistre [70], depuis bien des mois percluse d'une jambe qui s'était tordue, souffrait des douleurs désespérantes, poussant les hauts cris jour et nuit, abandonnée par tous les médecins, qui parlaient de gangrène et d'amputation. En dix minutes d'une fervente invocation, elle vient d'être radicalement guérie, devant douze personnes qui étaient dans sa chambre (et toute la ville de Nice pour y prendre part), par les ardentes prières de Mlle Nathalie de Komar, qui, depuis quelques années, est dans la plus grande mysticité. La guérison est complète, et le mal était désespéré. La jeune malade est elle-même une sainte, se destinant à être sœur de charité: tout cela confond, anéantit; expliquer ne se peut pas, contester, dans la circonstance actuelle, pas davantage. Il n'y a qu'à se taire, s'humilier et adorer.

233 Rochecotte, 17 octobre 1842.—Je suis un peu fatiguée de ma journée d'hier. Le Curé était venu me prévenir qu'il avait attendu mon retour pour placer dans son église le Chemin de la Croix; un des Grands-Vicaires de Tours venait d'arriver, pour faire cette cérémonie: il a donc fallu y assister. Elle était belle et touchante, mais fatigante, surtout à cause de la procession. Puis, il fallait gagner l'église qui est éloignée; le chemin, mauvais, dur en voiture, trop long à pied; bref, le tout m'a surmenée.

J'ai des nouvelles de Pauline, du 8, de la villa Melzi, et du 10, de Milan: elle est dans un ravissement complet de tout ce qu'elle voit, émerveillée de la magnificence élégante des Melzi, et bien touchée de leur accueil, qui a été plein de grâce et de recherche. Je suis charmée que ma fille trouve de l'agrément à ce voyage, qui lui a bien coûté à entreprendre.

Rochecotte, 19 octobre 1842.—J'ai reçu hier une lettre de Berlin, qui me dit qu'il y est fort question du retour à la Haye de l'ex-Roi des Pays-Bas, le comte de Nassau. On dit qu'il y conduirait sa fille [71], comme moyen de la tirer, sans éclat, de la fausse position dans laquelle elle s'est mise, vis-à-vis de son mari et de toute la Cour. Elle avait eu la permission de paraître aux fêtes du mariage de la Princesse Marie de Prusse avec le Prince Royal de Bavière, mais son mari, le Prince Albert, s'est dit malade, n'a pas paru et ne revoit plus sa femme. Je sais bien que 234 la Princesse Marianne passait pour légère, mais, à mon dernier voyage à Berlin, elle paraissait, ostensiblement, dans les meilleurs rapports avec son très peu agréable époux; il faut donc qu'il se soit passé quelque chose de particulier dans ces derniers temps.

Rochecotte, 27 octobre 1842.—J'avais déjà entendu parler, à Berlin, non pas d'un chasseur du Prince Albert, mais d'un Stallmeister ou piqueur, qui suivait, seul, la Princesse dans ses cavalcades de Silésie, mais je ne pouvais pas croire à cette histoire, qui paraît, cependant, avoir pris plus de consistance.

Rochecotte, 3 novembre 1842.—L'aristocratie anglaise est dans un grand émoi, de l'histoire du Prince Georges de Cambridge avec lady Blanche Somerset. Que va-t-elle devenir? La fille d'un particulier, quoique grand seigneur, ne peut épouser un Prince qui peut être appelé à la Couronne [72].

On dit que lady Harriet d'Orsay a eu un tel chagrin de la mort de M. le Duc d'Orléans, qu'elle a tourné à la dévotion, et qu'elle veut se faire catholique. La princesse Belgiojoso est aussi dans une grande exaltation religieuse, 235 et comme il faut toujours qu'elle imagine des choses étranges, elle porte un costume de nonne.

Le prince indien qui est à Paris [73], en ce moment, a été à l'Opéra: il a voulu aller dans les coulisses, où on lui avait dit qu'il trouverait des danseuses de bonne volonté; il arrive, et se met aussitôt à embrasser, avec une telle rage, qu'il fallut vite le faire sortir de force, au rire général des assistants.

Rochecotte, 4 novembre 1842.—M. Bresson m'écrit, de Berlin, que la réunion des États et les chemins de fer qui aboutissent maintenant dans cette capitale lui donnent un grand mouvement, et qu'elle est devenue très animée. Il dit aussi que le comte Maltzan est devenu bien malade, que sa vie est en danger, et que M. de Bülow est le plus agréable Ministre des Affaires étrangères avec lequel il ait eu à traiter.

Rochecotte, 12 novembre 1842.—Mme de Lieven me mande que lord Melbourne a eu une attaque, qui le laisse faible, et le met hors des chances de la politique, ce qui est un draw-back pour les Whigs [74]. Le mariage de la Princesse Marie de Bade est officiellement annoncé: sa situation ne sera pas agréable à la Cour d'Angleterre, où on est décidé à ne la traiter que comme marquise de Douglas: 236 ma pauvre Grande-Duchesse a conduit tout cela avec sa légèreté habituelle.

On m'écrit de Vienne que M. de Metternich est assez souffrant, qu'il ne reçoit plus le Corps diplomatique le soir, afin de ne s'occuper d'affaires que le matin et d'éviter tout ce qui peut l'exciter avant de se coucher.

Rochecotte, 24 novembre 1842.—Il me semble que les Anglais sont en bien bonne veine: ils terminent leurs affaires glorieusement en Chine et aux États-Unis [75]; gouvernent en Espagne et en Portugal; étouffent les émeutes intérieures et ont partout une prépondérance qui doit nous faire grande honte: nous ne pouvons pas même faire un pauvre petit traité avec la Belgique, qui va passer à la Prusse.

237

1843

Rochecotte, 21 février 1843.—Le courrier vient de m'apporter une lettre de M. de Salvandy, rompant un long silence, qu'il motive sur ses perplexités politiques. Il dit qu'après avoir été indignement traité par M. Guizot, celui-ci, à la veille d'une bataille sérieuse, court après lui; que, d'un autre côté, M. Molé se souvient qu'il peut lui être nécessaire et passe d'une indifférence dédaigneuse à des soins extrêmes; que lui, Salvandy, ne se soucie, ni de blesser le Roi, en votant et en parlant contre M. Guizot, ni de soutenir un Ministère impopulaire, incapable. Il croit que les vingt voix sur lesquelles il agit seront décisives, pour ou contre. Il me semble croire le Ministère fort compromis, et, lors même qu'il gagnerait la bataille des fonds secrets, il ne pense pas qu'il puisse voir la fin de la session. En attendant, M. Guizot donne, demain, un raout monstre, suivi d'un souper des Mille et une nuits, selon l'expression romanesque de Mme de Meulan [76]. C'est la semaine prochaine qu'aura lieu, à la Chambre, l'action, qui s'annonce pour très vive. M. Molé 238 est plein d'ardeur, plein de confiance. Dans sa combinaison entreraient le maréchal Valée, MM. Passy et Dufaure, Dupin, Bignon (de Nantes), de Carné, Laplagne, Salvandy et l'amiral Mackau. M. Thiers se déclare hors de cause, pour l'instant. Voilà l'extrait de la lettre de M. de Salvandy qui est longue et très littéraire. Je l'ai rendue en prose vulgaire.

On m'écrit, de Vienne, que Mme de Reichenbach, épouse du vieux Électeur de Hesse-Cassel, vient de mourir et laisse un gros héritage à ses filles, dont l'une est belle-sœur de la princesse de Metternich. Les Flahaut ont donné deux fort beaux bals, à l'un desquels, lui, ayant voulu valser avec la princesse Paul Esterhazy, l'élasticité leur ayant manqué à tous deux, ils sont tombés tout de leur long. Cela a semblé assez ridicule.

Rochecotte, 23 février 1843.—Les leading articles du Journal des Débats deviennent très piquants. Je trouve cette façon de s'en prendre à l'intrigue comme à une personne, et de dire: l'intrigue fait, l'intrigue parle, l'intrigue veut, l'intrigue refuse, très drôle; j'ai bien deviné que cela signifie: M. Molé veut, M. Molé refuse, M. Molé demande! Tout cela fait pitié, au fond, tout en inspirant de véritables inquiétudes, car rien ne nuit autant à l'effet d'une représentation que les trop fréquentes entrées et sorties des coulisses.

M. d'Arenberg écrit un mot assez amusant de M. Thiers. A un concert, chez la duchesse de Galliera, la princesse de Lieven reprochait à M. Thiers qu'il la soignait peu; 239 il lui a répondu qu'il la soignerait mieux, quand elle aurait quitté le Ministère. On cite de lui aussi un autre propos. Il aurait dit que sa rentrée aux Affaires ne pouvait être prochaine, et qu'avant cela, il désirait la Présidence de la Chambre.

Rochecotte, 25 février 1843.—J'ai pris hier dans la bibliothèque des Mémoires intitulés: Mémoires de Gaston d'Orléans, attribués à un des officiers de sa maison, Aglay de Martignac. J'y ai trouvé ce mot drôle et spirituel de Gaston: «Pendant le petit voyage que le Roi vint faire à Paris, Monsieur ayant rencontré la Reine, une fois qu'elle venait de faire une neuvaine pour avoir des enfants, il lui dit en raillant: «Madame, vous venez de solliciter vos juges contre moi; je consens que vous gagniez votre procès, si le Roi a assez de crédit pour cela.»

Barante m'écrit que l'Ambassadeur Pahlen, devant aller, cet été, en Allemagne, a envie d'en faire autant, pour tirer, dans cette rencontre, ses chances au clair. Il dit aussi que les chances de M. Guizot sont assez aventurées; que les prodigieuses agitations de M. Molé l'ont déconsidéré et compromis; que Thiers manœuvre avec plus d'habileté; que, du reste, les habitudes de mensonge sont telles, chez tout le monde, que le spectacle général est dégoûtant, et que tout fait pitié.

Rochecotte, 1er mars 1843.—Le prince Pierre d'Arenberg, qui est ici depuis deux jours, a apporté le livre de 240 Mme de Ludre [77], dont il a lu, hier au soir, quelques chapitres au salon. La pauvre femme, perdue dans une métaphysique quintessenciée, a fait là le plus singulier et le plus incompréhensible fatras possible. La coupe même du livre, ses divisions, tout est d'une bizarrerie effrayante. Il n'y a pas même le mérite du style: ce n'est pas écrit. Il est impossible de comprendre le but de ce livre. Pour nous reposer de cette lecture, nous avons deviné des vers. Ce jeu, tout enfantin qu'il est, est infiniment plus raisonnable et plus spirituel que la théologie sublunaire de Mme de Ludre.

Rochecotte, 2 mars 1843.—Je rentre d'une longue promenade, par un temps incomparable; un de ces temps qui aident à vivre, et dont on jouit si bien à la campagne, dont on ne se doute presque pas à Paris. On n'imagine pas le progrès de la végétation; tous les arbustes montrent leurs feuilles écloses, de ce joli vert vif et tendre du début; puis les jonquilles, les narcisses en fleurs; quant aux violettes, nous en faisons litière. Pourquoi faut-il changer tout cela pour la boue et la lourde atmosphère de Paris?

Paris, 12 mars 1843.—Me voici plongée dans Paris. On m'a déjà conté bien des choses depuis mon arrivée. En voici quelques-unes, qui ont, du moins, le mérite d'être assez amusantes. Une dame, rencontrant le duc de 241 Noailles, le lendemain de son discours sur le droit de visite, lui en fit compliment, ajoutant: «Malheureusement, Monsieur le Duc, vous êtes comme la poule qui ne pond qu'un seul œuf d'or dans l'année!» La marquise de Caraman, arrivant mardi chez la duchesse de Poix, où il y avait du monde, a été appelée par la duchesse de Gramont, qui lui a demandé de s'asseoir près d'elle, et lui a dit à haute voix: «Est-il vrai, Madame, que vous épousiez le maréchal Sébastiani?» Mme de Caraman a immédiatement répondu, sans se déconcerter, et aussi à haute voix: «Je sais que beaucoup de gens le disent, mais, jusqu'à présent, je n'avais encore rencontré personne d'assez déplacé pour m'en faire la question.»

Paris, 14 mars 1843.—On dit le monument qui doit être placé dans la chapelle commémorative, pour feu Mgr le Duc d'Orléans, admirable. Il représente le pauvre jeune Prince, au moment où il vient de finir, dans le même costume que celui qu'il portait; l'expression est belle et touchante. On a placé au-dessus de sa tête l'ange, dernier ouvrage de la Princesse Marie, sœur du Prince. Cet ange a l'air de recevoir l'âme du Prince pour la porter au ciel; c'est une belle idée, qui saisit et touche profondément. Un bas-relief représente le Génie de la France, qui pleure, appuyée sur une urne; le drapeau national est placé à ses pieds. C'est Triqueti qui est chargé de ce bel ouvrage. Toute la Famille Royale est allée voir le monument. La Reine a éclaté en sanglots; le Roi a failli se trouver mal, il a fallu l'emmener; Mme la Duchesse d'Orléans a beaucoup 242 pleuré, mais elle a longuement parlé à l'artiste de cet admirable ouvrage.

Le duc de Doudeauville (plus célèbre sous le nom de vicomte Sosthène de la Rochefoucauld) a fait un portrait de Mlle Rachel, qui n'en paraît pas satisfaite [78]. Il a demandé à Mme Récamier de le lui lire; elle a répondu: «Je vais le demander à M. de Chateaubriand.» Celui-ci a répondu que cela l'ennuierait, sur quoi Sosthène a repris: «Puisque vous désirez entendre cette lecture, je commence»; et, aussitôt, il a lu son œuvre sans s'arrêter.

Paris, 16 mars 1843.—M. de Montrond prétend que le Roi lui a dit qu'il ne voulait pas de M. Molé pour ministre; ce qu'il désirait, c'était que M. Thiers se rapprochât de M. Guizot, et qu'ils s'entendissent pour marcher ensemble. «Molé est tout cousu de perfidie», aurait dit le Roi, «il ne pourra jamais aller avec personne, tandis que Thiers et Guizot sont faits pour aller ensemble; ils n'ont rien à se reprocher, rien à s'envier, ils sont tous deux hommes de lettres, historiens distingués, académiciens, etc.; enfin, complètement faits pour s'accorder.»

Paris, 17 mars 1843.—M. Thiers a dîné l'autre jour chez M. Chaix d'Est-Ange, bâtonnier de l'Ordre des avocats, avec MM. Odilon-Barrot, Sauzet, d'Argout, Berryer, Dupin, Martin du Nord, le garde des sceaux [79], et enfin M. de 243 Peyronnet, l'ancien ministre de Charles X. M. Walewski, auquel on donnait à deviner dans quelle maison avait pu se tenir une réunion si étrange de noms, dont les principaux figuraient dans l'Intrigue, a dit: «Cela ne peut être que chez M. Molé»; ce qui a amené, dans le salon de Mme Thiers, où cette scène se passait, force quolibets sur M. Molé, et sur la triste figure qu'il devait faire après sa défaite [80].

Paris, 18 mars 1843.—Le Roi s'est montré excessivement touché de l'éloge que M. Guizot a fait de lui, à son dernier discours à la Chambre des Députés, dans la discussion sur les fonds secrets; le soir même, il a écrit à M. Guizot qu'il aurait été le remercier lui-même, s'il n'était enchaîné au rivage. Le lendemain, M. Guizot ayant été de bonne heure chez le Roi, la Reine y est venue avec toute la Famille Royale, et des remerciements pleins d'émotion ont été adressés au Ministre vainqueur.

Paris, 20 mars 1843.—M. Molé se déclare, à jamais, hors de la politique, brouillé avec elle, ministre incompatible avec le Roi; il parle de se créer une existence purement 244 privée, et embellie par l'amitié et les goûts de l'esprit. Deux mois plus tôt, ce propos aurait eu de la dignité; aujourd'hui, il ressemble à du dépit et ne persuade personne.

On remarque beaucoup le calme extrême de Mme la Duchesse d'Orléans; on s'étonne de l'amélioration de sa santé à travers sa douleur. Elle se dévoue avec ardeur à l'éducation de ses enfants, en fait le but principal de sa vie et ne le laisse pas ignorer. La Reine, après l'explosion d'une douleur déchirante et passionnée, a repris tout son calme, et le mariage prochain de la Princesse Clémentine [81] lui est une distraction utile et puissante. La Princesse Clémentine est tout simplement enchantée, moins, peut-être, du mari, qu'on dit médiocre et sans éclat de situation, que d'acquérir de l'indépendance, d'avoir la clef des champs, et de fuir la table ronde du salon des Tuileries, qui, de tout temps, a fait le désespoir des enfants du Roi. La Princesse Clémentine doit se marier tout de suite après Pâques, à Saint-Cloud; partir ensuite pour Lisbonne, l'Angleterre, Bruxelles et Gotha, et revenir à Paris, où elle habitera les Tuileries. On ne lui donne que 60 000 francs de rente; le Prince, son mari, n'en aura que 108. Cela fait un assez médiocre revenu. Mme la Duchesse de Nemours, belle, douce, bonne enfant, en toutes choses soumise à la Reine, est chérie par elle. Le Duc de Nemours retombe, dit-on, dans ses silences.

245 Paris, 23 mars 1843.—On parlait, à la Chambre des Députés, de l'attaque qui rendait M. Dupin, l'aîné, malade, et qui, disait-on, avait surtout porté au visage; à cela, M. Thiers a dit tout haut, avec son imprudence habituelle: «Il a cependant un visage bien plus à soufflets qu'à attaques!»

Il apparaît à tout ce qui approche des Tuileries qu'il s'élève déjà quelques nuages entre le pavillon Marsan et le reste du Palais [82]. La Reine, que j'ai vue, m'a dit, avec plus de surprise que de satisfaction, que Mme la Duchesse d'Orléans se portait mieux qu'avant son malheur, auquel on n'aurait pas supposé qu'elle pût survivre, en ajoutant: «Sans doute, la tendresse pour ses enfants lui a inspiré autant de courage». La Reine est contente de ses petits-fils; elle regrette, cependant, qu'ils ressemblent plus au côté Weimar qu'à celui d'Orléans. Elle est satisfaite du mariage de la Princesse Clémentine, surtout comme repos d'esprit, et dit, avec raison, que la Princesse Clémentine a vingt-cinq ans; qu'elle peut juger elle-même de ce qui lui convient; et que la similitude de religion et le désir d'avoir un protecteur dans l'avenir lui font accepter, avec plaisir, un mariage que feu Monseigneur le Duc d'Orléans avait arrangé, avant de mourir, avec le Roi des Belges. La Reine a ajouté que l'établissement principal de la Princesse serait à Cobourg, mais qu'elle voyagerait beaucoup et viendrait souvent à Paris.

246 Paris, 27 mars 1843.—On dit beaucoup que Mme la Duchesse d'Orléans montre la plus grande préférence pour la duchesse d'Elchingen, femme d'un des aides de camp de feu son mari. C'est l'amie de cœur. Quelqu'un ayant osé représenter à Mme la Duchesse d'Orléans qu'une préférence de ce genre, trop marquée, pourrait effaroucher et blesser ses alentours et les personnes de sa Maison, plus naturellement appelées à son intimité, elle a répondu avec mécontentement, et par un morceau sentimental qu'on a qualifié d'allemanderie, sur la liberté acquise à chacun de se livrer sans réserve aux sentiments purs d'une amitié fondée sur la sympathie.

Quoique légalement tutrice et ayant la garde-noble de ses enfants, on ne laisse pas jouir Mme la Duchesse d'Orléans de ses droits; le Roi s'est, pour ainsi dire, emparé de ceux de tuteur; il ne laisse, à sa belle-fille, que la jouissance des 100 000 écus de son douaire qui lui sont assurés par une loi; mais tout ce qui revient au Comte de Paris passe par les mains du Roi, qui paye toutes les dépenses, et se fait rendre compte de tout, ainsi que pour le Duc de Chartres, le second fils.

On dit aussi que Mme la Duchesse d'Orléans a eu de la peine à comprendre qu'elle devait se renfermer presque absolument, pendant la durée de son grand deuil. Elle donnait beaucoup d'audiences; le Roi ayant fait, assez sèchement, l'observation qu'elle voyait trop de monde pour sa position, sa porte ne s'est plus ouverte que pour les personnes de son intérieur. On trouve, encore, qu'elle a un peu trop étendu l'envoi des portraits de son mari, 247 des billets écrits de sa main. Il n'y a pas jusqu à M. Gentz de Bussy, l'Intendant militaire, qui n'en ait été gratifié. Les personnes de sa grande intimité disent beaucoup, quand on la plaint, qu'elle a la plus haute position du pays, la plus importante; qu'elle est appelée à jouer le rôle le plus élevé. Elle-même se berce et s'exalte dans cette idée.

Paris, 30 mars 1843.—Le comte d'Argout disait hier chez Mme de Boigne que l'abbé de Montesquiou, Ministre de l'Intérieur en 1814, ayant fait reprendre l'habit et le petit manteau au Conseil d'État, tous ces Messieurs, lorsqu'ils furent reçus par Louis XVIII avec les autres Corps, excitèrent par ce costume inusité une grande curiosité, et les militaires qui se trouvaient présents, particulièrement surpris, se disaient entre eux: «Voilà le nouveau clergé.»

Paris, 2 avril 1843.—On a beaucoup parlé des États-Unis d'Amérique, l'autre jour, à dîner, chez la princesse de Lieven; on en disait, naturellement, assez de mal. A ce sujet, M. de Barante a rappelé un mot de feu M. de Talleyrand, que voici: «Ne me parlez pas d'un pays où je n'ai trouvé personne qui ne fût prêt à me vendre son chien!» On a beaucoup et fort bien causé de toutes choses à ce dîner, qui était agréablement composé. Le désastre de la Guadeloupe [83] et la comète n'ont pas été 248 absorbants comme partout ailleurs: cependant, ils ont eu leur tour, et on a parlé d'une jolie caricature, où M. Arago, le chef de l'Observatoire, est représenté, non pas observant, mais observé par la Comète [84]! On a passé du joli morceau de M. de Noailles sur Saint-Cyr [85] aux souvenirs de Louis XIV, à la Grande Mademoiselle et à la collection de portraits curieux réunis au château d'Eu. M. Guizot s'est complu à nous dire qu'il avait couché au rez-de-chaussée dans la chambre de M. de Lauzun, et qu'il montait, pour aller chez le Roi, par le même escalier qui avait conduit cet insolent mari chez la Princesse, dont le Roi habite maintenant l'appartement. Quel rapprochement!

Paris, 3 avril 1843.—J'ai été, hier, à l'Hôtel de Ville, chez Mme de Rambuteau, qui rentrait du sermon: elle venait d'entendre, à Notre-Dame, l'abbé de Ravignan prêcher contre le luxe des femmes et le peu de décence de leur toilette; il s'est servi du mot décolleté, et, en parlant 249 du décolletage des robes, il a été jusqu'à dire: «Où cela s'arrêtera-t-il?» Il a indiqué que cet excès n'était même pas joli! Le P. de Ravignan est si naturellement grave, simple, austère, qu'on a trouvé ces expressions encore plus particulièrement risquées dans sa bouche. Sa critique était cependant bien juste. Les femmes dépensent beaucoup trop; nos toilettes se compliquent de mille ajustements accessoires, qui en doublent la dépense, sans les rendre plus convenables: les jeunes femmes, ou celles qui veulent être à la mode, sont à peine vêtues. Feu mon oncle, M. de Talleyrand, quand je commençai à mener Pauline dans le monde, me recommanda, très sérieusement, de soigner la décence de sa toilette, et, à ce sujet, il me dit, à peu près dans la même pensée que M. de Ravignan: «Quand ce que l'on montre est joli, c'est indécent; et quand ce que l'on montre est laid, c'est très laid.» Il disait aussi d'une femme fort maigre et qui dédaignait la plus légère gaze: «Il est impossible de plus découvrir et de moins montrer.»

Paris, 5 avril 1843.—Quelqu'un, qui peut le savoir, me racontait hier qu'à l'époque de la coalition qui a fait tant de tort à M. Guizot, sa présence constante chez la princesse de Lieven déplut au Corps diplomatique et l'embarrassa, au point que le comte Pahlen, Ambassadeur de Russie, vint en parler amicalement à la Princesse et lui dit que lui et ses collègues s'abstiendraient de venir le soir chez elle, s'ils étaient forcés d'y rencontrer, chaque fois, M. Guizot. La Princesse répondit qu'elle 250 tenait trop à conserver ses relations avec son Ambassadeur pour ne pas espacer les visites de M. Guizot. En effet, elle raconta simplement à celui-ci sa conversation avec le comte de Pahlen, et, tout en l'assurant du prix qu'elle attachait à son amitié, elle le pria de venir moins assidûment le soir chez elle. M. Guizot lui répondit, avec quelque amertume: «Comme vous voudrez, Madame, il est bien entendu que je ne vous verrai plus le soir, jusqu'au jour où je serai Ministre des Affaires étrangères, et où, alors, le Corps diplomatique demandera à venir chez vous pour m'y rencontrer.» On ne saurait avoir été meilleur prophète.

Paris, 14 avril 1843.—Le jour où le général Baudrand, nommé gouverneur du Comte de Paris, vint en faire ses remerciements au Roi, en lui faisant une phrase de modestie sur le poids de sa responsabilité, le Roi l'interrompit et lui dit: «Rassurez-vous, mon cher Général, car il reste bien entendu que le Gouverneur de Paris, c'est moi.» Je crois que ce qui a fait agréer ce choix par Mme la Duchesse d'Orléans, c'est qu'un jour, elle aussi, compte bien dire à ce pauvre général Baudrand: «Le Gouverneur, c'est moi.»

Hier au soir, chez Mme de Boigne, où j'ai été avec M. et Mme de Castellane qui reviennent de Rome, la conversation a mené, naturellement, à parler du Cardinal Consalvi, que j'ai beaucoup connu: il était aimable, fin, spirituel, agréable, comme un homme du monde; il n'avait rien d'ecclésiastique que son habit. M. le Chancelier [86], 251 qui était aussi chez Mme de Boigne, racontait qu'à Rome, le Cardinal, au moment où tout le poids du gouvernement pesait sur lui, se plaisait encore à distribuer des billets de spectacle et à se réserver toutes les politesses et les obligeances de la société. Au Congrès de Vienne, où il était chargé de défendre les intérêts du Saint-Siège et d'obtenir, s'il était possible, la restitution des légations, je l'ai entendu, un jour, en réclamer vivement et habilement la propriété pour le Saint-Père. M. de Talleyrand discutait cette question avec lui: après plusieurs arguments pour et contre, le Cardinal s'écria tout à coup, avec un accent et des gestes italiens inimitables: «Mais, qu'est-ce que cela vous fait de nous rendre, ici-bas, un peu de terre? Nous vous en donnerons, là-haut, tant que vous voudrez.» Et, en disant cela, il levait les yeux et les mains au ciel, avec un élan merveilleux!

Mme de Boigne, habituellement si réservée qu'elle en est comprimée, s'est échappée jusqu'à me citer un propos que Pozzo lui avait tenu, à l'époque du mariage de la Reine d'Angleterre, et qui est un peu léger: Mme de Boigne demandant à Pozzo qui la Reine d'Angleterre allait épouser, il répondit: «Encore un des étalons de la Royauté.» C'est ainsi qu'il désignait les Cobourg.

Paris, 15 avril 1843.—L'abbé Dupanloup a prêché, hier, l'agonie, à Saint-Roch, avec talent et émotion, mais avec un peu trop d'harmonie imitative dans la voix, des 252 longueurs, des redites, et un morceau redoublé sur les douleurs maternelles de la Sainte Vierge, qui, réduit de moitié, aurait été d'un meilleur effet. Presque adressé à la Reine, qui était avec les Princesses dans la stalle en face de la chaire, il aurait dû moins analyser et fouiller dans ces affreuses angoisses maternelles, qui renouvelaient les tortures de la pauvre Reine. Elle fondait en larmes, et, parmi les assistants, il y en a eu qui ont eu le mauvais goût de se lever pour la regarder pleurer.

On était fort embarrassé de savoir dans quel costume le Prince Auguste de Saxe-Cobourg paraîtrait, au jour de son mariage [87], mais le Roi de Saxe, son cousin, a tranché la difficulté en le nommant d'emblée Général.

Paris, 16 avril 1843.—Le docteur Cogny me rappelait, hier, que quelqu'un ayant dit devant M. de Talleyrand que le sage devait tenir sa vie cachée, il reprit: «Selon moi, il ne faut ni la cacher, ni la montrer; il faut être ce que l'on est, simplement, sans précautions ni affectation.» M. de Talleyrand était, en effet, si naturel en toutes choses, et faisait si grand cas de la vérité dans la vie, que je lui ai entendu dire, écrire et répéter souvent, même par exclamation, et comme répondant à sa propre pensée: «Que la simplicité est une belle chose!»

M. de Barante, pendant son ambassade à Turin, s'est assuré que Matthioli (que quelques historiens ont voulu supposer avoir été le fameux Masque de fer) était mort en 253 Piémont et ne pouvait avoir rien de commun avec ce célèbre personnage. Louis XVIII était si curieux de ce mystère, dont Louis XVI avait été le dernier dépositaire, que le jour même où il revit à Mittau sa malheureuse nièce, Mme la duchesse d'Angoulême, il la questionna pour savoir si Louis XVI, avant de mourir, ne lui avait pas confié son secret. La Princesse répondit que non. C'est Louis XVIII, lui-même, qui l'a raconté au duc Decazes, ce qui fait plus d'honneur à sa curiosité qu'à son cœur. A ce sujet, il me revient à l'esprit une autre chose, que j'ai souvent entendu raconter à feu mon oncle, M. de Talleyrand, qui ne la citait jamais sans le plus profond étonnement. Ministre des Affaires étrangères, il reçut un soir un courrier, porteur d'une nouvelle qui pouvait être désagréable à Louis XVIII. Il remit à l'annoncer au Roi au lendemain matin; en arrivant de bonne heure chez Louis XVIII, il lui dit: «Sire, craignant de faire passer une mauvaise nuit à Votre Majesté, j'ai remis à ce matin de lui apporter les papiers que voici.» Le Roi, surpris, lui dit: «Rien n'empêche mon sommeil, et en voici la preuve: certes, le coup le plus affreux de ma vie a été la mort de mon frère; le courrier qui m'apporta cette cruelle nouvelle arriva à huit heures du soir. Je restai plusieurs heures bouleversé, mais à minuit je me couchai, et je dormis mes huit petites heures, comme de coutume.»

Paris, 20 avril 1843.—Les différentes personnes attachées au service de Mme la Duchesse d'Orléans ont 254 reçu hier, de cette Princesse, chacune une lettre dans laquelle elle leur dit que le deuil de Mgr le Duc d'Orléans est trop sérieux pour pouvoir être quitté pour n'importe quelle circonstance, et qu'en conséquence, aucune des personnes qui lui sont attachées ne pourra le quitter au mariage de la Princesse Clémentine. Cette injonction finit par ces mots: «C'est ainsi que je l'entends.» Il y a des personnes qui veulent voir, dans cette circulaire, un blâme tacite de ce que le mariage de la Princesse Clémentine a lieu avant l'expiration de l'anniversaire mortuaire du feu Prince. Ce n'est pas la première circonstance où une certaine séparation se marque entre Mme la Duchesse d'Orléans et la Famille Royale.

Paris, 22 avril 1843.—La Grande-Duchesse douairière de Mecklembourg, belle-mère de la Duchesse d'Orléans, a dit à une dame avec laquelle elle est en confiance, et qui me l'a répété, combien elle était peinée de la situation comprimée dans laquelle, à tous égards, le Roi tient la Duchesse d'Orléans. On dit que cette Princesse a l'intention de porter le deuil pendant tout le reste de sa vie.

Paris, 29 avril 1843.—Il y a quelques mois que la princesse Belgiojoso a fait paraître un livre plus pédant que sérieux, ayant pour titre: De la formation du Dogme catholique. Cet ouvrage n'est, à vrai dire, qu'un catalogue des diverses hérésies dans les premiers siècles de l'Église. Il suppose des recherches si longues et si ardues, qu'il est difficile de croire qu'une femme, jeune encore, 255 et dont la vie appartient fort au monde, ait pu, seule, en être l'auteur. Le style en est simple, ferme, et, de beaucoup, ce qui vaut mieux dans le livre, fort peu orthodoxe, du reste, déjà mis à l'index à Rome. On a beaucoup cherché quels pouvaient être les collaborateurs de la Princesse. On a nommé, et M. Mignet et l'abbé Cœur, tous deux de sa société intime. A cette occasion, quelqu'un devant qui on parlait de ce livre disait: «C'est bien le cas de dire: le style, c'est l'homme!»

Le duc de Coigny, chevalier d'honneur de Mme la Duchesse d'Orléans, est d'un caractère assez brusque et d'une franchise rude; il a fait une espèce de scène à la Princesse, au sujet du général Baudrand comme gouverneur du Comte de Paris, disant que ce n'était pas la peine de s'être tant pressé pour faire un choix si pauvre et si rapetissant; qu'on s'était attendu au duc de Broglie, à quelque Maréchal, enfin, à une notabilité quelconque. A quoi Mme la Duchesse d'Orléans a répondu: «Si le choix est mauvais, j'en suis seule responsable, car je l'ai instamment sollicité du Roi.» Là-dessus, vraie colère du duc de Coigny, demandant l'explication de cette préférence: «Que voulez-vous?» a été la réponse, «vous savez que nous n'aimons pas avoir, auprès de nous, des gens qui nous gênent.» M. de Coigny a répliqué: «Votre Altesse Royale ne voulait donc qu'un homme de paille; c'est pitoyable!» et l'entretien a fini là.

Le prince de la Moskowa, fils aîné du maréchal Ney, grand musicien, a conçu le projet de faire naître, à Paris, le goût de la musique sacrée, qui y est étrangement 256 inconnue, et peu appréciée. Il a péniblement enrôlé quelques amateurs et a cherché à inspirer de l'intérêt pour cette association à quelques dames qu'il a priées d'être patronnesses: je suis de ce nombre. Avant-hier, le premier essai a eu lieu dans le salon de Hertz. Les efforts ont été louables; le résultat médiocre, malgré le grand talent de Mme de Sparre et une autre belle voix de femme; mais, ici, on ne sait pas chanter simplement, gravement, sans dramatique, les accents austères et sacrés de la musique religieuse: c'est un art tout nouveau dans ce pays-ci, et qu'il faudra du temps pour naturaliser. La tentative est cependant intéressante. J'ai dit au prince de la Moskowa qu'il devrait associer à ses efforts les curés de Paris; j'en ai aperçu deux dans la salle.

Un événement cruel vient de frapper une famille que je connais: un jeune homme de dix-huit ans, Henri Lombard, la joie et l'orgueil de ses parents, l'honneur de son collège, l'amour de ses camarades, est mort le 24 de ce mois-ci, après trois jours de maladie. Cette maladie, c'était la rage! Au mois de novembre dernier, il trouva son chien de chasse triste et morose; un jour même, il eut la main éraillée par les dents de cet animal, qui, peu après, mourut enragé. Son maître, qui l'aimait beaucoup, eut le courage (le chien étant attaché) de lui nettoyer, avec son éponge de toilette, l'écume qui sortait de sa gueule. Il lava ensuite cette éponge et s'en servit comme par le passé. Cependant, il resta préoccupé de cette égratignure de la main, dont il n'avait pas parlé d'abord, et ce ne fut que trois mois après la mort du chien qu'il dit à son ancienne 257 bonne que pendant plusieurs semaines, il avait été soucieux et inquiet, mais que le temps qui s'était écoulé le rassurant entièrement, il reprenait toute sa liberté d'esprit. Doux et studieux, il n'était ni gai, ni communicatif. Il parlait peu des dispositions intimes de son âme. C'est ainsi qu'on ignorait, dans sa famille, avec quelle assiduité il assistait, depuis près d'un an, aux instructions religieuses données à Saint-Louis-d'Antin par M. Petetot, le respectable et habile curé de cette paroisse. Les parents d'Henri Lombard n'ayant aucune habitude analogue à ces instructions pastorales, il avait, probablement, craint de leur déplaire, en se montrant dans une route opposée à la leur. Les choses en étaient là, quand, le vendredi 21 avril, il se sentit un grand malaise, aussitôt après une horreur marquée pour les liquides. Il reconnut, à l'instant, l'irrémédiable coup dont il était frappé. Il fit prier M. Petetot de venir lui parler et remplit tous ses devoirs religieux, non seulement avec une régularité exemplaire, mais avec une foi tellement fervente et une résignation si remarquable que le curé et les assistants en restèrent étonnés et profondément édifiés. Dans les horribles crises de ce mal hideux, dans l'affreuse contrainte de la camisole de force, couvert de cette dégoûtante écume de la rage, dévoré par ce mal ardent contre lequel on n'essaye même plus de remède, Henri Lombard n'a eu de pensées que pour le Ciel. La solennelle séparation de l'âme et du corps semblait s'être opérée dès avant la mort. Cette âme, longtemps ensevelie dans une silencieuse méditation, s'est alors révélée et comme dégagée des liens terrestres: elle a 258 trouvé un langage et des expressions d'un ordre surnaturel. Dans les moments où il pouvait parler, il a exhorté chacun, avec un à-propos et une autorité singulière, notamment sa mère; lui connaissant des torts vis-à-vis d'une personne respectable de sa famille, il lui a dit, avec une voix inspirée: «Ma mère, de mon lit de mort, je vous envoie demander pardon et réparer vos torts.» Au retour de Mme Lombard près de lui, il lui dit: «Je vous connais, vous irez pleurer sur ma fosse et vous croirez vous rapprocher de moi, en cherchant mon tombeau; et vous ne saurez pas et vous ne sentirez pas que je ne suis plus là; vous ne lèverez pas vos yeux vers le lieu où je serai, plus haut; je serai mieux, je serai là où je pourrai intercéder pour vous.» Les jeunes élèves internes de l'hospice de la Charité, que M. Andral, oncle d'Henri Lombard, avait placés près de lui, et qui ne l'ont quitté qu'après que tout a été fini, ont été tellement saisis d'admiration par cette scène que leurs tendances incrédules sont entièrement changées. M. Andral, lui-même, si aguerri à tous les spectacles les plus déchirants, est resté abattu et consolé à la fois. Les obsèques du jeune Lombard ont été remarquables par le concours de tout le collège auquel appartenait le défunt, et par le tribut d'éloges et de regrets que chacun exprimait.

Paris, 30 avril 1843.—La vente de charité au profit des victimes du désastre de la Guadeloupe, a produit plus de cent mille francs net. La fatigue, pour nous qui vendions, a été grande, mais non sans intérêt. Chacune 259 des Dames patronnesses a eu sa petite aventure à raconter. Voici la mienne. Un homme d'un certain âge est venu me demander le prix d'un petit gobelet en porcelaine: «Il est de vingt francs.—Est-il en porcelaine de France?—Non, Monsieur; en porcelaine de Saxe, de la manufacture de Dresde.—De Dresde!» reprit le Monsieur. «J'ai un mauvais souvenir de Dresde, car, Madame, je suis officier d'artillerie, et c'est moi qui, dans les guerres de l'Empire, par ordre supérieur, ai fait sauter le pont de Dresde.—Eh! Monsieur! Vous ne savez donc pas que vous parlez à une Allemande?—Vous serez généreuse, Madame, et vous pardonnerez un tort de la guerre.—Oui, Monsieur, si vous êtes généreux pour nos pauvres.—Ordonnez, Madame; j'achèterai tout ce que vous voudrez, ou, du moins, tout ce que je pourrai, car je ne suis pas riche.» Et, en disant cela, il vida sa bourse sur le comptoir: elle contenait trente francs. Je me préparais à ajouter un porte-cigares au gobelet, quand il me demanda de lui accorder quelque chose de mon propre ouvrage; je mis des pantoufles en tapisserie à la place du porte-cigares. L'officier, en les prenant, me dit, de fort bonne grâce: «Madame, la paix est-elle faite?—Assurément, Monsieur, signée et ratifiée.»

Une dame de la province, qui est venue pendant les trois jours de la vente à notre boutique, nous dit, le dernier jour, qu'elle avait été si touchée, si pénétrée de notre zèle et de notre activité polie et obligeante, qu'elle nous priait de recevoir un petit souvenir d'elle. En disant cela, elle nous offrit, à chacune, à la comtesse Mollien et 260 à moi, qui tenions la même boutique, une paire de manchettes en dentelle. Nous la remerciâmes, au nom des pauvres, croyant qu'elle destinait ces dentelles à notre boutique, mais elle nous dit clairement, alors, que c'était pour nous-mêmes. Elle ne voulut pas nous dire son nom, et nous eûmes grand'peine à lui faire accepter à notre tour, en souvenir de notre boutique, une tasse dont nous lui fîmes hommage.

Paris, 5 mai 1843.—J'ai été, hier, chez la Reine Christine: elle a des yeux intelligents, la peau belle, le sourire gai, des fossettes gracieuses, le langage facile, un petit accent qui anime encore ce qu'elle dit. Elle parle de tout sans embarras, et il semblerait qu'elle est sans secrets. Le sans-gêne est ce qu'elle préfère, et je la crois fort soulagée d'être loin du trône et des affaires: la vie libre et assez obscure qu'elle mène à Paris lui convient parfaitement; elle n'a pas une seule Dame auprès d'elle; cet entourage de chambellans a quelque chose d'étrange; il n'y a que dans les grandes occasions indispensables que Mme de Toreno est appelée pour accompagner la Reine. Munoz est ici. Il vit à l'ombre, dans la maison de la Reine; on le dit son mari; elle a, de lui, cinq enfants, qui sont élevés à Grenoble. On assure qu'il est homme de sens, et absolument le maître de l'esprit de la Reine. Sans être aussi prodigieusement grasse que l'infante Carlotta, la Reine, cependant, est beaucoup trop lourde de taille; l'absence de corset ajoute à la disgrâce de cet embonpoint excessif; d'ailleurs, elle est petite. Elle m'a parlé de ses 261 filles d'Espagne: elle m'a dit que la Reine Isabelle avait une grande dignité dans toutes ses habitudes de corps; qu'elle était spirituelle et décidée; tout à fait créée pour le rôle difficile qu'elle est appelée à jouer; que sa santé était remise, et que, même, elle était forte et robuste. Elle a ajouté que, malheureusement, les personnes qui l'entouraient, pour s'en faire aimer, ne l'obligeaient à aucune application, et qu'elle resterait très ignorante. La Reine m'a dit, aussi, que les nouvelles qu'elle recevait de ses filles étaient sûres, parce qu'elle avait d'autres moyens que les voies officielles pour en être informée. Elle a beaucoup parlé de feu M. le Duc d'Orléans, et avec d'extrêmes regrets, disant que sa mort était une perte, non seulement pour la France, mais même pour l'Espagne. «Non pas,» a-t-elle dit, «que le Roi ne soit très bien pour l'Espagne, mais il y avait, dans le Prince Royal, le feu de la jeunesse et un goût d'entreprise qui aurait été bien utile à ma fille.»

Le jour de l'inauguration du chemin de fer de Rouen, Mgr le Duc de Nemours se trouvant dans le pavillon de l'embarcadère, un monsieur et une dame, également voyageurs du chemin de fer, voulurent y entrer; le factionnaire laissa passer la dame, pendant que le monsieur était arrêté à causer avec quelqu'un, mais quand il voulut suivre la dame, le factionnaire lui dit: «On ne passe pas.—Mais je suis député.—N'importe.—Mais c'est ma femme que vous avez laissé passer.—C'est possible.—Mais vous voyez bien qu'elle est là, qui cause avec le Prince.—Raison de plus! Vous ne passerez pas.» 262 Cette réponse, entendue par plusieurs personnes, a fait la joie de tout le convoi.

M. le Duc de Nemours se donne de la peine pour remplir avec exactitude les devoirs de sa nouvelle position [88]. Mais cette peine est visible et lui ôte la grâce facile qui distinguait son frère aîné. Il va assez régulièrement à la Chambre des Pairs: il y exprime souvent, à ses voisins, des opinions très justes et très raisonnables sur les questions qui occupent la Chambre, mais il le fait avec embarras et froideur, dans le moins de paroles possible, puis, on le voit quitter la Chambre, à pied, seul, le cigare à la bouche, et retourner ensuite aux Tuileries.

Paris, 10 mai 1843.—Décidément, le Comte de Paris, à peine âgé de cinq ans, passe effectivement entre les mains des hommes. Son précepteur couchera dans sa chambre. Cependant sa bonne lui donnera encore quelques soins physiques. Il paraît que le Roi a voulu qu'il en fût ainsi. La Duchesse d'Orléans en est peinée. Depuis son veuvage, elle n'était pas rentrée dans sa chambre à coucher et avait pris, dans la chambre du Comte de Paris, le lit de la bonne du petit Prince.

Paris, 12 mai 1843.—J'ai longtemps vu le Roi hier. En me parlant de la Prusse, où je vais, il m'a montré son 263 mécontentement de ce que le Roi de Prusse, en se rendant, l'année dernière, en Angleterre, et en venant plus tard à Neuchâtel [89], ait longé toutes les frontières de France, depuis Ostende jusqu'à Bâle, sans vouloir toucher le sol français. Cependant le Roi Louis-Philippe avait fait inviter le Roi de Prusse à passer par Compiègne, où ils se seraient vus. Le Roi de Prusse a décliné l'invitation, en répondant que le plus court chemin était de traverser la Belgique et que ses moments étaient comptés. Il paraît que Sa Majesté Prussienne voulait même éviter de voir le Roi des Belges, mais celui-ci ayant été à Ostende tout exprès, il n'y a pas eu moyen. Le plus blessant a été le mot du Roi de Prusse, en réponse à quelqu'un qui s'étonnait du refus que Sa Majesté avait fait de passer par la France: «Que voulez-vous? Nous nous sommes promis de ne faire aucune politesse isolée au Roi Louis-Philippe!» Le Roi des Français, piqué au vif, a, depuis, donné l'ordre à ses agents diplomatiques de refuser tout passeport à des Princes étrangers qui voudraient venir incognito à Paris, pour se dispenser de le voir, comme les Princes de Würtemberg l'ont fait, et comme le Grand-Duc Michel de Russie était tenté de le faire; la consigne, aux 264 frontières, est d'exercer, à cet égard, la plus grande surveillance.

Madame Adélaïde m'a paru désolée du mariage de la Princesse Clémentine, si terne comme position, et plus terne encore par l'extrême nullité du Prince. Madame me disait qu'il en était embarrassant, et bien pire que le Duc Alexandre de Würtemberg. Madame et le Roi expliquent leur consentement à ce mariage, par l'impossibilité de refuser à une fille de vingt-six ans un mariage qui n'est pas précisément inconvenant, quand on n'en a point d'autre à lui offrir. Madame et le Roi s'étonnent du plaisir que montre la Princesse d'aller après ses premiers voyages à Cobourg, où elle trouvera si peu de ressources sociales, et où la position d'une Princesse d'Orléans et d'une Princesse catholique pourra avoir ses ennuis et ses embarras, au milieu de toutes ces petites cours d'Allemagne. Mais le mouvement, le déplacement, le nouveau, ravissent cette jeune et aimable Princesse.

Paris, 15 mai 1843.—J'ai eu l'honneur de prendre, hier, les ordres de Mme la Duchesse d'Orléans pour la Prusse. Elle est particulièrement liée avec sa cousine, la Princesse de Prusse, dont l'esprit distingué et le caractère élevé plaisent à ceux qui la connaissent intimement et les attachent à elle. Mme la Duchesse d'Orléans m'a paru plus abattue hier que la première fois que je l'avais vue depuis son veuvage. Il m'a semblé qu'elle en sentait de plus en plus le vide cruel. Beaucoup de circonstances ont contribué, depuis quelque temps, à aigrir sa douleur; 265 l'expression en reste douce et mesurée, mais cependant moins contenue. Le départ de la Grande-Duchesse douairière de Mecklembourg l'isole extrêmement, et je l'ai trouvée dans un de ces moments où l'âme ne se suffit pas à elle-même, où la force fléchit et où l'épanchement devient un besoin impérieux. Sûre de mes regrets et de ma fidélité à la mémoire qui lui est chère, cette Princesse a eu un abandon et une ouverture de cœur à mon égard qui m'ont touchée profondément. Elle m'a parlé, avec une amertume qu'elle était la première à se reprocher, de l'effet que produisent sur elle toutes les circonstances où le Duc de Nemours est obligé de prendre, en public, la place que le feu Prince remplissait si bien: l'ouverture des chemins de fer, les courses de chevaux, toutes ces représentations publiques lui sont autant de blessures. Elle m'en a parlé naturellement et avec une parfaite et douce convenance dans l'expression. Tout son langage, d'ailleurs, est empreint d'un grand sentiment religieux. Elle m'a dit aussi quelques mots du mariage de la Princesse Clémentine, dont elle me semble frappée dans le même sens que l'est Madame Adélaïde. Enfin, je suis restée deux heures chez Mme la Duchesse d'Orléans, qui semblait trouver quelque douceur à causer, plaisir qui est rare pour elle, dont la vie est contenue et resserrée dans d'assez étroites limites. Elle parle remarquablement bien, avec grâce, finesse d'observation, et un constant désir de plaire. Peut-être tout cela est-il trop bien! Aussi ai-je été soulagée, en la voyant perdre, pour la première fois, de son self-command. J'attendais, pour l'admirer comme elle le 266 mérite, que l'émotion devînt la plus forte, et c'est ce que j'ai éprouvé hier.

Paris, 18 mai 1843.—J'ai rencontré, avant-hier, le P. de Ravignan chez l'abbé Dupanloup. J'ai été charmée de sa noble figure, de la douce gravité de sa parole. L'autorité qu'il possède en chaire disparaît dans la conversation. Il y est mesuré, doux; il parle assez bas, avec lenteur; la profondeur de son regard mélancolique s'allie assez bien avec un sourire bienveillant, mais sans gaieté. Il parle de Dieu avec amour, des hommes avec indulgence, des intérêts du clergé avec modération, du triomphe de la religion avec ardeur, de lui-même avec modestie, de la situation des choses avec sagesse; enfin, il inspire confiance et estime. Il ne quitte plus guère Paris; il s'agit, pour lui, d'y maintenir, par des relations fréquentes, les jeunes âmes qu'il a ramenées et attirées par ses brillantes conférences. Il ne confesse guère que des hommes, mais aussi les voit-il en foule arriver à lui, et, au dernier jour de Pâques, le nombre des jeunes gens qui se sont approchés des Sacrements a été prodigieux. On y a remarqué douze élèves de l'École polytechnique en uniforme! Il y a deux ans qu'un chapelet fut trouvé dans un des corridors de l'École, où il était tombé. Les jeunes gens s'en emparèrent, l'attachèrent au haut d'une perche qu'ils plantèrent dans la cour, et, au milieu de beaucoup de risées et de moqueries, ils s'écrièrent: «Voyons si celui de nous qui a perdu ce chapelet osera le réclamer.» Aussitôt, un des élèves s'avance et dit fermement: 267 *«Ce chapelet est à moi, je le redemande.» Il dit cela si simplement et avec tant de fermeté, que personne ne lui répondit une parole déplacée. Depuis ce jour, plusieurs suivirent son exemple, et maintenant ils sont douze catholiques pratiquants, dans l'École, très ouvertement.

On m'a assuré que le Roi se prononçait assez vivement contre les protestants et qu'il les redoutait. Mme la Duchesse d'Orléans, par prudence, habileté ou conviction, a dit plusieurs fois au Roi, depuis son veuvage: «Je ne serai jamais la Papesse des protestants, Sire, vous pouvez en être assuré.»

M. Guizot, qui est venu ce matin me dire adieu, m'a dit que le Roi ne se contenterait plus du retour de l'Ambassadeur de Russie à Paris; qu'il ne voulait plus rentrer avec l'Empereur Nicolas dans ces relations équivoques qui ont subsisté depuis 1830, et qu'il n'arriverait à l'échange des Ambassadeurs que si, en même temps, l'Empereur lui écrivait: «Monsieur mon frère.» M. Guizot s'attribue l'honneur de la nouvelle marche adoptée par le Roi, à l'égard des Cours de l'Europe. Il m'a longuement parlé de Mme la Duchesse d'Orléans, et voici ce qu'il m'en a dit, et que je crois vrai. Il lui trouve beaucoup d'esprit, de mesure, de tenue, de grâce et de combinaison; mais aussi l'imagination inquiète, un besoin d'action et de produire de l'effet, un jugement qui manque parfois de justesse. Elle a, d'ailleurs, un peu d'afféterie allemande, de la recherche dans le langage et des tendances libérales qui tiennent au protestantisme et 268 au goût de la popularité. Se sentant plus d'esprit que le Duc de Nemours, et le sachant sans ambition, elle ne le redoute aucunement, mais elle craint le Roi, qui, de son côté, se défie de son mouvement d'esprit. Ses relations avec la Reine sont sans intimité, et chaque jour les refroidit. Elle s'entend mieux avec Madame Adélaïde. Elle a un ami dans la famille, c'est le Prince de Joinville, vraie nature de héros, brillant, indompté, original, ardent, et qui a goût à sa belle-sœur. Le Duc d'Aumale, capable, courageux, très soldat, se conduit à merveille en Afrique, et s'arrange fort bien de la position qu'on lui prépare d'être vice-roi d'Algérie. Le Duc de Montpensier, peut-être le plus spirituel des fils du Roi, est bien jeune encore, et on ne le compte guère jusqu'à présent.

Clermont-en-Argonne, 21 mai 1843.—Je chemine sans accident, mais le temps est humide et disgracieux, le pays assez maussade; cependant, près d'ici il est coupé et boisé, et m'explique ces campagnes de l'Argonne dont je faisais la lecture, à Bade, il y a quelques années. En vérité, si des voyages dans un joli pays, avec quelqu'un qu'on aime, par un joli temps et avec des curiosités excitées et satisfaites, sont une charmante chose, se faire transporter dans une boîte roulante sans intérêt, ni consolations, est une des plus sottes choses qui se puissent imaginer.

Metz, 22 mai 1843.—On restaure l'église de Meaux. On la dégage des maisons qui l'entouraient. Sans l'humidité et le malaise que j'éprouvais, j'y serais entrée; il y a 269 si longtemps que j'ai envie de voir la chaire où prêchait Bossuet. J'ai fini le second volume de Walckenaer sur Mme de Sévigné; je le préfère au premier. L'esprit en est excellent, l'intérêt soutenu; il y a du nouveau, sur un sujet qui n'en comporte plus guère, des recherches infinies et habilement mises en lumière. J'y ai mieux compris le grand procès de Fouquet que nulle autre part.

Sarrebrück, 23 mai 1843.—Je vais terriblement vite. Me voici par delà la barrière de France; bientôt le Rhin sera une nouvelle frontière franchie. Chaque limite de plus que je dépasse m'attriste, et je trouve qu'un poteau peint en noir et blanc, et un filet d'eau sont de trop.

J'ai lu la première moitié du premier volume de l'ouvrage de M. de Custine sur la Russie [90]. La préface est trop métaphysique; cependant, il y a un morceau sur le protestantisme et sur les soi-disant Églises nationales et politiques, qui est spirituel et frappant; plus loin, un portrait fidèle du Grand-Duc héréditaire de Russie. J'ai été particulièrement touchée de deux chapitres ou lettres consacrées à feu Mme de Custine, mère de l'auteur; on y trouve, en abrégé, la vie héroïque de cette aimable femme, qui m'aimait, et que j'ai beaucoup regrettée. Elle aurait pu être ma mère et n'avait plus que des regains de beauté quand je l'ai connue, mais il lui restait un grand charme, et tout ce qui attire et retient. On m'a beaucoup dit qu'elle avait été fort galante. Je crois qu'on disait vrai; 270 elle était restée veuve si jeune, si belle, si isolée, que cela s'explique et s'excuse. On disait d'elle qu'elle l'était encore quand je l'ai connue. Cela se peut aussi; mais ses manières étaient réservées, son langage doux, sa parole modeste, et son ensemble de la plus parfaite décence. Je l'ai vue mourir sans une plainte. C'est ce qui m'a laissée indulgente, presque bienveillante pour M. de Custine, et qui me dispose favorablement pour ses livres, dans lesquels il y a toujours de l'esprit, quelquefois du talent, et, quand il s'agit de la Russie, beaucoup de vérité. Je condamne, cependant, cette vérité livrée au public, quand, par reconnaissance, il aurait dû la taire; mais voilà où est l'homme de lettres... C'est une race dont je ne fais pas de cas.

Mannheim, 24 mai 1843.—J'ai un fonds de malaise qui me fait prendre en déplaisance tout ce que je fais. Il n'y a que le livre de M. de Custine qui me convienne. Malgré la recherche affectée du style, de l'esprit mis partout, même là où il nuit plutôt qu'il ne sert, et un besoin outré de faire de l'effet par une rédaction brillante, cette lecture amuse et intéresse. Je ne connais pas assez les lieux et les faits pour contrôler l'exactitude du récit et des descriptions; cependant, j'en sais assez, soit par tradition, soit par mes relations avec les Russes, pour trouver partout de la vraisemblance. Ainsi, tout ce qu'il dit sur les milliers d'ouvriers sacrifiés au prompt rétablissement du Palais Impérial d'hiver de Saint-Pétersbourg m'a été raconté à Berlin. L'innombrable vermine, plaie de Saint-Pétersbourg, 271 notamment celle des punaises, ne m'était pas non plus inconnue, et, par exemple, voici ce que j'ai entendu dire par le Prince de Prusse, qui était au mariage de sa nièce [91]: c'est que le Palais nouvellement rebâti, séché par une chaleur factice excessive, était tellement infesté de punaises, que la nouvelle mariée en avait été dévorée dans la première nuit de ses noces, et s'était vue forcée de se montrer aux fêtes toute couverte de taches rouges. Elle délogea dès le lendemain; mais on m'a assuré que la plaie des punaises était fort générale, et que les maisons les mieux tenues n'en étaient pas exemptes. Cela s'explique par la quantité de feu et le calfeutrage complet des maisons pendant neuf mois de l'année.

Voici un message qui m'arrive de la Grande-Duchesse Stéphanie et où on la reconnaît bien. C'est un billet aimable, et même tendre, mais dans lequel elle me dit qu'elle sera ici, à dix heures, pour me mener déjeuner chez elle à onze, après m'avoir fait faire une course en calèche pour profiter du beau temps. Et elle sait que depuis Metz j'ai respiré le grand air sans interruption! Enfin, il faut prendre les gens comme ils sont, et, pour un jour que je suis ici, ne pas me montrer maussade; d'ailleurs, il fait réellement très beau.

Mannheim, 25 mai 1843.—La Grande-Duchesse est, en effet, venue me prendre à dix heures, hier matin. Je l'ai 272 trouvée vieillie et attristée. Elle a toujours le même entourage: la vieille Walsch, spirituelle et intempestive, qui paraît le soir; la baronne de Sturmfeder, qui donne bon air à la maison, la bonne petite Kageneck, le modeste Schreckenstein et le vieil aumônier. Il y avait aussi à dîner, le prince Charles de Solms, fils de feu la Reine de Hanovre, et un comte de Herding dont je n'ai rien à dire. J'ai été assaillie de questions, mais aussi je me suis permis d'en faire à mon tour. La Princesse Marie, ou plutôt la marquise de Douglas, voyage en Italie, très éprise de son beau mari, dont elle paraît fort satisfaite. J'ai eu les détails de la noce, de tous les cadeaux, des magnificences, du douaire, etc., tout cela a été splendide. Les Douglas doivent bientôt passer par ici et se rendre en Angleterre et en Écosse. On croit la Princesse Marie grosse. Lord Douglas l'a menée de Venise à Goritz, où elle a été très bien reçue par les illustres exilés. Elle a écrit de là, à sa mère, que le Duc de Bordeaux, beau de visage, aimable de langage, avait une taille affreuse de lourdeur et qu'il boitait beaucoup; que Mademoiselle, avec un agrément infini, était trop petite et manquait de distinction. La Grande-Duchesse va bientôt se rendre près de sa fille, la princesse de Wasa, qui habite le château de Eichorn, à deux lieues de Brünn, en Moravie. Le Prince Wasa insiste sur le divorce; la Princesse ne veut pas y consentir; la Grande-Duchesse, qui redoute avec raison un procès, veut aller décider sa fille à ne pas s'y exposer, et à venir ici à Mannheim, ce dont, au reste, elle ne se réjouit pas beaucoup personnellement, redoutant le caractère peu 273 égal et peu facile de sa fille Louise. Le Prince Wasa se conduit fort grossièrement vis-à-vis de sa belle-mère; de plus, il est à peu près ruiné. Tout cela est un grand souci pour la Grande-Duchesse. Elle a rendu le château de Bade au Grand-Duc, et acheté la maison que celui-ci avait dans la ville. Elle a le projet de l'agrandir, de l'orner, et d'en faire une jolie chose.

Cologne, 26 mai 1843.—Je me suis embarquée ce matin à Mayence (où j'étais arrivée hier au soir) par un grand soleil, mais aussi par un vent à tout rompre; bientôt, la grêle et la pluie ont alterné avec la bourrasque; les vagues du Rhin s'élevaient, avec des airs maritimes tout à fait déplaisants. La Grande-Duchesse Stéphanie m'avait dit qu'elle trouvait la réputation des bords du Rhin usurpée, et je suis assez de son avis. Le fleuve est beau et noblement encaissé; les villages, les églises, les ruines l'escortent de souvenirs, tout cela est vrai; mais il y a un défaut de végétation qui imprime une aridité déplaisante au paysage; cependant, il y a de l'intérêt dans cette navigation, et elle a assez de poésie, quand on est en disposition de s'y livrer. Le château de Stolzenfels, vu du bateau, a quelque chose d'élégant, mais sans grandeur; c'est ce château que le Roi de Prusse vient de faire restaurer et agrandir, de sorte qu'à son dernier voyage, il y était avec soixante personnes. On dit que l'intérieur est charmant, et qu'on y jouit d'une très belle vue. Quant au Rheinstein, que le Prince Frédéric a fait arranger, c'est une vraie coquille de noix, on n'y monte qu'à 274 cheval, au lieu qu'à Stolzenfels on arrive en voiture. Les différentes communes propriétaires des vieux castels ruinés, sur le Rhin, en ont fait don aux différents Princes de la maison de Prusse. Ainsi, outre Stolzenfels qui est au Roi, le Rheinstein qui est au Prince Frédéric, on en a donné un au Prince de Prusse, un autre au prince Charles, la Reine même a eu le sien; ils sont tous sur la rive gauche, et le Roi a ordonné aux nouveaux propriétaires de les faire restaurer et de les rendre habitables. Le château de Hornbach (où la Jeune Allemagne a tenu ses assemblées révolutionnaires, avant l'établissement de la commission de Mayence) qui est sur la rive droite et dans les États bavarois, vient d'être donné par le Roi de Bavière au Prince Royal son fils, mais en changeant le nom; cela se nomme, maintenant, die Maxburg.

J'ai avancé, aujourd'hui, dans le second volume de M. de Custine. Il y raconte les conversations de l'Empereur et de l'Impératrice avec lui, paroles pleines de grâce et de coquetterie, dictées par le pressentiment qu'elles seront imprimées. Je me suis demandé, en lisant tout cela, si un voyageur qui doit l'hospitalité recherchée qu'il reçoit à la crainte de son jugement d'auteur, à la volonté d'être bien traité dans son ouvrage, à l'inquiétude d'être représenté partialement, peut-être sévèrement dans le public, si un tel voyageur, dis-je, est tenu à la même reconnaissance et à la même discrétion que le voyageur qui serait bien traité, sans arrière-pensée, et seulement parce qu'il plairait par son individualité. J'avoue que 275 j'hésite un peu dans mon jugement à cet égard, et que, si j'estime une délicate discrétion préférable en tout état de cause, je ne puis, cependant, ne pas trouver quelque excuse pour celui qui se croit moins étroitement lié par des politesses intéressées qu'il ne le serait par une bienveillance spontanée. Du reste, les conversations impériales sont mises en lumière avec un ton suffisamment laudatif; l'esprit le plus libre et le plus critique subit toujours, plus ou moins, l'influence des gracieusetés couronnées. Néanmoins, cet ouvrage déplaira profondément en Russie; il y rendra l'accueil fait aux voyageurs assurément plus froid et plus réservé.

Iserlohn, 27 mai 1843.—Je suis partie de Cologne ce matin, sans regretter l'auberge du Rheinsberg. Toutes ces auberges, au bord du Rhin, sont bien situées; on y trouve des meubles en bois incrustés, et des canapés recouverts de jolies étoffes, mais le voisinage de l'eau et leur exposition les rendent très froides; l'absence de cheminée est pénible, quand le vent et l'humidité pénètrent d'autant plus que ni volets, ni persiennes, n'en garantissent; au mois de mai, les doubles croisées sont déjà enlevées, et, en vérité, je les ai regrettées. Le jour qui arrive sans défense avant quatre heures et qui vient mal à propos vous réveiller est aussi un inconvénient contre lequel j'ai d'autant plus grogné, que le bruit des quarante-cinq bateaux à vapeur, les coups de cloche qui les annoncent, le train des chauffeurs, font un vacarme qui s'étend à peu près sur les vingt-quatre heures; combinés 276 avec le bruit intérieur que font, dans les auberges, les allants et venants; c'est à en devenir malade.

Sans la pluie, je serais allée ce matin à la Cathédrale voir jusqu'à quel point nos souscriptions (car je suis aussi un souscripteur) ont fait, depuis trois ans, avancer ce beau monument; mais il faisait si laid et je me suis sentie si rompue de par le plus exécrable petit lit allemand dans sa pureté tudesque que je n'ai pas eu le courage de me mouiller par curiosité, et je suis remontée, d'assez mauvaise humeur, dans ma voiture.

Cassel, 28 mai 1843.—Il a plu cruellement toute la nuit, il pleut encore; c'est fort triste et déplaisant. Je vais aujourd'hui jusqu'à Gœttingen, demain à Brunswick, après-demain à Harbke; je ne serai pas fâchée de voir Brunswick que je ne connais pas, et Gœttingen, dont les turbulents étudiants et les professeurs libéraux ont fait si souvent enrager le Roi de Hanovre.

Je suis toujours plongée dans M. de Custine. Il y a dans le troisième volume une lettre sur la princesse Troubetzkoï, celle qui a suivi son mari dans les mines, qui est très belle [92]. Les faits sont assez frappants, pour n'avoir 277 pas besoin de phrases à effet pour en produire beaucoup; l'auteur l'a senti, et, en simplifiant son style, il a encore mieux fait ressortir la dernière phase de ce terrible drame. La scène qui clôt et consomme cette rare infortune m'a fortement remuée. Je suppose que c'est pour avoir, dans mon enfance, tant entendu raconter la Sibérie à mon père, que j'ai une si vive sympathie pour les malheureux qu'on y enterre vivants.

Brunswick, 29 mai 1843.—Toujours de la pluie, avec des alternatives de grêle, et, par dérision, un pauvre petit rayon de soleil, pâle et honteux, qui annonce un nouveau grain. Brunswick est une vieille ville, assez laide, avec de grandes maisons tristes, mais nobles, une vieille église fort gothique, un hôtel de ville plus gothique encore. C'est un vrai soulagement après toutes ces petites capitales refaites à neuf, sans caractère, sans souvenirs, et si mesquines dans leur ornementation moderne, de retrouver enfin du vieux. J'ai remarqué la magnifique race des chevaux de poste, des chevaux de paysans, des chevaux de troupes; ce sont des bêtes superbes, grandes, fortes, vigoureuses; je ne sais si c'est le pays même qui les produit, ou bien si on les tire du Mecklembourg.

Quand on a, comme moi, la mémoire toute fraîche de vos récits des États-Unis d'Amérique [93], et qu'on lit ceux 278 de M. de Custine sur la Russie, on ne sait lequel des deux pays prendre le plus en grippe, précisément par leurs inconvénients opposés. Mais, à propos des Russes, je crois avoir oublié de vous conter un mot qui figurerait très bien dans les citations de M. de Custine. La dernière fois que je fus, dernièrement, à Paris, chez ma nièce Mme de Lazareff pour lui faire mes adieux, elle me dit: «Vous avez, ma tante, un visage impérial, ce matin.» Je ne comprenais pas, et je le lui dis. «Oh!» reprit-elle, «quand quelqu'un, à Saint-Pétersbourg, a particulièrement bon visage, nous disons ainsi.» N'est-ce pas très joli?

Harbke, 31 mai 1843.—J'ai quitté Brunswick hier matin, mais j'ai mis beaucoup de temps et fait une grande dépense de cris de terreur pour arriver jusqu'ici. D'abord, les grandes routes, elles-mêmes, ne sont pas merveilleuses dans le duché de Brunswick, puis Harbke est au bout d'un abominable chemin de traverse; les terribles pluies des derniers jours ont achevé de gâter toutes ces routes, et j'ai vraiment cru que nous y resterions. En arrivant, j'ai trouvé le pauvre vieux maître de céans [94] malade, et sa femme fort agitée et soucieuse. Je voulais repartir tout de suite, pour ne pas être importune dans un semblable moment, mais ni Mme de Veltheim, ni le malade lui-même n'y ont consenti; je ne partirai donc que demain, de très grand matin, pour être le soir, s'il plaît à Dieu, à Berlin.

279 Ce lieu-ci est fort bien arrangé pour un château allemand; il est assez vaste et aurait du style, si on n'avait pas modernisé un vieux bâtiment qu'on aurait dû laisser dans sa première figure. Le jardin est soigné, et il se lie à des bois d'une grande beauté. La maîtresse de la maison, qui n'a pas d'enfants, aime les fleurs, les oiseaux, même de bruyants perroquets. Elle est d'une propreté scrupuleuse, a soixante-deux ans; grande, mince et pâle, elle est toujours vêtue de mousseline blanche, ses bonnets de dentelle, ses fichus, tout est noué avec un ruban blanc; elle a quelque chose d'une apparition! Rien n'est plus noble et plus ancien que la famille des Veltheim; ils le savent, et n'y sont pas insensibles; elle est une Bülow. La première femme du comte Veltheim, dont il est divorcé, est maintenant la comtesse Putbus, mère de la comtesse Lottum et du jeune Putbus, mort à Carlsruhe. Les Veltheim sont très riches, et il règne une sorte d'opulence dans cet établissement-ci, où l'utile est, cependant, très rapproché de l'agréable. La vue manque, car le château est bâti dans un fond et dominé par des collines boisées. Quand on monte sur une de ces collines, on aperçoit à l'horizon, fort distinctement, la chaîne du Harz, et, très nettement, le Brocker où Gœthe a placé les scènes démoniaques de son Faust.

Magdebourg, 1er juin 1843.—Conçoit-on rien de plus contrariant que ce qui vient de m'arriver? J'ai manqué le départ du chemin de fer pour Berlin, où je comptais arriver ce soir; et encore faut-il me trouver très satisfaite 280 d'être parvenue jusqu'ici, saine et sauve; pour faire treize lieues (il n'y a que cela de Harbke ici), il m'a fallu rester dix heures en route! La continuité du déluge de ces derniers jours, des espèces de trombes d'eau qui ont éclaté sur la contrée, ont tout dévasté et défoncé au point de grossir les torrents, d'emporter les digues, de bouleverser le terrain, etc.; rien ne peut donner une idée de mes angoisses!

Berlin, 2 juin 1843.—Me voici donc, enfin, à ce premier but de mon long et pénible voyage. J'y arrive, à la lettre, à bout de toutes façons, avec une robe trouée, un dernier écu dans ma poche, et une fatigue qui ressemble à une forte courbature. Le chemin de fer de Magdebourg ici est fort bien organisé, il met huit heures pour parcourir une route d'autant plus longue qu'elle passe par Dessau et Wittenberg. J'ai fait comme sur les bateaux à vapeur, et je suis restée dans ma propre voiture, ce qui m'a paru le plus convenable, n'ayant pas de compagnon mâle, et la compagnie étant fort mêlée.

Berlin, 3 juin 1843.—La duchesse d'Albuféra m'écrit que la Princesse Clémentine, se rendant à Brest afin de s'embarquer pour Lisbonne, a été admirablement reçue en Bretagne, qu'on a de bonnes nouvelles du Prince de Joinville, et que le Duc d'Aumale se distingue en Algérie. La duchesse de Montmorency me mande une étrangeté inouïe. Mme de Dolamieu a vendu, pour 35 000 francs, des lettres autographes contemporaines, dans lesquelles il 281 y en avait de fort désagréables à laisser circuler. Le Roi des Français avait racheté les siennes 25 000 francs. Vraiment, le temps actuel a un cachet tout particulier d'effronterie! Le général Fagel a obligé Mme de Dolamieu à racheter pour 800 francs une lettre du Roi des Pays-Bas, qu'il lui avait donnée et qu'elle avait vendue avec la collection.

L'auteur de la tragédie de Lucrèce, M. Ponsard, et l'auteur de la tragédie de Judith, Mme Émile de Girardin, dont les succès ont été si différents, se sont rencontrés chez la duchesse de Gramont. Mme de Girardin y a étouffé de rage, à un degré, dit-on, qui a été grotesque.

Berlin, 4 juin 1843.—J'ai vu, hier, la comtesse de Reede. Cette vieille et très aimable dame, qui me traite toujours comme sa fille, m'a reçue à bras ouverts, et m'a mise tout de suite au courant du terrain. Elle est à la tête de la fraction hostile et sévère pour la Princesse Albert; celle-ci est partie pour la Silésie; sa position ici est détestable, et quoique le Roi l'ait soutenue, en ce sens qu'il n'a pas permis à son frère de divorcer, la Princesse ne se trouve pas moins cruellement déplacée dans le monde et à la Cour.

J'ai été prendre le thé chez la Princesse de Prusse où se trouvait aussi son mari. Lui est engraissé, mais elle, est d'un changement qui m'a fait peine, et qui est bien préjudiciable à sa beauté que j'aimais tant. Comme elle est jeune et forte, j'espère que l'éclat et la fraîcheur lui reviendront.

282 Berlin, 5 juin 1843.—J'ai eu, hier, une laborieuse journée. D'abord, la messe du dimanche; puis, je suis rentrée pour causer longuement d'affaires avec M. de Wurmb et M. de Wolff; je suis alors allée chez Mme de Perponcher, puis chez les Werther, qui vont aujourd'hui même retrouver leur fils, Ministre de Prusse à Berne; ensuite, chez lady Westmorland, qui venait de recevoir la nouvelle de la maladie grave d'un de ses fils, laissé en Angleterre; enfin, chez les Radziwill.

J'ai dîné chez la Princesse de Prusse, où il y avait le Prince et la Princesse Guillaume, oncle et tante, leur fils, qui revient du Brésil, les Werther, la comtesse Neale, les Radziwill, le prince Pückler-Muskau, et Max de Hatzfeldt. Grand et beau dîner, dans le plus joli palais du monde, mais il faisait un temps orageux qui rendait tout le monde malade. Je ne connaissais pas le prince Pückler, qui a trouvé moyen de rentrer en grâce à la Cour [95], jusqu'à un certain point du moins, et voici comment: le Prince de Prusse, désirant embellir son parc de Babelsberg, près de Potsdam, a fait écrire, par son jardinier, à celui de Muskau, pour l'engager à demander un congé de quelques semaines à son maître, et à venir tracer le jardin de Babelsberg. Sur cela, le Prince de Prusse reçoit une lettre du prince de Pückler, qui lui dit que le véritable jardinier de Muskau étant lui-même, il partait à l'instant 283 pour Babelsberg s'entendre avec le jardinier du Prince. En effet, il arrive à Babelsberg, se met à faire exactement le métier de jardinier, à tracer des allées, à dessiner des massifs, etc.; au bout de quelques jours, le Prince de Prusse le rencontre dans cette occupation, naturellement le remercie, l'engage à dîner, et le voici, tout simplement, fort en vogue ici. Il m'a dit qu'il partait aujourd'hui pour Muskau, m'a demandé, quand je serai à Sagan, de vouloir bien visiter son parc, et m'a offert ses services pour arranger celui de Sagan.

M. et Mme Bresson sont venus plus tard me prendre, et m'ont menée à l'Opéra, où on donnait Robert le Diable, dirigé par Meyerbeer lui-même; c'était bien exécuté, mais la chaleur était affreuse. Beaucoup de personnes sont venues dans notre loge, et entre autres, Maurice Esterhazy, qui me paraît un peu battu de l'oiseau.

Berlin, 6 juin 1843.—J'ai eu la visite de Humboldt, qui dit que, d'ici à deux ans, il y aura une représentation nationale siégeant à Berlin, d'abord consultative, et peu après délibérative.

Je suis frappée du mouvement de Berlin, depuis que les chemins de fer y aboutissent dans toutes les directions. La population s'est augmentée de cinquante mille âmes. Le développement de l'industrie et du luxe est sensible.

Voici une petite anecdote qui est curieuse. A la mort de Mgr le Duc d'Orléans, l'Impératrice de Russie et le Prince de Prusse qui se trouvaient à Pétersbourg, cherchèrent à décider l'Empereur de saisir cette occasion pour écrire directement 284 au Roi Louis-Philippe. Il s'y refusa, mais il dit à l'Impératrice qu'il l'autorisait à écrire à la Duchesse d'Orléans. Les deux Princesses s'étant connues autrefois en Allemagne, et en étant au tutoiement, l'Impératrice écrivit en allemand, et employa le tutoiement; elle reçut une réponse en français, assez froide, et sans tutoiement. L'Impératrice en a été très blessée, et s'en est plainte, ici, à sa tante, la Princesse Guillaume de Prusse, sœur de la Grande-Duchesse douairière de Mecklembourg. L'Impératrice prétend qu'il est très malhonnête de répondre dans une autre langue que celle dans laquelle on vous écrit, et que si la Duchesse d'Orléans croit ne devoir se servir que de la langue du pays de ses enfants, elle, l'Impératrice, en ferait autant, et, à l'occasion, ne lui écrirait qu'en russe.

J'ai vu M. Bresson, qui m'a dit que dernièrement, à un cercle, à Saint-Pétersbourg, l'Empereur s'était adressé au Chargé d'affaires de France, en lui demandant: «Quand donc M. de Barante revient-il?»

J'ai dîné chez les Wolff, avec le comte Alvensleben, Ministre des finances, M. d'Olfers, directeur du Musée, le Conseiller d'État Huden et M. Barry, qui, après Schœnlein, est le premier médecin de Berlin. Je suis allée ensuite chez lady Westmorland, que j'ai trouvée extrêmement vieillie et changée, mais toujours spirituelle et aimable. Elle m'a dit que lord Jersey était inconsolable du mariage de Sarah avec Nicolas Esterhazy, qui, cependant, est heureux jusqu'à présent. Le vieux lord Westmorland a fait le testament le plus dur possible pour son fils, et lady Georgiana 285 Fane, bien loin, comme on l'avait dit, de se montrer bienveillante pour son frère, a exigé l'exécution prompte et tellement rigoureuse du testament, que les Westmorland seraient fort embarrassés, sans leur poste de Berlin. En quittant lady Westmorland, j'ai été chez la comtesse Pauline Neale, une de mes plus anciennes connaissances en ce monde; je l'ai trouvée seule, et nous sommes restées longtemps à causer de notre jeunesse.

Berlin, 9 juin 1843.—J'ai dîné, hier, chez la Princesse de Prusse. Vraiment, c'est une personne bien intéressante; la suite qu'elle met dans sa bonté pour moi et sa confiance toujours croissante m'attachent de plus en plus à sa personne et à sa destinée. Sa santé m'inquiète, et je crains qu'elle n'ait raison de la juger sérieusement compromise. Il y avait beaucoup de monde à son dîner. La Princesse Charles, sa sœur, mes deux neveux Biron, le Prince de Würtemberg, le plus jeune des frères de la Grande-Duchesse Hélène; ce dernier m'a dit que le Grand-Duc Michel allait arriver à Marienbad, et que de là il irait en Angleterre. Le Roi de Hanovre, tombé malade en route pour se rendre en Angleterre, n'a pu arriver à Londres pour le baptême. On le dit en très mauvais état, et frappé de l'idée, très probable du reste, qu'il va mourir, ce qui le préoccupe surtout parce qu'il lui a été prédit qu'il mourrait l'année où son fils se marierait.

Berlin, 11 juin 1843.—J'ai été hier à Charlottenbourg, visiter le mausolée du feu Roi, à côté de celui de la 286 feue Reine. On a agrandi la chapelle, mais le tout a perdu de son effet, et je n'ai pas été satisfaite, quoique l'autel, en marbre noir et blanc, soit une des plus jolies choses que j'aie jamais vues. Tous les murs sont couverts de passages de la Bible que le Roi actuel a choisis lui-même, et qui sont écrits en lettres d'or sur des bandes bleu de ciel; c'est un peu mauresque. En tout, l'ensemble n'a rien de chrétien. Décidément, le protestantisme est sec dans son architecture, dans ses formes extérieures, dans l'ensemble de son culte, comme dans le fond de ses changeantes doctrines.

Berlin, 14 juin 1843.—Hier, après avoir dîné auprès du fauteuil de la comtesse de Reede, sa fille, Mme de Perponcher, m'a fait faire le tour des grands appartements du Château, pour me montrer le Rittersaal, que le Roi vient de faire restaurer. Quelques portraits curieux, et quelques meubles du temps du Grand-Électeur, donnent un certain intérêt à ces appartements, qui, à tout prendre, sont médiocres. Nous avons quitté la Comtesse pour aller à la Comédie Allemande, où on a très bien représenté Mademoiselle de Belle-Isle [96], car les traductions de la scène française encombrent tous les théâtres.

Il vient de paraître un roman historique, qui fait fureur ici, Der Mohr (le Nègre) [97] et s'étend sur le règne de 287 Gustave III. L'auteur, qui a passé beaucoup d'années en Suède, a eu connaissance des archives du Royaume, et les pièces qu'il cite sont authentiques. On dit ici qu'il a vraiment existé un nègre à la Cour de la Reine Ulrique, et que la plupart des caractères et des faits de ce roman sont vrais. Je le lis avec intérêt. Ayant connu dans mon enfance le baron d'Arnfelt (c'est lui qui m'a appris à lire), je m'intéresse tout particulièrement à ce qui se rapporte à lui. M. de Talleyrand m'a aussi beaucoup parlé de Gustave III, qu'il a beaucoup vu, lors de son second voyage à Paris, lorsqu'il revenait de Rome. Le Roi de Suède s'était alors si bien mis dans l'esprit du Pape qu'il se croyait sûr de pouvoir obtenir facilement un chapeau de cardinal pour un de ses amis. Il proposa à M. de Talleyrand de le demander pour lui, mais celui-ci déclina une faveur que la réputation équivoque de Gustave III aurait entachée d'un mauvais vernis [98]. A la même époque, la Princesse de Carignan [99], grand'mère du Roi de Sardaigne actuel, fort éprise de M. de Talleyrand (alors abbé de Périgord et pas encore évêque d'Autun), se croyait, elle aussi, assez de 288 crédit à Rome pour y obtenir les dispenses nécessaires pour que mon oncle, rendu à l'état laïque, pût l'épouser. Il m'a souvent raconté, comme une des particularités singulières de sa vie, avoir été ainsi, et à la même époque, l'objet de deux projets contradictoires, dépendant tous les deux, dans leur exécution, de la Cour de Rome. Il m'a dit aussi que Gustave III était fort spirituel et fort aimable.

Berlin, 15 juin 1843.—M. de Valençay est arrivé ici avant-hier. Nous avons dîné hier chez les Radziwill avec M. Bresson, qui m'a appris le mariage du Prince de Joinville: il épouse une Princesse du Brésil, qui est jolie, aimable, et qui a quatre millions de francs en dot.

Nous avons fini la soirée chez la Princesse de Prusse, qui était seule avec son mari. J'ai le regret de penser que cette aimable Princesse ne sera plus ici à mon retour, le 23; elle part pour Weimar le 20, et doit passer l'été près de sa mère. Je suis tourmentée de sa santé, de l'état de son moral qui est fort abattu.

Berlin, 16 juin 1843.—Hier, je suis allée avec la comtesse Neale, par le chemin de fer de Potsdam, dîner à Glienicke, chez la Princesse Charles de Prusse; le temps était assez froid, mais sec et clair. Le Prince Adalbert de Prusse, celui qui revient du Brésil, était de ce dîner. Il m'a parlé de la Princesse de Joinville, qu'il a vue à Rio-de-Janeiro, comme étant très jolie, très aimable; j'en suis charmée pour notre jeune Prince.

J'ai vu, le soir, Mme de Chreptowitz, née Nesselrode, 289 qui vient de Saint-Pétersbourg et se rend à Naples, où son mari est nommé Chargé d'affaires. Elle dit qu'on lit M. de Custine avec fureur à Saint-Pétersbourg, et fureur est le mot, car ce livre excite, chez les Russes, une colère affreuse. Ils prétendent qu'il est rempli de faussetés. L'Empereur le lit avec attention, en parle avec dédain, et en est outré au fond. Qui est fort amusante à ce sujet, c'est Mme de Meyendorff, femme du Ministre de Russie à Berlin, qui dit tout haut que ce livre est aussi vrai qu'amusant et qu'elle espère qu'il corrigera les Russes de leur présomption.

M. de Liebermann, Ministre de Prusse à Pétersbourg, qui est aussi ici, se rendant à Carlsbad, me disait hier qu'il succombait moralement et physiquement à Pétersbourg, et qu'il serait mort, s'il n'avait pas obtenu un congé. Le fait est qu'il a très mauvais visage, à travers sa bouffissure, et qu'il me semble excédé de la Russie.

Le Roi de Danemark a annoncé sa visite au Roi de Prusse, dans l'île de Rügen.

Sagan, 17 juin 1843.—Je suis arrivée ici ce matin. J'y demeure dans une jolie maison, en face du château, où l'intendant général de mon père demeurait autrefois. J'y ai trouvé une estafette venue de Muskau, pour me demander de m'y rencontrer avec le Prince de Prusse; je retournerai donc à Berlin par Muskau, et j'y passerai un jour.

J'ai visité en voiture, avec M. de Wolff, une partie de mes nouvelles acquisitions, entre autres une forêt, où des 290 cerfs et des chevreuils ont entouré ma voiture, ce qui m'a charmée.

Sagan, 19 juin 1843.—Hier, dimanche, j'ai été à la grand'messe dans la très jolie église de la ville, messe en musique, et qui n'a vraiment pas été trop mal exécutée. J'ai été ensuite au château, pour examiner des livres et différents objets de peu de valeur, du reste, que j'ai achetés avec le reste de l'alleu. Tout cela compose des rapports fort singuliers avec mon neveu, le prince de Hohenzollern, et un mélange de tien et de mien fort désagréable, que j'ai hâte de voir finir.

Ce matin, j'ai été à la petite église où ma sœur est enterrée; j'y ai fait dire une messe pour elle. J'ai expliqué, à un architecte, les restaurations que je désirais faire à cette église. En sortant de là, j'ai été visiter des écoles, des salles d'asile, des fabriques. J'ai ensuite donné à dîner aux officiers du parc d'artillerie en garnison ici, au Préfet et à différentes autres personnes de la ville.

Muskau, 20 juin 1843.—J'aurais beaucoup à conter de céans. Je vois tout d'abord que ce n'est pas un lieu comme un autre. Je suis partie de Sagan ce matin vers neuf heures, et arrivée ici à une heure. Le chemin n'est pas mauvais, mais, aux environs de Muskau, on tombe dans une mer de sable, qui ralentit le pas jusqu'à l'engourdissement. Aussi est-on doublement surpris de traverser ensuite le parc le plus frais, le plus vert, le plus fleuri, le plus soigné qu'on puisse imaginer. C'est l'Angleterre 291 avec toutes ses recherches de soins et d'élégances à l'extérieur et au dedans du château. Une rampe très noble, bordée de beaux orangers, conduit à la cour du château, qui serait moderne sans des tours terminées par des clochers, qui lui donnent l'imposant dont manquent les habitations modernes. J'ai trouvé, au bas du perron, le prince Pückler, entouré de chasseurs, de laquais, d'Arabes, de nègres, de toute une troupe bariolée fort étrange. Il m'a tout de suite menée dans mon appartement, qui est d'une recherche extrême, un salon comblé de fleurs, une chambre à coucher toute drapée en mousseline blanche, un cabinet de toilette dans une tour; il n'y a pas jusqu'à mes gens qui ne disent n'avoir jamais été si bien logés. Le Prince de Prusse, retenu à Berlin par des affaires, n'arrivera que demain ici. La princesse Carolath, belle-fille du prince Pückler, est venue me faire les excuses de sa mère, la princesse Pückler, qui, un peu souffrante, n'était point encore habillée, mais qui est arrivée peu après; elle est extrêmement aimable, extrêmement grande dame, et cause de tout on ne saurait mieux.

Dans le nombre des habitants singuliers de ce château, il y a un petit nain [100], petit, petit, petit, tout au plus grand comme un enfant de quatre ans, proportionné parfaitement, vêtu en Polonais, âgé de dix-neuf ans, arrangé, bichonné, attifé. Il a l'air heureux, et me fait cependant la plus triste impression.

292 Muskau, 21 juin 1843.—La fin de la journée d'hier a été fort gâtée par un temps froid, aigre, venteux, qui tout à coup, après trois jours de chaleur, est venu attrister le paysage et glacer les pauvres corps humains. Après le dîner, j'ai vu le reste de la maison. Tout y est élégant, sans que les proportions intérieures soient très vastes; les fleurs, fort artistement employées à l'ornementation intérieure, donnent une grâce particulière à l'appartement. Le cabinet de travail de la Princesse ressemble, tout à la fois, à une serre et à une volière. Ce qui m'a le plus frappée, c'est un portrait du Prince fixé au bureau de la Princesse, autour duquel des branches de laurier se penchent avec art; elles appartiennent à deux lauriers en pots, placés des deux côtés du bureau; un petit vase de ne m'oubliez pas est posé entre ce portrait et l'écritoire. Ceci n'est qu'un des mille et un détails de cette union brisée, reprise, singulière, qui ne ressemble à rien, car, si on rencontre souvent, dans le monde, des gens séparés sans être divorcés, il est bien plus rare de rencontrer des gens divorcés qui ne sont pas séparés [101].

Malgré le froid désagréable et le vent aigre qui aurait exigé du feu, nous sommes montés en voiture découverte pour faire le tour du parc. Le prince Pückler m'a menée 293 en phaéton, désirant être le cicerone de cette création extraordinaire. En Angleterre, ce serait bien; ici, c'est merveilleux. Il a créé non seulement un parc, mais encore un pays. Des plaines sablonneuses, des monticules blanchâtres et poudreux se sont changés en collines verdoyantes, en pelouses vertes et fraîches; des arbres superbes surgissent de toutes parts, des massifs de fleurs encadrent le château; une jolie rivière vivifie le tout; la ville de Muskau donne de l'intérêt au paysage, qui est varié, riche et plein de grâce. Eh bien! pendant tout le temps de cette promenade, qui a duré deux heures, le prince Pückler ne m'a parlé que de son intention de vendre cette belle création. Il voudrait que le Prince de Prusse en devînt l'acquéreur. Il prétend qu'ayant achevé son œuvre, il ne s'y intéresse plus; que, né peintre et ayant achevé son tableau, il veut en commencer un autre dans un meilleur climat; il tourne ses yeux, dit-il, vers le midi de l'Allemagne, vers la Forêt Noire et les confins de la Suisse. La Princesse est désolée de ce projet, elle ne s'en cache pas; je le conçois: elle vit ici depuis vingt-cinq ans et y a créé tout l'intérieur. De plus, elle a découvert, ici même, une source minérale qui lui a donné l'idée d'un établissement complet de bains, ce qu'elle a fait exécuter, et qui fait, dans le parc, une charmante fabrique.

Pour en revenir au prince Pückler, je le trouve différent de ce que je croyais: il parle peu, d'un son de voix assez bas, et, soit qu'il me sente peu disposée à la malice et à la malveillance, soit qu'il réserve la sienne pour ses écrits, sa conversation n'en a pas été empreinte. Il me 294 donne plutôt l'idée d'un homme blasé, fatigué, ennuyé, que d'un homme méchant.

Muskau, 22 juin 1843.—Je voulais partir ce matin, mais le Prince de Prusse m'a dit de si bonne grâce qu'il ne me permettait pas de quitter Muskau avant lui, qu'il y aurait eu manque de savoir-vivre à ne pas obéir, d'autant plus que la princesse Pückler semblait attacher beaucoup de prix à ce que je restasse.

On peut, ici, rester paresseusement dans sa chambre jusqu'à midi, ce qui rentre fort dans mes habitudes. Quand je suis descendue, hier, au salon, le Prince de Prusse, arrivé dès neuf heures du matin, rentrait déjà d'une promenade. On a déjeuné, puis la Princesse a montré beaucoup de curiosités rapportées par son mari, des coffres, des cadres, des modèles du Saint-Sépulcre, des chapelets, des croix en nacre de perle, parfaitement travaillées en Palestine, des peintures arabes, des armes, des instruments de tous genres; dans la bibliothèque, on nous a montré un manuscrit sur vélin, avec des vignettes peintes, de la Chronique de Froissard. Il y a de tout dans cette curieuse demeure où les contrastes abondent. Dans l'après-midi, les hommes ont repris leurs grandes courses, et les dames se sont promenées dans les jardins qui méritent bien la peine d'être vus en détail, tant le soin y est merveilleux, sans que la recherche des détails nuise à l'effet grandiose de l'ensemble. Plus tard, on est monté en calèche, et, arrivé à une grande pelouse couverte de monde, on s'est arrêté à voir parader, caracoler, galoper 295 les chevaux arabes et égyptiens du prince Pückler, montés par ses gens vêtus en costume oriental. C'était animé, gracieux et joli. Le thé était servi dans un des pavillons de l'établissement de bains.

Berlin, 24 juin 1843.—J'ai trouvé, en arrivant, des lettres qui changent encore mon itinéraire. Ma sœur Acerenza est malade; son médecin insiste tellement pour Carlsbad qu'elle s'y rend avec mon autre sœur le 1er juillet. Ceci me décide à aller à Carlsbad, en partant d'ici; j'y mènerai mon fils auquel les eaux sont ordonnées.

Un mot encore sur la fin de mon séjour dans le féerique Muskau. Le jeudi 22, après le déjeuner, tout le monde est monté voir l'appartement du prince Pückler. Il se compose de quatre à cinq pièces, toutes remplies de tableaux, de sculptures, de gravures, de livres, de manuscrits, de curiosités païennes, chrétiennes, asiatiques, barbaresques, égyptiennes; le joli pied moulé de feu son Abyssinienne [102] est sur son bureau à côté du portrait de sa femme; un modèle du Saint-Sépulcre fait pendant à un crocodile empaillé; le portrait de Frédéric le Grand fait pendant à celui de Napoléon; la gravure de M. de Talleyrand est à côté de celle de Pie VII. Il y a des inscriptions, sur toutes les portes, dans le style de Jean-Paul. Au milieu de tout ce salmigondis, il y a, évidemment, de 296 certaines intentions, avec le cachet du maître de l'appartement. Enfin, cela a de l'intérêt de plus d'un genre. Après cette inspection, on a été goûter dans un château de chasse, situé au milieu des plus belles forêts. Le Prince de Prusse a tiré et tué un cerf. On est rentré à la nuit. On a soupé, puis, aux flambeaux, le Prince de Prusse a assisté à une parade de la landwehr, suivie d'une promenade à pied dans le parc tout éclairé par des feux de Bengale, si habilement placés derrière les arbres et les massifs de fleurs, que les feux ne se jugeaient que par l'effet de repoussoir qu'ils produisaient. C'était vraiment magique; je n'avais jamais rien vu de semblable. Le Prince de Prusse a quitté Muskau cette nuit-là même à deux heures, et moi j'en suis partie hier matin.

Berlin, 25 juin 1843.—Hier, je suis allée à une soirée chez les Radziwill, où j'ai rencontré Humboldt, arrivant de l'île de Rügen, dont il dit des merveilles, ainsi que de l'établissement du prince Putbus, qui a pu y recevoir les deux Rois, de Prusse et de Danemark, sans que ni lui, ni sa femme, aient été obligés de se déranger de leurs habitudes [103]. Il paraît que le roi de Danemark est fort occupé de ce qui adviendra de son royaume après sa mort. Son fils est si fou et si méchant qu'il est presque impossible qu'il puisse régner; d'ailleurs, il maltraite sa femme horriblement, au lieu de lui faire des enfants. On dit donc que le Danemark se divisera; que les îles et le 297 Jutland reviendront à un Prince de Hesse-Cassel, mais que des prétentions fort diverses s'élèveront sur le Holstein et le Schleswig, que la Russie élèvera les siennes, et, comme ce que l'on redoute le plus en Allemagne, c'est de voir la Russie y prendre pied, il paraîtrait que les deux Rois ont cherché à éviter cette invasion, et que l'on va travailler à fondre toutes les prétentions par le mariage d'un Prince de Holstein-Glücksbourg avec une des Grandes-Duchesses de Russie.

Berlin, 26 juin 1843.—J'ai dîné, hier, avec M. de Valençay, chez le Ministre de Russie, où j'ai vu, en grand détail, mon ancienne maison [104], qui est beaucoup embellie, mais le fond en était bien beau, et si je l'avais encore maintenant, rien ne me la ferait vendre.

Berlin, 29 juin 1843.—Le chemin de fer nous a conduits, hier, M. de Valençay et moi, à Potsdam, où l'équipage du Roi nous a menés à Sans-Souci. Le Roi est arrivé pour dîner, après un Conseil qui avait duré cinq heures, et qui avait eu pour objet les difficultés qui se développent de plus en plus dans les États des provinces rhénanes. Il paraît que le Roi n'avait pas été d'accord avec 298 les Ministres sur la marche à adopter; en tout cas, il fallait qu'il fût préoccupé, car il n'était pas du tout dans son état naturel. Le dîner, où il y avait, outre M. de Valençay et moi, les Ministres, le service, un vieux Pourtalès de Neuchâtel, M. de Humboldt et M. Rœnne, s'est passé très languissamment. Le Roi est engraissé, ce qui était inutile; il est vieilli, trop haut en couleur; je ne lui trouve pas l'air de santé que je lui voudrais. Après le dîner, tous les convives sont retournés à Berlin, excepté mon fils, Humboldt et moi, qui avons été gardés pour la promenade. On m'a menée me reposer dans un appartement que le Roi vient de faire arranger, et qui a un air roman comme s'il datait de Frédéric II. Cet appartement a ceci de singulier, qu'en 1807, le Roi étant enfant, à Memel, a rêvé une nuit une chambre ainsi faite, et s'en souvenant encore, il l'a fait exécuter. La boiserie est peinte en vert très clair; toutes les moulures, qui sont dans le goût de Louis XV, sont argentées, ainsi que les cadres des glaces et des tableaux aussi; le bureau, les rideaux sont rouges; la commode et le chiffonnier sont en bois de rose incrusté et couverts, ainsi que la cheminée en marbre noir, de très belles porcelaines de Saxe. A sept heures, j'ai accompagné la Reine en calèche, tandis que le Roi montait en phaéton, avec son Ministre favori, le comte Stolberg, qui est un homme fort agréable. Mon fils était dans une troisième voiture, avec Humboldt. Le Roi ouvrait la marche, et nous a fait suivre de fort belles routes percées dans une forêt qu'il a ajoutée au grand parc de Potsdam. Il a bien voulu ensuite nous ramener au chemin de fer. Le dernier convoi nous a 299 ramenés à Berlin, où je tenais à faire acte de présence chez Mme de Savigny, qui avait arrangé une soirée musicale pour nous. C'était fort joli: ses nièces, son fils, deux autres messieurs ont parfaitement chanté, et un M. Passini a joué du violon, mieux, cent fois mieux que je n'avais jamais entendu jouer de cet instrument. Je le mets bien au-dessus de Paganini et de Bériot.

Berlin, 1er juillet 1843.—Il faudrait bien que ce nouveau mois qui commence nous donnât enfin l'été, mais il ne semble pas s'y préparer; il fait froid, humide, abominable. Malgré cela, j'ai été hier avec les Radziwill, mon fils et M. d'Olfers, voir les fresques qu'on exécute au Musée, sous la direction de Cornelius. C'est très beau de composition, de dessin, de pensée. J'ai été aussi au Kunstverein, voir le portrait de Tieck par Styler, qui est le peintre de portraits en renom en Allemagne, en ce moment et à juste titre, ce me semble.

Berlin, 3 juillet.—Hier, nous avons été à Potsdam à une fête militaire, pour laquelle l'Empereur de Russie avait envoyé une députation, ce qui y avait fait inviter tous les Russes qui se trouvent ici. Toute la famille Royale et plusieurs grands seigneurs du pays y étaient. La Princesse Albert, revenue de Silésie, s'y trouvait, vieillie, changée, et, à mon gré, tout simplement très laide; elle n'avait point l'air embarrassée. Le dîner a eu lieu dans la grande galerie, après qu'on avait été voir dîner en plein air les troupes, qui ont été constamment arrosées par 300 une petite pluie très désagréable, qui gâtait singulièrement le coup d'œil. Après le dîner, le spectacle, puis le souper, puis le chemin de fer.

Kœnigsbrück, 6 juillet 1843.—Je suis arrivée hier ici chez mes nièces; le château est à peu près plein, mais seulement de parenté: le comte et la comtesse de Hohenthal, Mme de Lazareff et ses trois enfants, Fanny Biron, ses deux jeunes frères Pierre et Calixte, les deux filles et le petit garçon du pauvre comte Maltzan, cousins germains de mes nièces, puis toutes sortes de gouvernantes, etc.; tout le monde paraît de bonne humeur et on m'a fort bien reçue.

Carlsbad, 11 juillet 1843.—Dans la journée du 7, nous avons eu à Kœnigsbrück un terrible orage; grêle, trombe d'eau, inondation; un enfant du village a été noyé; tout le monde est accablé. Mon pauvre neveu Hohenthal y a perdu foins et récoltes. Je suis partie le 8 de bonne heure pour aller dîner à Pillnitz, où Leurs Majestés m'ont reçue avec bonté et grâce. Le 9, de grand matin, j'ai entendu la messe à Dresde, j'ai déjeuné et suis partie pour Téplitz. Hier, j'en suis sortie par un temps orageux; les chevaux se sont effrayés, emportés, et si, en se jetant sur un des côtés de la route, ils ne s'étaient pas embourbés dans une terre grasse et fraîchement remuée, nous étions perdus. Le moment n'a pas été agréable, car le danger était réel. Enfin, comme il est passé, il faut en rendre grâces à Dieu et n'y plus songer.

301 J'ai trouvé ici mes sœurs fort bonnes et fort tendres pour moi, mais la seconde est jaune, changée, infiltrée.

Carlsbad, 13 juillet 1843.—J'ai reçu, hier, quelques visites, d'abord celle du prince Paul Esterhazy, avec lequel j'ai repassé bien des souvenirs; puis l'Ambassadeur Pahlen, qui est tout aussi ignorant de son avenir que Barante l'est du sien. Plus tard, j'ai été dîner avec mon fils chez le prince Paul Esterhazy, où se trouvaient la princesse Gabrielle Auersberg, dame des pensées de l'Empereur Alexandre pendant le congrès de Vienne, la princesse Vériand de Windisch-Graetz, une des jolies femmes de la même époque, et sa fille, puis l'Ambassadeur Pahlen, M. de Liebermann et le comte Woronzoff-Daschkoff. Après le dîner, j'ai fait quelques visites et pris le thé chez mes sœurs, où plusieurs personnes sont venues, entre autres, le comte de Brandebourg, fils du gros Guillaume et de la comtesse Doenhoff. Nous nous étions connus jadis à Berlin, et nous avons été bien aises de nous revoir.

Carlsbad, 15 juillet 1843.—Je passe presque toutes mes journées avec mes sœurs; puis ici on vit dans la rue, on y flâne, on y dépense son argent dans les boutiques qu'on longe sans cesse. J'avais été invitée hier à un thé chez cette comtesse Strogonoff, avec laquelle j'ai dîné à Londres chez Mme de Lieven; j'y ai été pour une demi-heure; c'était un salon de Saint-Pétersbourg, dans lequel je me suis trouvée perdue. J'y ai vu le maréchal Paskewitch, 302 qu'on nomme, je crois, prince de Varsovie; il a l'air assez peu aimable et nullement distingué.

Breslau, 24 juillet 1843.—J'arrive et je repars, je voudrais arriver pour dîner chez mon neveu Biron à Polnisch-Wartenberg, et je n'ai pas de temps à perdre. La route de Dresde ici n'a rien de remarquable, et Breslau est une vieille ville plus sérieuse que frappante.

Polnisch-Wartenberg, 26 juillet.—J'ai trouvé ici, avant-hier, un vrai congrès de famille, et une invitation pressante à aller dîner le lendemain chez les Radziwill. J'ai donc été hier matin, avec mon neveu, à Antonin, château de chasse des Radziwill dans le grand-duché de Posen. Le temps était hideux, et les rondins des routes polonaises fort rudes. Six chevaux, attelés à une voiture légère, nous ont menés à travers de sombres forêts, dans des sables profonds, rendus inégaux par les racines apparentes et secouantes des arbres. Le grand-duché de Posen, qui commence à deux lieues d'ici, a, en tout, un triste aspect; la population, les habitations, la culture, tout y est appauvri. J'ai été reçue avec beaucoup d'amitié chez les bons Radziwill qui habitent un singulier castel, plus original que confortable. C'est près de ce château que leurs parents sont enterrés. On m'a menée au caveau de famille, prier près du tombeau de feu leur mère, la Princesse Louise de Prusse, ma marraine, et plus que cela vraiment, une amie maternelle.

303 Polnisch-Wartenberg, 27 juillet 1843.—Mon neveu m'a menée hier matin en calèche voir une partie de ses propriétés. Le reste du temps, nous l'avons passé à examiner d'anciens papiers de famille et des souvenirs de nos grands-parents qui s'y trouvent. Le prince Radziwill, en passant pour aller à ses inspections, a dîné ici.

Günthersdorf, 29 juillet 1843.—Je suis venue de Polnisch-Wartenberg, en m'arrêtant quelques heures à Breslau, pour visiter les églises, le vieil Hôtel de Ville, quelques boutiques mieux garnies et de meilleur goût que celles de Berlin, aussi pour faire ma cour et demander la bénédiction pastorale du Prince-Évêque [105] qui m'a reçue d'une façon touchante. Mon neveu, qui m'avait accompagnée partout, m'avait laissée dans la Cathédrale, et avait été demander à l'Évêque s'il pouvait me recevoir. Il est aussitôt venu me chercher, malgré ses quatre-vingt-deux ans, m'a menée chez lui et m'a montré son palais qui est beau. Il a fallu accepter une collation. Breslau est une ville de traditions et de caractère qui m'a fort convenu.

Günthersdorf, 31 juillet 1843.—Je ne connais pas assez la princesse Belgiojoso pour savoir si je dois être flattée ou non de la comparaison que M. Cousin vous a faite [106] de mon esprit et du sien; mais ce que je sais, c'est qu'il est impossible à M. Cousin de juger le mien, 304 vu que je n'ai jamais parlé avec lui, ni causé devant lui. Ainsi donc, ce qu'il en dit, n'est que par ouï-dire, c'est-à-dire sans connaissance de cause. En tout cas, mon érudition, qui est toute réservée dans le dix-septième siècle, baisse humblement pavillon devant une Mère de l'Église; je ne fais pas de livres; je suis, et je deviens, chaque jour plus ignorante, tout occupée que je suis d'intérêts matériels, et, s'il me fallait absolument faire de la pédanterie sur quelque chose, ce serait sur la législation des fiefs [107]. A propos, j'ai été effrayée ce matin par la trompette d'un postillon, qui m'a donné l'alerte d'une estafette, qu'on envoie en Allemagne pour oui ou pour non; au lieu de cela, c'était M. de Wolff arrivant avec un nouveau projet d'arrangement pour l'affaire de Sagan. Dans quinze jours, l'affaire sera, ou absolument terminée, ou absolument rompue. Voilà donc encore quinze jours d'incertitude à ajouter à tant de mois passés en suspens. Feu M. de Talleyrand, qui avait toujours raison, disait qu'il y avait encore un bien large fossé entre une affaire faite et une affaire terminée.

Günthersdorf, 3 août 1843.—La mort du général Alava m'a émue, quoique cependant son individu ne fût pas placé bien haut dans mon opinion. C'est encore un débris du passé qui disparaît; puis enfin, je l'ai bien soigné à Rochecotte, et j'avais l'habitude d'entendre le bruit de sa canne sur mes parquets. La mort a quelque 305 chose de si grave! et quand elle se met à diminuer les rangs, comme elle l'a fait autour de moi depuis quelques années, il n'y a pas moyen de ne pas beaucoup y songer, ni d'y rester insensible. Je m'en préoccupe de plus en plus, et, parfois, il me semble que je n'ai pas de temps à perdre pour ordonner ce qu'il faut pour ce grand et dernier voyage.

Günthersdorf, 10 août 1843.—J'ai passé presque toute la journée d'hier à Wartenberg. Je veux y créer un petit hôpital, dont les préparatifs et arrangements m'intéressent beaucoup; c'est un genre de choses selon mon cœur. La soirée était superbe; je l'ai passée assise sur mon balcon, entourée de fleurs, lisant et rêvant; mais, pour que la disposition rêveuse soit douce, il faudrait n'avoir aucune préoccupation triste et pénible, sans quoi, on s'enfonce dans l'amertume.

Günthersdorf, 16 août 1843.—Mes sœurs sont arrivées hier matin, et Louis, mon fils, hier soir. Mes nièces et leurs enfants sont ici depuis quelques jours, ainsi que le comte Schulenbourg, de sorte que ma petite maison est à peu près pleine.

Günthersdorf, 21 août 1843.—J'ai été hier à Wartenberg, à la messe; en rentrant, j'ai trouvé M. de Wolff qui nous a conté le terrible incendie de la salle de l'Opéra à Berlin, et le danger et l'effroi qui ont régné dans le 306 charmant palais de ma chère Princesse de Prusse [108]. Elle y était déjà souffrante, la frayeur paraît l'avoir rendue tout à fait malade. On dit que le jeune Archiduc d'Autriche, qui se trouve en ce moment à Berlin, s'est conduit à merveille dans cette circonstance [109]. Hier au soir, à l'heure du thé, la comtesse de La Roche-Aymond s'est arrêtée ici, en allant chez sa nièce Mme de Bruges, qui habite la Haute-Silésie; elle s'est même décidée à passer quelques jours avec nous. Elle est Allemande, elle a longtemps habité la France, puis elle est revenue se fixer dans sa patrie. Malgré ses soixante-treize ans, elle est gaie et vive. Elle nous a dit qu'il n'y avait rien de si scandaleux que le testament du Prince Auguste de Prusse, qui vient de mourir, à cause de l'énumération de ses maîtresses et de ses enfants naturels. Le nombre de ceux-ci a été de cent vingt, mais tous n'ont pas survécu à leur père [110].

Hohlstein, 6 septembre 1843.—Je suis arrivée à 307 Hohlstein avant-hier. Malheureusement, le temps est toujours fort maussade et éprouvant. Ici, il n'y a, outre mes sœurs, que Fanny et moi. La vie y est très calme, c'est ce qui me plaît.

Hier, mes sœurs ont voulu me mener à trois lieues d'ici, à Neuland. C'est une grande propriété, avec un petit château, que l'ex-Roi des Pays-Bas a achetée, il y a dix-huit mois, du comte de Nostitz. On dit qu'il la destine à sa femme comme douaire. On y bâtit, on y dessine un jardin, on meuble, mais dans des mesures rétrécies et d'un goût mesquin. La position est médiocre, il n'y a de beau que les prairies, dont, avec du goût, on pourrait tirer parti. L'ensemble ne m'a pas plu.

Berlin, 11 octobre 1843.—La ville de Berlin ne plaît pas à chacun; je le comprends: quoique belle, elle est monotone et trop moderne. Prague est bien plus imposant, Dresde plus animé. La vraie importance de Berlin est toute politique et militaire; aussi y a-t-on toujours l'impression d'être à l'État-Major.

M. de Humboldt est extrêmement obligeant, mais ses politesses cachent toujours un petit ingrédient malicieux, qui se mêle à tous ses empressements, et dont il est bon de se défier. C'est ainsi qu'il amuse le Roi par mille récits dans lesquels la charité n'est pas saillante.

On dit beaucoup que le coup de pistolet tiré, à Posen, sur la voiture de l'Empereur Nicolas, est une petite comédie moscovite, arrangée pour justifier de nouvelles 308 rigueurs en Pologne, et pour avoir le droit de les provoquer, d'ici, contre le grand-duché de Posen [111].

Berlin, 16 octobre 1843.—J'ai, enfin, reçu hier la conclusion du traité avec mon neveu, le prince de Hohenzollern, pour la possession de Sagan, le tout signé, parafé et ratifié. Ce résultat, que je dois en grande partie à l'habileté de M. de Wolff, me fait attacher un double prix à la solution définitive de la question.

La prise de possession officielle est fixée au 1er avril, mais avec permission de surveiller les employés dès aujourd'hui. Il faut maintenant la régulariser par un pacte de famille auquel concourront tous les agnats; puis abandonner l'alleu au fief pour satisfaire la Couronne, et refaire un tout de ce qui est fractionné aujourd'hui. Cela fait, le Roi doit, en me conférant une nouvelle investiture, recevoir mon serment de vasselage.

Nous possédons ici l'agréable Balzac qui revient de Russie, dont il parle aussi mal que M. de Custine, mais il n'écrira pas un voyage ad hoc; il prépare seulement des Scènes de la vie militaire, dont plusieurs actes se passeront, 309 je crois, en Russie. Il est lourd et commun. Je l'avais déjà vu en France; il m'avait laissé une impression désagréable qui s'est fortifiée.

Avant-hier, il y a eu dîner, spectacle et souper au Nouveau Palais. On a donné le Rêve d'une nuit d'été, de Shakespeare, traduit par Schlegel. Les décorations étaient fort belles. J'ai soupé à côté de l'Archiduc Albert, qui est naturel, poli, bien élevé, et qui m'a plu. Il doit épouser la Princesse Hildegarde de Bavière qu'on dit très jolie.

Je vais aller dîner à Babelsberg chez la Princesse de Prusse. Elle doit avoir la bonté de me mener le soir à Sans-Souci, où le Roi m'a dit de venir, en petit comité, entendre Mme Viardot-Garcia.

Berlin, 18 octobre 1843.—Le petit concert à Sans-Souci a été fort agréable. Mme Viardot a très bien chanté, et, malgré sa laideur, elle a été entraînante. Elle vient de partir pour Saint-Pétersbourg.

J'ai appris au Roi la conclusion du traité entre mon neveu et moi. A cette occasion, il a été parfait pour moi; il m'a paru revenu de toutes ses préventions en faveur de la branche aînée de ma famille [112] et j'ai été vraiment touchée de sa bonté. J'ai eu, hier, une longue conférence avec le prince de Wittgenstein qui, en sa qualité de chef du Ministère de la maison du Roi, a sous sa direction toutes les questions des fiefs de la Couronne.

310 Sagan, 28 octobre 1843.—La duchesse Mathieu de Montmorency se plaint, dans les lettres qu'elle m'écrit, d'un catarrhe obstiné; je serais très peinée si elle venait à mourir, je perdrais en elle une amie chrétienne; elle et Mgr de Quélen m'ont appris que c'étaient les seules amitiés toujours égales, toujours indulgentes, et dans lesquelles l'amour-propre n'a aucun enjeu, car elles aiment, non seulement pour le temps, mais aussi pour l'éternité. J'ai aussi reçu aujourd'hui une lettre de M. Royer-Collard, dont l'écriture est bien changée. Je me sens menacée dans mes vrais amis. Je suis, depuis la mort de M. de Talleyrand, terriblement éprouvée dans ce genre.

Sagan, que j'étudie à fond, est une ville de sept mille âmes, avec six églises, dont cinq catholiques, toutes intéressantes. Il y a aussi, dans la ville, plusieurs fondations de charité qui datent des différents Ducs; il y en a qui remontent à six cents ans, et qui ont été dotées par les Ducs de la maison des Piast [113]. Il est touchant de voir ces œuvres subsister encore, quand tous les monuments dus à l'esprit purement humain se détruisent si rapidement. On me reçoit ici avec un grand empressement; depuis quatre ans, tout y était dans un état d'abandon cruel, et même depuis plus longtemps, car ma sœur avait tout quitté pour l'Italie et ne s'intéressait en rien à ses propriétés.

Vienne, 14 novembre 1843.—Je suis depuis quelques 311 jours ici. J'ai eu avant-hier l'honneur de faire ma cour à l'Archiduchesse Sophie, que j'avais connue avant son mariage. Elle m'a reçue à merveille. Il est impossible d'être plus gracieuse, plus aimable, plus animée, facile et spirituelle de toutes manières. Elle m'a beaucoup questionnée sur notre Famille Royale, et en a parlé dans des termes très convenables, avec beaucoup de mesure et de bienveillance. J'ai été charmée de cet entretien.

Vienne, 24 novembre 1843.—On mène ici une vie bien autrement calme qu'à Berlin. La Cour ne s'aperçoit pas; l'élégance est encore à chasser dans les châteaux; les réunions ne commencent pas avant le Jour de l'An. J'ai été quatre fois au spectacle, qui finit à neuf heures et demie, et trois fois faire la partie du prince de Metternich, qui dure, à la vérité, jusque vers minuit, mais où il n'y a que cinq ou six habitués, et aussi chez Louise Schœnburg, dont quelques personnes entourent également la chaise longue de neuf heures à onze heures. Medem, M. de Flahaut, Paul et Maurice Esterhazy, le maréchal Marmont viennent souvent chez moi à la fin de la matinée.

312

1844

Vienne, 4 janvier 1844.—J'entre dans les paquets, les adieux, les mille petits arrangements qui précèdent un départ. Je quitterai Vienne fort satisfaite du séjour que j'y ai fait, et très reconnaissante de l'extrême bienveillance et obligeance que chacun m'y a témoignée.

Sagan, 24 janvier 1844.—Avant-hier, j'ai été à la chasse, en traîneau; on a tué deux cent quatre-vingts pièces de gibier. Hier, j'ai visité une très belle maison de détention centrale pour cette partie de la Silésie. Elle est dans Sagan même et occupe la maison qui était autrefois un couvent de Jésuites. C'est un bel établissement, chrétiennement dirigé par le baron de Stanger, veuf, qui dans sa douleur d'avoir perdu sa femme qu'il adorait, s'est voué, par sentiment religieux, à cette œuvre de régénération. L'ecclésiastique qui le seconde est un Juif baptisé, une espèce d'abbé de Ratisbonne, très zélé, tout en Dieu, une nature de missionnaire. Les résultats obtenus jusqu'à présent sont très consolants.

Ma vie ici est simple, tranquille, et je l'espère utile. Avec cela, de bonnes nouvelles de ceux auxquels je suis 313 sincèrement attachée, et pas plus de misères physiques que ce que je puis supporter. Se sentir inutile, n'avoir aucun but sérieux, ou bien être paralysé par des souffrances physiques trop intenses, voilà les seules conditions dont il est permis, je crois, de se plaindre à Dieu. Je ne parle pas de la douleur de survivre à ceux qu'on aime tout à fait, car c'est là, avant tout, le sensible: expression admirable de Mme de Maintenon. D'ailleurs, dans l'emploi soutenu de l'activité appliquée au soulagement des autres, ou à l'avantage de sa famille, on trouve de puissantes consolations.

Berlin, 23 février 1844.—La secte des Piétistes, vrai fléau de la Prusse, fait ici plus de mal que n'en feraient des impies. Il est incontestable que la Prusse, comme tout le reste de l'Europe, est travaillée par des éléments révolutionnaires, et que la Silésie l'est, en particulier, par des agitations religieuses, résultant d'une population mixte; hostilité, rivalité que les Piétistes fomentent d'une façon bien peu chrétienne.

J'ai revu la Princesse Albert de Prusse, qui a meilleur visage depuis son voyage d'Italie. J'ai été surprise de son air aisé et gaillard dans une position d'autant plus difficile que la mort de son père lui a enlevé son plus ferme appui.

On me mande de Vienne que Mme de Flahaut se met à protéger les jeunes Hongrois qui font du train à la diète de Presbourg, qu'elle loue leurs discours d'opposition, qu'elle les encourage à venir la voir. A Vienne, on n'en 314 est encore qu'à la surprise, mais cela n'en restera pas là. Vraiment, cette femme n'a pas une fibre diplomatique dans toute sa sèche organisation.

Berlin, 19 mars 1844.—Nous avons eu ici pour tous les Mecklembourg, Nassau et le Grand-Duc héréditaire de Russie, une petite recrudescence carnavalesque qui m'a fait veiller, étouffer, et dont je me sens un peu fatiguée. Le Duc de Nassau a la plus triste mine du monde, et je le crois, à tous égards, désagréable; il a l'air d'un chirurgien de régiment. La jeune Duchesse a une taille, des bras, un teint admirables, mais elle est rousse et a le gros visage bouffi d'un maillot. Elle est simple et très bonne personne. Le Grand-Duc héréditaire de Russie s'est fortifié sans s'embellir. La Princesse Auguste de Cambridge, qui a épousé le Prince héréditaire de Mecklembourg-Strelitz, est une parfaite représentation de ce que devait être, à son âge, sa tante, la Landgravine de Hesse-Hombourg. On prendra ici, dans quelques jours, le deuil du Roi de Suède, qui est décidément mort.

Berlin, 24 mars 1844.—Je savais ce que vous me mandez [114] sur la justice que Charles X a toujours rendue à M. de Talleyrand, à l'occasion de la scène qui s'est passée entre eux dans la nuit du 16 au 17 juillet 1789. Le Roi s'en était exprimé à la vieille duchesse de Luynes, et j'étais chez mon oncle lorsqu'elle est venue lui rapporter 315 les paroles de Charles X. J'ai tellement cessé mes relations avec M. de Vitrolles, depuis 1830, que je ne saurais comment m'y prendre pour lui demander d'attester les faits relatifs à cette scène, et qu'il raconte comme les tenant de la bouche même de Charles X [115].

Berlin, 30 mars 1844.—Je suis dans les audiences de congé, les préparatifs et les ennuis de mon départ. Je passerai la plus grande partie du mois d'avril à Sagan, j'en repartirai vers le 20 pour Paris, où je veux assister aux couches de ma fille. J'irai faire ensuite une course de quelques jours à Rochecotte, puis je reviendrai en Allemagne à la fin du mois de juin.

Passablement occupée ces derniers temps, j'ai dû laisser sans réponse plusieurs lettres. Les grandes distances permettent de ces grands partis que plus de voisinage rendrait difficiles. Feu M. de Talleyrand faisait, avec raison, le plus grand cas de ce système. Il me reprochait, comme un manque d'habileté, de tout relever, de répondre à tout, d'argumenter, de discuter sur tout, de ne pas assez glisser sur les difficultés, de trop m'apercevoir des indiscrétions et des exigences. Je lui répliquais que, dans sa position et à son âge, de certains silences, qui devenaient des avertissements ou des leçons, étaient acceptés, mais que j'étais encore trop jeune et pas 316 assez indépendante pour me donner de telles habitudes. J'avais raison alors, mais comme la jeunesse est un défaut dont on se corrige chaque jour, malgré soi, je trouve, depuis quelque temps, le moment tout arrivé pour traiter comme non avenu ce qui me blesse ou m'impatiente.

Ici se trouve une interruption de trois années consécutives dans la Chronique. La duchesse de Talleyrand partit pour la France au mois d'avril 1844, afin d'y soigner la marquise de Castellane au moment de la naissance de son fils; elle ne fut pas contente de ce voyage, ayant trouvé des difficultés auprès des agnats français pour obtenir leur consentement à l'érection du fief de Sagan en faveur de son fils aîné. M. de Bacourt n'ayant pas approuvé non plus ce projet d'établissement en Allemagne, il en résulta un refroidissement dans la correspondance qui alimente cette Chronique. Celle-ci ne reprit vraiment qu'à la fin de 1847, après le don de Rochecotte à la marquise de Castellane, ainsi qu'à la mort de son gendre le marquis de Castellane, qui fit de nouveau accourir en France la duchesse de Talleyrand.

317

1847

Sagan, 12 décembre 1847.—Je suis charmée de savoir que votre nomination à l'ambassade de Turin est chose décidée, puisque cela vous convient [116]. On me mande, de Berlin, que l'Empereur Nicolas en veut à Paul Medem d'avoir quitté son poste sans congé, et qu'en conséquence il n'est pas traité comme il a le droit et l'habitude de l'être. Le comte de Nesselrode et ses nombreux amis ne s'épargnent pas pour dissiper ce nuage et on ne doute pas qu'ils n'y réussissent. A Berlin, on ne songe qu'à la Suisse, dont le passé fait honte, dont le présent inquiète, dont l'avenir menace, et notamment le midi de l'Allemagne [117]. M. Guizot, cependant, paraît aller courageusement de l'avant, avec ou sans l'Angleterre, et, à Berlin, on se montre très satisfait de sa franchise et de sa décision. Cette phrase me vient de haut lieu.

318 Sagan, 18 décembre 1847.—J'entends dire, de bonne source, que la fermentation des petits États, en Suisse, est extrême, surtout parmi les paysans, et que le poids des contributions dont on frappe les malheureuses victimes du Sonderbund les poussera probablement à un soulèvement en masse. Colloredo et Radowitz devaient quitter Vienne aujourd'hui, pour se rendre au Congrès qui doit traiter les affaires de la Suisse [118].

J'ai eu, hier, la visite du prince et de la princesse Carolath. Je les avais vus à Londres, en 1830, où le prince Carolath avait été envoyé par le Roi de Prusse pour complimenter Guillaume IV à son avènement. Le prince Carolath est, par sa mère, cousin germain de la Reine douairière d'Angleterre [119]. La Princesse est née comtesse Pappenheim, elle est petite-fille du chancelier Hardenberg; sa mère, divorcée du comte Pappenheim, a épousé le prince Pückler-Muskau. Elle est très bonne, et très charitable pour les pauvres; elle fait des vers charmants, lit beaucoup, parle plusieurs langues.

Sagan, 24 décembre 1847.—Voilà l'Impératrice Marie-Louise morte, et cet événement qui, il y a un an, 319 aurait été à peine remarqué, jette aujourd'hui une complication de plus dans le Nord de l'Italie, dont assurément ce terrain, miné de toutes parts, n'a pas besoin. On dit que les Parmesans tremblent de tomber sous le gouvernement de ce misérable Duc de Lucques, et que les esprits sont prêts à la révolte [120]. Le Grand-Duc de Toscane, débordé par le mouvement libéral, inquiète et mécontente la Cour de Vienne. On dit que le Saint-Siège est au même point que la Toscane. Il me paraît impossible que le Piémont ne participe pas à toute cette fermentation, et c'est là, de toute la botte, ce qui me préoccupe le plus. Il paraît qu'il y a beaucoup d'assassinats en Italie; je sais bien que les membres du Corps diplomatique sont moins exposés, mais les crimes près de soi, lors même qu'on n'en est pas l'objet, rendent la vie difficile et triste. A Vienne, on dit la société agitée, hargneuse, querelleuse, duelliste. Plusieurs motifs l'ont faite ainsi; d'abord et avant tout, la Diète singulièrement tumultueuse de la Hongrie, où la jeune noblesse libéralement sauvage s'exerce pendant la semaine pour revenir le samedi, de Presbourg, passer le dimanche à Vienne, et y vociférer dans le Casino-noble, en attendant qu'on établisse des clubs. Le parti anti-Metternich (je parle des conservateurs, dont une partie considérable 320 lui est fort opposée) trouve la conduite de l'Autriche dans les affaires de Suisse déplorable [121]. On dit tout haut que le prince de Metternich s'est laissé jouer par lord Palmerston, et qu'il aurait dû faire, non pas des notes habiles, mais des démonstrations armées, que si l'esprit lui reste pour les premières, l'énergie lui manque pour les secondes. On m'assure donc que l'hiver sera difficile à Vienne, et que déjà il y a eu des scènes vives et désagréables. Il n'y a que Mme de Colloredo qui soit de bonne humeur, resplendissante des pierreries magnifiques que lui a données le nouvel époux, coiffée et ajustée avec jeunesse et coquetterie, en rose, avec des roses dans les cheveux, enfin quinze ans, fort indifférente aux moqueries dont elle sait être l'objet, et aidée à les bien supporter par les empressements du comte de Colloredo qui paraît amoureux et satisfait. Je répète les commérages viennois que mon beau-frère m'a apportés hier...

Sagan, 28 décembre 1847.—Je crains que l'Italie ne soit hérissée de difficultés intérieures et diplomatiques. On assure que le Duc de Lucques n'usera pas de ses droits sur Parme, et qu'il les abandonnera à son fils. Celui-ci a fait de telles sottises et de telles bévues en Angleterre, que la Reine Victoria a fait dire à l'Ambassadeur d'Autriche qu'Elle le priait d'engager le Prince de Lucques 321 à quitter promptement l'Angleterre, sans quoi elle se verrait obligée à l'y engager directement. C'est bien triste pour Mlle de Rosny, sa femme [122], qu'on dit charmante et distinguée.

M. de Radowitz est un homme d'esprit et d'instruction, fort infatué de lui-même et grand parleur, à la tête du parti catholique mystique en Prusse, et comme tel, fort avant dans les bonnes grâces et la confiance du Roi.

Barante m'écrit, de Paris, de façon à me confirmer que les relations entre la Russie et la France ne sont pas aussi près de se renouer qu'on le disait. Lui-même me paraît plutôt viser à la succession du duc de Broglie comme ambassadeur à Londres, qu'à celle de Bresson à Naples.

322

1848

Sagan, 4 janvier 1848.—Je suis tout à fait bouleversée de la mort de Madame Adélaïde [123]. C'est un malheur pour les pauvres, pour le Roi, pour mes enfants. C'est, pour moi, perdre la personne qui regrettait chaque jour M. de Talleyrand, que j'ai tant de motifs de pleurer constamment. Cette triste année 1847 a fini, ainsi, par un coup de foudre, et je comprends parfaitement que les amis particuliers du Roi commencent l'année 1848 sous de tristes augures. L'horizon politique me semble fort sombre. Je ne prétends pas que le tour du Nord ne viendra pas, mais, pour l'instant, c'est le Midi qui bien décidément est en fièvre chaude.

Sagan, 6 janvier 1848.—Il y a du vrai dans ce que Mme de Lieven dit de Humboldt. Je ne prétends pas qu'il soit absolument radical, mais il est fort avant dans le libéralisme, et à Berlin il passe pour pousser Mme la Princesse de Prusse dans la route qu'elle ne suit pas toujours avec assez de prudence. Du reste, Humboldt a trop d'esprit pour se compromettre et il reste dans une 323 certaine mesure ostensible, mais au fond il est un dernier reste de ce que le dix-huitième siècle a renfermé d'éléments dissolvants.

Je connais assez le Roi Louis-Philippe pour être convaincue de son courage et de sa présence d'esprit; aussi, en voyant dans la gazette la soumission d'Abd-el-Kader, je me suis dit tout de suite que le Roi y trouverait un spécifique certain contre sa douleur [124]. Cependant son lien avec sa sœur était de telle sorte que ce n'est peut-être pas dans le premier moment qu'il sentira le plus cette perte, mais à mesure que la vie reprendra son cours accoutumé, et qu'aux heures qu'il passait chez elle, qu'aux occasions, sans cesse renaissantes, où il avait quelque chose à lui confier, elle ne sera plus là pour tout écouter, tout recevoir, tout partager; c'est alors que l'isolement se fera sentir et que la tristesse arrivera. La Reine est, sans doute, tout aussi fidèle, tout aussi dévouée, mais elle est en partie envahie par la maternité; puis, son esprit n'est pas dans les mêmes directions; elle n'est pas toujours dans ce Cabinet, à attendre chaque minute du plaisir royal; ses directions religieuses vont au delà de celles du Roi; bref, c'est beaucoup, mais ce n'est pas tout. Du reste, il vaut bien mieux que le Roi survive à sa 324 sœur, que si cela avait été le contraire, car, j'en suis persuadée, Mademoiselle aurait été tuée du coup.

Sagan, 10 janvier 1848.—Si je n'ai plus de sécurité quand je me porte bien, il ne faut pas croire que j'aie une grande terreur de cette mort subite, dont à la vérité je ne prévois pas le moment, mais sur le fait de laquelle je n'ai aucun doute. Je n'ai pas envie de mourir, mais je n'ai pas plaisir à vivre. N'ai-je pas démesurément rempli ma vie? et toutes mes tâches ne sont-elles pas accomplies? Le reste ne me touche plus guère; ce n'est plus que du remplissage, cela ne vaut pas la peine des petits efforts journaliers que cela coûte. Pourtant, je ne me laisse pas aller à des idées noires; mon compte est fait, mon parti pris, je ne m'en attriste pas, et tant que je vivrai mon activité vivra en moi. Ce à quoi je ne pourrai jamais me résigner, c'est à me sentir inutile, et j'espère que Dieu me fera la grâce de me laisser, jusqu'au dernier moment, intelligente des besoins de ceux qui m'entourent. Si je n'aimais pas les pauvres, je me croirais bien plus misérable qu'eux; heureusement que je me sens chaque jour plus tendre pour eux et qu'ils me tiennent lieu de beaucoup.

Sagan, 12 janvier 1848.—On me mande qu'à la cérémonie de l'enterrement de Madame Adélaïde à Dreux, le Roi a été accablé et désolé. Je crains bien pour lui cette année 1848.

Il paraît que c'est le Duc de Montpensier qui est chargé du dépouillement des papiers particuliers de sa tante.

325 Sagan, 18 janvier 1848.—Je lis avec soin les débats des Chambres françaises; j'ai été enchantée des réponses nobles du Chancelier [125], et fines de M. de Barante, à ce M. d'Alton-Shée qui pousse l'inconvenance par trop loin [126]. L'aspect général me paraît sombre, et je ne sache pas un point de l'horizon sur lequel jeter les yeux avec satisfaction.

Sagan, 20 janvier 1848.—J'ai lu attentivement les discours de l'Adresse à la Chambre des Pairs, et j'ai été ravie du discours clair, noble, du duc de Broglie; je l'ai été aux larmes par l'éclatant discours de M. de Montalembert sur les affaires de Suisse, si plein d'une sincère émotion, si habile, si riche, si abondant, et enfin mettant bel et bon cet abominable lord Palmerston en jeu [127]. Je ne sais pourquoi on est, partout encore, si plein de ménagements 326 pour cet intermédiaire, qui est la véritable malédiction du siècle. Il me semble bien évident que M. Guizot, dans l'affaire de Suisse, s'est laissé duper par lui; à sa place, j'aurais été mieux inspirée, et je ne conçois pas qu'après de si nombreuses expériences, on puisse encore cesser de se méfier de lui [128].

Sagan, 26 janvier.—C'est donc aujourd'hui que vous quittez Paris pour vous lancer dans une nouvelle phase de votre destinée [129]. Je voudrais que les dernières nouvelles que vous recevrez de Turin fussent satisfaisantes, mais c'est difficile à croire. L'important, c'est que la santé du Roi de Sardaigne se rétablisse et s'affermisse. Il paraît que c'est un Prince éclairé, habile, qui mesure bien les nécessités de l'époque, sans leur faire des concessions exagérées. Je lui souhaite, pour vous en particulier et l'Italie en général, une longue et glorieuse existence.

J'ai une longue lettre de ma fille Pauline, toute pleine de regrets sur votre prochain départ, elle le compte comme une rude épreuve de plus.

Il arrive la nouvelle de la mort du Roi de Danemark. Cela va jeter le Nord dans de nouvelles complications [130]. 327 Il est dit que l'Europe n'échappera à aucune. Le Roi de Danemark était un Prince instruit, éclairé, et qui avait bon renom. J'ai eu l'honneur de le voir, et de connaître assez particulièrement la Reine, qui est une sainte [131]. Sa mère et la mienne étaient amies intimes, et j'ai retrouvé, dans les papiers de ma mère, des lettres de la Duchesse d'Augustenburg.

Sagan, 29 janvier 1848.—Nous avons eu ici un météore remarquable. Pendant vingt minutes, une colonne de feu a relié, pour ainsi dire, le ciel à la terre. Le soleil était pour l'œil au tiers du ciel, et de la partie inférieure de son disque partait cette colonne lumineuse qui semblait, à l'horizon, peser sur la terre [132]. C'était un beau et imposant spectacle. Il y a quelques siècles, les astrologues en auraient tiré force horoscopes. Je tire les miens des journaux, et, par conséquent, je n'ose espérer que cette colonne de feu nous annonce rien de bon.

Sagan, 10 février 1848.—Le 5 de ce mois, j'ai été bien agréablement surprise par l'arrivée du Prince-Évêque de Breslau [133]. Malgré la mauvaise saison et sa mauvaise 328 santé, il a voulu me souhaiter ma fête, et, au jour de Sainte-Dorothée, dire lui-même la messe ici. Il était accompagné de plusieurs ecclésiastiques et des principaux seigneurs catholiques de la province. Le Prince-Évêque a porté ma santé, à dîner, en la faisant précéder d'un discours charmant, rappelant la signification du nom de Dorothée et des armes de Sagan [134] qu'il a bien voulu nommer des armes parlantes; il tremblait d'émotion, et quelques gouttes du vin contenu dans le verre qu'il tenait se sont échappées, il a alors fini en me disant: «Quand le cœur parle, la main tremble.»

Le typhus qui ravage la Haute-Silésie menace de se montrer ici, où cependant nous espérons qu'il sera moins meurtrier que de l'autre côté de Breslau; l'excès de la misère et de la faim ayant été plus efficacement combattu ici que dans les autres parties de la province. En Haute-Silésie les ravages sont hideux; les médecins y ont succombé, et sans les Frères de la Charité que le Prince-Évêque y a expédiés, les secours seraient nuls. Il y a quatre mille orphelins qui errent à l'aventure. Mgr Diepenbrock, à l'exemple de Mgr de Quélen après les ravages du choléra en 1833, va leur ouvrir un lieu de refuge, auquel les catholiques de la province vont porter leur attention et leur zèle. Ce plan s'est élaboré ici.

Weimar, 18 février 1848.—Il y a ici fête sur fête, pour le jour de naissance de Mme la Grande-Duchesse régnante. Avant-hier, on a très bien exécuté un opéra 329 qui fait grand bruit en Allemagne, Martha, par le compositeur Flotow. Le libretto et la musique sont fort agréables. Liszt dirigeait l'orchestre admirablement. Il est maître de chapelle de la cour de Weimar, avec un congé fixe de neuf mois de l'année. Il en a profité dernièrement pour aller à Constantinople et à Odessa, où il a fait beaucoup d'argent. Ce soir, il doit jouer en petit comité chez Mme la Grande-Duchesse, à la suite d'une lecture que doit faire le prince Pückler-Muskau sur son séjour chez Méhémed-Ali. Il y aura avant un petit dîner à la jeune Cour du Prince héréditaire. On tâche de maintenir ici le feu sacré des arts et de la littérature, qui, depuis soixante ans et plus, a fait surnommer Weimar l'Athènes de l'Allemagne. Mme la Grande-Duchesse, pour perpétuer la tradition, a consacré un certain nombre de salles du château au souvenir des poètes, philosophes et artistes qui ont illustré le pays; des peintures à fresques y rappellent les sujets divers de leurs œuvres; des bustes, portraits, vues de scènes historiques, de sites curieux, des meubles de différentes époques garnissent ces pièces. La fortune particulière de Mme la Grande-Duchesse est considérable; elle l'emploie très noblement à des établissements de charité et à l'ornement de ses résidences. La Cour de Weimar a été, depuis cent ans, remarquablement bien partagée en Princesses. La grand'mère du Grand-Duc actuel était la protectrice de Schiller, de Gœthe, de Wieland; c'est elle qui a fait fleurir, sous son aile protectrice, la littérature classique de l'Allemagne. Sa belle-fille, mère du présent Grand-Duc, a été la seule princesse 330 d'Allemagne qui en ait imposé à Napoléon; elle a sauvé au Duc son époux sa souveraineté par son courage et sa fermeté. M. de Talleyrand racontait souvent, avec plaisir, les scènes où cette Princesse s'est trouvée en regard du conquérant. La belle-fille de la Grande-Duchesse actuelle, la princesse des Pays-Bas, a aussi de l'esprit, de l'instruction, un son de voix ravissant, un grand savoir-vivre et une simplicité qui ajoute un grand prix à ses mérites. Elle sera digne, tout l'annonce, de continuer la tradition des Princesses remarquables de la Cour de Weimar. On peut presque mettre Mme la Duchesse d'Orléans du nombre des Princesses de Weimar, puisque sa mère était sœur du Grand-Duc régnant.

Berlin, 28 février 1848.—Avant-hier, j'étais loin de penser tout ce que cet intervalle de quarante-huit heures amènerait de changements dans la face des choses. Le télégraphe a successivement, mais sans détails, apporté une série de faits dont aucun cependant n'avait préparé au coup de foudre de l'abdication de Louis-Philippe et de la Régence de Mme la Duchesse d'Orléans [135]. Nous ne connaissons ni les motifs, ni les nécessités; nous ne savons ce qu'il faut rapporter à la 331 prudence ou à la faiblesse; mais sans s'arrêter à l'historique de la chose, que nous apprendrons plus tard, le gros fait est assez écrasant pour jeter dans une consternation qui, ici, est générale, et qui, du premier au dernier, est égale chez tous. Les réflexions se pressent dans la pensée, elles sont les mêmes pour chacun; il n'y a pas deux manières d'envisager la question et ses résultats probables. Ils refléteront, non seulement sur tous les gouvernements, mais encore sur toutes les existences privées. Mme la Princesse de Prusse en est atterrée, par suite de la sympathie vive qui l'unit à sa cousine. Elle croit que ma présence peut l'aider à porter le poids de son anxiété, il s'ensuit que je passe bien des heures auprès d'elle à supputer tous ces horribles événements, et à nous désoler de l'obscurité qui règne encore sur la majeure partie de ce drame ou plutôt de cette tragédie. Ces tristes échos retentiront plus promptement et plus activement en Italie que partout ailleurs; le reste de l'Europe viendra après, car le répit qui lui est accordé pour le moment ne saurait être long. Le fait est qu'il est impossible de mesurer le coin d'Europe où on peut solidement compter sur un repos durable. L'Amérique même ne me paraît point à l'abri des dissolvants. C'est la condition générale du siècle, et il faut savoir la subir là où la Providence nous a naturellement placés. Je la bénis, cependant, d'avoir porté Pauline à quitter Paris le 23 février pour se rendre à la Délivrande [136]. Je blâmais cette course dans une saison si 332 froide; je suis tentée maintenant d'y voir un fait providentiel. Les nerfs déjà si ébranlés de cette pauvre enfant auraient trop été éprouvés par l'aspect et le bruit de cette ville en tumulte.

La pauvre Madame Adélaïde est morte à temps et Dieu a récompensé sa tendresse fraternelle en lui évitant cette amère douleur! Et M. de Talleyrand! Je ne dis pas la même chose pour Mgr le Duc d'Orléans, qui, vivant, aurait donné une tout autre direction à ces terribles journées.

La Russie commence à se remuer beaucoup, mais il est vrai de dire que la santé de l'Empereur Nicolas est très mauvaise; il a une éruption à l'articulation des genoux qui lui rend difficile de marcher; de là, manque d'exercice, ce qui augmente l'état hépatique dont il est atteint, bref, on n'est pas sans anxiété.

Berlin, 2 mars 1848.—Depuis le 28 février, les plus effrayantes nouvelles se sont succédé d'heure en heure, avec une fâcheuse rapidité. Il en circule, aujourd'hui, qui semblent indiquer un mouvement contre-révolutionnaire à Paris; j'avoue que je n'y crois pas. Mes dernières nouvelles directes sont du 24, écrites pendant le quart d'heure qu'a duré la Régence de Mme la Duchesse d'Orléans. Il est arrivé quelques lettres de même date à Berlin, et le Moniteur du 25, rien de plus; le tout sans délais; aussi faut-il s'abstenir de juger les choses et les personnes qui 333 ont figuré dans cette tragédie, jusqu'à ce que l'on connaisse l'enchaînement des faits qui a fait céder le Roi, et qui a comme paralysé son action et celle de sa famille. Le blâme et la critique se déversent déjà sur ces infortunés; je trouve qu'il serait mieux de suspendre tout jugement absolu. A la vérité, les apparences sont étranges, et l'on serait disposé à croire que M. Guizot et Mme la Duchesse d'Orléans ont seuls, chacun dans leur sphère d'action, été intrépides et fermes. Le courrier d'Angleterre, arrivé hier au soir, n'apportait aucune nouvelle sur Louis-Philippe et sa famille; on les disait tous à Londres, mais le fait est, qu'à cet égard, rien n'est officiel, rien n'est certain et qu'un vague extrême plane sur les individus. Le marquis de Dalmatie [137] joue ici un rôle singulier. Il y a déjà trente-six heures qu'il renvoie ses gens, qu'il vend mobilier et diamants, qu'il crie misère, et qu'il va de porte en porte dire qu'il est un pauvre émigré, pestant contre le souverain qu'il représentait il y a six jours encore. Cela ne le place pas bien dans le monde. On trouve qu'aussi longtemps que Mme la Duchesse d'Orléans et le Comte de Paris sont sur le territoire français, il devrait conserver sa position extérieure et le langage qui s'y rattache; d'ailleurs, on sait fort bien que son père est très riche; de plus, on ne suppose pas qu'il y ait confiscation à moins d'émigrer réellement. Aussi, je ne donnerai pas à mes enfants le conseil d'émigrer, me souvenant de tout ce que M. de Talleyrand disait contre.

334 On peut penser facilement dans quelles agitations on est ici sur les conséquences européennes des journées de février. Le Ministre de Belgique, M. de Nothomb, me disait hier qu'un mouvement prononcé anti-français se manifestait en Belgique. M. de Radowitz est parti cette nuit pour Vienne, le Prince Guillaume, oncle du Roi, pour Mayence [138].....

Une dépêche télégraphique qui arrive à l'instant annonce officiellement l'arrivée de Mme la Duchesse d'Orléans et de ses deux enfants à Deutz, faubourg de Cologne [139]. Le pays de Bade commence à remuer, on est inquiet de ce qui peut se passer. On dit aussi qu'il y a des troubles à Cassel [140]. Que Dieu ait pitié de ce pauvre 335 vieux monde, et en particulier de ceux qui me sont chers!

Berlin, 14 mars 1848.—Tout, entre le Rhin et l'Elbe, est en commotion; aujourd'hui même, ici, les troupes sont consignées, et l'on s'attend à quelques émotions populaires. Si le Roi avait voulu convoquer la Diète il y a quelques jours, il y aurait eu bien des difficultés de moins. La meilleure chance, pour ici, est d'entrer franchement et promptement dans la forme constitutionnelle; si on tarde, si on hésite, si on finasse, on aura des crises incalculables. Tant il y a qu'on est ici dans une semaine bien critique. Les bourgmestres des grandes villes sont arrivés avec des pétitions qui effraient; la révolution est plus ou moins avérée partout; dire ce qu'on fera, ce qu'on pourra faire est impossible. En attendant, la misère et le typhus augmentent.

Mme la Duchesse d'Orléans est à Ems avec ses enfants, sous le nom de marquise de Mornay. Elle veut garder un incognito complet, ce qui fait que ses affidés nient le fait de sa présence à Ems; il est cependant certain, j'ai vu des personnes qui lui ont parlé.

Sagan, 24 mars 1848.—De graves événements se sont passés à Berlin. On a perdu un temps précieux, on a 336 hésité, pris de mauvaise grâce des demi-mesures; tout ensuite est arrivé par peur, après deux journées (18 et 19 mars) dont je n'oublierai jamais l'horreur. Des symptômes de grande effervescence, provenant de Breslau, ont gagné la Silésie. Ici, on s'est rué contre l'Hôtel de ville et la garnison; jusqu'à présent, le Château a été épargné, mes employés ont cru que ma présence pourrait être un calmant utile et je suis accourue. Je n'ai pas jusqu'ici à le regretter; cependant, comme le voisinage toujours plus rapproché des Russes jette une aigreur extrême dans les esprits, mon beau-frère ne croit pas que je puisse me prolonger ici; il me renvoie à Berlin, où tout cependant n'est pas encore en équilibre. Il veut rester à Sagan, tenir tête à l'orage et sauver ce que l'on pourra. En attendant, la crise financière est à son comble; on n'a plus le sou, personne ne paye, les banqueroutes éclatent de toutes parts; agitation, terreur, tout est là. C'est la boîte à Pandore qui s'est ouverte sur l'Europe. J'apprends à l'instant que le Grand-Duché de Posen est en feu, et comme mes terres y touchent, j'en reçois des nouvelles alarmantes. A la grâce de Dieu! Je suis parfaitement calme, parfaitement résignée, parfaitement résolue à baisser la tête sans murmurer, devant les décrets de la Providence. Je ne demande au Ciel que la vie et la santé de ceux que j'aime. Les secousses de Vienne m'ont abasourdie. On marche d'abîme en abîme [141].

337 Berlin, 30 mars 1848.—Me voici revenue ici, où l'agitation est loin d'être calmée. Le prince Adam Czartoryski y est arrivé hier de Paris; je n'ai pas besoin de signaler ce que c'est que cette nouvelle complication [142]. Les complications, au reste, se succèdent, se pressent avec une effrayante rapidité. La situation des particuliers qui ont quelque chose à perdre n'est guère meilleure que celle des Rois chancelants qui ne tient plus qu'à un fil. Nous sommes tous, pour le moment du moins, sans le sou, et ce n'est pas la guerre à l'Est et le communisme à l'Ouest qui nous ouvriront de meilleures chances d'avenir, à nous qui sommes pressés entre ces deux colosses!

On dit que la Diète prussienne s'ouvrira le 2 avril; c'est dans deux jours, et on n'en est point encore certain!... En tout cas, elle sera fort courte, car elle ne s'occupera que de la loi électorale.

Berlin, 1er avril 1848.—La Diète qui s'ouvre demain sera un nouvel acte du drame [143]. Il est impossible d'en 338 apprécier les effets, et je suis d'ailleurs fort dégoûtée des prévisions, ainsi que je le suis, depuis assez longtemps, des projets. Paul Medem, qui est encore ici, reste fort incertain au sujet de son avenir; les nouvelles de Vienne ne lui paraissent pas plus rassurantes qu'il ne faut. En tout, il n'est guère possible de reposer ses yeux sur un point tranquille du globe: il faut les porter sur les affections sûres et éprouvées qui bravent les révolutions, l'absence, et tout ce qui se promène ostensiblement dans cette vallée de larmes.

Berlin, 8 avril 1848.—On a subi ici le contre-coup de Paris; il a été violent, profond, irrémédiable; on en est encore tout palpitant; le char n'est point encore arrêté, il roule, ce n'est point dans une direction ascendante. La Jacquerie des provinces est une condition lamentable; elle me retient en ville, où cependant il y a en permanence une émotion populaire qui fait désagréablement diversion au morne profond de cette capitale. Les Metternich sont en Hollande, se préparant à passer en Angleterre [144].

339 Berlin, 12 avril 1848.—La vie est fort triste, et tout à la fois très agitée. Les membres de la Diète ont tous quitté Berlin hier, pour s'occuper de leur réélection. Le sort du pays dépend de la façon dont l'assemblée constituante sera composée; c'est donc un devoir pour les honnêtes gens de chercher à y entrer, et chacun le tient pour tel; mais il peut se passer bien des choses encore, entre aujourd'hui et le 22 mai; et quand on songe au réseau de clubs qui, chaque jour, couvre plus étroitement la capitale et les provinces, quand on songe au désordre qui se manifeste partout, à l'esprit douteux de la landwehr, à l'audace des émissaires, aux complications extérieures, aux exemples contagieux qui viennent de l'occident et du midi et des points véreux au nord et au levant, on se sent pris d'un vertige, que les hésitations du gouvernement et l'absence complète de mesures répressives sont loin de dissiper. Les cinquante petits tyrans établis à Francfort ne laissent pas que de peser lourdement dans la balance. Personne ne leur a donné de mandat, et cependant chacun leur obéit [145]. Que tout est inexplicable dans le monde, tel qu'il se déploie à nos yeux! Il n'y a plus de prophétie possible, il faut vivre au jour la journée, et se 340 tenir satisfait quand on a atteint le bout des vingt-quatre heures sans de trop grandes secousses. Nous voyons force bande de Polonais traverser la ville, soit pour Posen, soit pour Cracovie. Les gentilshommes polonais donnent toute liberté à leurs paysans, afin de ne pas être massacrés par eux. L'élément polonais est en bataille contre l'élément allemand. Lequel des deux triomphera si on ne parvient pas à les concilier? Nul ne le sait [146].

Sagan, 20 avril 1848.—L'état des esprits est toujours inquiétant. Si les émeutiers n'en voulaient qu'à l'argent, en vérité, ce qu'il y aurait de mieux à faire serait de le leur laisser prendre; il y en a si peu dans les caisses qu'ils ne feraient pas une grosse récolte; mais, dans leur frénésie, ils en veulent aussi aux archives, aux titres, aux contrats, enfin à tout ce qui détermine et fixe la propriété; puis, ils sont fort disposés à maltraiter les individus et à mettre le feu aux greniers et aux bâtiments, pour peu qu'on leur résiste. Ici, on est un peu plus calme, quoique des émissaires du club jacobin de Breslau se montrent depuis deux jours, et cherchent à s'affilier les mauvais petits avocats sans cause et ce qu'on nomme, en allemand, die obskure Litteratur. Nous avons su que ces émissaires, sous le prétexte d'une réunion électorale 341 préparatoire, veulent provoquer une assemblée du bas peuple et chercher à leur enseigner la manière la plus prompte et la plus habile de désarmer la garde civique. Heureusement, celle-ci est prévenue, et je ne doute pas que si la démonstration s'effectue, elle sera dissipée sans coup férir.

Les meneurs des clubs s'agitent à Berlin contre l'élection à deux degrés et provoquent aussi une grande démonstration populaire, pour aller porter au Château et au Ministère une pétition en faveur de l'élection directe. Je ne sais s'ils parviendront à réunir beaucoup d'ouvriers sur cette question politique; on peut le craindre, parce qu'ils sont déjà fort agités par la question du salaire; on ne voit, à ce qui m'est mandé, que leurs promenades dans les rues. Il y a eu, l'autre jour, de graves désordres, chez les boulangers, qui fraudaient sur le poids du pain et qui, pour cela, méritaient bien une leçon, mais était-ce au peuple à la leur donner?... En attendant, on donne à celui-ci cette habitude de ne pas travailler et d'être sur la place publique; les ateliers, où les ouvriers veulent travailler, sont fermés par les meneurs; ainsi, les tailleurs, par exemple, sont en chômage forcé. Je ne crois pas encore à des dangers imminents de violence, mais on est en mauvaise direction, et en marche pour en venir là. Les Polonais ont envoyé leur ultimatum à Berlin [147]. Ils 342 ne veulent ni déposer les armes, ni se séparer, avant que leurs demandes soient accordées. On s'occupe à en délibérer, et on doit être fort embarrassé entre les deux populations, car les Polonais ne veulent pas tenir compte des demandes des Allemands, qui insistent pour rester Allemands et pour qu'on tire une ligne de démarcation qui donnerait Posen comme capitale aux Allemands et Gnesen aux Polonais.

On ne sait que croire de l'Italie, dont les nouvelles sont si contradictoires. Les lettres de Vienne sont tristes et décourageantes. L'Angleterre offre un autre spectacle, bien différent et bien glorieux pour elle; mais j'avoue que je m'indigne de voir lord Palmerston, qui a eu sa large part dans l'ébranlement de l'Europe, se pavaner dans le confort, la gloire et la richesse des Anglais, qui augmente en raison de la misère du Continent.

Sagan, 24 avril 1848.—Voici une lettre de Vienne, à moi adressée par le Ministre de Russie, mon cousin Medem: «Vienne est tout à fait morne; les grandes réunions n'existent plus; le Prater est désert, l'Opéra est fermé, le public n'ayant pas permis aux Italiens de jouer. Wallmoden nous est arrivé d'Italie. On dit que c'est pour s'entendre avec le gouvernement, sur les moyens de 343 reprendre, sinon l'offensive en Italie [148] sur une grande échelle, du moins, possession de Venise et de la partie insurgée du Frioul. Les communications avec l'armée active sont toujours réduites aux passages par le Tyrol. On est justement indigné de la conduite de F. Zichy, du comte Palfy à Venise et du comte Ludolf à Trévise, qui ont honteusement capitulé sans raisons valables [149]. En somme, il y a mécontentement et incertitude sur l'avenir. On reconnaît tous les jours davantage l'impardonnable inertie de l'ancienne administration, tant civile que militaire. C'est à ne pas y croire lorsqu'on n'en connaît que quelques détails seulement. La tranquillité de Vienne n'a pas été sérieusement troublée dans ces derniers temps, mais des manifestations inquiétantes ont eu lieu. Elles sont provoquées par des gens sans aveu, la plupart venus de l'étranger, lesquels adressent des harangues au public rassemblé dans des salles comme celle de l'Odéon et 344 autres. Des publications, des placards incendiaires paraissent partout et entretiennent l'inquiétude dans la partie sage de la nation, surtout dans les classes supérieures. Il serait temps que cela finît, car si cela devait se prolonger, la situation se compliquerait. Pour le moment, cependant, l'état des choses est bien meilleur ici que dans la capitale et la Monarchie prussienne, mais comment répondre de l'avenir?»

Sagan, 30 avril 1848.—Nous finissons aujourd'hui le second mois d'un tremblement de terre, dont les frémissements sont loin encore, je le crains, d'être terminés. Pour le quart d'heure, l'Europe est partagée entre les fièvres électorales et les flammes de la guerre civile. Les passions humaines se dévoilent dans toute leur laideur au milieu de la concurrence des élections; les fureurs aveugles dans les combats de citoyens, armés les uns contre les autres, l'anarchie, le désordre, l'impunité, la misère, le découragement, le désespoir, voilà le tableau qui, à quelques nuances près, se retrouve partout. Trop heureux ceux qui ne reçoivent qu'un contre-coup amorti, et qui traversent les vingt-quatre heures, si ce n'est sans anxiété, du moins sans danger matériel. Nous verrons ici ce que les élections, qui commencent demain, produiront comme résultat, et quelle sera la figure du pays pendant les votes et les scrutins. En attendant, la presse et les clubs s'exercent à l'envi; chaque petite ville a son journal, chaque hameau son orateur; la plupart des auditeurs ne comprennent pas ce qu'on leur prêche, mais ils 345 obéissent, comme des moutons de Panurge. Les ouvriers industriels veulent faire la loi aux chefs d'ateliers, qui, ne vendant plus rien, ne peuvent ni augmenter, ni même maintenir leur fabrication, ni améliorer la condition des ouvriers. Quant aux pauvres gens qui travaillent à la terre, et à la classe plus gâtée qui a travaillé aux chemins de fer et qui les a terminés, on n'en sait réellement que faire; on partage avec eux le dernier sou et le blé des granges, car on les plaint, et on les craint.

Sagan, 5 mai 1848.—Le Grand-Duché de Posen est en ce moment le théâtre des plus grandes atrocités; c'est la guerre civile avec des raffinements de cruauté inouïs. Les journaux français les ignorent ou veulent les ignorer, mais les détails que je reçois de première main font dresser les cheveux sur la tête. Le 1er mai, les Prussiens ont été terriblement battus par les insurgés, qui, armés de faux, éventrent les chevaux [150]. Plusieurs seigneurs polonais ont été massacrés par leurs paysans. Ils ne peuvent se garantir personnellement qu'en les excitant contre l'armée prussienne.

Sagan, 8 mai 1848.—C'est aujourd'hui que les électeurs 346 élus, il y a huit jours, doivent nommer les électeurs prussiens. Je crois qu'on fonde trop d'espoir sur les assemblées constitutionnelles; je crains qu'elles ne nous préparent de grandes déceptions. A Vienne, la déchéance du comte de Ficquelmont est une scène des plus déplaisantes du drame universel [151]. Des étudiants sont entrés chez lui, lui déclarant qu'ils ne voulaient plus de lui pour Ministre. Il a obéi, et il aurait couru de grands dangers si, en se rendant à pied chez son gendre, le prince Clary et deux étudiants ne lui avaient servi de défenseurs.

Sagan, 21 mai 1848.—Les scènes du 15, à Paris, ont été hideuses [152]. Dieu fasse que le parti modéré sache user énergiquement de son triomphe, et que surtout il ne soit pas trop souvent appelé à fêter de pareilles victoires.

C'est demain que s'ouvre l'Assemblée constituante à Berlin. Elle est si étrangement composée que ce sera miracle si elle fait de la bonne besogne.

Sagan, 25 mai 1848.—Je suis préoccupée de Rome et du Pape [153]. J'y pense sans cesse. Je crois que si 347 j'avais été le Saint-Père, j'aurais été avec quelques Cardinaux fidèles, avec ces pauvres religieux et religieuses persécutés, et le plus d'argent et de vases sacrés possible, m'embarquer pour l'Amérique. J'y aurais fait un établissement à l'instar de celui du Paraguay, et, de là, j'aurais en pleine indépendance gouverné la catholicité européenne, comme, de Rome, il gouverne depuis si longtemps les catholiques d'Amérique. Je crois que les Romains n'auraient pas tardé à le rappeler à grands cris, et en cas contraire, il aurait été du moins à l'abri des indignités actuelles et ne serait pas obligé de sacrifier les innocents et les biens de l'Église. Ce que je dis là n'a peut-être pas le sens commun, mais du moins, cela n'aurait pas été sans une certaine grandeur, au lieu que je ne vois partout qu'humiliation et abrutissement.

J'ai lu avec intérêt et horreur les récits des scènes de Paris le 15 mai, et mon opinion est que la besogne des assemblées délibérantes est mauvaise. Je crains fort que celle de Berlin ne fasse rien qui vaille, et à Francfort, c'est la tour de Babel. Les gazettes prussiennes contiennent déjà des cris jacobins contre la nouvelle Constitution, et je doute que le Roi puisse faire prévaloir le système de deux Chambres, surtout avec le petit bout d'hérédité qu'il cherche à sauver. Breslau est un abominable foyer de communisme.

348 On me mande d'Angleterre qu'à Claremont les amertumes intérieures ajoutent aux douleurs de la situation. Les fils, qui s'ennuient de leur inaction forcée, reprochent au père la perte de la partie; celui-ci s'inquiète du jugement de la postérité; tout cela est fort amer pour cette pauvre Reine Amélie, dont l'orgueil et la joie ont été si longtemps puisés dans l'union touchante de toute sa famille. Elle est, en outre, en mauvais état de santé. Leur état financier approche de la misère [154].

Sagan, 28 mai 1848.—Mme la Duchesse d'Orléans est établie au château d'Eisenach même. Elle y vit fort simplement, avec sa belle-mère et le précepteur [155] de ses enfants pour tout entourage. Sa position pécuniaire est des plus gênées. Le château d'Eisenach appartient à l'oncle de la Duchesse d'Orléans, le Duc de Saxe-Weimar; il l'a mis à la disposition de sa nièce.

On m'écrit, de Vienne, que tous les Hongrois y rompent leurs établissements, pour se retirer soit à la campagne, soit à Bude, soit à Presbourg. Les Bohêmes vont à Prague. Bref, ce joli Vienne, si gai, si animé, si aristocratique, devient un désert, et triste comme un grand village. La princesse Sapieha et Mme de Colloredo sont fort compromises dans les derniers troubles; elles ont été obligées de s'enfuir et de se cacher. L'Archiduc François-Charles 349 a écrit d'Insprück à lord Ponsonby, doyen du Corps diplomatique à Vienne, pour l'engager, au nom de l'Empereur, à venir avec tous ses collègues rejoindre la Cour en Tyrol.

Voilà M. Bulwer renvoyé d'Espagne. Il avait fomenté à Séville une révolte contre les Montpensier qui ont dû fuir à Cadix. Il faut convenir qu'on peut dire de Palmerston et de Bulwer: Tel maître, tel valet.

Il y a toujours beaucoup d'émotion dans les rues de Berlin, et le prochain retour du Prince de Prusse, qui est attendu ces jours-ci à Potsdam, amènera probablement une explosion [156]. En attendant, Berlin est à peu près cerné par un corps de seize mille hommes qu'on compte employer à l'occasion.

On m'écrit de Paris que Mme Dosne se meurt de colère qu'une révolution ait pu avoir lieu, sans qu'elle eût son gendre pour objet, et ceci peut se prendre à la lettre, puisqu'elle en était à son troisième accès de fièvre pernicieuse; que M. Molé et M. Thiers se présentent tous deux pour la députation et que M. de Lamartine paraît beaucoup redouter le succès de ce dernier.

Les atroces scènes de Naples [157] ont eu un mauvais 350 retentissement à Berlin, où l'émotion des rues a repris, dit-on, un mauvais caractère. Les bourgeois s'y sont emparés du poste de l'Arsenal.

Sagan, 7 juin 1848.—L'équilibre moral dépend de mille petites circonstances accessoires pour chacun, car il faut être bien jeune et d'une grande ignorance des peines de l'esprit, pour ne pas subir les mille et une influences des choses, des lieux, du temps, et même de détails encore plus puérils en apparence. C'est Saint-Évremond, je crois, qui dit que moins on reste vif pour ce qui plaît, et plus on est sensible à ce qui dérange.

Il paraît que Paris est tranquille, mais à quel prix? Il s'y est commis des atrocités raffinées, terribles.

Sagan, 12 juin 1848.—L'état de Berlin et de Breslau empire toujours; celui des provinces s'en ressent, et je m'attends à voir la guerre civile éclater au premier jour; car les campagnes, tout en subissant l'action révolutionnaire contre leurs seigneurs et leurs curés, détestent les villes; les paysans n'aiment pas les bourgeois et sont royalistes et militaires, tout en étant anti-nobles et anti-prêtres. Cela fait une étrange confusion que Dieu seul pourra éclaircir. L'Assemblée constituante réunie, à Berlin, n'a jusqu'à présent aucun cachet marqué, que celui de l'ignorance et de la confusion.

351 Sagan, 18 juin 1848.—Les journaux et mes lettres me disent que l'Allemagne reprend ses velléités républicaines. Voilà Hecker élu pour Francfort. Tout cela est d'une confusion inimaginable, surtout quand on voit le dégoût, de plus en plus marqué, que la France témoigne pour le déplorable gouvernement qu'elle s'est donné il y a quatre mois. Il faut bien qu'elle soit aux abois pour se tourner vers le drapeau bonapartiste, si piteusement représenté par Louis-Napoléon que chacun connaît être un bien triste sire. Que dire des affreuses scènes de Prague et de l'assassinat de la pauvre princesse Windisch-Graetz [158]? J'ai été aussi fort agitée pour Berlin, où le pillage de l'Arsenal et les échecs du Ministère à la Chambre ont fait encore diminuer les bonnes chances. Trois ministres, Arnim, Schwerin et Kanitz, ont donné leur démission.

Potsdam, 23 juin 1848.—Je suis arrivée ici hier, après m'être arrêtée une demi-journée à Berlin. Medem écrit de Vienne à son collègue, M. de Meyendorff, des doléances sur les directions faibles et incertaines qui se manifestent à Insprück depuis que le baron de Wessenberg y gouverne. Je ne m'en étonne pas: Wessenberg est aimable, bon, spirituel, instruit, laborieux, mais dès Londres, je l'ai jugé brouillon, et pour conduire les affaires, c'est un inconvénient immense.

352 J'ai des nouvelles de M. de Metternich. Il met ses fils dans un collège catholique, en Angleterre, ne trouvant personne qui veuille s'associer à son sort comme précepteur. Il est aussi tourmenté par le manque d'argent.

Le Grand-Duc régnant de Mecklembourg-Schwerin a augmenté le douaire de sa belle-mère, afin que Mme la Duchesse d'Orléans et ses enfants puissent ainsi avoir, indirectement, un peu plus de confort; c'est noble et délicat.

La crise ministérielle dure encore ici; elle fait succéder, au tumulte des rues, celui, plus politique et non moins dangereux, d'une Chambre aussi mal composée que celle de Berlin. On disait, hier au soir, qu'une dépêche télégraphique avait apporté de Francfort la nouvelle que l'Assemblée, réunie dans cette ville, avait élu un Dictateur pour l'Allemagne dans la personne de l'Archiduc Jean [159]. Ici, on voulait un Triumvirat. On disait, en conséquence, qu'on avait répondu à cette nouvelle par une protestation de la Prusse.

Sagan, 28 juin 1848.—Je suis rentrée dans mes 353 foyers. Quoique je n'aie pas trop, jusqu'ici, à me plaindre de mon coin de céans, je sens, cependant, le terrain miné et mouvant sous mes pieds. Celui que je viens de quitter l'est, à mon sens, d'une manière effrayante. A Paris, le sang coule [160]; depuis quelques jours, on ne sait que fort mal ce qui s'y passe par des dépêches télégraphiques venant de Bruxelles; j'ai seulement la certitude que mes enfants ne s'y trouvent pas.

Sagan, 6 juillet 1848.—Les combats de Paris m'ont tenue dans une grande alarme; heureusement que personne me touchant un peu particulièrement n'a été atteint autrement que par la terreur et le saisissement. A présent, ce sont les campagnes qui deviennent dangereuses; aussi ma fille Pauline est-elle rentrée en ville avec son fils.

Nous ne sommes guère moins malades ici qu'en France, et quand je regarde tous les foyers de communisme dont cette partie de l'Europe abonde, je ne puis fermer les yeux aux dangers qui nous menacent, d'autant plus que je suis fort loin de croire qu'on saurait les combattre, comme le prince Windisch-Graetz à Prague et le général Cavaignac à Paris.

Je pense me rendre dans quelques jours à Téplitz; j'attends d'abord d'être assurée que cette partie de la Bohême est pacifiée.

354 Téplitz, 16 juillet 1848.—Mon voyage, de Sagan ici, s'est passé sans accident; mais partout on trouve misère et inquiétude. Le petit royaume de Saxe est cependant moins malade que la Prusse et que les duchés saxons de la Thuringe, où l'esprit républicain domine. A Dresde, le Ministère est tellement radical qu'il ne laisse presque rien à désirer aux révolutionnaires. Aussi a-t-on l'air de croire que les duchés saxons pourraient être réunis sous le sceptre unique, et peu monarchique, du bon Roi de Saxe, qui n'est guère qu'une ombre royale. Ce qui l'a sauvé jusqu'à présent, c'est que son Ministre de l'Intérieur actuel [161] n'use ni de chapeau, ni de gants. C'est tout simplement un manant, mais on le dit assez honnête homme pour ne pas trahir son maître. Téplitz est à peu près vide, personne ne songe à voyager. Excepté les Clary et les Ficquelmont, il n'y a que quelques paralytiques inconnus. M. de Ficquelmont voit très en noir les destinées de l'Empire autrichien, et ne paraît pas croire que l'Archiduc Jean soit destiné à le sauver, pas plus qu'à éclaircir les destinées de l'Allemagne. Ses coquetteries pour les étudiants de Vienne sont, ou une fausseté, ou une spéculation ambitieuse sans dignité. A Francfort, il aura bientôt à lutter contre les tendances séparatistes qui se font jour, de plus en plus, en Prusse, non seulement en haut lieu où elles pourraient bien avorter, mais encore dans les masses, blessées dans leurs intérêts et dans leur vanité.

355 Téplitz, 22 juillet 1848.—Il nous revient qu'il y a toujours un peu de fermentation à Prague, contenue par la main de fer du prince de Windisch-Graetz; l'anarchie à Vienne est toujours complète. M. de Ficquelmont me disait hier que la population berlinoise était plus démoralisée et plus méchante que celle de Vienne, mais que les rouages du gouvernement et de l'administration valaient infiniment mieux à Berlin qu'à Vienne. A tout prendre, ce sont deux mauvais centres.

Eisenach, 8 août 1848.—Mme la Duchesse d'Orléans, que je suis venue voir, est changée et se plaint d'un affaiblissement progressif. Du reste, elle est calme, raisonnable, et moins éloignée qu'elle ne l'était au premier moment de se rapprocher de la branche aînée; seulement, les moyens d'exécution paraissent difficiles; on sent qu'il faut abriter la dignité, autant qu'il faut ne rien laisser échapper de ce qui peut faciliter les chances d'avenir. Elle est sans préventions, sans préjugés; son regard est lucide, et son jugement me paraît simplifié, assuré par les grandes leçons des derniers temps. Elle est parfaitement confiante et aimable pour moi. Le reflet de Mgr le Duc d'Orléans nous donne, réciproquement, un intérêt réel l'une pour l'autre. Elle me l'a exprimé gracieusement, en me disant que j'étais pour elle hors ligne. Elle a appelé ses fils et leur a dit: «Embrassez la plus fidèle amie de votre père.»

Berlin, 13 août 1848.—Il y a ici, chaque soir, un 356 peu d'émotion dans les rues, entretenue par la déplorable marche de l'Assemblée. De plus, le Ministre des Finances, M. Hanseman, propose des lois destinées à achever notre ruine. Aussi s'élève-t-il des anciennes provinces des réclamations qui pourraient dégénérer en révoltes et conduire à la guerre civile. Déjà les Unitaires allemands et les Prussiens séparatistes, qui se partagent le pays, sont partout en présence et dans un état d'hostilité qui rend les conflits imminents. L'avenir est incalculable...

Sagan, 9 septembre 1848.—La crise ministérielle de Berlin semble rendre une catastrophe imminente [162]. On peut s'attendre à la guerre civile, à la guerre étrangère, à la rupture entre les deux Assemblées constituantes de Francfort et de Berlin; bref, les éventualités se pressent en foule, et, en attendant, les existences privées se détruisent de plus en plus.

Sagan, 16 septembre 1848.—Point de Ministres à Francfort [163], point de Ministres à Berlin; un manque 357 complet d'énergie à Sans-Souci, et, malheureusement, des symptômes graves d'insurrection parmi les troupes. On n'a pas su s'en servir à temps, et on a laissé aux méchants le loisir de les ébranler. L'absence de toute autorité légale, l'impatience qui résulte, pour les populations rurales, de ce que les Chambres ne fixent pas les rapports avec les Seigneurs réveillent leurs avidités arbitraires; aussi, voilà qu'en Haute-Silésie ils se remettent à brûler et à piller. Rothschild, de Vienne, qui y avait un bel établissement, vient de le voir détruit de fond en comble. Le fait est que nous sommes en mauvaise recrudescence et que je suis plus inquiète encore que je ne l'ai été, depuis que je vois la fidélité des troupes devenue douteuse.

Sagan, 1er octobre 1848.—Les choses se gâtent, ici, de plus en plus. On a fait, l'autre nuit, sauter méchamment des pétards près du château. Nos précautions sont prises, ma défense armée organisée, et, s'il faut périr, ce ne sera pas sans lutte. Je ne m'enfuirai pas, je n'ai aucune peur personnelle, parce que j'ai une grande indifférence pour moi-même; et puis, le courage et la détermination en imposent toujours.

Sagan, 5 octobre 1848.—Le château du prince de Hatzfeldt a été attaqué par des paysans [164]; quatre de ses fermes ont été brûlées, lui-même obligé de fuir. Ici, tout 358 est comparativement encore assez tranquille, mais le lendemain n'appartient à personne.

Sagan, 9 octobre 1848.—Depuis avant-hier la poste et les journaux de Vienne manquent. La tradition orale donne à cette absence de nouvelles directes des causes sanglantes qui, dans le temps actuel, ne sont que trop probables. Chaque jour amène une nouvelle horreur [165]. Le massacre du comte Lamberg, à Bude [166]; la pendaison de ce pauvre Eugène Zichy [167], si gai, si fêté à Paris il y a dix ans, pendu par des barbares dans l'île où les voleurs subissent leurs supplices, voilà ce que la semaine dernière nous a apporté. Hier, on nous dit le comte de la Tour, Ministre de la Guerre à Vienne, massacré, et le général 359 Brédy assommé [168]; les noirs et jaunes se battent dans les rues de Vienne contre le parti hongrois. Si le parti anarchique triomphe à Vienne [169], c'en est fait de Berlin et de Breslau, où tout est sur de la poudre fulminante.

Sagan, 25 octobre 1848.—Tout est en suspens ici; c'est à Vienne que tout se résout; jusqu'à présent, il semble que l'armée fidèle y dictera des lois, mais on n'ose pas trop se fier à ces lueurs d'espérance. En Autriche, du moins, on lutte avec honneur, et si on succombe, ce ne sera pas sans dignité; on ne peut, hélas! en dire autant de Berlin. Et puis, si le bon droit triomphe à Vienne, sera-ce une victoire définitive? J'en doute, et je crois que nous resterons longtemps encore sur un volcan.

Sagan, 4 novembre 1848.—Il vient d'y avoir une explosion révolutionnaire à Liegnitz, assez près de chez moi; il a fallu des forces militaires pour la comprimer. A Berlin, il y a à peu près chaque jour une émeute; l'audace croît journellement, la faiblesse aussi. Hier, on a enfin changé le Ministère; cela semblerait indiquer qu'on veut se réveiller; je crains que ce ne soit bien tard, car, après que l'Assemblée a été assiégée, les députés enfermés, menacés d'être pendus, le Corps diplomatique prisonnier 360 aussi, la garde nationale trahie par son chef, et, en regard de tout cela, paralysie complète à Sans-Souci, on se demande s'il y a encore quelque chose à espérer [170]. Les heureux résultats de Vienne ne parviennent même pas à inspirer de la vigueur à Potsdam, et ils ont fort exaspéré les anarchistes, qui veulent frapper un coup d'éclat pour se relever, et former à Berlin un centre d'où ils rayonneraient sur toute l'Allemagne. Le rôle de M. Arago, le Ministre de la République française, a été, dans ces derniers jours, à Berlin, des plus douteux [171], au point qu'un véritable gouvernement lui aurait envoyé ses passeports, en se plaignant officiellement de lui à Paris. Mes vœux pour Vienne se sont enfin réalisés. Windisch-Graetz y a mis, longtemps, une patience, une douceur infinies et ce n'est que lorsque la capitulation du 30 a été traîtreusement violée, qu'il a sévi comme il devait le faire, et comme le méritait l'infamie des autorités locales de Vienne. Nous manquons encore de détails, mais le fait principal est officiel, et nous devons le regarder comme un bienfait de la Providence. Dieu veuille que ce soit le point de départ d'une ère nouvelle. En attendant, l'anarchie, les désordres, le manque de répression, la misère déchirent les provinces, les orateurs des rassemblements populaires 361 prêchent impunément le meurtre et le pillage, et les résultats de leurs prédications incendiaires ne se feront pas longtemps attendre. C'est un état réellement affreux.

Sagan, 19 novembre 1848.—Je suis d'avis qu'il y aurait nécessité pour l'Autriche de joindre aux hommes de guerre déterminés tels que Jellachich, Radetzky, Windisch-Graetz, un homme politique plus jeune, plus ferme que Wessenberg. On dit que cet homme va se rencontrer dans le prince Félix de Schwarzenberg. Il a de bons amis, il a eu plus d'une grande admiration dans sa vie. Je l'ai vu assez souvent à Naples, il y a deux ans; il a été obligeant pour moi. Je l'ai trouvé grand seigneur, homme d'esprit, de tenue, de sang-froid, et de mesure dans ses jugements et ses discours, mais je ne le connais pas assez pour savoir s'il sera à la hauteur de la lourde tâche qui paraît lui être dévolue. Stadion, qui doit la partager avec lui, est son ami d'enfance; ce bon accord peut produire d'heureux résultats. Je n'en prévois pas encore pour la Prusse, où les hommes d'épée et de plume, d'éloquence et d'action me semblent, dans la crise actuelle, manquer absolument. Il y a une certaine maladresse, dans tout ce qui se tente maintenant, qui est loin de m'inspirer de la confiance [172]. On se place derrière Francfort, on y cherche 362 refuge, soutien, protection; cela n'est guère digne, cela n'impose pas aux ennemis, et, en définitive, je crois que ce rempart sera de coton. L'armée est, il faut l'espérer, fidèle, mais, il faut le savoir, sans enthousiasme; on la laisse se refroidir et s'entamer; les soldats qui bivouaquent dans les rues de Berlin souffrent de la mauvaise saison, et leur apparence est triste, à ce que m'écrivent des personnes qui s'épuisent en distributions de soupe et de bière pour les soutenir et les encourager.

Sagan, 26 novembre 1848.—La dernière semaine a été très difficile à passer; depuis l'état de siège proclamé à Berlin tout ce qui était mauvais a été refoulé vers la Silésie. On a tiré sur mes employés, on s'est promené ici avec le drapeau rouge, tout cela était fort laid; mais maintenant que trente mille hommes de troupes parcourent la province pour la balayer, nous commençons à respirer, et, si j'en crois mes dernières lettres de Berlin, nous allons entrer dans une ère nouvelle. J'avoue mon incrédulité, et je crains d'y persévérer encore longtemps. Ce qui est certain, c'est qu'il y a relâche momentanée aux désordres; c'est déjà un bien dont il faut se montrer reconnaissant, car la tension fiévreuse devient insoutenable.

363 La mort de Mme de Montjoye est le complément de l'infortune pour la sainte Reine Marie-Amélie, dont elle était la seule et la plus intime confidente. A la suite de l'eau empoisonnée bue à Claremont [173], le tour des dents du Roi est devenu tout noir, à ce qu'on m'a écrit. Tout n'est pas toujours facile entre le Roi et ses enfants, et même pour les enfants entre eux. La Providence épuise ses rigueurs de tout genre sur ces émigrés; serait-ce une grande expiation morale pour le vote du père et pour l'usurpation du fils?

Sagan, 1er décembre 1848.—Les journaux nous apportent aujourd'hui le programme du nouveau Cabinet autrichien [174], qui a été très bien reçu à Kremsier et a fait monter les fonds autrichiens. Dieu veuille qu'il y ait, là au moins, un Cabinet ferme et habile. Celui qui devait gouverner en Prusse, et qui semblait vouloir prendre un gantelet de fer, me semble, sous un gantelet rouillé, ne montrer que faiblesse. Le monde catholique ne saurait être trop ému du sort de Pie IX. Il a beau avoir, avec un zèle plus ardent que prudent, fait du libéralisme impétueux, il reste le chef de notre Église, un saint prêtre, un 364 aimable homme et ses dangers doivent nous attendrir et nous alarmer [175]. On m'écrit, de Berlin, que M. de Gagern a manqué le but qu'il s'était promis, et que le Roi a été plus ferme qu'on le supposait, en écartant la fantasmagorie impériale qui lui était offerte par celui-ci, dans le cas où, pour cette fois-ci du moins, il se soumettrait aux lois du gouvernement de Francfort [176].

Sagan, 6 décembre 1848.—On dit beaucoup, ici, que le gros de l'orage est passé. Je n'en suis pas persuadée; 365 on va rentrer dans la fièvre électorale, dans l'essai d'une Constitution octroyée; tout cela est bien chanceux. A la vérité, tout vaut mieux que l'état de pourriture et de confusion dans lequel on périt ici, mais les dangers, pour changer de forme, ne se dissipent pas si vite. Le pays commence, il est vrai, à s'éclaircir quelque peu, à se fatiguer d'un état de choses qui réduit chacun à une misère profonde; il se réveille quelques bons instincts; à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire du mariage du Roi, l'élan a été bon, mais trop de mauvais éléments fermentent encore; le gouvernement n'impose guère. Dans le Midi de l'Allemagne, en Bavière surtout, on paraît tenir encore au projet d'un pouvoir trinitaire, particulièrement depuis que l'Autriche se concentre grandement en elle-même pour former une grande monarchie. Quant au vieux Prince Guillaume de Prusse, désigné pour faire partie du Triumvirat, il est tombé dans un état de faiblesse morale qui le rendrait bien peu capable de cette besogne. D'ailleurs, son fils, le Prince Waldemar, se meurt à Münster d'une maladie de l'épine dorsale, c'est dommage, car c'est un Prince distingué; sa mort sera le dernier coup qui achèvera son pauvre père. Je ne donne pas longue vie au pouvoir central, le Roi de Prusse persistant, Dieu merci, à n'en pas accepter le fardeau. On dit que Mme la Princesse de Prusse aurait voulu que M. de Gagern fût à la tête d'un nouveau Cabinet prussien. Je doute que ce hautain personnage eût voulu se placer dans une position aussi incertaine, vis-à-vis d'une Chambre aussi peu sensible à l'éloquence parlementaire. 366 Tant il y a que le Roi a repoussé toutes les insinuations directes ou indirectes. En effet, il y aurait eu stupidité et noire ingratitude à renvoyer le seul Ministère qui a eu le courage et la capacité de relever quelque peu la Couronne, et de donner un certain élan conservateur au pays.

L'état de l'Italie fait pitié! M. de Broglie sera, sans doute, fort affligé de la mort de M. Rossi, lui qui l'avait attiré en France, l'y avait fait entrer dans les affaires, à la Pairie, et poussé ensuite à l'Ambassade de Rome. Je l'avais vu beaucoup dans le salon de Mme de Broglie, plus tard à Rome. Il me paraissait astucieux et prétentieux, moins noble de caractère, mais plus spirituel que Capo d'Istria [177]. Leur assassinat a eu les mêmes causes; ils ont voulu, tous deux, faire à l'improviste du Richelieu.

Sagan, 30 décembre 1848.—La manière calme dont Napoléon a pris possession de la Présidence en France tendrait à prouver que les idées d'ordre et de tranquillité vont renaître dans ce pays. On parle de l'abdication du Roi de Sardaigne et d'un nouveau Ministère sarde tout guerroyant [178]; j'espère que Radetzky mettra le reste de l'Italie à la raison, comme il y a mis la Lombardie. Windisch-Graetz est devant Raab, où on espère qu'il 367 entrera sans de trop grandes difficultés. Les grands froids retardent sa marche, et la nécessité de réorganiser civilement les contrées qu'il occupe ralentit aussi ses progrès [179]. Jellachich, emporté par son ardeur, a été un instant prisonnier des Hongrois [180]; ses soldats l'ont délivré. Windisch-Graetz lui a fait les plus vifs reproches sur son aveugle témérité, qui pouvait compromettre le sort de l'armée, et la question vitale du gouvernement. L'Archiduchesse Sophie a donné à son fils, le jeune Empereur, pour ses étrennes un cadre contenant les trois miniatures de Radetzky, Windisch-Graetz et Jellachich. Il n'y a pas de mal à rappeler aux souverains, par des signes visibles, la reconnaissance, qui leur est, en général, assez lourde. Voilà donc cette désastreuse année 1848 qui finit! Dieu fasse que 1849 nous apporte de meilleures conditions d'existence!

368

1849

Sagan, 11 janvier 1849.—M. Arago quitte enfin Berlin où il est détesté. Il paraît qu'on y doute encore de l'arrivée du prince de la Moskowa comme Ministre de France; on ne croit pas, en tout cas, qu'il y fasse un long séjour. En allant à Paris, la Grande-Duchesse Stéphanie se bornera, probablement, à faire une visite agitée et fiévreuse à son cousin le Président de la République, et à se parfumer, auprès de lui, d'un peu d'encens impérial; mais la Princesse Mathilde ne lui laissera certainement pas le plaisir de faire les honneurs de la Présidence, qu'elle paraît s'être réservée. Tout cela a bien de la peine à avoir l'air sérieux [181].

Sagan, 18 janvier 1849.—Les réunions préparatoires pour les élections en Prusse ne donnent pas grand espoir 369 pour le résultat définitif. Le ministère Brandebourg, de peur d'être accusé de réaction, fait du libéralisme inutile. La Grande-Duchesse Stéphanie, qui se réveille à mon égard d'un long sommeil, m'écrit tristement et en grande anxiété sur le sort de l'Allemagne rhénane. Il paraît que le Grand-Duc de Bade l'a menacée de lui supprimer son douaire, si elle allait le dépenser en France. J'ai aussi une lettre, pleine de dignité et d'affectueuse confiance, de Mme la Duchesse d'Orléans. Je compte aller la semaine prochaine à Dresde, pour y passer quelques jours près de ma sœur.

Dresde, 28 janvier 1849.—Depuis qu'à Francfort on a refusé au chef futur de l'Allemagne l'hérédité et même le pouvoir à vie, il paraît impossible que le Roi de Prusse s'arrange d'une pareille dignité [182]. C'était la meilleure intrigue autrichienne pour mettre le Roi hors de cause et pour faire tomber en poussière toute cette invention ridicule et infernale, qui n'a produit que ruines et désordres. Les élections prussiennes sont fort médiocres, moins mauvaises que celles de l'année dernière, mais bien loin d'être assez bonnes pour faire concevoir de solides espérances. 370 Aussi quelle loi électorale que celle qui a été octroyée! Ici, on a des Chambres folles qu'on ne sait comment diriger et qu'on n'ose point encore dissoudre. J'ai trouvé la Cour de Saxe fort triste. Dresde est plein comme un œuf, mais on ne se voit guère.

Sagan, 12 février 1849.—Berlin, que j'ai traversé en revenant, fourmillait de petits Princes allemands qui demandaient, comme seul moyen de salut, leur médiatisation. Ils s'offrent à la Prusse, qui, par scrupules de tous genres, les refuse. Elle trouve dangereux de donner cet exemple, puis viennent les souvenirs et les respects historiques et traditionnels du Roi. Bref, tous ces pauvres Princes s'en iront comme ils sont venus, et, probablement, malgré les promesses assez vagues de protection qu'ils ont reçues comme fiche de consolation, ils seront chassés de chez eux, un jour ou l'autre, comme des va-nu-pieds. Le comte de Bülow, Ministre de Prusse à Francfort, penche pour l'Assemblée de Francfort; à Charlottenburg, on est le contraire; cela jette une saccade malhabile dans la marche qu'on suit, et a produit, au grand déplaisir du Roi, une froideur marquée entre Kremsier et Berlin. Je ne sais qui est ce M. de Lurde, qui remplace M. Arago comme ministre de France à Berlin, mais il n'aura pas de peine à paraître à son avantage en comparaison de son prédécesseur, qui ne parlait que du grand cœur et de l'âme noble de Barbès!

Sagan, 1er mars 1849.—Si j'en crois les lettres de 371 Paris, tout y refleurit, tout y est en réaction vive vers l'ordre et le bien-être. Ce sont de tous côtés des éloges du Président. M. Thiers dit de lui: «Ce n'est pas César, mais c'est Auguste.» Les légitimistes remplissent ses salons, et, au sortir du bal, on n'entendait que des domestiques crier: «Les gens de Mme la Duchesse, de M. le Prince, etc...» On dit Monseigneur au Président; rien n'est moins républicain; et on assure qu'il en est ainsi dans les provinces. J'avoue que je me défie un peu de ces trop brusques transitions, mais enfin le quart d'heure semble bon.

Sagan, 31 mars 1849.—Je suis fort préoccupée de l'horizon politique, qui, au lieu de s'éclaircir, semble se couvrir de nouveaux nuages. Cette malheureuse Couronne impériale, sans tenter le Roi, plaît à ses entours, aux jeunes officiers, aux employés bureaucrates, dont la petite vanité y trouve pâture. La gauche y pousse avec perfidie, sentant bien que la soi-disant dignité impériale mettrait le Roi aux ordres des professeurs démagogues de Francfort. La mauvaise saison et l'état abominable des routes retardent la soumission de la Hongrie [183]. Il n'y a que les succès de Radetzky qui donnent quelque consolation, et encore à quel prix? Nous ne connaissons point encore de détails de ses deux dernières victoires, nous savons seulement l'abdication de Charles-Albert, mais les noms propres des victimes sont inconnus [184].

372 Sagan, 13 avril 1849.—L'aimable lady Westmorland m'a fait la gracieuse surprise d'une visite de quarante-huit heures. Elle est arrivée hier, à ma grande joie. Elle est spirituelle, animée, affectueuse, vraiment charmante pour moi, conservant le plus tendre souvenir à feu M. de Talleyrand, causant du passé et du présent avec intérêt et la plus fine intelligence. Nous nous sommes rejetées vers les beaux temps de l'Angleterre. Éprouvés, comme nous le sommes tous, par les tristesses du présent, on préfère, au lieu de s'appesantir sur un sujet si lamentable, rejeter ses regards en arrière, pour y retrouver de ces précieux souvenirs que, pour ma part, je serais tentée de nommer les économies de mon cœur, et je me réfugie dans le passé, faute d'oser interroger l'avenir.

Sagan, 21 avril 1849.—J'ai eu, hier, des lettres de Paris qui disent que, malgré les efforts de l'Union de la 373 rue de Poitiers [185], le communisme fait en France de grands progrès.

On croit, à Berlin, que le Parlement de Francfort va se jeter entièrement dans les voies révolutionnaires, se former en Commission exécutive, en Comité de sûreté publique; il s'entourerait des troupes de Bade et de Nassau, sachant bien qu'on ne voudra pas faire marcher la garnison de Mayence contre Francfort, et profitant ainsi des éternelles irrésolutions de la Prusse [186]. La prétendue adhésion des vingt-huit petits gouvernements allemands n'est qu'une impertinence, puisqu'elle est conditionnelle; on ne veut se ranger sous la bannière prussienne que si, à l'imitation de ces petits gouvernements, la Prusse se soumet à la Constitution inventée à Francfort. Les quatre Rois de Saxe, de Bavière, de Hanovre et de Würtemberg restent dissidents.

Sans les affaires de Danemark, la Prusse pourrait se fortifier chez elle (ce qu'elle ne fait pas trop) et se mettre en panne pendant l'orage de Francfort, mais le général de Pritwitz est soumis au prétendu gouvernement de Francfort [187]. Il faudrait un gouvernement plus régulier que 374 celui-là pour traiter avec le Danemark. Comment sortir de cette impasse? Le Roi, au fond affectueusement disposé pour le Roi de Danemark, et craignant la Russie [188], s'oppose encore à l'occupation du Jutland.

Sagan, 30 avril 1849.—L'état de l'Allemagne ne s'améliore pas. Voilà le Roi de Würtemberg qui a cédé, parce que ses troupes ont déclaré ne pas vouloir tirer contre le peuple [189]. Voilà le Parlement de Francfort qui recourt aux moyens les plus révolutionnaires pour forcer les souverains à se soumettre à ses lois [190]. Il exige que les gouvernements ne dissolvent pas leurs Chambres sans la permission du prétendu gouvernement central. Ce bel arrêté est arrivé à Hanovre et à Berlin six heures après les dissolutions officiellement annoncées. Le général de Pritwitz demande à quitter son commandement contre les Danois, parce qu'il ne veut pas obéir à Francfort, et ne peut pas commander à tous les petits Princes allemands, qui veulent chacun trancher du maître. Le Danemark a déjà enlevé un grand nombre de bâtiments marchands 375 prussiens; cependant, à Copenhague, on est décidé à la paix; on la désire en Russie, en Angleterre et en Prusse, sans avoir, à Berlin, le courage de rappeler les vingt mille hommes qui se trouvent en Holstein et Schleswig. Francfort s'oppose, par tous les moyens, à la paix, afin de dégarnir les Princes allemands de leurs troupes, et de les laisser ainsi, sans défense, livrés aux hordes révolutionnaires. Bref, la confusion est à son comble, et je trouve l'Allemagne plus malade de beaucoup qu'il y a quatre mois. Cependant, la dissolution de la Chambre prussienne, qui était devenue urgente depuis que, du haut de la tribune, on proclamait la République rouge, fera peut-être quelque bien [191]. Il est surtout très nécessaire que l'Autriche termine en Hongrie. C'est là que notre sort se décidera. La Russie est entrée en Transylvanie avec cent vingt mille hommes. A Olmütz, on trouve ce chiffre un peu élevé, mais l'Empereur Nicolas a déclaré qu'il ne voulait plus d'un second échec comme celui d'Hermannstadt [192], et qu'il s'abstiendrait tout à fait, ou bien qu'il fallait trouver bon qu'il parût avec des forces imposantes. Il sent, d'ailleurs, qu'il combat ses ennemis personnels, les Polonais, 376 sur le terrain hongrois. On dit qu'il y a vingt mille Polonais sous les drapeaux de Bem et de Kossuth.

Sagan, 10 mai 1849.—Les orages éclatent de toutes parts. L'Allemagne est en feu sur tous les points. On s'est battu à Dresde; on s'est battu à Breslau [193]. Les Russes se sont servis des chemins de fer prussiens pour envahir la Moravie. On les reçoit bien, car tout ce qui tendra à étouffer et à terminer la lutte hongroise sera un bienfait, non seulement pour l'Autriche, mais pour l'Europe entière, car les échos hongrois encouragent les méchants et fomentent l'insurrection partout.

Sagan, 17 mai 1849.—C'est aujourd'hui une date solennelle, que je célèbre chaque fois avec une douloureuse émotion au fond de mon cœur [194]. Plus les années me rapprochent de la réunion suprême, et plus je sens tout ce que cette journée, il y a onze ans, a eu de grave et de décisif. Puisse Dieu bénir chacun de ceux qui y ont pris une part chrétienne; je le lui demande, du fond de 377 mes misères, avec une ferveur qui atténuera, je l'espère, leur peu de valeur!

Sagan, 25 mai 1849.—Un des vrais malheurs du gouvernement prussien, c'est d'avoir à Londres Bunsen, qui y joue un rôle inconcevable; Radowitz, avec des intentions plus pures, mais des idées fausses, complique aussi, à Berlin même, la situation, et empêche qu'on ne tranche aussi nettement qu'il le faudrait certaines questions. Le Roi de Prusse a envoyé le général de Rauch à Varsovie, près de l'Empereur Nicolas, pour tâcher de calmer ce souverain, qui est outré que les Prussiens soient entrés en Jutland, malgré la parole donnée [195].

Sagan, 31 mai 1849.—Des négociations ouvertes à Berlin [196], je puis dire, de bonne source, ce qui suit. Il y a quatre jours qu'un protocole a été signé à Berlin, entre 378 la Prusse, la Saxe et le Hanovre. Il relate: 1o tout ce qui s'est fait pour accorder à l'Allemagne une Constitution raisonnable et efficace; 2o que le Hanovre et la Saxe, dans leur désir de maintenir l'ordre dans leurs États, reconnaissent et acceptent la direction militaire de la Prusse pour les mesures qui pourraient devenir nécessaires, dans le but de maintenir la tranquillité de leurs États. M. de Beust a néanmoins fait les réserves suivantes, au nom du Gouvernement saxon: 1o que la Saxe ne prétend pas par cet arrangement porter atteinte aux droits de l'Autriche, comme membre de la Confédération germanique; 2o que si les grands États du Sud de l'Allemagne ne veulent pas adhérer à la Constitution, jointe au protocole, la Saxe aura le droit de s'en détacher; 3o que cette Constitution recevra la sanction des Chambres saxonnes. Le Hanovre a remis une note contenant identiquement les mêmes réserves. La nouvelle Constitution va paraître incessamment dans une note circulaire adressée par la Prusse à tous les gouvernements de l'Allemagne, et les invitant à s'y rattacher. Le Ministre de Bavière, M. de Lerchenfeld, a aussi signé le protocole, mais uniquement comme un des témoins des Conférences et dans l'espérance que son Gouvernement adhérera d'une façon ou d'une autre à cet arrangement. M. de Prokesch n'a assisté qu'à la première Conférence, Radowitz y ayant déclaré, dès l'abord, qu'il n'avait pas à traiter avec les Gouvernements qui ne reconnaîtraient pas, comme base des négociations, la direction générale accordée à la Prusse. La conduite hautaine de Radowitz est incontestablement la cause de cette déplorable 379 désunion parmi les têtes couronnées, à une époque où il serait si nécessaire de les voir indissolublement unies. Avec un peu d'adresse, et en ne mettant pas en avant, pour début, la question de suprématie, il aurait rendu à son Roi, à sa Patrie, un grand service, car alors les autres États auraient unanimement demandé à la Prusse de prendre cette direction en mains, au lieu que maintenant, ils veulent voir dans les prétentions dictatoriales des vues plus ambitieuses qu'elles ne sont en réalité, et de là naissent des jalousies inquiètes, qui étouffent la voix de la raison et des vraies nécessités. Malgré la présence d'un nouvel envoyé danois à Berlin, on est fort éloigné encore, même d'un armistice. Les dernières concessions danoises, appuyées par lord Palmerston, ont été repoussées avec hauteur par la Prusse, qui en réclame d'inadmissibles, disant que celles-ci seules peuvent satisfaire l'honneur engagé.

Sagan, 12 juin 1849.—Le choléra a repris partout dans cette partie de l'Allemagne; à Breslau, à Berlin, à Halle, il décime les populations; bref, c'est une horreur que l'état du genre humain. On m'écrit que lord Palmerston a déclaré à Bunsen que, las des exigences prussiennes, qui augmentent en raison des concessions danoises, il allait changer son rôle de médiateur en celui d'allié actif, conjointement avec la Russie, pour protéger le Danemark. Bunsen, en rendant compte de cette conversation à sa Cour, ajoute que cette menace n'a rien de sérieux, en quoi il se trompe, et trompe sa Cour.

380 Sagan, 9 juillet 1849.—J'ai eu la visite du baron de Meyendorff, Ministre de Russie à Berlin, se rendant par Varsovie à Gastein, ce qui n'est pas le plus court. Il était assez sombre dans ses prévisions, et encore plus sur le Nord que sur le Midi de l'Allemagne; je m'explique: plus soucieux des destinées prussiennes que de celles de l'Autriche.

Sagan, 3 septembre 1849.—Le général comte Haugwitz s'est arrêté ici quelques jours. Il venait de Vienne où on attendait Radetzky. Le jeune Empereur, pour recevoir le vieil Ajax, avait retardé son départ pour Varsovie, où il se rend pour remercier son puissant allié. Celui-ci se conduit de la manière la plus noble et la plus loyale envers son jeune ami et pupille; c'est ainsi qu'il considère l'Empereur François-Joseph. Paskéwitch a demandé la grâce de Georgei, qui lui a été accordée immédiatement [197]. L'Autriche désire que pour le moment quelques régiments russes se prolongent encore en Galicie.

Hanovre, 5 novembre 1849.—Ma matinée d'hier s'est passée à faire des visites à plusieurs dames de la ville que je connais, et à faire ma cour à la Princesse Royale, qui est douce, bienveillante, et chez laquelle j'ai vu ses deux enfants; le troisième est en train de se produire, on attend ce mois-ci son entrée dans le monde. La 381 Princesse Royale m'a montré plusieurs portraits de famille fort intéressants; les deux qui m'ont frappée davantage sont celui de l'Électrice Sophie, protectrice de Leibnitz et souche de la maison Royale d'Angleterre; elle devait être bien jolie, avec ce beau type un peu allongé, mais si noble, des Stuarts; le second est un charmant portrait de la sœur de la Princesse Royale, la Grande-Duchesse de Russie, femme du Grand-Duc Constantin: c'est une figure spirituelle, animée, piquante. On dit qu'elle justifie cette expression, ce qui la rend bien plus propre à la Cour de Pétersbourg qu'elle ne l'eût été ici, où sa sœur aînée semble créée et faite exprès pour sa touchante mission [198]. Il y avait grand dîner chez le Roi; j'étais assise entre lui et le Prince Royal. Je n'ai jamais vu un aveugle manger plus adroitement, et sans autre secours que celui de son instinct et de l'habitude. A neuf heures, je suis retournée au thé du Roi, pris dans l'intimité, entre lui et ce qu'on appelle ici la Comtesse Royale (Mme de Grote), puis mon beau-frère, et le général Walmoden. Le Roi vit d'huîtres et de glaces, singulier régime qui réussit merveilleusement à ses quatre-vingts ans. Pendant que nous étions chez lui, est arrivée une dépêche de Vienne, qu'il a fait lire tout haut par la Comtesse [199]. Il y était dit que l'Autriche 382 avait fait passer une note des plus graves à la Prusse contre la convocation de la Diète dite de l'Empire, et qu'en même temps, le mouvement de l'armée vers la frontière de Bohême et de Silésie augmentait. On dit que les corps d'armée qui s'y sont concentrés s'élèvent à soixante mille hommes. Le prince Schwarzenberg a répondu aux questions du comte Bernstorff, ministre de Prusse à Vienne, à ce sujet, que la convocation d'une Diète à Erfurt remuant et réveillant l'agitation démocratique, et menaçant par conséquent le royaume et les duchés de Saxe, ces troupes étaient destinées à leur protection et défense éventuelles.

L'Archiduc Jean croyait à un rendez-vous intime et sans pompe avec le Roi Léopold [200]; au lieu de cela, celui-ci l'a reçu avec une grande solennité. Mme de Brandhofen et le petit comte de Méran n'entrant pas dans le cérémonial, on leur a, tout à coup, fait faire incognito une tournée de chemin de fer en Belgique. Arrivés à Bruxelles, ils ont fait une entrée inattendue dans le salon Metternich, ce qui était d'autant plus étrange que les relations entre le prince Metternich et l'Archiduc Jean avaient été, de tout temps, froides et malveillantes. La politesse de Metternich a tout simplifié.

383 Eisnach, 7 novembre 1849.—J'ai quitté Hanovre hier matin et suis arrivée ici l'après-midi. J'ai tout de suite fait savoir mon arrivée à Mme Alfred de Chabannes, qui est venue aussitôt à mon auberge. Nous sommes restées longtemps à causer sur la petite Cour émigrée dont elle fait momentanément partie; je dis émigrée, quoique Mme la Duchesse d'Orléans permette le moins possible l'inconvénient, qui s'attache à cette position, de se développer. Il est cependant impossible de les écarter tous; ils naissent, pour ainsi dire, de la force des choses. C'est ainsi que les divers partis se représentent et se personnifient dans son entourage. Il y a des fusionnistes, il y a des séparatistes; elle-même n'est ni l'une ni l'autre absolument; elle n'aime pas que l'on dise que c'est elle qui s'oppose à la fusion, mais elle ne veut pas faire les premières ouvertures, et elle n'a même pas permis jusqu'à présent qu'on dise, hautement, qu'elle n'y serait pas opposée. Elle craint aussi, par la fusion, de dégoûter ses adhérents en France, qu'elle croit, ce me semble, plus nombreux qu'ils ne sont, quoiqu'elle s'aperçoive que des personnes sur lesquelles elle comptait lui manquent chaque jour; les noms qui semblent peser, en ce sens, le plus péniblement sur son cœur, sont ceux de Molé et de Thiers. J'ai vu Mme la Duchesse d'Orléans seule, pendant une demi-heure, avant le dîner; le Duc et la Duchesse de Nemours nous ont interrompues. J'ai trouvé la Duchesse d'Orléans, extérieurement, telle que je l'avais laissée, peut-être les traits un peu grossis; la disposition d'âme plus abattue, toujours la même douceur, même dignité, un peu moins 384 d'énergie, assez prête à se sentir ployer sous les mécomptes provenant moins des choses que des personnes, humiliée de l'état de dégradation dans lequel est tombée la France, fort sage sur l'état de l'Allemagne, mettant le soi-disant pouvoir central et les parodies impériales à leur place. Les Nemours, fort Autrichiens dans leur politique, s'exprimaient aigrement sur lord Palmerston, fusionnistes au fond, revenant de Vienne, retournant à Claremont. Elle est fraîche et belle, et se risque à avoir son opinion, qui est positive. Lui, engraissé, prenant beaucoup de la ressemblance du Roi, surtout dans la façon de parler, ayant trouvé enfin le courage de s'exprimer; le faisant avec bon sens, mais manquant de grâce, comme par le passé. Les lettres publiées de ses frères n'ont eu, en aucune façon, son approbation; il redoute beaucoup qu'on adopte la loi qui rappellerait sa famille en France, de peur de voir ses frères y courir [201]. Tout cela est fort bon, mais, je le répète, un certain élan manque; il ne comptera jamais, et n'agira guère; c'est une honorable négation. Le Comte de Paris est fort grandi, élancé, assez joli, ayant perdu de sa timidité, mais avec un son de voix souvent glapissant et désagréable; le Duc de Chartres singulièrement fortifié et turbulent; les trois enfants Nemours 385 sont assez gentils. Après le dîner, commencé vers sept heures, on est resté en conversation jusque vers onze heures. Boismilon est fort séparatiste; il y avait là aussi Ary Scheffer, qui me paraît être dans les zélés. M. de Talleyrand redoutait cette disposition.

La Princesse de Joinville est accouchée d'un enfant mort et elle a été dans un grand danger. Le pauvre petit corps d'enfant a été, sans avertissement préalable, porté à Dreux par mon cousin Alfred de Chabannes. On l'a déposé dans le caveau de famille; la messe s'y est dite, et ce n'est que le tout achevé que M. de Chabannes a été prévenir le Maire de sa mission accomplie. Celui-ci s'est conduit décemment. Mme de Chabannes m'a aussi raconté que lorsque son mari a été retrouver Louis-Philippe à Claremont pour la première fois après Février, celui-ci lui avait dit, presque en le voyant entrer: «Que voulez-vous! Je me suis cru infaillible!» Ce mot m'a paru frappant de vérité, et remarquable comme aveu.

Mme la Duchesse d'Orléans compte retourner au printemps à Londres, pour y faire faire au Comte de Paris sa première Communion, à laquelle l'abbé Guelle le prépare par d'assez fréquentes courses à Eisenach.

Berlin, 8 novembre 1849.—En rentrant ici, j'y trouve mon beau-frère, revenant de Dresde, où l'esprit public est, dit-on, de plus en plus mauvais. Les Ministres n'ont pu obtenir du Roi de Saxe aucun arrêt de mort, même contre les plus coupables, ce qui a indigné les bien pensants et irrité les troupes qui s'étaient si bien battues au 386 mois de mai dernier; cela donne aussi la plus grande arrogance aux émeutiers. Le Roi est tellement tombé dans la déconsidération que, dans les rues, on ne lui rend pas son salut.

Hier, anniversaire de l'installation du Ministère Brandebourg, il y a eu aussi une grande fête dans les salles de Kroll au Tiergarten. Les Ministres y étaient tous présents, et le tout s'est passé fort loyalement, dit-on. Cependant, dans un autre coin de la ville, on célébrait, soi-disant religieusement, un autre anniversaire, celui de la fusillade du fameux Robert Blum [202]. Il y en avait pour tous les goûts et je crains que celui pour le désordre rouge ne soit encore assez vivace.

Une lettre de Paris que je trouve ici me dit que tout le nœud de la situation en France est dans l'armée, celle-ci mi-partie à Cavaignac, mi-partie à Changarnier; le premier, tout républicain, le second ne voulant pas se laisser pénétrer. Depuis la lettre écrite par Louis-Napoléon à Edgar Ney [203] à Rome, Changarnier s'est, dit-on, un peu 387 retiré de l'Élysée; aussi le Président voudrait-il donner le commandement des troupes de Paris au général Magnan.

A Paris, Mme de Lieven est ravie d'y être revenue; elle y dit du mal tant qu'elle peut de l'Angleterre. Elle est coiffée d'un bonnet à la du Deffand; elle loue le Président de la République; elle cherche, comme autrefois, à attirer chez elle du monde de toute couleur; il paraît 388 qu'elle y réussit assez pour s'étonner naïvement que personne ne lui nomme M. Guizot, qu'elle attend en décembre.

Berlin, 12 novembre 1849.—J'ai passé hier presque toute la journée à Sans-Souci, entre le Roi et la Reine, toujours très obligeants pour moi. Le Prince Frédéric des Pays-Bas, qui arrivait de la Haye, disait bien du mal de l'état des choses de ce pays-là. On y prononce assez hautement les mots de déchéance, d'abdication, de Régence. Le jeune Roi est méprisé, la jeune Reine n'est pas aimée; la Douairière pas davantage; bref, on y est fort mal assis. Le Roi de Prusse s'attendait à ce qu'on proclamât l'Empire à l'Élysée; tous les regards sont tendus vers la France.

Une lettre de Vienne, reçue hier, me dit qu'à travers tout l'éclat militaire, il s'y manifeste quelques nouvelles inquiétudes. Les paysans sont très mécontents du nouveau système d'impôts fonciers, de l'obligation de racheter leurs dîmes et de compenser, par des indemnités, ce qu'ils espéraient ravir à leurs Seigneurs; la noblesse trouve que l'égalité de l'impôt à laquelle on la soumet est une dureté et une nouveauté odieuses; les hodweds [204], qu'on a casés dans les régiments, y sèment de fort mauvaises doctrines; le jeune Empereur est un peu cassant et volontaire avec les vieux généraux; bref, il y a, chez nos voisins, si ce n'est les mêmes difficultés qu'ici, du moins, pas plus de quiétude fondée.

389 Sagan, 21 novembre 1849.—On m'écrit, de Paris, à la date du 14: «Nous avons l'amnistie, donnée par le Président à sept cent cinquante messieurs fort incommodes; cet acte de popularité pourra coûter cher à celui qui l'a donné, car ces gens-là reviennent exaspérés, ce qui contraindra à leur envoyer, un de ces jours, des coups de fusil [205]. Il y a, à travers toutes les velléités impériales que nous voyons surgir, une question qui n'est nullement résolue, pour moi du moins: c'est celle de savoir ce que fera le général Changarnier [206], et quoiqu'il soit tout à fait bien avec le Président, à l'heure qu'il est, je ne pense pas qu'il lui reste attaché au moment d'un changement, qui, par là, deviendrait une crise inévitable.»

Sagan, 2 décembre 1849.—La longue Thérèse Elssler, maîtresse en titre depuis plusieurs années du Prince Adalbert de Prusse, va devenir sa femme, sous le titre de Mme de Fischbach, nom pris de la terre que possède le vieux Prince Guillaume dans les montagnes de Silésie. C'est là que feu la Princesse Guillaume est restée en odeur de sainteté; il est un peu choquant que ce soit précisément ce nom qui passe à une ex-danseuse [207]. On est de fort mauvaise humeur à Sans-Souci de ce mariage, 390 mais on y consent, avec la faiblesse habituelle qui y règne.

Il se prépare à Berlin un autre scandale, d'une portée plus sérieuse. C'est l'acquittement probable de Waldeck, dont le procès tient tous les esprits en suspens depuis si longtemps [208]. On a eu l'incomparable niaiserie de choisir, pour présider les assises, un magistrat d'un caractère très faible, père d'un héros des barricades, et qui préside avec la plus impudente et grossière partialité en faveur de Waldeck. Les menaces anonymes ne manquent pas aux jurés, qui prononceront sous le coup de l'intimidation. C'est déplorable, car le résultat peut avoir des conséquences fort graves.

Sagan, 6 décembre 1849.—L'ovation de ce vilain Waldeck après son acquittement paraît avoir été assez scandaleuse pour motiver une intervention militaire. J'ignore encore les détails, que la poste m'apportera sans doute aujourd'hui. J'ai dans l'idée que nous allons rentrer dans une phase d'émeutes; je le pense d'autant plus que les Polonais recommencent leurs promenades, et, chaque fois qu'ils apparaissent, il y a anguille sous roche, comme on dit vulgairement.

Je viens d'achever la lecture de la vie de Mme de Krüdner; il s'agit d'une personne tout à part; mais à la longue, c'est une lecture cependant fatigante, et qui, au 391 total, me laisse la pensée que Mme de Krüdner, toujours dupe de sa vanité, a été, dans sa jeunesse, galante par vanité; plus tard, littéraire par vanité; enfin, qu'elle est devenue missionnaire, toujours par vanité. Mais la vanité a aussi sa bonne foi, comme elle a, et précisément parce qu'elle a, de prodigieuses crédulités. Comme mystique, Mme de Krüdner n'a ni l'élévation de sainte Thérèse, ni la grâce contenue de Mme Guyon; ses lettres spirituelles sont lourdes, et, quand elle veut se perdre dans les nues, on sent que les ailes sont de plomb. Il faut bien que, dans ses discours et allocutions, elle ait eu de l'entraînement, car on ne produit pas, sans des dons particuliers, des résultats qui ont eu leur charlatanisme, mais aussi, en bien des occasions, leur réalité.

Sagan, 10 décembre 1849.—La mort de la Reine Adélaïde d'Angleterre, dont j'ai lu la nouvelle avant-hier dans les gazettes, m'a tristement émue, en me reportant au bon temps où j'avais l'honneur de la voir et d'être traitée par elle avec une bonté que je n'oublierai jamais. C'était une noble femme, qui a porté des positions difficiles à plusieurs égards, avec une grande et simple dignité.

Il y a un peu d'émotion à Sans-Souci de la concentration des forces autrichiennes touchant aux frontières saxonnes. Il paraîtrait que le général Gerlach, favori influent du moment près du Roi de Prusse, a été expédié à Dresde pour tirer la chose au clair. Si ces troupes ne sont destinées qu'à purger au besoin la Saxe des rouges 392 qui y sont plus audacieux encore qu'ailleurs, on regarderait cette intervention comme un pendant de celle de la Prusse dans le Grand-Duché de Bade, et on ne dirait rien; mais il y a des habiles qui veulent y voir une menace peu voilée contre la Diète d'Erfurt [209]. Dans ce cas, il paraîtrait qu'on ne laisserait pas faire.

Sagan, 12 décembre 1849.—J'ai lu le discours de réception du duc de Noailles à l'Académie française [210]. Il est écrit en très beau langage, avec une véritable élévation de style et de pensée, une correction, une pureté qui reportent aux meilleures époques du goût et de la littérature; il est noblement senti, aussi prudent que digne; il s'y trouve des passages particulièrement de mon goût, notamment sur Pascal et sur Voltaire, avec une habile transition qui le fait revenir vers M. de Chateaubriand. 393 Cependant, à mes yeux, ce discours a un défaut; c'est de placer son objet beaucoup plus haut qu'il ne le mérite, et lors même que le talent ne serait pas exagéré, la valeur du caractère l'est extrêmement. Le duc de Noailles a eu raison de ne pas trop s'arrêter sur les Mémoires d'outre-tombe, car c'est dans ce triste legs que l'aridité du cœur, l'excès de la vanité, l'âcreté du caractère se révèlent, et que le talent lui-même est bien souvent perdu dans l'exagération du mauvais goût, reproché justement aux imitateurs maladroits de cette école. Mais tous les éloges académiques pèchent par l'excès de la louange. Condamnés à faire un portrait sans ombre, la vérité du coloris en souffre, et la véritable physionomie est trop souvent effacée. C'est le tort du genre, plus que celui du récipiendaire, et on ne peut le lui reprocher. J'ai commencé hier le sixième volume des Mémoires d'outre-tombe. Il contient l'esquisse de l'histoire de Napoléon, dont, à propos de lui-même, M. de Chateaubriand grossit ses propres Mémoires; le tout écrit à l'effet, sans grand souci de la vérité. J'ai été singulièrement frappée d'y trouver un éloge jeté en passant à M. de Caulaincourt (malgré le duc d'Enghien). Du reste, même malveillance pour le genre humain, même haine pour M. de Talleyrand.

Sagan, 14 décembre 1849.—On me mande de Paris que Mme de Lieven se débarrasse parfois de ses coiffes à la du Deffant pour y substituer des toques de velours noir avec plumes blanches, qui sont du dernier coquet. Elle va dans le monde, ne touche pas terre. Elle s'est fait présenter 394 chez Mme de Circourt, où se réunit la société ultra-catholique. Elle tâche d'y faire des recrues pour son salon, et essaye avant tout d'y attirer M. de Montalembert.

A en juger par un article de l'Ami de la Religion, notre cher seigneur d'Orléans [211] a célébré plus d'un triomphe à Notre-Dame; celui de la foi dont il est animé, celui aussi de l'amitié et du respect dont il est l'objet. Je m'attends à recevoir une hymne chrétienne de ma bonne Pauline à ce sujet.

Sagan, 16 décembre 1849.—On m'écrit de Berlin, en date d'hier: «La question allemande est plus confuse que jamais; personne n'y voit clair. Tout ce qui paraît décidé, c'est qu'on fera les élections pour Erfurt, malgré l'Autriche, dont le langage modéré indique cependant une volonté assez déterminée de ne pas s'en accommoder. Tirez de tout ceci les conséquences probables, je ne voudrais en affirmer aucune.»

Je ne cesse de passer dans des soubresauts nerveux tout le temps que je mets à lire le sixième volume des Mémoires d'outre-tombe. M. de Talleyrand y revient à chaque instant, avec un redoublement de rage, qui, à la vérité, devient par elle-même un contrepoids à la méchanceté, mais qui en laisse néanmoins subsister une bonne partie. Là où l'action de M. de Talleyrand a été réelle, il la passe sous silence; là où elle a été moindre, 395 il l'invective avec fureur, et tout cela, parce qu'il cherche à établir que sa brochure de Buonaparte et les Bourbons a fait la Restauration de 1814. Aussi, quand il est au pied du mur, il lui échappe un cri de douleur, il dit alors: «Ma pauvre brochure fut écrasée entre les sales intrigues de la rue Saint-Florentin», et dans ce cri est le nœud de l'explication de cette furibonde colère. O vanité de la vanité! J'espère, pour ce héros de la vanité, qu'il en a demandé sérieusement pardon à Dieu, avant de se faire porter sur le rocher de Saint-Malo que sa vanité encore avait choisi pour dernière demeure; car, à défaut de pouvoir choisir son berceau, qu'il eût, sans doute, placé dans un nid d'aigle, il a eu soin de faire de sa tombe un pèlerinage pittoresque! Mais qui nous dit qu'attaché sur ce rocher, il n'y est pas rongé par le vautour de la conscience? Je ne veux pas nier que mon pauvre oncle ait été un grand pécheur, mais j'aimerais mieux sa faible conscience devant le Jugement éternel, que cette autre conscience pleine d'orgueil, de malice, de fiel et d'envie, dont la révélation nous permet à tous de juger et de réprouver.

Salvandy a fait une pointe à Claremont; il en a rapporté de sages paroles. Il paraît qu'on y est mûri par l'expérience, qu'on y reconnaît la valeur du droit. Jeunes et vieux se disent prêts à baisser pavillon devant ce principe et à le servir. Je crains qu'on ne soit pas encore aussi avancé à Eisenach, car j'ai eu une lettre de Mme de Chabannes, qui, à son retour d'Eisenach, venait de traverser Bruxelles, d'y passer deux jours pour y voir la Reine, et 396 qui, revenue enfin à Versailles, avait retrouvé son mari arrivant de Claremont. Voici ce qu'elle me mande: «J'ai trouvé, à mon grand regret, dans la Reine des Belges, un éloignement extrême pour la fusion. L'Angleterre désire le statu quo en France, pour que ce pauvre pays s'enfonce et se noie complètement dans le bourbier dans lequel il est tombé. De là, toutes les intrigues possibles de la part de lord Palmerston, pour empêcher le seul moyen de salut et de régénération. Le Roi Léopold, non pas pour les questions allemandes, mais pour la question française, est l'écho de Downing street [212], et la Reine Louise est celui de son mari. On offre à Mme la Duchesse d'Orléans un leurre, en dirigeant ses idées vers une toute nouvelle combinaison, celle de porter le Duc de Bordeaux à abdiquer! ce à quoi, certes, il ne consentira jamais. Vous reconnaîtrez là la foi punique de la Carthage moderne. Quant à mon mari, il a été chargé de donner, de la part de Claremont, le mot d'ordre à nos chefs de file ici, et je sais que les légitimistes ont été informés des dispositions conciliantes du Roi Louis-Philippe. Mais les partis sont fractionnés à l'infini; les légitimistes ont perdu leur ancienne discipline; il y en a qui préféreraient le Comte de Montemolin au Comte de Paris. Je songe souvent à ce que vous disiez prophétiquement à Eisenach: c'est que cette fusion si désirable, qui aurait, il y a six mois, pu avoir de si immenses résultats, a déjà perdu, à l'heure qu'il est, de sa portée, et que chaque jour de retard en 397 diminue l'importance et l'utilité; mais comment détruire des préjugés si invétérés, dans lesquels l'amour-propre est si intéressé et les petites ambitions subalternes si actives

Voici un extrait de la lettre que j'écris au duc de Noailles, pour le remercier de son discours académique: «Vous avez, mon cher Duc, obtenu un brillant succès sur le grand et fiévreux théâtre; il en est un moins brillant et plus singulier, que je vous offre de ma solitude glacée. J'étais en pleine lecture d'Outre-tombe, quand le Journal des Débats m'a apporté vos magnifiques paroles. Eh bien! Je les ai admirées, quoiqu'elles continssent l'éloge constant d'un homme contre lequel mes instincts s'étaient toujours révoltés, et que l'acharnement jaloux de ses venimeuses confessions a rendu l'objet de ma profonde aversion. Mais en vous lisant, je n'ai eu que vous en regard; j'ai compris qu'il ne vous était plus permis d'être juge, que vous étiez condamné à être panégyriste. Je le répète, mon applaudissement était le triomphe le plus éclatant de votre parole et peut-être aussi celui de mon amitié. J'ai d'ailleurs la conviction qu'il vous en aura coûté, précisément en songeant à moi, de peindre sans ombres, et d'avoir ainsi ôté à la vérité du portrait ce que vous y ajoutiez en éclat. En sachant me détacher de la ressemblance, j'ai joui vivement de ce langage si pur, si simple, si élégant, si rare, hélas! et qui m'a replongée dans l'exquis. L'élévation de la pensée égale la délicatesse des sentiments, la prudence politique ne l'emporte nulle part sur la dignité de l'écrivain, et cependant elle l'accompagne 398 avec une convenance aussi habile qu'heureuse.»

Sagan, 21 décembre 1849.—J'ai reçu hier une lettre de Paris, qui contient le passage suivant: «Notre état politique est calme pour le moment, mais des divisions de plus d'un genre existent dans la majorité de l'Assemblée, où il semble qu'on ne puisse être uni que contre les dangers de la rue. Cela n'offre pas une grande sécurité, et donne une empreinte d'aigreur et de tristesse à toutes les conversations. Les meilleurs amis sont d'avis opposés et se disputent avec irritation, cela rend les relations sociales difficiles et désagréables. Il n'y a que Mme de Lieven qui paraît n'avoir rien à désirer, et qui est en complète jouissance de son séjour à Paris. Elle continue à faire le plus de nouvelles connaissances qu'elle peut; elle recherche particulièrement les gens au pouvoir et regrette de ne pouvoir aller à l'Élysée.»

Sagan, 26 décembre 1849.—Il y a une chose qui m'a frappée et que je regarde comme très fâcheuse; c'est le débat qui s'élève dans la presse périodique sur les avantages, les inconvénients, la forme, les conditions de la fusion désirée depuis longtemps par tous les vrais amis de la France. Il n'y a rien, ce me semble, de plus fatal au bon résultat, que d'en jeter ainsi la discussion dans le domaine d'un public passionné, prévenu, mal renseigné, et, le plus souvent, aussi méchant que stupide. J'avais, je le crains, bien raison de dire à Eisenach que ma seule crainte était que déjà il ne fût bien tard pour une décision 399 qui aurait dû fondre sur le public à l'improviste et comme un fait accompli. Alors, elle aurait eu tout son effet, elle aurait décidé les faibles, rallié les gens sensés, réuni les récalcitrants, et on aurait vu se grouper, outre le petit nombre des courageux, l'immense légion des peureux, autour de cet unique drapeau. Maintenant, il n'apparaîtra, si vraiment il se déploie, que tout troué et déchiré par les balles des journalistes et les invectives des mauvais petits intrigants subalternes dont je remarquais avec effroi la présence autour de Mme la Duchesse d'Orléans.

Il paraît que Vienne, pour plaire au jeune Empereur, reprendra quelque essor social. L'Empereur était, l'année dernière, à Olmütz, extrêmement épris de sa cousine, l'Archiduchesse Élisabeth, qui vient de perdre son mari. Quoiqu'il se soit consolé, on dit qu'il lui reste quelque étincelle de sa première flamme, et qu'il se pourrait bien que la jeune et fort consolable Archiduchesse devînt Impératrice au bout de son deuil. Elle est jolie, elle a dix-neuf ans, et a un enfant [213].

Sagan, 30 décembre 1849.—En France, la confusion des esprits est évidente. Ceux-ci sont sûrs de l'Empire, ils l'auront dans un mois; ceux-là assurent que le principe de la légitimité est immuable et reconnu par tout le monde 400 et que son triomphe est assuré; les marchands disent qu'ils préféreraient la maison d'Orléans; et les socialistes se moquent de tous ces rêves en tenant leur avènement pour certain. Comme on ne s'unit que le jour où il faut combattre ces derniers, ils pourraient bien finir par trouver le moment favorable pour eux.

Nous allons donc, dans deux jours, commencer une nouvelle année, qui commencera aussi la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Quelle moitié de siècle va se terminer! Et par combien de catastrophes la fin de cette époque de désordres et de folies n'a-t-elle pas été marquée! Les premières années de ce demi-siècle nous sortaient du chaos, les dernières nous y replongent; et Dieu sait maintenant jusqu'à quelle profondeur nous tomberons dans le gouffre. Puisse-t-on mourir en paix dans son lit! Les désirs et les espérances ne sauraient aller au delà, et cela même pourrait passer pour une excessive exigence.

401

1850

Sagan, 3 janvier 1850.—On ne saurait croire quelle est la faiblesse du Ministère prussien, et le désarroi complet que les nouvelles lois, proposées ou concédées, jettent dans toute l'administration. C'est bien le cas de dire:

Les lois étaient sans force et les droits confondus;
Ou plutôt, en effet, Valois ne régnait plus [214].

Il y a une ancienne prédiction en Prusse, qui date du règne du père de Frédéric II, et qui indique que son quatrième successeur sera le dernier Hohenzollern qui régnera sur la Prusse. En vérité, on est tenté d'y ajouter foi. On veut donner des lois uniformes, des bords du Rhin jusqu'aux Carpathes; c'est folie: les mœurs, la civilisation, les intérêts, tout est différent. La landwehr, bonne encore aujourd'hui, rentre l'année prochaine dans ses foyers, pour être remplacée par une nouvelle levée fort gangrenée; bref, partout où se portent les regards, on n'aperçoit que décomposition, et l'inquiétude gagne de plus en plus tous les esprits. Cependant les négociations danoises ont repris toute leur vivacité à Berlin; 402 on les dit bien placées entre les mains de M. Usedom.

On me mande de Paris un fait assez curieux. Toutes les fabriques y sont en pleine activité, mais les affaires ne se font qu'au comptant; du papier à trois mois ne trouve absolument pas à s'escompter. La Banque a exactement autant d'écus et de lingots dans ses caves que de billets en circulation. Ce fait, inouï peut-être jusqu'à présent, est une démonstration mathématique qu'il n'existe pas la moindre confiance dans le plus prochain avenir, et qu'on vit au jour le jour.

Sagan, 9 janvier 1850.—On m'écrit de Paris que M. de Persigny arrive à Berlin [215] tout plein de projets, et avec l'idée fixe d'y former une triple alliance entre la France, l'Angleterre et la Prusse. Cette idée, au reste, n'origine pas de lui, mais de l'infernal Palmerston. On a été tout d'abord prévenu à Vienne de ce projet, et c'est le prince Félix Schwarzenberg qui lui a donné de la publicité par la voie des journaux. On dit que, malgré cette publicité, le projet n'est pas abandonné. A la Prusse on offrirait la Saxe et la Thuringe, on lui montrerait en perspective le Hanovre, après la mort, probablement peu éloignée, du Roi Ernest-Auguste; en échange, on demanderait à la Prusse les provinces rhénanes. La Prusse dit que la France devrait se contenter des parties bavaroises rhénanes, ce qui est suffisant, au gré de l'Élysée. Voilà où 403 en est cette intrigue, qu'on ne peut élever au rang d'une négociation. M. de Persigny se dit que, s'il réussit, il s'ouvrira les deux battants de la porte du Ministère des Affaires étrangères, objet de son ambition, et, à son maître, celle de l'Empire, à laquelle il aspire. Une autre lettre de Paris me dit: «Les amnistiés, que le Président a remis au sein de leur famille, font plus de mal à eux seuls, dans une seule journée, que tous les mauvais sujets de Paris réunis. Ils sont tellement pleins de gratitude qu'ils menacent de tuer le Président. Beaucoup de ces hommes sont convaincus que ce sont leurs femmes qui les ont fait arrêter; aussi sont-ils à la recherche des preuves afin de se défaire de leurs moitiés.»

Berlin, 12 janvier 1850.—On est ici en pleine crise parlementaire. Le Roi n'a pas voulu prêter, sans réserves, un serment qu'il veut tenir et qui répugne à sa conscience politique [216]. Le Ministère, qui, pour gouverner, avait absolument besoin d'obtenir des Chambres une loi sur la presse et une sur les clubs, pressait le Roi de prêter le serment à la Constitution, sans lequel il ne pouvait rien espérer des Chambres. Tel était le dilemme. Il y a eu les scènes les plus vives entre le Roi et son 404 Cabinet; celui-ci, déterminé à donner sa démission et à forcer le Roi à céder. Les choses placées ainsi, deux personnages très influents, le général de Rauch et le baron de Meyendorff [217], se sont jetés à la traverse. On a fait sentir au Ministère qu'il n'avait pas fait d'assez glorieuses campagnes pour oser se mettre à si haut prix, et que c'était une indignité de vouloir ainsi violenter le Roi, pour gratifier le pays d'une détestable Constitution. On a dit net aux Ministres qu'ils avaient choqué par leur faiblesse, qu'ils n'avaient nullement compris leur mission, et, que le jour passé du danger des rues, ils n'avaient plus marqué que par leur incapacité. Ils ont été obligés d'entendre de fort dures vérités. D'un autre côté, on a cherché à calmer le Roi, tout en lui donnant une fermeté que l'on attribue à l'influence de la Reine. C'est de toutes ces allées et venues qu'est sorti le Message Royal, qui, sans réformer tout ce qui est mauvais, jette cependant dans le pays quelques bons jalons auxquels on pourrait se raccrocher. Le Ministère s'est rattaché franchement au Roi, m'assure-t-on, et celui-ci sort enfin de son effacement. Maintenant, les Chambres accepteront-elles? C'est là la question. On le croit, parce que le Cabinet dit qu'il se retirera s'il y a refus, et les Chambres savent qu'aussitôt après, paraîtrait un Ministère réactionnaire pur. La seconde Chambre, qui ne veut pas être dissoute, est effrayée de cette combinaison, et on espère que devant ce fantôme qui pourrait prendre corps, elle cédera.

405 Berlin, 17 janvier 1850.—Votre jugement [218] sur les femmes qui se mêlent de politique et sur les dangers qui peuvent en résulter pour elles est parfaitement juste. Je crois qu'on peut me rendre cette justice qu'à aucune époque je ne me suis fait de fête à cet égard, que ce n'est que forcément que j'y ai pris part; que, bien loin d'y chercher des satisfactions d'amour-propre, j'ai toujours eu effroi de ma responsabilité, et que si, par ma position exceptionnelle, j'ai dû être bien informée, si j'ai même été appelée à donner mon avis et à avoir quelque influence sur des décisions sérieuses, je n'ai, du moins, prêté ni mon nom, ni mon action à une intrigue; je n'ai, non plus, jamais ambitionné le rôle de femme politique, et, sous ce rapport, j'ai toujours cédé sans contestation le premier pas à d'autres plus avides, si ce n'est plus propres à ce genre de renommée.

On est toujours absorbé ici par la crise parlementaire, qui n'est point encore dénoncée, et sur l'issue et les conséquences desquelles on est en doute et en grande divergence. On a tellement traqué et tourmenté le Roi qu'après une lutte de plusieurs heures, il était si épuisé, avant-hier, à neuf heures du soir, qu'il a demandé sa pelisse et s'est promené dans le parc de Charlottenburg, seul et à pied, par la neige, pour se rafraîchir et se remonter par le grand air. Il voulait renvoyer le Cabinet, dissoudre les Chambres, et appeler à lui ce que l'on nomme ici les réactionnaires. Le général Rauch l'en a empêché, et, sans 406 doute, il a eu raison parce que les mesures énergiques ne réussissent qu'entre les mains de ceux qui ne reculent devant aucune des conséquences d'un parti résolu.

J'ai passé une heure hier chez la comtesse de Brandebourg, où M. de Meyendorff nous a montré une lettre qu'il venait de recevoir de Mme de Lieven. Elle est toujours bonne à écouter dans ses lettres, qui sont écrites avec verve, naturel, et qu'elle sait remplir de faits. Elle y dit que lord Normanby règne sans partage à l'Élysée, où il pousse à l'Empire; que le Président a rompu avec tous les gros bonnets pour se livrer uniquement à son mauvais entourage; que l'Assemblée est plus divisée que jamais; que les sommités se défient les unes des autres et ne s'épargnent pas les injures, Molé appelant Broglie un respectable nigaud, Thiers appelant Molé une vieille femme, celui-ci ripostant par gamin; le gâchis complet en France. Hélas! ne l'est-il pas partout? On a bien de la peine, dans une confusion aussi générale, à conserver quelque clarté, quelque fixité dans le jugement. L'esprit s'amoindrit en s'obscurcissant, et il n'y a que le cœur qui puisse rester un guide assuré, à une époque où tous les calculs sont trompeurs et où les instincts seuls peuvent fournir le fil du labyrinthe.

Berlin, 19 janvier 1850.—Le moment, ici, est curieux car il est critique, et si j'avais encore le même intérêt que jadis aux choses d'ici-bas, je serais tout oreilles à ce qui se passe. Hier, tout à coup, les bruits de concession ont cessé; une grande partie des députés conservateurs et plusieurs 407 personnes graves de la ville, étrangères aux Chambres, ont signé une pétition au Roi pour le supplier de ne pas céder. Bethmann-Holweg, qui n'est pas député, a porté hier au soir cette pétition à Charlottenburg.

Berlin, 24 janvier 1850.—Il paraît que Radowitz est arrivé ici, prêchant moins au Roi les concessions qu'on pouvait le craindre, et qu'il a apporté beaucoup de lettres de Gagern aux membres influents des Chambres pour les engager à obéir au Roi, vu que leur refus mettrait probablement en question tout l'édifice constitutionnel de l'Allemagne. La semaine prochaine nous apportera la solution définitive.

Berlin, 25 janvier 1850.—J'ai été hier soir à un concert à Charlottenburg, où la musique n'était guère écoutée, chacun étant préoccupé de ce qui doit se passer aujourd'hui. La bataille parlementaire s'engage ce matin.

Il m'est revenu, de bonne source, que M. de Persigny voit, en secret, un assez mauvais monde politique, et que, ne pénétrant dans l'intimité d'aucun salon, il se livre, soit par humeur, soit par ennui, soit par instinct, à un entourage qui n'est pas convenable pour sa position officielle. Il intrigaille aussi, dans le sens que j'indiquais il y a quelque temps. On l'écoute, on le berce de l'espoir de réussir, mais on n'engage rien de sérieux avec un agent et un gouvernement qu'on ne regarde, ni l'un ni l'autre, comme sérieux.

408 Berlin, 26 janvier 1850.—Hier au soir, à un bal chez le comte d'Arnim-Boitzenburg, les Meyendorff m'ont raconté que M. de Persigny leur avait fait la veille une longue visite, pendant laquelle il leur avait développé sa thèse bonapartiste, impérialiste, soutenant que c'était la seule corde populaire en France, et, pour preuve, il a fini par dire que dans les hameaux de France, on trouvait des familles entières agenouillées devant les images de l'Empereur Napoléon, demandant le retour de l'Empire! Quel conte effronté! Il s'est, à ce bal, approché de moi et m'a demandé des nouvelles de ma fille, en me disant qu'il avait eu l'honneur de faire sa connaissance chez M. de Falloux, dont il prétend être depuis dix-huit ans l'ami intime [219].

Berlin, 27 janvier 1850.—Hier, à onze heures du soir, les débats sur le Message Royal n'étaient point encore terminés; il y avait grande chance pour qu'on adoptât l'amendement Arnim, qui propose d'ajourner à deux ans la loi d'organisation de la Chambre des Pairs, et, qu'en tout cas, cette Chambre fût tout entière à vie, et non héréditaire; double concession qui rendrait la mesure illusoire, et ne ferait que confirmer l'incertain dans le provisoire. C'est triste, c'est grave, c'est fatal!

Le Ministre d'Autriche, Prokesch, après être resté enterré pendant six jours dans les neiges, et le Prince de Leiningen, frère de la Reine Victoria, sont arrivés de 409 Vienne, le premier restant à Berlin, le second se rendant à Francfort-sur-le-Mein. Tous deux sont enchantés du jeune Empereur. Ils disent que, si la Prusse n'est pas aimée à Vienne, l'Angleterre y est tout particulièrement haïe, et la France nullement comptée.

L'armée autrichienne a pour chef réel le jeune Empereur, dont le chef d'État-major, général de Hess, est sous ce rapport l'habile instructeur. Tous les ordres aux troupes, toutes les mesures militaires émanent directement de l'Empereur, sans intervention, ni contre-seing ministériel. Ceci n'est pas sans importance. Leiningen a aussi été très frappé de la tenue du prince Félix Schwarzenberg; il dit que c'est le ministre le plus décidé et même le plus audacieux qu'on puisse rencontrer.

Berlin, 28 janvier 1850.—L'amendement Arnim a passé à une petite majorité, qui n'aurait pas même existé si quinze Polonais ne s'étaient abstenus de voter. Le paragraphe du Message Royal, relatif aux fidéi-commis, a été rejeté, parce que plusieurs députés de la droite, ayant faim et sommeil, s'étaient retirés! On voit, par là, où on en est ici, en fait de mœurs parlementaires. Le Ministère, qui ne voulait qu'un replâtrage, a été satisfait sans l'être. Le Roi se dit mécontent, et cependant, j'ai la crainte qu'il ne finisse par jurer cette déplorable Constitution, aussitôt que la Première Chambre aura sanctionné l'œuvre de la Seconde.

Quelqu'un me mande de Paris avoir vu M. Guizot, et ne l'avoir trouvé ni abattu, ni irrité, mais calme et ferme. 410 Il dit, en parlant de l'état des esprits dans l'Assemblée et dans ce qu'on appelle encore la société, qu'on n'est pas assez inquiet, mais qu'on est trop découragé.

Berlin, 29 janvier 1850.—Une personne qui arrive de Vienne m'a dit que le prince Schwarzenberg poursuivait sans relâche un projet de traité commercial avec les États italiens, à la grande fureur de lord Palmerston; le Cabinet de Vienne déclare qu'aussi longtemps que l'Angleterre confiera sa diplomatie à ce Ministre, il la tiendra pour non avenue dans les questions continentales et ne s'en inquiétera en aucune façon. Ce dont on est mécontent à Vienne, c'est du Pape, de sa faiblesse, de ses tergiversations; aussi Rome est-elle devenue le point le plus malade de l'Italie. Ici, on est triste, inquiet, préoccupé des intrigues multipliées de ces derniers jours, qui ont amené le vote d'avant-hier. Une chose curieuse, c'est que le comte d'Arnim-Boitzenburg dit maintenant à qui veut l'entendre que le fameux amendement n'est pas de lui, mais de Radowitz; qu'il n'a fait que lui prêter son nom. Les quinze députés polonais disent que, s'ils se sont abstenus de voter, c'est que le Gouvernement leur a fait promettre des concessions inespérées pour le Grand-Duché de Posen, s'ils s'abstenaient de voter sur ce même amendement que le Cabinet déclarait la veille ne pouvoir jamais admettre. Vis-à-vis d'autres députés, on a fait agir la séduisante volonté, les prières du Roi. Celui-ci déclare qu'on l'a fait parler contre sa pensée. Bref, c'est un gâchis abominable, honteux. La gauche bat des mains. Cette déplorable 411 comédie est, à mes yeux, le dernier coup qui sape le chancelant édifice, car, lorsque personne n'a confiance en son voisin, que personne ne sait sur quelle pensée s'appuyer, ni où en trouver une sincère et ferme, on perd bientôt le courage de son opinion, on reste comme paralysé, on perd jusqu'à l'instinct de la défense personnelle, et on se laisse tout doucement glisser vers l'abîme qui est tout prêt à recevoir sa proie.

Berlin, 31 janvier 1850.—On disait hier que le Roi viendrait dimanche prochain en ville, prêter serment à la Constitution de 1850, dans la grande Salle Blanche du Château, où a siégé la Diète de 1847. Il y aura des tribunes pour les spectateurs. Je n'augmenterai assurément pas le nombre des curieux!

Berlin, 2 février 1850.—Si mon oncle vivait, il atteindrait aujourd'hui sa quatre-vingt-seizième année. Dieu lui a fait une grande grâce en le retirant avant la phase nouvelle, profonde, destructive, définitive, de cette Révolution, qui, à sa mort, durait d'après lui, depuis cinquante années. Il me semble que nous pourrons en voir la fin, tant nous touchons de près à l'abîme, mais je doute que nous ayons le temps de remonter à l'orifice du cratère. Hier, la gazette indiquait le 6 février comme le jour fixé pour la prestation de serment du Roi.

Berlin, 4 février 1850.—Une personne sûre qui arrive de Frohsdorf mande ce qui suit: «Il existe à Frohsdorf 412 un désir sincère de réconciliation et de rapprochement, mais en France! Les anciens conservateurs, M. Guizot en tête, travaillent à l'accord et y arriveraient, sans l'entêtement des orléanistes purs, représentés par les membres de l'ancienne opposition. Ils comptent dans leurs rangs des hommes fort influents, entre autres le duc de Broglie. Dernièrement, dans une réunion de journalistes, M. de Rémusat s'est exprimé très fortement contre la fusion, non pas dans le sens des répugnances dynastiques, mais en se fondant sur l'impopularité des nobles et des prêtres, qui rendaient, disait-il, la légitimité odieuse et funeste. Quelle fatale direction de l'esprit! Les divisions qui en surgissent ôtent toute force au parti orléaniste, et chacun semble jouer la partie de Louis Bonaparte, ou, ce qui pis est, celle des socialistes rouges.» Une autre lettre, de fort bonne source aussi, reçue hier, de Paris, en date du 31 janvier, me dit ce qui suit: «Le Gouvernement français est dans des dispositions plus sages que je ne pensais au sujet de la communication qui lui a été faite dernièrement sur l'affaire suisse [220]. Il va prendre cette affaire ad referendum. Probablement, on évitera de prendre une allure décisive dans cette question, mais on ne soutiendra en aucune façon la Suisse, du sein de laquelle le vent du socialisme souffle sur la France, aussi bien que sur l'Allemagne 413 et l'Italie. Enfin, on ne prendra plus d'engagement avec l'Angleterre, c'est le point capital. Dans l'Assemblée, le côté de la Montagne va faire explosion. Peut-être à Lyon y aura-t-il une démonstration armée, tentée par les socialistes qui sont nombreux. On n'en est pas effrayé ici; peut-être même n'en serait-on pas fâché. A Londres, on sera furieux. Ellice, en partant hier d'ici, a dit que lord Palmerston allait faire the most mischief he can [221]. Ellice, tout whig qu'il est, se montrait fort inquiet de la mauvaise humeur de son ami de Downing Street.»

Puisque je suis en train de faire du commérage politique, je dirai encore qu'on s'attend à une prompte reprise des hostilités dans l'affaire danoise. Comme d'ici on laisse les Schleswiçois s'armer et se préparer, ils vont faire au premier jour une levée de boucliers dont les conséquences peuvent être graves. Les négociations n'avancent pas d'une ligne. Le langage hautain de Radowitz, dans les questions allemandes, jette chaque jour une goutte d'huile de plus dans le feu et aigrit à un tel point les relations des Cours de Vienne et de Berlin, qu'il est beaucoup plus raisonnable de croire à une guerre prochaine qu'à la continuation de la paix, tout insensé que soit, aux yeux des plus prévenus, un conflit entre les deux grandes puissances allemandes. L'Empereur Nicolas a dit dernièrement qu'il prévoyait inévitablement une guerre à peu près générale en Europe au printemps prochain. On dit que l'Autriche vient de promulguer une nouvelle loi douanière, 414 sur des bases si larges, qu'il en ressortirait pour elle de grands avantages politiques, un coup de massue pour Erfurt, et des attaques d'épilepsie pour Palmerston.

Berlin, 7 février 1850.—C'était hier une journée remarquable dans les fastes de la Prusse. Le Roi a prêté serment à la nouvelle Constitution. Il n'y avait ni tribunes, ni spectateurs, ni grandes charges de Cour, point de Princes, point de Princesses. On dit que le Roi était ému, qu'il a prononcé un discours fort touchant qu'il n'avait pas communiqué à ses Ministres. Il ne s'est cru Roi constitutionnel qu'après le serment; le discours a été le dernier écho de l'ancien régime. Le Roi et quelques-uns des Princes ont dîné avec les Messieurs de la Chambre; il y a eu des toasts assez ternes. Tous les députés polonais ont donné leur démission pour ne pas prêter le serment; le comte Hochberg-Fürstentein-Pless, grand et riche seigneur silésien, en a fait autant; vingt-six autres députés se sont abstenus sous prétexte de maladie; et voilà la journée et l'acte qui devaient poser la pierre angulaire du nouvel édifice!

Berlin, 12 février 1850.—M. de Meyendorff a reçu hier une lettre de Mme de Lieven, qui lui mande que la scène du 4, à Paris, pour l'enlèvement des arbres de la liberté [222], a été un acte de provocation malhabile de la 415 police, pour amener une émeute, une intervention armée, puis cet Empire, rêve de tous les moments à l'Élysée, contre lequel Changarnier paraît se prononcer.

J'ai appris que M. de Bernstorff, fort gonflé d'outrecuidance prussienne, il y a deux mois encore, a changé de ton; que les dépêches qu'il a écrites de Vienne sont toutes inspirées par une grande terreur de la guerre, et demandant ici qu'on l'évite à tout prix. M. de Schleinitz est dégoûté, il attend avec impatience le moment de pouvoir demander la mission de Vienne, en échange du Ministère auquel il paraît que Bernstorff serait appelé. Radowitz, après avoir promis à Schœnhals et à Kübeck, les plénipotentiaires autrichiens à Francfort, de signer avec eux les arrêtés relatifs au Mecklembourg, a quitté Francfort sans le faire et cherchant sous différents prétextes à s'en dispenser; sur quoi Schœnhals a fini par lui mander que s'il ne signait pas, dans le délai de trois jours, lui et Kübeck quitteraient Francfort, et que le dernier lien serait rompu. Là-dessus, Radowitz a quitté Erfurt à tire-d'aile, pour apposer, dit-on, la signature demandée. Du moins, voilà ce qu'on m'a assuré hier.

Berlin, 13 février 1850.—Hier, le gouvernement a présenté à la seconde Chambre une loi qui l'autorise à emprunter dix-huit millions de thalers pour préparatifs de 416 guerre. La Chambre a pris la chose en considération et a nommé une Commission. On ne doute pas que cette autorisation ne soit obtenue. La première Chambre a fait, hier aussi, ses nominations pour Erfurt; les choix ont porté sur les démocrates. M. de Meyendorff ne doute pas que son Souverain ne regarde comme une nouvelle impertinence de lord Palmerston, d'avoir accepté, dans l'affaire grecque [223], la médiation de la France, en passant celle de la Russie sous silence. L'Angleterre travaille à un nouvel armistice entre le Danemark et la Prusse; mais comme celui qui dure encore en ce moment a été si peu tenu du côté de la Prusse (d'où on a tacitement encouragé et soutenu l'insurrection), les Danois ne sont pas d'humeur à donner dans un nouveau piège. Non seulement la Prusse n'a pas rappelé le général de Bonin, mais elle l'a prêté au gouvernement insurrectionnel de Holstein-Schleswig, où il y porte publiquement l'uniforme prussien. Ici, les envoyés danois ne reçoivent pas de réponses du Gouvernement. M. de Usedom les évite, ne voit et ne négocie qu'avec leurs adversaires.

417 Berlin, 14 février 1850.—Je conviens que chaque gouvernement a ses difficultés; que la quantité, que la diversité des complications, devraient être des garanties contre les moyens violents de les résoudre, en un mot, que si la guerre éclate, elle sera le symptôme le plus irrécusable de la folie des uns, de la faiblesse des autres, du vertige du temps. Mais, hélas! ce vertige est si contagieux, il fait sous mes yeux de tels progrès, que si on assiste, comme moi, à tout ce que la mauvaise foi, l'outrecuidance inventent, on est bientôt soucieux de l'avenir. Si nous traversons avril et mai sans coup de canon, je croirai que la paix sera conservée entre les grandes Puissances, du moins, pendant une année ou deux, ce qui permettrait à chacun de respirer, de se retourner, et de mettre ordre à ses affaires. Mais j'ai une terrible peur que d'ici au 15 mai au plus tard nous ne soyons en plein incendie. Mon opinion personnelle est que ce sera le mois d'avril qui vers la fin fixera définitivement les probabilités de guerre ou de paix; à l'heure qu'il est, elles sont toutes pour une conflagration générale et prochaine. Lord Palmerston y pousse le mieux qu'il peut, et M. de Persigny, qui a toujours les yeux fixés sur la rive droite du Rhin, ne s'y épargne pas. Ici, on donne, avec une merveilleuse niaiserie, dans tous ces pièges; on s'aliène à plaisir les alliés naturels.

Berlin, 23 février 1850.—J'ai passé la soirée chez les Meyendorff. C'est la maison où l'on sait le plus et le mieux les nouvelles. Celles d'hier étaient plus pacifiques. Deux 418 circonstances servent à calmer quelque peu les allures guerroyantes qu'on prenait ici. Le retour d'un individu qu'on avait envoyé s'assurer des préparatifs militaires faits en Bohême, auxquels on ne voulait pas croire, et qui se sont pleinement confirmés; puis, une inconcevable incartade de M. de Persigny. Celui-ci, blessé qu'on ait fait faire, sur l'affaire suisse, des ouvertures directes à Paris, par l'entremise de Hatzfeldt, a pris la mouche, et est venu, il y a quelques jours, faire une scène au comte de Brandebourg; il a dit que la France ne souffrirait pas qu'on exerçât des mesures coercitives contre la Suisse, et que, du reste, une occasion de faire passer le Rhin à deux cent mille Français et de guerroyer en Allemagne, serait tout gain et profit pour le Président; bref, il a si bien montré les dents que les réflexions subséquentes, et que l'on aurait pu faire avant, n'ont pas manqué. Auront-elles une force suffisante pour faire prendre une allure plus sage? Je n'en voudrais pas répondre. Persigny s'est complètement coulé; il est arrivé ici avec des propositions d'alliance, il s'en ira probablement sur la menace dont je viens de parler; il n'y a là ni suite, ni entente, ni plan. Les journaux représentent l'état intérieur de la France comme empirant de jour en jour, ce qui rend l'attitude de son représentant ici encore plus inexplicable.

Berlin, 24 février 1850.—C'est une date bien sérieuse, bien tragique que celle d'aujourd'hui. Elle marque l'écroulement de ce qu'on appelait la société moderne, et, très faussement, comme l'expérience l'a prouvé, la société civilisée.

419 Une lettre de Mme de Lieven, reçue hier ici, prédit de nouvelles et prochaines catastrophes en France, qui, dans son opinion, tourneront au profit d'une dictature militaire momentanée dans les mains de Changarnier.

Le Roi de Hanovre a écrit une lettre que j'ai vue; il y dit qu'il a passé quelques jours fort désagréables, ayant eu maille à partir avec ses Ministres, et grand'peine à les convertir à son opinion; qu'enfin, il y est parvenu, et qu'en conséquence, il rompait le dernier fil avec Berlin pour nouer plus serré avec Vienne.

Sagan, 26 février 1850.—Je suis arrivée ici hier après-midi. J'ai rencontré en chemin de fer M. de Benningsen, le Ministre des Affaires étrangères hanovrien, se rendant à Vienne pour y prendre langue pendant quarante-huit heures, puis revenir à tire-d'aile auprès de son Souverain [224]. Cette mission déplaira sans doute beaucoup à Berlin.

Sagan, 28 février 1850.—Le comte Stirum, qui venait de Berlin, a passé hier par ici, et a dit que la Hesse électorale s'était décidément et officiellement détachée de la Prusse. On m'écrit que le Roi de Hanovre a annoncé officiellement au gouvernement prussien sa séparation du bund prussien, mais qu'il a dû céder à ses 420 Ministres, qui ne veulent absolument pas de l'alliance avec l'Autriche, parce que l'Autriche ne voudrait qu'une seule Chambre, et que les Ministres hanovriens en voudraient deux. Je suppose que c'est pour donner toutes ces explications à Vienne que M. de Benningsen s'y est rendu. Voilà donc le pauvre Roi de Hanovre complètement isolé.

Sagan, 1er mars 1850.—Nous entrons dans un mois fameux et funeste dans les Annales de l'histoire ancienne et moderne. Dieu sait quelles Ides il nous prépare à cette date du demi-siècle. Les dates, les anniversaires, tout inspire terreur, on sent que les pieds posent sur un terrain miné.

Sagan, 6 mars 1850.—J'ai eu hier des lettres de Paris. On y était, à la date du 2 de ce mois, dans une grande perplexité sur les élections prochaines, les nouvelles des provinces donnaient de l'inquiétude; les rouges relèvent la tête. Cela n'empêchait pas les plaisirs et les folies de toilette; celles-ci sont poussées à un degré effrayant. La Grande-Duchesse Stéphanie a été reçue avec les plus grands honneurs par le Président; il lui a monté une maison à part de la sienne pour qu'elle fût plus libre; il a fait mander le Corps diplomatique en uniforme pour lui être présenté. C'est assise sur un fauteuil d'apparat qu'elle a reçu les présentations, ce qui a paru étrange chez le Président de la République, et lui a valu quelques lardons. Elle doit passer un mois à l'Élysée, puis elle demeurera chez sa fille lady Douglas qui arrive à Paris 421 dans quelques semaines. La Grande-Duchesse ayant été fort accueillante à Bade pour des gens de toutes les opinions, plusieurs personnes, qui ne vont pas chez le Président, ont demandé à lui offrir leurs hommages.

Sagan, 7 mars 1850.—Il m'est arrivé des lettres de Paris vraiment alarmantes. Ceux qui voient encore en couleur de rose se flattent d'un changement dans le Cabinet anglais, qui retentirait tout d'abord à l'Élysée, où lord Normanby est plus puissant que jamais, non seulement sur la politique extérieure, mais même sur celle du dedans. Ses conseils ne sont pas des meilleurs; il les donne le soir chez la maîtresse du Président, au milieu des petits jeux qui y amusent les loisirs présidentiels. Dans la question suisse, c'est encore lord Palmerston qui tracera la route du Président; ses instincts sont guerroyants; ceux de ses Ministres sont pacifiques, mais les Ministres n'ont autorité ni auprès du prince Louis, ni auprès de l'Assemblée, qui est en défiance d'eux et encore plus du Président, dont les tendances dans la question grecque sont aussi palmerstoniennes que dans celle de Suisse; en un mot, dans toutes celles qui surgissent en Europe, où les conflits, les rivalités, le décousu et le gâchis ne manquent assurément pas. La France n'est pas la moins déchirée. Le Président, m'écrit-on, est parfaitement décidé à saisir à bras-le-corps la première occasion de rompre avec l'Assemblée, de la briser; bref, son 18 brumaire et son manteau impérial sont prêts. Il attend, en rongeant son frein, cette occasion; elle lui viendra 422 probablement d'une bataille contre les rouges; le danger général lui donnerait, à ce qu'il croit, l'acclamation publique. C'est toujours vers Changarnier que se tournent tous les yeux; il est la grande énigme du moment: rien ne perce de ses intentions; il se maintient dans une réserve telle qu'on pourrait croire qu'il se tient pour le maître assuré de la position. En effet, on ne doute pas qu'il n'arrête le coup d'État, mais dans l'émotion d'une guerre civile, ne se développerait-il pas un mouvement populaire qui emporterait jusqu'à Changarnier lui-même! Tout dépendrait donc de la proportion de cette bataille, de cette effervescence des masses. Les rouges livreront-ils combat? Il me semble qu'on est disposé à le croire, qu'on s'y attend même pour ce mois-ci, et que les renseignements qui arrivent des provinces sont des plus graves. Elles menacent de détrôner Paris et de lui enlever sa longue initiative politique et révolutionnaire. Il est certain que, pour cette crise décisive, le Président est bien insuffisant; il s'est fait, depuis six mois, bien du tort parmi les gens raisonnables; il est détestablement entouré, dans un ordre d'idées absurdes et dangereuses; mais, après avoir dit tout cela et plus encore, on n'en revient pas moins à la conclusion qu'il n'y en a pas d'autre pour le moment, et qu'il faudra bien le prendre tel qu'il est. Pour sauver la France, il faudrait évidemment un Dictateur militaire, qui fît main basse sur le suffrage universel, la presse, le jury, la garde nationale, enfin sur tout ce qui empoisonne la France, et qui, par miasmes contagieux, gangrène l'Europe entière. Si le Comte de Chambord, si le Comte de Paris 423 revenaient demain en France, pourraient-ils faire ce qui est nécessaire? C'est douteux. Il semble que ce ne puisse être que l'œuvre d'un pouvoir exceptionnel et non régulier. De là, le souhait d'une Dictature militaire toute-puissante, qui remettrait, cette phase passée, le pouvoir régulier aux mains d'un principe sanctionné par la tradition. Mais Dieu, dans ses desseins, en a-t-il jugé ainsi? Ou bien le vieux monde tombera-t-il en décomposition sanglante? Des hordes féroces se partageront-elles nos lambeaux? Qui le sait?

Sagan, 11 mars 1850.—On me mande de Berlin que M. de Persigny a cru faire merveille en allant déblatérer contre la Prusse chez le ministre d'Autriche, et y dire que deux cent mille Français sauraient bien faire justice des velléités neuchâteloises. Sur ce, Prokesch, qui est assez hargneux et violent, est devenu blanc de colère et, avec des lèvres tremblantes de rage, a dit au petit favori qu'il ne souffrirait pas de semblable propos chez lui, et que, malgré la froideur qui régnait entre les Cours de Vienne et de Berlin, il pouvait assurer M. de Persigny qu'au premier soldat français qui passerait le Rhin hostilement contre la Prusse, toutes les forces autrichiennes viendraient au secours d'un ancien allié contre les inondations révolutionnaires. Sur cette vive sortie, le petit homme a plié bagage. On dit qu'il se met à intriguer avec le parti démagogique prussien, sentant qu'il ne peut pas diriger comme il voudrait le Cabinet Brandebourg. Celui-ci, hélas! tourne à tous vents; il noue et dénoue, commence et 424 recule, avance et se retire; c'est ce que l'on peut imaginer de plus déplorable.

Sagan, 12 mars 1850.—Les Schleswiçois disent que si on ne leur envoie pas un million et demi d'écus, ils attaqueront seuls les Danois au 1er avril. Les Danois disent que, s'ils sont attaqués, ils captureront tous les vaisseaux allemands sur-le-champ, et que cette fois ce ne sera pas pour les restituer. C'est sur cela que Rauch a été envoyé en Schleswig avec les instructions les plus énergiques pour destituer Bonin, et rappeler tous les officiers prussiens; mais trois heures plus tard, on s'est effrayé de cette énergie inaccoutumée, et on lui a envoyé par exprès des instructions nouvelles, et si fort mitigées qu'on n'en attend rien d'effectif.

Sagan, 14 mars 1850.—Le général de Rauch a envoyé son fils en courrier à Berlin pour demander des instructions plus énergiques; on ne veut pas obéir à celles dont il était porteur; cependant le Ministre de la Guerre [225] craint d'envoyer l'ordre de rappel aux officiers prussiens qui servent en Holstein-Schleswig, vu qu'un ramassis de Polonais sont sur les lieux tout prêts à les remplacer; ce qui fait craindre un pendant aux scènes badoises de l'année dernière [226], contre lesquelles il faudrait que les Prussiens marchassent.

425 Sagan, 21 mars 1850.—Le général de Rauch est revenu de Holstein sans avoir rien obtenu. Les Holsteinois n'ont plus le sou, mais ils comptent autoriser le pillage et faire vivre ainsi leur armée, qui est composée de bandits. La jolie perspective!

La Duchesse d'Orléans est chez son neveu Schwerin, à Ludwigslust [227]; visite d'adieu. On commence à croire que ce seront des adieux longs, si ce n'est définitifs, car la Princesse a fait venir de Paris une cargaison de bijoux, boîtes, épingles, bagues, bracelets, etc., qu'elle doit répandre dans sa tournée de famille avant de passer en Angleterre.

Il semble que M. de Persigny se croit moins près de la jolie petite bataille dont il se flattait à Paris, car on remarque que depuis quelques jours, il est moins glorieux et moins goguenard.

Sagan, 9 avril 1850.—M. de Meyendorff m'écrit de Berlin: «La politique Radowitz-Bodelschwing, repoussée par la majorité dans le Conseil des Ministres, est entrée dans une nouvelle incarnation. Il s'agit maintenant de mettre à la taille d'un nain l'habit qui, le 29 mai 1849, avait été taillé pour un géant [228]. On renonce à une Constitution 426 de l'Empire, il n'y aura plus qu'un lien d'États, réduit à sa plus simple expression, c'est-à-dire maintenu dans les limites de l'influence naturelle de la Prusse et de la communauté des intérêts matériels. Le Roi a été le premier à donner cette nouvelle impulsion. Le général Stockhausen l'a surtout bien secondé. Prokesch trouve qu'il y a amélioration dans la marche du gouvernement; il faut donc qu'elle soit bien évidente; mais Bernstorff, toujours raide et borné, ne sait pas faire marcher l'entente si nécessaire. Et comme, à Vienne, on n'est pas très prévenu pour la Prusse, Dieu sait combien de temps on perdra encore.»

Sagan, 23 avril 1850.—Lady Westmorland m'est arrivée hier avec sa fille. Elle ne m'a rien apporté de bien serein sur la politique. Elle s'attend à une intervention armée et prochaine de la Russie dans la question danoise. Une flotte russe, avec des troupes de débarquement, se prépare à faire la police dans les Duchés. Lord Palmerston en laissera-t-il la gloire ou l'embarras à la Russie, ou se décidera-t-il à y prendre part? C'est ce que l'on saura dans peu de jours.

Lady Westmorland a reçu de la Reine des Belges une lettre qui lui dit que son père, après une grippe violente, est resté fatigué, changé, vieilli; elle voulait aller en Angleterre pour le voir.

427 Sagan, 1er mai 1850.—La réponse attendue de Londres, dans la question danoise, est arrivée samedi soir à Berlin. On y approuve entièrement les propositions simultanées et identiques de Meyendorff et de Westmorland, et on autorise ce dernier à les exprimer fortement; c'est ce qu'il a fait; mais il paraît que les paroles les plus fermes restent sans effet et qu'il faudra des actes pour faire changer les allures du Cabinet de Berlin. Reedtz et Pechlin, les deux plénipotentiaires danois, sont à bout de patience et se plaignent des pièges qu'on leur tend; tout s'aigrit, s'envenime, et je vois les plus sages croire à quelque embrasement violent.

Sagan, 3 mai 1850.—Le Congrès des Princes [229], qui devait s'assembler à Gotha, doit maintenant se réunir à Berlin le 8 de ce mois. Par ce motif, le mariage de la Princesse Charlotte de Prusse avec le Prince de Meiningen est remis au 18, ce qui ne lui plaira guère; quoique jeune, elle est éprise et pressée [230]. C'est une charmante personne que j'aime particulièrement, et qui a pour moi un goût très marqué, mais je crains que Meiningen ne soit un trop petit théâtre pour son extrême activité, et son futur, un peu trop carafe d'orgeat pour une vivacité électrique, 428 héritée de sa mère, contenue cependant par une excellente éducation.

Sagan, 7 mai 1850.—Humboldt me mande que l'Angleterre ayant délégué tous ses pouvoirs à la Russie dans la question danoise, et le langage de Meyendorff étant menaçant et des plus fermes, on se décide à Berlin à des mesures pacifiques. Dieu le veuille! Il dit aussi qu'il ne croit pas que le Congrès princier de Berlin soit au complet, qu'en tout cas, il n'en sortira pas grand'chose, et que la convocation, par l'Autriche, d'une réunion de l'ancienne Diète à Francfort, devient de jour en jour un danger plus formidable.

Mme de Chabannes m'écrit qu'elle est très mécontente du parti orléaniste, plus encore que de celui qui lui est opposé. Elle dit qu'on fait, de la part du Comte de Chambord, les propositions les plus acceptables; que les jeunes Princes d'Orléans sont tous pour un pacte de famille; que Louis-Philippe, fort affaibli, vacille; que la Reine des Belges, se trouvant sous l'influence anglaise, est hostile; que Mme la Duchesse d'Orléans, mal renseignée de Paris, reste dans des réponses dilatoires.

Sagan, 8 mai 1850.—Lady Westmorland m'écrit de Berlin, d'hier: «On prépare le château de Berlin pour la demeure des Princes invités au Congrès. On a pu y arranger dix-sept appartements séparés; si cela ne suffit pas, on logera les Princes de surplus dans des maisons particulières, toujours aux frais du Roi, mais on doute que 429 le nombre de dix-sept soit atteint. Il n'y a, jusqu'ici, de certain que le Duc de Cobourg, le Duc de Brunswick, le Grand-Duc de Saxe-Weimar, le Grand-Duc de Bade, les deux Grands-Ducs de Mecklembourg. Quant à l'Électeur de Hesse-Cassel, il a fait dire qu'il viendrait pour expliquer lui-même au Roi pourquoi il ne pouvait entrer dans l'union restreinte. Le général de Bülow part aujourd'hui pour Copenhague, chargé de traiter une paix séparée entre la Prusse et le Danemark, sans s'occuper ni des Duchés, ni de l'Allemagne, et sans médiation. Quand je dis traiter, je veux dire proposer de traiter, car les négociations devront avoir lieu ici. On a décidé d'envoyer un plénipotentiaire à Francfort, et on suppose que ce sera M. de Manteuffel, le Ministre de l'Intérieur. La grande question est de savoir s'il se présentera comme plénipotentiaire de la Prusse, ou bien comme représentant à lui seul l'Union restreinte. Au premier cas, grande reculade prussienne, au second, non-admission de la part de l'Autriche.»

Sagan, 12 mai 1850.—J'ai reçu hier une lettre de Berlin dont voici l'extrait: «Vous verrez la liste des Princes arrivés, elle est dans la gazette. Ils y sont tous, excepté Nassau et Hesse-Darmstadt, mais il ne faut pas croire qu'ils sont d'accord. Le Duc de Cobourg a voulu avoir une conférence préalable chez lui, entre eux, avant la séance d'aujourd'hui au Château, où le Roi les a réunis pour leur faire un discours, puis leur donner à dîner. Le Duc de Cobourg a été étonné et fâché de trouver que 430 chacun a sa façon particulière de juger la question, et qu'ils ne veulent pas se laisser diriger par lui. Mecklembourg-Strelitz, Hesse, Oldenburg, se sont déclarés tout à fait opposés à la tactique prussienne, et le Duc de Brunswick, quoique favorable au Bund [231], l'est à sa manière, qui n'est pas celle des Cobourg. Manteuffel ne va pas à Francfort, cette question reste en suspens.

«M. de Persigny, qui est revenu de Paris, déclare que tous les partis se sont réunis au Président; que l'on va prendre les mesures les plus énergiques, que tout danger est passé. Prokesch est nommé à Constantinople; on dit que c'est le général Thun qui le remplace ici.»

Berlin, 13 mai 1850.—Voici deux lettres que j'ai reçues de Berlin, l'une en allemand, dont voici la traduction: «Le Congrès des Princes est dans le meilleur train du monde. On s'occupe peu des affaires, mais en revanche on fait de grands exercices; il n'y a pas de fin aux spectacles militaires; après cela, des dîners monstres, et, le soir, l'opéra du Prophète, des soirées ou des bals. Aujourd'hui c'est chez Meyendorff, demain chez Redern, lundi chez le Prince et la Princesse de Prusse, mardi chez les Westmorland, mercredi chez Leurs Majestés, et puis, plaise à Dieu, la clôture! La Régente de Waldeck est arrivée ici depuis jeudi pour le grand dîner dans la salle Blanche. Nouvelle jubilation pour les spectateurs. On lui a donné, comme Régente, le premier rang, avant tous les Princes.

431 Le Roi exagère la politesse envers ses hôtes: au lieu de donner le bras à la Reine et de se faire suivre par les autres Princes, il a offert son bras à la Princesse de Waldeck, et la Reine au Grand-Duc de Bade. La Princesse a très bonne mine, s'habille bien, tout en noir, à cause de son veuvage, mais elle a le malheur de ne le céder en rien pour la taille élevée au général de Neumann; elle lui a même emprunté son impertinente affabilité. Je crains que ce soir elle ne s'amuse pas trop chez Mme de Meyendorff, où le soutien de la Cour lui manquera; les dames oublieront certainement la Régente, et ne verront en elle que la Princesse de Waldeck. Le Duc de Brunswick n'a pas assisté au dîner du Château, à cause d'une prétention de préséance sur le Duc de Cobourg. Hier, il y a eu des dîners chez les Princes Charles et Albert de Prusse, afin que le Roi et la Reine puissent reprendre haleine. Le soir, la salle de l'Opéra était magnifique, et le grand salon qui touche la loge Royale féeriquement décoré et illuminé. On avait joint les loges des étrangers à la grande loge, et cependant, les Princes, avec leur suite, y ont à peine trouvé place. Le public était tellement absorbé par leur aspect qu'il ne montrait guère que son dos au Prophète, et portait toute son attention sur l'Union allemande, attention qui s'accrut, naturellement, à l'apparition du Roi dans la grande loge, où il prit la troisième place à côté de la Régente de Waldeck. La Reine resta seule dans sa petite loge, où elle n'était pas même en toilette. Après le premier acte, le Roi conduisit pour quelques moments la Régente chez la Reine.

432 «Le discours adressé par le Roi aux Princes a été, dit-on, plein de dignité. Il les a invités à examiner s'ils voulaient loyalement et fidèlement suivre le même chemin que lui, ajoutant que, s'il leur était venu un autre avis, ils n'avaient qu'à suivre une autre route, en se séparant de lui, dont le cœur resterait sans rancune, mais qu'en le suivant, il fallait marcher fidèlement partout où il porterait la bannière. Hier soir, dans la séance des Ministres, des différends, des disputes, des querelles, se sont déjà hautement manifestés. Le Conseil administratif s'y était présenté comme auditeur; Hassenpflug a tout de suite protesté contre sa présence, et, finalement, on a été obligé de clore cette séance à peine commencée. Il s'en est suivi aujourd'hui un échange de lettres, rien moins que polies, entre Brandebourg et Hassenpflug, mais point de séance; bref, l'Union a déjà disparu, dès l'essai de cette première séance.»

L'autre lettre est de lady Westmorland: «Les Princes ont eu d'abord une réunion entre eux chez le Duc de Cobourg, qui se donne beaucoup de mouvement, et qui voudrait être le chef des autres, ce qui offense déjà, et surtout, le Duc de Brunswick. Le Grand-Duc de Mecklembourg-Strelitz, représenté par son fils aîné, et l'Électeur de Hesse-Cassel, parlant pour lui-même et pour le Grand-Duc de Hesse-Darmstadt, ont déclaré ne pouvoir consentir à aucun acte tendant à former l'Union prussienne, avant que l'Assemblée réunie à Francfort n'eût décidé sur la grande question qui doit se traiter là. Tous les autres Princes se sont déclarés voués à l'Union et à la politique 433 prussienne, mais, même parmi ceux-ci, il n'y a rien moins qu'unité, chacun, en faisant la même profession de foi, voulant l'interpréter d'une façon différente. Les uns voulaient d'abord aborder la question politique dans la réponse qu'on devait faire au discours du Roi le lendemain matin, mais il a été décidé qu'on n'y répondrait que par des phrases de politesse. Hier, les Ministres des Princes ont eu leur première réunion pour discuter la marche à suivre. A leur grand étonnement, ils virent arriver M. de Radowitz et tous les membres du Verwaltungsrat [232]. Là-dessus, le Ministre de Hesse, qui est, comme vous savez, violemment opposé à toute tactique prussienne, s'est levé et a déclaré que ces Messieurs n'avaient aucun droit de se mêler aux discussions des Ministres des Princes, et qu'il serait impossible pour eux de discuter franchement en présence de ceux dont ils auraient probablement à blâmer les actes, et surtout de M. de Radowitz. Celui-ci doit alors avoir déclaré que c'était pour soutenir les amis de l'Union qu'il se trouvait là, et que, sans lui, il serait très possible que le Gouvernement prussien fléchit sous les attaques des Princes hostiles (beau compliment, comme vous voyez, pour M. de Brandebourg et son Cabinet). Là-dessus, grande confusion et interruption de la séance sans rien décider. Voilà le commencement du Congrès. Il y a quelques épisodes piquants. Le Duc d'Oldenbourg, et surtout son fils, sont d'une violence si exagérée dans le sens Radowitz, Gagern, etc., que le père a fait une sortie à la réunion 434 des Princes, que tous les autres ont trouvée par trop forte, et, le lendemain, le fils, se trouvant chez M. de Meyendorff, a débordé contre l'Autriche d'une manière si inconvenante que Meyendorff a dû lui faire une scène. Le Roi a été seul chez chacun des Princes à leur arrivée; il a écouté très patiemment tout ce que le Grand-Duc de Mecklembourg-Strelitz lui a dit, et, au grand étonnement de ce dernier, a répondu qu'il partageait complètement sa manière de voir, surtout en ce qu'on ne devait rien faire ici avant de connaître le résultat de l'Assemblée de Francfort. J'ai bien peur qu'il n'ait dit à chacun des autres Princes qu'il partageait leurs opinions. Au fond, ce n'est pas son opinion, quelle qu'elle puisse être, qui décidera de rien.»

Sagan, 15 mai 1850.—Des détails qu'on m'écrit sur Claremont coïncident identiquement avec ce que je savais déjà. Il n'y a rien de bon, ni d'à-propos à attendre d'une famille qui ne pardonnera jamais à la branche aînée d'avoir été sa victime, lorsque la cadette a usurpé les droits de l'orphelin légitime. La branche aînée, n'ayant rien à se reprocher à l'égard des d'Orléans, est bien plus conciliante, et plutôt prête à lui tendre la main que l'autre à lui présenter le petit doigt. Il n'y a que les grandes âmes ou les esprits d'une trempe vraiment supérieure, qui savent pardonner à ceux qu'ils ont offensés.

La fête de l'Opéra, à Berlin, paraît avoir été magnifique, mais, par un oubli inconcevable, au souper, on ne s'était pas souvenu de M. de Persigny. Il a quitté, en fureur, la salle de spectacle où les invitations avaient circulé. 435 Le lendemain, on lui a envoyé un aide de camp avec des excuses.

Le Prince de Prusse sera, avec le duc de Wellington, parrain du dernier fils de la Reine Victoria [233], il s'appellera Arthur-William-Patrick; ce dernier nom est une coquetterie irlandaise.

Il paraît que les deux Mecklembourg, les deux Hesse, le Grand-Duché de Bade et les trois Villes libres se retirent de l'Union. Il n'y avait rien de positivement déclaré, puisque la Conférence durait encore, mais ce bruit avait grande vraisemblance. Le Duc de Cobourg est, à ce sujet, dans une telle rage, qu'il disait tout haut qu'il voudrait étrangler de ses propres mains les récalcitrants. La question de la présence de Radowitz aux réunions a été terminée par le désir formel exprimé par le Roi de le voir assister aux Conférences, afin qu'il pût prêter à tous les Princes réunis l'avantage de ses talents.

Sagan, 16 mai 1850.—Voici ce qu'on m'écrit de Berlin à la date d'hier: «A une longue conférence, hier, les Princes ont plâtré une espèce de réconciliation, et les récalcitrants ont consenti à retirer leur sortie de l'Union, vu que tous ont résolu d'envoyer leurs Plénipotentiaires à Francfort sous certaines conditions. Ils ont aussi décidé de former un Gouvernement provisoire pour deux mois. Le parti de la majorité paraît très content d'avoir, de cette manière, évité une rupture qui lui aurait enlevé tant de 436 membres de l'Union. De l'autre côté, Prokesch est dans un état violent et déclare que l'Autriche ne consentira jamais aux conditions des Princes. Des esprits plus calmes croient, au contraire, que l'Autriche ferait bien de les laisser tous venir à Francfort, et de ne pas forcer une dissolution que la nature des choses doit amener d'elle-même. Les Princes, ayant donc à peu près terminé leur mission, partiront demain et après-demain, excepté le Duc de Meiningen qui reste pour les noces de son fils. Sir Henry Wym, le Ministre d'Angleterre à Copenhague, est arrivé ici pour se consulter avec lord Westmorland et Meyendorff sur les affaires de Danemark. Je ne doute pas qu'elles vont se terminer.»

Sagan, 23 mai 1850.—M. de Meyendorff m'écrit de Berlin, à la date d'avant-hier: «J'apprends à l'instant l'attentat commis sur le Roi, hier, et dont vous verrez les détails dans tous les journaux [234], mais voici un fait curieux, qui, comme de raison, ne sera dans aucun: le Roi a dit à quelqu'un de présent qui me le mande textuellement: «J'ai été prévenu de cette tentative; c'est une trame qui menace encore d'autres Souverains.»

Sagan, 25 mai 1850.—D'après les lettres que je reçois en masse de Berlin, je n'ai aucun doute (malgré le 437 soin inexplicable que met le Gouvernement, jusqu'ici, à représenter l'assassin comme un fou isolé), qu'il n'est, ni plus ni moins, qu'un émissaire de cette affreuse association de régicides, qui a son siège à Londres, et qui cherche des cerveaux brûlés qu'on arme en aveugles, et qu'on appelle the Blinds [235]. Le Gouvernement était prévenu. On dit qu'il y avait cinq de ces émissaires à Berlin. Meyendorff et Prokesch se sont précipités chez M. de Brandebourg et chez Manteuffel, les suppliant de profiter du miracle opéré par la Providence et de l'avertissement donné par elle, pour faire fermer les clubs, prendre des mesures d'urgence et jeter l'effroi dans les conciliabules; mais la faiblesse, la lâcheté sont à leur comble, et on ne songe qu'à sauver le criminel. On est justement alarmé pour Vienne et Varsovie [236].

Sagan, 29 mai 1850.—Le Roi va mieux, quoique son bras le fasse souffrir, mais on dit qu'il faut cela pour la guérison. La Reine est pâle comme une morte, douce comme un ange, et courageuse comme un lion. Il paraît que les indices sur les affiliations de l'assassin avec les sociétés démocratiques sont si nombreux et si évidents qu'on renonce, peu à peu, à le déclarer fou, et qu'on cherche à pénétrer plus sérieusement dans ces sanglantes ténèbres. La trame se manifeste de plus en plus. On croit en tenir plus d'un fil, mais nous ne sommes pas énergiques, 438 et nous n'avons pas le bonheur de l'à-propos. C'est bien Dieu, à lui seul, qui nous sauve, car assurément, nous ne l'aidons pas.

Les deux correspondants s'étant rencontrés ensuite à Baden-Baden, leurs lettres se trouvèrent interrompues jusqu'au mois d'août, où ils se séparèrent de nouveau. La Duchesse avait auprès d'elle, en revenant de ce voyage, sa dame de compagnie, Mlle de Bodelschwing, une Courlandaise qui lui était très dévouée et resta auprès d'elle jusqu'à sa mort.

Stuttgart, 4 août 1850.—Après avoir quitté le débarcadère de Carlsruhe ce matin, j'ai dormi dans ma voiture jusqu'à Pforzheim, entr'ouvrant quelquefois le coin de l'œil pour admirer ce gracieux pays, mais les refermant aussitôt. Je suis arrivée ici, à cinq heures, par de fraîches et riantes vallées. Je suis allée, en voiture découverte, visiter le monument de Schiller, qui m'a plu, et, par le superbe parc attenant au Château, nous sommes montées au petit palais de Rosenstein dont la situation, la vue sont charmantes, mais le Palais est bien peu de chose, les tableaux, les statues sont médiocres, les proportions mesquines. Nous sommes revenues par Canstadt, où nous avons été à la fontaine minérale goûter une eau qui m'a semblé détestable. Tous ces environs sont très jolis, et bien au-dessus, ce me semble, du modeste Carlsruhe. On ne nous a pas permis de voir la Wilhelma, jardin et palais mauresque, créés par le Roi actuel. En longeant le mur de clôture, j'ai pu saisir des glimpses [237] qui m'ont consolée de n'en point franchir le seuil.

439 Ulm, 5 août 1850.—Ce matin, avant de quitter la capitale de Würtemberg, j'ai visité l'église chapitrale, intéressante par les tombeaux des premiers comtes de Würtemberg, puis le château, dont on ne montre que la partie destinée aux réceptions. Nous avons visité les écuries, le manège royal, où on dressait des chevaux arabes charmants, arrivés dernièrement de leur brûlante patrie; ils pouvaient s'y croire encore, tant il fait chaud. Je suis arrivée toute rôtie à la villa du Prince Royal; c'est inachevé, mais cela sera charmant, dans le plus beau style de la Renaissance, situé à merveille, des vues admirables, mais aucun ombrage, un jardin mal planté, et, tout autour, une aridité désolante. Nous avons vu arriver un piqueur du Roi nous apportant une permission écrite, non sollicitée, pour voir la Wilhelma. Nous nous y sommes rendues. Il y a un bain mauresque et des serres pour les plantes des Tropiques qui m'ont plu. Le jardin laisse à désirer. En tout, les jardiniers de Stuttgart ne me paraissent pas très habiles. Le chemin de fer nous a ensuite conduites ici par un pays fécond, accidenté, arrosé, boisé, charmant, plein de ruines, d'églises et de villages. Nous sommes tombées ici dans le Sänger-Verein [238], composé de treize cents chanteurs qui encombraient le chemin de fer, ainsi que les petites rues tortueuses de la vieille cité d'Ulm. Nous avons visité ici la Cathédrale, qui est très imposante, l'Hôtel de ville et une fontaine gothique, qui ont de l'intérêt.

440 Augsbourg, 7 août 1850.—En arrivant ici, hier, je n'ai vu de la ville que ce qu'on en traverse; elle m'a semblé assez curieuse, par son ancien cachet de vieille ville impériale: des fontaines en bronze fort belles, des vestiges romains, la prison, la chapelle, le lieu du supplice de saint Affre. Dans l'auberge où je suis, les trois Maures, la plus ancienne de toute l'Allemagne, on est sur terrain historique. La chapelle dans laquelle Charles-Quint a entendu la messe, la cheminée dans laquelle le riche tisserand Fugger a brûlé les quittances impériales, enfin, tout ce que ma tête, abîmée par la chaleur, a pu saisir, je l'ai vu.

Münich, 8 août 1850.—Je suis arrivée hier après-midi. J'ai visité l'église Saint-Louis, qui m'a rappelé une des chapelles latérales de Saint-Pierre de Rome. La place avec les statues de Tilly et de Wrède, la rue Saint-Louis avec tous ses édifices, le jardin du Château entouré d'arcades peintes à fresques, ont employé le reste de la journée. Aujourd'hui, dès neuf heures du matin, nous nous sommes mises en campagne, et pour début, nous avons été à la Frauenkirche où nous avons entendu la messe, dont le son était venu dans ma chambre, et que l'orgue, avec ses beaux accords, rendait irrésistible. De là, vite à la galerie Leuchtenberg, qui ne s'ouvre qu'à de certaines heures et à de certains jours. Je n'y ai été séduite que par un portrait plein d'expression de la Laure de Pétrarque peint par le Bronzino. Elle est représentée sur le retour, en costume austère de veuve, avec les traits nobles, un peu pointus, des yeux intelligents, ouverts, limpides. 441 Puis, m'est apparu un admirable tableau de Murillo, représentant un moine à genoux devant un ange, qui lui ordonne de recevoir la mitre d'Evêque. C'est d'une composition, d'une couleur, d'un dessin merveilleux, et pour moi, qui ai toujours eu une grande préférence pour Murillo, j'ai joui de cette nouvelle confirmation de mon goût. Du palais Leuchtenberg, j'ai été ensuite à la Basilique; j'ai été frappée de la beauté des fresques, de la richesse des marbres, de la perfection des matériaux et du travail. Cette Basilique n'est point encore consacrée; le couvent destiné aux Bénédictins, que le Roi Louis a fait construire, et qui se joint par la crypte à la Basilique, est tout prêt à recevoir les religieux, mais n'est point encore habité. Les fonds ont tous été emportés par l'indigne Lola Montès. En revenant, j'ai voulu revoir l'église de Saint-Louis, le charmant Chemin de la Croix avec ses quatorze stations, marquées chacune par une fresque pleine de sentiments religieux. Ce Chemin de la Croix en plein air me plaît; je le préfère beaucoup à ceux qu'on applique dans l'intérieur des églises, et par lesquels on rompt désagréablement pilastres et colonnes. J'ai été charmée de retrouver ici des églises (les nouvelles du moins) sans chaises comme en France, sans bancs comme en Prusse. Les églises d'Italie voient les fidèles prosternés sur les dalles nues, ce qui est plus humble, plus pittoresque, et infiniment plus favorable à l'effet architectural. Avant de rentrer, j'ai vu l'Église des Théatins, paroisse de la Cour, dont le rococo est si riche qu'il atteint une certaine beauté; puis l'église de Saint-Michel, 442 très laide et ornée, on déshonorée par d'horribles friperies, mais où le monument funèbre du Prince Eugène de Leuchtenberg [239] par Thorwaldsen m'a intéressée. Voilà ce qui s'appelle avoir bien rempli sa journée.

Münich, 10 août 1850.—J'ai continué hier à explorer les curiosités de Münich. J'ai été visiter le Trésor, les grands appartements du Château, la Salle des Beautés qui ne sont guère belles et qui ont surtout l'air d'être tirées du Journal des Modes. Les belles statues de Schwanthaler dans la Salle du Trône m'ont fait grand plaisir. J'ai été, du Château, visiter la Taverne des Artistes; ils s'y réunissent tous les soirs, pour y trinquer et y deviser ensemble sur l'art et les inspirations de leur génie; cette taverne, ils se la sont arrangée dans un style à part, qui rappelle les corporations du quinzième siècle; chaque artiste a contribué, par son talent, à la décoration de ce local, qui est dans de petites proportions, mais dont l'aspect est fort original; les gobelets, avec les noms et les signes de chacun, y sont rangés en bon ordre avec des ornements moulés et modelés sur leurs dessins; les noms de Cornélius, Kaulbach, Schwanthaler, etc., se lisent sur plus d'un objet. C'est vraiment fort intéressant. J'ai été aussi visiter le potier et le ferblantier qui fabriquent les cruches et gobelets à bière fameux en Bavière; les formes les plus originales s'y rencontrent, il y en a de gracieuses, il y en a de burlesques. La Chapelle dédiée à 443 tous les Saints, attenante au Château, n'a pas passé inaperçue; elle est belle, riche, noble, un peu orientale, et semble avoir été construite et ornée sous l'inspiration de Saint-Marc de Venise. Nous nous sommes ensuite fait conduire en calèche hors la ville, sur la October-Wiese, au milieu de laquelle s'élève le grand monument de la Bavaria, statue colossale en bronze par Schwanthaler, entourée de trois côtés par une magnifique colonnade en marbre, que la statue domine de trente pieds. Les échafaudages ne sont pas encore enlevés, mais ce qu'on en voit est gigantesque. Le temps étant beau, nous avons poussé deux lieues plus loin, du côté où l'Isar s'échappe des montagnes pour arroser la plaine de Münich. Un joli bois nous a conduites au pied d'un castel gothique, que Schwanthaler venait d'achever quand la mort est venue l'abriter mieux encore.

Aujourd'hui la Glyptothèque, la Bibliothèque et le charmant palais des Wittelsbach [240] (résidence d'hiver du Roi Louis et de la Reine Thérèse, qui n'a été étrennée que l'hiver dernier) ont eu notre visite. Nous voulons encore aller à la Pynacothèque, à l'atelier de Schwanthaler que son cousin conserve avec scrupule, et qu'on dit intéressant. Ce soir, j'irai entendre un bout de la Norma, puis Münich sera clos pour moi. Mon attente a été surpassée, ma curiosité satisfaite, et ma personne fatiguée.

Salzburg, 16 août 1850.—Je suis arrivée avant-hier 444 ici, en traversant le plus beau pays, le plus fertile, le plus pittoresque, par un temps charmant. Je vais m'enfoncer davantage dans les montagnes qui renferment Ischl. J'ai vu la Cathédrale, le Nonnenberg, avec sa vieille église et son noble couvent, la forteresse sur son inaccessible rocher, les salles qu'on y restaure. J'ai été visiter Aigen, où le cardinal Schwarzenberg aimait à se reposer, et dont il ne s'est séparé qu'il y a dix jours, non sans d'amers regrets. J'ai vu le château de Mirabelle, celui de Heilbrunn, l'élégant et curieux Anif, et enfin le cimetière de Saint-Pierre, qui a un caractère si original.

Ischl, 17 août 1850.—La station que je fais ici ne me plaît pas trop. Ce n'est pas que le lieu ne m'ait paru joli en arrivant, que l'air de ses montagnes élevées et abritées si bien du nord ne doit être excellent, mais Ischl est plein de monde, et malheureusement du monde de connaissance, de ce genre de monde qui oblige.

On me mande de Paris qu'il y a un flot de légitimistes qui se rendent à Wiesbaden pour y voir le Comte de Chambord, et entre autres M. de La Ferté, gendre de M. Molé, qui y aurait été spécialement mandé par le Prince.

J'ai vu Louise Schœnbourg, beaucoup plus calme sur la politique, plus équitable pour son frère Félix Schwarzenberg, mais craignant que le Ministre Bach ne soit un traître qui creuse un précipice sous les pieds de son frère. Ce Ministre Bach est du reste l'objet de l'exécration, d'abord des grands seigneurs autrichiens, mais aussi de tous les 445 propriétaires, à quelque catégorie qu'ils appartiennent. La comtesse Schœnbourg, grande-maîtresse de l'Archiduchesse Sophie, est venue m'apporter l'invitation de dîner demain chez Son Altesse Impériale. Comme c'est le jour de naissance de l'Empereur, il y aura dîner de famille, et je les verrai tous, ou à peu près tous réunis.

Ischl, 19 août 1850.—On m'écrit de Berlin qu'on a eu à Potsdam les attentions les plus flatteuses, les égards les plus marqués pour M. le Duc de Bordeaux, dont chacun aussi est resté très enchanté [241]. Le général Haynau a partagé avec Mlle Rachel la curiosité du public [242]; le général enviait les applaudissements de l'actrice; on dit que cette concurrence a offert des scènes assez comiques. On s'est, du reste, lassé bien plus vite de la vanité militaire que de celle des coulisses.

Au dîner, hier, chez l'Archiduchesse, excepté la Famille Impériale et le service obligé, il n'y avait que moi. Le 446 jeune Empereur a une tournure très élégante; son frère Max, mon voisin à table, est très causant, spirituel et agréable; tous les vieux Archiducs très polis; l'Archiduchesse Sophie, comme toujours, extrêmement attrayante et agréable. On a bu à la santé de l'Empereur, on a tiré le canon, la musique militaire a joué l'air national, qui a été aussitôt entonné par la population assemblée sous le balcon. A la nuit, la cime des montagnes et la ville se sont illuminées des feux de réjouissance; c'était d'un effet charmant.

Ischl, 21 août 1850.—Je reviens d'Aussée où l'établissement de la famille de Binzer et de Zedlitz est une véritable idylle; beau site, fraîches prairies, lac pittoresque, ombrages touffus, maison élégante, simple, commode sous forme rustique. La mère, les filles conduisent un petit domaine rural que le père cultive lui-même, tandis que Zedlitz fait des vers, que l'armée d'Italie et celle de Hongrie lui envoient des adresses et des vases d'or. Un fils dessine à ravir, deux de ses amis sculptent et peignent, le tout pour embellir cette agreste demeure, sur les murs de laquelle des fresques fort gracieuses rappellent les scènes principales des poèmes de Zedlitz. Le soir, jeunes et vieux naviguent sur le lac en chantant des tyroliennes, des ballades allemandes, des romances françaises, des boléros espagnols. Tout cela est enfermé dans une vallée d'un accès difficile où les échos du monde arrivent fort affaiblis. C'est un rêve, ou pour mieux dire, une fiction dans le domaine de la réalité.

447 Vienne, 23 août 1850.—Je suis arrivée il y a deux heures ici, à la lettre rôtie et accablée par douze heures de bateau à vapeur, par une chaleur africaine. Il y avait foule sur le petit navire; c'était à ne pas y tenir, et quoique par moments les bords du Danube soient pittoresques et bien meublés, je ne leur trouve pas l'intérêt des bords du Rhin entre Mayence et Cologne.

Vienne, 25 août 1850.—Le chapitre des folies humaines est interminable. Voici le Roi de Danemark qui y ajoute un drôle d'alinéa par son ignoble mariage morganatique; hier, le télégraphe a apporté ici la nouvelle de son abdication [243].

J'ai reçu force lettres aujourd'hui de tous les côtés: de Mme de La Redorte, des Pyrénées, où elle me semble prendre l'ennui pour de la tristesse; c'est cependant bien différent. Mme Mollien m'écrit de Claremont qu'elle va bientôt retourner en France; elle me paraît croire à une assez prompte fin de Louis-Philippe; il est à bout de lui-même. On voulait le faire aller à Richmond; la Duchesse d'Aumale a fait une fausse couche, ce qui a retardé le déplacement. Il paraît que déjà chaque membre de la famille se demande ce qu'il aura à faire; quelle route on aura à suivre, quel parti à prendre lors de la disparition 448 de ce vieux chef, devenu, dit-on, d'une irritabilité que sa faiblesse physique seule égale. Triste fin d'une carrière pleine de contrastes, sur l'ensemble de laquelle l'histoire prononcera probablement un arrêt sévère. Quand on prend la place d'un orphelin, encore faut-il savoir s'y maintenir, ou périr en la défendant. La Reine Marie-Amélie est, dit-on, plus sainte, plus forte, plus résignée, plus admirable que jamais.

Ici, on parle peu politique. La révolution même n'y a pas tué un certain commérage frivole, qui ne manque pas d'une certaine grâce quand on n'en use pas trop longtemps. Cependant, on est assez satisfait de la vigueur inusitée que le Cabinet de Dresde déploie depuis quelques semaines, et qu'on reporte au Ministre comte de Beust, qui procède fort énergiquement, et qui vient d'un coup d'expulser vingt professeurs gangrenés de l'université de Leipzig [244].

J'ai visité hier le palais Lichtenstein, si fabuleux pour sa magnificence. Je trouve cependant que, quels que soient les revenus, mettre 80 000 florins à un seul lustre est impardonnable. Il y a cependant bien plus à admirer qu'à blâmer dans cette belle création du luxe moderne.

Vienne, 31 août 1850.—Il se répand ici que le Roi Louis-Philippe est mort. Je n'ai point appris encore si 449 cette nouvelle est fondée ou non [245]. Vienne, malgré les catastrophes des dernières années, est singulièrement peu entrée dans la vie politique, et le Prater, et le spectacle et le commérage y dominent, à peu près comme par le passé. J'ai été revoir Saint-Étienne, qui me fait toujours une grande impression; j'ai été aussi faire une petite station à la gracieuse et singulière église de Maria-Steig, attenante au couvent des Ligoriens, dont la Révolution de 1848 les a chassés.

Sagan, 5 septembre 1850.—J'ai fait une tournée par Dornbach, qui appartient à la princesse Lory Schwarzenberg, Felsberg et Eisgrub aux Lichtenstein. La princesse Lory Schwarzenberg fait fort agréablement les honneurs de son élégante villa, dont la situation et la vue sont charmantes. Felsberg est un établissement d'hiver, clos, chaud, abrité, un peu triste; il y a beaucoup de place, mais les proportions des pièces ne sont pas bonnes, le jardin insignifiant; il y a une belle chapelle, une jolie salle de spectacle, beaucoup de portraits de famille, quelques vieux meubles de formes et de dates curieuses. L'appartement surtout du Prince Eugène de Savoie, qu'il habitait lorsqu'il venait chasser chez son ami, le prince Lichtenstein, voilà ce qui m'a le plus frappée. Eisgrub est élégant, soigné, gai, avec un grand parc qui se perd dans les bois, dans une contrée couverte d'étangs, peuplée de gibier de toute espèce. Les haras, les écuries, le manège, tout est soigné à l'anglaise.

450 Il a failli nous arriver un gros accident sur le chemin de fer. Il faisait obscur; un cheval de paysan s'était échappé, et couché en travers des rails; le train lancé a passé par-dessus, écrasé l'animal; il en est résulté un tel choc que dans notre wagon, nous avons été jetés d'un côté à l'autre de notre cage. Il a fallu s'arrêter, chercher des secours, mais enfin nous nous en sommes tirés sans autre catastrophe, sauf la peur qui a été grande.

Sagan, 12 septembre 1850.—Je suis bien aise pour Mme la Duchesse d'Orléans que les gazettes aient menti une fois de plus, en disant qu'elle avait mandé Thiers auprès d'elle.

Les journaux racontent une scène hideuse, qui serait arrivée à Londres contre le général Haynau, et qui ne cadre guère avec l'hospitalité tant vantée de la grande Albion [246].

Sagan, 16 septembre 1850.—Je viens de recevoir une lettre de M. de Salvandy, du 10, datée de la Haye. Il m'annonce qu'il se rend en mission de Londres à Frohsdorff. D'après sa lettre, je dois croire qu'il est assez avancé dans la négociation, dont il paraît s'être officieusement ou officiellement chargé, je ne puis trop, dans une rédaction entortillée, déchiffrer lequel des deux.

451 La Reine des Belges se meurt [247]. Pauvre Reine Marie-Amélie, vraie mère de douleur!

Berlin, 15 octobre 1850.—Politiquement, l'horizon berlinois n'est pas éclairci, seulement les choses en sont venues à un point si critique que, nécessairement, il faut que d'ici à bien peu de semaines les nuages se dissipent, soit par un rayon de soleil partant de Varsovie [248], soit par la détonation des bouches à feu. Tout se décidera au pied de l'Autocrate. M. de Brandebourg s'y rend demain; il y conduit sa femme, amie d'enfance de l'Impératrice, avec laquelle elle est restée liée. On compte ici beaucoup sur les effusions et émotions féminines, auxquelles le cœur marital de l'Empereur n'est pas insensible. Le prince Schwarzenberg arrive le 20 à Varsovie, l'Empereur d'Autriche y sera deux jours après. Ici, le Corps diplomatique est satisfait de voir Radowitz au Ministère, parce que son rôle derrière les coulisses lui paraissait plus fatal encore. On croit qu'il reculera devant 452 la responsabilité officielle de ses actes; on espère qu'il sera effrayé du compte rendu qu'il devra aux Chambres. En tout cas, on saura plus tôt et plus nettement à quoi s'en tenir, et tout semble valoir mieux que l'état de suspension dans lequel l'Allemagne s'use en tous sens.

Sagan, 22 octobre 1850.—Mme Mollien me mande que la sainte Reine Marie-Amélie, après la mort de sa fille, a dit: «Je ne suis plus en ce monde que pour envoyer des âmes à Dieu.» Elle ne s'occupe plus du tout d'elle-même, le plus ou moins de malheurs ne lui fait rien; elle ne songe uniquement qu'à consoler, à encourager et à fortifier ceux qui l'entourent. C'est vraiment une sainte.

Humboldt me mande qu'il a vu Salvandy un moment, ravi de Frohsdorff et irrité contre Claremont.

Sagan, 26 octobre 1850.—Tant que durera la réunion de Varsovie, on ne pourra pas se faire une idée bien nette de ce qui s'y résoudra. On y a extrêmement fêté Brandebourg et Paskéwitch.

Le général Changarnier est, je crois, depuis longtemps tout voué à Mme la Duchesse d'Orléans. Elle a mis, dès les premiers jours de son exil, un soin particulier à le gagner par une correspondance adressée à une tierce personne, mais dédiée au général, qui la lisait régulièrement. La Princesse a réussi ainsi à le captiver, et on peut tenir pour certain qu'il est orléaniste pur. Les succès de Salvandy à Claremont et à Frohsdorff ne signifient rien, tant que Mme la Duchesse d'Orléans ne se soumet pas sincèrement 453 à la fusion; tant qu'elle pourra s'appuyer sur Thiers et qu'elle croira pouvoir compter sur Changarnier, elle se tiendra à part, malgré la mort de la Reine des Belges qui lui enlève son principal appui dans sa famille. J'ai eu l'honneur de lui adresser par écrit mon compliment de condoléance sur cette perte. Elle l'affecte bien plus que celle de son beau-père, qui, au fait, ne lui a rien fait du tout. Dans le fond, je suis presque tentée de croire que la Reine Marie-Amélie elle-même est bien plus navrée encore de la perte de sa fille que de celle de son époux, dont elle devait être bien souvent embarrassée depuis le 24 février 1848.

Sagan, 4 novembre 1850.—Les gazettes d'hier nous donnent une nouvelle importante: la démission, offerte et acceptée, de Radowitz, après un long Conseil tenu à la suite des échos de Varsovie. Cette retraite met le vent à la paix; Dieu veuille qu'il y reste! Si Radowitz, Bunsen et Arnim le boiteux, étaient restés hors du Conseil du Roi, on aurait évité bien des fautes et des calamités. Je crains toujours Bunsen, qui, réuni à lord Palmerston, ne peut être que mischievous [249].

Sagan, 6 novembre 1850.—Nous sommes ici battus par une tempête qui, depuis plusieurs jours, menace de nous jeter à bas. A Berlin, ce sont d'autres orages qui mettent chacun en émoi: la retraite de Radowitz, que je 454 ne regarde point encore, hélas! comme positive; la maladie grave, peut-être mortelle de Brandebourg, la retraite de Ladenberg, l'appel de Bernstorff, l'humeur du Prince de Prusse, l'agitation du Roi, le manque d'équilibre dans toutes les directions, les Chambres s'assemblant le 21, tout cela, avec les armements qui continuent, ici et en Autriche, en voilà beaucoup à la fois; tous les esprits en sont atterrés ou en fièvre.

Sagan, 8 novembre 1850.—On passe ici de fort mauvais jours. Au moment où le comte de Brandebourg faisait prévaloir les voies pacifiques, il tombe malade et meurt. Radowitz va, à la vérité, à Erfurt, mais Ladenberg rentre au Conseil, et l'ordre de mettre tout sur le pied de guerre se publie. Le chemin de fer prussien de Kosel a ordre de ne plus servir à conduire les troupes autrichiennes de Cracovie à Troppau. Bernstorff, qu'on avait appelé à Berlin pour y remplacer Radowitz, reçoit l'ordre de ne pas venir, et Erfurt est bien près de Sans-Souci! A Dresde, il y a joie de la probabilité de guerre, car on y espère reconquérir les parties saxonnes démembrées en 1814 au profit de la Prusse. La Silésie sera la première province envahie par les Autrichiens ou occupée par les Cosaques. Le comte de Brandebourg est mort des suites des agitations des deux dernières années, des scènes très vives qu'il a eu à subir à Varsovie, de la discussion très orageuse qui s'est passée au Conseil lors de son retour, et enfin d'un refroidissement qui a suivi cette bourrasque, vu, qu'ayant été réveillé la nuit par une dépêche importante, il s'est levé pour y 455 répondre; le frisson l'a pris aussitôt; une fièvre gastrique, nerveuse, mêlée de goutte, l'a emporté; l'émétique a été donné et une saignée a été faite mal à propos, dit-on; c'est possible, mais les médecins ne me paraissent être que les agents de la Providence; ils guérissent ou ils tuent, selon que la tâche du malade est plus ou moins remplie. Cette mort enlève au Roi un de ses serviteurs les plus honnêtes, les plus désintéressés. Il y a une fatalité visible dans tout ce qui se passe ici, qui jette l'effroi et la consternation dans tous les esprits.

Sagan, 11 novembre 1850.—Chaque heure nous rapproche d'une solution sanglante. On croyait toucher à la paix, et voilà que, tout à coup, l'armée est mise sur pied de guerre; toute la landwehr est appelée sous les drapeaux, ce qui jette la plus grande perturbation dans l'administration civile, dans l'agriculture, dans l'industrie, et frappe chacun dans sa vie privée. Plusieurs de mes employés, de mes domestiques, de mes gardes forestiers sont obligés de marcher. Les chevaux sont requis, mon écurie est, à cette heure même, décimée. On écrit de Berlin que la guerre n'est pas encore inévitable, mais chaque heure la rend plus probable. Et pourquoi, grand Dieu? Parce qu'à force de bravades, de gasconnades et de mauvaises ruses, on s'est enfin pris dans ses propres filets. La semaine ne se terminera pas sans une solution définitive. Dieu veuille faire souffler un vent pacifique sur ces parages!

456 Sagan, 13 novembre 1850.—Voilà que le premier choc entre les Prussiens et les Austro-Bavarois a eu lieu, auprès de Fulda [250]. La gazette officielle ou ministérielle, Die Deutsche Reform, qui paraît deux fois par jour à Berlin, m'a apporté hier cette nouvelle, ajoutant que ce sont les Prussiens qui avaient tiré les premiers, que les Autrichiens n'avaient pas même leurs armes chargées, aussi que plusieurs avaient été blessés sans se défendre; que le tout reposait sur un malentendu, qu'après cette escarmouche, le général prussien de Grœben s'était replié en deçà de Fulda. Le tout est précédé d'un leading article plutôt pacifique. En attendant, il paraît que Bernstorff s'est, à la vérité, rendu à Berlin, mais uniquement pour refuser la tâche ministérielle qu'on lui destinait. Le tohu-bohu est complet. Depuis que les fanfares guerrières sonnent, chacun est absorbé par les pensées, les prévisions, les arrangements qu'une pareille préoccupation fait naître. Je suis cependant décidée à ne point bouger d'ici; je crois qu'abandonner ses foyers au jour du danger est une mauvaise mesure, dont on a presque toujours motif de se repentir.

Sagan, 15 novembre 1850.—Mon beau-frère est revenu hier de Berlin, où il avait laissé tout le monde à la paix. Le Roi avait fait chercher le Ministre d'Autriche. 457 L'explication a été longue, vive d'abord, douce ensuite; on s'est quitté réciproquement satisfait. Dieu veuille que de cet éclaircissement il ne résulte que du bien, et que de nouveaux nuages ne viennent pas troubler l'horizon. Radowitz a tellement monté le Prince de Prusse que celui-ci, dans le Conseil tenu au retour du comte de Brandebourg, de Varsovie, dans lequel il avait prêché la paix, l'a accusé, en termes violents, de perfidie envers sa patrie. Le pauvre Comte a été tellement sensible à ce reproche qu'on croit généralement qu'il en est mort. Tant il y a que, dans son délire, cette scène lui revenait sans cesse et lui causait la plus grande agitation. Cela fait souvenir de la scène que le Dauphin fit au maréchal Marmont à Saint-Cloud au mois de juillet 1830.

L'Autriche consent à ne regarder l'échauffourée près de Fulda que comme un simple hasard, à n'y attacher aucune idée de préméditation. De part et d'autre, il semble qu'on veuille entrer dans une voie pacifique et que l'Autriche a le bon sens de se prêter à tout ce qui mettra l'amour-propre prussien à l'abri, dans cette reculade obligée. Les Autrichiens sont décidés à envoyer vingt-cinq mille hommes en Holstein-Schleswig pour en finir. Le point le plus ardu entre Vienne et Berlin, c'est le Hanovre, c'est-à-dire que l'Autriche veut que le Hanovre donne passage à ses troupes, et qu'à Berlin on ne veut pas que le Hanovre l'accorde. Je crois qu'il ne reste plus que ce point-là qui pourrait rejeter dans les angoisses de la guerre.

Je suis bien curieuse de l'impression que vous aura faite 458 Mme Swetchine [251]. Elle est vieille, laide, spirituelle, instruite, aimable, insinuante, fort propre au métier qu'elle fait depuis trente ans. Je suis toujours étonnée que les vrais dévots, qui devraient, ce me semble, n'en avoir jamais fini avec leur propre conscience, trouvent tant de loisirs pour s'évertuer sur celle des autres.

Sagan, 18 novembre 1850.—Les chances sont pour la paix depuis plusieurs jours; il paraît que les Conférences qui doivent régler le sort de l'Allemagne s'ouvriront au 1er décembre à Dresde, et que c'est la Russie qui se charge de la garantie que réclament simultanément l'Autriche et la Prusse, que le désarmement effectué par l'une de ces puissances se fera en même temps que celui de l'autre [252]. Néanmoins, il ne faut pas renier absolument toute possibilité de guerre. Ainsi, l'élément démocratique, assez vivace dans les Chambres qui s'ouvrent le 21, les ambitions personnelles de gens qui n'appartiennent pas à ce parti, mais qui ont la niaiserie de croire qu'en hurlant la guerre avec lui, ils sauront après le museler; les haines personnelles, les vanités ridicules, les patriotes niaisement amoureux de la gloire et de ce qu'on appelle, fort mal à propos, l'honneur national, tout cela est en jeu, et Manteuffel est tout seul pour soutenir la lutte. On l'accuse déjà d'être vendu à la Russie, à l'Autriche! 459 Peut-être les forces militaires que la France, d'après les gazettes, envoie sur les bords du Rhin donneront à réfléchir.

Sagan, 29 novembre 1850.—Le Ministre Manteuffel a quitté Berlin hier, pour avoir à la frontière (à Oderberg) un rendez-vous avec le prince Schwarzenberg [253]. Il est à supposer que cette entrevue aura une issue pacifique. On disait aussi que les Chambres seraient prorogées. Quelque solution qui puisse arriver, il faut que chacun s'y prépare.

Sagan, 1er décembre 1850.—Tous les chemins de fer sont envahis par des transports de troupes; et cependant, malgré ce bousculis militaire qui va en augmentant, on parie encore pour la paix. Le baron de Manteuffel a passé, il y a peu d'heures près d'ici, par un train extraordinaire, retournant à Berlin. C'est dans ce wagon que roulent nos destinées [254]. M. de Meyendorff était présent à l'entrevue; sa présence aura sans doute été d'un grand poids, et d'un poids utile dans la balance. On vient aussi de me dire que l'Électeur de Hesse aide à la simplification, en déclarant ne vouloir plus de secours autrichiens, ni prussiens, 460 se croyant capable de soumettre, avec ses propres forces, ses sujets.

La cour du château est toute pleine de caissons, de chariots, de chevaux; le château est rempli d'officiers supérieurs, les communs de soldats; c'est un tohu-bohu incessant; les tambours battent, les trompettes sonnent, et cependant, tout cela n'est peut-être qu'une parade militaire, en définitive ridicule et onéreuse!

Sagan, 3 décembre 1850.—Les lettres et les journaux de France nous manquent depuis plusieurs jours, ce qui est dû, sans doute, aux mouvements des troupes, qui envahissent, retardent, désorganisent toute régularité et sûreté dans les chemins de fer. Ce dérangement dans les communications écrites est une des disgrâces les plus sensibles pour moi, dans ce moment, qui, à tous égards, est bien sérieux, car ma maison vient d'être le théâtre d'une tragédie. Un des officiers supérieurs, homme de mérite, estimé dans l'armée, riche, considéré, après un dégoût dans le service, s'est brûlé la cervelle. Quelques heures avant, il avait dîné chez moi et rien n'annonçait une aussi fatale résolution. Il a laissé un écrit dans lequel il explique les motifs de cette action, et prend les différents arrangements qu'il désire. Il m'y offre l'hommage de sa reconnaissance pour mon bienveillant accueil et demande pardon de l'acte qu'il va commettre sous mon toit hospitalier. Cet événement nous a tous saisis. On vient d'enterrer ce pauvre homme. Toute la troupe le regrette. Les obsèques, quoique sans honneurs militaires à cause 461 du suicide, ont été honorées par les larmes de tous ceux qui avaient servi avec et sous le défunt.

Nous saurons aujourd'hui comment les Chambres auront accueilli l'arrangement combiné entre Manteuffel et Schwarzenberg; elles ont dû s'en occuper hier. Les dispositions étaient orageuses, hostiles, et, en tout cas, le combat aura été vif. M. de Ladenberg avait offert sa démission, ne voulant de la paix à aucun prix. Si les Chambres se montrent trop ingouvernables, aura-t-on le courage de les dissoudre et d'user librement du droit de paix et de guerre que la Constitution assure au Roi? Ou bien fléchira-t-on devant les hurlements de la démocratie et de ses dupes, qui remplissent les Chambres prussiennes? That is the question. On peut parier avec autant de vraisemblance pour ou contre, tant il y a peu à compter sur une marche suivie, franche, conséquente, là où les résolutions définitives se prennent.

J'ai reçu une lettre de Potsdam, en date du 30 novembre, dont voici l'extrait: «Notre excellent Souverain a porté l'empreinte de la tristesse, pendant les jours de la maladie et de la mort du comte de Brandebourg, pendant la chute de Radowitz, pendant les vives discussions avec le Prince de Prusse, pendant la résolution de mobiliser l'armée. Il a montré un éloignement violent contre le parti Gerlach [255] et contre M. de Manteuffel, et une irritation des menaces insultantes de la Russie d'occuper 462 les provinces de l'Est, comme on occupe la Hesse. Puis, après de fort cruels débats intérieurs, la sérénité du Roi est revenue en regard des idées d'arrangements pacifiques, retour presque affectueux vers M. de Manteuffel; résolution prise de l'envoyer s'aboucher avec le prince de Schwarzenberg. Le Roi espère conserver la paix.»

Je reçois, en outre, une autre lettre qui me dit ceci: «La Cour de Russie a notifié officiellement aux autres Cours sa stricte neutralité dans les affaires purement allemandes, ce qui ne s'applique pas à l'affaire du Holstein. A ce sujet, elle a fait cette réserve que, si une Puissance prétendait empêcher le passage des troupes fédérales, elle s'opposerait, à main armée, à une telle prétention. Les Cabinets de Londres et de Paris ont reconnu les mêmes droits au Danemark, et se sont engagés à laisser faire la Russie. Le Roi de Danemark a demandé à l'Empereur Nicolas douze mille hommes; l'Empereur a répondu qu'il lui en enverrait cent vingt mille.»

Sagan, 5 décembre 1850.—Voici quelques détails qui me sont mandés de bonne source: le baron de Manteuffel est arrivé le jeudi 28 novembre, à cinq heures du soir, à Olmütz. La conférence entre lui et le prince Schwarzenberg commença aussitôt; elle dura jusqu'à minuit et demi. Cette première conversation n'avait conduit à aucun résultat et Manteuffel avait déclaré son intention de partir une heure après, par le train de nuit. Le prince Schwarzenberg ne fit pas le plus léger essai pour le retenir; au contraire, il sonna et donna ordre qu'on préparât les voitures pour 463 reconduire le Baron au débarcadère. Ce fut alors que M. de Meyendorff s'interposa, en sollicitant des deux champions diplomatiques la tentative d'une nouvelle entrevue pour le lendemain. Schwarzenberg et Manteuffel y consentirent, et le lendemain la conférence s'ouvrit à 9 heures du matin et se prolongea jusqu'à 5 heures du soir. Le premier, qui, la veille au soir, avait parlé sans ménagement aucun de la politique équivoque de la Prusse, à tel point que M. de Manteuffel se vit obligé de lui déclarer qu'il ne pouvait continuer à entendre un tel langage, se montra infiniment plus mesuré et plus accessible le lendemain matin, et enfin la conférence conduisit au résultat suivant: la Prusse occupera en Hesse sa route d'étapes militaires, tout en permettant aux troupes autrichiennes de l'employer pour la pacification du pays; Cassel aura une garnison mi-partie autrichienne, mi-partie prussienne; les affaires intérieures de la Hesse seront réglées par deux commissaires, l'un nommé par la Prusse, l'autre par l'Autriche. La question du Schleswig sera également traitée par deux commissaires de chacune des grandes Puissances; le Danemark et le Holstein seront requis de diminuer leurs forces militaires des deux tiers. Si, pour obtenir ce résultat, il était nécessaire de mettre en mouvement une force armée, l'Autriche déclare se désintéresser de la question de savoir quelle sera la Puissance chargée de cette opération; elle laisserait la Prusse s'en occuper seule, ou en charger une des autres Puissances de la Confédération germanique. Quant aux intérêts généraux de l'Allemagne, ils devront se traiter dans des conférences libres tenues à Dresde. Le 464 prince Schwarzenberg ne s'est pas expliqué clairement sur les bases d'après lesquelles il entendrait que ces intérêts fussent fixés, mais il a consenti à ce que, pendant les conférences de Dresde, l'activité de la Diète de Francfort restât suspendue. De plus, il a été stipulé que la Prusse donnerait l'exemple du désarmement, mais que le moment où ce désarmement commencerait dépendrait de la volonté du Roi de Prusse. Ce dernier article est, je crois, tenu particulièrement secret. Le Roi s'est montré très satisfait de ces résultats. Cependant, il n'a pas pu s'empêcher de dire tout haut, à sa table, que Manteuffel n'avait obtenu que ce que Radowitz, le plus allemand de ses Ministres, avait demandé.

L'ardeur, la violence des discussions ont été grandes dans les Chambres prussiennes. Elles ont eu pour résultat l'ajournement jusqu'au 3 janvier. L'embarras parlementaire sera sur la question d'argent. Les Chambres voudront-elles voter l'argent qu'on a dépensé en préparatifs devenus inutiles? On est disposé à croire que non. On parle d'un appel direct du Roi à la bourse et à la bonne volonté de ses sujets. Nous allons voir ce que la rentrée des Députés dans leurs provinces produira dans le pays pendant ce mois d'ajournement. Il se passera probablement à intriguer en tout sens, à exciter les esprits, à les monter, ce qui, se compliquant de sacrifices d'argent qu'on représentera comme faits en pure perte, pourra provoquer de fort mauvaises scènes. C'est donc une nouvelle phase dans laquelle on entre.

Sagan, 9 décembre 1850.—Les regards se tournent 465 pour l'instant vers Dresde. Dans cinq jours, les Conférences doivent s'y ouvrir, et il est bien urgent pour ces pauvres provinces, rongées par la concentration des troupes, que le désarmement s'opère vite; on ne peut soutenir plus longtemps le pied de guerre, qui, en ne se déversant pas sur le pays ennemi, les ruine littéralement.

Sagan, 11 décembre 1850.—Le comte Stolberg, fils de l'ancien Ministre, stationné dans un hameau du voisinage et arrivant de Berlin, est venu hier dîner et passer la soirée ici. Il est fort au courant de ce qui se passe à Sans-Souci. Il m'a assuré qu'on y était décidé à pousser les choses à bout avec les Chambres, si elles ne se montraient pas sages à leur rentrée. Il y aurait alors dissolution, et comme, avec la détestable loi électorale qui nous régit, une meilleure Chambre ne serait pas probable, on pense à modifier cette loi par un coup d'État ou à se passer entièrement des Chambres, par une dictature momentanée, ou bien un appel au peuple. J'avoue que je doute fort que l'on possède l'énergie suffisante pour mener les choses d'un tel train, et cependant, je conviens qu'elles sont arrivées au point où il faut passer sous le joug impitoyable de la démocratie ou l'attaquer par les cornes.

Sagan, 18 décembre 1850.—Les Conférences de Dresde ont été ajournées au 23 et on ne songe au désarmement sérieux que selon leur résultat. Le pied de guerre continue, ce qui est une ruine dévorante. On dit aux gens qui se plaignent que pour négocier efficacement il faut 466 le faire en armes. Cependant, pour assoupir l'Autriche, on fait dire dans les gazettes que le désarmement s'effectue, ce qui n'est vrai que dans une extrême petite proportion.

Sagan, 22 décembre 1850.—De Berlin, j'apprends que le Cabinet s'est complété et fortifié d'éléments conservateurs, ce qui est un bon signe; mais il m'en faudra douze, comme ceux du zodiaque, pour me donner confiance dans ce consistency [256].

Berlin, 28 décembre 1850.—Les nouvelles de Berlin sont tout à la paix. Schwarzenberg y est reçu avec beaucoup de distinction, et cependant les troupes restent sur le pied de guerre. Les officiers disent maintenant que c'est pour réduire, d'accord avec la Russie et l'Autriche, les petits États récalcitrants qui voudraient s'appuyer sur la France. Nous verrons.

467

PIÈCES JUSTIFICATIVES

I

Mademoiselle Rachel

Tiré des Esquisses et Portraits, par M. de La Rochefoucauld, duc
de Doudeauville, tome II, p. 307 et suivantes, édition de 1844.

Vous m'avez demandé votre portrait, Rachel; voulez-vous franchement vous connaître, ou n'avez-vous cédé qu'au désir de Mme Récamier? C'est un défi toutefois, et je suis trop Français pour ne pas l'accepter, mais n'allez pas m'accuser d'une sotte présomption ou d'une franchise sauvage. Il y a tristesse et mélancolie au fond de votre âme, mais vous aimez à vous étourdir sur ses besoins. Vous pouvez être la personne la plus accomplie comme la plus remarquable de notre époque, ou laisser à vos véritables amis de profonds regrets; c'est à vous de choisir. La plus exquise politesse est aussi bien votre essence que le talent. Le talent et vous, c'est tout un; mais en retour de ce talent supérieur, avez-vous assez de pensées, assez d'élan et de gratitude pour l'Éternel qui vous en a fait don? Il était impossible à moi, pauvre observateur, de vous rencontrer sans vous étudier avec un intérêt extrême; j'aurais retenu ma plume; vous commandez, elle obéit, mais elle dira le bien comme le mal, le sublime comme l'incomplet. On vous désirerait parfaite en tous points, Rachel, et foulant de vos jolis pieds tout ce qui serait une tache à votre nature si élevée. Vous êtes votre œuvre, et nul ne peut se glorifier de vos succès; le vrai et le beau ont été vos seuls maîtres. Personne ne vous connaît bien, enfant jeté dans la vie sans expérience, et qui éprouvez 468 tout avec une violence difficile à vaincre. Nature d'élite qui redescend quelquefois sur la terre par une transition subite; être instinctif qui sait tout sans avoir rien appris et qui comprend tout sans étude. Vous étudiez peu, Rachel, mais vous réfléchissez beaucoup et sentez encore davantage. Il y a en vous une énergie extrême et parfois un entraînement qui vous effraie; à une grande élévation de l'âme vous joignez un abandon plein de charme, mais que vous ne songez pas assez à réprimer. Vous pouvez vous dominer, vous ne savez pas encore vous vaincre. Vous n'avez rien à apprendre, Rachel, car vous avez deviné le monde comme le théâtre, et vous êtes aussi parfaite sur l'une que sur l'autre scène; mais fatiguée de vous contraindre, vous oubliez quelquefois les spectateurs qui vous observent, et ce n'est pas sans anxiété que ceux qui vous admirent voient votre cœur et votre âme se répandre trop au dehors. La carrière dramatique est pour vous une passion, et la gloire votre but unique. Il y a dans votre esprit une excessive finesse, une grande distinction dans votre caractère, et dans votre être un goût exquis. On n'a pas plus de noblesse et de dignité que vous au théâtre; vous êtes plus qu'un admirable acteur, vous devenez le personnage lui-même, tel qu'on le sent et qu'on se le représente; vous grandissez alors de toute la hauteur de votre beau talent, et vos gestes simples et expressifs ne sont jamais exagérés. Ceux qui vous critiquent injustement devraient s'étonner du degré de perfection et de vérité que vous avez su atteindre dès votre début, et laisser à votre admirable instinct le soin de corriger les légères imperfections qui échappent à votre inexpérience des passions. Votre âme est un abîme où vous craignez de descendre; votre tête un volcan; votre cœur une pierre de touche qui interroge tous les sentiments; vous redoutez le danger, Rachel, sans songer assez à l'éviter; l'agitation vous use, mais elle vous plaît. Vous croyez à peu de choses, et ne prenez les hommes que pour ce qu'ils valent; vous êtes confiante sans être aveugle, et vous pourriez être entraînée sans être convaincue. Vous savez plaire, savez-vous aimer? A force de sentir pour les autres, il est à craindre qu'on ne gagne la passion qu'on exprime si parfaitement, et qui, dans le monde comme au théâtre, a bien peu de durée. Femme privilégiée, vous pouvez être sublime! Ne vous contentez pas, Rachel, de rester 469 l'acteur le plus parfait que la scène et le monde aient jamais produit. La contrariété vous émeut, l'obstacle vous révolte, et toute contrainte vous fatigue, mais l'habitude de vous contrefaire est devenue si naturelle chez vous qu'on devine vos impressions bien plus qu'on ne les voit. Il y a, dans votre physionomie, comme dans tout votre être, une finesse d'expression et une délicatesse pleines de charme. On n'a pas plus d'élégance dans la tournure, plus de distinction dans les manières, plus de tact dans la conversation, plus de justesse dans l'esprit. Vous joignez à une persévérance invincible une volonté de fer, et c'est avec autant de naturel que d'originalité que vous savez aborder les grandes difficultés. Chaque rôle nouveau est pour vous la source d'un triomphe, dont vous êtes heureuse sans en être fière, et votre modestie justifie vos succès. Lorsque vous ne pouvez trancher les questions, vous les tournez avec une incroyable adresse; vous êtes tout improvisation, Rachel; et sans jamais savoir ce que vous direz, vous dites toujours ce qu'il faut dire. Si, dans le monde, on vous jugeait au premier aspect, on pourrait vous citer pour modèle à toutes les femmes. O Rachel! Ne vous contentez pas d'être une admirable actrice, devenez en tout, et dans tout, un modèle accompli. Réhabiliter le théâtre, en prouvant qu'on peut exprimer les passions sans les sentir, serait une gloire véritable, et vous êtes digne d'y prétendre. Insensible à un sentiment banal, vous savez apprécier un éloge mérité; vous jugez parfaitement ceux qui vous parlent, et savez suivre un bon conseil. Vous lisez dans l'âme des autres avec un tact exquis; la flatterie vous laisserait insensible, mais la passion vous émeut. Les louanges sincères font naître en vous l'ambition de les mériter; la critique injuste vous choque, et vous préférez l'ignorer. Vive, impressionnable, et même impérieuse, vous êtes nerveuse, mobile, irascible, avec une apparence calme, et plus passionnée que profondément sensible. Vous avez autant de génie que d'instinct, et savez rester toujours vous, sans chercher à imiter personne. Sublime est un grand mot, Rachel, car pour le mériter, il faut atteindre la perfection. On a pu vous l'appliquer avec justice, lorsque vous jouez certains rôles où vous êtes inimitable; aimez-le dans votre vie, et si quelque obstacle vous arrêtait sur cette route du sublime, reprenez haleine, Rachel, puis remettez-vous en chemin 470 pour atteindre au pinacle de la gloire. Ne négligez aucun fleuron de votre couronne de femme, et si vous vous plaisez à recueillir des lauriers, ne dédaignez pas la branche de lis qui leur prête un si doux éclat. Je ne suis pas un prophète, encore moins un flatteur; mais de tous ceux qui vous ont rencontrée, je suis, peut-être, celui qui ai le mieux compris votre position, et ma franchise est la preuve irrécusable de mon estime. Vous serez étonnée de ce langage, et piquée peut-être, sans m'en vouloir, car vous avez l'âme trop grande pour ne pas aimer la vérité; mais vous penserez que je ne suis pas tout le monde, et c'est quelque chose vis-à-vis de celle qui ne ressemble à personne. Votre génie se peint sur votre physionomie expressive, et vous voir c'est vous connaître, pour qui sait vous étudier. Une franchise entière est difficile à qui doit toujours s'observer. Votre regard est scrutateur, il cherche à lire et veut connaître le fond des cœurs. Mais si vos paroles sont douces, vos pensées sont souvent amères. Que ne seriez-vous point, Rachel, si vous aviez le courage de renoncer à toutes ces illusions pour chercher des réalités. Toujours mise à la scène avec un goût exquis, vous êtes également bien dans le monde; on n'y paraît pas avec plus de grâce, de charme, de distinction et de simplicité. Chacun vous accueille et vous remarque; tous vous recherchent; mais vous avez trop de fierté, trop de vraie dignité, pour courir après des succès éphémères. Vous savez attendre, et chacun vient vers vous avec empressement. Il y a parfois dans votre regard folie, passion, extravagance et délire; vous le sentez, aussi vos paupières abaissées avec grâce rendent-elles promptement à votre physionomie l'expression la plus suave et la plus tranquille. Vous êtes, Rachel, une personne tout exceptionnelle, difficile à connaître, et plus encore à expliquer. Trop de sévérité à votre égard serait une injustice; on peut être effrayé des dangers qui vous entourent, mais c'est votre destinée seule qu'il faut accuser. Quelle autre à votre place eût été ce que vous êtes? et que d'obstacles n'avez-vous pas eu à vaincre pour atteindre un si beau résultat. Partout autour de vous des flatteurs, des admirateurs, des courtisans, des adorateurs; et pas un appui, pas un véritable ami. Comment résister à tant d'écueils sans se heurter contre un seul? Toutefois, si vous comprenez, Rachel, la haute et noble mission à laquelle vous appellent le 471 monde et vos prodigieux succès, vous ne resterez pas au-dessous de votre tâche, quelque difficile qu'elle paraisse. On ne demande ordinairement à un artiste que du talent; on attend plus de vous, Rachel; on vous veut digne de votre renommée, digne de vous-même, et telle enfin que vous devez être pour justifier l'estime que vous inspirez. Une pareille exigence n'a rien que d'honorable, car elle prouve que vous êtes appréciée. Songez que si vous faites beaucoup pour le monde, il a fait beaucoup pour vous soutenir contre l'envie au début de votre carrière. Ne restez pas au-dessous de ses espérances, et votre destinée sera vraiment grande, votre existence digne d'envie, et votre place belle entre toutes dans l'histoire dramatique, car on pourra dire: Rachel a prouvé que la pureté de l'âme et du cœur alimentent le génie, et sont la meilleure source du vrai talent. Oui, Rachel, j'aime à le croire, vous offrirez à ce monde qui vous a adoptée une noble et généreuse conduite, en retour des avances qu'il vous a faites. Douée de tant d'énergie, en manquerez-vous pour le bien? Non, vous exprimez trop éloquemment la vertu pour ne pas l'aimer. A vingt ans, on commence la vie et la vôtre peut être sans pareille. Agissez toujours de manière à pouvoir affronter les yeux les plus sévères, et ne ressemblez pas à ces débiteurs qui ne paient point leurs dettes! Continuez enfin à être une des brillantes illustrations dont notre pays est fier, mais qu'il a droit d'interroger.


II

Note de M. de Bacourt sur les entretiens du comte d'Artois et du prince de Talleyrand.

(Mémoires du prince de Talleyrand, vol. Ier. Appendice de la première partie.)

Nous voulons ajouter à ce passage [257] quelques détails que M. de Talleyrand avait négligés ou peut-être oubliés. Il est positif qu'à 472 l'époque à laquelle ce passage se rapporte [258], M. de Talleyrand eut avec M. le comte d'Artois plusieurs entrevues, dans lesquelles il chercha à convaincre le Prince de la nécessité de prendre des mesures de force, et, tout en maintenant les concessions que le Roi avait déjà faites, de réprimer avec vigueur les agitations populaires qui se manifestaient chaque jour, et qui avaient déjà ensanglanté les rues de la capitale. La plus importante et la dernière de ces entrevues eut lieu à Marly, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1789, c'est-à-dire quelques heures avant que le Prince quittât la France. Lorsque M. de Talleyrand se présenta chez M. le comte d'Artois, le Prince, qui était déjà couché, le fit néanmoins entrer, et, là dans un entretien de plus de deux heures, M. de Talleyrand exposa de nouveau tous les dangers de la situation, et supplia le Prince de les faire connaître au Roi. M. le comte d'Artois, ému, se leva, se rendit chez le Roi, et après une absence assez prolongée, revint déclarer à M. de Talleyrand qu'il n'y avait rien à faire avec le Roi, qui était résolu à céder plutôt que de faire verser une goutte de sang en résistant aux mouvements populaires. «Quant à moi, ajouta M. le comte d'Artois, mon parti est pris, je pars demain matin et je quitte la France.» M. de Talleyrand conjura vainement le Prince de renoncer à cette résolution, en lui représentant les embarras et les périls qu'elle pourrait avoir pour lui dans le présent, et pour ses droits et ceux de ses enfants dans l'avenir. M. le comte d'Artois persista, et M. de Talleyrand finit par lui dire: «Alors, Monseigneur, il ne reste donc plus à chacun de nous qu'à songer à ses propres intérêts, puisque le Roi et les Princes désertent les leurs, et ceux de la Monarchie.—En effet, répliqua le Prince, c'est ce que je vous conseille de faire. Quoi qu'il arrive, je ne pourrai vous blâmer, et comptez toujours sur mon amitié.» M. le comte d'Artois émigra le lendemain.

Au mois d'avril 1814, M. de Talleyrand, devenu Président du gouvernement provisoire, se trouva dans le cas d'annoncer à M. le comte d'Artois, qui était alors à Nancy, attendant les événements, 473 que Louis XVIII était appelé au trône, et que le Prince était invité à se rendre à Paris, pour y prendre le gouvernement en qualité de Lieutenant général du royaume. Il chargea M. le baron de Vitrolles de cette mission, et au moment du départ de celui-ci, pendant qu'on cachetait la dépêche pour le Prince, il lui fit, en se promenant dans l'entresol de son hôtel de la rue Saint-Florentin, le récit de l'entrevue du 16 juillet 1789, puis il lui dit: «Faites-moi le plaisir de demander à M. le comte d'Artois s'il se rappelle ce petit incident.»

M. de Vitrolles, après s'être acquitté de son important message, ne manqua pas de poser au Prince la question de M. de Talleyrand, à quoi le comte d'Artois répondit: «Je me rappelle parfaitement cette circonstance, et le récit de M. de Talleyrand est de tout point exact.»

Averti que M. de Vitrolles avait raconté cette anecdote à plusieurs personnes, nous crûmes devoir faire appel à sa mémoire et à sa loyauté. Pour justifier cette expression de loyauté il faut dire que M. de Vitrolles, à la suite de la révolution de juillet 1830, avait cessé toute relation avec M. de Talleyrand, et s'exprimait très sévèrement sur son compte. C'est ce qui explique le ton d'hostilité et d'aigreur qui perce au travers de la lettre de M. de Vitrolles que nous allons insérer ici. Nous pensons que, pour le lecteur comme pour nous, cette hostilité ne fera que confirmer davantage la sincérité de M. de Vitrolles dans sa déclaration, et l'authenticité du passage des Mémoires de M. de Talleyrand. Les légères divergences qu'on remarquera entre le récit qui nous a été fait par M. de Talleyrand et celui de la lettre de M. de Vitrolles, s'expliquent naturellement par l'effet du temps qui s'était écoulé, et qui a pu modifier les souvenirs des deux narrateurs. Le fait qui reste acquis, c'est que M. de Talleyrand, au mois de juillet 1789, croyait qu'on pourrait arrêter la marche révolutionnaire des événements, qu'il a eu le mérite de le dire, et le courage de proposer de s'en charger. Il n'est peut-être pas le seul qui s'en soit vanté plus tard; nous pensons avoir constaté que lui, au moins, ne s'en vantait pas à tort.

Voici la lettre de M. de Vitrolles:

474 «Monsieur le baron de Vitrolles à M. de Bacourt.

«Paris, 6 avril 1852.

«Monsieur, vous avez attaché quelque prix au témoignage que je pourrais rendre sur une circonstance particulière de la vie de M. le prince de Talleyrand, je ne crois pas pouvoir mieux satisfaire à vos désirs qu'en transcrivant ici ce que j'en ai écrit, il y a bien des années, dans une relation des événements de 1814.

«Lorsque S. M. l'empereur de Russie et M. le prince de Talleyrand eurent compris que la présence du frère du Roi revêtu des pouvoirs de Lieutenant général du Royaume, devenait nécessaire, et que je partais pour décider Monsieur à se rendre à Paris, j'avais eu plusieurs conférences à ce sujet avec le Président du gouvernement provisoire [259]. Dans un dernier entretien, au moment du départ, nous avions traité les conditions et les formes de la réception de Monseigneur. Après un moment de silence, le prince de Talleyrand reprit avec son sourire caressant et d'un ton qui voulait être léger et presque indifférent:

«Je vous prie de demander à M. le comte d'Artois s'il se rappelle la dernière occasion que j'ai eue de le voir. C'était au mois de juillet 1789. La Cour était à Marly. Avec trois ou quatre de mes amis, frappés comme moi de la rapidité et de la violence du mouvement qui entraînait les esprits, nous résolûmes de faire connaître au Roi Louis XVI la véritable situation des choses, que la Cour et les ministres semblaient ignorer. Nous fîmes demander à Sa Majesté de vouloir bien nous recevoir. Nous désirions, pour le bien de son service comme pour nous, que cette audience fût tenue secrète. La réponse fut que le Roi avait chargé son frère, M. le comte d'Artois, de nous recevoir; le rendez-vous fut donné à Marly dans le pavillon que M. le comte d'Artois occupait seul. Nous y arrivâmes à minuit.»

475 «M. de Talleyrand me rapporta la date précise du jour, et le nom des amis qui l'accompagnaient. C'était des membres de l'Assemblée nationale, et de cette minorité de la noblesse qui s'était réunie au tiers état; la date et les noms me sont également échappés.

«Lorsque nous fûmes en présence de M. le comte d'Artois, continua M. de Talleyrand, nous lui exposâmes en toute franchise la situation des affaires et de l'État, telle que nous l'envisagions. Nous lui dîmes que l'on se trompait, si l'on croyait que le mouvement imprimé aux esprits pût facilement se calmer. Ce n'est point avec des atermoiements, des ménagements et quelques condescendances, qu'on peut conjurer les dangers qui menacent la France, le Trône et le Roi. C'est par un puissant développement de l'autorité royale, sage et habilement ménagé. Nous en connaissons les voies et les moyens, la position qui nous permet de l'entreprendre et donne les gages d'y réussir, si la confiance du Roi nous y appelait. M. le comte d'Artois nous écoutait très bien, et nous comprenait à merveille, peut-être avec la pensée que nous exagérions le danger de la situation, et notre importance pour y remédier. Mais, comme il nous le dit, il n'avait été chargé par le Roi que de nous entendre, et de lui rapporter ce que nous voulions lui faire connaître; il n'avait aucune réponse à nous donner, et aucun pouvoir d'engager la volonté ou la parole du Roi. Lorsque nous en fûmes là, nous demandâmes à M. le comte d'Artois la permission de lui dire, que si la démarche que nous faisions de conscience et de bonne foi n'était pas appréciée, si elle n'avait aucune suite et n'amenait aucun résultat, Monseigneur ne devait pas s'étonner que, ne pouvant résister au torrent qui menaçait de tout entraîner, nous nous jetions dans le courant des choses nouvelles... Demandez, je vous prie, à Monsieur, répéta M. de Talleyrand, si cet entretien nocturne est resté dans sa mémoire. C'était bien près du moment où il quittait la France.»

«J'admirai la subtilité de cet esprit, qui trouvait dans un de ses souvenirs une explication, une excuse et presque une justification de toute sa vie révolutionnaire; il en aurait trouvé bien d'autres pour des circonstances différentes et même contraires. En écoutant ce récit, 476 qui tombait avec une sorte d'indifférence et de naïve simplicité, je me permettais de douter que ce qui pouvait rester dans la mémoire de Monsieur fût entièrement conforme aux paroles que je venais d'entendre. Cependant, lorsqu'à Nancy je vins à me rappeler la recommandation de M. de Talleyrand, Monseigneur me dit, sans entrer dans aucun détail, qu'il n'avait point oublié cette circonstance, et que tout ce que je lui rappelais était entièrement conforme à la vérité.

«Je désire, Monsieur, que ce témoignage suffise à ce que vous attendiez de moi. Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de vous offrir l'assurance de ma considération la plus distinguée.

«Le baron de Vitrolles

477

INDEX BIOGRAPHIQUE
DES NOMS DES PERSONNAGES MENTIONNÉS DANS CETTE CHRONIQUE

(Les noms suivis d'un astérisque sont ceux qui ont été déjà donnés avec plus de détails, dans l'Index biographique du tome I; ceux qui sont suivis de deux astérisques ont été donnés dans le tome II.)

A

ABERDEEN (lord) *, 1784-1860. Diplomate et homme d'État anglais, premier ministre de 1852 à 1855.

ACERENZA (la duchesse D') **, 1783-1876. Troisième fille du dernier duc de Courlande et sœur de la duchesse de Talleyrand.

AFFRE (Denis-Auguste), 1793-1848. Archevêque de Paris depuis 1840, successeur de M. de Quélen. Le 25 juin 1848, voulant arrêter le sang qui coulait depuis quatre jours dans Paris, Mgr Affre se rendit aux barricades du faubourg Saint-Antoine. Il y fut atteint d'une balle et mourut des suites de ses blessures.

AFFRE (Sainte). Elle vivait au temps de Dioclétien; après avoir mené à Augsbourg une vie fort scandaleuse, elle fut touchée par les instructions de saint Narcisse et reçut le baptême. Elle subit le martyre et la mort l'an 304 après J.-C.

AGOULD (la vicomtesse D') *, morte en 1841, à Goritz, en exil, où elle avait suivi Madame la Dauphine, dont elle était Dame d'atour.

ALAVA (Don Ricardo DE) *, 1780-1843. Lieutenant général de l'armée espagnole.

ALBUFÉRA (la duchesse D') **, 1791-1884, née de Saint-Joseph.

AILESBURY (lord), 1773-1856. Charles Bruce, créé en 1821 marquis d'Ailesbury.

AILESBURY (lady). Morte en 1893. Maria, fille de l'honorable Charles Tallemache, seconde femme de lord Ailesbury, qu'elle avait épousé en 1833. Elle était très aimée dans la société de Londres pour son amabilité.

ALDBOROUGH (lady) *. Elle avait épousé en 1804 lord Aldborough.

ALTON-SHÉE DE LIGNÈRES (le comte) **, 1810-1874. Pair de France en 1836.

ALVENSLEBEN (le comte Albert D'), né 478 en 1794; il fut ministre d'État en Prusse pendant de longues années.

AMPÈRE (Jean-Jacques) **, 1800-1864. Littérateur distingué.

ANCELOT (M.), 1794-1856. Auteur de tragédies et de comédies, membre de l'Académie française.

ANDRAL (docteur Gabriel), 1797-1876. Savant médecin français et gendre de M. Royer-Collard.

ANGOULÊME (le duc D') **, 1775-1844. Fils aîné du Roi Charles X.

ANGLETERRE (la Reine Adélaïde D') *, 1792-1849, née princesse de Saxe-Meiningen.

ANHALT-DESSAU (la duchesse D'), 1796-1850. Frédérique de Prusse, fille du prince Louis de Prusse et de la princesse de Mecklembourg-Strélitz (sœur de la Reine Louise), épousa, en 1818, le duc d'Anhalt-Dessau.

APPONYI (le comte Antoine) **, 1782-1852. Diplomate autrichien, ambassadeur à Paris de 1826 à 1848. Il avait épousé une fille du comte Nogarola.

APPONYI (la comtesse), née Benckendorff, nièce de la princesse Lieven.

ARAGO (François-Dominique), 1786-1853. Célèbre astronome, et un des plus grands savants du dix-neuvième siècle, ancien élève de l'École polytechnique et membre de l'Académie des sciences. En 1830, il entra dans la carrière politique; député des Pyrénées, il siégea à l'extrême gauche et fut l'orateur de l'opposition. A la révolution de 1848, il fit partie du Gouvernement provisoire et dirigea les ministères de la Guerre et de la Marine.

ARENBERG (le prince Pierre D') *, 1790-1877.

ARENBERG (la princesse Pierre D') *, 1808-1842, fille du duc et de la duchesse de Périgord.

ARGOUT (le comte D') **, 1782-1858. Homme politique et financier français.

ARNFELD (le baron Gustave-Maurice D'), 1757-1824. Suédois, né en Finlande, il suivit la carrière militaire et eut d'abord un avancement rapide, sous Gustave III qui l'aimait beaucoup, mais tomba en disgrâce auprès du Prince-Régent pendant la minorité de Gustave IV; il dut s'exiler et vécut plusieurs années en Russie. Réintégré ensuite dans son ancienne position, il fut nommé ministre de Suède à Vienne en 1802. Après la cession de la Finlande à la Russie, il entra au service russe et fut fait gouverneur de la Finlande en 1813.

ARNIM-BOITZENBURG (le comte Adolphe D'), 1803-1868. Chambellan et ministre l'État en Prusse. En 1830, il avait épousé la comtesse Caroline de Schulenburg-Wolfsburg.

ARNIM-HEINRICHSDORF (le baron Henri D') **, 1789-1861. Diplomate prussien, ministre à Paris de 1840 à 1848, puis ministre des Affaires étrangères à Berlin en 1848, pour peu de temps.

ASSELINE (Adolphe), 1806-1892. Secrétaire des commandements de Mme la duchesse d'Orléans, il 479 vécut dans la retraite après 1848.

ASTON (sir Arthur-Ingram), né en 1798. Diplomate anglais, il fut nommé secrétaire d'ambassade à Paris en 1833, et ministre à Madrid en 1840.

AUDIN (J.-M.-W.), 1793-1851. Historien et fondateur de la fameuse collection des Guides Richard, qui fut pour lui une source de prospérité.

AUERSPERG (la princesse Gabrielle D'), 1793-1863. Née princesse Lobkowitz, elle devint veuve, en 1812, du prince Vincent d'Auersperg.

AUGUSTENBURG (la duchesse D'), 1795-1867. Louise, comtesse de Daneskiold, épousa, en 1820, le duc d'Augustenburg. Elle fut la mère de la Reine Caroline de Danemark, épouse de Christian VIII.

AUMALE (Henri d'Orléans, duc D') **, 1822-1897, quatrième fils de Louis-Philippe; il se distingua par ses talents militaires.

AUMALE (duchesse D'). Caroline, fille du prince de Salerne, épousa le duc d'Aumale en 1844 et mourut en 1869.

AUTRICHE (l'archiduc Jean D'), 1782-1859. Fils de l'Empereur Léopold II et de la princesse Louise de Bourbon (fille de Charles III, roi d'Espagne), il fut élu en 1848 vicaire de l'Empire par l'Assemblée de Francfort, où il joua un rôle assez insignifiant.

AUTRICHE (l'archiduchesse Sophie D') *, 1805-1872. Fille de Maximilien Ier, roi de Bavière, et mère de l'Empereur François-Joseph Ier.

AUTRICHE (l'Empereur François-Joseph Ier D'). Né en 1830. Fils de l'archiduc François-Charles (1802-1878) et de l'archiduchesse Sophie, et neveu de l'Empereur Ferdinand Ier qui abdiqua en 1848 à Olmütz. François-Joseph Ier monta sur le trône après la renonciation de son père, qui eut lieu immédiatement après. Il épousa en 1854 sa cousine la princesse Élisabeth de Bavière, qui mourut en 1898.

AUTRICHE (l'archiduc Max D'), 1832-1867. Second frère de l'Empereur François-Joseph, gouverneur de la Lombardie jusqu'en 1859, il accepta en 1864 la couronne impériale du Mexique où, après les plus funestes désillusions, il fut fusillé par ses sujets qui l'avaient appelé pour les gouverner. Ce malheureux Prince avait épousé, en 1857, la princesse Charlotte, fille du roi des Belges Léopold Ier.

AUTRICHE (l'archiduc Albert D'), 1817-1895. Une des figures militaires les plus en renom sous le règne de l'Empereur François-Joseph Ier. Il épousa en 1844 la princesse Hildegarde de Bavière.

AUTRICHE (l'archiduchesse Élisabeth D'), 1831-1903. Fille du palatin de Hongrie, elle épousa en 1847 Ferdinand-Charles-Victor, archiduc de Modène-Este, dont elle devint veuve en 1849. Elle se remaria en 1854 avec l'archiduc Charles-Ferdinand.

B

BACH (Alexandre, baron), 1813-1870. Homme d'État autrichien, ministre de la Justice en 1848, ministre 480 de l'Intérieur en 1849; nommé plus tard ambassadeur près du Saint-Siège, où il resta jusqu'en 1867.

BADE (la grande-duchesse Stéphanie DE), 1789-1860. Née de Beauharnais*, veuve en 1818 du grand-duc Charles de Bade.

BADE (le grand-duc Léopold DE) **, 1790-1858, succéda en 1830 à son frère Louis.

BADE (la grande-duchesse Sophie DE), 1801-1865. Fille du Roi de Suède Gustave-Adolphe IV, elle épousa en 1819 le prince Léopold de Bade, dont elle devint veuve en 1852.

BADE (la princesse Alexandrine DE), née en 1820; épousa, en 1842, le prince héréditaire de Saxe-Cobourg-Gotha.

BALLANCHE (Pierre-Simon), 1776-1847. Penseur mystique qui, après avoir dirigé un vaste établissement de librairie à Lyon, vint s'établir à Paris où il fut accueilli par des amitiés illustres. Ballanche publia, avec la science d'un érudit, plusieurs œuvres qui l'appelèrent à l'Académie française en 1844.

BALZAC (Honoré DE) **, 1799-1850. Homme de lettres français.

BARANTE (le baron Prosper DE) *. Diplomate et historien français, longtemps ambassadeur à Pétersbourg.

BARBÈS (Armand), 1809-1870. Homme politique français, représentant du peuple en 1848, surnommé le Bayard de la démocratie. Emprisonné en 1849, il fut remis en liberté en 1854, mais s'expatria volontairement et mourut en Hollande.

BARING (sir Francis), 1796-1866. Créé, peu de temps avant sa mort, baron Northbrook, il avait été membre du Parlement pour Portsmouth de 1826 à 1865, chancelier de l'Échiquier de 1839 à 1841, et premier lord de l'Amirauté de 1849 à 1852.

BARING (lady Arabella), 1809-1884. Fille du comte d'Effingham, elle avait épousé, en 1841, sir Francis Baring, dont elle était la seconde femme.

BARROT (Odilon) *, 1791-1873. Homme politique français.

BARRY (le docteur Martin), 1802-1855. D'origine écossaise, il avait fait ses études en Angleterre, en France et en Allemagne, et fut reçu docteur en 1831. Il était un grand ami d'Alexandre de Humboldt.

BASSANO (Hugues Maret, duc DE) *, 1763-1839. Occupa de hautes fonctions militaires et politiques sous l'Empire et la Monarchie de Juillet.

BATTHYÁNY (la comtesse), 1798-1840. Née baronne d'Ahrenfeldt, elle épousa en secondes noces, en 1828, le comte Gustave Bathyány-Strathmann.

BAUDRAND (général comte) *, 1774-1848, servit avec distinction sous la République, l'Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet.

BAUFFREMONT (la duchesse DE) *, née en 1771. Née de la Vauguyon, elle épousa en 1787 le duc Alexandre de Bauffremont. Elle fut une amie du prince de Talleyrand.

BAUFFREMONT (la princesse DE) **, 481 1802-1860. Laurence, fille du duc de Montmorency, avait épousé, en 1819, le prince Théodore de Bauffremont.

BAUSSET (le cardinal DE) **, 1748-1821. Évêque d'Alais et membre de l'Académie française.

BAUTAIN (l'abbé) **, 1796-1867. Ancien élève de l'École normale; il fut nommé vicaire général du diocèse de Paris en 1849.

BAVIÈRE (le Roi Louis Ier DE) **, 1786-1868. Monté sur le trône en 1825, il abdiqua en 1848.

BAVIÈRE (la Reine Thérèse DE) **, 1792-1854. Fille du duc Frédéric de Saxe-Altenburg, elle avait épousé, en 1810, Louis Ier de Bavière.

BAVIÈRE (le Prince Royal DE) **, 1811-1864. Fils de Louis Ier, il lui succéda en 1848, sous le nom de Maximilien II. Il avait épousé, en 1842, la princesse Marie de Prusse.

BAVIÈRE (la princesse Hildegarde DE), 1825-1864. Elle épousa, en 1844, l'archiduc Albert, dont elle eut une fille mariée plus tard avec un duc de Würtemberg.

BEAUFORT (le duc Henry DE), 1792-1848, épousa en premières noces, en 1814, une fille de l'honorable Henry Fitzroy, et, en 1822, Émily-Frances Smith, de la famille des lords Wellesley, par sa mère. Il avait hérité du titre de son père en 1835.

BEAUVALE (lord), 1782-1852. Frédéric Lamb *. Diplomate anglais, frère de lord Melbourne, au titre duquel il succéda en 1848.

BELGES (le Roi des) *, 1790-1863. Léopold Ier, prince de Cobourg-Gotha.

BELGES (la Reine des) **, 1812-1850. Louise, princesse d'Orléans, fille du Roi Louis-Philippe.

BELGIOJOSO (la princesse Christine) **, 1808-1868. Remarquable par sa beauté, son esprit et son étrangeté, elle était connue pour ses idées libérales. Elle publia en 1846 un Essai sur la formation du dogme catholique, qui fut très discuté.

BELLUNE (Victor, duc DE), 1766-1841. Maréchal de France.

BELOW (le général DE), 1783-1864. Général prussien qui commandait les forteresses fédérales de 1843 à 1847.

BEM (le général Joseph), 1795-1850. Polonais, il fit ses premières armes dans l'artillerie polonaise en 1812, se couvrit de gloire dans l'insurrection de 1830, lors de la défense de Varsovie en 1831. Défait, il se réfugia en France, pour reparaître en 1848 dans Vienne insurgée et se joindre aux Hongrois révoltés contre l'Autriche. Il embrassa ensuite l'islamisme et prit du service en Turquie.

BENACET (M.), 1773-1848. Fermier général des jeux de Bade, successeur de M. Chabert. Il payait 6 000 florins de fermage par an; son fils, qui lui succéda, en payait 45 000; à la mort de celui-ci, en 1868, ce fut son neveu, M. Dupressoir, qui recueillit cet héritage. Bade leur doit son théâtre, son hôpital et une partie de sa prospérité.

BENNINGSEN (le comte Alexandre DE), 482 né en 1809. Homme d'État allemand, fils du célèbre général russe. Il avait fait ses études en Allemagne, entra à la Chambre des comptes, et devint Directeur général des contributions en Hanovre. En 1848, il était président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, mais il démissionna en 1850.

BÉRIOT (Charles-Auguste DE), 1802-1870. Célèbre violoniste belge, et un des plus remarquables virtuoses de son temps. Il avait épousé Mme Malibran.

BERNARD (Samuel), 1651-1739. Riche financier et célèbre traitant. Il fit un noble usage de son immense fortune, et vint au secours des Rois Louis XIV et Louis XV, auprès desquels il jouissait d'une grande faveur. Chamaillard et Desmaret lui empruntèrent pour l'État des sommes considérables.

BERNSTORFF (le comte Albert DE), 1809-1873. Diplomate prussien, successivement ministre plénipotentiaire à Munich, à Vienne, à Naples, à Londres; ministre des Affaires étrangères de Prusse, et ambassadeur à Londres.

BERRYER (Antoine) *, 1790-1868. Célèbre avocat, et orateur légitimiste, membre de l'Académie française et plusieurs fois député.

BERTIN DE VEAUX (M.) *, 1771-1842. Fondateur du Journal des Débats, conseiller l'État et député.

BBERTIN DE VEAUX (Auguste), 1799-1879. Officier de cavalerie et attaché comme officier d'ordonnance au duc d'Orléans, il fut député de 1837 à 1842 et ensuite pair de France. Il fut nommé général de brigade en 1852 et grand-officier de la Légion d'honneur en 1867.

BETHMANN-HOLWEG (Maurice-Auguste DE), 1795-1877. Jurisconsulte allemand, ami du légiste Savigny, il fut chargé en 1848 du ministère des Cultes en Prusse, et s'y occupa de l'Instruction publique avec une rare compétence, mais il démissionna en 1852.

BÉTHISY (le marquis DE), 1815-1881. Pair de France jusqu'en 1848; il avait épousé une fille du duc de Rohan-Chabot.

BEUST (le comte Frédéric-Ferdinand DE), 1809-1886. Homme l'État saxon, ministre des Affaires étrangères en Saxe en 1849. Appelé par l'Autriche après la guerre de 1866, il fut élevé à la présidence du Conseil autrichien avec le titre de chancelier de l'Empire. Il réconcilia adroitement l'Autriche avec la Hongrie, et fit couronner l'Empereur François-Joseph, Roi de Hongrie, à Pesth, le 8 juin 1867. En 1871, il fut nommé ambassadeur d'Autriche à Paris, puis à Londres où il mourut.

BIGNON (François), 1789-1868. Négociant nantais, chevalier de la Légion d'honneur, élu député en 1834. Sa capacité en affaires commerciales lui donnait un certain rôle à la Chambre.

BINZER (Mme DE) **, 1801-1891. Épouse d'un littérateur allemand.

BIRON-COURLANDE (le prince Charles DE) **, né en 1811.

BIRON-COURLANDE (la princesse Charles DE), née, en 1810, princesse de 483 Lippe-Biesterfeld; elle avait épousé, en 1833, le prince Biron.

BIRON-COURLANDE (la princesse Fanny DE) **, 1815-1883; sœur de la comtesse de Hohenthal et de Mme de Lazareff. Épousa le général de Boyen.

BIRON-COURLANDE (le prince Calixte DE), 1817-1882. Héritier, en 1848, du majorat et des terres de son frère Charles. Après avoir été pendant quelques années au service militaire prussien, il occupa plus tard une grande charge à la Cour de Prusse. Il épousa, en 1845, la princesse Hélène Mertschersky.

BIRON-COURLANDE (le prince Pierre DE), 1818-1852. Officier de cuirassiers en Prusse.

BLUM (Robert), 1807-1848. Célèbre révolutionnaire allemand. Il se fit d'abord connaître comme rédacteur de différents journaux; en 1848, il fut nommé député au Parlement de Francfort. Un des promoteurs les plus ardents du soulèvement de Vienne, il fut fait prisonnier et fusillé par les troupes gouvernementales victorieuses.

BODELSCHWING (Charles DE), 1800-1873. Ministre d'État prussien qui dirigea à deux reprises le ministère des Finances, de 1851 à 1858, puis de 1862 à 1866.

BOIGNE (la comtesse DE) *, 1780-1866. Née Adèle d'Osmond. Son salon fut un des plus importants de Paris de 1814 à 1859.

BOISMILON (M. DE). D'abord secrétaire particulier du duc d'Orléans, puis précepteur du comte de Paris.

BONALD (le vicomte DE), 1753-1840. Le plus célèbre représentant des doctrines monarchiques et religieuses de la Restauration. Émigré en 1791, Bonald ne revint en France qu'à la proclamation de l'Empire. Député de 1815 à 1822, il fut fait pair de France en 1823, puis membre de l'Académie. Il dévoua sa plume et sa parole au maintien du trône et de l'autel, contribuant ainsi au retour des idées religieuses en France.

BONAPARTE (Lucien) *, 1773-1840. Troisième frère de Napoléon Ier, fait prince de Canino par le pape Pie VII.

BONAPARTE (le prince Louis) **, 1808-1873. Fils de Louis Bonaparte et d'Hortense de Beauharnais. Après une jeunesse aventureuse, il profita des événements de 1848 pour se faire nommer Président de la République et rétablit l'Empire à son profit en 1852, prenant le nom de Napoléon III.

BONIN (le général Édouard DE), 1793-1863. A la tête d'un corps de troupes prussiennes en 1848, il fut chargé d'occuper les duchés de Schleswig et de Holstein, et, plus tard, y organisa une armée nationale. En 1852, il remplaça au ministère de la Guerre de Berlin le général de Stockhausen.

BORDEAUX (le duc DE) *, 1820-1883. Fils du duc de Berry et petit-fils de Charles X. Il porta aussi le titre de comte de Chambord.

BOURQUENAY (le comte DE) *, 1800-1869. Diplomate français, nommé ambassadeur à Constantinople en 1844 et à Vienne en 1859.

BRAGANCE (la duchesse Amélie DE) *, 1812-1873. Fille du duc Eugène 484 de Leuchtenberg, et deuxième femme de Pedro Ier, Empereur du Brésil.

BRANDEBOURG (le comte Frédéric-Guillaume DE), 1792-1850. Né de l'union morganatique du Roi Frédéric-Guillaume II avec la comtesse Dœnhoff, il entra de bonne heure dans l'armée. En 1848, il remplaça M. de Pfuel comme chef du Cabinet prussien, et en novembre 1849 fut envoyé à Varsovie pour négocier avec la Russie, au sujet du conflit survenu entre l'Autriche et la Prusse.

BRANDEBOURG (la comtesse DE). Née Massenbach, elle avait épousé le comte de Brandebourg en 1818. Elle fut pendant quelques années grande maîtresse de la Reine Élisabeth de Prusse.

BRANDHOFEN (Mme DE), née en 1802. Anne Plochel, épouse morganatique en 1827 de l'archiduc Jean d'Autriche. Elle reçut alors le titre de baronne de Brandhofen, changé en 1845 en celui de comtesse de Méran.

BRÉDY (Hugo DE), 1792-1848. Officier d'artillerie autrichien, général-major en 1846, tué, le 6 octobre 1848, dans l'insurrection de Vienne.

BRÉSIL (l'Empereur dom Pedro II du), 1825-1891. Succéda à son père sous la régence, en 1831, et gouverna en personne depuis 1840. Il épousa, en 1843, la princesse Thérèse de Bourbon, fille de François Ier, Roi des Deux-Siciles. Une révolution les chassa du Brésil en 1890.

BRESSON (le comte) *, 1788-1847. Diplomate français.

BRESSON (la comtesse). Née de Comminge-Guitaut, d'une noble famille de Bourgogne.

BRIFAUT (Charles), 1787-1867; poète et littérateur français, membre de l'Académie française, qui chanta avec le même enthousiasme la naissance du Roi de Rome et le retour de Louis XVIII.

BRIGNOLE-SALE (le marquis Antoine DE), 1786-1863. D'une ancienne et illustre famille de Gênes, il fut d'abord auditeur au Conseil d'État impérial, puis préfet de Savone, et, en 1814, plénipotentiaire de la ville de Gênes au Congrès de Vienne. Rallié à la monarchie de Savoie, il devint chef de l'Université royale en 1816, ambassadeur à Rome en 1839, puis à Paris où il resta de longues années.

BRIGNOLE-SALE (la marquise DE), née Durazzo. Elle fut la mère de la duchesse Melzi et de la duchesse de Galliera.

BROGLIE (le duc Victor DE) *, 1785-1870. Chef du parti doctrinaire, plusieurs fois ministre sous Louis-Philippe. Il avait épousé Albertine de Staël, qui mourut en 1840.

BRONZINO (Agnolo), 1502-1572. Peintre italien, né à Florence.

BROUGHAM (lord Henry) *, 1778-1868. Homme politique anglais.

BRUGES (Mme DE), morte en 1897. Née Émilie de Zeuner. Elle avait épousé en premières noces le comte de Bruges, émigré français en Prusse, et, en secondes noces, épousa le général de Berger, au service prussien.

BRUNNOW (le baron), 1796-1875. Diplomate russe, ministre à Darmstadt 485 en 1839, il fut nommé ambassadeur à Londres en 1840 après avoir négocié le mariage du grand-duc héritier (depuis Alexandre II). Il prit une grande part aux négociations qui amenèrent la conclusion du traité de la quadruple alliance du 15 juillet 1840, où la politique de la France trouva un si grave échec. Accrédité auprès de la Confédération germanique en 1855, il fut désigné pour représenter, avec le comte Orloff, le gouvernement russe au Congrès de Paris en 1856.

BRUNSWICK (le duc Guillaume DE), 1806-1884. Ce Prince prit les rênes du gouvernement en 1825, après la fuite de son frère Charles, et régit définitivement le duché à partir de 1837.

BUGEAUD DE LA PICONNERIE (le maréchal), 1784-1849. Entré au service militaire en 1804, il avait fait avec distinction les campagnes de l'Empire, puis se retira dans sa terre d'Excideuil en Dordogne, après la chute de Napoléon. Rappelé à l'activité en 1830, il se dévoua à la nouvelle monarchie, réprima énergiquement plusieurs insurrections à Paris et fut envoyé, en 1836, en Algérie, où il battit Abd-el-Kader et lui imposa le traité de la Tafna. Nommé, en 1840, gouverneur de l'Algérie, il s'y montra bon administrateur, gagna la bataille de l'Isly sur les Marocains et consolida les possessions françaises dans l'Afrique du Nord.

BÜLOW (le baron Henri DE) *, 1790-1846. Diplomate prussien. Il fut ministre en Angleterre, puis ministre des Affaires étrangères de Prusse.

BÜLOW (le comte Hans-Adolphe-Charles DE), 1807-1869. Homme d'État prussien, chargé de plusieurs missions en Hanovre, en Oldenburg, en Brunswick. De 1850 à 1858, il dirigea les affaires de Mecklembourg.

BULWER (sir Henry Lytton) **, 1804-1872. Diplomate anglais, ministre plénipotentiaire en Espagne de 1843 à 1848, ambassadeur à Constantinople en 1858.

BUNSEN (le chevalier Chrétien-Charles-Josias DE), 1791-1860. Diplomate allemand. Il passa vingt ans à Rome comme secrétaire de la légation prussienne et y traita l'affaire des mariages mixtes. Très lié avec le Prince Royal de Prusse, qui, devenu Roi Frédéric-Guillaume IV en 1840, le nomma ambassadeur à Londres où il resta jusqu'à la guerre de Crimée en 1854.

BUTENIEFF (Apollinaire DE). Diplomate russe, ministre à Constantinople, puis à Rome. Il avait épousé en secondes noces Marie de Chreptowicz.

C

CAMBRIDGE (le prince Georges DE), né en 1819. Fils du duc Adolphe de Cambridge et de la princesse Auguste de Hesse-Cassel, il devint duc de Cambridge à la mort de son père en 1850, et occupa un haut poste à la tête de l'armée anglaise. Il avait épousé morganatiquement 486 miss Louisa-Fitz-George, fille de M. Farebrother, qui mourut en 1890.

CAMBRIDGE (la princesse Auguste DE), née en 1822. Sœur du prince Georges, cette Princesse épousa, en 1843, le grand-duc de Mecklembourg-Strélitz, à cette époque Prince héréditaire.

CAMPHAUSEN (Ludolf), 1802-1896. Président du ministère prussien en 1848, puis ministre plénipotentiaire près du pouvoir central germanique où il mit en avant une Confédération dont la Prusse devait avoir l'hégémonie.

CAPO D'ISTRIA (le comte) *, 1776-1831. Natif de Corfou.

CARAMAN (la marquise DE) **. Née Gallard de Béarn; veuve depuis 1836 du marquis de Caraman.

CARDIGAN (James-Thomas-Brudenell-Bruce), 1797-1864. Général et pair d'Angleterre, d'une vieille famille qui fut la tige des marquis d'Ailesbury. Après plusieurs démêlés avec les officiers de son régiment, il eut un duel avec un capitaine et, ayant blessé son adversaire, fut traduit devant la Chambre des Lords constituée en Cour de justice en 1841; il fut acquitté.

CARIGNAN (la princesse Joséphine DE), 1753-1797. Grand'mère du Roi Charles-Albert de Sardaigne, fille de Louis-Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf, prince de Lambesc, comte de Brionne, elle avait épousé, en 1768, le prince Victor-Amédée II de Carignan, qui était établi à Paris.

CARLOTTA (l'infante) *, 1804-1844. Fille du Roi des Deux-Siciles, et sœur de la Reine Marie-Christine d'Espagne.

CARNÉ (le comte Joseph DE), 1804-1876. Entré en 1825 dans les bureaux du ministère des Affaires étrangères, il se rallia au gouvernement de Juillet, fut élu député, et prit une part active aux travaux parlementaires. Il entra à l'Académie française en 1863.

CAROLATH-BEUTHEN (le prince Henri DE) **, 1783-1864. Général de cavalerie prussienne et grand-veneur royal.

CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Adélaïde DE), 1797-1849. Fille du comte de Pappenheim, elle avait épousé le prince Henri Carolath en 1817.

CARS (la duchesse DES), morte en 1870. Augustine du Bouchet de Sourches de Tourzel, mariée en 1817 au duc Amédée-François des Cars.

CASTELLANE (la comtesse DE) *, 1796-1847. Née Cordélia Greffulhe, mère du marquis Henri de Castellane.

CASTELLANE (le marquis Henri DE) **, 1814-1847. Fils aîné du maréchal de Castellane et député du Cantal.

CASTELLANE (la marquise Henri DE), 1820-1890. Née Pauline de Périgord *, petite-nièce du prince de Talleyrand et fille de l'auteur de la Chronique.

CASTELLANE (Marie DE). Née en 1840. Fille du marquis et de la marquise Henri de Castellane et filleule de l'auteur de la Chronique; elle épousa à Sagan, en 1857, le prince Antoine Radziwill, dont elle devint veuve en 1904. 487

CASTLEREAGH (le vicomte DE) *, 1769-1822. Homme d'État anglais, ennemi acharné de la Révolution française et de Napoléon Ier.

CAULAINCOURT (Armand-Augustin-Louis, marquis DE), duc de Vicence, 1772-1827. Général français, négociateur de Napoléon Ier au congrès de Châtillon et un de ses plus fidèles serviteurs.

CAVAIGNAC (le général Louis-Eugène), 1802-1857. Après avoir fait presque toute sa carrière militaire en Algérie, il fut nommé gouverneur de cette province après la Révolution de 1848. Au coup d'État du 2 décembre 1851, il fut arrêté et transporté à Ham; relâché, il demanda sa retraite et rentra dans la vie privée.

CELLAMARE (le prince DE), 1657-1733. Nommé ambassadeur d'Espagne à la Cour de France en 1715, il y devint, avec la duchesse du Maine, l'instrument des projets d'Alberoni contre le Régent; sa correspondance fut interceptée vers la fin de 1718, lui-même arrêté et conduit aux frontières d'Espagne.

CÉSOLE (le comte Eugène DE). Établi à Nice et fort recherché en société pour son joli talent sur le violon et son amabilité.

CÉSOLE (la comtesse DE), 1812-1892. Née de Castellane. Elle habita Nice jusqu'à la fin de sa vie.

CESSAC (le comte DE), 1752-1841. Jean-Gérard Lacué de Cessac était au service quand la Révolution éclata. Membre du Conseil des anciens en 1775. Partisan du 18 Brumaire, Cessac fut appelé au Conseil d'État, devint ministre de la Guerre en 1807, et resta fidèle à l'Empereur jusqu'à la fin. En 1831, Cessac entra à la Chambre des Pairs.

CHABANNES LA PALICE (le comte Alfred DE) *, 1799-1868. Général de brigade et aide de camp de Louis-Philippe qu'il suivit en exil.

CHABANNES LA PALICE (la comtesse Alfred DE), 1802-1891. D'origine anglaise, née miss Antoinette Ellice.

CHABOT (Philippe DE), comte de Jarnac **, 1815-1875. Diplomate français, très attaché à la famille d'Orléans.

CHABOT (Mlle Olivia DE), épousa en 1844 le marquis de Lasteyrie, dont elle devint veuve en 1883.

CHAIX-D'EST-ANGE (Gustave), 1800-1876. Célèbre jurisconsulte, magistrat et homme politique français, grand-officier de la Légion d'honneur en 1861 et sénateur en 1864.

CHALAIS (le prince Élie DE) **, 1809-1883. Fils aîné du duc de Périgord.

CHANALEILLES (la marquise Stéphanie DE). Seconde fille du duc de Crillon; avait épousé Sosthène de Chanaleilles en 1832. Elle était une sœur de la comtesse Pozzo.

CHANGARNIER (le général), 1793-1877. Après avoir pris part, en 1823, à la guerre d'Espagne, il se distingua dans les campagnes d'Algérie. Exilé après le coup d'État de 1851, il rentra en France en 1859, et servit à l'armée de Metz.

CHARTRES (Robert d'Orléans, duc DE), né en 1840. Second fils du duc d'Orléans et de la princesse Hélène 488 de Mecklembourg-Schwerin. Il épousa, en 1863, sa cousine germaine, Françoise, fille du prince de Joinville.

CHATEAUBRIAND (le vicomte DE) *, 1768-1848. Un des plus célèbres écrivains français de son époque.

CHATEAUBRIAND (la vicomtesse DE), 1775-1845. Née Céleste de la Vigne-Buisson, elle avait épousé, en 1792, le vicomte de Chateaubriand, avec les sœurs duquel elle avait été liée dès son enfance.

CHEVREUSE (la duchesse Marie DE), 1600-1679. Veuve du duc Albert de Luynes, elle épousa Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, joua un rôle dans la Fronde et dans les complots contre Mazarin.

CHOMEL (le docteur), 1788-1859. Médecin du Roi Louis-Philippe et de la duchesse d'Orléans. Il fut le premier à établir une véritable clinique à l'hôpital de la Charité. Chomel était l'élève de Corvisart.

CHREPTOWICZ (la comtesse Hélène) **, morte en 1878. Fille du comte de Nesselrode, chancelier de Russie, elle avait épousé le comte Michel Chreptowicz, diplomate russe.

CIRCOURT (la comtesse DE), 1808-1863. Née Anastasie de Klustine, elle épousa, en 1830, le comte Adolphe de Circourt, et eut à Paris un salon très remarquable. Amie intime du comte de Cavour, ils entretinrent une correspondance fort intéressante, plusieurs des lettres du comte de Cavour à Mme de Circourt ont été publiées par le comte Nigra.

CLANRICARDE (lady) *, morte en 1876. Elle était l'unique enfant du célèbre George Canning.

CLARENDON (lord) *, 1800-1870. Diplomate et homme politique anglais.

CLARY-ALDRINGEN (la princesse), 1777-1864. Née comtesse Louise Chotek, elle avait épousé, en 1802, le prince Charles Clary-Aldringen, son cousin germain.

CLARY-ALDRINGEN (le prince Edmond), 1813-1894. Fils du prince Charles Clary. Chambellan à la Cour d'Autriche, il épousa, en 1841, une comtesse de Ficquelmont, dont il devint veuf en 1878.

CLAUSEL (le général comte) **, 1772-1842. Gouverneur de l'Algérie en 1830, il fut fait maréchal de France en 1831.

CLÉREMBAULT (le vicomte Jean-Nicolas-Adolphe DE), né en 1810. Fils du comte de Clérembault, consul général de France en Prusse en 1809, il servit dans la marine et devint lieutenant de vaisseau. Il épousa en Belgique Mlle Valérie Desœr. Il était chevalier de la Légion d'honneur.

COBOURG (le duc Ernest II De Saxe-), 1818-1893; succéda à son père Ernest Ier, en 1844. Il avait épousé, en 1842, la princesse Alexandrine de Bade.

COBOURG (le prince Albert DE Saxe-), 1819-1861, frère du duc Ernest II; il épousa, en 1840, la Reine Victoria d'Angleterre.

CœURALT (l'abbé), 1805-1860. Prédicateur de talent, appelé en 1848 à l'évêché de Troyes. 489

COGNY (le docteur) **, médecin à Valençay.

COIGNY (le duc Gustave DE) **, 1788-1865. Pair et maréchal de France.

COLLOREDO (le comte François DE), né en 1799. Diplomate autrichien, ambassadeur à Londres, puis à Rome.

COLLOREDO (la comtesse DE). Née Séverine Potocka, elle avait épousé en premières noces M. Sobański, et se remaria, en 1847, avec le comte de Colloredo.

COMMINES (Philippe DE), 1445-1509. Chroniqueur et auteur de Mémoires sur les règnes de Louis XI et de Charles VIII, où il se montre historien de premier ordre.

CONDÉ (la princesse Louise-Adélaïde DE), 1757-1824. Fille du duc de Bourbon-Condé et de Charlotte de Rohan-Soubise, fut nommée par Louis XVI, en 1784, abbesse de Remiremont, mais ne fut point religieuse. Un sentiment profond pour un simple gentilhomme la décida à quitter le monde. Elle vécut dans l'ordre des Bénédictins à Turin, à Varsovie, et même à Nie['s]wie[.z], dans un couvent fondé par les princes Radziwill. C'est là qu'elle apprit la mort de son frère, le duc d'Enghien. Rentrée en France, la princesse de Condé y fonda le monastère du Temple.

CONSALVI (le cardinal Hercule), 1757-1824. Protégé par Mesdames de France, tantes de Louis XVI, et par le cardinal d'York, dernier des Stuarts, H. Consalvi occupa des fonctions importantes à la Cour pontificale de Pie VI et fut l'instrument principal de l'élection de Pie VII, qui le nomma cardinal et secrétaire d'État. Consalvi vint en France en 1801 et y signa le fameux Concordat, mais Napoléon, pour l'éloigner des affaires, le retint en France, en un véritable exil, et ce ne fut qu'en 1814 qu'il put retourner en Italie. Au Congrès de Vienne, en 1815, le cardinal y obtint non seulement la restitution au Saint-Siège des Marches, ainsi que Bénévent et Ponte-Corvo, mais encore il fit proclamer la suprématie des Nonces dans le monde diplomatique.

CONTADES (la vicomtesse Jules DE), 1793-1861. Adèle-Alexandrine, fille de Gabriel Amys du Poureau, épousa d'abord le vicomte Jules de Contades. Veuve en 1844, elle se remaria avec le duc de Luynes dont elle fut la seconde femme.

CORNÉLIUS (Pierre DE) **, 1783-1867. Célèbre peintre allemand.

COSSÉ-BRISSAC (Mlle Stéphanie-Marie DE), fille du comte Arthur de Cossé-Brissac, épousa en 1841 Louis-Marie de Riffardeau, duc de Rivière.

COURTIER Ecclésiastique jouissant d'une grande popularité.

COWLEY (lord), 1804-1884. Fils du comte de Mornington et neveu du duc de Wellington, il entra de bonne heure dans la carrière diplomatique et fut accrédité en 1841 auprès de la Confédération germanique. En 1852, il fut nommé ambassadeur à Paris, en remplacement de lord Normanby, et prit part, avec lord Clarendon, au Congrès de Paris en 1856. Il conserva son poste en France jusqu'en 1867. Il avait épousé, en 490 1833, Olivia Fitz-Gerald de Ros.

COWPER (lady Fanny), morte en 1880. Fille du premier mariage de lady Palmerston et nièce de lord Melbourne, elle épousa, en 1841, lord Robert Jocelyn (1816-1854), membre du Parlement et fils aîné de lord Roden.

CRÉMIEUX (Adolphe), 1796-1880. Avocat et homme politique élu député à Chinon en 1842, fit partie du gouvernement de la Défense nationale avec Gambetta en 1870. Il fut nommé sénateur inamovible en 1875.

CRILLON (Mlle Marie-Louise-Amélie DE). Fille du marquis de Crillon, pair de France, elle épousa, en 1842, le prince Armand de Polignac, fils du dernier président du Conseil du Roi Charles X.

CRILLON (Mlle Valentine DE), sœur de la précédente, épousa le comte Charles Pozzo di Borgo.

CUJAS (Jacques), 1520-1590. Célèbre jurisconsulte de Toulouse, surnommé le Papinien de son siècle.

CUSTINE (la marquise DE), 1770-1826. Delphine de Sabran, fille du premier mariage de Mme de Boufflers, épousa, en 1787, M. de Custine, qui périt sur l'échafaud avec son frère, le général de Custine, en 1793. Mme de Custine fut une amie de Chateaubriand.

CUSTINE (le marquis Adolphe DE), 1793-1857. Fils de la précédente. Voyageur et littérateur français.

CUVILLIER-FLEURY (Alfred) **, 1802-1887. Littérateur français, précepteur du duc d'Aumale, puis son secrétaire. Il fut élu membre de l'Académie française en 1866.

CZARTORYSKI (le prince Adam) *, 1770-1861. Ami et ministre de l'Empereur Alexandre Ier de Russie, établi à Paris depuis 1830.

D

DALMATIE (le marquis DE), 1807-1857. Hector Soult, fils du maréchal, d'abord officier d'état-major, entra, en 1830, dans la diplomatie et fut ministre plénipotentiaire à la Haye, à Turin, à Berlin. Longtemps député du Tarn, il appuya toujours la politique conservatrice. Il devint duc en 1850, à la mort de son père.

DANEMARK (Christian VIII, Roi de), 1786-1848. Anciennement prince (Christian) de Danemark **. Fils du prince héréditaire Frédéric et de la princesse Sophie-Frédérique de Mecklembourg-Schwerin, il succéda, le 3 décembre 1839, à Frédéric VI. Il avait épousé en premières noces, en 1806, Charlotte-Frédérique de Mecklembourg-Schwerin, dont il eut un fils, plus tard le Roi Frédéric VII.

DANEMARK (la Reine de), 1796-1881 **. Caroline-Amélie, fille du duc et de la duchesse de Schleswig-Holstein-Sondersburg-Augustenburg, deuxième femme du Roi Christian VIII, auquel elle ne donna jamais d'enfant.

DECAZES (le duc Élie) *, 1780-1846. Pair de France et ministre sous Louis XVIII.

DECAZES (la duchesse) *. Née de Sainte-Aulaire. 491

DEDEL (Salomon) *, 1775-1846. Diplomate danois.

DEGUERRY (l'abbé), 1797-1871. Prédicateur distingué et aumônier du 6e régiment de la Garde, sous Charles X, il fut successivement chanoine de Notre-Dame, curé de Saint-Eustache, puis de la Madeleine à Paris. Arrêté durant la Commune en 1871, il fut fusillé avec Mgr Darbois et le président Bonjean. L'abbé Deguerry avait dirigé l'instruction religieuse du Prince Impérial.

DELAROCHE (Paul), 1797-1856. Célèbre peintre français, élève de Gros. Il avait épousé à Rome, en 1835, Mlle Louise Vernet, fille unique d'Horace Vernet, qui mourut en 1845.

DELESSERT (Gabriel), 1786-1858. D'abord officier, il s'était distingué dans la défense de Paris en 1814, et devint général de brigade en 1831. Il fut ensuite préfet de l'Aude, puis d'Eure-et-Loir, de 1834 à 1836, enfin, préfet de police de 1836 à 1848, époque à laquelle il rentra dans la vie privée.

DEVRIENT (Daniel-Louis), 1784-1832. Célèbre acteur allemand, d'origine française.

DEMIDOFF (le comte Anatole), 1812-1872. Anatole Demidoff, prince de San-Donato, épousa, en 1841, la princesse Mathilde, fille du roi Jérôme de Westphalie. Son père avait fait une grosse fortune dans les mines de Sibérie, et fut le premier à acclimater en Crimée les vignes de France.

DEVONSHIRE (le duc DE), mort en 1858. Wilhelm Cavendish.

DIEGO-LÉON, mort en 1841. Général espagnol très renommé par sa bravoure. Il appartenait au parti conservateur modéré qui soutenait la Reine Marie-Christine alors Régente. Espartero voulant la détrôner, Diego-Léon se mit à la tête d'une conspiration, en 1841, pour séquestrer la jeune reine Isabelle et l'emmener dans une ville de province afin de la soustraire à Espartero. Un combat eut lieu dans le palais même de Madrid; Diego-Léon fut pris et fusillé en 1841.

DINO (le duc DE) **, 1813-1894. Connu, jusqu'en 1838, sous le nom de comte Alexandre de Périgord *, second fils de la duchesse de Talleyrand.

DINO (la duchesse DE), 1820-1891. Née Marie-Joséphine de Sainte-Aldegonde, elle avait épousé, en 1839, le duc Alexandre de Dino.

DINO (Clémentine DE), née en 1841. Fille du duc et de la duchesse Alexandre de Dino, elle épousa, en 1860, à Sagan, le comte Alexandre Orlowski.

DœNHOFF (le comte Auguste-Hermann), né en 1788. Après avoir rempli diverses missions diplomatiques, il fut ministre de Prusse à la Diète de Francfort, en 1842, puis, en 1848, ministre des Affaires étrangères dans le Cabinet Pfuel, mais il démissionna bientôt. Le comte Dœnhoff était membre de la Chambre des Seigneurs.

DœNHOFF (Sophie-Julienne-Frédérique, comtesse), morte en 1824. Favorite du Roi Frédéric-Guillaume II, dont elle eut deux enfants 492 qui prirent le titre de comtes de Brandebourg.

DON CARLOS DE BOURBON *, 1788-1855.

DOLOMIEU (la marquise DE) *, 1779-1849. Dame d'honneur de la Reine Marie-Amélie.

DOUGLAS (le marquis DE) *, 1811-1863. Succéda à son père comme duc de Hamilton, en 1852. Il avait épousé, en 1843, la princesse Marie de Bade.

DOURO (lady Élisabeth), fille du marquis de Tweeddale, épousa, en 1839, Arthur Richard-Wellesley, marquis de Douro, qui, à la mort de son père, en 1852, devint duc de Wellington.

DREUX-BRÉZÉ (l'abbé DE), 1811-1893. Troisième fils du marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies sous Louis XVI, il devint, en 1835, vicaire général de Mgr de Quélen, à Paris, puis, en 1849, fut nommé évêque de Moulins. Il ne dissimula jamais ses opinions ultramontaines et légitimistes.

DREUX-BRÉZÉ (le marquis DE), 1793-1843. Scipion de Dreux-Brézé commença par la carrière militaire, dont il se retira en 1827. En 1829, il devint pair de France par la mort de son père. Il fut un des chefs de l'opposition contre le gouvernement de Louis-Philippe.

DUCHATEL (le comte Charles Tauneguy) *. Homme politique français.

DUCHATEL (la comtesse Églé), fille de M. Paulée, qui, comme fournisseur de l'armée française pendant la guerre de 1823, en Espagne, avait fait une fortune considérable.

DU DEFFANT (la marquise), 1697-1780. Née Marie de Vichy-Chambord. Mariée de bonne heure à un homme qu'elle aimait peu, elle s'en sépara, puis, devenue veuve, ouvrit son salon aux grands seigneurs et aux philosophes de son temps. Aveugle dès l'âge de cinquante-quatre ans, elle remplaçait la galanterie par l'amitié, la beauté par l'esprit, et conserva toujours un impérieux désir de distractions. Sa correspondance avec Voltaire, Horace Walpole, a été publiée et montre une remarquable sûreté de jugement.

DUFAURE (Jules-Armand-Stanislas) **, 1798-1881. Avocat et homme politique français.

DUMOURIEZ (Charles-François), 1739-1824. Déjà maréchal de camp quand éclata la Révolution, il en adopta les principes, et fut ministre des Affaires étrangères en 1792; il déclara la guerre à l'Autriche, mais ayant encouru la disgrâce du parti girondin qui l'avait élevé au ministère, il se retira et reprit du service. Chargé du commandement de l'armée du Nord, il remporta les victoires de Valmy et de Jemapes et conquit la Belgique; mais après un revers à Nerwinden, il fut en butte aux attaques de la Convention et engagea des pourparlers auprès de l'ennemi, chez qui il s'enfuit bientôt. Il mena, dès lors, une vie errante, et finit par se fixer en Angleterre, où le gouvernement lui fit une pension. 493

DUPANLOUP (l'abbé) **, 1802-1878. Nommé évêque d'Orléans, en 1849, il entra à l'Académie française en 1854.

DUPIN (André-Marie) *, 1783-1865. Jurisconsulte et magistrat français, député durant de longues années.

DUPOTY (Michel-Auguste), 1797-1864. Publiciste, républicain ardent, qui combattit la monarchie de Juillet comme celle des Bourbons.

DUPREZ (Gilbert-Louis) **, 1806-1879. Célèbre ténor français.

DURHAM (John Lambton, comte DE) *, 1792-1840. Homme politique anglais.

E

ELCHINGEN (la duchesse D'), née en 1801. Marie-Joséphine, fille du comte de Souham, avait épousé, en premières noces, le baron de Vatry. Devenue veuve, elle se remaria, en 1834, avec le duc d'Elchingen, aide de camp du duc d'Orléans et fils aîné du maréchal Ney, qui mourut en 1854.

ELLICE (l'honorable Édouard) *, 1787-1863. Homme politique anglais.

ELSSLER (Thérèse) **, 1806-1878. Célèbre danseuse, épouse morganatique du prince Adalbert de Prusse. Elle portait le titre de baronne de Barnim.

ENGHIEN (Louis-Antoine-Henri de Bourbon, duc D'), 1772-1802, fils du prince de Condé et de Louise-Thérèse-Mathilde d'Orléans, suivit ses parents en émigration, et montra un brillant courage dans l'armée de Condé. Fixé à Ettenheim, dans le grand-duché de Bade, auprès de la jeune et belle Charlotte de Rohan-Rochefort, à laquelle on le disait secrètement marié, il fut arrêté au mépris du droit des gens par les ordres du Premier Consul, qui le soupçonnait de conspirer contre lui. Il fut jugé par une Commission militaire et fusillé dans les fossés du château de Vincennes.

ENTRAIGUES (le marquis Emmanuel-Louis D'), 1755-1812. D'abord officier, il émigra en 1790 et devint conseiller de la légation russe à Londres, où il fut assassiné avec sa femme.

ENTRAIGUES (Amédée Goveau D') *. Né en 1785. Préfet à Tours de 1830 à 1847.

ESPARTERO (Joachim-Boldomero), 1792-1879. Espagnol. Militaire brillant, Espartero engagea vivement les hostilités lorsque éclata la guerre civile à l'occasion de la succession au trône d'Isabelle II. En 1840, la Régente Marie-Christine ayant abdiqué, les Cortès transférèrent les pouvoirs de la Régence à Espartero. Renversé en 1842, il se retira en Angleterre, rentra en Espagne en 1847, reprit sa place au Sénat où il continua à jouer un rôle prépondérant.

ESPEUIL (Antoine-Théodore de Viel-Lunas, marquis D'), né en 1802, fait sénateur en 1853. Il avait épousé Mlle Jeanne-Françoise-Louise de Chateaubriand, nièce du vicomte de Chateaubriand.

ESSEX (Arthur-Algernon Capell, lord), 1803-1892. Il avait succédé 494 à son oncle, comme comte d'Essex, en 1839. Il se maria trois fois: 1o en 1825, avec Caroline-Janetta, fille du duc de Saint-Albans, qui mourut en 1862; 2o en 1863, avec Louise-Caroline-Élisabeth, fille du vicomte Dungarvan, qui mourut en 1876; et 3o en 1881, avec Louise, fille de Charles Heneage, et veuve du général lord Paget.

ESTERHAZY (le prince Paul) *, 1786-1866. Diplomate autrichien.

ESTERHAZY (le prince Nicolas), 1817-1894. Fils du prince Paul; il épousa, en 1842, lady Sarah Villiers, fille de lord et de lady Jersey, dont il devint veuf en 1853.

ESTERHAZY (le comte Maurice), 1805-1891. Diplomate autrichien, ambassadeur à Rome en 1855, et ministre sans portefeuille de 1865 à 1866; il eut une large part aux événements qui précédèrent la guerre de 1866, en refusant toutes les concessions qui auraient pu amener une entente entre Vienne et Berlin. Il appartenait au vieux parti conservateur hongrois.

EU (Gaston d'Orléans, comte D'), né en 1842. Fils aîné du duc de Nemours et de la princesse de Saxe-Cobourg-Gotha; épousa, en 1864, à Rio-de-Janeiro, la princesse Isabelle de Bragance, fille aînée de l'Empereur du Brésil.

EYNARD (Jean-Gabriel), 1775-1863. Riche commerçant que la Révolution avait fait émigrer à Gênes où il s'était établi. Vivement attaché à la cause grecque, il travailla activement à l'affranchissement de ce pays.

F

FABRE (François-Xavier) *, 1766-1837. Peintre français; élève de David.

FAGEL (le général Robert) *. Ambassadeur du Roi des Pays-Bas en France sous la Restauration.

FALLOUX (le comte Alfred DE), 1811-1885. Homme politique français et membre de l'Académie. Ministre de l'Instruction publique sous la présidence du prince Louis-Napoléon, il laissa son nom à la loi sur l'organisation de l'enseignement.

FANE (lady G.-J. Georgiana), 1811-1874. Fille de lord John Westmorland, qui fut lord-lieutenant d'Irlande de 1790 à 1795, et de son second mariage avec miss Jane Saunders. Elle ne fut jamais mariée.

FESCH (le cardinal) **, 1763-1839. Oncle maternel de Napoléon Ier.

FEUCHÈRES (la baronne Sophie DE), 1795-1841. Connue par sa liaison avec le dernier duc de Bourbon, par qui elle se fit donner les riches domaines de Saint-Leu et de Boissy et une somme d'un million. C'est elle qui décida le Prince à laisser tout le reste de sa fortune au jeune duc d'Aumale, son filleul, pour échapper aux dangers auxquels elle se serait exposée en se la faisant donner. Méprisée de tous, elle vécut en Angleterre après la mort du prince de Condé, qui fut trouvé un jour pendu à l'espagnolette d'une croisée de son château de Chantilly, en 1830. 495

FICQUELMONT (le comte Charles-Louis DE) **, 1777-1857. Officier, puis diplomate au service de l'Autriche, ministre l'État à Vienne en 1840, et un moment ministre des Affaires étrangères en 1848.

FLAHAUT (le général comte Auguste-Charles-Joseph DE) *, 1785-1870. Pair de France et ambassadeur.

FLAHAUT (la comtesse DE) *, 1788-1867. Margaret, baroness Nairne and Keith avait épousé, en 1817, le comte de Flahaut.

FLAHAUT (Emily-Jane-Mercer-Ephinstone DE), fille aînée du comte de Flahaut et de la baronne Nairne et Keith, épousa, en 1843, le marquis Henry de Lansdowne (1816-1866), membre du Parlement.

FLAHAUT (Adélaïde-Élizabeth-Joséphine DE), morte en 1841. Quatrième fille du comte et de la comtesse de Flahaut.

FLOTOW (le comte Frédéric-Adolphe DE), 1812-1883. Compositeur de musique allemand, auteur d'un grand nombre d'opéras.

FORBIN-JANSON (la marquise DE). Née Rochechouart-Mortemart.

FOUQUET (Nicolas), 1615-1680. Surintendant des finances sous Louis XIV, condamné comme dilapidateur, après un procès célèbre, et enfermé à Pignerol où il mourut après dix-neuf ans de captivité.

FOX (Miss), morte en 1840. Caroline Fox, fille d'Étienne Fox, second Lord Holland.

FRANÇOIS Ier, Empereur d'Autriche, 1708-1765. Fils aîné du duc Léopold de Lorraine; hérita du duché de Lorraine en 1729, mais l'échangea en 1738 contre celui de Toscane, où la maison de Médicis venait de s'éteindre. Il épousa Marie-Thérèse, fille de Charles VI, et, à la mort de celui-ci en 1740, fut nommé Régent.

FRÉDÉRIC Ier, premier Roi de Prusse, 1657-1713. Fils de Frédéric-Guillaume, grand-électeur de Brandebourg.

FRÉDÉRIC II le Grand *. Roi de Prusse, 1712-1786. Illustre guerrier et ami des philosophes de son temps; monta sur le trône en 1740.

FFrédéric-GUILLAUME II, dit le Gros Guillaume, Roi de Prusse, 1744-1797. Neveu du grand Frédéric et son successeur; monta sur le trône en 1786.

FRÉDÉRIC-GUILLAUME III **. Roi de Prusse, 1770-1840. Fils de Frédéric-Guillaume II et son successeur. Époux de la Reine Louise.

FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV **, Roi de Prusse, 1795-1861. Fils de Frédéric-Guillaume III et son successeur; monta sur le trône en 1840.

FREY (Mrs Elizabeth), 1780-1865. Née d'une famille distinguée, par ses richesses et son éducation, elle épousa à vingt ans M. Joseph Frey, qui appartenait à la société des Quakers; elle consacra dès lors sa vie aux œuvres de piété, surtout à celle des prisons, où elle apporta de grandes améliorations.

FROISSART (Jean), 1337-1410. Célèbre chroniqueur français.

FUGGER (Ulrich), 1441-1510. Célèbre marchand allemand, qui prêta des 496 sommes considérables à l'Empereur Maximilien.

G

GAGERN (le baron Henri DE), 1799-1880. Homme d'État allemand, et l'un des plus ardents partisans de l'unité allemande. Il fut Président de l'Assemblée nationale de Francfort en 1848.

GALLIÉRA (la duchesse Marie DE), 1812-1888. Fille aînée du marquis de Brignole-Sale, elle avait épousé un Génois, le duc de Galliéra, qui lui laissa une immense fortune, dont elle dépensa presque la totalité en bonnes œuvres.

GARNIER-PAGÈS, 1801-1841. Homme politique, chef du parti républicain sous Louis-Philippe.

GAY (Mme Sophie), 1776-1852. Fille du financier La Valette, elle épousa très jeune un agent de change, dont elle divorça en 1799, pour épouser M. Gay, receveur général du département de la Roër, sous l'Empire. Le salon de Mme Gay fut bientôt le rendez-vous de la plus brillante société, et elle débuta, en 1802, dans la carrière des lettres: poète et bonne musicienne, elle composa, outre ses romans et ses œuvres dramatiques, les paroles et la musique de romances qui eurent de la vogue. Elle fut la mère de Delphine Gay (Mme de Girardin).

GENLIS (Mme DE), 1746-1830. Institutrice des enfants du duc d'Orléans (Philippe-Égalité), auteur de plusieurs ouvrages sur l'éducation.

GENOUDE (l'abbé Eugène), 1792-1849. Publiciste français, qui prit en 1823 la direction de la Gazette de France, dans laquelle il soutint constamment la cause monarchique. Marié, devenu veuf, il entra dans les ordres en 1835.

GENTY DE BUSSY (M. Pierre DE), 1793-1867. Commissaire des guerres, Bussy devint gouverneur des Invalides, fit la guerre d'Espagne, et, en 1828, eut une mission en Grèce. En 1844, il fut élu député, prit place parmi les conservateurs et soutint la politique extérieure et intérieure de M. Guizot.

GENTZ (Frédéric DE), 1764-1832. Publiciste prussien, ardent ennemi de la Révolution française. En 1814 et 1815, il fut secrétaire au Congrès de Vienne, et l'un des rédacteurs du pacte de la Sainte-Alliance.

GERLACH (le général Léopold DE), 1790-1861. Entré de bonne heure au service militaire prussien, il devint aide de camp du prince de Prusse et général d'infanterie. Ses idées étaient fort réactionnaires. Il fut un ami intime de Frédéric-Guillaume IV.

GERSDORFF (le baron Ernest DE) **, 1781-1852. Diplomate saxon.

GERSDORFF (le baron) **, 1800-1855. Administrateur des terres de la princesse de Courlande.

GIRARDIN (Mme DE), 1805-1855. Delphine Gay; épousa, en 1831, M. Émile de Girardin. Elle écrivit des poésies, des romans d'un grand talent. 497

GOBERT (M.), trésorier de l'œuvre des orphelins du choléra.

GœRGEI (Arthur), né en 1818. Célèbre général hongrois, qui prit une part active à la guerre de Hongrie, en 1848, y déployant d'abord les plus grands talents militaires, puis capitulant à Vilagos, livrant l'armée hongroise au général russe Rudiger.

GORE (Charles-Alexandre). Né en 1817, fils de sir William Gore. Il était commissaire des forêts.

GOURIEFF (M. DE). Diplomate russe, il fut ministre à la Haye, puis ministre des Finances dans son pays. Il était le beau-père de M. de Nesselrode.

GRAMONT-GUICHE (la duchesse DE), 1802-1882. Née Anna de Grimaud d'Orsay, comtesse du Saint-Empire, elle épousa le duc de Guiche, depuis duc de Gramont, lieutenant général, grand'-croix de la Légion d'honneur, dont elle devint veuve en 1855.

GRAMONT (Mme DE). Antoinette-Cornélie de Gramont, tante du duc de Gramont de la branche d'Aster, religieuse du Sacré-Cœur et supérieure de la maison de Paris.

GRANVILLE (lord) *, 1773-1846. Diplomate anglais, longtemps ambassadeur à Paris.

GRANVILLE (lady) *, morte en 1862. Elle était une fille du duc de Devonshire.

GRÈCE (la Reine Amélie DE), 1818-1867. Fille du grand-duc d'Oldenbourg, mariée, en 1836, à Othon Ier, Roi de Grèce.

GREY (lord) *, 1764-1845. Homme politique anglais.

GRISI (Giulia) *, 1812-1869. Célèbre cantatrice italienne.

GRœBEN (le général comte Charles DE), 1788-1876. Aide de camp du Roi Frédéric-Guillaume IV, chevalier de l'ordre de l'Aigle noir, et membre de la Chambre des Seigneurs.

GROTE (la comtesse DE), 1799-1885. La baronne Caroline de Schachten épousa, en 1825, le comte Adolphe de Grote, ambassadeur de Hanovre à Paris, et en 1841, après la mort de son mari, revint en Allemagne et accepta, avec la comtesse de Wedell, les fonctions de première dame de la Cour du Roi Ernest-Auguste de Hanovre, qu'elle conserva jusqu'à la mort du Roi (en 1851); elle ne l'avait pas épousé morganatiquement, comme on le supposait.

GUELLE (l'abbé Nicolas-Auguste), 1799-1881. Entré dans les ordres en 1825, il fut vicaire à la Madeleine, à Paris. Il fit faire la première communion au duc d'Aumale, et, en 1849, à Londres, au comte de Paris; il resta ensuite auprès du Roi Louis-Philippe, qu'il assista à sa mort. Devenu aumônier de la Reine Marie-Amélie, il reçut aussi son dernier soupir en 1866; puis il se retira à Paris.

GUILLON (Mgr), 1760-1847. Prédicateur et théologien, il avait été aumônier de la princesse de Lamballe, et refusa de prêter le serment civique à l'époque de la Révolution. Protégé par Lucien Bonaparte, il accompagna à Rome le cardinal Fesch, puis obtint à 498 son retour en France la chaire d'éloquence sacrée à la Faculté de théologie. Depuis 1818, il fut aumônier de la duchesse Marie-Amélie d'Orléans, depuis Reine des Français. Louis-Philippe obtint pour lui, en 1833, le titre d'évêque du Maroc in partibus. Mgr Guillon soutint toujours les principes de l'Église gallicane.

GUIZOT (François-Pierre-Guillaume) *, 1767-1874. Homme d'État et historien français.

GUSTAVE III, Roi de Suède, 1746-1792. Grand ami de la France où il fit plusieurs voyages. Pendant tout son règne il fut en butte à l'opposition de la noblesse suédoise, malgré plusieurs guerres heureuses contre la Russie. Une conspiration éclata au moment où il se disposait à marcher au secours de Louis XVI, arrêté à Varennes; il fut assassiné à coups de pistolet par Ankarstrœm, dans un bal masqué.

H

HANOVRE (l'Électrice Sophie-Dorothée DE), 1667-1726. Fille de Georges-Guillaume de Celle (second fils du duc de Brunswick et d'Éléonore d'Olbreuse), elle devint la femme du Roi George Ier d'Angleterre, qui la traita cruellement et la laissa pour ainsi dire en captivité durant plusieurs années.

HANOVRE (le Roi Ernest-Auguste DE), 1771-1851. D'abord duc de Cumberland *, il monta en 1837 sur le trône de Hanovre.

HANOVRE (la Reine Frédérique DE), duchesse de Cumberland *, jusqu'en 1837.

HANOVRE (le Prince Royal DE), plus tard le Roi Georges V.

HANOVRE (la Princesse Royale DE), née en 1818. Marie-Wilhelmine, fille du duc Joseph de Saxe-Altenburg, épousa, en 1848, le prince Georges de Hanovre, Roi en 1851.

HANSEMANN (David-Juste-Louis), 1770-1864. Gros commerçant d'Aix-la-Chapelle, il se fit connaître par ses opinions constitutionnelles et reçut, en 1848, le portefeuille des Finances dans le ministère Camphausen; il fut ensuite directeur de la Banque prussienne, puis fonda une florissante Société d'escompte.

HARDENBERG (le prince Charles-Auguste DE), 1750-1822. Ministre du Roi de Prusse en 1791, il signa la paix à Bâle avec la France; adversaire courageux de Napoléon Ier après Iéna, et la campagne de Russie, il poussa activement à la revanche. Il fut un des signataires du traité de Paris et assista au Congrès de Vienne en 1815.

HASSENPFLUG (Hans-Frédéric DE), 1793-1862. Ministre de l'Électeur de Hesse-Cassel, il passa ensuite au service de Prusse pendant quelques années. Ses opinions étaient fort réactionnaires.

HATZFELDT (le comte Max DE), 1813-1859. Frère cadet du prince Hermann de Hatzfeldt, il épousa, en 1844, Mlle Pauline de Castellane, qui, devenue veuve, se remaria avec le duc de Valençay. 499 Le comte Max de Hatzfeldt fut secrétaire à la légation de Prusse à Paris, puis ministre accrédité auprès de l'Empereur Napoléon III.

HAUGWITZ (le général comte Eugène DE), 1777-1867. Feld-maréchal, chambellan et conseiller privé à la Cour d'Autriche, qui fit presque toutes les guerres de la première moitié du dix-neuvième siècle.

HAUTEFORT (Marie D'), 1616-1691. Fille d'honneur de Marie de Médicis et Dame d'atour d'Anne d'Autriche, elle épousa, en 1646, le duc de Schomberg, gouverneur de Metz.

HAUTEFORT (la comtesse D'), Née en 1787, Adélaïde de Maillé épousa, en 1805, le comte d'Hautefort.

HAYNAU (le baron Jules-Jacques DE), 1786-1853. Fils de l'Électeur de Hesse, Guillaume Ier, et de son mariage morganatique avec Mlle de Lindenthal; il entra au service militaire de l'Autriche, et prit part en 1847 à la répression des mouvements révolutionnaires de l'Italie, où il se fit tristement connaître par d'horribles représailles; il agit de même en 1849, en Hongrie.

HECKER (Frédéric-Charles-François), 1811-1881. Jurisconsulte et homme politique allemand, qui se déclara hautement démocrate-socialiste en 1848, et devint un des chefs de la Montagne à la Diète de Francfort; il excita à l'insurrection générale tous les petits États du midi de l'Allemagne, et dut s'enfuir en Suisse, puis en Amérique où il mourut.

HENSEL (Guillaume), 1794-1861. D'abord auteur de comédies, puis peintre et dessinateur, il fréquentait beaucoup la société berlinoise. Il avait épousé Fanny Mendelssohn-Bartholdy, qui mourut en 1847.

HERDING (M. DE). Habitant de Mannheim, où sa société était très goûtée à la Cour de la grande-duchesse Stéphanie de Bade. Sa sœur, la princesse d'Isenbourg, habitait aussi Mannheim depuis son veuvage; elle était la mère de la comtesse de Buol-Schonenstein.

HERZ (Henri), 1806-1887. Célèbre pianiste et facteur de pianos.

HESKERN (le baron DE), diplomate hollandais.

HESS (le général baron Henri DE), 1788-1863. Chef d'état-major autrichien du corps de Lombardie, dès 1824, il se distingua sous le maréchal Radetzky, lorsque éclata en 1848 le mouvement national italien. Il entra à la Chambre des Seigneurs en 1861.

HESSE-CASSEL (l'Électeur Guillaume DE), 1777-1847. Se maria trois fois: 1o avec la princesse Auguste de Prusse, fille de Frédéric-Guillaume II; 2o avec la comtesse Émilie de Reichenbach; 3o avec Mlle Caroline de Berlepsch, qui reçut le titre de comtesse de Bergen.

HESSE-CASSEL (l'Électrice DE), 1780-1840. Née princesse de Prusse, et mariée, en 1797, à l'Électeur de Hesse.

HESSE-HOMBOURG (la landgravine DE), 1770-1840. Élisabeth, fille du Roi George III d'Angleterre, épousa, en 1818, le margrave Frédéric VI de Hesse-Hombourg.

HOCHBERG-FÜRSTENTEIN (le comte DE), 500 1806-1855. Plus tard prince de Pless.

HOHENTHAL (le comte Alfred DE) **, né en 1806. Chambellan du Roi de Saxe.

HOHENTHAL (la comtesse DE) *, 1808-1845. Née princesse Louise de Biron-Courlande.

HOHENZOLLERN-HECHINGEN (la princesse Pauline DE) **, 1782-1845. Née princesse de Courlande et sœur de la duchesse de Talleyrand.

HOHENZOLLERN-HECHINGEN (le prince Constantin DE) **, 1801-1869. Fils de la princesse Pauline de Courlande, il abdiqua en 1849 le gouvernement de la principauté de Hohenzollern en faveur du Roi de Prusse, et reçut en 1850 le titre d'Altesse Royale.

HOLLAND (lady douairière) *, morte en 1840. En premières noces lady Webster. Elle eut à Londres un salon célèbre.

HOLLAND (lady Maria-Augusta), 1812-1890. Fille du comte de Coventry, elle avait épousé, en 1833, Henry, fils aîné et successeur (en 1840) du troisième lord Holland, neveu de Fox. Le baron Henry Holland (1802-1859) fut quelque temps ministre plénipotentiaire à la Cour de Toscane; il mourut à Naples sans laisser d'enfants, et le titre est aujourd'hui éteint.

HOTTINGER (le baron Jean Courd), 1764-1841. Suisse d'origine, fondateur d'importantes maisons de commerce, créé baron en 1810. Élu député en 1815, il devint régent de la Banque de France.

HUDEN (Henri), né en 1810. Conseiller d'État à la justice, professeur à Iéna.

HÜGEL (le baron Ernest-Eugène DE) **, 1774-1849, général würtembergeois.

HÜGEL (le baron Charles DE), né en 1796. Célèbre voyageur et naturaliste allemand, ministre plénipotentiaire d'Autriche auprès du grand-duc de Toscane, de 1850 à 1859.

HÜGEL (le baron Charles-Eugène DE), 1805-1870. Diplomate würtembergeois, un moment ministre des Affaires étrangères de son pays.

HUMANN (Jean-Georges) *, 1780-1842. Financier et homme d'État français.

HUMBOLDT (Alexandre DE) **, 1769-1858. Savant naturaliste allemand.

HYDE DE NEUVILLE (le baron) **, 1776-1857. Homme politique français, d'opinion très légitimiste.

I

IFFLAND (Auguste-Guillaume), 1759-1814. Acteur allemand, qui, après avoir débuté à Gotha et à Weimar, fut nommé directeur des spectacles de la Cour de Berlin. Il composa lui-même un grand nombre de drames.

INGRES (Jean-Auguste-Dominique), 1780-1867. Peintre français qui se distingua surtout par la perfection du dessin.

ISABELLE II, Reine d'Espagne *, 1830-1904.

ISTRIE (la duchesse Mathilde D'), fille 501 du comte Joseph de la Grange, général dans l'armée française et pair de France; elle avait épousé Napoléon Bessières, duc d'Istrie et pair de France, dont elle devint veuve en 1856.

J

JACQUES CœUR, 1400-1456. Argentier de Charles VII à qui il fournit des ressources pour la guerre contre les Anglais.

JAUCOURT (la marquise Charlotte DE) *, 1762-1848. Née de Bontemps.

JELLACHICH DE BUZIN (le général). Ban de Croatie, quand éclata la révolution de Hongrie en 1848, il enleva Vienne aux insurrectionnels, mais, en 1849, fut battu par Bem à Hegyes.

JERSEY (lord George), 1773-1859. Deux fois chambellan du Roi Guillaume IV et deux fois Grand maître de la maison de la Reine Victoria, il avait épousé, en 1804, la fille aînée du comte de Westmorland.

JERSEY (lady Sarah) *, 1787-1867. Fille du comte de Westmorland.

JOCELYN (lord Robert), 1816-1854. Fils aîné de lord Roden, le vicomte Jocelyn entra d'abord dans la carrière des armes, accompagna lord Saltoun en Chine comme secrétaire militaire en 1841 et entra au Parlement en 1842. Il fut secrétaire à la Guerre dans le ministère Derby, et mourut d'une attaque de choléra.

JOINVILLE (François d'Orléans, prince DE) **, 1818-1900. Troisième fils du Roi Louis-Philippe.

JOINVILLE (la princesse Françoise DE), 1824-1898, née princesse de Bragance, fille de l'Empereur du Brésil, elle épousa, en 1844, le prince de Joinville.

JOUFFROY (M.). Officier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut et du Conseil royal de l'Instruction publique, député du Doubs.

K

KAGENECK (la comtesse Fanny DE), 1799-1861. Demoiselle d'honneur de la grande-duchesse Stéphanie de Bade.

KANITZ-DALWITZ (le général baron DE), 1787-1850. Après avoir fait toutes les guerres de la Prusse contre la France, il fut nommé professeur à l'École militaire de Berlin, puis, en 1827, ministre plénipotentiaire à Constantinople, et envoyé ensuite dans différentes missions à Hanovre et à Vienne.

KANITZ (le général comte Auguste DE), 1773-1852. Ministre de la Guerre en Prusse en 1848; il avait épousé la comtesse Louise Schulenburg, dont il était veuf depuis 1830.

KAROLYI (la comtesse), 1805-1844. Fille du prince Louis de Kaunitz Reutberg, elle épousa en 1823 le comte Louis Karolyi. La Comtesse était connue à Vienne sous le sobriquet de Nandine.

KAULBACH (Guillaume DE), 1805-1874. Un des plus célèbres peintres allemands du dix-neuvième siècle. 502

KISSELEFF (le comte Nicolas), mort en 1869. Représenta la Russie à Paris sous le règne de Louis-Philippe. Il fut ensuite ministre auprès du Saint-Siège, puis à Florence; il était frère du général de Kisseleff, longtemps ambassadeur à Paris sous le second Empire.

KOMAR (Nathalie DE), 1818-1860. Sixième enfant de Stanislas de Komar et de sa femme, née Orlowska; elle épousa, en 1850, un Italien, le comte de Medici-Spada, qui avait eu une vie fort aventureuse. Mlle de Komar était sœur de la comtesse Delphine Potocka et de la princesse Charles de Beauvau.

KOSSUTH (Louis), 1802-1894. Chef de la Révolution hongroise en 1848; Kossuth était issu d'une noble famille croate, peu fortunée, dont dix-sept membres avaient été poursuivis pour haute trahison par le gouvernement autrichien. Après les événements de 1848, il dut fuir et se réfugia d'abord à Londres, où, avec Mazzini et Ledru-Rollin, il forma une sorte de triumvirat démocratique, puis à Turin où il mourut.

KRÜDENER (la baronne DE) **, 1760-1825. Russe d'origine, connue par sa mysticité.

KÜBECK DE KUBAU (Charles-Frédéric), 1780-1855. Homme d'Etat autrichien. Membre du Conseil d'État depuis 1814, il s'occupa surtout de l'organisation du royaume lombard-vénitien et du Tyrol. En 1839, il fut nommé président du Directoire général des comptes. A la suite des événements de 1848, il prit sa retraite.

L

LA BESNARDIÈRE (J.-B. Goney DE) *, 1765-1843. Ancien homme politique français, retiré en Touraine depuis 1819, et ami de la famille de Talleyrand.

LABLACHE (Louis), 1794-1858. Célèbre chanteur napolitain d'origine française.

LABOUCHÈRE (Henri), 1798-1861 *. Membre du Parlement anglais, plus tard lord Taunton.

LA BOULAYE (le vicomte J.-B. DE), 1781-1836. Littérateur et publiciste français, il resta toute sa vie fidèle à la Monarchie et à Charles X, dont il avait été le secrétaire.

LACAVE-LAPLAGNE (Jean-Pierre) **, 1795-1849. D'abord officier, puis magistrat, plusieurs fois ministre sous Louis-Philippe.

LACORDAIRE (Henri) **, 1802-1861. Grand prédicateur de l'Ordre des Dominicains, qu'il rétablit en France; membre de l'Académie française.

LADENBERG (Adalbert DE), 1798-1855. Homme d'État prussien, deux fois ministre de l'Instruction publique et des Cultes. En 1850, il fut fait conseiller intime et président de la Chambre des comptes.

LA FERTÉ (le comte Hubert DE), 1806-1872. Légitimiste ardent, un des plus dévoués serviteurs du comte de Chambord; il avait épousé la fille du comte Molé.

LA FERRONNAYS (la comtesse DE). Elle était fille du comte Joseph de La Grange, général et pair de France.

LAFFITTE (Jacques) **, 1767-1844. Financier français. Il joua un rôle 503 actif dans la révolution de 1830.

LAMBERG (le général comte François-Philippe DE), 1791-1848. Nommé en 1848, par l'Empereur d'Autriche, commissaire du royaume de Hongrie et commandant en chef des troupes hongroises, l'Assemblée nationale de Pesth refusa de reconnaître cette nomination et il fut mis à mort par le peuple.

LAMENNAIS (l'abbé DE) *, 1782-1854. Écrivain catholique, mais révolutionnaire, dont les opinions furent condamnées en Cour de Rome qui l'excommunia.

LANSDOWNE (le marquis DE) *, 1780-1863. Homme politique anglais.

LA REDORTE (le comte DE) *. Officier, puis diplomate français.

LA REDORTE (la comtesse DE), morte en 1885. Née Louise Suchet, fille du maréchal d'Albuféra, elle avait épousé M. de la Redorte, ambassadeur, pair de France en 1841.

LA ROCHE-AYMON (la comtesse DE), 1787-1858. Veuve du général marquis de La Roche-Aymon, aide de camp du Prince Henri de Prusse, frère cadet de Frédéric le Grand.

LA ROCHEFOUCAULD- DOUDEAUVILLE (le duc Sosthène DE) **, 1785-1864. Littérateur français, il fut toute sa vie fidèle légitimiste. Il avait épousé en premières noces, en 1807, Élisabeth de Montmorency-Laval (1790-1834).

LA ROCHEFOUCAULD (le comte Alexandre DE), 1767-1841. Émigré sous la Révolution, il rentra en France sous le Consulat, se rallia à Bonaparte, et, plus tard, sa femme, née de Chastulé et parente de Joséphine, devint Dame d'honneur de l'Impératrice. M. de La Rochefoucauld entra dans la diplomatie et fut ambassadeur à Vienne et en Hollande. Il fut élu député en 1822, et, en 1831, entra à la Chambre des pairs.

LA ROCHEFOUCAULD (le comte Wilfrid DE), né en 1798. Fils du précédent; il lui succéda comme duc d'Estissac en 1841.

LA ROCHEJAQUELEIN (Auguste du Vergier, comte DE), 1784-1868. Officier sous l'Empire, il fit aussi la campagne d'Espagne en 1823. Louis XVIII lui avait conféré, en 1818, le grade de maréchal de camp.

LA ROCHEJAQUELEIN (la comtesse Félicie DE). Fille d'Amédée de Durfort, dernier duc de Duras, elle avait épousé en premières noces Léopold de la Trémouille, prince de Talmont, puis, en 1819, le comte A. de La Rochejaquelein.

LA ROCHEJAQUELEIN (Georges du Vergier, marquis DE), 1805-1867. Créé pair de France par Louis XVIII, mais ayant refusé de prêter serment au gouvernement de Juillet, il ne siégea point à la Chambre Haute. Il se montra favorable à la Révolution de 1848, s'aliénant ainsi les légitimistes, et devint sénateur sous l'Empire.

LASALLE (Louis-Théodore DE), 1789-1846. Chef d'escadron et officier d'ordonnance du Roi Louis-Philippe, élu député en 1839.

LA TOUR (Théodore Baillet, général comte DE), 1780-1848. Feld-maréchal autrichien, ministre de la 504 Guerre après 1848, il exaspéra le peuple de Vienne par sa rigueur et fut massacré.

LA TOUR-MAUBOURG (le marquis DE), 1781-1847. Diplomate français, chargé d'affaires à Constantinople et ministre plénipotentiaire en Würtemberg sous l'Empire, il fut, sous la Restauration, ministre en Hanovre, en Saxe, ambassadeur à Constantinople, puis à Naples; en 1831 il reçut l'ambassade de Rome et entra à la Chambre des pairs.

LAUZUN (le duc DE), 1633-1723. Un des favoris de la cour de Louis XIV. Il épousa la Grande Mademoiselle.

LAZAREFF (Mme DE), 1813-1881. La princesse Antoinette de Biron-Courlande épousa le général de Lazareff qui était au service russe.

LE COURTIER (François-Joseph), 1799-1885. Prédicateur distingué, prêtre des Missions étrangères, archiprêtre et chanoine de Notre-Dame, il fut nommé évêque de Montpellier, mais démissionna en 1873. Il fut alors créé archevêque de Sébaste in partibus, et chanoine de Saint-Denis en 1875.

LE HON (le comte) *, 1792-1868. Ministre de Belgique à Paris pendant de longues années.

LE HON (la comtesse), morte en 1880. Née Mathilde de Mosselmann, elle avait épousé le comte Le Hon en 1827.

LEIBNIZ (Guillaume), 1646-1716. Illustre philosophe et savant allemand, né à Leipzig, et chef de l'École optimiste.

LEININGEN (le prince Charles DE), 1804-1805, ou prince de Linange **, fils d'un premier mariage de la duchesse de Kent, mère de la Reine Victoria.

LERCHENFELD (le comte Gustave-Antoine DE). 1806-1866. Homme d'État bavarois, qui s'était acquis une grande réputation dans les questions financières, et qui fit partie du ministère en 1848.

LESPINASSE (Mlle DE), 1732-1776. Elle avait un salon dans lequel se réunissaient les plus célèbres encyclopédistes, qui admiraient l'esprit de Mlle de Lespinasse.

LEUCHTENBERG (la duchesse Auguste DE), 1788-1851. Fille du Roi Maximilien Ier de Bavière, elle épousa, en 1808, le prince Eugène de Beauharnais, fils du premier mariage de l'Impératrice Joséphine, qui fut vice-Roi d'Italie et duc de Leuchtenberg.

LEUCHTENBERG (le prince Max DE) *, 1817-1852. Fils d'Eugène de Beauharnais.

LEVESON (George.....). 1815-1891. Diplomate anglais, d'abord membre de la Chambre des Communes, prit le titre de lord Granville à la mort de son père. En 1856 il fut envoyé comme ambassadeur extraordinaire à Moscou pour assister au couronnement d'Alexandre II. Il ne se retira des affaires, où il se distingua toujours par son esprit de conciliation, qu'en 1886, avec M. Gladstone.

LICHTENSTEIN (Joseph-Wenzel, prince DE), 1696-1773. Général et homme d'État autrichien, grand ami du prince Eugène de Savoie avec lequel il fit les guerres de 1716 et de 1718 contre les Turcs. 505

LICHTENSTEIN (le prince Wenzel DE), né en 1767. Major-général au service de l'Autriche.

LICHTENSTEIN (le prince Louis DE), 1796-1858. Chef de la famille Lichtenstein.

LICHTENSTEIN (la princesse Louis DE), 1810-1881. La comtesse Françoise Kinsky avait épousé, en 1831, le prince Louis de Lichtenstein.

LIEBERMANN (le baron A. DE) **. Diplomate prussien.

LIEVEN (la princesse DE) *, 1784-1857. Née de Benkendorff.

LISZT (François), 1811-1886. Célèbre pianiste et compositeur hongrois.

LIVERPOOL (sir Cecil Jenkinson, comte DE), 1784-1851; avait épousé Julia-Evelyn Medley, qui mourut en 1814, ne lui laissant que des filles; aussi la ligne des comtes de Liverpool s'éteignit-elle en 1851, la baronnie seule passa à son cousin, sir Charles Jenkinson (1879-1855), membre du Parlement.

LOLA MONTÈS (Maria-Dolorès Porris y Montès, dite), 1818-1861. Célèbre aventurière; elle tourna complètement la tête au Roi Louis Ier de Bavière, qui lui accorda successivement le titre de baronne de Rosenthal et de comtesse de Lansfeld. Le scandale fut tel que le ministère démissionna et que le Roi dut abdiquer en 1848.

LOMBARD (Henri), 1825-1843. Neveu du docteur Andral.

LONDONDERRY (lord), 1778-1854. Officier et diplomate anglais.

LOTTUM (la comtesse Clotilde), 1809-1894. Fille aînée du prince Guillaume de Putbus, épousa, en 1828, le comte Frédéric-Hermann de Wylich et Lottum, chambellan à la Cour de Prusse et ministre à Naples durant plusieurs années.

LOUISE DE LORRAINE, Reine de France, 1554-1601. Fille de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont. Elle épousa en 1575 le Roi Henri III.

LUCQUES (Charles-Louis de Bourbon, duc DE), né en 1799. Fils de l'Infante Marie-Louise d'Espagne, ex-Reine d'Étrurie, il avait épousé, en 1820, la princesse Marie-Thérèse, fille du Roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel Ier, et était déjà duc de Parme quand il hérita du duché de Lucques en 1848. Chassé de ses États, il abdiqua en 1849, en faveur de son fils Charles III, né en 1825, qui avait épousé, en 1845, Louise de Bourbon, fille du duc de Berry. Il mourut assassiné en 1854.

LUDOLF (François, comte DE), 1784-1863. Feld-maréchal autrichien.

LUDRE (la comtesse DE), 1800-1886. Née Girardin; femme très distinguée, dans le salon de laquelle se rencontraient M. de Falloux, Mgr Dupanloup, MM. de Coriolis, de Montmorency, etc.

LURDE (Alexis-Louis DE). Né en 1800; parti pour l'Espagne comme volontaire en 1823, il y devint capitaine des chasseurs de la Garde du Roi d'Espagne, puis rentra en 1827 dans la diplomatie française. En 1833, il fut nommé secrétaire à Lisbonne, et, en 1838, à Rome, puis il devint ministre plénipotentiaire à Buenos-Ayres, jusqu'à la Révolution de 1848. En 1849, 506 il fut accrédité pendant quelques mois à Berlin.

LUYNES (la duchesse Élisabeth DE), 1753-1830. Née de Montmorency-Laval, elle avait épousé, en 1768, le duc de Luynes, et fut Dame du palais de la Reine Marie-Antoinette. Très libérale d'opinions, très intelligente et originale, la duchesse était souvent habillée en homme; elle fut une intime amie du prince de Talleyrand et mourut subitement en son château d'Esclimont.

M

MACAULAY (Thomas Barrington, lord), 1800-1859. Historien anglais, membre du Parlement et du Conseil privé, ministre de la Guerre de 1839 à 1841.

MAC-LEOD (Alexandre). Sujet anglais. Mac-Leod fut mis en jugement en 1841 à New-York pour la part qu'on supposait qu'il avait prise à l'incendie du bateau à vapeur Caroline, sur le Niagara, en 1837. Il fut acquitté après avoir manqué d'être pendu.

MACKAU (l'amiral baron Armand DE), 1788-1855. Pair de France en 1841, il fut ministre de la Marine et des Colonies en 1843, en remplacement de l'amiral Roussin, mais démissionna en 1847. Il entra au Sénat en 1852.

MADEMOISELLE, Louise, fille du duc et de la duchesse de Berry, 1819-1864; souvent aussi appelée Mademoiselle de Rosny depuis l'exil. Elle épousa, en 1845, le duc de Parme, assassiné en 1854, et fut Régente pendant la minorité de son fils le duc Robert.

MAGNAN (Bernard-Pierre), 1791-1865. Fait maréchal de France par Napoléon III.

MAHON (lady Emily), morte en 1873. Fille du général sir Edward Kerrison, épousa, en 1838, Philippe-Henry Stanhope, vicomte Mahon (1805-1875), qui, à la mort de son père en 1855, devint lord Stanhope; il fut un historien et un diplomate distingué.

MAILLÉ (la marquise DE). Née Mlle Baudon, elle avait épousé, en 1831, le marquis de Maillé de la Tour-Landry.

MAISTRE (le comte Rodolphe DE), 1789-1865; fils du comte Joseph de Maistre, il fut gouverneur de Gênes, puis de Nice.

MAISTRE (Adèle DE). Née en 1787; sœur du comte R. de Maistre, elle se maria, très tard, avec le baron de Terray.

MAISTRE (la comtesse Azélia DE), 1799-1881. Fille aînée du marquis de Plan de Sieyès, ancien officier de la marine royale, elle épousa, à Valence, en 1819, le comte R. de Maistre.

MAISTRE (Francesca DE). Née en 1821. Fille du comte Rodolphe de Maistre, elle entra en 1842 dans l'Ordre des Filles de Saint-Vincent de Paul.

MALTZAN (le comte DE) **, 1793-1843. Diplomate prussien.

MALTZAN (la comtesse Alexandrine DE), 1818-1894. Fille du précédent, épousa, en 1841, lord Beauvale, alors ambassadeur d'Angleterre 507 à Vienne. Devenue veuve en 1853, elle se remaria en 1856 avec George-Wild Forrester, baron de Williy.

MANTEUFFEL (le baron Othon DE), 1805-1879, ministre de l'Intérieur en 1848 dans le Cabinet Brandebourg; chef de Cabinet et ministre des Affaires étrangères en 1851; plénipotentiaire prussien au Congrès de Paris de 1856.

MARIE-CHRISTINE (la Reine), 1806-1878. Fille du Roi François Ier de Naples, fut la troisième femme de Ferdinand VII, Roi d'Espagne.

MARIE-LOUISE (l'Impératrice), 1791-1847. Fille de l'Empereur d'Autriche François II, elle épousa Napoléon Ier en 1810.

MARIO (Joseph), marquis de Candia, 1808-1883. Chanteur italien. Né à Turin, il entra d'abord comme officier dans les chasseurs sardes, puis déserta et vint à Paris en 1836. Il débuta au théâtre en 1838, et y eut les plus grands succès.

MARMONT (le maréchal Auguste-Frédéric-Louis), duc de Raguse, 1774-1852. Fit toutes les guerres de la République et de l'Empire, et fut traité avec faveur par la Restauration qui le fit pair de France, mais Louis-Philippe le raya des contrôles de l'armée pour avoir accompagné Charles X en Angleterre, et depuis lors le maréchal vécut à l'étranger.

MARS (Mlle), 1778-1847. Célèbre actrice française, comprise parmi les comédiens de premier ordre qui reconstituèrent le Théâtre Français, dont elle fut une des gloires.

MARTIN DU NORD (Nicolas-Ferdinand) *, 1781-1862. Homme politique français.

MASSA (la duchesse DE) *, née en 1792. Fille du duc de Tarente, et veuve de Régnier, duc de Massa.

MATTHIOLI (le comte Girolamo), né en 1640. Ministre du duc de Mantoue Charles III, il fut chargé de négocier un traité secret avec la France, mais il vendit ce secret. L'ambassadeur de France eut connaissance de cette trahison, l'attira en territoire français, le fit arrêter et enfermer à Pignerol; on le prit longtemps pour le Masque de fer. En 1681, il fut conduit à Exiles, avec le Masque de fer, et en 1687, l'un des deux mourut, on croit que ce fut Matthioli.

MATUSIEWICZ (le comte) *, 1790-1842. Diplomate au service de la Russie.

MECKLEMBOURG-SCHWERIN (la grande-duchesse douairière DE) **, 1771-1881. Née princesse de Hesse-Hombourg et belle-mère de la duchesse d'Orléans.

MECKLEMBOURG-SCHWERIN (le duc Gustave DE), 1781-1861. Un des fils du grand-duc François de Mecklembourg-Schwerin.

MECKLEMBOURG-SCHWERIN (le duc Albert DE), 1812-1842. Fils du grand-duc Frédéric-François et de la princesse Caroline de Saxe-Weimar, et frère de la duchesse d'Orléans.

MECKLEMBOURG-SCHWERIN (le grand-duc Frédéric DE), 1823-1883. Sa mère était une princesse de Prusse. Bon militaire, il fit avec distinction 508 la guerre. Il s'est marié trois fois.

MECKLEMBOURG-STRELITZ (le grand-duc Georges DE) **, 1779-1860. Avait épousé, en 1817, une princesse de Hesse-Cassel.

MECKLEMBOURG-STRELITZ (le grand-duc héréditaire Frédéric-Guillaume DE), 1819-1904. Succéda en 1860 à son père. Il était devenu aveugle très jeune, et avait épousé la fille aînée du duc Adolphe de Cambridge.

MECKLEMBOURG-STRELITZ (le duc Georges DE), 1824-1876. Frère cadet du précédent, il entra au service russe et épousa la grande-duchesse Catherine, fille du grand-duc Michel de Russie.

MEDEM (le comte Paul) *, 1800-1854. Diplomate russe, cousin de la duchesse de Talleyrand.

MÉHÉMET-ALI, 1769-1849. Vice-Roi d'Égypte. Dans deux guerres contre la Porte (1832 et 1839), il eut pour lieutenant son fils Ibrahim. Méhémet-Ali réforma tout en Égypte et fut reconnu comme pacha héréditaire par le Sultan.

MELBOURNE (William-Lamb, lord) *, 1779-1848. Homme politique anglais.

MELBOURNE (lady). Morte en 1828. Née lady Caroline Ponsonby et fille de lord Bessborough, elle avait épousé, en 1805, le vicomte Melbourne. Elle s'est acquis une certaine réputation littéraire. Connue par sa liaison avec lord Byron, elle se divorça de bonne heure avec son mari.

MELZI (le duc Ludovico), 1820-1886. Riche seigneur milanais, il avait épousé, en premières noces, la fille du marquis de Brignole-Sale; devenu veuf en 1869, il se remaria en 1876 avec sa cousine, la comtesse Joséphine Melzi, née Barbo, veuve elle-même depuis un an du comte Jacques Melzi.

MELZI (la duchesse). Morte en 1869 à Genève. Louise de Brignole-Sale avait épousé, en 1842, le duc Melzi.

MÉRAN (le comte DE), 1839-1892. Fils issu du mariage morganatique de l'archiduc Jean avec la comtesse de Méran.

METTERNICH (le prince Clément) *, 1773-1859. Homme d'État autrichien.

METTERNICH (la princesse Mélanie DE), 1805-1854. Troisième femme du prince Metternich et fille du comte François Zichy-Ferraris.

MEULAN (Mme DE). Femme d'un Receveur de la Généralité de Paris et mère de la première Mme Guizot.

MEYENDORFF (le baron Pierre DE), 1792-1863. Diplomate russe, longtemps ministre plénipotentiaire à Berlin, puis à Vienne, plus tard ministre des Domaines et des Apanages impériaux à Saint-Pétersbourg, et membre du Conseil de l'Empire.

MEYENDORFF (la baronne DE), né en 1800. Wilhelmine-Sophie de Buol-Schœnstein, mariée, en 1830, au baron de Meyendorff, était une femme d'infiniment d'esprit et d'opinions fort indépendantes.

MIGNET (François-Auguste-Marie) *, 1796-1884. Historien et académicien français.

MITFORD (John), 1781-1859. Littérateur et érudit anglais, qui publia 509 plusieurs ouvrages savants et des poésies.

MODÈNE (le duc François V DE), 1819-1875. Archiduc d'Autriche-Este, il épousa, en 1842, la duchesse Aldegonde de Bavière, et succéda à son père en 1846. Son duché fut réuni aux États du Roi de Sardaigne en 1860.

MOLAY (Jacques DE). Dernier grand-maître de l'Ordre des Templiers, il était entré dans cet ordre en 1265; arrêté, jugé et condamné dans un procès inique que Philippe IV le Bel intenta à son ordre, dont il convoitait les richesses, il fut brûlé vif en 1314.

MOLÉ (Guillaume), mort en 1459. Échevin qui, de concert avec son beau-frère Jean l'Esguisé, chassa les Anglais de Troyes sous Charles VII.

MOLÉ (Mathieu), 1584-1656. Conseiller au Parlement de Paris, puis procureur général et premier président. Pendant les troubles de la Fronde, il essaya de concilier les partis et montra toujours beaucoup de fermeté et de dignité. Il fut nommé Garde des Sceaux en 1650.

MOLÉ (le comte Mathieu) *, 1781-1855. Pair de France et académicien, homme politique sous l'Empire et la Monarchie de Juillet.

MOLLIEN (le comte François) *, 1758-1850. Financier et pair de France.

MOLLIEN (la comtesse) *, 1785-1878. Dame du palais de la Reine Marie-Amélie.

MOLYNEUX (l'Honorable Francis-Georges), 1805-1886. Troisième fils de lord William-Philipp Sefton, fut secrétaire de la légation d'Angleterre à la Confédération germanique; il épousa, en 1842, lady Georgia Ashburnham, dont le mariage avec H.-R. Mitfort avait été cassé, et qui mourut en 1882.

MONCEY (le maréchal Adrien), duc de Conegliano, 1754-1842. Fils d'un avocat au Parlement de la Franche-Comté, il s'engagea à quinze ans, fit presque toutes les campagnes de la République et de l'Empire; en 1814, il défendit héroïquement Paris. Il fut nommé, en 1834, gouverneur des Invalides.

MONNIER (le baron) **, 1784-1843. Financier et pair de France.

MONTALEMBERT (le comte Charles DE) **, 1810-1870. Publiciste et politicien français, un des plus brillants défenseurs du catholicisme libéral.

MONTCALM (Paul de Saint-Veran, marquis DE), 1756-1812. Prit part comme marin à la guerre de l'indépendance en Amérique et devint, en 1789, membre des États généraux; il émigra en 1790 en Espagne, puis en Piémont où il mourut.

MONTEBELLO (Napoléon-Auguste Lannes, duc DE), 1801-1874. Fils du maréchal Lannes. Pair de France, il servit dans la diplomatie.

MONTEMOLIN (Carlos-Luis-Maria-Fernando de Bourbon, comte DE), 1818-1861. Infant d'Espagne, fils de don Carlos, qui abdiqua en 1844, en sa faveur, ses droits à la royauté. Il fit plusieurs tentatives pour recouvrer ses droits, mais sans succès. 510

MONTESQUIOU-FEZENSAC (l'abbé François-Xavier DE), 1767-1832. Agent général du clergé en 1785, député des États généraux en 1789 et président de l'Assemblée constituante en 1790, il fut, après le 9 Thermidor, un des agents nommés par Louis XVIII, pour défendre sa cause en France; aussi le Premier Consul le fit-il exiler à Mantoue. En 1814, l'abbé de Montesquiou fit partie du gouvernement provisoire, et, le 13 mai, nommé ministre de l'Intérieur. Sous la seconde Restauration, il resta ministre d'État et fut créé pair de France.

MONTJOYE (la comtesse DE), morte en 1848. Sœur de la marquise de Dolomieu. Attachée comme Dame d'honneur à Madame Adélaïde, sœur de Louis-Philippe, dès la jeunesse de cette Princesse, elle ne la quitta jamais. Elle mourut en Angleterre, où elle avait accompagné la Famille Royale en exil.

MONTMORENCY (la duchesse DE) *, 1774-1846. Mère de Raoul de Montmorency, de la princesse de Bauffremont et de la duchesse de Valençay.

MONTMORENCY (le baron Raoul DE) *, 1790-1862. Duc à la mort de son père.

MONTMORENCY (la baronne DE), 1787-1858. Née Euphémie de Harchies, elle avait épousé en premières noces le comte Thibaut de Montmorency, et en secondes noces le baron Raoul de Montmorency.

MONTMORENCY (la duchesse Mathieu DE), 1774-1858. Née Hortense de Chevreuse-Luynes.

MONTPENSIER (Antoine d'Orléans, duc DE), 1824-1890. Le plus jeune fils du Roi Louis-Philippe, épousa, en 1846, l'Infante Louise d'Espagne, sœur de la Reine Isabelle II.

MONTROND (le comte DE) *, 1757-1843. Ami de M. de Talleyrand.

MORNAY (le comte DE) *, 1803-1878. Pair de France et ambassadeur.

MORPETH (George-William-Frederick, comte Carlisle, lord) *, 1802-1864. Secrétaire d'État en Irlande de 1835 à 1841; commissaire des bois et forêts de 1846 à 1850, chancelier du duché de Lancastre de 1850 à 1852, lord-lieutenant d'Irlande de 1855 à 1858 et de 1859 à 1864, il fut un des Vice-Rois les plus populaires que l'Irlande ait jamais eus, mais fut forcé par sa mauvaise santé d'abandonner son gouvernement, et mourut peu de temps après. Il ne s'était jamais marié; son titre passa à son frère, William-George, qui devint le huitième comte de Carlisle.

MOSKOWA (le prince DE LA) *, 1803-1857. Fils aîné du maréchal Ney.

MUÑOZ (Fernando), 1810-1873. Issu d'une famille obscure, il fut distingué par la Reine Marie-Christine, qui l'épousa morganatiquement trois mois après la mort de Ferdinand VII. Muñoz ne montra personnellement aucune ambition, se borna à être le mari de la Reine et accepta seulement le titre de duc de Rianzarès.

N

NAPIER (sir Charles), 1786-1860, L'amiral 511 Napier se fit remarquer en 1810 par différents glorieux faits d'armes. En 1833, il rendit de signalés services à la cause de doña Maria, Reine de Portugal, en battant dom Miguel. Dans l'expédition de Syrie, il seconda les forces navales turques et signa le traité imposé par l'Angleterre à Méhémet-Ali.

NARBONNE (la comtesse Louis DE). Née Marie-Adélaïde Montholon, elle avait épousé le lieutenant-général comte de Narbonne, fils cadet du comte Jean-François de Narbonne-Lara.

NASSAU (la duchesse Pauline DE), 1810-1856. Fille du prince Paul de Würtemberg, épousa le duc Guillaume de Nassau, dont elle devint veuve en 1839.

NASSAU (le duc Adolphe DE), né en 1817. Épousa en premières noces, en 1844, la grande-duchesse Élisabeth de Russie, et, en 1851, la princesse Adélaïde d'Anhalt-Dessau.

NEALE (la comtesse Pauline) **, 1779-1869. Dame d'honneur de la princesse Louise de Prusse, épouse du prince Antoine Radziwill.

NEIPPERG (la comtesse Marie DE), 1816-1890. Fille du Roi Guillaume Ier de Würtemberg, elle avait épousé, en 1840, le comte Alfred de Neipperg, veuf d'une comtesse de Grisoni. Il était le fils aîné (né en 1807) du comte Albert de Neipperg, chambellan de l'archiduchesse Marie-Louise, duchesse de Parme, et de son premier mariage avec une comtesse Thérèse Pola, dont il avait eu cinq enfants, et qui, pour l'épouser, avait dû divorcer d'avec le comte Trento.

NEMOURS (Louis-Charles d'Orléans, duc DE) *, 1814-1896. Second fils de Louis-Philippe.

NEMOURS (la duchesse DE), 1822-1852. Victoire, fille du prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha, épousa, en 1840, le duc de Nemours.

NESSELRODE (le comte DE) *, 1780-1862. Diplomate, puis chancelier de l'empire de Russie.

NESSELRODE (la comtesse DE) *, morte en 1849. Née Gourieff.

NEUMANN (le baron). Diplomate autrichien, occupa plusieurs fois le poste d'ambassadeur. En Angleterre, il épousa une fille du duc de Beaufort qui se nommait Charlotte.

NEU-WIED (le prince Guillaume DE), 1814-1864. Général-major au service de Prusse.

NEU-WIED (la princesse DE), née en 1825. La princesse Marie de Nassau épousa, en 1842, le prince G. de Neu-Wied.

NEY (le maréchal) *, 1769-1815. Surnommé par Napoléon le brave des braves.

NEY (la maréchale), duchesse d'Elchingen, princesse de la Moskowa, née Aglaé Auguié, dont la mère, Mme Auguié, avait été femme de chambre de la Reine Marie-Antoinette. Elle avait épousé, en 1802, le général Ney.

NEY (Edgard), 1812-1882. Prince de la Moskowa, officier d'ordonnance de Napoléon III qui le chargea d'une mission auprès du gouvernement papal. Edgard Ney prit 512 part à la guerre de 1859 en Italie.

NOAILLES (la vicomtesse Alfred DE) *, 1792-1851. Fille du mariage de Charles de Noailles, duc de Mouchy, avec Mlle Nathalie de Laborde, elle avait épousé son cousin, le vicomte de Noailles, qui mourut à vingt-six ans, en 1814, à la Bérésina.

NOAILLES (le duc Paul DE) *, 1802-1885. Pair de France et académicien.

NOAILLES (la duchesse DE), 1800-1887. Née Alicia de Mortemart.

NODIER (Charles), 1780-1844. Littérateur et bibliophile, membre de l'Académie depuis 1834.

NORMANBY (Constantin-Henry, marquis DE), 1797-1863. Politicien anglais, qui appartenait au parti whig et fut pendant plusieurs années lord-lieutenant d'Irlande. En 1846, il devint ambassadeur à Paris jusqu'en 1854, où il passa à Florence, mais il s'y rendit très impopulaire par ses opinions autrichiennes et fut rappelé en 1858. Membre de la Chambre des Lords en 1831 à la mort de son père le comte Mulgrave, dont il porta alors le titre jusqu'en 1838, époque ou la Reine Victoria le créa marquis. Il avait épousé, en 1818, l'Honorable Maria Lidell, fille de lord Ravensworth, qui mourut en 1882, et dont il avait eu un fils unique qui lui succéda dans ses titres.

NOSTITZ (le comte Auguste DE), 1777-1866. Général d'infanterie en Prusse.

NOSTITZ (la comtesse Clara DE), morte en 1858. Fille du prince de Hatzfeldt-Trachenberg, elle épousa, en 1809, le comte Auguste de Nostitz.

NOTHOMB (le baron J.-B. DE), 1805-1881. D'abord avocat, M. de Nothomb travailla, par des publications en faveur de l'indépendance de la Belgique, à amener la révolution de 1830, et fut élu député au Congrès national. Sous Léopold Ier, il fut plusieurs fois ministre, puis diplomate auprès de la Cour de Berlin durant de longues années.

O

OBERKAMPF (Christophe-Philippe), 1738-1815. Célèbre manufacturier, qui introduisit le premier en France la fabrication des toiles peintes. Louis XVI lui accorda des titres de noblesse et Napoléon la croix de la Légion d'honneur. Oberkampf fonda la manufacture de Jouy-en-Josas et éleva à Essonnes la première filature française de coton.

O'DONNELL (le général comte Maurice), 1780-1843. Feld-maréchal autrichien; il avait épousé Mlle de Ligne.

OLDENBURG (le grand-duc Auguste D'), 1783-1853. Succéda à son père en 1829.

OLFERS (Franz-Werner), 1793-1871. Né en Westphalie, il fit ses études de médecine à Gœttingen, puis entra dans la diplomatie. En 1839, le Roi de Prusse l'appela à la direction générale 513 des musées de Berlin, mais il démissionna en 1869.

OLOZAGA (don Salluste), 1803-1873. Homme d'État espagnol; d'abord avocat, et affilié à une société secrète, il fut impliqué dans une conspiration contre le Roi Ferdinand VII et emprisonné; mais il s'évada, et, après la mort du Roi, fut nommé député aux Cortès. En rivalité avec Espartero, celui-ci s'empressa, à son arrivée au pouvoir, de l'envoyer comme ambassadeur à Paris en 1840. En 1843, la Reine Isabelle, devenue majeure, chargea Olozaga de former un Cabinet, mais des intrigues de Cour le renversèrent et le forcèrent à fuir en Portugal, puis en Angleterre. Il ne revint en Espagne qu'en 1848. En 1854, il fut de nouveau nommé ambassadeur à Paris. Il mourut à Enghien.

ORÏE (le docteur) **, mort en 1846. Médecin à Bourgueil en Touraine.

ORLÉANS (Gaston D'), 1608-1660. Frère de Louis XIII, ce Prince, appelé communément Monsieur, passa sa vie dans les intrigues et les révoltes contre Richelieu et Mazarin. Marié d'abord à la duchesse de Montpensier qui mourut en 1627, il épousa ensuite secrètement Marguerite de Lorraine en 1632, et n'obtint qu'à force d'humiliations la reconnaissance de ce mariage. A la mort de Louis XIII, il lut nommé lieutenant-général du royaume.

ORLÉANS (le duc D') *, 1814-1858, fils aîné du Roi Louis-Philippe.

ORLÉANS (la duchesse D'), 1814-1858. Née princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin, épousa, en 1837, le duc d'Orléans, fils aîné du Roi Louis-Philippe, dont elle devint veuve en 1842. Elle fut la mère du comte de Paris et du duc de Chartres.

ORSAY (lady Harriet D'), 1812-1869; fille unique et héritière de Charles-John Gardiner, comte de Blessington, elle épousa, en 1827, le comte Alfred d'Orsay *. Devenue veuve en 1852, elle se remaria, la même année, avec l'Honorable Carles-Spencer Cowper (1816-1879), troisième fils du mariage de lord Cowper avec Amélia, fille du premier lord Melbourne (qui épousa plus tard lord Palmerston).

OULTREMONT et DE VERGIMOND (la comtesse Flore D'). Née en 1792. Épouse morganatique du Roi Guillaume Ier des Pays-Bas.

OUTREMONT DE MINIÈRES (le général D'), mort à Tours en 1858. Il avait épousé, en 1819, Marie-Albertine de la Ribellerie, veuve du baron Marchand.

P

PAGANINI (Nicolo), 1784-1840. Célèbre violoniste italien.

PAGEOT (Alphonse). Diplomate français, il commença sa carrière en 1819, devint en 1831 premier secrétaire aux États-Unis, puis fut envoyé à Madrid en 1840 et à Washington en 1842. Il démissionna en 1848.

PAHLEN (le comte Pierre) *. Né en 1775. Général et diplomate russe.

PALFFY D'ERDœD (le comte Aloys), 1801-1876. Chambellan et conseiller 514 privé au service d'Autriche, et gouverneur de Venise jusqu'en 1848. Il avait épousé, en 1831, la princesse Sophie Jablonocka.

PALMERSTON (lord Henry-John) *, 1784-1865. Homme d'État anglais, à plusieurs reprises ministre des Affaires étrangères.

PALMERSTON (lady) *, 1787-1869. Amélia, fille de Peniston, premier vicomte Melbourne, avait épousé, en 1805, le comte Cowper (1778-1837), dont elle eut cinq enfants, puis se remaria en 1839 avec lord Palmerston.

PANIS (le comte DE). Propriétaire de Borelli, près de Marseille, il épousa, en 1841, Mlle de Vandermarcq, fille de l'agent de change.

PARIS (le comte DE) **, 1838-1894. Fils aîné du duc d'Orléans, et représentant de la maison de France, depuis la mort du comte de Chambord.

PASKEWITCH (Ivan-Fedorovitch), 1782-1856. Général russe, qui, après avoir vaincu la Perse (1826-1827), fit en 1828 la campagne contre la Turquie et contraignit la Porte à signer le traité d'Andrinople en 1829, en récompense de quoi il reçut le bâton de feld-maréchal. Il réprima l'insurrection de Pologne en 1831, fut nommé prince de Varsovie et gouverneur général de Pologne. Il prit part encore à la répression de la Hongrie en 1849 et à une nouvelle guerre contre la Turquie en 1853.

PASQUIER (le duc) *. Pair de France et grand chancelier.

PASSY (Hippolyte) *. Homme politique français, successeur du prince de Talleyrand à l'Académie des sciences morales et politiques.

PASTORET (le marquis DE), 1756-1840. Émigré pendant la Révolution, il ne rentra en France qu'en 1795; député au Conseil des Cinq-Cents, il fut proscrit comme royaliste et se réfugia en Suisse. La Restauration l'éleva à la pairie, et il entra à l'Académie en 1820. Louis XVIII lui donna la tutelle des enfants du duc de Berry en 1821, et Charles X le rang de ministre d'État en 1826, la vice-chancellerie en 1828, et la chancellerie en 1829. Après 1830, M. de Pastoret rentra dans la vie privée.

PAYS-BAS (le Roi Guillaume Ier DES), 1772-1843. Fils du stathouder Guillaume V de Nassau, il épousa d'abord la princesse Frédérique de Prusse, puis, morganatiquement, la comtesse d'Oultremont, et abdiqua en 1840.

PAYS-BAS (le Roi Guillaume II DES) **, 1792-1849. Il avait épousé Anna Paulowna, fille de l'Empereur Paul de Russie.

PAYS-BAS (le Prince héréditaire DES), 1817-1891. Il épousa, en 1839, la princesse Sophie de Würtemberg et devint, lorsqu'il monta sur le trône, en 1849, Guillaume III.

PEEL (sir Robert) *, 1788-1850. Un des orateurs et des hommes d'État les plus distingués de l'Angleterre. Il avait épousé, en 1820, Julia, la plus jeune fille du général sir John Floyd, qui lui donna sept enfants.

PEEL (the Right Hon. William Yates), 515 1789-1858. Frère de sir Robert Peel, membre du Parlement et du Conseil privé. Il avait épousé, en 1819, Jane-Elisabeth, seconde fille de lord Stephen Mountcasthell, qui mourut en 1847, lui laissant onze enfants, dont quatre fils.

PELLICO (Silvio), 1788-1854. Poète et littérateur italien, fondateur, avec Manzoni, Sismondi, Romagnosi, Gioja, d'un journal libéral, Il Conciliatore, suspect à l'Autriche, qui le supprima en 1820; il fut condamné à mort en 1822. Sa peine fut commuée en quinze années d'emprisonnement au Spilberg. Gracié dans le courant de la neuvième année, il rentra en Piémont et vécut, depuis, dans la retraite. Le récit de sa captivité, Mes Prisons, qu'il publia en 1833, est devenu populaire en Europe.

PERIER (Auguste-Casimir), 1811-1877. Fils aîné du célèbre ministre de Louis-Philippe, il se consacra d'abord à la carrière diplomatique, qu'il quitta pour entrer en 1846 à la Chambre des députés. Il se retira au Coup d'État de 1852 qu'il désapprouvait. Nommé, en 1871, à l'Assemblée nationale, il se fit remarquer pour sa compétence dans les questions financières, et devint ministre de l'Intérieur sous la présidence de M. Thiers.

PÉRIGORD (le duc Charles DE), 1788-1879. Grand d'Espagne de 1re classe, épousa, en 1807, Marie-Nicolette, fille du comte César de Choiseul-Praslin, qui mourut en 1866 à l'âge de soixante-dix-sept ans.

PÉRIGORD (Boson DE) **. Né en 1832, plus tard prince de Sagan. Fils aîné du duc de Valençay.

PERPONCHER (la comtesse Adélaïde DE) **. Née comtesse de Reede, et femme du ministre des Pays-Bas, à Berlin.

PERSIGNY (Fialin DE), 1808-1872. Grand ami du prince Louis Bonaparte, il prit part à l'échauffourée de Strasbourg et soutint ardemment la cause napoléonienne à l'Assemblée après la révolution de 1848. Napoléon III le fit comte, puis duc et sénateur, deux fois ambassadeur à Londres et deux fois ministre de l'Intérieur.

PETETOT (l'abbé Louis-Pierre) **, 1801-1887. Supérieur général de l'Oratoire, après avoir été, à Paris, curé de Saint-Louis-d'Antin et ensuite de Saint-Roch.

PEYRONNET (Pierre-Charles, comte DE) **, 1778-1854. Ministre de Charles X, signa les Ordonnances.

PIE VII (le Pape) **, 1774-1823, signa le Concordat avec la France.

PIE IX (le comte Mastaï Feretti, pape), 1792-1878. Occupa le siège de saint Pierre pendant trente-six ans et vit se consommer, pour le Saint-Siège, la perte du pouvoir temporel, après un pontificat fort troublé par les événements politiques.

PODENAS (la marquise Adélaïde DE). Née en 1785. Fille du marquis de Nadaillac, elle épousa, en 1813, le marquis de Podenas, prince romain. Sa mère avait épousé en secondes noces, en 1816, le baron, plus tard duc des Cars.

PœCHLIN (le baron Frédéric-Christian 516 DE), 1789-1863. D'abord secrétaire à la légation de Danemark à Francfort, puis ministre à la Diète germanique, il fut nommé gouverneur du duché de Lauenbourg de 1852 à 1856. Il était conseiller intime et avait épousé, en 1826, la comtesse Adélaïde d'Eyben.

POIX (le duc DE). Juste de Noailles, né en 1777, avait été chambellan de Napoléon Ier. Il avait épousé Mlle Mélanie de Périgord.

POIX (la duchesse DE) *, 1785-1862. Née Mélanie de Périgord, elle épousa, en 1809, le comte Just de Noailles, duc de Poix, qui fut chambellan de l'Empereur Napoléon Ier.

POLIGNAC (le prince Jules) **, 1780-1847. Ministre de Charles X.

PONCEAU (le vicomte Adolphe DU), 1803-1878. Originaire de l'Anjou, il vendit la propriété qu'il y possédait à Viniève, pour venir s'établir à Benais en Touraine, chez M. de Messine, son beau-père. La sœur de M. du Ponceau avait épousé en premières noces le comte de Contades, puis le duc de Luynes.

PONCEAU (la vicomtesse DU), 1821. Elle était née Marie-Agathe Collet de Messine. Morte en 1886.

PONSARD (Francis), 1814-1867. Poète dramatique. En 1855, Ponsard fut élu membre de l'Académie française.

PONSONBY (lord) *, 1771-1855. Diplomate anglais.

POURTALÈS (le comte Louis DE), 1773-1848. Président du Conseil d'État à Neuchâtel, il protesta en 1823 contre l'adjonction de la principauté à la Confédération suisse, et, en 1832, fit signer au Conseil une adresse qui demandait au Roi de Prusse de rompre les liens qui unissaient la principauté à la Suisse. N'obtenant aucun succès dans ses projets, il rentra alors dans la vie privée.

POZZO DI BORGO (le comte) *, 1764-1842. Diplomate au service russe.

POZZO DI BORGO (le comte Charles). Neveu du précédent; il servit dans l'armée française jusqu'en 1830, et donna alors sa démission, avec le grade de colonel. Il épousa Mlle Valentine de Crillon, fille du duc de Crillon.

PRASLIN (le marquis Charles de Choiseul, duc class="cap" DE) **, 1805-1847. Gendre du maréchal Sébastiani.

PRASLIN (la duchesse DE), morte en 1847. Fille du maréchal Sébastiani.

PRITWITZ (le général Charles-Ernest DE), 1790-1871. Aide de camp du Roi Frédéric-Guillaume III et lieutenant-général en 1844, commandant des troupes à Berlin en 1848, et chef de l'armée fédérale en Schleswig en 1849.

PROKESCH-OSTEN (le baron Antoine DE), 1795-1876. Diplomate autrichien. Il représenta l'Autriche à Berlin de 1849 à 1852, puis à Francfort jusqu'en 1857, et ensuite à Constantinople.

PRUSSE (le prince Auguste DE), 1779-1843. Fils cadet du prince Ferdinand de Prusse (le plus jeune frère de Frédéric le Grand) et de sa femme, la margrave de Brandebourg-Schwedt.

PRUSSE (le prince Guillaume DE), 517 1783-1851. Frère du Roi Frédéric-Guillaume III, avait épousé, en 1814, une princesse de Hesse-Hombourg. Il fut général de cavalerie et gouverneur de Mayence.

PRUSSE (le prince Adalbert DE), 1811-1873. Fils du prince Guillaume et d'une princesse de Hesse-Hombourg.

PRUSSE (le prince Waldemar DE), 1817-1849. Second fils du prince Guillaume, frère de Frédéric-Guillaume III.

PRUSSE (la princesse Marie DE) **, 1825-1889. Sœur des précédents et épouse du Roi Maximilien II de Bavière.

PRUSSE (le prince Frédéric DE), 1794-1863. Fils du prince Louis de Prusse *, frère cadet de Frédéric-Guillaume III et de la princesse Frédérique de Mecklembourg-Strélitz, sœur de la Reine Louise. Il épousa une princesse d'Anhalt-Bernbourg, et fut le père des princes Alexandre et Georges de Prusse.

PRUSSE (la Reine Élisabeth DE) **, 1801-1873. Fille du Roi Max de Bavière et épouse de Frédéric-Guillaume IV.

PRUSSE (le prince DE), Guillaume **, 1797-1888. Second fils de Frédéric-Guillaume III, il devint Roi en 1861 et Empereur d'Allemagne en 1871.

PRUSSE (la princesse DE) **, 1811-1891. Épouse du précédent, plus tard l'Impératrice Augusta.

PRUSSE (le prince Charles DE) **, 1801-1883. Troisième fils du Roi Frédéric-Guillaume III.

PRUSSE (la princesse Charles DE) **, 1808-1877. Fille du grand-duc de Saxe-Weimar.

PRUSSE (le prince Albert DE) **, 1809-1872. Quatrième fils du Roi Frédéric-Guillaume III.

PRUSSE (la princesse Albert DE) **, 1810-1883. Née princesse des Pays-Bas.

PRUSSE (la princesse Charlotte DE), 1831-1855, fille du prince et de la princesse Albert, elle épousa, en 1850, le Prince héréditaire de Saxe-Meiningen.

PÜCKLER (le prince Hermann) **, 1795-1871. Voyageur et littérateur allemand, membre de la Chambre des Seigneurs à partir de 1863.

PÜCKLER (la princesse Anna) **, 1776-1854. Née princesse Hardenberg, et mariée en premières noces au comte Pappenheim.

PUTBUS (le prince Guillaume DE), 1783-1854. Gouverneur général de la Poméranie prussienne et de l'île de Rügen, membre du Conseil d'État et chambellan.

PUTBUS (la princesse Louise DE), 1784-1860. Née baronne de Lauterbach, elle épousa d'abord, en 1803, le comte Rœttger de Veltheim, dont elle divorça, en 1806, pour épouser le prince G. de Putbus.

PUTBUS (le comte Malte) **, 1807-1837. Fils des précédents. Attaché à la légation de Prusse à Naples.

Q

QUÉLEN (Mgr DE) *, 1778-1839. Archevêque de Paris depuis 1821 et membre de l'Académie française. 518

QUINEMONT (le marquis DE). Né en 1808. Ancien élève de Saint-Cyr et officier de cavalerie, il démissionna en 1830 et entra dans la diplomatie, fut attaché à la légation de France en Toscane, puis en Danemark. Ensuite élu député en 1863, puis nommé sénateur.

R

RACHEL (Mlle Elisa-Félix) **, 1820-1858. Célèbre tragédienne française. Par son talent, elle contribua à faire revivre, sur le théâtre, la tragédie dans une admirable perfection.

RADETZ-RADETZKY (le comte), 1766-1858. Feld-maréchal autrichien qui prit part à toutes les guerres de son temps. Lorsque la guerre éclata avec le Piémont en 1848, il fut d'abord vaincu, mais prit sa revanche glorieusement en 1849 avec la victoire de Novare.

RADOWITZ (le général Joseph DE), 1797-1853. Grand ami de Frédéric-Guillaume IV, il influa beaucoup sur la politique de ce Roi.

RADZIWILL (le prince Antoine), 1775-1833. Second fils du palatin de Vilna, il fit ses études en Allemagne, et, à dix-huit ans, épousa la princesse Louise de Prusse, fille du plus jeune frère de Frédéric le Grand, ce qui l'obligea à s'établir à Berlin. Après le congrès de Vienne, il fut nommé, par le Roi de Prusse, son représentant pour le grand-duché de Posen; il y résida dix ans et y laissa de grands et bons souvenirs.

RADZIWILL (le prince Guillaume) **, 1797-1870. Fils aîné du précédent, général au service de Prusse.

RADZIWILL (la princesse Guillaume) **, 1806-1896. Née comtesse Mathilde Clary-Aldringen.

RAMBUTEAU (le comte DE) *, 1781-1869. Préfet de la Seine de 1833 à 1848.

RAMBUTEAU (la comtesse DE), fille du comte Louis de Narbonne, elle avait épousé, en 1809, le comte de Rambuteau.

RANELAGH (le vicomte Thomas), 1812-1886. Septième et dernier vicomte de Ranelagh. Sa sœur, Barbara, épousa le comte de Rechberg, officier autrichien.

RAUCH (Christian-Daniel) **, 1777-1857. Célèbre sculpteur prussien.

RAUCH (Frédéric DE), 1790-1850. Lieutenant-général dans l'armée prussienne et aide de camp du Roi Frédéric-Guillaume IV. Il fut attaché militaire à la Cour de Pétersbourg de 1832 à 1848.

RAUZAN (la duchesse DE). Née en 1820, Claire, fille du dernier duc de Duras, épousa, en 1819, le marquis Louis de Chastellux, fait duc de Rauzan le jour même de son mariage par Louis XVIII et plus tard héritier du titre de son beau-père.

RAVIGNAN (l'abbé DE) **, 1775-1858. Membre de la Compagnie de Jésus.

RÉCAMIER (Mme) *, 1777-1849. Célèbre par sa beauté.

REDERN (le comte Guillaume DE) **, 1802-1880. Membre de la Chambre des Seigneurs en Prusse. 519

REDERN (la comtesse Guillaume DE) **, 1811-1875. Née Bertha Jenisz, fille d'un sénateur de Hambourg.

REEDE (la comtesse DE) **, 1769-1847. Née Krusemackt.

REEDTZ (Holger-Christian DE), 1800-1857. Historien et homme d'État danois; il fut chargé, en 1848, de négocier le traité de Malmœ avec le Roi de Suède, pour établir un nouveau gouvernement en Schleswig-Holstein. Il fut ministre des Affaires étrangères de 1850 à 1851, dans le Cabinet présidé par le comte de Moltke, puis vécut dans la retraite.

REICHENBACH (la comtesse Émilie DE), 1791-1843. Née Œrtlœpp, épousa morganatiquement l'Électeur de Hesse Guillaume II, en 1841, et prit le titre de comtesse Reichenbach-Lessowitz.

RÉMUSAT (le comte Ch. DE) *, 1797-1875. Historien et homme politique français, fils de M. de Rémusat, chambellan de Napoléon Ier, et de Mlle de Vergennes, si célèbre par sa grâce et son esprit.

RÉMUSAT (la comtesse Pauline DE). Née de Lasteyrie, petite-fille du général de La Fayette, épouse du comte Ch. de Rémusat.

RIVIÈRE (le duc DE), 1817-1890. Fils de Charles-François Riffardeau qui fut condamné à mort avec Georges Cadoudal en 1804 et ne fut sauvé que par l'intervention de Joséphine. Il épousa Mlle de Cossé-Brissac et s'établit dans ses propriétés du département du Cher. En 1876 il fut élu sénateur.

RODEN (le comte Robert), 1788-1870. Membre du Conseil privé à la Cour d'Angleterre. Il avait épousé, en 1813, Maria-Frances-Catherine, fille de lord Thomas Le Despencer, qui mourut en 1861, lui laissant six enfants, dont l'aîné fut lord Robert, vicomte Jocelyn. En 1862, lord Roden se remaria avec la veuve d'un officier, née Clémentine Andrews.

RœNNE (Louis-Maurice-Pierre DE), 1804-1875. Jurisconsulte et publiciste allemand, conseiller à la Cour de justice de Berlin en 1843.

ROGER (Jean-François), 1776-1842. Auteur dramatique et homme politique français, membre de l'Académie française en 1817.

ROHAN-CHABOT (Fernand, duc DE), 1789-1869. Aide de camp de Napoléon Ier, qu'il accompagna pendant la campagne de Russie. Il servit encore sous la Restauration et vécut depuis dans la retraite.

ROKEBY (le baron Edward), 1787-1847. Fils aîné de lord Matthew Montagu, quatrième lord Rokeby, il succéda à son père en 1831, mais mourut non marié, laissant le titre à son frère Henry, qui fut le sixième baron de Rokeby (1798-1883); avec lui le titre s'éteignit, car il ne laissa que des filles.

ROSAS (Manuel), 1793-1874. Homme d'État argentin, gouverneur de la République argentine de 1828 à 1861. Une insurrection appuyée par le Brésil le fit tomber et il dut se réfugier en Angleterre.

ROSSI (le comte), d'origine italienne, il épousa la veuve du prince Maximilien de Saxe, dont il était chambellan. Il était cousin du comte 520 Rossi qui avait épousé Mlle Sontag.

ROSSI (Pellegrino), 1787-1848. Économiste et diplomate français, d'origine italienne. Né à Carrare, il avait étudié à Bologne et dut s'exiler en 1815; il se fit naturaliser Français et devint, en 1840, membre du Conseil de l'Instruction publique, et en 1844 pair de France. Envoyé à Rome en 1845 comme ambassadeur, il gagna la confiance du pape Pie IX et accepta de diriger son ministère, mais il fut assassiné par un républicain fanatique.

ROTHSCHILD (Anselme DE), 1772-1855. Fils aîné du fondateur de cette célèbre maison; il resta établi à Francfort-sur-le-Mein; l'Empereur d'Autriche lui conféra le titre de baron en 1825.

ROTHSCHILD (le baron Anselme DE), mort en 1874, fils de Salomon de Rothschild, fondateur de la maison de Vienne, qui était allé rejoindre son frère James à Paris, en 1835, laissant la banque de Vienne à son fils. Celui-ci était un grand amateur d'art. Il possédait de vastes propriétés en Silésie.

ROVIGO (la duchesse DE). Née Mlle de Faudoas.

RROYER- COLLARD (Pierre-Paul) *, 1763-1845. Philosophe et homme d'État français.

RUMFORD (Mme DE) **, 1766-1836. Née Mlle de Paulze.

RUMIGNY (le général comte DE) **, 1789-1860. Aide de camp du duc d'Orléans et fidèle serviteur de Louis-Philippe, qu'il accompagna en exil.

RUSSELL (lord William) *, 1799-1846. Ambassadeur d'Angleterre à Berlin; précéda lord Westmorland.

RUSSELL (lord John) *, 1792-1878. Homme d'État anglais. Il avait épousé en premières noces, en 1835, la veuve de lord Ribblesdale, née Adélaïde Lister, qui mourut en 1838, lui laissant deux filles. Il se remaria en 1841 avec lady Frances Elliot, fille de lord Minto, dont il eut trois fils et une fille.

RUSSIE (l'Empereur Nicolas Ier DE) *, 1775-1855. Monté sur le trône en 1825.

RUSSIE (l'Impératrice DE) **, 1798-1860. Charlotte, fille du Roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, épouse de l'Empereur Nicolas Ier.

RUSSIE (le grand-duc héritier DE) **, 1818-1881. Succéda à son père Nicolas Ier, en 1855, sous le nom d'Alexandre II.

RUSSIE (le grand-duc Constantin DE), 1779-1831. Second fils de l'Empereur Paul.

RUSSIE (le grand-duc Constantin DE), 1827-1892. Second fils de l'Empereur Nicolas Ier. Grand-amiral de la marine russe.

RUSSIE (la grande-duchesse Constantin DE), née en 1830. Alexandra, fille du duc Joseph de Saxe-Altenbourg, épousa, en 1844, le grand-duc Constantin.

RUSSIE (le grand-duc Michel DE), 1798-1849. Le plus jeune fils de l'Empereur Paul Ier et frère de Nicolas Ier. Il épousa, en 1824, la princesse Charlotte de Würtemberg, qui prit le nom de grande-duchesse Hélène **.

RUSSIE (la grande-duchesse Olga DE), 521 1795-1865. Fille de l'Empereur Paul Ier; elle épousa, en 1816, Guillaume II, roi des Pays-Bas.

S

SAINTE-ALDEGONDE (la comtesse Camille DE) *, 1793-1869. Née de Chavagnes.

SAINTE-AULAIRE (le comte DE) **, 1778-1854. Pair de France et ambassadeur.

SAINTE-BEUVE (Charles-Augustin), 1804-1869. Célèbre critique français, auteur des Causeries du Lundi.

SAINT-ELME (Ida), 1778-1845. La Contemporaine, aventurière, auteur de mémoires scandaleux sur la Révolution et l'Empire.

SALVANDY (le comte DE) *, 1795-1856. Homme politique français.

SALVANDY (la comtesse DE) **. Née Julie Ferey.

SAPIEHA (la princesse Hedwige), 1806-1890. Née comtesse Zamoyska, elle avait épousé, en 1825, le prince Léon Sapieha.

SAUZET (Paul) *, 1800-1877. Député et homme politique.

SAVIGNY (Mme DE), 1780-1863. Marie Brentano de Laroche, épousa, en 1809, M. de Savigny, jurisconsulte prussien. Elle était la sœur de Brentano le poète.

SAVOIE (le prince Eugène DE), 1663-1736. Connu sous le nom de prince Eugène, il était fils de Maurice-Eugène, duc de Savoie-Carignan, comte de Soissons, et d'Olympe Mancini. Après avoir vainement sollicité un emploi en France sous Louis XIV, le prince Eugène passa au service de l'Autriche et s'y signala comme un des plus grands généraux de son temps.

SAXE (le Roi Frédéric-Auguste II DE) **, 1797-1854. Succéda à son oncle le Roi Antoine, en 1836.

SAXE (la Reine Marie DE) **, 1805-1877. Née princesse de Bavière.

SAXE-COBOURG-ALTENBOURG (la duchesse douairière DE), 1771-1848. Caroline, fille de Guillaume Ier, Électeur de Hesse, veuve depuis 1822 du duc Auguste de Saxe-Cobourg-Altenbourg.

SAXE-COBOURG-GOTHA (le prince Auguste DE), 1818-1881. Cousin du Roi de Saxe; il épousa, en 1843, la princesse Clémentine d'Orléans, dont il eut plusieurs enfants, entre autres le Roi Ferdinand Ier de Bulgarie.

SAXE-MEININGEN (le duc Bernard DE) *, 1800-1882. Il abdiqua en 1866 en faveur de son fils le prince Georges, devenu le duc Georges II.

SAXE-MEININGEN (le prince Georges DE), né en 1826. Régna à partir de 1866. Il se maria trois fois: 1o en 1850, avec la princesse Charlotte de Prusse, qui mourut en 1855; 2o avec la princesse Féodore de Hohenlohe, qui mourut en 1872; 3o en 1873, morganatiquement, avec la baronne Hélène de Heldburg.

SAXE-WEIMAR (la duchesse Amélie DE), 1739-1807. Fille du duc Charles de Brunswick, elle épousa en 1756 le duc régnant de Weimar, et sous son règne Weimar devint le centre de l'Allemagne littéraire. 522

SAXE-WEIMAR (la grande-duchesse Louise DE), 1757-1830. Fille du landgrave de Hesse-Darmstadt, elle avait épousé en 1775 le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar.

SAXE-WEIMAR (le duc Ch.-B. DE) *, 1792-1862. Général d'infanterie au service des Pays-Bas.

SAXE-WEIMAR (la princesse Ch.-B. DE) *, 1794-1852. Née princesse Ida de Saxe-Meiningen.

SAXE-WEIMAR (le grand-duc Charles-Frédéric DE), 1783-1853, avait épousé, en 1804, la grande-duchesse Maria Paulowna, fille de l'Empereur Paul Ier de Russie.

SAXE-WEIMAR (le prince héréditaire DE), 1818-1901. Le prince Charles devint grand-duc à la mort de son père, en 1853.

SAXE-WEIMAR (la princesse héréditaire DE), 1824-1897. Sophie, princesse d'Orange, fille du Roi Guillaume II de Hollande, épousa, en 1842, son cousin germain, le futur grand-duc Charles de Saxe-Weimar.

SCHEFFER (Ary) *, 1785-1858, peintre français, très protégé par la famille d'Orléans.

SCHLEGEL (Auguste-Guillaume), 1767-1845. Savant critique et poète allemand, fut lié d'amitié vers 1804 avec Mme de Staël, qu'il suivit à Paris comme précepteur de ses enfants.

SCHLEINITZ (le comte Alexandre DE), 1807-1885. D'abord diplomate, puis, en 1841, conseiller-rapporteur à la division politique des Affaires étrangères à Berlin, et, en 1858, ministre des Affaires étrangères. Il abandonna ce poste en 1861, pour celui de ministre de la maison du Roi, qu'il conserva jusqu'à sa mort.

SCHNEIDER (le chevalier Antoine), 1779-1847. D'abord officier, puis député en 1834, il devint ministre de la Guerre en 1839.

SCHœNBORN (la comtesse Ernestine DE), née en 1800. Comtesse de Küenburg, elle épousa, en 1824, le comte Charles de Schœnborn. Devenue veuve en 1841, elle devint grande-maîtresse à la cour de l'archiduchesse Sophie d'Autriche.

SCHœNBOURG (la princesse Louise) **, 1803-1884. Née princesse de Schwarzenberg.

SCHœNHALS (le général DE), 1788-1857. Lieutenant-général dans l'armée autrichienne, aide de camp et ami du maréchal Radetzky.

SCHœNLEIN (le docteur Jean-Louis) **, 1793-1864. Savant médecin de Zurich, établi à Berlin.

SCHRECKENSTEIN (le baron Maximilien DE) **. Grand-maître de la Cour de la grande-duchesse Stéphanie de Bade.

SCHULENBURG (le comte Charles DE) **, 1788-1856. Lieutenant-colonel autrichien, troisième mari de la duchesse Wilhelmine de Sagan.

SCHULENBURG-KLOSTERODE (le comte DE) **, 1772-1853. Diplomate autrichien.

SCHWANTHALER (Louis-Michel), 1802-1848. Célèbre sculpteur bavarois.

SCHWARZENBERG (le prince Félix), 1800-1852. Diplomate autrichien et premier ministre après 1848; il rétablit à force d'énergie l'autorité 523 de l'Empereur, mais poussa à l'excès la politique de compression.

SCHWARZENBERG (le cardinal-prince Frédéric), 1807-1885. Prince-archevêque de Salzbourg en 1836, il reçut le chapeau de cardinal dès 1842, et fut nommé prince-archevêque de Prague en 1849. Le cardinal était membre de la Chambre des Seigneurs en Autriche.

SCHWARZENBERG (la princesse Lory), 1812-1873. Fille du prince Maurice Lichtenstein, elle avait épousé le prince Adolphe Schwarzenberg en 1830.

SCHWERIN (le comte Maximilien), 1804-1872. Homme d'État prussien, d'opinions très libérales, ministre des Cultes en 1848 dans le ministère Arnim; après avoir démissionné, il devint président de la seconde Chambre. Il fut aussi ministre de l'Intérieur en 1858.

SCRIBE (Eugène), 1791-1861. Auteur dramatique français.

SEAFORD (Charles-Rose-Ellis, lord), originaire de la Jamaïque. Il avait épousé Élizabeth-Caroline-Catherine Hervey, petite-fille du quatrième comte de Bristol. Elle mourut en 1803, lui laissant un fils, Charles-Auguste, qui devait être lord Howard de Walden **.

SÉBASTIANI DE LA PORTA (le maréchal) *, 1775-1851. Général et diplomate français.

SÉMONVILLE (le marquis DE) *, 1754-1839. Grand référendaire de la Cour des Pairs.

SEYDELMANN (Charles), 1793-1843. Célèbre acteur allemand.

SEYMOUR (lady), morte en 1884. Jane-Georgiana, la plus jeune fille de Thomas Sheridan, Esq., fils du Right Honorable Richard-Brinsley Sheridan, membre du Parlement, épousa en 1830 Édouard-Adolphe Saint-Maur (1804-1885), qui succéda en 1855 à son père, comme douzième duc de Seymour, et fut premier lord de l'Amirauté de 1859 à 1866. Lady Seymour, était sœur de lady Dufferin et de Mrs Norton, et toutes trois furent célèbres par leur beauté. Lady Seymour était connue familièrement sous le nom de Reine de beauté, qui lui avait été décerné dans un tournoi fameux, chez lord Archibald-William Eglinton, à Eglinton-Castle en Écosse, où parmi les chevaliers se trouvait le prince Louis Napoléon, plus tard Napoléon III.

SISMONDI (Jean-Charles-Sismonde DE), 1773-1843. Né à Genève d'une riche famille originaire de Pise, il devint membre du Conseil représentatif de Genève. Il s'est fait un nom comme historien et économiste.

SOLMS-BRAUNFELS (le prince Charles DE), 1812-1873. Fils du prince Frédéric-Guillaume de Solms-Braunfels, et de sa femme, une princesse de Mecklembourg-Strélitz, veuve du prince Louis de Prusse. Il était officier dans l'armée prussienne.

SOMMERSET (lady Blanche). Fille du septième duc de Beaufort; elle épousa en 1848 lord Kinnoul.

SOULT (le maréchal) *, 1769-1852. Général et homme politique français. 524

SPARRE (la comtesse DE). Fille du chanteur italien Naldi, et élève de son père, elle débuta en 1819 au théâtre Italien de Paris et partagea la vogue de Judith Pasta. Célèbre par sa beauté, elle quitta la scène en 1823, pour épouser le général comte de Sparre.

STADION (le comte François), 1806-1853. Administrateur autrichien, devint conseiller aulique en 1834, gouverneur de Trieste de 1841 à 1847, gouverneur de Galicie de 1847 à 1848. Il devint alors ministre de l'Intérieur dans le Cabinet du prince F. Schwarzenberg, mais il tomba malade en 1849 et mourut en 1853.

STAËL (Mme DE) *, 1766-1817. Née Necker.

STANGER (le baron Albert DE). Né en 1796, officier au service prussien jusqu'en 1829, il entra en 1837 dans l'administration d'une maison de détention à Lichtenberg; en 1841 il prit la direction de celle de Sagan; en 1845, celle de Jauer, puis il se retira, en 1871, à Hirschberg.

STOCKHAUSEN (le général DE), 1791-1861. Ministre de la Guerre en Prusse en 1850.

STOLBERG-WERNIGERODE (le comte Henri DE), 1772-1854. Ministre d'État en Prusse.

STRAUSS (Johann), 1825-1899. Compositeur autrichien.

STROGONOFF (la comtesse Julie), en premières noces comtesse d'Éga.

STUART (Sir Charles), 1779-1845. Diplomate anglais. En 1860, il fut envoyé à la cour de Portugal comme envoyé extraordinaire, devint ensuite ambassadeur à Paris de 1815 à 1830. En 1828, sir Charles Stuart devint pair d'Angleterre avec le titre de lord Stuart de Rothesay.

STURMFEDER (Mme DE) **, 1819-1891. Née de Münchingen.

STYLER Peintre allemand.

SUÈDE (la princesse Amélie DE), 1805-1853. Fille de Gustave IV, Roi de Suède, sœur du prince Gustave de Vasa, père de la Reine Carola de Saxe.

SULLY (le duc DE), 1560-1641, ministre et ami du roi Henri IV.

SUTHERLAND (la duchesse DE) *, morte en 1868, mistress of the robes de la Reine Victoria.

SUTHERLAND (George Granville, duc DE), 1786-1891. Il était entré au Parlement du temps de son père (qui mourut en 1833) comme baron Gower. Il fut lord lieutenant du comté de Sutherland.

SWETCHINE (Mme) d'origine russe, 1782-1857. Anne-Sophie Soymonoff, épousa le général Swetchine. Elle s'établit à Paris où elle eut un salon très fréquenté.

T

TALLEYRAND (Charles-Maurice, prince DE) *, 1754-1838. Prince de Bénévent, vice-grand Électeur de l'Empire, ancien ministre des Affaires étrangères, ancien ambassadeur en Angleterre, pair de France et membre de l'Académie des sciences morales et politiques.

TALLEYRAND (le baron, puis comte Charles DE), 1821-1896. Diplomate 525 français, successivement secrétaire de légation à Lisbonne, Madrid, Saint-Pétersbourg et Londres, devint ministre plénipotentiaire à Weimar en 1852 et à Bade en 1854, ministre à Turin en 1859 et à Bruxelles en 1861, ambassadeur à Berlin en 1862 et, enfin, à Pétersbourg en 1864. En 1868, il fut nommé sénateur.

TATICHTCHHEF (Démétrius-Pawlowitch) **, 1769-1845. Diplomate russe.

TESTE (J.-B.) *, 1780-1852. Jurisconsulte et homme politique français.

THORWALDSEN (Barthélmy) *, 1769-1844. Célèbre sculpteur danois.

THUN et HOHESTEIN (le comte Léon DE), 1811-1888. Employé dans les bureaux de la Chancellerie aulique à Vienne jusqu'en 1848, il fut ministre de l'Instruction publique et des Cultes en 1849, membre à vie de la Chambre des Seigneurs en 1861, et envoyé à la Diète de Bohême. Après la victoire des constitutionnels, il quitta le Landtag de Bohême en 1871 et n'y fut réélu qu'en 1883.

TIECK (Louis DE), 1773-1853. Célèbre poète et littérateur allemand, traducteur de Shakespeare, et ami de Schlegel.

TILLY (le comte DE), 1559-1632. Un des plus célèbres généraux impérialistes de la guerre de Trente ans.

TOCQUEVILLE (le comte Alexis Clérel DE) **, 1805-1859. Député français et historien distingué.

TORENO (la comtesse DE), épouse de José-Maria Gueipo y Slano, comte de Toreno *, homme d'État espagnol, retiré des affaires à partir de 1835 et fixé depuis lors à Paris.

TOSCANE (Léopold II, archiduc d'Autriche, grand-duc DE) **, 1797-1870. Successeur de son père le grand-duc Ferdinand III, en 1824.

TRACY (le marquis DE), 1781-1864. D'abord officier, il démissionna en 1818, pour s'occuper d'études scientifiques. Élu député en 1822, il s'assit à l'extrême gauche à côté de La Fayette. En 1848, il se signala contre les insurgés et prit, sous le prince Louis Napoléon, le portefeuille de la Marine et des Colonies, mais il protesta contre le coup d'État et se retira dans ses terres.

TRIQUETI (le baron Henri DE), 1802-1874. Peintre et sculpteur français, élève d'Hersent, piémontais d'origine.

TROUBETZKOÏ (le prince Serge), mort en 1861. Un des chefs de la conspiration de 1825, condamné à mort par la Haute-Cour de justice, il vit sa peine commuée par l'Empereur Nicolas en un exil perpétuel en Sibérie, mais fut gracié à l'avènement d'Alexandre II en 1855.

TYCHO-BRAHÉ, 1546-1601. Célèbre astronome suédois, auteur d'un système astronomique différent de ceux de Ptolémée et de Copernic.

TYSZKIEWICZ (la princesse) *, 1765-1834. Nièce de Stanislas-Auguste Poniatowski, dernier Roi de Pologne.

U

UGGLAS (la comtesse), 1793-1836. 526 Fille aînée du feld-maréchal comte de Stedingk, ambassadeur de Suède en Russie de 1790 à 1811, elle épousa, en 1812, le lieutenant-colonel comte Ugglas, qui fut plus tard membre du Conseil des ministres en Suède.

ULRIQUE (la Reine), 1720-1782. Épouse du Roi Adolphe-Frédéric de Suède, à partir de 1744, et mère du Roi Gustave III. Elle était fille de Frédéric Ier, Roi de Prusse, et sœur de Frédéric le Grand.

USEDOM (le comte Charles-Louis-Guido D'), 1805-1884. Diplomate prussien, secrétaire de légation à Rome en 1835, plus tard envoyé extraordinaire dans la même ville. En 1850, il fut chargé de conclure la paix avec le Danemark, en 1858 nommé plénipotentiaire de Prusse près la Confédération germanique, et en 1863, ambassadeur en Italie. En 1872, il fut nommé directeur général des musées de Berlin.

V

VALÉE (le maréchal) **, 1773-1846. Devint gouverneur général de l'Algérie vers la fin de sa carrière.

VALENÇAY (Louis de Talleyrand-Périgord, duc de Talleyrand et DE) *, 1811-1898. Duc de Sagan après la mort de sa mère, née princesse Dorothée de Courlande, auteur de cette Chronique.

VALENÇAY (la duchesse DE) *, 1810-1858. Première femme du duc de Valençay. Née Alix de Montmorency.

VALLOMBROSE (la duchesse DE). Morte en 1841. Née Claire de Gallard de Brassac de Béarn, elle avait épousé le duc Vincent de Vallombrose.

VELTHEIM (la comtesse DE), née en 1781, Charlotte de Bülow, fut la troisième femme du comte Roëttger de Veltheim.

VÉRAC (le marquis Armand DE) **, 1768-1858. Pair de France et gouverneur du château de Versailles.

VERNET (Horace) *, 1789-1863. Illustre peintre français.

VÉRON (le docteur Louis-Désiré), 1798-1867. A la suite de déboires professionnels (il était médecin depuis 1823), il se livra à la littérature et s'occupa d'entreprises commerciales; il fut quelques années directeur de l'Opéra, puis entreprit, sur les instances de M. Thiers, de relever le Constitutionnel, dont il devint l'administrateur-gérant. Il appuya de tout son pouvoir la candidature présidentielle du Prince Louis-Napoléon, fut élu député en 1852, vendit la même année le Constitutionnel à M. Mirès, et se retira dès lors de la vie publique.

VESTIER (Phidias) **, 1796-1874. Architecte à Tours.

VIARDOT (Mme), née en 1821. Pauline Garcia, sœur de la Malibran, elle avait épousé Louis Viardot. Elle fut une célèbre cantatrice.

VICTOR-EMMANUEL II, 1820-1878. Roi de Sardaigne en 1849, Roi d'Italie en 1861. Il était le fils aîné du Roi Charles-Albert, qui avait abdiqué en sa faveur après la bataille de 527 Novare. Il surmonta les difficultés par le choix de ministres habiles et énergiques. En intervenant dans la guerre de Crimée où il envoya dix-sept mille hommes, il acquit le droit de parler devant l'Europe, au Congrès de Paris, des griefs et des droits de l'Italie. L'alliance de sa fille Clotilde avec le Prince Napoléon lui donna le secours tout-puissant de la France dans la guerre contre l'Autriche en 1859, qui fut le commencement de la formation de l'unité italienne. Victor-Emmanuel avait épousé, en 1842, Adélaïde, fille de l'archiduc Régnier, qui mourut en 1855.

VILLÈLE (Mgr DE) **, 1770-1840. Il fut nommé archevêque de Bourges en 1824.

VILLENEUVE (Mme DE). Mlle Guibert avait épousé sous l'Empire M. René de Villeneuve, qui fit quelques-unes des campagnes de la Grande-Armée, fut créé comte, et ensuite attaché comme chambellan à la Reine Hortense.

VISCONTI (Louis-Joachim), 1791-1853. Célèbre architecte d'origine italienne, qui quitta sa patrie dès 1798 et fut naturalisé Français en 1799. Il entra en 1808 à l'École des Beaux-Arts et devint en 1825 architecte de la Bibliothèque royale. Il exécuta le tombeau de l'Empereur Napoléon aux Invalides. On lui doit les fontaines de Molière, de Louvois et de Saint-Sulpice, et l'achèvement du Louvre dont il a donné le plan général.

VITROLLES (le baron DE) *, 1774-1854. Diplomate français.

W

WALCKENAER (le baron Charles-Athanase DE), 1771-1852. Savant géographe, entomologiste et biographe français, membre de l'Institut. Il fut préfet de la Nièvre en 1826, trésorier de la Bibliothèque royale en 1839.

WALDECK (Bénédict-François-Léon), 1802-1870. Jurisconsulte et grand agitateur politique prussien. Dans les Chambres de 1848, Waldeck joua un rôle d'opposition et de conspiration qui le fit arrêter et emprisonner.

WALDECK (la Princesse régente DE), 1802-1858. Emma, fille du prince d'Anhalt-Bernburg-Schaunburg, épousa, en 1823, le prince Georges de Waldeck. Devenue veuve en 1845, cette Princesse fut régente de la principauté de Waldeck, pendant la minorité de son fils.

WALDSTEIN-DUX-LEUTOMISCHL (le comte DE), 1793-1848. Chambellan et major autrichien, il avait épousé, en 1817, une comtesse Fünfkirchen.

WALLENSTEIN, 1583-1634. Célèbre capitaine, l'un des plus fameux généraux de la guerre de Trente ans.

WALSCH (la comtesse Agathe). Grande maîtresse de cour de Mme la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade.

WALEWSKI (le comte), 1810-1868. Homme politique français, il s'attacha à la fortune de Napoléon III et fut ministre des Affaires étrangères.

WALMODEN-GIMBORN (le comte Louis 528 DE), 1769-1862. Officier autrichien, d'une rare intelligence et d'une grande fermeté de caractère. Depuis 1823, il commanda le corps d'armée autrichien de l'Italie supérieure, et y resta jusqu'en 1848, époque où il prit sa retraite.

WASA (le prince Gustave), 1799-1877, épousa, en 1830, la princesse Louise de Bade, fille de la grande-duchesse Stéphanie. Leur fille unique épousa le Roi Albert de Saxe.

WELLESLEY (Richard, marquis DE) *, 1760-1842. Frère aîné du duc de Wellington, il rendit à l'Angleterre d'éminents services comme gouverneur général des Indes, où il triompha du Sultan Tippoo et détruisit l'empire de Mysore. Il fut deux fois lord-lieutenant d'Irlande. Il avait épousé, en 1794, Mlle Gabrielle Roland, qui mourut en 1816; il se remaria en 1825 avec la veuve de Robert Paterson (frère de la première femme de Jérôme Bonaparte).

WELLINGTON (Arthur Wellesley, duc DE) *, 1769-1852. D'abord officier de l'armée des Indes et membre du Parlement irlandais, il s'illustra par ses grands talents militaires, assista aux Congrès de Vienne en 1814, d'Aix-la-Chapelle en 1818, et joua ensuite un rôle important dans la politique anglaise. Il avait épousé, en 1806, l'honorable Catherine Pakenham, fille de lord Longford, qui mourut en 1831.

WERTHER (le baron DE) *, 1772-1859. Diplomate prussien.

WERTHER (la baronne DE) *, 1778-1853. Née comtesse Sophie Sandizell.

WESSENBERG-AMPRIGEN (le baron) *, 1773-1858. Diplomate autrichien.

WESTMORLAND (le comte John), 1759-1841. Lord-lieutenant d'Irlande de 1790 à 1795, sous le ministère Pitt. Il épousa, en 1782, miss Sarah Child, qui mourut en 1795, et se remaria en 1800 avec miss Saunders, qui lui survécut.

WESTMORLAND (John-Burghersch *, onzième comte DE), 1784-1859, fils unique et successeur du précédent. Général anglais de grand talent, éminent diplomate, ministre plénipotentiaire à Berlin en 1841, à Vienne en 1851, un des principaux membres des conférences de Vienne en 1855. Il rentra dans la vie civile peu après.

WESTMORLAND (lady Anne), 1793-1879. Épouse du précédent. Elle s'était mariée en 1811 et avait eu six enfants. Son fils aîné, lord Burghersch, mourut en 1848, à l'âge de dix-neuf ans. Lady Westmorland était une fille de William, baron Maryborough, frère du marquis de Wellesley et du duc de Wellington, plus haut cités; elle était pleine d'esprit et avait de nombreux amis.

WESTPHALEN (le comte DE), né en 1805. Ministre de l'Intérieur en Prusse de 1850 à 1858 et membre de la Chambre des Seigneurs à partir de 1854.

WEYER (Sylvan van DE) *, 1803-1874. Homme d'État et littérateur belge, ambassadeur à Londres de 1846 à 1867. 529

WICHMANN (Louis-Guillaume), 1784-1859. Sculpteur prussien, frère de Charles-Frédéric Wichmann, également sculpteur.

WIELAND, 1732-1813. Célèbre poète et littérateur allemand.

WILTON (Thomas-Egerton, comte), 1799-1882. Second fils du marquis de Westminster. Il fut officier de marine, puis en 1835 eut une charge de cour. Il épousa, en 1821, lady Margaret Stanley, fille du comte Edward de Derby, qui mourut en 1858, lui laissant cinq enfants; il se remaria en 1863 avec miss Isabelle Smith, fille d'un officier de l'armée des Indes.

WINDISCH-GRAETZ (le prince Alfred DE), 1787-1862. Général autrichien, chargé, en 1848, après une brillante carrière, de réprimer le soulèvement de Vienne, ce qui lui valut la nomination de feld-maréchal. Il fit ensuite, avec moins de succès, la campagne de Hongrie.

WINDISCH-GRAETZ (la princesse Éléonore), 1796-1848. Née princesse Schwarzenberg, épousa, en 1817, le prince Alfred de Windisch-Graetz. Elle fut tuée à Prague pendant l'insurrection.

WINDISCH-GRAETZ (la princesse Vériand DE), 1795-1876. Née princesse Éléonore de Lobkowitz, elle avait épousé, en 1812, le prince Vériand de Windisch-Graetz.

WINTER (M. DE). Ministre de l'Intérieur en Prusse de 1859 à 1860, puis président de la police de 1860 à 1861.

WITTGENSTEIN (le prince Guillaume de Sayn-) **, 1770-1851. Ministre de la maison du Roi Frédéric-Guillaume III.

WOLFF (M. DE) **, conseiller au ministère de l'Intérieur en Prusse.

WOLFF (Mme DE) **. Née Hennenberg.

WORONZOFF-DASCHKOFF (le comte Ivan) **, 1791-1854. Diplomate russe.

WRÈDE (le prince DE), 1767-1838. Général bavarois qui prit une part active aux guerres de l'Empire.

WURMB (Frédéric-Charles DE) **, 1766-1843. Administrateur des terres de la duchesse de Talleyrand et de Sagan en Silésie.

WURTEMBERG (le Roi Guillaume Ier DE) *, 1781-1864. Monté sur le trône en 1816.

WURTEMBERG (le Prince Royal DE), né en 1823. Monta en 1864 sur le trône de Würtemberg, sous le nom de Charles Ier. Il était fils du Roi Guillaume Ier et de son second mariage avec sa cousine Pauline de Würtemberg; il avait épousé, en 1846, la grande-duchesse Olga-Nicolaievna (née en 1822), fille de l'Empereur de Russie.

WURTEMBERG (le prince Paul DE) **, 1785-1852. Frère du Roi Guillaume Ier.

WURTEMBERG (le prince Auguste DE) **, 1813-1885. Officier distingué au service de Prusse où il exerça des commandements importants.

WÜRTEMBERG (princesse Sophie), 1818-1877. Fille du roi de Würtemberg, épousa en 1839 le prince Guillaume d'Orange, plus tard roi des Pays-Bas.

WYM (sir Henry Walthin), 1783-1856. 530 Diplomate anglais qui fut pendant plusieurs années ministre plénipotentiaire à Copenhague.

Z

ZEA (Mme DE) *. Dame espagnole, épouse de M. Zea Bermedez, diplomate.

ZEDLITZ (le baron Joseph-Chrétien DE), 1790-1862. Célèbre poète allemand, qui fut officier au service d'Autriche et employé au ministère des Affaires étrangères à Vienne.

ZICHY (le comte Ferdinand), 1783-1862. Feld-maréchal autrichien, commandant la forteresse de Venise en 1848, il capitula devant l'insurrection. Traduit devant un Conseil de guerre, il fut condamné à la dégradation et à dix ans de forteresse, puis gracié en 1851.

ZICHY DE VASONYKOE (le comte Eugène), 1803-1848. Il fut accusé d'espionnage par les Hongrois insurgés, qui le mirent à mort.

531

NOTES:

[1] Le duc Pasquier devait être, en effet, élu membre de l'Académie française le 17 février 1842, en remplacement de Mgr Frayssinous, évêque d'Hermopolis (1765-1841) et grand-maître de l'Université, qui, en janvier 1841, était déjà fort malade.

[2] Publication qui devait paraître en 1848 sous ce titre: Histoire de Madame de Maintenon et des principaux événements du règne de Louis XIV.

[3] Mme Récamier était venue, au commencement de la Restauration, et après la ruine de son mari, s'établir à l'Abbaye-au-Bois. Toutes les illustrations de l'époque briguaient la faveur d'être reçues dans son salon, qui, abstraction faite de la politique, était une sorte d'Hôtel de Rambouillet du dix-neuvième siècle, dont la belle Mme Récamier était la Julie.

[4] Cette femme, Eselina Vanayl de Yongh, était sous le nom d'Ida de Saint-Elme une aventurière célèbre; ces prétendues lettres de Louis-Philippe avaient été de toutes pièces fabriquées par elle.

[5] Allusion à la manufacture de toiles peintes fondée au dix-huitième siècle par Oberkampf, à Jouy-en-Josas, en Seine-et-Oise, non loin de Versailles.

[6] Fille d'un premier mariage de lady Palmerston, et nièce de lord Melbourne, lady Fanny devait épouser, quelques mois plus tard, lord Jocelyn.

[7] Le jeune colonel Cardigan avait eu plusieurs démêlés avec les officiers de son régiment, et, à la suite d'un duel avec le capitaine Harvey-Tuckett, qu'il blessa, il fut, en février 1841, traduit devant la Chambre des Lords constituée en Cour de justice. Un verdict d'acquittement y fut rendu en sa faveur: son accusation n'était qu'un hommage nécessaire rendu aux lois du pays contre le duel.

[8] M. de Bacourt, à qui s'adressait cette lettre, était toujours ministre de France à Washington. On trouve ici l'explication du refroidissement qui est survenu dans les relations de la duchesse de Talleyrand et de M. Thiers.

[9] Ce grand ouvrage consistait en la copie et le classement des papiers réunis sous le titre: Mémoires du prince de Talleyrand.

[10] Le bill de l'inscription des électeurs en Irlande avait été proposé par lord Morpeth à la Chambre des Communes, où il trouvait une très considérable opposition.

[11] Le 16 février 1841, le Roi Guillaume Ier des Pays-Bas avait épousé, morganatiquement, la comtesse d'Oultremont-Vegimont, après avoir abdiqué, en 1840, en faveur de son fils, le Roi Guillaume II.

[12] Extrait d'une lettre.

[13] Le sous-préfet de Chinon était alors M. Viel.

[14] Pendant la rébellion du Canada, en 1837 et 1838, le vapeur Caroline avait été brûlé sur la rivière de Niagara, et M. Amos Durfee (Anglais) fut tué. M. Alexandre Mac Leod, citoyen des États-Unis, fut accusé d'avoir été le meurtrier, mais M. Gridley, juge à Utica, réussit à prouver son innocence.

[15] Voir à la page 28 (26 février) l'annonce du mariage de lord Beauvale avec Mlle Maltzan.

[16] Benais, château près de Rochecotte, appartenait alors à M. et Mme de Messine, parents de Mme du Ponceau.

[17] Extrait de lettre.

[18] Le docteur Andral était le gendre de M. Royer-Collard.

[19] Cette lettre de M. de Talleyrand au Roi Louis XVIII, et la réponse que M. de Villèle lui adressa au nom du Roi, se trouvent dans l'Appendice du troisième volume des Mémoires du prince de Talleyrand.

[20] Le comte Pahlen.

[21] Voir à la page 19 (12 février 1841). Une instruction judiciaire avait été ouverte contre M. de Montour, gérant du journal la France qui avait publié les fausses lettres. L'affaire, longtemps retardée par la défense, ne vint devant le jury que le 24 avril. Me Berryer plaida habilement la bonne foi de M. de Montour, qui avait cru les lettres authentiques (sans s'en assurer). A la suite de cette plaidoirie, le gérant de la France fut acquitté par 6 voix contre 6.

[22] Le Comte de Paris, né le 24 août 1838, avait été ondoyé aux Tuileries, le jour de sa naissance. Il ne fut baptisé à Notre-Dame que près de trois ans plus tard, le 2 mai 1841, en grande pompe.

[23] La marquise de Castellane fut alors très malade d'une violente esquinancie dont les suites la firent longtemps souffrir.

[24] Ces lettres sont adressées à M. de La Gervaisais, un jeune gentilhomme breton, officier des carabiniers de Monsieur, que la princesse de Condé avait connu, en 1786, à Bourbon-l'Archambault, où elle avait été prendre les eaux, et pour lequel elle eut un sentiment aussi profond que pur.

[25] La Reine Adélaïde.

[26] La comtesse d'Oultremont.

[27] Dans le Marchand de Venise, de Shakespeare.

[28] Le prince Antoine Radziwill avait été envoyé à Gœttingen pour y terminer ses études, et pendant ce séjour en Allemagne, en 1794, il connut Gœthe, qui travaillait déjà à la première partie de Faust. Le prince Radziwill, très enthousiasmé par la beauté de cette œuvre, et, lui-même, parfait mélomane, entreprit de mettre en musique quelques scènes de la création du grand poète allemand, puis il compléta petit à petit cette composition. Le Prince était en relations personnelles avec Gœthe, qui, à sa demande, modifia un peu la scène du jardin entre Faust et Marguerite. La première représentation de Faust avec la musique du prince Radziwill fut donnée à Berlin, en 1819, sur le théâtre du palais de Monbijou, en présence de toute la Cour de Prusse. L'Académie de musique de Berlin, à laquelle le Prince fit don de son œuvre, l'exécute presque tous les ans depuis cette époque.

[29] L'auteur avait accompagné le prince de Talleyrand à Vienne, à l'époque du Congrès de 1815, et le Prince en parla en ces termes dans ses Mémoires: «Il me parut aussi qu'il fallait faire revenir la haute et influente société de Vienne des préventions hostiles que la France impériale lui avait inspirées. Il était nécessaire, pour cela, de lui rendre l'ambassade française agréable; je demandai donc à ma nièce, Mme la comtesse Edmond de Périgord, de vouloir bien m'accompagner et faire les honneurs de ma maison. Par son esprit supérieur et par son tact, elle sut plaire et me fut fort utile.» (Tome II, p. 208.)

[30] Extrait de lettre.

[31] Cette scène lamentable, qui marqua douloureusement la dernière soirée que le Roi Charles X et le Dauphin passèrent à Saint-Cloud, est racontée tout au long dans les Mémoires du duc de Raguse dont il est ici question (tome VIII, livre XXIV), et reproduite en partie dans un livre de M. Imbert de Saint-Amand, intitulé: La Duchesse de Berry et la Révolution de 1830, paru en 1880.

[32] La Reine de Hanovre était la duchesse de Cumberland, née princesse de Mecklembourg-Strélitz, morte le 29 juin, après trois mois d'une maladie consomptive.

[33] Hohlstein était la propriété de la princesse de Hohenzollern-Hechingen, née princesse de Courlande.

[34] La Jonchère était la propriété de M. Thiers à la Celle-Saint-Cloud.

[35] Ce protocole de clôture de la question égyptienne fut signé le 13 juillet 1841, par l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, la Russie et la Turquie. La convention des Détroits, signée en même temps, joignit la signature du plénipotentiaire français aux cinq autres.

[36] La question du recensement avait agité les habitants de Toulouse, dans les journées des 9 et 10 juillet. Ces troubles paraissaient apaisés, quand tout à coup éclata le 12 une émeute sérieuse: de nombreux rassemblements parcoururent les rues, des barricades furent formées, et la journée du 13 fut très menaçante. La ville fut sauvée par la sagesse du maire par intérim, M. Arzac, qui sut habilement ramener le calme et la tranquillité.

[37] La duchesse de Talleyrand était née le 21 août 1793.

[38] C'est dans Downing Street que se trouvait la demeure du ministre des Affaires étrangères.

[39] Les factions révolutionnaires, toujours en effervescence, poursuivaient avec acharnement l'idée de l'anéantissement de la Famille Royale: le 4 septembre 1841, un coup de pistolet fut tiré sur le duc d'Aumale, au moment où il descendait la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à la tête de son régiment, le 17e léger; le cheval du lieutenant-colonel Levaillant, qui se tenait à côté du Prince, fut tué par une balle.

[40] Le recensement fut, à Clermont-Ferrand comme à Toulouse, le prétexte de désordres qui éclatèrent le 13 septembre 1841, et qui continuèrent toute la journée du lendemain: les émeutiers attaquèrent la force armée, de nombreux soldats lurent tués ou blessés; les barrières de la ville furent brûlées, et le combat acharné. On eut à diriger des forces militaires considérables sur la ville, pour faire cesser la résistance et pour rétablir l'ordre.

[41] Le marquis et la marquise de Castellane y étaient établis, dans leur terre d'Aubijou.

[42] Le National ayant publié, au sujet des troubles de Clermont, une correspondance remplie de faussetés et d'invectives contre la Monarchie, fut accusé d'avoir porté atteinte à l'inviolabilité du Roi, et soumis à un jugement. Le 24 septembre 1841, il était déclaré, par le jury de la Seine, non coupable des délits qui lui étaient imputés, et il fut acquitté.

[43] Le 7 octobre 1841, à 8 heures du soir, les généraux Léon et Concho, profitant de l'arrivée à Madrid d'un régiment que ce dernier avait commandé, et qui lui était dévoué, voulurent tenter un coup de main pour enlever la Reine et l'Infante: ils se rendirent au Palais à la tête d'un escadron de la garde royale et, tandis qu'un régiment entourait le Palais, ils montèrent aux appartements de la Reine, heureusement bien gardés par les hallebardiers, qui opposèrent une vive résistance, les reçurent à coups de fusil et les repoussèrent à plusieurs reprises.—Espartero déjoua ce complot militaire et fit fusiller, le 15 octobre, le général Diégo Léon.

[44] Le 20 septembre 1841, le colonel James W. Grogau, citoyen des États-Unis, fut surpris pendant la nuit dans la maison d'un certain M. Brown et sur le territoire de son pays, par des brigands en uniforme anglais, qui l'emmenèrent captifs à Montréal, au Canada. M. Richard Jackson, gouverneur du Canada, le mit aussitôt en liberté, et fit punir un officier anglais, M. Johnson, du corps du colonel Dyer, qui avait pris part à ce coup de main.

[45] Édouard VII était né le 9 novembre.

[46] Après de longues luttes entre les Carlistes et les Christinos, qui inondèrent la péninsule de sang jusqu'en 1839, Don Carlos dut, à cette époque, chercher un refuge en France. Il reçut pour résidence la ville de Bourges, y fut étroitement surveillé, et obtint seulement en 1847 la faveur de passer en Autriche.

[47] La duchesse de Talleyrand avait une peur innée et instinctive des chats, et ne put jamais la vaincre.

[48] Comte de Maistre.

[49] Dupoty, républicain ardent, avait combattu vivement le gouvernement de Juillet, dans quelques journaux qu'il dirigeait. Lors de l'attentat de Quesnel sur le duc d'Aumale, en 1841, Dupoty fut poursuivi, traduit devant la Chambre des Pairs, sous l'inculpation de complicité morale, et condamné à une détention de cinq ans. Il ne devait recouvrer la liberté qu'à l'amnistie de 1844.

[50] Alors Chargé d'affaires de France à Saint-Pétersbourg.

[51] Plus tard, Mme de Terray. Elle était née en 1787.

[52] Le Roi Frédéric-Guillaume était allé en Angleterre à l'occasion du baptême du Prince de Galles, dont il fut le parrain.

[53] Mrs Frey était une quakeresse fort connue à Londres pour ses bonnes œuvres: le Roi de Prusse avait tenu à aller la voir, et elle lui demanda, pendant cette visite, de donner plus de liberté de conscience à ses sujets.

[54] De nombreuses exactions commises, au Mexique, au préjudice de nos nationaux, contraignirent, en 1837, le gouvernement français à élever des réclamations qui n'aboutirent à aucun résultat. Une flotte française fit alors le blocus du fort de Saint-Juan d'Ulloa, qui commande l'entrée de la Vera-Cruz, sous les ordres du contre-amiral Baudin; elle le prit, le 27 novembre 1838, après plusieurs mois de résistance, et contraignit ainsi le Gouvernement mexicain à signer un traité à Vera-Cruz, le 9 mars 1839.

[55] Cet ouvrage de M. de Rémusat parut ensuite en 1845; on y trouve un exposé magistral des doctrines d'Abélard et de sa philosophie scolastique.

[56] Alors M. Gergonne, officier de la Légion d'honneur.

[57] Le Musée de Montpellier occupe maintenant un des premiers rangs parmi les Musées de province. Il fut fondé en 1825 par Fabre, qui, après un séjour de quarante ans en Italie, revint dans sa ville natale, apportant avec lui une belle collection de tableaux, dont un certain nombre lui venaient d'Alfieri, diverses œuvres d'art et une précieuse bibliothèque qu'il légua, en mourant, à la ville de Montpellier.

[58] L'abbé Genoude était le directeur de la Gazette de France.

[59] La vue des côtes de Corse et la lecture du roman de Mérimée, Colomba, qui venait de paraître dans la Revue des Deux Mondes, firent naître dans la nature originale du marquis de Castellane le désir de faire ce voyage, qu'il entreprit effectivement avec sa famille. Cette excursion, un peu aventureuse à cette époque, dura à peu près deux semaines. En revenant en France, il se rendit à Perpignan, où commandait alors son père, le comte de Castellane, promu lieutenant général depuis son retour du siège d'Anvers.

[60] Le 8 février 1842, le prince Nicolas Esterhazy avait épousé lady Sarah Villiers, fille de lord et de lady Jersey.

[61] Pour remplacer M. Humann.

[62] Colomba est une saisissante peinture des vendettas corses, qui est restée célèbre et populaire. Mérimée fit d'abord paraître ce roman dans la Revue des Deux Mondes, qui l'offrit au public, précisément pendant l'hiver de 1842.

[63] William Hope, financier hollandais, d'origine anglaise, gendre du général Rapp et possesseur d'une immense fortune, s'était d'abord établi à Paris, dans une maison de la rue Neuve des Mathurins, où il recevait la meilleure compagnie. Cette habitation étant devenue trop étroite pour suffire à ses nombreuses relations, M. Hope fit bâtir le grand hôtel du 57, rue Saint-Dominique, dont le baron Seillière fit l'acquisition après sa mort, et qu'il devait lui-même léguer à sa fille devenue princesse de Sagan par son mariage avec Boson de Talleyrand-Périgord, prince de Sagan, petit-fils de la duchesse de Talleyrand.

[64] Le marquis de Castellane ne se remit jamais de cet accident. Il traîna, en souffrant constamment, avec le plus grand courage, pendant cinq ans, et finit par mourir en 1847, des suites de cette chute de cheval que la chirurgie d'alors ne sut pas bien traiter.

[65] Vers le commencement de juin 1842, la Reine d'Angleterre fut victime d'un attentat, au même endroit et dans les mêmes conditions presque qu'en 1840.

[66] Ussé, situé sur la colline en face de Rochecotte, auquel il fait point de vue, était habité, en 1842, par la comtesse de La Rochejaquelein, qui, déjà veuve du prince de Talmont, s'était remariée avec le plus jeune frère du héros de la Vendée. Le château d'Ussé fut bâti à plusieurs reprises, ainsi que le prouve l'originalité pittoresque des bâtiments: ce fut Jacques d'Épinay (chambellan des rois Louis XI et Charles VIII) qui, en 1485, en fit commencer les travaux, afin d'être plus près de la Cour. Ussé ayant passé plus tard à la famille Bennin de Valentinay, dont un membre épousa la fille aînée du maréchal de Vauban, celui-ci y vint souvent, et c'est à lui qu'on attribue la disposition des terrasses et l'établissement du bastion qui porte son nom.

[67] Mgr Morlot, né à Langres, en 1795, évêque d'Orléans depuis 1839.

[68] Kirchberg-an-Wald, château habité par Charles X, après 1830.

[69] Extrait d'une lettre de M. de Bacourt.

[70] Francesca de Maistre.

[71] La Princesse Albert de Prusse, née princesse Marianne des Pays-Bas.

[72] Ce mariage, que tous les journaux anglais annonçaient comme devant avoir lieu, ne se fit pas, la Reine ayant absolument refusé son consentement, ainsi que le Conseil privé. Le prince Georges de Cambridge, par une lettre de son avocat au journal l'Observer, donna un démenti formel aux bruits calomnieux qui circulaient, et lady Blanche Somerset, fille du second mariage du duc de Beaufort, épousa plus tard, en 1848, lord Kinnoul.

[73] Ce prince indien était un riche banquier, Duwarkanout-Tayore, qui faisait alors un voyage en Angleterre et en France.

[74] D'après l'anglais: un revers de médaille ou le mauvais côté des choses.

[75] Après une expédition en Chine, les Anglais venaient de conclure le traité de Nankin, qui ouvrait de nouveaux ports au commerce européen et permettait aux étrangers de séjourner à Canton. Le traité avec les États-Unis était déjà signé depuis le 9 septembre et avait enfin réglé la question, si longtemps débattue, de la frontière entre le Canada et l'État du Maine.

[76] Belle-mère de M. Guizot.

[77] Études sur les idées et sur leur union au sein du catholicisme, 2 volumes in-8o, chez Debécourt, 1842.

[78] Ce portrait se trouve aux pièces justificatives de ce volume.

[79] Le duc Pasquier.

[80] En 1843, l'existence du ministère Guizot était mise en question, au sujet des fonds secrets. M. Molé, dont le Ministère avait succombé, en 1839, sous les coups de la coalition Guizot-Thiers, crut le moment opportun pour organiser une ligue contre ses deux adversaires. Mais il opéra sourdement, par des conversations de salons et de couloirs, et se mit en relation avec MM. Dufaure et Passy, qui l'abandonnèrent au moment critique. Le débat sur les fonds secrets s'ouvrit le 1er mars à la Chambre: il tourna à l'avantage du Cabinet, et M. Guizot remporta, à cette occasion, un de ses plus beaux triomphes.

[81] Avec le prince Auguste de Saxe-Cobourg-Gotha (1818-1881), frère de la duchesse de Nemours. De ce mariage devait naître entre autres le Roi actuel de Bulgarie, Ferdinand Ier.

[82] Le pavillon Marsan était habité par la Duchesse d'Orléans.

[83] Le 8 février 1843, à dix heures et demie du matin, un tremblement de terre, qui dura soixante-dix secondes, vint cruellement frapper la Guadeloupe, et, en détruisant la ville de la Pointe-à-Pitre, bouleversa cette colonie française presque entièrement, engloutissant des milliers de morts et de blessés. Ce désastre exerça aussi ses ravages dans les Antilles anglaises.

[84] En 1843, un Français, M. Faye, découvrit une comète périodique, dont il calcula les événements, et qui porte son nom. Cette découverte fit un certain bruit: M. Faye reçut, de l'Académie des sciences, le prix Lalande et fut nommé chevalier de la Légion d'honneur.

[85] Ce remarquable morceau sur Saint-Cyr fut imprimé et publié, en 1843, à un petit nombre d'exemplaires. Il peut être considéré comme l'origine de l'ouvrage du duc de Noailles sur Madame de Maintenon et les principaux événements du règne de Louis XIV, dont il commence le troisième volume, et qui devait ouvrir au duc de Noailles les portes de l'Académie française.

[86] Le duc Pasquier.

[87] Avec la Princesse Clémentine.

[88] Après la mort du Duc d'Orléans, en 1842, la Chambre des Députés avait voté une loi qui nommait, en cas de mort du vieux Roi, le Duc de Nemours Régent du Royaume, pendant la minorité du Comte de Paris. A partir de cette époque, le Prince assista aux travaux de la Chambre des Pairs et fit les voyages officiels dans les départements.

[89] Le pays de Neuchâtel avait été cédé à Frédéric Ier, roi de Prusse, en 1707, et était devenu français de 1806 à 1814; les traités de Vienne l'avaient rendu à Frédéric-Guillaume III, tout en le maintenant dans la Confédération suisse, et cet état de choses devait durer jusqu'à la révolution de 1848 où les montagnards chassèrent le Gouvernement prussien, Frédéric-Guillaume IV n'abandonna définitivement ses droits qu'en 1850, et une convention, signée le 24 mai 1852, assura l'indépendance de Neuchâtel, tout en réservant les droits de la Prusse.

[90] M. de Custine avait réuni les souvenirs de son voyage en Russie dans un ouvrage en quatre volumes, intitulé: La Russie en 1839.

[91] On veut ici parler du mariage du Grand-Duc héritier de Russie (depuis Alexandre II) avec la fille du Grand-Duc de Hesse-Darmstadt, mariage célébré à Pétersbourg, le 16 avril 1841.

[92] Le prince Serge Troubetzkoï, alors fort jeune, avait pris une part active dans la conspiration qui éclata à Saint-Pétersbourg, en 1825, sur la légitimité de l'Empereur Nicolas à monter sur le trône de Russie; il était accusé d'usurper la couronne de son frère Constantin. Condamné à mort par la Haute Cour de justice, le prince Troubetzkoï vit sa peine commuée en un exil perpétuel en Sibérie où il fut envoyé, et, comme forçat, obligé de travailler dans les mines. L'Empereur Nicolas resta toute sa vie inflexible et ne voulut jamais pardonner à celui qui avait conspiré contre lui; ce ne fut qu'en 1855 qu'il fut gracié par Alexandre II, à son avènement au trône. La princesse Troubetzkoï, poussée par un dévouement passionné, suivit son mari dans cet exil, et son effort parut, à tous les yeux, d'autant plus héroïque, que les deux époux avaient vécu, jusque-là, assez froidement ensemble.

[93] Extrait d'une lettre.

[94] Le comte de Veltheim (1781-1848).

[95] Le prince Pückler avait, dans ses ouvrages, fait preuve d'indépendance, d'une grande hardiesse de jugement, qui, alliées à des idées libérales, paraissaient alors fort excessives à une Cour aussi rétrograde que celle de Prusse, et l'avaient fait tenir à l'écart en haut lieu.

[96] Cette pièce d'Alexandre Dumas père était alors jouée au Théâtre Royal de Berlin (Schauspielhaus), d'après la traduction allemande de L. Osten.

[97] Ce roman Der Mohr oder das Haus Holstein-Gattorp in Schweden, paru sans nom d'auteur, met en scène un nègre du nom de Badin, qui aurait été réellement amené d'Afrique en Suède, pendant son enfance en 1751.

[98] Guillaume III, qui avait été à Rome en 1771, comme Prince Royal, y retourna après son avènement au trône en 1783. Pie VI occupait alors la chaire de saint Pierre et reçut le Roi avec la plus grande bonté. Au mois de juin 1784, Gustave III arrivait à Paris pour y revoir la Reine Marie-Antoinette à laquelle il était très attaché.

[99] La Princesse de Carignan, grand'mère du Roi Charles-Albert, était une Princesse Joséphine de Lorraine, sœur de cette charmante Princesse Charlotte, abbesse de Remiremont, pour laquelle M. de Talleyrand éprouva une affection toute dévouée.

[100] Le fameux Billy, comme les amis du Prince l'appelaient.

[101] La princesse Pückler, divorcée en 1817 du comte Charles de Pappenheim, se remaria la même année avec le prince Hermann Pückler. Ils divorcèrent en 1826, parce que le prince Pückler, à peu près ruiné par son luxe insensé, voulait épouser une riche Anglaise, miss Harriet Hamlet. Ce projet échoua, et le Prince et sa femme, quoique divorcés par la loi, habitèrent de nouveau, très heureux, sous le même toit, sans qu'un second acte de mariage ait eu lieu.

[102] Cette Abyssinienne se nommait Machbouba, le prince Pückler l'avait ramenée de ses voyages. Elle ne put supporter le climat du Nord, et mourut à Muskau, après avoir, à Vienne, embrassé la religion catholique, sous l'influence de la princesse Metternich, qui avait pour Machbouba un vif intérêt.

[103] Le 17 juin 1843, le Roi de Danemark, Christian VIII, avait débarqué à Putbus où l'attendait le Roi de Prusse.

[104] La maison Courlande, située à Berlin Unter den Linden, numéro 7, faisait partie de la part de fortune que la duchesse de Talleyrand avait reçue à la mort de son père. La Duchesse vendit cette maison par l'entremise de son architecte en 1839, pour le prix de 95 000 thalers. L'Empereur Nicolas en fut l'acquéreur direct et sa qualité de propriétaire de cet immeuble lui valut le titre de Bourgeois honoraire de Berlin. On y réserva des appartements pour l'Empereur et sa famille, et on y installa la légation de Russie qui y est encore.

[105] Le Prince-Évêque de Breslau était alors le vicomte Melchior de Diepenbrock (1798-1853), cardinal.

[106] Extrait d'une lettre.

[107] Allusion à son affaire du fief de Sagan, qui se négociait alors.

[108] Les deux bâtiments étaient l'un vis-à-vis de l'autre, et le vent poussait les flammes du côté du palais du Prince et de la Princesse de Prusse.

[109] Il s'agit ici de l'Archiduc Étienne, fils de l'Archiduc Joseph, palatin de Hongrie, qui s'était alors arrêté à Berlin, en se rendant à Hanovre.

[110] Le Prince Auguste de Prusse, frère cadet du Prince Louis-Ferdinand tué en 1806 à Saalfeld, et fils du Prince Ferdinand, dernier frère de Frédéric le Grand, ne s'était jamais marié. Possesseur d'une fortune considérable qu'il avait su augmenter d'une façon peu scrupuleuse vis-à-vis des siens, il fit un testament par lequel il retournait à la Couronne de Prusse la partie des biens dont il ne pouvait pas disposer, et dotait du reste ses nombreux enfants naturels, enlevant ainsi à sa sœur, la princesse Radziwill, tout l'héritage qui devait lui revenir. Ce scandale amena un retentissant procès, qui fut perdu par les Radziwill et occupa beaucoup l'opinion publique à Berlin.

[111] L'Empereur de Russie, après un séjour à Potsdam, faillit, en revenant dans ses États, devenir la victime d'un attentat. A son passage par Posen, le 19 septembre, le peuple était encore douloureusement ému de la mort du général de Grolman, survenue le 15 septembre à la suite d'une maladie de cœur. Très apprécié et très aimé de toutes les classes de la population, le général avait été enterré ce jour même du 19 septembre avec un grand concours de monde. On en profita, un peu plus tard, pour faire feu sur la voiture des aides de camp de l'Empereur, que l'on avait prise pour celle du Czar. On trouva plusieurs balles dans sa voiture et dans les manteaux des officiers, mais on ne put jamais réussir à éclaircir cet événement.

[112] Les Hohenzollern-Hechingen.

[113] Dynastie polonaise, issue de Piast, et qui régna de 842 à 1370. Une branche des Piast conserva le duché de Silésie jusqu'en 1675.

[114] Extrait d'une lettre.

[115] Les Mémoires du prince de Talleyrand contiennent le récit de cette scène à laquelle la Chronique fait allusion. Le lecteur trouvera, aux Pièces justificatives de ce volume, cette relation, dont la véracité est attestée par M. de Vitrolles lui-même, telle qu'elle se trouve dans l'Appendice du deuxième volume des Mémoires de M. de Talleyrand.

[116] Extrait d'une lettre à M. de Bacourt.

[117] Après la chute de l'Empire, le comté de Neuchâtel, qui avait appartenu à la Prusse depuis Frédéric II, entra dans la Confédération suisse, dont il forma le vingt et unième canton, tout en restant sous la suzeraineté de la Prusse. Cette double position amena une série de conflits et de troubles. En 1847, Neuchâtel ayant refusé de prendre part à la guerre contre le Sonderbund, fut condamné à payer à la Confédération une indemnité de près d'un demi-million.

[118] Des tentatives anti-libérales s'étaient succédé en 1839-1840, dans les cantons suisses du Tessin, de l'Argovie, du Valais et de Vaud. Le Grand-Conseil décréta la suppression des couvents. Les cantons catholiques protestèrent et formèrent entre eux une ligue, appelée Sonderbund, pour la défense de leurs droits. Le parti radical vit là une violation de la Constitution et déclara la guerre au Sonderbund, qui fut vaincu dans une bataille acharnée, livrée sur les frontières du canton de Lucerne.

[119] La mère du prince Henri Carolath-Beuthen était née duchesse Amélie de Saxe-Meiningen, et était la tante de la Reine Adélaïde d'Angleterre.

[120] A la mort de l'Impératrice Marie-Louise, en vertu de l'arrangement pris à Paris en 1817, Charles-Louis de Bourbon, duc de Lucques, prit possession des duchés de Parme et de Plaisance; celui de Guastalla passa au duc de Modène, et il céda le duché de Lucques au grand-duc de Toscane. En 1848 d'ailleurs, le nouveau duc de Parme abdiqua en faveur de son fils Charles III, qui avait épousé Mademoiselle, fille du duc de Berry.

[121] Pendant tout le temps que dura la lutte en Suisse, les Puissances n'avaient cessé d'envoyer des sommations au parti radical. La France, surtout, menaçait d'intervenir par les armes, mais les événements de 1848 écartèrent toute intervention.

[122] Mademoiselle, fille du Duc de Berry.

[123] Madame Adélaïde était morte presque subitement le 31 décembre 1847.

[124] Malgré la victoire du général Bugeaud à Isly, Abd-el-Kader avait trouvé dans l'énergie de son caractère la force de lutter encore en Algérie; mais après avoir vu périr dans une dernière affaire ses plus dévoués partisans, il dut se rendre en 1847 au général de Lamoricière. Abd-el-Kader fut détenu prisonnier en France jusqu'à la proclamation de l'Empire. Après que Napoléon III lui eut rendu la liberté, il vécut en Syrie, en ami fidèle et dévoué de la France.

[125] Le duc Pasquier.

[126] Dans la séance du 10 janvier à la Chambre des Pairs, M. de Barante, rapporteur de la Commission, avait donné lecture du projet d'Adresse en réponse au discours du Trône. Ce projet fut vivement attaqué par le comte d'Alton-Shée, qui, des rangs du parti dynastique, s'était jeté tout à coup dans l'opposition, dès le début de l'agitation réformiste précédant la Révolution de février 1848. N'hésitant pas à manifester à la tribune même de la Chambre haute des opinions nettement révolutionnaires, le comte d'Alton-Shée lança, dans cette séance, toutes les foudres de son éloquence contre la politique extérieure de M. Guizot, entassant les unes sur les autres, sans aucun ménagement, les questions portugaise, suisse et italienne.

[127] Dans la séance du 14 janvier, la Chambre des Pairs ayant repris la suite de la délibération sur le septième paragraphe de l'Adresse relatif à la Suisse, M. de Montalembert y obtint un de ses plus beaux triomphes oratoires en flétrissant, dans les termes les plus nobles, les nombreuses iniquités et les abus barbares de la tyrannie révolutionnaire dont la Suisse donnait le douloureux et amer spectacle.

[128] La politique de lord Palmerston, qui, depuis 1846, avait repris la direction des Affaires étrangères, avait de nouveau un caractère révolutionnaire. On le vit, notamment, dans l'affaire du Sonderbund, soutenir Ochsenbein et Dufour contre les Puissances catholiques. Il joua M. Guizot, qui négociait encore afin de susciter une intervention armée avec la Prusse et l'Autriche, et de contrarier la politique anglaise, alors que la soumission des sept Cantons était déjà un fait accompli.

[129] Extrait d'une lettre adressée à M. de Bacourt qui venait d'être nommé Ministre de France à Turin.

[130] Le Roi Christian VIII de Danemark, qui s'était trouvé subitement malade le 6 janvier 1848, mourut le 20 du même mois. Son fils, issu d'un premier mariage, Frédéric VII, lui succéda.

[131] Née princesse de Schleswig-Holstein.

[132] Le même météore avait été vu en France, quelques jours auparavant, au-dessus de Doullens. Une gerbe de rayons lumineux s'était étendue horizontalement du Nord au Sud, avec une légère détonation, semblable à celle que produirait une fusée artificielle.

[133] Le Cardinal Diepenbrock.

[134] Les armes de Sagan forment ange sur fond d'or.

[135] Le Roi Louis-Philippe, qui s'était décidé trop tard à la réforme électorale et à la retraite de ses Ministres, fut surpris par le massacre du boulevard des Capucines, le 23 février. Le 24, tout Paris était debout, la révolution était triomphante, le Roi se résigna à abdiquer. Il quitta les Tuileries et se réfugia d'abord au château d'Eu, emportant avec lui l'illusion que son petit-fils, le Comte de Paris, pourrait lui succéder; mais, le 25, il apprit la proclamation de la République et fut forcé de s'expatrier en Angleterre.

[136] La marquise de Castellane s'était rendue, avec ses enfants, à la Délivrande, village près de Caen, qui doit son origine à un célèbre pèlerinage de la Sainte Vierge. Mgr de Quélen y avait adressé d'ardentes prières pour obtenir à M. de Talleyrand de finir chrétiennement.

[137] Le marquis de Dalmatie était alors Ministre de France à Berlin.

[138] M. de Radowitz fut alors envoyé à Vienne, pour tâcher d'amener une entente d'attitude entre les deux Cours, afin de faire front à l'orage révolutionnaire qui semblait déjà gronder. Le Prince Guillaume, gouverneur de Mayence depuis 1844, vu les événements, regagnait son poste.

[139] Dans la confusion de la malheureuse journée du 24 février à Paris, où chacun avait fui comme il pouvait, la Duchesse d'Orléans et ses deux fils, échappés au péril qu'ils avaient couru à la Chambre des députés, étaient allés se réfugier, avec M. Jules de Lasteyrie, à l'Hôtel des Invalides, qu'ils quittèrent secrètement pendant la nuit. De Paris à Aix-la-Chapelle, la Princesse voyagea dans une voiture publique, accompagnée par le marquis de Montesquiou et M. de Mornay. Elle prit ensuite le chemin de fer jusqu'à Cologne, et, après avoir passé la nuit à Deutz, elle se rendit à Ems et demanda asile au Grand-Duc de Weimar, qui mit le château de Eisnach à sa disposition. Ce ne fut qu'en juin 1849 qu'elle alla en Angleterre visiter la Famille Royale, à Saint-Léonard, près d'Hastings, où le Roi et la Reine étaient venus pour tâcher de rétablir leur santé.

[140] L'ancienne Franconie, c'est-à-dire une partie de Bade, du Würtemberg et de la Hesse, était alors le théâtre d'une espèce de Jacquerie. De déplorables excès étaient commis par les paysans soulevés en masse; des châteaux furent brûlés et saccagés, plusieurs propriétaires périrent ou furent maltraités d'une manière barbare. Le 10 mars, sous le prétexte du mécontentement éprouvé par la nomination de nouveaux Ministres, des troubles sérieux éclatèrent à Cassel; l'Arsenal fut pris d'assaut, les armes enlevées; on se battit contre la troupe; les Gardes du corps firent retraite, mais la populace maintint les barricades jusqu'à ce que le régiment fût licencié et les officiers mis en accusation.

[141] Le 13 mars, une insurrection formidable avait éclaté à Vienne, la population s'était soulevée en masse. Les chemins de fer furent brisés et l'air retentissait des cris: «La Constitution et la liberté de la presse!»

[142] Le Prince Adam Czartoryski, conservant toujours ses illusions, avait vu ses espérances se relever par les troubles qui régnaient partout et dont les Polonais tâchaient de profiter pour leur cause. Le Prince arriva à Berlin, où régnait le plus complet désarroi, et il crut imposer en déclarant, avec une certaine hardiesse, que lord Palmerston et M. de Lamartine avaient promis de l'appuyer sur terre et sur mer, dans le cas où la Prusse se prononcerait pour le rétablissement de la Pologne. La présence à Berlin du Prince Czartoryski fut si mal vue par l'Empereur de Russie, qu'il fit signifier à son Ministre, M. le baron de Meyendorff, qu'il devait quitter Berlin si le Prince y prolongeait son séjour.

[143] Le 2 avril 1840, à midi, eut lieu à Berlin l'ouverture de la deuxième Diète générale, Diète réunie en une seule Chambre, et sans distinction d'ordres ni de curies. Le commissaire de cette Diète, Président du Conseil, M. de Camphausen, accompagné de tous les Ministres, fit, au nom du Roi, cette ouverture. Il prononça un discours, à la suite duquel il présenta un projet de loi sur les élections, afin de réaliser, sur une large base, la Constitution que le Roi avait donnée à son peuple, à la suite des événements du 18 mars.

[144] A la suite d'une collision entre la troupe et le peuple à Vienne, le 13 mars 1848, et débordé par l'insurrection de la Vénétie, M. de Metternich, qui s'était trop imaginé représenter à lui seul le génie de la résistance, fut contraint, par une foule en fureur, de donner sa démission et de fuir l'Autriche, avec sa femme. Ils gagnèrent d'abord Dresde, mais l'impopularité du Prince était telle, qu'ils durent gagner la Hollande et l'Angleterre. En 1849, ils vinrent s'établir à Bruxelles.

[145] L'assemblée qui s'était convoquée spontanément à Francfort pour donner à la patrie un centre d'action dans le cas où les Princes n'auraient pas voulu s'associer au mouvement de fusion qui s'opérait alors entre les races germaniques, s'était dissoute le 2 avril, après avoir obtenu des Princes, à la Diète, la réunion d'un Parlement allemand. Toutefois, pour veiller à l'exécution de cette promesse, elle avait nommé une commission de cinquante membres, chargée de convoquer, dans le délai d'un mois, un Parlement national dans le cas où il ne serait pas déjà élu par les divers États.

[146] La nouvelle de la révolution de Paris avait produit une immense sensation dans le Grand-Duché de Posen. Une émeute éclata à Posen même où Mieroslawski, sorti de prison le 19 mars, forma une armée et organisa la guerre.—A Cracovie, à la nouvelle des troubles de Vienne, soixante-dix mille Polonais se rendirent chez le comte Deyne, commissaire civil, demandant la liberté de quatre cents de leurs compatriotes.

[147] Il n'y eut pas d'ultimatum proprement dit; ce n'était qu'un bruit de journaux. Le Comité national polonais publia seulement un manifeste proclamant qu'aussi longtemps que toute la Pologne ne serait pas rétablie, les Polonais considéreraient toute séparation arbitraire des parties de leur pays comme un nouveau partage de la Pologne, et menaçaient de protester devant les peuples de l'Europe de cette violation. Cette protestation devait se faire le 26 avril par deux lettres du Prince A. Czartoryski adressées, l'une à M. de Lamartine, alors ministre des Affaires étrangères à Paris, l'autre au baron d'Arnim, qui occupait les mêmes fonctions à Berlin.

[148] Le noble et chevaleresque Charles-Albert, qui avait, pour soustraire son pays à l'influence de l'Autriche, formé une armée fortement organisée et promulgué une Constitution, était devenu l'espoir de l'indépendance italienne. Profitant de l'insurrection qui avait éclaté le 18 mars à Milan, suivie de la défaite de l'armée autrichienne et de la fuite de l'Archiduc Reynier, le Roi avait déclaré la guerre à l'Autriche le 20 mars. Il enleva d'abord rapidement les positions de l'ennemi jusqu'à l'Adige, mais attaqué par des forces supérieures, il devait plus tard (en août) perdre la sanglante bataille de Custozza et être obligé d'évacuer Milan.

[149] Après Milan, Venise s'ébranla à son tour. Le 20 mars, l'Arsenal fut pris par les insurgés. Le gouverneur civil comte Palfy remit tous ses pouvoirs au comte Zichy, gouverneur militaire, qui, hésitant devant une effusion de sang, abdiqua lui-même entre les mains de la Municipalité en capitulant le 22 mars avec le Gouvernement provisoire. Venise fut ainsi délivrée des Autrichiens. Le 21 mars, Trévise avait également dû capituler et la garnison autrichienne avait quitté la ville.

[150] Les troupes prussiennes, commandées par le général Blum, s'étaient dirigées sur Miloslaw, qu'elles prirent après un combat opiniâtre; mais une avant-garde, qui poursuivait les Polonais, fut reçue, en approchant d'un bois, par un feu bien nourri qui la repoussa si vigoureusement que les Prussiens tournèrent le dos, se jetèrent, dans leur fuite précipitée, sur leur propre infanterie qui les suivait, rompirent ses rangs et l'entraînèrent dans la déroute. Les Polonais, poursuivant à leur tour les Prussiens, les chassèrent de Miloslaw et leur prirent deux canons.

[151] Le 4 mai, le comte de Ficquelmont, Ministre des Affaires étrangères à Vienne, dut donner sa démission, à la suite d'un charivari des étudiants, qui le considéraient comme un disciple de Metternich.

[152] Depuis plusieurs jours, les manifestations en faveur de la Pologne se multipliaient à Paris. Le 15 mai, une bande d'insurgés se porta sur l'Assemblée nationale et l'envahit, mais l'ordre fut assez vite rétabli.

[153] Le 1er mai, un mouvement révolutionnaire avait éclaté à Rome, par suite du refus du Pape de déclarer la guerre à l'Autriche. Le Ministère donna sa démission. Le Pape, menacé d'un gouvernement provisoire, affirma, dans une allocution, ne pouvoir déclarer la guerre comme Souverain Pontife, mais laissant le pouvoir de le faire, comme Prince temporel, à son Ministère. Pie IX dut accepter, le 5 mai, un Ministère exclusivement laïque, qui fut en opposition constante avec lui.

[154] La petite Cour exilée vivait très retirée au château de Claremont, en Angleterre, que le Roi Léopold, à qui il appartenait alors, avait obligeamment mis à sa disposition.

[155] M. de Boismilon.

[156] On avait cru que le libéralisme de M. de Camphausen avait assez apaisé les esprits pour permettre au Prince de Prusse, que la colère du peuple avait, dès le commencement des troubles, forcé à se réfugier en Angleterre, de revenir à Berlin. Cependant, le Prince y était à peine arrivé que le ministère Camphausen fut renversé le 20 juin, après la prise et le pillage de l'arsenal, et remplacé par le ministère Auerswald.

[157] Une insurrection avait éclaté à Naples. Après six heures d'un combat acharné, les troupes royales étaient restées maîtresses de la ville, tout en perdant trois ou quatre cents hommes tués. La Chambre et la Garde nationale furent dissoutes et un nouveau Ministère fut formé sous la présidence de M. Cariati.

[158] Après un bombardement et des combats de rues qui avaient duré du 12 au 17 juin, le prince Windisch-Graetz était parvenu à terrasser l'insurrection de Prague. Pendant ces combats, la Princesse sa femme fut tuée traitreusement près de la fenêtre de son salon, entre ses deux sœurs, par un coup de feu tiré de l'autre côté de la rue.

[159] A l'Assemblée nationale de Francfort, le Comité des Cinquante avait plusieurs fois tenté de créer un triumvirat ou pouvoir central. Dans ce but, une Commission de onze députés fut élue au mois de juin. Elle désigna l'Archiduc Jean pour l'Autriche, le vieux Prince Guillaume pour la Prusse, le Prince Charles pour la Bavière. On les appelait, ironiquement, le Directoire des trois oncles, ces Princes étant les oncles des monarques de ces pays. Ce projet fut vivement combattu, et on finit, dans la séance du 23 juin, par élire un seul Dictateur, l'Archiduc Jean. Une députation porta l'offre de cette dignité à l'Archiduc, qui l'accepta, et le 12 juillet suivant, se présenta à l'Assemblée nationale.

[160] A la suite du licenciement de cent sept mille ouvriers des ateliers nationaux, une émeute avait de nouveau ensanglanté Paris pendant quatre jours. C'est alors que fut tué l'Archevêque, Mgr Affre, sur les barricades où il était allé porter au peuple des paroles de paix.

[161] M. de Pfœrdten.

[162] Les discussions sur la proposition d'un député, M. Stein, concernant l'armée et relative au contrôle que le Ministère devrait exercer sur les opinions politiques des officiers, s'étant terminées dans la Chambre au désavantage du Cabinet, le Ministère Auerswald démissionna le 11 septembre. Le 22 du même mois, le Roi nommait un nouveau Cabinet dont le général de Pfuel était le Président.

[163] On sait que les populations du Schleswig et du Holstein, qui désiraient leur union avec l'Allemagne, s'étaient soulevées contre le Danemark, et que les Prussiens étaient venus à leur secours. Après plusieurs combats sanglants, un armistice entre le Danemark et la Prusse avait été conclu à Malmœ, le 26 août. Or, l'Assemblée nationale de Francfort, ayant refusé de donner son assentiment à cet armistice, sous le prétexte que la Prusse n'avait pas demandé son autorisation, le Conseil des Ministres et tous les ministres de l'Empire avaient donné leur démission.

[164] Le château de Trachenberg, non loin de Breslau.

[165] Dans la matinée du 6 octobre, une partie du peuple de Vienne s'étant opposée au départ des troupes dirigées sur la Hongrie pour renforcer le baron Jellachich, une lutte sanglante éclata. L'hôtel du Ministère de la guerre fut pris d'assaut, le Ministre, comte de la Tour, fut égorgé, pendu à une lanterne et percé de balles. La troupe recula, et, repoussée sur tous les points, dut évacuer la ville. L'Empereur et la Famille Impériale, de retour à Vienne depuis le mois d'août, furent contraints de s'en éloigner de nouveau, et se dirigèrent vers Olmütz où l'Empereur devait abdiquer, le 2 décembre, en faveur de son neveu François-Joseph Ier.

[166] Le général comte Lamberg avait été nommé le 25 septembre commandant en chef des troupes hongroises. L'Assemblée nationale de Pest refusa de reconnaître cette nomination, déclara coupables de haute trahison tous ceux qui lui obéiraient, et, à son arrivée à Pest, le peuple irrité le mit à mort sur le pont qui réunit Bude et Pest.

[167] La Hongrie étant en pleine insurrection, les insurgés se saisirent du comte Eugène Zichy, l'accusant de communiquer avec l'armée autrichienne et d'avoir distribué une proclamation de l'Empereur; ils le firent passer devant un tribunal présidé par Georgei. Il fut condamné à mort, passé par les armes dans l'île de Csepel, et non pas pendu comme le premier bruit s'en était répandu.

[168] Le général Brédy avait trouvé la mort à Vienne le 6 octobre 1848 dans les combats que se livrèrent la populace et la garde nationale dans le faubourg de Leopoldstadt, peu d'heures avant que les insurgés ne se soient emparés de l'hôtel du Ministère de la Guerre.

[169] Par noirs et jaunes, on désignait le parti des Impériaux, dont les membres portaient les couleurs.

[170] Le 16 octobre, une nouvelle collision sanglante avait eu lieu à Berlin, entre la garde bourgeoise et les ouvriers, et elle ranima l'agitation dont cette ville était, avec de courtes intermittences, le foyer depuis le mois de mars.

[171] M. Arago, ministre de France, s'était montré à la foule qui, devant son hôtel, poussait des vivats en son honneur. Il prononça quelques paroles en français, et tendit la main aux personnes les plus proches de lui.

[172] Un nouveau Ministère, dont le comte Brandebourg était Président, et M. de Manteuffel ministre de l'Intérieur, avait été nommé à Berlin le 8 novembre. Dès le premier acte de son administration, il subit un échec. Une ordonnance du Roi, contresignée par le comte de Brandebourg, transférait l'Assemblée nationale dans la ville de Brandebourg; l'Assemblée se prononça à une immense majorité contre cette translation, et le gouvernement, ne pouvant plus marcher au milieu de cette anarchie toujours croissante, se décida à agir avec vigueur. Le 10 novembre, il fit entrer dans la capitale un nombre considérable de troupes qui occupèrent les abords de la salle de l'Assemblée, laquelle se sépara en protestant contre cette violence. Une ordonnance du Roi déclara alors la garde civique dissoute, puis, le 12, une autre ordonnance déclara Berlin en état de siège. Le général Wrangel eut le commandement des forces militaires, et toutes les mesures furent prises pour éviter une collision.

[173] Au mois de novembre 1848, toute la Famille Royale était tombée malade d'un empoisonnement, causé par les conduites de plomb des eaux.

[174] La Diète autrichienne se tenait depuis le 15 novembre à Kremsier, en Moravie, dans le beau château des Archevêques d'Olmütz. Le nouveau Ministère était ainsi composé: Prince Félix de Schwarzenberg, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; Stadion, à l'Intérieur; Krauss, aux Finances; Bach, à la Justice; Gordon, à la Guerre; Bruck, au Commerce; Thinnfeld, à l'Agriculture; Kulmer, sans portefeuille.

[175] Le Pape, qui avait, dès le 14 mars, donné une Constitution à ses sujets, et, depuis, changé plusieurs lois de Ministère, s'était enfin décidé à nommer, le 15 septembre, comme son premier Ministre, Pellegrino Rossi, ancien Ambassadeur de France auprès de Sa Sainteté, et ami personnel de M. Guizot. Rossi entreprit d'établir un régime parlementaire régulier dans les États pontificaux, s'appuyant sur la bourgeoisie et se plaçant entre les partis en lutte. Il n'eut pas le temps de réaliser ses projets: le 15 novembre, au moment où il se rendait au Conseil des Ministres, il fut frappé d'un coup de poignard à la gorge par un soldat de la milice et tomba mort. Ce fut le signal du soulèvement des républicains; le Pape s'étant borné à nommer un nouveau Ministère, qui n'avait pas leur sympathie, la foule et les troupes se rendirent au Quirinal, demandant au Pape de changer ses Ministres. Pie IX, entouré du Corps diplomatique, se montra intraitable; cette attitude mit le comble à l'irritation populaire. Une lutte sanglante s'engagea entre le peuple et les Suisses, et les balles pénétrèrent jusque dans l'intérieur du Palais. Tout en protestant, le Pape finit par céder et consentit à prendre pour Ministres Sterbini, Galletti, Mamiani et l'abbé Rosmini; mais, le 25 novembre, sous les habits d'un simple abbé, il quittait Rome et se rendait à Gaëte, sous la protection du Roi de Naples, d'où il adressa aux Romains une protestation contre ce qui venait de se passer.

[176] M. de Gagern, qui s'était chargé d'achever à Francfort une Constitution de l'Empire et l'installation du pouvoir central définitif, était venu à Berlin pour tâter le terrain et savoir si, en cas de rupture de l'Autriche avec l'Allemagne, le Roi de Prusse serait disposé à se mettre à la tête de l'Empire allemand. Le Roi déclina très catégoriquement cette offre, qui devait lui être proposée de nouveau, plus officiellement, en mars 1849.

[177] Comme Pellegrino Rossi, Capo d'Istria avait eu une mort violente. Accusé par les Grecs de n'être chez eux que l'instrument de la Russie et de s'appuyer, pour gouverner, sur des moyens arbitraires, il avait été assassiné, en 1831, par les frères Georges et Constantin Mavromichali, qui voulaient venger sur lui leur père et leur frère, injustement emprisonnés.

[178] Le Roi Charles-Albert ne devait abdiquer qu'après la bataille de Novare, le 23 mars 1849.

[179] Vers le 15 décembre, le prince Windisch-Graetz, à la tête des troupes autrichiennes, délogea, de position en position, les Hongrois, qui, sous le commandement de Georgei, se retirèrent derrière les bastions de Raab. Les grands froids n'ayant pas permis à leurs renforts de les joindre, les Hongrois durent abandonner cette position, où les Autrichiens entrèrent, sans combat, le 27 décembre.

[180] Ce fut le 29 septembre 1848, auprès de Veneleze, à trois heures d'Ofen, que Jellachich fut défait totalement par le général Moga. Son armée se mit à fuir, Jellachich, un instant prisonnier, parvint à s'échapper et, à travers les forêts, gagna Mor, puis Risber et enfin Raab.

[181] Le Prince Louis Bonaparte avait été élevé à la Présidence le 10 décembre 1848. M. Molé racontait lui-même que le matin de ce jour le général Changarnier, commandant les troupes qui, après la séance du serment, devaient escorter le Président à l'Élysée, se rendit chez lui pour conférer, et au moment de partir s'écria: «Eh bien! si au lieu de le conduire à l'Élysée, je le conduisais aux Tuileries?» Et M. Molé de lui répondre: «Gardez-vous-en bien!... Il s'y rendra assez tôt à lui seul!»

[182] La plus grande confusion régnait à Francfort depuis qu'il s'agissait de donner un chef définitif à l'Empire allemand, et de réaliser les belles promesses unitaires par une conclusion pratique. L'Autriche faisait semblant de se placer dans une expectative qui la laissait étrangère à tous les détails, et comme ne devant songer à se rapprocher de l'Allemagne que lorsque l'Allemagne existerait comme État constitué; son intention était, en somme, de ne prendre de résolution, à l'égard de son union avec l'Allemagne, que lorsque le choix du chef de l'Empire et la prééminence se seraient décidés en sa faveur ou contre elle.

[183] Cette guerre, commencée à l'avènement de François-Joseph sur le trône d'Autriche, dura trois années; la Hongrie ne céda que devant les forces écrasantes de l'Autriche et de la Russie alliées.

[184] La France et l'Angleterre ayant offert leur médiation entre l'Autriche et la Sardaigne, l'armistice, signé le 9 août 1848, entre ces deux puissances, fut tacitement prorogé jusqu'à la fin des négociations; mais celles-ci n'ayant pu aboutir, la Sardaigne dénonça enfin cet armistice le 12 mars 1849. Le 20 du même mois, les hostilités recommencèrent. Le 23 mars, la bataille décisive de Novare vit l'armée sarde accomplir des prodiges de valeur, mais son chef, le général polonais Chrzanowski, commit des fautes déplorables, et la fortune de l'Autriche l'emporta encore une fois. Le roi Charles-Albert demanda au maréchal Radetzky un nouvel armistice dont les conditions étaient si dures, que le Roi déclara qu'il ne les souscrirait point; alors Charles-Albert abdiqua en faveur de Victor-Emmanuel et prit lui-même la route de l'exil. Le 27, le nouveau Roi se rendit au quartier général du maréchal Radetzky, et après un long entretien il signa un armistice qui devait se prolonger jusqu'à la conclusion définitive de la paix.

[185] L'Union électorale ou le fameux Comité de la rue de Poitiers fut formé au commencement de 1849, par la droite conservatrice, pour diriger les élections et lutter contre le Comité démocratique socialiste.

[186] Le Roi de Prusse avait été élu le 28 mars, à l'assemblée de Francfort, Empereur des Allemands, et une députation était allée aussitôt lui porter ce titre. Cette députation avait été reçue le 3 avril par Frédéric-Guillaume IV, qui répondit qu'il n'accepterait cette dignité que lorsque les Rois, les Princes et les Villes libres de l'Allemagne lui auraient donné leur assentiment volontaire. Après de nombreux pourparlers, cette mission des Députés de Francfort devait échouer.

[187] Le général de Pritwitz avait pris le commandement de l'armée fédérale en Schleswig-Holstein, après que le général Wrangel eut été nommé au commandement des troupes de Berlin.

[188] Nicolas Ier avait menacé de déclarer la guerre à la Confédération germanique si les troupes allemandes n'évacuaient pas les Duchés et ne repassaient pas l'Elbe.

[189] Sous la force de l'opinion, et pour éviter une catastrophe, le Roi de Würtemberg finit par adopter la Constitution votée par l'Assemblée de Francfort, y compris le chapitre relatif au Chef de l'Empire, qu'il avait, jusque-là, obstinément rejeté.

[190] Dans sa séance du 26 avril, l'Assemblée de Francfort avait déclaré que l'acceptation de la dignité de Chef de l'Empire conférée au Roi de Prusse ne saurait être séparée de l'acceptation de la Constitution.

[191] Le 26 avril, une vive agitation s'était produite à la Chambre prussienne, dans les rangs de la gauche, à la suite d'une lettre, trouvée sur les sièges des Députés, où un grand nombre de signataires de la fraction rouge proclamaient la souveraineté du peuple et annonçaient que tous leurs efforts tendaient à la formation d'une grande République polonaise. Le soir même paraissait l'Ordonnance du Roi qui dissolvait la Chambre.

[192] Le général Bem, Polonais d'origine, qui s'était illustré dans la défense de Varsovie en 1831, s'était joint, en 1848, aux Hongrois soulevés contre l'Autriche, et avait remporté de grands succès en Transylvanie, notamment à Hermannstadt.

[193] Le 3 mai, le Roi de Saxe ayant refusé positivement de reconnaître la Constitution de l'Empire, son Palais fut immédiatement entouré par la foule, un Comité de défense fut formé et l'Arsenal assailli. Le peuple s'empara de l'Hôtel de ville et fit flotter sur le balcon le drapeau tricolore allemand. La Famille Royale et les Ministres s'enfuirent à Kœnigstein. Sans l'intervention de la Prusse et l'arrivée du général Wrangel, la République était proclamée.—Le contre-coup de cette émeute se fit sentir à Breslau, où, le 7 mai, des bandes insurgées parcoururent les rues, précédées du drapeau rouge, qu'elles portèrent devant l'Hôtel de ville, en proclamant la République. Les autorités militaires enlevèrent les barricades à la baïonnette après une vive fusillade.

[194] Jour anniversaire de la mort de M. de Talleyrand.

[195] Les troupes allemandes étaient entrées en Jutland après un combat entre Wisdrup et Gudsor; mais les Danois se retirèrent derrière les remparts de Frédéricia, que vinrent bombarder les troupes prussiennes, en même temps que des négociations de paix entre le Danemark et la Prusse se poursuivaient à Londres sous les auspices de lord Palmerston. Quelques jours plus tard, une flotte russe quitta Cronstadt pour porter son appui au Danemark contre la Prusse, qui, selon l'Empereur Nicolas, maintenait chez ses voisins un esprit de révolte contre leur souverain légitime, et faisait tout ce qui dépendait d'elle pour se rendre maîtresse des mouvements de l'Allemagne.—La note dont était porteur le général de Rauch faisait observer au Czar que la Prusse ne faisait la guerre au Danemark que par ordre du pouvoir central, et que personne, plus que le Cabinet prussien, ne désirait la fin des complications.

[196] Le Cabinet prussien avait invité les autres Cabinets allemands à prendre part à un Congrès à Berlin, qui aurait pour but d'aplanir les difficultés soulevées par le refus de l'Assemblée de Francfort de rien changer à la Constitution qu'elle avait votée.

[197] Georgei avait capitulé avec vingt-deux mille combattants, à Vilagos, où il rendit son épée aux Russes. Il fut livré aux Autrichiens, mais relâché, en effet, après une courte détention, sur la demande de Paskéwitch.

[198] Allusion à la cécité du Prince Royal de Hanovre.

[199] Le Cabinet de Vienne, toujours jaloux de la situation de la Prusse en Allemagne, tâchait par tous les moyens de détruire son ascendant. Influençant le Hanovre, pour le détacher de l'alliance avec le Roi de Prusse, il lui avait représenté l'état fédératif restreint comme devant fournir un nouvel élément à la démocratie, et avait fait valoir qu'en contribuant à transformer le pouvoir central provisoire en un pouvoir définitif, la Prusse acquerrait la suprématie en Allemagne.

[200] L'Archiduc Jean, qui possédait en Styrie de grands établissements qu'il voulait développer, était venu en Belgique pour y examiner l'industrie métallurgique. Le 24 octobre, le Roi des Belges vint à sa rencontre à Liège, visita avec lui Seraing et les établissements de la Vieille-Montagne, à Angleux.—L'Archiduc avait épousé morganatiquement Mlle Plochel, créée baronne de Brandhofen, et leur fils unique avait reçu le titre de comte de Méran.

[201] Le 24 octobre, M. Creton avait proposé à l'Assemblée nationale l'abrogation des lois qui avaient proscrit les Bourbons. Cette question donna lieu à un vif débat. Le Prince Jérôme-Napoléon cita à la tribune des lettres écrites en 1848 par les fils de Louis-Philippe, protestant contre leur bannissement et demandant à rentrer dans la patrie commune en reconnaissant la Souveraineté nationale.—La proposition de M. Creton fut repoussée par cinq cent quatre-vingt-sept voix.

[202] Robert Blum s'était mis à la tête de la démocratie saxonne en 1848; envoyé à l'Assemblée de Francfort, il y avait fait preuve d'un certain talent oratoire, mais, ayant pris part aux révoltes de Vienne, il avait été pris et fusillé par les Autrichiens.

[203] Voici cette fameuse lettre à Edgard Ney dans laquelle la France vit tout un programme:

«Paris, 18 août 1849.

«Mon cher Ney,

«La République française n'a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne, mais, au contraire, pour la régler en la préservant de ses propres excès et pour lui donner une base solide en remettant sur le trône pontifical le Prince, qui le premier s'était placé hardiment à la tête de toutes les réformes utiles.

«J'apprends avec peine que l'intention bienveillante du Saint-Père, comme notre propre action, reste stérile en présence de passions et d'influences hostiles qui voudraient donner pour base à la rentrée du Pape la proscription et la tyrannie. Dites bien de ma part au Général que dans aucun cas il ne doit permettre qu'à l'ombre du drapeau tricolore il se commette aucun acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention. Je résume ainsi le pouvoir temporel du Pape: amnistie générale, sécularisation de l'administration, code Napoléon et gouvernement libéral.

«J'ai été personnellement blessé en lisant la proclamation des trois Cardinaux où il n'était pas fait mention du nom de la France et des souffrances de ses braves soldats. Toute insulte à notre drapeau ou à notre uniforme me va droit au cœur. Recommandez au Général de bien faire savoir que si la France ne vend pas ses services, elle exige au moins qu'on lui sache gré de ses sacrifices et de son intervention.

«Lorsque nos armées firent le tour de l'Europe, elles laissèrent partout, comme trace de leur passage, la destruction des abus de la féodalité et les germes de la liberté. Il ne sera pas dit qu'en 1849 une armée française ait pu agir dans un autre sens et amener d'autres résultats.

«Priez le Général de remercier, en mon nom, l'armée de sa noble conduite. J'ai appris avec peine que, physiquement même, elle n'était pas traitée comme elle méritait de l'être. J'espère qu'il fera sur-le-champ cesser cet état de choses. Rien ne doit être ménagé pour établir convenablement nos troupes.

«Recevez, mon cher Ney, l'assurance de ma sincère amitié.

«Louis-Napoléon Bonaparte.»

Nous avons reproduit cette lettre d'après le texte donné par le Journal des Débats du 7 septembre 1849. M. Edgard Ney était officier d'ordonnance du Prince-Président, qui l'avait chargé d'une mission auprès du Gouvernement papal. Le maréchal Bugeaud commandait alors les troupes françaises à Rome, mais enlevé tout à coup par le choléra, il fut remplacé par le général Oudinot qui mena toutes les opérations militaires.

[204] Soldats de réserve. Landwehr hongroise.

[205] Le 12 novembre, M. Barrot, ministre de l'intérieur, annonça à l'Assemblée nationale de Paris que le Président, usant du droit que lui conférait le décret du 18 juin 1848, avait ordonné la mise en liberté du plus grand nombre des insurgés détenus à Belle-Isle.

[206] Le général Changarnier commandait alors les troupes de Paris.

[207] Le Roi de Prusse ne consentit pas à donner à Th. Elssler ce nom de Fischbach, et lui accorda le titre de baronne de Barnim.

[208] Waldeck, arrêté et emprisonné depuis le mois de mai comme complice d'une grande conspiration révolutionnaire, fut acquitté, après un long procès, le 5 décembre, par des juges qu'on ne regardait pas à Berlin comme assez impartiaux.

[209] Chassés de Francfort, les débris de l'Assemblée nationale s'étaient rassemblés à Stuttgart, et le parti révolutionnaire, donnant le signal d'une insurrection ouverte en Allemagne, prit les armes en Saxe, dans le Palatinat rhénan et dans le Grand-Duché de Bade, renversant les Gouvernements et restant partout victorieux, jusqu'au moment où les troupes prussiennes rétablirent l'ordre. Ce fut alors que la Saxe et le Hanovre convinrent avec la Prusse d'une nouvelle Constitution et conclurent l'alliance dite des trois Rois, mais l'Autriche, jalouse de la prépondérance en Allemagne, s'opposa aux vues prussiennes, et décida la Saxe et le Hanovre à se retirer. Frédéric-Guillaume IV constitua alors l'Union avec le reste de ses alliés, et, ouvrit la Diète d'Erfurt où la nouvelle Constitution fut acceptée. Ce fut alors que l'Autriche, pour empêcher à tout jamais un semblable projet, engagea les États allemands à rétablir l'ancienne Confédération germanique, et, malgré l'opposition de la Prusse, ce plan devait être exécuté.

[210] Le duc de Noailles avait été élu à l'Académie en remplacement de Chateaubriand. Il allait former dans cette Assemblée, avec MM. de Broglie et Pasquier, le petit groupe appelé le parti des Ducs.

[211] L'abbé Dupanloup venait d'être appelé à l'évêché d'Orléans, sous le ministère de M. de Falloux, alors Ministre des Cultes et de l'Instruction publique.

[212] Lord Palmerston demeurait en 1849, Downing Street, à Londres.

[213] L'Archiduchesse Élisabeth avait perdu son mari l'Archiduc Ferdinand-Charles-Victor d'Este, le 15 décembre 1849; elle se remaria, en 1854, avec l'Archiduc Charles-Ferdinand. Elle est la mère de la Reine Marie-Christine d'Espagne et des Archiducs Frédéric, Charles-Étienne et Eugène.

[214] La Henriade, chant premier.

[215] M. de Persigny, aide de camp du Prince-Président, et élu représentant à l'Assemblée législative en 1849, remplit à Berlin, pendant la durée de son mandat, une mission temporaire dont le succès fut médiocre.

[216] Un Message Royal, attendu depuis plusieurs jours, avait été présenté aux Chambres prussiennes dans la séance du 9 janvier. On y annonçait la formation d'une Pairie héréditaire, l'initiative des lois de finances laissée à la seconde Chambre, et la prestation du serment à la Constitution par le Roi. Les modifications y étaient nombreuses, et conçues dans un sens restrictif, mais le Roi n'en faisait pas une condition sine qua non de son serment, il croyait remplir un devoir de conscience en soumettant ainsi ses scrupules aux Chambres.

[217] Ministre de Russie à Berlin.

[218] Extrait de lettre.

[219] C'était vrai.

[220] Lors de la violente réaction qui, à partir de 1849, suivit dans plusieurs États de l'Europe le mouvement révolutionnaire comprimé, des milliers de proscrits allemands, italiens et français allèrent chercher un refuge sur le territoire suisse. Leur présence fournit à quelques-uns des gouvernements un prétexte pour élever auprès du gouvernement fédéral de vives réclamations, qui amenèrent des difficultés diplomatiques.

[221] Le plus de sottises qu'il pourrait.

[222] Le 4 février, des rassemblements nombreux s'étaient formés, pour empêcher d'abattre l'arbre de la liberté planté rue du Carré-Saint-Martin, à Paris. Il fallut y envoyer des troupes pour accomplir l'ordre donné par le Préfet de police; il y eut des morts et des blessés. Le général de Lamoricière, que le hasard avait amené sur les lieux, courut les plus grands dangers et ne fut sauvé que grâce à une lucarne donnant sur les toits d'une maison où quelques citoyens l'avaient entraîné pour le soustraire à la fureur populaire.

[223] L'incident Pacifico était alors arrivé à son moment le plus critique. Ce juif portugais, placé sous le protectorat britannique, réclamait au gouvernement hellénique une somme considérable, pour prix d'une maison pillée, le 4 avril 1847, lors d'une manifestation dans les rues d'Athènes à propos d'une procession, et comme compensation des injures dont il avait été victime. Lord Palmerston, pour obtenir cette indemnité, fit bloquer, en 1850, les ports et les côtes de la Grèce, que l'intervention française et le paiement de la somme en question purent dégager. L'Ambassadeur de France à Londres, M. Drouyn de Lhuys, quitta l'Angleterre, et une guerre générale faillit être le résultat de ce minime incident.

[224] Benningsen était envoyé à Vienne avec la mission de concilier les intérêts fédéraux avec les intérêts respectifs par un projet de Constitution que les quatre Royaumes de Bavière, de Saxe, de Würtemberg et de Hanovre étaient censés avoir concerté avec l'Autriche. Il échoua dans cette démarche.

[225] M. de Stockhausen.

[226] De graves désordres avaient éclaté dans le Grand-Duché de Bade, où le gouvernement du Grand-Duc Léopold Ier était fortement combattu par les libéraux et luttait depuis des années contre l'impopularité. A la tête de cette insurrection de mai 1849 se trouvait Mieroslawski. Léopold dut quitter Carlsruhe et ses États, où il ne reparut qu'un mois après, grâce à une intervention des Prussiens qui occupèrent le pays jusqu'en 1850.

[227] En Mecklembourg.

[228] Allusion à la réunion de la Prusse, du Hanovre et de la Saxe, qui, en mai 1849, avaient voulu signer une Constitution; mais cette tentative ne put aboutir, le Hanovre ayant refusé son adhésion au dernier moment, sous l'influence de l'Autriche.

[229] Ce Congrès avait été convoqué par la Prusse à la suite de la dissolution de l'alliance des trois Rois, dont le Hanovre, puis la Saxe s'étaient retirés. Le Roi de Prusse, déclarant vouloir travailler de tout son pouvoir à l'unité de la nation allemande, convoquait ce Congrès pour s'opposer aux menées ambitieuses de l'Autriche. Les Princes se rendirent à cet appel, et le Congrès s'ouvrit à Berlin le 12 mai.

[230] Ce mariage fut, en effet, célébré à Berlin le 18 mai 1850.

[231] On appelait Bund l'alliance de tous les Souverains allemands contre l'ennemi extérieur. Il a existé jusqu'après la guerre de 1866.

[232] Conseil d'administration de l'État fédératif.

[233] Le duc de Connaught, né à Windsor le 1er mai 1850.

[234] Le 22 mai 1850, Sefeloge, ancien sergent d'artillerie, tira sur le Roi au moment où celui-ci se disposait à se rendre à Potsdam pour y passer l'été. Le Roi, s'étant embarrassé dans un de ses éperons, fit un faux pas qui empêcha la balle de l'atteindre à la tête; elle ne fit que labourer la chair du bras droit entre le poignet et le coude.

[235] Les aveugles.

[236] Le Tsar venait de s'y rendre.

[237] Des petits aperçus.

[238] Les Sänger-Vereine sont deux associations de chant fondées depuis bien des siècles en Allemagne.

[239] Ce monument fut élevé à Eugène de Beauharnais, créé duc de Leuchtenberg, par le Roi Louis de Bavière, son beau-père.

[240] Nom de la Famille Royale de Bavière.

[241] En se rendant à Wiesbaden, où la question de la fusion entre les deux branches de la maison de Bourbon devait se traiter, M. le Duc de Bordeaux passa par Berlin, où sa présence fit grande sensation. Le Roi de Prusse, alors à Potsdam, le reçut avec beaucoup d'honneurs. Le Prince y arriva le 6 août et y habita le Nouveau Palais. Monseigneur était accompagné du duc de Levis, du marquis de La Ferté, de M. Berryer, et de plusieurs autres Français de distinction. Pendant ce séjour, on donna la représentation de Polyeucte, jouée par Mlle Rachel alors à Berlin.

[242] Le général autrichien Haynau s'était rendu célèbre par ses répressions sévères en Italie pendant le bombardement de Peschiera, comme par ses représailles exercées sur les habitants de Bergame et de Ferrare, le sac de Brescia, le massacre des insurgés. Plus tard, pendant la guerre de Hongrie, il avait montré les mêmes rigueurs aux exécutions dont Pesth et Arad furent le théâtre en octobre 1849. On disait même qu'il y avait fait fouetter des femmes. Le général était alors de passage à Berlin.

[243] Frédéric VII, Roi de Danemark, avait épousé, le 7 août, une marchande de modes, Lola Bosmussen, surnommée la Lola danoise, qui fut créée Comtesse à cette occasion. Une correspondance de Hambourg avait alors répandu le bruit de l'abdication du Roi en faveur de son héritier naturel, le Duc d'Oldenbourg, afin de simplifier la question de succession, mais cette nouvelle était dénuée de fondement.

[244] M. de Beust avait repris en 1849, dans le Cabinet de Dresde, le portefeuille des Affaires étrangères qu'il avait déjà eu en 1841, et y ajouta celui des Cultes. Il avait pris une part active à l'alliance des trois Rois, puis, avec le concours de l'Autriche, il rechercha l'alliance des quatre Souverains.

[245] Louis-Philippe était mort le 26 août.

[246] Le sentiment populaire était très excité contre le général Haynau et les moyens de répression dont il avait usé dans les guerres d'Italie et de Hongrie, en 1848 et 1849. Dans un voyage qu'il fit à Londres, en septembre 1850, comme il voulait visiter la brasserie de Barclay et Perkins, les ouvriers le huèrent, le maltraitèrent, lui arrachèrent les moustaches et menacèrent de le jeter dans leurs cuves.

[247] La Reine Louise mourut à Ostende le 11 octobre, et fut inhumée le 16 dans l'église de Læken.

[248] Les démêlés de l'Autriche et de la Prusse, étant arrivés à un point aigu, fournirent à l'Empereur Nicolas, sous le prétexte d'empêcher la guerre, l'occasion de devenir l'arbitre entre ces deux Puissances. Il s'était rendu à Varsovie et y convoqua des conférences auxquelles assistèrent le jeune Empereur d'Autriche, le prince Schwarzenberg, président du Conseil autrichien, et le comte de Brandebourg, représentant de la Prusse. Tous les regards se portèrent de ce côté, où on assurait que toutes les questions qui agitaient alors l'Allemagne, question hessoise, question du Schleswig, question de la suprématie de l'Autriche et de la Prusse, devaient se décider. Le chagrin que devait ressentir le comte de Brandebourg des concessions que fit alors la Prusse fut, croyait-on, la cause de sa mort, qui survint au commencement de novembre.

[249] De l'anglais: malfaisant.

[250] Une collision avait, en effet, eu lieu entre les troupes prussiennes et austro-bavaroises, sur la route de Fulda, près du village de Brounzell, et cinq soldats autrichiens avaient été blessés dans cet engagement d'avant-poste.

[251] Extrait de lettre.

[252] Les Conférences eurent lieu, en effet, à Dresde; elles y furent tenues dans le plus grand secret et traînèrent en longueur tout l'hiver, pour aboutir enfin au second Olmütz, au mois de mai 1851.

[253] Cette entrevue eut lieu à Olmütz, non loin d'Oderberg.

[254] Chargé par intérim du Ministère des Affaires étrangères, laissé vacant par la mort du comte de Brandebourg, M. de Manteuffel opéra à Olmütz un rapprochement entre la Prusse et l'Autriche, en consentant au rétablissement de la Diète germanique, en prêtant son aide à l'anéantissement des droits constitutionnels de la Hesse électorale et en livrant le Holstein-Schleswig au Danemark, par une politique de paix à tout prix, qui découragea d'ailleurs profondément les Prussiens.

[255] M. de Gerlach était un des rédacteurs de la Nouvelle Gazette de Prusse, et le chef avoué du parti dit de la Croix, souvent appelé parti Gerlach.

[256] De l'anglais: dans cette continuité.

[257] Allusions aux pages 123 et 124 de ce premier volume des Mémoires du prince de Talleyrand, dans lequel il touchait, sans s'y arrêter, à ses entrevues avec M. le comte d'Artois.

[258] Juin 1789, après la fameuse séance du 17, où le Tiers-État s'était proclamé Assemblée nationale. M. de Talleyrand était alors membre de la députation de l'ordre du clergé.

[259] Prince de Talleyrand.


PARIS
TYPOGRAPHIE PLON-NOURRIT ET Cie
RUE GARANCIÈRE, 8