The Project Gutenberg eBook of Le château de Coucy This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Le château de Coucy Author: Eugène Amédée Lefèvre-Pontalis Contributor: Philippe Lauer Release date: September 5, 2016 [eBook #52990] Language: French Credits: Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CHÂTEAU DE COUCY *** Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les mots et phrases imprimés en gras dans le texte d'origine sont marqués =ainsi=. Le Château de Coucy PETITES MONOGRAPHIES DES GRANDS ÉDIFICES DE LA FRANCE _PARU_: =La Cathédrale de Chartres=, par René MERLET, ancien archiviste d'Eure-et-Loir. _EN PRÉPARATION_: =L'Hôtel des Invalides=, par Louis DIMIER. =L'Abbaye de Vézelay=, par Charles PORÉE, archiviste de l'Yonne. =La Cathédrale de Reims=, par Louis DEMAISON, archiviste de la ville de Reims. =La Cathédrale du Mans=, par Gabriel FLEURY. =Le Château de Rambouillet=, par Henri LONGNON. =Saint-Pol-de-Léon=, par Ch. LECUREUX. =L'Abbaye de Moissac=, par A. ANGLÈS. =La Cathédrale d'Albi=, par Jean LARAN. =La Cathédrale de Coutances=, par Eugène LEFÈVRE-PONTALIS. [Illustration: PLAN DE L'ENCEINTE DE LA VILLE ET DU CHATEAU DE COUCY A. Ventre, del. A, porte de Chauny. B, tour Mangard. C, porte de Laon. D, barbacane. E, église. H, porte de Soissons. K, porte restituée.] Petites Monographies des Grands Édifices * * * de la France * * * Publiées sous la direction de M. E. LEFEVRE-PONTALIS Le Château de Coucy PAR EUGÈNE LEFÈVRE-PONTALIS Directeur de la Société française d'Archéologie. INTRODUCTION HISTORIQUE DE PH. LAUER Ouvrage illustré de 32 gravures et de plans. Relevés de M. A. VENTRE, architecte. [Logo] PARIS HENRI LAURENS, ÉDITEUR 6, rue de Tournon, 6 Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. AVANT-PROPOS Il est peut-être téméraire de consacrer une nouvelle étude aux ruines imposantes du château de Coucy après Viollet-le-Duc qui a décrit et dessiné dans son _Dictionnaire_ toutes ses parties principales, en expliquant le système de défense primitif. Cependant j'aurai l'occasion de rectifier beaucoup d'erreurs du célèbre architecte. Il eut tort de reproduire le plan très inexact d'Androuet du Cerceau, sans vérifier sur place l'absence de la petite tour du Nord, le diamètre des salles, la plantation des escaliers et des latrines dans les grosses tours et sans indiquer par des hachures les remaniements de tous les corps de logis. On remarquera donc d'importantes différences entre le plan de Viollet-le-Duc et celui que j'ai dressé avec le précieux concours de M. André Ventre, architecte en chef des Monuments historiques, qui a bien voulu relever avec le plus grand soin tous les détails nécessaires à l'illustration. L'histoire des sires de Coucy et des sièges de la ville avait grand besoin d'être mise au point à l'aide des documents conservés à la Bibliothèque Nationale. Mon confrère, M. Philippe Lauer, bibliothécaire au département des manuscrits, a dépouillé les meilleures sources pour la résumer en tête de cette notice. Je ne saurais trop le remercier d'avoir prouvé une fois de plus que l'histoire et l'archéologie doivent se prêter un mutuel appui. Les archéologues et les touristes qui voulaient visiter sérieusement la ville de Coucy, n'avaient à leur disposition que la notice de Viollet-le-Duc qui ne décrit ni l'enceinte, ni la basse-cour, ni certaines parties du château, mais qui met bien en relief l'importance du donjon. Je me suis donc efforcé de rédiger une petite monographie plus complète en distinguant soigneusement les constructions du XIIIe siècle de celles du XIVe siècle, afin de faire mieux comprendre l'intérêt exceptionnel de ce chef-d'œuvre de l'architecture militaire du moyen âge. [Illustration: LA FACE OPPOSITE FACIES INGRESSVI DE LENTREE OPPOSITA Androuet du Cerceau del. LE CHATEAU EN 1576 Vue prise à l'ouest.] INTRODUCTION HISTORIQUE LES SIRES DE COUCY L'origine de Coucy-la-Ville (_Codiciacum villa_) en Laonnais, dans l'ancienne cité des Rémois, date certainement de l'époque gallo-romaine. Ce lieu est d'ailleurs situé à proximité de la voie romaine de Soissons à Saint-Quentin. La plus ancienne mention de Coucy ne remonte cependant qu'au IXe siècle: on la rencontre dans la _Vie de saint Rémi_, par Hincmar, qui fait remonter au temps de Clovis la donation de ce domaine à l'église de Reims[1]. Au début du siècle suivant, l'archevêque de Reims, Hervé, fit construire un château fort (_municio_), à l'extrémité de la colline allongée qui domine Coucy-la-Ville: ce fut l'origine de _Coucy-le-Château_[2]. [1] _Monumenta Germaniæ historica, Scriptores_, t. III, p. 256, 307, 322 et 343. [2] Flodoardus, _Historia ecclesiæ Remensis_, lib. IV, c. 13 (_M. G. hist., Scriptores_, t. XIII, p. 576). Herbert II, comte de Vermandois, père de l'archevêque Hugues, ne tarda pas à s'en emparer. Après avoir été concédé comme fief à Anseau de Vitry, vassal de Boson, frère du roi Raoul (930), Coucy passa successivement à Bernard de Senlis et Thibaud le Tricheur, vassaux de Hugues le Grand, duc de France. C'est là que, selon Dudon de Saint-Quentin, le jeune duc de Normandie, Richard, fut caché par son fidèle Osmond, à la suite de son évasion de Laon (vers 944). En 950, la garnison de Coucy qui, l'année précédente, avait passé au parti de l'archevêque de Reims, Artaud, revint à celui de Thibaud le Tricheur. Celui-ci s'établit solidement dans le donjon roman, et en confia la garde à son vassal Harduin. Les hommes d'armes du roi et de l'archevêque essayèrent en vain de l'en déloger. En 958, cependant, les partisans d'Artaud pénétrèrent par surprise à l'intérieur de la forteresse. Le châtelain Harduin se réfugia dans le donjon, déjà presque inexpugnable. Pour le réduire, il fallut que le roi vînt en personne l'assiéger, en compagnie d'Artaud et de bon nombre de comtes et d'évêques. Le siège dura deux semaines environ. Harduin donna ses neveux comme otages, et l'armée assiégeante se retira. Thibaud parvint cependant à y rentrer, on ne sait comment, quelque temps après, puisqu'en 964 nous le voyons consentir à rendre de nouveau Coucy à l'archevêque pour être absous de l'excommunication, mais il exigeait que Coucy fût inféodé à son fils Eudes Ier. Celui-ci mourut en 995, et on ignore entre les mains de qui passa l'héritage de Coucy. [Illustration: Photo Neurdein. LE CHATEAU DE COUCY Vue prise au sud-ouest.] En 1059 paraît un certain Aubri de Coucy. On le trouve mentionné dans la charte d'Élinand, évêque de Laon, en faveur de Nogent (1059); dans les diplômes de Philippe Ier pour Saint-Médard de Soissons (1065) et l'église de Laon (1071); dans un acte du cartulaire de Notre-Dame de Paris (1067); enfin, dans une charte de Robert Courteheuse en faveur du Mont-Saint-Michel (1088). Le biographe de saint Arnoul, évêque de Soissons, fait allusion à des circonstances où Aubri de Coucy aurait été saisi par ses ennemis, traîné, garrotté, puis exilé et privé à jamais de son habitation ou domaine de Coucy. Un fait est certain, c'est sa présence en Angleterre, à la cour de Guillaume le Conquérant, où il était peut-être en exil; car, dans le _Domesday-book_, il est question d'une «terre d'Aubri de Coucy», située dans le comté d'York[3]. [3] L. Delisle, _La Commémoration du Domesday-book, à Londres_, en 1886, dans l'_Annuaire-Bulletin de la Société de l'histoire de France_, 1886, p. 179-180 et 183. Après Aubri, on trouve, comme sire de Coucy, Enguerrand Ier, fils aîné de Dreux de Boves, dont la mère était de la famille comtale d'Amiens. Par son mariage avec Ade de Roucy, il devint seigneur de Marle et de La Fère. Devenu veuf, il enleva et épousa Sibylle, fille de Roger, comte de Château-Porcien, et femme du comte Godefroi de Namur. L'évêque de Laon, parent d'Enguerrand, ne l'excommunia pas; mais une guerre acharnée et féroce s'ensuivit entre les seigneurs de Coucy et de Namur. Ce dernier finit par se consoler en épousant Ermanson de Luxembourg. Enguerrand Ier prit part à la première croisade avec son fils du premier lit, Thomas de Marle. Dans cette expédition, selon la légende, ne trouvant pas, au cours d'une surprise, sa bannière, il coupa un morceau de son manteau écarlate, fourré de pannes de vair, d'où l'origine du blason des Coucy, ainsi décrit par les anciens auteurs: _Fascé de vair et de gueules de six pieces_. Au retour de la Terre sainte, Thomas épousa une parente dont la dot fut la seigneurie de Montaigu. Ses brigandages le rendirent odieux à son propre père, qui d'ailleurs sous l'influence de Sibylle, le croyait maintenant adultérin. Enguerrand assiégea Montaigu. Mais Thomas s'échappa, et, grâce à la protection royale, parvint à rentrer à Montaigu. Une horrible guerre d'extermination commença entre le père et le fils. Thomas soutint les habitants de Laon contre leur évêque, et ceux d'Amiens contre leur comte Enguerrand. Celui-ci offrit enfin, en 1113, la paix à son fils, qui l'aida à soumettre Amiens. Cela n'empêcha pas Sibylle de préparer une embuscade d'où Thomas s'échappa avec une blessure. Les évêques réunis au Concile de Beauvais, en 1115, excommunièrent Thomas de Marle comme scélérat et ennemi du nom chrétien, à cause de sa cruauté. A quelque temps de là, ses protégés, les Laonnais révoltés étaient massacrés à Crécy par Louis le Gros. L'année suivante, Enguerrand étant mort, Thomas lui succéda sans difficulté. Bientôt Louis le Gros vint assiéger le château de Coucy pour punir Thomas du rôle qu'il avait joué à Laon. Mais le rusé seigneur manifesta le plus grand repentir et promit de réparer tous les dommages par lui causés. Louis se retira, et, peu après, Thomas, malgré ses promesses, fit assassiner Henri de Chaumont, frère de Raoul, comte de Vermandois, qui lui disputait le comté d'Amiens, et il osa même arrêter des marchands munis d'un sauf-conduit royal. Louis le Gros, accompagné du comte de Vermandois, marcha immédiatement sur Coucy qui était considéré comme presque imprenable. Thomas commit la faute de leur tendre une embuscade: il y périt inopinément de la main même de Raoul de Vermandois (1130)[4]. [4] A. Luchaire, _Louis VI le Gros, annales de sa vie et de son règne_, nos 26, 183, 189, 203, 220, 266, 309, 379, 461 et 491. Son fils, Enguerrand II, qui lui succéda, avait épousé Agnès de Beaugency, fille de Mahaut, la propre cousine du roi. Il s'efforça d'atténuer les conséquences des excès paternels, puis partit en 1146 pour la deuxième croisade, d'où il semble n'être point revenu; et son fils Raoul Ier qui eut pour femme Alix de Dreux, nièce de Louis VII, fit une fin semblable en Terre sainte. C'est à l'époque de Raoul Ier qu'on rapporte généralement la légende du joli roman du _Chastelain de Couci et de la dame de Faiel_. Gaston Paris a montré[5] qu'il n'y avait rien d'historique dans l'aventure de ce sire de Fayel, qui aurait fait manger à sa femme le cœur de son amant, le châtelain de Coucy, Renaud. La légende du Cœur Mangé que la littérature populaire attribue maintenant au sire de Vergy, est bien antérieure au XIIe siècle. Il n'en reste pas moins vrai qu'il exista, vers 1198-1218, un gardien du château de Coucy ou «châtelain» appelé Renaud de Magny, jadis chanoine de Noyon, doué d'un très beau talent poétique, dont quelques-unes des chansons nous sont parvenues, grâce à Jakemes Sakesep, l'auteur du roman du _Chastelain de Couci_. [5] _Histoire littéraire_, t. XXIII, p. 370; Ch.-V. Langlois, _La Société française, au XIIIe siècle_, p. 188. Enguerrand III, fils et successeur de Raoul Ier, assista à l'éclosion du mouvement communal déjà commencé sous son père en Soissonnais[6]. Sa minorité favorisa la création de la commune de Coucy, dont la charte datée de 1197 fut copiée sur celle de Laon. C'est le moment de l'apogée de la maison de Coucy, qui, par ses brillantes alliances, était arrivée à étendre au loin ses domaines. La reconstruction de l'enceinte de la ville et du château remonte à cette époque, mais elle ne fut pas faite d'un seul jet. [6] G. Bourgin, _La commune de Soissons et le groupe communal soissonnais_, p. 20. Enguerrand III eut quelques démêlés, pour des contestations obscures de droits de juridiction avec l'archevêque de Reims et surtout le chapitre de Laon, dont il arrêta le doyen en pleine cathédrale. En 1209, il prit part à l'expédition contre les Albigeois, et, en 1214, se signala à la bataille de Bouvines. Par ses mariages successifs, il agrandit encore ses domaines. Eustache de Roucy lui apporta le comté de Roucy; Mahaut, fille d'Henri duc de Saxe, et sœur d'Otton IV, le comté de Perche; Marie de Montmirail, la vicomté de Meaux et la châtellenie de Cambrai. Ainsi parvenu au plus haut degré de la puissance, et enivré de ses immenses richesses, il aspira à devenir le maître du royaume. La minorité de Louis IX semblait justement lui offrir une occasion des plus favorables. Il complota avec les ennemis de Blanche de Castille l'enlèvement du jeune roi. On raconte même qu'il avait fait faire une couronne d'or et des ornements royaux pour s'en revêtir devant ses favoris[7]. Mais au bout de deux années d'intrigues et de sourdes menées, il se vit obligé de renoncer à ses projets ambitieux, et prêta serment de fidélité entre les mains du roi, qui feignit d'avoir ignoré ses desseins. Il mourut accidentellement d'une chute de cheval au passage d'un gué, en 1242. [7] Élie Berger, _Histoire de Blanche de Castille, reine de France_, p. 121. L'aînée des filles d'Enguerrand III, Marie, épousa d'abord le roi d'Écosse Alexandre II, puis Jean de Brienne, grand bouteiller de France, fils puîné de Jean de Brienne, roi de Jérusalem. Son fils aîné, Raoul II, eut une fin prématurée. Il trouva la mort à la bataille de Mansourah (1250), en Égypte, où il avait suivi saint Louis. Il venait de sauver la vie au comte d'Artois, frère du roi. Enguerrand IV recueillit la succession de son frère Raoul. Il se signala comme le digne héritier de Thomas de Marle. Sa cruauté à l'égard des gens de l'abbaye de Saint-Nicolas-au-Bois lui valut d'être jugé par le roi en personne. Peu s'en fallut qu'il ne fût exécuté. Enfin il s'en tira moyennant une énorme amende. Il vécut ensuite dans le calme, et, vers la fin de sa vie, répartit des aumônes entre les léproseries de ses domaines. Comme il ne laissait pas d'enfants, ses deux sœurs, Marie de Coucy, l'aînée, puis la seconde, Alix, femme d'Arnoul III de Guines, lui succédèrent, l'une après l'autre, Marie de Coucy n'ayant pas eu d'héritiers. Enguerrand V, fils d'Alix, est la tige de la seconde maison de Coucy. Élevé à la cour du roi d'Écosse, il épousa une parente de celui-ci, Chrétienne de Bailleul. Il porta toute sa vie les armes de Guines. Son troisième fils, Guillaume, qui lui succéda en 1321, reprit le blason des Coucy. Il eut pour femme Isabeau, fille de Gui III de Châtillon, comte de Saint-Pol, grand bouteiller de France. La comtesse d'Eu, Jeanne de Guines, contestait alors à Enguerrand la possession même de Coucy, qu'elle revendiquait du chef de son père Baudoin, fils aîné d'Arnoul III, comte de Guines et d'Alix de Coucy. Ces prétentions amenèrent un procès qui dura dix-huit ans, et qui se termina en faveur de Guillaume dont la succession fut ainsi assurée à son fils Enguerrand VI. Ce puissant seigneur se maria en 1338 avec Catherine d'Autriche, fille de l'empereur Léopold et de Catherine de Savoie, alliance qui permit plus tard à son fils de briguer la couronne impériale. La guerre de Cent Ans était à ses débuts. Dès l'année 1339, Coucy fut menacé par le roi d'Angleterre, Édouard III. Enguerrand VI se joignit au roi de France, son suzerain, pour lutter contre l'envahisseur. Il prit une part active aux expéditions contre Jean de Montfort et les Anglais, et perdit la vie à la bataille de Crécy (1346), ne laissant qu'un enfant en bas âge. Survinrent la captivité du roi Jean, les pillages anglais et leurs conséquences: la misère des campagnes avec la Jacquerie. Enguerrand VII, arrivé à l'âge d'homme, prit une sérieuse part à la répression et fit exécuter sans merci les factieux. Il fut envoyé peu après en otage en Angleterre, pour garantir le paiement de la rançon du roi Jean. Alors commença véritablement sa vie extraordinaire d'aventures, qui en font une des figures les plus attachantes du XIVe siècle. Il se fit si bien remarquer à la cour de Londres qu'Édouard III lui donna en mariage sa seconde fille, Isabelle; et Enguerrand ajouta ainsi aux domaines anglais, qui lui venaient de sa grand'mère Chrétienne de Bailleul, le comté de Bedford, en même temps qu'il obtenait la restitution du comté de Soissons, engagé pour sa rançon. A son retour en France (1368), Enguerrand, trouvant ses domaines incultes, s'efforça d'y attirer les habitants d'alentour par l'octroi d'une charte collective d'affranchissement à un grand nombre de ses bourgs et villages, y compris Coucy. Lorsque la guerre se ralluma avec l'Angleterre, il garda la plus stricte neutralité à cause de son mariage, et partit même en croisade contre les Visconti, tyrans de Milan excommuniés par le pape. En 1373, il tailla en pièces l'armée de Barnabo Visconti, près de Bologne, puis celle du fils de Galéas; et entreprit le siège de Plaisance avec le duc de Savoie. Une grave maladie de ce dernier contraignit Enguerrand à se retirer. Pendant ce temps, les Anglais de Robert Knoll avaient respecté les domaines de Coucy. Sur ces entrefaites, l'empereur Léopold étant mort sans autre héritier que Catherine d'Autriche, Enguerrand tenta de revendiquer, les armes à la main, l'héritage de sa mère. A la tête d'une bande de mercenaires, secondé par un grand nombre de seigneurs français, et aidé des subsides fournis par le roi de France, il entreprit une expédition des plus hasardeuses qui échoua malheureusement. Cet insuccès l'amena, dit-on, à fonder l'Ordre de la Couronne, dont l'emblème était une couronne renversée,--allusion à ses droits méconnus. A la mort d'Édouard III, il rompit tout lien avec l'Angleterre, où il renvoya sa femme Isabelle, ne gardant près de lui que sa fille aînée Marie. Sa seconde fille, Philippote, n'était jamais venue en France: elle épousa Robert de Veer, duc d'Irlande et comte d'Oxford, auquel elle apporta en dot les domaines anglais de son père. Dès lors, Enguerrand prit une part active à la lutte contre les Anglais, en Guyenne et en Normandie. Il refusa l'épée de connétable de Duguesclin, que Charles V lui offrait et l'engagea à la confier plutôt à Olivier de Clisson. Devenu gouverneur de Picardie, il donna la chasse aux troupes ennemies débarquées à Calais, en 1380. Il assista, comme haut baron, au sacre de Charles VI, et fut chargé de conclure la paix avec le duc de Bretagne. A partir de ce moment, il s'affirma de plus en plus comme un habile diplomate: c'est lui qui traita avec les Maillotins et apaisa leur révolte, lui encore qui, après la bataille de Rosebeck, négocia le retour du roi dans Paris[8]. [8] L. Mirot, _Les insurrections urbaines au début du règne de Charles VI_. Paris, 1906, pp. 130, 137, 138, 145, 152, 154, 155 et 181. On le voit ensuite en Écosse, où il avait opéré une descente, avec l'amiral Jean de Vienne, pour ravager les frontières septentrionales de l'Angleterre. Son gendre, Robert de Veer, duc d'Irlande, abandonnant sa femme, réussit à faire prononcer son divorce par le pape Urbain VI. Battu par les révoltés de Londres, qu'il avait tenté de soumettre, ce seigneur se réfugia en Hollande, d'où il ne craignit pas de se rendre à la cour de France. Enguerrand la quitta aussitôt, chargé d'une mission auprès du duc de Bretagne, à Vannes. Il y réussit si bien que non seulement il obtint la restitution à Olivier de Clisson de ses châteaux confisqués, mais encore l'hommage solennel rendu par le duc en personne au roi, à Paris même. Robert de Veer reçut l'ordre de quitter la France. Cependant Coucy se trouvait dépeuplé à la suite des guerres et des pillages ou incendies qu'elles avaient attirés. En 1388, Enguerrand fit décider, par le roi, que deux foires annuelles s'y tiendraient à la Saint-Nicolas d'été, et à celle d'hiver. Un grenier à sel y fut aussi établi. Enguerrand paraît ensuite en Espagne où il conduit le fils du duc d'Anjou, fiancé de la fille de Jean Ier, roi d'Aragon; à Arezzo qu'il assiège pour Louis d'Anjou; à Gênes auprès du duc de Bourbon, chef de l'expédition contre les pirates des côtes barbaresques. Il prend part à la descente des Gênois en Afrique. En 1393, il est à la cour de Savoie, s'occupant avec ardeur d'aplanir les difficultés élevées au sujet de la régence de cet État, durant la minorité d'Amédée VIII. Deux ans plus tard, il est chargé des intérêts du duc d'Orléans auprès de la République de Gênes, qui cherchait un roi parmi les princes du sang. L'entreprise capitale et la dernière de sa vie fut la croisade de Nicopolis. Il y accompagna le comte de Nevers, sur la demande instante de ses parents, à titre de guide et conseil. On sait comment, après une heureuse escarmouche d'Enguerrand, les Croisés furent taillés en pièces par l'armée du sultan Bajazet (28 septembre 1396). Enguerrand, fait prisonnier, fut reconnu par l'interprète picard Jacques de Heilly qui fut chargé de négocier en France le rachat des captifs. Aussitôt la nouvelle connue, le duc d'Orléans envoya Robert d'Esne pour obtenir la délivrance d'Henri de Bar et d'Enguerrand; mais Robert apprit à Vienne, en même temps, la maladie et la mort du célèbre baron qui venait d'expirer à Brousse le 18 février 1397. Jacques Wilay, de Saint-Gobain, ramena son cœur à l'abbaye de Villeneuve, près Nogent[9]. [9] Delaville le Roux, _La France en Orient au XIVe siècle_, pp. 257, 262, 270 et suiv., et p. 313.--Mangin, _Enguerrand VII, sire de Coucy_, dans le _Bulletin de la Société académique de Laon_, t. XXIV, p. 40. Avec lui finit l'histoire de cette fameuse maison de Coucy, alliée aux familles royales de France, d'Angleterre et d'Autriche, qui produisit un Enguerrand III et un Enguerrand VII. C'est à ces deux seigneurs, dont la vie marque les périodes brillantes de la dynastie, qu'il faut attribuer la construction et la restauration de leur magnifique château, dont la mâle architecture était le symbole de la puissance politique des sires de Coucy. Il ne nous reste malheureusement aucun compte d'Enguerrand III, mais les Archives de l'Aisne ont eu la bonne fortune de s'enrichir, l'année dernière, grâce à M. Broche, d'un registre des recettes et dépenses de la châtellenie en 1386-1387. A cette époque, Enguerrand VII, comme on le verra plus loin, avait déjà fait rebâtir la salle des Preux et la salle des Preuses. A l'occasion de la visite de Charles VI, qui eut lieu le 23 mars 1387, un jeu de paume fut établi dans la cour. Les revenus de la seigneurie se composaient alors des droits féodaux, des produits du domaine, couvert de vignobles, de la pêche des viviers et des coupes de bois. Les divers chapitres de dépenses mentionnent les deux chapelains qui desservaient la chapelle des Onze mille Vierges et celle de la Madeleine, dans l'enceinte du château, l'affrètement d'un bateau qui transporta de Soissons à Rouen des approvisionnements de tout genre en vue d'une descente en Angleterre, projetée par Charles VI, le séjour de Guillaume de Verdun, astronome du châtelain, à Soissons, à l'hôtel du Mouton, les frais de déplacement d'Enguerrand VII à Dijon et à Soissons, et le carrosse amené de Lorraine par sa seconde femme, fille du duc Jean Ier. Enguerrand mort, sa fille aînée Marie, femme d'Henri de Bar, prit possession des domaines de son père, avec leurs nombreuses dépendances, parmi lesquelles le comté de Soissons. Mais une fille cadette, Isabeau, issue de son second mariage, et femme de Philippe de Nevers, réclama le partage et intenta un procès. Sur ces entrefaites, le frère du roi Charles VI, Louis duc d'Orléans, voyant la riche baronnie de Coucy entre les mains d'une femme, offrit à Marie de l'acheter. On négocia, et, le 15 novembre 1400, fut conclu l'acte de vente moyennant 400.000 francs, et l'abandon des revenus à titre viager; mais en réalité le duc ne paya jamais que 104.000 francs, comme M. Lacaille a pu l'établir. Marie de Coucy s'éteignit cinq ans plus tard. Sa sœur Isabeau, à qui un arrêt du Parlement avait adjugé la moitié de Coucy, Marle, La Fère et Origny, le quart de Montcornet et Pinon, avec le cinquième de Ham, décéda à son tour, en 1411, laissant une fille unique qui la suivit de près dans la tombe. Le fils de Marie de Coucy, Robert de Bar, demeuré seul héritier, poursuivit le duc d'Orléans en paiement d'une somme de 120.000 livres, restée due sur le prix de vente de la seigneurie. Une transaction intervint: le comte de Bar consentit à tenir quitte de sa dette le duc d'Orléans moyennant la restitution des châtellenies de La Fère et de Marle. La partie de la baronnie qui ne fut pas réunie à la couronne, sous Louis XII, passa plus tard dans la maison de Luxembourg, puis dans celle de Bourbon, par les Vendôme et Alençon, et fut enfin réunie à la couronne par Henri IV. Coucy était dès ce temps le siège d'une prévôté royale, transformée plus tard en bailliage, et d'une maîtrise des eaux et forêts ou gruerie. En matière judiciaire, les causes allaient en appel devant les présidiaux de Soissons et de Laon. Le duc d'Orléans obtint du roi, en 1405, l'érection de Coucy en pairie, pour lui et ses descendants. La possession de ce magnifique domaine excita la convoitise du duc de Bourgogne et des maisons de Luxembourg et de Lorraine: ceux-ci le revendiquèrent, en vertu d'anciennes alliances. Ce fut une des causes de l'hostilité des Bourguignons contre les Armagnacs, partisans du duc d'Orléans. Le duc d'Orléans périt assassiné en 1407, et ses enfants prirent les armes pour le venger. Aussitôt Charles VI, qui s'était montré favorable aux Bourguignons, prononça la confiscation du domaine de Coucy. Valeran de Luxembourg, comte de Saint-Pol, fut chargé d'aller l'occuper. Celui-ci marcha sur Coucy, et y entra sans coup férir (1411); mais il ne put forcer le château où commandait Robert d'Esne. Malgré toutes les sommations, ce vaillant capitaine refusait opiniâtrement de se rendre, confiant dans la solidité des murailles et le courage de compagnons déterminés à tenir tant qu'il y aurait des vivres. Le comte de Saint-Pol fut obligé de commencer un siège en règle. Il employa, à cet effet, un procédé considéré alors comme une innovation, la mine. Des ouvriers liégeois furent chargés de pratiquer une galerie au-dessous de la tour de la porte basse du château ou porte Maître-Odon. Les chevaliers et hommes d'armes assiégeants descendaient à tour de rôle dans le souterrain, curieux de voir de près la nouveauté du jour. Or, il arriva qu'à l'endroit où la galerie passait sous les fondations de la muraille extérieure du château, on négligea de l'étayer suffisamment: tout à coup la voûte s'effondra sous le poids d'une portion de la base croulante de la tour, ensevelissant ouvriers et visiteurs. _Et encores y sont-ils_, ajoute le chroniqueur Juvénal des Ursins, en manière d'oraison funèbre des victimes[10]. [10] Le fait est aussi rapporté par Pierre de Fenin, Jean Lefebvre de Saint-Remy et Monstrelet. L'affaissement d'une tour n'avança en rien le siège de la place qui dura encore trois mois. Enfin Robert d'Esne ne recevant aucun secours du dehors se trouva contraint de capituler. Ce succès valut au comte de Saint-Pol l'épée de connétable. Deux années plus tard, Coucy fut restitué au duc d'Orléans, à la suite du traité de paix conclu avec le duc de Bourgogne. Mais, de nouveau, en 1419, la place fut livrée aux Bourguignons, cette fois de la façon la plus extraordinaire. Voici comment: Pierre de Saintrailles était gouverneur du château pour le dauphin. Ses serviteurs furent gagnés par les nombreux prisonniers bourguignons enfermés par La Hire dans le donjon. Sur leurs instances, ils dérobèrent les clefs de la tour et en ouvrirent les portes nuitamment. Les Bourguignons conduits par le fameux sire de Maucourt et Lionnel de Bournonville, se saisirent des premières armes venues et se précipitèrent au logis de Saintrailles, qu'ils égorgèrent avec ses sentinelles et mirent le poste hors d'état de nuire. En même temps des émissaires furent dépêchés au duc de Bourgogne pour appeler à l'aide. La Hire, stupéfait et furieux, à son retour d'une course dans le voisinage, ne put même pas essayer de rentrer dans le château, et dut bientôt se retirer devant les renforts bourguignons[11]. [11] Germain Lefèvre-Pontalis, _La Guerre de partisans dans la Haute-Normandie_ dans la _Bibliothèque de l'École des Chartes_, t. LVI, 1895, p. 455. L'anecdote est racontée par Fenin et Monstrelet. Le duc de Bourgogne ne profita guère du coup d'audace de l'«écorcheur» Maucourt, puisqu'il fut assassiné avant même la fin de l'année. La Hire et Poton de Saintrailles rentrèrent dans Coucy à quelque temps de là. En 1423, le comte de Suffolk vint assiéger la place, s'en rendit maître et la livra à Jean de Luxembourg, comte de Saint-Pol, un des plus chauds partisans des Anglais. A la mort de ce dernier (1440), le véritable propriétaire de Coucy, Charles d'Orléans, qui était retenu prisonnier en Angleterre, depuis Azincourt, pensa pouvoir acheter sa rançon en offrant au duc de Bourgogne la baronnie de Coucy avec celle de La Fère-en-Tardenois et le comté de Soissons, moyennant 45.600 écus d'or. Charles VII s'entremit, et pour faciliter, avec la conclusion du marché, le retour du duc d'Orléans, il renonça formellement et définitivement à ses droits de _quint_ et de _requint_ sur ces seigneuries. Les propositions durent être agréées de part et d'autre, car Charles d'Orléans revint en France cette année même. La terre de Coucy apparaît cependant dans des actes, de peu postérieurs, comme dépendant à nouveau de la maison d'Orléans, sans qu'on sache au juste comment. Le duc Charles mourut en 1465, et son fils Louis d'Orléans disputa la régence à Anne de Beaujeu. Tandis qu'il était vaincu et fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (1487), Pierre d'Urfé, grand écuyer de France, se présenta devant Coucy avec les troupes royales et s'en empara au bout de huit jours. Quelques années s'écoulèrent. Le duc d'Orléans se réconcilia avec Charles VIII, obtint restitution de la place, qu'il réunit au domaine de la couronne en devenant roi sous le nom de Louis XII (1498). Sa fille, Claude de France, reçut la baronnie en apanage, lors de son union avec François d'Angoulême (1514). Un an après, nouveau retour au domaine royal, à l'avènement de François Ier. La forteresse de Coucy fut, de bonne heure, une des places convoitées par les Calvinistes. Dès 1567, ils s'en emparèrent et y établirent leur point d'appui. Henri III la fit bientôt reprendre et la donna, avec ses dépendances, en apanage à Diane de France ou de Valois, duchesse d'Angoulême sa fille naturelle (1576). Les troupes royales l'occupaient pendant la Ligue, et s'élançaient à l'improviste de son château sur les partisans de la sainte union, par exemple sur les habitants de Mons-en-Laonnais, devenus de véritables bandits, ou sur ceux de Monampteuil. Puis, subitement, sans raison apparente, la ville de Coucy se déclara pour la Ligue. Le sieur de Lameth, commandant ligueur de la place de Coucy, finit, en 1594, par faire sa soumission au roi et lui remit le château. Occupé au siège de Laon, Henri IV ne trouva l'hospitalité, pour Gabrielle d'Estrées, qu'à Coucy, chez le maire où elle mit au monde le duc de Vendôme le 7 juin 1594. En 1615, les princes et les grands, mécontents du gouvernement de Marie de Médicis, s'emparèrent de cette forte position, voisine de Paris. La cour négocia avec eux et parvint à leur faire déposer les armes. Ils tirèrent prétexte de l'arrestation du prince de Condé pour reprendre Coucy, l'année suivante, et s'y maintinrent jusqu'à la mort du maréchal d'Ancre (1617). Diane de France, apanagiste de Coucy, mourut en 1619, et son domaine fut donné à François de Valois, second fils du duc d'Angoulême, qui mourut lui-même, en 1622, sans postérité. En 1645, Louis XIV engagea Coucy à Roger de Longueval, moyennant plusieurs milliers de livres. Durant la Fronde, Hébert, gouverneur de Coucy, devint suspect à Mazarin. Sommé de remettre la place au maréchal d'Estrées, gouverneur de Laon, il répondit qu'il la tenait directement du roi. Sur ce refus, d'Estrées eut ordre de faire avancer des troupes et d'investir la place. Le sieur de Manicamp, gouverneur de La Fère, s'étant joint à lui avec six pièces de canon amenées de La Fère et Péronne, le siège commença le 10 mai 1652. L'artillerie ouvrit une large brèche dans les murs. Les assiégés tinrent encore quelque temps dans la ville et ne se retirèrent derrière l'enceinte du château que le 19. Trois jours après, les troupes lorraines arrivèrent au secours d'Hébert, et leur cavalerie ayant défait un régiment d'assiégeants, ceux-ci se retirèrent en désordre, abandonnant la ville aux Frondeurs. Les habitants de Coucy ne tardèrent pas toutefois à se soumettre au roi. Le cardinal Mazarin chargea Clément Métezeau, l'ingénieur qui avait dirigé le siège de La Rochelle et probablement aussi son fils de démanteler les fortifications du château, en vertu d'un ordre royal daté du 11 septembre 1652[12]. Ils firent sauter à coups de mine les portes d'entrée de la basse-cour et du château, la chemise du donjon, les voûtes d'ogives de ses trois salles, mais l'explosion ne produisit que trois lézardes dans l'énorme cylindre. Ils rendirent inhabitables les tours d'angle, tous les corps de logis, et les ruines furent dès lors exploitées comme une carrière. Le tremblement de terre de 1692 acheva l'œuvre de la mine. [12] Arch. nat. O{1}3, fol. 288 vº. Clément Métezeau mourut le 28 novembre 1652. En 1673, Louis XIV donna Coucy, avec Folembray, en apanage à Philippe de France, duc d'Orléans, pour lui et ses descendants mâles, qui depuis lors portèrent le titre de sires de Coucy. La chapelle de la Madeleine, qui avait été épargnée dans le château, fut désaffectée, et ses revenus attribués à l'Hôtel-Dieu. Pendant la Révolution, le tribunal du district de Chauny fut établi à Coucy, dont le dernier seigneur fut Louis-Philippe-Joseph d'Orléans. Coucy-la-Ville prit le nom de Coucy-la-Vallée, et Coucy-le-Château celui de Coucy-la-Montagne. Le château, dont la grosse tour servit de prison aux malfaiteurs arrêtés dans les forêts voisines, devint un bien national. Attribué à l'Hôtel-Dieu de Coucy, qui continua à laisser les habitants de la ville et des environs arracher les parements des murs, moyennant une redevance de 3 francs par charrette de pierres, il fut racheté en 1829, par le duc d'Orléans, au prix de 6.000 francs. Son architecte, M. Malpièce, combla le fossé devant la porte, et fit boucher les trois lézardes du donjon, mais ce travail était tout à fait insuffisant. En 1856, quand l'Etat devint propriétaire du château, la commission des Monuments historiques, sur l'initiative de Viollet-le-Duc, prit en main le sauvetage des ruines de Coucy. Le donjon, qui menaçait de s'écrouler, fut chaîné par deux cercles de fer, à la hauteur des corbeaux, et recouvert d'une toiture; on reprit ses lézardes avec le plus grand soin. Le déblaiement du fossé dallé, de la poterne qui passe sous la chemise, de la chapelle, des soubassements des deux grandes salles se poursuivit méthodiquement, en ramenant au jour les débris de sculpture qui forment le musée lapidaire. L'imagination du voyageur moderne, en visitant les ruines d'un antique château féodal, se plaît au récit des légendes qui animent les vieux murs croulants. A défaut du roman de son châtelain, qui n'a aucun fondement sérieux et se rapporte plutôt au château de Fayel, Coucy a du moins l'histoire vraie, merveilleuse et souvent romanesque de ses seigneurs d'antan, dont on connaît la devise présomptueuse, mais justifiée: Roi ne suis Ne prince, ne duc, ne comte aussi, Je suis le sire de Coucy. PH. LAUER. [Illustration: Photo Neurdein. PORTE DE LAON] LA VILLE ET LE CHATEAU I ENCEINTE DE COUCY La ville de Coucy, fièrement campée sur un promontoire qui domine la vallée de la Lette, affluent de l'Oise, occupe une position stratégique de premier ordre aux confins du Soissonnais et du Laonnais. Son enceinte du XIIIe siècle encore intacte, flanquée de vingt-huit tours en y comprenant celles du château et de sa basse-cour, ne présentait qu'un point faible correspondant au plateau dont l'axe est occupé par la route de Laon. Cette raison suffit à expliquer la valeur défensive exceptionnelle de la porte de Laon qui jouait le même rôle que la porte Saint-Nazaire à Carcassonne. Viollet-le-Duc, qui en a décrit les ingénieuses dispositions avec le plus grand soin l'attribue avec raison à une époque un peu antérieure à celle du château[13]. [13] _Dictionnaire d'architecture_, t. VII, p. 322-335. =Porte de Laon.=--Au XIIIe siècle, cette porte était précédée d'une barbacane en demi-lune où les routes de Laon et de Chauny venaient se réunir en passant chacune entre deux tours pour aboutir à un viaduc coudé[14] qui traversait une tour ronde isolée devant l'entrée de la porte. Cette tour fut remplacée en 1551 par un bastion pentagonal qui coûta la somme de 2.331 livres[15]. De nouvelles galeries de contre-mine dont le plan est très compliqué vinrent alors se souder à celles du XIIIe siècle. Un couloir voûté qui passe entre les anciennes piles du viaduc primitif permet d'y pénétrer, mais au XIIIe siècle ce passage aboutissait à deux ponts à bascule destinés aux défenseurs qui voulaient passer dans l'intérieur de la barbacane sans faire ouvrir la grande porte. [14] On en voit trois arcades en tiers-point dans le verger du commandant Mangard. [15] Cf. Mandat de paiement du 2 janvier 1552, publié par De L'Epinois, _Histoire de la ville et des sires de Coucy_, p. 374. [Illustration: Viollet-le-Duc del. PORTE DE LAON Coupe transversale.] Le plan de la porte se compose d'un rectangle flanqué de deux tours en hémicycle du côté extérieur. Un long passage voûté en berceau brisé et précédé d'un pont-levis donnait accès dans la ville. Deux archères s'ouvraient sur ce couloir du côté de l'orient et débouchaient dans la salle ronde inférieure des tours, éclairée par deux autres ouvertures du même genre. A l'autre extrémité, plus large, un couloir coudé pour dissimuler le nombre des défenseurs aboutissait de chaque côté à un corps de garde carré en ruines surmonté d'un plafond de bois[16] comme toutes les autres salles et chauffé par une cheminée. Au-dessus de ces deux pièces et du passage, une grande salle longue de 22 mètres et large de 8 mètres pouvait servir à loger les hommes du poste. Elle était éclairée à l'ouest par cinq fenêtres à linteau recoupées par un meneau vertical: on y montait par deux escaliers à vis[17]. [16] Un pilier central soulageait la portée des poutres. [17] M. Champion, propriétaire de l'hôtel de la Pomme d'Or, possède deux curieuses faitières en terre cuite vernissée de couleur verte qui proviennent de la toiture de la porte de Laon. Chaque tour ronde était divisée en quatre étages non voûtés au-dessus d'une cave sans aération. Les archères encore intactes très longues et très étroites à l'extérieur se chevauchaient pour ne pas affaiblir les murs épais de 5 mètres à la base. A l'intérieur, elles sont encadrées sous des arcs en tiers-point. La chambre qui renfermait le treuil des deux herses se trouvait au-dessus du passage entre les deux tours et le pont-levis se manœuvrait plus haut dans le même axe. On voit encore une sablière courbée sur les corbeaux profilés en quart de rond qui dominent l'entrée. C'est un débris des hourds en bois qui contournaient le sommet des tours sous leur toit conique, suivant la disposition adoptée également par le constructeur du château, mais comme les marques de tâcherons diffèrent, il est évident que la porte et le château ne furent pas élevés par les mêmes ouvriers. A droite de la porte de Laon, on remarque une grosse tour ronde qu'on peut visiter en traversant le jardin du commandant Mangard toujours aimable pour les archéologues. Elle fut ajoutée au XIIIe siècle de chaque côté d'un rempart déjà bâti, car la salle du rez-de-chaussée est coupée en deux par un mur de refend à talus extérieur. Du côté de la ville, une salle carrée voûtée en berceau avec marques de tâcherons communique par une porte avec un hémicycle recouvert de six branches d'ogives aux angles abattus. Plus loin, à l'angle nord-est de l'enceinte, se trouve la tour éventrée par la mine pendant le siège de 1652. Deux autres portes donnaient accès dans la ville. Au sud, la porte de Soissons, s'ouvre dans un angle rentrant sous un arc brisé au pied d'une grosse tour ronde. Au nord-ouest, une porte moderne a remplacé l'ancienne porte de Chauny ou de Gommeron aujourd'hui bouchée et flanquée d'une petite tour. Des marques de tâcherons profondément gravées comme celles du château sont visibles sur certaines parties de l'enceinte, mais elles font défaut sur d'autres murs sans qu'on puisse conclure à un remaniement. L'épaisseur des remparts atteint 10 à 12 mètres à droite et à gauche de la porte de Laon, mais comme plusieurs salles sont comblées ou murées, il est difficile de dater ces renforcements successifs qui sont indiqués par des hachures sur le plan de la ville. Toute la ville de Coucy est bâtie sur des caves à plusieurs étages qui sont d'anciennes carrières aménagées par les habitants. Celles qui se trouvent dans le voisinage de la grande place aboutissaient au puits principal pour pouvoir puiser de l'eau en temps de guerre. Une galerie creusée par le maréchal d'Estrées après la brèche du siège de 1652 traverse la ville depuis la porte de Laon jusqu'au château. Elle vient se relier à celle qui passe sous la partie nord de la basse-cour dont M. Colin, gardien du château, a reconnu l'existence. Une autre galerie transversale coupait le plateau en avant de la basse-cour. Il faut encore signaler une grande maison du XIIIe siècle près de la porte de Soissons, des maisons qui se distinguent par leurs pignons en gradins comme celles des villages du Soissonnais, une maison voisine de l'hôtel de la Pomme d'Or dont les linteaux de fenêtres sont décorés de motifs du style flamboyant et l'hôtel du gouverneur qui renferme d'intéressantes collections et des souvenirs de Gabrielle d'Estrées. =Église.=--L'église du XIIe siècle fut presque entièrement rebâtie au XIIIe, puis au XVIe siècle. La nef gothique comprenait trois larges travées dont il reste deux piles à huit colonnes du XIIIe siècle, mais au XVIe siècle les grandes arcades, les voûtes d'ogives à liernes et tiercerons et les bas côtés furent reconstruits. On subdivisa les anciennes travées par des piles ondulées très minces dont deux furent remplacées par un support rectangulaire à l'époque moderne. Le chœur à cinq pans du XIIIe siècle fut revoûté d'ogives au XVIe siècle, comme le carré du transept dont les piles d'angle sont du XIIIe siècle sauf les chapiteaux. Il faut attribuer à la même époque d'élégants fonts baptismaux en marbre noir dont la cuve octogone ornée de masques et de feuillages repose sur huit colonnettes. La partie centrale de la façade est une œuvre remarquable de la seconde moitié du XIIe siècle. Six colonnettes soutiennent le portail en plein cintre: l'une de ses voussures ornée de palmettes et de fruits d'arum encadre un tympan moderne. Au-dessus de la fenêtre qui s'ouvre dans l'axe de la nef, six arcatures trilobées et un oculus tréflé entouré de bâtons rompus décorent le pignon. II BASSE-COUR DU CHATEAU Le château occupe l'extrémité orientale du promontoire escarpé qui forme la défense naturelle de Coucy. Sa vaste basse-cour ou baille forme un hexagone irrégulier qui ne devait pas se relier comme aujourd'hui à l'enceinte de la ville. Au XIIIe siècle, un profond fossé creusé entre deux murs avec tours d'angle coupait le plateau en avant de la porte de la basse-cour. Cette porte était sans doute reliée par un viaduc entre deux ponts-levis à une porte de ville également flanquée de deux tours dont il ne reste plus trace. Si j'ai cru devoir restituer ce tracé sur le plan primitif de l'enceinte, c'est que des courtines aux deux bouts du fossé auraient rendu sa valeur défensive tout à fait illusoire. En outre, la plantation des tours d'angle nord-est et sud-est de la basse-cour prouve qu'elles étaient dégagées sur les trois quarts de leur circonférence, comme on le voit sur le plan d'Androuet du Cerceau. Les murs qui viennent buter contre leur parement sont relativement modernes. Il fallait fortifier la contrescarpe pour fermer la ville en face de l'entrée du château, sinon l'enceinte aurait été ouverte sur le front occidental. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. PORTE DE LA BASSE-COUR] =Porte d'entrée.=--La porte B de la basse-cour, flanquée de deux tours en ruines et désignée sous le nom de porte Maître-Odon, devait ressembler à la porte de Laon avant sa démolition par l'ingénieur Métezeau en 1652. C'est une œuvre de la première moitié du XIIIe siècle dont le plan primitif ne comportait peut-être pas des corps de garde aussi vastes. La longue voûte en berceau brisé du passage s'est effondrée: elle était soutenue par cinq doubleaux qui retombaient sur des corbeaux moulurés. Au revers, c'est-à-dire à l'ouest, un arc en tiers-point encore intact encadre la porte derrière la rainure d'une herse. Ses deux rangs de claveaux nus sont appareillés sous un cordon de fleurs à sept pétales qui accuse une période peu avancée du XIIIe siècle, comme le cavet des tailloirs. De chaque côté du passage, deux arcatures en tiers-point sans moulures s'appuient sur des pilastres de grès, mais au XIIIe siècle ces arcades aveugles étaient au nombre de quatre à droite et à gauche. On voit encore une amorce du parement arrondi de la tour du sud. L'autre tour, éventrée par la mine, conserve sous une petite voûte en berceau brisé l'amorce d'une feuillure de porte qui donnait accès dans une salle ronde voûtée d'ogives en amande. En arrière, on pénètre à l'ouest dans un corps de garde par une porte dont le linteau repose sur deux consoles moulurées. Cette pièce qui communiquait avec la salle ronde de la tour est recouverte de deux voûtes d'ogives sans formerets dont le tore aminci repose sur des consoles mutilées. Deux doubleaux en tiers-point, ornés d'un filet entre deux boudins et reliés par une voûte en berceau brisé, séparent les deux croisées d'ogives pour éviter la retombée d'un arc dans l'axe des portes. Le corps de garde du sud est démoli, mais l'amorce de ses ogives et les corbeaux qui les soutiennent sont encore visibles. =Tours de la basse-cour.=--Le côté nord de la basse-cour est beaucoup moins bien défendu que la face méridionale. En partant de la grosse tour nord-est du château, on rencontre d'abord une large brèche, puis le rempart garni de marques de tâcherons du XIIIe siècle forme un pan coupé percé d'une poterne. Au point où Androuet du Cerceau indique une tour d'angle dont je n'ai pu retrouver aucune trace, des corbeaux devaient soutenir une bretèche. Le mur à talus suit une ligne droite de 100 mètres: ses assises dépourvues de marques de tâcheron, se décrochent à l'extrémité occidentale en formant un angle obtus avec le rempart primitif. Il ne faut pas en conclure que le front nord fut presque entièrement reconstruit, car les marques de tâcheron font également défaut sur les tours du sud qui doivent être attribuées au XIIIe siècle. La tour d'angle nord-est A de la basse-cour était ronde, mais il n'en reste plus qu'un quart engagé dans un pan coupé moderne. Rebâtie au XIVe siècle sur son talus primitif, décollée par un coup de mine au XVIIe siècle, puis remaniée dans sa partie haute, elle n'offre plus aujourd'hui aucun intérêt. Au sud-est, une tour ronde C du XIIIe siècle s'élevait à l'angle de la baille, en face de celle qui est encore engagée dans le mur de la ville, mais le coup de mine qui en a détruit la moitié a fait incliner l'autre. La brèche fut murée plus tard et défendue par une échauguette sans caractère. A la suite, le rempart du XIIIe siècle se distingue par ses tours rondes antérieures à celles du château et plus rapprochées que celles de la ville. Elles sont au nombre de cinq jusqu'au retour d'angle de l'enceinte: leurs étroites archères forment à l'extérieur de longues fentes dans le parement, mais leur couronnement a disparu. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. TOURS DE LA BASSE-COUR] A l'angle sud-est de la basse-cour, on a creusé vainement jusqu'aux fondations, en 1865, pour découvrir les restes des gens de guerre du comte de Saint-Paul, enfouis dans une galerie de mine en 1411. En partant de ce point, on pénètre d'abord dans une salle ronde de la seconde tour D. Sa voûte d'ogives aux arêtes abattues est très grossière: la clef se compose d'une pierre carrée au lieu d'être taillée en croix. Les nervures viennent s'engager dans le mur au niveau des retombées. Trois archères recouvertes de linteaux en saillie les uns sur les autres éclairent la pièce. On monte au second étage recouvert d'un plancher par un escalier qui suit la courbe de la tour. La troisième tour E, qui remonte également au premier quart du XIIIe siècle, ne diffère de la précédente que par deux grandes arcatures en plein cintre soutenues par des pilastres au revers du mur intérieur. Les ogives plates de la voûte aux angles abattus et les archères à linteau sont du même type, mais les marches de l'escalier courbe portent sur un chanfrein qui se décroche, comme dans le donjon. La tour suivante F conserve sa voûte d'ogives et quatre archères, mais dans la quatrième, désignée sur le plan par la lettre G, les nervures de même profil, à clef cruciforme, retombent sur des culots moulurés. Les archères plus hautes et plus larges sont surmontées de cinq linteaux. Un escalier à vis conduit au second étage. Il est donc certain que les murs de la baille furent bâtis en allant de l'est à l'ouest. Les trois premières tours intactes sont les plus anciennes de toute l'enceinte. La porte de la sixième tour H, qui défend l'angle sud-ouest de la basse-cour, est amortie par un tympan monolithe sous un arc de décharge en plein cintre. Les deux étages reliés par un escalier à vis étaient voûtés d'ogives retombant sur des consoles moulurées. L'épaisseur des murs atteint 2m,35. Les quatre archères à linteau du second étage où l'on pouvait accéder directement par une porte et une échelle sont surmontées d'un arc de décharge, ce qui indique un nouveau progrès. Après cette tour très saillante, le mur de la baille fait un coude pour rejoindre la grosse tour sud-est du château. Ce front est défendu par deux tours. La septième tour I n'a pas le même plan que les précédentes, car la salle basse voûtée d'ogives a la forme d'un hémicycle fermé par un mur droit. On y entre par une porte à linteau tréflé dont l'arc de décharge est en plein cintre. Un escalier à vis dessert le second étage dont la porte sur la cour et les archères présentent la même disposition que dans la tour H. Entre cette tour et la suivante J dont la voûte d'ogives et l'escalier à vis sont en ruines s'ouvre une poterne en tiers-point précédée d'une archivolte en plein cintre. A côté, deux arcs de décharge plus ou moins enterrés sont surmontés de deux rainures qui semblent destinées à recevoir les bras d'un pont-levis intérieur. La tour K, tombée dans le fossé, devait ressembler à toutes celles du front sud de la basse-cour. Plus loin, après une autre poterne, le mur de la baille vient rejoindre la courtine qui relie la grosse tour sud-est du château à la chemise du donjon. =Chapelle romane.=--La basse-cour renferme, au sud de l'allée centrale, un puits[18], et près de la maison du gardien les fondations d'une chapelle romane. Sa nef unique et son transept flanqué de deux absidioles arrondies n'étaient pas voûtés; mais l'abside en hémicycle, dépourvue de contreforts, était recouverte d'un cul de four précédé d'une voûte en berceau. On voit la trace de deux arcatures de chaque côté du chœur dans la partie droite. La base de l'une de leurs colonnes, encore intacte, et celle des six colonnettes du portail de la façade, permettent d'attribuer cette chapelle au XIIe siècle et non pas au XIe siècle, comme Viollet-le-Duc le prétend. Cette date se trouve confirmée par les fragments d'une corniche garnie de palmettes, semblable à celle de l'église de Berzy-le-Sec, près de Soissons, et par les débris d'une croix de pignon formée de cercles découpés à jour, comme à Bruyères-sous-Laon. Trois chapiteaux à crochets, du XIIIe siècle, retrouvés dans les fouilles, et posés sur une pile d'angle, sont peut-être des témoins d'un remaniement exécuté dans cette chapelle, au XIIIe siècle. [18] Le compte de 1386-1387 mentionne la construction d'une étable dans la basse-cour, avec de vieux matériaux. III DESCRIPTION DU CHATEAU =Date de la construction.=--Viollet-le-Duc a voulu limiter la durée des travaux du château à cinq ans, de 1225 à 1230, d'après les profils et le caractère de la sculpture, mais cette hypothèse ne repose sur aucun fondement. A défaut de textes, la science archéologique permet de distinguer deux campagnes dans la construction de la basse-cour, et deux autres pour le château proprement dit. Je crois que le donjon fut élevé en dernier lieu avec la chapelle, aussitôt après l'achèvement de l'enceinte, comme le prouve le style avancé des figurines sculptées sur les consoles de la salle basse. Le profil des ogives des grosses tours, les clefs de voûte, les chapiteaux à crochets, portent l'empreinte du style en usage dans la première moitié du XIIIe siècle. Un détail, qui a son importance, permet de rajeunir quelque peu la forteresse, c'est le bec des tailloirs qui n'était pas d'usage courant avant 1225 environ. Sans doute, on en voit des exemples précoces à la cathédrale de Soissons, dans la chapelle haute du croisillon sud, terminée au XIIIe siècle et dans le rond-point consacré en 1212, mais à Longpont, dont l'église abbatiale fut livrée au culte en 1227, le plan carré des tailloirs persiste. Par contre, à Royaumont où la dédicace de l'église eut lieu en 1235, les tailloirs du bas côté sud encore en place, présentent un bec caractéristique, comme dans les tours de Coucy. En outre, la corniche à crochets du donjon est identique à celle qui fut refaite au chevet de Notre-Dame de Paris vers 1240. Il est donc probable que la période de grande activité des chantiers dut plutôt correspondre au second quart qu'au premier quart du XIIIe siècle. Ces observations techniques sont d'accord avec la tradition qui attribue à Enguerrand III l'honneur d'avoir construit le château, car le gros œuvre devait être terminé quand il mourut en 1242. Nous sommes beaucoup mieux renseignés sur l'époque du remaniement des bâtiments d'habitation, grâce à un registre des comptes de la châtellenie de Coucy, commencé le 1er octobre 1386 et terminé le 30 septembre 1387[19]. Ce précieux document, écrit de la main de Jean Plançon, receveur d'Enguerrand VII, a été récemment vendu par un libraire de Caen à M. Lucien Broche, archiviste départemental, qui l'a fait entrer dans les archives de l'Aisne. [19] Ce registre, en assez mauvais état, se composait de 168 feuillets, mais il en manque 20. Sa cote provisoire est E. 672. Plusieurs mentions prouvent qu'on achevait à cette époque la salle des Preux et la salle des Preuses, après avoir exhaussé les courtines avec des pierres provenant des carrières de Neuville-sur-Margival et de Courval. La porterie et les bâtiments adossés au mur du nord furent sans doute également l'œuvre des architectes d'Enguerrand VII secondés par Jean de Cambrai et Robinet Carême, maîtres-maçons de Coucy. En tout cas, il faut rapporter à la campagne de 1386-1387 la cheminée du boudoir de la salle des Preuses, l'établissement d'un cachot, à l'ouest du grand cellier, pour «gesir Bonnifface et Guedon»[20], la restauration des arcades aveugles du premier étage, et le remplacement de la voûte de cette salle par un plancher dans la tour nord-ouest, la captation dans un réservoir de la source qui jaillit au pied de la chemise du donjon, la pose de conduits pour évacuer les eaux de la cuisine, les lambris du plafond de la galerie de la chambre aux Aigles et de l'oratoire voisin des «chambres neuves», la réparation des charpentes et de toutes les toitures avec des tuiles de Pinon, et la décoration du parloir contigu à la salle des Preuses par trois peintres de Paris. La note gaie est fournie par des dépenses de vitrerie causées par les ébats du singe d'Isabelle de Lorraine, femme d'Enguerrand VII[21]. Malgré l'opinion de Viollet-le-Duc, ces importants travaux ne doivent plus être attribués à Louis d'Orléans, qui se rendit acquéreur de la baronnie en 1400. [20] Ce cachot se trouvait sous le trésor. [21] Huit charpentiers, deux menuisiers, un couvreur, un verrier, un plombier et deux serruriers, cités dans les comptes, furent employés à ces travaux. Ils étaient originaires de Coucy, de La Fère, de Laon et de Soissons. =Plan et appareil.=--Le château proprement dit forme un quadrilatère irrégulier, flanqué de quatre tours d'angle, et dominé par le château, qui s'élève au milieu de la face orientale. Le front nord mesure 92m,45, entre les tours; le côté ouest 35 mètres; la face du midi 50m,80; et le front est 88 mètres. C'est grâce à une vue cavalière dessinée par Androuet du Cerceau, avant 1576, que nous pouvons nous faire une idée de l'aspect du château à cette époque. Viollet-le-Duc s'est borné à tirer un heureux parti de cette perspective; mais il aurait dû prévenir ses lecteurs que son croquis représente le château non pas au XIIIe siècle, comme on se l'imagine, mais au XVIe siècle. En effet, vers 1250, je suis persuadé qu'il n'y avait aucun bâtiment au revers de la porte et du mur nord, mais seulement des arcades en tiers-point destinées à porter un large chemin de ronde. La cour, bordée par des logements à l'ouest et au sud où la chapelle faisait une saillie prononcée sur la grande salle, occupait donc une superficie plus grande au XIIIe siècle qu'au XVIe siècle. La pierre calcaire, à gros grain parsemée de coquillages, qui a servi à construire le château, provient des carrières de la ville et du plateau. Certaines assises atteignent 1m,34 et même 1m,90; mais leur longueur moyenne est de 0m,80. L'épaisseur des lits varie de 0m,33 à 0m,40. Les dalles qui recouvrent des couloirs mesurent souvent 2 mètres de longueur et 1 mètre de largeur sur 40 centimètres d'épaisseur. J'ai relevé des linteaux épais de 0m,60, des claveaux de 0m,00, des murs de 3 à 5 mètres à la base des tours. [Illustration: MARQUES DE TACHERONS DU XIIIe SIÈCLE] L'appareil est donc plus grand que dans les églises du XIIIe siècle. Les marques de tâcherons si nombreuses dans le château et si rares dans la basse-cour, présentent une soixantaine de types différents qui correspondent au nombre des tailleurs de pierre pour les parements. On peut distinguer du premier coup d'œil une assise du XIIIe siècle d'une pierre mise en place à la fin du XIVe siècle dans la salle des Preux ou dans la salle des Preuses; car les signes les plus anciens sont gravés très profondément. =Souterrains.=--Il faudrait entreprendre des fouilles très coûteuses pour tracer le plan des souterrains qui facilitaient les communications entre les diverses parties du château et qui devaient permettre de prendre l'ennemi à revers au dehors de l'enceinte. L'architecte avait pris la précaution, comme on le fit plus tard à Pierrefonds, de n'en creuser aucun derrière la porte d'entrée, pour que les mineurs rencontrent un terre-plein. Au revers du mur nord de la cour, un escalier à vis du XIVe siècle, établi après coup, descend dans un souterrain du XIIIe siècle voûté en berceau qui se rétrécit près d'une rainure de herse et qui conduit à la cave circulaire de la tour nord-est. Cette galerie qui se continuait jadis à l'ouest était recoupée au bas de l'escalier par un autre souterrain partant de la courtine, comme l'indique une bouche d'aérage. Sous la salle des Preux, à l'est, un bel escalier droit, encadré par des archivoltes en plein cintre qui forment un ressaut au-dessus de chaque marche, comme à l'entrée des caves de Pontoise, de Senlis, de Noyon, d'Elincourt-Sainte-Marguerite (Oise), et du château de Pierrefonds, conduit dans une cave encore intacte. Ses deux galeries parallèles, voûtées en berceau brisé, communiquent par des arcades en plein cintre, et dans la seconde une porte donne accès dans la salle basse de la tour sud-est. Vers la droite, les lits d'assises du parement ne se raccordent pas, mais l'identité des marques de tâcherons permet de conclure à une erreur d'appareil plutôt qu'à deux constructions d'âge différent. A l'extrémité occidentale, un escalier du XIVe siècle aboutit au rez-de-chaussée de la salle des Preuses. M. Colin, gardien du château, a trouvé d'autres amorces de souterrains qui s'enfoncent dans le sol aux deux extrémités de ces galeries, mais les caves des tours nord-ouest et sud-ouest n'étaient pas desservies par des couloirs inférieurs, car on n'y voit aucune trace de porte. Est-il besoin d'ajouter que les prétendus souterrains, qui auraient relié au château les abbayes de Nogent et de Prémontré, n'ont jamais existé que dans l'imagination des romanciers? =Porte d'entrée.=--Un dessin d'Androuet du Cerceau donne une idée des défenses extérieures de la porte d'entrée. Pour franchir le fossé, large de vingt mètres, il fallait passer sous deux portes, en traversant un pont de bois à deux bascules qui reposait sur des massifs de maçonnerie et sur les piles de deux petits corps de garde isolés. En 1829, leurs débris furent enfouis sous le remblai actuel. Le parement extérieur de la porte est arraché, mais on voit encore de chaque côté les rainures des trois herses qui glissaient entre des arcs en tiers-point. Au XIIIe siècle, la porte était flanquée au revers de deux grandes arcades en tiers-point; celle de gauche encadre une archère; celle de droite, à mur plein, fut convertie en logement à l'époque moderne. Je suis persuadé que le corps de garde, désigné par la lettre H sur le plan de Viollet-le-Duc, et dont il reste les substructions, fut une addition de la fin du XIVe siècle, car il est évident que les piédroits, les écoinçons et les claveaux des arcades n'étaient pas destinés à être englobés dans un bâtiment quelconque. A son point de rencontre avec la chemise du donjon, le mur ne présente aucune trace de collage, mais au niveau du sol on voit la feuillure d'une porte relancée dans les assises primitives et l'ouverture d'une fosse d'aisances rectangulaire appliquée après coup contre le parement du fossé. [Illustration: LA FACE DE LENTREE FACIES INGRESSVS Androuet du Cerceau del. LE CHATEAU EN 1576. Vue prise à l'est.] A gauche de l'entrée, le sommier d'une branche d'ogives aux arêtes abattues vient s'incruster dans les claveaux de l'arcade aveugle, déjà signalée. Comme le profil de la nervure est identique à ceux des voûtes faites vers 1385, sous les salles des Preux et des Preuses, de l'est à l'ouest, il faut en conclure que le corps de garde carré, divisé par quatre piles centrales en neuf travées et recouvert de croisées d'ogives, avait été ajouté à la même époque. L'architecte du XIIIe siècle avait calculé que la porte de la basse-cour suffirait à tenir en échec l'assaillant. D'ailleurs l'ennemi qui aurait voulu forcer l'entrée du château se serait fait écraser par les projectiles lancés du haut du donjon et de la grosse tour nord-est. Il était donc inutile d'adopter la même disposition qu'à la porte de Laon, mais une chambre de manœuvre des herses devait s'élever au milieu de la courtine, défendue par une bretèche. IV TOURS D'ANGLE =Tour nord-est.=--A côté de la porte du château s'élève une grosse tour ronde O dont le diamètre extérieur est de dix-neuf mètres. La salle circulaire du sous-sol, voûtée par six ogives aux arêtes abattues qui retombent sur des consoles, est enclavée par deux archères à linteaux superposés. On y accédait par une porte en plein cintre au bout du souterrain déjà signalé, qui longe la courtine du nord. Au rez-de-chaussée, une porte à linteau précède une voûte en berceau brisé qui vient buter contre deux grandes dalles. Dans ce couloir venait déboucher l'escalier à vis, dépourvu de marches, qui conduisait directement à la plate-forme supérieure[22]. La salle hexagone est recouverte par six nervures en amande qui se réunissent autour d'une clef à feuillage et qui s'appuient sur de courtes colonnettes. Les crochets de leurs chapiteaux se recourbent sous des tailloirs à bec moulurés. Les formerets à claveaux nus encadrent de larges niches en tiers-point. A l'ouest, une fenêtre de la même forme, avec glacis en escalier, s'ouvre dans le mur, épais de 4m,80. Un couloir coudé, éclairé par une archère, conduit à des latrines dont la fosse, très profonde, se compose d'un puits rond surmonté d'un puits carré. [22] Viollet-le-Duc a mal planté les latrines de cette tour. [Illustration: A Ventre del. CHAPITEAU DE LA TOUR NORD-EST] Au premier étage, la voûte s'est écroulée; mais on voit l'amorce de l'une des six ogives à tore aminci. Cette salle, à six pans, communiquait par une porte avec la courtine du nord. Ses grandes niches en tiers-point, ses cinq archères, sa cheminée et ses latrines sont encore intactes. Le dernier étage, hexagone, n'était pas voûté: ses niches au nombre de six, ne correspondaient pas aux précédentes pour donner plus de solidité à la maçonnerie. La toiture reposait sur un mur circulaire percé de baies à linteau, et les hourds de bois prenaient leur point d'appui sur de gros corbeaux de pierre, dont le profil est formé de quatre quarts de rond, comme au sommet du donjon. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. COURTINE ET TOUR NORD-EST] =Musée lapidaire.=--Le déblaiement des ruines a permis de recueillir, dans la salle du rez-de-chaussée de cette tour, des sculptures très intéressantes, comme un chapiteau du XIIe siècle, à larges feuilles recourbées en volutes, qui devait orner une salle du château roman, et qui couronnait une colonne isolée. Une large clef de voûte, du XIIIe siècle, dont le trou central est entouré d'une guirlande de feuillages, provient de la chapelle gothique, comme le prouvent les amorces de ces quatre branches d'ogives, tandis que deux clefs à six nervures faisaient partie des voûtes dans les grosses tours. Deux grosses gargouilles, à tête d'animal et des débris des quatre pinacles terminés par un fleuron sortant d'un cercle de boules, qui se trouvaient jadis au sommet du donjon, méritent d'attirer l'attention avec un personnage assis, les jambes croisées, qui décorait un sommier de la voûte d'ogives du rez-de-chaussée. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. MUSÉE LAPIDAIRE.--SCULPTURES DU XIVe SIÈCLE A droite, têtes d'un Preux et d'une Preuse provenant des cheminées.] Trois lions mutilés du XIIIe siècle, dont l'un dévorait un enfant et l'autre un chien, portaient sur leur dos une table de pierre qui servait de siège à un autre lion assis. C'était l'ancien perron dessiné par Androuet du Cerceau, où les vassaux des sires de Coucy juraient foi et hommage à l'entrée du château. «Devant ladite figure, dit-il, se paye certain tribut par les voisins du lieu, scavoir est qu'ils sont tenus envoyer tous les ans un rustique, ayant en sa main un fouet, pour sonner d'iceluy trois coups: avec ce une hotte pleine de tartres et gasteaux qu'il fault qu'il distribue aux seigneurs de là». La redevance de quarante rissoles par l'abbé de Nogent donnait lieu à une bizarre cérémonie. Une petite gargouille, des chapiteaux à crochets, des carreaux vernissés, des boulets de pierre et de fonte complètent cette collection ainsi que les têtes d'un Preux et d'une Preuse qui ornaient au XIVe siècle les cheminées des salles du même nom; des figurines et des chapitaux de la même époque; la tombe plate d'un bourgeois de Coucy, mort en 1596. Enfin, il faut signaler une couleuvrine en cuivre à six pans. [Illustration: ANTE LEONIS HVIVS COVVSSI STATVAM FIDELITATIS DEVANT LA FIGVRE DE CE IVRA PRÆSTANTVR LION SE PAIE LHOMMAGE Androuet du Cerceau del. ANCIEN PERRON DU CHATEAU] =Tour nord-ouest.=--Les trois autres tours d'angle offrant des dispositions à peu près identiques avec quelques variantes, il serait bon de les visiter successivement. Celle du nord-ouest, dite du Roi, renferme une cave ronde d'un diamètre inférieur à celui des autres salles[23]. Ses ogives, sans moulures, au nombre de six, viennent s'assembler autour d'un œil central, large de 0m,80, qui permettait le passage d'un homme: la voûte a deux mètres d'épaisseur. On ne pouvait descendre dans cette cave qu'avec un treuil. La salle hexagone du rez-de-chaussée, dont les murs ont 2m,80 d'épaisseur, était voûtée d'ogives, car on voit encore les amorces des lunettes. Une profonde arcade en tiers-point fait corps avec chaque pan coupé, comme dans les trois autres étages, mais toutes ces niches sont désaxées par rapport à celles qui les précèdent ou qui les surmontent. Les archères sont au nombre de cinq, à cause de la cheminée. Il est difficile d'expliquer pourquoi cette salle est dépourvue de latrines: on y entre de plain-pied avec le soubassement de la salle des Preuses. [23] La coupe de cette tour N, dessinée par Viollet-le-Duc, est très inexacte. Cf. _Dictionnaire d'architecture_, t. IX, p. 83. Son diamètre est de 17m,50. L'escalier à vis s'interrompait à chaque étage pour obliger les hommes d'armes à se faire reconnaître, en traversant les salles. Le premier étage communiquait avec la courtine par une porte: on voit encore les corbeaux qui soutenaient les solives du plafond, car la voûte de cette salle, détruite par un incendie, fut supprimée en 1386 quand on restaura les niches, comme le prouve le compte déjà cité. Un plancher séparait le second et le troisième étage, percés d'archères, et chauffés par des cheminées. Tous les murs étaient recouverts d'un enduit très mince peint en jaune avec faux joints rouges. Une archère supérieure fut transformée en fenêtre, à la fin du XVIe siècle. Les corbeaux sont semblables à ceux que j'ai déjà décrits. =Tour sud-ouest[24].=--La salle souterraine de cette tour M, voûtée d'ogives et dépourvue de toute ouverture, est identique à celle de la tour précédente: elle renferme des latrines. La voûte du rez-de-chaussée est également intacte, avec ses six nervures en amande qui retombent sur des colonnettes, engagées entre les cinq profondes niches et la cheminée de la salle hexagone. On y pénètre en passant sous un linteau surmonté d'un arc de décharge. Derrière cette porte, à droite, s'ouvre un couloir voûté en berceau brisé qui débouche sous la salle des Preuses. A gauche, un long couloir coudé conduit à des latrines, éclairées par une archère, suivant une disposition qui n'existe pas dans les autres tours. Une autre différence, c'est que la salle du rez-de-chaussée et celle du premier étage ne sont pas reliées par un escalier à vis, parce qu'on pouvait passer de la salle des Preux et de la salle des Preuses dans la tour du sud-ouest. [Illustration: A Ventre del. COUPE DE LA TOUR SUD-OUEST] [24] Sa hauteur est de 44m,50 et son diamètre extérieur de 18 mètres. Le second étage, voûté d'ogives, d'après les amorces des compartiments de remplissage, était éclairé par quatre archères, et chauffé par une grande cheminée. A côté, on voit dans l'épaisseur du mur le conduit de fumée de la salle inférieure. A l'angle de la courtine occidentale et de cette tour, des latrines en encorbellement pouvaient servir au besoin de mâchicoulis. On montait au troisième étage, recouvert d'un plancher de bois, par une cage d'escalier. La clef de ses niches correspond à l'axe des piédroits de celles du second étage, suivant une disposition qui se répète dans les quatre tours d'angle. Pour arriver sous la toiture conique, au niveau des hourds, il fallait gravir un escalier de bois. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. INTÉRIEUR DE LA TOUR SUD-OUEST] [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. TOUR SUD-EST] =Tour sud-est.=--En descendant dans l'une des caves situées sous la salle des Preux, on pénètre dans la salle souterraine et circulaire de cette tour L par une porte en tiers-point, suivie d'une herse et d'une porte en plein cintre. Le couloir intermédiaire, recouvert de linteaux, communique avec un escalier à vis qui dessert tous les étages. Six branches d'ogives aux arêtes abattues rayonnent autour de la clef de voûte, et viennent rejoindre des consoles: deux archères sont percées dans les murs épais de 5m,20. Au-dessus se trouve une salle hexagone, sans archères et sans cheminée, qui était voûtée par six nervures à tore aminci, dont les retombées s'appuient sur des chapiteaux à crochets et des colonnes engagées. Une fenêtre s'ouvre au levant au fond de l'une des six niches en tiers-point, et les latrines sont établies sur une fosse carrée, profonde de 18 mètres, qui s'élève au-dessus d'un puits rond. Au premier étage, on voit encore des amorces de la voûte d'ogives, les niches habituelles, cinq archères et une cheminée. La porte à linteau s'ouvrait à l'extrémité orientale de la salle des Preux, en avant d'un passage coudé qui communiquait avec l'escalier à vis. En traversant la cage, on pouvait circuler, à l'intérieur d'un gros mur, dans un couloir recouvert de grandes dalles qui rejoignait la chemise du donjon. Des latrines en encorbellement s'élèvent dans l'angle rentrant de la courtine méridionale, comme dans les tours précédentes. Les étages supérieurs sont inaccessibles. V CORPS DE LOGIS =Côté nord.=--On voit encore dans la cour les débris des treize arcades aveugles en tiers-point qui retombaient sur des contreforts intérieurs au revers de la courtine du nord, afin d'élargir le chemin de ronde. Ce système, qui devint plus tard si fréquent dans l'architecture militaire du midi de la France et dans les églises fortifiées de la même région, apparut dans l'Ile-de-France autour du mur d'enceinte du château de Farcheville, près d'Étampes, construit par Hugues de Bouville, sénéchal de Philippe Auguste. L'architecte du château de Coucy eut soin de monter le parement supérieur du mur de fond après le décintrage des voussures, afin de remédier aux effets du tassement. Les marques de tâcherons, la disposition des supports, le champ plat de quelques écoinçons, suffisent à prouver qu'aucun bâtiment ne venait s'adosser à la courtine du nord, au XIIIe siècle. Vers la fin du XIVe siècle, comme l'indiquent quelques profils et la finesse des marques de tâcherons, on éleva la porterie et un corps de logis contre la même courtine, à l'intérieur de la cour. On remplit de maçonnerie la plupart des arcades qui se trouvèrent englobées dans de petites pièces à solives apparentes. Trois escaliers à vis desservaient l'unique étage; le premier, en partant de la porte du château, descend dans un souterrain du XIIIe siècle, à travers la voûte; le troisième s'élève à l'angle du bâtiment de la salle des Preuses. Ce qui est extraordinaire, c'est qu'Androuet du Cerceau figure au milieu de la courtine du nord une petite tour ronde assez saillante, dont il est impossible de retrouver la trace. Viollet-le-Duc l'indique à tort sur son plan; mais il suffit d'examiner le parement extérieur du mur pour constater l'absence de tout collage ou d'une brèche rebouchée: on n'a jamais relancé aucune pierre dans les assises primitives. Etait-ce une œuvre du XIVe siècle? Je n'en sais rien, mais j'affirme qu'au XIIIe siècle il n'y avait pas de petite tour partant de fond entre les deux grosses tours du nord. =Côté ouest.=--Le grand corps de logis dont on voit les ruines entre les tours nord-ouest et sud-ouest fut presque entièrement reconstruit par Enguerrand VII, un peu avant le voyage de Charles VI à Coucy, le 23 mars 1387, comme le prouve le compte publié par M. Broche; mais le magasin P du rez-de-chaussée est une œuvre du XIIIe siècle. On y entrait de plain-pied, comme dans une halle, par cinq larges arcades en tiers-point, qui s'ouvraient sur la cour et qui retombaient sur des piles rectangulaires. Aucune trace de fermeture ou de mur de clôture contre les supports. Au revers du mur extérieur, cinq profondes arcades en tiers-point, construites avant le parement supérieur du fond, étaient destinées à réduire la portée des solives du plancher de la salle des Preuses, comme dans le cellier méridional. Les marques de tâcherons permettent de distinguer toutes les assises et les claveaux du XIIIe siècle. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. VUE PRISE SOUS LA SALLE DES PREUSES] Vers 1385, le plafond de bois primitif fut remplacé par cinq croisées d'ogives aux angles abattus, dont on voit les amorces sur les anciennes piles. Les doubleaux, en cintre surbaissé, présentaient le même profil. Les nervures de la première voûte au nord, tangente à une arcade aveugle du XIIIe siècle, viennent d'être rétablies par les soins de M. Bœswillwald. La voûte suivante butait contre un gros mur de refend, monté au XIVe siècle pour soutenir un escalier à vis qui reliait la salle des Preuses au second étage. La seconde arcade, en partant du nord, se trouve donc en partie bouchée comme la première, adossée aux bâtiments du nord et à une voûte d'ogives du XIVe siècle. Pour se rendre à la salle des Preuses et à celle des Preux, on montait un large escalier tournant, dont la cage et la porte à colonnettes prismatiques sont encore intactes dans l'angle sud-ouest de la cour. [Illustration: Photo Neurdein. CÔTÉ OUEST DE LA COUR Ruines de la salle des Preuses.] =Salle des Preuses.=--Le compte de 1386-1387 mentionne la construction de la cheminée du boudoir attenant à cette salle, qui venait d'être achevée. L'architecte d'Enguerrand VII fit remplacer le parement du mur occidental, à l'intérieur, nomme l'indiquent les fines marques de tâcherons. A droite, il piocha la courbe de la tour nord-ouest pour faire un angle, encadré par un gros arc de décharge en plein cintre, au-dessus du second étage. A gauche, derrière un décrochement, un large couloir du XIIIe siècle voûté en berceau brisé, fait communiquer la tour sud-ouest avec la salle des Preuses. Au XIVe siècle, trois grandes fenêtres, amorties par un arc surbaissé, furent percées après coup dans le mur occidental. La baie centrale s'ouvrait au fond d'un boudoir qui renferme une petite cheminée. Sa voûte se compose de deux petites croisées d'ogives, dont la baguette à filet saillant retombe sur des anges. [Illustration: MARQUES DE TACHERONS DU XIVe SIÈCLE] Cette salle était en outre chauffée par une grande cheminée à deux âtres, dessinée par Androuet du Cerceau et décorée des statues des neuf Preuses, suivant la description poétique d'Antoine d'Asti, secrétaire du duc Charles d'Orléans, vers 1440. Au-dessus du plafond de bois, une autre salle, aussi vaste mais plus basse, était de même éclairée par trois baies; celle du milieu conserve encore deux voûtes d'ogives de faible dimension. Près de la tour nord-ouest, une cage d'escalier, coupée en deux, correspond au mur de refend où passait le conduit de la grande cheminée. Au revers, deux petites pièces superposées étaient éclairées par deux fenêtres ouvertes au XIVe siècle. =Côté sud.=--Le vaste bâtiment qui renfermait la salle des Preux s'élève au-dessus des deux caves parallèles, voûtées en berceau brisé, que j'ai déjà décrites. Le grand cellier R du rez-de-chaussée fut remanié vers 1385, comme le magasin qui se trouve sous la salle des Preuses. Au XIIIe siècle, des poutres de fort équarrissage portaient le plancher du premier étage. Elles devaient être soulagées par des piliers de pierre, à cause de leur grande portée, suivant un système appliqué au château de Chillon et dans l'abbaye du Moncel (Oise). Neuf arcades en tiers-point, assez profondes, soutenues par des piédroits, et marquées de signes de tâcherons, faisaient corps avec le mur méridional pour donner aux solives un point d'appui. L'architecte d'Enguerrand VII modifia cette disposition pour voûter le cellier. Il dressa dans l'axe longitudinal une file de colonnes où les ogives aux arêtes abattues et les doubleaux de même profil qui décrivaient une courbe en segment de cercle venaient retomber en pénétration. Le sommier de l'un des fûts, d'où partaient huit arcs, et des amorces de nervures sont encore visibles contre une pile occidentale et à l'entrée de la cave de la tour sud-est. Chaque galerie fut donc recouverte de neuf voûtes soigneusement appareillées: entre les deux dernières voûtes, à l'ouest, deux larges doubleaux s'appuyaient sur un massif de maçonnerie flanquée de colonnes engagées, et d'un mur de refend qui venait buter contre une ancienne niche en tiers-point. Plus loin, un arc surbaissé du XIIIe siècle, formé de deux rangs d'énormes claveaux, supportait le mur de fond et la cheminée de la salle des Preux. Par mesure de prudence, on le fit murer au XIVe siècle; au revers, une petite voûte en berceau, et une voûte d'ogives à trois nervures furent montées à la même époque; mais primitivement une poutre franchissait l'espace triangulaire entre la tour sud-ouest et l'arc transversal au droit d'un corbeau, encore intact, qui soutenait une contre-fiche. =Salle des Preux.=--Cette magnifique salle fut rebâtie, en même temps que la salle des Preuses, dans le dernier quart du XIVe siècle. L'architecte fit arracher l'ancien parement intérieur du mur méridional, pour y substituer de nouvelles assises. Il perça du même côté deux larges fenêtres à plate-bande appareillée, qui étaient recoupées par un meneau central et deux arcs tréflés. Au dehors, un boudin coudé encadrait chacune des baies. Les deux cheminées, très larges, conservent leur foyer encadré par un arc surbaissé sous un arc de décharge en tiers-point. Les quatre niches sont flanquées de deux colonnettes, et leurs dais à sept pans garnis de petits arcs trilobés portent déjà l'empreinte du style flamboyant. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. RUINES DE LA SALLE DES PREUX] Un bandeau de feuilles frisées marque le niveau de la charpente en carène renversée de la salle des Preux. Trois lucarnes à meneau central, dont on voit encore les glacis, correspondaient à une voussure de bois en pénétration dans le berceau. A l'extérieur, une ligne de corbeaux moulurés accuse le sommet de la courtine surélevée, comme entre les autres tours. On montait à la tribune occidentale, destinée aux musiciens, par un petit escalier à vis accolé à la tour sud-ouest et coiffé d'une voûte d'ogives à six branches qui retombent sur des petits anges. A l'autre extrémité, c'est-à-dire à l'orient, une immense verrière s'ouvrait dans le pignon pour éclairer la salle. Au niveau de son appui on avait élevé une tribune en bois décorée de pampres et de fruits, comme les deux autres, qui étaient réservées aux dames. La belle cheminée occidentale de cette salle se divisait en deux foyers séparés par un pilier. Les statues des Preux étaient au nombre de dix, car Charles d'Orléans y avait ajouté Bertrand du Guesclin. Ce détail se trouve dans le poème de son secrétaire, Antoine d'Asti. =Chapelle.=--Orientée vers le nord-est et adossée au bâtiment de la salle des Preux, cette chapelle du XIIIe siècle, à chevet plat, a presque entièrement disparu; mais on peut encore relever le plan de ses soubassements. Le rez-de-chaussée S divisé par de fortes piles et recouvert de quatre voûtes d'ogives sur chaque galerie, servait de passage, comme sous la chapelle du château de Senlis, pour entrer soit dans le grand cellier, situé sous la salle des Preux, par une porte en tiers-point de six mètres d'épaisseur, soit dans la cuisine, qui s'élevait à l'orient. Entre les contreforts à bandeau inférieur mouluré, des arcs de décharge encadraient des murs percés de portes. [Illustration: A Ventre del. CLEF DE VOUTE DE LA CHAPELLE] Au premier étage, deux grandes voûtes d'ogives retombaient sur des faisceaux de cinq colonnettes dont il reste des assises au pied de la courtine du nord. L'une des clefs à trou central, ornée d'une guirlande de feuillages, est déposée au musée de la tour nord-est: les amorces de ses grosses nervures en amande accusent une époque peu avancée du XIIIe siècle. J'ai retrouvé aussi quelques débris des meneaux, épais de 0m,75, qui divisaient les fenêtres; le fût de leurs colonnettes et leur feuillure sont bien visibles. Plusieurs morceaux de quatrefeuilles ou de rosaces à cinq lobes, provenant du remplage, sont épars sur le sol. Loin de ressembler à la Sainte-Chapelle de Paris, comme un dessin de Viollet-le-Duc pourrait le faire supposer, la chapelle du château de Coucy était plutôt une œuvre du même style que le chevet de la cathédrale de Soissons. La riche décoration de cette chapelle avait frappé Antoine d'Asti, secrétaire du duc Charles d'Orléans, car il décrit dans ses _Lettres héroïques_, vers 1440, les figures peintes sur les voûtes qui étaient rehaussées de dorures, les statues, les vitraux, qui représentaient des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Il affirme que pendant la guerre de Cent Ans, le prince Jean aurait acheté les anciennes verrières au prix de douze mille écus d'or. =Cuisine.=--Une petite cour séparait le côté sud de la chapelle, de la cuisine T recoupée en deux pièces, dont les murs sont démolis presque à ras de terre. Les eaux de vaisselle, vidées sur un évier, se déversaient par un caniveau dans un grand puisard, dissimulé dans l'épaisseur de la chemise du donjon, et surmonté d'un réduit voûté en berceau brisé. VI DONJON =Chemise.=--Les défenses extérieures du donjon V, qui commandait à la fois la basse-cour et la cour du château, se composaient d'un fossé large de 6m,36 et d'une chemise annulaire qui s'interrompait en face de l'entrée de la tour. Cette chemise, aujourd'hui découronnée et éventrée par la mine en 1652, mesurait 20 mètres de hauteur, en partant du fond du fossé. Elle se reliait, au nord, à la courtine de la porte du château, et au midi à la tour sud-est par un gros mur dont le couloir intérieur communiquait avec celui de la chemise surmontée d'un chemin de ronde crénelé. On y montait rapidement, au XIIIe siècle, par une rampe courbe partant du sol de la cour en face de la porte du donjon: au-dessous, des arcs de décharge formaient des niches. L'escalier à vis, adossé au puisard des cuisines, fut appliqué contre la chemise au XIVe siècle. Plus loin, un escalier droit du XIIIe siècle, recouvert d'énormes dalles, descend dans un passage, ménagé à travers la chemise, au niveau des fondations. On pouvait donc passer du fossé intérieur au fossé extérieur, mais comme l'ennemi aurait pu prendre le même chemin, une herse manœuvrée dans une petite chambre permettait de barrer ce couloir vers le sud. Cette poterne correspondait par un pont volant avec celle que j'ai déjà signalée au pied de la tour sud-est. Vers 1386, on eut l'idée d'établir au pied de la chemise, dans le fossé extérieur, une galerie de contre-mine, voûtée en quart de cercle, et recouverte d'un talus. Cette date se déduit d'une dépense inscrite dans le registre de comptes de la châtellenie pour la captation de la source qui s'y trouve, et qui devait nécessairement être protégée en cas de siège. Viollet-le-Duc et d'autres archéologues ont eu tort de croire que la galerie pouvait remonter au XIIIe siècle. A l'entrée, ses doubleaux avec arêtes abattues et ses voussoirs en pierre jaune sont d'un tout autre grain que la roche à coquillages primitive. C'est donc un simple collage contre le vieux mur. =Procédé de construction.=--Le donjon, du XIIIe siècle, est bâti sur un plan circulaire, comme ceux de Rouen, de Lillebone, ou comme les tours d'angle des châteaux de Gisors et de Falaise, œuvres des ingénieurs militaires de Philippe Auguste, qui ont pu servir de prototype à l'architecte. Sa hauteur, prise du fond du fossé, atteint 54 mètres; son diamètre mesure exactement 31m,25; et l'épaisseur du mur, au rez-de-chaussée, est de 7m,46: c'est donc la plus grosse tour du monde. [Illustration: Photo Neurdein. DONJON ET TOUR NORD-EST] Viollet-le-Duc a deviné le premier à l'aide de quel ingénieux procédé sa construction fut menée à bonne fin. Des trous de boulin disposés en spirale, de la base au sommet, correspondaient à deux poutrelles reliées par des contrefiches qui soutenaient un chemin en encorbellement, dont la pente était assez douce à cause du diamètre énorme du donjon. La largeur de cette rampe en hélice pouvait atteindre cinq mètres, ce qui permettait aux ouvriers de monter les pierres à l'aide de petits chariots. Un rayon de bois, tournant horizontalement autour d'un axe, suffisait à régler la courbe du parement. Suivant un principe appliqué dès le XIIe siècle, le mur du donjon était cerclé par des longrines de bois noyées dans la maçonnerie, à trois hauteurs différentes: une enrayure, dont les trous sont visibles, venait s'assembler dans ce chaînage au niveau du second étage. =Salle basse.=--On entrait au rez-de-chaussée par un pont à bascule qui franchissait le fossé de la chemise et qui s'abattait sur deux corbeaux, encore intacts. La porte en tiers-point est flanquée de deux colonnettes: on a remplacé ses chapiteaux, le linteau et la plus grande partie du tympan, qui représente la lutte d'un chevalier contre un lion. La croupe, la queue et une patte de l'animal sont seules anciennes. Dès le XIIe siècle, on a reproduit la même scène sur un grand nombre de chapiteaux romans, comme à Laffaux et à Saconin, près de Soissons. Dom Toussaint Duplessis y voit bien à tort un souvenir de la lutte d'Enguerrand III contre les Albigeois, mais ce n'est qu'un symbole de la bravoure chevaleresque[25]. Au XVIe siècle, Androuet du Cerceau et L'Alouète ont voulu expliquer ce bas-relief par une légende qui se rattache à Enguerrand Ier et à la fondation de l'abbaye de Prémontré en 1119, grâce à un jeu de mots ridicule répété par tous les auteurs modernes. [Illustration: Photo Neurdein. TYMPAN DE LA PORTE DU DONJON] [25] Notre savant confrère, M. Mâle, est d'avis que ce combat n'a aucun rapport avec la lutte de Samson et du lion ou avec l'iconographie religieuse. Le sujet a pu en être fourni aux sculpteurs romans par des motifs orientaux. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. SALLE BASSE DU DONJON Statuette sous la retombée des voûtes.] Huit figurines se détachent sur la voussure, mais comme les attributs des trois statuettes primitives sont cassés, il est difficile de les identifier avec telle ou telle vertu. L'archivolte, garnie de crochets, retombe sur deux consoles ornées d'une chimère et de deux aigles becquetant des masques. Le couloir de la porte était défendu par un assommoir rectangulaire et par une herse que l'on manœuvrait dans une petite chambre qui communique avec l'escalier. Dans le passage voûté en berceau débouchent des latrines recouvertes de dalles et éclairées par une archère. On pénètre dans la salle du rez-de-chaussée en passant sous un linteau qui repose sur deux corbeaux: à droite, un lion mutilé est flanqué d'un masque; à gauche, une chouette se dresse à côté de deux oiseaux affrontés. [Illustration: Viollet-le-Duc del. COUPE DU DONJON] Le donjon ne renferme pas de rotonde souterraine, comme les autres tours; son soubassement, qui forme talus, est plein afin d'opposer plus de résistance à la sape. Ses trois salles, dont la largeur est de 16m,33 et la hauteur moyenne de 13 mètres étaient recouvertes de douze branches d'ogives qui rayonnaient autour d'une clef centrale; mais l'ingénieur Métézeau et son fils firent sauter les trois voûtes, en 1652, à l'aide d'une mine dont on a retrouvé les traces à deux mètres de profondeur et qui fit trois lézardes dans les murs de la tour. Au rez-de-chaussée, dont le plan est un dodécagone, les amorces du boudin en amande et des deux tores des nervures prennent naissance sur des sommiers ornés d'un personnage mutilé, assis les jambes croisées, qui correspond à une courte colonnette surmontée d'un chapiteau à crochets et d'un tailloir à bec. De chaque côté de la figurine, un culot garni de feuillages servait de point d'appui à une colonnette des douze arcatures supérieures, qui jouaient le rôle de formerets. [Illustration: SALLE BASSE DU DONJON Sommier d'une ogive.] Les niches en tiers-point du premier rang, dépourvues de moulures, s'ouvrent entre de robustes piédroits. Larges de 3m,10 et profondes de 1m,70, elles servaient pour loger des provisions: leur mur de fond est plein. Au sud, une large cheminée restaurée chauffait la salle; à l'ouest, une niche abrite le puits qui fut creusé avant les fondations du donjon. Son diamètre est de 2m,14 et le rouet se trouve à 64m,50 de profondeur, comme on l'a constaté en 1819, en vidant les déblais qui le remplissaient entièrement[26]. Ce travail a fait découvrir des boulets de pierre et de fer, deux têtes de statues dorées, et le petit canon en cuivre du musée. A dix mètres au-dessous du sol, on voit l'orifice d'un souterrain qui devait communiquer avec les caves de la salle des Preux. [26] Aujourd'hui le puits ne mesure plus que 30 mètres de profondeur. La salle basse était décorée d'un second rang de niches plus hautes, souligné par un bandeau de crochets. Leur archivolte en tiers-point, dont le tore est bien dégagé, retombait sur deux colonnettes et sur des chapiteaux à crochets. Trois fenêtres de la même forme, surmontées d'énormes linteaux de fond, s'ouvrent dans les murs: elles sont carrées à l'extérieur: leurs glacis en escalier, où l'on accédait par une échelle, permettaient de les utiliser pour la défense. La niche qui correspond à la cheminée est recoupée par deux arcatures secondaires, pour masquer le passage du conduit. Sous quelques voussures, on voit des rinceaux rouges et des faux-joints, de la même couleur, qui se détachaient sur un fond ocre, car les salles du donjon étaient peintes très sobrement. =Etages supérieurs.=--On monte aux deux étages et à la plate-forme supérieure par un bel escalier à vis, dont la cage a 3m,05 de diamètre. Les marches, au nombre de 215, mesurent 0m,20 de hauteur, et sont posées sur des chanfreins qui se détachent en saillie sur le parement et sur le noyau. Les onze fenêtres percées dans la cage jouaient le même rôle que des archères. L'architecte avait pris la sage précaution de planter l'escalier du côté de la cour pour éviter le danger d'une brèche faite par les machines de guerre au point où le mur présentait un point faible. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. INTÉRIEUR DU DONJON] La salle du premier étage était également voûtée par douze ogives à trois tores qui viennent rejoindre les chapiteaux à crochets de colonnettes en délit. La clef centrale était percée d'un large trou pour le passage des projectiles dans un panier monté par un treuil. On remarquera l'absence de formerets sous les lunettes. Chacun des douze pans coupés conserve une niche en tiers-point, beaucoup plus haute que celles du rez-de-chaussée; ses claveaux sont nus comme les pilastres qui les soutiennent. Trois fenêtres s'ouvrent autour de la salle; près du passage de la cheminée une petite porte devait aboutir à un pont volant jeté sur le fossé, au niveau du chemin de ronde de la chemise. A l'est, des latrines correspondaient à celles du rez-de-chaussée: au nord, il faut signaler, sous l'une des arcades, un four à pain voûté en berceau brisé qui s'ouvre sous un arc surbaissé, repris en moellons neufs. A côté, on voit la porte qui donne dans la cage de l'escalier. [Illustration: A Ventre del. PLAN DU SECOND ÉTAGE DU DONJON] Si la voûte d'ogives du second étage diffère de celle du premier par le profil de ses douze nervures aux arêtes abattues, le plan dodécagone de la salle supérieure offre également une variante. En effet, un couloir circulaire, à 4m,55 au-dessus du dallage, permettait d'en faire le tour. La première idée de ce chemin de ronde intérieur se trouve appliquée dans les donjons de Chambois (Orne) et de Châteaudun; mais à Coucy, le couloir traverse de grandes arcades en tiers-point qui s'ouvrent sur la salle haute. Cette tribune a 3m,45 de profondeur: on avait augmenté sa largeur au moyen d'un plancher de bois qui s'avançait jusqu'au dosseret des colonnettes, car la trace des trous des barres du parapet est encore visible. Il était donc facile de loger des approvisionnements dans les niches comme aux étages inférieurs. Le mode de voûtement de cette tribune mérite d'attirer l'attention. Au milieu de chaque voussure, un arc en tiers-point nu, qui pénètre dans les piles rectangulaires marque le changement de direction de la voûte. Il en résulte que l'arc brisé qui traverse le passage au droit de chaque support s'évase du côté extérieur de la tour et repose de l'autre côté sur un pilastre à trois pans coupés dont le sommier forme console aux deux angles[27]. [27] Viollet-le-Duc. _Dictionnaire d'architecture_, t. IV. p. 269. [Illustration: A. Ventre del. FLEURON D'UN PINACLE DU DONJON] Cette disposition, destinée à donner le maximum de résistance à un mur circulaire qui renferme une galerie, est unique en son genre. La salle était éclairée par deux fenêtres en tiers-point divisées par un meneau: comme elles se trouvaient au niveau de la tribune, l'architecte avait établi deux bancs de pierre dans chaque baie. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. DERNIER ÉTAGE DU DONJON] Au XIIIe siècle, la plate-forme supérieure, recouverte de dalles de pierre, n'était pas surmontée d'une toiture conique comme les grosses tours. Les deux rangs de larges feuilles à crochets de la corniche intérieure et de la corniche extérieure, bordés d'un tore, étaient couronnés d'un glacis à double pente où quatre pinacles venaient s'engager, comme l'indique un dessin d'Androuet du Cerceau. On en a retrouvé les débris dans le fossé avec deux grosses gargouilles qui servaient à l'écoulement des eaux. L'escalier à vis se continue jusqu'au sommet du mur, large de quatre mètres, mais on a muré la cage pour éviter les accidents. Le mur circulaire est percé de vingt-quatre baies en tiers-point à claveaux nus: une archère s'ouvre dans chaque trumeau, de façon à pouvoir abriter les défenseurs dans le cas où les hourds auraient fait défaut. Frappé de la difficulté que devait présenter la pose rapide de ces galeries de bois en encorbellement, qui jouaient un rôle capital dans la défense du donjon, l'architecte avait disposé quarante-huit corbeaux de pierre, profilés en quatre quarts de rond, pour supporter les hourds à deux étages. Des pièces de bois formant un angle obtus s'appliquaient sur les deux glacis pour former le toit à double pente des hourds intérieurs et extérieurs, sinon les défenseurs n'auraient pas été à l'abri des intempéries. Elles venaient s'assembler dans des poteaux inclinés, reliés par des moises et un plancher intermédiaire. Un charmant dessin de Viollet-le-Duc aide à saisir comment cette opération s'exécutait. La vue très étendue dont on jouit au sommet du donjon fait bien comprendre l'assiette du château. Au nord, l'église de Coucy-la-Ville avec son clocher central roman et la flèche de son clocher-porche du XVIe siècle, attire les regards. A l'est, la route de Laon traverse le plateau en laissant à gauche la tour de Moyenbrie. La vallée de la Lette, où viennent aboutir les routes de Soissons et de Noyon, forme un fossé naturel du côté sud. A l'ouest, le château, vu de la route de Chauny, se présente sous son aspect le plus romantique, au soleil couchant, avec l'énorme masse circulaire du donjon, qui domine les courtines et les quatre tours d'angle, encadrées par les arbres. C'est de là que l'œuvre audacieuse et forte d'Enguerrand III, remaniée par Enguerrand VII, évoque tout un passé de grandeur et de décadence. [Illustration: A. Ventre del. GARGOUILLE DU DONJON] BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE ANDROUET DU CERCEAU (Jacques).--_Les plus excellens bastiments de France_, nouvelle édition. Paris. Lévy, 1872, t. I. ASTI (Antoine d').--Extrait des _Lettres héroïques_ dans Lépinois, _Histoire de Coucy_, p. 355. 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MELLEVILLE.--_Histoire de la ville et des sires de Coucy-le-Château._ Laon, 1848, in-8º. MELLEVILLE.--_Le château de Coucy, notice historique et archéologique_, 2e édition. Laon, 1854, in-8º. MOREAU (Jules).--_Notice sur les sires de Coucy_, 2e édition. Chauny, Moreau, 1871, in-8º. MOREAU (Jules).--_Notice historique sur le château fort de Coucy_, 2e édition. Chauny, 1889, in-8º. PERIN (C.).--_Recherches bibliographiques sur le département de l'Aisne_, 1866-1883, t. I, p. 91-97; t. II, p. 73-78 et t. III, p. 127-131. ROMAIN (E.).--_Une excursion à Coucy-le-Château._ Laon, 1882, in-16. TARDIF (Joseph).--_Enguerrand IV de Coucy._ En préparation. ULAUSS (Jérôme).--_Notice sur les sires de Coucy, accompagnée d'une description du château de cette ville._ Coucy, Guérin, 1862, in-12. VERNIER (l'abbé).--_Coucy, ses sires, ses légendes et ses ruines._ Paris, Dumoulin, 1874, in-12. VIOLLET-LE-DUC (E.).--_Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle._ Paris, Morel, 1867, 10 vol. in-8º, t. I, p. 35, 152, 371, 383; t. II, p. 270, 399, 440; t. III, p. 108, 201; t. IV, p. 253, 256, 263, 264, 313; t. V, p. 75, 104, 209, 550; t. VI, p. 132, 164, 377, 392, 397; t. VII, p. 84, 114, 118, 149, 178, 322, 324, 374; t. VIII, p. 84, 90, 401, 441, et t. IX, p. 81. VIOLLET-LE-DUC (E.).--_Description du château de Coucy._ Paris, Eggimann, in-8º. [Illustration: Photo Lefèvre-Pontalis. DONJON ET TOUR NORD-EST] TABLE DES GRAVURES[28] Plan de la ville Au titre Plan du château Au titre Le château en 1576 vu de l'ouest 9 Le château vu du sud-ouest 11 Porte de Laon 33 Coupe de la porte de Laon 35 Porte de la basse-cour 41 Tours de la basse-cour 45 Marques de tâcherons du XIIIe siècle 52 Le château en 1576 vu de l'est 55 Chapiteau de la tour nord-est 58 Courtine et tour nord-est 59 Sculptures du XIVe siècle 61 Ancien perron du château 62 Coupe de la tour sud-ouest 65 Intérieur de la tour sud-ouest 66 Tour sud-est 67 Vue prise sous la salle des Preuses 71 Ruines de la salle des Preuses 73 Marques de tâcherons du XIVe siècle 74 Ruines de la salle des Preux 77 Clef de voûte de la chapelle 79 Donjon et tour nord-est 83 Tympan de la porte du donjon 85 Statuette sous la retombée des voûtes 86 Coupe du donjon 87 Sommier d'une ogive 89 Intérieur du donjon 91 Plan du second étage 93 Fleuron d'un pinacle 94 Dernier étage du donjon 95 Gargouille du donjon 97 Donjon et tour nord-est 101 Porte de Laon 104 [28] Nous remercions vivement M. Eggimann de nous avoir autorisé à reproduire aux pages 35 et 87 des figures extraites du _Dictionnaire d'architecture_ de Viollet-le-Duc et M. Emile Lévy de nous avoir permis d'exécuter nos reproductions des pages 9, 55 et 62 d'après sa belle réimpression de _Les plus excellents bastiments de France_ de Jacques Androuet du Cerceau. TABLE DES MATIÈRES =Avant-propos= 7 =Introduction historique: Les Sires de Coucy= 9 =I.--Enceinte de Coucy= 33 Porte de Laon 34 Eglise 38 =II.--Basse-cour du château= 40 Porte d'entrée 42 Tours de la basse-cour 43 Chapelle romane 47 =III.--Description du château= 48 Date de la construction 48 Plan et appareil 51 Souterrains 53 Porte d'entrée 54 =IV.--Tours d'angle= 57 Tour nord-est 57 Musée lapidaire 60 Tour nord-ouest 62 Tour sud-ouest 64 Tour sud-est 66 =V.--Corps de logis= 69 Côté nord 69 Côté ouest 70 Salle des Preuses 72 Côté sud 75 Salle des Preux 76 Chapelle 78 Cuisine 80 =VI.--Donjon= 81 Chemise 81 Procédé de construction 82 Salle basse 84 Etages supérieurs 90 =Bibliographie sommaire= 98 =Table des gravures= 101 [Illustration: Photo Neurdein. PORTE DE LAON] ÉVREUX, IMPRIMERIE CH. HÉRISSEY ET FILS End of Project Gutenberg's Le château de Coucy, by Eugène Lefèvre-Pontalis *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CHÂTEAU DE COUCY *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. 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