Title: Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 2/8)
Author: J. B. de Saint-Victor
Release date: August 26, 2017 [eBook #55430]
Language: French
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Dédié au Roi
Par J. B. de Saint-Victor.
Seconde Édition,
REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
TOME PREMIER.—DEUXIÈME PARTIE.
Miratur molem..... Magalia quondam.
Æneid., lib. 1.
PARIS,
À LA LIBRAIRIE CLASSIQUE ÉLÉMENTAIRE,
CHEZ LESAGE, RUE DU PAON, No 8.
M DCCC XXII.
TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS.
IMPRIMERIE DE COSSON, RUE GARENCIÈRE, No 5.
Ce quartier est borné, à l'orient, par les rues Planche-Mibrai, des Arcis et de Saint-Martin exclusivement; au septentrion, par la rue aux Ours aussi exclusivement; à l'occident, par la rue Saint-Denis, depuis le coin de la rue aux Ours jusqu'à celle de Gesvres, y compris le marché de la Porte-de-Paris et le Grand-Châtelet inclusivement; et au midi, par la rue et le quai de Gesvres aussi inclusivement.
On y comptoit en 1789 trente-deux rues et six culs-de-sac; il contenoit une église collégiale, quatre paroisses, un hôpital et un couvent de filles.
Rien ne peut être clairement expliqué dans l'histoire des premiers siècles de notre monarchie, lorsqu'on l'écrit avec les préjugés, les traditions et les habitudes de la monarchie, telle que Henri IV, Richelieu et Louis XIV l'avoient faite. Cependant cette histoire n'a point encore été autrement écrite; et il n'est pas facile de détruire les erreurs que les historiens même les plus graves ont répandues sur un aussi grave sujet.
Par exemple, il n'est point d'opinion plus généralement (p. 472) répandue, et qui paroisse au grand nombre plus incontestable, que celle qui fait considérer Hugues-Capet comme l'usurpateur d'un trône que l'on soutient avoir légitimement appartenu au dernier descendant de la race des Carlovingiens. Cependant nous n'avons pas craint d'émettre une opinion toute contraire; et nous croyons l'avoir appuyée de raisons et d'autorités qui peuvent rendre maintenant cette question au moins indécise. Comme la situation des rois de France, à l'époque où Paris devint la capitale du royaume, n'est point étrangère à l'histoire de cette ville, il convient de la faire bien connoître, et d'ajouter à ce que nous avons dit sur le vrai caractère qu'avoit dans ces temps anciens, la royauté en France, quelques nouveaux développements.
Nous avons démontré que la royauté étoit héréditaire par rapport à la famille, élective par rapport aux individus[1]; que le trône pouvoit être partagé entre plusieurs ou donné à un seul, selon le caprice de la nation[2], c'est-à-dire de tous ceux qui avoient la noblesse et la liberté, soit qu'ils fussent vassaux, soit qu'ils fussent libres propriétaires, la mort du seigneur déliant le vassal de toute espèce d'engagement envers son héritier[3]; (p. 473) on a vu quelles précautions imaginèrent et ne cessèrent d'employer nos rois pour assurer à leurs enfants un héritage aussi fragile, aussi incertain que ce pouvoir suprême qu'ils possédoient eux-mêmes d'une manière si précaire, et combien ces précautions étoient elles-mêmes fragiles et incertaines[4]. C'est que les Francs avoient apporté de la Germanie dans les Gaules leurs coutumes barbares, leurs habitudes altières, et toutes leurs vieilles traditions: ils les conservèrent long-temps, parce qu'ils dédaignèrent long-temps de sortir de leur ignorance; et en effet ce sont presque toujours les peuples savants qui détruisent: ce sont les peuples ignorants qui conservent, et c'est avec eux et par eux qu'on rétablit.
Qu'on ouvre Ammien Marcellin[5]; qu'on le suive au milieu de ces forêts de la Germanie et de ces sociétés qui s'y étoient formées: on y trouvera, avec moins de puissance et d'éclat, une image frappante et naïve de ce que fut depuis la monarchie des Francs. Là il y avoit aussi des rois (p. 474) et des princes, et au-dessous d'eux des grands qui se mettoient volontairement sous leurs dépendances, et leur promettoient assistance et fidélité sous certaines conditions[6], d'où résultoient des devoirs réciproques entre le chef et ces sujets puissants dont l'alliance faisoit sa plus grande force et établissoit sa prééminence. On voit que ces grands étoient eux-mêmes chefs de petites peuplades qu'ils gouvernoient avec une autorité égale à celle de leur roi, mais non pas avec la même indépendance, puisqu'ils étoient en même temps tenus d'obéir aux commandements de celui-ci et de se rallier à ses propres sujets, au premier signal qu'il lui convenoit de donner[7]. Au milieu de cette hiérarchie de chefs et de sujets, se montre (et l'on ne sauroit trop le remarquer) une classe d'hommes libres qui portent leur hommage à qui il leur plaît de le donner, et dont les priviléges sont tels, qu'ils peuvent même s'engager au service d'un prince étranger et dans une guerre contre (p. 475) leur patrie, sans perdre leurs biens et sans être passibles d'aucune peine. Ces hommes libres rappeloient les anciens camarades des princes germains, tels qu'ils étoient lorsque Tacite nous en a donné l'histoire, et à une époque où ces princes ne possédoient encore aucun domaine certain, et où les peuples qu'ils commandoient étoient encore moins avancés dans la civilisation.
Il est hors de doute qu'au temps d'Ammien Marcellin, les choses avoient déjà éprouvé parmi eux une amélioration très-notable: les établissements étoient devenus plus fixes; le droit de propriété étoit mieux affermi. Nous apprenons par lui que dès lors les rois possédoient un territoire plus ou moins vaste, dont les limites étoient déterminées, et qu'ils avoient des esclaves employés à faire valoir leurs domaines. Cette époque qui les rendit propriétaires, et qui établit en même temps un grand nombre de propriétés particulières, fut aussi celle d'un très-grand changement dans le caractère de leur domination: ce ne fut plus sur la personne même des sujets, et sur le serment qu'ils leur avoient juré, que cette domination fut fondée, mais sur la terre même qui dépendoit de leur petit royaume; soit qu'ils eussent consenti à la diviser et à la céder à ceux qu'ils vouloient s'attacher, soit que des traités de paix eussent forcé d'autres princes, autrefois leurs égaux et propriétaires comme eux d'un territoire, à le réunir à leurs états et à n'en plus jouir (p. 476) que sous les conditions d'alliés et de sujets. Or il est facile de concevoir que les conditions de l'engagement que les grands prenoient avec eux devoient être fort différentes, selon qu'ils avoient accepté ou refusé de semblables libéralités, qu'ils avoient été forcés ou non de souscrire de semblables traités. Ceux qui n'étoient point assujettis par ces dons ou par ces traités, même en servant un roi, étoient véritablement ses égaux; à sa mort, ils étoient libres de tout engagement, et leur propre volonté pouvoit seule les donner à ses successeurs. Quant aux fidèles qui jouissoient d'une terre dont la possession étoit inséparable de la dépendance du possesseur, ils ne pouvoient recouvrer leur liberté qu'en rendant au prince ce qu'ils en avoient reçu. Ainsi lorsqu'un roi laissoit plusieurs enfants, il se formoit nécessairement plusieurs royaumes du partage de sa succession; car chaque portion du territoire royal ainsi partagé donnoit pour sujets à chacun de ses héritiers les propriétaires qui en dépendoient; et réciproquement plusieurs royaumes n'en formoient plus qu'un seul, lorsque la famille royale étoit réduite à un seul héritier.
Ces coutumes furent donc transportées dans les Gaules; et dans les distributions qui furent faites aux vainqueurs des biens de vaincus, l'hommage et la foi demeurèrent de même attachés à la terre. Toutefois on ne peut douter, et nous l'avons déjà (p. 477) remarqué, que, parmi les fidèles qui accompagnèrent le conquérant, plusieurs refusèrent les grâces qu'il put leur offrir, pour conserver leur indépendance, tandis que d'autres se soumirent aux conditions du vasselage, pour obtenir de plus grandes possessions. La condition des premiers, presque entièrement affranchis de toute subordination envers les rois, et qui ne connoissoient d'autres lois que les lois émanées de l'assemblée générale de la nation, ne tarda pas à en devenir un objet d'envie pour les grands vassaux qui avoient perdu en liberté ce qu'ils avoient acquis en puissance; et tous leurs efforts tendirent continuellement à dénaturer leurs fiefs et à leur donner ce caractère de propriétés libres. Presque tous y réussirent jusqu'à un certain point: c'est-à-dire qu'étant parvenus à rendre leurs fiefs héréditaires, ils leur communiquèrent ainsi la nature de biens propres. De son côté, et malgré ce droit d'hérédité qu'ils avoient usurpé, le seigneur suzerain ne prétendoit point abandonner ses propres droits ni l'hommage que lui devoit la terre: de là des dissensions continuelles et souvent des guerres sanglantes entre les rois et leurs vassaux révoltés.
Il faut considérer maintenant que les rois francs, en s'emparant du gouvernement des Gaules, y conservèrent toutes les formes de l'administration romaine, à peu près telles qu'ils les avoient trouvées, et en partagèrent tous les emplois entre ces (p. 478) mêmes fidèles à qui ils avoient partagé la terre. Ils instituèrent de même des ducs et des préfets qui gouvernoient les provinces, des comtes qui commandoient les cités; et changeant seulement les noms de quelques-uns de ces officiers civils et militaires dont se composoit l'ancien gouvernement, ils en confirmèrent toutes les attributions.
Que l'on juge maintenant ce qui pouvoit résulter d'un semblable ordre de choses, le vassal étant délié de son serment, dès que son seigneur venoit à mourir; le royaume entier se trouvant ainsi comme en dépôt entre les mains des principaux vassaux; et chacun d'eux pouvant choisir, dans la famille royale, le prince auquel il lui plaisoit de se recommander, et le pouvant légitimement, puisque nul de ces princes n'étoit exclu du trône, et que l'unité du pouvoir n'étoit point une condition essentielle de la royauté. Chacun d'eux mettant alors son obéissance, pour ainsi dire, à l'enchère, donnoit sa foi à celui qui lui faisoit les meilleures conditions, et s'armoit aussitôt pour le soutien de ses droits contre ses rivaux et ses compétiteurs. Et c'étoit bien inutilement qu'un roi avoit désigné tel ou tel de ses fils pour son successeur: si le consentement de la nation n'avoit ratifié cette désignation, elle étoit nulle. La recommandation des vassaux, tel étoit le véritable (p. 479) titre qui donnoit et confirmoit la royauté[8]; et jamais prince ne se croyoit assuré de régner, tant que les vassaux ne s'étoient pas recommandés à lui.
Par la recommandation, et nous l'avons déjà dit[9], le vassal devenoit l'homme de son suzerain, et se dévouoit à lui[10]; mais la nature de (p. 480) cet hommage n'ayant point changé de ce qu'il avoit été, même avant la conquête, ce dévouement du sujet n'étoit acquis au prince que sous certaines conditions. Le vassal faisoit sans doute un serment; mais de son côté le roi en faisoit un autre: si le vassal juroit fidélité, le roi promettoit justice[11]. L'engagement étoit donc réciproque; il produisoit une confiance mutuelle, dit un ancien capitulaire, lequel assuroit la sûreté commune[12]. Pour des hommes aussi fiers, aussi violents, aussi portés à l'indépendance, on conçoit combien devoit être fragile un engagement dont chacun d'eux se faisoit juge, et qu'il pouvoit rompre sans scrupule, dès qu'il avoit décidé que, de la part de son seigneur, les conditions n'en avoient pas été remplies[13]. De là encore des révoltes et (p. 481) des défections continuelles, dont le prétexte étoit le déni de justice[14]; et ainsi s'explique la déposition des souverains, lorsqu'il s'élevoit (p. 482) contre eux un cri général de la nation qui les avoit élus, et qui les accusoit de n'avoir pas tenu leurs serments[15]. La multiplicité des héritiers du (p. 483) trône fournissoit continuellement des protecteurs à la révolte, et même lui ôtoit le caractère odieux qu'elle auroit maintenant parmi nous: car enfin, et le plus souvent, elle ne présentoit en apparence que l'acte légitime d'un vassal qui, se croyant délié de son serment envers un suzerain auquel il reprochoit de n'avoir pas tenu le sien, en choisissoit un autre selon le droit qu'il en avoit; n'ayant en effet d'autre devoir à remplir que de se faire vassal d'un prince de la famille royale, et cette famille étant en quelque sorte la seule puissance souveraine qu'il ne lui fût pas permis de rejeter.
Il n'y avoit donc qu'un prince guerrier et d'un grand caractère dont la main vigoureuse pût rassembler et contenir tant de parties incohérentes d'un grand État si mal constitué, leur imprimer un mouvement uniforme, diriger ce mouvement vers ce qui étoit utile et bon. Un tel prince entraînoit aussitôt à sa suite la multitude des hommes libres, enthousiaste par dessus tout de la gloire militaire; les grands vassaux, trop foibles alors, étoient obligés de se soumettre; ceux qui se révoltoient, étoient comprimés et punis. Mais aussitôt qu'un partage venoit de nouveau diviser et affoiblir le pouvoir politique, ou que le sceptre tomboit aux mains (p. 484) d'un prince indolent ou timide, les oppositions, les révoltes, les usurpations renaissoient de toutes parts; et l'état sembloit de nouveau prêt à se dissoudre en une foule de petites souverainetés.
Considérons un moment comment tomba la première race. La France, dont l'administration, et nous venons de le dire, avoit été calquée sur les formes de l'administration romaine, étoit alors divisée en grands gouvernements ou duchés; et d'abord, d'après le même principe, l'autorité de ces ducs avoit été limitée et temporaire. Bientôt on les vit, à la faveur des troubles et des guerres intestines que les premiers partages de la monarchie firent naître dans l'État, se perpétuer dans leurs gouvernements, former entre eux des ligues pour se garantir mutuellement la possession de leurs charges et de leurs dignités, aider les maires du palais dans leurs projets ambitieux contre l'autorité, ceux-ci les aidant à leur tour à se consolider dans leurs usurpations. Ainsi s'étoient formés, pour ce qui regarde seulement la France[16], les duchés d'Aquitaine, d'Austrasie, de Neustrie, de Champagne, de Provence, etc.; et chacun des grands vassaux qui s'étoient emparés de ces provinces, les gouvernoit en maître absolu.
(p. 485) Mais, indépendamment de ces grands vassaux, il ne faut point oublier qu'il existoit un grand nombre d'autres seigneurs moins puissants, et surtout une foule presque innombrable de ces hommes libres propriétaires ou non propriétaires, qui, dans ces temps d'anarchie et de désordre, recevant des premiers de l'État l'exemple de la révolte et de la désobéissance au suprême pouvoir, étoient prêts à trafiquer de leur foi et à la livrer à celui de ces grands vassaux qui pouvoit y mettre le plus haut prix. Pépin étoit alors, parmi ces seigneurs du premier rang, le plus puissant et le plus riche; et sa qualité de maire du palais lui donnoit mille moyens d'exercer sur le royaume entier une influence que les autres ducs ne pouvoient avoir. Ce fut avec lui, ou plutôt sous ses ordres, que les vassaux de la seconde classe se confédérèrent; ce fut à lui que se réunirent ces hommes libres plus nombreux encore, qui n'avoient d'autre fortune que leur épée, et dont le nombre et la valeur faisoient la force des armées. Ces puissants auxiliaires suivirent après lui son fils Charles Martel; et ce fut avec leur secours qu'il sut à la fois vaincre l'ennemi extérieur[17] qui menaçoit l'existence même de la société; et combattant les uns après les autres tous ces vassaux orgueilleux, qui, comme autant d'ennemis intérieurs, la détruisoient (p. 486) en la divisant sans cesse, les contraindre à rentrer dans l'alliance commune; c'est-à-dire que, lorsqu'il les avoit vaincus, il les forçoit à renouveler cette alliance, et s'assuroit de leur foi en leur faisant donner des otages. Toutefois, alors même qu'il les replaçoit sous la dépendance de la couronne, il ne leur enlevoit ni les principautés qu'ils s'étoient faites, ni le droit héréditaire qu'ils y avoient usurpé. Ce droit qu'il consentoit ainsi à leur laisser, confirmoit le droit qu'il s'étoit fait à lui-même, comme duc d'Austrasie, ou plutôt celui que l'usurpation de son père lui avoit transmis. Ainsi la suzeraineté finit par être entièrement détachée de la royauté; et les attributions de celle-ci se trouvèrent réduites au gouvernement des cités et à l'administration d'un domaine qui alors étoit immense, attributions dont le duc d'Austrasie devenoit encore le dépositaire en sa qualité de maire du palais. La Providence, dont les grands desseins sur la France devoient être accomplis, voulut que la race du premier Pépin présentât, dans trois générations successives, trois hommes extraordinaires qui d'abord, sous une suite de rois enfants ou fainéants, soutinrent la monarchie toujours prête à se dissoudre; qui, ralliant autour d'eux la multitude (et par multitude, il faut toujours entendre les hommes libres et armés ou minores[18], qui composoient (p. 487) la noblesse du second ordre), surent habilement s'opposer à cette haute noblesse qui prétendoit marcher l'égale des rois[19]; puis saisissant ensuite la couronne qui alloit échapper aux fils de Clovis, et commençant eux-mêmes une nouvelle dynastie, sauver ainsi d'une ruine certaine le premier royaume de la chrétienté. Qui pouvoit les appeler usurpateurs? Étoient-ce ces grands qui eux-mêmes ne cherchoient qu'à secouer le joug de l'autorité royale, et dont il n'étoit pas un seul qui n'eût voulu, comme eux, s'emparer de la première place et renverser les foibles princes qu'ils avoient détrônés, ou plutôt, qui d'eux-mêmes étoient tombés du trône? Étoit-ce cette noblesse moins élevée et non moins guerrière que, depuis tant d'années, ces premiers Carlovingiens conduisoient aux combats et à la victoire, qui ne jugeoit digne d'être roi que celui qui étoit brave et victorieux, qui cherchoit vainement, dans la race dégénérée des Mérovingiens, un prince qui pût être utile à la nation[20]? Point de doute qu'avec les préjugés dont elle étoit imbue et les traditions qu'elle avoit apportées de son antique patrie, cette multitude armée n'eût d'elle-même abandonné les descendants de son premier roi, au (p. 488) moment où ils commencèrent à se montrer indignes de la commander, et quand bien même personne ne se fût présenté pour les remplacer. Alors c'en étoit fait de ce beau royaume de France; et, au milieu de cette tyrannie des grands et de cette anarchie des petits, il est difficile de prévoir ce qui seroit arrivé.
Les mêmes causes durent produire de semblables effets: et en effet celui qui lit l'histoire de la chute des Carlovingiens, croit relire l'histoire de ces successeurs de Clovis et des événements qui les firent descendre du trône. Ce fut en vain que Charlemagne, justement effrayé des périls que les grands vassaux avoient fait courir à la monarchie, abolit ces duchés ou grands gouvernements qui avoient fait toute leur force, et divisa en comtés tous ses vastes états[21], rétablissant partout l'autorité temporaire des officiers civils et militaires auxquels il confioit le gouvernement des provinces: le système administratif étoit bon sans doute; mais il y avoit dans le système politique un vice radical qui ne fut point changé; et sans doute il étoit alors impossible de le détruire, puisque ce puissant génie ne tenta pas même de le faire, et qu'il laissa à son fils le poids immense (p. 489) de sa couronne et le premier empire du monde, sous la condition qu'il seroit lui-même un prince guerrier et un génie supérieur, s'il vouloit conserver un semblable héritage. Le contraire arriva: et tout retomba dans la première confusion, et la nouvelle race se précipita plus rapidement encore vers son déclin. C'est un triste spectacle que celui de la succession de ces princes non moins foibles et plus dégradés encore que ceux dont la dégradation leur avoit ouvert le chemin à ce trône toujours envié et toujours chancelant. Ils avoient d'autant plus besoin de vertus que leur race étoit beaucoup moins illustre et par conséquent moins respectée que celle des Mérovingiens; et il est certain que la haute noblesse, au moment même de la mort de Charlemagne, avoit formé le projet d'exclure sa postérité du trône, et que ce fut la noblesse du second ordre qui l'y maintint[22], pleine encore qu'elle étoit du souvenir d'un si grand monarque, et espérant le voir revivre dans sa postérité. Louis-le-Débonnaire trompa ses espérances; ses successeurs ne les réalisèrent pas davantage, et l'on revit bientôt tout ce que l'on avoit vu jusqu'alors sous tant de princes inutiles à la nation: un royaume démembré, des rois élus, dépossédés, réélus, des vassaux révoltés, soutenus dans leur révolte, et s'armant contre leur ancien (p. 490) seigneur au profit d'un nouveau suzerain; les fiefs rendus une seconde fois héréditaires, et à la faveur des dangers plus grands dont l'État étoit menacé[23], le domaine royal envahi de toutes parts[24]; les biens de l'église pillés avec plus d'audace et d'impunité; et toutes ces usurpations devenues plus difficiles à détruire, parce que la plupart des hommes libres s'étant faits propriétaires au milieu de ce pillage général, se firent en même temps vassaux de vassaux plus puissants qu'eux, afin d'être soutenus et protégés par ces usurpateurs dans les propriétés qu'eux-mêmes avoient usurpées. Sous cette race, la nation usa avec plus d'étendue et d'autorité que jamais du droit qu'elle avoit d'élire ou de rejeter ses rois: la trop grande jeunesse de Charles-le-Simple le rendant incapable de régner, elle n'avoit pas balancé à se choisir un chef[25] dans une autre famille, avant d'avoir prononcé l'entière exclusion des Carlovingiens; et lorsque Hugues Capet fut appelé par elle à régner sur la France, les princes auxquels elle l'avoit substitué avoient été jugés au (p. 491) moins inutiles; et le seul qui osât disputer le trône au chef de la troisième race, s'étant fait le vassal d'un prince étranger[26], s'étoit rendu, par cet acte déshonorant, étranger lui-même à la nation qui le repoussoit, qui avoit ainsi acquis le droit de le traiter en ennemi.
Le nouveau monarque ne possédoit d'autre domaine que le comté de Paris ou duché de France, dont son bisaïeul Robert-le-Fort avoit obtenu le gouvernement sous le règne de Charles-le-Chauve. Il ne le possédoit point à d'autres titres que tous ces autres vassaux qui l'avoient reconnu pour roi ne possédoient leurs propriétés; et par son avénement au trône, l'hérédité des fiefs et toutes ces prérogatives usurpées sur la couronne qui faisoient de tant de seigneurs autant de petits souverains indépendants, furent consacrées et durent l'être, comme loi fondamentale de l'État.
Hugues Capet n'eut donc pas même la pensée de les troubler dans la possession de ces principautés qu'ils s'étoient créées; et son ambition fut satisfaite d'être, au milieu de tous, comme leur chef militaire, à l'égard des plus grands d'entre eux comme le premier entre ses égaux; et ses premiers successeurs ne possédèrent point la couronne à d'autres conditions. Nous examinerons (p. 492) plus tard comment de cet état de foiblesse extrême les rois de la troisième race parvinrent à cette étendue et à cette longue durée de puissance, à laquelle rien ne peut se comparer parmi toutes les races royales qui occupent et ont occupé les autres trônes de la chrétienté; et différant d'opinion avec le plus grand nombre des écrivains qui ont cherché à approfondir ce point intéressant de nos antiquités historiques, nous essayerons de prouver que ce fut moins le résultat d'une politique profonde et d'un plan conçu dès l'origine, et de règne en règne suivi avec persévérance, qu'un concours de circonstances heureuses, parmi lesquelles il faut compter la position singulière et même l'état de foiblesse extrême auquel ils se trouvoient réduits.
Nous passerons rapidement sur tous ces premiers temps de la troisième race, pendant lesquels l'histoire de Paris devient presque étrangère à celle de la France, temps de paix et d'une prospérité toujours croissante pour cette ville, si long-temps accablée de tant de fléaux et réduite à un état si précaire et si misérable. On n'y craignoit plus le retour de ces terribles Normands qui, pendant près de deux siècles, n'avoient cessé de porter la flamme et le ravage dans ses murs et dans ses faubourgs presque aussitôt détruits que commencés. Devenue la capitale de la France et le séjour habituel de ses rois, elle devint aussi le principal objet de leurs (p. 493) complaisances; et dès ces premiers temps, on les voit occupés d'abord à réparer les désastres que la guerre y avoit causés, ensuite, et presque aussitôt, à l'accroître et à l'embellir.
(987) Sous le règne de Hugues-Capet, l'histoire de Paris est encore très-stérile en événements: on ne voit pas que ce prince y ait fait aucune fondation, ni relevé aucun des monuments que les incendies et la guerre avoient détruits. Il régna peu de temps et fut distrait par d'autres soins: ce trône alors si peu digne d'envie lui étoit trop disputé pour qu'il lui fût possible de s'occuper de semblables travaux, qui auroient demandé les loisirs de la paix et une sorte d'opulence qu'il étoit bien loin d'avoir[27].
(996) Sous son fils Robert, prince dont le zèle étoit grand pour la religion, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, dévastées par les Normands, commencèrent à sortir de leurs ruines. Le palais de la Cité, qui étoit alors la demeure des rois, reçut des réparations et des augmentations considérables; et dans l'enceinte de ce palais, Robert fit élever la chapelle royale, dite alors chapelle de Saint-Nicolas.
(p. 494) (1031) Henri Ier fait reconstruire l'abbaye Saint-Martin-des-Champs, alors située hors de Paris, et qui avoit été aussi détruite par les Normands. On pense que la petite église Sainte-Marine fut aussi bâtie sous le règne de ce prince.
(1060) Sous celui de Philippe Ier, on ne voit se former d'autre établissement à Paris que celui du monastère de Notre-Dame-des-Champs ou des-Vignes, par l'effet d'une donation qui en fut faite aux religieux de Marmoutiers.
(1108) En cette année commence le règne de Louis VI, dit le Gros, le premier des rois de cette troisième race qui ait essayé, et avec quelque bonheur, d'étendre les prérogatives de la couronne, de réprimer la révolte et l'insolence des vassaux grands et petits, qui alors ne connoissoient plus de frein. À partir de cette époque les fondations commencent à se multiplier, et les lettres à être cultivées. L'école épiscopale étoit située dans le cloître Notre-Dame; et les rois eux-mêmes ne dédaignoient pas d'y envoyer leurs enfants pour y apprendre la grammaire et tout ce qu'il étoit possible de recevoir alors d'instruction sur les diverses branches des connoissances humaines. En ce même temps florissoit le fameux Abailard, dont le maître, Guillaume de Champeaux, fonda l'abbaye de Saint-Victor; quelque temps après un (p. 495) monastère de filles fut institué à Montmartre, par les soins de la reine Adelaïde[28]; et le roi, par suite d'une transaction faite avec l'évêque, forma le premier établissement des halles sur un terrain qui appartenoit à ce prélat. Il accorda en même temps aux bourgeois de Paris des priviléges qui commencèrent à leur donner une grande importance. Alors s'élevèrent, dans la Cité, les églises de Saint-Pierre-aux-Bœufs, Sainte-Geneviève-des-Ardents, Sainte-Croix, Saint-Denis-du-Pas, la chapelle Saint-Agnan; au septentrion: Saint-Jacques-de-la-Boucherie, l'église des Saints-Innocents, la chapelle Saint-Bon, Saint-Nicolas-des-Champs; au midi, la petite église de Saint-Martin; et ces monuments religieux, si rapidement construits, attestèrent la multiplication également rapide et toujours croissante de la population de Paris. Des fortifications plus régulières remplacèrent en même temps, sous les noms de grand et petit Châtelet, les remparts trop foibles qui jusqu'alors avoient défendu l'entrée de la Cité; et les guerres continuelles que Louis-le-Gros eut à soutenir contre des seigneurs dont les propriétés s'étendoient presque jusqu'aux portes de sa ville capitale, lui firent une triste nécessité de la mettre ainsi à l'abri de leurs entreprises audacieuses.
(p. 496) Alors sans doute fut réparée et peut-être agrandie la première enceinte de Paris qui existât encore hors de la Cité; et en effet c'est dans l'histoire du ministère de l'abbé Suger, qui gouverna le royaume sous ce prince et sous son fils Louis-le-Jeune, que l'on trouve les premiers renseignements positifs sur cette enceinte qui environnoit alors la ville au nord; car la partie du midi étoit encore en bourgs et en cultures. Il est toutefois probable qu'elle avoit été élevée long-temps auparavant; et sans doute on avoit commencé à la bâtir, dès qu'on s'étoit vu entièrement délivré des Normands.
(1137) Sous Louis-le-Jeune elle ne fut point augmentée: à cette époque commencèrent les croisades, le plus grand événement du moyen âge, l'un des plus remarquables de l'histoire, et celui qui contribua le plus à affermir en France les bases encore chancelantes de la monarchie et de la société. Le roi partit pour la Palestine; et pendant son absence, l'administration vigoureuse du célèbre abbé de Saint-Denis[29] maintint la (p. 497) tranquillité dans le royaume, dissipa les factions, encouragea l'industrie. Louis, à son retour, vit avec plaisir ses places fortifiées, ses maisons réparées, et sa ville capitale florissante. Alors et depuis long-temps les bourgeois de Paris faisoient, principalement par eau, un commerce considérable, et formoient une hanse ou compagnie, sous l'inspection de leurs officiers municipaux. Le roi, qui vouloit continuer l'ouvrage commencé par son ministre, confirma tous les anciens priviléges dont ils jouissoient, en ajouta de nouveaux, et abolit des coutumes vexatoires auxquelles ils étoient soumis depuis de longues années. Il prolongea aussi le terme de la foire Saint-Lazare, établie par son père, depuis acquise par Philippe-Auguste des religieux de cette maison, et transportée aux halles de Champeaux.
Sous ce règne, on vit un exemple d'une de ces fondations faites par des particuliers, et inspirées par un zèle ardent et religieux, fondations qui, dans la suite, se multiplièrent si prodigieusement, et remplirent Paris d'établissements aussi utiles que charitables. Garin Masson et son fils Harcher consacrèrent une maison dont ils étoient propriétaires à l'établissement des pauvres passants; et ce (p. 498) fut l'origine de l'hôpital Saint-Gervais. À la même époque, et quelque temps avant la mort du roi, Maurice de Sully, évêque de Paris, commençoit à jeter les fondements de la magnifique cathédrale, qu'il continua de bâtir sous Philippe-Auguste; Saint-Lazare, le Temple, Saint-Médard, Saint-Jean-de-Latran, sont les principaux établissements religieux que l'on voit s'élever, à cette même époque, dans les murs et hors des murs de Paris.
(1180) Il n'est presque point d'éloges que ne mérite Philippe-Auguste: c'est un des rois de France qui ont fait le plus de conquêtes; il réprima les violences des grands, commença à faire respecter l'autorité royale, et ranima l'étude des lettres encore languissante sous le règne de ses prédécesseurs. On peut aussi le regarder en quelque sorte comme le second fondateur de Paris, dont il augmenta tellement l'étendue, que ce n'est que de cette époque qu'elle commence à être comptée parmi les grandes villes de l'Europe[30]. Les nouveaux (p. 499) murs[31] dont il l'entoura, renfermoient, du côté du nord, tous les bourgs environnants; et dans ceux qu'il fit élever au midi, il fit entrer une grande quantité de cultures[32], de vignes, de terrains (p. 500) vagues, sur lesquels on ne construisit des habitations que lentement et par une assez longue succession de temps. Le quartier de la ville fut plus promptement peuplé: la maison royale que ce prince y fit agrandir et réparer[33], le marché des halles qu'il y établit, attirèrent de ce côté et le peuple et les grands. Dans l'enceinte méridionale, plus tranquille et plus solitaire, s'établirent les gens de lettres et les écoles qu'ils dirigeoient. Il y avoit déjà quelque temps qu'elles avoient quitté le parvis Notre-Dame, où elles étoient renfermées, pour former plusieurs colonies à Saint-Victor, à Sainte-Geneviève. La réunion de ces écoles dispersées forma dès lors quatre facultés, où l'on enseignoit, outre les arts libéraux, la théologie, le droit et la médecine. Nous aurons occasion par la suite de faire connoître avec plus de détail cet établissement fameux, et son crédit prodigieux, dont il lui arriva plus d'une fois d'abuser. On ne verra pas sans quelque étonnement que l'Université fut pendant long-temps une espèce de puissance dans l'État, ayant à ses ordres une armée redoutable dans cette foule d'étudiants qui y accouroient de tous les coins de l'Europe, et, au moyen de cette jeunesse turbulente, se (p. 501) mêlant aux factions, et remplissant Paris de troubles auxquels l'autorité légitime fut souvent forcée de céder.
Cependant cette capitale devenant peu à peu le centre des affaires de la monarchie, on voit sa population prendre de jour en jour un nouvel accroissement, et en même temps se multiplier les établissements publics, tant civils que religieux, nécessaires à ce grand nombre d'habitants. À peine les nouvelles murailles sont-elles construites, que de nouveaux monuments s'élèvent hors de ses murs: Saint-Thomas et Saint-Nicolas-du-Louvre, l'église Saint-Honoré, l'abbaye Saint-Antoine-des-Champs, l'hôpital de la Trinité. Dans l'enceinte, plusieurs chapelles deviennent des paroisses sous les noms de Saint-Jean-en-Grève, Saint-Nicolas-des-Champs, Saint-Eustache, Saint-Étienne-du-Mont, etc. Les religieux trinitaires, plus connus sous le nom de Mathurins, s'établissent à Paris; et quelques années après les Jacobins y obtiennent une maison. L'abbé de Saint-Germain, de son côté, encourageoit à bâtir autour de son abbaye, et donnoit gratuitement du terrain à ceux qui vouloient y élever des habitations; en même temps plusieurs particuliers faisoient construire des maisons aux environs de Saint-Marcel et dans le terroir de Mouffetard, lequel étoit alors planté de vignes: il en résulta deux nouveaux bourgs hors des murs, auxquels (p. 502) on donna même quelquefois le nom de villes Saint-Germain et Saint-Marcel lèz-Paris.
L'érection des nouveaux murs de Paris fit naître, entre l'évêque et l'abbé de Saint-Germain, une de ces contestations, si fréquentes alors au milieu de tant de droits, de priviléges, d'intérêts divers qui étoient nés de la confusion des âges précédents. Dans cette occasion, l'évêque prétendoit avoir le droit de juridiction sur tout le terrain qui venoit d'être renfermé dans l'enceinte. Le curé de Saint-Séverin élevoit de semblables prétentions au sujet d'une portion de territoire dépendante de la paroisse Saint-Sulpice, et également renfermée dans la ville. L'affaire fut d'abord jugée assez importante pour être portée à la décision du pape; ensuite les parties intéressées nommèrent des arbitres[34], qui accordèrent à l'abbaye Saint-Germain un espace assez considérable dans la ville, lequel fut déclaré exempt à perpétuité de tout droit paroissial et épiscopal de l'église de Paris. Les (p. 503) mêmes arbitres mirent des bornes à la paroisse Saint-Séverin, et permirent encore à l'abbé de Saint-Germain d'établir une ou deux cures dans l'espace qui lui étoit réservé en dedans des murs[35]. Peu de temps après, le roi, appelé par l'évêque devant les juges séculiers, pour réparation des droits de l'église, que ce prélat prétendoit avoir été violés par les accroissements faits au nord de la ville, fit avec lui le traité ou transaction connue sous le nom de charta pacis, dans laquelle il reconnoît ces droits, mais où il établit en même temps un partage de juridiction qui porta le premier coup à l'autorité temporelle du clergé[36].
Ce prince fit, pendant le cours de son règne, plusieurs réglements en faveur de l'université, et surtout des écoliers, qu'il ménageoit beaucoup, parce qu'il désiroit les retenir à Paris; et l'on peut dire que lui et ses successeurs, par ce désir de voir fleurir les lettres au sein de cette capitale, supportèrent trop patiemment leurs désordres et leurs insolences. Il rendit aussi plusieurs arrêts concernant les juifs[37]: ces malheureux, déjà (p. 504) chassés plusieurs fois de Paris, et cherchant toujours à y rentrer, malgré les vexations inouïes auxquelles ils étoient exposés, avoient été expulsés de nouveau par ce monarque, lors de son avénement au trône. On l'avoit tellement irrité contre eux par le récit vrai ou faux qu'on lui avoit fait des usures et des profanations auxquelles ils se livroient, qu'en les faisant sortir de son royaume, il confisqua tous leurs biens immeubles, et déchargea tous ses sujets des obligations qu'ils avoient contractées envers eux[38]. Ils habitoient à cette époque, dans la Cité, la rue qui a reçu d'eux le nom de Juiverie, et quelques rues adjacentes; et, dès le commencement de la monarchie, on trouve qu'ils étoient déjà établis dans ce quartier. Mais ils en avoient été chassés, et n'y (p. 505) étoient revenus que depuis peu; car, sous Louis-le-Gros et Louis-le-Jeune, on les voit relégués hors des portes de la ville, dans le lieu nommé Champeaux. De petites maisons, hautes et mal construites, y avoient été bâties exprès pour eux, et composoient un certain nombre de rues étroites, tortueuses et obscures, qui étoient fermées de portes de tous les côtés[39]. Philippe ne tarda pas à les rappeler, comme l'avoient fait ses prédécesseurs; et le besoin qu'il avoit d'argent pour soutenir la guerre contre les Flamands et les Anglais, fut une occasion favorable pour ce rétablissement, qu'ils sollicitoient, offrant pour l'obtenir des sommes considérables. Non-seulement ils rentrèrent dans Paris, mais encore leur condition y fut plus heureuse, par cette facilité qu'on leur donna de s'y établir où bon leur sembleroit, pourvu que ce ne fût pas dans le milieu de la ville[40].
(p. 506) Ce fut Philippe-Auguste qui institua les sergents d'armes, qu'on peut regarder comme la première garde de nos rois de la troisième race. Il créa cette troupe, sur l'avis qu'il avoit reçu qu'à la sollicitation du roi Richard, le vieux de la Montagne avoit envoyé deux de ses sujets en France pour l'assassiner. Ce bruit n'étoit pas fondé; mais le roi y ajouta foi, à cause de la prévention qu'il avoit contre Richard. Ces sergents d'armes étoient des gentilshommes armés de massues d'airain, d'arcs et de carquois garnis de flèches. Ils ne devoient pas quitter le prince, ni laisser approcher de sa personne aucun inconnu. Dans la suite on les employa à porter les ordres du souverain, lorsqu'il citoit quelqu'un à sa cour. Leur office étoit à vie, et ils n'avoient d'autre juge que le roi ou le connétable[41].
Sous le règne de ce même prince, fut encore créée la troupe des Ribauds, espèce de soldats déterminés que l'on mettoit à la tête des assauts, et dont on se servoit dans toutes les actions de hardiesse et de vigueur. Le libertinage outré auquel ils s'abandonnoient, a rendu dans la suite leur nom (p. 507) infâme en France[42]. Les Ribauds avoient un chef qui portoit le titre de roi, suivant l'usage établi alors de donner cette auguste qualité à tous ceux qui avoient quelque espèce de commandement. Ce prétendu monarque connoissoit de tous les jeux de dés, de hasard et autres qui se jouoient pendant les voyages de la cour[43]. Le nom de cet officier fut supprimé sous le règne de Charles VII; mais l'office demeura, et ses fonctions furent transportées au grand-prévôt de l'hôtel, charge qui a subsisté jusque dans les derniers temps.
La police de Paris étoit alors dans un grand désordre: nos ancêtres avoient imité cet usage qu'ils avoient trouvé établi par les Romains, de ne confier le maintien de l'ordre dans les villes qu'à un seul magistrat[44]; et les ordonnances de nos premiers rois sont remplies de dispositions qui font connoître que les comtes ou premiers magistrats des principales villes étoient seuls chargés de ces importantes fonctions; aussi voit-on le prévôt de Paris, qui étoit entré dans tous les droits des (p. 508) anciens comtes, chargé d'abord de la police entière de cette capitale; et jusqu'au règne de Philippe-Auguste, la ville étant encore renfermée dans ses anciennes bornes, et tout son terrain appartenant au domaine du roi, la justice n'avoit point cessé d'y être rendue en son nom.
Mais depuis la nouvelle enceinte, plusieurs portions de territoire ayant été enclavées dans la ville, les seigneurs qui y avoient droit de justice réclamèrent aussitôt le maintien de leurs priviléges[45], et l'on ne put alors les en priver. Il en résulta une foule de juridictions particulières, qui ôtèrent à cette partie de l'administration publique toute sa force en détruisant son unité. Aussi les auteurs contemporains nous font-ils une peinture effrayante de l'état où étoit alors Paris: ils nous le représentent comme une ville remplie et de confusion et de crimes, et si peu sûre, que les citoyens (p. 509) honnêtes étoient obligés de déserter d'un lieu où leur vie étoit à chaque instant menacée.
Nous verrons bientôt l'ordre s'y rétablir sous saint Louis, et l'édifice antique qui se présente d'abord à nous en entrant dans le quartier de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, devenir le siége d'un des tribunaux les plus respectables de la monarchie.
On rencontroit cet ancien édifice en sortant de la Cité par le Pont-au-Change. Nous avons rejeté l'opinion qui en attribue la construction à Jules-César, parce qu'elle est destituée de toutes preuves, et même de toute vraisemblance, les Romains ne se servant point, à cette époque, de fortifications de ce genre pour défendre la tête de leurs ponts. Corrozet a pensé que Julien l'Apostat pourroit bien en être le fondateur, ou que ce château fut du moins bâti par quelques-uns des princes qui lui succédèrent. Le nom de chambre de César, (p. 510) que portoit, de temps immémorial, une des salles de ce monument, et l'inscription Titulum Cæsaris, gravée sous une arcade, et qui subsistoit encore à la fin du seizième siècle, sembloient rendre ce dernier sentiment assez probable; mais de telles preuves n'ont point paru suffisantes à des critiques plus savants et plus judicieux que Corrozet, et que ne pouvoient satisfaire, en fait d'antiquités, de simples opinions et de vagues conjectures. Ainsi donc, rejetant l'explication donnée par cet ancien historien de Paris, «On n'a peut-être eu en vue, dit Jaillot qui cependant n'ose rien affirmer, en nommant ainsi cette chambre, et en gravant ces mots sur la porte d'un bureau, que d'indiquer le droit du prince à qui le tribut étoit dû, et le lieu où il se percevoit, suivant le précepte de l'évangile: Rendez à César ce qui appartient à César. Ce tribut des Parisiens pouvoit et devoit être perçu à l'entrée de la ville et de la Cité, sur les marchandises qui arrivoient par eau en cet endroit, d'où quelques auteurs l'ont appelé, quoique mal à propos, l'apport de Paris. Le parloir aux bourgeois, c'est-à-dire la juridiction de la ville, y étoit situé; et ces deux circonstances suffisent pour autoriser la dénomination de chambre de César, et l'inscription titulum Cæsaris.»
Jaillot a fort approché de la vérité: ce qu'il a dit est même parfaitement vrai; mais cet habile (p. 511) critique ne paroît point avoir bien connu l'origine de la juridiction du Châtelet, et ne présente rien de satisfaisant sur ce point très-curieux de nos antiquités. Nous allons essayer d'y répandre quelques lumières; et ce sera pour nous une occasion de jeter un coup d'œil rapide sur l'administration de la justice en France sous les deux premières races et dès le commencement de la monarchie.
Alors elle étoit bien différente de ce qu'elle fut depuis sous les premiers Capétiens; et les rois, si bornés dans un grand nombre de leurs attributions, conservoient du moins cette prérogative, la plus noble de leur couronne, d'être à la tête de toutes les justices de leur royaume. Dans ce que nous allons en dire, on verra que si les lois étoient imparfaites[46], la hiérarchie des tribunaux et des juridictions étoit bonne; et que tout barbares qu'ils étoient, nos aïeux l'entendoient bien mieux que nous, puisqu'il a suffi à ceux qui sont venus après eux d'améliorer ce qu'ils avoient établi pour atteindre la perfection, tandis que de ce point si élevé où nous avions été conduits, il nous a plu de redescendre vers la barbarie en ressuscitant parmi nous une institution[47] que la grossièreté (p. 512) et la simplicité de ces premiers temps pouvoient seule justifier, dont il semble même qu'on ait alors reconnu les dangers et l'insuffisance[48], que la France, plus civilisée, avoit depuis justement repoussée et entièrement abandonnée.
Si nous considérons les juridictions inférieures, nous voyons qu'il en existoit trois bien distinctes: celle du propriétaire sur ses esclaves et sur les habitants de sa propriété; celle des propriétaires les uns à l'égard des autres; celle du comte et des autres officiers du roi sur les habitants du canton dont l'administration leur avoit été confiée.
La juridiction du propriétaire sur ses esclaves étoit fondée en ce que lui-même étoit obligé de répondre pour eux aux justices supérieures[49]; (p. 513) c'étoit par la même raison qu'il étoit le juge de son vassal non propriétaire: car celui-ci, ne possédant aucun bien, se trouvoit de même que l'esclave hors d'état d'être contraint, et ne pouvoit, suivant la nature de son délit, être racheté, sans que son suzerain en souffrît. L'obligation de satisfaire pour ces deux sortes d'individus, entraînoit donc nécessairement avec elle, et à leur égard, un droit de juridiction aussi étendu que cette obligation pouvoit l'être. Il n'en étoit pas ainsi du vassal propriétaire: il avoit sa garantie en lui-même; et rentrant par conséquent dans le droit commun, il ressortissoit aux tribunaux supérieurs.
C'est-à-dire que le vassal-propriétaire pouvoit faire appel de la justice particulière de son seigneur, au seigneur haut-justicier d'où celui-ci ressortissoit, ou au juge royal, suivant les cas. Il est facile de reconnoître dans ces trois degrés de juridiction, les basse, moyenne et haute justices dont les noms et quelques-unes des attributions se sont conservées jusqu'à nos jours. Toutes les lois qui régloient la compétence du bas-justicier supposoient qu'il n'avoit point dans son domaine de vassaux qui lui fissent hommage, mais seulement (p. 514) des manants obligés de lui rendre aveu. Le droit de moyenne justice donnoit à entendre que le seigneur avoit sur son fief et à ses ordres des assesseurs pour juger et des témoins pour instruire; enfin les hauts-justiciers étoient les possesseurs de grands fiefs, dont les uns, et c'étoient les plus considérables, relevoient nuement des duchés ou de la couronne, dont les autres ne relevoient que des comtés. Ceux-ci ressortissoient aux bailliages royaux; les premiers directement et sans moyen à la cour. Au reste, quel que fût le tribunal auquel on appelât des sentences de ces hauts-justiciers, ils n'en avoient pas moins le droit d'informer, ainsi que les comtes eux-mêmes, de toute espèce de délits et de crimes, les cas royaux exceptés; les procédures de cette dernière espèce étant soustraites, à moins de concession extraordinaire, à toute juridiction autre que la cour du roi.
Quant à la juridiction des comtes, qui étoient des officiers préposés par le souverain au gouvernement des cités, elle ne fut point aussi étendue sous la première race que sous la seconde: alors ils n'avoient aucune juridiction sur les propriétaires; ils n'étoient point chargés de faire observer les bans royaux[50], et d'en punir les infractions; enfin leur compétence semble avoir été de la même (p. 515) nature que celle des hauts-justiciers: c'est-à-dire qu'ils ne furent juges qu'à l'égard des gens qui composoient leur garnison, comme les grands propriétaires l'étoient à l'égard de leurs vassaux, et avec appel aux juridictions supérieures. Il en fut autrement lorsque le démembrement des duchés les eut rapprochés du roi[51]: leur tribunal releva alors immédiatement de sa cour; il leur fut donné de connoître par appel de toutes les causes municipales, dont l'appellation, suivant les lois romaines, s'étoit faite jusque-là par-devant les ducs et les comtes militaires; et ils reçurent le droit de publier et de maintenir les bans royaux.
Il est très-important de remarquer ici que tous les tribunaux où comparoissoient les propriétaires étoient toujours composés de leurs voisins, et que le président seul en déterminoit la compétence[52]. C'étoit là ce droit de n'être jugé que par ses pairs dont les Francs étoient si jaloux. Ainsi donc, indépendamment de ce que les propriétaires ou cantonniers formoient, quand il leur plaisoit de le faire, un tribunal où ils se jugeoient les uns les autres (et c'est là cette juridiction des propriétaires entre eux dont nous venons de parler), le plaid du comte, du vicomte, du centenier[53], et (p. 516) même le plaid du Commissaire du roi n'étoit autre chose que l'assise des voisins avec des attributions plus relevées et plus étendues.
Ces commissaires du roi formoient dans chaque province le tribunal supérieur où étoient évoquées toutes les affaires qui passoient la compétence des autres tribunaux; c'étoit là que l'on jugeoit les vassaux de la couronne, et qu'étoient obligés de se rendre les comtes, les évêques, les abbés, les présidents des autres tribunaux, en un mot tout ce qui étoit compris sous la dénomination générale de rector populi (juge ou gouverneur du peuple), pour y être jugés en première instance, les comtes sur toutes sortes d'affaires, les autres seulement dans les affaires criminelles. On y terminoit toutes les procédures que les comtes avoient négligé d'achever soit par incapacité, soit par mauvaise volonté; car les commissaires recevoient les plaintes en déni de justice, de même que la cour du palais; et en effet ces magistrats (p. 517) n'étoient autre chose que des conseillers du roi, délégués par lui pour rendre la justice en son nom, et tels qu'ils furent délégués depuis pour former dans les provinces les diverses cours de justice, dites parlements.
Enfin au-dessus de tout étoit la cour du roi, véritable cour suprême des appellations, à laquelle il étoit permis à tout le monde d'appeler, et plus particulièrement aux vassaux immédiats de la couronne pour qui, ainsi que nous venons de le dire, le jugement des commissaires n'étoit qu'un jugement de première instance. Telle étoit du moins dans ses branches principales l'administration de la justice sous les rois des deux premières races[54].
(p. 518) Toutefois, et pour rentrer dans notre sujet, il nous importe de faire remarquer que toute cette hiérarchie judiciaire n'étoit établie que pour les fiefs et leurs dépendances; les cités se gouvernoient par d'autres lois, étoient soumises à une juridiction fort différente et à des tribunaux qui leur étoient exclusivement réservés. On voit que, dès le temps de la conquête, la piété des rois les avoit mises sous la protection des évêques qui souvent y exerçoient la première magistrature, ou déléguoient des officiers pour l'exercer en leur nom; que ces prélats étoient appelés les gardiens des villes, les défenseurs des veuves, des orphelins et des pauvres, les avocats des cités auprès des rois et de leurs officiers; que, dans la suite des temps, ils finirent par en devenir les seigneurs temporels, sous la protection immédiate du roi et en toute immunité[55]; et que les comtes, bien qu'ils portassent le nom de comtes des cités, n'exerçoient néanmoins aucun des droits de leur charge dans leur enceinte[56].
Dans beaucoup de ces cités, l'officier qui y présidoit avoit le titre de maire: on l'appeloit juge-mage dans quelques autres. Ce maire ou juge avoit la perception des impôts et étoit le président des (p. 519) échevins ou scabins municipaux[57]. Les bons bourgeois composoient le tribunal municipal dont la compétence s'étendoit sur toutes les causes qui intéressoient la cité[58]. Mais comme tout président d'un tribunal, quel qu'il pût être, lorsque son autorité n'émanoit point de la cour suprême du roi, ne pouvoit exercer que la haute justice, et n'avoit point le droit de connoître des cas royaux, il avoit été nécessaire d'établir dans chaque cité un juge royal auquel étoit réservée cette partie de la juridiction: ce juge étoit le prévôt du lieu.
L'office des prévôts (præpositi) tiroit son origine de l'administration romaine: c'étoient des officiers préposés à la garde des châteaux dans lesquels on avoit établi des greniers ou magasins publics[59]. Lorsque le château qu'ils gardoient étoit situé sur la frontière et servoit à la fois de magasin ou de place d'armes aux soldats qui en faisoient la garnison, ces officiers étoient prévôts militaires; et l'on appeloit prévôts municipaux (p. 520) ceux dont les magasins, destinés uniquement à serrer le produit des tributs, n'étoient fortifiés que pour la sûreté de ce que l'on y déposoit. On ne portoit pas seulement dans ces magasins le produit des taxes ordinaires, mais encore celui des amendes qui se payoient en denrées de toute espèce, et faisoient partie du revenu public. Comme il étoit défendu aux comtes et aux autres officiers royaux d'entrer dans ce qu'on appeloit alors les immunités, et que presque toutes les cités avoient obtenu le privilége de l'immunité, il fallut donc, ainsi que nous venons de le dire, qu'un officier municipal fût autorisé à prononcer sur les cas royaux; et l'on donna naturellement ce droit à celui qui étoit déjà en possession de recevoir les amendes résultantes de l'infraction de ces ordonnances. Telle est la source de la juridiction prévôtale. Le prévôt jugeoit toutes les causes du ban, dans la ville et dans la portion de territoire qui en dépendoit et dont l'entrée étoit interdite au comte de la province: de là l'origine en France du mot banlieue.
La ville de Paris avoit donc son prévôt, et sans doute de temps immémorial, de même que toutes les autres cités. Il tenoit sa juridiction dans le Grand-Châtelet, où étoient déposés les tributs que l'on payoit à la couronne; et ainsi se confirme et s'explique plus clairement encore le sens donné à l'inscription gravée sur les murs de ce vieux monument. (p. 521) Toutefois l'histoire de cette ville ne nous apprend rien touchant ce magistrat, avant le règne de Henri Ier, époque à laquelle le comté de Paris fut définitivement réuni au domaine de nos rois. On trouve qu'à cette époque Étienne occupoit la place de prévôt de Paris; et nous apprenons que sous Louis VII, ce magistrat exerçoit tranquillement son office, sans que les petites justices territoriales des seigneurs, établies aux environs de Paris, y apportassent aucun obstacle; et en effet ces seigneurs n'avoient rien à démêler avec la justice du roi, dont ils s'étoient fait entièrement indépendants. Mais aussitôt que des portions de leurs territoires eurent été renfermées dans l'enceinte de la ville, des contestations sur le droit de juridiction s'élevèrent entre le roi et ces vassaux indociles; et chacun prétendit avoir le droit d'établir son tribunal sur le coin de terre dont il étoit propriétaire. Ce fut une nécessité pour Philippe-Auguste qui le premier accrut ainsi Paris en empiétant sur les terres voisines, de souffrir au milieu de sa capitale l'établissement de toutes ces justices seigneuriales. Il s'y réserva seulement la haute police et la punition des crimes les plus atroces; et par ce sage tempérament, il établit la suprématie de son autorité, sans toucher à des droits, usurpés sans doute, mais que le temps avoit consacrés, et qu'il n'auroit pu violer qu'en compromettant la tranquillité publique, et peut-être même la sûreté (p. 522) de l'État. Fort de cette prérogative, saint Louis, qui vint après lui, donna une haute considération à l'office du prévôt et à la juridiction du Châtelet, en choisissant pour la remplir un homme plein de sagesse et d'énergie, qui rechercha les crimes avec vigilance, les punit avec sévérité, et parvint ainsi à rétablir en peu de temps la tranquillité et la sûreté dans la ville[60].
On trouve dans le grand coutumier de France une disposition bien précise et bien considérable en faveur du Grand-Châtelet de Paris: il y est dit que le prévôt de Paris, comme chef du Châtelet, représente la personne du roi au fait de la justice. En effet, plusieurs de nos rois, et notamment saint Louis, alloient y rendre la justice en personne[61]; et lorsque ce siége étoit vacant, c'étoit le seul du royaume qui fût sous la garde et (p. 523) protection immédiate du monarque, représenté par son procureur général au parlement; c'étoit le prévôt de Paris que le roi donnoit pour juge à ceux qu'il exemptoit, par quelque faveur singulière, d'être jugés par les tribunaux établis dans les provinces. Ce magistrat fut institué le conservateur des priviléges de l'Université, et c'est à l'effet de cette conservation qu'il prêtoit serment entre les mains du recteur de cette compagnie, coutume qui a duré jusqu'au commencement du dix-septième siècle; son tribunal étoit le seul où l'on pût attaquer les bourgeois de Paris en matière civile; enfin sa juridiction s'étendoit sur tout ce qui avoit rapport aux approvisionnements de cette ville.
De si nombreuses et si belles prérogatives firent de cette magistrature une des places les plus importantes du royaume; et lorsque saint Louis lui eut rendu sa première splendeur, en chassant les prévôts fermiers[62], il n'y eut point de seigneur, (p. 524) quelque grand qu'il fût, qui crût un tel poste au-dessous de lui[63]; il arriva même par la suite que cet officier fut chargé de toute la justice criminelle du royaume, parce que l'abus des magistrats fermiers subsistant encore dans les provinces, on ne trouva pas d'autre moyen pour arrêter le débordement de crimes que leur négligence laissoit partout impunis, que d'attirer le jugement de toutes les causes capitales à son tribunal.
Le gouvernement des armes et le commandement de la ville étoient encore attachés à l'office de prévôt de Paris, et il en jouit jusqu'à François Ier. Ce monarque ayant établi un gouverneur à Paris et dans l'île de France, il ne resta plus au prévôt, du commandement des armes, que la convocation de l'arrière-ban. Ce même prince en sépara la conservation des priviléges de l'Université, et créa à cet effet un second tribunal qui (p. 525) dura quatre ans[64], et fut réuni de nouveau à la prévôté, mais sous la condition qu'il y auroit deux lieutenants civils[65], l'un de la prévôté pour la juridiction ordinaire, et l'autre pour la conservation. Depuis, ces deux charges ont aussi été réunies[66].
Les prévôts de Paris, les baillis et sénéchaux jugèrent long-temps, et en dernier ressort, toutes les affaires qui se présentoient à leurs tribunaux, et qui étoient de leur compétence. Alors le parlement ne s'assembloit qu'une fois ou deux l'année, et ne tenoit que fort peu de jours; on n'y portoit que de grandes causes, concernant les duchés, les comtés, les crimes des pairs de France, les domaines de la couronne; et si l'on y examinoit quelquefois les jugements des baillis et sénéchaux, (p. 526) c'étoit plutôt par voie de plainte que par appel. La multiplicité des affaires ayant enfin obligé de fixer les séances ordinaires du parlement de Paris, et d'établir de semblables cours dans les provinces, l'usage des appellations s'introduisit insensiblement. Dès lors il ne resta aux baillis et sénéchaux que le droit de juger, à la charge de l'appel, jusqu'à vingt-cinq livres; et cette restriction engageoit souvent les parties à des fatigues et à des frais immenses pour des intérêts fort modiques. Ces motifs déterminèrent Henri II à créer des présidiaux dans les principales villes du royaume; et l'un des siéges de cette nouvelle juridiction fut établi au Châtelet en 1551[67]. Ce dernier état de choses dura, sans aucun changement considérable, jusqu'à Louis XIV: alors il fut fait dans ce tribunal des innovations importantes, qui se sont conservées jusque dans les derniers temps. Ce prince, ayant jugé à propos de supprimer le bailliage du palais, à l'exception de l'enclos, et la plupart des justices seigneuriales qui existoient dans Paris, réunit le tout au Châtelet, qu'il divisa en deux siéges, l'ancien et le nouveau Châtelet. En 1684 (p. 527) l'ancien fut réuni au nouveau, de manière que cette cour comprenoit plusieurs juridictions; savoir, la prévôté et la vicomté, le bailliage ou la conservation, et le présidial.
Parmi ses attributions particulières, elle en avoit quatre principales attachées à la prévôté de Paris, qui avoient leur effet dans toute l'étendue du royaume, à l'exclusion même des baillis et des sénéchaux; savoir, 1o le privilége du sceau du Châtelet, lequel étoit attributif de juridiction; 2o le droit de suite; 3o la conservation des priviléges de l'Université; 4o le droit d'arrêt que les bourgeois de Paris avoient sur leurs débiteurs forains.
Les chambres d'audience étoient le parc civil, le présidial, la chambre civile, la chambre de police, la chambre criminelle, la chambre du juge auditeur. L'audience des criées et celle de l'ordinaire se tenoient aussi dans le parc civil, la première deux fois par semaine, la seconde tous les jours plaidoyables. C'étoit dans celle-ci que se portoient les petites causes concernant les reconnoissances d'écritures privées, communication de pièces, exceptions, remises de procès, etc.
Les officiers du Châtelet étoient très-nombreux. À leur tête étoit le procureur-général du parlement, employé sans doute sur les états comme garde de la prévôté; venoient ensuite le prévôt de Paris, le lieutenant civil, le lieutenant de police, (p. 528) le lieutenant criminel, les deux lieutenants particuliers, cinquante-six conseillers, quatre avocats du roi, un procureur du roi et huit substituts, le juge auditeur, un payeur de gages, plus de soixante greffiers avec diverses attributions, cent treize notaires gardes-notes et gardes-scel, quarante-huit commissaires enquêteurs-examinateurs, deux cent trente-six procureurs, un nombre considérable d'huissiers, tant audienciers que commissaires-priseurs et huissiers à cheval; deux certificateurs des criées, un garde des décrets, un scelleur des sentences, un receveur des consignations, un des amendes, des médecins, chirurgiens et matrones assermentés, etc., etc., etc.
Il y faut ajouter les quatre compagnies du prévôt de l'île, du lieutenant criminel de robe-courte, du guet à cheval et du guet à pied.
De temps immémorial, le Châtelet assistoit aux cérémonies et assemblées publiques auxquelles avoient le droit d'assister les autres corporations. Il y avoit rang après les cours supérieures et avant toutes les autres compagnies.
Quant à ce qui regarde les bâtiments du Châtelet, on n'en trouve aucune tradition certaine avant le douzième siècle: il est probable néanmoins qu'ils avoient remplacé quelque édifice moins considérable, qui existoit à la même place sous les rois des deux premières dynasties. Depuis et à plusieurs époques, ils éprouvèrent des changements (p. 529) considérables: en 1460 ils tomboient en ruine, et Charles VII en fit transférer la juridiction au Louvre. Malgré les dons considérables que fit Charles VIII, en 1485, pour subvenir aux réparations qu'exigeoit cet édifice, elles ne furent achevées qu'en 1506, sous Louis XII, et ce n'est qu'alors que les officiers du Châtelet purent y reprendre leurs séances. Sauval ne se rappeloit pas ces circonstances, lorsqu'il a dit qu'en 1507 le Grand-Châtelet étant en péril, la juridiction, la geôle et les prisonniers furent transportés au Louvre. En 1657, de nouvelles réparations obligèrent encore d'en faire sortir ce tribunal, qui, cette fois, fut établi aux Grands-Augustins. En 1672 le roi déclara que son intention étoit de faire construire un nouveau Châtelet plus spacieux que l'ancien; et en 1684 on commença l'exécution de ce projet. On acheta trois maisons, on démolit l'église de Saint-Leufroi, les salles furent reconstruites, et le nombre en fut augmenté; enfin le Châtelet fut mis en l'état où nous avons pu le voir avant la révolution, ne conservant de ses anciennes constructions que quelques tours qui depuis la révolution ont été abattues[68].
(p. 530) Les prisons du Châtelet sont célèbres par les événements tragiques qui s'y sont passés, principalement du temps de la Ligue et de la faction des Armagnacs. À mesure que nous avancerons dans la description des lieux, nous ferons en même temps connoître la suite des événements; et ces époques fameuses de l'histoire de Paris ne tarderont pas à passer sous nos yeux.
Cette chapelle étoit autrefois située dans la rue qui portoit son nom, laquelle aboutissoit à la porte de Paris, et passoit sous le Grand-Châtelet.
Les ravages que commettoient les Normands dans la province à laquelle ils ont depuis donné leur nom, obligèrent, sur la fin du neuvième siècle, les religieux de l'abbaye de la Croix-Saint-Ouen, au diocèse d'Évreux, de se réfugier à Paris, avec les corps de leur patron, de saint Leufroi et de quelques autres saints. Nos historiens disent qu'ils furent reçus, avec leurs reliques, (p. 531) à Saint-Germain-des-Prés; qu'ils s'associèrent, eux et leurs biens, à cette abbaye, et que cette union fut confirmée par Charles-le-Simple en 918; mais qu'elle ne fut pas de longue durée, parce que les Normands ayant cessé de désoler leur pays, les religieux de Saint-Ouen se hâtèrent de s'en retourner chez eux. Ces mêmes historiens[69], au nombre desquels on compte les noms les plus illustres dans la science, entre autres le P. Mabillon, ajoutent qu'ils laissèrent, par reconnoissance, à Saint-Germain-des-Prés, le corps de saint Leufroi et celui de saint Thuriaf; et en effet on y conservoit encore ces dernières reliques avant l'époque des profanations révolutionnaires. L'abbé Lebeuf, adoptant cette opinion, cherche à expliquer par là l'origine de la chapelle de Saint-Leufroi, dont aucun de ces savants hommes n'a parlé: «Quelque grand seigneur, dit-il, ou prince, ou riche bourgeois, ayant dévotion à saint Leufroi, et en ayant obtenu des reliques, bâtit cette église. Le voisinage du Grand-Châtelet porteroit à croire qu'elle auroit été construite par quelque comte ou vicomte de Paris[70].»
Jaillot combat ces conjectures d'une manière (p. 532) très-victorieuse, mais surtout par une raison qui semble sans réplique: c'est que la châsse qui renfermoit les reliques de saint Leufroi ne fut ouverte qu'en 1222[71]; qu'à cette époque la chapelle dédiée sous son nom existoit depuis plus d'un siècle; qu'on n'y possédoit alors aucune de ses reliques, et que ce n'est qu'en 1592 que les habitants voisins de cette chapelle en demandèrent à l'abbaye de Saint-Germain, qui leur accorda une partie d'une des côtes du saint[72].
Dans l'obscurité profonde qui règne sur la fondation de cet édifice, cet habile critique hasarde une conjecture qui paroît plus vraisemblable: nous la rapporterons en entier, parce qu'elle est pleine de recherches curieuses, qui peuvent servir à l'histoire des mœurs de ces temps reculés.
«Je pense, dit-il, que les religieux de la Croix-Saint-Ouen, se réfugiant à Paris, durent s'adresser ou au roi, ou au comte, ou aux officiers municipaux, pour avoir un asile; et ceux-ci purent leur donner l'ancien Parloir-aux-Bourgeois[73], et la chapelle qui en dépendoit, où ils déposèrent leurs reliques. Dom Mabillon, qui varie sur cette époque, qu'il place en 898 dans (p. 533) un endroit et en 918 dans un autre, qui parle de l'union de ces religieux à ceux de Saint-Germain dix ans après leur arrivée, quoiqu'il eût avancé que dès lors ils avoient été reçus à l'abbaye, ne paroît cependant point éloigné de cette idée[74]. Il est probable que la continuité des ravages causés par les Normands, et le peu d'intervalle qu'il y eut entre les hostilités qu'ils commirent, obligèrent les religieux de la Croix-Saint-Ouen à profiter des ressources que leur offroient ceux de Saint-Germain. Ils étoient privés de secours; leurs biens étoient devenus la proie des barbares, auxquels on en avoit cédé une partie par les traités: dans ces extrémités ils avoient trouvé dans la charité de leurs confrères de quoi fournir à tous leurs besoins; et ce fut pour en procurer à ceux-ci une espèce d'indemnité, que Robert[75], frère du roi Eudes, qui jouissoit de l'abbaye Saint-Germain, pria Charles-le-Simple d'y unir celle de la Croix-Saint-Ouen. Je crois pouvoir appuyer mon opinion sur la charte même d'union et sur les faits qui l'ont suivie: elle est datée de Compiègne, le 2 des ides de mars (le 14), indiction 6, l'an 26 du règne de Charles, le 21 de (p. 534) sa réintégrande[76]. Ces époques concourent avec l'an 918.
»1o Il n'est point parlé dans cette charte d'une union précédente, dont on accorde la confirmation, mais d'une union actuelle. On y lit: Robertus..... suggessit concedere abbatiam quæ nuncupatur Crux-Sancti-Audoeni, monachis prælibati confessoris Germani. 2o Ce n'est point à la réquisition des religieux de la Croix-Saint-Ouen; il n'en est point parlé, ni même de leur consentement, qui cependant étoit nécessaire pour une semblable union. 3o Il semble que cette union ait été involontaire de leur part, puisqu'à peine un mois étoit écoulé depuis qu'elle avoit été ordonnée, que, la paix avec les Normands ayant été signée, ces religieux retournèrent à leur monastère. 4o On peut encore inférer du diplôme de Charles III, que les reliques de saint Leufroi et des autres saints, apportées de Normandie, n'avoient point encore été déposées à l'abbaye Saint-Germain, puisqu'un des motifs de cette union étoit de les exposer à la vénération publique; motif qu'on ne pouvoit alléguer, si elles eussent été à Saint-Germain-des-Prés: Corpora sanctorum hactenùs debitâ veneratione carentium.... quapropter, (p. 535) tam pro veneratione sanctorum cinerum Audoeni scilicet archiepiscopi, necnon beatorum confessorum Leufredi fratrisque ejus Agofredi, etc.; et il ajoute que c'est dans l'intention qu'elles y soient transférées: Ut deinceps prædictorum membra sanctorum diù divino officio carentium, au eisdem cœnobitis reverenter susciperentur, cultuque divino secus beatos artus Germani collocata honorarentur. Si les religieux de la Croix-Saint-Ouen avoient été reçus, à leur arrivée, à Saint-Germain-des-Prés, les reliques qu'ils avoient apportées n'auroient-elles pas été déposées dans cette église? n'y auroient-elles pas attiré un concours de dévotion? auroient-elles été privées long-temps du culte et de la vénération des fidèles? Il en faut donc conclure, contre l'assertion des savants bénédictins que j'ai cités[77], et des historiens qui les ont suivis, que ces reliques furent d'abord mises dans la chapelle du Parloir-aux-Bourgeois, qui, en conséquence, en prit le nom, et qu'elles n'en furent tirées que lors de l'union des religieux qui les avoient apportées avec ceux de l'abbaye Saint-Germain; union involontaire de leur part, qui ne dura qu'un mois, et qui n'a aucun des caractères qui annoncent (p. 536) une donation libre et fondée sur la reconnoissance. La petite chapelle qui avoit servi de dépôt aux reliques de saint Leufroi avoit sans doute été fréquentée par les fidèles: la dévotion aura suggéré d'y mettre un chapelain pour y faire l'office, etc., etc.»
Cette opinion se trouve fortifiée par le droit de patronage qu'exerçoit sur cette église la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, dans laquelle elle étoit située. Ce droit, qui avoit été accordé à son chapitre par des lettres de Galon, évêque de Paris, en 1113, fut confirmé et ratifié par ses successeurs, Maurice de Sully et Renaud de Corbeil; et ce dernier lui annexa les revenus de cette chapelle, pour augmenter les distributions de ses chanoines. Une foule de titres[78] semble prouver que, dès le temps de Maurice, elle étoit réputée église paroissiale, et desservie par un curé jouissant de tous les émoluments attachés à cette place. Les nouvelles dispositions de Renaud en faveur du chapitre de Saint-Germain, la firent supprimer après la mort du curé alors existant, et l'office divin y fut depuis célébré par un chapelain à la nomination des chanoines, lequel étoit obligé de leur payer 200 livres par année sur les offrandes qui s'y faisoient.
(p. 537) Cette chapelle a subsisté jusqu'en 1684. Alors elle fut démolie pour l'exécution du projet qu'on avoit formé d'agrandir les bâtiments et les prisons du Grand-Châtelet, et le service, ainsi que les revenus, en furent transférés, tant à Saint-Germain qu'à Saint-Jacques-de-la-Boucherie.
Les auteurs de la Gaule chrétienne ont rappelé que c'étoit dans cette chapelle que l'on conservoit une pierre qui servoit d'étalon pour les poids et les mesures, ou, pour mieux dire, qui avoit anciennement servi à cet usage; car long-temps avant qu'elle eût été démolie, les poids et mesures avoient été déposés dans d'autres lieux, comme nous aurons bientôt occasion de le dire.
Elle étoit autrefois située derrière le Châtelet et à l'entrée de la porte de Paris[79].
Il n'y avoit, dans l'origine, à Paris, qu'une (p. 538) seule boucherie établie au parvis Notre-Dame. Mais, lorsque la ville commença à s'agrandir du côté du nord, il s'en forma une seconde auprès du Grand-Châtelet; depuis on en établit encore une autre vis-à-vis cette seconde, dans une maison qui avoit appartenu à un changeur nommé Guerri, et que le roi Louis-le-Gros avoit achetée en 1134, pour en faire un don aux religieuses de Montmartre. L'opinion de Piganiol, qui prétend que cette maison fut la première boucherie du côté de la ville, est évidemment fausse; et l'histoire de Saint-Martin dit positivement que le même Louis-le-Gros, pour indemniser Guillaume de Senlis, dans le fief duquel étoit la maison de Guerri, lui donna un des étaux qui lui appartenoient dans la Grande-Boucherie, inter veteres status carnificum[80]. On ne peut pas même douter que, plusieurs siècles auparavant, il n'y eût des marchés de ce genre au nord et au midi.
Quelque temps après l'accroissement de la boucherie du Châtelet, les chevaliers du Temple jugèrent à propos d'en établir une sur leur territoire: les bouchers de la maison de Guerri crurent avoir le droit de s'opposer à cet établissement, prétendant que nul ne pouvoit tenir boucherie sans leur consentement; mais il subsista malgré (p. 539) leurs réclamations, et Philippe-Auguste, qui régnoit alors, leur permit seulement, comme par une sorte de compensation, de vendre du poisson d'eau douce. Depuis, ces bouchers associés[81] achetèrent en différents temps, de divers particuliers, les places des environs, pour réunir le tout dans une même enceinte qui composa la Grande-Boucherie; mais auparavant ils abandonnèrent l'ancienne place qu'ils avoient dans la Cité, et le roi la donna à l'évêque et au chapitre, qui en conservèrent les étaux et y établirent d'autres boucheries.
Cette Grande-Boucherie occupoit, dans l'origine, un plus grand espace que dans les temps suivants. Hugues Aubriot, prévôt de Paris sous (p. 540) Charles VI, força d'abord les bouchers d'abattre, à leurs dépens, une de leurs maisons située près des prisons du Châtelet, et de retirer de deux toises en œuvre la clôture même de la Boucherie, afin d'agrandir d'autant la rue située entre cet édifice et le Grand-Châtelet[82].
Le second retranchement à leur terrain arriva lors de ces malheureuses factions qui agitèrent l'État sous le règne du même prince. Dans cette anarchie violente, dont nous ne tarderons pas à offrir le tableau, les bouchers, qui avoient pris le parti du duc de Bourgogne, se signalèrent par de si grands excès, commirent de telles cruautés, que, lorsque le parti du duc d'Orléans triompha un moment de l'autre en 1416, on crut nécessaire de tirer une vengeance éclatante de ces mutins. Quelques-uns d'entre eux furent punis rigoureusement; et le roi, par ses lettres du 13 mai 1416, ordonna que la Grande-Boucherie seroit rasée, ce qui fut exécuté. Au mois d'août suivant, leur communauté fut abolie, on révoqua leurs priviléges; en même temps il fut ordonné que tous les bouchers de Paris ne composeroient plus qu'une même communauté, régie comme celles de tous les autres arts et métiers, et que quatre nouvelles boucheries seroient établies[83]. Mais au mois (p. 541) d'août 1418, les bouchers destitués obtinrent des lettres-patentes qui les réintégroient, et portoient permission de faire refaire, construire et édifier ladite Boucherie en la place où elle souloit être[84]. En conséquence de cet arrêt, ils s'adressèrent au voyer de Paris, afin de prendre avec lui l'alignement des anciennes fondations. Mais la fouille que l'on fit alors ayant fait reconnoître le peu de régularité qui régnoit dans ces places et étaux, acquis successivement et par parcelles, puis renfermés ensuite dans la même enceinte, ainsi que l'incommodité qui pouvoit en résulter pour le public, si on en laissoit rétablir les parties saillantes qui avoient long-temps obstrué les rues d'alentour, il fut dressé un plan nouveau, dans lequel ces rues se trouvèrent dégagées, mais qui fit perdre aux propriétaires quinze toises carrées de leur fonds. Malgré leurs vives réclamations, ce plan, conforme à l'utilité publique, fut maintenu. Depuis il leur fut encore retranché trois étaux en 1461, sous Louis XI; mais cette fois ils obtinrent un dédommagement (p. 542) de pareil nombre d'étaux dans le cimetière Saint-Jean, sous la charge d'une légère redevance annuelle, qu'ils payoient encore dans le siècle dernier[85].
Jaillot pense que la Grande-Boucherie n'étoit point alors située à l'endroit où nous l'avons vue, mais de l'autre côté, entre les rues de la Saulnerie et Pierre-au-Poisson. Il prétend que son dernier emplacement étoit alors occupé par un four public, nommé le Four d'Enfer; et les raisons qu'il en donne sont fondées sur des titres qui leur donnent beaucoup de vraisemblance[86].
Nous retombons à chaque instant dans les ténèbres profondes de ces antiquités, dont aucun titre authentique n'aide à démêler l'origine. Saint-Jacques-de-la-Boucherie est encore un de ces (p. 543) monuments sur lesquels on ne sait rien de certain, et au sujet desquels on a fait des milliers de conjectures. Dubreul, Malingre, Sauval, les historiens de l'église et de la ville de Paris, semblent adopter la tradition qui porte qu'anciennement cette église étoit une simple chapelle sous l'invocation de sainte Anne, chapelle qui fut changée en paroisse sous le règne de Philippe-Auguste. L'abbé Lebeuf réfute cette opinion, en prouvant que le culte de sainte Anne n'a été reçu en France qu'au treizième siècle[87]; mais celle qu'il présente n'est pas mieux fondée, car il pense que Henri Ier et Agnès de Russie sa femme purent faire construire cette chapelle qu'on dédia sous le titre de Sainte-Anne, parce que, dit-il, le nom d'Agnès se disoit en latin Agna et Anna. On pourroit lui contester que ces deux mots latins aient jamais été employés dans ce sens; mais une objection beaucoup plus forte, et qui renverse toute son hypothèse, c'est que, suivant nos meilleurs historiens, la princesse qu'épousa Henri Ier se nommoit Anne et non Agnès, et que dans la charte de fondation de Saint-Martin-des-Champs, où il lit Signum Agnetis, il faut lire Annæ reginæ, qui s'y trouve après la signature de Henri Ier et de Philippe son fils[88].
(p. 544) Un autre auteur (l'abbé Villain), qui a donné l'histoire particulière de cette église[89], n'ayant pu trouver d'autorité suffisante pour en fixer l'origine, a cru qu'il lui étoit permis d'opposer conjectures à conjectures, et, d'après cela, n'a pas craint de présenter cette chapelle comme fondée dans des temps peu éloignés de ceux de la domination des Romains. Cependant il lui a été impossible de prouver ce qu'il avoit avancé; et s'il s'est livré à une semblable idée, c'est qu'il n'a considéré les accroissements de Paris, du côté du nord, que comme de simples habitations de bouchers et de tanneurs que la police romaine excluoit du sein des villes. Cependant ce faubourg étoit habité, dès les commencements, par toutes sortes de citoyens; et quoique les Normands l'eussent détruit à plusieurs reprises, cependant, sous la première et la seconde race de nos rois, les historiens font déjà mention des églises de Saint-Martin, de Saint-Laurent, de Saint-Gervais, de la chapelle Saint-Pierre, dite depuis Saint-Méri, et de celle de Sainte-Colombe, qu'on croit être l'église Saint-Bon. Mais on ne trouve dans aucun d'eux qu'il existât alors une chapelle représentée aujourd'hui par l'église Saint-Jacques; de manière qu'avant l'onzième siècle et peut-être même le suivant, on cherche vainement quelque trace de (p. 545) cet édifice. Quant à cette autre conjecture de l'abbé Lebeuf, que l'ancienne église de Saint-Martin étoit située vers l'endroit où est celle de Saint-Jacques, elle paroît contredire toutes les traditions qui nous en sont restées, comme nous le ferons voir en parlant de cette ancienne basilique.
Il n'y a pas moins d'incertitudes sur les causes qui ont fait de cette chapelle une dépendance de l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs. Parmi une foule d'opinions diverses, qu'il seroit fastidieux de rapporter, au milieu de tant de variations et d'obscurités, voici ce qui nous semble le plus vraisemblable. Il existoit certainement, au douzième siècle, une chapelle à l'endroit où est située l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie; mais on n'a point de preuves qu'elle portât le nom de Sainte-Anne, et si elle eût été sous l'invocation de Sainte-Agnès, le culte de cette première titulaire s'y seroit perpétué: cependant on n'en a jamais fait la fête, ni aucune mémoire particulière dans cette église. On peut prouver en outre que les religieux de Saint-Martin ne la possédoient point encore en 1097 ni en 1108, par la raison qu'elle n'est point énoncée dans les bulles d'Urbain II et de Pascal II, relatives à ces religieux, et données dans ces deux années[90]. Mais d'autres titres font (p. 546) voir qu'elle ne tarda pas à leur appartenir, et ce fut peut-être un don de Ponce, abbé de Cluni, qui vivoit dans ce temps-là. Elle fut, suivant les apparences, érigée dès lors en paroisse pour la commodité des habitants qui se trouvoient trop éloignés de Saint-Martin, et qui pouvoient avoir besoin d'être administrés pendant la nuit. En effet, on la trouve indiquée sous ce titre dans la bulle de Calixte II[91], donnée l'an 1119, et dans laquelle sont rappelées toutes les possessions de l'abbaye de Saint-Martin. C'est le premier titre authentique qui fasse mention de cette église. Il en résulte que Dubreul, Sauval et plusieurs autres se sont trompés en ne plaçant son érection en paroisse que sous Philippe-Auguste et vers l'an 1200.
Cette église n'eut d'abord aucun surnom: son voisinage de la Grande-Boucherie, ou peut-être les nombreuses habitations de bouchers dont elle étoit environnée dans les premiers temps, lui firent donner celui qu'elle porte à présent; et l'abbé Lebeuf se trompe encore, lorsqu'il dit qu'elle ne le doit qu'à la nécessité de la distinguer de deux autres églises connues également sous le nom de Saint-Jacques[92]. L'origine de ces deux dernières ne remonte pas plus haut que le quatorzième siècle, et l'on peut démontrer que (p. 547) celle-ci étoit appelée Ecclesia S. Jacobi de, ou, in carnificeriâ, plus de soixante-dix ans auparavant.
Cette église étant devenue successivement trop petite pour le nombre toujours croissant de ses paroissiens, on fut obligé d'y faire, à plusieurs reprises, des augmentations qui la rendirent extrêmement irrégulière, parce qu'on se trouvoit gêné par le terrain. Le vaisseau en étoit grand et élevé, mais d'un mauvais gothique; on y avoit pratiqué un grand nombre de chapelles dont quelques-unes furent détruites en 1672, du côté du chevet, pour élargir la rue des Arcis qu'elles obstruoient.
Dans ces constructions incohérentes, ce qu'il y avoit de plus ancien se voyoit du côté oriental du chœur et dans l'aile septentrionale. Ces parties sembloient être du quatorzième siècle. Dès 1374, les habitants de cette paroisse ayant obtenu, par échange, du prieur de Saint-Éloi, une maison située près de leur église, l'avoient abattue peu de temps après; et sur cet emplacement ils avoient élevé l'extrémité orientale des deux ailes de cette église du côté du midi. On multiplia peu à peu les ailes de ce côté; et ces dernières parties étoient ce qu'il y avoit de moins ancien avec la tour et le portail. On y reconnoissoit le goût gothique du quinzième siècle, et même du commencement du (p. 548) seizième. La tour, qui ne fut achevée que sous le règne de François Ier, et qui existe encore[93], est très-élevée et d'un travail délicat; mais il est faux qu'elle soit la plus haute de toutes les tours de Paris, et qu'elle surpasse en élévation celles de Notre-Dame: elle est couronnée aux quatre coins par les symboles des quatre évangélistes.
Le petit portail de cette église, du côté de la rue de Marivault, avoit été bâti, en 1399, aux dépens du célèbre Nicolas Flamel[94]. La maison (p. 549) où il demeuroit faisoit le coin de cette rue et de celle des Écrivains, et dans le siècle dernier (p. 550) on voyoit encore, sur de gros jambages, sa figure et celle de Pernelle sa femme, entourées (p. 551) d'hiéroglyphes et d'inscriptions. Ils étoient encore représentés dans l'église sur le pilier près de la chaire[95], et sur la petite porte qu'ils avoient fait construire[96].
(p. 552) CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-JACQUES-DE-LA-BOUCHERIE.
TABLEAUX.
Sainte-Catherine, par Cazes; Saint-Jacques, par le même; Sainte-Anne, par Claude Hallé.
Dans la chapelle Saint-Charles, le Saint distribuant des aumônes, par Quentin Varin: les connoisseurs estimoient ce tableau.
Quelques vitraux peints par Pinaigrier, habile peintre sur verre.
SCULPTURES.
Un Christ en bois, morceau de sculpture très-remarquable, par Jacques Sarrazin.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Nicolas Flamel, l'un des bienfaiteurs de cette église, mort en 1418.
Jean-François Fernel, premier médecin de Henri II, célèbre par plusieurs ouvrages excellents sur son art, et par l'élégance de sa latinité, mort en 1558.
L'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie étoit une de celles qui jouissoient du droit d'asile; et l'on en trouve des exemples jusque dans le quatorzième siècle. On lit qu'en 1357, pendant la régence orageuse du dauphin, depuis Charles V, Jean Baillet, trésorier général des finances, haï des rebelles parce qu'il étoit fidèle au prince, fut assassiné par un changeur nommé Perrin Macé. Le meurtrier, s'étant sauvé dans l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, en avoit été arraché par ordre du régent, qui l'avoit fait pendre sur-le-champ. (p. 553) Aussitôt l'évêque de Paris, Jean de Meulan, que l'on comptoit parmi les factieux, se récria sur une telle violation de l'immunité ecclésiastique, redemanda le corps de Perrin qu'on fut obligé de lui rendre, et lui fit faire à Saint-Méri des funérailles magnifiques, auxquelles il n'eut pas honte de se trouver avec le prévôt des marchands, pendant que le dauphin assistoit à celles de Jean Baillet. La même scène se renouvela en 1406, au sujet d'un autre criminel qui s'étoit réfugié dans la même église, et qu'on y avoit ressaisi pour le conduire à la Conciergerie. L'évêque d'Orgemont fit cesser le service divin, et ne permit de le reprendre que lorsque le parlement eut fait droit à la requête qu'il présenta contre cette violation d'un privilége ecclésiastique. Enfin Louis XII abolit ce droit de franchise, devenu dangereux pour la société, et scandaleux pour la religion[97].
La topographie de cette paroisse présente plusieurs (p. 554) particularités assez remarquables pour mériter quelques détails: la figure du territoire qu'elle renfermoit étoit celle d'un carré long, qui s'étendoit du midi au septentrion, en se prolongeant par deux angles qui sortoient du carré. La base de cet espace étoit la rue de la Pelleterie[98], dans son côté méridional en partie, et presqu'en entier dans son côté septentrional, c'est-à-dire dans celui qui bordoit la rivière. Au sortir de cette rue, par le bout oriental, Saint-Jacques avoit tout le côté gauche du pont Notre-Dame, et s'étendoit jusqu'à la rue Aubry-le-Boucher, dont le côté gauche presque entier étoit également dans ses dépendances[99].
À partir du bout occidental de la rue Aubry-le-Boucher, le territoire de cette église commençoit dans la rue Saint-Denis, à la cinquième maison sise à la gauche de l'angle des deux rues, et de là se prolongeoit jusqu'au Grand-Châtelet. Il renfermoit la rue de la Joaillerie, les deux côtés du pont au Change jusqu'au milieu du pont[100]; il (p. 555) continuoit ensuite dans la rue de la Pelleterie, dont il possédoit, comme nous venons de le dire, la plus grande partie, jusqu'à la dernière maison qui faisoit face à Saint-Denis-de-la-Chartre.
Ce droit que la paroisse de Saint-Jacques-de-la-Boucherie avoit sur une rue de la Cité, a fort excité la curiosité des antiquaires, et plusieurs ont cherché à en donner l'explication. L'un d'eux[101] a pensé que les pelletiers et les tanneurs, n'étant point admis dans l'intérieur des villes, avoient leurs boutiques et ouvroirs entre les murs et la rivière, et que c'étoit à cause de cette position au pied de l'enceinte de la Cité, qu'ils avoient été compris dans les dépendances de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Mais ce système a été combattu avec avantage, parce que, pour lui donner quelque vraisemblance, il faudroit supposer que les murs, au lieu de suivre une ligne courbe, se prolongeoient en ligne droite jusqu'à Saint-Denis-de-la-Chartre, et même le laissoient hors de la ville, ce qui est contraire à toutes les autorités, et démenti par la seule inspection de tous les anciens plans de Paris. Il ne paroît pas d'ailleurs que les lois de la police romaine fussent encore en vigueur parmi nos ancêtres au onzième siècle, puisque les bouchers, que ces lois excluoient du (p. 556) sein des villes, comme les pelletiers et les tanneurs, avoient alors des étaux dans le parvis Notre-Dame; et de plus, il est impossible de concevoir comment de tels ateliers auroient pu être établis dans un espace aussi étroit, où ils eussent été exposés à chaque instant à être détruits par les inondations. Une idée plus simple et plus naturelle se présente, et c'est celle que nous adoptons. Saint-Jacques-de-la-Boucherie étoit une dépendance de Saint-Martin; en 1133 le roi Louis-le-Gros fit avec les religieux de ce monastère l'échange de Saint-Denis-de-la-Chartre contre l'église de Montmartre[102]; la rue de la Pelleterie se trouvoit en partie dans la censive de Saint-Denis-de-la-Chartre; suivant l'usage alors établi, ces religieux avoient le droit d'assujettir leurs vassaux et leurs censitaires à la paroisse de leur monastère, ou à toute autre qui se trouvoit dans leur dépendance; celle de Saint-Jacques venoit d'être érigée tout nouvellement auprès de la Cité: c'étoit donc un motif suffisant pour mettre dans ses attributions les habitants qui dépendoient auparavant de Saint-Denis-de-la-Chartre.
Il n'est pas aussi facile de rendre raison de la juridiction que cette église exerçoit sur la moitié du pont au Change. Voici toutefois une conjecture (p. 557) qui ne semble pas dépourvue de vraisemblance. Nous avons déjà remarqué que le pont au Change n'étoit pas situé d'abord au lieu même où nous le voyons aujourd'hui, mais plus près du pont Notre-Dame; et cette position le mettoit naturellement dans la dépendance de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Lorsqu'on résolut de le bâtir plus bas et hors du territoire de cette paroisse, il dut paroître juste de l'indemniser, ce qu'on fit sans doute en lui attribuant la moitié de ce pont. Cette opinion se fortifie, si l'on considère que la même indemnité a été accordée à plusieurs autres églises paroissiales dans des circonstances entièrement semblables[103].
Les confréries qui existoient à Saint-Jacques-de-la-Boucherie ont joui autrefois de quelque célébrité. Avant que chaque paroisse de Paris eût (p. 558) établi une société, ou fête particulière des clercs, la confrérie générale de tous les clercs de la ville étoit dans cette église. La confrérie de Saint-Charles, qui y fut instituée en 1617, avoit une telle réputation, que deux de nos reines n'ont pas dédaigné de s'y faire agréger. On voyoit dans une des chapelles une figure de saint Georges assez remarquable, qu'avoit fait élever une confrérie du nom de ce saint, dont l'origine remonte à l'an 1516. Mais la plus singulière de ces associations étoit celle que le testament d'un bourgeois de cette paroisse, nommé Jean de Fontenay, nous a fait connoître: ce testament, daté de 1227, porte un legs fait à la confrérie de Roncevaux, et nous apprend qu'elle avoit été établie sur les récits qu'avoit faits assez récemment le faux Turpin des martyrs de cette vallée d'Espagne et des merveilles qu'on y voyoit; ce qui étoit relatif à la fameuse bataille que Charlemagne donna dans cet endroit, au paladin Roland, et au pélerinage de Saint-Jacques en Galice.
Ces réunions fameuses, et qui existent de temps immémorial chez tous les peuples de la terre, ont été, comme toutes les institutions humaines, ou bienfaisantes ou funestes, suivant le bon usage ou l'abus qu'on en a fait: elles tiennent dans l'histoire de Paris, relativement à sa police et à ses mœurs, une place assez importante pour que nous saisissions cette occasion de présenter quelques idées générales (p. 559) sur leur origine et sur leurs différents caractères.
DES CONFRÉRIES.
L'homme est né pour la société: toutes les facultés que le Créateur lui a données tendent à ce but, ne sont utiles, ne reçoivent leur entier développement que dans ces rapports continuels qui le lient avec ses semblables; et les sophistes du siècle passé, qui ont isolé l'être pensant, sous prétexte de le mieux connoître, qui ont cherché les sensations et les idées que pouvoit avoir cet homme primitif et solitaire, enfant de leur imagination, n'ont prouvé autre chose que la fausse subtilité de leur esprit et leur ignorance complète du cœur humain.
La société, c'est l'ordre parmi les intelligences, c'est-à-dire leurs justes rapports d'autorité et de dépendance, depuis la plus foible de ces intelligences, jusqu'à Dieu qui est l'intelligence infinie et la source de tout pouvoir, de toute intelligence, de toute société.
La famille est le premier type de toute société; et là, par la position naturelle, ou, pour mieux dire, nécessaire des membres qui la composent, s'établissent d'elles-mêmes ces relations de dépendances et d'autorité qui en coordonnent toutes les parties, et que l'on voit ensuite se développer (p. 560) sous des formes plus ou moins compliquées, depuis la formation d'une simple bourgade, jusqu'à celle des cités, des nations, des grands empires, qui réunissent sous des lois plus générales un nombre plus ou moins grand de ces petites sociétés domestiques.
Plus ces formes se compliquent, plus ces relations s'étendent, moins elles peuvent être comprises par les intelligences vulgaires, qui sont le plus grand nombre, et qui, n'appréciant point alors les avantages qu'il y a pour elles dans l'obéissance, ne sentent plus que ce qu'il y a de pesant et de rigoureux dans le pouvoir. Il faut donc en quelque sorte diviser pour elles la société, la mettre pour ainsi dire à leur portée, afin que, la connoissant, elles puissent l'aimer, et l'aimant, la servir et lui demeurer fidèles. C'est dans cette vue tout à la fois politique et paternelle, que, dans tous les grands états où la juste mesure du pouvoir a été bien entendue, on a encouragé et protégé ces associations partielles qu'une certaine conformité de situation, d'industrie, de croyances ou d'opinions particulières, formoit entre un certain nombre d'hommes, associations dont l'effet étoit de simplifier l'action du gouvernement; et, le débarrassant de la police à peu près impossible des individus, de ne plus soumettre à cette action que des masses d'autant plus faciles à contenir et à diriger qu'elles portoient en elles-mêmes (p. 561) tous les principes d'ordre qui constituent la société.
Ces sociétés partielles, ou confréries, ont été ou civiles, ou religieuses, suivant la nature des causes qui les avoient fait naître.
On en rencontre de ces deux espèces chez tous les peuples de la terre: les Pharisiens, les Esséniens, les Saducéens, les Réchabites étoient autant de confréries différentes parmi les Juifs; on trouve chez les Égyptiens une confrérie de flagellants en l'honneur de leur dieu Sérapis; on voit Lycurgue distribuer ses Spartiates en plusieurs associations, auxquelles il ordonne l'union, l'amitié, la vie commune; deux autres législateurs, Romulus et Numa, instituent également des communautés; et le dernier principalement, ayant séparé les diverses professions qui s'exerçoient à Rome en autant de corporations, leur donna à chacune un patron pris parmi leurs faux dieux. Cet usage, qui se maintint pendant la république et sous les empereurs, fut adopté par les premiers chrétiens, suivant le témoignage de Tertullien. Dès les premiers siècles, ils fondèrent entre eux des associations, ou confréries particulières, dans lesquelles ils introduisirent les réglements des païens, lorsqu'ils leur semblèrent bons et utiles, rejetant soigneusement tout ce qu'ils offroient d'impie et de dangereux. Ces institutions, établies dans un esprit si nouveau, furent également (p. 562) civiles et religieuses: les dernières étoient connues sous le nom d'Agapes, et l'histoire de l'Église en a rendu célèbres la sainteté et l'admirable discipline. Les autres, qui se composoient des arts et métiers, commencèrent vers le temps d'Alexandre-Sévère: on en érigea dans toutes les grandes villes; chacune se choisit un patron et une église, où les frères assistoient en commun au service divin. On trouve qu'il leur étoit aussi permis de faire quelque collecte entre eux pour l'entretien de ce service et pour soulager les pauvres de leurs communautés: en tout, le but de ces pieux associés étoit d'attirer, par leurs bonnes œuvres et leurs charités, la bénédiction du ciel sur eux et sur leurs travaux.
Cependant ce qui est bon en soi-même, dès qu'il se corrompt, devient d'autant plus mauvais que son origine étoit plus excellente et plus sainte: corruptio optimi pessima. Nous apprenons par l'Écriture quelles erreurs et quelles fausses doctrines les sectes judaïques avoient ajoutées à la loi de Dieu; et si nous jetons les yeux sur les nations païennes dont la civilisation fut toujours si imparfaite, où le gouvernement ne connut presque jamais de juste milieu entre la foiblesse extrême et l'extrême violence, sur ces nations dont le despotisme des chefs ou l'anarchie des peuples composent presque toute l'histoire, nous n'en voyons aucune chez qui ces associations particulières (p. 563) n'aient, au milieu de leurs troubles civils, contribué au désordre, excité l'attention et l'inquiétude des magistrats. Cela est remarquable surtout chez les Romains, où elles étoient dangereuses dès le temps de Cicéron; car, dans sa harangue contre Pison, il se plaint de certaines sociétés établies nouvellement sous les titres spécieux de colléges et de communautés, dont le prétexte étoit le service des dieux, et le véritable but, de mauvais desseins contre la république. Cette remontrance fit abolir une partie des confréries qui existoient alors. Auguste, dans le nouvel ordre de choses qu'il institua, poussa la réforme plus loin, et les détruisit presque toutes. Alexandre Sévère les rétablit; et dans les premiers temps de la religion chrétienne, elles furent, comme nous l'avons dit, parmi les fidèles, des modèles de décence et de charité. Mais de si beaux commencements ne se soutinrent pas; et par les réglements des conciles et des empereurs chrétiens qui vinrent après, on voit qu'il étoit nécessaire de veiller sur elles avec une extrême vigilance, à cause des désordres et des scandales qui se commettoient dans plusieurs.
Les confréries des états modernes sont, comme celles des anciens, civiles et religieuses; et l'on voyoit de ces sortes d'associations répandues par toute la France. Plusieurs étoient utiles et légitimement établies, d'autres ont été illicites et dangereuses. (p. 564) Il en existoit un grand nombre à Paris, parmi lesquelles quelques-unes ont été célèbres, et même ont joué un rôle dans l'histoire. Nous essaierons de donner quelque idée des plus remarquables, ainsi que de celles qui étoient établies dans d'autres parties du royaume.
Il y avoit plusieurs espèces de ces confréries.
1o. Les confréries établies uniquement par un motif de dévotion pour le salut des âmes et l'édification de l'Église. Telle étoit celle qui fut instituée à Paris, en 1168, sous le titre de confrérie de Notre-Dame. Elle fut d'abord composée de trente-six prêtres et d'un nombre égal de laïques, notables bourgeois, en mémoire des soixante-douze disciples de J. C.; ensuite le nombre en fut porté jusqu'à cent. Les femmes, qui, dans le principe, en avoient été exclues, y furent admises l'an 1224, au nombre de cinquante. La reine et plusieurs dames pieuses et du premier rang désirèrent d'y être reçues; de manière que la société fut, depuis ce temps, divisée en trois classes, lesquelles furent toujours composées des personnes les plus qualifiées de la ville. Quant aux exercices réglés par les statuts, ils consistoient dans la célébration journalière du service divin, une procession générale en certain temps, des aumônes et des prières que les confrères devoient faire les uns pour les autres, etc. Telles étoient encore les confréries du Saint-Sacrement, du Saint-Nom de (p. 565) Jésus, de la Sainte-Vierge et autres semblables, dont les membres n'avoient d'autre objet que de travailler à leur propre sanctification.
2o. Les confréries établies pour des œuvres de charité. Il y en avoit dans la plus grande partie des paroisses de la France, et surtout à Paris. Les unes secouroient les pauvres honteux, les autres assistoient les malades indigents, et quelques-unes, sous le titre de Confrères de la Mort, ensevelissoient les défunts et assistoient à leurs obsèques.
3o. Les confréries de Pénitents. Elles portoient différentes dénominations; et ceux qui en étoient membres exerçoient sur eux certaines austérités en esprit de pénitence. On les a quelquefois nommés flagellants, à cause des disciplines publiques qu'ils se donnoient dans leurs processions générales: ils y paroissoient revêtus d'une tunique de toile blanche, rouge ou bleue, avec un capuchon qui leur couvroit le visage; et de là ils ont été appelés Pénitents bleus, rouges ou blancs. Toutefois il n'y avoit en France de semblables associations que dans les provinces voisines de l'Italie, d'où elles tirent leur origine.
4o. La quatrième espèce de confrérie avoit été érigée à l'occasion des pélerinages. Telles étoient à Paris celles du Saint-Sépulcre, aux Cordeliers; de Saint-Jacques, en son église rue Saint-Denis; de Saint-Michel, en sa chapelle dans la cour du Palais, pour ceux qui avoient fait les pélerinages (p. 566) de Jérusalem, de Compostelle ou du Mont-Saint-Michel. On y recevoit également toutes les personnes dévotes qui vouloient s'y engager et participer aux mérites et aux prières des pélerins.
5o. Venoient ensuite les confréries instituées par les négociants, pour attirer sur leur commerce les bénédictions du ciel. Telle fut celle qu'une compagnie des plus riches bourgeois de Paris établit, l'an 1170, sous le titre de Confrérie des marchands de l'eau. L'accroissement de la ville, et les nouveaux besoins d'une population qui, de jour en jour, devenoit plus nombreuse, donnèrent naissance à cette compagnie; car jusque-là, c'est-à-dire depuis le ravages des Normands, cette capitale, renfermée dans des bornes très-étroites, avoit tiré de son propre territoire et des provinces voisines tous les secours nécessaires à sa consommation; et le sel étoit la seule denrée qu'elle reçût par la rivière. Ces négociants, rassemblés pour faire un commerce plus étendu par eau, achetèrent des religieuses de Haute-Bruyère une place hors de la ville pour y construire un port, et fondèrent leur confrérie dans l'église de ce monastère. Cette place, qui leur fut cédée moyennant certaines redevances qu'ils payèrent à ces religieuses, retint le nom de Port-Popin, du nom d'un bourgeois de Paris à qui elle avoit appartenu; et Louis-le-Jeune, alors régnant, confirma cette acquisition et approuva cet établissement (p. 567) par des lettres-patentes de la même année 1170. À peine cette confrérie fut-elle établie, que celle de Notre-Dame, qui étoit plus ancienne de deux ans et plus considérable, tant par la qualité que par le nombre des personnes qui la composoient, prit le titre de grande confrérie, pour se distinguer de l'autre; titre qu'elle a gardé jusqu'au dernier moment de son existence. Dans la classe de cette confrérie des marchands de l'eau, doit être comprise celle des six corps des marchands de Paris[104].
6o. Les officiers de justice avoient aussi leurs confréries distinguées des autres, et formant une classe à part. Il y avoit à Paris celle des notaires, établie dans la chapelle du Châtelet en 1300; celles de la compagnie du lieutenant criminel de robe-courte, de la compagnie du guet, des huissiers à cheval et des sergents à verge.
7o. Celles des artisans étoient en aussi grand nombre qu'il y avoit d'arts et métiers. Chaque communauté, de même que dans les premières confréries chrétiennes, avoit son patron, se rassembloit dans une église particulière, et avoit la liberté de se faire des statuts. Ceci commença à être réformé sous le règne de saint Louis par (p. 568) Étienne Boislève; et depuis ce temps ils furent obligés d'avoir recours au magistrat pour obtenir des réglements, ou du moins pour homologuer les articles qu'ils avoient arrêtés.
8o. Une confrérie fort extraordinaire et d'une espèce toute particulière est celle qui se forma à Paris en 1402, sous le titre de Confrères de la Passion; elle avoit pour objet de représenter sur un théâtre public les mystères de la vie de Jésus-Christ, les actes des martyrs, etc. Nous y reviendrons.
9o. Enfin il y a eu des confréries de factieux, qui ont paru à certaines époques, et qui, comme celles dont se plaignoit l'orateur romain, se couvroient du voile spécieux de la religion pour troubler l'État. Divers conciles du treizième siècle prononcèrent anathème contre des sociétés de ce genre, qui s'étoient élevées en plusieurs parties de la France, et qui la troubloient par leurs violences et leurs désordres. Tels étoient encore ces Pénitents bleus, qui, du temps de la Ligue, se rassemblèrent à Bourges, par un esprit de révolte contre l'autorité royale. Mais la plus remarquable est celle qui s'établit à Paris en 1357, sous le titre de Notre-Dame. Étienne Marcel, prévôt des marchands, en fut le chef; et tout ce qu'il y eut de séditieux, de gens malintentionnés, s'y enrôlèrent. Ils avoient pour but de traverser, dans l'administration du royaume, Charles V, alors (p. 569) dauphin et régent pendant la captivité de son père. On verra par la suite tous les désordres, tous les meurtres, tous les malheurs que cette faction causa dans Paris. Charles, parvenu à la couronne après la mort du roi Jean, accorda une amnistie à ces rebelles, et en même temps cassa leur confrérie par des lettres-patentes du mois d'août 1358.
Ces pernicieuses sociétés sont heureusement rares, et depuis le règne de Henri IV, on n'en voit plus reparoître en France. Quant aux confréries d'artisans, elles avoient leurs inconvénients comme toute autre institution humaine: elles étoient quelquefois tumultueuses, et demandoient une surveillance qui parut, à certaines époques, fatiguer le gouvernement, car on les voit entièrement abolies sous François Ier, rétablies ensuite et abolies de nouveau sous Charles IX; enfin, sous Louis XIV, il fut expressément défendu d'en former aucune sans la permission particulière du roi. De telles variations dans leur existence prouvent toutefois qu'on en sentoit aussi les avantages; et ces avantages, fort au-dessus des inconvénients, n'ont jamais été mieux appréciés que depuis que la révolution les a détruites; cette destruction ayant été l'une des causes les plus actives de la corruption des classes inférieures de la société.
En rentrant dans la rue Saint-Denis et en la remontant, on rencontroit cet hôpital, lequel étoit situé au coin de cette rue et de celle des Lombards. Son premier nom connu est celui d'hôpital des pauvres de Sainte-Opportune. Le nombre et la célébrité des miracles opérés par l'intercession de cette sainte, attiroient une foule de pélerins à l'église qui porte son nom; vis-à-vis on bâtit un hospice pour les recevoir: telle est l'origine de cet hôpital. Quant à l'époque où il fut fondé, il est impossible de la fixer. Les anciens titres ayant été perdus, le roi y suppléa par des lettres-patentes du mois de mars 1688, dans lesquelles, d'après un exposé des religieuses de cette maison, on en fait remonter l'origine jusqu'au onzième siècle, mais sans pouvoir en donner aucune preuve. Les historiens de Paris la rapportent à l'an 1184[105]. (p. 571) Un auteur plus moderne[106] la place dans le neuvième siècle, plusieurs à d'autres époques, sans qu'aucun fournisse la moindre autorité au soutien de son opinion. Le plus ancien titre qui fasse mention de cet édifice est une lettre de Maurice de Sully, évêque de Paris, au sujet de la donation faite par Thibauld d'une maison sise rue des Lombard, à l'hôpital des pauvres de Sainte-Opportune; cet acte, qui est de 1188, a été publié par Dubreul. Il paroît, par divers autres titres du treizième siècle[107], que cet établissement étoit alors administré par un maître et par des frères; et que dès lors il portoit le nom de Sainte-Catherine, la chapelle ayant été dédiée sous ce vocable[108]. En 1328 le régime avoit été changé, et il y avoit dans cette maison un maître ou proviseur, des frères et des sœurs. Cette union subsista jusqu'au seizième siècle; et depuis, l'administration en fut commise aux seules religieuses, sous l'inspection et l'autorité d'un supérieur ecclésiastique nommé par l'évêque; ce changement se fit, selon les uns, en 1521, selon d'autres, en 1557[109].
(p. 572) Les religieuses de cet hôpital suivoient la règle de saint Augustin. Leurs principales fonctions étoient de loger et de nourrir les femmes ou filles qui cherchoient à entrer en condition; elles leur donnoient l'hospitalité, et le nombre de ces pauvres femmes se montoit ordinairement à quatre-vingt-dix. Elles recevoient aussi les personnes qui arrivoient de la province pour des procès ou affaires particulières, et qui n'avoient pas le moyen de se procurer un asile; enfin elles se chargeoient de faire enterrer au cimetière des Saints-Innocents les personnes noyées ou mortes dans les rues de Paris et dans les prisons[110]. Les statuts d'Eustache du Bellay avoient d'abord fixé le nombre de ces religieuses à neuf; mais la sage administration de leurs revenus leur ayant permis d'augmenter leurs bâtiments, leur communauté se trouvoit, dans les derniers temps, composée de trente sœurs, religieuses ou novices.
Dans ces bâtiments, elles avoient obtenu de comprendre une rue ou ruelle, qui passoit à côté de la principale porte de leur maison, et qui paroît avoir communiqué de la rue Saint-Denis dans celle de la Vieille-Monnoie. Jaillot (p. 573) pense que c'est celle dont il est fait mention dans le Nécrologe de l'église de Paris, sous le nom de ruelle de Garnier-Maufet.
Sur la porte extérieure de cet hôpital étoit une statue de sainte Catherine, faite, en 1704, par Thomas Renaudin, sculpteur de l'académie royale[111].
Cette petite église paroissiale s'élevoit au coin des rues Aubry-le-Boucher et Quinquempoix.
Des traditions et des légendes apocryphes, adoptées par quelques historiens de Paris, en font remonter l'origine jusqu'au septième siècle; les uns prétendent que c'étoit un hôpital dès le temps que saint Fiacre vint à Paris, vers l'an 620, et que ce saint y avoit logé; d'autres ajoutent que ce même lieu servoit aussi d'habitation à (p. 574) saint Josse, fils d'un roi de la petite Bretagne, dans les différents voyages qu'il fit dans cette ville. Toutes ces assertions manquent de preuves suffisantes. Il ne reste aucun titre qui prouve qu'il y eût, au septième siècle, des hôpitaux dans la partie de Paris appelée la Ville. Les actes les moins suspects de la vie de saint Josse ne parlent que d'un seul voyage de ce saint à Paris, où il paroît qu'il ne fit que passer; et l'on ne voit point que saint Fèfre, ou Fiacre, y ait demeuré, ni même qu'il y soit venu. Sans perdre du temps à lever des difficultés si peu importantes, et à rapporter les conjectures des divers auteurs, il nous suffira de dire que la chapelle Saint-Josse n'a pu exister avant le neuvième siècle, puisque le culte de ce saint n'a été établi que depuis ce temps, et que le titre qui l'érige en paroisse est du mois d'avril 1260. Dans ce titre, il n'y est point dit qu'il y eût jamais eu un hôpital en cet endroit; et elle y est représentée comme une petite église nouvellement construite, de novo fundata.
Ce fut à l'occasion des nouveaux murs élevés par Philippe-Auguste que la destination de cette chapelle fut changée. Elle venoit d'être renfermée dans la ville, et les paroissiens de l'église Saint-Laurent, dont le territoire s'étendoit jusque là, représentèrent la nécessité de l'ériger en succursale, ou en paroisse. Ils alléguoient l'éloignement de Saint-Laurent (propter intolerabilem (p. 575) distantiam), et la difficulté d'administrer la nuit et à une telle distance les sacrements aux malades et aux mourants. Ces motifs parurent devoir l'emporter sur l'intérêt personnel du curé de Saint-Laurent, qui s'opposoit à leur juste demande; et les obstacles qu'il avoit fait naître furent levés, moyennant un accord stipulé par des arbitres que l'évêque avoit nommés à cet effet. Il fut convenu que, du consentement du prieur de Saint-Martin-des-Champs, qui nommoit à la cure de Saint-Laurent, et du curé de cette dernière église, la chapelle Saint-Josse seroit déclarée paroissiale, moyennant certaines redevances envers les deux parties intéressées, et qu'elle auroit pour paroissiens tous ceux qui, dans la nouvelle enceinte, étoient auparavant de la paroisse Saint-Laurent.
Le chevet de cette chapelle étoit autrefois tourné vers l'orient: lorsqu'on la reconstruisit, en 1679, l'autel fut placé au nord, contre l'ancien usage, et il resta dans cette position jusqu'à la destruction de l'église. C'étoit un bâtiment très-petit et de forme carrée; le portail avoit été élevé, jusqu'à la première corniche, sur les dessins d'un habile architecte de ce temps, nommé Gabriel le Duc; mais on ne les suivit point pour le reste de l'édifice, que l'on fit moins long et moins haut qu'il ne l'avoit projeté.
(p. 576) CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-JOSSE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une présentation au temple, par un inconnu.
Un saint Sébastien, par Martin Fréminet: ce tableau étoit estimé des connoisseurs[112].
Cette paroisse étoit extrêmement circonscrite: les maisons de la rue Aubry-le-Boucher et de la rue Quinquempoix, qui touchoit à l'église, n'en faisoient point partie. Son territoire comprenoit un carré formé par l'autre côté de ces deux rues et par la rue Saint-Martin, plus trois maisons de la même rue, à commencer par celle qui fait l'angle gauche de la rue des Ménétriers; et enfin, douze ou treize maisons qui sont à la gauche dans cette dernière rue, en y entrant par la rue Saint-Martin; ce qui formoit en tout vingt-neuf maisons[113].
C'étoit dans la rue Saint-Denis, au-dessus du marché des Innocents, et après la rue Aubry-le-Boucher, qu'étoit située cette ancienne communauté; elle a été entièrement détruite dès les commencements de la révolution, et remplacée en partie par un bâtiment connu sous le nom de cour Batave.
Le mauvais succès des croisades avoit ralenti par degré le zèle qui les avoit fait naître; cependant il n'étoit point encore entièrement éteint sous le règne de Charles-le-Bel. L'ardeur des sentiments religieux étoit encore dans toute sa force; et dans cette ferveur de christianisme qui animoit, soutenoit et tendoit sans cesse à perfectionner la société, les hommes de bien étoient préparés à tous les grands dévouements, ceux qui avoient commis des crimes, à toutes les grandes expiations.
Au milieu de cette disposition des esprits, le (p. 578) pape Jean XXII crut pouvoir solliciter, en 1324, une nouvelle croisade, dont certaines circonstances empêchèrent ensuite l'exécution. Cependant, sur la première demande qu'il en avoit faite, plusieurs avoient pris la croix et se préparoient déjà à passer la mer. Ces nouveaux croisés, réunis par le même vœu et par les mêmes intentions, cherchèrent un lieu où ils pussent s'assembler et prendre des mesures convenables pour leur voyage; et, en attendant le moment favorable pour l'exécution de ce pieux dessein, ils formèrent une espèce de société, ou confrérie, à laquelle se faisoient agréger tous ceux qui étoient animés du même zèle et vouloient partager les mêmes travaux.
Louis de Bourbon, comte de Clermont, qui favorisoit leur projet, leur donna, en 1325, une somme de deux cents livres parisis, pour acheter un emplacement où ils pussent faire bâtir une église; et sa prévoyance s'étendant même jusque sur l'avenir, il voulut qu'ils y joignissent un hôpital pour les pélerins qui passeroient à Paris, en allant au Saint-Sépulcre, ou en revenant de ce pélerinage. La place fut achetée; la première pierre de l'église fut posée le 18 mai 1326[114], et le vendredi devant Noël de l'année suivante, on y chanta la première messe: ce qui fut constaté par une inscription qu'on voyoit sur le portail.
(p. 579) La construction de cet édifice fit naître diverses contestations. L'évêque, le chapitre de Notre-Dame et celui de Saint-Méri, sur la censive desquels il se trouvoit, prétendirent respectivement qu'il étoit dans leur dépendance; et d'un autre côté, plusieurs curés de Paris, pour la conservation de leurs droits curiaux, s'opposoient aux enterrements qu'on vouloit y faire. On mit fin à ces différends, en donnant la juridiction de l'église au chapitre de Notre-Dame, et les curés obtinrent que les corps de ceux qui voudroient être enterrés au Saint-Sépulcre, seroient d'abord portés à leur paroisse[115]; par le même accord, il fut convenu que le chapitre disposeroit, alternativement avec les confrères, des prébendes, qui n'étoient alors qu'au nombre de trois, dotées chacune de 40 livres de rente; conservant d'ailleurs tous les droits de juridiction, visite, correction sur les chanoineries, prébendes et chapelles que les confrères pourroient fonder par la suite. Il se réserva en outre la justice sur l'église et sur le territoire de l'hôpital que l'on projetoit de construire, territoire dont l'étendue fut fixée à un arpent et la centième partie d'un arpent.
Cependant cet hôpital ne fut point bâti, parce que ces premiers croisés ne réussirent point à faire partager le zèle qui les dévoroit à un assez grand (p. 580) nombre de prosélytes, et que l'on commençoit à se dégoûter de ces entreprises lointaines, et qui, jusqu'à ce moment, avoient eu si peu de succès. Alors on imagina de fonder de nouveaux bénéfices avec les revenus qu'avoient produits la piété et la libéralité des confrères, dont le nombre montoit, en 1338, à plus de mille. Plusieurs de ces bénéfices furent érigés en canonicats par le chapitre de Notre-Dame. En 1551 on y comptoit seize chanoines et dix-sept chapelains.
Le vain titre d'hôpital fut cependant préjudiciable à cette communauté: car il parut suffisant pour la faire comprendre dans le nombre des maisons de ce genre qui furent réunies par l'édit de 1672[116] aux ordres de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare; et ce n'est qu'en 1693 que les choses furent remises sur l'ancien pied, par un édit nouveau qui annuloit le premier. À cette époque les chanoines obtinrent, par un autre arrêt, l'exclusion des confrères et la régie des biens dont ils jouissoient. En cela il ne leur fut donné que ce qu'il étoit juste qu'on leur accordât; car il leur fut facile de prouver qu'il n'y avoit jamais eu d'hôpital au Saint-Sépulcre, que toutes leurs possessions leur avoient été concédées (p. 581) pour fondations de chapelles et de services; et par conséquent qu'il étoit inutile que les confrères en eussent l'administration. Ils firent voir d'ailleurs qu'un article des statuts de 1329 leur accordoit déjà la régie de ces biens.
À peine furent-ils devenus administrateurs, qu'ils renouvelèrent la demande qu'ils avoient déjà faite plusieurs fois de la réduction de leurs prébendes, afin qu'ils pussent, disoient-ils, acquitter les dettes contractées par la confrérie. Le cardinal de Noailles, après l'information légale, donna son décret le 28 juillet 1713. Les canonicats furent réduits à douze et les chapellenies à onze. Ces bénéfices étoient à la nomination alternative de deux chanoines de Notre-Dame, qui avoient ce droit attaché à leurs prébendes.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DU SAINT-SÉPULCRE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, la résurrection de N. S., par Lebrun[117]. Sur le devant du même autel, une descente de croix par un peintre ancien et inconnu.
Dans la quatrième chapelle à gauche, saint Jérôme dans le désert, par La Hire.
SCULPTURES.
Sur le portail de l'église, un bas-relief représentant la sépulture de N. S.
Au-dessus de la porte du cloître, rue Saint-Denis, une statue de J.-C., par Jean Champagne, élève du Bernin.
(p. 582) L'église du Saint-Sépulcre étoit une des quatre collégiales dépendantes de Notre-Dame, et que l'on nommoit les quatre Filles de la cathédrale. Elle jouissoit de tous les droits paroissiaux sur ceux qui demeuroient dans l'enceinte de son cloître ou de son territoire; et les fonctions curiales étoient remplies par le chanoine de semaine. Mais en raison de ce rapport de dépendance, qui existoit entre cette collégiale et le chapitre de l'église de Paris, ses membres ne pouvoient faire pour eux ce qu'ils faisoient pour les autres; et les chanoines et bénéficiers du Saint-Sépulcre, de même que ceux des autres Filles de Notre-Dame, recevoient les derniers sacrements et la sépulture d'un bénéficier de cette église, député par le chapitre[118].
Leur monastère étoit aussi dans la rue Saint-Denis, au-dessus de l'église du Saint-Sépulcre. (p. 583) On sait que les chanoines de Saint-Barthélemi, dans la Cité, et les religieux qui leur furent substitués, possédoient une chapelle de Saint-Georges hors des murs de Paris; et que ces derniers, lorsqu'ils abandonnèrent leur ancienne demeure pour venir s'établir dans l'endroit où étoit située cette chapelle, lui transportèrent le nom de Saint-Magloire, que portoit depuis long-temps l'église de Saint-Barthélemi. Avant ce changement de domicile, Henri-le-Lorrain[119] leur avoit fait plusieurs donations de terres: des lettres de Louis-le-Gros confirmèrent le don qu'il leur avoit fait; et Guinebauld, qui étoit alors abbé de Saint-Magloire, obtint de ce prince la permission d'y établir des religieux de sa communauté pour y célébrer l'office divin. En 1138 la communauté entière s'y transporta; et elle y resta jusqu'en 1572, que Catherine de Médicis la fit transférer à Saint-Jacques-du-Haut-Pas, et mit à sa place les Filles-Pénitentes, qui occupoient alors l'hôtel de Soissons, dont elle avoit résolu de se faire un palais.
Ce dernier ordre existoit depuis près d'un siècle; et tous les historiens de Paris rapportent son institution à un cordelier nommé Jean Tisserand. Ce prédicateur s'éleva si souvent, et avec (p. 584) tant de force et d'onction, contre les excès du libertinage; il fit des peintures si vives des châtiments qui devoient en être la suite, que plusieurs femmes de mauvaise vie, touchées de ses discours, se mirent sous sa conduite, et résolurent de réparer, par une vie édifiante, le scandale de leurs désordres passés. On rapporte cette circonstance à l'an 1492 ou 1493.
Le nombre de ces pénitentes augmenta tellement[120] qu'il fixa l'attention, et qu'on crut nécessaire de les réunir et de leur procurer un asile. Louis XII, alors duc d'Orléans, leur céda la moitié de son hôtel de Bohème, depuis hôtel de Soissons, et engagea Charles VIII à autoriser cet établissement, ce que fit ce dernier par ses lettres-patentes du 14 septembre 1496. En même temps il eut soin de faire approuver et confirmer cet ordre, sous la règle de saint Augustin, par une bulle d'Alexandre VI. Peu de temps après, les Filles-Pénitentes acquirent l'autre moitié de l'hôtel, de deux domestiques[121] du duc d'Orléans auxquels ce prince en avoit fait don lorsqu'il fut monté sur le trône. Le contrat de cette acquisition, faite au prix de 2000 écus d'or couronnés, (p. 585) est de l'an 1500. Dans les commencements de leur établissement, elles étoient si pauvres, qu'on leur permit de sortir de leur cloître pour quêter leur subsistance; mais dès qu'elles eurent amassé de quoi vivre, elles observèrent une exacte clôture.
À peine les Filles-Pénitentes, sorties de l'hôtel de Soissons, furent-elles en possession du monastère de Saint-Magloire, qu'elles en prirent le nom; et c'est ainsi qu'elles sont indiquées dans tous les actes et titres postérieurs. Les temps malheureux de la Ligue ayant introduit la licence et le relâchement dans les monastères, cette maison se ressentit, comme les autres, d'un désordre qui troubloit d'ailleurs toutes les classes de la société. Lorsque le calme fut rétabli, la réforme en fut confiée à huit religieuses de l'abbaye de Montmartre, qui s'y transportèrent en 1616; et par le soin qu'elles eurent d'abord d'adoucir l'austérité de quelques anciennes pratiques, elles y rétablirent bientôt l'ordre et la régularité, qui depuis s'y sont toujours maintenus.
On lit dans les statuts que leur donna Jean-Simon de Champigni, évêque de Paris, un article par lequel il leur étoit défendu de recevoir aucune novice qui n'eût fourni des preuves de ses foiblesses; et les précautions qu'établit le bon prélat pour s'en assurer, et pour empêcher cependant que le désir d'entrer dans cette communauté ne portât de malheureuses filles à se livrer au libertinage, (p. 586) sont d'une naïveté qui ressemble presque au scandale, et que, par cette raison, nous ne rapporterons point ici. Cette loi bizarre fut bientôt abrogée, et depuis long-temps on n'y recevoit plus, comme dans les autres communautés, que des vierges pures et dignes de l'époux, qu'elles avoient choisi. On fit aussi, à la même époque, le projet non moins bizarre d'instituer, pour la conduite de ce monastère, des religieux du même ordre, qui auroient fait leurs vœux entre les mains de la supérieure; mais ce dessein resta sans exécution.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-MAGLOIRE.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumé André Blondel, seigneur de Roquemont, et contrôleur des finances sous Henri II[122]; ce Blondel étoit Lyonnois, et devoit sa fortune à Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, si célèbre par sa beauté et par le long empire qu'elle exerça sur le cœur de Henri II[123].
(p. 587) En 1525 et 1549 on découvrit, dans les jardins voisins de l'église, plusieurs ossements, avec des chaînes de fer et des potences, ce qui fit croire à plusieurs que ce lieu avoit été anciennement la place de la justice patibulaire de Paris. Jaillot pense que c'étoit celle de Saint-Magloire, dont la prison étoit voisine. On sait que sous le régime féodal, tel qu'il étoit devenu vers la fin de la seconde race et au commencement de la troisième chaque seigneur avoit le droit de justice sur ses terres, et, attentif à soutenir ce privilége, réclamoit très-fortement les coupables dont le crime avoit été commis sur sa censive, pour les faire condamner à son tribunal particulier. Dans le cas d'exécution, les corps des suppliciés n'étoient point portés au gibet public, qui n'appartenoit qu'au roi, mais aux piliers du seigneur qui les avoit fait punir[124].
Les religieux de Saint-Magloire, après avoir quitté la Cité, et s'être établis dans leur chapelle Saint-Georges, avoient permis d'élever des habitations sur le terrain qui dépendoit de leur monastère, mais sous la condition que les habitants seroient paroissiens de Saint-Barthélemi. L'éloignement où le Bourg-l'Abbé et les rues voisines étoient de cette église les détermina depuis à consentir que ceux qui demeuroient dans ce quartier fissent célébrer, à leurs frais, l'office divin à un autel qui fut élevé à cet effet dans leur propre église. Dubreul dit avoir vu des titres qui spécifioient qu'il étoit placé du côté méridional du chœur, et sous l'invocation de Saint-Leu et Saint-Gilles. Il auroit dû dire simplement Saint-Gilles: car certainement ce saint fut d'abord le seul patron de cette paroisse, et ensuite long-temps nommé le premier. Tout porte à croire (p. 589) que le nom de saint Leu (ou Loup), évêque de Sens, n'a été joint au premier vocable, que parce que sa fête étoit célébrée le 1er septembre, le même jour que celle de saint Gilles[125].
Le nombre des paroissiens s'étant successivement augmenté, et l'enceinte qu'avoit fait élever Philippe-Auguste rendant la communication plus difficile entre la ville et les faubourgs, les religieux de Saint-Magloire et le curé de Saint-Barthélemi, sur les nouvelles représentations qui leur furent faites, consentirent qu'on bâtît, près du monastère, une chapelle succursale, dépendante de l'ancienne paroisse; cet accord est de l'an 1235. Mais cette chapelle se trouva bientôt trop petite; car on voit, par un ancien titre[126], qu'au mois de novembre 1270 on en faisoit construire une nouvelle.
En 1319, l'église Saint-Gilles n'étoit encore qu'une chapelle succursale: elle fut rebâtie de nouveau l'année suivante, et les religieux de Saint-Magloire permirent qu'on y mît deux petites (p. 590) cloches qui pussent être entendues dans les rues Aubry-le-Boucher et Bourg-l'Abbé où étoient des maisons qui en dépendoient; le caractère de construction de la nef indique en effet ce temps-là, quoiqu'il paroisse que depuis on l'a rendue plus solide[127]. Vers la fin du même siècle on songea à agrandir cette église, et les marguilliers achetèrent, dans cette intention, quelques portions du terrain qui l'environnoit; mais plusieurs obstacles empêchèrent que le projet ne fût alors exécuté.
Cette église étoit encore succursale en 1611, lorsqu'on jeta les fondements du chœur, lequel fut construit dans un goût moderne[128] tout-à-fait (p. 591) différent du reste. Enfin, en 1617, Henri de Gondi, cardinal et évêque de Paris, la sépara de Saint-Barthélemi et l'érigea en église paroissiale[129].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-LEU ET SAINT-GILLES.
TABLEAUX.
Sur le maître autel, une Cêne par Porbus[130] Dans le chœur, une Nativité et un Saint-Gilles, par Oudry; la Résurrection, par Bertin; la Pentecôte et une copie de Raphaël, par des peintres inconnus.
(p. 592) Dans la chapelle à droite, Jésus-Christ et la Samaritaine, par Restout.
Dans la chapelle à gauche, une Annonciation par le même. Dans la nef, un couronnement d'épines et un Christ, par Mérelle; une Vierge et l'enfant Jésus adoré par des anges; Notre Seigneur au jardin des Olives; la Vierge pleurant sur le corps de son fils; un saint Jacques; Tobie rendant la vue à son père, par des peintres inconnus.
Derrière l'œuvre, les disciples d'Emmaüs, par un peintre inconnu.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumée Marie de Landes, épouse de Guillaume de Lamoignon, premier président au parlement de Paris[131].
Le territoire de cette paroisse s'étendoit sur toutes les maisons situées à droite dans la rue Saint-Denis, depuis l'église du Saint-Sépulcre (p. 593) exclusivement; jusqu'à la rue Greneta. Elle continuoit à droite un peu au-delà de la rue Bourg-l'Abbé, renfermant cette rue en entier et une partie de celle du Grand-Hurleur. Elle possédoit aussi tout le côté droit de la rue aux Ours, en y entrant par la rue Saint-Denis, et en y joignant le coin de la rue Saint-Martin. Il faut y ajouter quelques maisons de la rue Quinquempoix, une partie du côté gauche de la rue aux Ours, la rue du Petit-Hurleur en entier, le cul-de-sac de la Porte aux Peintres, la rue Salle-au-Comte, et celle de Saint-Magloire. Enfin elle faisoit un écart jusque dans la rue Aubry-le-Boucher, où elle possédoit aussi quelques maisons.
C'étoit un ancien usage, dans l'église de Saint-Leu, de faire des prières pendant neuf jours, à l'occasion de l'avénement de nos rois à la couronne. Le 14 octobre 1716, la duchesse de Ventadour, gouvernante de Louis XV, assista dans cette église à la messe qui terminoit la neuvaine qu'on venoit d'y faire pour le jeune roi; et cet événement parut digne d'être consacré dans un tableau où on voyoit Louis XV, sa gouvernante, le duc d'Orléans, régent du royaume, le duc de Bourbon, le maréchal de Villeroi, qui tous adressoient leurs prières à saint Leu. Ce tableau étoit placé à droite dans le chœur de cette église.
(p. 594) On ignore à quelle époque et à quelle occasion le nom du second patron est devenu le premier[132].
Sauval dit avoir vu les restes d'un hôtel de ce nom, rue des Cinq-Diamants, dans des maisons situées à droite et à gauche de cette rue; ce qui le porte à croire qu'elle auroit été ouverte au travers de cet édifice. Jaillot, sans nier ce fait, dit n'en avoir trouvé absolument aucune trace.
Il étoit situé dans la rue Salle-au-Comte, et appartenoit, dans le treizième siècle, à ce seigneur. Cette demeure devint depuis la propriété du chancelier de Marle, qui y fit élever une fontaine encore subsistante aujourd'hui, et connue sous le nom de ce magistrat.
Tel étoit le nom de la maison où nos premiers magistrats municipaux tenoient leurs assemblées. Cette maison étoit située dans la rue Saint-Leufroi, près de l'arcade du Châtelet. Nous dirons plus tard à quelle époque et à quelle occasion ces magistrats allèrent s'établir à la place de Grève[133].
Il y avoit encore dans ce quartier, et à la Vallée de misère (depuis la rue Trop-va-qui-dure), une maison que, dès le temps de Childebert Ier, on appeloit la Maison-de-la-Marchandise, et qui portoit encore ce nom en 1612. Dubreul a cru y reconnoître l'ancien parloir des bourgeois; Jaillot pense qu'il s'est trompé: cette maison, qui occupoit tout l'espace compris entre la rue de la Saunerie et le Grand-Châtelet, faisoit en effet partie du domaine de la ville; mais c'étoit dans la rue Saint-Leufroi que le corps municipal tenoit ses séances.
Cette maison étoit située dans la rue des Lombards; et jusque dans les premières années du dix-huitième siècle, les étalons ou modèles des poids et mesures y étoient déposés.
(p. 596) On trouve que jusqu'à Louis VII nos rois étoient demeurés propriétaires de cet établissement et des priviléges qui y étoient attachés. Depuis ils en cédèrent la propriété, qui passa en plusieurs mains et fut définitivement acquise par le chapitre de Notre-Dame, lequel en jouissoit encore dans le siècle dernier.
Le droit de visiter les poids et balances de tous les marchands et artisans, appartenoit depuis plusieurs siècles au corps des épiciers. Nous apprenons qu'en 1321 le prévôt de Paris, sur l'ordre qu'il en reçut du parlement, fit ajuster les poids à la monnoie; qu'il fut fait trois étalons dont l'un fut remis aux mains des épiciers, et les deux autres déposés à la monnoie et au poids du roi. En 1484, ce droit leur fut confirmé par de nouvelles ordonnances; et ils l'exerçoient à l'égard de toute espèce de marchands, les orfévres exceptés, lesquels relevoient directement de la monnoie. Dans toutes leurs visites, ils étoient accompagnés d'un juré balancier nommé par le prévôt de Paris, sur leur présentation.
Jusqu'en 1434, les poids dont on se servoit pour étalons n'étoient que des masses de pierre que l'on avoit façonnées et ajustées. Ce n'est que depuis cette époque qu'on les a faits en cuivre[134].
Marché de l'Apport-Paris. C'est un petit espace carré qui se trouve situé entre l'extrémité de la rue Saint-Denis et l'angle de la nouvelle place du Châtelet.
Rue Aubry-le-Boucher. Elle traverse de la rue Saint-Denis à celle de Saint-Martin, et doit son nom à une famille connue au treizième siècle. Dans un accord fait en 1273, entre Philippe-le-Hardi et le chapitre de Saint-Méri, et dans plusieurs autres titres du même siècle[135], elle est appelée vicus Alberici Carnificis, ce qui porte à croire que cette famille se nommoit Aubry, et que l'autre mot désignoit la profession de celui qui le premier donna son nom à la rue. Dans d'autres titres elle est nommée Auberi-le-Bouchier[136]. Le petit peuple l'appelle, par corruption, Briboucher.
Rue d'Avignon. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Denis, et de l'autre dans celle de la Savonnerie, et faisoit autrefois un retour en équerre dans celle de la (p. 598) Heaumerie, lequel subsiste encore aujourd'hui sous le nom de rue Trognon. Ces trois parties ont eu chacune un nom différent, ce qui a jeté de la confusion dans l'application qu'on en a faite. Sauval et Lebeuf présentent chacun leur opinion, qui est combattue par Jaillot; et voici ce qui semble le plus probable. Au commencement du quinzième siècle, la partie de cette rue qui donne dans celle de la Savonnerie s'appeloit ruelle Jehan-le-Comte, près la Pierre-au-Lait[137]; et dans le même temps la rue Trognon portoit le nom de rue Jehan-le-Comte[138]. Quant à la partie de la rue d'Avignon qui donne dans la rue Saint-Denis, c'est elle probablement que Guillot appelle la Basennerie, d'où il vint, dit-il, dans la rue Jehan-le-Comte.
Rue du Pied-de-Bœuf. Elle aboutissoit aux rues de la Joaillerie, de la Tuerie et à la rivière. Cette rue portoit déjà ce nom dès 1437, ainsi que le prouve un ancien titre[139]; et l'on ignore d'où il lui vient.
Rue du Crucifix-Saint-Jacques. Elle va de la rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie à la place qui est devant l'église, et à la rue des Écrivains. Les plus anciens titres qui en parlent l'appellent vicus strictus ab opposito frontis Ecclesiæ S. Jacobi; elle est ainsi désignée en 1270. On la trouve depuis sous le nom de ruelle du Porce ou Porche-Saint-Jacques. Le nom de Crucifix, qu'elle a pris ensuite, vient du fief du Crucifix, dont la principale maison faisoit le coin de cette rue et de celle Saint-Jacques. Cette maison avoit pour enseigne un crucifix d'où le fief et la rue avoient pris leur nom.
(p. 599) Rue Saint-Denis. La partie de cette rue qui est comprise dans ce quartier commence au Grand-Châtelet, et finit au coin des rues aux Ours et Mauconseil. Cette rue s'appeloit anciennement la Grant-Rue; en 1310, la rue de Paris[140]; et en 1372 la Grant-Chaussiée M. Saint Denys et Grand-Rue Saint-Denys; mais elle ne prenoit ces noms que depuis l'enceinte jusqu'aux bourgs qui l'environnoient. Entre le Grand-Châtelet et les Innocents, elle s'appeloit la Sellerie[141]. On la trouve aussi indiquée sous le nom des Saints-Innocents[142].
Rue des Cinq-Diamants. Elle traverse de la rue Aubry-le-Boucher dans celle des Lombards. Elle est appelée dans deux anciens titres, dont le dernier est un acte passé par Philippe-le-Hardi, Corrigea et Corrigiaria[143]. Guillot l'appelle Conréerie, et les archives de Saint-Martin-des-Champs, Couroirie et Courouerie. En 1421 et 1550, de la Corroierie et Vieille-Couroirie. Cependant on la trouve aussi indiquée, dès 1536, sous celui des Cinq-Diamants, qui étoit l'enseigne d'une maison de cette rue[144].
Rue des Écrivains. Elle aboutit dans la rue de la Savonnerie et dans celle des Arcis. Cet endroit s'appeloit la Pierre-au-Lait avant 1254[145]; et l'on connoît encore sous ce nom[146] le carrefour où aboutissent les rues de la Heaumerie, des Écrivains, de la Savonnerie, d'Avignon (p. 600) et de la Vieille-Monnoie. La rue des Écrivains n'étoit connue, au treizième siècle, que sous le nom de Vicus Communis, et en 1300 sous celui de la Pierre o Let. En 1439, on la trouve indiquée sous le nom de la la-Pierre-au-lait dite des Écrivains. Ce dernier nom lui vient des écrivains qui s'établirent dans de petites échoppes placées le long de l'église.
Rue de Gesvres. Cette rue a été ouverte en 1642, pour communiquer directement du quai de la Mégisserie au quai Pelletier, ou du moins à l'endroit où il a été depuis construit. Elle commence au coin de la rue de la Joaillerie, et finit au pont Notre-Dame et à la rue Planche Mibrai. Il faut se figurer qu'au commencement du dix-septième siècle, le terrain qui est entre le pont au Change et le pont Notre-Dame alloit en pente jusqu'à la rivière, et qu'on n'y voyoit que quelques chétives maisons qui formoient la Tuerie et l'Écorcherie, à l'endroit où furent depuis la rue du Pied-de-Bœuf en partie, et la rue Saint-Jérôme. En 1641, le marquis de Gesvres obtint ce terrain du roi, sous la condition d'y faire bâtir un quai et quatre rues: ce qui fut exécuté; car indépendamment du quai et de la rue qui portent son nom, il fit percer plusieurs traversés, qui établiront une communication de l'un à l'autre. Ces petites rues furent fermées, en 1727, par des portes grillées, qui ne s'ouvroient que le jour, pour la commodité et la sûreté des marchands.
Rue de la Heaumerie. Elle donne d'un bout dans la (p. 601) rue Saint-Denis, et de l'autre à l'extrémité des rues de la Vieille-Monnoie et de la Savonnerie. Ce nom vient-il d'une enseigne du heaume ou des ouvriers qui fabriquoient cette espèce d'armure? Cette dernière étymologie paroît la plus vraisemblable; car on ne peut douter qu'il n'y ait eu plusieurs armuriers établis dans cette rue. Elle est même souvent nommée rue des Armuriers dans les registres de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Quoi qu'il en soit, elle étoit désignée, dès 1300, sous le nom de la Heaumerie[147].
Rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Elle aboutit à la porte de Paris et à la rue Planche-Mibrai. Il paroît, par le dit de Guillot, que, dès 1300 elle étoit appelée ainsi: «en la rue Saint-Jacques et ou Porce m'en ving.» On la trouve sous ce même nom, en 1364, dans quelques titres de Saint-Méri. Cependant alors, et même en 1373, on lui donnoit encore celui de la Vannerie (Vaneria), qu'elle avoit d'abord porté, parce qu'on ne la distinguoit pas de cette rue dont elle fait la continuation. Elle perdit ce dernier nom pour prendre celui du Porce ou Porche Saint-Jacques, où elle conduisoit, étant située au midi de cette église. Elle fut désignée aussi, en 1512, sous (p. 602) le nom du Crucifix-Saint-Jacques. Il y a quelques titres qui l'indiquent sous celui de la Grande-Boucherie[148]. On a ouvert dans cette rue deux passages: l'un qui donne dans la rue Planche-Mibray, l'autre qui conduit au marché Saint-Jacques-la-Boucherie.
Marché Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Il a été établi sur l'espace où étoit autrefois située l'église dont il a pris le nom. Les baraques dont il est couvert sont occupées par des revendeurs et des fripiers.
Rue Saint-Jérôme. Elle aboutit d'un côté à la rue de Gesvres, et de l'autre à celle de la Tuerie. Lorsque M. de Gesvres obtint de faire bâtir dans cette partie de terrain, qui étoit anciennement l'Écorcherie, on nomma cette rue petite rue ou ruelle de Gesvres. La malpropreté qui y régnoit constamment la fit appeler par le peuple rue Merderet; et c'est ainsi qu'elle est désignée sur un plan manuscrit du domaine. Enfin une statue de saint Jérôme placée à l'un de ses angles dans la rue de Gesvres, lui a fait donner le nom qu'elle porte aujourd'hui.
Rue de la Joaillerie. Elle va du pont au Change[149] à la rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie. En 1300 et 1313 elle s'appeloit rue du Chevet-Saint-Leufroi; mais alors elle n'alloit point jusqu'à la rue Saint-Jacques, ni même jusqu'à la Boucherie. Le terrain sur lequel on l'a ouverte de ce côté, étoit occupé par un four mentionné dans nos historiens sous les noms de Four-d'Enfer et de Four-du-Métier. (p. 603) Il fut détruit sous le règne de Charles V; et cette démolition ayant procuré un passage direct au Grand pont, ce passage fut nommé d'abord rue du pont au Change. Il prit ensuite le nom de rue de la Joaillerie, des orfèvres et joailliers qui vinrent s'y établir après l'incendie du pont au Change en 1621. Elle est nommée sur quelques plans rue du pont au Change, rue de la Vieille-Joaillerie, et suivant Sauval et le tableau des rues de Paris, rue de la Vieille-Chevalerie.
Rue de la Vieille-Lanterne. C'est la continuation de la rue de la Tuerie, jusqu'à la vieille place aux Veaux. Voyez rue de la Tuerie.
Rue Saint-Leufroi. Elle étoit située en face du pont au Change, et aboutissoit à la porte de Paris. Comme elle passoit sous le Grand-Châtelet, on la trouve souvent nommée rue du Châtelet; en 1313, rue Devant-le-Chastel. Elle doit son nom à la chapelle qui étoit autrefois située en cet endroit[150].
Rue des Lombards. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin. Au treizième siècle on l'appeloit la Buffeterie (vicus Buffeteriæ)[151]. Elle prit le nom des Lombards de certains usuriers qui s'y étoient établis; et dès 1322 elle est nommée, dans un arrêt du parlement, vicus Lombardorum qui vulgariter la Buffeterie nuncupatur, ce qui porteroit à croire que ce nom des Lombards étoit le nom primitif. On sait qu'ils étoient venus s'établir en France et à Paris avant le règne de saint Louis. Dans plusieurs arrêts rapportés aux registres (p. 604) Olim, il est fait mention, en 1269, des Lombards, des Lucquois et des Mercatores transmarini établis à Paris. C'est dans cette rue qu'étoit encore, au dix-septième siècle, la maison du poids du roi[152].
Rue Saint-Magloire. Elle va de la rue Saint-Denis dans la rue Salle-au-Comte. En 1426, elle portoit le nom de Saint-Leu[153], qu'on donnoit à la dernière de ces deux rues dont elle fait la continuation. On l'a nommée aussi rue Saint-Gilles, et en 1585 rue Neuve-Saint-Magloire. En 1632 et 1638, on l'appeloit ruelle de la prison Saint-Magloire. C'étoit encore un cul-de-sac en 1640.
Rue de Marivaux. La grande rue de ce nom traverse de la rue des Lombards dans celle des Écrivains; la petite a un bout dans celle-ci, et l'autre dans la rue de la Vieille-Monnoie; le terrain sur lequel toutes les deux sont situées, s'appeloit, en 1254 et 1273, Marivas. Le nom de Marivas subsistoit encore en 1313, quoique, dès 1300, Guillot dise le grand et le petit Marivaux, nom que ces rues ont toujours conservé depuis. Au coin de la grande, et en face du portail de l'église Saint-Jacques, étoit la maison du célèbre Nicolas Flamel[154].
Il paroît que c'est la petite rue de Marivaux que Corrozet appelle rue des Prêtres.
(p. 605) Rue des Trois-Maures. Elle traverse de la rue Trousse-Vache dans celle des Lombards. On la connoissoit, avant 1300, sous le nom de Guillaume Joce ou Josse; et c'est ainsi qu'elle est désignée dans tous les titres. Guillot parle d'une rue du Vin-du-Roi; et par sa marche, c'est certainement celle-ci qu'il a voulu désigner. On présume que cette seconde dénomination lui avoit été donnée à cause des caves d'une auberge située dans cette rue, ou étoit le vin destiné pour le roi. Cette auberge fameuse ayant pour enseigne les Trois-Maures, en a donné depuis le nom à la rue. Ainsi l'indiquent le procès-verbal de 1636, et tous les plans qui ont été faits depuis.
Rue de la Vieille-Monnoie. Elle donne d'un bout dans la rue des Lombards, et de l'autre au carrefour des rues de la Heaumerie, de la Savonnerie et des Écrivains. On trouve, en 1227, une maison indiquée in Monetariâ[155]. Guillot la nomme la Viez-Monnoie. On ne sait quand y fut établie la Monnoie, d'où elle a tiré son nom. Le procès-verbal de 1636 l'appelle rue de la Vieille-Monnoie ou Passementière.
Rue Ogniard. Elle va de la rue des Cinq-Diamants à celle de Saint-Martin. Dès 1260, on en trouve des indications sous le nom de vicus Almarici de Roissiaco; en 1300, on disoit rue Amauri-de-Roussi, rue Oignat en 1493, et rue Hoignart en 1495[156]. Ces noms ont été fort défigurés par les copistes.
Rue Pierre-au-Poisson. Elle aboutissoit dans la rue de la Saunerie et au marché de la porte de Paris. Autour du Châtelet, dont cette rue faisoit le circuit occidental, (p. 606) étoient de longues pierres sur lesquelles on étaloit le poisson; et c'est de là que la rue a pris le nom. Il paroît que cette Poissonnerie commença en 1182, Philippe-Auguste ayant permis, cette même année, aux bouchers de la Grande-Boucherie d'acheter et de vendre du poisson d'eau douce. La situation de cette rue l'a quelquefois fait appeler rue de la Petite-Saunerie, à cause de la maison de la marchandise du sel qui s'y tenoit; on l'a aussi nommée rue de la Larderie[157], parce qu'elle régnoit le long du marché à la volaille.
Cette rue vient aboutir aujourd'hui à la nouvelle place du Châtelet.
Rue Quinquempoix. Elle aboutit aux rues Aubry-le-Boucher et aux Ours. Cette rue, appelée autrefois Cinquampoit, Quincampoit et Quinquenpoist, est plus ancienne que ne l'a pensé l'abbé Lebeuf, qui croit qu'elle peut devoir son nom à Nicolas de Kiquenpoit, dont un cartulaire de Sorbonne fait mention l'an 1253. Il existe des titres qui remontent jusqu'à l'an 1210, dans lesquels elle a déjà ce nom[158]. L'étymologie en est inconnue. Quant à celle qu'on en veut tirer de cinq paroisses, ou cinq poist (potestas, ou censives), elle ne mérite pas d'être discutée[159]. On a ouvert dans cette rue un passage qui donne dans la rue Saint-Martin. Il se nomme passage Molière.
(p. 607) Rue Salle-au-Comte. Elle donne d'un bout dans la rue aux Ours, et de l'autre à l'extrémité de la rue Saint-Magloire. Ce n'étoit anciennement qu'un cul-de-sac, qui existoit encore en 1442, et qui aboutissoit à l'une des portes de l'abbaye Saint-Magloire[160]. Le cartulaire de cette église le désigne, en 1312, place ou voie qui n'a point de chief, qui vient de la rue où l'on cuit les hoëes, devant la maison du comte de Dampmartin. Cette maison, qu'on nommoit, à la fin du treizième siècle, la Salle du Comte ou au Comte, étoit située au coin et le long de cette ruelle jusqu'aux jardins de Saint Magloire. Elle passa depuis au chancelier de Marle[161], lequel y fit bâtir la fontaine qui porte son nom, et qui subsiste encore. Vers ce temps, c'est-à-dire au quinzième siècle, on appeloit ce cul-de-sac au Comte-de-Dammartin. En 1623 et 1651 on disoit rue Salle-au-Comte, autrement la cour Saint-Leu[162]. À l'angle de cette rue étoit une statue de la Vierge, dont nous parlerons à l'article de la rue aux Ours[163].
Rue de la Savonnerie. Elle va de la rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie au carrefour des rues de la Vieille-Monnoie, de la Heaumerie et des Écrivains. On ne (p. 608) trouve point qu'elle ait porté d'autre nom, et l'on ignore pourquoi elle est ainsi appelée.
Rue de la Vieille-Tannerie. Elle donne d'un bout dans la rue de la Tuerie et de l'autre dans celle de la Vieille-place-aux-Veaux. Elle doit ce nom à ceux qui préparoient les peaux de bêtes qu'on y écorchoit. Dès le quinzième siècle, elle portoit ce nom[164].
Rue de la Triperie. Elle étoit située entre le Grand-Châtelet et la Boucherie. Sauval ne la distingue point de celle du Pied-de-Bœuf[165], et en effet elle en faisoit partie. Les petites échoppes de tripières qui étoient adossées à la Boucherie l'avoient fait appeler rue des Boutiques. Elle faisoit la continuation de la rue de la Place-aux-Veaux jusqu'à la porte de Paris, et dans cette partie elle étoit connue sous le nom de l'Iraigne: c'est ainsi qu'elle est nommée sur un plan manuscrit de la censive de Saint-Méri, de l'an 1512; un autre censier de l'évêché, de 1489, indique la rue de l'Iraigne et l'hôtel de la Grant-Iraigne, qui lui en avoit fait donner le nom. Ce n'étoit point une enseigne de l'Araignée, comme on pourroit le penser, mais de l'Iraigne, croc de fer à plusieurs branches pointues et recourbées, auxquelles on accroche la viande. En effet, dans un compte de recettes de Saint-Germain-l'Auxerrois, à la date de 1524, cette même maison est indiquée comme ayant pour enseigne la grande Iraigne de fer.
Rue Trognon, que quelques-uns écrivent Tronion. On croit, qu'elle se nommoit anciennement rue Jean-Fraillon[166]. (p. 609) Depuis elle eut un autre nom, dont on a fait, par aphérèse, celui de Trognon; ensuite, elle fut nommée Tronion et Truvignon, enfin, rue de la Galère, de l'enseigne d'un cabaret qui y étoit situé.
Rue Trop-Va-Qui-Dure. On a donné ce nom au chemin ou rue qui régnoit le long du Châtelet, depuis la rue de la Saunerie jusqu'à celle de Saint-Leufroy. On la trouve dans La Caille sous deux noms singuliers, dont l'étymologie est inconnue. Il l'appelle: Qui-Trop-Vasi-Dure et Qui-mi-Trouva-si-Dure. Anciennement elle n'étoit connue que sous le nom général de Chemin ou Grant-Rue le long de la Seine, ou sous celui de Vallée-de-Misère. En 1524 on la nommoit rue des Bouticles, près et joignant Saint-Leufroi[167]; en 1540, rue de la Tournée-du-Pont; en 1636, rue de la Descente de-la-Vallée-de-Misère.
Rue Trousse-Vache. Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Denis, et de l'autre dans celle des Cinq-Diamants. Jaillot pense qu'elle doit ce nom plutôt à une famille connue anciennement qu'à une enseigne de la Vache troussée, comme le disent Sauval et Piganiol. Il croit que cette enseigne n'y aura été mise par la suite que par allusion au nom de la rue et de la famille dont elle avoit emprunté ce nom. En 1248[168], un acte fait mention d'une maison qui avoit appartenu au sieur Trossevache: et il en existe d'autres, passés en 1257, par Eudes Troussevache[169]. Cette dénomination n'a point varié[170].
(p. 610) Rue de la Tuerie. Elle aboutit à l'extrémité de la rue du Pied-de-Bœuf et à la Vieille-place-aux-Veaux. Au treizième siècle et depuis, elle s'appeloit simplement l'Écorcherie. En 1512, les titres de Saint-Méri la nomment rue de l'Écorcherie ou des Lessives. On l'a depuis appelée rue de la Vieille-Lanterne[171], et elle porte encore aujourd'hui ce nom dans la partie qui aboutit à la Vieille-place-aux-Veaux.
Rue de la Vieille-place-aux-Veaux. Elle commence à la rue Planche-Mibrai, où étoit la place aux Veaux, dont elle a pris le nom, et aboutit en retour à la rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie; elle se prolongeoit, dans le principe, jusqu'à la porte de Paris. La place aux Veaux est ancienne: au treizième siècle on y brûloit les cochons, (p. 611) depuis on y vendit les veaux; et c'est de là qu'elle avoit pris son dernier nom. Au quatorzième siècle elle s'appeloit la place aux Sainctyons[172], une des premières familles de bouchers qui soient connues. La liste des rues du quinzième siècle l'indique sous le nom de rue aux Veaux; et Corrozet, sous celui de place aux Veaux. Il est probable que le surnom de vieille ne lui a été donné que depuis qu'on a transféré cette place sur le quai des Ormes, en vertu d'un arrêt du 8 février 1646.
Rue de Venise. Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Martin, et de l'autre dans la rue Quinquempoix. Guillot l'appelle Sendebours-la-Trefilliere, et des titres de 1300 et 1313, rue Hendebourc-la-Trefélière. Cependant ce n'est point là le nom véritable: les titres de Saint-Méri la nomment, depuis 1250, rue Erembourg ou Herambourg-la-Trefélière, et elle a gardé ce nom jusqu'au quatorzième siècle, qu'elle prit celui de rue Bertaut-qui-dort; c'étoit le nom d'une maison qui y étoit située[173]. Au seizième siècle, une enseigne de l'Écu de Venise lui fit donner la dénomination qu'elle porte encore aujourd'hui[174].
Quai de Gesvres. Nous avons dit qu'en 1642 le marquis de Gesvres avoit obtenu du roi le terrain qui est compris entre le pont au Change et le pont Notre-Dame, sous la condition d'y faire bâtir un pont et ouvrir quatre rues. Les lettres-patentes portoient que ce quai seroit porté sur des arcades et piliers posés d'alignement et s'étendant de l'un à l'autre pont, et qu'il seroit revêtu d'un parapet de trois pieds de haut. En 1657, on permit d'y faire construire de petites boutiques à demi-pied de ce parapet; sur ces boutiques, on éleva depuis plusieurs étages, de manière que ce quai étoit couvert dans toute son étendue. Ces constructions ont été abattues.
Au milieu de la place nouvelle qui occupe une partie du terrain sur lequel étoit construit le Grand-Châtelet, on a élevé une fontaine d'un aspect très-élégant.
La base de cette fontaine se compose d'un piédestal carré, dont le dé est orné de deux aigles renfermés dans une couronne, et présente à ses quatre angles des (p. 613) cornes d'abondance chargées de fruits et terminées à leur partie inférieure par des têtes de monstres marins jetant de l'eau par les narines dans un grand bassin circulaire. Au-dessus de ce piédestal s'élève une colonne entourée de quatre figures qui se tiennent par la main: deux de ces figures (celles qui sont placées vers le pont au Change) soutiennent une épée appuyée sur une table qui porte cette inscription, CODE; pour attributs, elles ont à leurs pieds une lampe et un coq. Les deux autres, du côté de la ville, portent la massue d'Hercule entourée d'un serpent, et l'une d'elle est revêtue de la peau du lion. Le fût de la colonne jusqu'à la hauteur des figures est orné de glands et de feuilles de chênes: au-dessus, ses ornements se composent de feuilles non dentelées. Cinq bandes horizontales, bordées de couronnes de laurier, partagent cette colonne en cinq parties égales; et sur chacune de ces bandes sont inscrits les noms des batailles les plus fameuses qui se sont données pendant la révolution.
Enfin, au-dessus du chapiteau, qui se compose de feuilles de palmier, est posée une sphère entourée des figures des quatre vents; et sur cette sphère s'élève une figure de la victoire, à demie nue, les ailes éployées, et portant deux couronnes dans ses mains étendues. Cette figure est entièrement dorée, ainsi que le demi-globe sur lequel elle est appuyée. C'est un joli monument dont la composition fait honneur à M. Bralle, qui en est l'auteur, et dont l'exécution, confiée à M. Boizot, mérite aussi des éloges.
L'église de Saint Leu. L'intérieur de cette église a été réparé; plusieurs tableaux anciens tirés des dépôts du (p. 614) gouvernement lui ont été donnés et font l'ornement de sa nef et de ses autels; elle a obtenu, en outre, de la ville de Paris, un tableau nouveau représentant la femme adultère, peint en 1819 par M. Delaval.
La cour Batave. C'est un grand édifice que l'on a élevé sur l'emplacement de l'église du Saint-Sépulcre, et qui mérite d'être remarqué. La façade sur la rue Saint-Denis se compose de trois arcades et de huit colonnes ioniques. On entre par l'arcade du milieu, qui est couverte en terrasse et ornée de caissons, dans la cour dont la dimension présente un carré long entouré de colonnes et de pilastres ioniques, et composé de cinq arcades dans sa plus longue dimension. Ces arcades sont remplies par des boutiques[175]; et dans les cintres, qui sont ornés de figures allégoriques et de symboles du commerce, on a pratiqué des entresols.
Sur la partie la plus étroite du carré, et qui fait face à la porte d'entrée, s'élève une maison à trois étages, couronnée d'une corniche avec triglyphes et bas-reliefs moulés; une arcade en voûte qui occupe le milieu de cette maison, sert de communication pour entrer dans une cour plus petite que la première.
Enfin, dans une niche placée au milieu de la première cour et ornée aussi de caissons, est une fontaine qui se compose d'une statue de Cybèle, à demi nue, la tête couronnée d'une tour et assise au milieu de deux lions vomissant de l'eau dans un vaste bassin; des Tritons en bas-relief accompagnent, de chaque côté, cette composition; sur la clef de la niche est sculpté le caducée (p. 615) de Mercure; et les tympans sont ornés de deux figures moulées et tirées de la fontaine des Innocents[176]. Cette fontaine, que l'on aperçoit à travers les arcades dont se compose la porte d'entrée, est d'un bel effet, quoique l'exécution en soit médiocre.
NOTA. Il existoit anciennement, à l'endroit que l'on nomme l'Apport-Paris, une fontaine qui portoit le nom du Grand-Châtelet. Auprès étoit une croix où le curé et le clergé de Saint-Germain-l'Auxerrois venoient tous les ans en procession, le dimanche des Rameaux. Après avoir chanté l'Évangile, ils se rendoient à la prison, et y délivroient quelques prisonniers détenus pour dettes.
Ce quartier est borné à l'orient par le marché de l'Apport-Paris et par la rue Saint-Denis exclusivement; au septentrion par la rue de la Féronnerie, y compris les charniers des Saints-Innocents du côté de la même rue, et par une partie de la rue Saint-Honoré inclusivement, depuis ladite rue de la Féronnerie jusqu'au coin des rues du Roule et des Prouvaires; à l'occident, par les rues du Roule et de la Monnoie, et par le carrefour des Trois-Maries jusqu'à la rivière, le tout exclusivement; et au midi, par les quais de la Vieille Vallée-de-Misère et de la Mégisserie inclusivement.
On comptoit en 1789, dans ce quartier, vingt-neuf rues, deux places et deux culs-de-sac. On y voyoit, avant la révolution, une église collégiale et paroissiale, une chapelle, une prison et un grenier public.
En jetant les yeux sur la carte qui représente Paris tel qu'il étoit sous le règne de Philippe-Auguste, on voit que ce quartier est un des plus anciens de cette partie de la ville, et qu'il étoit déjà renfermé en entier dans l'enceinte que ce prince avoit fait élever.
Toutefois, et nous croyons devoir le répéter, si l'on veut se faire une idée exacte de ces premiers quartiers, à l'époque où furent bâtis les vieux monuments que nous décrivons, il faut en quelque sorte les dépouiller des constructions modernes (p. 617) qui en ont changé presque tout l'aspect, et se reporter à ces temps grossiers où les arts, encore dans l'enfance, et les besoins extrêmement bornés de nos simples aïeux, ne leur donnoient ni le pouvoir ni la volonté de rendre à la fois commode et agréable le séjour qu'ils habitoient. Quoique Philippe eût fait paver les principales rues de la ville, que les nouvelles murailles en eussent considérablement augmenté l'étendue, et que ce monarque vigilant n'eût rien négligé, autant du moins que le permettoient son siècle et ses moyens, pour la sûreté et l'embellissement de sa capitale; cependant c'est seulement sous ses successeurs que les vignes, les terres labourables, les prés renfermés dans la nouvelle enceinte furent couverts de maisons et d'édifices publics. D'un autre côté, la Seine n'étoit point encore entourée de cette longue suite de quais qui la forcent de couler dans son lit, et opposent une digue insurmontable à ses fréquentes inondations. Libre alors dans son cours, elle étendoit ses ravages sur ces bords, qu'elle rendoit souvent malsains et impraticables. Philippe-le-Bel fut le premier qui, pour remédier à ces inconvénients, ordonna, en 1312, de construire un quai depuis l'hôtel de Nesle jusqu'à la maison de l'évêque de Chartres[177]; ce qui fut exécuté les (p. 618) années suivantes. Il paroît, par un compte du payeur des œuvres de la ville de Paris, que le quai[178] qui borde au midi le quartier que nous allons décrire ne fut bâti qu'en 1369, et que le port au Foin ne[179] fut pavé que l'année suivante. Le terrain qu'occupe ce quai alloit auparavant en pente jusqu'à la rivière; il formoit des basses-cours et des jardins; et, au sortir de la Cité, il n'y avoit d'autre chemin pour se rendre au Louvre que la rue Saint-Germain. Au bout du pont aux Meuniers, on ne comptoit alors que deux maisons en retour; elles étoient élevées sur un mur de neuf toises quatre pieds de long sur vingt-huit pieds d'épaisseur, qui servoit de borne à la rivière de ce côté[180]. Le terrain situé à l'extrémité de ce quai, du côté oriental, entre l'abreuvoir Popin et la rue Saint-Leufroi, a été long-temps appelé la Vallée-de-Misère. On y tenoit le marché à la volaille; et c'est de là que Guillot désigne cet endroit sous le nom de la Poulaillerie. Sa partie occidentale étoit habitée, dès la fin du treizième (p. 619) siècle, par des gens qui préparoient les peaux, et qu'on nomment mégissiers[181]. Une sage police éloignoit dès lors du centre des villes ces sortes d'ouvriers, les tanneurs, les teinturiers et autres artisans dont les travaux pouvoient y répandre l'infection[182].
Tel étoit alors l'état de la partie de Paris connue sous le nom de Ville: des terrains vagues et déserts occupoient l'extrémité de son enceinte, et des marais fangeux la bordoient le long du cours de la rivière.
En sortant de la Cité pour aller au Louvre, le premier édifice public que l'on rencontroit étoit une espèce de château qui appartenoit à l'évêque, et qui n'a été détruit que vers la fin du siècle dernier.
Ce bâtiment[183], qui n'existe plus, étoit situé au milieu de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Les antiquaires ne sont d'accord ni sur la manière dont le nom doit en être écrit, ni sur l'usage auquel il étoit primitivement destiné. Quelques-uns écrivent Fort-l'Évêque, comme si c'eût été une forteresse; d'autres le Four-l'Évêque, parce qu'ils prétendent que le four banal, où les vassaux du prélat envoyoient cuire leur pain, occupoit une partie de cet édifice. Le savant M. de Valois avoit adopté cette dernière opinion: Recentiores omnes scriptores, dit-il, ignari antiquitatis, Forum Episcopi vocant, quem Furnum Episcopi convenit appellari[184]. Cependant ni l'une ni l'autre de ces étymologies ne nous semble la véritable, bien que dans un très-grand nombre de (p. 621) titres de l'évêché on lise en effet le Four l'Évêque. Le For-l'Évêque étoit le lieu où l'évêque faisoit exercer sa justice, Forum Episcopi. Cela est si vrai que, dans les registres du parlement de 1308 et 1310[185], le juge de l'évêque est appelé Præpositus Furni Episcopi, et qu'ensuite il est nommé bailli du Four-l'Évêque[186]. Le véritable sens de ce mot s'étoit même conservé jusque dans les derniers temps de la monarchie; et le peuple, dans son langage trivial, appeloit encore four toute prison ou tout endroit où l'on mettoit en chartre privée ceux qu'on avoit enrôlés par surprise ou par force.
La censive des évêques ayant toujours été fort étendue, il étoit nécessaire qu'ils eussent un officier préposé pour recevoir leurs droits, et un juge pour décider les affaires contentieuses qui pouvoient naître de cette perception, ou pour prononcer sur les peines dont étoient passibles les crimes commis dans l'étendue de leur seigneurie. Il est vraisemblable que ce tribunal fut d'abord placé dans la Cité; mais on ne trouve à ce sujet ni indice ni tradition. Depuis, la ville s'étant accrue (p. 622) du côté du nord, et le marché public ayant été établi sur le territoire de Champeaux, il est probable que l'évêque, qui se trouvoit, par ces accroissements, dans un conflit de juridiction avec le roi, jugea à propos de transporter sa justice de ce côté. On pourroit donc en fixer l'époque vers 1136, temps où l'évêque Étienne céda à Louis-le-Gros[187] les deux tiers de ce terrain de Champeaux, ou en 1222, date de l'accord que Philippe-Auguste fit avec Guillaume de Seignelai, qui gouvernoit alors l'église de Paris, au sujet de la justice et des droits qu'ils pouvoient respectivement exercer. Il est certain du moins que, depuis cette dernière époque, on ne voit point que la justice séculière de l'évêque ait été rendue ailleurs qu'en cet endroit; et dans les diplômes de ces deux princes, il est fait mention de l'officier du roi et de celui de l'évêque, sous le même nom de prévôt (præpositus).
Les mêmes motifs furent cause sans doute de l'érection d'un tribunal du roi semblable à celui du prélat. On voit, par tous les titres qui en font mention[188], que le For-le-Roi[189] étoit aussi situé dans la rue Saint-Germain, vis-à-vis le For-l'Évêque.
(p. 623) Une inscription[190], gravée sur la porte de ce dernier monument du côté du quai de la Mégisserie, nous apprenoit qu'il fut rebâti depuis les fondements, en 1652, par Jean-François de Gondi, premier archevêque de Paris. Cependant il faut observer ou qu'il ne fut pas rebâti en entier, ou que l'on conserva le mur du côté de la rue Saint-Germain: car la porte qu'on y voyoit annonçoit une antiquité qu'on peut fixer au treizième siècle. Au-dessus étoient plusieurs sculptures remarquables: au milieu, un évêque et un roi de France vis-à-vis l'un de l'autre, et agenouillés devant une image de Notre-Dame, symbole de l'association à laquelle Louis-le-Gros fut admis, ou du traité de paix fait entre l'évêque et Philippe-Auguste; d'un côté, les armes de France à fleurs de lis sans nombre, traversées d'une crosse droite; de l'autre, un juge en robe et en capuchon, des assesseurs, et un greffier vêtu comme un homme d'église.
Louis XIV, par son édit de 1674, ayant réuni (p. 624) au Châtelet toutes les justices particulières, transféra celle de l'archevêché, et l'unit au tribunal de la temporalité[191], situé dans la cour du palais archiépiscopal. Depuis ce temps, le For-l'Évêque fut destiné à servir de prison, principalement pour ceux qui étoient arrêtés pour dettes.
Il étoit situé dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, au coin de la rue des Orfévres[192].
Il y avoit anciennement, près le Châtelet, un édifice appelé maison de la marchandise de sel; et c'est de là que la rue de la Saunerie a pris son nom. Cet établissement fut ensuite placé dans la rue Saint-Germain, entre la place des Trois-Maries et l'Arche-Marion; il paroît qu'il étoit situé des (p. 625) deux côtés de la rue; mais les bâtiments n'étant ni assez vastes ni assez commodes, on fit acquisition, en 1698, d'une grande maison qui, dès le treizième siècle, appartenoit à l'abbaye de Joie-en-Val[193]. La manse abbatiale de ce monastère ayant été réunie à l'évêché de Chartres, comme une compensation des démembrements qu'on y avoit faits pour former l'évêché de Blois, cette circonstance parut favorable pour transférer le grenier à sel dans cette maison. C'étoit à cause de cette ancienne propriété et de cette aliénation qu'on avoit sculpté, sur la façade des bâtiments qui furent refaits, les armes de l'évêque de Chartres et celles de l'abbaye de Joie-en-Val, à côté de celles du roi. Les trois corps de l'édifice total étoient, par la même raison, désignés sous les noms de Grenier-au-Soleil, Grenier-l'Évêque, Grenier-l'Abbaye.
Derrière le grenier à sel étoit la juridiction des officiers préposés à la distribution de cette denrée, dont la vente appartenoit exclusivement à l'autorité publique.
Cette chapelle[194], qui étoit située à l'autre extrémité de la rue des Orfévres, avoit été bâtie par les gens de cette profession vers la fin du quatorzième siècle. Sur la première origine de ce petit monument, on trouve dans les historiens de Paris[195] quelques erreurs qu'il est facile de réfuter. «À l'endroit, disent-ils, qu'occupe la chapelle de Saint-Éloi, il y avoit anciennement, à ce qu'on prétend, un hôpital avec une chapelle appelée la chapelle de la Croix-de-la-Reine; il en est fait mention dans les lettres d'Odon, évêque de Paris; et quoiqu'elles ne marquent pas précisément le lieu où elle étoit située, on voit que c'étoit dans le terrain de Saint-Germain-l'Auxerrois.» Les lettres (p. 627) d'Eudes de Sully, écrites en 1202[196], détruisent complètement cette opinion. On y voit qu'on avoit fondé depuis peu un hôpital et une chapelle près de la Croix-de-la-Reine, dont ces deux nouvelles fondations avoient pris le nom. Cette croix étoit alors placée hors des murs, au-delà de la porte Saint-Denis, à l'endroit où aboutissent les rues du Renard et Greneta; la fontaine qui est au coin de cette dernière étoit encore appelée, avant la révolution, Fontaine-de-la-Reine, et tous les titres de Saint-Martin-des-Champs et de Saint-Lazare ne permettent pas de la chercher ailleurs. Voilà donc le lieu précisément marqué: quant à l'hôpital, c'étoit celui de la Trinité, dont nous parlerons par la suite. Il faut en conséquence rejeter toute idée d'un hôpital et même d'une chapelle existant à l'endroit où étoit celle de Saint-Éloi.
Dans ces temps anciens, où un esprit de charité animoit toutes les classes de la société, les orfévres payoient chaque année à l'Hôtel-Dieu une somme assez considérable pour ajouter au soulagement qu'y recevoient les pauvres ouvriers de leur corps: ils pensèrent ensuite qu'il étoit plus convenable qu'ils prissent eux-mêmes ce soin; et dans cette vue ils achetèrent, en 1399, (p. 628) de Roger de la Poterne, un de leurs confrères, et de Jeanne sa femme, une grande maison située dans la rue des Deux-Portes, et appelée l'hôtel des Trois Degrés, parce qu'on y montoit par autant de marches. Il formoit un espace carré qui régnoit le long de cette rue et de celles de Jean Lantier et des Lavandières. Les anciens bâtiments furent démolis; on construisit à la place une grande salle où l'on mit des lits; on ménagea des chambres au-dessus et une petite chapelle dans le fond. Le 12 novembre 1403, Pierre d'Orgemont, évêque de Paris, permit aux orfévres d'y faire célébrer le service divin; et cette permission fut ratifiée, en 1406, par un décret du cardinal de Chalant, à cette époque légat en France. L'abbé Lebeuf dit qu'on y mit une cloche[197], et qu'alors le chapitre de Saint-Germain prétendit faire valoir un droit de patronage sur cette nouvelle fondation; mais il ne fait point connoître ce qui fut décidé à ce sujet. Par les archives de la communauté des orfévres, il paroît que toutes les contestations de ce genre furent toujours jugées en sa faveur.
Cet hôpital, ainsi disposé, fut destiné à recevoir les pauvres orfévres âgés ou infirmes et leurs veuves; et les choses restèrent en cet état (p. 629) jusqu'au règne de Henri II. À cette époque les premiers bâtiments, construits en bois, menaçant ruine, on prit la résolution de les reconstruire en pierre, ainsi que la chapelle. La communauté se trouvoit alors propriétaire de huit maisons environnantes qu'elle avoit acquises successivement, et qu'elle fit entrer dans le nouveau plan de ses constructions. Un hôpital plus vaste, une chapelle plus commode prirent la place de ces vieilles masures, et le tout fut achevé en 1566. Un établissement si respectable a duré jusqu'en 1789, et l'on ne peut assez louer ce zèle noble, cette générosité touchante, qui ne se sont pas démentis un seul instant dans cette compagnie. Les pauvres orfévres étoient assurés de trouver à la fin de leur carrière une retraite honnête et tranquille, où ils recevoient tous les secours nécessaires à la vie; et l'on a vu même plusieurs de leurs confrères, par une charité encore plus ardente, sacrifier une partie considérable de leur fortune, pour adoucir le sort de ceux que leurs infirmités forçoient d'aller chercher un dernier asile dans l'hôpital des Incurables.
La chapelle étoit desservie par un chapelain, un diacre et un sous-diacre d'office, deux chantres et quelques autres officiers aux gages du corps des orfévres, et à la nomination des gardes; le chapelain seul ne pouvoit être nommé ou destitué que par délibération des gardes en charge et anciens gardes assemblés. On choisissoit de préférence (p. 630) pour remplir cet emploi un fils d'orfévre, si d'ailleurs il avoit les qualités requises.
Cet édifice avoit été construit sur les dessins de Philibert de Lorme. On y voyoit quelques figures de Germain Pilon[198], qui étoient fort estimées, et plusieurs tableaux, esquisses terminées de quelques-uns de ceux que la communauté des orfévres donnoit tous les ans à Notre-Dame.
Cette communauté étoit l'un des six corps qui, sous la monarchie, représentoient le commerce de Paris. Nous pensons que c'est ici le lieu de donner sur cette institution des six corps les détails que nous avons tirés des divers historiens de Paris.
On attribue la réunion des six corps à Philippe-Auguste. Avant ce temps, le commerce de Paris ne se faisoit que par une compagnie de gens associés sous le titre de Marchands de l'eau hansez de Paris; cette compagnie formoit le Corps-de-Ville; et c'est par cette raison que le prévôt des marchands est appelé le chef de l'Hôtel-de-Ville.
(p. 631) Ces six corps étoient les drapiers, les épiciers, les merciers, les fourreurs, les bonnetiers et les orfévres.
Chacune de ces communautés étoit gouvernée par six maîtres et gardes choisis par le corps lui-même, parmi ceux qui étoient les plus intelligents et dont la réputation étoit sans reproche. Leur administration duroit deux années. Dans les cérémonies publiques, telles que les entrées des souverains, des légats, des ambassadeurs extraordinaires, etc., ils avoient le droit d'accompagner, le prévôt des marchands, les échevins et le corps de ville, et même de porter le dais, les uns après les autres, suivant le rang qu'ils occupoient. Leur costume, dans ces solennités, étoit la robe de drap noir à collet, et des manches pendantes, parmentées et bordées de velours noir. La toque qu'ils portoient étoit également de velours[199].
Cette institution a éprouvé d'assez grandes variations; (p. 632) et le nombre des corps qui la composoient n'a pas toujours été le même pendant le cours de son existence. Sous François Ier on trouve qu'il y en avoit sept, tandis qu'on n'en compte que cinq sous Louis XII. «Et s'il est vrai, dit Sauval, que les pelletiers puissent être écoutés en cette occasion, il ne s'en trouveroit que quatre anciennement; et c'étoient eux qui marchoient à la tête.»
Cette prétention pour la prééminence des rangs a excité souvent des disputes assez vives entre les diverses communautés qui formoient les six corps. Ces démêlés, qui occupèrent quelquefois l'autorité, étoient d'autant plus difficiles à terminer, qu'en consultant l'ancien usage, qui seul pouvoit servir de règle en pareille circonstance, on ne voit point qu'on s'y fût assujetti à un ordre constant. À l'entrée d'Anne de Bretagne, les pelletiers furent effectivement appelés les premiers; et quelque temps après, lorsque le cardinal d'Amboise fit la sienne, les drapiers avoient le premier rang. Les changeurs étoient alors au nombre des six corps, et tenoient leur place avant les orfévres. Bientôt après, on les voit exclus de la communauté[200], (p. 633) et remplacés par les bonnetiers, à qui les orfévres disputèrent à leur tour la préséance. Enfin toutes ces querelles un peu ridicules furent terminées en 1660 par un arrêt du parlement, et ensuite par un accord fait entre les six corps assemblés. Depuis cette époque, ils ont toujours marché dans l'ordre où nous venons de les présenter.
Ils formoient entre eux une étroite confédération, dont l'objet étoit le bien du commerce en général. Cette union et ses effets étoient exprimés dans leur devise, dont le corps étoit un Hercule qui s'efforce vainement de rompre un faisceau composé de six baguettes. On lisoit autour de l'exergue ces mots: Vincit concordia fratrum.
Les marchands de vin sollicitèrent long-temps pour être admis dans cette communauté, et y former un septième corps. Il avoient même obtenu à cet effet des lettres-patentes de Henri III, qui furent confirmées d'abord par Henri IV, ensuite par Louis XIII et Louis XIV. Cependant les six corps, tant qu'a duré leur ancienne forme, n'ont jamais voulu ni les reconnoître, ni les admettre dans (p. 634) leurs assemblées, ni souffrir qu'ils se mêlassent avec eux dans les solennités publiques. Ce ne fut qu'en 1776 qu'ils parvinrent enfin à y être agrégés, lorsque Louis XVI, après avoir donné son édit pour la suppression des jurandes et communautés de commerce, recréa sur-le-champ, par un édit nouveau, six corps marchands et quarante-quatre communautés d'arts et métiers. Les marchands de vin obtinrent alors ce qu'ils désiroient depuis si long-temps, et furent le sixième corps dans la nouvelle organisation. Voici quelques détails sur l'ancienne forme, les statuts et les prérogatives de cette compagnie.
Quoique le premier rang leur ait été quelquefois disputé, cependant il paroît que, depuis très-long-temps, ils le possédoient sans aucune contestation. Ce corps, qui étoit l'un des plus anciens, étoit en même temps l'un des plus riches de la communauté.
La plupart d'entre eux habitèrent long-temps la rue de la Vieille-Draperie, dans laquelle Philippe-Auguste leur avoit donné vingt-quatre maisons confisquées sur les Juifs après leur bannissement; nous avons déjà dit que c'étoit des drapiers que cette rue avoit pris son nom.
Ce fut ce prince qui érigea leurs statuts en 1188. (p. 635) Philippe-le-Bel, le roi Jean et Charles VI les confirmèrent. Leur corps étoit autrefois divisé en deux communautés, les drapiers et les drapiers-chaussetiers; chacune avoit son patron et sa confrérie, et toutes les deux se disputèrent pendant plusieurs siècles le droit de préséance. Ce ne fut qu'en 1648 que, par un accord fait à l'amiable, elles se réunirent dans la même église et dans la même confrérie[201].
Leur bureau étoit situé rue des Déchargeurs, dans une ancienne maison nommée les Carneaux, qu'ils avoient achetée en 1527, et qu'ils rebâtirent vers le milieu du dix-septième siècle. En 1629, ils demandèrent aux prévôt et échevins de Paris des armoiries, tant pour mettre aux torches de leurs enterrements, que pour se faire distinguer dans les autres solennités. Cette demande leur fut accordée: c'étoit un navire d'argent à la bannière de France flottante, un œil en chef et le champ d'azur.
On appeloit ainsi celui des six corps où se faisoit le commerce des drogues et autres marchandises (p. 636) comprises sous le nom d'épiceries. Il avoit rang après celui des drapiers.
Ce corps étoit partagé en apothicaires et épiciers, et ces derniers en droguistes, confituriers et ciriers. Ces deux divisions étoient gouvernées par les mêmes maîtres et gardes, et régies par les mêmes lois. Ces gardes, au nombre de six, et pris également parmi les apothicaires et les épiciers, étoient chargés de tenir la main à l'exécution des statuts et réglements, de faire au moins trois visites par an, et en outre, des visites générales chez tous les marchands, maîtres de coches, etc., pour confronter les poids et les balances. C'étoit un droit dont ils jouissoient exclusivement, parce qu'ils ont eu de tout temps des étalons de poids en dépôt; mais ils ne pouvoient l'exercer sur les cinq autres corps qui étoient exempts de leur inspection.
Leurs statuts[202] furent confirmés par plusieurs lettres-patentes de nos rois, entre autres de Henri IV en 1594, et de Louis XIII en 1611 et 1624.
Ils avoient pour armoiries, coupé d'azur et (p. 637) d'or, à la main d'argent sur l'azur, tenant des balances d'or; et sur l'or, deux nefs de gueule, flottantes aux bannières de France, accompagnées de deux étoiles à cinq pointes de gueule, avec la devise en haut: Lances et pondera servant.
Le corps de la mercerie, le troisième des six corps marchands, étoit si étendu et si considérable, qu'il étoit pour ainsi dire divisé en vingt classes différentes: on distinguoit les négociants ou marchands en gros; les marchands d'étoffes de soie, brochées en or et argent; ceux qui faisoient le commerce de dorure et de galons, dentelles et réseaux d'or et d'argent; les marchands de fer, de soieries, de modes, toiles, dentelles, etc. Ce nom de mercier indique en effet, par son étymologie, toutes marchandises, denrées, ou choses dont on peut faire trafic.
Ce corps fut établi par Charles VI, qui lui donna ses premiers statuts et réglements en 1407 et 1412. Ils furent depuis confirmés et augmentés par Henri II, Charles IX, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.
À la tête de ce corps étoient sept maîtres et gardes, préposés pour la conservation de ses priviléges et de sa police. Leur bureau étoit situé rue Quinquempoix.
(p. 638) Les armoiries du corps de la mercerie étoient un champ d'argent chargé de trois vaisseaux, dont deux en chef et un en pointe. Ces vaisseaux étoient construits et mâtés d'or sur une mer de sinople, le tout surmonté d'un soleil d'or, avec cette devise: Te toto orbe sequemur.
Ce corps, qui est le quatrième, se composoit de ceux qui apprêtent et vendent toutes sortes de peaux avec leur poil, comme manchons, palatines, fourrures, etc.
Dans les cérémonies publiques, il disputoit le troisième rang au corps de la mercerie, lequel s'est cependant maintenu en possession de la préséance, malgré toutes les protestations des pelletiers, qui ne pouvoient oublier que dans l'origine ils avoient marché à la tête des six corps.
En 1586, sous Henri III, la communauté des fourreurs fut réunie à celle des pelletiers, et il leur fut donné les premiers statuts, qui les qualifioient de maîtres et marchands pelletiers, haubaniers, fourreurs. Ces statuts ont été depuis augmentés et confirmés par Louis XIII et Louis XIV.
Les armoiries de ce corps étoient un agneau pascal d'argent en champ d'azur, à la bannière de France de gueule, ornées d'une croix depuis 1368. Ce nouveau symbole fut le résultat d'une (p. 639) concession que leur procura le duc de Bourbon, comte de Clermont, grand chambellan de France, qu'ils prétendoient avoir eu pour chef et pour protecteur.
Ils avoient leur bureau rue Bertin-Poirée.
Les bonnetiers formoient le cinquième corps. Ils avoient le droit de vendre bonnets de drap, de laine, bas, gants, chaussons, et autres semblables ouvrages faits au métier, au tricot, à l'aiguille, en laine, fil, lin, poil, castor, coton, et autres matières ourdissables.
Dans les statuts de la bonneterie, accordés par Henri IV en 1608, les marchands bonnetiers sont appelés aulmuciers-mitoniers, parce qu'anciennement c'étoient eux qui faisoient des aumuces ou bonnets dont on se servoit en voyage; et qu'ils vendoient des mitaines.
Ce cinquième corps s'est accru, en 1716, de la communauté des maîtres bonnetiers et ouvriers en tricots, des faubourgs.
Il avoit son bureau dans la rue des Écrivains.
Ses armoiries étoient d'azur à la toison d'argent, surmontées de cinq navires aussi d'argent, trois en chef et deux en pointe. Il avoit autrefois une confrérie établie dans l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, sous la protection de saint Fiacre.
Ce corps se composoit des orfévres, joailliers-bijoutiers, metteurs en œuvre et marchands d'or et d'argent. Il étoit le sixième et dernier des six corps marchands.
L'orfévre est l'artiste et le marchand tout ensemble. Il fabrique, vend et achète toutes sortes de vaisselles, bijoux, vieux galons et autres effets d'or et d'argent. Il a aussi le négoce et l'emploi des diamants, perles et pierres précieuses.
Philippe de Valois avoit honoré ce corps des armoiries qu'il possédoit. Elles étoient de gueules à trois croix d'or dentelées, accompagnées, aux premier et quatrième quartiers, d'une coupe d'or, et aux second et troisième, d'une couronne du même métal, au chef d'azur semé de fleurs de lis sans nombre.
Ce corps avoit eu la prétention de marcher à la tête des autres, et ses titres, pour la soutenir, étoient qu'autrefois il avoit la garde du buffet royal dans les festins d'apparat qui se faisoient au palais de la cité. Cependant on n'eut point égard à cette réclamation; et le parlement rejeta leur requête, lorsqu'ils demandèrent d'avoir au moins le pas sur les bonnetiers[203].
L'origine de cette ancienne église a fait naître de grands débats parmi les historiens de Paris; et, dans les opinions contradictoires qu'ils présentent, on ne voit d'aucun côté des autorités assez fortes pour que l'on puisse, sans balancer, embrasser l'une de ces opinions. Jusqu'ici l'on a pu remarquer que, dans la plupart de ces antiquités dont il est resté des traditions si confuses, l'incertitude est presque toujours le résultat de tant de travaux entrepris pour démêler la vérité.
(p. 642) Le plus grand nombre prétend que cette église ne fut dans ses commencements que la chapelle d'un ermitage, qu'on nommoit Notre-Dame-des-Bois, parce qu'elle étoit située à l'entrée d'une forêt qui s'étendoit en largeur depuis cet ermitage jusqu'au pied de Montmartre, et en longueur, depuis le pont Perrin, qui étoit vers la porte Saint-Antoine, jusqu'aux environs de Chaillot. Ils ajoutent que les incursions et les ravages des Normands ayant forcé Hildebrand, évêque de Séez, de s'enfuir de son diocèse, il demanda à l'un de nos rois un lieu de sûreté pour son clergé et pour les reliques de sainte Opportune, fille du comte d'Hiême, et morte abbesse d'Almenêche; que d'abord ce prélat obtint la terre de Moucy-le-Neuf près de Senlis, où le corps de la sainte fut déposé; mais que ne s'y croyant pas encore entièrement hors d'insulte, il fut appelé à Paris, et établi dans cette chapelle de Notre-Dame-des-Bois; qu'il y fit apporter les reliques de la sainte, devint recteur de cette chapelle, et d'un hospice élevé auprès par ses soins; et qu'enfin la dévotion des fidèles et les offrandes qu'attiroient les miracles fréquents opérés par ces restes précieux permirent bientôt d'y bâtir une église plus considérable.
Toutefois ces mêmes historiens, qui s'accordent sur le fait historique auquel l'église de Sainte-Opportune doit son origine, sont d'un avis très-différent (p. 643) lorsqu'il s'agit de fixer le temps où il arriva, et le nom du prince qui fut le donataire de cette chapelle. Les uns, comme Sauval, placent la translation des reliques de la sainte en 853; d'autres, comme dom Duplessis, en 877 ou 878. Le P. Pagi en fixe l'époque à l'année 879; Le Maire, au commencement du douzième siècle; Dubreul, sous Louis-le-Jeune; enfin Germain Brice recule cet événement jusqu'en 1374. Les uns attribuent à Charles-le-Chauve et à Louis de Germanie les premières donations faites à Hildebrand; les autres en font honneur à Louis-le-Bègue, à Louis-le-Gros et à Louis-le-Jeune; enfin plusieurs font de la chapelle de Notre-Dame-des-Bois un prieuré de filles dépendant du monastère dont sainte Opportune étoit abbesse: c'est l'opinion de Sauval, de Dubreul, etc. En même temps qu'ils établissent ces sentiments divers, plusieurs donnent à la chapelle de Notre-Dame-des-Bois une antiquité plus grande qu'à aucun autre monument chrétien. Le même Sauval dit que, «si l'on en croit la tradition, saint Denis, qui vint en France en 252, la mit en grande vénération des peuples.» Un autre la fait exister en 255[204]; et Corrozet, en lui donnant une origine non moins reculée, ajoute «que madame sainte Opportune, (p. 644) religieuse, la fréquentoit souvent, et qu'elle est enclose en son église.» Nous avons vu que, selon le plus grand nombre, la forêt qui touchoit cet ermitage couvroit tout le terrain au nord de Paris.
Jaillot, qui vient après tous ces auteurs, prétend les réfuter tous: sans s'arrêter à prouver qu'on ne peut sérieusement avancer qu'il existoit une chapelle à Paris dès l'an 252, lorsqu'on n'a aucune autorité qui puisse donner même de la vraisemblance à une semblable assertion, il soutient que sous Charles-le-Chauve il existoit déjà une enceinte au nord, dans laquelle cette chapelle devoit être enclavée, et qu'il seroit absurde d'imaginer qu'il y eût une forêt dans cette enceinte. Il ajoute que nos historiens nous ayant conservé les noms de la chapelle de Saint-Pierre, de celle de Sainte-Colombe et des églises qui subsistoient dans ces temps reculés, ils auroient nécessairement fait mention de celle de Notre-Dame-des-Bois, si elle eût alors existé; que cependant on n'en trouve aucun vestige, ni dans les chartres qui contiennent les libéralités de nos rois envers l'église de Sainte-Opportune, ni dans l'histoire de la vie de la sainte, dont l'auteur avoit pu être témoin oculaire d'une partie de ces faits, etc. «Enfin, dit-il, pourquoi Hildebrand fit-il bâtir une église pour y mettre le corps de sainte Opportune? La chapelle de Notre-Dame-des-Bois ne suffisoit-elle (p. 645) pas pour renfermer ce saint dépôt? Et quelque petite qu'on puisse la supposer, n'étoit-elle pas assez grande pour lui et les quatre clercs qui l'accompagnoient? Quelle conséquence en tirer, si ce n'est que cette chapelle n'existoit point alors, et qu'elle n'a été bâtie que depuis, sous un nom que des circonstances ou des motifs particuliers lui auront fait donner, et dont la connoissance n'est point venue jusqu'à nous?»
De telles raisons ne peuvent sembler concluantes: l'ermitage et la forêt pouvoient exister avant que l'enceinte eût été formée; et lorsque l'on conçut le projet d'élever une muraille contre les incursions des Normands, on put y faire entrer la chapelle, établie sans doute sur la lisière du bois, sans être forcé d'y comprendre la forêt tout entière. En supposant qu'il ne reste aucune trace de cet ancien édifice dans les vieilles chroniques, une tradition aussi constante que celle sur laquelle s'appuient tous les historiens n'est point à dédaigner, et ne peut être rejetée comme une chimère, lorsqu'il s'agit d'un événement aussi simple, aussi naturel que celui de l'érection d'une chapelle; mais la dernière raison surtout nous semble peu digne d'un critique aussi éclairé: pourquoi Hildebrand n'auroit-il pas fait bâtir une église à la place de cette chapelle pour honorer davantage la sainte, surtout si la dévotion et les offrandes des fidèles lui en fournissoient les moyens? (et cet incident (p. 646) fait aussi partie de la tradition.) Il y a tant d'exemples de chapelles changées en églises magnifiques, uniquement parce qu'on y avoit déposé les reliques de tel ou tel saint, qu'on ne sauroit s'appuyer sur d'aussi foibles preuves pour rejeter cette tradition.
Jaillot est plus heureux dans ses conjectures sur le prince qui donna à Hildebrand le terrain sur lequel il bâtit cette église: il prétend que ce fut Louis-le-Bègue, et non Charles-le-Chauve et Louis de Germanie. Il prouve aussi très-bien que toutes les chartres des rois de la troisième race, dans lesquelles les antiquaires ont cru voir une donation de ce territoire, ne contiennent que la confirmation d'un droit de propriété que les chanoines de Sainte-Opportune possédoient dès la seconde, etc. Au reste, en soutenant que la chapelle n'existoit point avant Hildebrand, que ce fut lui qui la fit bâtir ainsi que l'hospice, il convient avec tous les historiens que les miracles opérés par les reliques de sainte Opportune occasionnèrent un concours de fidèles dont la piété et la libéralité fournirent les moyens de bâtir une plus grande église sous son invocation.
Le territoire sur lequel cette église fut élevée étant dans la dépendance de Saint-Germain-l'Auxerrois, le chapitre de cette église prétendit être en droit de nommer aux prébendes de Sainte-Opportune, ce qui lui fut accordé par Imbert, évêque (p. 647) de Paris, vers 1030, et confirmé par Galon en 1108, et Maurice de Sully en 1192.
Le chapitre de l'église de Sainte-Opportune n'étoit composé, dans son origine, que de quatre chanoines. Et d'abord il paroît qu'ils remplissoient tour à tour les fonctions curiales; mais, par suite, il n'y en eut qu'un seul chargé de ce soin. On ignore l'époque à laquelle ce nouvel ordre fut établi: on sait seulement que, vers le milieu du douzième siècle, le chapitre de Saint-Germain essaya de contester à ces chanoines le droit ancien qu'ils avoient de nommer le curé ou chefecier, jus longæ retentionis et possessionis, et qu'ils y furent maintenus par Thibauld, évêque de Paris, en 1150, et par une bulle d'Adrien IV de l'année 1159. Un second accord, passé entre ces deux chapitres en 1225, fixa d'une manière immuable les droits et les charges de la cure de Sainte-Opportune[205].
Les choses étoient encore sur le même pied au milieu du treizième siècle. Quoique la culture des (p. 648) terres, ou marais, dont ce chapitre étoit propriétaire, et les droits qu'il y percevoit, eussent considérablement augmenté ses revenus, cependant il n'étoit encore composé que du chefecier, de trois chanoines qui ne résidoient pas, et de trois vicaires qui tenoient leur place. Alors Renaud de Corbeil, par ses lettres en forme de réglement, du mois de juin 1253, divisa chaque prébende en deux, accordant toutefois que cette division n'auroit lieu qu'après le décès des chanoines existants, et même après celui d'un ecclésiastique déjà nominé et reçu pour remplir le premier canonicat vacant. La prébende à laquelle la cure étoit annexée fut comprise dans cette division, qui devoit former huit canonicats, le chefecier compris. Il fut aussi statué que chaque chanoine résideroit personnellement pendant six mois, à moins qu'il n'y eût quelque empêchement légitime; et pendant les six autres mois, par un vicaire institué à cet effet[206]. On convint encore que la collation des nouveaux canonicats appartiendroit, comme celle des anciens, au chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. Tels furent ces réglements que nous avons cru devoir citer comme un modèle d'équité, et de cet art délicat avec lequel il est permis de (p. 649) détruire un abus sans attaquer les droits des hommes, leur situation légitime dans la société, les rapports et les habitudes qui résultent de cette situation. Dans un acte aussi important, un siècle grossier se montre ici bien supérieur à celui qui s'est tant enorgueilli de ses lumières et de sa civilisation.
En 1311 Guillaume d'Aurillac, évêque de Paris, établit dans cette église deux marguilliers laïques, auxquels il donna l'administration de la fabrique.
À l'égard des constructions diverses et successives qui composoient la masse de cet antique monument, on n'a aucun renseignement précis sur le temps où elles furent élevées. Un auteur a prétendu que la nef, qui existoit encore dans les derniers temps, étoit la même qu'Hildebrand avoit fait construire sous la seconde race, et que le chœur, qui avoit subsisté jusqu'en 1154, fut alors rebâti et tourné un peu plus vers l'orient. Cette dernière circonstance est vraie; mais l'abbé Lebeuf a prouvé que tout ce qui composoit cette église, sans même en excepter le grand portail, ne pouvoit être que du treizième ou quatorzième siècle[207]; et en effet, il y avoit une grande ressemblance entre son architecture et celle de plusieurs (p. 650) autres édifices connus pour être de ce temps-là. La tour, encore plus nouvelle, étoit curieuse par les ornements dont elle étoit couverte, tels que fleurs de lis, festons, cornes d'abondance, trophées, etc., lesquels étoient des marques éclatantes qu'elle avoit été bâtie par la munificence de nos rois. Aussi cette église étoit-elle qualifiée de royale; et, à ce titre, elle jouissoit du droit de committimus[208], ainsi que de toutes les autres prérogatives des églises de fondation royale. La cure des SS.-Innocents étoit à sa nomination.
Il paroît que le service de la paroisse de Sainte-Opportune se faisoit anciennement dans une chapelle qui, dès le quinzième siècle, se trouva trop petite pour la quantité des habitants. Pour remédier à cet inconvénient, on abattit, en 1483, l'auditoire et trois maisons attenantes; la nef fut agrandie, et l'on construisit la chapelle, qui, jusqu'à la destruction totale de l'église[209], a servi à l'office paroissial.
Cette église possédoit plusieurs reliques renommées, et entre autres une côte et un bras de la sainte dont elle portoit le nom. Ce dernier ossement, (p. 651) qu'elle obtint, dit-on, en 1374, de l'abbé de Cluni, à qui appartenoit alors la terre de Moucy-le-Neuf, y fut apporté avec une pompe remarquable. Cette translation se fit du palais Saint-Paul à l'église avec grands luminaires et grande suite de peuple, à la tête duquel étoient Charles V et toute sa cour. Dès lors il fut ordonné que l'on feroit tous les ans, le premier dimanche d'après les Rois, jour de cette translation, l'office double de sainte Opportune, et que l'office du dimanche seroit remis à un autre jour.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINTE-OPPORTUNE.
TABLEAUX.
La Présentation au temple, par Jouvenet; une Mère de douleur, par Champagne.
SÉPULTURES.
La chapelle Notre-Dame-des-Bois étoit affectée depuis 1515 à la sépulture de la famille Perrot.
Dans l'église avoit été inhumé François Conan, maître des requêtes, mort en 1551, à l'âge de 44 ans[210].
On remarquoit encore dans cette église un (p. 652) candélabre à dix branches, d'un fort beau travail, que lui avoit donné l'empereur Charles-Quint, lors de son passage à Paris.
L'église Sainte-Opportune a été détruite et est remplacée par des maisons particulières.
Dans la rue des Bourdonnois il existe un édifice gothique qui porte maintenant pour enseigne la Couronne d'or. Une tradition entièrement destituée de fondement, porte que Philippe-le-Bel demeuroit, en 1280, dans cette maison; mais il est certain qu'à la fin du quatorzième siècle elle étoit occupée par Philippe, duc de Touraine, et depuis duc d'Orléans, frère du roi Jean, qui en fit l'acquisition, par contrat du 1er octobre 1363, pour une somme de deux mille francs d'or[211]. Ce prince la vendit ensuite au fameux Gui de La Trémoille, qui l'habitoit en 1398. Cet hôtel, devenu la maison seigneuriale de cette famille, (p. 654) s'étendoit le long de la rue Béthisi jusqu'à la rue Tirechape. Il paroît, par un compte de la prévôté de Paris, que cette propriété fut de nouveau vendue après la mort de ce seigneur, et réclamée ensuite par Messire Jehan de La Trémoille, seigneur de Jonvelle, auquel elle fut rendue, et qui l'occupoit en 1421. Elle a passé depuis entre les mains de diverses personnes. Le chancelier Dubourg y a demeuré; elle a ensuite appartenu au président de Bellièvre, dont elle avoit pris le nom.
Nous avons cru devoir faire graver ce petit monument, qui conserve, au milieu des réparations modernes qui l'ont défiguré, plusieurs parties entières de son ancienne architecture, laquelle est du gothique le plus élégant. Nous ne connoissons même point à Paris d'édifice de ce genre qui offre des ornements travaillés avec plus de délicatesse[212].
De l'autre côté, entre les rues de la Limace et des Mauvaises-Paroles, étoit situé, vers le milieu du seizième siècle, l'hôtel des ducs de Villeroi; il a été acquis depuis par MM. Pajot, et a servi pendant quelque temps de bureau général des postes.
C'est dans la rue de Béthisi, voisine de celle des Bourdonnois, que demeuroit Gaspard de Coligni, amiral de France; et c'est là qu'il fut massacré dans la nuit de la Saint-Barthélemi. Cette maison a été occupée depuis par les seigneurs de Rohan-Montbazon, dont elle portoit encore le nom en 1772. Elle est petite, à peine suffisante pour l'établissement du marchand qui l'occupe aujourd'hui, et n'a, dans son extérieur, rien qui annonce qu'elle ait été la demeure de personnages distingués.
L'abbé et les religieux de Royaumont avoient leur hôtel dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Cet hôtel avoit été amorti au mois de février 1248; mais en 1316, ils l'échangèrent, avec Jean de Dijon, pour une maison située rue Raoul Roissole (aujourd'hui rue du Jour), près Saint-Eustache.
L'hôtel des religieux de cette abbaye étoit situé dans la rue des Orfévres, qui, par cette raison, (p. 656) portoit anciennement le nom de la rue aux Moignes de Jenvau. C'est ainsi qu'elle est désignée par Guillot.
Cette maison étoit située dans une rue de ce quartier, désignée dans tous les anciens titres sous la dénomination commune à d'autres rues; de le Perrin Gasselin; et qui depuis a porté, et jusqu'à nos jours, le nom de rue du Chevalier du Guet. Il y a apparence que ce fut par suite d'une ordonnance du roi Jean, en date du 6 mars 1363[213], que cette maison fut achetée et destinée à être la résidence du chef de cette compagnie.
L'établissement de corps de troupes armées, chargé de veiller pendant la nuit à la sûreté des cités, se retrouve chez toutes les nations civilisées, tant anciennes que modernes. Les Gaulois reçurent des Romains cette institution salutaire[214], lorsqu'ils passèrent sous leur domination; les rois francs l'adoptèrent, après qu'ils eurent conquis les Gaules; et les plus anciennes ordonnances de ces princes nous prouvent que, dès le commencement de la monarchie[215], il y avoit un guet de nuit (p. 657) dans les principales villes du royaume. Au milieu des nombreux désordres que firent naître l'usurpation anarchique des fiefs, la corruption du gouvernement féodal, et les guerres continuelles que se faisoient entre eux tant de petits seigneurs qui s'étoient créés souverains, toutes les lois relatives au guet de nuit furent maintenues, même alors qu'on en violoit tant d'autres, parce que la sûreté de tous y étoit intéressée. Mais dans des temps plus heureux, et lorsque l'ascendant de l'autorité eut enfin rétabli l'ordre et le calme dans toutes les parties de la France, le service personnel que les habitants étoient obligés de faire pour la sûreté publique fut converti en une redevance au profit des seigneurs; et il ne resta plus de cette ancienne institution que les compagnies du guet de Paris, à 'l'imitation desquelles furent depuis créées celles de Lyon et d'Orléans.
Les titres les plus anciens[216] nous apprennent que ce service étoit partagé à Paris entre les bourgeois et une compagnie du guet entretenue par le roi, et composée de vingt sergents à cheval et vingt-six sergents à pied. Les communautés de marchands et d'artisans étoient obligées de fournir tous les jours et alternativement un certain nombre d'hommes, selon que l'avoit réglé le prévôt de Paris, à qui appartenoit la juridiction suprême de (p. 658) cette garde de nuit. De cette troupe urbaine on formoit plusieurs corps-de-garde fixes; et c'étoit là ce qu'on nommoit le guet assis. Le guet royal étoit seul chargé de faire les rondes.
Le commandant de ce corps est nommé chevalier du guet dans une ordonnance de saint Louis, de l'année 1254, et dans plusieurs autres titres de cette même époque; et Delamare, rejetant les diverses étymologies que l'on a voulu donner à cette dénomination, pense avec raison qu'il faut aller en chercher l'origine jusque chez les Romains, qui ne confioient un poste de cette importance qu'à un personnage d'une condition relevée, et qui le choisissoient toujours dans l'ordre des chevaliers.
Si nous examinons maintenant les divers changements et révolutions qu'a éprouvés le guet de Paris, nous trouvons que, par un édit de 1559, la compagnie du guet royal fut portée à deux cent quarante hommes, et qu'en même temps le guet assis fut supprimé. Deux ans après, en 1561, au milieu des troubles que firent naître les guerres de religion, on voit la garde de Paris remise entièrement aux bourgeois, et le guet royal supprimé. Enfin, par l'édit de pacification de 1563, les bourgeois furent de nouveau entièrement déchargés du service, et le guet redevint ce qu'il avoit été en 1559. Depuis cette époque et jusqu'à la destruction de ce corps opérée dans la première (p. 659) année de la révolution, il n'a éprouvé d'autre changement que celui d'une augmentation successive, et proportionnée aux accroissements continuels de la capitale.
Le corps des drapiers avoit son bureau dans la rue des Déchargeurs. C'est un monument assez digne d'attention par la richesse de son frontispice, exécuté vers le milieu du dix-septième siècle sur les dessins de Libéral Bruant, architecte qui jouissoit alors d'une grande célébrité. Il se compose d'une ordonnance dorique, dans laquelle on trouve des innovations et des omissions qui prouvent, comme on le remarque dans tant d'autres monuments, que les architectes de cette époque ne suivoient point de marche sûre, et étoient loin de s'astreindre à toute la sévérité des principes. Mais il offroit, dans l'exécution de diverses parties, et notamment dans celle des sculptures dont il étoit orné, assez de mérite pour justifier la longue réputation dont il a joui dans des temps où peu d'amateurs savoient apprécier les véritables beautés de l'art[217].
Rue de l'Abreuvoir Popin. Elle a son entrée dans la rue de Saint-Germain-l'Auxerrois, et, passant sous le quai de la Mégisserie, elle aboutit à la rivière. On est dans l'usage de dire et d'écrire, mais mal à propos, l'Abreuvoir Pépin. Tous les anciens actes l'appellent Popin et Paupin. Elle tire ce nom d'une famille connue au douzième siècle, et qui possédoit un fief dans lequel cette rue est située. Il est fait mention de Jehan Popin du Porche dans un acte de 1264[218], et dans un arrêt de 1268[219].
(p. 661) Rue de l'Aiguillerie. Elle aboutit dans la rue Saint-Denis et au cloître Sainte-Opportune. Sauval l'appelle rué de l'Escuillerie. L'abbé Lebœuf et Robert ont cru reconnoître cette rue dans celle que Guillot appelle Rue à petits soulers de Bazenne; mais il est plus probable qu'il entendoit plutôt par cette désignation la rue Courtalon. Jaillot pense que c'est cette rue de l'Aiguillerie qui, dans plusieurs titres, est appelée rue Alain de Dampierre[220].
La place Gastine étoit à l'entrée de cette rue. Sur cette placé étoit auparavant la maison d'un protestant, nommé Philippe de Gastine, condamné à mort et exécuté en 1568, pour l'avoir fait servir au prêche de sa secte, contre la teneur des édits; et à l'endroit de cette maison, qui fut en même temps rasée, on érigea une croix, que depuis on enleva et transporta au cloître des Innocents, par suite de l'édit de pacification que Charles IX accorda aux réformés en 1570.
Rue de l'Arche-Marion. Elle va de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois à la rivière, en passant sous le quai de la Mégisserie. Comme elle fait la continuation de la rue Thibaut-aux-Dés, on l'appeloit anciennement l'Abreuvoir Thibaut-aux-Dés, nom qu'elle portoit encore en 1300. On lui donna ensuite celui de rue des Jardins[221]; et vers la fin du quinzième siècle, elle fut nommée ruelle qui fut Jean de la Poterne, du nom d'un particulier qui avoit en cet endroit des étuves, que l'on nommoit les (p. 662) étuves aux trois pas de degrés[222]. En 1530, on l'appela ruelle des Étuves[223]. Enfin, on la trouve, dans un titre de 1565, sous la désignation de l'Arche Marion et de l'Abreuvoir Marion, du nom de la femme qui tenoit alors ces étuves[224]. Elle est encore nommée quelque part rue de l'Archer.
Rue Bertin-Porée. Elle va d'un côté dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, et de l'autre dans celle des Deux-Boules. Quelques-uns l'ont appelée Martin-Poirée; mais son véritable nom est Bertin-Porée. Elle le portoit avant 1240, et le tenoit d'un bourgeois qui y demeuroit[225].
Rue Béthisi. Elle se termine d'un côté au coin des rues du Roule et de la Monnoie, et de l'autre à la rue des Bourdonnois. Cette rue se continuoit anciennement jusque dans la rue de l'Arbre-Sec, et, dès le treizième siècle, elle portoit deux noms. Elle étoit appelée Béthisi dans toute la partie connue encore aujourd'hui sous ce nom; et depuis la rue de la Monnoie jusqu'à celle que nous venons de nommer, elle prenoit celui de rue au Cuens ou au Quains de Ponthi, au Comte de Ponthi, et Ponthieu. L'entrée du côté de la rue de l'Arbre-Sec étoit appelée le carrefour au Comte de Ponti[226], parce que l'hôtel de ce comte y étoit situé. La division par quartiers, établie en 1702, en fit distraire cette dernière partie, que l'on nomma rue des Fossés-Saint-Germain. L'autre (p. 663) conserva son ancien nom, qu'elle tenoit de Jean ou Jacques Béthisi.
Le premier nom de cette rue étoit la Charpenterie, et c'est ainsi qu'elle est indiquée dans les censiers de l'évêché du quatorzième siècle; elle le portoit encore au milieu du siècle suivant, mais seulement depuis la rue Tire-Chape jusqu'à celle des Bourdonnois. L'autre partie conservoit le nom de Béthisi.
Rue Boucher. Elle donne d'un bout dans la rue Thibaut-aux-Dés, de l'autre dans celle de la Monnoie. Cette rue, commencée en 1776, fut ouverte en 1778 sur l'emplacement de l'ancien hôtel des Monnoies. Elle porte le nom d'un échevin qui étoit en exercice dans l'année 1773.
Rue des Deux-Boules. Elle aboutit d'un côté au coin des rues des Bourdonnois et Thibaut-aux-Dés, et de l'autre à celle des Lavandières. Guillot et les anciens titres du treizième siècle la désignent sous le nom de Guillaume Porée[227]. Nous ne savons si jadis elle faisoit un retour d'équerre dans une partie de la rue qui lui est parallèle (la rue des Mauvaises Paroles); mais il est certain qu'aux douzième et treizième siècles elle s'appeloit rue Mauconseil ou Maleparole[228]. Dans des actes postérieurs, et jusqu'en 1546, elle est appelée Guillaume Porée autrement Maleparole; Guillaume Porée dite des Deux-Boules. Ce dernier nom lui vient d'une enseigne.
Rue des Bourdonnois. Elle aboutit d'une part dans la rue Saint-Honoré, de l'autre au bout des rues Béthisi et Thibaut-aux-Dés. Guillot l'appelle rue à Bourdonnas. Sauvai dit qu'en 1297 elle se nommoit rue Adam (p. 664) Bourdon et Sire Guillaume Bourdon, et en 1300, la rue des Bourdonnois[229].
Rue ou place du Chevalier-du-Guet. Elle aboutit dans la rue des Lavandières, à la place du Chevalier-du-Guet et à la rue Perrin-Gasselin. En 1300 et jusqu'au milieu du seizième siècle, la place et ces deux rues n'étoient connues que sous ce nom général le Perrin-Gasselin. Celui que porte celle-ci vient d'une maison que le roi y avoit acquise pour loger le chevalier ou commandant du guet. On présume que ceci se passa en 1363, sous le roi Jean.
Rue Courtalon. Elle va de la rue Saint-Denis à la place du cloître Sainte-Opportune. Nous avons déjà observé que c'est celle que Guillot appelle rue à petits Soulers de Bazenne. Dans le siècle suivant, on ne la désignoit que sous le nom général de cloître Sainte-Opportune. On ignore si elle doit son dernier nom à une enseigne ou à Guillaume Courtalon, qui possédoit, vers le milieu du seizième siècle, deux maisons au coin de la rue des Lavandières.
Rue des Déchargeurs. Elle aboutit d'un côté dans la rue des Mauvaises-Paroles, et de l'autre dans celle de la Féronnerie. En 1300 et 1313, on la nommoit le Siége (p. 665) aux Déchargeurs, et depuis rue du Siége et du Viel Siége aux Déchargeurs. À l'endroit de la rue de la Féronnerie, où aboutit celle-ci, étoit une place appelée anciennement la place aux Pourciaux, et ensuite la place aux Chats. Avant que la ville se fût accrue de ce côté-là, c'étoit un lieu plein d'immondices et une voirie. Elle s'étendoit assez loin, car on ne peut douter que la rue de la Limace et le cul-de-sac de la Fosse aux Chiens n'en fissent partie.
Rue Étienne. Elle commence dans la rue Béthisi, et vient aboutir à la rue Boucher. Elle fut percée en même temps que cette dernière, sur le même emplacement, et porte comme elle le nom d'un échevin.
Rue de la Féronnerie. Elle fait la continuation de la rue Saint-Honoré, et aboutit à la rue Saint-Denis. Sauval, et ceux qui ont écrit d'après lui sur les rues de Paris, ne sont ni clairs ni exacts dans ce qui concerne celle-ci. Il dit qu'en 1341 c'étoit la rue de la Charonnerie, vicus Karonnorum; et en 1432, la rue de la Féronnerie. Il est plus vraisemblable qu'elle prit le nom de la Féronnerie lorsque saint Louis permit à de pauvres férons d'occuper les places qui régnoient le long des charniers; ce qui est antérieur de deux siècles à l'année 1432. Un acte tiré des titres de l'abbaye de Saint-Antoine-des-Champs lui donne déjà ce nom en 1229; et on le retrouve dans plusieurs autres du même siècle[230]. Elle prit ensuite le nom de la Charonnerie, dans sa partie orientale jusqu'à la rue de la Lingerie, et ne conserva l'ancienne dénomination que dans la partie occidentale. Cependant elles furent souvent confondues toutes les deux sous le dernier nom.
(p. 666) La rue de la Féronnerie est à jamais mémorable par l'horrible attentat qui enleva à la France l'un de ses plus grands et de ses meilleurs rois. Tout le monde sait que c'est dans cette rue que Henri IV fut assassiné par l'exécrable Ravaillac. Avant la révolution, on voyoit, vis-à-vis de la place où ce régicide fut commis, un buste[231] de ce prince, au bas duquel on lisoit l'inscription suivante:
Henrici Magni recreat præsentia cives,
Quos illi æterno fœdere junxit amor.
Cette rue étoit alors fort étroite, n'ayant pas la moitié de sa largeur actuelle. Les férons, à qui saint Louis avoit donné l'espace qui régnoit le long du cimetière des Innocents, y avoient bâti des boutiques. En 1474, Louis XI accorda cette même place aux marguilliers des Saints-Innocents, et leur permit d'y faire construire des édifices de la largeur des auvents qu'on y voyoit auparavant[232]. À ces constructions succédèrent bientôt des maisons qui obstruèrent cette rue, et la rendirent même dangereuse, parce que c'étoit un des principaux passages par lesquels on arrivoit aux halles. Ce ne fut qu'en 1671 que la rue fut enfin élargie, telle que nous la voyons aujourd'hui.
Rue des Fourreurs. Elle aboutit d'un côté dans la rue des Déchargeurs, et de l'autre au cloître Sainte-Opportune. Son ancien nom étoit la Cordouannerie; elle le portoit au treizième siècle. Depuis on l'a nommée Cordonnerie et Vieille-Cordonnerie; et c'est ainsi qu'elle (p. 667) est indiquée par Corrozet. Son dernier nom lui est venu des pelletiers qui s'y sont établis au dix-septième siècle.
Rue des Fuseaux. Elle va de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois au quai de la Mégisserie. Les bâtiments qu'on a élevés successivement sur ce quai ont obligé de percer cette rue et celle des Quenouilles, qui lui est parallèle, pour ne pas ôter le jour aux maisons qui déjà y avoient été bâties. Telle est l'origine de la plupart des petites ruelles, et principalement de celles qui descendent des rues de la Mortellerie et de la Huchette à la rivière. Celle-ci a été appelée quelquefois ruelle Jean du Mesnil, du nom d'un particulier qui y demeuroit[233]; mais elle est indiquée sous celui des Fuseaux dès 1372. Ce nom lui vient de l'enseigne d'une maison située entre cette rue et celle des Quenouilles, et qui s'appeloit la maison des Deux Fuseaux.
Rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle va de la place des Trois-Maries à la rue Saint-Denis. On peut faire remonter son origine jusqu'à celle de l'église qui lui a donné son nom, c'est-à-dire jusqu'au règne de Chilpéric Ier: car il est certain que, soit qu'il y eût ou non une clôture au nord, il existoit, à la sortie de la cité, un chemin qui conduisoit à cette église, et qui est représenté par cette rue. Il en est fait mention dans un diplôme de Louis-le-Débonnaire, de l'an 820. Guillot l'appelle rue Saint-Germain-à-Couroïers, peut-être parce qu'elle étoit alors habitée en grande partie par des corroyeurs. Avant qu'on lui eût donné le nom de Saint-Germain-l'Auxerrois, ce qui n'est arrivé que depuis environ trois cents ans, elle étoit indiquée sous celui de Saint-Germain (p. 668) ou grant rue Saint-Germain. Jaillot croit qu'en 1262 le bout de cette rue qui vient finir à la rue Saint-Denis étoit distingué de l'autre, et que c'étoit la rue indiquée dans les titres sous le nom de Jean de Fontenay.
Il y avoit autrefois dans cette rue deux ruelles qui aboutissoient à la place du Chevalier-du-Guet. La première se nommoit ruelle Deniau-le-Breton[234] en 1336; en 1563, ruelle du Chevalier-du-Guet, et depuis ruelle des Trois Poissons. Elle est maintenant bouchée par des maisons. La seconde, qui faisoit face à la rue de la Saunerie, et qui n'étoit connue sous aucun nom, porte aujourd'hui celui de cul-de-sac du Chevalier-du-Guet.
Rue la Harangerie. Elle va de la rue de la Tabletterie à celle du Chevalier-du-Guet. Dès 1313 elle s'appeloit ainsi. Depuis on a dit Vieille-Harangerie. Sauval n'en a pas fait mention. On ignore d'où lui vient son nom[235].
Rue Saint-Honoré. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier prend depuis le coin des rues du Roule et des Prouvaires jusqu'à celle de la Lingerie. Depuis le coin de la rue Tirechape jusqu'à celle des Prouvaires et même jusqu'à la rue de l'Arbre-Sec, on la nommoit (p. 669) anciennement rue du Châtiau fêtu et Chasteau festu, du nom d'une maison qui étoit dans la censive de l'abbaye Saint-Antoine (Castellum Festuci), et dont il est fait mention dans une infinité de titres qui remontent jusqu'à l'an 1227[236]. L'étymologie de ce nom, qu'elle portoit encore en 1313, est inconnue, ou du moins celles qu'on a voulu en donner ne sont point satisfaisantes[237].
Rue Jean Lantier. Elle aboutit d'un côté dans la rue Bertin-Porée, et de l'autre dans celle des Lavandières. Le véritable nom de cette rue est Jean-Lointier. On le trouve écrit ainsi dans les actes des treizième et quatorzième siècles; elle est appelée Philippe Lointier dans la liste des rues du quinzième. Au reste, Sauval, Gomboust, Bullet et autres ont plus ou moins défiguré le nom de cette rue.
Rue des Lavandières. Elle va de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois au cloître Sainte-Opportune; et doit sans doute son nom à des blanchisseuses que le voisinage de la rivière avoit invitées à y fixer leur demeure[238]. Elle le portoit dès le treizième siècle.
Rue de la Limace. Elle traverse de la rue des Déchargeurs dans celle des Bourdonnois. On croit que c'est celle dont Guillot parle sous le nom de la Mancherie. Elle (p. 670) faisoit anciennement partie de la place aux Pourceaux, dite depuis la place aux Chats. En 1575, on la trouve nommée rue de la Place aux Pourceaux, autrement dite de la Limace, et de la Viels Place aux Pourceaux[239]. Mais dès 1412, elle est indiquée sous le nom de la Limace, qu'elle a toujours conservé depuis.
Rue des Orfèvres. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, et de l'autre dans la rue Jean-Lantier. Le premier nom connu qu'elle ait porté est celui des Moines de Joie-en-Val, qu'on appeloit par corruption Jenvau. C'est ainsi que Guillot la désigne la rue à Moignes de Jenvau. On voit que, dès ce temps, cette rue étoit fermée par deux portes, ce qui lui fit donner le nom d'entre Deux-Portes, aux Deux-Portes et des Deux-Portes; elle le portoit encore au commencement du quinzième siècle. Le procès-verbal de 1636 la nomme rue de la Chapelle aux Orfèvres, parce que la chapelle et l'hôpital qu'ils avoient fait bâtir y étoient situés.
Rue des Mauvaises-Paroles. Elle traverse de la rue des Bourdonnois dans celle des Lavandières. Nous avons déjà dit, en parlant de celle des Deux-Boules, qu'au douzième siècle on la confondoit avec celle-ci. On les trouve toutes les deux distinguées dans Guillot. Corrozet l'appelle rue des Mauvaises-Paroles, et ce nom n'a pas varié depuis.
Rue Perrin-Gasselin. Elle fait la continuation de la rue du Chevalier-du-Guet, et aboutit à la rue Saint-Denis. Ce nom, commun autrefois à tout cet endroit, n'est resté qu'à la petite partie de la rue qui le porte (p. 671) aujourd'hui, et ce n'est que depuis la fin du dix-septième siècle qu'il lui a été restitué; car sur les plans de Gomboust et de Bullet, elle est nommée, dans toute son étendue, rue du Chevalier-du-Guet.
Rue du Plat-d'Étain. Elle traverse de la rue des Déchargeurs dans celle des Lavandières. Sauval et l'abbé Lebeuf ont fait de longues dissertations sur cette rue, qu'ils ont confondue avec celle de Rollin-prend-Gage. Jaillot, qui a apporté une critique si minutieuse dans toutes ces matières, leur a prouvé qu'elle se nommoit d'abord Raoul Lavenier[240]. Elle doit le nom qu'elle porte à une enseigne. On lit qu'en 1489 l'hôtel du Plat-d'Étain appartenoit à Simon et Étienne de Lille[241].
Rue des Quenouilles. Elle va du quai de la Mégisserie dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois. Elle s'appeloit, au quatorzième siècle, ruelle Simon Delille; au suivant, ruelle Jean Delille, autrement Sac-Épée[242], et au seizième, ruelle des Quenouilles, de la Quenouille et des Trois-Quenouilles.
Rue de la Saunerie. Elle va également du quai de la Mégisserie dans la rue Saint-Germain. Anciennement elle se prolongeoit en retour jusque dans la rue Saint-Denis, comme nous l'avons déjà remarqué; elle est nommée Salneria in Vico S. Dionysii dans un titre de 1407[243]. Ce nom lui vient de l'ancienne maison de la marchandise du sel qui en étoit proche, et non du grenier à sel où elle conduisoit, et qui n'y a été placé que long-temps après. Elle le portoit dès le treizième siècle, (p. 672) et un titre de cette époque nous apprend que le terrain sur lequel elle étoit située étoit dans la censive de l'évêque[244].
Cette rue a toujours conservé le même nom, cependant avec un changement dans l'orthographe, qui en détruit l'étymologie; car on écrit et on l'appelle rue de la Sonnerie ou Petite-Sonnerie. Seroit-ce par aphérèse, dit Jaillot, et parce qu'on y vendoit du poisson? En effet, elle est nommée, dans le procès-verbal de 1636, rue de la Petite-Poissonnerie.
Rue de la Tabletterie. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Denis, et de l'autre à la place et au cloître Sainte-Opportune. Elle s'appeloit tantôt de la Hanterie, tantôt de Sainte-Opportune, et quelquefois rue de la Vieille-Cordonnerie[245]. Le plus ancien de ces noms est la Hanterie, et elle est ainsi nommée dans une transaction de l'an 1218[246]. On la trouve, dans un acte de 1312, sous le nom de Sainte-Opportune, et nous avons remarqué que ce nom étoit commun aux rues qui environnoient cette église. Elle a porté aussi celui de la Cordonnerie, comme n'étant qu'une même rue avec celle des Fourreurs, qui en fait la continuation; et dans un censier de l'évêché de 1495, elle est énoncée sous le nom de la Tabletterie, aliàs, de la Cordouannerie ou Sainte-Opportune. Dès 1300, Guillot la désigne sous ce dernier nom de la Tabletterie. On le trouve également dans la liste des rues du quinzième siècle, et depuis il ne paroît pas que ce nom ait changé.
Rue Thibaut-aux-Dés. Elle commence à la rue (p. 673) Saint-Germain-l'Auxerrois, et finit à celle des Bourdonnois. Il est peu de rues dont le nom offre autant de variations dans l'orthographe. On trouve Thibaut-à-Déz dans Guillot, Thibaut-aux-Dez en 1313; et dans la liste du quinzième siècle, Thibaut-Ausdet, Thibaut-Todé, Thibaut-Oudet, Thiebaut-Audet. Ces derniers noms ne paroissent être que des fautes de copistes.
L'abbé Lebeuf a pensé aussi qu'il falloit écrire Audet; que c'est le nom d'une famille considérable de Paris, appelée Odet, et que Thibaut Odet, trésorier d'Auxerre sous saint Louis en 1242, ou son père, avoient donné leur nom à cette rue. Jaillot, tout en reconnoissant que cette étymologie n'a rien qui ne la rende très-vraisemblable, la conteste néanmoins par la raison qu'elle ne s'accorde point avec tous les titres de ce siècle qu'il a dépouillés. En 1220, il trouve vicus Theobaldi ad Decios; en 1295, vicus Theobaldi ad Tados, et rue Thibaud-aux-Dés dans un bail de la même année[247].
Rue Tirechape. Elle donne d'un bout dans la rue Béthisi, et de l'autre dans celle de Saint-Honoré, vis-à-vis les Piliers des Halles. On trouve des monuments qui font mention de cette rue dès 1233; et l'on ne voit point qu'elle ait eu d'autre nom[248]. Jaillot, qui écrivoit en 1772, dit que si les Juifs qui occupoient cette rue et une grande partie des halles, étoient dans l'usage pratiqué par les fripiers de son temps de tirer les passants par leurs vêtements, pour les engager à venir acheter chez eux, l'étymologie du nom de cette rue ne seroit point difficile à trouver; et quoiqu'il ne donne point (p. 674) sérieusement une telle conjecture, il ne la croit point cependant dépourvue de vraisemblance.
Rue des Trois-Visages. Elle aboutit d'un côté à la rue Thibaut-aux-Dés, et de l'autre à la rue Bertin-Porée. Actuellement elle est fermée par des grilles de fer aux deux extrémités, et il n'y a plus d'indication de rue. L'ancien nom de cette rue est indiqué de différentes manières. Guillot écrit Jean-l'Éveiller; dans la taxe de 1313, on lit Jean-l'Esgullier; Sauval l'appelle tantôt Jean-le-Goulier et tantôt Jean-de-Goulieu. Le véritable nom est, suivant les apparences, celui de Jean-Golier, qui avoit une maison dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, laquelle aboutissoit à celle-ci en 1245[249]. On a dit depuis Jean-le-Goulier. En 1492, elle est indiquée rue au Goulier, dite du Renard[250]. Enfin, elle a pris le nom qu'elle porte, de trois têtes sculptées à l'angle d'une de ses extrémités.
Quai de la Mégisserie. Il va du pont Neuf au pont au Change. Le peuple l'appelle plus ordinairement quai de la Ferraille, parce qu'il est habité en grande partie par des marchands de fer. On le nomma d'abord quai de la Saunerie; et la dernière rue qui vient y aboutir lui avoit donné ce nom qu'elle conserve encore. La partie occidentale de ce quai étoit habitée, dès la fin du treizième siècle, par cette classe d'ouvriers qui préparent les peaux, et qui ont besoin, pour exercer leur industrie, (p. 675) du voisinage des eaux; et dès ce temps-là on l'appeloit la Méguiscerie et la Mégisserie.
Le Marché aux fleurs, aux graines, aux arbrisseaux, etc, se tenoit sur ce quai avant la révolution; depuis il a été transporté dans la Cité. (Voyez première partie, p. 465.)
Place Sainte-Opportune. Cette place a été formée d'une portion des bâtiments du cloître de l'église Sainte-Opportune. L'autre partie de ces bâtiments existe encore.
Ce quartier est borné à l'orient par le carrefour des Trois-Maries et par les rues de la Monnoie et du Roule inclusivement; au septentrion par la rue Saint-Honoré, y compris le cloître Saint-Honoré inclusivement, à commencer depuis les coins des rues du Roule et des Prouvaires jusqu'au coin de la rue Froi-Manteau; à l'occident, par la rue Froi-Manteau jusqu'à la rivière inclusivement; et au midi, par les quais aussi inclusivement, depuis le premier guichet du Louvre jusqu'au carrefour des Trois-Maries.
On y comptait, en 1789, dix-neuf rues, trois culs-de-sacs, trois places, un palais, trois églises paroissiales, dont une étoit collégiale, et une communauté d'hommes.
Le Louvre n'avoit point été compris dans l'enceinte élevée par Philippe-Auguste; et ce fut seulement sous Charles V et Charles VI que de nouvelles murailles le renfermèrent dans Paris. On peut considérer le temps qui s'écoula entre ces (p. 677) deux constructions comme une troisième époque dans l'histoire de cette ville. Pendant plus d'un siècle, on la voit jouir, sous le règne de neuf rois, d'une tranquillité rarement troublée, au moyen de laquelle elle put continuer à s'enrichir de monuments nouveaux, accroître, de jour en jour, sa population, et prendre rang parmi les plus grandes et les plus belles villes qu'il y eût alors en Europe. Suivons les récits de ces premiers temps du règne des Capets: ils nous apprendront comment Paris s'accrut d'abord si lentement; comment ensuite cette ville devint si considérable, que son histoire se trouvera liée désormais à celle de la France entière, ou pour mieux dire, deviendra l'histoire même de la monarchie.
Il est hors de doute que nos rois des deux premières races étoient loin de réunir en eux tous les droits naturels de la royauté, de la posséder telle que nous la concevons et que nous l'avons connue dans nos temps plus civilisés: toutefois il est vrai de dire qu'ils étoient de puissants monarques, si on les compare à Hugues Capet et à ses premiers successeurs.
Les rois francs étoient propriétaires, et nous l'avons déjà dit, d'un immense domaine, d'un domaine divisé et répandu sur la surface entière de leur beau royaume. Ils en tiroient des revenus suffisants pour soutenir la majesté du trône et déployer dans leur cour toute la magnificence qui (p. 678) convenoit à leur rang suprême[251]. Ces vastes propriétés nourrissoient une population presque innombrable de vassaux, d'hommes libres, de serfs, qui ne dépendoient que d'eux et qui leur étoient entièrement dévoués; ils étoient protecteurs nés des foibles et des pauvres; c'est-à-dire que les églises, les veuves, les orphelins, les sujets romains, les artisans, généralement toutes les classes inférieures de la société, à qui le port d'armes étoit défendu, et sans doute encore tous les hommes libres qui n'avoient point de propriétés, étoient, dans toutes les parties de la France, sous la protection des justices royales; et que c'étoit avec le roi qu'il falloit composer, chaque fois que l'on troubloit leur paix et qu'on leur causoit quelque (p. 679) dommage. En raison de cette protection et de ce droit de juridiction sur une portion si considérable de leurs sujets, ces monarques levoient des tributs sur les terres romaines et sur tous les biens municipaux, ce qui comprenoit les cités, les bourgs et leur territoire; outre ces tributs qui se payoient régulièrement, il existoit encore des amendes et des parties casuelles qui grossissoient considérablement leur trésor; leur maison militaire étoit si nombreuse qu'elle formoit une espèce de petite armée, suffisante pour défendre la cour d'une invasion subite et résister à toute attaque imprévue; et les hommes libres qui la composoient, subsistant la plupart des largesses de la couronne, devenoient, lorsque ces princes savoient se les attacher, leur appui le plus sûr contre les rebelles et contre leurs ennemis. On n'a point oublié que toute justice relevoit de leur justice suprême; que leurs officiers civils et militaires, comtes, vicomtes, baillis, sénéchaux, etc., étoient établis et reconnus partout; qu'en même temps que ces officiers gouvernoient en leur nom tous ceux qui étoient immédiatement sous la dépendance absolue de la couronne, ils exerçoient une continuelle vigilance sur ceux qui prétendoient n'en dépendre qu'à de certaines conditions; et qu'à de certaines époques, les commissaires du roi parcouroient les provinces, y tenant des assises solennelles, où l'on réparoit tous les torts, où l'on (p. 680) appeloit de toutes les justices. Ajoutons enfin que si les rois francs n'avoient pas le droit de faire les lois générales qui régissoient la nation entière, personne ne leur contestoit celui de les faire exécuter; que s'il ne leur appartenoit point de décider de la paix et de la guerre, ils avoient du moins le précieux privilége de conduire leur brave noblesse aux combats et à la victoire, et qu'ils jouissoient alors, au milieu des camps, de toutes les attributions de la royauté.
Les maires du palais avoient su maintenir ces prérogatives du trône, au milieu de la décadence de la première race; et lorsque les enfants de Charles Martel succédèrent aux fils de Clovis, ce changement de dynastie n'avoit rien changé dans l'État. Il n'en fut pas de même sous leurs successeurs: à peine ceux-ci commencèrent-ils à donner des signes de foiblesse, que cette noblesse turbulente, qui, nous le répétons encore, n'avoit pas pour la famille des Carlovingiens le respect que lui avoit toujours inspiré la haute illustration de la famille des rois francs, donna, de son côté, des signes de mutinerie et d'indépendance. Dès le temps de Charles-le-Chauve, on la voit occupée de toutes parts à bâtir des châteaux et des forteresses, à élever des retranchements, à l'abri desquels elle commençoit à braver l'autorité royale. Ce fut vainement qu'une ordonnance de ce (p. 681) prince[252] enjoignit aux comtes de faire raser toutes les fortifications de ce genre qui auroient été élevées sans son consentement: les incursions des Normands, déjà si redoutables sous ce malheureux règne, semblèrent légitimer ce que l'esprit de faction et de révolte avoit seul fait entreprendre. Dès lors il n'y eut pas un seul hameau qui ne fût défendu par un donjon, pas un seul rocher que ne surmontât une tour, pas un ruisseau dont les eaux ne fussent détournées pour remplir un fossé; et la surface entière de la France fut, en un très-petit nombre d'années, comme hérissée de châteaux-forts. Si l'on considère quel prince c'étoit que Charles-le-Chauve et quels furent ses successeurs, on ne peut s'empêcher de reconnoître que cette multitude de châteaux et de remparts fut alors le salut de l'État, que, dans des circonstances aussi imminentes, ses rois étoient incapables de défendre et de sauver; mais aussi ce ne fut point sans de graves inconvénients que chaque noble, chaque propriétaire put rentrer ainsi dans le droit de la défense naturelle, parce que, dès ce moment, aucun d'eux n'en voulut sortir. La force devint donc le seul droit que consentirent désormais à reconnoître tous ces seigneurs grands et petits, ainsi armés et retranchés. (p. 682) Étranger au reste de la France, chacun d'eux n'eut plus de relation qu'avec ses voisins devenus ses alliés ou ses ennemis, ni d'autre occupation que de les attaquer, ou de combattre avec eux ou de se défendre de leurs attaques. Ceux qui avoient des serfs en firent des soldats; ceux qui n'en avoient point armèrent leurs manants, appelèrent sous leurs drapeaux tous les vagabonds, tous les scélérats qui avoient besoin de désordre pour assurer leur impunité. Ainsi se formèrent ces bandes si long-temps redoutables aux provinces, même après que l'ordre eut commencé à se rétablir[253], redoutables même à leurs anciens maîtres, qui leur avoient appris l'art de la guerre et à goûter les plaisirs de la licence et de l'oisiveté.
C'est cet état de choses que l'on appelle avec tant de mauvaise foi la féodalité; et nous convenons qu'alors il est facile de la présenter comme une très-mauvaise institution. Qui ne voit au contraire que ce fut ce qui restoit de la féodalité, presque entièrement détruite au milieu de cette furieuse et sanglante anarchie, qui réunit les parties éparses du corps social et en empêcha l'entière dissolution? Chaque seigneur refusoit sans doute d'en reconnoître les lois dans ce qui établissoit sa dépendance (p. 683) d'un seigneur plus grand que lui; mais, autant qu'il leur étoit possible, tous maintenoient ces lois à l'égard des sous-vassaux qui dépendoient d'eux; et comme le principe de la féodalité étoit essentiellement monarchique, dès qu'ils eurent senti le danger de leur entière indépendance, ce fut encore en elle qu'ils retrouvèrent la monarchie, dont l'ombre et le nom s'étoient du moins conservés au milieu de cette foule de petits souverains.
Hugues Capet reçut la France des mains de ces seigneurs, et la reçut comme ils l'avoient faite. Ce fut une nécessité pour lui ainsi que pour ses premiers successeurs d'être pour ainsi dire le spectateur tranquille de leurs excès et même de supporter patiemment leurs outrages[254]. Voilà sans contredit les temps les plus malheureux de la monarchie françoise: c'est ici que s'arrêtent avec complaisance nos déclamateurs révolutionnaires, qui seuls ont pu créer et osent regretter des temps plus malheureux encore; c'est ici que, compulsant avec un soin minutieux et perfide tous nos vieux monuments (p. 684) historiques, ils présentent avec une sorte de triomphe, et en en chargeant encore les tristes couleurs, le tableau des calamités dont la France étoit alors accablée: partout l'abus le plus révoltant de la force; partout l'oppression du foible et du pauvre; les pillages, les meurtres, les excès de tout genre impunis, presque autorisés; une guerre intestine continuelle, pour ainsi dire, de domaine à domaine, de château à château, guerre sanglante, guerre acharnée, et qui sembloit menacer d'une entière destruction la race d'hommes répandue sur cette terre malheureuse[255]; l'autorité royale de toutes parts méconnue par les grands comme par les petits, et les rois insultés et menacés jusqu'aux portes de leur capitale. Cependant ces rois surent reconnoître, dès les premiers temps, le parti qu'ils pouvoient tirer des divisions de ces nobles si impatients du joug; et leur politique fut de les diviser encore davantage, afin de les contenir ou de les réprimer. Henri Ier osa le tenter et ne le fit point sans quelques succès; la régence de Baudouin, sous le règne de Philippe Ier, offre encore quelques événements remarquables en ce genre; mais ce fut (p. 685) principalement sous Louis-le-Gros, et grâce à l'administration sage et vigoureuse d'un moine (l'abbé Suger), que l'autorité royale commença à reprendre un véritable ascendant; et ce ne fut point, comme paroît l'entendre le président Hénault, en se créant des droits nouveaux, mais en rétablissant quelques-unes des anciennes prérogatives dont elle avoit été dépouillée, et en rendant à certaines classes du peuple d'anciennes libertés qui leur avoient été ravies. Les cités avoient été envahies par les seigneurs: le roi en fit rentrer un très-grand nombre sous sa dépendance immédiate, et leur accorda de nouveau le privilége de l'immunité; les justices royales furent rétablies; et quatre grands bailliages qu'il institua dans ses domaines, avec attribution spéciale de juger les cas royaux, renouvelèrent le droit d'appellation de toutes les justices particulières au tribunal suprême du souverain. Enfin on vit reparoître les commissaires du Roi, et comme une ombre d'administration générale dans la visite qu'ils faisoient des provinces, où ils recevoient les plaintes des opprimés, et autant qu'il étoit en eux, arrêtoient le cours de l'injustice et de l'oppression. Suger continua de gouverner la France sous Louis-le-Jeune, et l'autorité des rois continua de s'affermir. À un grand ministre succéda un grand monarque, Philippe-Auguste. Son noble caractère et sa valeur héroïque rallièrent autour de lui une grande (p. 686) partie de la noblesse françoise; avec son secours il châtia plus d'une fois les grands vassaux presque toujours en révolte ouverte, et acheva de les dompter à la bataille de Bouvines. Ses conquêtes réunirent au domaine de la couronne un grand nombre de provinces[256] dont la possession eût à jamais assuré l'ascendant du pouvoir royal, si son successeur n'eût commis la faute irréparable de renouveler ces partages, qui avoient causé tant de désordres sous les deux premières races, et que l'on peut considérer comme la principale cause de leur destruction.
Toutefois, telle étoit la corruption des mœurs lorsque les Capets montèrent sur le trône; elles étoient alors si violentes et si grossières; l'habitude d'une longue licence avoit fait naître des préjugés si absurdes et si funestes; tous les éléments de la société étoient tellement bouleversés et confondus, que cet avantage qu'eut alors la France, d'avoir été jusqu'à saint Louis, c'est-à-dire pendant plus de deux siècles, presque toujours gouvernée par des hommes supérieurs, ce qui ne lui étoit point encore arrivé depuis le commencement de la monarchie, que cet avantage, dis-je, n'auroit point suffi pour opérer son salut, si une puissance au-dessus de l'homme ne lui eût prêté un appui plus (p. 687) sûr et des secours plus efficaces: ce fut la religion qui la sauva. Sa voix étoit la seule qui pût encore se faire entendre au milieu de cette horrible confusion; et ses menaces étoient les seules que pussent redouter encore des furieux qui avoient secoué tout autre frein. Elle parla, elle menaça: ses paroles portèrent le trouble dans les consciences coupables, rassurèrent les foibles, les rallièrent et leur prêtèrent ainsi une force qu'ils n'eussent jamais trouvée, s'ils fussent restés abandonnés à eux-mêmes; les temples devinrent des asiles toujours ouverts à l'opprimé, et ces asiles, on ne les violoit pas impunément; de ses tribunaux partirent, contre ceux que ses exhortations n'a voient pu ramener, des arrêts auxquels nul coupable, quelque puissant qu'il pût être, ne pouvoit se soustraire, parce que la société entière étoit chargée de les exécuter[257]. C'étoit toujours d'accord avec les rois que le clergé prenoit toutes les grandes mesures de salut public: ce fut ainsi que fut établie sous Henri Ier la trève du Seigneur[258], loi qui défendoit les combats particuliers depuis le mercredi soir jusqu'au lundi matin, par respect pour ces (p. 688) jours que le Sauveur avoit consacrés aux derniers mystères de sa vie; et modéroit du moins des fureurs qu'il étoit alors impossible d'éteindre entièrement. Long-temps auparavant, et dès le règne de Hugues-Capet, un grand nombre de conciles successivement assemblés s'étoient élevés contre le funeste abus des guerres privées, avoient lancé des anathèmes contre les ravisseurs des biens des églises, contre tous ceux qui troubloient la paix par leurs violences et par leurs brigandages; et ce n'avoit jamais été sans quelque résultat plus ou moins heureux. Mais ce fut surtout lorsque l'Église, poussant un cri de détresse qui retentit dans l'Europe entière, appela tous ses enfants à la défense des lieux saints profanés par les infidèles, qu'on put reconnoître tout ce qu'il y avoit de FOI et d'enthousiasme religieux dans ces races guerrières, et ce qu'il étoit possible d'attendre de ces âmes neuves et ardentes, dès qu'on sauroit diriger vers un but noble et utile leur courage et leur activité. Que de foibles esprits, de ces esprits que l'incrédulité a rétrécis et glacés, contemplent encore avec un dédaigneux sourire toute cette noblesse françoise, abjurant, à l'aspect de la croix, (p. 689) ses haines et ses divisions, renonçant à ses projets ambitieux, abandonnant même l'héritage de ses pères, pour aller dans l'Orient expier ses fautes sur le tombeau du Sauveur du monde, et gagner des pardons en combattant les ennemis de son culte et de sa loi; le temps est passé du moins où l'on pouvoit sottement assurer et faire croire plus sottement encore que les croisades avoient été pour la France et pour l'Europe chrétienne l'une de ses plus grandes calamités. Quelle que soit l'opinion que l'on juge à propos de se faire des motifs qui entraînèrent les croisés il n'est personne qui maintenant ne convienne que le zèle religieux sut opérer, dans de telles entreprises, ce que la politique la plus habile n'eût même alors osé concevoir. Par ce grand mouvement militaire qui reportoit en Orient le foyer de la guerre que les sectateurs de Mahomet n'avoient cessé, depuis plusieurs siècles, de faire, dans l'Occident même, à ceux du Christ, l'Italie, qu'ils avoient si long-temps désolée, fut mise à couvert de leurs invasions; leur puissance s'affoiblit sensiblement en Espagne; et la chrétienté commença à respirer devant ces redoutables ennemis. Tels furent les avantages extérieurs qu'on retira des croisades; le bien intérieur qu'elles procurèrent fut encore plus grand: les guerres privées qui ensanglantoient la France furent presque de toutes parts suspendues, et dans l'intervalle de ces pieuses expéditions ne se rallumèrent plus (p. 690) avec la même fureur; ce fut à la faveur de ces heureuses diversions qui tournoient contre l'ennemi commun des chrétiens les forces que jusqu'alors ils avoient fait servir à leur propre destruction, que les rois purent, ainsi que nous l'avons déjà dit, saisir quelques-unes de ces anciennes prérogatives de la couronne que tant de révolutions et de vicissitudes leur avoient fait perdre, rendre la liberté aux villes, commencer l'affranchissement des serfs, redevenir les chefs suprêmes des justices de leur royaume; ce fut par suite de ces guerres lointaines que leurs domaines reçurent d'immenses accroissements du grand nombre de fiefs que la mort de leurs possesseurs et l'extinction des familles y firent successivement rentrer. Ainsi se consolidoit leur pouvoir et s'affermissoit en même temps la tranquillité publique.
Ainsi se réparoient aussi les fautes que faisoit la politique des princes: quelque décisives que parussent être les victoires et les conquêtes de Philippe-Auguste, elles n'avoient pu contrebalancer les funestes effets du divorce de Louis VII avec Éléonore de Guienne[259]. Les rois d'Angleterre, à (p. 691) qui le vainqueur de Bouvines avoit enlevé la Normandie, redevinrent, par le mariage de Henri II avec cette princesse, propriétaires d'une partie de la France encore plus considérable et de ses plus belles provinces; et depuis ce malheureux événement, nos rois n'eurent point de plus acharnés et plus dangereux ennemis. Cependant telle avoit été l'influence du beau règne de Philippe sur l'esprit de la noblesse françoise, qu'il s'en fallut peu que son fils Louis VIII ne les chassât entièrement de son royaume; et il étoit sur le point d'achever cette grande et salutaire entreprise, lorsque, à la voix du pape qui l'appeloit au secours de la religion, il interrompit tout à coup le cours de ses conquêtes pour aller faire la guerre aux Albigeois. La croisade contre ces hérétiques avoit été prêchée et renouvelée dans un concile tenu à Paris[260], (p. 692) auquel présida le légat du souverain pontife, et où le comte de Toulouse fut excommunié.
Assez puissant pour entraîner le roi de France dans une guerre qui le forçoit à renoncer à tant et de si grands avantages que lui avoit donnés la victoire, ce légat fut moins heureux lorsqu'il voulut employer son influence et son autorité à apaiser une querelle qui s'éleva, dans ce moment même, entre l'université et la juridiction épiscopale[261]. Pour avoir trop brusquement peut-être décidé la question en faveur de l'évêque, ce prélat se vit tout à coup assailli, dans sa propre maison, par les écoliers, qui, dans toutes les circonstances, croyoient avoir le droit de soutenir par la violence les priviléges du corps auquel ils étoient attachés. Dans celle-ci, le roi fut obligé d'envoyer des soldats au secours du légat; et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'ils parvinrent à l'arracher des mains de ces furieux, qui ne cédèrent qu'après s'être long-temps (p. 693) défendus. De tels désordres se renouvelèrent souvent par la suite; et il n'est presque pas un règne qui n'en offre le spectacle scandaleux.
On sait que Louis VIII mourut au siége d'Avignon, n'ayant régné que trois ans, et après avoir nommé roi Louis son fils aîné, et régente la reine Blanche son épouse. Ce fut lui qui commit cette faute si grave de partager de nouveau le territoire de la monarchie françoise. Par son testament il donna l'Artois à son second fils, le Poitou au troisième, l'Anjou et le Maine au quatrième; et ce fut en toute propriété et non comme de simples apanages qu'ils possédèrent ces provinces. Nous aurons par la suite occasion d'examiner les causes particulières et indépendantes de toutes vues politiques, qui firent que la France, divisée ainsi entre plusieurs princes de la famille royale, ne le fut pas, comme sous les deux premières races, entre plusieurs rois.
(1226) Cette année vit commencer le règne de saint Louis. Il y a dans ce règne mémorable trois époques à considérer: le temps de sa minorité et celui qui s'écoula jusqu'à son départ pour la première croisade; la régence de la reine Blanche pendant qu'il faisoit la guerre en Égypte et en Palestine; enfin le long séjour qu'il fit dans ses États depuis son retour jusqu'à la seconde croisade, où mourut si malheureusement ce grand roi. Ces trois époques sont également remarquables (p. 694) par la sagesse et la vigueur du gouvernement de la mère et du fils.
Les grands vassaux avoient été humiliés sous les règnes précédents, mais il s'en falloit de beaucoup qu'ils fussent entièrement abattus. Louis VIII avoit régné trop peu de temps pour pouvoir achever les glorieux travaux de son père: en mourant il laissa la monarchie aux mains d'un enfant de douze ans qui n'avoit d'autre guide et d'autre appui qu'une femme étrangère à la France. À ces signes apparents de foiblesse, toutes les espérances des rebelles se ranimèrent: ils crurent que le moment étoit venu de se venger de tant d'humiliations qu'ils avoient été forcés d'endurer, et de reconquérir ce qu'ils avoient perdu. Une ligue formidable de princes et de barons se forme à l'instant même contre la régente[262], et la monarchie est menacée du plus grand péril: mais le caractère de Blanche étoit plus grand encore; et ce fut un spectacle digne d'admiration que ce qu'elle déploya, dans ces graves circonstances, de courage, d'activité, de vues hautes et profondes, de prudence, de fermeté. Entourée de ministres (p. 695) habiles, d'agents vigilants et sûrs, elle étoit en quelque sorte au milieu des confédérés; elle voyoit s'ourdir leurs trames, prévenoit tous leurs desseins, déconcertoit toutes leurs mesures, négociant et combattant tour à tour, excitant au milieu d'eux d'utiles divisions, promettant, menaçant, employant tout, et jusqu'à la passion qu'avoit conçue pour elle Thibaud, comte de Champagne, passion insensée qu'elle fit servir au succès de sa juste cause, sans s'être jamais avilie jusqu'à l'encourager. Ce fut ainsi qu'elle déjoua des ligues sans cesse renaissantes, échappa à tous les piéges qui lui furent tendus, força à se rembarquer le roi d'Angleterre qui étoit venu au secours des rebelles, et, parmi ceux-ci, réduisit même les plus obstinés à se soumettre et à demander la paix. Cependant tant de soins, d'inquiétudes et de travaux dont sa vie étoit agitée, n'empêchoient point Blanche de veiller sans cesse sur l'éducation d'un fils qui devoit être le prodige de son siècle, de répandre dans cette âme que le ciel sembloit s'être plu à former tous ces trésors de véritable science qui devoient un jour y produire de si excellents fruits. Les plus habiles maîtres lui furent donnés; et la langue latine qu'ils lui enseignèrent lui devint si familière qu'il lisoit avec facilité les Pères et tous les anciens auteurs que l'on possédoit alors. Il étudioit surtout l'histoire, dont sa mère se plaisoit elle-même à lui développer les hautes leçons, lui (p. 696) apprenant qu'il n'y a de vraie politique que celle qui est appuyée sur la justice et sur la religion. Souvent elle le menoit au milieu des camps; et déjà le jeune prince y donnoit des marques de cette valeur héroïque qui devoit un jour jeter un si grand éclat.
(1228) Au milieu de ces troubles sans cesse renaissants et de cette guerre intestine, Paris jouissoit d'une tranquillité profonde qui ne fut un moment troublée que par le péril que courut l'auguste enfant, déjà les délices de son peuple, et la reine elle-même que les Parisiens confondoient dans le même amour. Elle ramenoit son fils d'Orléans, qui faisoit partie des domaines de la couronne, et où ils étoient allés passer quelques jours. Tous les deux s'avançoient tranquillement sur la route qui conduisoit à leur capitale, se confiant en la paix jurée, et Blanche n'ayant pris aucune précaution pour leur commune sûreté. Cette fois ses ennemis avoient su tromper sa vigilance, et le plus profond mystère couvroit leur trahison. À peine étoit-elle parvenue dans le voisinage d'Étampes, que tout à coup son cortége est enveloppé par une troupe nombreuse et armée. Quelques serviteurs fidèles se dévouent alors pour le salut de leur prince, soutiennent avec courage le premier choc de l'ennemi, et la reine a le temps de gagner en désordre la tour de Mont-Lhéry, où elle se renferme avec son fils. Elle trouve le (p. 697) moyen de faire instruire les Parisiens de son danger: aussitôt toute affaire est suspendue dans la ville; le peuple prend les armes et se précipite sur la route d'Orléans. La foule est si grande autour de Mont-Lhéry qu'on y peut à peine pénétrer; la reine est à l'instant même délivrée et rentre avec le jeune roi dans Paris au milieu des applaudissements de cette multitude et de ses bénédictions.
(1229) Sous cette administration vigoureuse, l'université, que les règnes précédents avoient accoutumée à une excessive indulgence, se vit traitée avec une rigueur qu'elle ne connoissoit point encore; et peu s'en fallut qu'un événement obscur, et qui, de nos jours, seroit à peine remarqué, n'amenât l'entière destruction de cette célèbre compagnie. Les bourgeois et les écoliers s'étant rencontrés dans le faubourg Saint-Marceau, qui étoit alors situé hors des murs de la ville, et où ils étoient allés pour se divertir, il s'éleva entre eux une rixe dans laquelle les bourgeois furent très-maltraités[263]. Aussitôt, sans avoir égard au droit que prétendoit avoir l'université de soustraire au jugement des tribunaux ordinaires ses clients et ses suppôts, la reine ordonna que les auteurs (p. 698) de ce désordre fussent punis. Le prévôt de Paris, chargé d'exécuter cet ordre, surprit les écoliers, un jour de fête qu'ils étoient rassemblés dans une campagne voisine, et les attaqua: ils se défendirent et quelques-uns furent tués. L'université demanda satisfaction de cet événement et ne fut point écoutée: la régente, le légat du pape, l'évêque de Paris se réunirent pour mépriser ses remontrances; et on la vit sans étonnement fermer ses classes et cesser entièrement ses exercices. Alors cette compagnie se décida à quitter Paris, et ses professeurs se dispersèrent dans les provinces et chez l'étranger[264]. Les frères prêcheurs et les frères mineurs[265] crurent devoir profiter de cette circonstance pour s'établir plus solidement dans cette ville, et obtinrent de la régente, les premiers une chaire de théologie, les seconds la permission d'enseigner dans les colléges déserts. Cependant le pape Grégoire IX étoit intervenu dans cette affaire; et la reine, cédant à son intercession puissante, avoit consenti à traiter avec les professeurs mécontents. (p. 699) Par une bulle du 13 avril 1231, l'université fut rétablie sur un nouveau plan, et tous ses priviléges furent confirmés; mais les frères prêcheurs et mineurs restèrent en possession des avantages qu'ils avoient obtenus. Cette concurrence dans l'enseignement devint par la suite une source de désordres nouveaux que la régente n'avoit pas prévus et qui n'éclatèrent qu'après sa mort.
L'année précédente, Paris avoit été témoin d'une cérémonie solennelle et singulière qu'autorisoient les mœurs et les usages de ces temps-là. Le comte de Toulouse, qui avoit soutenu les Albigeois, ayant reconnu ses erreurs et achevé de se soumettre au pape et au roi, vint à Paris, où un traité, chef-d'œuvre de la politique de Blanche, et par lequel sa fille fut fiancée à Alphonse, frère de Louis, mit le sceau à sa réconciliation avec son souverain. Celle qu'il se vit obligé de faire avec l'Église fut plus pénible: il fallut que, dépouillé de ses vêtements, il se présentât en chemise et nu-pieds, le vendredi saint, au grand autel de Notre-Dame de Paris, en présence du roi et de toute la cour. Après cette cérémonie qui acheva d'effacer son péché, il fut reçu à hommage; et pour prouver la loyauté de son retour, il offrit de se constituer prisonnier dans la tour du Louvre, jusqu'à ce que les murailles de la ville de Toulouse eussent été rasées, ce qui étoit une des conditions (p. 700) du traité: mais la régente, satisfaite de sa soumission, l'en dispensa. C'étoit ainsi que les grands vassaux apprenoient peu à peu à se soumettre à l'autorité royale.
(1234) Le roi épouse Marguerite de Provence, et jusqu'à son départ pour la croisade, Paris continue de jouir d'une tranquillité profonde, qui favorise les fondations que la piété du monarque et celle de ses sujets se plaisoient à élever de tous côtés. Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers est bâtie près de la porte Baudez; dans le clos du Chardonnet, alors inhabité, on construit, sous l'invocation de saint Nicolas, une petite chapelle qu'il fallut bientôt ériger en église paroissiale. Les frères mineurs, vulgairement dits Cordeliers, s'établissent, vers ce temps-là, à Paris, et les religieux de l'abbaye Saint-Germain favorisent cet établissement en leur cédant une portion de leur terrain pour y bâtir leur monastère; le couvent des Filles-Dieu est fondé par le zèle et les prédications de l'évêque Guillaume; on jette les fondements de la chapelle succursale de Saint-Barthélemi, qui depuis devint paroisse sous le nom de Saint-Gille et Saint-Leu; un abbé de Clairvaux établit le premier collége que les Bernardins aient eu à Paris; enfin le roi, qui venoit de faire l'acquisition de la sainte couronne et de (p. 701) plusieurs autres instruments de la passion, prodiguoit alors ses trésors pour l'érection du monument superbe connu sous le nom de Sainte-Chapelle, qu'il destinoit à renfermer un dépôt aussi précieux.
Cependant, devenu majeur, Louis IX avoit saisi d'une main ferme les rênes de l'État que sa mère lui avoit remises. Sa sagesse, renommée dans l'Europe entière, l'avoit fait l'arbitre des plus grands princes et des plus grands intérêts[266]; de nouvelles trames avoient été ourdies contre lui par ses vassaux incorrigibles, et partout la victoire avoit suivi ses drapeaux; et dans ces guerres où souvent il avoit eu des difficultés extrêmes à surmonter, son habileté, sa valeur héroïque, sa modération dans les succès, sa présence d'esprit au milieu des dangers, et, dans tous les moments, la force et la noblesse de son caractère, en avoient fait un objet d'admiration même pour ses ennemis les plus acharnés. Il s'étoit rendu redoutable à tous; tous (p. 702) étoient abattus ou soumis; et Louis alloit s'occuper des moyens de donner à la France une paix solide et durable, lorsqu'il fut atteint, à Pontoise, d'une maladie dont le résultat fut de changer ses destinées et peut-être aussi celles de la France. Le mal fit des progrès si rapides qu'en très-peu de jours on désespéra de sa vie: ce fut alors que l'on put connoître à quel point il étoit aimé de son peuple, et quels sentiments profonds avoient gravés dans tous les cœurs et ses vertus et ses bienfaits. La route de Paris à Pontoise étoit couverte de gens qui se transmettoient les nouvelles, et ces nouvelles redoubloient à chaque instant le trouble et les alarmes. Dans toutes les églises on faisoit des aumônes, des prières, des processions; à Saint-Denis, les corps des saints martyrs furent tirés des caveaux et publiquement exposés, ce qui ne se faisoit que dans les plus grandes calamités; les châsses furent portées processionnellement dans les rues, et une multitude innombrable qui étoit accourue de Paris et des environs, les suivoit, pieds nus fondant en larmes, et adressant au ciel ses vœux et ses gémissements. Tout espoir sembloit perdu, lorsque le roi tomba dans un long évanouissement: on le crut mort; mais c'étoit la crise qui devoit opérer sa guérison. Sorti de ce sommeil léthargique, et se sentant ranimé, il fit vœu de partir pour la croisade, demanda la croix à Guillaume, évêque de Paris, qui étoit auprès (p. 703) de son lit, et résistant à toutes les prières et à tous les conseils de sa mère, fixa à deux ans son départ pour les lieux saints.
Il ne put toutefois exécuter ce grand dessein que quatre années après. Ce fut dans cet intervalle que Charles son frère épousa l'héritière de Provence et que se consommèrent en partie les derniers malheurs de cette maison de Souabe, à laquelle ce prince et sa race devoient succéder au trône de Naples. Le roi ne tarda si long-temps à accomplir le vœu qu'il avoit fait, que parce qu'il voulut, avant de partir, tout régler et tout prévoir dans le gouvernement de ses états. Il fut arrêté, dans un parlement qu'il tint à Paris, que toutes les guerres privées seroient suspendues pendant cinq ans; que les croisés seroient pour trois années à l'abri des poursuites de leurs créanciers; et que le clergé contribueroit aux frais de la guerre, du dixième de ses revenus. Le roi voulut, en même temps, suivant l'usage de tous ceux qui s'engageoient dans ces expéditions périlleuses, réparer les torts qu'il avoit pu commettre ou qui avoient été commis en son nom; et des frères mineurs, et prêcheurs furent envoyés dans tout le royaume, afin de recevoir les plaintes que tout particulier pourroit élever contre lui. Cette réparation étoit, sans compter tout le reste, l'avantage que procuroit d'abord une croisade, aux foibles et aux opprimés, même avant qu'elle eût été commencée.
(p. 704) Enfin, le vendredi 12 juin 1248, Louis, accompagné de ses frères, Robert, comte d'Artois, et Charles, comte d'Anjou, se rendit à Saint-Denis. Là le cardinal Odon de Châteauroux, légat du pape, déploya l'oriflamme et donna au roi le bourdon et la pannetière, attributs des pélerins. Le cortége traversa Paris, conduit par les processions jusqu'à l'abbaye Saint-Antoine, où le prince devoit se séparer d'avec sa mère et lui donner ses dernières instructions. Mais Blanche, qui vouloit, autant que possible, prolonger les moments où il lui étoit donné de jouir encore d'une aussi chère vue, le suivit jusqu'à la commanderie de Saint-Jean près de Corbeil, où il devoit s'arrêter. Ce fut en ce lieu que se rassembla un dernier parlement, dans lequel la régence lui fut solennellement donnée avec les pouvoirs les plus étendus. Le roi partit enfin, emmenant avec lui ses frères, la jeune reine Marguerite qui ne voulut point se séparer de son époux, et par une sage précaution qui assuroit la tranquillité de son royaume, se faisant suivre du duc de Bourgogne, des comtes de la Marche, de Toulouse et de plusieurs autres grands vassaux. Au reste, la noblesse françoise s'étoit presque tout entière précipitée sur ses pas.
Les commencements de cette régence furent tranquilles. Ce fut alors que l'on jeta les fondements du collége de Sorbonne, qui devint par la (p. 705) suite le plus illustre de l'université; et que les frères ermites de saint Augustin, connus sous le nom de grands Augustins, vinrent s'établir à Paris. Cependant l'expédition du roi avoit commencé par des succès éclatants que suivirent de bien près d'irréparables désastres; et à peine sortoit-on à Paris des réjouissances publiques qui y avoient été faites à l'occasion de la prise de Damiette, que l'on y reçut la triste nouvelle que l'armée du roi avoit été presque entièrement détruite par la famine et les maladies contagieuses, et qu'il étoit tombé lui-même entre les mains des infidèles. L'alarme fut générale en France; le pape fit prêcher sur-le-champ une croisade nouvelle; et la régente au désespoir ordonna de toutes parts de nouveaux armements.
(1251) Ce fut dans ces malheureuses circonstances que parut un imposteur nommé Job, Hongrois de naissance et déserteur de l'ordre de Cîteaux. Il se montra d'abord dans quelques villes de Flandre où il prêcha une croisade d'une espèce toute nouvelle, soutenant qu'il n'étoit donné ni aux nobles ni aux prêtres de délivrer les saints lieux, et que cet honneur étoit réservé uniquement aux bergers. Ses prédications fanatiques réunirent autour de lui un grand nombre de paysans qui prirent le nom de Pastoureaux. Il s'avança alors dans l'intérieur de la France, et entra à Amiens à la tête de trente mille hommes, déclamant (p. 706) avec fureur contre les seigneurs et surtout contre la cour de Rome qu'il appeloit la moderne Babylone. À la tête de cette armée qui s'accrut encore sur la route d'une multitude de vagabonds et de femmes perdues, il approcha des portes de Paris, où la reine, trompée par de faux rapports, le laissa entrer, croyant qu'il n'étoit pas impossible de former de cette troupe désordonnée une armée régulière, propre à être employée à la délivrance de son fils. Alors Job leva le masque et commença à débiter des maximes contraires à la foi, invectivant avec plus de violence encore contre le clergé, allumant ainsi les passions de ceux qu'il avoit entraînés à sa suite, et excitant de plus en plus le fanatisme de ces misérables, qu'il finit par jeter dans une sorte de frénésie. Ils massacrèrent des prêtres et se livrèrent à toutes sortes d'excès, tandis que leur chef, habillé en évêque, prêchoit dans les églises, confessoit, rompoit des mariages et faisoit de l'eau bénite à Saint-Eustache. L'université, contre laquelle il avoit une animosité particulière, menacée par lui, se barricada dans ses colléges. Enfin, après avoir mis Paris à contribution et y avoir fait de nombreuses recrues, il se dirigea vers Orléans, accompagné alors de plus de cent mille individus de tout sexe et de tout âge. Là les pastoureaux commirent encore de nouveaux crimes et jetèrent (p. 707) plusieurs ecclésiastiques dans la Loire. De là ils allèrent à Bourges, massacrant tout ce qu'ils rencontroient sur leur passage.
Blanche, dont un moment d'erreur avoit contribué à accroître ce mal, se hâta d'y remédier, dès que Paris eut été délivré de leur présence. Ayant rassemblé des forces suffisantes, ce qui fut fait en toute hâte, elle fit attaquer cette multitude dans les plaines du Berry, où on l'eut bientôt dissipée. Job fut tué au milieu de cette déroute; les peuples désabusés achevèrent d'exterminer les pastoureaux fuyants et dispersés; et depuis l'on n'en entendit plus parler.
Cette facilité qu'il y avoit à égarer les dernières classes du peuple, n'empêchoit point la reine de favoriser l'affranchissement des serfs; et l'un des derniers actes de sa régence fut d'obtenir du chapitre de Paris qu'il donnât la liberté à un grand nombre de ceux qu'il avoit sous sa dépendance, moyennant une somme d'argent dont elle fixa la quotité. L'usage de ces affranchissements s'étoit déjà établi sous les règnes précédents, et les rois en avoient les premiers donné l'exemple dans leurs propres domaines. Ils se multiplièrent sous le règne de saint Louis: à l'exemple du chapitre de Paris, plusieurs abbayes fixèrent à leurs serfs un prix pour l'acquisition de leur liberté. Quelques seigneurs firent comme eux, pour se rendre agréables au roi; et l'abbaye Saint-Germain (p. 708) se distingua dans cette circonstance en affranchissant les siens pour une somme extrêmement modique[267].
La reine, en se séparant de son fils, avoit eu le triste pressentiment qu'elle ne le verroit plus en ce monde; elle ne s'étoit point trompée: attaquée à Melun d'une maladie grave, elle y expira le 1er décembre 1252. Cependant Louis, qui étoit parvenu à se racheter des mains de ses vainqueurs, vaincus à leur tour par l'admiration que leur avoient inspirée son courage et ses vertus, ne revenoit point encore, occupé qu'il étoit à assurer, autant qu'il étoit en lui, le sort des chrétiens (p. 709) d'Asie qu'il alloit bientôt abandonner à eux-mêmes. Ces soins le retinrent encore deux ans éloigné de son royaume, et pendant cet intervalle l'État fut administré par ses deux frères, Charles et Alphonse. Ce fut sous cette nouvelle régence que fut fondé le collége des Prémontrés; et alors commença, entre l'université et les jacobins, une longue et fameuse querelle, dont nous parlerons par la suite.
(1254) Enfin le roi revint, et sa main vigoureuse acheva bientôt de rétablir le calme que son absence avoit un peu troublé. Tandis que l'on travailloit, par son ordre et pour le royaume entier, à ce recueil fameux connu sous le nom d'Établissements de saint Louis[268], dans lequel on vit ce génie, si supérieur à son siècle, lutter contre la barbarie des (p. 710) mœurs, l'absurdité des lois et des usages, et parvenir, sinon à détruire entièrement, du moins à diminuer sensiblement les abus monstrueux qu'une longue anarchie avoit fait naître, et que le pouvoir foible et chancelant des premiers rois de sa race n'avoit pu empêcher de s'établir, et pour ainsi dire, de s'enraciner. Il faisoit en même temps, pour les villes de son domaine et particulièrement pour Paris, d'utiles réglements, dont l'exécution n'éprouvoit point les obstacles que lui suscitoient ailleurs les barons intéressés au maintien des abus qui faisoient toute leur puissance[269]. Il abolit la vénalité des charges de judicature, proscrivit les cabarets et autres lieux de débauche, (p. 711) punit sévèrement les blasphémateurs. Dans son horreur pour le vice, il avoit même formé le projet de chasser entièrement les femmes de mauvaise vie de cette capitale; mais la corruption des mœurs y étoit si générale, qu'il se vit forcé de modérer la rigueur de l'édit qu'il avoit porté contre elles, et de tolérer un mal qu'on ne pouvoit détruire sans s'exposer à des maux plus grands encore. Toutefois la police sévère à laquelle il les soumit diminua du moins le scandale de leurs prostitutions[270]. Il avoit pareillement résolu de chasser entièrement les juifs de ses États; mais il revint au conseil plus salutaire d'essayer de les convertir; et, pour y parvenir, il se montra, dans les ordonnances qu'il rendit contre ceux qui persistèrent (p. 712) dans leur croyance, plus sévère qu'aucun de ses prédécesseurs[271]. Il veilloit en même temps à la sûreté de la ville, en forçant les bourgeois à faire le guet conjointement avec une troupe de soldats[272], entretenue à ses propres dépens. Le prévôt de Paris[273] tenoit la main à ce que ce service fût fait régulièrement, et les habitants qui dépendoient de la seigneurie de l'évêque y furent soumis comme les autres.
(p. 713) C'est à saint Louis que l'on doit la première bibliothèque publique qu'il y ait eu à Paris. On dit qu'il en avoit conçu le projet d'après ce qu'il avoit entendu dire en Syrie, d'un sultan qui faisoit recueillir tous les livres nécessaires aux musulmans, et en avoit formé une bibliothèque ouverte à tous les savants de son pays. Il fit donc faire des copies de tous les manuscrits qui se trouvèrent dans les monastères; et ces précieux exemplaires furent rangés dans une salle voisine de la Sainte-Chapelle. Il alloit souvent travailler lui-même dans cette bibliothèque, se mêlant à ceux que l'amour de l'étude y attiroit, et lorsqu'il s'y trouvoit des personnes peu instruites, se plaisant à leur expliquer les plus beaux passages des Pères et des saintes Écritures.
(1257) La dernière époque du règne de ce grand roi fut encore remarquable par un nombre considérable de fondations et d'établissements nouveaux. La chapelle de Sainte-Agnès, qui, dans le principe, étoit une succursale de Saint-Germain-l'Auxerrois, devint église paroissiale, sous le nom de Saint-Eustache; il en fut de même d'une autre chapelle, également dépendante de ce chapitre, et qui quitta le nom de chapelle de la Tour pour prendre celui de paroisse Saint-Sauveur. La petite paroisse Saint-Josse fut aussi érigée vers ce temps-là. On vit successivement s'établir à Paris, par les soins pieux et les libéralités (p. 714) du monarque, plusieurs ordres religieux, les Carmes, les Chartreux, Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, les Blancs-Manteaux, le couvent de l'Ave-Maria, etc. La charité dont il avoit donné des exemples si touchants, en comblant de biens les hôpitaux et notamment l'Hôtel-Dieu, éclata plus particulièrement dans la fondation qu'il fit de l'établissement célèbre connu sous le nom de Quinze-Vingts. Enfin on vit, sous son règne, s'élever plusieurs nouveaux colléges, entre autres ceux de Cluny, des Dix-Huit et du Trésorier.
Sous les règnes précédents, la noblesse et les prélats avoient déjà commencé à fréquenter Paris; et l'autorité du souverain s'augmentoit de cet hommage qu'ils venoient rendre à la majesté du trône. Louis, qui sentit tout l'avantage de ces réunions, les rendit plus fréquentes encore, en tenant régulièrement deux ou trois parlements par an, dans sa capitale. Celui de la Pentecôte, en 1267, fut un des plus célèbres, par la cérémonie brillante qui s'y fit, et l'affluence prodigieuse qu'elle y attira. Le roi y arma chevaliers Philippe, son fils aîné, Robert, comte d'Artois, son neveu, un fils du roi d'Aragon, Edmond d'Angleterre, et plusieurs autres seigneurs, jusqu'au nombre de soixante-sept. À cette occasion ce prince leva sur les sujets de l'évêque la taille qu'il avoit le droit de prendre (p. 715) quand il armoit ses fils chevaliers[274]. Quelque temps après, comme il préparoit sa seconde expédition à la Terre-Sainte, il crut devoir leur demander une nouvelle taille, à laquelle le prélat s'opposa d'abord, mais qu'il consentit enfin à laisser prendre, sous la condition expresse qu'il seroit hautement reconnu que ce dernier impôt, exigé par Louis IX des bourgeois de Paris soumis à la juridiction de l'église, ne préjudicieroit nullement à ses droits, ni à l'accord fait entre Philippe-Auguste et l'évêque Guillaume d'Auvergne.
(1270) On sait quel fut le triste succès de la seconde croisade de saint Louis, plus malheureux encore que celui de la première. La situation désespérée des chrétiens dans la Palestine avoit touché la grande âme du roi; il crut que son premier devoir étoit de voler à leur secours, et de défendre une cause à laquelle il s'étoit entièrement dévoué (car il n'avoit pas un seul instant quitté la croix), cause qu'il regardoit comme celle de Dieu même. Il partit donc de Paris, après avoir fait, pour la tranquillité de son royaume et pour la stabilité des institutions qu'il lui avoit données, tout ce qu'il étoit possible d'attendre de la prudence humaine, et comme s'il eût eu le pressentiment (p. 716) qu'il ne reverroit jamais la France. Il mourut en effet, l'année même de son départ, d'une maladie contagieuse qui moissonna en peu de jours le tiers de son armée, et mourut comme il avoit vécu, en saint et en héros: prince incomparable, le plus grand peut-être de tous ceux qui ont jamais honoré le trône; et que nous croyons louer dignement en disant qu'une race d'hommes[275] qui, de nos jours, s'est comme acharnée à outrager tout ce qui étoit respectable, a été forcée cependant de respecter sa mémoire, et de rendre ainsi, au milieu de ses blasphèmes, un hommage involontaire à la religion sainte qui seule l'avoit fait ce qu'il étoit, l'élevant, par l'assemblage de toutes les vertus chrétiennes, au-dessus de l'humanité.
Laissant ici la suite des événements historiques que nous reprendrons lorsque nous serons arrivés à l'époque où ils se lient aux grands événements dont Paris commença à devenir le théâtre, nous allons exposer rapidement ce qui se passa de plus important dans cette ville, depuis le règne de Philippe-le-Hardi jusqu'à la régence de Charles V.
(1270) Sous Philippe-le-Hardi, l'histoire particulière de Paris n'offre rien de fort remarquable; et l'on n'y voit d'autres fondations que celles du collége d'Harcourt et de l'école de chirurgie. Ce dernier (p. 717) établissement, auquel on donne alors une forme régulière, avoit déjà pris naissance sous saint Louis. La juridiction temporelle des corps ecclésiastiques reçut en ce même temps une atteinte nouvelle, dans un accord fait entre le roi et le chapitre de Saint-Méri, au sujet de la justice que cette collégiale prétendoit exercer sur les terres de sa dépendance. Philippe lui accorda toute justice sur les causes mobilières, sur les paroles injurieuses et autres délits peu importants[276], mais se réserva la justice du sang répandu dans tout le territoire du chapitre, le cloître seul excepté; il se réserva aussi le guet, la taille, les mesures, la voirie, etc. C'est ainsi que le souverain rentroit peu à peu dans des prérogatives dont l'église ne s'étoit point emparée, il ne faut point se lasser de le redire, mais qu'elle avoit été en quelque sorte contrainte d'accepter pour sauver la société, et qu'il eût été peut-être utile de lui laisser plus long-temps[277].
(p. 718) Parmi ces droits divers, celui de voirie, sur lequel les seigneurs particuliers avoient conservé long-temps de grandes prétentions, fut réglé par des statuts généraux qui tendoient à diminuer de nouveau les priviléges très-étendus qui restoient encore à l'évêque dans la ville de Paris[278]. Vers la même époque, l'abbé de Saint-Germain-des-Prés fit construire, dans le faubourg qui relevoit de sa juridiction, une boucherie de seize étaux, laquelle fut établie dans une rue qui, jusqu'à nos jours, en a retenu le nom.
(1278) Une nouvelle querelle s'éleva sous ce règne entre l'université et les religieux de Saint-Germain. (p. 719) Le Pré-aux-Clercs, dans lequel les maîtres et les élèves alloient souvent se promener, étoit très-voisin du clos de ce monastère, et ce voisinage faisoit naître des rixes fréquentes entre les gens de l'abbaye et les écoliers, lesquelles se terminèrent enfin par un véritable combat, où plusieurs de ces derniers furent tués par les vassaux de l'abbé; ceux-ci en blessèrent en outre un grand nombre et jetèrent dans les prisons de l'abbaye tous ceux qu'ils purent saisir. L'université, suivant sa coutume, menaça de fermer ses classes, si elle n'obtenoit raison de cet attentat; et dans la crainte qu'elle n'exécutât sa menace, on s'empressa de lui donner une entière satisfaction. Dans cette circonstance les vassaux de l'abbaye de Saint-Germain méritoient sans doute d'être condamnés; mais on ne peut voir sans étonnement l'impunité dont jouissoient alors les écoliers, principaux auteurs de tous les désordres qui se commettoient dans Paris. Ils couroient, nuit et jour, armés dans les rues; et conservant toujours contre les bourgeois cette ancienne haine, source de toutes leurs querelles, ils les provoquoient par des injures et de mauvais traitements, pilloient leurs maisons, et souvent même exerçoient des violences sur leurs femmes et leurs filles, comme dans une ville prise d'assaut. Sous le règne de saint Louis, l'évêque Étienne n'avoit trouvé d'autre expédient pour arrêter de tels excès que de fulminer contre eux une (p. 720) excommunication qui les retint quelque temps dans le devoir; ils furent excommuniés de nouveau sous Philippe-le-Hardi, et pour les mêmes causes. L'événement montre que de tels moyens étoient alors devenus insuffisants; mais nos rois, qui avoient une prédilection particulière pour ce corps célèbre, répugnèrent toujours à employer contre lui des forces avec lesquelles cependant il leur eût été facile de le retenir dans l'ordre et dans la soumission à l'autorité.
(1285) Au commencement du règne de Philippe-le-Bel, les faubourgs de Paris n'étoient point encore pavés, à l'exception des quatre principaux chemins, de Saint-Denis, de la porte Baudez, de la porte Saint-Honoré et de la porte Notre-Dame-des-Champs. Il s'éleva à ce sujet un démêlé entre les bourgeois de la ville et le prévôt de Paris, qui vouloit les forcer à achever cette opération à leurs frais; les bourgeois l'emportèrent. Dans le même temps le parlement jugea à propos de diminuer le nombre des sergents qui étoient attachés au Châtelet et à la personne du prévôt[279].
Il se passa, sous ce prince, plusieurs événements (p. 721) mémorables: l'abolition et le supplice des Templiers; la canonisation de saint Louis, demandée par tous les ordres du royaume; l'établissement fixe du parlement à Paris. Les embarras que causoit la guerre de Flandre et la multiplicité des affaires déterminèrent le roi à prendre cette mesure, qui devoit avoir des suites si considérables[280].
Les démêlés violents qui éclatèrent entre ce prince et le pape Boniface VIII furent cause de l'établissement d'un nouveau collége. Le cardinal Lemoine, que le pape avoit envoyé à Paris en qualité de légat, en fut le fondateur. Plusieurs autres colléges furent également créés sous ce règne: le collége des Cholets, le collége de Bayeux, ceux de Laon, de Presle et de Montaigu. Le monastère des Cordelières du faubourg Saint-Marceau avoit été fondé, quelque temps auparavant, par la reine Marguerite, veuve de saint Louis, qui ne mourut qu'en 1295. Elle n'eut pas la joie de voir la canonisation de son illustre époux, laquelle ne fut terminée que deux ans après sa mort. La cérémonie de l'élévation du corps fut remise à l'année suivante, et se fit avec la plus grande solennité. Le corps du saint fut levé par les archevêques de Reims et de Lyon; et (p. 722) dans la procession solennelle qui se fit de Saint-Denis à Paris, tous les princes du sang voulurent avoir l'honneur de le porter[281].
(1312) Il faut placer dans les dernières années de ce règne la construction du quai des Augustins, et l'achat que fit le roi de l'hôtel de Nesle, dont nous aurons occasion de parler par la suite. Cet hôtel, qui depuis fut abattu par Ludovic de Gonzague, et reconstruit sous le nom d'hôtel de Nevers, étoit hors de Paris, et s'étendoit depuis les murs de la ville au couchant, jusqu'aux lieux où fut depuis posée la porte à laquelle on avoit donné son nom.
Peu de temps après, Philippe-le-Bel donna au roi d'Angleterre et à tous les seigneurs de son royaume cette fête superbe dont nous avons déjà parlé[282]. Il mourut l'année suivante à Fontainebleau.
(1314) Le règne de Louis-le-Hutin fut court. Ce prince rappela les juifs, que son père avoit chassés. Ces bannissements si fréquents étoient causés par le zèle religieux, et ces rappels par la pénurie des finances. Les impôts exorbitants et l'altération des monnoies les avoient réduites, sous (p. 723) le règne précédent, à un tel état de détresse, qu'il ne se trouva point d'argent dans le trésor pour le sacre du nouveau roi. Ce fut le prétexte dont on se servit pour perdre Enguerrand de Marigni, ministre de Philippe-le-Bel, et le principal agent de ce prince dans toutes ses opérations financières. Également haï du peuple et des grands, odieux surtout à Charles de Valois, frère de Philippe, il fut accusé devant quelques barons et quelques chevaliers assemblés par le roi à Vincennes, sans que l'on observât aucune des règles et formes judiciaires prescrites dans les matières criminelles, sans même qu'on voulût l'entendre, condamné à être pendu, malgré sa qualité de gentilhomme et de chevalier, et attaché au gibet de Montfaucon, qu'il avoit fait élever lui-même peu de temps auparavant pour y exposer les corps des malfaiteurs après leur supplice. Enguerrand n'étoit peut-être pas exempt de quelques reproches dans son administration[283]; mais il fut condamné contre toute justice, et sa mort est une tache à la mémoire de Louis X, qu'on ne peut excuser qu'en faisant observer qu'il étoit jeune, sans expérience, et entouré d'ennemis du surintendant, qui avoient juré sa (p. 724) perte et qui employèrent pour y parvenir les moyens les plus infâmes et les plus criminels. On sait que les remords tardifs du roi le vengèrent; et qu'autant qu'il étoit en lui, ce prince répara cette grande iniquité commise en son nom. Frappé l'année même de la mort du surintendant d'une maladie de langueur qui le conduisit au tombeau, Charles de Valois crut voir la main de Dieu appesantie sur lui, et mourut au milieu des plus vifs sentiments de repentir, implorant les miséricordes de ce Dieu au tribunal duquel il alloit rendre compte.
(1315) La ville de Paris donna à ce prince une preuve de son dévouement et de sa fidélité, en répondant sur-le-champ à la demande qu'il lui fit d'un secours dans la guerre de Flandre, commencée sous le règne précédent. Elle s'obligea à lui fournir, à ses dépens, 400 cavaliers et 2,000 fantassins. Cette guerre, qui se continuoit toujours sans succès, épuisoit la nation. Sous ce prétexte on accabla le peuple d'impôts; on vendit les offices de judicature; on leva des décimes sur le clergé; on alla jusqu'à forcer les serfs, dont le roi avoit encore un grand nombre dans ses domaines, à racheter leur liberté au prix des effets mobiliers, dont on leur permettoit, dans ce temps-là, de disposer[284].
(p. 725) Cette même année, la France entière fut désolée par une horrible famine dont Paris se ressentit autant qu'aucun autre endroit du royaume. On y vendoit le setier de blé cinquante sols (environ 48 fr. de notre monnoie), et les pauvres, disent les chroniques du temps, exténués par la faim, tomboient morts au milieu des rues, sans qu'on leur portât aucun secours. L'avidité des boulangers accrut encore le mal. Convaincus d'avoir mêlé au pain qu'ils fabriquoient des matières nuisibles, pour le rendre plus pesant, ils furent arrêtés, dépouillés de leurs biens, exposés sur des roues aux insultes de la populace, et bannis à perpétuité du royaume.
(1316) Louis-le-Hutin mourut après avoir (p. 726) régné un peu moins de deux ans. Ce roi est le premier qui ait fait du Louvre sa demeure habituelle; tous ses prédécesseurs habitoient de préférence le palais de la Cité. L'établissement du parlement dans cette dernière maison royale fut, dit-on, la cause de ce changement.
Cette fidélité de la ville de Paris envers ses rois, à laquelle nous verrons bientôt succéder toutes les fureurs des factions et de la révolte, éclata encore à l'avénement de Philippe-le-Long. La reine, épouse de Louis X, étoit enceinte lorsqu'il mourut; et jusqu'à son accouchement, Philippe, héritier présomptif de la couronne, avoit en même temps un droit incontestable à la régence du royaume. Le comte de Valois, profitant de ce qu'il étoit absent de Paris au moment de la mort du roi, essaya de se créer un parti, et de lui disputer le gouvernement de l'État; mais la bourgeoisie, reconnoissant la légitimité des droits de Philippe, prit les armés, et chassa du Louvre les soldats du comte, qui déjà s'en étoient emparés. La mort du jeune prince, dont la reine accoucha peu de temps après, fit naître encore de nouvelles contestations pour la succession au trône, et Eudes de Bourgogne, oncle de Jeanne, fille de Louis-le-Hutin, prétendit que sa nièce devoit en être héritière. L'affaire, après avoir été long-temps agitée, fut décidée en faveur de Philippe, dans une assemblée mémorable qu'il convoqua (p. 727) lui-même à Paris, et où se trouvèrent les princes du sang, les prélats, la noblesse du royaume et les principaux bourgeois de la ville[285].
(1318) On vit encore recommencer l'interminable querelle de l'université avec l'abbaye Saint-Germain; et les droits que cette abbaye réclamoit sur le Pré-aux-Clercs, et que les écoliers lui contestoient, étoient toujours la cause de ces débats souvent ensanglantés. Pour en détruire entièrement la source, le roi jugea à propos de se saisir lui-même de la justice que les religieux prétendoient avoir sur ce pré. Du reste, il fut fait une dernière transaction entre les parties contendantes, dans laquelle l'université eut tout l'avantage, comme il arrivoit assez ordinairement[286].
(1320) Un désordre plus grand fut celui que (p. 728) causèrent les nouveaux Pastoureaux. Ils s'étoient formés de même que les premiers, sur la nouvelle qui s'étoit répandue d'une croisade que projetoit le roi, et qui n'eut point son exécution. C'étoient également des bergers, et autres gens de la campagne, qui se rassemblèrent sous la conduite de deux misérables[287], non moins vils que le Hongrois Job. Leur troupe, d'abord peu nombreuse, et qui observoit un certain ordre dans sa marche, ne tarda point à se grossir de tous les brigands et vagabonds qu'ils rencontrèrent sur leur route; et, chose étonnante, le roi, comme si la mémoire de ce qui s'étoit passé sous saint Louis eût été entièrement effacée, favorisa un moment cet étrange rassemblement. Mais les excès auxquels ils ne tardèrent point à se livrer, sous l'influence de tant de scélérats qu'ils s'étoient associés, l'eurent bientôt désabusé. Leur audace fut telle, qu'ils vinrent jusque dans Paris arracher des prisons de Saint-Martin-des-Champs et du Châtelet quelques-uns des leurs qu'on y avoit enfermés. Puis, ayant traversé la ville, ils se (p. 729) rangèrent en bataille dans le Pré-aux-Clercs, et là leur nombre et leur résolution étonnèrent tellement les Parisiens, qu'on leur laissa les passages libres: ils se répandirent ensuite dans les provinces, laissant partout des traces de leurs pillages et de leurs violences, ne faisant surtout aucun quartier aux juifs, auxquels ils avoient juré une guerre d'extermination. Ce ne fut que dans les provinces du midi où ils pénétrèrent sans obstacle, que l'on parvint peu à peu à les dissiper.
Cet événement fut suivi de la conspiration dite des lépreux, lesquels étoient en très-grand nombre dans le royaume. On les accusoit d'empoisonner les puits et les fontaines, d'après les suggestions des juifs, qui eux-mêmes étoient, dit-on, gagnés par les musulmans. Plusieurs, qui s'avouèrent coupables, furent brûlés vifs, et l'on chassa de nouveau les juifs du royaume.
Le roi mourut peu de temps après. Ce fut un prince ami de la justice, et qui publia une foule de sages ordonnances[288]. Un prévôt de Paris, nommé Henri Capetal, commit, sous son règne, (p. 730) un des crimes les plus atroces dont l'histoire fasse mention. Il y avoit dans les prisons de la ville un homme fort riche, lequel avoit été convaincu d'assassinat, et comme tel, condamné au dernier supplice. Il offrit à Capetal une somme considérable, s'il vouloit le sauver: celui-ci, ébloui par l'éclat de l'or, eut l'incroyable barbarie de faire mettre à sa place un prisonnier innocent, mais pauvre, qui subit le supplice destiné à ce coupable. Le roi, instruit de cette horrible prévarication, voulut que le prévôt fût puni sur-le-champ. Il fut jugé par le parlement, et condamné à être pendu[289].
La fondation de Saint-Jacques-de-l'Hôpital doit être rapportée à ce temps-là. On vit aussi s'élever (p. 731) plusieurs nouveaux colléges, le collége de Narbonne, le collége de Lisieux, celui de Cornouailles.
(1322) Le règne de Charles-le-Bel est un des moins féconds en événements que nous offre cette époque. On continua à fonder des colléges[290]. Ce genre de fondations, si multiplié au commencement du quatorzième siècle, prouve le goût qu'on avoit pour la science, et les efforts que faisoit la nation pour sortir des ténèbres où elle avoit été si long-temps plongée. Toutefois la révolution qui devoit y faire naître et y développer le goût des bonnes lettres fut très-tardive, et jusqu'à la fin du seizième siècle sa langue resta imparfaite et barbare. Nous attendons encore la révolution plus heureuse qui doit introduire dans ses écoles la véritable philosophie.
Le couvent des Haudriettes fut fondé à cette époque.
(1328) Charles mourut après un règne de six ans[291]. Il étoit le dernier des trois fils de Philippe-le-Bel. (p. 732) Ces trois princes, qui sembloient promettre à ce roi une nombreuse postérité, disparurent en moins de quatorze ans, sans laisser d'enfants; et la couronne passa à Philippe de Valois leur cousin germain.
Le règne de Philippe de Valois et celui de Jean son fils offrent une des époques les plus désastreuses de la monarchie. Les batailles de Créci et de Poitiers furent livrées sous ces deux princes: par la première, la France fut ouverte aux Anglais et aux Flamands, et la seconde, plus funeste encore, fit naître dans Paris un esprit de désordre et d'anarchie, qui, pendant près d'un siècle, ne s'assoupit quelques moments que pour se rallumer avec plus de fureur. Ces temps malheureux, qui commencèrent à la régence du dauphin, depuis Charles V, formeront, jusqu'au règne mémorable de Charles VII, une troisième époque, dont la place se trouve marquée dans la suite de cet ouvrage.
Voici d'ailleurs les événements les plus remarquables qui se passèrent à Paris jusqu'à la prison du roi Jean. On fonda de nouveaux colléges, et en plus grand nombre encore que sous les règnes précédents[292]. (1329) On vit s'élever plusieurs églises et (p. 733) monastères nouveaux: le Saint-Sépulcre, Saint-Julien-des-Ménestriers, l'église Saint-Yves, les Célestins. Une croisade nouvelle fut encore prêchée à Paris; et ce fut dans le Pré-aux-Clercs que l'archidiacre de Rouen y fit, au nom du pape, un appel au roi de France et à tous les habitants de cette ville. Philippe y prit la croix avec le patriarche de Jérusalem, sans que cette cérémonie eût la moindre suite: on étoit alors entièrement dégoûté de ces expéditions lointaines. Les juges clercs et les laïques renouvelèrent, sous ce prince, les contestations qui avoient pris naissance entre eux dès le règne de Philippe-Auguste, et qui s'étoient continuées sous saint Louis. Dans le jugement qui fut rendu à ce sujet, on vit que le roi, tout en penchant pour les accusateurs, craignoit de blesser le clergé, et n'osa prononcer contre lui; il n'y eut donc rien de décidé sur cette affaire, et les deux parties conservèrent l'une contre l'autre la même animosité. Quelque temps après les évêques se réunirent à Paris dans un concile, dans lequel il fut arrêté que tout juge laïque qui retiendroit un clerc en prison, malgré les demandes des juges ecclésiastiques, seroit excommunié; mais en même temps, et par ce sentiment de justice (p. 734) dont l'Église fut toujours animée, ils firent plusieurs réglements dont le but étoit d'établir, dans leurs diocèses, des réformes qu'ils crurent nécessaires pour justifier une décision qui tendoit à leur donner une si grande autorité.
(1333) Cette année, il s'éleva une dispute nouvelle entre l'université et l'évêque de Paris, à qui cette compagnie contestoit le droit de juger les clercs étudiant dans ses écoles. Elle l'accusoit de violer ses priviléges, qu'il devoit soutenir, étant lui-même docteur en droit. Il fallut encore que le pape se mêlât de cette affaire, et nommât des cardinaux pour en connoître. Tel étoit le crédit extraordinaire de l'université, que l'évêque ne put l'emporter sur elle, et que la paix ne fut rétablie qu'au moyen d'un jugement qui prononçoit entre les deux parties une sorte de compensation.
Célèbre tournoi à Paris en 1344, à l'occasion des noces de Philippe, second fils du roi. Ce fut au milieu de cette fête que furent arrêtés Olivier de Clisson et plusieurs autres seigneurs bretons qui venoient de signer un traité secret avec le roi d'Angleterre. Philippe les fait décapiter[293] sans aucune formalité, et cette exécution violente, (p. 735) bien qu'exercée sur des traîtres, est une des causes de tous les malheurs de ce règne et du suivant. L'ennemi acharné de Philippe, Édouard III, que l'on trouve mêlé à toutes les guerres intestines qui, sous ce règne, désolèrent la France, arme de nouveau et s'avance sans obstacle jusque sous les murs de Paris. Il en dévaste les environs, brûle Saint-Germain-en-Laye, Nanterre, Ruel, Saint-Cloud, Neuilly, la tour de Montjoie, et se retire dans le Beauvoisis, tandis que Philippe, trompé par de faux avis, l'attendoit dans les environs d'Antony à la tête de son armée. Cette même année, le roi perd la bataille de Créci; une peste générale dépeuple son royaume[294]. Dans des circonstances si fâcheuses, il demande à la ville un (p. 736) secours qu'elle lui accorde[295]; (1350) mais il meurt sans en rien recueillir, et laisse à son fils Jean un royaume désolé à l'intérieur par une maladie contagieuse, et menacé au dehors par un ennemi actif et ambitieux.
Nul prince, dit le président Hénault, n'a si souvent assemblé les États généraux et particuliers des provinces que le roi Jean. Il en assembla tous les ans jusqu'à la bataille de Poitiers. Une suspension d'armes convenue avec les Anglois étoit sur le point d'expirer. Les trois ordres furent convoqués à Paris pour y délibérer sur les subsides nécessaires dans une circonstance aussi importante. Peu de temps après le roi entra en campagne et donna la bataille de Poitiers (1356), où il perdit toute son armée et fut fait prisonnier avec les principaux seigneurs de son royaume. Après ce revers fameux, Paris devint le théâtre de troubles qui furent sur le point de renverser la monarchie: leur peinture formera la quatrième époque de ce précis historique, et nous reviendrons en même temps sur les principaux événements de ces derniers règnes, sur lesquels nous venons de passer si rapidement.
On a vu que, sous Louis IX, les mœurs étoient très-mauvaises, et que leur corruption fut plus (p. 737) forte que tous les réglements de ce saint roi. Il ne paroît pas qu'elles aient été moins corrompues sous ses successeurs. Les François étoient alors ignorants et passionnés; et la violence de leurs passions rendant leur piété superstitieuse, leur faisoit voir dans des pratiques de dévotion, toutes extérieures et souvent minutieuses, une expiation suffisante de tous les crimes qu'ils pouvoient commettre. Plus éclairés par la suite, leurs mœurs devinrent meilleures, parce qu'ils comprirent mieux le véritable esprit de la religion, et chez des peuples encore enfants, une telle révolution peut s'opérer promptement et facilement. Elle est plus difficile au milieu d'un peuple corrompu, comme nous le sommes maintenant, par l'excès d'un faux savoir, et par les raffinements d'une police que l'on considère follement comme le dernier degré de la civilisation.
Malgré tous les efforts que fit le grand monarque que nous venons de nommer, pour établir l'ordre et la police dans Paris, l'autorité royale y étoit encore trop contestée pour qu'ils pussent avoir des effets bien durables. On sait les désordres continuels auxquels s'y livroient les écoliers, et ceux plus grands encore qu'y commirent les derniers Pastoureaux. Sous Philippe-le-Bel, les violences qui s'y renouveloient chaque jour étoient telles, que le parlement se vit contraint de publier une ordonnance qui y défendoit le port (p. 738) d'armes, sous peine de prison. Le roi Jean, pendant les premiers temps de son règne, s'occupa aussi beaucoup de la police, et fit plusieurs réglements utiles, surtout relativement aux mendiants qui abondoient dans cette grande ville, et dont la plupart se livroient au brigandage lorsqu'on leur refusoit l'aumône. Il en publia aussi de relatifs à la propreté des rues[296].
On voit tous ces princes, jusqu'à Charles V, apporter la plus grande attention à tenir chacun dans son état. La cavalerie et les pleines armes étoient réservées à la noblesse; et les roturiers, même les plus distingués, n'étoient admis que dans l'infanterie. Le règne de ce dernier roi, qui fut l'époque la plus florissante de la chevalerie, maintint sévèrement cet antique usage; et jusqu'à Louis XII, on ne voit point qu'il ait été altéré. Sous ce monarque tous les gendarmes étoient gentilshommes, et beaucoup d'entre eux grands seigneurs: la confusion ne se mit dans les armées que sous Henri II.
On promulgua sous Philippe-le-Bel une loi somptuaire qui fixoit les dépenses de la table et (p. 739) des habits: elle régloit le souper à deux mets et un potage au lard, et le dîner à un seul mets et entremets. On ne servoit que trois plats sur la table de nos rois; leur meilleur vin étoit celui d'Orléans. Louis-le-Jeune en faisoit des largesses: Henri Ier en avoit toujours à la guerre, et lui attribuoit la vertu d'exciter aux grands exploits[297].
Il falloit être duc, comte ou baron, et avoir six mille livres de terre, pour donner à sa femme quatre robes par an. «Nulle demoiselle, si elle n'est châtelaine ou dame de deux mille livres de terre, n'en aura qu'une.» Le prix qu'on permettoit de mettre aux étoffes étoit depuis dix sous jusqu'à vingt, l'aune de Paris; et les dames de la première qualité avoient seules le droit de la payer jusqu'à trente sous. Enfin, pour mettre de la différence dans les états, il étoit ordonné que nulle bourgeoise n'auroit de char et ne se feroit conduire le soir avec un flambeau[298].
Les costumes varièrent beaucoup, depuis l'habit long que nous rapportâmes des croisades, jusqu'aux pantalons étroits qui devinrent à la mode sous François Ier. Nous offrirons dans la suite de cet ouvrage le tableau de ces variations, et celui de beaucoup d'autres usages curieux et singuliers qui y trouveront naturellement leur place.
Cette église royale et paroissiale est une des plus anciennes et des plus remarquables de Paris; et il n'en est aucune dont l'origine présente plus d'obscurité. Il est certain qu'elle existoit au septième siècle, puisque saint Landri, évêque de Paris, mort vers l'an 655 ou 656, y fut inhumé; mais c'est sans preuve suffisante que plusieurs historiens[299] ont avancé qu'elle avoit été fondée par Childebert et la reine Ultrogothe, qui l'élevèrent, disent-ils, en l'honneur de saint Vincent. Cette opinion n'est soutenue d'aucune autorité assez grave, et l'on ne peut à cet égard admettre comme des preuves suffisantes, ni les statues représentant un roi et une reine que l'on voit sous le porche ou vestibule de cette église, ni l'inscription qui porte: C'est Childebert, roi chrétien, et Ultrogothe sa femme, qui fondèrent cette église, (p. 741) ni l'usage où l'on a été long-temps d'y fêter saint Vincent comme premier titulaire. Ces représentations grossières d'un roi et d'une reine ne conviennent pas plus à Childebert et à Ultrogothe qu'à d'autres princes; d'ailleurs les figures et l'inscription, qui même n'a été gravée qu'après coup[300], n'ont pas cinq cents ans d'antiquité: car le portail sous lequel elles sont placées est d'une construction qui ne peut remonter plus haut que le siècle de Philippe-le-Bel. À l'égard du culte qu'on rendoit dans cette église à saint Vincent, l'abbé Lebeuf a si évidemment démontré qu'elle n'avoit jamais été sous l'invocation de ce saint diacre, que, malgré la tradition et l'usage, on en a supprimé le nom dans le Propre de cette paroisse, imprimé en 1745.
Nous pensons qu'au sujet de l'origine de cette église, l'opinion la plus solidement établie est celle de Jaillot[301], qui prétend qu'elle fut construite en entier par les ordres de Chilpéric Ier, pour y recevoir le corps de saint Germain, évêque de Paris. La preuve qu'il en donne est un testament de Bertichram ou Bertchram (que nous appelons Bertram ou Bertrand), évêque du Mans, dicté le 24 mars de la vingt-deuxième (p. 742) année du règne de Clotaire, dans lequel le testateur assigne un fonds pour desservir à perpétuité le lieu de la sépulture de saint Germain, d'abord dans l'église de saint Vincent[302], où son corps étoit alors déposé, ensuite dans la basilique nouvelle que le roi Chilpéric venoit de faire construire, s'il y étoit transporté[303].
Cependant cette église porte le nom de saint Germain d'Auxerre et non celui de l'évêque de Paris; et l'on ne peut nier qu'il n'existe quelques traditions qui tendent à établir qu'elle a été bâtie sous le vocable du premier saint. Mais si on les examine avec quelque attention, l'on verra qu'elles se réduisent à de simples conjectures et à un diplôme (p. 743) de Charles-le-Chauve, lequel est au moins suspect en cette partie. «Je croirois, dit l'abbé Lebeuf, qui a fait une dissertation particulière sur l'antiquité de cette église, je croirois qu'il en faut attribuer la première origine à une chapelle qui aura été construite peu de temps après la mort de saint Germain d'Auxerre, en mémoire de quelque miracle qu'il aura opéré en allant de Paris à Nanterre, dans l'un ou l'autre des deux voyages qu'il fit dans la Grande-Bretagne; qu'au sixième siècle, l'évêque de Paris, qui portoit son nom, ne fut pas indifférent pour l'autel érigé sous l'invocation de ce grand prélat; et que ce pourroit bien être sous son épiscopat que fut bâtie la rotonde qui fit désigner dans la suite cette église sous le nom de Saint-Germain-le-Rond.»
À ces assertions dépouillées de preuves, et dans lesquelles on ne voit en effet que les conjectures d'un savant, qui hasarde une opinion qu'il ne peut établir d'une manière satisfaisante, Jaillot oppose le silence absolu de tous les écrivains contemporains sur les miracles de saint Germain d'Auxerre à l'endroit où fut fondée cette église, tandis qu'ils ont recueilli avec le plus grand soin tous ceux qu'il a opérés ailleurs, et qu'ils ont poussé l'exactitude jusqu'à indiquer les croix et les oratoires élevés dans les lieux devenus fameux par ces événements miraculeux, ou par les prédications du saint. Il (p. 744) ajoute (et ce fait, qui peut paroître aujourd'hui peu considérable, l'étoit beaucoup dans ce temps-là) que l'évêque de Paris, dont en effet la dévotion étoit grande au saint dont il portoit le nom, possédant une de ses reliques, en fit présent[304] à sainte Geneviève, dont il étoit contemporain, comme une marque de l'estime particulière qu'il avoit pour elle; ce qu'il n'eût point fait, s'il eût existé une chapelle ou un oratoire en l'honneur de ce saint: car, dans ce cas, il se seroit empressé de l'y déposer, etc. Quant au diplôme de Charles-le-Chauve, dans lequel il est question de l'église de Saint-Germain en ces termes, Quod à priscis temporibus Autissiodorensis dicitur, l'abbé Lebeuf lui-même pense avec raison que cette addition a été faite après coup, et insérée ensuite dans toutes les copies.
C'est en effet le seul titre où cette qualification lui soit donnée: tous les historiens, tous les diplômes qui ont parlé de cette église n'y joignent aucun surnom; elle est simplement appelée l'église de Saint-Germain; et ce ne fut que dans le neuvième siècle qu'elle reçut, en raison de sa forme nouvelle, la dénomination de Saint-Germain-le-Rond: (p. 745) Abbon est le premier qui la désigne ainsi dans son poëme,
«Germani Teretis contemnunt littora sancti.»
Tant de témoignages réunis, où rien ne s'explique en faveur de saint Germain d'Auxerre, peuvent servir à confirmer les inductions tirées du testament de Bertram; cependant on demande pourquoi le projet attribué à Chilpéric, de transporter le corps de saint Germain dans la nouvelle basilique, n'eut point son exécution. Cette difficulté, plus grande que les autres, ne peut être résolue d'une manière satisfaisante; et le silence absolu que gardent à cet égard tous les auteurs contemporains ne permet de hasarder que de simples conjectures. On présume donc que Chilpéric, n'ayant survécu que huit ans à saint Germain, ne put faire achever la basilique qu'il avoit commencée; que Frédégonde, dont la vie fut si agitée, remplie de tant de crimes, de passions et de malheurs, ne s'empressa pas de la faire continuer; et que, d'un autre côté, les religieux de Saint-Vincent, jaloux de conserver les précieuses dépouilles dont ils étoient dépositaires, firent naître tous les obstacles qui pouvoient en empêcher ou en retarder la translation. Les troubles qui remplirent les derniers règnes de la première race durent favoriser leurs vœux et leurs projets; et (p. 746) lorsque Pépin monta sur le trône, il est probable qu'on ne pensa plus à les dépouiller d'un bien dont une si longue possession sembloit les rendre légitimes propriétaires. Ce prince, qui avoit besoin de se concilier tous les esprits, voulut au contraire, par une cérémonie éclatante, faire cesser toutes les craintes qu'ils pouvoient avoir encore à cet égard. Le 25 juillet 754, assisté de ses fils et des grands du royaume, il fit transférer avec la plus grande pompe le corps de saint Germain, de la petite chapelle de Saint-Symphorien dans le chœur de la grande église de Saint-Vincent, qui depuis fut appelée de Saint-Germain ou de Saint-Vincent et de Saint-Germain. Alors l'autre église prit sans doute le surnom dont nous venons de parler[305], pour ne pas être confondue avec la première. Telles sont les conjectures imaginées pour expliquer cette difficulté; et l'on doit convenir qu'elles sont à la fois vraisemblables et ingénieuses.
Enfin cette basilique étoit la première église canoniale et paroissiale qui dût son origine à la cathédrale; et cette dépendance absolue où elle étoit de l'église mère[306], semble être une nouvelle (p. 747) preuve qu'elle avoit pour titulaire le saint évêque qui l'avoit gouvernée, et non celui d'Auxerre.
L'église de Saint-Germain subsista telle qu'elle avoit été bâtie, d'abord, jusqu'au siége de Paris par les Normands. Ces barbares l'épargnèrent tant qu'elle leur parut utile à leur défense: ils la fortifièrent à cet effet d'un fossé dont on retrouve encore aujourd'hui la trace dans la rue qui en porte le nom; mais lorsqu'ils furent obligés de quitter Paris, ils la détruisirent de fond en comble. Helgaud, moine de Fleury, nous apprend que le roi Robert la fit rebâtir[307], et que c'est alors qu'on trouve pour la première fois des titres certains qui la présentent sous le nom de Saint-Germain-l'Auxerrois, celui de Saint-Germain-le-Rond ne pouvant plus lui convenir à cause de la forme nouvelle de l'édifice. On se détermina sans doute à lui donner ce vocable, parce qu'il la distinguoit pour toujours de l'abbaye de Saint-Vincent, désignée depuis long-temps sous celui de Saint-Germain-des-Prés.
Le même écrivain qui nous apprend que cette église fut rebâtie par le roi Robert, a jeté quelques auteurs, même modernes, dans une erreur assez grave, en la désignant sous le nom de Monasterium: (p. 748) ils en ont conclu qu'il y avoit anciennement des religieux à Saint-Germain. Il est vrai qu'on entend aujourd'hui par le mot de monastère un lieu habité par des religieux et par un supérieur qui les commande; mais alors on appeloit aussi monastère toute église collégiale ou paroissiale, parce que les chanoines et les prêtres qui les desservoient pratiquoient la vie commune: ils sont ainsi appelés, dit Dubreul, propter convictum communem quem primitùs habebant[308]. Il en est de même du nom d'abbé, qui, dans sa véritable étymologie, signifie père, et qui, depuis, a été affecté spécialement aux archimandrites ou chefs et supérieurs des maisons religieuses. Dubreul soutient donc avec raison que l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois n'a jamais eu d'abbé, mais un doyen et un certain nombre de chanoines. D'ailleurs une charte authentique d'Imbert, évêque de Paris, donnée en 1030, et confirmée en 1108 par celle de Galon, un de ses successeurs, désignant les ecclésiastiques qui desservoient cette église, leur donne cette qualité de Chanoines; ce qui prouve que, quand bien même des religieux (p. 749) l'eussent desservie dans l'origine, son état étoit déjà changé sous Robert, malgré le titre de monastère que lui donne l'historien de ce prince.
Il est donc naturel de penser que, dans tous les temps, la communauté de Saint-Germain-l'Auxerrois a été composée de chanoines; et cette dépendance même où ils étoient de la cathédrale en est une nouvelle preuve, puisqu'à cette époque les religieux étoient déjà affranchis de la juridiction épiscopale. Dans les commencements, ces chanoines administroient le baptême et les autres sacrements, et étoient tour à tour chargés des fonctions curiales; mais là partie de la ville qui étoit sous leur gouvernement s'étant considérablement peuplée, surtout sous le règne de Philippe-Auguste, ils choisirent un vicaire pour remplir ces fonctions sous leurs yeux. Par là cette collégiale fut érigée en cure au commencement du treizième siècle; et l'on trouve en effet plusieurs actes dans lesquels, dès l'an 1202, le prêtre, c'est-à-dire le curé, est distingué des chanoines[309].
L'église de Saint-Germain-l'Auxerrois est, après la cathédrale, la seule parmi les anciennes églises séculières qui ait eu une école; et cette école étoit tellement célèbre, que le nom en est resté à une partie de son territoire. Un passage de (p. 750) Grégoire de Tours donneroit à penser qu'elle existoit dès le temps de l'évêque de Paris saint Germain, et de Ragnemode son successeur: on ne peut douter du moins qu'elle ne fût déjà florissante sous le règne de Charlemagne, époque à laquelle on vit renaître les études si long-temps négligées. Cette école dut reparoître avec un nouvel éclat sous le roi Robert, qui rebâtit l'église, et qui s'intéressoit particulièrement à l'éducation des jeunes ecclésiastiques; mais le terrain où elle étoit située étant devenu depuis nécessaire pour les dépôts de la navigation, et l'université s'étant formée sur la montagne Sainte-Geneviève, les études cessèrent à Saint-Germain. C'est aussi la première église, en exceptant toujours la cathédrale, qui ait possédé de bonne heure une nombreuse communauté de clercs. Les chanoines l'établirent au douzième siècle, afin de donner plus de solennité à la célébration des offices; et Maurice de Sully, alors évêque de Paris, approuva cet établissement[310].
Son chapitre est de même l'un de ceux qui ont fourni à l'église de France les plus illustres personnages. Parmi ses doyens, dont on a la liste depuis sept à huit siècles, plusieurs devinrent évêques ou se distinguèrent par leur piété. Il possédoit (p. 751) d'ailleurs un grand nombre de prérogatives, entre autres, le droit de nommer à tous les bénéfices fondés sur son territoire, ce qui comprenoit presque tout le quartier occidental de la ville et des faubourgs de Paris[311].
Cette paix et cette considération dont il jouissoit ne furent troublées que vers le commencement du siècle dernier. Il s'étoit déjà élevé plusieurs procès entre le chapitre et le curé; les chanoines avoient aussi des démêlés fréquents avec les marguilliers, et même avec les chapelains du chœur[312]. Ces divisions, et le mauvais état des affaires des chanoines de Notre-Dame, firent naître l'idée de réunir les deux chapitres. La proposition en fut faite en 1736; et après d'assez longues contestations relatives au rang et aux priviléges que demandoient les chanoines de Saint-Germain, cette (p. 752) église collégiale, qui pouvoit à juste titre se dire la fille aînée de celle de Paris, retourna en 1744 à la source d'où elle étoit sortie, onze à douze siècles auparavant; et la nomination des bénéfices auxquels elle présentoit revint à l'Ordinaire.
Le bâtiment de Saint-Germain-l'Auxerrois n'étoit pas moins illustre que la communauté qu'il renfermoit. Cette église, objet de l'affection particulière de nos rois, et bâtie à plusieurs reprises par l'ordre de ces princes, en avoit pris le nom de royale; et ce titre lui fut confirmé lorsqu'ils eurent fait du Louvre leur demeure ordinaire. Quant à l'antiquité de ses constructions, Piganiol s'est trompé en disant qu'il restoit encore quelques parties de celles qui avoient été faites du temps de Robert: ce qu'on y voit de plus ancien est le grand portail[313], qui paroît être du siècle de Philippe-le-Bel; le vestibule ou portique qui le (p. 753) précède ne fut construit que sous le règne de Charles VII. Cette façade de l'édifice n'a d'ailleurs jamais été terminée; et il est facile de voir sur l'élévation que toutes les parties supérieures et pyramidales y manquent entièrement[314].
Le chœur, autant qu'on pouvoit juger dans le siècle dernier, par sa structure et par les anciens vitraux qu'on y avoit conservés, paroissoit être du quatorzième siècle; les ailes, les chapelles, la croisée avec son double portail et la nef étoient d'une construction plus moderne au moins de cent ans[315]. En 1607, on construisit sur le terrain du cloître un réservoir pour les eaux de la Samaritaine, et une galerie couverte, voisine du grand portail, laquelle servoit de chapelle à la communion.
Dans le temps que le chapitre étoit à Saint-Germain, le chœur de cette église étoit fermé de toutes parts à la hauteur des arcades des bas côtés, et il n'y avoit d'ouvertures que par la porte principale et par les portes collatérales.
Le jubé, tel qu'il étoit alors, passoit pour un (p. 754) morceau d'architecture très-remarquable; il avoit été élevé sur les dessins de Pierre Lescot[316], et les sculptures étoient de Jean Goujon. Ce jubé étoit porté sur trois arcades; celle du milieu formoit la principale entrée du chœur, et dans la baie de chacune des deux autres étoit un petit autel renfermé par un balustre. Aux deux extrémités on voyoit, sur deux autels saillants, les statues en pierre de la Vierge et de saint Louis, d'un très-mauvais travail; les jambages de ces arcades étoient revêtus chacun de deux colonnes corinthiennes, et les cintres en étoient ornés de figures d'anges, tenant les instruments de la Passion. Sur l'appui du jubé et au-dessus des colonnes on avoit placé les statues des quatre évangélistes; mais ce qu'il y avoit de plus précieux dans cette décoration étoit un grand bas-relief, qui en occupoit le milieu, et qui représentoit Nicodème ensevelissant Jésus-Christ. Ce morceau, admirable, dit-on, sous tous les rapports d'ordonnance et (p. 755) d'exécution, étoit de la main du célèbre sculpteur que nous venons de nommer. Il fut détruit avec le reste, lors des changements qui s'opérèrent dans l'administration de Saint-Germain, par la réunion de son chapitre à celui de Notre-Dame.
Le curé et les marguilliers pensèrent aussitôt à faire exécuter dans leur église les travaux convenables pour la rendre vraiment paroissiale[317]. Il fut décidé qu'on ouvriroit le chœur de tous les côtés: pour y parvenir, on abattit, en 1745, les lambris qui l'environnoient, et même le jubé qui régnoit sur la porte principale; le pavé de l'église fut relevé et réparé dans toute son étendue; et afin d'éviter de nouvelles dégradations, on pratiqua sous l'église de vastes caveaux pour les inhumations. Tous ces changements furent approuvés, à l'exception de la destruction du jubé.
Le chœur reçut alors la forme nouvelle qu'il a conservée jusqu'à nos jours. Cette décoration fut faite sur les dessins de M. Baccari, architecte: les piliers gothiques prirent une forme moderne; dans les masses qui sont au-dessus des arcades, il retailla des tables[318] enfoncées avec un caisson au milieu; (p. 756) au pourtour du chœur, au-dessous des croisées, régnoit une balustrade d'entrelacs, enrichie de fleurons, et dont les piédestaux étoient ornés de têtes de chérubins. On prit en même temps des mesures pour procurer un jour suffisant à toute l'église, en supprimant les rosettes gothiques et une grande partie des meneaux[319] des croisées: des vitraux neufs les remplacèrent. MM. Gois et Mouchi, sculpteurs du roi, ajoutèrent les statues de saint Vincent et de saint Germain à plusieurs autres sculptures modernes dont ce chœur alors fut décoré; il fut enceint d'une grille à hauteur d'appui, en fer poli et bronze doré, d'une très-belle exécution; enfin, rien ne fut négligé pour que cette restauration répondît à la dignité d'une des plus anciennes et des plus célèbres églises de Paris.
Elle possédoit des ornements plus précieux encore: plusieurs tableaux des plus grands maîtres de l'ancienne école françoise en décoroient la nef, dont le banc de l'œuvre, exécuté sur les dessins de Perrault et Lebrun, passe pour le plus beau qu'il y ait à Paris. La plupart des artistes logés au Louvre, et paroissiens de cette église, s'étoient fait un honneur, dans le siècle dernier, d'y consacrer quelques-uns de leurs ouvrages. Enfin, ses murs et ses piliers étoient couverts des noms d'un (p. 757) grand nombre de personnages illustres par leurs talents ou par leurs vertus, dont elle contenoit les dépouilles mortelles, et ses chapelles offroient les tombeaux de plusieurs d'entre eux. La plupart de ces monuments ont été détruits ou dispersés; ces noms ont été effacés, et une nudité presque absolue a succédé à cette magnificence religieuse, dont il ne reste même presque aucun souvenir.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS.
TABLEAUX.
Dans la chapelle de la Vierge, l'Assomption, par Philippe de Champagne.
Dans la chapelle de la paroisse, les tableaux de saint Vincent et de saint Germain, par le même.
Sur l'autel d'une autre chapelle qui est auprès de celle de la paroisse, un tableau de saint Jacques, par Le Brun.
Dans la chapelle des Agonisants, un tableau de Jouvenet dont le sujet est l'Extrême-Onction.
Dans la chapelle des Frères-Tailleurs, les disciples d'Emmaüs, par Restout.
Au-dessus des portes latérales des croisées, Jésus-Christ sur la montagne, et Jésus-Christ guérissant un possédé, par Charles Coypel.
Au-dessus de la chaire, qui étoit remarquable par la richesse de ses ornements, un tableau de Boullongne, représentant une des prédications de Jésus-Christ.
Dans la chapelle où s'assembloient les marguilliers, on voyoit un tableau qui y avoit été transporté d'une des croisées de l'église où il étoit placé auparavant. C'étoit une copie de la fameuse Cène de Léonard de Vinci[320].
Le tableau du maître-autel, par Vien.
(p. 758) TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Louis de Poncher, garde des sceaux, mort en 1521, et Roberte Le Gendre sa femme[321].
Jacques Dubois, médecin fameux, connu sous le nom de Silvius; mort en 1551.
François Picart, doyen de cette église et prédicateur célèbre, mort en 1556.
François Olivier, chancelier de France, mort en 1560.
François Olivier, seigneur de Fontenay, et abbé de Saint-Quentin de Beauvais, son petit-fils, mort en 1636.
Abraham Remi, professeur d'éloquence au collége de France, et l'un des meilleurs poètes latins de son temps, mort en 1646.
Nicolas Faret, l'un des quarante de l'Académie Françoise, mort en 1649.
(p. 759) Pierre Sanguin, médecin de Louis XIII, et Anne Akakia son épouse.
Charles Annibal Fabrot, professeur de droit, auteur de plusieurs ouvrages, mort en 1659.
Guy-Patin, professeur en médecine au collége royal, mort en 1672.
Claude Melan, graveur célèbre, mort en 1688.
Guillaume Samson, habile géographe, mort en 1703.
Au côté droit du chœur, sous l'enceinte et contre le mur, étoit une table de marbre sur laquelle on lisoit l'épitaphe de François de Kernevenoy, appelé par corruption de Carnavalet. C'étoit un des plus beaux caractères de son temps, et l'ornement de la cour de Henri II.
On lit ensuite dans d'autres chapelles les épitaphes d'Anne de Thou, fille aînée de Christophe de Thou, premier président du parlement de Paris; de Louis Revol, secrétaire d'état sous Henri III et Henri IV; de Claude Fauchet, premier président de la cour des monnoies, mort en 1603.
La famille de Pomponne de Bellièvre avoit aussi sa chapelle dans cette église. Le fameux chancelier de France, de ce nom, surnommé le Nestor de son siècle, y fut enterré en 1607.
La famille des Phélippeaux de Pontchartrain avoit aussi sa sépulture à Saint-Germain depuis 1621.
Dans une chapelle, deux figures de marbre blanc sur une tombe de marbre noir, représentoient Étienne d'Aligre, chancelier de France, mort en 1635, et son fils Étienne d'Aligre, également chancelier de France, mort en 1677. (Rendu à la famille.)
Au premier pilier, vis-à-vis la chapelle du Saint-Sacrement, étoit fixée une table de marbre sur laquelle Le Brun avoit peint une femme mourante. Ce portrait étoit celui de mademoiselle Selincart, épouse d'Israël Silvestre, graveur célèbre du dix-septième siècle: tous deux ont été enterrés dans cette église[322].
Plusieurs autres personnages qui se sont fait un nom dans les arts et dans les lettres avoient aussi leur sépulture à Saint-Germain-l'Auxerrois. On y lisoit les noms de Malherbe, le créateur de la poésie françoise; de madame Dacier et de son époux; (p. 760) du peintre Stella; de plusieurs sculpteurs célèbres, Sarrazin, Desjardins, Coyzevox, Warin; de Levau, premier architecte du roi; d'Orbay, autre architecte qui a bâti le dôme des Invalides. Dans le siècle dernier on y enterra Noël et Antoine Coypel, Santerre, tous les trois peintres distingués; Houasse, directeur de l'académie de Rome, etc., etc.
Le dernier personnage remarquable qui ait été inhumé dans cette église est le comte de Caylus, célèbre par son amour pour les arts et pour l'antiquité. En raison de ce goût et des travaux auxquels il s'étoit livré toute sa vie pour en pénétrer les obscurités, on lui avoit élevé un monument composé d'un cénotaphe antique en porphyre[323], lequel étoit surmonté de son buste. Il mourut en 1765.
Dans cette église furent baptisés, en 1316, le petit roi Jean, premier fils de Louis Hutin et de Clémence d'Aragon, d'Anjou-Hongrie; en 1389, Isabelle de France, fille de Charles VI et d'Isabelle de Bavière; en 1573, Marie-Isabelle de France, fille de Charles IX et d'Élisabeth d'Autriche.
Si l'on considère en général le territoire de Saint-Germain-l'Auxerrois, soit dans son état primitif, soit dans les réductions qu'il a éprouvées, il se trouve qu'il a servi à l'érection de quatre collégiales, neuf paroisses et plusieurs hôpitaux; nous avons déjà eu l'occasion de parler de plusieurs de ces établissements, et nous ferons connoître les autres par la suite: il s'agit seulement de déterminer ici les bornes dans lesquelles cette paroisse étoit renfermée à la fin de la monarchie.
Sa figure formoit un carré long. Depuis l'extrémité des Tuileries, ses limites passoient par le milieu (p. 761) de la rivière jusqu'à la statue de Henri IV; revenoient ensuite, en suivant la moitié septentrionale du bas de la rivière, jusqu'au pont au Change, sur l'extrémité duquel elle possédoit jadis trois maisons dans la branche qui descendoit vers le Grand Châtelet. Cet édifice public, ses prisons et la rue Pierre-au-Poisson y étoient également compris.
Elle pénétroit ensuite dans la rue Saint-Denis, dont elle avoit tout le côté gauche jusqu'à la première ou la seconde maison en-deçà de la rue Courtalon, exclusivement. Les cinq ou six premières maisons à droite en entrant dans la rue de la Tabletterie[324], les trois ou quatre dernières de la rue des Fourreurs aussi à droite, tout ce qui est à gauche entre ces deux rues, lui appartenoit également. Il faut y ajouter l'extrémité de la rue des Déchargeurs, excepté ce qui fait le coin de celle de la Ferronnerie, et tout le côté gauche de la rue Saint-Honoré jusqu'à la boucherie des Quinze-Vingts.
(p. 762) Dans cette boucherie, les étaux à gauche étoient de Saint-Germain; les limites, passant ensuite au milieu de la cour du marché dans sa longueur, renfermoient la grande écurie et ses cours, le Manége jusqu'à la grotte des Feuillants; elles suivoient ensuite les murs du reste du jardin des Tuileries et de l'Orangerie; puis, se repliant à la moitié du cul-de-sac de cette orangerie, se prolongeoient le long des fossés des Tuileries jusqu'à la rivière. Cette étendue contenoit deux cent cinquante arpents, soixante-deux perches carrées.
L'origine du Louvre se perd, comme celle de presque de tous les vieux édifices de Paris, dans l'obscurité de ses temps de barbarie.
Les historiens ne sont pas même d'accord sur la véritable étymologie de son nom. Les uns le font venir du nom propre d'un seigneur de Louvres, sur le terrain duquel le premier château fut bâti; d'autres des loups qui peuploient la forêt (p. 763) voisine[325]; quelques-uns du vieux mot françois ouvre, de manière qu'on aura dit L'ouvre pour l'œuvre, l'ouvrage par excellence. Enfin il en est un petit nombre, et ceux-ci nous semblent avancer l'opinion la plus vraisemblable, qui prétendent trouver la racine de ce nom dans le mot saxon lower, lequel signifie château.
Si un diplôme, cité par Duboulay[326], est authentique, il faudroit croire que le Louvre existoit déjà du temps du roi Dagobert, c'est-à-dire vers le milieu du septième siècle. Mais, en supposant qu'on puisse donner à son origine cette haute antiquité, il faut croire en même temps, ou que ce n'étoit point une maison royale, ou qu'elle jouissoit alors de peu de renommée; car les historiens de la première dynastie n'en font aucune mention, tandis qu'ils parlent souvent de Vincennes, de Chelles, de Clichy, de Saint-Denis, de Nogent (ou Saint-Cloud), et de beaucoup d'autres maisons de plaisance[327] que nos rois (p. 764) avoient alors coutume de parcourir, et qu'ils habitoient plus volontiers que la ville.
Il n'existe point de preuves suffisantes pour faire adopter une origine aussi ancienne; mais ce seroit aussi la rapprocher beaucoup trop de nos temps modernes que de l'attribuer à Philippe-Auguste, comme l'a fait Duhaillan, suivi en cela par beaucoup d'autres historiens. Plusieurs actes concourent à prouver que le Louvre existoit dès la seconde race, et qu'à cette époque il étoit déjà une habitation royale. Il fut sans doute détruit par les Normands vers la fin de cette époque, et relevé avec tous les édifices environnants, dès les premiers temps de la domination des Capets. «Les rois y tinrent des chiens, des chevaux, des piqueurs et des équipages de chasse, dit Saint-Foix, mais ils ne faisoient qu'y passer et s'y rafraîchir; jamais ils n'y ont été à demeure.» Ces princes, comme nous l'avons déjà dit, habitoient le palais de la Cité, lorsqu'ils quittoient leurs maisons de plaisance pour revenir dans leur capitale.
L'erreur qui a fait regarder Philippe-Auguste comme le fondateur du Louvre, vient de ce qu'effectivement il en répara et augmenta les constructions. (p. 765) C'est lui qui y fit élever cette tour fameuse connue alors et long-temps après sous le nom de Tour Neuve. S'il eût fait bâtir le château en entier, Rigord, son historien, ou plutôt son panégyriste, Guillaume Le Breton et Jean de Saint-Victor n'eussent pas manqué d'en faire mention. Le nom même qui fut donné à la tour de Philippe-Auguste, prouve qu'il en existoit d'autres qui avoient été construites auparavant: en effet cette tour, que Rigord appelle Neuve, parce qu'il n'y avoit que dix ans qu'elle étoit bâtie lorsqu'il écrivoit[328], occupoit au milieu du Louvre la place d'une autre tour qui avoit aussi porté le même nom. Depuis on l'appela la Grosse Tour; la preuve en est dans un cartulaire de Saint-Denis-de-la-Chartre, qui contient des lettres de ce prince de l'an 1204, par lesquelles il donne 30 sous à cette église pour l'indemnité[329] du terrain sur lequel cette construction avoit été élevée. On y voit que la tour du Louvre, dite Grossa Turris, est située où étoit anciennement Turris Nova. Sous le règne de Louis-le-Jeune, on trouve des actes où ce château (p. 766) est nommé Louvre, sans qu'il soit indiqué si ce nom venoit de l'édifice lui-même, ou du territoire sur lequel on l'a voit bâti.
La situation du Louvre, dans une plaine voisine et cependant entièrement détachée de Paris, présentoit le double avantage d'en faire une maison de plaisance pour nos rois, et une forteresse, qui pût à la fois défendre la ville et en contenir les habitants. Le genre de sa construction prouve que l'on avait eu l'un et l'autre but en le bâtissant; mais, dès Philippe-Auguste, cette capitale s'étoit tellement accrue que ce château étoit déjà environné de rues et de maisons. Cependant ce prince ne voulut point qu'il fût enfermé dans Paris lorsqu'il fit faire de nouvelles murailles: le Louvre eut une enceinte particulière, et hors de la ville.
Dans la description de cet ancien monument, nous suivrons principalement Sauval, qui se montre ici plus exact que partout ailleurs, quoique, dans plusieurs endroits, il ait confondu la forme de l'édifice avec l'enceinte dont il étoit environné.
Le plan du Louvre étoit un parallélogramme, et s'étendoit en longueur depuis la rivière jusqu'à la rue de Beauvais, et en largeur depuis la rue Froi-Manteau jusqu'à celle d'Autriche, aujourd'hui rue de l'Oratoire. Le terrain qu'il occupoit avoit soixante et une toises trois quarts de longueur, sur cinquante-huit toises et demie de largeur. Il (p. 767) consistoit en plusieurs corps-de-logis d'une architecture si simple et si grossière, que la façade ressembloit à quatre pans de murailles percés de croisées longues et étroites, où le jour pouvoit à peine pénétrer, et placés au hasard les uns sur les autres. Ce château d'ailleurs étoit fortifié, flanqué d'un grand nombre de tours, et environné de fossés larges et profonds. Au centre de ce carré long étoit la grande cour, qui avoit trente-quatre toises et demie de longueur, sur trente-deux toises et cinq pieds de largeur. Au milieu s'élevoit la grosse tour dont nous venons de parler.
Les corps-de-logis étoient à deux étages sous Philippe-Auguste; ils furent rehaussés sous Charles V de cinq à six toises, et couronnés de terrasses. Outre la grande cour, on comptoit dans le Louvre plusieurs basses-cours qui empruntoient leurs noms des lieux dont elles étoient voisines: ainsi, l'une se nommoit la basse-cour du côté de Saint-Thomas; une autre, la basse-cour vers la rivière; il y avoit la basse-cour du côté de l'hôtel de Bourbon; la basse-cour du côté de la rue d'Autriche, etc.
Les tours étoient nombreuses, mais répandues autour du bâtiment sans aucune symétrie entre elles, excepté aux angles et aux portaux[330]. Ces (p. 768) dernières, qui ne s'élevoient que jusqu'au comble, se terminoient en terrasses ou plates-formes. Celles des angles, beaucoup plus hautes que les autres, étoient couvertes d'ardoises, et terminées par des girouettes peintes et rehaussées des armes de France. Chacune de ces tours avoit son nom et son capitaine particulier, lequel dépendoit du gouverneur général du château.
Les plus connues de ces tours sont la grosse tour du Louvre, la tour de la Librairie, la tour de l'Horloge, les tours au Fer-à-Cheval, la tour (p. 769) de l'Artillerie, la tour de Windal, la tour de l'Écluse, la tour de l'Armoirie, la tour de la Fauconnerie, la tour de la Taillerie, la tour de la Grande-Chapelle, la tour neuve du pont des Tuileries, etc. Les noms de ces tours s'entendent facilement d'eux-mêmes, excepté le nom de celle de Windal, dont on ignore l'origine.
La tour du Louvre, d'où relevoient encore dans les derniers temps les grands fiefs et les grandes seigneuries du royaume[331], a été nommée par les historiens, tantôt la tour Neuve, tantôt la Forteresse du Louvre; puis la tour de Paris, la tour Ferrand, la grosse tour du Louvre. Cette tour étoit ronde et semblable à celles de la Conciergerie du Palais; elle avoit huit toises de diamètre et seize de hauteur; l'épaisseur de la maçonnerie étoit de douze pieds dans le haut, et de treize vers la base; on y comptoit plusieurs étages, percés chacun dans leur pourtour de huit croisées à montant et traverses de pierre, de quatre pieds dans toutes (p. 770) les dimensions. On montoit à cette tour par un escalier que fermoit une porte de fer; et l'on y arrivoit par un pont-levis[332] et un pont de pierre d'une seule arche, au moyen desquels on franchissoit un fossé large et profond dont elle étoit environnée. Une galerie aussi de pierre, qui aboutissoit au grand escalier, lui servoit de communication avec le château: elle se trouvoit ainsi isolée du reste de la cour. Dans l'intérieur étoient une chapelle, un puits et plusieurs chambres voûtées.
Sur un des côtés du fossé, on avoit dressé un petit édifice couvert de tuiles, d'où sortoit une fontaine. Il fut démoli avec la tour en 1528. De l'autre côté étoit un pavillon carré, qu'on avoit déjà détruit en 1377.
Cette tour étoit le lieu où tous les grands vassaux étoient tenus de venir rendre hommage. C'étoit, dit Saint-Foix, une prison toute préparée pour eux, s'ils y manquoient: elle fut en effet, tant qu'elle exista, le séjour d'un grand nombre d'illustres prisonniers.
Ferrand, comte de Flandre, vaincu par Philippe-Auguste, et pris par ce prince à la bataille de Bouvines en 1214, y fut renfermé, chargé des mêmes chaînes qu'il avoit préparées pour son souverain: (p. 771) il n'en sortit qu'en 1226, pendant la régence de la reine Blanche, qui lui rendit la liberté, sous la promesse qu'il fit de la servir contre ses ennemis.
Saint Louis y fit conduire Enguerrand de Coucy, pour avoir fait pendre injustement trois jeunes gentilshommes flamands, venus à Saint-Nicolas-des-Bois dans le dessein d'apprendre la langue, et qui avoient poursuivi sur ses terres des lapins qu'ils avoient fait lever sur celles de cette abbaye.
En 1299, on y voit amener Guy, comte de Flandre, avec ses enfants, pour avoir pris les armes contre Philippe-le-Bel. Enguerrand de Marigny, ce contrôleur des finances dont nous avons déjà parlé, l'eut aussi pour prison. Louis, comte de Flandre et de Nevers, et Jean, comte de Richemont et de Monfort, y furent renfermés sous les règnes de Charles-le-Bel et de Philippe de Valois, le premier, pour avoir obligé ses sujets à lui rendre hommage, ce qui étoit contraire à un traité fait en 1310; le second, pour avoir usurpé la Bretagne. Ce roi de Navarre si funeste à la France, Charles II, dit le Mauvais, y fut deux fois prisonnier par ordre du roi Jean: d'abord à cause de l'assassinat de Charles d'Espagne, connétable de France, convaincu ensuite d'avoir excité les Anglais à envahir le royaume. Sous Charles VI, les séditieux qui désoloient Paris y emprisonnèrent Pierre Desessarts et plusieurs autres (p. 772) personnages de distinction. Enfin, en 1474, Louis XI fit renfermer dans cette tour Jean II, duc d'Alençon; et c'est le dernier prisonnier qu'on y ait mis. Nos rois se sont toujours servis depuis de la Bastille, du château de Vincennes, de la tour de Bourges, du château d'Angers, etc.[333]
La tour de la Librairie reçut le nom qu'elle portoit, parce qu'elle servit de dépôt à la bibliothèque de Charles V. Cette bibliothèque n'étoit composée que de neuf cents volumes; mais c'étoit beaucoup pour un temps où l'imprimerie n'étoit pas encore découverte, et pour un prince à qui le roi Jean son père n'avoit laissé qu'une vingtaine de volumes au plus. Elle occupoit trois chambres, ou plutôt trois étages de cette tour[334], et étoit ouverte nuit et jour au petit nombre de savants et de lettrés de ce temps-là. (p. 773) «La bibliothèque de Charles V, dit le président Hénault, étoit composée de livres de dévotion, d'astrologie, de médecine, de droit, d'histoire et de romans; peu d'anciens auteurs des bons siècles, pas un seul exemplaire des ouvrages de Cicéron, et l'on n'y trouvoit, des poëtes latins, qu'Ovide, Lucain et Boëce; des traductions en françois de quelques auteurs, comme les Politiques d'Aristote, Tite-Live, Valère-Maxime, la Cité de Dieu, la Bible, etc.»
Sous le règne de Charles VI, cette bibliothèque fut entièrement dispersée. Les Anglais ayant pénétré jusqu'à Paris à la faveur des dissensions intestines qui troubloient la France, et principalement cette capitale, s'emparèrent, comme le témoignent quelques actes de ce temps-là, de cette précieuse collection. Une partie des livres passa en Angleterre avec les archives, qui étoient aussi conservées dans le Louvre; les ennemis se partagèrent sans doute le reste.
On ne sait autre chose de la tour de l'Artillerie, sinon que les arsenaux du Louvre qui y étoient établis furent transportés auprès du couvent des Célestins le 18 décembre 1572, par ordre du roi Charles IX.
La tour de Windal étoit située sur le bord de la rivière, et attachée à la porte d'une des basses-cours. En 1411, elle avoit un comte de Nevers pour capitaine ou concierge.
(p. 774) La tour du Bois, que l'on nomme quelquefois le Château du Bois, fut bâtie en 1382 par ordre de Charles VI. Elle étoit située vis-à-vis la tour de Nesle, entre la rivière et la basse-cour du Louvre, et environnée de fossés profonds[335]. Les registres de la ville disent que le même prince qui avoit fait construire cette tour ordonna dans la suite de la détruire: ce qui fut exécuté.
La tour de l'Écluse retenoit par des vannes l'eau de la rivière dans les fossés. En 1391, Charles VI y fit emprisonner Hugues de Saluces.
La tour Neuve du pont des Tuileries étoit près du logis du prévôt de l'hôtel et du pont des Tuileries. C'est la dernière de toutes celles que nous avons citées sur laquelle on ait quelques particularités.
Il est impossible d'ailleurs de rien dire de certain sur les changements qui furent faits dans le Louvre depuis Philippe-Auguste jusqu'à François Ier; car il n'existe, ni dans les archives ni dans les bibliothèques, aucun plan de ce château à aucune de ces époques. Les chartes et les mémoires historiques sont les seules sources d'où l'on puisse tirer à ce sujet quelques notions, et tout ce qu'on y apprend, c'est que nos rois y ont fait (p. 775) successivement divers changements, élevant une tour, en détruisant une autre, bâtissant une chapelle, un pavillon, étendant un jardin, etc. Saint Louis avoit conçu le projet d'en augmenter beaucoup les bâtiments: on ignore ce qui l'empêcha de l'exécuter.
Les plus grands travaux entrepris dans cet édifice pendant le cours du quatorzième siècle sont dus à Charles V et à son successeur. «Le Louvre, dit Saint-Foix, après avoir été hors des murs pendant plus de six siècles, se trouva enfin dans Paris, par l'enceinte commencée sous Charles V en 1367, et achevée sous Charles VI en 1383. Charles V, qui ne jouissoit que d'un million de revenu, dépensa cinquante-cinq mille livres à rehausser ce palais et à en rendre les appartements plus commodes et plus agréables; mais ce prince ni ses successeurs jusqu'à Charles IX n'en firent point leur demeure ordinaire; ils le laissoient pour les monarques étrangers qui venoient en France. Sous le règne, de Charles VI, Manuel, empereur de Constantinople, et Sigismond, empereur d'Allemagne, y furent logés.»
Ce château étoit accompagné de plusieurs jardins. Le plus grand étoit nommé le Parc, et s'étendoit le long de la rue Froi-Manteau. On avoit élevé aux quatre coins quatre pavillons. Il ne fut détruit que sous Louis XIII, lorsqu'on commença à reprendre les travaux pour l'achèvement (p. 776) du principal corps-de-logis, commencé sous François Ier. Outre ce jardin, il y en avoit un pour l'appartement du roi, et un autre pour celui de la reine. Ce dernier jardin subsistoit encore à la fin du siècle dernier.
Dès le commencement du seizième siècle, ce vieil édifice, entièrement négligé, tomboit en ruines; et lorsque Charles-Quint vint à Paris en 1539, François Ier fut obligé d'y faire des réparations considérables, pour le rendre digne de recevoir ce monarque. Ces travaux, dont l'effet étoit sans doute insuffisant pour la restauration totale de l'édifice, lui firent naître l'idée de le faire entièrement abattre et de construire à la place un palais plus digne de la majesté des rois, et de l'état de civilisation où la nation étoit parvenue. À cette époque, les beaux-arts s'étoient déjà introduits en France à la voix d'un prince qui les aimoit et les protégeoit. Les plus grands artistes de l'Italie étoient appelés à sa cour, et le payoient des honneurs et des récompenses qu'il leur prodiguoit, en communiquant à son peuple les traditions de l'antiquité dont ils étoient les dépositaires; et bientôt la France vit sortir de son sein d'heureux génies qui purent rivaliser avec leurs maîtres. De ce nombre étoit Pierre Lescot, seigneur de Clugny, l'un des plus grands architectes de son siècle.
On a peu de détails sur la vie de cet homme célèbre; on sait seulement qu'il fut abbé commendataire (p. 777) de l'abbaye de Clugny, chanoine de l'église de Paris, et conseiller des rois François Ier, Henri II, Charles IX et Henri III, sous les règnes desquels il a vécu. Il est le premier qui ait osé offrir parmi nous les belles proportions et le goût pur de l'architecture antique, au milieu des édifices gothiques qu'élevoient encore de tous côtés les architectes ses contemporains. Il avoit donné au roi, pour la construction du nouveau palais qu'il projetoit, un plan aussi grand que magnifique: cependant, avant de rien entreprendre, François Ier ordonna, dit-on, à l'Italien Sébastien Serlio, alors en France, de lui tracer aussi un plan du Louvre. Il paroît que c'est à cet habile architecte qu'il faut attribuer le trait généreux dont on a si faussement fait honneur au Bernin. Il avoit vu le dessin de Pierre Lescot; et, tout en obéissant aux ordres du roi, il lui fit entendre qu'il ne pouvoit rien faire de mieux que d'adopter le projet de l'artiste françois. Ce fut donc sur les plans de Lescot que fut commencé le nouveau palais, qu'on a depuis appelé le Vieux-Louvre, pour le distinguer des constructions qui furent élevées sous les règnes suivant: car ce superbe monument, même dans l'état d'imperfection où nous l'avons vu au commencement de la révolution, étoit cependant le résultat d'une suite de travaux presque continuels depuis François Ier jusqu'à nos jours.
(p. 778) Au milieu d'une foule de tentatives abandonnées, de projets avortés, d'entreprises mal concertées et qui se sont successivement détruites, ces travaux présentent trois époques principales et qui peuvent suffire à la description historique du Louvre. La première sous François Ier, Henri II et Louis XIII; la seconde, sous Louis XIV; et la troisième, qui appartient au règne de Louis XV.
Si l'on en croit la plupart des historiens de Paris, la construction de ce palais auroit été commencée en 1528. Mais cette date est évidemment fausse, puisqu'à cette époque l'architecte Pierre Lescot n'avoit que dix-huit ans. Ce qui a causé cette erreur, c'est qu'en 1528 on fit effectivement de grandes réparations à ce château; peut-être même commença-t-on alors à en démolir quelques parties; mais, comme d'Argenville l'a très-bien prouvé, ce ne fut qu'en 1541; c'est-à-dire cinq années avant la mort de François Ier, que le nouveau bâtiment commença à sortir de terre. En 1548, Henri II fit continuer l'ouvrage commencé par son père, comme l'atteste une inscription gravée sur la porte de la salle dite des Cent-Suisses[336].
(p. 779) La partie élevée sous ces deux rois est celle qui fait l'angle de la cour actuelle, à partir du pavillon qui occupe le milieu de la façade méridionale jusqu'au gros pavillon surmonté d'un dôme qui est opposé à la colonnade. Cette partie est la seule qu'on ait complétement achevée du côté intérieur sur les dessins de Pierre Lescot[337], et c'est là seulement qu'on peut se faire une idée du génie de ce grand architecte.
À cette époque il régnoit en France, comme en Italie, une grande union entre les arts; on sentoit plus vivement qu'on ne l'a fait depuis l'heureuse dépendance dans laquelle ils étoient les uns des autres; et l'on ne regardoit point comme un habile architecte celui qui n'étoit pas bon dessinateur, parce que, pour faire un bel édifice, il ne s'agit pas seulement de construire, il faut encore décorer. Pierre Lescot excelloit également dans ces deux parties, et paroît avoir voulu développer dans cette demeure royale toutes les richesses de la sculpture et de l'architecture réunies. La façade offre un ordre corinthien surmonté de deux composites, dont un est en attique. Peut-être (p. 780) pourroit-on reprocher à ce grand artiste d'y avoir trop prodigué le luxe de ces deux arts: il faut convenir que l'attique est trop chargé de bas-reliefs, et que la quantité et la proportion de ces précieux détails ne sont pas dans uns accord satisfaisant avec les étages inférieurs. C'est ce même goût pour la magnificence des ornements qui le détermina à adopter une ordonnance dans la décoration de son premier étage, quoique les colonnes et les pilastres n'y aient pas plus de hauteur que les croisées; et l'on peut en dire autant de l'ordre de son rez-de-chaussée dans sa proportion avec les arcades. Mais ces observations sévères et purement scolastiques n'empêchent point que, soit que l'on considère la majesté de l'ensemble, soit que l'on admire la perfection avec laquelle chaque partie est exécutée, on ne soit forcé de convenir que cette portion du Louvre est encore la plus belle, et qu'il est à regretter que le même homme qui avoit commencé ce grand monument n'ait pas été assez favorisé des circonstances pour pouvoir le terminer d'après une aussi grande conception.
La France possédoit, à la même époque, un autre artiste dont le génie étoit digne de s'associer avec celui de Lescot: c'étoit le célèbre Jean Goujon[338], qu'on doit regarder peut-être comme (p. 781) le plus grand statuaire des temps modernes, et qui n'a du moins été égalé jusqu'ici par aucun de ceux qui lui ont succédé. Il décora la façade du Vieux-Louvre de bas-reliefs offrant des trophées, des esclaves enchaînés, des figures allégoriques, telles que la pudeur, l'abondance, le courage, etc., etc. On ne sait ce que l'on doit davantage admirer ou de la correction, de la pureté des formes, des ordonnances des croisées, des frises, des chambranles exécutés par l'architecte, ou de la perfection des figures et des ornements qui sont sortis de la main du sculpteur.
Ils déployèrent dans l'intérieur le même goût et la même magnificence; et l'on n'admire pas moins la vaste salle connue sous le nom de salle des Cent-Suisses[339], qu'ils y construisirent ensemble. Elle est décorée d'un ordre dont les colonnes sont accouplées et élevées sur un socle. Au fond est une tribune soutenue par des cariatides colossales, dans l'exécution desquelles Goujon semble s'être surpassé lui-même. Il ne se peut (p. 782) rien imaginer de plus noble et de plus élégant que toute cette composition.
Pendant les règnes courts et agités des rois qui se succédèrent depuis Henri II jusqu'à Louis XIII, il se fit peu de changements et d'augmentations dans les constructions du Louvre; et cependant c'est à cette époque qu'il a été le plus constamment habité par ces souverains. Mais dans ces temps malheureux de discordes civiles et de dissensions politiques, les monuments des arts étoient négligés; les arts eux-mêmes se corrompoient, et l'on s'aperçoit sensiblement, dans le peu qui fut fait pendant cet intervalle, de la décadence du bon goût de l'architecture, qui se releva ensuite sous Louis XIII et Louis XIV, sans jamais revenir cependant au point de perfection où elle avoit été portée à l'époque brillante de François Ier. Catherine de Médicis commença la grande galerie du Louvre, et fit construire le château des Tuileries. Charles IX, Henri III et Henri IV continuèrent après elle, sans toutefois y mettre un grand intérêt, quelques parties du Louvre et de la galerie.
On ne songea que sous Louis XIII à achever la belle façade dont nous venons de parler; et Jacques Lemercier, architecte protégé par le cardinal de Richelieu, fut chargé de la direction de cet ouvrage. Il suivit les dessins et les plans de Lescot dans toute la partie qui est au-delà du pavillon du milieu, mais il crut devoir s'en écarter dans la (p. 783) construction de ce pavillon, et c'est une faute qu'on ne peut trop lui reprocher. Il couronna l'attique de Lescot de huit figures en bas-relief modelées par Sarrazin[340]; elles furent surmontées par un dôme, le seul qui reste aujourd'hui dans cette cour. Mais quoique ces figures soient d'un grand caractère, et qu'il y ait beaucoup de richesse dans cet ajustement, il s'éloigne déjà beaucoup de la beauté du style du siècle précédent; et un goût pur ne sauroit approuver ces cariatides gigantesques placées au troisième étage, ces trois frontons enclavés les uns dans les autres, la trop grande prodigalité des ornements, ni enfin ce dôme quadrangulaire qui couronne pesamment l'édifice. Le même architecte construisit le vestibule orné de colonnes qui est au rez-de-chaussée de ce pavillon; et ce morceau n'est pas sans mérite.
Il paroît que ce fut aussi dans ce temps-là, et toujours sous la direction de Lemercier, qu'on éleva, en se conformant encore au plan de Lescot, l'autre partie de cette aile du Louvre où étoient jadis l'Académie française et celle des belles-lettres. Ce fut toutefois un des premiers changements survenus dans le plan original. Suivant ce plan, le Louvre ne devoit avoir en étendue que le quart (p. 784) de la superficie occupée par la cour actuelle. Le projet devint plus vaste sous Louis XIII; on le quadrupla[341].
Tel étoit l'état de ce palais lorsque Louis XIV commença à gouverner lui-même. À ces constructions imparfaites et irrégulières étoient encore attachés des débris gothiques de l'ancien château[342]; des matériaux, des décombres, des maisons particulières, mesquines, inégales, entassées sans ordre, entouroient et masquoient cette demeure royale. Dans l'emplacement qu'occupe aujourd'hui sa magnifique colonnade, étoient un jeu de paume, un hôtel, des baraques en bois, etc. On peut se faire une idée de l'aspect qu'offroient alors les environs du Louvre, par celui que présentoient, il y a quelques années, les maisons qui, dans l'espace compris entre la rue du Coq et la rue Froi-Manteau, sembloient être les restes de celles que l'on détruisit à cette époque. La seule façade dont l'aspect fût satisfaisant est celle du pavillon qui s'étend à l'est sur le jardin dit de l'Infante. Le roi, qui vouloit que tout autour de lui eût de la grandeur et de la majesté, ordonna que le Louvre fût achevé, et rendu digne de sa noble destination.
Le surintendant des bâtiments (Ratabon) demanda, d'après ces ordres, un plan à l'architecte (p. 785) Levau, et ce plan fut adopté par Louis XIV. Il y avoit de grandes difficultés à vaincre: la principale étoit d'assortir aux élévations des façades intérieures, projetées d'abord pour un moindre espace que le nouveau plan, la décoration des façades extérieures, dont Pierre Lescot ne s'étoit point occupé, et qui sans doute n'entroient point dans le monument qu'il avoit imaginé. Deux de ces façades furent exécutées sur les dessins de Levau, celle qu'on vient d'abattre du côté du quai, et celle qui donne sur la rue du Coq[343]. On remarque dans celle qui regarde les Tuileries[344] deux manières différentes qui sembleroient prouver que cet architecte n'étoit pas seul chargé de l'ordonnance et de la direction de ces travaux, et que ces parties furent exécutées à diverses reprises, sans qu'on puisse au juste en déterminer les époques. Quant à la principale façade du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois, elle devoit être également faite sur ses dessins; les fondements en étoient jetés, et s'élevoient déjà à dix pieds au-dessus de terre, lorsque Colbert parvint à la surintendance des bâtiments.
Ce ministre, dont les idées étoient grandes et élevées, n'approuva point le projet de Levau, (p. 786) qu'il trouva mesquin, et peu digne d'un monarque dont la gloire et la magnificence jetoient déjà un si vif éclat. Il crut donc devoir, sans le rejeter tout-à-fait, ouvrir un concours pour cette importante entreprise: c'étoit la première fois qu'on suivoit en France une marche aussi solennelle dans l'érection d'un monument public. Le modèle en bois de Levau fut exposé et livré à la critique, qui le condamna d'une voix unanime; et l'on vit paroître en même temps plusieurs autres projets conçus par les plus habiles architectes. Parmi ces nouveaux dessins, on en remarqua un dont personne ne connoissoit l'auteur, et qui, comme l'assure Perrault, fut généralement trouvé beau et magnifique: il étoit de Claude Perrault, médecin; et c'est, à quelques changements près, celui qui, long-temps après, a été exécuté.
Ce projet, que favorisoit l'approbation générale, avoit aussi frappé Colbert; mais il retomba dans ses irrésolutions lorsqu'il entendit soutenir aux gens de l'art qu'un tel plan n'étoit qu'un beau dessin fait uniquement pour éblouir les yeux; qu'au fond il étoit inexécutable, et ne pouvoit même soutenir l'examen. Alors le surintendant résolut de prendre l'avis des plus fameux architectes de l'Italie; et, par une bizarrerie qu'on ne peut guère expliquer, ce fut le dessin de Levau et non celui de l'anonyme qu'il leur envoya. Pour toute réponse, ils lui firent parvenir des projets (p. 787) de leur façon, dont aucun ne parut même supportable.
À cette époque, le chevalier Bernin jouissoit à Rome, comme sculpteur et comme architecte, de la plus haute réputation; il étoit le seul qu'on n'eût pas consulté. Colbert, las de tant de tentatives infructueuses, et éloigné par tous ceux qui l'environnoient du seul projet qui auroit pu le séduire, résolut d'appeler en France cet artiste célèbre, et de lui demander un plan pour un monument qu'il vouloit rendre le plus grand et le plus magnifique de l'Europe.
Le Bernin vint à Paris, et les honneurs qu'on lui rendit, tant sur sa route qu'à son arrivée dans cette capitale, furent tels, qu'ils parurent excessifs, et qu'ils l'étoient en effet. La réception d'un prince du sang n'eût pas eu plus d'appareil[345]. Cet artiste conçut un très-beau projet, un projet général, qui embrassoit le présent et l'avenir. Ses idées et ses dessins tendoient, d'un côté, à lier le Louvre aux Tuileries; et, de l'autre, par une magnifique percée, ils étendoient la place (p. 788) du Louvre jusqu'au Pont-Neuf. Un dessinateur nommé Mathias, qu'il avoit amené de Rome, le secondoit dans ses travaux: c'étoit lui qui prenoit les mesures, qui copioit une partie des dessins, etc. Ce Mathias s'aperçut facilement et prouva que Levau s'étoit trompé dans les alignements qu'il avoit pris: il le dit hautement, ce qui aigrit encore la cabale des artistes français contre l'architecte italien.
Cette cabale avoit pris naissance au moment même de son arrivée en France. Les honneurs prodigieux qu'on lui rendoit excitèrent d'abord la jalousie de ses rivaux; et cette jalousie se changea en haine lorsqu'on le vit à Paris louer sans cesse et avec emphase tout ce qu'avoit produit l'Italie; ce qui étoit, en quelque sorte, déclarer le peu d'estime qu'il faisoit des artistes françois: car, quoiqu'il se conduisit envers eux avec beaucoup de prudence et de politique, donnant des éloges à tout ce qui lui paroissoit en mériter, se taisant sur les choses où il croyoit trouver des défauts, cependant il étoit loin de parler des productions françoises avec le même enthousiasme; et ces différences étoient facilement saisies par l'amour-propre, si prompt à s'alarmer. Levau, premier architecte, ne voyoit point sans douleur cette préférence humiliante pour lui qu'on accordoit à un étranger. Le peintre Lebrun, qui étoit au premier rang dans la faveur du monarque, s'effrayoit (p. 789) de l'idée de la partager avec un homme dont le mérite passoit alors pour très-grand, qu'on avoit reçu avec tant de distinction, et qu'on parloit de fixer pour toujours à Paris. Mais celui qui intrigua le plus fortement contre lui fut Charles Perrault, secrétaire du conseil les bâtiments: il avoit la confiance du ministre, et l'on peut juger qu'il désiroit avec ardeur de faire adjuger l'entreprise du Louvre à son frère. Le Bernin avoit d'ailleurs dans son ton et dans ses manières une sorte d'exagération qui ne laissoit pas de prêter au ridicule dans une cour telle que celle de France, où l'on n'étoit point accoutumé aux bizarreries de la conversation et de la pantomime italienne[346]. Ces trois hommes se liguèrent contre lui, l'abreuvèrent d'amertume et de dégoûts, raillèrent sa personne, critiquèrent son projet, et le déterminèrent enfin (p. 790) à demander sa retraite. Après huit mois de séjour en France, il retourna en Italie, comblé d'honneurs et de pensions. Mais quoique son projet eût été adopté, et que le roi lui-même eût posé la première pierre de la façade avec beaucoup de solennité[347], il n'en fut plus question dès que le Bernin fut hors de France, et l'on revint à ceux qui avoient été présentés au concours.
Cependant, bien que la jalousie et l'animosité se fussent mêlées aux critiques que l'on avoit faites des plans de cet habile architecte, on ne peut s'empêcher de convenir que ces critiques étoient fondées sous bien des rapports, et que le dessin du cavalier Bernin, encore qu'il eût de la grandeur et de la majesté, offroit de très-grands défauts: «Le projet du Bernin pour la façade du Louvre est mal conçu, dit l'auteur de la vie des grands architectes[348]. Un génie aussi vif et aussi prompt n'étoit pas susceptible d'étudier les détails; il ne s'étoit appliqué qu'à faire de grandes salles de comédies et de festins, sans se mettre en peine des commodités et des distributions de logements (p. 791) nécessaires. Son ordonnance offre plusieurs défauts: l'ordre est gigantesque, les croisées sont petites, les colonnes sont inégalement espacées, l'entablement est pesant, et la balustrade a peu de rapport avec lui. On ne peut approuver les proportions des trois portes en plein cintre servant d'entrée au palais. Quelle monotonie dans les petits frontons circulaires qui couronnent les croisées du premier étage, et les triangulaires qu'on voit sur celles du second! Enfin une distance immense sépare ces deux rangs d'ouvertures[349].» Mais la principale de toutes les objections qu'on fit alors au Bernin fut que les constructions de l'intérieur de la cour masquoient, et par conséquent détruisoient en quelque sorte les élévations de Pierre Lescot, qui par là étoient réduites à n'être plus que des murs de refend, tandis que la première condition du programme avoit été de respecter l'ancien, et d'y coordonner les nouvelles constructions.
À peine l'artiste étranger fut-il parti, que (p. 792) Perrault travailla avec plus d'ardeur que jamais à produire son frère. On en revint d'abord aux projets de Levau. Louis XIV, qui n'osoit donner un désagrément à son premier architecte, ne pouvoit cependant se résoudre à les adopter, parce qu'ils lui sembloient, comme à son ministre, trop au-dessous de ce qu'il avoit conçu. On imagina donc de réunir ensemble, pour donner un nouveau plan, Levau, Lebrun et Claude Perrault: de cette manière, l'amour-propre de l'artiste se trouva ménagé, et l'on put mettre son projet de côté sans l'exclure lui-même. Il paroît que, dans cette réunion, Levau inventa un nouveau dessin, et que Perrault se borna à rectifier celui qu'il avoit déjà présenté. Lorsqu'il fut question de choisir, Colbert mit sous les yeux de Louis XIV les deux projets de la commission, et vanta, en homme habile, celui de Levau, par la raison qu'il devoit entraîner moins de dépense. C'étoit en quelque sorte forcer le roi à adopter le second. Ce fut ainsi que se terminèrent, à l'avantage de Perrault, ces intrigues et ces longs débats[350].
(p. 793) Il convient maintenant d'examiner ce fameux projet et l'édifice qui en est résulté.
La façade orientale ou colonnade consiste en trois avant-corps, unis entre eux par deux péristyles. Elle a quatre-vingt-sept toises et demie de longueur. Sa principale porte est dans l'avant-corps du milieu. Les péristyles sont composés de colonnes accouplées, d'ordre corinthien, et placées au premier étage[351]. L'intérieur des péristyles et les soffites sont extrêmement décorés de feuillages et d'entrelas, exécutés avec une grande délicatesse. La cymaise du fronton est formée de deux pièces seulement, qui ont chacune cinquante-quatre pieds de longueur, quoiqu'elles n'aient que dix-huit pouces d'épaisseur. On regarda alors comme un prodige l'élévation de ces masses énormes à une si grande hauteur, et la machine qui fut employée à cette opération se trouve gravée dans les œuvres de Perrault.
La première pierre des constructions projetées par Bernin avoit été posée en 1665. La colonnade exécutée sur les dessins de Perrault fut achevée (p. 794) en 1670. Quoique l'envie ait voulu dans le temps lui en contester l'invention, et ensuite en rabaisser le mérite; bien que la critique y puisse trouver quelques défauts, et même des défauts assez graves[352], il n'en est pas moins vrai que ce morceau doit être considéré comme un des plus beaux qu'ait produits l'architecture moderne, et qu'il offrira toujours l'aspect du plus magnifique des palais. L'ordre corinthien qui en compose la colonnade est d'une admirable proportion. On ne peut se lasser d'y louer la beauté des profils, l'élégance et la pureté des détails, le choix et la belle exécution des ornements: c'est un ouvrage vraiment classique en France, et auquel on n'y peut rien comparer.
Perrault avoit conçu, comme le Bernin, un projet universel, qui embrassoit non-seulement l'achèvement du Louvre, mais encore sa réunion avec les Tuileries. L'érection de la colonnade devoit surtout amener de grands changements (p. 795) dans la cour de ce palais et dans les façades extérieures. Bientôt après fut entreprise celle qui donne sur la rivière[353], et qui se compose d'un soubassement semblable à celui de la colonnade, soubassement sur lequel s'élève, entre les croisées tant du premier étage que de l'attique, une ordonnance unique de pilastres corinthiens. Cette décoration est parfaitement d'accord avec celle du frontispice, tant par l'ordre que par l'entablement et les détails; et l'on conçoit qu'une telle uniformité devenoit surtout indispensable de ce côté, où les deux façades extérieures se découvrent d'un seul et même coup d'œil.
Il n'en est pas ainsi des deux autres; et il paroît que la difficulté de leur procurer un emplacement assez vaste pour qu'elles pussent être vues ainsi en rapport l'une avec l'autre, est la cause qui, de tout temps, a fait négliger l'uniformité et la symétrie dans leur décoration. Bernin est le seul dont les projets aient visé à cet accord universel, et l'on voit Perrault uniquement occupé de raccorder avec l'angle de sa colonnade la face du Louvre qui donne sur la rue du Coq. Levau, comme nous l'avons dit, avoit commencé ce côté: ce dernier architecte l'acheva sur les mêmes plans; la décoration du pavillon du milieu est de lui, (p. 796) et on lui attribue aussi l'attique, avec l'entablement qui s'étend depuis le massif de la colonnade jusqu'à ce pavillon central dont nous venons de parler[354].
Examinons maintenant les constructions des dernières façades intérieures dans leurs rapports avec les parties élevées depuis François Ier jusqu'à Louis XIII.
Il est à croire que Perrault n'arriva que par degrés à un plan général du Louvre et de sa réunion avec les Tuileries. Le projet de la colonnade paroît avoir été conçu isolément et sans un rapport bien déterminé avec l'intérieur de la cour.
Le projet de Lescot avoit été étendu; comme nous l'avons vu, sous Louis XIII, par Lemercier. Déjà les deux étages du rez-de-chaussée et du premier étoient plus ou moins avancés dans tout le pourtour du quadrangle. On tenoit à conserver ce qui avoit été fait; et Perrault, qui avoit été le plus ardent à faire valoir ce système pour faire rejeter les plans du Bernin, s'étoit par là même imposé l'obligation éclatante de ne point s'en départir.
Cependant quand il eut élevé sa colonnade, de manière que le dessous du soubassement se trouvât au niveau du premier étage de la cour, il s'aperçut facilement que les croisées de la nouvelle construction (p. 797) ne correspondoient point à celles des parties intérieures. Ce fut sans doute pour dissimuler, autant qu'il étoit possible, ce vice irrémédiable de symétrie, qu'il se détermina à supprimer les croisées dans son frontispice et à y pratiquer des niches. Il est certain du moins, et l'on en a dernièrement acquis la preuve, que cette colonnade fut destinée d'abord à recevoir des fenêtres: on en a trouvé les baies toutes construites et voûtées; et la bâtisse des niches qui les ont remplacées, formée de cloisons légères, a encore confirmé la vérité de cette première destination.
Mais l'élévation d'un péristyle conçu dans une si grande discordance avec le reste devenoit le principe d'une difficulté plus grande encore, laquelle consistoit dans le raccordement de l'extérieur avec l'intérieur. L'attique où les frontons de Pierre Lescot et leur toiture ne s'accordoient ni pour la hauteur, ni pour la forme, avec le couronnement plus exhaussé et en plate-forme de la colonnade. Quels moyens employer pour opérer un tel raccordement? Ce fut là l'objet d'une longue controverse. Charles Perrault, qui nous a conservé ces détails, ne nous fait pas trop connoître si son frère avoit prévu ces difficultés, ou s'il avoit jugé qu'elles détermineroient à prendre un parti nouveau pour l'intérieur de la cour. On ne peut guère supposer qu'il ait eu cette dernière pensée: car on le voit s'élever avec force contre le projet, (p. 798) qui prit alors naissance, de substituer un troisième ordre à l'attique de Pierre Lescot.
Il soutenoit qu'un second étage de la hauteur du premier étoit une disconvenance dans un palais de souverain, où l'habitation du prince doit être indiquée et caractérisée par un étage principal; que, par conséquent, un attique ou étage subalterne et peu important étoit de stricte étiquette, parce qu'on ne pouvoit y supposer logés que les officiers du palais, et qu'ainsi toute méprise devenoit impossible.
Cependant il y avoit, relativement à l'ensemble de ce monument, un problème de convenance plus difficile encore à résoudre. Pierre Lescot avoit employé l'ordre corinthien à son rez-de-chaussée, et ce qu'on appeloit alors le composite, c'est-à-dire un corinthien plus riche et plus léger à son premier étage. Comment trouver à placer au-dessus un nouvel ordre plus riche et plus léger encore que celui qui étoit regardé, en architecture, comme le dernier terme de ces deux caractères? Le dorique et l'ionique, plus courts et plus simples, n'auroient pu être placés qu'au-dessous. On proposa alors un ordre cariatide; et il paroît que les figures du pavillon de Lemercier firent naître cette idée. Cependant, quand on vint à réfléchir qu'il faudroit cent trente cariatides au pourtour de cette immense cour intérieure, la monotonie un peu bizarre qui devoit résulter (p. 799) de cette décoration en fit bientôt abandonner le projet.
C'est alors qu'on vit naître l'idée ridicule d'un ordre françois. Un prix fut proposé pour cette invention chimérique: le concours ne produisit que des chapiteaux corinthiens, modifiés dans leurs ornements. Mais comme le vrai caractère d'un ordre ne consiste pas dans son chapiteau, toutes ces prétendues inventions ne servirent qu'à faire connoître que les bornes de l'art avoient été posées pour jamais.
Cependant Perrault éleva un troisième ordre qu'il n'acheva point, mais dans la proportion corinthienne.
Ce pas une fois fait, et l'exemple ainsi donné, l'idée de l'attique fut presque totalement abandonnée. Sous le règne de Louis XV, on acheva, d'après le système de Perrault, toute la partie de la cour du Louvre, qui forme l'angle depuis le vestibule ou pavillon de la colonnade jusqu'à celui de la rue du Coq[355]. L'architecte moderne (M. Gabriel) n'ayant point trouvé de détails d'ornements du troisième ordre dessinés par son prédécesseur, fut dans la nécessité de les composer lui-même; et la vérité force à dire que toute cette partie de décoration, (p. 800) soit pour le goût, soit pour l'exécution, est loin de répondre au beau caractère de la sculpture faite du temps de Pierre Lescot.
Les choses en étoient là depuis près de quarante ans, et quoiqu'on eût renoncé dans les constructions modernes aux frontons employés dans celles du Vieux Louvre, l'intérieur de ce monument offroit toujours un procès à décider entre les deux systèmes. Il y avoit, comme l'observe Blondel, sept douzièmes d'attique contre quatre douzièmes du troisième ordre, et chaque système avoit pour et contre soi de bonnes et fortes raisons. C'est alors que la résolution fut prise de terminer ce vaste édifice; et cette grande entreprise vient d'être enfin heureusement achevée[356].
Le Louvre avoit été une prison d'état jusqu'à Louis XI. Les travaux continuels qu'on y fit sous François Ier et Henri II avoient empêché ces deux souverains de l'habiter. La mort tragique du dernier de ces princes ayant rendu le château des Tournelles insupportable à Catherine de Médicis, elle vint demeurer au Louvre avec le jeune roi; et ce fut dans ce palais que fut conçue et préparée la nuit de la Saint-Barthélemi.
En 1591, Charles, duc de Mayenne, fit pendre dans une des salles basses de ce palais quatre des (p. 801) principaux chefs de la Ligue, pour venger la mort du président Brisson et des conseillers Larcher et Tardif, que ces factieux avoient indignement fait périr du même supplice. Ce fut aussi dans la grande salle du Louvre que se tinrent les états de la Ligue, convoqués par ce même duc de Mayenne.
Henri IV, frappé par Ravaillac, fut rapporté dans cette même salle, dite alors salle des Gardes, où il expira sans avoir pu proférer une seule parole.
Le maréchal d'Ancre fut tué sur le pont du Louvre, pont qui n'existe plus depuis qu'on a comblé les fossés qui entouroient cet édifice.
Louis XIII n'habita ce palais que pendant des intervalles assez courts. Il occupoit le plus souvent les châteaux voisins de la capitale, Fontainebleau, Saint-Germain, etc. Sous son règne, il ne s'y passa rien d'important.
Louis XIV abandonna également le Louvre pour Versailles, qu'il avoit fait bâtir, et qui devint dès lors sa demeure habituelle, le lieu où se déployoit toute la majesté de son trône, toute la magnificence de sa cour. Depuis cette époque jusqu'à nos jours, ce beau monument, cessant d'être habité par nos rois, devint l'asile des artistes, des savants, et le dépôt des chefs d'œuvre de l'industrie ou du génie. Les cinq académies s'assembloient dans les principales salles du Louvre.
L'Académie françoise prit naissance vers l'an 1630. Ce ne fut d'abord qu'une société de neuf personnes, que l'amitié et le goût des belles-lettres avoient liées ensemble. Elles convinrent de s'assembler, un jour fixe de chaque semaine, chez M. Conrart, secrétaire du roi, qui demeuroit rue Saint-Denis. Le cardinal de Richelieu s'en déclara le protecteur, et lui obtint des lettres-patentes au mois de janvier 1635, par lesquelles le roi fixe à quarante le nombre de ses membres, sous le titre d'Académie française; elles furent vérifiées et enregistrées le 10 juillet 1637. Après la mort du cardinal, le chancelier Séguier ayant été élu protecteur de cette compagnie, les assemblées se tinrent en son hôtel; rue de Grenelle, à l'endroit où est aujourd'hui celui des Fermes. Louis XIV fit ensuite à l'Académie l'honneur d'accepter le titre de son protecteur; et, le 28 août 1673, il lui assigna, dans le Louvre, l'ancienne salle du conseil pour y tenir ses séances; ce qui a toujours continué depuis.
L'Académie française jeta dans le dix-septième (p. 803) siècle un grand éclat; et elle le dut à l'honneur qu'elle avoit alors de posséder dans son sein les beaux génies qui ont élevé si haut la gloire littéraire de la France, que, sous ce rapport, aucune autre nation moderne ne peut lui être comparée. Dans le dix-huitième siècle, elle fut une coterie de petits impies et de petits factieux, dirigée par des rhéteurs et des hommes médiocres, coterie qui dans tout autre temps n'eût été que ridicule, et à laquelle l'esprit de vertige qui entraînoit à leur perte les hautes classes de la société donna la plus dangereuse influence, et une importance que l'on a peine à concevoir aujourd'hui. Cette coterie triompha de voir éclore enfin la révolution qu'appeloient tous ses vœux, que favorisoient tous ses travaux; et l'on peut dire que la révolution se montra bien ingrate envers elle en la détruisant, et en proscrivant quelques-uns de ses membres, ce qu'elle fit cependant dans les moments de sa plus grande brutalité. L'Académie française se releva pour ramper misérablement sous le tyran de la France, qui ne reçut d'aucune autre compagnie de plus basses et plus dégoûtantes adulations. Dans le dix-neuvième siècle, elle est redevenue une réunion d'hommes de lettres à laquelle personne ne fait attention; et par mille raisons qu'il est inutile de présenter ici, il ne paroît pas qu'elle puisse désormais sortir de l'obscurité profonde dans laquelle elle est tombée aujourd'hui.
L'Académie royale des inscriptions et belles lettres commença en 1663. Dans son origine, ce ne fut qu'un démembrement de l'Académie française, dont M. de Colbert choisit quatre à cinq membres pour composer les inscriptions qui devoient être gravées sur les monuments consacrés à la gloire du monarque et à l'ornement de la ville et des maisons royales; ils étoient aussi chargés d'inventer des types et des légendes pour les médailles, des devises pour les jetons, etc. Cette assemblée, qui fut appelée d'abord la Petite Académie, se tenoit dans la bibliothèque du surintendant, rue Vivienne: on l'appela ensuite Académie royale des inscriptions et médailles. Ce ne fut qu'en 1701 que parut le réglement qui fixa son existence: elle fut confirmée par des lettres-patentes du mois de février 1713, et le nombre de ses membres également porté à quarante; mais comme le nom qu'on lui avoit donné ne renfermoit pas toutes ses attributions, le roi, par de nouvelles lettres du 4 janvier 1716, en changea le titre en celui d'Académie des inscriptions et belles-lettres.
L'Académie des inscriptions a rendu de grands services à la science; elle possède encore aujourd'hui un grand nombre d'hommes distingués dans (p. 805) toutes les branches des connoissances humaines; et la suite non interrompue de ses mémoires prouve qu'une institution si utile et si honorable à la France est loin d'avoir dégénéré.
L'Académie des sciences s'assembla pour la première fois en 1666, par l'ordre du roi, mais sans aucun acte émané de l'autorité royale. Elle reçut une forme régulière en 1699, par le réglement que S. M. lui accorda. Ses séances se tinrent d'abord dans la Bibliothèque du roi; depuis elle obtint comme les autres un lieu d'assemblée dans le Louvre; et ses prérogatives furent confirmées par des lettres-patentes du mois de février 1713. Cette Académie a pour objet de s'occuper de tout ce qui peut favoriser les progrès des sciences exactes et naturelles, physique, chimie, mathématiques, médecine, etc., etc. Elle a offert de tout temps un grand nombre de savants hommes, qui ont sans cesse reculé les bornes de ces connoissances, purement matérielles, et dont la nature est de tendre sans cesse à un plus grand développement. Ceux quelle possède aujourd'hui tiennent en Europe le premier rang; et aucune autre société du même genre n'y peut être comparée à celle-ci.
L'Académie royale de peinture et de sculpture doit son origine aux contestations[357] qui s'élevèrent entre les maîtres peintres et sculpteurs de Paris, et ceux qui professoient les mêmes arts dans les maisons royales, sous le titre de privilégiés. Ceux-ci, à la tête desquels étoit le célèbre Lebrun, appuyés du crédit et de la protection du chancelier Séguier, formèrent le dessein d'établir une Académie indépendante, et y furent autorisés par un arrêt du conseil privé, du 20 janvier 1648: en conséquence ils dressèrent des statuts sur lesquels ils obtinrent des lettres-patentes. Le roi, à la sollicitation du cardinal Mazarin, protecteur de cette académie, lui en accorda de nouvelles en 1655, et lui permit de tenir ses séances dans la galerie du Collége royal. Elle ne put alors profiter de cette grâce; mais elle en fut amplement dédommagée par les glorieuses marques de faveur, par les priviléges et les revenus dont ce monarque la combla dès l'année 1663. Peu de temps après, elle obtint un logement au Vieux Louvre. Lebrun étoit le chef de l'école, au moment de (p. 807) la création de cette académie; et le système vicieux qu'il avoit adopté, système qui n'étoit fondé ni sur l'imitation naïve de la nature, ni sur l'étude approfondie de l'antique, étant devenue la base des études, cette école ne cessa point de dégénérer jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, où elle étoit enfin tombée au dernier degré de la barbarie et du mauvais goût. L'étude de l'antique, à laquelle revinrent alors quelques artistes plus habiles et d'un meilleur jugement que les autres, la releva tout à coup et avec une rapidité qui fit bien voir que les heureuses dispositions pour ce bel art ne manquoient point en France, et que ce système fatal en avoit seul arrêté les progrès. Depuis cette heureuse révolution, l'école françoise n'a cessé de marcher de succès en succès; elle est sans aucune comparaison la première de l'Europe; elle produit à chaque exposition des chefs-d'œuvre dans tous les genres de la peinture, et plusieurs de ses maîtres peuvent être mis en parallèle avec les plus renommés des plus beaux temps de l'art. Nos sculpteurs ont suivi la même marche et sont arrivés presque aux mêmes résultats. Nous n'osons dire toutefois qu'il y ait encore une égalité parfaite: l'école imite peut-être trop servilement l'antique, lorsqu'il faudroit seulement s'en inspirer; et cette imitation scrupuleuse en rend la comparaison plus redoutable encore, même pour ses meilleures productions.
L'académie royale d'architecture fut projetée par M. de Colbert en 1671: elle prit, dès ce temps, la même forme que les autres académies; mais elle n'étoit point encore autorisée par lettres-patentes, lors de l'avénement de Louis XV. Ce fut ce prince qui confirma l'existence de cette société par celles qu'il lui accorda au mois de février 1717. Elle tenoit également ses séances au Louvre.
Ce que nous avons dit de la peinture et de la sculpture peut également s'appliquer à l'architecture: il s'est fait dans cette dernière école une révolution non moins heureuse; et on la doit également à l'étude que ne cessent de faire nos architectes des monuments de l'antiquité. Ceux qu'ils élèvent aujourd'hui doivent être considérés comme le plus bel ornement de Paris, et pour la noble simplicité du style, le bon goût et la pureté des ornements, le sentiment des convenances et l'harmonie des proportions, sont infiniment préférables aux constructions du siècle dernier. Toutefois il est vrai de dire que cet art n'étoit point tombé aussi bas que les deux autres, parce qu'il est fondé sur des règles plus simples, plus positives, et sur des traditions qu'il est plus facile de conserver.
On doit probablement à l'établissement, dans (p. 809) le palais du Louvre, de ces célèbres compagnies, la conservation de quelques-unes des distributions intérieures qui y avoient été faites dans le principe, et les grandes et belles salles qui y existent encore, car dans les autres parties accordées pour logement aux artistes, aux hommes de lettres, et même à quelques personnes de la cour, toutes les anciennes constructions avoient été ou dénaturées ou détruites. On avoit divisé à l'infini les vastes galeries qui s'y prolongeoient de tous les côtés, pour en former une foule d'appartements; d'obscurs et étroits corridors conduisoient dans ces divisions inégales et irrégulières; et l'on peut dire que le désordre du dedans étoit plus grand encore que celui qui régnoit au dehors.
Parmi les pièces restées intactes dans le Vieux-Louvre, on remarquoit principalement, après la salle dite des Cent-Suisses, l'appartement des bains de la reine, lequel étoit de plein-pied avec cette salle, et décoré de belles peintures et de riches ornements. Il y avoit aussi, dans le pavillon qui joint la grande galerie à ce monument, des fresques estimées et de magnifiques décorations. Mais, quoique ce pavillon ait été construit en même temps que le Vieux-Louvre, il a une liaison si intime avec la galerie, que nous remettons à en parler lorsque nous décrirons le palais des Tuileries et ses dépendances.
Cette congrégation doit son origine au cardinal Pierre de Bérulle, qui vivoit sous Henri IV et Louis XIII, et qui se rendit également illustre par son savoir et par ses vertus. Les malheurs des règnes précédents et la licence des guerres civiles avoient jeté la corruption dans tous les ordres de l'État; le clergé lui-même n'avoit pu s'en garantir, et l'intérêt de la religion demandoit une prompte réforme. L'objet que se proposa M. de Bérulle fut de s'associer quelques vertueux ecclésiastiques qui l'aidassent à former à la science et à la piété un certain nombre de jeunes élèves, de manière qu'ils pussent un jour remplir dignement le ministère des saints autels, instruire à leur tour la jeunesse dans les colléges ou les séminaires dont la direction leur seroit confiée, annoncer la parole de Dieu, offrir enfin sans cesse aux hommes (p. 811) l'exemple et la règle, cette règle qu'ils oublient si facilement si elle ne leur est remise à chaque instant sous les yeux. Cette congrégation, qu'il institua sur le modèle de celle que saint Philippe de Néri avoit fondée à Rome sous le nom de la Vallicelle, ne devoit avoir aucun caractère qui distinguât ses membres des autres prêtres réguliers, si ce n'est leur réunion et la vie commune et édifiante à laquelle ils se soumettoient volontairement: car il ne prétendit les astreindre à aucun vœu, et leur dépendance pouvoit cesser du moment qu'elle leur deviendroit trop pénible. C'est un corps, disoit Bossuet, où tout le monde obéit et personne ne commande, ce qui exprime parfaitement ce mélange heureusement tempéré de soumission et de liberté, qui étoit le premier principe de cette illustre société.
Un projet aussi utile, autorisé par M. de Gondi, alors évêque de Paris, ne pouvoit trouver d'obstacles; et les deux puissances se réunirent pour en faciliter l'exécution. M. de Bérulle avoit déjà rassemblé cinq prêtres aussi pieux que savants, presque tous docteurs de la faculté de théologie de Paris; et le 11 novembre 1611, il s'étoit logé avec eux au faubourg Saint-Jacques à l'hôtel du Petit-Bourbon, autrement nommé le Séjour de Valois, lequel occupoit l'endroit où est situé aujourd'hui le Val-de-Grâce. Dès le mois de décembre suivant, Marie de Médicis fit expédier des (p. 812) lettres-patentes[358] pour l'érection de cette congrégation, et la déclara de fondation royale dès le 2 janvier 1612. Cependant le fondateur, qui ne trouvoit la maison qu'il occupoit ni assez vaste ni assez commode pour s'y établir à demeure, cherchoit à se procurer un logement dans la ville: il fut d'abord question de lui donner l'hôtel de la Monnoie, qu'on vouloit transférer rue de Bussy; mais ce projet n'eut point d'exécution. Enfin, le 20 janvier 1616, il acheta, de Catherine-Henriette de Lorraine, duchesse de Guise, l'hôtel du Bouchage, situé rue du Coq, moyennant la somme de 90,000 livres.
Dès qu'il en fut devenu propriétaire, il y fit bâtir une petite chapelle; et l'on vit cet homme apostolique, dans l'ardeur d'un zèle qui sembleroit aujourd'hui presque incroyable, et probablement ridicule, y travailler lui-même, portant la hotte comme un manœuvre. Cependant le nombre (p. 813) de ses disciples grossissoit de jour en jour, et la proximité du Louvre attirant dans cette chapelle un grand concours de monde, elle se trouva bientôt trop petite: le fondateur se vit donc dans la nécessité de songer à en bâtir une plus grande. Plusieurs acquisitions que les prêtres de l'Oratoire firent dans les rues Saint-Honoré, du Coq et d'Autriche, autrement dite du Louvre, depuis 1619 jusqu'en 1621, lui en procurèrent les moyens; et la première pierre du nouvel édifice fut posée au nom du roi le 22 septembre 1621, par le duc de Montbazon, gouverneur de Paris. En 1623, un brevet lui donna la qualité d'Oratoire royal.
Ce monument fut commencé sur les dessins d'un architecte nommé Métezeau. Il en jeta les premiers fondements; mais on lui préféra dans la suite Jacques Lemercier, qui, dit-on, lui étoit fort inférieur. Celui-ci conduisit l'ouvrage depuis le chevet jusqu'à la croisée, où il s'arrêta. Les travaux ne furent repris que plusieurs années après, et achevés sur les mêmes dessins, à l'exception de la grande tribune et du portail, qui ne furent élevés qu'en 1745. L'architecte Caquier fut chargé de construire ces parties qui, après un siècle entier, terminèrent enfin cet édifice, lequel n'est cependant que d'une médiocre grandeur. C'est une remarque qu'on a pu déjà faire, et qui sera confirmée par la suite de cet ouvrage, que les édifices publics de Paris, sans même en excepter (p. 814) les palais des rois, n'ont presque jamais été le résultat d'un plan unique, exécuté par celui qui l'avoit conçu, mais le plus souvent ne furent achevés que difficilement et après de longs travaux sans cesse repris et interrompus; ce qui explique mieux que toute autre chose le mauvais goût de leur construction et l'incohérence de leurs diverses parties.
Cependant l'architecture de cette église n'est pas sans beautés. L'intérieur en est orné d'un ordre corinthien dont on estime la proportion, et l'on cite surtout le chœur qui en forme le chevet, pour la parfaite exécution de son plan elliptique. Le portail, quoique d'un style peu sévère, mérite aussi quelques éloges: il donne sur la rue Saint-Honoré, dont il ne suit point l'alignement, mais où il se présente dans une ligne diagonale qui fait qu'on peut l'apercevoir à une certaine distance, en entrant par la rue de la Ferronnerie. Le rez-de-chaussée en est élevé de plusieurs marches. Il se compose d'un avant-corps dorique, dont les colonnes sont isolées. L'architecture des deux arrière-corps est en pilastres du même ordre. Les deux petites portes carrées de ces arrière-corps sont surmontées de deux grands médaillons qui représentoient des sujets pieux, maintenant effacés; au-dessus de cet ordre dorique s'élève un ordre corinthien qui porte sur l'avant-corps; les deux entre-colonnements en (p. 815) étoient autrefois décorés de trophées en bas-relief. Le tout est terminé par un fronton d'une bonne proportion, et présente dans sa forme pyramidale un aspect assez imposant[359].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE L'ORATOIRE.
PEINTURES.
La Nativité, la Visitation, l'Annonciation, Saint-Joseph réveillé par un ange. Tous ces tableaux, qui jouissoient de beaucoup d'estime, étoient de Philippe de Champagne.
Près du chœur, saint Antoine, par Vouet; dans une chapelle sainte Geneviève recevant une médaille des mains de saint Germain, évêque d'Auxerre, par La Grenée aîné.
Dans une autre chapelle, saint Pierre-ès-Liens, par Châles.
Dans la bibliothèque, les portraits de M. Achille de Harlay-Sancy, évêque de Saint-Malo, et du père Mallebranche.
SCULPTURES.
Dans le retable du maître-autel, un bas-relief en bronze doré, représentant la sépulture de N. S., morceau que l'on croit de Girardon, et qui avoit été donné à cette église par madame de Montespan. On estimoit la décoration de ce maître-autel, dont la forme offroit le modèle d'un petit temple circulaire d'une très-belle exécution.
Dans la bibliothèque, le buste en marbre du général de la congrégation, P. de la Tour.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés: Le cardinal de Bérulle, fondateur de l'ordre, mort en 1629[360].
(p. 816) Antoine d'Aubray, comte d'Offemont, lieutenant civil et frère de la célèbre empoisonneuse marquise de Brinvilliers, mort en 1670.
Charles de Moy, marquis de Riberpré, lieutenant-général des armées du roi, mort en 16..
Claude de Nocé, seigneur de Fontenay, sous-gouverneur du duc d'Orléans, mort en 1704.
Dans une des chapelles à gauche de la nef, étoit la sépulture de la famille des Tubeuf.
Cette congrégation, bien que formée sur le modèle de celle de la Vallicelle, n'en dépendoit en aucune manière: elle possédoit soixante-treize maisons en France et étoit gouvernée par un général à vie, lequel résidoit dans la maison attenante à cette église. Célèbre par le grand nombre de sujets excellents qu'elle a produits, elle compte des noms honorables dans presque toutes les parties des sciences divines et humaines, dans la théologie, la controverse, l'histoire sainte et profane, les belles-lettres, l'éloquence. Plusieurs de ses membres n'ont pas moins fait d'honneur à leur siècle qu'à leur congrégation, et souvent la (p. 817) dignité épiscopale a été la récompense de leur piété et de leurs travaux. Parmi ces hommes recommandables, nous citerons principalement le père Mallebranche, l'un des plus profonds métaphysiciens qui aient jamais existé, et l'illustre Massillon, justement placé au nombre de nos plus grands écrivains et de nos prédicateurs les plus éloquents.
La bibliothèque, composée seulement de vingt-deux mille volumes, étoit une des plus curieuses de Paris, tant par le choix des livres et des éditions, que par les précieux manuscrits qu'elle possédoit[361].
Les fondations d'églises étoient encore regardées au treizième siècle comme une des œuvres les plus méritoires qu'il fût possible de faire pour (p. 818) opérer son salut; et de simples particuliers, poussés par ce louable motif, ne craignoient pas d'y consacrer la plus grande partie des biens qu'ils possédoient. C'est ainsi que fut fondée l'église Saint-Honoré. Renold Chereins ou Cherei, et Sibylle sa femme, en conçurent le projet dès l'an 1204. Ils possédoient près des murs de Paris et sur le chemin qui conduit à Clichy neuf arpents de terre dont ils consacrèrent le fonds et les revenus à cette pieuse entreprise[362]. Ayant obtenu en 1205 le consentement d'Eudes de Sully, évêque de Paris, et du curé de Saint-Germain-l'Auxerrois[363], ils y joignirent, la même année, un arpent qu'ils acquirent dans la censive de Saint-Martin-des-Champs, et de Saint-Denis-de-la-Chartre; et ce nouveau terrain fut employé à bâtir l'église, un cimetière et une maison pour le chapelain. En 1209, ils acquirent encore trois autres arpents[364]; et l'église étant finie, ils déclarèrent que leur intention étoit d'y placer des chanoines, et de fonder des prébendes pour lesquelles ils demandèrent le terme de sept années. L'évêque leur accorda encore leur demande, mais se réserva le droit de fixer le nombre de ces bénéfices. Par les (p. 819) mêmes lettres, datées du mois d'octobre 1208[365], il dispense de la résidence les premiers chanoines qui auront fondé eux-mêmes leurs prébendes. Il paroît par le même acte que la collation qui en fut laissée à Renold et à sa femme, tant qu'ils vivroient, devoit revenir après leur mort au doyen et au chapitre de Saint-Germain. En 1257, il y en avoit vingt et une de fondées; Renaud, évêque de Paris, les réduisit à douze[366]; et il fut convenu alors que la collation en appartiendroit alternativement à l'évêque et au chapitre, ainsi qu'il avoit été réglé par une sentence arbitrale de 1228[367]. La même convention portoit plusieurs autres réglements dont l'effet étoit de prévenir toutes les contestations qui jusque là s'étoient élevées au sujet de ces nominations. Le chantre étoit le seul dignitaire qu'il y eût dans cette collégiale, qui étoit une des filles de l'archevêché[368]; mais, outre les douze chanoines, il y avoit deux chapelains, quatre vicaires, quatre chantres, et six enfants de chœur. Les membres de ce chapitre, dont les canonicats passoient pour être les meilleurs de Paris, desservoient tour à tour la cure, qui ne s'étendoit pas au-delà du cloître.
(p. 820) En 1579, on jugea à propos d'augmenter l'église Saint-Honoré, ce que l'on fit en ajoutant un peu à sa longueur, tant devant le clocher[369] que derrière, mais sans rien changer à l'ancienne élévation. Cette réparation imparfaite et de mauvais goût, qui même ne l'agrandit point suffisamment, la fit paraître alors beaucoup trop basse, et l'on se plaignoit qu'elle n'eût point la majesté convenable à une aussi riche collégiale.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-HONORÉ.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, décoré d'un morceau d'architecture d'ordre corinthien, Jésus-Christ au milieu des docteurs, par Philippe de Champagne.
Dans la troisième chapelle à gauche, la Nativité, par Bourdon.
Dans cette église avoient été inhumés:
La fondatrice Sibylle, morte en....
Simon Morrier, que son épitaphe signaloit comme un factieux et un partisan déclaré des Anglois, sous le règne de Charles VII.
Le cardinal Dubois, premier ministre sous la régence du duc d'Orléans, et d'abord chanoine de cette église, mort en 1723[370].
À l'époque où nos rois commencèrent à habiter le Louvre, les grands vassaux, déjà moins indépendants, venoient plus souvent dans la capitale, tant pour leur rendre des hommages que pour participer à leurs faveurs. Ces petits souverains, devenus courtisans, se logeoient autant qu'il leur étoit possible auprès des maisons royales; et le quartier où étoit située celle-ci fut bientôt rempli d'hôtels magnifiques, sur lesquels nous allons recueillir les traditions des historiens: car il ne reste presque plus de vestiges de ces anciens édifices.
Hôtel du Petit-Bourbon.
Il étoit situé dans la rue appelée d'Autriche, dont partie subsiste encore et forme celle qui étoit nommée dans le siècle dernier cul-de-sac (p. 823) de l'Oratoire. Cette rue se prolongeoit alors jusqu'au bord de la rivière; et l'hôtel dont nous parlons s'étendoit par-derrière jusqu'à la rue qui en a pris le nom, et qui faisoit alors la continuation de celle des Fossés-Saint-Germain. À côté de la chapelle de cet hôtel, il y avoit une autre rue qui alloit de celle d'Autriche au cloître de l'église, et formoit une équerre; cette rue, qui n'existe plus, portoit, dans ses deux parties, ce même nom de Petit-Bourbon[371].
Il paroît que cet hôtel fut bâti peu de temps après que Philippe-Auguste eut fait construire ou augmenter le Louvre. Sauval tombe à ce sujet dans une étrange contradiction: après avoir dit que les ducs de Bourbon y logèrent dès le temps de Philippe-le-Bel, il avance plus loin qu'il ne fut construit que sous le règne de Charles V; et il en donne pour preuve les lettres C et V sculptées sur le portail de la chapelle. Il est évident que ces deux lettres ne prouvent autre chose, sinon que, dans ces temps-là, il y fut fait quelques augmentations ou embellissements; et l'on a une foule d'exemples de chiffres placés sur des édifices à de semblables occasions. Il existe en effet des titres antérieurs à cette époque, qui contestent l'existence de cet hôtel[372], et d'autres prouvent (p. 824) également qu'il fut agrandi sous Charles V. On trouve qu'en 1385 le duc de Bourbon acheta à cet effet la maison du Noyer, qui appartenoit au prieur et aux religieux de la Charité, et en 1390, la voirie de l'évêque[373]. Sauval lui-même dit que, depuis 1303 jusqu'en 1404, les princes de cette famille achetèrent de plus de trois cents personnes les maisons qui couvroient l'espace sur lequel cet hôtel fut construit[374]. Leur palais, ainsi augmenté et embelli de siècle en siècle, passoit pour un des plus vastes et des plus magnifiques qui fussent dans le royaume: du temps de l'écrivain que nous venons de citer, la galerie et la chapelle de cet hôtel existoient encore[375]; et il les décrit comme les édifices de ce genre les plus considérables et les plus somptueux de Paris. La galerie surtout étoit d'une dimension telle qu'on n'en connoissoit point de pareille dans tout le royaume, et qu'elle fut choisie pour la représentation des (p. 825) fêtes qui furent données à la cour, à l'occasion du mariage de Louis XIII. Louis XIV s'en servit également dans les commencements de son règne pour les bals et les comédies qui faisoient alors son principal amusement. Ce fut aussi dans cette galerie que se tint l'assemblée des États du royaume en 1614 et 1615.
On abattit une partie des restes de cet immense édifice pour élever la colonnade du Louvre; cependant, dans le siècle dernier, il en subsistoit encore quelques portions, où étoient les écuries de la reine et le garde-meuble de la couronne. La démolition en fut enfin achevée pour découvrir le beau monument élevé sur l'autre partie de ses ruines.
Hôtel de Clèves.
De l'autre côté de la rue d'Autriche[376] étoit l'hôtel de Clèves. Du temps de la Ligue il s'appeloit d'Aumale, et étoit occupé par Claude de Lorraine, duc d'Aumale, marquis de Mayenne. On ignore comment et à quelle époque il vint s'établir dans cette maison; quant au temps où elle fut construite, on a trouvé une ancienne notice qui prouve que ce fut par les ordres de Louis de France, fils de Philippe-le-Hardi, et chef de la (p. 826) maison d'Évreux. Catherine de Clèves, duchesse douairière de Clèves, s'y retira après la mort de son mari. Il passa depuis aux ducs de Grammont.
Hôtel de Clermont.
Il étoit situé, dit Sauval, auprès de l'hôtel de Clèves, et servoit de demeure à Robert de France, comte de Clermont et sire de Bourbon. Il avoit appartenu auparavant à la comtesse de Xaintonge et au prévôt de Bruges. Valeran de Luxembourg, comte de Saint-Pol, connétable de France, l'acheta en 1396: c'est sur l'emplacement qu'il occupoit, et sur celui des maisons adjacentes jusqu'à la rue du Coq, que furent bâties en partie l'église et la maison des pères de l'Oratoire.
Hôtel de Joyeuse.
Dans cette rue du Coq et dans celle du Louvre étoit situé l'hôtel de Joyeuse; il avoit autrefois appartenu à la maison de Montpensier dont il portoit le nom. Henri, dernier duc de Montpensier, le vendit à François de Joyeuse, cardinal, qui le nomma hôtel du Bouchage, du nom de sa famille. La proximité du Louvre engagea Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort, à louer cette maison, ce qui lui fit donner le nom d'hôtel (p. 827) d'Estrées; elle y demeuroit en 1594[377]. Cet édifice avoit repris le nom d'hôtel du Bouchage, et il le portoit en 1616, lorsque Henriette-Catherine de Joyeuse, duchesse de Guise, nièce et héritière du cardinal de Joyeuse, le vendit à M. de Bérulle pour y placer sa congrégation.
Hôtel d'Alençon.
Cet ancien hôtel occupoit autrefois l'intervalle qui sépare la rue des Poulies du cul-de-sac de l'Oratoire, alors rue d'Autriche. Parmi plusieurs traditions contradictoires sur son origine et ses diverses révolutions, voici ce que nous avons trouvé de plus vraisemblable. Il paroît qu'il fut bâti vers 1250 par les ordres d'Alphonse de France, comte de Poitiers, frère de saint Louis, et qu'il prit le nom d'Osteriche, de la rue où il étoit situé. Ce prince l'agrandit si considérablement, au moyen de l'acquisition de dix maisons voisines, qu'après sa mort[378] Archambaud, comte de Périgord, en vendit la moitié à Pierre de France, comte d'Alençon et de Blois, cinquième fils de saint Louis. (p. 828) Ce fut alors que cet hôtel prit le nom d'Alençon. Enguerrand de Marigni en devint ensuite possesseur, on ignore à quel titre; il y fit encore de grandes augmentations, en y joignant plusieurs maisons et jardins situés du côté de la rue des Poulies, et qui appartenoient au chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. Après sa mort, cet hôtel devint propriété royale; et quoique l'arrêt de sa condamnation eût ordonné que sa maison seroit démolie, il ne paroît pas que cet édifice ait été abattu. Il fut occupé depuis par Charles de Valois et Marie d'Espagne sa veuve, qui y demeuroit en 1347. On en distinguoit dès lors les deux parties sous les noms de grand hôtel d'Alençon rue d'Autriche, et de petit hôtel d'Alençon rue des Poulies. En 1421, on voit, par un compte rapporté par Sauval, que cet hôtel étoit vide, ruiné et inhabitable. Il passa des ducs d'Alençon à M. de Villeroi, qui le vendit, en 1568, à Henri III, alors duc d'Anjou. Ce prince, appelé au trône de Pologne, le laissa à la reine son épouse, et cette princesse en fit don à Castelan son premier médecin. Albert de Gondi, duc de Retz et maréchal de France, l'acheta en 1578 des enfants de ce dernier, et lui donna son nom, qu'il porta encore plusieurs années[379] après. Malgré les démembrements (p. 829) qu'on en avoit faits précédemment, cet hôtel étoit encore si vaste, que Marie de Bourbon, duchesse de Longueville, en acheta une partie en 1581, sur laquelle elle fit bâtir l'hôtel qui a porté son nom, et que depuis Henri de Longueville vendit à Louis XIV, qui vouloit agrandir la place du Louvre. Ce dessein n'ayant pas eu alors son exécution, l'hôtel de Longueville, loin d'être abattu, fut réparé en 1709, pour servir de logement au marquis d'Antin, directeur général des bâtiments, ce qui le fit appeler l'hôtel de la Surintendance. En 1738 on en reconstruisit une partie, qu'on disposa pour le service général des postes, et l'on y joignit encore une portion de l'hôtel de Retz, dont il avoit d'abord été formé. La moitié de cet édifice fut depuis achetée par Louise de Lorraine, seconde femme du prince de Conti, qui la fit démolir, et sur l'emplacement fit construire un nouvel hôtel qui porta son nom. Depuis le duc de Guise en vendit une partie au roi, l'autre fut acquise par M. de Villequier, et a porté le nom d'hôtel d'Aumont. Ces hôtels ont été depuis revendus, rebâtis, puis abattus dans le siècle dernier pour former la place du Louvre. Enfin une portion considérable de l'hôtel d'Alençon, du côté du Louvre, a formé, au milieu du siècle passé, l'hôtel de la Force et les jardins de l'hôtel Longueville, et est aujourd'hui (p. 830) représentée par les maisons qui font face à celle des pères de l'Oratoire[380].
Hôtel du comte Ponthieu.
Il étoit situé dans la rue des Fossés-Saint-Germain, qui faisoit alors la continuation de la rue Béthisi: en 1359 on le nommoit la cave de Ponti et la cour de Pontiau. Guillot appelle cette partie de la rue Béthisi, la rue aux Quains de Pontis, nom qu'elle portoit alors et que lui avoit donné cet hôtel.
Maison du Doyenné.
Elle étoit située dans le cloître Saint-Germain-l'Auxerrois[381], vis-à-vis du grand portail de l'église et au coin du passage qui conduisoit à la place du Louvre. Cette maison est célèbre par la mort presque tragique de Gabrielle d'Estrées, duchesse de Beaufort et maîtresse de Henri IV. Voici comment cette histoire est racontée dans Saint-Foix, et dans les mémoires de Sully: «Elle vint loger chez Zamet: c'étoit un Italien fort riche, qui s'étoit qualifié, dans le contrat (p. 831) de mariage de sa fille, seigneur suzerain de dix-sept cent mille écus, et qui s'étoit rendu agréable à Henri IV par son caractère plaisant et enjoué. Se promenant dans son jardin, après avoir mangé d'un citron, d'autres disent d'une salade, elle se sentit tout à coup un feu dans le gosier, et des douleurs si aiguës dans l'estomac, qu'elle s'écria: Qu'on m'ôte de cette maison[382], je suis empoisonnée. On l'emporta chez elle[383]; son mal y redoubla avec des crises et des convulsions si violentes, qu'on ne pouvoit regarder sans effroi cette tête si belle quelques heures auparavant[384]. Elle expira la veille de Pâques 1599, vers les sept heures du matin: on l'ouvrit, (p. 832) et l'on trouva son enfant mort. Henri IV fit prendre le deuil à toute la cour, et le porta la première semaine en violet et la seconde en noir. La plupart des historiens, ajoute Saint-Foix, n'attribuent cette mort si frappante qu'aux effets d'une grossesse malheureuse.»
Les deux seuls hôtels remarquables qu'il y ait maintenant dans ce quartier sont:
1o. L'hôtel d'Aligre, ci-devant de Schomberg, situé rue Baillet et rue Saint-Honoré. Le grand-conseil y a tenu long temps ses séances.
2o. L'hôtel d'Angeviller, situé rue de l'Oratoire, lequel sert maintenant de dépôt principal au Musée Royal.
Sous Philippe-Auguste, il n'y avoit encore que trois fontaines publiques à Paris: celles des Innocents, des Halles, et la fontaine Maubuée, située au coin de la rue qui porte ce nom et de la rue Saint-Denis.
Dans l'intervalle qui sépare le règne de ce prince de celui de Louis XII, on éleva successivement treize autres fontaines. Quatre de ces fontaines étoient hors de l'enceinte de la ville avant le règne de Charles V: c'étoient celles de Saint-Lazare, (p. 833) des Filles-Dieu, des Cultures Saint-Martin et du Temple; elles y furent alors renfermées, à l'exception de la fontaine Saint-Lazare.
Les neuf autres fontaines existant à cette même époque dans les divers quartiers de Paris étoient celles de la rue Salle-au-Comte (dite la fontaine de Marle), de la rue Saint-Avoye, de la rue Bar-du-Bec, de la porte Baudoyer ou Baudet, de la rue Saint-Julien, du Ponceau, de la Reine, de la Trinité et de la rue des Cinq-Diamants. Toutes ces fontaines étoient alimentées par les aquéducs de Belleville et du pré Saint-Gervais, et ne donnoient de l'eau qu'à la partie septentrionale de Paris[385].
Sous Henri IV ces deux aquéducs, depuis (p. 834) long-temps négligés, tomboient en ruine, et le volume d'eau qu'ils fournissoient n'étoit plus suffisant. Une ordonnance de ce prince établit une augmentation sur l'impôt que payoient les vins à leur entrée à Paris; le produit en fut destiné à la réparation de ces deux aquéducs, et de nouvelles fontaines furent élevées: celle du Palais et le bâtiment de la Samaritaine.
Cependant la partie méridionale de Paris manquoit toujours d'eau. Déjà, sous le règne de ce même prince, les vestiges qui restoient encore de l'aquéduc bâti de ce côté par les Romains, avoient fait naître l'idée de le rétablir. Des fouilles furent commencées en 1609 à travers la plaine de Long-Boyau du côté de Rungis, afin de découvrir la source d'où provenoient les eaux qui avoient été anciennement conduites au palais des Thermes: la mort de Henri IV interrompit ce projet. On le reprit lors de la construction du palais du Luxembourg; et alors il fut proposé de conduire les eaux de Rungis à Paris. Le projet ayant été accepté, Louis XIII et la reine Marie de Médicis posèrent, le 17 juillet 1613, la première pierre de l'aquéduc, qui fut élevé sur les dessins de Jacques Desbrosses et achevé en 1624. Une partie de cet aquéduc traverse le vallon d'Arcueil sur vingt-cinq arches; auprès sont des restes de l'ancien (p. 835) aquéduc romain, et cette construction moderne en soutient la comparaison. Elle a douze toises de hauteur sur deux cents de longueur; de distance en distance et depuis Arcueil jusqu'à Paris, on rencontre plusieurs autres petites constructions qui sont des regards de la conduite des eaux. La longueur totale de cette conduite jusqu'au Château-d'Eau situé près de l'Observatoire est de 6600 toises.
En 1624, l'aquéduc étant achevé, on s'occupa de la distribution des eaux; et quatorze fontaines que l'on construisit, furent alimentées par cette source nouvelle.
Cependant la population de Paris ne cessant de s'accroître, les eaux fournies par les trois aquéducs et par la pompe de la Samaritaine devenoient encore insuffisantes; et l'abus des concessions que l'on faisoit trop indiscrètement à des corporations et à des particuliers augmentoit encore cette disette. Des recherches que l'on fit en 1551 aux environs du village de Rungis procurèrent un accroissement aux sources qui alimentoient la partie méridionale de Paris; et cet accroissement reçut le nom de nouvelles eaux d'Arcueil. En 1666 toutes les concessions particulières que la ville avoit faites sur les trois aquéducs furent supprimées par un arrêt du conseil et en 1669 on procéda à une distribution nouvelle des eaux de Paris.
(p. 836) Cette même année deux mécaniciens, Daniel Jolly et Jacques Demance, proposèrent d'établir sur le pont Notre-Dame des machines hydrauliques semblables à celle du pont Neuf: leurs propositions furent acceptées; ils exécutèrent simultanément deux mécanismes différents qui fournirent une masse plus considérable de beaucoup que celles que donnoient les trois aquéducs réunis. Ce travail ayant été achevé en 1671, un arrêt du conseil de la même année ordonna qu'il seroit établi de nouvelles fontaines; et l'on en construisit un assez grand nombre dans les divers quartiers de Paris, et jusqu'à la fin du règne de Louis XIV.
Cependant Paris recevoit sans cesse de nouveaux accroissements; et le besoin d'eaux plus abondantes se faisoit sentir de jour en jour davantage. On éleva encore sous Louis XV plusieurs fontaines, dont quelques-unes même furent remarquables par leur masse et par le luxe de leurs ornements; mais ni les aquéducs ni les pompes ne suffisoient pour les alimenter. Dans cet embarras extrême, il fut proposé en 1762 de conduire à Paris les eaux de la petite rivière de l'Yvette qui prend sa source entre Versailles et Rambouillet, et se jette dans la rivière d'Orge, un peu au-dessus de Juvisy. L'aquéduc que l'on auroit construit pour opérer cette dérivation auroit eu 17 à 18,000 toises de développement, et eût donné 1,200 pouces d'eau à la ville de Paris. Ce projet, long-temps discuté (p. 837) et reproduit plusieurs fois depuis cette époque jusqu'en 1775, fut enfin tout-à-fait abandonné, à cause des difficultés de son exécution.
Enfin l'établissement des pompes à feu résolut le problème dont on étoit si péniblement occupé et depuis si long-temps. Deux établissements de ce genre furent formés à Chaillot et au Gros-Caillou: et alors l'eau coula avec abondance non-seulement dans les fontaines publiques, mais encore dans les maisons des particuliers. La dérivation des eaux de la rivière d'Ourcq et leur conduite à Paris, grands et utiles travaux qui ont été opérés depuis la révolution, ont achevé de compléter cette partie si importante de l'administration dans une ville aussi immense; et l'eau y abonde maintenant de toutes parts, tant pour les jouissances du luxe que pour les besoins de première nécessité.
Nous donnerons successivement l'historique de toutes les fontaines de Paris, selon l'ordre où elles se présenteront dans la description particulière des quartiers auxquels elles appartiennent, continuant toujours à séparer les travaux de ce genre exécutés depuis la révolution, de ceux qui l'ont précédée.
FONTAINE DE LA CROIX DU TIROIR.
Cette fontaine avoit été élevée sous le règne de François Ier et par son ordre au milieu de la rue de l'Arbre-Sec. Comme elle y obstruoit la voie (p. 838) publique, le prévôt des marchands la fit transférer dans un pavillon construit en 1606 au coin de cette même rue, pour servir de réservoir aux eaux d'Arcueil. Ce monument, que l'on devoit au célèbre prévôt des marchands Miron, fut réédifié en 1776, sur les dessins de l'architecte Soufflot. Il a la forme d'un pavillon carré composé d'un rez-de-chaussée et de deux étages que couronne une galerie soutenue par des consoles à têtes de dieux marins. Le soubassement, appareillé en bossages, est terminé dans toute sa longueur par une plinthe sur laquelle s'élèvent des pilastres en stalactites qui encadrent les croisées, et qui sont ornés de chapiteaux à coquilles; entre les croisées du premier étage est placée une figure de naïade en demi-relief. Toute cette construction est d'un bon style et d'un caractère convenable. On y lisoit l'inscription suivante, composée par l'architecte lui-même:
«Ludovicus XVI, anno primo regni, utilitati publicæ consulens, castellum aquarum arcûs Jul. vetustate collapsum à fundamentis reædificari et meliore cultu ornari jussit. Carol. Claud. d'Angeviller, Com. regiis ædificis prop.»
Rue d'Angeviller. Elle va de la rue de l'Oratoire à celle des Poulies, et a été percée vers la fin du siècle dernier, sur le terrain occupé autrefois par l'hôtel de Créqui; elle doit son nom à l'hôtel d'Angeviller dont elle est voisine.
Rue de l'Arbre-Sec. Elle aboutit à la place de l'École et à la rue Saint-Honoré. Guillot l'appelle de l'Arbre-Sel; mais son vrai nom est Arbre-Sec, et elle le portoit dès le treizième siècle, vicus Arboris Siccæ[386]. Ce nom lui vient de l'enseigne d'une maison située près de l'église Saint-Germain, et qui existoit encore du temps de Sauval[387]. L'évêque de Paris avoit dans cette rue une grange et un four, entre le cloître Saint-Germain et le cul-de-sac de Court-Bâton. Il étoit appelé dans le principe le Four-l'Évêque, le Four-Franc. En 1372 on le nommoit le Four Gauquelin[388].
(p. 840) À l'extrémité de cette rue, du côté de celle de Saint-Honoré, est la fontaine dont nous avons déjà parlé, et l'on y voyoit autrefois une croix vulgairement appelée du Tiroir. Parmi les anciens noms qu'offre la topographie de Paris, il n'en est aucun dont l'orthograghe ait éprouvé autant de variations. On le trouve écrit Traihouer, Traihoir, Trayoir, Trahoir, Triouer, Trioir, Tirauer, Tirouer, Tyroer, Tiroir, Tiroi. Les uns le font venir du mot latin trahere (tirer); d'autres de trier. Ceux-ci prétendent qu'on y tiroit les draps, ceux-là que c'étoit un marché où (p. 841) l'on vendoit et où l'on trioit les animaux. Sauval pense que ce nom venoit du fief de Therouenne[389], qu'on appeloit par corruption Tiroie; et un savant distingué, (M. Bonami), très-versé dans nos antiquités, a adopté cette étymologie. Jaillot la rejette, en prouvant d'abord que le fief de Therouenne ne s'étendoit pas jusque là, observant ensuite (ce qui est le plus décisif) que si son nom lui fût venu de ce fief, on lui eût donné la même dénomination en latin: or, Thérouenne se dit Tarvanna et Tarvenna; et la croix du Tiroir a toujours été nommée Crux Tractorii, Crux Tiratorii[390]. Du reste, en combattant cette opinion, il ne trouve rien de satisfaisant à mettre à la place; et la même incertitude demeure sur la vraie signification de ce mot.
La place où se trouvoit la croix du Tiroir étoit beaucoup plus large autrefois qu'elle ne l'est aujourd'hui. Nous avons déjà dit que François Ier y fit construire une fontaine en 1529.
Quelques bouchers placèrent des étaux à l'entour, et des fruitiers étalèrent leurs denrées sur les marches de cette croix. Comme la voie publique en étoit obstruée[391], et qu'on avoit plusieurs fois porté des plaintes à ce sujet, la croix fut ôtée en 1636, et replacée à l'angle du réservoir des eaux d'Arcueil, que le prévôt des marchands (p. 842) avoit fait construire au coin de cette rue et de celle Saint-Honoré[392]. Cette place étoit un lieu patibulaire où l'on exécutoit quelquefois des criminels dans l'étendue de la juridiction épiscopale; et Sauval en a tiré cette conjecture fort raisonnable que la croix y avoit été placée pour offrir une dernière consolation, et montrer, dans ces tristes moments, le signe du salut aux malheureux qu'on y faisoit mourir.
Rue Baillet. Elle aboutit dans la rue de la Monnoie et dans celle de l'Arbre-Sec. En 1297, elle s'appeloit rue Dame Gloriette, et rue Gloriette en 1300. Le nom de Baillet est celui d'une famille très-connue qui demeuroit dans cette rue. Le procès-verbal de 1636 l'appelle Baillette.
Rue Bailleul. Elle traverse de la rue de l'Arbre-Sec dans celle des Poulies. En 1271, 1300, 1313, et même au siècle suivant, elle s'appeloit rue d'Averon, d'Avron, Daveron[393]. On pense qu'elle doit son dernier nom à Robert Bailleul, clerc des comptes, qui y demeuroit en 1423, et dont la maison faisoit le coin de cette rue et de celle des Poulies[394].
Rue de Beauvais. Elle commence à la rue Froi-Manteau, et finit au bout de la rue Champ-Fleuri. Au milieu du treizième siècle, on disoit en Byauvoir, etc., vicus de Byauvoir[395]; en 1372, Beauvoir. Dès 1450, on la trouve indiquée sous le nom de Beauvais; elle se prolongeoit anciennement jusqu'à la rue du Coq[396].
(p. 843) Rue du Petit-Bourbon. Elle commençoit au bout de la rue des Poulies, au coin de celle de Fossés-Saint-Germain, et aboutissoit aux quais de l'École et de Bourbon. Au treizième siècle, ce quartier s'appeloit Osteriche. Le nom s'en est conservé long-temps dans la rue appelée d'Autriche, dont partie subsiste encore, et forme, comme nous l'avons dit, la rue de l'Oratoire. Cette rue d'Autriche se prolongeoit jusqu'au quai de Bourbon, appelé simplement, ainsi que ceux de l'École et du Louvre, Grand rue sur la rivière. C'étoit là qu'étoit bâti le palais du Petit-Bourbon, dont nous venons de parler[397].
Rue Champ-Fleuri. Elle commence à la rue Saint-Honoré, et finit à la rue de Beauvais. Du temps de Philippe-Auguste, elle étoit hors de la ville, et son nom vient sans doute de quelques jardins sur lesquels elle aura été ouverte. Elle portoit ce nom dès 1271, vicus de Campo Florido[398]. On a dit ensuite rue de Champ-Flori et Champ-Fleuri.
Rue du Chantre. Elle aboutit dans la rue Saint-Honoré et dans la place du Vieux Louvre. Dès 1313 et jusqu'en 1386, elle se nommoit rue au Chantre. On présume qu'une maison de cette rue, dite la maison au Chantre, lui a fait donner ce nom.
Rue du Coq. Elle commence à la rue Saint-Honoré (p. 844) et aboutit au Louvre. En 1271, et jusqu'à la fin du siècle suivant, elle s'appeloit rue de Richebourc et Richebourg[399]. En 1276, on la trouve désignée sous les deux noms du Coq et de Richebourg[400]; elle les devoit à deux familles qui y ont demeuré.
Rue du Demi-Saint. Elle va du cloître Saint-Germain dans la rue des Fossés. Dans un acte de 1271, elle est nommée vicus qui dicitur truncus Bernardi[401]. En 1300 et 1313, on avoit altéré ce nom et on l'appeloit Trou-Bernard, ce qui continua jusqu'à la fin du quinzième siècle. Depuis elle a reçu celui du Demi-Saint, parce qu'à son entrée on avoit mis une statue à moitié rompue pour en interdire le passage aux chevaux[402].
Place de l'École. Cette place et le quai qui commence au carrefour ou place des Trois-Maries, et finit à la rue du Petit-Bourbon, doivent ce nom aux écoles établies en cet endroit pour l'instruction des jeunes clercs de Saint-Germain-l'Auxerrois. Au treizième siècle ce quai s'appeloit la grand-rue de l'École, magnus vicus Scholæ S. Germani 1290; vicus qui dicitur Schola S. Germani 1298[403]. Il y avoit alors sur ce quai une rue qui aboutissoit devant l'église; elle s'appeloit ruella de Fabricâ S. Germani[404]. Quant à la place, on la nommoit anciennement la place aux Marchands[405], elle étoit encore ainsi nommée en 1369 et en 1372; mais (p. 845) en 1413 on la trouve indiquée sous celui de place de l'École[406].
Le quai qui porte le même nom avoit été dressé, élargi et pavé sous le règne de François Ier. Il le fut de nouveau en 1719.
Rue Froi-Manteau. Elle va d'un côté à la rue Saint-Honoré et à la place du Palais-Royal, et de l'autre au quai du Louvre vers le premier guichet. Ce nom, dont on n'a pu découvrir l'étymologie, n'a varié que dans la prononciation ou dans l'orthographe. En 1290, on lit vicus de Frementel et de Frigido Mentello[407]. Depuis 1313 jusqu'à présent, on a dit Froit-Mantel, Froid-Manteau, Froit-Mantyau, Frémanteau, et Fromenteau[408]. Ces deux derniers noms sont les plus usités dans les actes et sur les plans de Paris.
Rue des Fossés-Saint-Germain. Elle commence au coin des rues du Roule et de la Monnoie, et finit au bout des rues des Poulies et du Petit-Bourbon. Au milieu du treizième siècle, on disoit simplement le Fossé, in Fossato; dans les suivants, on a dit rue des Fossés-Saint-Germain. Ce nom vient des fossés que les Normands creusèrent autour de l'église Saint-Germain, lorsqu'ils y établirent leur camp en 886[409].
(p. 846) Cette rue ne s'étendoit que jusqu'à celle de l'Arbre-Sec, où commence la rue de Béthisi; mais par la déclaration du roi de 1702, on a donné à celle-ci jusqu'à la rue du Roule le nom des Fossés-Saint-Germain, afin que la rue Béthisi ne se trouvât pas dans deux quartiers différents[410].
Rue des Prêtres et Cloître de Saint-Germain-l'Auxerrois. On entroit dans ce cloître, 1o par la rue de l'Arbre-Sec et du Petit-Bourbon; 2o par celle des Prêtres[411]; 3o par la rue du Demi-Saint et par la ruelle de la Fabrique dont nous avons parlé. La rue des Prêtres doit ce nom à ceux de Saint-Germain qui y demeuroient. Elle finissoit autrefois à la place de l'École; mais dans la division qui fut faite en 1702, on a donné son nom à une partie de la rue Saint-Germain jusqu'au carrefour des Trois-Maries, afin que cette dernière rue, comme celle de Béthisi, ne se trouvât pas divisée en deux quartiers[412].
Rue Saint-Honoré. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence au coin de celle du Roule et des Prouvaires, et finit à celui des rues des Bons-Enfants et Froi-Manteau. Nous avons déjà remarqué (quartier Sainte-Opportune) qu'une partie de cette rue jusqu'à (p. 847) celle de l'Arbre-Sec s'appeloit rue de Château-Fêtu. De là jusqu'à la porte construite entre le cul-de-sac de l'Oratoire et la rue du Coq, on la nommoit, aux treizième et quatorzième siècles, rue de la Croix du Tirouer, et au-delà de la porte, la Chauciée Saint-Honoré[413]. Les agrandissements de Paris et la nouvelle enceinte élevée par Charles V lui firent donner dans toute cette partie, jusqu'à la nouvelle porte qui fut construite près des Quinze-Vingts, le nom de rue Saint-Honoré, et depuis cette porte, on l'appeloit grand'-rue Saint-Louis, comme nous le dirons en son lieu. À l'égard du nom de Château-Fêtu, dont l'étymologie a fort exercé les antiquaires, il est probable que c'étoit celui de quelque famille distinguée qui habitoit cette rue. Il y avoit encore en 1348, entre Saint-Landri et la rivière, une maison appelée le Château-Fêtu[414]; et dans le manuscrit de coutumes de la marchandise, il est fait mention à l'an 1268 de Jehan Popin de Château-Fêtu comme d'un notable bourgeois, alors membre du conseil de la ville, et depuis prévôt des marchands.
Rue Jean-Saint-Denis. Elle commence à la rue Saint-Honoré, et aboutit à celle de Beauvais. On ne trouve point qu'elle ait porté d'autre nom. Dans plusieurs actes, et notamment dans l'acte de réduction des prébendes de Saint-Honoré, du mois de décembre 1258, il est fait mention de Jacques de Saint-Denis, chanoine de cette église; il est possible que sa famille ait donné le nom à cette rue[415].
(p. 848) Rue Jean-Tison. Elle donne d'un bout dans la rue des Fossés-Saint-Germain, et de l'autre dans la rue Bailleul. Elle doit son nom, comme la précédente, à une famille notable qui existoit déjà avant le treizième siècle[416]. Dans la liste des rues de 1450, elle est appelée rue Philippe Tyson.
Place des Trois-Maries. Elle est située au bout et en face du pont Neuf, ce qui la faisoit appeler au commencement du siècle passé rue du pont Neuf. Il y avoit anciennement en cet endroit un port où abordoient les bateaux chargés de foin; une ruelle qui y aboutissoit en prit le nom de rue au Fain, et, du temps de Corrozet, on l'appeloit encore rue du Port au Foin. Elle a pris son nom actuel d'une maison qui, en 1564, avoit pour enseigne les Trois-Maries[417]. C'est la troisième des cinq qui formoient la gauche de cette place, du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois.
Rue de la Monnoie. Elle est située entre la rue du Roule et la place des Trois-Maries, et doit son nom à l'hôtel de la Monnoie qui y étoit situé. Au treizième siècle on l'appeloit rue o Cerf, vicus Cervi in censiva S. Dyonisii de carcere[418]. On n'a pu découvrir en quel temps l'hôtel de la Monnoie y fut transporté, et lui fit prendre ce dernier nom[419].
Rue de l'Oratoire. Elle étoit autrefois fermée, et se nommoit Cul-de-sac des PP. de l'Oratoire. Auparavant c'étoit la rue dont nous avons déjà plusieurs fois parlé, (p. 849) laquelle se prolongeoit jusqu'au quai, et s'appeloit rue d'Autriche. Les copistes ont bien défiguré ce nom. Dans Guillot on le trouve écrit Osteriche; dans la liste des rues du quinzième siècle, d'Autraiche; d'Autruche en 1421, et dans Corrozet; d'Austruce sur le plan de l'abbaye Saint-Victor; de l'Autruche ou du Louvre dans le procès-verbal de 1636; ensuite, suivant Sauval, rue du Louvre et cul-de-sac de l'Oratoire.
Rue des Poulies. Elle aboutit à la rue Saint-Honoré, à la nouvelle place du Louvre et au coin de la rue des Fossés-Saint-Germain-l'Auxerrois. Sauval prétend qu'elle doit son nom aux poulies de l'hôtel d'Alençon, et que ces poulies étoient un jeu ou exercice que l'on ne connoît plus, mais qui étoit encore en usage en 1343[420]. Jaillot pense que ce nom peut venir d'Edmond de Poulie ou de quelqu'un de ses ancêtres, parce qu'il possédoit dans cette rue une grande maison et un jardin qu'il vendit à Alphonse, comte de Poitiers et frère de saint Louis. Elle est indiquée sous le nom de rue des Poulies dans un contrat de vente de 1205[421].
Rue du Roule. Elle est située entre les rues des Prouvaires et de la Monnoie dont elle fait la continuation. Cette rue ne fut ouverte qu'au mois de juillet 1691, sur l'emplacement de quelques maisons vieilles et caduques, lesquelles faisoient partie d'un ancien fief appelé le Roule, de qui cette rue a pris son nom. Le chef-lieu de ce fief, situé au coin de cette rue et de celle des Fossés-Saint-Germain[422], étoit encore appelé Maison ou hôtel du Roule avant 1789.
Le Louvre. Il nous est impossible de présenter autre chose ici qu'un aperçu très-rapide des travaux immenses exécutés depuis le commencement de ce siècle pour l'entier achévement de ce grand et magnifique monument.
Aucune des façades intérieures ne ressemblant à l'autre, il a fallu nécessairement faire disparoître cette bigarrure et choisir entre l'attique de Pierre Lescot, et le troisième ordre de Perrault. La hauteur des trois façades extérieures ne pouvant s'accorder, ni avec l'attique, ni avec son toit, la continuation du troisième ordre a été décidée et exécutée sur les trois façades les plus modernes.
On a laissé subsister la quatrième avec l'attique; et l'on a exécuté, de l'autre côté du pavillon de Lemercier, les sculptures des trois frontons, qui jusque là n'avoient point été faites. M. Moitte et feu Chaudet sont les auteurs de ces sculptures fort remarquables, bien qu'inférieures à celles de Jean Goujon. Elles représentent des poètes, des philosophes et des législateurs de l'antiquité. Les deux pavillons qui s'élevoient de chaque côté, aux extrémités de cette façade, ont été abattus, et par ce moyen elle s'est trouvée dans un rapport moins discordant avec les lignes que forment les trois autres façades. En ce moment on achève les figures qui doivent accompagner les œils-de-bœuf, et les ornements qui accompagnent les portes et enrichissent les frises; ce dernier travail complétera la symétrie de toute cette partie que l'on appelle le Vieux Louvre.
Les niches de la colonnade ont été ouvertes; et quoique (p. 851) cette ouverture, projetée d'abord par Perrault, ôte à ce tableau d'architecture une partie de ce qu'il présentoit à l'œil d'harmonie et de repos, elle a l'avantage de le lier au monument, dont il n'étoit auparavant qu'une inutile décoration. En même temps les architectes (MM. Fontaine et Percier) ont judicieusement rétabli l'unité entre les deux colonnades par la plate-bande de la porte qu'ils ont fait construire sous l'arcade. Cette heureuse addition a fait disparoître le vice de ce grand cintre qui interrompoit l'ordonnance générale, et détruisoit toute idée de communication entre l'une et l'autre partie.
On a couronné de balustrades toutes les parties de toiture qui en manquoient, et terminé tous les ornements non achevés, chapiteaux, frises, moulures, etc. Le monument a été regratté en entier, et les statues de Jean Goujon ont seules été exceptées de cette opération; tous les vestibules ont reçu leurs derniers ragréments, et dans celui de la grand façade on a trouvé le moyen de placer très-convenablement deux bas-reliefs enlevés des cintres de l'attique démoli dans l'angle sud-est, bâti par Pierre Lescot. Enfin les frontons des pavillons des deux faces latérales et celui de la colonnade ont été ornés de bas-reliefs d'une grande dimension.—Fronton de la Colonnade. Au dessus du cintre, une victoire, les ailes éployées, les bras étendus et tenant de chaque main une couronne de laurier; elle est montée sur un char attelé de quatre chevaux, et accompagnée de deux enfants qui portent des palmes.—Dans le fronton les sciences, les arts, Minerve, la Victoire, forment un groupe de quatorze figures qui entourent le buste de Louis XIV; et l'histoire écrit sur le piédestal qui le supporte, Ludovico magno[423].—Ces (p. 852) deux morceaux de sculpture du plus grand style et d'une très-belle exécution sont, le premier de M. Cartelier, le second de M. Lemot.—Fronton intérieur de la façade du bord de l'eau. Minerve debout sur un trône et entourée des figures allégoriques des sciences et des arts.—Façade extérieure du même côté. Dans le cintre au-dessus de la croisée, deux enfants dont l'un tient une épée et une branche de palmier, l'autre une lyre et une branche de laurier; à leurs pieds sont les attributs de la guerre et des arts; sur la clef de l'arcade est figuré un casque que deux femmes ailées couronnent[424]. Dans le fronton, et de chaque côté des armes de France qui en font le milieu, deux femmes assises offrent encore, et dans leur action et dans les accessoires qui les environnent, des images allégoriques des sciences et des arts.—Fronton intérieur de la façade, côté de la rue du Coq. Minerve, un génie ailé, Cybèle, Mercure; autres emblèmes des sciences, des arts, de l'agriculture, du commerce, etc.—Fronton extérieur du même côté. Des figures allégoriques de la guerre avec tous les attributs qui la caractérisent, canons, boulets, baïonnettes, drapeaux, trophées, etc.—Fronton extérieur du Vieux Louvre. Les armes de France entourées de trophées.
Toutes ces sculptures, exécutées par nos meilleurs artistes, sont d'un très-beau style, d'une composition heureuse, d'une bonne exécution, et forment un contraste frappant et singulier avec celles qui ornent le fronton intérieur (p. 853) de la colonnade, et qui ont été exécutées sous Louis XV. Elles offrent un coq au milieu d'une gloire qu'accompagnent deux figures; et ce bas-relief semble avoir été laissé là comme un témoignage de l'inconcevable dégradation où étoient parvenus les arts du dessin vers la fin du dix-huitième siècle. La porte par laquelle on entre sous le vestibule de cette façade est en bronze; les panneaux en sont à jour, enrichis d'ornements composés par M. Percier, et d'une pureté de style, d'une élégance de forme, d'une délicatesse de travail qui ne laissent rien à désirer.
Tels sont les travaux qui achèvent complétement à l'extérieur le palais du Louvre. Les distributions intérieures ne sont encore entièrement achevées que dans une partie du rez-de-chaussée, et dans le corps de bâtiment dont se compose la façade du bord de l'eau. C'est dans les salles de ce bâtiment que se fait tous les deux ans l'exposition des produits de l'industrie françoise.
Jardin de l'Infante. On a détruit ce jardin, planté au commencement du dix-huitième siècle, sur l'espace qui s'étend depuis le bâtiment en retour par lequel se lie le Louvre à la galerie, jusqu'au milieu de la façade du bord de l'eau; c'est-à-dire que les arbres en ont été abattus, pour être remplacés par des arbustes et des compartiments en gazon. Une grille semi-circulaire en fer entoure tout cet espace; et une seconde grille toute semblable renferme, de l'autre côté de la façade, une portion égale de terrain.
Fontaine de la place de l'École. Cette fontaine se compose d'un piédestal carré, offrant quatre têtes de lions qui vomissent de l'eau dans un bassin circulaire. Au-dessus s'élève un vase à deux anses terminées en têtes de panthères, et sur lequel sont sculptés des Tritons (p. 854) en bas-relief. Cette fontaine, d'un style simple et élégant, reçoit de l'eau de la pompe Notre-Dame.
Pont-des-Arts. Il a été construit pour établir une communication nouvelle avec le faubourg Saint-Germain, communication dont la nécessité étoit grande et depuis long-temps sentie. Ce pont est placé entre le Louvre et le collége des Quatre-Nations.
Il repose sur des piles de pierres très-minces qui lui donnent l'apparence d'une grande légèreté, et se compose de neuf arches, formées chacune par cinq arceaux que lient entre eux des arceaux plus petits et des traverses, le tout en fer fondu. Sur cet appareil on a établi un plancher en bois, élevé de plusieurs degrés au dessus du sol, mais qui s'étend en droite ligne de l'une à l'autre rive. De distance en distance sont placés des candélabres aussi en fonte de fer, d'une forme élégante, qui supportent des lanternes destinées à éclairer le pont pendant la nuit. On paye cinq centimes pour y passer; et ce péage appartient pour un certain nombre d'années à une association particulière, qui a fait construire ce pont et qui l'a obtenu pour le prix de son entreprise.
Place du Louvre (côté de la colonnade). La rue du Petit-Bourbon a perdu son nom et fait maintenant partie de cette place.
Place de l'Oratoire. Cette place a été formée au côté nord du Louvre, pour en isoler la façade qui règne dans toute cette partie. À cet effet, et pour obtenir l'alignement de cette place, on a détruit une partie du jardin d'Angeviller, les maisons qui l'avoisinoient et une partie de celles des rues du Chantre et Champ-Fleury.
(p. 855) Place du Vieux-Louvre. On a démoli, de ce côté, toutes les baraques qui obstruoient l'entrée du Louvre, partie de la rue Saint-Thomas, l'église Saint-Thomas du Louvre, et la plus grande partie des maisons qui séparoient cette place de celle du Carrousel; de manière qu'il ne reste plus que quelques groupes de ces maisons du côté de l'ancienne galerie, et que le château des Tuileries, auquel on communique de cette place par une large rue, est presque entièrement à découvert. Du côté du nord, on a commencé des constructions parallèles à celles du côté opposé, et qui doivent aboutir à la nouvelle galerie également commencée du côté des Tuileries et déjà prolongée jusqu'à la rue de Rohan. Ces constructions, qui font face à l'entrée du Musée et qui leur sont entièrement symétriques, sont destinées, dit-on, à former une église. Pour les élever, on a abattu les maisons qui composoient la rue de Beauvais et quelques maisons environnantes.
Ce quartier est borné, à l'orient, par les rues Froi-Manteau et des Bons-Enfants exclusivement; au septentrion, par la rue Neuve-des-Petits-Champs aussi exclusivement; à l'occident, par les extrémités des faubourgs Saint-Honoré et du Roule inclusivement; et au midi par les quais, depuis le premier guichet du côté de la place de l'École, aussi inclusivement.
On y comptoit, en 1789, soixante-quatorze rues, quatre culs-de-sacs, trois places, deux palais, deux théâtres, un hospice, un chapitre, quatre églises paroissiales, deux couvents d'hommes, trois couvents et une communauté de filles.
Le quartier de Paris que nous allons décrire est un des plus riches en monuments, et celui peut-être qui a subi les plus grandes révolutions. On a vu que, sous Philippe-Auguste, le Louvre et les édifices qui l'environnoient étoient encore hors des murs de cette capitale. Les choses étant restées en cet état jusqu'au règne de Charles V, il s'éleva pendant cet intervalle des édifices nouveaux sur la partie de la culture l'évêque qui étoit aux environs de l'église Saint-Honoré. Les vides qui existoient encore dans le bourg Saint-Germain-l'Auxerrois et dans la terre de Champeaux[425] (p. 857) se remplirent insensiblement; on bâtit également des maisons sur les autres cultures qui jusque là étoient restées inhabitées, soit au-dedans des murs, soit dans les environs: ces dernières constructions commençoient toujours par une rue qui prenoit naissance à chaque porte de la ville, et se terminoit ensuite en pleine campagne. Bientôt d'autres rues traversoient celle-ci, et il se formoit en peu de temps un nouveau faubourg.
La clôture faite par Charles V ayant renfermé, du côté de la ville, tous les gros bourgs qui touchoient les anciennes fortifications, il se trouva que les édifices dont le Louvre étoit environné s'étendoient déjà jusqu'à la rue Saint-Nicaise. Les murs embrassèrent donc, de ce côté, tout cet espace; et dès ce moment, c'est-à-dire vers la fin du quatorzième siècle, l'église Saint-Honoré, celles de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas du Louvre, et l'hôpital des Quinze-Vingts furent renfermés dans la ville de Paris. Quant à cette partie, qui s'étend jusqu'à Chaillot et à la barrière du Roule, elle n'étoit encore composée que de cultures dépendantes principalement de l'évêque de Paris et de Saint-Germain-l'Auxerrois.
En 1536, François Ier fit ouvrir sur les bords (p. 858) de la rivière, à l'extrémité de cette rue Saint-Nicaise, où finissoient les murs de la ville, une porte qui fut nommée porte Neuve.
Peu de temps après, Catherine de Médicis ayant fait bâtir, hors des murs, le château des Tuileries, il arriva ce qui étoit déjà arrivé pour le Louvre, que ses environs se couvrirent en peu de temps d'édifices, et que la rue qu'on nomme aujourd'hui Saint-Honoré, laquelle étoit alors le faubourg Saint-Honoré, se prolongea jusqu'à l'extrémité du jardin de ce château. Comme tous les environs de Paris s'accroissoient dans la même proportion sur cette rive septentrionale, on jugea nécessaire, sous Charles IX, d'en augmenter encore l'enceinte. Il fut décidé que les nouvelles murailles seroient attachées à la porte dite de la Conférence, laquelle venoit, depuis peu, d'être bâtie à l'endroit où est maintenant le pont de Louis XVI. En conséquence, le 11 juillet 1566, le roi, accompagné de la reine-mère, des princes du sang, du cardinal de Bourbon et de toute sa cour, mit la première pierre au bastion qui étoit proche de cette porte, et qui fut alors élevé pour prolonger la clôture derrière le nouveau palais.
Ces premières constructions ayant fait connoître le dessein où l'on étoit de renfermer le faubourg Saint-Honoré dans la ville, les édifices s'y multiplièrent tellement, qu'en 1578 il fallut y bâtir une succursale de Saint-Germain-l'Auxerrois. (p. 859) En 1581, Henri III fit commencer les nouveaux murs, et les poussa depuis le bastion de la porte de la Conférence jusqu'à l'extrémité de ce faubourg.
Cependant l'ancienne enceinte subsistoit toujours, et le projet de renfermer dans la ville cette partie de terrain située entre les faubourgs Montmartre et Saint-Honoré, projet commencé sous Charles IX, n'avoit point été achevé par ses deux successeurs Henri III et Henri IV. Il fut enfin repris sous Louis XIII en 1631. Alors l'ancienne porte Saint-Honoré, qui étoit encore près des Quinze-Vingts, fut abattue, et l'on bâtit une boucherie à sa place. La nouvelle porte fut élevée au bout du faubourg[426], à quatre cents toises ou environ de l'ancienne. On termina aussi la nouvelle clôture, laquelle, partant du bord de la rivière, alla se joindre à celle de la porte Saint-Denis, agrandissant ainsi la ville d'un sixième de sa circonférence.
À peine cette clôture fut-elle achevée, que des particuliers firent bâtir de nouvelles maisons hors de la porte Saint-Honoré, et en si grande quantité, que le nouveau faubourg qui s'y forma se trouva joint au village du Roule. Cette passion de (p. 860) bâtir de tous côtés, et jusque dans la campagne des environs de Paris, fut même portée à un tel excès, que le roi jugea convenable d'y donner de nouveau des bornes, comme cela avoit été fait sous Henri II. Il parut donc un arrêt[427] du conseil, daté du 15 janvier 1638, par lequel les limites de la ville furent fixées. Par cette ordonnance, elles ne furent point changées du côté du (p. 861) quartier que nous décrivons, et vinrent encore aboutir à la porte de la Conférence. Cependant les habitants du faubourg Saint-Honoré représentèrent au roi que, ce côté étant l'abord de la province de Normandie et de plusieurs autres lieux d'un grand commerce, il étoit nécessaire d'accroître encore le faubourg, et d'y faire bâtir un nombre d'hôtelleries suffisant pour la grande quantité de voituriers et de marchands qui y affluoient tous les jours. Le roi, ayant écouté favorablement leur demande, leur accorda des lettres-patentes, du mois de mai 1639, portant permission d'unir à ce faubourg le village de la Ville-l'Évêque, lequel fut érigé en paroisse.
En 1671, sous le règne de Louis XIV, les fortifications de Paris furent abattues de ce côté, depuis la porte Saint-Denis jusqu'à celle Saint-Honoré; alors les nouveaux faubourgs firent partie de la ville; et sous les règnes suivants on éleva dans ce quartier les riches monuments qui en ont fait l'entrée la plus magnifique de cette capitale, et l'un des plus beaux aspects qu'il y ait dans aucune ville du monde.
Cette église royale, collégiale et paroissiale étoit le premier édifice que l'on rencontrât en sortant du quartier précédent. Elle étoit située à l'extrémité de la rue Saint-Thomas du Louvre, du côté de la galerie.
Si l'on ajoutoit foi à un ancien titre qui se conservoit autrefois dans les archives de cette église, elle seroit bien plus ancienne que tous les historiens de Paris ne l'ont pensé; cet acte, daté de 1020, contenoit une donation d'un setier de froment faite par Sibylle de Quesnay, veuve du sieur Pouget, aux maîtres et écoliers de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas du Louvre (de Lupera).
L'authenticité de ce titre a été contestée, ou, pour mieux dire, on a donné des preuves très-solides qu'il étoit supposé. «Si l'on fait attention, dit Jaillot, que la donatrice y est qualifiée sous des noms et surnoms qui n'étoient pas en usage au (p. 863) commencement du onzième siècle; qu'elle n'explique aucun des motifs de sa libéralité, et qu'elle n'y met aucune condition; si l'on se rappelle qu'à cette époque les écoles n'étoient pas fort multipliées; qu'on n'en voyoit que dans les grandes basiliques et dans les monastères; que Saint-Germain-l'Auxerrois avoit les siennes à peu de distance; enfin, s'il est prouvé que les écoliers de Saint-Nicolas ne faisoient qu'un même corps et sous le même nom que ceux de Saint-Thomas avant leur désunion[428], alors il sera bien difficile de ne pas élever quelques doutes sur la certitude d'une donation dont il ne paroît pas même que les donataires aient profité[429].»
Ces preuves sont d'une grande force; mais il en est une dernière qui nous semble évidente et sans réplique. On ne voit dans aucun acte que le collége dont il s'agit ait été sous l'invocation de saint Thomas, apôtre: son titulaire étoit saint Thomas de Cantorbéry. Or, cet archevêque, martyrisé le 29 décembre 1170, ne fut canonisé que le mercredi des cendres de l'an 1173. Il est donc impossible qu'on ait donné son nom à aucun établissement pieux, avant l'une ou l'autre de ces deux dernières époques.
Si le titre primitif de Saint-Thomas du Louvre (p. 864) ne se retrouve plus, on est du moins certain que cette maison existoit sous le règne de Philippe-Auguste. On voit par une bulle du pape Urbain III, datée de l'an 1187[430], que Robert, comte de Dreux, frère de Louis-le-Jeune, avoit donné des maisons et des revenus tant pour la subsistance des pauvres clercs que pour le logement et la nourriture des prêtres chargés d'y faire le service divin; qu'il avoit établi dans le même lieu un hôpital ou collége pour de pauvres étudiants; enfin que cette église étoit sous l'invocation de saint Thomas de Cantorbéry. Ce prince étant mort en 1188, Robert II son fils confirma ces fondations et les fit approuver par Philippe-Auguste, dont les lettres-patentes à ce sujet sont de 1192. Il y avoit alors dans cette église quatre chanoines prêtres; mais dès l'an 1209, on ne peut douter que le nombre n'en fût augmenté: car dans une contestation qui s'éleva alors sur la présentation entre l'évêque de Paris et les fils du fondateur, il fut stipulé que ceux-ci nommeroient pendant leur vie à toutes les prébendes, tant anciennes que nouvelles, et aux semi-prébendes fondées et à fonder; qu'après leur mort les nominations se partageroient entre les comtes de Brie[431] et l'évêque, de manière toutefois que les quatres prébendes (p. 865) anciennes seroient toujours dans la dépendance de ces seigneurs. Cet accord est de l'an 1209[432].
À peine cette contestation étoit-elle réglée, qu'il s'en éleva une nouvelle entre le proviseur et les écoliers d'une part, et les chanoines de l'autre, à l'occasion des biens fondés par Robert de Dreux et par ses enfants. À cette époque, tout étoit commun entre eux, les bâtiments et l'église. Le résultat de leurs démêlés fut un partage entre les chanoines et l'hôpital, dans lequel la rue Saint-Thomas du Louvre devint la limite des propriétés divisées. Alors les écoliers et le proviseur voulurent avoir une église particulière et un cimetière, ce qui leur fut accordé par l'évêque, sans préjudice des droits du curé de Saint-Germain. Dans les lettres qui leur furent expédiées à ce sujet, et qui sont de 1217[433], ils sont appelés le recteur et les frères de l'hôpital de Saint-Thomas du Louvre; mais leur nouvelle maison prit le titre de l'hôpital des pauvres écoliers de Saint-Nicolas du Louvre[434]. À la fin du treizième siècle, cet (p. 866) établissement étoit composé d'un maître ou proviseur, d'un chapelain et de quinze boursiers. On y ajouta par la suite un second chapelain[435]; et en 1350 on y fonda trois nouveaux boursiers. Il subsista dans cet état jusqu'au 25 juillet 1541, époque à laquelle Jean du Bellay, évêque de Paris, supprima le maître et les boursiers, et érigea ce collége en chapitre, composé d'un prévôt et de quinze chanoines, qui ont été réunis en 1740 à ceux de Saint-Thomas du Louvre. Sans entrer dans les contestations peu importantes qui se sont élevées entre les historiens de Paris sur les prébendes de cette dernière église et sur leurs fondations, il nous suffira de dire qu'en 1728 on comptoit, dans la collégiale de Saint-Thomas, onze canonicats, et que, lors de la réunion, les arrangements nouveaux qui en résultèrent portèrent le nombre de ses membres à quatorze; ce qui dura jusqu'en 1749.
Cette réunion et le changement de vocable adopté par la nouvelle collégiale furent causés par un événement tragique dont nous allons rendre compte. La voûte du chœur de Saint-Thomas, qui n'étoit construite qu'en plâtre, et qui subsistoit depuis six cents ans, donnoit des signes évidents (p. 867) d'une ruine prochaine. Effrayé des progrès rapides de cette dégradation, le chapitre s'adressa à la cour en 1735[436], et fit des représentations qui d'abord ne furent point écoutées. Ce ne fut qu'en 1738 qu'il obtint du roi, par le cardinal de Fleury, alors ministre, une somme de 150,000 livres à prendre en neuf années sur la ferme des poudres. Dès que le premier paiement en fut effectué, on se disposa à en faire usage: les chanoines se retirèrent dans le bas de l'église pour y célébrer l'office divin; et l'on éleva une cloison de charpente qui séparoit le chœur, qu'on étoit forcé d'abandonner, de la nef où l'on se réfugioit. Alors on s'empressa de démolir la partie opposée; les fondements furent jetés du côté des rues Saint-Thomas et du Doyenné, et l'édifice commençoit déjà à s'élever, lorsque tout à coup, le 15 septembre 1739, vers onze heures du matin, au moment où l'on s'assembloit pour tenir le chapitre, le côté de l'église qui étoit sous le clocher voisin de la salle capitulaire tomba avec un fracas épouvantable, et ensevelit sous ses ruines presque tous les chanoines déjà assemblés. Ils étoient au nombre de huit: deux, qu'un hasard heureux avoit placés plus près de la porte, se sauvèrent, et en (p. 868) fuyant ils en repoussèrent un troisième qui étoit sur le point d'entrer. Les six autres périrent.
La réunion des deux chapitres ayant été résolue, comme nous l'avons dit, après cette malheureuse catastrophe, et les parties intéressées s'étant facilement conciliées, le 20 mars 1740 les chanoines de Saint-Thomas prirent place, selon leur rang d'ancienneté, au chœur de Saint-Nicolas, en attendant que la nouvelle église fût achevée. Elle fut bénie et dédiée sous l'invocation de saint Louis; les chanoines réunis en prirent le nom, et y firent l'office le jour même de cette dédicace, veille de la fête du saint roi, 24 août 1744[437].
Le 23 avril 1749, le chapitre de Saint-Louis du Louvre fut encore augmenté par la réunion nouvelle qui s'y fit de celui de Saint-Maur-des-Fossés, près Paris.
Le dernier chapitre étoit originairement une abbaye de Bénédictins, laquelle avoit été mise en commende au commencement du seizième siècle. Une bulle de Clément VII ayant supprimé la dignité abbatiale en 1533, les revenus furent réunis à l'évêché, et les moines sécularisés se formèrent en collégiale. Ces nouveaux chanoines (p. 869) portèrent dans le chapitre de Saint-Louis une dignité de grand-chantre, comme ceux de Saint-Nicolas y avoient introduit celle de prévôt; et outre ces deux dignitaires, il y eut alors vingt-deux chanoines[438]. L'archevêque de Paris en étoit le doyen, comme ayant remplacé l'abbé, et ensuite le doyen de Saint-Maur. Telle est la forme dans laquelle ce chapitre a existé jusqu'à sa suppression.
La nouvelle église, dont la construction étoit du plus mauvais goût, offroit cette particularité singulière, qu'elle avoit été construite sur les dessins du célèbre Germain, orfèvre du roi, lequel se mêloit aussi d'architecture[439]. Les formes en étoient bizarres, principalement celles du portail: il se composoit d'un avant-corps à tour ronde, enrichi d'un ordre de pilastres ioniques, dont l'entablement étoit modillonnaire et couronné d'un fronton circulaire. Le milieu de cet avant-corps étoit percé d'une porte bombée surmontée d'une corniche, au-dessus de laquelle on avoit placé un bas-relief. De chaque côté de cet avant-corps, une tour creuse venoit rattacher aux deux extrémités du portail un pilastre également ionique. Au-dessus s'élevoit une espèce d'attique percé dans le milieu (p. 870) par un œil de bœuf; et couronné d'un fronton circulaire. Au-dessous il y avoit un autre fronton de la même forme; et ces deux frontons, formant ainsi deux lignes courbes sur un plan en tour ronde, étoient certainement ce qui a jamais été imaginé de plus ridicule[440]. Les ornements avoient été prodigués tant au dedans qu'au dehors du bâtiment, et y étoient traités avec le même soin que dans une pièce d'orfévrerie. Les connoisseurs d'alors applaudirent à la délicatesse d'exécution et au fini précieux de toutes ces sculptures; mais l'architecte fut blâmé, même dans ces temps-là, d'en avoir trop chargé sa voûte. Il alla même jusqu'à employer dans la dorure le bruni, qui n'est d'usage que dans les ouvrages ciselés, et l'on reconnut l'orfèvre dans un monument d'architecture. Cependant on louoit l'heureuse proportion du grand ordre de pilastres corinthiens qui ornoit intérieurement le pourtour de cet édifice. Germain en avoit fait les chapiteaux à l'imitation de ceux du Val-de-Grâce, qui passoient alors pour des modèles en ce genre.
Le chapitre, qui devoit au cardinal de Fleury la réédification de son église, lui offrit en 1742, avant même qu'elle fût achevée, les deux principales archivoltes qui sont en regard, pour y établir, d'un côté, une chapelle qui seroit dédiée (p. 871) à la Vierge, de l'autre son mausolée et le lieu de sépulture de sa famille. Cette chapelle fut revêtue de marbres de diverses couleurs, et ornée d'un bas-relief représentant l'Annonciation de la Vierge, par Jean-Baptiste Le Moine.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-THOMAS DU LOUVRE.
TABLEAUX.
Dans le chœur, l'Annonciation, les Pélerins d'Emmaüs, et N. S. au tombeau, par Charles Coypel.
Sur un autel à gauche, saint Nicolas, par Galloche.
Vis-à-vis, saint Thomas de Cantorbéri, par Pierre.
Dans une chapelle, la Magdeleine, par Carle Vanloo.
Dans la chapelle des Fonts, le baptême de N. S., par Restout.
SCULPTURES.
Au-dessus de la porte d'entrée, trois enfants tenant divers instruments de la Passion, par Pigalle.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumé André Hercule, cardinal de Fleury, premier ministre sous le règne de Louis XV, mort en 1743[441].
(p. 872) Les chanoines faisoient exercer les fonctions curiales sur environ deux cent quarante paroissiens qui habitoient leur cloître et les environs de leur collégiale, et sur les officiers servants de leur chapitre, qui demeuroient dans le cloître ou prévôté de Saint-Nicolas du Louvre[442].
Quoique l'édifice qui porte ce nom n'ait été construit que dans le dix-septième siècle, cependant on rencontre encore des obscurités, lorsqu'il s'agit de bien établir son origine.
Sauval prétend qu'il fut bâti sur les ruines des hôtels de Luxembourg et de Rambouillet; Piganiol, qui vient après lui, croit être plus exact (p. 873) en disant que ce fut sur l'emplacement des hôtels de Rambouillet et de Mercœur. Jaillot, qui a si souvent et si heureusement critiqué ces deux auteurs, leur reproche de manquer ici d'exactitude. «Il est constant, dit-il, que le connétable d'Armagnac possédoit rue Saint-Honoré, près les murs, un hôtel considérable, et qu'une partie du Palais-Royal en occupe l'emplacement. Le connétable ayant été sacrifié, en 1418, à la haine du duc de Bourgogne, son hôtel fut confisqué et donné au comte de Charolois. Au commencement du seizième siècle, cet hôtel appartenoit au duc de Brabant et de Juliers. Je n'ai rien trouvé qui prouve qu'il ait passé dans la maison de Luxembourg, etc.[443]» Examinant ensuite l'opinion de Piganiol, il prouve que l'hôtel de Rambouillet et celui de Mercœur ne peuvent être distingués l'un de l'autre; que c'est le même édifice auquel ces deux noms furent successivement donnés, parce qu'il passa d'une famille dans l'autre, le duc de Mercœur l'ayant acheté en 1602 pour agrandir celui qu'il avoit rue des Bons-Enfants. Ce fut donc de l'ancien hôtel du connétable d'Armagnac et de celui de Rambouillet que se composa l'emplacement des premières constructions du Palais-Royal.
(p. 874) Ce palais, bâti par le cardinal de Richelieu, fut loin d'être, dans ses commencements, aussi magnifique et aussi étendu que nous le voyons aujourd'hui. C'étoit, dans le principe, un simple hôtel, situé à l'extrémité de la ville: car l'enceinte élevée par Charles VI subsistoit encore à cette époque. La porte Saint-Honoré étoit alors placée près la rue Saint-Nicaise; et tous les édifices qui se prolongeoient au-delà, tant dans cette rue qu'autour des Tuileries et des rues adjacentes, étoient hors des murs. La maison du cardinal, construite sous le titre modeste d'Hôtel de Richelieu, fut d'abord entièrement renfermée dans l'enceinte; mais la fortune et la puissance du ministre s'accroissant de jour en jour, son habitation s'agrandit avec la même rapidité. Le mur d'enceinte de la ville qui en rendoit le terrain irrégulier fut abattu, le fossé comblé, le jardin prolongé; le cardinal fit de nouvelles acquisitions, tant du côté de la rue des Bons-Enfants que de celle qu'il avoit fait percer et qui porte encore aujourd'hui son nom. De ces opérations diverses, il résulta en peu d'années un palais magnifique, mais sans symétrie, lequel étoit situé partie en dedans, partie en dehors de la ville, et qui, dans ses additions successives, offroit une image assez frappante de la fortune de celui qui en étoit le possesseur. Commencé en 1629 sur les dessins de J. Mercier, il fut achevé en 1636; et sur le terrain qui n'avoit (p. 875) pu être compris dans le jardin et dans les bâtiments, furent bâties les maisons des trois rues qui environnent cet édifice, lequel reçut alors le titre de Palais-Cardinal[444].
Peu d'édifices ont subi d'aussi grands et d'aussi nombreux changements. Dans l'espace d'un siècle et demi, le bâtiment élevé par le cardinal de Richelieu contenoit déjà plusieurs corps-de-logis séparés par des cours, dont les deux principales se trouvoient au milieu de ces constructions. La première étoit la plus petite, comme elle l'est encore aujourd'hui. Dans l'aile droite en entrant, on avoit élevé une vaste salle de comédie[445]; l'aile gauche (p. 876) étoit occupée par une galerie, la plus magnifique de Paris, dont la voûte avoit été peinte par Philippe de Champagne. Ce peintre favori du cardinal y avoit représenté les principales actions de ce grand ministre.
On se rappelle encore quelle étoit la disposition et la décoration de la seconde cour: elle n'étoit entourée de bâtiments que de trois côtés. Le quatrième donnoit sur le jardin par une suite d'arcades qui soutenoient une galerie découverte, au moyen de laquelle les deux ailes communiquoient ensemble. L'architecture de cette partie de l'édifice étoit plus riche que celle de la première cour. Au premier étage régnoit un ordre dorique en pilastres, soutenu d'un premier à rez-de-chaussée, composé d'arcades, dans l'intervalle desquelles on avoit sculpté des proues de vaisseaux en relief, des ancres et autres attributs de marine; ce qui faisoit allusion à la charge de grand-maître et surintendant-général de la navigation dont ce ministre étoit revêtu. Toutefois cette cour manquoit de régularité: elle se présentoit sur sa largeur, et son axe n'étoit pas le même que celui de la première; disposition fâcheuse et irrémédiable, qui existe encore, et qui contrariera toujours l'architecte chargé de terminer ce palais.
Le cardinal ne négligea rien pour orner sa nouvelle demeure. Tout ce que l'opulence et les arts peuvent fournir de ressources y fut prodigué, (p. 877) et avec une telle magnificence, qu'il jugea qu'un tel séjour n'étoit point indigne d'être habité par les rois. Dans cette pensée, il crut ne pouvoir mieux faire éclater sa reconnoissance pour les faveurs extraordinaires qu'il avoit reçues de Louis XIII, qu'en lui cédant la propriété de cette superbe habitation. Dès l'année 1639, il en fit une donation entre-vifs à ce monarque[446], donation qu'il renouvela par son testament en 1642. Dans cet acte, il se réserve seulement l'usufruit des objets légués, et, pour ses successeurs ducs de Richelieu, la capitainerie ou conciergerie de ce palais. Ce fut cette dernière clause qui l'engagea (p. 878) à leur faire bâtir un hôtel joignant le Palais-Cardinal, et qui en faisoit partie du côté de la rue de Richelieu.
Le ministre étant mort le 4 décembre 1642, et Louis XIII ne lui ayant survécu que jusqu'au 14 mai suivant, le roi, la reine régente et la famille royale vinrent le 7 octobre de la même année prendre possession de ce palais et y fixer leur demeure. L'inscription de Palais-Cardinal fut alors effacée, et l'on y substitua le nom de Palais-Royal, qu'il a toujours porté depuis, quoique la reine mère, à la sollicitation de la famille de Richelieu, eût fait replacer l'ancienne inscription. Alors on détruisit la belle galerie bâtie par le cardinal, afin d'y pratiquer un appartement pour Philippe de France, frère unique de Louis XIV.
À la même époque fut formée la place qui donne sur la rue Saint-Honoré; et l'on rapporte aussi à ce temps-là la cession qui fut faite de ce palais par Louis XIV à son frère, pour en jouir sa vie durant. En 1692, le roi en fit donation entière à Philippe d'Orléans, duc de Chartres, son neveu, à l'occasion de son mariage avec Marie-Françoise de Bourbon. Alors fut réparé le grand corps de bâtiment qui se terminoit à la rue de Richelieu.
Pendant cet intervalle, le Palais-Royal avoit été fort agrandi: Louis XIV y avoit réuni l'ancien (p. 879) palais Brion, bâti rue de Richelieu par le duc de Danville, et dans lequel les académies de peinture et d'architecture avoient tenu leurs premières séances. Jules Hardouin Mansard avoit érigé sur cet emplacement une magnifique galerie, où Antoine Coypel avoit peint en quatorze tableaux les principaux sujets de l'Énéide. Le duc d'Orléans régent y ajouta depuis le salon d'entrée, bâti sur les dessins d'Oppenord, architecte alors fort en vogue, et au mauvais goût duquel on a dû la propagation du genre bizarre d'ornement qui a régné si long-temps. Ce fut dans cette vaste galerie que ce prince plaça la précieuse collection de peintures de toutes les écoles, qu'il avoit rassemblée à grands frais de tous les coins de l'Europe, et qui passoit pour la plus riche qu'il y eût alors au monde.
Le long de l'aile gauche de la seconde cour régnoit une autre galerie bâtie long-temps auparavant par le cardinal de Richelieu, et consacrée par lui à la gloire des personnages les plus fameux de la monarchie. Il avoit ordonné que l'on y déployât la plus grande magnificence; et lui-même avoit choisi les héros qu'il vouloit voir figurer dans cette pièce, que l'on nommoit la Galerie des Hommes illustres. Ils étoient au nombre de vingt-cinq, et leurs portraits avoient été peints par Philippe de Champagne, Simon Vouet, Juste d'Egmont et Poerson. De plus petits tableaux (p. 880) représentoient les principales actions de ces grands hommes, avec leurs devises. Des bustes en marbre, dont la plupart étoient antiques, séparoient ces peintures et répandoient une agréable variété sur ce bel ensemble. Des distiques latins, faits par Bourbon, célèbre poète latin de ce temps-là, accompagnoient les devises[447]. Les grands appartements du duc d'Orléans étoient de plain-pied avec cette galerie.
L'escalier principal, exécuté, dit-on, sur les dessins de Désorgue, a toujours été vanté parmi les ouvrages de ce genre. Il a depuis été restauré, orné de peintures et mieux éclairé; et il présente aujourd'hui une sorte d'effet théâtral, ménagé sans doute à dessein de dissimuler le peu de profondeur de l'espace qu'il occupe. Son aspect plaît au premier coup d'œil, quoiqu'un examen attentif puisse y faire découvrir plus d'un défaut de proportion.
Depuis la régence, ce palais a été successivement modifié et rebâti, au point qu'il ne reste presque plus rien des constructions faites par les premiers architectes.
La salle de spectacle que le cardinal avoit fait (p. 881) élever, ayant été détruite par un incendie en 1763, ce fut une occasion pour le duc d'Orléans d'alors de faire de grands embellissements dans la façade de son palais du côté de la rue Saint-Honoré. Le grand corps-de-logis de l'entrée et ses deux ailes furent alors entièrement changés et rebâtis dans un goût plus moderne.
L'ordre dorique règne dans toute l'étendue de la façade extérieure de ce palais, et forme terrasse au-devant de la cour, dans laquelle on entre par trois portes d'une belle menuiserie, couvertes d'ornements en bronze d'une grande richesse. Un mur percé de portiques unit ces trois portes aux deux pavillons en retour qui composent les ailes du bâtiment. Ces pavillons sont décorés de deux ordres, l'un dorique au rez-de-chaussée, l'autre ionique au premier étage, et couronnés de frontons triangulaires. Le corps-de-logis qui forme la façade se compose de neuf croisées, y compris les trois qui sont sur l'avant-corps du milieu. Cette partie offre également une décoration de colonnes doriques et ioniques, que surmonte un fronton circulaire. Dans ce fronton sont placées deux figures qui supportent les armes d'Orléans. Toutes ces constructions furent faites sur les dessins de M. Moreau, architecte de la ville, lequel rebâtit aussi la salle de l'Opéra qui venoit d'être (p. 882) brûlée[448]. Ce même bâtiment présente, du côté de la seconde cour, une autre façade exécutée à peu près dans le même goût. L'avant-corps est décoré de huit colonnes ioniques cannelées, posées sur un soubassement. Quatre statues de Pajou sont placées à l'aplomb et au-devant de l'attique qui surmonte ces colonnes. Ces statues représentent le dieu Mars, Apollon, la Prudence et la Libéralité. Les ornements exécutés dans les cartouches et les frontons des deux pavillons de l'entrée et des autres parties des nouvelles constructions, étoient de la main du même sculpteur.
Le vestibule qui sépare les deux cours est décoré de colonnes doriques. À droite en entrant fut alors construit le nouvel escalier qui mène aux appartements. Il est placé sous une espèce de dôme fort élevé et orné de peintures. Les douze premières marches conduisent à un perron, et là l'escalier se divise à droite et à gauche en deux parties qui se terminent au pallier. L'architecte (Constantin) avoit imaginé, pour diminuer l'effet désagréable du mur de face qui est trop rapproché, d'y faire peindre une perspective d'architecture qui fut exécutée par Machy.
Les appartements sont remarquables par leur (p. 883) étendue et leur magnificence. Les galeries qui occupent la gauche du palais composent environ quinze pièces, au nombre desquelles il faut comprendre celle que Louis XIV avoit fait construire par Mansard, et le salon d'Oppenord. C'est dans cette suite d'appartements qu'étoient placées les belles peintures dont nous avons déjà parlé. On y voyoit aussi la précieuse collection de pierres gravées antiques, également formée par le régent. À ces richesses des arts les plus excellents, se trouvoient réunis un magnifique cabinet d'histoire naturelle et de minéralogie, et une collection non moins curieuse des productions de tous les arts et métiers, avec les différents outils employés à leur fabrication. Ces modèles, exécutés dans une grande perfection, étoient tous réduits sur une échelle commune d'un pouce et demi pour pied.
On devoit aussi au duc d'Orléans, régent, le jardin de ce palais, jadis le rendez-vous de la meilleure compagnie de Paris, et la promenade la plus brillante et la plus fréquentée de cette capitale. Du temps du cardinal de Richelieu, c'étoit un terrain de la plus grande irrégularité, qui contenoit un mail, un manége et deux bassins, le tout disposé sans ordre et sans symétrie. Il ne fut replanté qu'en 1730, et ce fut un neveu de Le Nôtre[449] que l'on chargea de cette entreprise. (p. 884) Sans prétendre faire un jardin égal à celui des Tuileries, composé par son oncle, il mit dans l'ordonnance de celui-ci de la grandeur et de la simplicité. Deux belles pelouses bordées d'ormes en boules accompagnoient de chaque côté un grand bassin placé dans une demi-lune ornée de treillages et de statues en stuc, la plupart de la main de Leremberg. Au-dessus de cette demi-lune régnoit un quinconce de tilleuls dont l'ombrage étoit épais et agréable. La grande allée surtout formoit un berceau vraiment délicieux et impénétrable au soleil. Toutes les charmilles y étoient taillées en portique. C'étoit cette partie du jardin que les promeneurs fréquentoient de préférence.
L'ancien projet du cardinal avoit été de faire bâtir autour de ce jardin des maisons symétriques, et d'ouvrir trois principales entrées, l'une sur la rue de Richelieu, l'autre sur la rue des Petits-Champs, et la troisième sur celle des Bons-Enfants.
Le dernier duc d'Orléans exécuta en quelque sorte ce projet dans les dernières années qui ont précédé la révolution; mais il le conçut dans des vues indignes d'un prince, et fit une misérable spéculation de ce qui devoit être un nouveau monument de grandeur et de magnificence. On imagina donc de bâtir autour du jardin un corps de bâtiments symétriques, et de prendre sur le terrain (p. 885) l'espace d'une rue nouvelle dans laquelle les maisons qui entouroient autrefois cette enceinte se trouvèrent alors tristement renfermées. Dans la seconde cour, un nouvel avant-corps fut élevé parallèlement et dans la même ordonnance que le premier, afin d'étendre la façade et de la raccorder avec les nouvelles galeries; une partie des anciennes constructions fut démolie dans la même intention; et pour développer l'aspect de celles qu'on élevoit, on détruisit dans le jardin[450] tous ces beaux ombrages qui en faisoient le principal agrément.
Le projet d'une aussi vaste enceinte, s'il eût été réalisé avec toutes les ressources d'une belle architecture, eût été mis sans doute au rang des plus grands monuments; mais l'esprit de calcul et d'intérêt qui l'avoit fait entreprendre[451] ne pouvoit s'accorder avec la dépense qu'eût exigée une bâtisse proportionnée à l'étendue du plan. Tout cet ensemble a donc été trop légèrement construit: (p. 886) la décoration de cette immense galerie, qui consiste en petites arcades séparées par des pilastres corinthiens, est aussi mesquine que mal exécutée; et l'avantage qu'a le public de s'y promener à couvert ne compense point l'inconvénient qui en résulte de la grande diminution du jardin. L'idée d'élever un portique autour d'une promenade étoit sans doute heureuse, et pouvoit augmenter les agréments d'un si beau lieu; mais du moment que chaque arcade est devenue une boutique, le lieu lui-même est devenu une foire et un marché, et toute sa noblesse et son élégance ont disparu. La bonne compagnie l'a déserté, parce qu'elle se trouvoit confondue, dans ces longs et étroits promenoirs, avec ce que Paris renfermoit de plus impur. Le vice fit bientôt de ce jardin fameux le principal théâtre de ses excès; et ils furent d'autant plus scandaleux que les nouvelles demeures dont on venoit de l'environner furent louées sans aucune difficulté à ses plus infâmes agents. La révolution, qui éclata peu de temps après, ne fit qu'augmenter le scandale de ce séjour; et aux scènes de libertinage qui s'y renouveloient sans cesse, se mêlèrent les prédications atroces des anarchistes, les fêtes ignobles de la liberté, souvent même ses violences et ses assassinats.
Les nouvelles constructions devoient se raccorder avec les ailes de la seconde cour du palais. (p. 887) Ce fut cette même révolution qui en arrêta l'achèvement: les dépenses criminelles dans lesquelles elle entraîna le duc d'Orléans ne lui permirent plus de fournir les fonds nécessaires pour l'entière exécution de ce projet, et le Palais-Royal resta à peu près dans l'état où nous le voyons aujourd'hui.
L'architecture de cette grande masse de bâtiments est de M. Louis. Le théâtre, bâti à l'extrémité du Palais-Royal, du côté de la rue Saint-Honoré et de Richelieu, est aussi du même architecte[452]. Du côté de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et dans l'angle opposé, est une autre salle de comédie, occupée d'abord par les petits comédiens dits de Beaujolois[453], et depuis par la troupe des Variétés.
Deux galeries de bois ont été construites sur l'emplacement qui fait face à la seconde cour, et forment une espèce de barrière qui la sépare du jardin. Dans le plan primitif, cette quatrième (p. 888) façade du château, augmentée du nouveau corps-de-logis, devoit former aussi la quatrième façade du jardin. Son ordre d'architecture eût été le même que celui qui avoit été employé dans les trois autres côtés, avec cette différence que des colonnes devoient y remplacer les pilastres; qu'au lieu d'arcades et d'entresols, on destinoit toute la hauteur, jusqu'au premier étage, à des promenoirs publics, et qu'on ne prenoit qu'un seul étage dans le reste de l'ordre. Enfin le projet étoit d'élever au-dessus un second étage, décoré d'un attique dont la richesse eût été proportionnée à celle de la colonnade inférieure. D'autres promenoirs eussent été également pratiqués dans les parties conservées de l'ancien palais, dont on devoit détruire, pour cet effet, les logements du rez-de-chaussée et de l'entresol. On peut voir, dans l'intérieur du nouvel avant-corps, un commencement d'exécution de ce projet.
(p. 889) COLLECTIONS
ET AUTRES CURIOSITÉS DU PALAIS-ROYAL.
COLLECTION DES TABLEAUX[454].
Grande salle à manger.
L'aventure de Philopœmen, par Rubens.
Un pair d'Angleterre, une princesse de Phalsbourg, un général espagnol, et une autre femme, par Vandyck.
Le Nil, Pan et Syrinx, par Martin de Vos.
Vénus tenant l'arc de l'Amour qu'elle a désarmé, par Bronzino.
Danaé, par Annibal Carrache.
Salon de Madame.
Quatre dessus de porte: Charles Ier, roi d'Angleterre, la reine son épouse; le duc et la duchesse d'Yorck, par Vandyck.
La fuite de Jacob, par Piètre de Cortone.
Saint Jérôme et une sainte Famille, par Annibal Carrache.
Chambre appelée du Poussin.
Une ferme, par Léandre Bassan.
L'Apparition des anges à Abraham, par Alexandre Véronèse.
Un ange conduisant saint Roch, par le Guerchin.
Les quatre Âges, par Valentin.
(p. 890) Trois paysages, par Scorza.
Un portrait de femme, par le Titien.
Un philosophe tenant un manuscrit, par Schiavone.
La naissance de Bacchus, par Jules Romain.
L'adoration des rois, par Albert Durer.
Les animaux entrant dans l'arche, par Léandre Bassan.
L'enlèvement de Proserpine, par le Titien.
Cabinet de la Lanterne.
Le portrait de Clément VII, par le Titien.
Un concert, par Valentin.
Le martyre de saint Pierre, par le Giorgion.
Jules II, par Raphaël.
Henri IV âgé de quatre ans, par Porbus.
Une frise, par Jules Romain; trait d'histoire romaine.
Une descente de croix, d'Augustin Carrache.
Le portrait d'une princesse, par Vandyck.
Le paysage aux Bateliers, par Annibal Carrache.
Un concert, par le Titien.
L'enlèvement de Proserpine, par Nicolo del Abbatte.
Un consistoire, par le Tintoret.
Des buveurs, par Manfredy.
Un enfant qui dort, par Annibal Carrache, et le portrait de ce peintre, par lui-même.
Mars et Vénus, par Rubens.
Un siége, par Jules Romain.
La naissance de Bacchus, par le même.
Un prêtre italien, par le Titien.
La Nativité, par François Mola.
Un général espagnol, par Antoine Moor.
Une naissance de Bacchus, attribuée au Tintoret.
Héraclite, par l'Espagnolet.
Un portrait de femme, par le Titien.
Hérodias, par Léonard de Vinci.
Ganimède, par Rubens.
La naissance de Castor et Pollux, par André del Sarte.
Le portrait d'une femme, par Holbein.
Démocrite, par l'Espagnolet.
Au-dessus de la porte, le portrait du Titien, peint par lui-même; le poète Arétin, par le même.
Une descente de croix, par Schiavone.
Une sainte Famille, du Parmesan.
Un portrait, par Albert Durer.
Saint Jean dans le désert, par Annibal Carrache.
Deux portraits du Tintoret.
L'adoration des bergers, par Lucas de Leyde.
Un portrait, par le Titien.
Un doge de Venise, par Palme le vieux.
Un sénateur vénitien, par André Keyen.
Sur la glace, une sainte famille, du Parmesan.
Le Jugement de Pâris, par Perrin-del-Vaga.
Un jeune étudiant, par le cavalier Bernin.
Une Vénus debout, par Palme le vieux.
Première grande pièce.
Une descente de croix, de Perrugin.
Saint Jean dans le désert, par Louis de Vergas.
Moïse foulant aux pieds la couronne de Pharaon, par le Poussin.
La transfiguration, par Michel-Ange de Caravage.
Une descente de croix, du Tintoret.
Les sept sacrements, par le Poussin[455].
L'enfant prodigue, par Annibal Carrache.
Les vendeurs chassés du temple, et la guérison du paralytique, par Luc Jordaens.
La résurrection du Lazare, par Mutian.
Notre Seigneur au tombeau, par Annibal Carrache.
(p. 892) La naissance de Bacchus, par le Poussin.
Le paralytique et l'enfant prodigue, par Bassan.
Un mulet, par le Corrége.
Le crucifiement de saint Pierre, par le chevalier Calabrois.
Salmacis et Hermaphrodite, par Paul Mathey.
Deuxième grande pièce.
Saint Paul et l'Enfant Jésus, par Francia.
Une sainte Famille, par Louis Carrache.
Le portrait de J. Gissen, négociant, par Holbein.
Le Baptême de N. S., par l'Albane.
L'apparition de la Vierge à saint Jean Justinien, par le même.
Une Sibylle, par le Dominiquin.
Six esquisses de Rubens.
Vénus et Adonis, une mère de douleur, et Charles-Quint à cheval, par Le Titien.
Un portrait de femme, par le même.
Une mère de douleur, par Guerchin.
Un calvaire, par Annibal Carrache.
Une sainte Famille, par André-del-Sarte.
David et Abigaïl, par le Guerchin.
Une descente de croix, par Daniel de Volterre.
Le portrait d'un Espagnol, par Antoine Moor.
Un homme armé, par Luc Joordans.
Une annonciation, par Lanfranc.
Moïse exposé sur les eaux, par le Poussin.
Saint Jérôme, par le Bassan.
Un homme et un chat, par Gentileschi.
Moïse sauvé des eaux, par Velasquez.
David et Abigaïl, par le Guide.
L'invention de la croix, par Giorgion.
Un paysage, par Scorza.
Une sainte Famille, par Laurent Lotto.
Une Magdeleine, du Guide.
Moïse sauvé des eaux, par Paul Véronèse.
Un bourgmestre, par Rembrandt.
Le portrait du comte d'Arundel, par Vandyck.
Une martyre, par Guido Cagnacci.
(p. 893) Une sainte Famille, par Raphaël.
Un tableau du Caravage, représentant un singe.
Troisième grande pièce.
L'enlèvement des Sabines, par Salviati.
L'éducation de l'Amour, par le Corrége.
Une sainte Famille, par Raphaël.
Un autre, par le Bourdon.
Jésus-Christ au milieu des docteurs, par l'Espagnolet.
La décollation de saint Jean, par le Guide.
Saint Sébastien et saint Bonaventure, par le même.
L'adoration des bergers, par Giorgion; et Milon de Crotone, par le même.
Une Esclavonne, l'éducation de l'Amour, et Diane surprise au bain par Actéon, par le Titien.
Philippe II et sa maîtresse, par le même.
La mort d'Abel, par André Sacchi.
La femme adultère, par Pordenon.
Achéloüs, par le même.
Suzanne et les deux vieillards, par Louis Carrache.
L'adoration des rois, par Van-Eyck de Bruges.
Une sainte Famille, par Garofallo.
La résurrection du Lazare, par Sébastien-del-Piombo.
Une descente de croix, de Schiavone, et Pilate se lavant les mains, par le même.
Vénus et l'Amour, par Palme le vieux.
La prédication de saint Jean dans le désert, par l'Albane.
Des joueurs, par le Caravage.
Les ducs de Ferrare, par le Tintoret, et l'enlèvement d'Hercule, par le même.
Le massacre des innocents, par le Brun.
Une tête de moine, par le cavalier Bernin.
La maladie d'Alexandre, par Eustache le Sueur.
L'apparition de la Vierge à saint Roch, par Annibal Carrache.
Grand salon à la Lanterne.
La continence de Scipion, par Rubens.
Une Magdeleine, du Guide.
Un Ecce Homo, du même.
(p. 894) Saint Jean montrant le Messie, par Annibal Carrache.
Une procession de village, par le même.
Un Christ et le martyre de saint Étienne, par le même.
Trois esquisses de Rubens.
L'histoire de saint Georges, par le même.
La mort de Cyrus, par le même.
Joseph et Putiphar, par Alexandre Véronèse.
Saint Jérôme effrayé par la tempête, par le Guerchin.
Un portement de croix, d'André Sacchi.
L'homme entre le vice et la vertu, par Paul Véronèse.
Un autre tableau du même maître, portrait de sa fille; Mars et Venus liés par l'Amour, par le même.
Les disciples d'Emmaüs; Mercure et Hersé; l'enlèvement d'Europe, et la Sagesse compagne d'Hercule, par le même.
Andromède, par le Titien.
L'enlèvement d'Europe, par le même.
Vénus et Adonis, par le même.
Actéon dévoré par ses chiens, par le même.
Le portrait de la maîtresse du Titien, par le même.
Lucrèce, par André-del-Sarte.
Hérodias, par Palme le vieux.
L'Amour façonnant son arc, par le Corrége.
Deux études de tête, du même.
Le portrait d'une femme, par Paul Véronèse.
Quatre dessus de porte, l'Infidélité, le Respect, le Dégoût et l'Amour heureux, par le même.
Une fileuse, par le Féti.
Un paysage dit des Bateliers, par le Dominiquin.
Jésus-Christ portant sa croix, par le même.
Saint Jérôme, par le même.
Une circoncision, par Bassan.
La Vierge dite la Laveuse, par l'Albane.
Le portrait de la femme du Bassan, et son portrait, par lui-même.
Le jugement universel, par Léandre Bassan.
Une copie de la transfiguration de Raphaël, par Garofalo.
Grande galerie.
Le tentateur, une sainte Famille, les quatre âges, une femme (p. 895) tenant une cassette, une tête de femme, par le Titien; son portrait, peint par lui-même.
La Vierge qui montre à lire à l'Enfant-Jésus, par Schidone.
La belle Colombine, maîtresse de François Ier, par Léonard de Vinci.
Une tête de femme, par le même.
La Vierge et l'Enfant-Jésus, par le Corrége.
Une Danaé et une sainte Famille, du même.
Une frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Diane et Calysto, par Annibal Carrache.
La toilette de Vénus, par le même.
Le martyre de saint Étienne, et la vision de saint François, par le même.
La mort d'Adonis, par Cangiage.
Le portrait du duc de Valentinois, fils du pape Alexandre VI, par le Corrége.
Le sacrifice d'Isaac, par le Dominiquin.
Saint Jérôme, par le même.
Les portraits de Jean et Hubert de Bruges, par Van-Eyck.
Un repos en Égypte, par François Mola.
Une frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Jupiter et Léda, par le même.
Moïse frappant le rocher, par le Poussin.
La communion de la Madeleine dans le désert, par l'Albane.
La Samaritaine, par le même.
Une flagellation, par Louis Carrache.
Une sainte Famille, de Palme le vieux.
Une Vierge et l'Enfant-Jésus, par Raphaël.
Saint Jean dans le désert, par le même.
Une Vierge, dite la belle, par le même.
Une autre Vierge et l'Enfant-Jésus, par le même.
Une descente de croix, par Sébastien-del-Piombo.
Le ravissement de saint Paul, par le Poussin.
Un page raccommodant l'armure de Gaston de Foix, par Giorgion.
Sainte-Appoline, du Guide.
Un enfant dormant sur la croix, par le même.
Une Madeleine, par le Titien.
La Samaritaine, par Annibal Carrache.
(p. 896) La vision d'Ézéchiel, par Raphaël.
Le martyre de saint Barthélemi, par Augustin Carrache.
Une sainte Famille, par Michel-Ange.
La Circoncision, par Jean Belin.
La Vierge et l'Enfant-Jésus, par Raphaël.
Saint Jean l'Évangéliste, par le Dominiquin.
Une descente de croix et un saint Jean dans la gloire, par Annibal Corrache.
Une sainte Famille, de l'Albane.
Un saint François en méditation devant la croix, par le Dominiquin.
Noli me tangere, par le Titien.
Saint Joseph montrant son métier à l'Enfant-Jésus, par Annibal Carrache.
Une frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Une sainte Famille, du Baroche.
Le jugement de Pâris, par Rubens.
La sainte Famille, par François Anotti.
Noli me tangere, par l'Albane.
Deux esquisses de Rubens.
Une autre frise, trait d'histoire romaine, par Jules Romain.
Une présentation au temple, par le Guerchin.
Un repos en Égypte, par Annibal Carrache.
Noli me tangere, par le Corrége.
La Madeleine, du Guide.
La prédication de saint Jean dans le désert, par Mola.
Noli me tangere, par Cignani.
Vénus sortant des ondes, par le Titien.
Le mariage de sainte Catherine, par le Parmesan.
TABLEAUX DES CHAPELLES DU PALAIS.
Il y avoit deux chapelles dans ce palais.
Dans l'une étoit une apparition de Jésus-Christ, par Annibal Carrache; dans l'autre, plusieurs peintures par Vouet.
Cette collection, vendue comme celle des tableaux, par le dernier duc d'Orléans, jouissoit également de la plus grande célébrité.
Ses commencements sont dus à Élisabeth-Charlotte Palatine, sœur de Charles II, électeur palatin, laquelle fut mariée à Monsieur, frère du roi. Cette princesse, venant en France, apporta avec elle une suite de médailles d'or et de pierres gravées, que son goût pour les arts lui avoit fait recueillir. Cette collection fut depuis augmentée par le Régent, qui en devint propriétaire, et dont la passion pour tous les arts qui tiennent du dessin étoit la plus vive qu'il soit possible d'imaginer. Non-seulement il l'enrichit par de nouvelles acquisitions, mais il la doubla, en quelque sorte, par les empreintes en pâte de verre, qu'il tiroit lui-même des plus belles pierres. On prétend même que le procédé de ces pâtes, dont la transparence et la couleur imitent l'éclat des pierres fines, est dû à ce prince, qui d'ailleurs pratiquoit ces arts qu'il aimoit si passionnément, mieux qu'il ne convient peut-être à un prince de le faire.
Le duc d'Orléans son fils réunit à ce cabinet, déjà très-considérable, la belle collection de M. Crozat, laquelle étoit composée de plus de quatorze cents pierres gravées. Peu s'en fallut cependant que ce prince, qui l'avoit tellement enrichie, n'en privât ensuite ses héritiers: car s'étant retiré à Sainte-Geneviève pour y consacrer entièrement à la piété les dernières années de sa vie, il jugea à propos de léguer à cette abbaye une foule d'objets précieux qui ornoient son palais, et entre autres la collection des pierres gravées. Elle fut rachetée par son successeur, moyennant une somme considérable.
La nomenclature de cette collection et sa description passe les bornes que nous nous sommes imposées dans cet ouvrage. Elle a été faite par MM. de La Chaux, garde de ce cabinet, et Le Blond, de l'académie des inscriptions et belles-lettres, en deux volumes in-folio, ornés de gravures, que les curieux peuvent consulter.
Elle étoit peu considérable, parce que le duc d'Orléans, père du dernier, avoit légué tous ses livres aux jacobins de la rue Saint-Jacques. Cependant on avoit fait depuis l'acquisition d'une nouvelle bibliothèque, dans laquelle se trouvoit une collection complète et peut-être unique des théâtres de toutes les nations depuis leur origine jusqu'à nos jours. Cette collection, qui avoit appartenu à M. de Pont-de-Vesle, frère de M. d'Argental, étoit, dit-on, composée de treize mille volumes imprimés, et de plus de cent portefeuilles manuscrits.
Il étoit surtout riche en échantillons de mines auxquels étoient jointes toutes les espèces de matières qui y sont ordinairement agrégées. On y conservoit aussi les différentes productions volcaniques de l'Europe et des Indes. La Collection des corps marins fossiles y étoit immense, et l'on distinguoit, dans la partie lithologique, une suite rare des granites de France, etc.
Cette galerie, qui, comme nous l'avons dit, fut détruite en 1727, mérite d'être connue, non-seulement à cause de la célébrité dont elle a joui, mais encore parce qu'elle rappelle un assez grand nombre de noms chers à la France. Ce monument, élevé à leur mémoire, étoit très-digne d'un ministre qui en avoit conçu la pensée; et peut-être eût-il été à souhaiter que, dans cette France si féconde en grands hommes, de tels honneurs eussent été rendus plus souvent à la vaillance et à la vertu. On y eût appris sans doute à ne pas préférer les héros de Rome et de la Grèce à ceux de son propre pays.
Les portraits qui composoient cette galerie, les bustes et les tableaux qui les accompagnoient, furent depuis transportés dans les galeries nouvelles élevées par les ducs d'Orléans, et s'y voyoient dans l'ordre suivant:
(p. 899) Suger, abbé de Saint-Denis, ministre, mort en 1152, âgé de soixante-dix ans.
Simon, comte de Montfort, le fléau des Albigeois, tué au siége de Toulouse, en 1218.
Gaucher, seigneur de Châtillon, connétable de France sous six rois, mort en 1329; par Vouet.
Bertrand du Guesclin, connétable de France en 1370, et mort au siége de Château-neuf-Randon en Gévaudan, le 13 juillet 1380, âgé de soixante-six ans. Henri II, Charles IX (bustes).
Olivier de Clisson, connétable de France en 1380, mort en 1407.
Jean Le Meingre, dit Boucicaut, maréchal de France en 1391, mort prisonnier en Angleterre l'an 1421.
Jean, bâtard d'Orléans, comte de Dunois, et lieutenant-général du royaume sous Charles VII, mort en 1468, âgé de soixante-sept ans.
Jeanne-d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans. Louis XIV (buste).
Georges d'Amboise, cardinal et premier ministre sous Louis XII, mort en 1510; par Vouet.
Louis de La Trimouille, général des armées du roi sous Louis XII et François Ier, tué à la bataille de Pavie, à l'âge de quatre-vingts ans; par Champagne.
Gaston de Foix, duc de Nemours, vice-roi de Milan, et général des armées de Louis XII, tué le jour de Pâques, 11 avril 1512, à la bataille de Ravenne; copié par Champagne, d'après un portrait original peint par Raphaël, et qui appartenoit au duc de Saint-Simon.
Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, surnommé le chevalier sans peur et sans reproche, tué à la retraite de Romagnano en 1524. François Ier (buste).
Au-dessus de la porte de la chapelle, le cardinal de Richelieu donnant audience à des moines.
Charles de Cossé, duc de Brissac, maréchal de France, et général des armées des rois Henri II, François II et Charles IX, mort en 1563.
Anne de Montmorency, connétable de France sous François Ier, Henri II, François II et Charles IX, tué à la bataille de Saint-Denis en 1567.
(p. 900) François de Lorraine, duc de Guise, assassiné devant Orléans, par Poltrot, en 1563. Henri III (buste).
Charles, cardinal de Lorraine, archevêque de Reims, frère du précédent, mort en 1574 (buste).
Blaise de Montluc, maréchal de France, mort en 1577.
Armand de Gontaud de Biron, maréchal de France, tué au siége d'Épernai, en 1592.
Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, tué d'un coup de canon le 27 juillet 1675.
François de Bonne, duc de Lesdiguières, maréchal de France en 1608, duc et pair en 1619, connétable en 1622, et mort en 1626.
Henri IV (buste).
Marie de Médicis, reine de France, son épouse, morte à Cologne le 3 juillet 1642.
Armand-Jean Duplessis, cardinal, duc de Richelieu et de Fronsac, pair de France et premier ministre sous Louis XIII, mort à Paris, en 1642.
Louis XIII, mort à Saint-Germain-en-Laye le 14 mai 1643.
Anne d'Autriche, femme de Louis XIII, mère de Louis XIV, et régente du royaume, morte au Louvre, à Paris, le 20 janvier 1666.
Gaston (Jean-Baptiste) de France, duc d'Orléans, frère unique de Louis XIII, mort à Blois le 2 février 1660.
Toutes les peintures de cette galerie ont été dessinées et gravées par Hénice et Vignon, peintres et graveurs ordinaires du Roi.
Vis-à-vis du Palais-Royal étoit, dans le principe, l'hôtel de Sillery, lequel appartenoit à Noël Brûlart de Sillery, prêtre, commandeur de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et du temple de Saint-Jean de Troyes. Le cardinal de Richelieu s'en rendit propriétaire en 1640[456], pour la somme de 50,000 écus, dans l'intention de le faire abattre, et d'obtenir à ce moyen une place devant son palais, dont cet hôtel n'étoit séparé que par la largeur de la rue[457]; mais ce projet n'étoit (p. 902) point encore entièrement exécuté quand il mourut. La cour étant venue occuper le Palais-Cardinal en 1643, on fit achever cette démolition, et l'on abattit en même temps quelques édifices voisins pour construire des corps-de-garde. Cette place n'étoit point alors aussi grande qu'elle l'est aujourd'hui; et de chétives maisons, d'un aspect désagréable, et placées sans symétrie, étoient la seule perspective qu'eût la demeure du souverain. Les choses demeurèrent cependant en cet état jusqu'en 1719, que le duc d'Orléans, régent, devenu propriétaire du Palais-Royal, fit détruire ces masures, et ensuite élever à leur place le grand corps de bâtiment qu'on nomme Château-d'Eau, lequel fut bâti sur les dessins de Robert de Cotte, premier architecte du roi. Ce monument ne manque point de mérite, et l'intention de l'auteur y est bien marquée. Son architecture se compose d'un corps de bâtiment en bossages rustiques vermiculés, flanqué de deux pavillons de même symétrie, le tout sur vingt toises de face. Au milieu est un avant-corps formé par quatre colonnes d'ordre toscan, qui portent un fronton, dans le tympan duquel sont les armes de France. Au-dessus on a placé deux statues à demi couchées, par Coustou le jeune, dont l'une représente la Seine, et l'autre (p. 903) la nymphe de la fontaine d'Arcueil. C'est effectivement pour servir de réservoir aux eaux de la Seine et d'Arcueil que ce bâtiment a été élevé, mais il fut long-temps sans remplir sa destination; et la belle inscription qu'on lit au-dessus de la niche où est le robinet: Quot et quantos effundit in usus! sembloient offrir, jusqu'à la fin du siècle dernier, un sens épigrammatique. Cependant, depuis quelques années, il coule de l'eau de cette fontaine[458].
L'hôpital des Quinze-Vingts étoit autrefois situé rue Saint-Honoré, vis-à-vis celle de Richelieu; il fut transféré, en 1780, sur la demande du cardinal de Rohan, alors grand-aumônier, au faubourg Saint-Antoine, dans l'hôtel occupé précédemment par les Mousquetaires noirs.
(p. 904) Personne n'ignore que cette maison fut fondée par saint Louis. Quelques anciens auteurs ont avancé sans preuves, et d'autres ont répété sans examen[459], que ce pieux monarque avoit créé cet établissement pour servir d'asile à trois cents gentilshommes françois, qu'il avoit, dit-on, laissés en otage en Égypte, et que les Sarrasins renvoyèrent en France, après leur avoir fait crever les yeux. Cette opinion, dénuée de tout fondement historique, a été rejetée avec raison par tous les historiens modernes, et Jaillot surtout la réfute victorieusement[460].
«On voit, dit-il, dans les premiers titres qui (p. 905) ont rapport à cette fondation, et dans les bulles qui la concernent, que c'est la Maison des aveugles, la Congrégation, l'Hôpital des pauvres aveugles de Paris: nulle mention de ces trois cents chevaliers, nul indice qu'ils aient donné lieu à cet établissement; le silence des titres et des historiens contemporains détruit même toute idée qu'ils y aient eu la moindre part. Comment d'ailleurs présumer que saint Louis, ce prince judicieux et équitable, qui connoissoit le prix des services et savoit les récompenser, eût borné sa générosité et sa reconnoissance, pour trois cents nobles qu'on suppose avoir perdu la vue pour son service, à leur procurer un simple asile, sans pourvoir à leurs besoins d'une manière convenable à leur naissance? On voit que ces aveugles mendioient dans les rues et dans les églises; qu'on quêtoit pour eux dans les principales villes du royaume, et que, près de quinze ans après leur établissement[461], ils étoient encore si peu rentés, que Louis IX, par ses lettres données à Melun au mois de mars 1269, leur accorda 30 livres de rente pour avoir du potage. Ces faits, prouvés par les monuments les plus authentiques, sont, à ce que je crois, plus que suffisants pour détruire (p. 906) la fable des trois cents chevaliers aveugles, adoptée beaucoup trop légèrement par plusieurs historiens.»
Ces raisons nous semblent sans réplique; et il est plus simple de croire que, dans la fondation de cet établissement, saint Louis eut seulement en vue de réunir dans un asile commun trois cents des plus pauvres aveugles, dont on peut supposer que le nombre étoit considérablement augmenté en France depuis que nos rois avoient pris part aux expéditions pieuses d'Égypte et de la Palestine[462]. L'infortune de ces hommes, parmi lesquels plusieurs avoient été sans doute ses compagnons d'armes, devoit émouvoir vivement la compassion de ce grand monarque, si sensible d'ailleurs à toutes les infortunes de ses sujets. Il conçut donc le projet de fonder cet hôpital, et acheta à cet effet, dans la censive de l'évêché, une partie du terrain sur lequel il le fit construire. Le premier titre de cette fondation n'a pu être retrouvé; mais ceux qui la concernent et qui nous restent ne permettent pas de douter que le projet de saint Louis n'ait eu son entière exécution avant 1260. On voit qu'en cette année (p. 907) le roi assigna 15 livres de rente, sur la prévôté de Paris, à Jean Le Breton, qu'il avoit établi chapelain dans cette maison; et que le pape Alexandre IV accorda également, en 1260, des indulgences à ceux qui visiteroient l'église de cet hôpital, bâtie sous l'invocation de saint Remi[463].
Cet établissement, si médiocrement doté dans son origine, fut néanmoins un grand bienfait pour ces infortunés, qui, avant le règne de saint Louis, formoient bien, à la vérité, une espèce de société ou congrégation, mais dont les membres vivoient en particulier des foibles ressources que leur procuroit la charité des fidèles. Il en résultoit que les secours leur manquoient presque totalement, lorsque l'âge ou les infirmités ne leur permettoient plus de les aller chercher.
Saint Louis voulut que son grand-aumônier eût la direction générale du temporel comme du spirituel de cette maison. C'étoit ce grand dignitaire qui nommoit à toutes les places vacantes, et les prêtres qui desservoient l'église étoient soumis (p. 908) à sa seule juridiction; juridiction qui lui fut souvent contestée par l'évêque de Paris, à qui elle sembloit devoir appartenir. Mais celui-ci en fut définitivement privé par une bulle du pape Jean XXIII, du 10 novembre 1412, laquelle confirma les droits du grand-aumônier, lui soumettant entièrement cet hôpital, quant au spirituel, et s'il n'étoit pas prêtre, au premier chapelain du roi; réglement qui s'est toujours observé depuis, jusqu'au moment de la révolution.
L'hôpital et l'église avoient été bâtis par Eudes de Montreuil, et n'offroient rien de remarquable dans leur construction. Mais diverses donations faites, à différentes époques, à cette congrégation, lui avoient fourni les moyens d'acquérir successivement une grande partie des terrains dont son enclos étoit environné. L'économie qui régnoit dans son administration permit ensuite d'élever sur ces terrains des bâtiments immenses, dont le revenu assez considérable étoit d'autant plus sûr, que ces maisons étoient habitées par des marchands et des ouvriers qui vendoient et travailloient sous le privilége de la franchise, dont cette maison jouissoit depuis son premier établissement[464].
Le nombre des aveugles étoit si considérable à Paris dans le quatorzième siècle, qu'il devint impossible (p. 909) de les admettre tous dans cet hôpital; les aveugles exclus formoient d'autres congrégations, dont plusieurs même avoient une origine plus ancienne que celle-ci. Pour éviter la confusion qui pouvoit en résulter, Philippe-le-Bel fit, en 1309, un réglement, par lequel il fut ordonné que les Quinze-Vingts fondés par saint Louis porteroient une fleur de lis sur leur habit.
Cet hôpital, dès le commencement de son institution, se divisoit en aveugles et en voyants qui les conduisoient. L'église avoit été érigée en paroisse pour tous ceux qui habitoient son enceinte; et le service divin y étoit fait par plusieurs ecclésiastiques, dont les uns chantoient l'office et les autres alloient quêter dans toutes les paroisses de la ville[465]. Dans les réglements concernant la police et la conduite de cette congrégation, les frères et sœurs étoient soumis à des pratiques religieuses qui entretenoient parmi eux l'ordre et la piété; et tous les dimanches on tenoit un chapitre où les frères avoient le droit d'assister et de prendre part aux délibérations.
On a vu par les vers de Rutebœuf qu'il y avoit, lors de la fondation, trois cents aveugles dans l'hôpital des Quinze-Vingts. Par les statuts qu'on dressa peu de temps après, le nombre en fut diminué. (p. 910) On décida qu'il n'y auroit que cent quarante frères aveugles, soixante frères voyants, chargés de les conduire et de diriger les affaires de la maison, enfin, quatre-vingt-dix-huit femmes tant aveugles que voyantes, ce qui, avec le maître et le portier, complétoit le nombre de trois cents. Ces trois cents personnes devoient être régnicoles, ou du moins avoir obtenu des lettres de naturalisation. Le grand-aumônier nommoit à ces places.
Les frères et sœurs pouvoient contracter entre eux des mariages; mais on y mettoit la condition qu'ils seroient faits entre aveugle et voyant. On n'y souffroit point d'alliance entre deux aveugles, ni entre deux personnes voyantes. Le maître seul et le portier étoient exempts de cette loi. Pour faire ces mariages, il falloit en demander la permission au chapitre, qui pouvoit la refuser. Si un frère vouloit épouser une personne du dehors, il étoit nécessaire qu'il obtînt le consentement du grand-aumônier. Ceux qui se marioient sans ces permissions étoient renvoyés.
On avoit réglé avec beaucoup de sagesse et d'équité tout ce qui étoit relatif à la succession de ceux qui laissoient des héritiers par survivance ou autrement. Quant aux membres de la congrégation qui n'étoient point mariés, leur succession appartenoit entièrement à l'hôpital; et ce profit casuel servoit en partie à acquitter les charges de (p. 911) la maison, qui étoient très-considérables: car on distribuoit régulièrement aux frères et sœurs du pain et de l'argent.
Outre ces distributions, les plus anciens jouissoient des maisons du cloître, qu'ils louoient à des particuliers, sans autre charge que de les entretenir de menues réparations; les autres alloient quêter dans les églises, permission qu'ils avoient obtenue de Louis XIV, par une ordonnance de l'année 1656.
Enfin, cet hôpital étoit si singulièrement favorisé, qu'il y avoit, dans son église, une confrérie royale sous le titre de la Sainte-Vierge, Saint-Sébastien et Saint-Roch. Elle avoit été instituée il y a plus de deux cents ans; et en 1720 le roi s'en déclara solennellement le chef et le protecteur. À son exemple, la reine, les princes, les seigneurs, et tout ce qu'il y avoit de plus considérable à la cour et à la ville, se firent inscrire dans cette confrérie.
La seule chose digne d'attention qu'offroit la petite église des Quinze-Vingts étoit une statue de saint Louis placée au-dessus du portail. L'exécution en étoit très-grossière; mais les antiquaires prétendoient, sur la foi d'une tradition que nous n'avons pu retrouver, qu'elle étoit très-ressemblante. Si cela est vrai, il faut regretter la perte de ce monument: car tout ce qui a rapport à ce roi, le modèle des grands et des bons rois, est (p. 912) précieux aux yeux de tout François qui aime son pays. Plusieurs degrés qu'il falloit descendre pour entrer dans cette église prouvoient que le terrain de Paris avoit été fort exhaussé, depuis quelques siècles, dans cette partie de la ville, comme l'état actuel de Notre-Dame, au niveau du Parvis, prouve l'exhaussement de celui de la Cité.
Le chemin ou rue qui se trouvoit au-delà de la porte Saint-Honoré, lorsque la ville étoit renfermée dans l'enceinte de Philippe-Auguste, s'appeloit chaussée Saint-Honoré; mais après la mort du saint roi qui avoit fondé cet hospice, cette rue et le chemin qui la continuoit, prirent insensiblement le nom de grand'rue Saint Louis.
De l'hôpital des Quinze-Vingts dépendoit une chapelle sous le titre de Saint-Nicaise. Elle fut abandonnée vers le milieu du siècle dernier[466].
Cette place est située vis-à-vis le palais des Tuileries. C'étoit, dans le principe, un terrain vague qui s'étendoit depuis les murs jusqu'à ce palais. (p. 913) Il faut se rappeler qu'alors la clôture de la ville se prolongeoit le long de la rue Saint-Nicaise jusqu'à la rivière, et que par conséquent les Tuileries étoient hors de Paris.
Sur cette place vide, on avoit d'abord tracé une enceinte, qui fut destinée, en 1600, à faire un jardin. Au commencement du règne de Louis XIV, ce jardin, qui existoit encore, étoit appelé jardin de Mademoiselle, parce que cette princesse habitoit à cette époque le palais des Tuileries. Le roi ayant ordonné qu'on achevât ce monument, le jardin fut détruit; et ce fut sur son emplacement qu'il donna, les 5 et 6 juin 1662, le spectacle de ce carrousel fameux qui surpassa en magnificence toutes les fêtes publiques qu'on avoit données jusqu'alors. Depuis, cette place, qui contenoit non-seulement l'espace qui lui restoit encore en 1789, mais encore les cours du château et la partie de la rue Saint-Nicaise qui étoit de ce côté[467], retint le nom de place du Carrousel, et le donna ensuite à la rue que formèrent les maisons bâties dans la suite sur l'emplacement des fossés.
Les carrousels, introduits en France sous le règne de Henri IV, et abandonnés depuis celui (p. 914) de Louis XIV, remplaçoient les tournois dangereux de l'ancienne chevalerie, et en étoient une agréable image. On s'y formoit en quadrilles, ou troupes de combattants qui se distinguoient les unes des autres par la forme des habits et la diversité des couleurs, qui souvent même prenoient chacune le nom de quelque peuple fameux. On y voyoit, comme dans les tournois, des hérauts, des pages, des parrains, des juges, etc. Les quadrilles, en entrant dans la carrière, en faisoient d'abord le tour dans un ordre régulier et pour se faire voir aux spectateurs; ensuite commençoient les différentes espèces de combats. Ils consistoient à rompre la lance les uns contre les autres ou contre la quintaine[468]; on couroit la bague; on combattoit à cheval, l'épée à la main; enfin, on faisoit la foule, c'est-à-dire que les combattants se poursuivoient sans interruption dans l'arène et cherchoient à se devancer.
Ce palais a été ainsi nommé parce qu'il est situé sur un terrain où l'on avoit anciennement établi des tuileries. Il paroît par plusieurs monuments que la tuile qu'on employoit à Paris ne se faisoit dans le principe qu'au bourg Saint-Germain-des-Prés[469]. Par la suite on éleva des fabriques de ce genre de l'autre côté de la Seine, dans un endroit que les anciens titres désignent sous le nom de la Sablonnière[470]. Il y en avoit déjà trois en 1372; depuis elles s'y multiplièrent considérablement[471].
Au quatorzième siècle, Pierre Desessarts et sa femme occupoient, près des Quinze-Vingts[472], une maison appelée l'hôtel des Tuileries, qu'ils (p. 916) donnèrent à cet hôpital, avec quarante-deux arpents de terres labourables qui dépendoient de cette maison. Long-temps après, et vers le commencement du seizième siècle, Nicolas de Neuville de Villeroy, secrétaire des finances et audiencier de France, possédoit au même endroit, mais plus près de la rivière, une grande maison avec des cours et jardins clos de murs. Il arriva que la duchesse d'Angoulême, mère de François Ier, alors régnant, se trouvant incommodée au palais des Tournelles, et voulant changer d'air et d'habitation, jeta les yeux sur la maison de M. de Neuville, laquelle étoit commode et agréablement située. Elle y recouvra la santé, ce qui engagea le roi à en faire l'acquisition. Le propriétaire reçut en échange le château de Chanteloup, près Arpajon. Le contrat est du 15 février 1518[473].
Six ans après, la duchesse d'Angoulême, alors régente, donna cette maison à Jean Tiercelin, maître-d'hôtel du Dauphin, et à Julie du Trot, en considération de leur mariage, et pour en jouir leur vie durant. Les lettres qui constatent cette donation furent enregistrées à la chambre des comptes, le 23 septembre 1527.
Telles sont les traditions qui nous sont restées (p. 917) sur l'état primitif des lieux occupés maintenant par le château et le jardin des Tuileries.
Charles IX, par son édit du 28 janvier 1564, ayant ordonné la démolition du palais des Tournelles, Catherine de Médicis résolut aussitôt d'en faire bâtir un autre plus vaste et plus magnifique. La maison des Tuileries, dont la position étoit si belle, lui parut propre à ce dessein: elle acheta en conséquence les bâtiments et les terres voisines, et fit commencer en même temps le palais et les jardins. On en jeta les fondements dès le mois de mai de la même année, et l'on environna les jardins d'un mur, à l'extrémité duquel furent commencées les nouvelles fortifications de la ville et construit le bastion dont nous avons déjà parlé[474]. On travailloit avec une grande ardeur à ce palais. Il étoit déjà composé du gros pavillon du milieu, des deux corps-de-logis qui l'accompagnent et des deux pavillons qui viennent immédiatement après, lorsque Catherine, saisie d'une crainte superstitieuse, fit cesser tout à coup les travaux. Un astrologue avoit prédit à cette princesse qu'elle mourroit auprès de Saint-Germain. «Aussitôt, dit Saint-Foix, on la vit fuir avec soin tous les lieux et toutes les églises qui portoient ce nom; elle n'alla plus à Saint-Germain-en-Laye; (p. 918) et même, à cause que son palais des Tuileries se trouvoit sur la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, elle en fit bâtir un autre (l'hôtel de Soissons) près de Saint-Eustache. Les gens infatués de l'astrologie prétendirent que la prédiction avoit été accomplie, lorsqu'on apprit que c'étoit Laurent de Saint-Germain, évêque de Nazareth, qui l'avoit assistée à la mort.»
Philippe Delorme et Jean Bullant, les plus célèbres architectes de leur siècle, avoient été chargés par la reine de la construction du palais des Tuileries. On ne sait pas au juste quelle part eut chacun d'eux dans les premiers travaux de cette grande entreprise. Les changements qui y furent opérés depuis laissent la critique indécise sur ce qui doit appartenir en propre à Bullant. Quant à Philibert Delorme, on reconnoît encore son goût dans plus d'une ordonnance, et on lui fait assez communément l'honneur de la construction primitive de ce palais[475].
Les bâtiments commencés et abandonnés par Catherine de Médicis furent repris et continués sous Henri IV. Ils furent enfin achevés sous le règne de Louis XIII, sur les dessins de Ducerceau, (p. 919) qui ne manqua point, suivant l'usage adopté par la plupart des architectes, de changer l'ordonnance et la décoration de ceux qui l'avoient précédé. On attribue à ce dernier les deux corps de bâtiments d'ordonnance corinthienne ou composite qui suivent les deux pavillons déjà construits sous Catherine, et celle des deux pavillons d'angle qui terminent de chaque côté cette ligne de bâtiments.
Ce court historique suffit déjà pour expliquer cette multiplicité extraordinaire de parties et d'ordonnances diverses, dont se trouve composée, tant sur la face du jardin que sur celle de la cour du Carrousel, la masse totale du palais des Tuileries. On y compte en effet cinq espèces de dispositions et de décorations, cinq sortes de combles différents, et comme cinq pavillons divers réunis l'un à l'autre, sans presque aucun rapport extérieur entre eux de distribution, de style et de conception.
Le goût de ce temps étoit encore de diviser les édifices en pavillons, en tours, en ailes flanquées de massifs plus élevés, et écrasés par d'énormes toitures. Ces toits démesurés avoient été jadis le luxe des châteaux forts et des monuments de la féodalité; et le type s'en est conservé dans tous les palais élevés pendant le siècle qui vit renaître en France la bonne architecture. On le retrouve au Luxembourg, aux Tuileries, et il existoit encore (p. 920) au Louvre, avant les dernières restaurations. Il faut avouer que ce genre de composition offroit une espèce de contradiction avec ce mélange qu'on y faisoit des ordres grecs, et n'étoit guère propre à produire cette belle régularité qu'ils exigent, et qui seule peut en développer toute la beauté. Quel aspect imposant n'eût pas offert la façade des Tuileries sur une ligne de cent soixante-deux toises, si elle eût pu être soumise à l'unité d'une grande conception! Mais les grandes conceptions en architecture sont rares chez les nations modernes, et particulièrement en France. Nous l'avons déjà dit, les plus vastes ouvrages de cet art y ont été ordinairement le résultat d'entreprises avortées, de projets enfantés séparément, et qu'une circonstance heureuse ramène après coup, autant qu'il est possible, à une intention générale. C'est ce qui est arrivé au Louvre et aux Toileries.
Louis XIV, choqué des disparates qu'offroit ce dernier palais, voulut mettre de l'ensemble dans ses parties; et Levau fut chargé de ce raccordement.
Cet architecte commença par supprimer l'escalier bâti par Philibert Delorme, chef-d'œuvre de construction et de disconvenance, lequel occupoit la place du vestibule actuel. Il changea la forme et la disposition du corps élevé du pavillon du milieu, qui, dans le principe, était une coupole (p. 921) circulaire[476]. La restauration ne conserva de l'ancienne ordonnance que le premier ordre à tambour de marbre. Deux ordonnances, l'une corinthienne, l'autre composite, surmontées d'un fronton et d'un attique, remplacèrent la décoration de Delorme, et une sorte de dôme quadrangulaire prit la place de la coupole.
Les restaurateurs des Tuileries (car dans cet ouvrage on associe d'Orbay à Levau) conservèrent en leur entier, du côté du jardin, les deux galeries collatérales du pavillon du milieu avec les terrasses qui les surmontent. Mais ils jugèrent convenable de changer la devanture du corps de bâtiment qui s'élève en retraite des terrasses. Cette partie étoit la moins heureuse de la façade de Delorme. Aux mansardes et aux cartels qui s'y suivoient alternativement, ils substituèrent le rang de croisées et de trumeaux ornés de gaînes que l'on y voit encore aujourd'hui, avec un attique.
Les pavillons qui suivent de chaque côté ces deux galeries, et qui sont à deux ordres de colonnes, ont été conservés en leur entier. On est (p. 922) assez porté à en attribuer l'architecture à J. Bullant, dont le goût étoit en général plus pur que celui de Delorme. On reconnoît en effet dans la disposition du stylobate inférieur, dans la grâce et l'heureuse proportion de l'ordre ionique, des rapports frappants avec l'architecture du château d'Écouen. Ces pavillons ne subirent, dans leur forme, d'autre changement que celui de l'attique actuel substitué aux mansardes; et leur décoration resta aussi la même, à l'exception de la sculpture qui orne le fût des colonnes. Elle fut sans doute imaginée par l'architecte restaurateur; car les dessins de la façade primitive nous font voir ces colonnes lisses dans toute leur hauteur.
Ici commençoient les constructions de Ducerceau; et les deux corps de bâtimens à pilastres corinthiens qui, de chaque côté, suivent immédiatement les pavillons qu'on vient de décrire, sont de son invention. C'est donc lui seul que l'on doit accuser de la dissonance qui frappe dans cette association d'un ordre colossal placé à côté de deux ordres délicats et légers. Ici, le passage devient brusque; les lignes principales manquent de rapports harmonieux; et les restaurateurs n'auroient pu réparer ce défaut que par une reconstruction totale. Il paroît que ce moyen extrême leur fut interdit. Ils se contentèrent donc de supprimer des lanternes d'escaliers pratiquées en dehors de ces façades, à la manière des édifices gothiques. (p. 923) Ils en conservèrent l'ordonnance, y supprimèrent des ressauts dans l'entablement des frontons qui anticipoient sur la frise, et les mansardes du comble.
Les deux grands pavillons d'angle furent à peine touchés dans cette restauration. Il paroît qu'on se contenta d'en élaguer quelques légers détails.
Il reste donc dans cette façade beaucoup de disparates, tant dans l'ensemble que dans les diverses parties; et les auteurs de la restauration furent jugés avec beaucoup de sévérité pour ne les avoir pas fait disparoître: mais les architectes peuvent-ils être responsables de toutes les conditions qu'on leur impose, de toutes les sujétions auxquelles on les soumet? Or il paroît que la condition exigée par-dessus tout de Levau et de d'Orbay avoit été de conserver le plus possible des anciennes constructions et de leurs ordonnances.
Les moyens qui leur étoient confiés se trouvant ainsi limités, il seroit injuste d'apporter, dans l'examen de leurs travaux, la censure absolue qu'on pourroit exercer sur des architectes maîtres de leurs plans et entièrement libres dans l'exécution. On voit qu'ils visèrent d'abord à ramener, autant qu'il étoit possible, toutes les masses discordantes de ces bâtiments à une ligne d'entablement à peu près uniforme, moyen assez efficace de redonner une apparence d'unité à des (p. 924) parties détachées et incohérentes. Ils y parvinrent encore en assujettissant les croisées et les trumeaux, les pleins et les vides de toute la façade, à une disposition régulière.
Dans toute cette restauration, la partie du milieu est sans contredit la plus heureuse. Il y règne un accord de lignes bien entendu; et la variété des masses, des retraites et des saillies qu'on y remarque, semble moins être l'effet d'un raccordement fait après coup que du plan original d'un seul architecte[477].
Ce que nous venons de dire de la façade du côté du jardin s'applique au caractère et au style de la façade de la cour, dont toutes les parties, à quelques différences près, sont correspondantes à celles de la première. Le pavillon du milieu, considéré des deux côtés, est le morceau le plus riche de toutes ces constructions. Ce qu'on y a laissé subsister de Philibert Delorme, c'est-à-dire l'ordonnance des colonnes à bandes de marbre, seroit ce qu'il est possible de faire de plus riche en architecture, si le goût pouvoit, dans cet art, admettre les superfluités au nombre des richesses. Pour que ce luxe fût partout le même, on a employé dans les ordonnances supérieures des colonnes de marbre; genre de magnificence qu'il (p. 925) est rare de rencontrer en France sur les parties extérieures des monuments[478].
La décoration intérieure et les divisions des appartements de ce palais avoient éprouvé peu de changements depuis Louis XIV. Presque toutes les peintures de plafond et d'ornement exécutées par les peintres de son temps, y existoient encore en 1789. Nous allons en donner la description, en évitant toutefois les détails fastidieux où sont tombés divers historiens: car nous l'avons déjà dit, nous regardons cette partie comme la moins intéressante de notre travail, lorsqu'il n'est question que d'ouvrages qui ne s'élèvent pas au-dessus de la médiocrité; et malheureusement le plus grand nombre des productions des arts faites en France pour la décoration des monuments publics, doit être rangé dans cette classe.
DISTRIBUTION INTÉRIEURE ET CURIOSITÉS DU PALAIS DES TUILERIES.
On entroit alors, comme aujourd'hui, dans les appartements de ce château par un grand vestibule pratiqué dans le pavillon du milieu, et dont le plafond, un peu bas, est soutenu d'arcades formées par des colonnes ioniques. À droite de ce vestibule est placé un grand et bel escalier, dont la rampe de pierre étoit enrichie de lyres entrelacées de serpents et autres ornements allégoriques à la devise de Louis XIV et aux armes de Colbert, (p. 926) qui en ordonna la construction. Au premier palier se trouvoit la porte de la chapelle. Cette chapelle étoit extrêmement simple, n'ayant point été achevée, et n'offroit de remarquable que quelques bons tableaux: un Christ de Le Brun, un saint François du Guide, un saint Jean-Baptiste d'Annibal Carrache, deux tableaux de Lanfranc, la nativité et le couronnement de la Vierge; enfin une copie de la nativité du Corrége. Derrière l'autel étoit la sacristie; au-dessus, la tribune des musiciens; en face, celle du roi.
Au palier de la chapelle, l'escalier, partagé en deux parties, conduisoit du côté opposé à la salle dite alors des Cent-Suisses, et de là aux appartements disposés en enfilade.
La salle des Cent-Suisses, située au-dessus du vestibule, occupoit toute la hauteur du pavillon, et a servi long-temps pour le concert spirituel.
On entroit ensuite dans la salle des gardes, décorée de peintures par Nicolas Loir. Il y avoit représenté Diane surprenant Endymion, des trophées d'armes et des bas-reliefs en grisaille, en bronze, en or; le plafond offroit un ciel ouvert, et une allégorie relative aux récompenses destinées par le prince aux gens de guerre. Cette pièce occupoit de chaque côté l'espace de six croisées.
L'antichambre du roi, qui la suivoit, avoit été peinte en grande partie par le même artiste. Il l'avoit également remplie de sujets mythologiques et allégoriques. On y voyoit le soleil sur son char, accompagné des Heures; les Saisons, la Renommée, l'Aurore amoureuse de Céphale; la métamorphose de Clitie; la statue de Memnon animée par le Soleil; Apollon se délassant de ses travaux chez Thétis; les quatre parties du jour, etc. Un grand tableau placé sur la cheminée, et peint par Mignard, représentoit Louis XIV à cheval, couronné par Minerve.
La grande chambre du roi offroit des ornements en stuc sculptés par Lerambert, et des figures de Girardon. Le plafond, représentant la Religion et des trophées symboliques, tels que l'Oriflamme, la sainte ampoule, l'épée, le casque, les fleurs de lis, étoit de Bertholet Flaméel. Les grotesques et les lambris avoient été peints par les deux Lemoine.
De cette pièce on entroit dans le grand cabinet, dont le plafond, richement sculpté et doré, étoit orné de figures en stuc, mais sans peintures; les chambranles et les lambris étoient également (p. 927) chargés d'ornements. C'est dans ce cabinet que fut tenu le conseil de régence pendant la minorité de Louis XV.
Sur la droite de cette pièce, on trouvoit la chambre à coucher du roi et son cabinet, enrichis, sur les plafonds et les lambris, de peintures par Noël Coypel. Ces peintures représentoient divers sujets de la fable. Sur les lambris, Francisque Millet, excellent paysagiste flamand, avoit aussi exécuté plusieurs sujets.
On revenoit ensuite dans le cabinet du roi, pour entrer dans la galerie des Ambassadeurs. Le plafond de cette pièce, distribué en plusieurs compartiments, représentoit l'histoire de Psyché, copiée d'après la galerie Farnèse d'Annibal Carrache, par Pierre Mignard et plusieurs autres peintres habiles.
Cette pièce, ainsi nommée parce que Louis XIV y donnoit ses audiences publiques aux ministres étrangers, avoit cent vingt-six pieds de longueur sur vingt-six de largeur. Elle étoit éclairée par six croisées donnant sur la cour. Le trône, placé dans le fond, s'élevoit sur six degrés, qui subsistoient encore en 1789[479].
À l'extrémité de cette galerie, sur la droite, étoit un escalier par lequel on communiquoit à l'appartement qu'avoit occupé la reine Marie-Thérèse d'Autriche.
Cet appartement, dont les vues donnoient sur le jardin, se composoit de six pièces, adossées à la galerie des ambassadeurs: ces diverses pièces étoient richement décorées de sculptures, de dorures, de tableaux, qui cependant n'offroient rien de remarquable sous le rapport de l'art. C'étoit ce même appartement qu'habitoit la malheureuse épouse de Louis XVI.
Les pièces du rez-de-chaussée, situées au-dessous de celles que nous venons de décrire, formoient l'appartement de Louis XIV. Les peintures en étoient de Mignard: ce peintre, faisant allusion à la devise de ce prince, laquelle représentoit un soleil, y avoit tracé toutes les aventures mythologiques du dieu de la lumière; Francisque Millet l'avoit secondé dans cette flatterie ingénieuse, en peignant sur les dessus de porte le lever et le coucher du soleil.
(p. 928) Dans un autre appartement, qui étoit de plain-pied avec celui-ci, on voyoit des peintures de Philippe de Champagne et de Jean-Baptiste de Champagne son neveu. Ils y avoient représenté toute l'éducation d'Achille[480].
De l'autre côté de ce palais, et derrière la chapelle, étoit le grand théâtre appelé la salle des machines. Elle fut construite par ordre de Louis XIV, sur les dessins et sous la direction de Vigarani, gentilhomme italien. Cette salle, qui avoit cinquante et un pieds de largeur dans œuvre, non compris les corridors, sur cinquante-cinq de hauteur sous plafond, étoit distribuée en trois rangs de loges, et pouvoit contenir environ six mille spectateurs. Sa décoration consistoit en deux ordres, corinthien et composite, posés l'un sur l'autre, à bases et à chapiteaux dorés, et d'une belle exécution; le plafond, plus magnifique encore, étoit en compartiments composés de membres d'architecture, ornés de bas-reliefs sculptés et entremêlés de sujets coloriés peints par Noël Coypel, sur les dessins de Le Brun. Toute cette ordonnance, dont la richesse étoit poussée peut-être jusqu'à la prodigalité, dut présenter, dans (p. 929) son origine, le coup d'œil le plus éblouissant. Toutefois, cette salle, si vaste et si magnifique, offroit dans son immensité même des inconvénients qui contribuèrent à la faire abandonner, lorsque le temps lui eut ôté cet éclat qui d'abord avoit séduit les yeux: la voix des acteurs s'y perdoit, et pouvoit à peine s'y faire entendre. On cessa donc d'y jouer des pièces de théâtre; et ce fut alors que le chevalier Servandoni, peintre, architecte, décorateur, et supérieur dans toutes ces parties de l'art, obtint de Louis XV la permission d'y faire représenter des spectacles de simples décorations, qu'il avoit imaginés pour former des élèves en ce genre. On n'a point encore perdu la mémoire de l'effet que produisirent ces tableaux vraiment merveilleux, où la mécanique et la peinture sembloient réaliser tous les prestiges de la féerie.
Lors du premier incendie qui consuma, en 1763, la salle de l'Opéra, le roi permit à l'Académie de musique de disposer de la salle des machines. L'emplacement seul du théâtre[481] suffit alors pour former une salle provisoire dans laquelle on joua l'opéra (p. 930) pendant près de six années; en 1770, lorsque l'Académie de musique la quitta, les comédiens François obtinrent la permission de s'y installer, et y donnèrent des représentations jusqu'en 1783, époque de l'ouverture de leur nouvelle salle au faubourg Saint-Germain.
Cette salle des machines, toujours réduite à la seule étendue du théâtre, a depuis servi au concert spirituel établi en 1725. Avant cette époque, il se donnoit, comme nous l'avons dit, dans la salle des Cent-Suisses[482].
La chapelle et la salle des machines occupoient tous les pavillons et corps-de-logis depuis le dôme jusqu'au pavillon d'angle qui, de ce côté, termine le palais. Ce pavillon servoit de logement au grand écuyer, avant qu'on lui eût fait bâtir un hôtel à peu de distance des Tuileries. On y voyoit attachées les premières constructions d'une galerie qui devoit être parallèle à celle qui règne du côté de la rivière[483], et dans les mêmes proportions.
(p. 931) La grande écurie étoit aussi de ce côté, entre le pavillon où logeoit le grand écuyer, et la rue Saint-Honoré: c'étoit un vieux bâtiment qui n'avoit rien de remarquable. Au-dessus de la porte principale on voyoit une figure de cheval, très-mutilée, de Paul Pons, célèbre sculpteur florentin.
Entre les deux galeries est la grande cour des Tuileries, partagée autrefois en trois divisions, que l'on distinguoit entre elles par les noms de cour Royale, cour des Princes, et cour des Suisses.
Les changements, les augmentations, les embellissements opérés dans ce palais sont à peu près tout ce que son histoire offre d'intéressant. Jusqu'à l'époque de la révolution, il ne fut le théâtre d'aucun événement remarquable.
Presque tous les historiens de Paris ont écrit que cette galerie avoit été commencée par ordre de Henri IV, du côté du pavillon d'angle des (p. 932) Tuileries. Étienne du Pérac en fut, disent-ils, le premier architecte, et la conduisit jusqu'au premier guichet; de là elle fut continuée sous Louis XIII par Clément Métezeau jusqu'au Louvre, où elle va se rattacher à la galerie d'Apollon.
Sauval est à peu près le seul qui soit d'un avis contraire; et, par une singularité assez remarquable, cet écrivain, dont les successeurs ont si souvent relevé les erreurs, n'a point été suivi par eux dans une circonstance où il avance une opinion tellement incontestable, qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour en reconnoître la vérité. «La galerie des Tuileries, dit-il, est un ouvrage que Henri IV poussa tout le long de la rivière jusqu'au palais des Tuileries[484], qui faisoit partie alors du faubourg Saint-Honoré, afin, par ce moyen, d'être dehors et dedans la ville quand il lui plairoit, et ne pas se voir enfermé dans les murailles où l'honneur et la vie de Henri III avoient presque dépendu du caprice et de la frénésie d'une populace irritée.»
Il suffiroit, nous le répétons, de jeter les yeux sur le genre d'ornements dont la partie de cet édifice qui touche le Louvre est couverte, de considérer avec quelque attention ces frises chargées de sculptures, ces trophées si multipliés et si minutieusement (p. 933) finis, les bossages vermiculés dont les murailles du rez-de-chaussée sont revêtues, enfin les colonnes à bandes que présentent les avant-corps pour reconnoître à tous ces caractères un genre d'architecture qui ne se retrouve que dans les monuments élevés sous Henri IV. Mais cette preuve n'est pas la seule que l'on puisse donner: on sait, et les titres les plus authentiques en font foi, que ce prince, protecteur des lettres et des arts, autant que le permettoit l'époque malheureuse à laquelle il régnoit, avoit destiné les appartements du rez-de-chaussée de cette galerie au logement des artistes les plus distingués de son temps[485]. Or, si l'on considère la construction et la distribution de la galerie, il sera (p. 934) facile de se convaincre qu'on n'a jamais pensé à établir des divisions propres à loger des particuliers ailleurs que dans cette partie qui avoisine le Louvre, et qu'elle est la seule qui soit disposée de manière à remplir le but que Henri IV s'étoit proposé.
Enfin il est une circonstance qui, selon nous, donne à cette opinion un degré d'évidence auquel il est impossible de résister: c'est que toute cette partie, surtout du côté intérieur, offre le chiffre de Henri IV, tellement multiplié, qu'on ne peut assez s'étonner qu'il ait échappé aux regards de tant de gens intéressés à tout examiner avec la plus grande attention; et que, s'ils l'ont aperçu, on s'étonne encore davantage qu'ils se soient obstinés, comme ils l'ont fait, à soutenir le sentiment contraire.
Blondel, qui a fait un traité très-savant sur l'architecture des monuments françois, a partagé cette erreur; et lorsqu'il arrive à la description de l'immense façade de cette galerie, il se plaint qu'on n'ait pas continué, dans toute sa longueur, (p. 935) l'ordonnance de l'aile commencée du côté des Tuileries, plutôt que d'affecter un autre genre d'architecture d'une proportion beaucoup plus petite, et tellement chargée de membres et d'ornements, qu'à peine les aperçoit-on du pied de l'édifice. Il critique d'ailleurs l'avant-corps, évidemment trop petit pour une étendue de bâtiment si considérable, sans compter qu'il se trouve accompagné de chaque côté d'une ordonnance d'architecture disparate: «Partout, dit-il, on voit que chaque architecte a préféré son opinion particulière à l'effet général, d'où il résulte que jamais il n'entre dans l'idée d'un étranger, qui considère l'aspect de cet édifice, qu'il a été élevé pour la même fin, ni que cette façade contienne dans son intérieur une seule et même pièce, et qu'on ait eu pour objet de réunir et de conserver le plain-pied du Louvre, au premier étage, avec celui des Tuileries.»
Examinant ensuite en elle-même l'aile qui s'étend du côté du Louvre, il fait, sur son architecture en général, des critiques extrêmement judicieuses. «Nous trouverons, continue-t-il, un ordre toscan au rez-de-chaussée, qui, considéré séparément, pourroit faire un soubassement convenable, mais qui fait d'autant moins bien ici, (p. 936) que non-seulement il surpasse d'un module[486] la hauteur de l'ordre de dessus, mais encore qu'il est chargé d'une quantité si prodigieuse d'ornements[487], que l'ordre corinthien devient pauvre et chétif. D'ailleurs, ce toscan que nous avons nommé soubassement, parce qu'il est au rez-de-chaussée, n'est-il pas ridiculement surmonté par un étage de proportion attique, dans l'ordonnance duquel on aperçoit un mélange de petites parties inconsidérément alliées avec des largeurs de trumeaux considérables, et le peu de hauteur de cet étage?»
Il observe ensuite que l'entablement d'ordre corinthien qui termine cette façade étant de la même hauteur que celui de l'ordre composite qui règne dans l'autre aile, c'étoit une nouvelle raison de continuer le même genre d'architecture dans toute la longueur de ce bâtiment. Enfin, toujours persuadé que Métezeau est l'auteur de cette dernière partie, il le blâme surtout d'avoir imité les frontons de l'autre aile; imitation d'autant plus monotone, qu'elle sert à faire apercevoir davantage la disparité de ces deux genres d'ordonnance.
(p. 937) Cette décoration de frontons alternativement circulaires et triangulaires, posés sur le devant d'un comble continu, et réitérée par une imitation bizarre sur toutes les croisées et sur toutes les niches de la façade, est sans contredit du plus mauvais goût; mais encore un coup, ce n'est pas sur cette partie que l'imitation a été faite, c'est sur l'autre. Clément Métezeau, qui est réellement l'auteur de cette portion de la galerie qui touche le palais des Tuileries, jugea à propos d'abandonner l'ordonnance des premiers architectes, parce qu'en se rapprochant du pavillon de Flore auquel cette galerie devoit se rattacher, elle eût offert une disparate trop choquante avec l'architecture de ce corps de bâtiment. Il jugea donc convenable, pour mettre ces deux constructions dans un rapport symétrique, d'employer pour la galerie l'ordonnance de pilastres, composites qui décore le pavillon. Ces pilastres sont accouplés, et leurs chapiteaux offrent une assez belle exécution; mais cet ordre, auquel l'architecte a donné trois pieds sept pouces de diamètre, afin qu'il pût répondre au point de distance d'où il doit être aperçu, n'a pas une saillie suffisante pour produire complétement l'effet qu'on en attendoit. Cette saillie, si nécessaire, auroit d'ailleurs augmenté celle de l'entablement, qui, au lieu d'être interrompu au retour dans chaque entre-pilastre, comme on le voit ici, auroit dû être continué d'un (p. 938) accouplement à l'autre. Mais, par une licence qu'on ne peut expliquer, et qu'on doit regarder comme la plus grande faute peut-être qu'il soit possible de commettre en architecture, Métezeau semble avoir pris plaisir à rendre la continuation de cette ligne impossible, en faisant monter les croisées jusqu'au-dessous des corniches. Si l'on ajoute à ces fautes grossières l'imitation des frontons qu'il faut également lui reprocher, de quelque côté qu'il ait commencé à construire, la dissemblance de l'avant-corps qui n'est pas même au milieu de l'aile, la dissonance des portes en plein cintre de cet avant-corps avec les autres ouvertures de cette élévation, il paroîtra plus blâmable encore que du Pérac, dont il étoit si facile d'éviter les défauts, et qui a sur lui l'avantage d'une exécution bien supérieure dans les détails de son architecture[488].
Cette galerie s'attache à un corps de bâtiment qui du côté du nord donne sur la place du Vieux-Louvre, et termine cette longue suite de constructions. Elles viennent ensuite se joindre en retour à la façade méridionale du Louvre, au moyen d'un petit corps-de-logis intermédiaire. C'étoit dans cette partie de ce dernier palais[489] qu'étoient (p. 939) les appartements de la reine, sur lesquels nous nous sommes réservé de donner ici quelques détails.
DISTRIBUTION INTÉRIEURE ET CURIOSITÉS DE L'APPARTEMENT DE LA REINE ET DE LA GALERIE DU LOUVRE.
Les appartements de la reine occupoient le rez-de-chaussée, communiquoient de plain-pied avec la grande salle du Louvre, dite autrefois des Cent-Suisses, et se prolongeoient dans le bâtiment en retour jusqu'à la façade du bord de l'eau.
Le salon des bains, décoré de belles peintures de Diego Velasquez, étoit la première pièce remarquable du côté du Louvre. Ces peintures représentoient une suite de portraits des personnes les plus illustres de la maison d'Autriche, depuis Philippe Ier, père de Charles-Quint, jusqu'à Philippe IV, roi d'Espagne.
Dans les pièces en retour, la première, qui servoit de vestibule, étoit enrichie d'un plafond peint par Francisco Romanelli; on passoit ensuite dans une antichambre décorée de peintures et de figures en stuc; de là, dans la chambre de la reine, où l'on remarquoit des statues de la main de Girardon; enfin dans le cabinet sur l'eau, où l'on retrouvoit encore de très-belles fresques de Romanelli.
Après ce cabinet, on entroit par un dernier salon dans une vaste pièce où étoient conservées autrefois les statues antiques qui depuis ont orné la galerie de Versailles. Elle en avoit retenu le nom de Salle des Antiques.
Au-dessus de cet appartement, dont les distributions intérieures ont été entièrement changées depuis la révolution[490], est la Galerie d'Apollon, ainsi nommée parce que Le Brun[491] a représenté (p. 940) sur son plafond toute l'histoire de ce dieu, et le triomphe de Neptune et Thétis. Ces peintures sont mises au nombre des plus belles qui soient sorties de la main de ce peintre. On cite surtout ce dernier morceau, qui est peint à l'extrémité du plafond, du côté de l'eau. La plupart des sculptures étoient de Girardon. C'étoit dans cette galerie qu'étoient placés les fameux tableaux de Le Brun, connus sous le nom de batailles d'Alexandre[492].
Le salon d'exposition des tableaux[493] et la grande galerie sont de plain-pied avec la galerie d'Apollon. La destination du salon n'a point changé; mais on a réalisé le projet qui avoit déjà été conçu quelques années avant la révolution, de réunir dans la grande galerie tous les chefs-d'œuvres des peintres morts de toutes les écoles, qui formoient le cabinet du roi[494]. Elle servoit auparavant de dépôt à une collection précieuse de plans en relief de toutes les places et forteresses de France, et de ses villes les plus considérables. Ces plans, qui furent transportés aux Invalides vers la fin du dernier siècle, avoient été exécutés par les plus habiles ingénieurs du royaume.
L'immense rez-de-chaussée qui règne sous cette galerie depuis le Louvre jusqu'à l'avant-dernier guichet, contenoit le cabinet des dessins du roi, l'imprimerie royale[495], la monnoie des médailles[496] (p. 941) et plusieurs appartements occupés par les artistes les plus distingués. L'autre aile, jusqu'au palais des Tuileries, formoit une partie des écuries du roi, et dans cet espace se trouvoit le guichet dit de Marigny[497].
Enfin, pour ne rien oublier dans une description dont nous avons supprimé une foule de détails fastidieux, il faut faire connoître quelle étoit la destination de ce corps-de-logis qui lie la galerie au Louvre, et qui fait l'un des côtés de la place du vieux Louvre. On sait déjà que le rez-de-chaussée de ce bâtiment formoit une partie de l'appartement de la reine: les salles du premier étage furent accordées par le roi à l'académie de peinture, et l'on y conservoit un grand nombre de tableaux, statues, bas-reliefs, dessins et gravures des académiciens, depuis l'établissement de cette compagnie. Nous indiquerons, parmi ces productions des arts, quelques-unes des plus remarquables.
TABLEAUX.
Dans la galerie d'Apollon. Sur la porte, Louis XIV à cheval, par Mignard.
Dans les voussures du plafond, le triomphe de Bacchus, par Taraval; l'Été, par Durameau; le Printemps, par Callet; Castor ou l'Étoile du matin, par Restout.
La mort de la Vierge, par le Caravage.
Une descente de croix, par Le Brun.
Un saint Michel et la Nativité, par le même; un portrait en pied de Louis XIV, par Rigaud.
Dans les salles de l'académie de peinture, des Ruines, par Servandoni.
(p. 942) Une descente de croix, par Jouvenet.
La présentation au temple, par Vouet.
Le portrait du pape Benoît XIV, par Subleyras.
Les portraits d'un grand nombre d'académiciens, peints par eux-mêmes.
Plusieurs tableaux de nature morte, etc., par Chardin.
SCULPTURES.
Dans la galerie d'Apollon: les bustes de Carle Maratte et d'André del Sarte. Des plâtres moulés d'après l'antique, des tableaux et sculptures, morceaux de réception de divers académiciens, etc.
Dans les salles de l'Académie, les bustes en marbre de Louis XIV, Louis XV, Mazarin, Louvois; ceux de Villacerf, du président de Lamoignon, du chancelier Séguier, du duc d'Antin; de Mansard, Le Brun, Mignard, Raphaël, Michel-Ange, Piètre de Cortonne, Annibal Carrache, le Bernin, André Sacchi; des copies et plâtres moulés des plus belles statues antiques; les morceaux de réception du plus grand nombre des sculpteurs académiciens, etc.[498]
Avant que la galerie du Louvre fût élevée, les murs de la ville, qui suivoient alors l'alignement de la rue Saint-Nicaise, venoient se terminer au bord de la rivière par une porte qu'on nommoit Porte-Neuve, et qui subsista encore long-temps après que la galerie eut été bâtie[499]. Cette porte, qui ne fut abattue que sous Louis XIII, étoit située (p. 943) un peu au-dessus du premier guichet; et auprès étoit l'hôtel du prévôt. Voici ce qu'on lit dans les mémoires écrits du temps des guerres civiles[500]: «Henri III, dit l'Étoile, voyant le peuple continuer dans sa furie, averti d'ailleurs que les prédicateurs qui marchoient en tête, et ne tenoient d'autre langage, sinon qu'il falloit aller prendre frère Henri de Valois dans son Louvre, avoient fait armer sept à huit cents écoliers et trois ou quatre cents moines; et ceux, qui étoient auprès de ce prince ayant, sur les cinq heures du soir, reçu avis par un de ses bons serviteurs, qui, déguisé, se coula dans le Louvre, qu'il eût à en sortir plutôt tout seul, sinon qu'il étoit perdu, sortit du Louvre à pied, tenant une baguette à la main, suivant sa coutume, comme s'allant promener aux Tuileries. Il n'étoit pas encore sorti la porte (la porte Neuve) qu'un bourgeois l'avertit en diligence que le duc de Guise, avec douze cents hommes, l'alloit venir prendre. Étant arrivé aux Tuileries, où étoit son écurie, il monta à cheval avec ceux de sa suite qui eurent moyen d'y monter; Duhalde le botta, et lui mettant son éperon à l'envers: «C'est tout un, dit ce prince, je ne vais pas voir ma maîtresse. Étant à cheval, il se tourna vers la ville, et jura de n'y rentrer que par la brèche.»
(p. 944) «Entre les cinq et six heures du soir, dit Cayet[501], Henri III sortit de Paris par la porte Neuve; ceux qui étoient avec lui le suivirent, aucuns desquels étoient bien étonnés: car tel conseiller d'état l'étoit allé trouver au Louvre avec sa robe longue, qui, sans bottes, montoit pour le suivre sur le premier cheval de l'écurie; et ainsi que ce prince sortoit par la porte Neuve, quarante arquebusiers qu'on avoit mis à la porte de Nesle[502] tirèrent vivement sur lui et sur ceux de sa suite.»
L'art des jardins fut dans une continuelle enfance parmi nous jusqu'au règne de Louis XIV. Dans la description que nous avons déjà donnée de quelques-uns des enclos que nos rois avoient dans la ville ou dans ses environs, on a pu voir que tout y étoit sacrifié à une culture utile et grossière, (p. 945) sans qu'on eût jamais songé à profiter des richesses qu'offre la nature pour y répandre de la grâce et de la majesté. Cette culture même, dans laquelle on n'avoit d'autre but que de se procurer des fruits et des légumes, n'avoit fait presque aucun progrès pendant une si longue suite de siècles; et la même époque qui porta en France l'art des jardins à un degré de grandeur et de magnificence qui depuis n'a point été surpassé, apprit en même temps aux cultivateurs les moyens ingénieux par lesquels on peut augmenter la saveur et la beauté de ces précieux végétaux. Deux hommes firent chez nous cette grande révolution, La Quintinie et Le Nôtre. Le premier, s'attachant principalement à ce que le jardinage a d'utile, donna sur la taille et la transplantation des arbres, sur la culture des fruits et des légumes, des préceptes fondés sur l'observation, et qui seront éternellement les règles fondamentales de cet art. Le Nôtre, doué d'un génie plus élevé et d'un goût exquis, s'occupa des jardins sous le rapport de la décoration; et l'on vit éclore sous sa main, comme par enchantement, mille compositions admirables qui transformèrent en lieux de délices une foule de sites champêtres, jusque là tristes et négligés; qui jetèrent surtout un grand éclat sur les maisons royales, en joignant à la magnificence des arts dont elles étoient décorées les beautés de la nature encore plus nobles et plus majestueuses.
(p. 946) Le jardin des Tuileries, qui passe pour le chef-d'œuvre de cet homme célèbre, étoit, dans son origine, mal distribué, dépourvu de tout agrément, et beaucoup moins étendu qu'il ne l'est aujourd'hui. Il ne tenoit pas même alors au château, dont il étoit séparé par une rue qui, régnant le long de la façade, aboutissoit presqu'à la porte d'entrée actuelle, près le pont Royal. À son autre extrémité s'étendoit une place vague depuis les murs de la ville[503] jusqu'à ceux du jardin. Ainsi resserré, cet espace contenoit cependant un étang, un bois, une volière, une orangerie, des allées, des parterres, un théâtre et un labyrinthe. La volière consistoit en plusieurs bâtiments, et étoit située vers le milieu du quai actuel des Tuileries[504]. On trouvoit l'Écho au bout de la grande allée, c'est-à-dire au bout du jardin. La muraille qui l'entouroit avoit deux toises de hauteur, et vingt-quatre pieds de diamètre. Sa forme étoit celle d'un demi-cercle, et elle étoit cachée par des palissades. À peu de distance de cet écho, du côté de la porte Saint-Honoré, on avoit placé l'orangerie; et auprès s'élevoit une espèce de ménagerie où étoient renfermées des bêtes féroces. Un grand terrain ménagé dans le bastion qui tenoit à la (p. 947) porte de la Conférence servoit de garenne, et à l'extrémité de ce terrain, entre la porte et la volière, étoit un chenil que le roi donna à Renard[505], par brevet du 20 avril 1630, sous plusieurs conditions, dont la principale étoit qu'il défricheroit ce terrain, et qu'il le rempliroit de plantes et de fleurs rares. Telle étoit la composition du jardin des Tuileries avant Le Nôtre. Il servoit déjà de (p. 948) promenade publique; mais quoique Sauval vante beaucoup l'heureuse disposition du labyrinthe, signalé, dit-il, par les prouesses des amants, et qu'il s'extasie sur les merveilles de l'écho où ils se rendoient pour donner des concerts à leurs belles, cette description que nous en ont laissée les historiens du temps ne présente rien à l'imagination qui ne soit incohérent et désagréable.
Les deux projets d'achever le palais des Tuileries et d'en embellir le jardin furent conçus et exécutés en même temps. Le mur et les édifices qui en faisoient la séparation furent abattus; on démolit également un hôtel qu'occupoit mademoiselle de Guise, la volière et toutes les maisons qui s'étendoient du côté de la rivière jusqu'à la porte de la Conférence. Le jardin de Renard fut enfermé dans le nouvel enclos; et sur ce terrain ainsi disposé, qui contenoit alors soixante-sept arpents, Le Nôtre commença l'exécution du plan magnifique dont il avoit déjà tracé le dessin.
Ce jardin, planté régulièrement, est entouré de terrasses qui en marquent les limites sur trois de ses côtés, mais dont la disposition est telle qu'elles laissent à l'extrémité occidentale une ouverture en fer à cheval, au moyen de laquelle la vue s'étend sur la grande allée des Champs-Élysées jusqu'à la barrière de Chaillot. Le terrain de ce jardin, considéré dans sa largeur, qui est de cent quarante-sept toises, a une pente de cinq (p. 949) pieds quatre pouces; une telle inégalité[506], qui sembloit offrir un obstacle insurmontable à la symétrie du plan, fut masquée avec un art admirable par un talus imperceptible, et au moyen de deux terrasses latérales, qui non-seulement, contribuèrent à détruire cette irrégularité, mais ajoutèrent encore à l'élégance de cette grande composition.
Considérant ensuite la vaste étendue de la façade des Tuileries, Le Nôtre sentit qu'une aussi longue ligne de bâtiments avoit besoin d'une esplanade qui lui fût proportionnée et qui en développât complètement toutes les parties. Il conçut donc l'heureuse idée de ne commencer le couvert de ce jardin qu'à quatre-vingt-deux toises de la façade; et cette distance semble dans une proportion si parfaite avec le palais, qu'on n'imagine, dans tout cet espace, aucun autre point où cette masse d'arbres ne fût placée moins favorablement. Tout le sol de la partie découverte fut enrichi de parterres à compartiments, entremêlés de massifs de gazon, et dont les dessins nobles et élégants ont été conservés jusqu'à nos jours.
Ces parterres sont disposés de manière qu'on a pu y placer trois bassins circulaires, qui présentent une agréable variété. Au pied du palais est pratiquée (p. 950) une quatrième terrasse servant d'empatement[507] à l'édifice, et qui, avec les trois autres, paroît contenir le jardin entier dans une espèce de boulingrin.
En face des parterres, et dans l'alignement du milieu du grand avant-corps, est plantée une grande allée de marronniers, de cent-quarante toises de longueur, qui dans le principe n'avoit que quarante-huit pieds de largeur. Les contre-allées en avoient chacune trente-trois. Aux deux côtés de ces dernières étoient distribuées différentes pièces de verdure, telles que des boulingrins entourés d'arbres de haute tige, des bois plantés et disposés régulièrement, des bosquets, etc. Ces dispositions intérieures ont depuis éprouvé divers changements, et ne ressemblent plus à celles qui furent exécutées par Le Nôtre[508]; mais la masse entière du couvert est restée toujours la même, et conserve l'aspect majestueux, les belles proportions que lui a donnés ce grand décorateur. Admirable du côté des Tuileries, ce bois offre peut-être un coup d'œil encore plus ravissant dans la (p. 951) partie opposée. Le jardin s'y termine également par une grande partie découverte, au milieu de laquelle est placé un bassin de trente toises de diamètre, dont la forme octogone se trouvoit en un rapport symétrique avec les charmilles[509] et les parterres qui l'environnoient. En considérant du haut du fer à cheval l'ensemble de toutes ces parties, il règne une telle variété dans le dessin, dans la disposition des plans et des niveaux, dans l'architecture des terrasses, des palissades, etc.; le palais des Tuileries d'un côté, et la verdure des Champs-Élysées, de l'autre, y présentent des perspectives si agréables, qu'il est difficile que l'art et la nature réunis puissent jamais produire des effets plus riches et plus imposants[510].
La terrasse qui règne du côté de la rue Saint-Honoré étant beaucoup plus basse que celle du bord de l'eau, on avoit imaginé de former dans l'espace qui est au-dessous, et qui la sépare du couvert, de grands tapis de verdure entourés de plates-bandes de fleurs. Cette agréable variété ne nuisoit en rien à la symétrie, parce que la largeur du jardin est si considérable, que les petites parties dissemblables n'y peuvent être embrassées du même coup d'œil. Ces plates-bandes furent (p. 952) détruites en 1793, et la convention nationale décréta gravement qu'on y sèmeroit des pommes de terre pour la nourriture du peuple. Depuis elles n'ont point été rétablies.
Au milieu de tant de beautés, la critique la plus sévère ne trouvoit qu'un seul défaut extrêmement léger. La grande allée paroissoit trop étroite: on auroit désiré que les deux contre-allées y eussent été réunies, et qu'au lieu d'en faire une allée couverte, on l'eût taillée en palissade. Ouverte de cette manière, elle devoit offrir une percée plus étendue, et mettre le palais dans un rapport plus intime avec tous les monuments dont il est environné[511].
Au milieu du fer à cheval qui termine ce jardin, du côté des Champs-Élysées, on construisit en 1716 un pont tournant[512] d'un dessin très-ingénieux, et qui établissoit une communication directe des Tuileries avec la nouvelle place Louis XV. Ce pont étoit de l'invention de frère Nicolas Bourgeois, augustin, mécanicien habile, connu par plusieurs ouvrages remarquables, et principalement par le pont de bateaux de Rouen.
On entroit dans ce jardin par six portes que l'on (p. 953) a conservées au milieu des changements considérables qui se sont faits dans le terrain environnant[513]. Entre la rue Saint-Honoré et la terrasse du nord, dite des Feuillants, étoient deux manéges qui furent construits lorsque Louis XV, encore enfant, vint habiter le château des Tuileries[514].
Le bas peuple n'entroit autrefois dans ce jardin que le jour de la Saint-Louis.
STATUES ET AUTRES ORNEMENTS
DU JARDIN DES TUILERIES EN 1789.
SUR LA TERRASSE QUI BORDE LE CHÂTEAU.
Deux Nymphes chasseresses, par Coustou l'aîné.
Un chasseur assis, par le même.
Un faune jouant de la flûte, par Coyzevox.
Une hamadryade qui semble l'écouter, par le même.
Une Flore, par le même.
Un vase, par Robert.
Un autre, par Le Gros.
(p. 954) AUTOUR DU BASSIN DU MILIEU.
Pluton enlevant Proserpine, par Regnaudin.
La mort de Lucrèce, commencée par Théodon, et finie par Pierre Le Pautre.
Énée portant son père Anchise, par le même.
L'enlèvement d'Orithye, commencé par Marsy, et terminé par Flamen.
AU BOUT DE LA GRANDE ALLÉE, EN FACE DU GRAND BASSIN.
Annibal comptant les anneaux des chevaliers romains tués à la bataille de Cannes, par Sébastien Slootz.
L'Hiver et le Printemps, par Le Gros.
La Vestale, par le même.
Jules César, par Nicolas Coustou.
L'Automne et l'Été; la statue d'Agrippine, copiée d'après l'antique.
AU-DELÀ DU BASSIN.
Le Tibre et le Nil, figures colossales copiées d'après l'antique.
La Seine et la Marne, par Nicolas Coustou.
La Loire et le Loiret, par Vanclève.
À L'ENTRÉE DU PONT TOURNANT.
Deux chevaux ailés, dont l'un est monté par une Renommée, et l'autre par un Mercure. Ces deux figures, de la main de Coyzevox, étoient autrefois à Marly[515].
Elle étoit située à l'extrémité de la terrasse des Tuileries, du côté de la rivière, et terminoit la dernière enceinte, commencée sous Charles IX et achevée sous Louis XIII[516].
Le nom de cette porte, qui n'a été démolie qu'en 1730, et la date de sa construction, ont fait naître des opinions contradictoires et de longs débats parmi les historiens de Paris. D. Félibien a prétendu d'abord qu'il n'y avoit de différence que dans le nom entre la porte Neuve et celle de la Conférence; puis il dit dans un autre endroit qu'on bâtissoit cette porte en 1659, dans le temps des conférences entre les ministres de France et ceux d'Espagne, lesquelles furent suivies de la paix des Pyrénées. D'autres pensent qu'elle fut élevée sous François Ier, et reconstruite lors de ces dernières (p. 956) conférences. Sauval, après en avoir parlé quelque part comme d'un monument existant déjà du temps de Charles IX, semble ailleurs la confondre avec la porte Neuve. Le sixième plan de Delamare la présente également comme déjà bâtie sous le même règne. Enfin Piganiol, qui a cru être mieux instruit, dit «qu'il ne paroît pas, par les historiens contemporains, que, pour lors, ni long-temps après, il y eût ici une porte.» Et il ajoute «qu'il n'étoit pas difficile à nos historiens d'éviter plusieurs fautes qu'ils ont faites à ce sujet; qu'ils n'avoient qu'à jeter les yeux sur l'estampe que Perelle en a faite, et qu'ils auroient vu que cette porte fut élevée en 1633, et qu'il est assez vraisemblable que le nom de porte de la Conférence lui a été donné à l'occasion des conférences de Surène entre les députés du roi et ceux de la ligue, qui commencèrent le 29 avril 1593.»
Toutes ces assertions semblent peu exactes. 1o Il est impossible d'accorder que la porte Neuve, qui étoit presque dans l'alignement de la rue Saint-Nicaise, et celle de la Conférence, située au bout des Tuileries, aient été la même porte. 2o Il n'est guère probable que cette dernière subsistât sous François Ier, ni même sous les deux, règnes suivants, puisque le jardin des Tuileries n'existoit pas encore. 3o Il n'y a guère d'apparence qu'elle doive son nom aux conférences (p. 957) de Surène, puisque l'historien qui rapporte cette opinion prétend qu'elle ne fut bâtie que quarante ans après ces conférences; et du reste il est certain qu'elle ne peut l'avoir reçu de celles qui précédèrent en 1659 la paix des Pyrénées; car elle se trouve déjà figurée sur des plans qui ont été tracés en 1608 et 1620[517], et désignée sous ce nom dans différents mémoires qui ont également paru avant cette époque; 4o Le raisonnement que l'on fait pour prouver qu'elle n'existoit pas sous Henri III, parce qu'il sortit de Paris par la porte Neuve[518], ne peut paroître valable, puisqu'il est dit que le roi, après être sorti par cette porte, se rendit au Jardin des Tuileries, aux Feuillants, etc. Cette circonstance ne prouve clairement qu'une chose, c'est que la porte Neuve n'étoit pas la même que celle de la Conférence, située en-deçà du palais et du jardin; et dire que les historiens qui ont rapporté ce fait n'ont pas parlé de cette dernière porte, ce n'est pas démontrer qu'elle ne fût pas déjà bâtie à cette époque.
Le commissaire Delamare a été la cause de cette dernière erreur, parce qu'il est le premier qui ait confondu ces deux portes ensemble, en disant «que la porte Neuve, proche le Louvre, (p. 958) fut reculée, en 1566, jusqu'au lieu où elle est à présent.» Il est certain cependant qu'elles ont existé ensemble, comme on peut s'en convaincre par le plan de Boisseau, de 1643, celui de Gomboust, de 1652, et le sixième plan que Delamare lui-même a donné. De tout ceci on peut conclure que cette porte fut construite peu de temps après qu'on eut entouré de murs l'emplacement du jardin des Tuileries[519]. En effet, il n'est pas vraisemblable que l'extrémité de ce jardin fût bordée, comme elle l'étoit, d'un fossé qui alloit jusqu'à la rivière, sans supposer en même temps une porte et un pont-levis pour empêcher ou faciliter la communication du chemin qui régnoit le long de ce jardin, du côté de l'eau, et qui conduisoit à la porte Neuve, située au milieu de la galerie.
En sortant des Tuileries par la porte du nord, et rentrant dans la rue Saint-Honoré, le premier monument que l'on rencontre est l'église paroissiale de Saint-Roch. L'origine de cette église est très-connue et ne présente aucune obscurité.
L'emplacement sur lequel elle est bâtie étoit anciennement occupé par une grande maison accompagnée de jardins; on l'appeloit l'hôtel Gaillon, et ce nom étoit devenu celui du quartier où elle étoit située. À côté de cet hôtel s'élevoit une chapelle, sous l'invocation de Sainte-Suzanne, dont on ignore l'origine et le fondateur[520]. Auprès de ce petit monument, à l'endroit où l'on a construit depuis le portail et les marches de l'église, une autre chapelle avoit été (p. 960) bâtie, dès l'an 1521, sous le titre des Cinq-Plaies, par Jean Dinocheau, marchand de bétail, et Jeanne de Laval sa femme. Les habitants de ce quartier, qui étoit compris dans la circonscription de la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, s'étant considérablement multipliés, formèrent le dessein de faire construire une église succursale de cette paroisse, qu'ils trouvoient trop éloignée; et la chapelle des Cinq-Plaies leur parut propre à remplir cet objet.
Étienne Dinocheau, fourrier ordinaire du roi, et neveu du fondateur, bien loin de s'opposer à ce dessein, en rendit l'exécution plus facile, tant par la générosité qu'il eut de renoncer aux droits qu'il pouvoit avoir sur cette chapelle, que par la cession qu'il fit, le 13 décembre 1377, d'un grand jardin et d'une place qui en dépendoit. Le 15 octobre suivant, les habitants achetèrent encore la chapelle de Gaillon, dite de Sainte-Suzanne, avec ses dépendances; et ce fut sur ces divers terrains que fut construite la succursale, dans des dimensions beaucoup plus petites et avec bien moins de magnificence que le monument qui existe à présent.
(p. 961) Les historiens de Paris ne sont pas d'accord sur l'année où l'on acheva de bâtir cette première église. Mais comme ils ne diffèrent entre eux que de deux ou trois ans, nous n'entrerons pas dans la discussion des raisons de cette différence, laquelle ne présenteroit aucun résultat intéressant. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que la permission de l'official pour l'érection de cette succursale est du 15 août 1578; et l'on peut supposer que la construction de l'édifice dura deux ou trois ans. On la consacra sous l'invocation de Saint-Roch, parce que ce nom étoit celui d'un hôpital[521] que Jacques Moyen ou Moyon, Espagnol de naissance, avoit commencé à établir sur cet emplacement, et qu'il se vit obligé de céder aux paroissiens.
L'église Saint-Roch resta pendant assez long-temps dépendante de Saint-Germain-l'Auxerrois; et, suivant l'usage observé dans la hiérarchie ecclésiastique, le curé de cette paroisse en nommoit le desservant. Cet état de choses dura jusqu'en 1633, où elle fut érigée en église paroissiale par François de Gondi, alors archevêque de Paris. À cette époque, le nombre de ses paroissiens étoit déjà considérablement augmenté; et comme il ne cessoit encore de s'accroître de jour en jour, il arriva, (p. 962) quelques années après, que cette église se trouva trop petite pour que le service divin pût s'y faire commodément. Alors les marguilliers furent autorisés à acheter la totalité du terrain qui dépendoit de l'hôtel Gaillon; et, en 1653, on jeta les fondements de l'église que nous voyons aujourd'hui.
Elle fut commencée sur les dessins de J. Le Mercier, alors premier architecte du roi. Ce fut Louis XIV qui en posa la première pierre, dans laquelle on plaça deux médailles, dont l'une portoit le portrait de ce prince, l'autre celui d'Anne d'Autriche, et toutes les deux au revers l'image de saint Roch. Une inscription gravée sur cette pierre indiquoit le nom des fondateurs et la date de la fondation.
La situation du terrain ne permit pas de suivre l'antique usage, et de tourner au levant le chevet de cette église: il est exposé au nord. Le bâtiment en resta long-temps imparfait, sans être voûté, et n'ayant qu'un simple plafond de bois. Discontinué et repris plusieurs fois pendant le cours du dix-septième siècle, il fut enfin achevé dans le dix-huitième par les libéralités du roi et les dons généreux de plusieurs riches paroissiens.
Le grand portail qui donne sur la rue Saint-Honoré fut construit le dernier par Jules-Robert de Cotte, intendant général des bâtiments du roi; et directeur général de la monnoie et des médailles, (p. 963) d'après les dessins de Robert de Cotte son père, premier architecte de Louis XIV et de Louis XV. La première pierre en fut posée le 1er mars 1736. Ce portail, assez purement exécuté, a eu beaucoup de réputation, et semble avoir servi de modèle à la plupart de ceux qui ont été élevés depuis, quoiqu'il ne soit lui-même qu'une imitation du style peu sévère de Mansard: c'est une décoration en bas-relief composée de deux ordres dorique et corinthien, où il règne une certaine harmonie, mais dans laquelle on chercheroit vainement cet effet imposant des péristyles, dont les colonnes isolées non-seulement présentent un utile abri, mais n'ont pas besoin, comme ces surfaces monotones, de cette multiplicité de ressauts et de profils, au moyen desquels on essaie d'offrir à l'œil quelques foibles projections d'ombres, et de rompre leur fatigante uniformité.
On a suppléé, par des groupes et des ornements très-soigneusement finis, à ce manque d'effet; et les connoisseurs ont pu distinguer dans ces travaux le passage du style usité au siècle de Louis XIV à celui dont la maigreur et l'affectation ont ensuite caractérisé les productions du règne de Louis XV. Les figures sculptées par Claude Francin, de l'Académie royale de sculpture, représentoient, en deux groupes, quatre pères de l'Église avec les attributs qui leur conviennent; les armes du roi, qui remplissoient le (p. 964) fronton, et la croix qui le surmontoit, étoient de la main du même sculpteur[522]. Les ornements ont été exécutés par Louis de Montceau, de l'académie des Maîtres. Le style de ces divers morceaux étoit tel, que si l'on n'y trouvoit pas toute la dépravation qui, dans les arts d'imitation, fut le caractère du siècle dernier, on y reconnoissoit du moins les premières traces du mauvais goût qui l'a si rapidement amenée.
Ce portail a quatorze toises de largeur sur treize toises trois pouces d'élévation, depuis le pilier du perron jusqu'à la pointe du fronton. Une heureuse disposition du terrain a obligé d'y placer un grand nombre de marches, ce qui produit un bon effet et annonce dignement un édifice consacré à la religion[523].
La distribution intérieure de l'église Saint-Roch offre des singularités qu'on ne rencontre dans aucun autre monument du même genre à Paris. Elle est composée d'une nef et trois chapelles, qui se suivent dans l'alignement du portail, et se prolongent ainsi en ligne droite jusqu'à l'extrémité de l'édifice. Les bas-côtés de la nef, également prolongés derrière la première chapelle, consacrée à (p. 965) la Vierge, tournent ensuite autour de la seconde qui est celle de la Communion[524]. La troisième, qu'on nomme chapelle du Calvaire[525], est une espèce de rotonde coupée que l'on a ajouté depuis à l'église, et qui se rattache à ces constructions. Il résulte de cette disposition et de la forme du maître-autel, construit à la romaine et placé au rond-point du chœur, que, du portail de l'église, l'œil traversant la nef et l'arcade au bas de laquelle cet autel est posé, plonge dans la profondeur immense de cette enfilade de chapelles, qui, toutes les trois, sont éclairées par une lumière différente et dégradée à dessein, ce qui produit un effet presque théâtral, et peu convenable peut-être à un édifice sacré.
La nef de cette église, composée d'arcades d'une assez belle proportion, est décorée d'un ordre de pilastres doriques, couronné d'un entablement denticulaire, lequel se trouve aussi répété dans le pourtour de la croisée. Les deux chapelles qui la suivent offrent un ordre de pilastres corinthiens disposés de la même manière; et le long des bas-côtés, on a établi un assez grand nombre de petites chapelles, dont les autels sont placés de (p. 966) manière qu'on peut les apercevoir de la nef, à travers les percées des arcades[526].
Cette église étoit très-riche et peut-être trop riche en peintures et en sculptures: les archivoltes des arcades sont encore chargées de trophées et de figures; la même profusion d'ornements se fait remarquer dans les croisées; et malheureusement toutes ces décorations, faites dans une époque de décadence, sont du plus mauvais goût.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-ROCH EN 1789.
TABLEAUX.
Dans la seconde chapelle à gauche en entrant, sainte Élisabeth, par le Lorrain.
Dans la troisième, une Nativité, par le Moine.
Dans la sixième, le martyre de saint André, par Jouvenet.
Dans la dernière, un saint François d'Assise, par Michel Corneille.
Dans une chapelle à côté du chœur, saint Louis mourant, donnant ses derniers conseils à son fils Philippe-le-Hardi, par Antoine Coypel.
Dans la chapelle de la croisée à gauche, saint Denis prêchant la foi en France, par Vien.
Dans celle de la droite, un tableau de Doyen, sujet de la guérison des ardents.
La coupole de la chapelle de la Vierge offre une Assomption de la Vierge, peinte à fresque, par Pierre, ouvrage au-dessous du médiocre, et loué avec l'emphase la plus ridicule par tous les compilateurs qui ont donné des descriptions de Paris. Le même peintre a représenté sur la coupole de la chapelle suivante le triomphe de la religion.
(p. 967) Les quatre Évangélistes que l'on voyoit dans l'attique de la première coupole avoient été exécutés par Louis Silvestre, Verdot et Desormay.
SCULPTURES.
Aux deux côtés de la principale porte du chœur étoient deux chapelles décorées en marbre, par Coustou le jeune, architecte. Chacune étoit ornée d'une statue: la première, par Falconnet, représentait J.-C. au jardin des Olives; la seconde, saint Roch, par Nicolas Coustou.
Les deux chapelles des croisées étoient également incrustées d'ornements en marbre, sur les dessins de Coustou jeune.
La chapelle de la Communion offrait une Annonciation en marbre blanc, par Falconnet; Jésus-Christ tenant sa croix, et saint Roch, par François Anguier. Au-dessus, on avoit pratiqué une gloire céleste de cinquante pieds sur trente, dont les rayons, mêlés de nuages et de chérubins, partoient d'un transparent lumineux, ce qui produisoit une espèce d'illusion qui, dans un lieu saint, rappeloit un peu trop les gloires de l'Opéra.
Aux deux côtés de l'autel, dans la chapelle de la Vierge, étoient deux statues en bronze doré, de huit pieds de proportion, représentant les prophètes David et Isaïe.
La chapelle du Calvaire étoit ornée de plusieurs groupes de figures qui composoient des scènes intéressantes. On y voyoit un Jésus crucifié et la Madeleine éplorée au pied de la croix, par Anguier. Ce groupe étoit placé au sommet de la montagne. Deux soldats préposés à la garde du tombeau, occupoient l'un des côtés. Du bas de la montagne on montoit à ce calvaire par deux portes taillées dans le roc. L'autel étoit en marbre bleu turquin, et les ornements qui le décoroient avoient été exécutés sur les dessins de Falconnet, sculpteur, et de Boulée, architecte[527].
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Dans un caveau pratiqué à l'entrée de la chapelle de la Vierge, (p. 968) Marie-Anne de Bourbon-Conti, fille naturelle de Louis XIV et de la duchesse de la Vallière, morte en 1739.
Dans la sixième chapelle à gauche, André Le Nôtre, intendant et architecte des jardins de Louis XIV, mort en 1700[528].
Dans la dernière chapelle du même côté, le comte Fortuné Ragony, mort en 1723[529]; et Claude François Bidal, marquis d'Asfeld, maréchal de France, mort en 1743[530].
Dans la nef, Nicolas Mesnager, habile négociateur sous le règne de Louis XIV, mort en 1714[531].
Les deux frères François et Michel Anguier, sculpteurs célèbres, morts, le dernier en 1686, le premier en 1699.
Pierre Corneille, le créateur de la tragédie moderne, et l'un des plus beaux génies de son siècle, mort en 1684.
Antoinette du Ligier de la Garde, marquise Deshoulières, célèbre par ses poésies, morte en 1694. Antoinette Thérèse Deshoulières sa fille, connue aussi par quelques poésies, morte en 1718.
Pierre Louis Moreau de Maupertuy, mathématicien habile, mort en 1759[532].
François Séraphin Régnier Desmarets, poète françois, mort en 1713.
Alexandre Lainez, connu par quelques poésies agréables, mort en 1710.
La circonscription de la paroisse de Saint-Roch commençoit à la partie de la rue Saint-Honoré où étoit autrefois la boucherie des Quinze-Vingts, (p. 969) c'est-à-dire au coin de la rue des Boucheries; elle embrassoit ensuite les rues de l'Échelle et de Saint-Louis en totalité, les deux côtés de la rue Saint-Honoré jusqu'à la porte du même nom, puis une partie de la rue du Luxembourg et des Capucines, la rue de Louis-le-Grand et la rue Neuve-Saint-Augustin en entier; reprenant ensuite la rue de Richelieu à la rue de Ménars, elle comprenoit les maisons à droite de cette rue jusqu'à celle Saint-Honoré, dont elle avoit également le côté droit jusqu'à la rue des Boucheries, point de départ[533].
À côté de ce monument étoit placée une institution aussi importante qu'utile, connue sous le nom de communauté de Sainte-Anne, fondée par Nicolas Fromont ou Frémont, grand audiencier de France, en faveur des pauvres filles de la paroisse de Saint-Roch, à l'effet de leur procurer, (p. 970) avec une instruction chrétienne, une industrie suffisante pour leur faire gagner honnêtement leur vie. Pour l'exécution de ce dessein, cet homme charitable acheta un emplacement appartenant à la fabrique de Saint-Roch, y fit construire une maison convenable pour l'objet qu'ils étoit proposé, et ajouta à ce premier bienfait une rente de quatre cents livres sur l'Hôtel-de-Ville. Plusieurs personnes pieuses concoururent, par leurs libéralités, au succès de cet établissement, qui fut confirmé par le roi et l'archevêque, au mois de mars 1686. Cette communauté, établie rue Neuve-Saint-Roch, étoit composée de quinze sœurs, qui, animées d'un zèle que la religion peut seule inspirer, enseignoient gratuitement aux filles pauvres de la paroisse la couture, la tapisserie, la dentelle, et tous les ouvrages qui conviennent à leur sexe. Cet établissement a été administré jusqu'au commencement de la révolution[534], conformément aux intentions de son pieux fondateur, dont le nom doit être cher aux amis de la religion et de l'humanité.
Ce couvent, devenu si fameux depuis la révolution, étoit situé entre l'église Saint-Roch et la place Vendôme.
Il y avoit autrefois à Paris plusieurs couvents de l'ordre des frères prêcheurs, connus en France sous le nom de Jacobins, dénomination qu'ils prirent d'une chapelle sous l'invocation de saint Jacques, qui leur fut cédée, en 1217, lors de leur premier établissement en France. Le couvent dont il s'agit ici, situé rue Saint-Honoré, étoit d'une fondation beaucoup plus moderne, et habité par les jacobins dits réformés. Voici ce qui donna lieu à cette réforme.
Il paroît que l'ordre des frères prêcheurs, institué au commencement du treizième siècle par saint Dominique, sans s'écarter entièrement des règles prescrites par son fondateur, commençoit cependant à se relâcher de sa première ferveur, lorsque le P. Sébastien Michaelis forma le dessein de rétablir la règle dans toute sa pureté, et d'en (p. 972) bannir le relâchement et tous les abus qui s'y étoient insensiblement introduits. Il commença par faire adopter sa réforme dans quelques couvents du Languedoc et de la Provence. Le chapitre général de l'ordre des frères prêcheurs, qui se tint à Paris en 1611, et auquel le P. Michaelis fut député, parut à ce saint moine une occasion favorable pour y proposer le même réglement, et l'introduire à la fois dans la capitale et dans les autres provinces du royaume. Cependant, quoique le général favorisât les vues du réformateur, les jacobins du grand couvent de Paris s'opposèrent si fortement à tout projet d'innovation, que le chapitre ne crut pas devoir adopter le changement proposé. Trompé dans ses espérances, le P. Michaelis n'en poursuivit pas moins son dessein; et sentant redoubler son zèle par les obstacles mêmes qui lui étoient opposés, il ne craignit point de s'adresser au roi lui-même et à la reine régente, Marie de Médicis, pour obtenir la permission de bâtir un couvent de frères prêcheurs de sa réforme; ce qui lui fut accordé par lettres-patentes du mois de septembre 1611, enregistrées le 23 mars 1613. Henri de Gondi, évêque de Paris, ne se contenta pas d'approuver ce nouvel établissement par sa lettre du 8 avril 1612, il mérita d'en être regardé comme le principal fondateur par le don qu'il fit à ces religieux d'une somme de cinquante mille livres. Ce fut avec ce secours, et au (p. 973) moyen des libéralités du sieur Tillet de La Bussière, et de quelques autres personnes pieuses, qu'ils achetèrent un enclos de dix arpents, où ils firent construire leur église et leur couvent tels qu'ils existoient encore en 1789.
Ces bâtiments étoient d'une architecture extrêmement médiocre, mais ils contenoient quelques objets d'arts, et plusieurs monuments dont nous allons donner une courte description.
TABLEAUX.
Au-dessus du maître-autel, un excellent tableau de Porbus, où ce peintre avoit représenté l'Annonciation, titre sous lequel cette église étoit dédiée.
Dans la seconde chapelle, à droite du portail, un saint François du même peintre. Dans la cinquième, un tableau de Colombel. Dans une autre, deux Apôtres, par Rigaud. Une descente de croix d'après Le Brun, par Houasse.
Deux tableaux attribués à Mignard, un Ecce homo et une Mère de douleur.
Dans la salle du conseil.
Plusieurs portraits peints par Rigaud, savoir: ceux de Louis XIV, du dauphin, de la duchesse d'Orléans, douairière; de la comtesse de Toulouse, du cardinal de Fleury, etc.
SCULPTURES.
Dans une chapelle à gauche, richement décorée, étoit le mausolée de François Blanchefort de Créqui, maréchal de France. Ce monument avoit été exécuté sur les dessins de Le Brun, par Coyzevox et Joly. Le buste du maréchal, représenté à mi-corps, cuirassé et joignant les mains, étoit l'ouvrage du premier de ces deux sculpteurs. Un grand bas-relief en bronze, de la main du (p. 974) second, offroit une image de la bataille de Kochersberg, en Alsace, gagnée par cet illustre capitaine[535].
Vis-à-vis la chaire étoit placé le tombeau de Pierre Mignard. Ce mausolée, ouvrage du sculpteur Le Moine, fut déposé depuis au musée de la rue des Augustins. La comtesse de Feuquière, fille de ce peintre célèbre, y est représentée à genoux, et priant Dieu pour son père. Deux génies l'accompagnent. Au-dessus est le buste de Mignard, par Desjardins. C'est un monument mal conçu et encore plus mal exécuté, quoique extrêmement vanté dans toutes les descriptions de cette église.
André Félibien, historiographe des bâtiments du roi, auteur de plusieurs ouvrages estimés, et son fils, Nicolas-André Félibien, prieur de Saint-Étienne de Virazel, avoient aussi leur sépulture dans cette église.
Cette maison possédoit un cabinet d'histoire naturelle très-curieux, formé par les soins du P. Labat, connu par ses relations d'Afrique et d'Amérique. La bibliothèque, composée d'environ trente-deux mille volumes, contenoit des éditions rares et quelques manuscrits précieux[536].
C'est dans la salle de cette bibliothèque que se rassembla depuis cette horde de frères prêcheurs institués par le génie du mal, et dont les prédications ont eu des effets qui épouvantent encore le monde, et feront à jamais l'horreur de la postérité[537].
Cette place, qui fut d'abord connue sous le nom de Place des Conquêtes et de Louis-le-Grand, a pris ensuite celui de Vendôme, parce qu'elle fut faite sur l'emplacement qu'occupoit l'hôtel de ce nom.
Lorsque Charles IX eut formé le dessein d'étendre l'enceinte de Paris, et d'y renfermer les Tuileries, chacun s'empressa de bâtir dans le faubourg Saint-Honoré, qui commençoit, à cette époque, à l'endroit où étoient les Quinze-Vingts. Sur l'emplacement qu'occupe actuellement la place Vendôme, les ducs de Retz avoient fait élever un hôtel assez vaste, accompagné de jardins[538]. En 1603, la duchesse de Mercœur acheta cette habitation, et fit en même temps l'acquisition de plusieurs grands terrains qui l'environnoient, dans l'intention de faire abattre l'hôtel, d'en faire construire (p. 976) un plus considérable, et de fonder auprès une église et un couvent pour les Capucines nouvellement instituées. Ces deux projets furent exécutés à la fois, et elle posa elle-même la première pierre du couvent le 29 juin 1604. L'hôtel de Mercœur passa ensuite dans la maison de Vendôme, dont il prit le nom, par le mariage de Françoise de Lorraine, fille unique du duc de Mercœur, avec César, duc de Vendôme, fils légitimé de Henri IV.
Louvois, qui avoit succédé à Colbert dans la charge de surintendant général des bâtiments, voulant signaler son ministère par quelques monuments remarquables, inspira à Louis XIV le dessein de faire ouvrir une grande place, pour faciliter les communications entre la rue Saint-Honoré et la rue Neuve-des-Petits-Champs. Pour l'exécution de ce projet, il proposa au roi d'acheter[539] le vaste emplacement qu'occupoit l'hôtel de Vendôme; et comme le couvent des Capucines nuisoit à l'exécution de ce projet, on leur fit bâtir dans la rue Neuve-des-Petits-Champs l'église et le couvent qu'elles occupoient encore au commencement de la révolution. Elles y furent transférées en 1689, et l'on abattit les anciens bâtiments qu'elles avoient occupés.
(p. 977) Suivant le plan alors adopté pour cette place, elle devoit former un grand carré de soixante-dix-huit toises de large sur quatre-vingt-six de long, et n'avoir que trois faces, l'entrée du côté de la rue Saint-Honoré restant ouverte dans toute sa largeur. Les bâtiments qui l'auroient environnée étoient destinés à recevoir la bibliothèque du roi, les différentes académies, et à former les hôtels des monnoies et des ambassadeurs extraordinaires. La mort de Louvois suspendit l'exécution de ce grand projet, qui fut ensuite entièrement abandonné.
Quelques années après (le 7 avril 1699), le roi fit présent à la ville des emplacements acquis en 1685, et de tous les matériaux déjà rassemblés, avec la faculté de les vendre; mais sous la condition qu'elle feroit construire au même endroit une nouvelle place d'après un autre plan, et en outre qu'elle se chargeroit de faire bâtir à ses frais, au faubourg Saint-Antoine, un hôtel pour la seconde compagnie des mousquetaires. La ville accepta ce traité, et rétrocéda tous ses droits, le 10 mai suivant, au sieur Masneuf, moyennant la somme de 620,000 livres, à la charge par lui de faire démolir les constructions commencées, et d'exécuter pour l'érection de la place le nouveau plan adopté, lui fixant pour terme de cette opération le 1er du mois d'octobre 1701; ce qui fut exécuté.
(p. 978) Cette place, bâtie sur les dessins de Jules-Hardouin Mansard, a de diamètre soixante-quinze toises sur soixante-dix. Sa coupe présente des pans dans les angles, et par conséquent huit façades. Un grand ordre corinthien élevé sur un soubassement qui a de hauteur les cinq huitièmes de l'ordre, forme la décoration de ces façades; au-dessus de l'entablement corinthien sont des lucarnes en pierre, de forme alternativement variée.
Les pans coupés des angles sont composés d'un avant-corps de trois arcades, et de deux arrière-corps qui en ont chacun une. Ces avant-corps ainsi que les pans, comparés avec le diamètre de la place, sont trop petits; de telles lignes forment d'ailleurs un effet désagréable, et devroient toujours être exclues de l'architecture des grands édifices, dont une simplicité noble est le caractère essentiel.
Au milieu des grandes façades s'élèvent deux grands corps d'architecture symétrique. Ils présentent chacun cinq ouvertures, une de chaque côté en arrière-corps et trois en avant-corps, et sont couronnés de frontons, dont la grandeur est égale à celle des pans coupés. Ces deux constructions font un assez bel effet; cependant on y remarque des fautes impardonnables: par exemple, celle de les avoir ornées de colonnes engagées, tandis qu'il y avoit assez d'espace pour isoler ces (p. 979) colonnes, et que, dans le cas contraire, elles devoient être remplacées par des pilastres; une faute plus grande encore est d'y avoir introduit des colonnes jumelles, qui, pénétrées mutuellement l'une par l'autre avec leurs chapiteaux, présentent un effet absurde et presque monstrueux que les bons architectes ont toujours évité. La hauteur de l'ordre comprend deux étages[540].
Enfin cette place étoit mal percée, et quoique vaste, et dans son ensemble d'une assez belle ordonnance, elle n'offroit encore, il y a quelques années, que deux issues, dont la disposition étoit même si mauvaise, qu'on ne pouvoit la découvrir que de côté, en passant dans la rue Saint-Honoré ou dans celle des Petits-Champs. Cependant personne n'ignore que le principal mérite d'une place publique est dans sa situation, et qu'elle doit être disposée de manière qu'on puisse l'apercevoir de très-loin, et la traverser dans tous les sens[541].
Les hôtels qui l'environnent furent presque tous bâtis par des fermiers-généraux, et sous la conduite des meilleurs architectes[542]. Cependant (p. 980) il restoit encore, en 1619, des places vides qui furent toutes achetées par Law avec les billets de banque qu'il avoit introduits.
Au milieu de cette enceinte, entièrement composée de somptueux édifices, étoit autrefois placée la statue équestre de Louis XIV. Cette statue, d'un beau caractère, étoit de la main de Girardon. Elle avoit vingt-un pieds de hauteur, et fut fondue d'un seul jet[543], le 1er décembre 1692, par Jean-Balthazar Keller. Le 13 août 1699, ce monument colossal fut posé sur un piédestal de marbre blanc, de trente pieds de haut, sur vingt-quatre de long et treize de large, orné de cartels, de bas-reliefs et de trophées de bronze doré. Sur ses quatre faces étoient des inscriptions latines[544] (p. 981) relatives aux grandes actions du monarque, et exprimant particulièrement la reconnoissance de la (p. 982) ville de Paris pour les bienfaits dont il l'avoit comblée[545].
Le monastère des Feuillans étoit situé rue Saint-Honoré, vis-à-vis la place Vendôme. C'étoit une congrégation particulière de religieux réformés de l'ordre de Cîteaux, qui avoit pris son nom de l'abbaye de Notre-Dame des Feuillans dans le diocèse de Rieux, à quelques lieues de (p. 983) Toulouse. Jean de la Barrière, qui en étoit abbé commendataire en 1563, voulant consacrer le reste de ses jours à la pénitence, conçut le dessein d'y faire revivre dans toute sa rigueur l'ancienne observance de saint Benoît. En conséquence il prit l'habit religieux, fit profession dans cet ordre le 12 mai 1573, et s'occupa dès ce moment de mettre à exécution le projet de réforme qu'il avoit médité. Malgré les austérités extraordinaires qu'il pratiquoit, il eut bientôt un nombre de disciples assez considérable pour pouvoir en former une communauté, dont il fut reconnu abbé régulier en 1577, et béni comme tel dans l'église de la Dorade, à Toulouse, le 14 septembre de la même année. Cet établissement fut définitivement constitué, et la nouvelle réforme adoptée, quoiqu'elle passât en plusieurs points la sévérité de la règle primitive de Cîteaux. Les religieux devoient partager tout leur temps entre l'oraison, la psalmodie et le travail des mains; ils marchoient nu-pieds, la tête nue; dormoient tout vêtus sur des planches, et leur nourriture n'étoit que du pain le plus grossier, quelques herbes cuites ou crues et de l'eau pure. L'huile, le beurre, le poisson leur étoient interdits en tout temps, ainsi que la chair et le vin; du reste ils gardoient une solitude exacte, et un silence perpétuel.
Les merveilles qu'on publioit partout de l'abbé de Feuillans et de sa nouvelle communauté excitèrent (p. 984) la curiosité de Henri III. Ce prince voulut voir Jean de La Barrière, et lui écrivit lui-même le 20 mai 1583, pour lui ordonner de se rendre à Paris. Le saint abbé obéit, et y arriva au mois d'août suivant. Il prêcha devant le roi, et dans plusieurs églises, avec un succès qui répondit à la haute estime que tout le monde avoit conçue de son mérite. Henri III, charmé de son éloquence et touché de sa vie édifiante, voulut le retenir auprès de sa personne, et ne lui permit de retourner à Feuillans qu'à condition qu'il reviendroit dans la capitale, où il se proposoit de lui faire bâtir un monastère. Toutefois les ordres donnés à cet effet ne furent exécutés qu'en 1587. Alors Jean de La Barrière se mit une seconde fois en chemin pour Paris, accompagné de soixante-deux religieux de sa réforme. Ces pieux voyageurs partirent de Toulouse en procession, marchant deux à deux, la croix en tête, et pratiquant, pendant vingt cinq jours qu'ils mirent à faire cette longue route, tous les exercices spirituels qu'ils étoient tenus de faire dans le cloître. Ils arrivèrent le 9 juillet de la même année.
Henri III, qui étoit alors à Vincennes avec toute sa cour, envoya quelques seigneurs au-devant d'eux jusqu'à Charenton, et sortit lui-même de son château pour les recevoir. Ces religieux demeurèrent dans un prieuré de l'ordre de Grandmont, situé dans le bois de Vincennes, (p. 985) jusqu'au 7 du mois de septembre suivant, qu'ils en sortirent pour prendre possession de l'église et du couvent que le roi leur avoit fait bâtir au faubourg Saint-Honoré[546].
Cette nouvelle congrégation fut approuvée par le pape Sixte V, et érigée en titre par sa bulle du 3 novembre 1587, sous le nom de Congrégation de Notre-Dame de Feuillans. Elle fut distraite de la juridiction de l'abbé de Cîteaux, par Clément VIII, le 4 septembre 1592. Peu de temps après, ce souverain pontife jugea à propos de modérer la rigueur excessive et presque incroyable de cette réforme par sa bulle du 8 novembre 1595, et la rendit ainsi supportable en la rapprochant davantage de la règle de saint Benoît[547].
Les monastères qui embrassèrent cette nouvelle institution s'étant considérablement multipliés, tant en Italie qu'en France, Urbain VIII crut convenable, en 1630, de diviser les Français et les Italiens en deux congrégations différentes, gouvernées chacune par un général de leur nation. (p. 986) Celui de France étoit abbé né de Notre-Dame de Feuillans, et s'élisoit tous les trois ans dans le chapitre général, lequel pouvoit le continuer encore pendant trois autres années seulement. Ce général avoit le droit de visiter les maisons de son ordre, et d'y faire plus ou moins de séjour; mais, pendant les trois années de son généralat, il étoit obligé à dix-huit mois de résidence à Feuillans. Cet usage s'observoit très-exactement.
Henri IV ne fut pas moins favorable à cette congrégation que l'avoit été son prédécesseur: non-seulement il la confirma dans la propriété de tout ce qui lui avoit été donné par Henri III, mais encore il déclara qu'il vouloit partager avec ce prince le titre de son fondateur, et lui accorda tous les priviléges et prérogatives dont jouissoient les maisons de fondation royale.
La maison que Henri III avoit fait bâtir pour les Feuillans étoit petite et peu commode; les libéralités de Henri IV, et les dons que ces religieux obtinrent de la piété des fidèles[548], leur fournirent bientôt les moyens de faire construire un nouvel édifice plus spacieux et plus beau. Les bâtiments, auxquels le roi mit la première pierre en 1601, furent achevés en 1608, et le 5 août de la même (p. 987) année l'église fut dédiée par le cardinal de Sourdis, sous l'invocation de saint Bernard.
Cependant le portail de ce dernier monument n'existoit point encore; et ce ne fut qu'en 1629, sous le règne de Louis XIII, qu'on pensa à l'exécuter. François Mansard en fut l'architecte, et ce fut, dit-on, le coup d'essai de cet homme célèbre. Ce portail, qui a joui d'une grande réputation, mérite que nous en donnions une description un peu détaillée.
Il étoit composé de deux ordres de colonnes, l'un ionique, l'autre corinthien. Les colonnes de l'avant-corps étoient isolées, et celles des extrémités engagées. L'entablement de ces ordres retournoit sur chaque accouplement, et ces retours, faits pour donner à cette décoration un caractère de légèreté, produisoient une foule de petites parties qui nuisoient à l'effet général.
L'ordre ionique étoit d'une belle exécution, riche de détails parfaitement finis, mais qui par cela même sembloient trop recherchés, lorsqu'on les comparoit avec ceux de l'ordre supérieur. Celui-ci étoit d'une proportion relative beaucoup trop courte, ayant deux modules et un tiers de moins dans sa hauteur, ce qui lui donnoit une apparence chétive et contraire à la progression[549] (p. 988) que l'on doit observer entre les ordres élevés les uns sur les autres. Cet ordre supérieur étoit surmonté d'un fronton circulaire sur lequel on avoit placé deux figures d'une proportion trop forte, ce qui ajoutoit encore au défaut d'harmonie qu'on remarquoit dans l'ensemble de cette décoration.
Deux pyramides s'élevoient de chaque côté de ce frontispice; et cet ornement bizarre, l'amortissement circulaire qu'on remarquoit au-dessus du fronton, les consoles renversées ou arcs-boutants, les cartels du dessus des portes, étoient encore des restes de la barbarie gothique. Les figures, exécutées par un sculpteur nommé Guillin, étoient de la plus grande médiocrité[550].
On estimoit davantage la porte d'entrée du monastère, située en face de la place Vendôme. Elle avoit été construite par le même architecte, mais à une époque où son talent étoit mûri par l'étude et une longue pratique. Cette décoration, qui n'étoit composée que d'une porte carrée surmontée d'un fronton et accompagnée de quatre colonnes corinthiennes, offroit dans ses proportions la justesse et la noble simplicité qui fait le caractère de la bonne architecture. Au-dessus de cette porte à plate-bande, on voyoit un bas-relief d'une assez belle exécution, renfermé (p. 989) dans une table carrée. Il représentoit Henri III recevant l'abbé Jean de La Barrière et ses compagnons[551]. Cette porte ne fut construite qu'en 1676.
Dans l'intérieur de la cour, et en face du frontispice dont nous venons de parler, étoit une porte en voussure et ornée de refends d'un dessin assez élégant. L'intérieur de l'église n'avoit rien de remarquable.
Le passage qui communiquoit aux Tuileries avoit été ouvert pendant la minorité de Louis XV, pour donner au jeune roi la facilité de venir à l'office à ce couvent.
CURIOSITÉS DU MONASTÈRE DES FEUILLANS.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Assomption, par Bunel.
Dans le rond, deux anges, par La Fosse.
Sur l'autel de la sixième chapelle à droite, une Visitation, par Michel Corneille.
(p. 990) Dans la sixième chapelle à gauche, plusieurs peintures de Simon Vouet, entre autres le plafond représentant un saint Michel, lequel passoit pour un des chefs-d'œuvre de ce peintre.
Dans le vestibule d'entrée, un seigneur descendant de cheval, et recevant l'habit de Feuillans, par Loir.
Dans le réfectoire, quatre sujets tirés de l'histoire d'Esther, par Restout père.
Dans le chapitre, la Résurrection du Lazare, par Vien.
Dans la salle du roi, près l'église, les portraits des rois et reines de France depuis Henri III jusqu'à Louis XV inclusivement, ainsi que ceux des dauphins, fils et petits-fils de ce dernier roi.
Les chapelles, au nombre de quatorze, la nef et les diverses autres parties de l'église étoient décorées d'un grand nombre d'autres tableaux sans noms d'auteurs.
SCULPTURES.
Dans la troisième chapelle à gauche, une Vierge en bois doré, par Sarrazin.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans la première chapelle à droite on voyoit la statue en marbre de Raimond Phélippeaux, seigneur d'Herbaut, secrétaire d'état sous Louis XIII, mort en 1629. Il étoit représenté à genoux devant un prie-Dieu.
La seconde étoit destinée à la sépulture de la famille Pelletier.
La troisième avoit appartenu à MM. de Vendôme.
La quatrième offroit le mausolée de Guillaume de Montholon, conseiller d'état et ambassadeur, mort en 1722; son buste et deux Vertus, dont il étoit accompagné, composoient ce mausolée.
Dans la cinquième avoient été inhumés Louis de Marillac, maréchal de France, condamné à mort et exécuté le 10 mai 1631; et Catherine de Médicis son épouse, morte de douleur pendant qu'on instruisoit le procès de son mari[552].
Entre ces deux chapelles étoit le cénotaphe de Henri de Lorraine, comte d'Harcourt, et d'Alphonse de Lorraine son fils, chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Ce monument, (p. 991) sculpté par Nicolas Renard, offroit trois figures symboliques: le Temps couché au pied d'un obélisque; une figure ailée, emblème de l'immortalité; et un génie en pleurs portant les médaillons de ces deux princes. Au-dessus de l'obélisque, un globe doré que surmontoit un aigle aux ailes éployées; un bas-relief en bronze doré et plusieurs autres accessoires ajoutoient encore à la richesse de ce monument.
Dans la première chapelle à gauche, un tombeau de marbre blanc en forme d'urne contenoit les restes mortels de Jeanne Armande de Schomberg, femme de Charles de Rohan, duc de Montbason, etc., morte en 1700.
La seconde appartenoit à la famille de Beringhem. Dans cette chapelle avoit été inhumé le maréchal d'Uxelles, ambassadeur extraordinaire au congrès d'Utrecht, ministre du conseil de régence, etc., mort en 1730.
La troisième, richement décorée, appartenoit à la famille des Rostaing, et étoit fermée d'une grille. Elle contenoit plusieurs tombeaux de ses membres les plus distingués: sous la croisée, étoient représentés à genoux Tristan de Rostaing, mort en 1591, et Charles de Rostaing son fils, mort en 1660. Une urne portée sur une colonne de marbre renfermoit le cœur d'Anne Hurault, fille du chancelier de Chiverni, femme de Charles de Rostaing, dont nous venons de parler, morte en 1635. On y voit encore les bustes de quatre autres personnages de cette maison[553].
Dans la quatrième, une figure à genoux devant un prie-Dieu offroit un portrait de Claude-Marie de l'Aubespine, femme de Médéric Barbezières, seigneur de Chemerault, morte en 1613.
Dans le chœur et dans le chapitre avoient été inhumés plusieurs généraux de l'ordre, et les PP. Jérôme et Turquois, prédicateurs estimés du dix-septième.
La bibliothèque de ce couvent pouvoit contenir environ 24,000 volumes.
Au commencement du seizième siècle, plusieurs ordres religieux, institués dans les âges précédents, s'étoient plus ou moins écartés des règles prescrites par leurs saints fondateurs; et l'ordre de saint François n'avoit pas été exempt de ce relâchement. En 1525, Mathieu de Baschi, religieux de cette observance, fut le premier qui, non content de pratiquer sa règle dans toute son austérité, crut devoir entreprendre d'y ramener ses confrères par ses exhortations et ses exemples. Ses soins et son zèle ne furent pas sans succès; et il parvint bientôt à rassembler auprès de lui quelques imitateurs de sa pauvreté et de sa pénitence. Pour se distinguer de leurs anciens confrères, ces nouveaux religieux prirent un habit particulier[554]: c'étoit une longue robe de bure surmontée d'un capuce, ou capuchon pointu, qui fit (p. 993) donner le nom de capucins à ceux qui embrassèrent cette nouvelle réforme. Ils portoient aussi une longue barbe, marchoient nu-pieds et ne vivoient que d'aumônes. Cependant cet institut ne prit une forme régulière qu'en 1529, époque à laquelle le chapitre fut assemblé pour la première fois. On y fit des constitutions[555] qui furent approuvées, ainsi que l'ordre, par une bulle de Paul III, du 25 août 1536. Alors ces religieux furent adoptés et reconnus par l'Église entière, sous le nom de frères mineurs capucins, et leur nombre s'accrut assez rapidement. Mais ils n'obtinrent point, dans ces premiers temps, la permission de s'étendre au-delà de l'Italie; et le cardinal Charles de Lorraine, qui avoit connu des capucins au concile de Trente, et qui en avoit fait venir quatre qu'il logea dans son parc de Meudon, fut obligé de solliciter une bulle pour autoriser leur établissement en France. Tels furent, dans ce royaume, les foibles commencements de cet ordre fameux.
Quelques historiens pensent qu'après la mort du cardinal, décédé le 26 décembre 1574, ces religieux s'en retournèrent en Italie[556]. Quoi qu'il en (p. 994) soit, il paroît certain que les vues de ce prélat pour l'établissement des capucins en France furent remplies avant sa mort: car nous voyons que, dès 1572, le père Pierre Deschamps, cordelier françois, ayant embrassé cette réforme, le désir de mener une vie plus régulière lui procura bientôt quelques compagnons qui se logèrent avec lui à Picpus[557]. Il eut alors recours au pape Grégoire XIII, qui, par sa bulle du 10 mai 1574, lui permit d'établir en France l'ordre des frères mineurs capucins, permission qui déjà lui avoit été accordée par Charles IX[558].
Pour consolider cet établissement, le général de l'ordre envoya en France un commissaire général, avec douze religieux. Catherine de Médicis se déclara sur-le-champ protectrice de cette nouvelle communauté, et lui fit obtenir un emplacement pour bâtir une église et un couvent, don qui (p. 995) fut confirmé par lettres-patentes du mois de juillet 1576, enregistrées le 6 septembre suivant. Ainsi les capucins s'établirent cette année même au lieu qu'ils ont occupé jusqu'au moment de la révolution. Henri IV et ses successeurs, animés du même esprit, ne cessèrent point d'accorder une protection toute particulière à ces nouveaux enfants de saint François, qui, en 1789, comptoient en France plus de trois cents couvents de leur ordre.
Les bâtiments réguliers des capucins de la rue Saint-Honoré étoient moins simples que ceux des autres couvents du même ordre[559], et d'ailleurs si vastes qu'ils pouvoient contenir une communauté de 150 religieux. On leur avoit accordé cette grande étendue de terrain, parce que, lors de leur établissement, il n'y avoit aucune raison de le ménager dans un lieu qui étoit encore peu habité et hors de la ville. Ces bâtiments furent renouvelés en 1722. En 1731 ces pères firent rebâtir le portail et le mur du cloître, qui suivoient l'alignement de la rue Saint-Honoré; le chœur de leur église fut également reconstruit en 1735. C'est surtout dans ces dernières constructions qu'ils se sont un peu écartés de la simplicité uniforme (p. 996) constamment adoptée dans tous les couvents de leur ordre.
Jaillot a trouvé, dans un mémoire manuscrit, que cette église, qui, dans le principe, n'étoit qu'une simple chapelle, avoit été dédiée le 28 novembre 1575. Elle fut sans doute rebâtie peu de temps après; car on a un autre acte de dédicace, daté de 1583, lequel est, de même que le premier, sous le titre de l'Assomption de la Vierge. Ce bâtiment n'étant pas assez vaste, et l'ordre prenant de jour en jour plus de consistance, on jeta les fondements de l'église qui a subsisté jusqu'à l'époque de la révolution. Commencée en 1603, elle fut finie en 1610, et dédiée le 1er novembre de la même année; l'architecture en étoit médiocre.
Cette maison, la plus considérable en France d'un ordre qu'un siècle absurde et frivole accabloit d'un injuste et sot mépris, a produit un grand nombre de sujets distingués par leur naissance ou par leurs talents[560], et dont les noms (p. 997) ont passé même avec gloire à la postérité. Mais ce qui rendoit ces religieux vraiment recommandables, c'étoit la régularité avec laquelle ils remplissoient tous les devoirs d'un état austère, leur zèle infatigable dans les fonctions les plus pénibles du saint ministère, surtout une charité qu'aucun obstacle, aucun danger ne pouvoient effrayer ni ralentir. Le temps est déjà venu où l'on commence à regretter la destruction, où l'on sent vivement quelle étoit l'utilité de ces saintes réunions dont les membres, au milieu de la corruption des grandes villes, offraient des exemples frappants, ou, pour mieux dire, des leçons vivantes de toutes les vertus chrétiennes, les prêchoient publiquement dans les temples en même temps qu'ils les pratiquoient aux yeux de tous; et, s'ils ne parvenoient pas à détruire entièrement les mauvaises mœurs, contribuoient du moins à en arrêter le débordement, qui maintenant n'a plus de frein, et n'en pourra désormais trouver que dans la rigueur (p. 998) inflexible des cours d'assises et dans une rédaction plus sévère du code criminel.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES CAPUCINS.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Assomption, par La Hire.
Dans le rond, un portement de croix, par le même.
Au-dessus de l'autel, les vingt-quatre vieillards prosternés devant le trône de l'Agneau, par Dumont.
Derrière l'autel, du côté du cloître, un beau Christ mourant, par Le Sueur.
Dans la sacristie, Moïse serrant la manne dans l'arche, par Collin de Vermont.
Dans la dernière chapelle, près la porte, le martyre du P. Fidel, capucin et missionnaire à la Chine, par Robert.
STATUES ET TOMBEAUX.
Dans un des corridors du rez-de-chaussée, une statue de saint Augustin.
Dans la nef, les tombeaux des PP. Ange de Joyeuse et Joseph Le Clerc du Tremblay, dont nous avons déjà parlé.
La bibliothèque de cette maison contenoit environ vingt-quatre mille volumes. On y voyoit un modèle[561] en nacre de perles de l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, et deux beaux globes céleste et terrestre, faits par Coronelli en 1693[562].
Derrière les bâtiments des Capucins étoit le couvent de l'Assomption, dont il ne reste plus aujourd'hui que l'église. C'étoit la demeure d'une communauté de religieuses de l'ordre de saint Augustin, qui y avoient été établies en 1632 par le cardinal François de La Rochefoucauld. Ces religieuses, connues avant cette époque sous le nom d'Haudriettes, avoient alors leur maison à l'entrée de la rue de la Mortellerie, près de la Grève. Nous parlerons en son lieu de l'origine de cette communauté ou hospice; il ne sera question ici que de l'événement qui causa la translation de la plupart d'entre elles à la rue Saint-Honoré, translation qui excita dans le temps de vives réclamations, sur la justice desquelles les historiens sont partagés. L'exposition des faits, constatés par des (p. 1000) actes et des titres authentiques, mettra le lecteur en état fixer son opinion.
La maison, fondée par Étienne Haudri, pour y recevoir de pauvres filles ou veuves, n'étoit pas dans son origine regardée comme un couvent régulier; mais il paroît certain que dans la suite les bonnes femmes de la chapelle des Haudriettes (c'est ainsi qu'elles sont qualifiées dans les actes du temps) formèrent une communauté régulière, assujettie, par le fait, aux lois et observances auxquelles étoient soumises les maisons religieuses. Cet état de choses duroit depuis plus de deux cents ans, lorsque les Haudriettes, considérant que leurs anciennes constitutions n'étoient point conformes à l'état religieux qu'elles avoient embrassé, sollicitèrent le cardinal de La Rochefoucauld d'y faire les changements que les circonstances exigeoient. Ce prélat qui, en sa qualité de grand aumônier, avoit juridiction sur cet hospice, acquiesça à leur demande, et jugea convenable de leur faire embrasser la règle de saint Augustin. Les religieuses s'y soumirent avec joie, et s'y engagèrent par des vœux solennels, le 27 novembre 1620. Ces changements furent aussitôt autorisés par le roi Louis XIII, et ensuite confirmés par une bulle de Grégoire XV, du 5 décembre 1622.
Deux ans après cette réforme, c'est-à-dire le 20 juillet de cette même année, les Haudriettes présentèrent (p. 1001) requête au cardinal, à l'effet d'être transférées dans une autre maison, se plaignant que celle qu'elles occupoient étoit située dans un endroit malsain, trop voisin de la rivière, exposé souvent aux inondations, et par cela même peu propre aux exercices paisibles de la vie religieuse. Le réformateur ayant visité en personne l'ancien couvent, et vérifié la justice de ces plaintes, autorisa la translation dans un lieu plus salubre. On n'en trouva point qui fut plus convenable à l'exécution de ce dessein que la maison même que ce cardinal occupoit au faubourg Saint-Honoré. Six religieuses, qui seules, selon Jaillot, composoient alors toute la communauté des Haudriettes, furent, d'après leur propre demande, transférées dans l'hôtel du cardinal, où elles firent aussitôt construire et distribuer les logements d'une manière convenable à une communauté. Cette demeure nouvelle prit alors le nom du couvent de l'Assomption. Le titre de l'hôpital d'Étienne Haudri fut éteint et supprimé; on en réunit les revenus au nouveau monastère du faubourg Saint-Honoré; et l'emplacement qu'il occupoit fut destiné à des usages profanes, la chapelle exceptée.
Telle est l'exposition des faits sur lesquels les historiens sont à peu près d'accord; mais ils sont loin de l'être sur les motifs et l'utilité du changement des Haudriettes en religieuses de l'Assomption.
(p. 1002) D'abord Sauval, et ceux qui l'ont aveuglément copié, ont hasardé, sans le moindre examen, une opinion injurieuse à la mémoire du cardinal de La Rochefoucauld, en lui supposant, dans cette réforme, des vues d'intérêt personnel pour la vente de son hôtel. Jaillot repousse avec chaleur un soupçon aussi avilissant, et justifie ce prélat par un fait matériel qui tranche toute discussion. C'est que, dès le 16 août 1605, il avoit vendu son hôtel aux jésuites, et que ce fut d'eux que les religieuses de l'Assomption l'achetèrent par contrat du 16 février 1623.
Sauval, qui montre contre le cardinal de La Rochefoucauld et les religieuses de l'Assomption une animosité qui fait suspecter sa bonne foi, prétend que «de quarante religieuses formant la communauté des Haudriettes, six seulement consentirent à être transférées au faubourg Saint-Honoré, et que les religieuses restées à la maison de la rue de la Mortellerie formèrent des oppositions tant à la bulle qu'aux lettres-patentes du roi; qu'elles obtinrent même, au grand conseil, un arrêt du 13 décembre 1624, qui ordonna qu'elles seroient rétablies dans leur hôpital, et qu'elles rentreroient en possession de tous leurs biens et revenus.» Nous avons vu que Jaillot avance que les six religieuses transférées formoient alors toute la communauté; il répond à l'objection de l'arrêt du 13 décembre 1624, (p. 1003) que «ce furent quelques pauvres filles, lesquelles cachoient dans le faubourg Saint-Marcel leur misère et leur paresse, qui, sous le nom d'Haudriettes, se pourvurent au grand conseil, et obtinrent l'arrêt en question.»
Comme ni l'un ni l'autre historien n'appuie son assertion d'aucune autorité, il nous semble qu'on approcheroit beaucoup de la vérité en disant que la translation et la réforme ne se firent pas d'un consentement unanime, et qu'un petit nombre de religieuses, auxquelles se joignirent peut-être quelques filles ou veuves qui recevoient des secours dans cet hôpital, obtinrent l'arrêt dont il est parlé. Quoi qu'il en soit, cet arrêt fut cassé par celui du conseil d'état, du 19 du même mois de décembre.
Ces contradictions ne furent pas les seules que les religieuses de l'Assomption eurent à éprouver dans leur nouvel établissement. Les héritiers de Jean Haudri les attaquèrent par les voies juridiques, comme ayant détourné les biens de la fondation du véritable objet auquel ils avoient été destinés par le fondateur. Les administrateurs des hôpitaux revendiquèrent aussi, de leur côté, les revenus de l'ancienne maison des Haudriettes, comme faisant partie du bien des pauvres. Nonobstant toutes ces réclamations et oppositions, le conseil d'état persista dans ses arrêts précédemment rendus, confirma les changements faits par (p. 1004) le cardinal de La Rochefoucauld, et ordonna l'enregistrement, au grand conseil, de la bulle, des lettres-patentes et des statuts faits pour la réforme des Haudriettes.
Jusqu'en 1670, les religieuses de l'Assomption n'eurent dans leur maison qu'une très-petite chapelle. Leur communauté étant devenue plus nombreuse, elles firent bâtir l'église et le dôme qui existent aujourd'hui, sur les dessins d'Errard, peintre du roi et premier directeur de l'académie de France à Rome. Les travaux, commencés en 1670, furent achevés six ans après; et le 14 août 1676, l'église fut bénite par M. Poncet, archevêque de Bourges.
Ce monument a la forme d'une tour élevée, surmontée d'une calotte sphérique de soixante-deux pieds de diamètre. Elle est ornée de caissons et de peintures à fresque, par Charles de La Fosse, représentant l'Assomption de la Vierge.
On peut justement reprocher à ce petit édifice d'être beaucoup trop élevé pour son diamètre, ce qui donne à son intérieur l'apparence d'un puits profond plutôt que la grâce d'une coupole bien proportionnée. Cette élévation intérieure, qui sans doute n'eût pas été trop forte si la coupole eût été soutenue sur des arcades et pendentifs au milieu d'une nef, d'un chœur et des bras d'une croix grecque ou latine, devient excessive lorsqu'elle se trouve bornée de toutes parts par un mur circulaire; (p. 1005) et le spectateur, ne pouvant avoir une reculée suffisante, ne parvient à considérer la voûte qu'avec une très-grande gêne. Cette tour, qui monte également de fond par dehors, sans presque aucun empatement, n'a point l'effet pyramidal ni l'élégance qu'elle eût acquise par des retraites bien ménagées.
Le seul portail, placé dans la cour de ce monastère et décoré de colonnes corinthiennes couronnées d'un fronton, dans une forme approchant de celle du portique du Panthéon, est assez agréable, si on le considère à part; mais il est beaucoup trop petit pour l'ensemble général, et se trouve écrasé par le dôme[563].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE L'ASSOMPTION.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Nativité, par Houasse.
Vis-à-vis la porte d'entrée, un Christ, par Noël Coypel.
Au-dessus de la porte, la Conception de la Vierge, par Antoine Coypel.
(p. 1006) Dans une des chapelles derrière le chœur, un saint Pierre délivré de prison, par La Fosse.
Entre les vitraux qui éclairent le dôme.
La Présentation de la Vierge au temple, par Bon Boulogne.
Le Mariage de la Vierge, par le même.
L'Annonciation, par Stella.
La Visitation et la Purification, par Antoine Coypel.
Une fuite en Égypte, par François Lemoine.
Sur le plafond du chœur des religieuses, la Trinité, par La Fosse.
Les filles de la Conception étoient des religieuses qui suivoient la règle du tiers-ordre de Saint-François, et occupoient un couvent situé dans la rue Saint-Honoré, vis-à-vis celui de l'Assomption. Les historiens de Paris ne nous apprennent presque rien touchant ce monastère, qui fut fondé, en 1635, par les soins de madame Anne Petau, veuve de René Regnault de Traversé, conseiller au parlement de Paris. Cette dame, ayant conçu le pieux dessein de procurer à la capitale une communauté de l'observance du tiers-ordre de Saint-François, parvint à engager treize religieuses (p. 1007) d'un couvent de Toulouse à se rendre à Paris dans une maison qu'elle leur avoit destinée. Elles y arrivèrent au mois de septembre 1635, et leur fondatrice pourvut à leurs besoins essentiels en donnant, à cet effet, une somme de 45,000 liv. devant produire 3,000 livres de rente. Ces actes n'avoient été faits que d'après le consentement et l'autorisation de l'archevêque de Paris; et, dès le mois de février de cette même année, ces religieuses avoient obtenu, avec les lettres-patentes qui permettoient leur établissement, une bulle d'Urbain VIII qui le confirmoit. Elles éprouvèrent cependant quelques obstacles de la part des religieuses de Sainte-Élisabeth, qui étoient du même ordre, quoique quelques-uns de leurs statuts fussent différents[564]. Mais les difficultés furent presque aussitôt terminées, au moyen d'une transaction consentie, le 25 juillet, par les supérieures de deux communautés; en conséquence, les lettres-patentes portant l'établissement à Paris des filles de la Conception furent enregistrées au parlement le 4 août de la même année 1635[565].
Il paroît qu'à cette époque les couvents et autres (p. 1008) établissements religieux étoient dans une certaine dépendance de la paroisse sur laquelle ils étoient établis; car on lit dans Sauval qu'en 1635 il fut fait une convention entre les religieuses de la Conception et le curé de Saint-Roch, portant qu'elles célébreront les fêtes de la paroisse, et présenteront à l'offrande, le jour de la fête des Cinq-Plaies, un cierge d'une livre et un écu d'or.
Ce couvent ne fut jamais dans un état bien florissant, les dépenses que ces religieuses avoient été obligées de faire successivement étant beaucoup trop fortes pour leur modique revenu, que diminuoit encore l'augmentation progressive des choses nécessaires à la vie. Toutefois elles se soutinrent pendant plus d'un siècle, par une économie sévère et les libéralités de quelques personnes charitables. Mais, en 1713, leur pauvreté étoit telle, qu'elles eussent été forcées d'abandonner leur couvent, si M. d'Argenson, pénétré de la triste situation de ces saintes filles, n'en eût fait à Louis XIV un tableau dont ce prince fut touché. Par un arrêt du 29 mars 1713, il leur fut accordé une loterie d'un million quatre-vingt mille livres de capital, dont le bénéfice calculé à 15 pour 100 produisit une somme suffisante pour rétablir les affaires de cette communauté.
Ce couvent n'avoit rien dans ses bâtiments qui fût digne d'être remarqué. Son église, médiocrement décorée, ne possédoit que deux tableaux, (p. 1009) par Boulogne l'aîné et Louis Boulogne. L'un représentoit la Conception de la Vierge, l'autre sainte Geneviève recevant la médaille des mains de saint Germain[566].
À peu de distance du couvent des filles de la Conception se termine la rue Saint-Honoré et commence celle du faubourg du même nom. Ces deux rues sont séparées l'une de l'autre, à droite par l'ancien boulevart qui commence à cet endroit, à gauche par la rue Royale, laquelle sert d'entrée à la place Louis XV. En arrivant sur cette place, on se retrouve vis-à-vis du jardin des Tuileries, du côté du pont Tournant. Ce jardin est alors situé à l'orient du spectateur; il a devant lui le beau pont Louis XVI; à l'occident, son œil se repose sur les masses imposantes de verdure que forment le Cours-la-Reine et les Champs-Élysées, (p. 1010) d'où ses regards peuvent s'étendre par la grande allée jusqu'à la barrière de l'Étoile; enfin, s'il se retourne au nord, cette partie lui offre la riche décoration des deux colonnades du Garde-Meuble et de l'édifice correspondant, et dans le fond du tableau, par-delà la rue Royale, la nouvelle église de la Magdeleine, non encore achevée.
La place dont nous parlons étoit, dans l'origine, une esplanade entourée d'un fossé, esplanade qui séparoit le jardin des Tuileries du Cours-la-Reine, et dont une partie servoit de magasin aux marbres du roi. La vaste étendue de ce terrain le fit juger propre à recevoir la statue équestre que, dès l'an 1748, la ville avoit décidé de faire élever à Louis XV. Le roi en ayant agréé le projet, des lettres-patentes furent expédiées à ce sujet le 21 juin 1757. Cependant, dès le 22 avril 1754, la première pierre en avoit été posée avec une grande solennité.
Cette place, qui a cent vingt-cinq toises de long sur quatre-vingt-sept de large entre les constructions intérieures, forme une enceinte octogone, entourée de fossés de onze à douze toises de largeur sur quatorze pieds de profondeur. Ces fossés communiquent entre eux par des ponts de pierre avec des archivoltes, et sont bordés par des balustrades, le long desquelles règne un trottoir élevé de quelques degrés au-dessus du sol, (p. 1011) et qui se prolonge dans tout le contour de la place.
Composée d'abord de quatre grandes pièces de gazon maintenant en friche, la place Louis XV est divisée en quatre parties par le chemin qui conduit du boulevart au pont Louis XVI, et des Tuileries aux Champs-Élysées. Les quatre trottoirs qui remplissent l'espace intermédiaire sont terminés par de petits pavillons qui ont pour amortissement des socles décorés de guirlandes, et destinés à porter des figures qui n'ont point été exécutées.
Telle est cette place, qui, découverte entièrement de trois côtés, présente, dans la seule partie du nord, une ligne de bâtiments qui la termine. Ce caractère, si différent de celui de toutes les autres places de Paris, ne lui a point été donné sans raison: ceux qui en conçurent le plan voulurent que, dans la position unique où elle est située, la place Louis XV, environnée, dans tous ses aspects, d'objets ou imposants ou agréables, de monuments existants ou projetés, fût plutôt un centre de tous ces points de vue si variés qu'un ensemble de constructions conçues sur un plan symétrique. Les divers travaux qui, depuis son origine, ont été exécutés dans les espaces environnants, ceux qui se préparent ou s'exécutent encore aujourd'hui, ont justifié et justifient de plus en plus cette conception nouvelle, qui fut (p. 1012) extrêmement critiquée dans le principe, et que critiquent encore tous ceux qui veulent que les règles l'emportent toujours sur les convenances, principe dont l'extrême rigueur peut avoir de grands inconvénients et jeter même dans les fautes les plus graves.
La statue en bronze de Louis XV étoit placée au milieu de l'intersection des quatre chemins qui traversent cette place, en face de la grande allée des Tuileries et de la grande route de Neuilly. Le monarque y étoit représenté à cheval, en costume romain, et couronné de lauriers. Cette figure, qui n'étoit pas sans élégance, mais qui manquoit de style, et surtout de ce caractère héroïque qu'on exige dans les monuments de ce genre, avoit été modelée par Edme Bouchardon, sculpteur du roi, et fondue d'un seul jet, en 1760. Cet artiste, étant mort deux ans après, n'eut pas la satisfaction de voir à sa place un ouvrage qu'il regardoit comme son chef-d'œuvre[567] et comme le gage de son immortalité. La statue ne fut élevée qu'en 1763. Aux quatre angles du piédestal étoient placées quatre figures colossales exécutées par Pigalle[568], et (p. 1013) représentant des Vertus caractérisées par leurs attributs: des guirlandes de laurier, des cornes d'abondance, etc., ornoient la corniche du piédestal dont la hauteur étoit de vingt-deux pieds. Des tables de marbre chargées d'inscriptions[569], des bas-reliefs en bronze[570] en couvroient les quatre surfaces, et sur le socle étoient posés deux grands trophées, offrant un mélange de boucliers, de casques, d'épées et de piques antiques, également jetés en bronze.
Une magnifique balustrade de marbre blanc entouroit ce monument[571].
(p. 1014) Les deux bâtiments qui terminent cette place du côté du boulevart présentent deux façades de quarante-huit toises de longueur chacune, sur soixante-quinze pieds de hauteur, placées à seize toises de distance de la balustrade des fossés, et séparées l'une de l'autre par la rue Royale dont nous venons de parler. Des avant-corps couronnés de frontons en forment les extrémités, et, dans l'espace qui sépare ces constructions, une suite d'arcades décorées de bossages et formant galeries, sert de soubassement à un péristyle de colonnes isolées d'ordre corinthien; au-dessus règne une balustrade dans toute la longueur de chaque édifice.
Ces deux monuments ont été exécutés sur les dessins de M. Gabriel; et, comme nous l'avons dit, leur objet principal fut de terminer de ce côté la place par une architecture pittoresque et somptueuse. On voit évidemment, dans la disposition des colonnades qui en occupent la partie supérieure, que l'architecte a eu l'intention de rivaliser avec celles que Perrault a élevées sur la façade du Louvre; mais, de l'aveu de tous les connoisseurs, la palme est encore restée au dernier. En voulant éviter ce qu'on a quelquefois appelé un défaut dans l'ouvrage de Perrault, c'est-à-dire l'accouplement des colonnes, l'artiste moderne, par l'infériorité de son travail, a donné une preuve nouvelle qu'il existe dans l'architecture un (p. 1015) beau relatif indépendant de tous les principes, d'où il peut résulter des effets supérieurs à la marche régulière qu'ils ont consacrée, et dont la régularité n'est quelquefois que l'absence des défauts. M. Gabriel auroit peut-être réussi à faire condamner Perrault, s'il eût donné à ses ordonnances plus de gravité, moins de maigreur aux colonnes, moins de largeur aux entre-colonnements, plus de caractère aux profils et aux objets de décoration, et s'il eût fait choix d'un plus heureux soubassement. Au reste cette architecture a de l'éclat, de la magnificence, et présente un point de vue riche et élégant[572].
Nous allons achever de décrire successivement les différents aspects ou monuments que l'œil embrasse du milieu de la place immense qu'ils environnent; (p. 1016) et, pour suivre une sorte d'ordre qui nous ramène dans l'itinéraire du quartier, nous parlerons d'abord des Champs-Élysées et du Cours-la-Reine, qui se présentent en face du jardin des Tuileries.
Le vaste emplacement où se trouvent aujourd'hui ces belles promenades étoit anciennement couvert de petites maisons irrégulières et isolées, accompagnées de jardins, de prés et de terres labourables. En l'année 1616, la reine mère, Marie de Médicis, ayant acheté une partie de ce terrain, y fit planter trois allées formées par quatre rangs d'arbres, et fermées aux deux extrémités par des grilles de fer. Cette promenade étoit réservée uniquement pour cette princesse et pour sa cour, lorsqu'elle vouloit prendre l'air en carrosse; et ce fut cette destination particulière qui lui fit donner le nom de Cours-la-Reine. Ce cours régnoit comme aujourd'hui le long de la rivière, dont il étoit séparé par la chaussée de la grande route de Versailles. De l'autre côté, des fossés le (p. 1017) séparoient d'une plaine dans laquelle on passoit sur un petit pont de pierre. En 1670, cette plaine, qui s'étendoit jusqu'au Roule, fut plantée d'arbres formant plusieurs allées, au milieu desquelles on ménagea des tapis de gazon; et cette nouvelle promenade prit dès lors le nom de Champs-Élysées. L'allée du milieu, plus spacieuse que les autres, aboutissoit, dès ce temps-là, d'un côté à l'esplanade où est actuellement la place Louis XV, et de l'autre à l'endroit qu'on appelle aujourd'hui l'Étoile, par-delà la barrière. Les arbres du Cours-la-Reine, qui avoient été plantés en 1616, furent arrachés en 1723, par l'ordre du duc d'Antin, alors surintendant général des bâtiments, qui en fit replanter d'autres dans l'arrangement où ils sont encore aujourd'hui. En 1764, M. de Marigny, autre surintendant des bâtiments, fit aussi replanter les Champs-Élysées. Les allées, tracées et distribuées alors suivant un nouveau plan et dans une nouvelle symétrie, en ont fait une des promenades les plus agréables de Paris, et l'entrée la plus magnifique de cette belle capitale[573].
Dès 1722, la ville de Paris avoit été autorisée par lettres-patentes à faire un emprunt pour l'établissement d'un pont vis-à-vis la place Louis XV. La grande quantité d'hôtels et de maisons qui s'élevoient de tous côtés dans le faubourg Saint-Germain, faisoit sentir davantage de jour en jour la nécessité de cette communication nouvelle entre les deux rives, qu'il n'étoit alors possible de traverser qu'en allant chercher le pont Royal, ou en se servant du moyen lent et incommode d'un bac établi vis-à-vis les Invalides. Ce ne fut cependant qu'en 1786 que, par un édit du roi qui permit un emprunt de trente millions destiné aux embellissements de Paris, il fut affecté 1,200,000 livres pour les frais des premières constructions de ce monument: commencé en 1787, il ne fut achevé qu'en 1790.
Ce pont, le plus estimé de tous ceux qui ornoient alors Paris, est composé de cinq arches qui diminuent graduellement de largeur. L'arche (p. 1019) du milieu a quatre-vingt-seize pieds d'ouverture; les deux qui lui sont collatérales, quatre-vingt-sept pieds, et celles qui touchent les culées soixante-dix-huit. Ces arches offrent dans leur courbure surbaissée une portion de cercle dont le centre seroit fort au-dessous du niveau de l'eau, de manière que la ligne totale du pont ne s'écarte de la ligne droite que par une courbe presque insensible et de la plus grande élégance[574].
L'architecte de ce beau monument, M. Perronnet, en imaginant cette forme hardie, fit une innovation heureuse, et exécuta ce qui jusqu'alors avoit semblé impraticable. Des arcs ainsi surbaissés ne sembloient pas devoir offrir une résistance suffisante, et eussent été effectivement trop foibles, si l'habile ingénieur n'eût trouvé la solution du problème dans la force prodigieuse qu'il donna aux culées, laquelle est incomparablement plus grande que celle qu'on juge nécessaire aux culées des ponts en plein cintre. Il avoit déjà fait l'expérience de cette belle et audacieuse construction dans le magnifique pont de Neuilly[575].
Les piles, qui s'élèvent en ligne droite, n'ont que neuf pieds d'épaisseur, et présentent à l'avant-bec (p. 1020) et à l'arrière-bec des colonnes engagées qui soutiennent une corniche de cinq pieds et demi de hauteur. Les parapets, formés en balustrades, ajoutent encore à la grâce et à la richesse de ce monument.
Il faut revenir maintenant à cette église paroissiale, dont le nouveau bâtiment forme le dernier point de perspective de la place Louis XV.
Elle étoit primitivement, comme plusieurs autres, un démembrement de la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, laquelle comprenoit alors dans sa circonscription tout le territoire situé depuis le chemin de Saint-Denis, hors de la ville, jusqu'aux environs du bourg de Saint-Cloud. La plupart des historiens de Paris, sur la foi du commissaire Delamare, qu'ils ont successivement copié, ont avancé que l'église de la Magdeleine, devenue paroisse en 1639, n'étoit avant cette époque qu'une chapelle fondée par Charles VIII en 1487; mais l'abbé Lebeuf démontre, par des titres authentiques, que l'origine de cette église (p. 1021) est d'une antiquité beaucoup plus reculée; et Jaillot, qui a vérifié et développé les preuves sur lesquelles ce savant appuie son opinion, nous semble avoir éclairci cette question avec toute l'exactitude et la sagacité qui le caractérisent.—«On sera convaincu, dit-il, par plusieurs raisons, qu'il existoit une église à la Ville-l'Évêque bien antérieurement à l'année 1487: 1o si l'on fait attention que de temps immémorial la Ville-l'Évêque étoit un bourg, que les évêques de Paris y avoient un séjour ou maison de plaisance, des granges, un port, des dîmes, etc., on ne peut guère douter qu'il n'y eût une église ou chapelle pour le secours des habitants, quoique leur nombre ne fût pas considérable; 2o la nouvelle clôture de la ville sous Philippe-Auguste mettoit dans la nécessité d'avoir une paroisse dans le faubourg; 3o ces conjectures dégénèrent en preuves à la vue des titres, qui font mention d'un prêtre ou curé de la Ville-l'Évêque. Indépendamment du pouillé[576] du treizième siècle et des suivants, et d'un titre de 1238[577], dans lequel est nommé le prêtre de Villa Episcopi, on trouve que le mercredi avant la Pentecôte 1284, le chapitre de Saint-Germain avoit nommé Étienne de Saint-Germain (p. 1022) vicaire perpétuel de l'église de la Ville-l'Évêque[578]: on peut y ajouter la table des cures du diocèse, dans laquelle celle de la Ville-l'Évêque est indiquée; et le contrat du 13 mai 1386, par lequel M. Le Coq, avocat-général, donne à cette église 30 livres, à la charge par le curé de célébrer tous les jeudis une messe du Saint-Sacrement; enfin une sentence de l'official de Paris, du 16 mars 1407, en faveur du chapitre de Saint-Germain, dans laquelle est énoncé son droit, comme curé primitif, sur les églises de Sainte-Opportune, de Saint-Honoré et de la Ville-l'Évêque, dont il jouit de temps immémorial, à tali et tanto tempore cujus initii hominum memoria non existit[579].»
Il y a lieu de croire, d'après cela, que la chapelle bâtie par les ordres de Charles VIII en remplaça une autre qui existoit auparavant. Ce prince y ayant établi en même temps la confrérie de Sainte-Marie-Magdeleine[580], l'église aura été, par cette raison, dédiée sous l'invocation de cette sainte; et il ne faut point chercher d'autre origine à ce nom. L'église de la Ville-l'Évêque ne (p. 1023) fut effectivement érigée en paroisse avec un curé titulaire qu'en 1639. Le chapitre de Saint-Germain voulut d'abord y mettre opposition et faire valoir ses droits[581] sur cette cure; mais il paroît que ses prétentions furent aussitôt rejetées, et c'est à tort que l'abbé Lebeuf prétend que les chanoines y ont eu juridiction jusqu'à leur réunion au chapitre de la cathédrale.
Quelques années après que la chapelle de la Magdeleine eut été érigée en paroisse, elle se trouva trop petite pour le nombre toujours croissant de ses paroissiens. On songea donc à bâtir une église plus spacieuse, et la première pierre en fut posée, le 8 juillet 1659, par Anne-Marie-Louise d'Orléans, connue sous le nom de Mademoiselle. Ce fut cette nouvelle église qui reçut publiquement le nom de Sainte-Magdeleine: car, dans tous les actes antérieurs à cette époque, on ne la trouve désignée que sous le nom d'église de la Ville-l'Évêque[582].
Peu de temps après, il s'éleva quelques différends entre les curés de Saint-Roch et de la nouvelle (p. 1024) paroisse, au sujet des limites respectives de leurs juridictions; mais ces débats de peu d'importance furent terminés par un arrêt du parlement du 26 février 1671, qui ordonna que les clôtures de la ville, telles qu'elles existoient alors, serviroient de bornes aux deux paroisses[583].
Le quartier de la Ville-l'Évêque s'étant considérablement accru dans l'espace d'un siècle qui s'étoit écoulé depuis la construction de l'église de la Madeleine[584], on pensa à en bâtir encore une nouvelle proportionnée au nombre de ses paroissiens. On voulut même qu'elle fût construite avec une certaine magnificence, comme devant concourir à l'ornement de la place Louis XV, en face de laquelle on en avoit choisi l'emplacement, à l'angle du boulevart. M. Constant d'Ivry, architecte de M. le duc d'Orléans, fut choisi pour mettre à exécution ce grand projet. Ses plans et dessins furent (p. 1025) acceptés, et l'on posa la première pierre le 13 avril 1764. Cet architecte avoit jeté les fondements de cet édifice; il l'avoit élevé à quinze pieds au-dessus du sol, lorsqu'il mourut en 1777. M. Couture, qui avoit été associé à ses travaux, l'ayant remplacé seul dans la direction de cette entreprise, crut devoir modifier le plan et changer l'élévation de l'édifice: en conséquence une partie de ce qui avoit été bâti fut démoli, et l'entrée fut décorée d'un péristyle corinthien, dont la proportion est belle et l'ordonnance sage[585]. Les colonnes, au nombre de douze, étoient déjà élevées jusqu'aux chapiteaux, lorsque la révolution arriva et fit cesser entièrement ces travaux, qui auparavant avoient été plusieurs fois suspendus. Ils furent repris par ordre de l'usurpateur, et continués sur un plan nouveau qui paroît devoir être achevé sous le règne de nos rois légitimes; et ainsi seront complétés les aspects magnifiques qu'offre cette partie de la capitale que nous venons de décrire[586].
Les religieuses de ce couvent, situé près de l'église de la Magdeleine, vivoient, comme leur nom l'indique, sous la règle de Saint-Benoît. Elles avoient été établies dans ce monastère, en 1613, par Catherine d'Orléans-Longueville et Marguerite d'Orléans-d'Estouteville sa sœur. Ces deux princesses ayant conçu le dessein de fonder une communauté de filles, et obtenu l'agrément du roi pour son exécution, destinèrent à cet établissement deux maisons avec jardins, formant un enclos à peu près de treize arpents, qu'elles avoient acquises à la Ville-l'Évêque. Ayant fait disposer l'intérieur de ces édifices d'une manière convenable aux exercices de la vie religieuse, elles s'adressèrent à l'abbesse de Montmartre, et lui demandèrent, pour peupler ce nouveau couvent, des sujets de son monastère. Celle-ci envoya dix religieuses, qui en prirent possession le 2 avril 1613.
Deux ans après, ces saintes filles, encouragées (p. 1027) par les exemples et les exhortations de leur supérieure Marguerite de Veiny-d'Arbouze[587], formèrent le dessein d'embrasser une règle plus austère que celle qui étoit pratiquée dans l'abbaye de Montmartre. Ayant obtenu le consentement de l'abbesse dont elles dépendoient encore à cette époque, elles commencèrent, le jour de Pâques 1615, à observer les jeûnes, les abstinences et les austérités de la règle de saint Benoît. Cet exemple fut, peu de temps après, imité par les religieuses de l'abbaye de Montmartre, et cette observance a continué d'être suivie dans ces deux monastères jusqu'au moment de leur destruction.
Ce monastère des Bénédictines de la Ville-l'Évêque avoit d'abord été érigé en prieuré dépendant de l'abbaye de Montmartre, ce qui le fit appeler le petit Montmartre, quoique son véritable nom fût celui de Notre-Dame de Grâce. Quelques contestations s'étant élevées depuis entre ces deux maisons, il parut convenable et même nécessaire de les désunir. En conséquence, le 20 mai 1647, l'abbesse de Montmartre céda tous les droits et prétentions qu'elle avoit, en cette qualité, sur le prieuré de Notre-dame de Grâce; et une somme de 36,000 livres lui fut accordée, en dédommagement des frais qui avoient été faits (p. 1028) pour l'établissement, les bâtiments et la manutention de ce prieuré. Par ce concordat, la nouvelle communauté devint tout-à-fait indépendante de l'autre, et fut soumise, quant à sa discipline intérieure, à l'archevêque de Paris. Alors les religieuses de la Ville-l'Évêque se pourvurent au parlement le 7 septembre de la même année 1647, et y firent enregistrer les lettres-patentes accordées en 1612 à leurs fondatrices[588].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES BÉNÉDICTINES.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Annonciation attribuée à Lesueur. Dans le sanctuaire, l'Adoration des mages, et Jésus-Christ dans le désert, par Boullongne aîné.—L'Adoration des bergers, par Pierre. La Cananéenne, par un peintre inconnu. Deux tableaux de Champagne et deux de Detroy, sujets tirés de la vie de N. S.
L'église de ce couvent a été détruite, et sur son emplacement on a pratiqué un passage qui conduit à la rue de l'Arcade.
Cette église paroissiale est située dans la rue du Faubourg-du-Roule, à peu de distance de la barrière. Son territoire, qui comprend tout ce faubourg, dépendoit autrefois de la paroisse de Villers-la-Garenne et de celle de Clichy. Jusqu'en 1699, il n'y eut, dans cet endroit, qu'une petite chapelle, servant à l'usage d'un hôpital établi pour les lépreux. L'époque de la fondation et le nom du fondateur de cette léproserie sont également inconnus. Mais comme cet établissement avoit pour objet de procurer une retraite et des secours aux ouvriers monnoyeurs de Paris, on peut conjecturer avec quelque raison qu'il fut fondé par les chefs et directeurs des monnoies; et la permission pour la construction de la chapelle étant du mois d'avril 1217, il y a lieu de croire que la fondation de l'hôpital n'est pas de beaucoup (p. 1030) antérieure à cette époque: car la religion s'empressoit toujours de joindre ses consolations spirituelles aux secours que la charité préparoit pour les malades et les infortunés. Nous voyons dans les anciens titres[589] que l'évêque, par un accord fait entre lui et les ouvriers monnoyeurs, avoit la nomination de quatre places dans cet hôpital; droit qu'il se réserva apparemment comme une indemnité des terrains qu'il avoit accordés, ou des acquisitions qu'il avoit amorties sur le Roule, dont le territoire étoit un fief de l'évêché.
Cet hôpital subsista jusque vers la fin du seizième siècle; mais insensiblement la maladie pour laquelle il avoit été fondé diminuant en France, il arriva qu'on n'y reçut plus personne et que les bâtiments tombèrent en ruine. Enfin, vers l'an 1699, sur la demande des habitants, dont le nombre s'étoit beaucoup augmenté, le territoire du Roule, réuni à celui de la Ville-l'Évêque, fut érigé en faubourg, et la chapelle en paroisse, sous l'invocation de saint Jacques et de saint Philippe[590].
(p. 1031) Cette chapelle étoit petite et d'une construction gothique[591]. Le nombre toujours croissant des paroissiens fit bientôt sentir la nécessité de faire construire une église plus vaste; et, sur la demande des marguilliers, Louis XV ordonna que les travaux en fussent commencés en 1769. Elle ne fut achevée qu'en 1784, et bénite le 30 avril de la même année.
Cette église, bâtie sur les dessins de M. Chalgrin, de l'ancienne académie, est une des plus jolies, parmi toutes celles que l'on a construites (p. 1032) à Paris dans le goût moderne, et celle, sans contredit, qui se rapproche le plus du bon style de l'architecture antique.
Le plan en est simple et dans la forme des anciennes basiliques chrétiennes. Sans être habile connoisseur en architecture, il est facile de juger combien cette disposition a d'avantages sur ces piliers massifs que chargent des pilastres ployés en tout sens, dont se composoit auparavant la décoration de nos églises, lorsque l'on a voulu sortir du style gothique, et avant que le système des anciens eût prévalu sur celui de nos modernes architectes.
Le porche de cette église s'annonce par quatre colonnes de l'ordre dorique, surmontées d'un fronton[592]. Deux rangs de colonnes ioniques, d'un diamètre moins fort que celles du portique, se prolongent intérieurement dans toute la longueur de l'édifice, et séparent la nef des bas-côtés par un péristyle de dix-huit pieds de largeur. La nef est large de trente-six pieds; ce qui donne pour largeur totale soixante-seize pieds. La profondeur de cette basilique est de plus du double, depuis les colonnes extérieures jusqu'à celles qui décorent la niche du fond du sanctuaire, au milieu duquel s'élève, sur quelques marches, l'autel principal, (p. 1033) isolé à la romaine. Toute cette ordonnance a beaucoup d'élégance et de majesté.
La voûte présente une singularité dont il n'y a eu qu'un seul autre exemple à Paris. Elle est construite en bois, d'après un procédé particulier, découvert dans le seizième siècle par Philibert Delorme[593]. Cette construction, beaucoup moins dispendieuse que les voûtes en pierre et presque aussi solide, se compose de plats-bords de sapin, dont l'assemblage est très-ingénieux parce qu'il est très-simple. Celle-ci est d'une parfaite exécution; décorée de caissons et peinte en couleur de pierre, elle en offre l'apparence au point de tromper l'œil le plus exercé[594].
À l'extrémité des péristyles intérieurs qui forment les bas-côtés, sont deux chapelles, dont l'une est dédiée à la Vierge et l'autre à saint Philippe, patron de l'église. On voit par la solidité de leurs masses qu'elles étoient destinées, dans l'origine, à supporter deux tours qui devoient servir de clocher. Les raisons d'économie qui avoient déterminé la fabrique à faire construire la voûte en bois, la portèrent à substituer à ces tours un petit campanille situé au chevet de l'église.
(p. 1034) On se plaint avec raison qu'un édifice aussi élégant ne soit pas isolé au milieu des habitations qui l'environnent. Nous ne pouvons nous empêcher de remarquer à cette occasion que Paris est peut-être la ville de l'Europe où les monuments publics sont le plus fréquemment obstrués par des édifices particuliers, qui leur ôtent toute leur majesté, et nuisent même à leur conservation. Avant la révolution, on ne pouvoit excepter de ce défaut général que l'église de Notre-Dame, le dôme des Invalides, la Sorbonne, les Jésuites de la rue Saint-Antoine, et quelques couvents de femmes, tels que le Val-de-Grâce, les Carmélites, etc., etc. Depuis les nouveaux embellissements que l'on a faits à cette capitale et que l'on continue d'y faire, quelques églises ont été dégagées, et nous espérons qu'un monument aussi remarquable que Saint-Philippe du Roule obtiendra quelque jour le même honneur, et se présentera au milieu de deux rues latérales que l'architecte de cette église avoit sans doute fait entrer dans son plan.
M. Beaujon, conseiller d'état, et receveur général des finances, fit bâtir, il y a environ trente ans, ce joli monument, avec le projet d'en faire à la fois une succursale de Saint-Philippe du Roule et le lieu de sa sépulture. Cet homme opulent, et qui faisoit un noble usage de ses richesses, avoit fait choix, pour ériger tous ses bâtiments, d'un architecte plein de talents, nommé Girardin, lequel parut se surpasser lui-même dans cette occasion.
La disposition heureuse de cette chapelle, la parfaite exécution de tous ses détails, la richesse et le bon goût de sa décoration, où rien n'est épargné, tout concourt à placer ce petit monument au nombre des productions les plus agréables de notre architecture[595]. La nef est soutenue par deux rangs de colonnes isolées, formant galeries (p. 1036) latérales; des murs ornés de niches au-dessus d'un stylobate leur servent de fond.
La voûte de cette nef, décorée de caissons, reçoit le jour par haut, au moyen d'une lanterne carrée. À son extrémité est une rotonde également ornée d'un péristyle corinthien et qui est éclairée de la même manière. L'autel circulaire est placé au centre. Cette distribution de lumières, qui n'étoit point alors aussi usitée qu'elle l'est devenue depuis, produit un effet séduisant, et fait singulièrement valoir les formes de cette architecture, à laquelle on ne peut reprocher que d'être employée sur une trop petite échelle, et de présenter trop d'objets dans un petit espace. Si le propriétaire et l'artiste eussent vécu quelques années de plus, on assure que leur projet étoit d'exécuter, une seconde fois, ce plan dans les dimensions plus vastes d'une église paroissiale; en effet, on ne peut s'empêcher de penser, en considérant cette composition, et en songeant au talent supérieur, au goût excellent de l'artiste qui l'a conçue, qu'elle étoit destinée à recevoir une seconde exécution; et qu'en l'élevant, à la fois, sur un si noble dessin, et dans d'aussi petites proportions, il ne l'ait pas uniquement regardée comme le modèle d'un plus grand édifice. Si ce projet eût pu être réalisé, on auroit eu alors un monument également admirable par la noblesse, la richesse et l'élégance.
(p. 1037) Quoi qu'il en soit, l'église de Saint-Philippe du Roule et cette chapelle de Saint-Nicolas, bâties à peu près à la même époque et dans le même quartier, peuvent être regardées, après l'église Sainte-Geneviève, comme les premiers triomphes remportés publiquement par le bon goût, dans la lutte déjà établie en France entre l'architecture moderne et l'architecture antique. Depuis long-temps l'art avoit franchi, dans sa théorie, les limites où une ancienne routine s'efforçoit de le contenir; on rappeloit sans cesse, dans les compositions académiques, les temples grecs et romains, et l'on rejetoit avec une sorte d'horreur ce système de piliers, d'arcades et de niches carrées qui sembloit auparavant pouvoir seul constituer l'ordonnance des édifices sacrés. Girardin eut le bonheur d'exécuter, des premiers, et dans le même projet, deux pensées puisées dans l'antique: une basilique et un temple rond périptère; il le fit aux applaudissements unanimes de tous les jeunes artistes, dont les portefeuilles étoient remplis d'études puisées à la même source, études qu'ils opposoient sans cesse au style maniéré des architectes du siècle de Louis XIV. La révolution en architecture fut dès lors complète et sans retour.
On ne peut trop regretter qu'elle ne se soit pas opérée un siècle plus tôt; les édifices vastes et nombreux qui s'élevèrent dans ce long intervalle n'auroient pas eu ce caractère mesquin (p. 1038) et bizarre qu'on leur a si justement reproché. Les conceptions de cette époque fameuse sont grandes, mais les détails en sont petits et de mauvais goût; et, dans la plus belle des capitales, l'œil est affligé de ne rencontrer partout que des décorations factices qui contrastent désagréablement avec la majesté et la vaste dimension des monuments. Il en résulte que Paris, si remarquable sous tant de rapports, n'offre souvent qu'un intérêt médiocre sous celui de l'architecture.
Cet hospice, situé dans le faubourg du Roule, fut créé, en 1784, par le même M. Beaujon, fondateur de la jolie chapelle dont nous venons de parler. Il eut pour but, en formant cet établissement, de pourvoir à l'éducation des pauvres enfants de ce quartier. En effet, cet hospice, doté par lui de 25,000 liv. de rentes, étoit destiné à recevoir douze garçons et douze filles, orphelins et nés dans le faubourg. Ils y étoient nourris, vêtus, instruits, depuis l'âge de six ans jusqu'à douze, (p. 1039) époque à laquelle on leur donnoit 400 livres pour payer l'apprentissage du métier qu'ils avoient choisi.
Cette maison, dont l'architecture offroit une distribution heureuse et surtout très-propre à un édifice de ce genre, étoit gouvernée par des sœurs de la Charité; des frères des Écoles chrétiennes dirigeoient l'éducation des garçons, et des ecclésiastiques étoient chargés du spirituel[596].
En traversant la rue Neuve de Berri, située à peu de distance de la chapelle Saint-Nicolas, on se trouve en face des Tuileries, au milieu de la grande allée des Champs-Élysées, et de là on découvre à droite le village de Chaillot.
Ce village fut pendant long-temps hors de la ville, qui, par ses accroissements successifs, s'en rapprochoit de jour en jour davantage. Enfin il (p. 1040) arriva en 1659 que leurs extrémités se confondirent; et alors il fut déclaré faubourg de Paris, sous le nom de faubourg de la Conférence. Depuis cette époque, ce village fait partie de la capitale, et à ce titre son histoire doit trouver place dans cet ouvrage.
Il n'y avoit anciennement sur la côte qui commence à Chaillot, et qui règne jusqu'au-delà du bois de Boulogne, qu'un seul village, qui, au septième siècle, s'appeloit en latin Nimio, dont on fit en françois Nijon. Nous en trouvons la preuve dans le testament de saint Bertram, évêque du Mans, qui mourut en 623, testament par lequel il lègue à l'église de Paris ce village de Nimio dont il étoit devenu propriétaire, tant par acquisition que par donation de Clotaire II. Il est vraisemblable que, dans la suite des temps, les habitants du village de Nijon se répandirent sur les deux côtés de la colline. Les uns, se dirigeant vers l'occident, y formèrent peu à peu un nouveau village, qui prit le nom d'Auteuil, lequel étoit celui du canton; les autres s'établirent un peu plus près de Paris sur la partie orientale de la côte, dans un endroit où l'on venoit d'abattre une forêt nommée de Rouvret, dont le bois de Boulogne actuel faisoit partie: ce second village prit le nom de Chal[597], et par la suite celui de Chaillot.
(p. 1041) Ces deux villages, formés des débris de celui de Nijon, qui perdit ainsi son territoire et même son nom[598], s'étant peuplés considérablement, furent, quelques siècles après, érigés en paroisse. Il y a lieu de croire que cette érection eut lieu vers la fin du onzième siècle, car il n'est nulle part fait mention de l'église de Chaillot avant cette époque. Le premier titre qui en parle est une bulle du pape Urbain II, de l'an 1097, dans laquelle cette église est désignée sous le nom de Ecclesia de Calloio, et le lieu sous celui de Caloilum. Dans les titres où il n'est pas latinisé, il se trouve écrit Challoel. Dans les quatorzième et (p. 1042) quinzième siècles, on écrivit Chailluyau, Chailleau, Chaleau et Chailliau.
Chaillot étoit un des villages qui faisoient partie du domaine du roi; et avant l'affranchissement des serfs, c'est-à-dire au douzième siècle, il y régnoit une coutume nommée Béfert, qui mérite d'être connue. Elle consistoit en ce que, contre l'usage ordinaire, la femme et les enfants suivoient le sort du mari quant à la servitude. Ainsi, en vertu de cette coutume, une femme de Chaillot, serve du roi par sa naissance, épousant un homme serf de Sainte-Geneviève à Auteuil, devenoit serve de l'abbaye de Sainte-Geneviève, aussi bien que tous les enfants qu'elle mettoit au monde; et réciproquement, si c'étoit une femme d'Auteuil qui épousât un homme serf de Chaillot, la femme et les enfants devenoient esclaves du roi[599].
(p. 1043) L'église de ce village étoit, dès l'an 1097, dans la dépendance du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, comme on le voit dans la bulle d'Urbain II, dont nous avons parlé; et cette dépendance fut confirmée par les papes ses successeurs. Les lettres de Thibaud, évêque de Paris vers l'an 1150, assurent à ces religieux decimam de Chailloio et altare. Le pouillé parisien du treizième siècle, à l'article de l'église de Chaillot, la désigne sous le nom de Chailoel, à la nomination du prieur de Saint-Martin, ce qui est suivi dans les pouillés postérieurs; elle est aussi marquée dans l'archiprêtré de Paris, appelé depuis l'archiprêtré de la Magdeleine.
L'église paroissiale est sous le titre de Saint-Pierre: c'est un bâtiment moderne, à l'exception du sanctuaire terminé en demi-cercle sur la pente de la montagne, lequel peut avoir été construit il y a cent cinquante ans. Il est supporté de ce côté par une tour solidement bâtie. Cette église a deux ailes de chaque côté, dont la construction a cela de particulier, qu'elles ne se rejoignent pas derrière le grand autel.
(p. 1044) TABLEAUX ET SÉPULTURES.
Sur le grand autel, saint Pierre délivré de prison.
Dans le chœur la sépulture d'Amaury-Henri Goyon de Matignon, comte de Beaufort, décédé le 8 août 1701.
Le village de Chaillot est remarquable par sa situation pittoresque sur une colline qui domine la rivière, et par les jolies habitations dont il est couvert. Il s'étend jusqu'à la barrière dite des Bons Hommes, et offre dans cet espace plusieurs fondations et monuments publics qui sont les derniers dont il nous reste à parler pour terminer la description de cet immense quartier.
Cette abbaye, située dans la partie la plus élevée de Chaillot, étoit occupée par des chanoinesses de l'ordre de Saint-Augustin. Établies d'abord à Nanterre en 1638, par Claudine Beurrier, sœur de Paul Beurrier, chanoine régulier et curé de Nanterre, elles furent transférées, dès 1659, (p. 1045) à Chaillot, quoique les lettres-patentes pour l'autorisation de leur établissement ne soient que du mois de juillet 1671, et qu'elles n'aient été enregistrées au parlement que le 3 août 1673.
Ces religieuses n'avoient été gouvernées, dans les commencements, que par une prieure triennale; mais depuis l'an 1682 elles eurent une abbesse, sous la juridiction de l'ordinaire, entretenant cependant confraternité avec les chanoines réguliers de la congrégation gallicane.
Leur monastère, long-temps connu sous le nom de Notre-Dame de la Paix, prit le nom de Sainte-Perrine de Chaillot, lorsqu'en 1746 on y réunit l'abbaye de Sainte-Perrine de la Villette. Cette communauté étoit ordinairement composée de quarante-cinq religieuses. Elles portoient l'aumuce noire mouchetée de blanc, ce qui fut remarqué comme une nouveauté très-extraordinaire, parce que les aumuces avoient été autrefois données aux hommes pour couvrir leurs têtes, et que les religieuses ont toujours eu des voiles pour cet usage.
L'église de ce monastère ne pouvoit pas être considérée comme un monument; on voyoit sur le maître-autel une Adoration des rois, par Monnier.
En descendant des hauteurs de Chaillot, on se retrouve sur le bord de la rivière, à l'extrémité du Cours-la-Reine. Suivant ensuite le quai jusqu'à la barrière dite des Bons-Hommes, on rencontre encore deux établissements publics: une des pompes à feu qui fournissent de l'eau aux fontaines et aux maisons de Paris, et la manufacture de tapis de la Savonnerie.
Un petit bâtiment carré d'une forme très-élégante, et ombragé de peupliers et d'acacias, contient tout l'appareil de la pompe à feu, dont nous allons donner une courte description.
Cet établissement a été formé par MM. Perrier frères, habiles mécaniciens, qui en ont été long-temps les propriétaires[600]. Un canal de sept pieds de large, construit sous le chemin de Versailles, introduisoit d'abord l'eau de la Seine dans un bassin bâti en pierres de taille, et dans ce bassin (p. 1047) étoit plongé le tuyau d'aspiration des pompes. Depuis on a comblé le bassin, et abandonné le canal qu'on a remplacé par des tuyaux à embouchures recourbées qui se prolongent jusqu'au milieu de la rivière. La pompe à feu, laquelle est de la plus grande proportion connue, placée dans l'édifice dont nous venons de parler, communique avec ces tuyaux, et fait monter en vingt-quatre heures environ quatre cent mille pieds cubes d'eau[601] dans des réservoirs construits sur la montagne de Chaillot, laquelle est élevée d'environ cent dix pieds au-dessus du niveau de la rivière. Ces réservoirs dominent ainsi les quartiers du nord de la ville, et l'eau qu'ils fournissent peut y être distribuée dans tous les édifices qu'ils contiennent, sans exception.
On reçoit ces eaux, qui sont très-salubres, au moyen d'un abonnement assez modique. Elles coulent à des heures réglées par un nombre infini de canaux dans l'intérieur des maisons, et s'élèvent, dans la plupart des quartiers, à douze et quinze pieds au-dessus du pavé. Des robinets de décharge placés dans les rues où sont les canaux de distribution, y font jaillir à volonté la quantité d'eau nécessaire pour les nettoyer dans toutes les saisons; des réservoirs ont été établis dans les principaux (p. 1048) quartiers, à l'effet de fournir avec rapidité une abondance d'eau suffisante pour éteindre les plus violents incendies; enfin il a été construit des fontaines de distribution pour les porteurs d'eau; et au total, cet établissement, administré avec zèle et intelligence, peut être considéré comme un des plus utiles de Paris[602].
Cette manufacture est placée dans un grand et vieux bâtiment, à peu de distance de la barrière. On y fabrique, à la façon de Perse, des tapis qui sont très-renommés, et dont on fait, depuis long-temps, un usage habituel chez les princes et dans les maisons royales. Ce n'étoit, jusqu'en 1604, qu'une simple fabrique, laquelle fut érigée, à cette époque, en manufacture royale par Marie de Médicis, en faveur de Pierre Dupont, inventeur des procédés (p. 1049) employés dans la confection de ces tapis. Il fut mis à la tête de cet établissement avec le titre de directeur. Simon Lourdet lui succéda en 1626; l'un et l'autre réussirent si bien dans les ouvrages exécutés sous leur direction, que cette industrie leur mérita la faveur alors très-grande d'obtenir des lettres de noblesse.
Les ateliers de cette manufacture avoient d'abord été établis au Louvre: ce fut par un ordre de Louis XIII qu'ils furent transférés à Chaillot, dans une maison dite de la Savonnerie[603], parce qu'auparavant on y faisoit du savon. Cette translation se fit en 1615.
C'est le seul établissement de cette espèce qu'il y ait en France; et, sous plusieurs rapports, il mérite d'être vu. La chaîne des ouvrages qu'on y fabrique est posée perpendiculairement, comme aux tapisseries de haute-lice, mais avec cette différence qu'à ces dernières l'ouvrier travaille du côté de l'envers, tandis qu'à la Savonnerie il (p. 1050) a devant lui le côté de l'endroit, comme dans les ouvrages de basse-lice.
Les bâtiments de cette manufacture furent réparés en 1713 par ordre du duc d'Antin, alors directeur des bâtiments et manufactures du roi. Une inscription gravée sur un marbre noir placé au-dessus de la porte d'entrée rappeloit l'époque de cette réparation.
La chapelle de la Savonnerie étoit fort simple, et sous l'invocation de saint Nicolas: elle offroit aussi sur son portail l'inscription suivante, qui nous a semblé singulière:
«La très-auguste Marie de Médicis, mère de Louis XIII, pour avoir, par sa charitable munificence, des couronnes au ciel comme en la terre, par ses mérites a établi ce lieu de charité, pour y être reçus, alimentés, entretenus et instruits les enfants tirés des hôpitaux des pauvres enfermés; le tout à la gloire de Dieu, l'an de grâce 1615.»
Les tapis que la manufacture de la Savonnerie étale tous les deux ans, à l'exposition publique que font les manufactures royales des produits de leur industrie, sont maintenant, pour l'éclat des couleurs, pour la perfection du dessin, pour la beauté du tissu, d'une perfection que rien n'égale en ce genre, et qui ne semble pas pouvoir être désormais surpassée.
Ce couvent, situé à mi-côte de Chaillot, et à l'extrémité de ce village, étoit le dernier établissement public que l'on rencontrât dans le quartier que nous décrivons.
Il avoit été fondé par Henriette-Marie de France, fille de Henri IV et veuve de Charles Ier, roi d'Angleterre. Cette princesse ayant obtenu, par lettres-patentes enregistrées au parlement le 19 janvier 1652, l'autorisation nécessaire pour établir, dans la paroisse de Chaillot, un couvent de religieuses de la Visitation, y fit, à cet effet, l'acquisition d'une grande maison, bâtie par la reine Catherine de Médicis, et qui avoit appartenu, après sa mort, au maréchal de Bassompière[604]. Les mémoires du temps disent qu'après y avoir (p. 1052) installé ces saintes filles, Henriette demeura quelque temps avec elles, se soumettant à toutes les pratiques de la vie religieuse, et édifiant la communauté entière par la sainteté de sa vie.
Quelques années après leur établissement à Chaillot, les religieuses de la Visitation, déjà reconnues dames du lieu, obtinrent l'amortissement du château de ce village, de la maison du jardinier, jardin et bois clos de murs, avec la haute justice, sans être tenues de payer finances[605]. Ces droits leur furent accordés par lettres du mois de septembre 1656.
Leur maison fut depuis considérablement augmentée; et dans l'année 1704 Nicolas Fremond, garde du trésor royal, et Geneviève Damond sa femme, firent rebâtir entièrement l'église[606]. Le cœur de cette dame y étoit déposé.
(p. 1053) TABLEAUX ET SÉPULTURES.
Dans la chapelle dite de Saint-François de Sales, un tableau de Restout, représentant madame de Chantal et ses religieuses en prières devant l'image de ce saint.
Dans le chœur de l'église étoient déposés le cœur de Henriette de France, reine d'Angleterre, fondatrice de cette maison; ceux de son fils, Jacques Stuart II, roi d'Angleterre, et de Louise-Marie Stuart, fille de ce prince, morte au château de Saint-Germain-en-Laye le 7 mai 1718.
Ce monastère, situé à mi-côte de la montagne de Passy, à peu de distance du couvent de la Visitation, étoit hors des murs de Paris. Cependant nous croyons devoir en faire mention dans cet ouvrage, non-seulement parce qu'il dépendoit de (p. 1054) la paroisse de Chaillot, renfermée dans la ville, mais encore parce qu'il fut la première maison qu'ait possédée en France l'ordre des Minimes, et que par conséquent son histoire se rattache à celle des religieux de cette observance, qui avoient leur habitation près de la Place-Royale.
L'ordre dont nous parlons fut institué dans la Calabre par François Marotille, vers l'an 1346, sous le nom d'Ermites de Saint-François d'Assise. Ce saint fondateur, connu depuis lui-même sous le nom de François de Paule, du lieu de sa naissance, avoit voulu, par celui de Minimes qu'il donna à ces religieux, leur rappeler sans cesse l'humilité dont ils devoient faire profession[607].
Louis XI, instruit par la renommée des vertus apostoliques et de la vie édifiante de François de Paule, le fit venir en France en 1482, espérant, (p. 1055) dans les terreurs superstitieuses qui l'agitoient à ses derniers moments, obtenir par les prières d'un si saint personnage la guérison de la maladie dont il étoit affligé. Il le reçut avec un respect qui ressembloit à une espèce de culte[608], et lui donna dans le château du Plessis-lès-Tours, où il faisoit sa résidence, un logement pour lui et pour les religieux qui l'avoient accompagné. Charles VIII honora également les Minimes de son estime et de sa protection, et leur fit bâtir à Tours un couvent, où le saint fondateur mourut le 2 avril 1507. Il fut canonisé par Léon X le Ier mai 1519.
Anne de Bretagne, épouse des rois Charles VIII et Louis XII, voulant fonder un couvent de cet ordre, fit don aux disciples de Saint-François de Paule de la maison royale située à Chaillot, qu'elle tenoit de ses ancêtres les ducs de Bretagne, laquelle étoit appelée manoir de Nijon, ou hôtel de Bretagne[609]. Cette fondation fut faite en 1493. (p. 1056) Peu de temps après (en 1496) elle y ajouta un hôtel contigu, contenant un enclos de sept arpents, et une chapelle sous le titre de Notre-Dame de toutes grâces. Enfin, voulant mettre le comble aux faveurs qu'elle leur avoit accordées, cette princesse donna les premiers fonds nécessaires pour la construction de l'église qui existoit encore avant la révolution. Cet édifice, commencé à cette époque, ne fut terminé que vers l'an 1578, sous le règne de Henri III, et dédié sous le même titre que l'ancienne chapelle.
C'étoit un bâtiment assez grand, orné de boiseries et de pilastres ioniques. Le monastère, très-vaste et bien situé, pouvoit contenir cent religieux.
CURIOSITÉS DU MONASTÈRE DES MINIMES DE CHAILLOT.
TABLEAUX.
Dans l'avant-chœur, quatre tableaux de Sébastien Bourdon, représentant:
Le premier à droite, la Décollation de saint Jean.—Sur l'autel à côté, le baptême de N. S.—Dans la chapelle à gauche, une sainte Geneviève repoussant, avec l'aide d'un ange, le démon qui veut éteindre son cierge.—Sur le lambris qui étoit auprès, la même sainte prosternée aux pieds de saint Germain, évêque d'Auxerre, qui lui donne une médaille.
Dans la chapelle de la Vierge, une Assomption.—Dans celle de Sainte-Marthe, Louis XI recevant saint François de Paule, sans nom d'auteur.—Parmi plusieurs tableaux qui se trouvoient dans la sacristie, on remarquoit une très-belle adoration des bergers, par La Hyre.
(p. 1057) TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans la chapelle de la Vierge étoit le mausolée du maréchal et vice-amiral Jean d'Estrées, mort en 1707. Sur le sarcophage, terminé des deux côtés en proue de vaisseau, on voyoit un Génie appuyé sur des palmes et des trophées, et tenant un médaillon qui offroit en bas-relief le portrait du maréchal et celui de son épouse, Marie-Marguerite Morin, morte en 1714. Le cœur de cette dame étoit déposé dans le même tombeau.
Dans la chapelle de Sainte-Marthe, on voyoit le mausolée de Françoise de Veynes, ou Veyni, épouse du fameux chancelier et cardinal Antoine Duprat.
Les autres personnages remarquables enterrés dans cette église étoient:
Jean d'Alesso, petit-neveu de saint François de Paule, mort en 1572.
Marie de La Saussaye son épouse.
Magdeleine d'Alesso, femme de Pierre Chaillot, secrétaire de la chambre du roi, morte en 1583. Il y avoit dans cette église une chapelle destinée à la sépulture de cette famille.
Olivier Lefebvre, seigneur d'Ormesson et d'Eaubonne, mort en 1600.
Anne d'Alesso son épouse, morte en 1590.
François Jourdan, professeur royal en hébreu dans le dix-septième siècle[610].
Les quartiers neufs, où l'on pouvoit disposer plus facilement de vastes emplacements, et surtout ceux où étoient situées les maisons royales, furent bientôt couverts, comme nous l'avons dit, d'hôtels magnifiques, habités par les personnages que leur rang et leur opulence appeloient aux premières charges de l'État, et obligeoient à une grande représentation. Un nombre considérable d'habitations de ce genre s'élevèrent autour du palais des Tuileries dès son origine, et plusieurs même devinrent célèbres dans l'histoire de Paris. Nous avons rassemblé ce qui reste de traditions curieuses sur ces anciens édifices, dont plusieurs ont été détruits; et nous donnerons en même temps la nomenclature exacte, et quelquefois la description de ceux qui ont été successivement élevés jusque dans les derniers temps de la monarchie.
Hôtel de Rambouillet.
Dans les treizième et quatorzième siècles, les seigneurs de Rambouillet avoient déjà à Paris plusieurs hôtels qui portoient leur nom. Deux sont particulièrement connus et remarquables. Le premier, habité par leur famille jusqu'en 1606, et situé dans l'endroit même où le cardinal de Richelieu fit construire depuis le Palais-Royal, avoit sa principale porte placée précisément à l'endroit où est maintenant le grand portail de ce palais. Cet édifice, sans régularité et sans symétrie, étoit très-vaste, et s'étendoit jusqu'aux anciennes murailles de la ville.
Plusieurs personnages illustres de la famille d'Angennes de Rambouillet, cardinaux, évêques, gouverneurs de provinces, chevaliers des ordres du roi, habitèrent successivement cet hôtel, depuis la fin du quatorzième siècle jusqu'à celle du dix-septième. Il fut vendu en 1624 pour la somme de trente mille écus au cardinal de Richelieu, qui le fit abattre et entrer dans les constructions du Palais-Royal.
Le second hôtel de Rambouillet[611], situé dans (p. 1060) la rue Saint-Thomas du Louvre, près de l'hôtel Longueville, s'étendoit de là jusqu'au jardin de l'hôpital des Quinze-Vingts. Cet hôtel, qui avoit été connu successivement sous les noms d'hôtel d'O, de Noirmoutiers, de Pisani, prit celui de Rambouillet, lorsque Charles d'Angennes, marquis de Rambouillet, qui avoit épousé mademoiselle de Vivonne, fille du marquis de Pisani, vint s'y établir après la mort de son beau-père. Il le fit depuis presque entièrement rebâtir.
L'esprit, les grâces, les connoissances variées de Catherine de Vivonne, son goût pour tout ce qui avoit rapport aux sciences et aux lettres, attirèrent dans son hôtel tous les gens d'esprit de la cour et de la ville. Il s'y forma une espèce d'académie; les poëtes, les romanciers du temps s'empressèrent de célébrer cette illustre dame et de chanter les lieux qu'elle embellissoit de sa présence. Mademoiselle Scudéry, dans son roman de Cyrus, donna la description exacte de l'hôtel de Rambouillet, qu'on y reconnoît sous le nom de palais de Cléonime; ailleurs il est appelé le palais d'Arthenice. Ce nom, dont Malherbe étoit l'auteur, formoit l'anagramme de celui de Catherine, nom de baptême de la marquise. Enfin, la maison de cette dame étoit si renommée dans la république (p. 1061) des lettres, qu'elle fut long-temps appelée le Parnasse français. Ceux qui n'y étoient pas admis auroient vainement prétendu à la célébrité, et il suffisoit d'y avoir entrée pour être compté parmi les beaux esprits du temps.
La société de l'hôtel de Rambouillet ne fut pas exempte des défauts inhérents pour ainsi dire à ces sortes de réunions; elle donna dans le pédantisme et dans une ridicule affectation de bel esprit, qui passa des écrits dans le langage, travers dont Molière fit justice dans sa comédie des Précieuses ridicules. Néanmoins on convient généralement que cette société, en réveillant le goût des lettres, prépara les voies aux célèbres auteurs du grand siècle. Il n'est pas de notre sujet de nous étendre davantage sur les assemblées littéraires qui donnèrent tant d'éclat à cet hôtel. Nous revenons à sa description.
Cet édifice, construit en briques, étoit décoré d'embrasures, de corniches, de frises, d'architraves et de pilastres de pierre[612]. Le corps du (p. 1062) bâtiment formoit quatre grands appartements: le plus considérable étoit occupé par la marquise, qui y recevoit sa savante compagnie dans un superbe salon, dont la tenture étoit en velours bleu rehaussé d'or et d'argent. (Il est souvent parlé de cette salle dans les œuvres de Voiture, sous le nom de la chambre bleue.) Les fenêtres, dont l'ouverture prenoit depuis le plafond jusqu'en bas, laissoient jouir, sans obstacle, de l'air, de la vue et de la promenade du jardin, qui se trouvoit de niveau et contigu à cet appartement. Ce genre de croisées étoit surtout ce qui excitoit l'admiration: car, si nous en croyons Sauval, c'étoit la marquise de Rambouillet qui avoit fourni aux architectes l'idée de cet embellissement inconnu jusqu'alors; on devoit également à ses dessins la distribution aussi élégante que commode des appartements, distribution qui servit depuis de modèle à une infinité de palais et de châteaux.
Cet hôtel passa ensuite dans la maison de Sainte Maure-Montauzier, par le mariage de Charles de Sainte-Maure, duc de Montauzier, avec la célèbre Julie d'Angennes, fille de la marquise: il fut enfin possédé par les ducs d'Uzès, dont l'un (p. 1063) avoit épousé la fille unique et seule héritière du duc de Montauzier et de Julie d'Angennes[613].
Hôtel d'Armagnac.
Il étoit situé sur une partie du terrain qu'occupe maintenant le Palais-Royal. Nous en avons parlé à l'article de ce monument[614].
Hôtel de Sillery.
Cet hôtel, bâti par le commandeur Brûlart de Sillery, étoit situé sur l'emplacement de la place du Palais-Royal, et fut détruit peu de temps après la construction de ce palais[615].
Hôtel de la Petite-Bretagne.
Cet hôtel ou manoir, qui avoit appartenu aux ducs de Bretagne, étoit situé sur le terrain qu'occupe actuellement la rue de Matignon[616]. Il fut (p. 1064) donné, en 1428, au chapitre de Saint-Thomas-du-Louvre. En 1500, il y avoit en ce même endroit un hôtel appartenant à M. Jacques de Matignon, comte de Thorigni. Henri IV en fit depuis l'acquisition; et Louis XIII le donna en 1615 au président Jeannin, contrôleur des finances, pour y ouvrir une rue.
Hôtel de Luxembourg.
Cet hôtel avoit été bâti par M. le maréchal de Luxembourg, sur une partie de l'ancien terrain des Capucins, terrain qui lui avoit été adjugé par arrêt de la cour des Aides du 6 juillet 1673. On voit, par le contrat de vente qu'en fit M. le duc de Pinci-Luxembourg, que cet hôtel contenoit quatre maisons, cours, jardins, et trois arpents et demi qui s'étendoient jusqu'au boulevart.
Hôtel de Vendôme.
Nous en avons parlé en donnant la description de la place qui en a pris le nom, et qui a été élevée sur ses ruines[617].
Cette maison, dite aussi l'hôtel du Grand-Prévôt, étoit située dans cette même rue, et vis-à-vis la tour Neuve, que l'on appeloit quelquefois, à cause de ce voisinage, tour du Grand-Prévôt.
Il y avoit encore dans ce quartier:
L'hôtel Chevilli, rue Basse-du-Rempart;
L'hôtel de Roquelaure, rue Saint-Nicaise.
L'hôtel de Beringhem, même rue.
Ces trois hôtels n'existent plus.
Hôtel de Longueville.
Cet hôtel, qui existe encore en partie, est situé de manière que l'une de ses façades donne sur la rue Saint-Thomas-du-Louvre, et l'autre sur la place du Carrousel. Construit sur les dessins de Métezeau, il offre beaucoup de mauvais goût dans son architecture, et, si l'on en excepte quelques peintures assez belles de Mignard, il ne renfermoit autrefois rien de bien curieux dans son intérieur. La seule circonstance qui le rende digne de remarque, c'est qu'il a servi de demeure à plusieurs personnages illustres: il en est souvent fait mention dans les mémoires du cardinal de (p. 1066) Rets, et dans les historiens qui nous ont transmis les événements de la minorité de Louis XIV[618].
Cet hôtel, qui, dans le dix-septième siècle, appartenoit à M. de La Vieuville, fut acquis successivement par les ducs de Luynes, de Chevreuse, d'Épernon et de Longueville; il passa ensuite à Louis de Bourbon, comte de Soissons; et, par le mariage de sa fille, rentra depuis dans la maison de Luynes et de Chevreuse. Cette suite de princes et de grands seigneurs qui ont habité cet hôtel, et dont il a porté successivement le nom, sembloit lui promettre une destinée plus brillante que celle qu'il a éprouvée. En effet, après avoir servi pendant quelques années de remise pour les voitures de la cour, il fut vendu, en 1749, aux fermiers généraux, qui en firent le magasin et le bureau général du tabac[619].
La maison de Chevreuse possédoit encore anciennement un hôtel dans cette même rue, en entrant du côté des galeries. On trouve qu'en 1372 il appartenoit au comte de Vendôme; il passa ensuite à M. de Chevreuse et depuis au comte de (p. 1067) La Marche qui l'occupoit en 1399. Les terriers de l'archevêché nous apprennent que les bâtiments dont il se composoit étoient situés de l'un et de l'autre côté de la rue.
Hôtel de l'Académie royale de musique.
Cet hôtel étoit situé dans la partie de la rue Saint-Nicaise qui est entrée dans le plan de la galerie neuve des Tuileries. C'étoit là que logeoient le directeur, le secrétaire perpétuel et le caissier de cette académie; il y avoit dans cette maison des ateliers où se préparoient les machines et décorations de l'Opéra, et un petit théâtre où se faisoient les premières répétitions. Cet établissement a été transporté rue Bergère.
Hôtel de Noailles.
Cet hôtel, situé rue Saint-Honoré, fut bâti pour Henri Pussort, conseiller d'état, et oncle du fameux Colbert. Il fut ensuite acheté par Pierre-Vincent Bertin, receveur général des parties casuelles, et revendu depuis par ses héritiers à Adrien Maurice, duc de Noailles. La grande porte est décorée de deux colonnes ioniques qui soutiennent un balcon, l'attique et l'entablement. Au fond de la cour est un péristyle, composé de six colonnes d'ordre dorique et orné de quatre niches.
(p. 1068) Dans cet hôtel, remarquable par la beauté de ses appartements, on voyoit, avant la révolution, un superbe cabinet de tableaux, dont la collection, formée par le maréchal duc de Noailles, étoit une des plus précieuses de la capitale. On y trouvoit des morceaux de toutes les écoles, et, parmi ces peintures, plusieurs chefs-d'œuvre des plus grands maîtres.
Hôtel de Beaujon.
Cet hôtel, situé rue du Faubourg-Saint-Honoré, est un des plus remarquables de Paris, tant par son architecture que par sa magnificence et sa belle situation. Le comte d'Évreux le fit élever en 1718, sur les dessins et sous la conduite de Molet, célèbre architecte. Madame de Pompadour, l'ayant acquis, y fit faire plusieurs augmentations et embellissements, et l'occupa jusqu'à sa mort. Quelque temps après, Louis XV l'acheta du marquis de Marigni, pour en faire l'hôtel des ambassadeurs extraordinaires. On changea ensuite cette destination, et cet hôtel servit au garde-meuble de la couronne, en attendant qu'on eût achevé celui qu'on lui destinoit dans un des bâtiments de la place Louis XV. Enfin il passa, en 1773, entre les mains de M. Beaujon, qui en fit sa demeure ordinaire, et dépensa des sommes énormes pour y réunir tout ce que les arts et le (p. 1069) luxe pouvoient produire de plus rare, et de plus exquis et de plus magnifique[620].
Ces hôtels sont les plus remarquables de ce quartier; nous nous contenterons de donner la nomenclature des autres édifices de ce genre, qui y sont répandus en grand nombre, et principalement dans le faubourg Saint-Honoré.
Avant l'époque de la dernière enceinte élevée sous Louis XVI, Mouceaux étoit un hameau situé hors de Paris, à l'extrémité septentrionale du quartier que nous décrivons, entre l'église paroissiale de Clichy et les dernières maisons de la ville. Il y avoit en cet endroit un château nommé Belair, appartenant à M. Grimod de La Reynière, fermier général; à ce château étoit attachée une petite chapelle, dédiée sous l'invocation de saint Étienne, et qui servoit de succursale à l'église de Clichy.
C'est dans cet endroit que le dernier duc d'Orléans fit planter, en 1778, le parc anglais connu aujourd'hui sous le nom de jardin de Mouceaux. Le dessinateur de ce délicieux paysage a trouvé le moyen de réunir dans un espace peu étendu tous les prestiges et tous les effets pittoresques qu'on peut désirer dans ce genre de plantations. Ce jardin n'a point cessé d'être entretenu avec le plus grand soin.
Elles occupoient un terrain considérable que séparoit en deux la rue de Courcelles. On y cultivoit, en pleine terre, les arbres étrangers des espèces les plus rares.
Elles ont été établies dans la portion de l'hôtel Longueville qui n'a point encore été démolie.
Elles sont situées sur les terrains de l'ancienne pépinière du roi[623], que ce prince avoit achetés. Commencées peu de temps avant la révolution, sur les dessins et sous la conduite de M. Bellanger son architecte, elles n'ont point été achevées, et méritoient de l'être. La partie gauche, qui seule est terminée, offre des constructions très-élégantes, qui font regretter de ne pouvoir jouir de l'ensemble d'un aussi joli monument.
Cet hôtel étoit situé, avant la révolution, en face du pavillon Marsan. Il a été abattu, et sur le terrain qu'il occupoit a été élevé un passage couvert et garni de boutiques, dit le passage Delorme.
Le Château-d'Eau.
Nous ayons déjà parlé de ce monument, élevé en face du Palais-Royal par le duc d'Orléans, régent[624].
Fontaine des Quinze-Vingts.
Elle étoit située dans l'enclos de cet hôpital, et a été abattue en même temps que ses bâtiments.
Fontaine de Richelieu.
Elle est située dans la rue qui porte ce nom, et au coin de la rue Traversière. On y lisoit cette inscription composée par Santeuil:
Qui quondam magnum tenuit moderamen aquarum
Richelius, fonti plauderet ipse novo.
Cette fontaine, qui rappelle les compositions incohérentes de l'ancienne école française, se compose d'une niche accompagnée de pilastres doriques, avec table renfoncée et coquilles; un fronton que surmontent des figures en relief couronne (p. 1073) cette composition; et au-dessus s'élève un grand amortissement avec pilastres corinthiens et consoles renversées. Il n'est pas nécessaire de faire remarquer combien un semblable style est bizarre et contraire à tous les principes du bon sens et du bon goût.
Fontaine du Diable.
Cette fontaine, située rue de l'Échelle, à l'extrémité de celle de Saint-Louis, fut reconstruite à neuf en 1759. La composition en est agréable: elle offre une pyramide portée sur un piédestal, et ornée d'une table saillante au-dessus de laquelle sont groupées deux divinités marines qui soutiennent la proue d'un vaisseau. Ces figures sont d'un bon caractère; et celui du monument entier est d'une simplicité élégante qui peut étonner, si l'on considère l'époque à laquelle il a été construit.
Fontaine d'Amour.
Cette fontaine, qui n'a rien de remarquable dans son architecture, est située à l'angle des rues des Moineaux et des Moulins.
Fontaine des Capucins.
Cette fontaine, dont l'architecture ne mérite également aucune attention, est située rue Saint-Honoré, et fut construite en 1718, près de la porte (p. 1074) du monastère de ces religieux. On y lit encore cette inscription composée par Santeuil:
Tot loca sacra inter pura est quæ labitur unda:
Hanc non impuro quisquis es ore bibas.
Fontaine de la place Louis XV.
Cette fontaine, qui a été détruite, étoit située près de l'entrée de l'Orangerie.
Les limites du quartier du Palais-royal, du côté du couchant, terminent la ville de Paris dans un espace qui s'étend depuis le bord de la rivière jusqu'au-delà du jardin de Mouceaux. Il y a dans cette partie des nouvelles murailles élevées sous Louis XVI, huit barrières qui se présentent dans l'ordre suivant:
Rue d'Anglade. Elle va de la rue Traversière à la rue Sainte-Anne, et doit son nom à un maître Cartier, nommé Gilbert Anglade, qui, en 1639, acheta un emplacement rue des Moulins, sur lequel celle-ci a été ouverte. Dans un censier de l'archevêché, de 1663, elle est nommée Anglas par altération; et cette erreur a porté Sauval à lui chercher de fausses étymologies, et à rejeter la véritable. Cette rue n'est indiquée sous aucun nom sur les plans de Gomboust et de Jouvin.
Rue d'Angoulême. Cette rue, percée depuis 1780, aboutit d'un côté dans la rue du Faubourg du Roule, et de l'autre à celle de Ponthieu.
Rue d'Anjou. Elle aboutit à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, et à celle de la Ville-l'Évêque; elle étoit bâtie et connue sous ce nom dès l'an 1649. Elle est nommée dans un plan manuscrit rue des Morfondus, dite d'Anjou.
Rue Sainte-Anne. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence au carrefour des Quatre Cheminées, et finit à la rue Neuve-des-Petits-Champs. Cette rue, percée en 1633, prit le nom de Sainte-Anne, en l'honneur d'Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII. (p. 1076) Elle n'alloit encore, en 1663, que jusqu'à la rue Clos-Georgeot, au-dessus de laquelle étoient deux moulins qui l'avoient fait appeler rue des Moulins, et du Terrain aux Moulins. Auparavant, cet endroit est nommé, dans les anciens titres de l'archevêché, la Place au Sang et la Basse-Voirie, parce qu'on y déposoit les boues et les immondices. Le 15 septembre 1667, quatre particuliers obtinrent, par un arrêt du conseil, l'autorisation d'aplanir la butte qui existoit en cet endroit, et d'y tracer douze rues nouvelles[626]. Elles furent couvertes de maisons dans les années suivantes, et tout cet endroit étoit bâti en 1677. C'étoit à l'entrée de cette rue qu'étoit le marché aux pourceaux, qu'on y avoit placé en 1528, et qui subsistoit encore en 1609.
Rue de l'Arcade, ou de la Pologne. Elle va de la rue de la Magdeleine à celle de Saint-Lazare, vulgairement dite des Porcherons. Cette rue doit son premier nom à une arcade ou voûte qui servoit à faciliter la communication des jardins des religieuses de la Ville-l'Évêque; le second à une maison et terrain appelé la Petite Pologne, où elle conduisoit. Elle se trouve indiquée dans quelques titres de l'archevêché sous le nom d'Argenteuil.
Rue d'Argenteuil. Elle aboutit d'un côté rue des Frondeurs, de l'autre à la rue Neuve-Saint-Roch, et est ainsi nommée parce qu'elle a été bâtie sur l'ancien chemin qui conduit à Argenteuil.
Entre cette rue et celle des Moineaux et des Orties, étoit placé au dix-septième siècle le marché aux chevaux. Il y est resté jusqu'en 1667. Anciennement cet endroit s'appeloit la Haute-Voirie du faubourg Saint-Honoré. Il est ainsi désigné dans un titre du 12 mars 1564[627].
(p. 1077) Il y a dans la rue d'Argenteuil un passage qui communique à la rue Saint-Honoré. Il règne le long de l'église Saint-Roch et y conduit. C'étoit anciennement un cul-de-sac sous le nom de Saint-Roch, qui aboutissoit à une des portes de l'église avant sa reconstruction. Il se prolonge maintenant jusqu'à la rue Saint-Honoré.
Rue d'Astorg. Cette rue, située dans le faubourg Saint-Honoré, et ouverte depuis 1779, donne d'un bout dans la rue Roquépine, et finit de l'autre à un carrefour où viennent aboutir les rues des Saussayes, de Surêne et de la Ville-l'Évêque. Elle doit son nom à une famille distinguée qui y avoit un hôtel.
Rue aux Bassins. C'est une ruelle sans maisons, située dans Chaillot, vis-à-vis la barrière de Longchamps.
Rue des Batailles. Cette rue, située dans Chaillot, n'a fait partie de la ville qu'à l'époque où ce village y a été renfermé. Elle fait la continuation de la grande rue de Chaillot jusqu'à la barrière de Passy, où étoit autrefois situé le couvent de la Visitation.
Rue de Beaujolois. Elle a été percée depuis 1780 sur l'ancien emplacement des Quinze-Vingts. Elle donne d'un bout dans la rue de Chartres, et de l'autre dans celle de Valois. Il y a une autre rue de Beaujolois qui va du passage de Radziville à l'autre extrémité de la façade du nord du Palais-Royal où elle donne dans la rue Montpensier.
Rue de Berri. Cette rue, également ouverte depuis 1780, donne d'un côté dans la rue du Faubourg-du-Roule, et de l'autre dans celle de Ponthieu, et sur l'avenue de Neuilly. Elle se nomme maintenant rue Neuve de Berri.
Rue des Blanchisseuses. C'est une ruelle de Chaillot qui sépare des jardins, et aboutit d'un côté à la grande rue de ce village, de l'autre à l'allée des Veuves.
(p. 1078) Rue des Boucheries. Elle va de la rue Saint-Honoré dans celle de Richelieu; elle fut bâtie vers l'an 1638. Son nom lui vient de la boucherie des Quinze-Vingts, qui fut construite vis-à-vis, lorsqu'on démolit la porte Saint-Honoré pour la reporter plus loin.
Cul-de-sac de la Brasserie (Voy. rue Traversière).
Rue Brunette. Cette rue donne d'un côté dans la grande rue de Chaillot et la rue des Batailles, de l'autre dans la rue Basse de Chaillot. Elle se nomme aujourd'hui rue Gasté.
Rue du Carrousel. Elle étoit ainsi nommée de la place qui est devant le château des Tuileries, et aboutissoit à la rue de l'Échelle. Elle avoit été bâtie sur l'emplacement des fossés qui régnoient le long des murailles de la ville, lorsque l'enceinte de ces murailles suivoit la rue Saint-Nicaise. Cette rue a été détruite et est entrée dans le plan de la nouvelle place du Carrousel.
Grande rue de Chaillot. Cette rue, qui traverse presque tout le village de ce nom, donne d'un côté dans l'avenue de Neuilly, de l'autre dans celle des Batailles.
Rue Basse de Chaillot. Elle donne d'un côté dans la grande rue de Chaillot, de l'autre sur le quai de la Savonnerie.
Rue des Champs. C'est une des petites ruelles qui sont situées en la rue des Batailles et celle de Chaillot. Il en existe encore deux autres qui sont sans nom.[628]
Rue des Champs-Élysées. Elle conduit du Faubourg-Saint-Honoré aux Champs-Élysées et à la place Louis XV. Ce n'étoit jadis qu'un simple chemin sur lequel on a bâti quelques maisons au commencement du dix-huitième siècle. On la nommoit anciennement ainsi que la rue (p. 1079) de la Magdeleine, l'Abreuvoir-l'Évêque. Le plan de La Caille, de 1714, est le premier qui l'indique sous le nom de la Bonne-Morue, qu'elle a conservé jusqu'en 1769, où celui qu'elle porte aujourd'hui lui fut donné.
Rue de Chartres. Cette rue, percée depuis 1780 sur l'ancien emplacement des Quinze-Vingts, aboutit d'un côté à la place du Palais-Royal, de l'autre à la rue Saint-Nicaise.
Il y a une autre rue de Chartres qui fait suite à celle de Courcelles, jusqu'à la barrière du même nom. On la nomme aujourd'hui rue de Mantoue.
Rue du Chemin Vert ou Rue Verte. Elle aboutit à la rue du Faubourg-Saint-Honoré et à celle de la Ville-l'Évêque. Ce nom lui vient sans doute de l'herbe qui croissoit des deux côtés du chemin sur lequel elle a été bâtie. On l'appeloit anciennement rue des Marais; elle est connue plus généralement aujourd'hui sous le nom de rue Verte. Il y a dans cette rue une caserne d'infanterie.
Rue Clos-Georgeau. Elle donne d'un bout dans la rue Sainte-Anne, de l'autre dans la rue Traversière. Quand on commença à bâtir sur la pente de la butte Saint-Roch, on ouvrit cette rue sur le jardin d'un particulier dont elle prit le nom. Plusieurs titres font mention de ce clos qui est nommé Jarjeau dans les archives de l'archevêché.
Rue du Colysée. C'étoit un chemin qui conduisoit à une espèce d'amphithéâtre bâti vers l'an 1772, où se donnoient des fêtes et où l'on tiroit des feux d'artifice. Cet édifice a été détruit, mais la rue existe toujours. Elle donne d'un côté dans la rue du faubourg Saint-Honoré, de l'autre dans l'avenue des Champs-Élysées.
Rue de la Corderie. Voyez rue de la Sourdière.
Rue de Courcelles ou de Villiers. On donnoit autrefois (p. 1080) ces deux noms à cette rue, qui n'a conservé que le premier. C'étoit alors un simple chemin qui conduisoit du faubourg Saint-Honoré près de l'église du Roule, à Villiers-la-Garenne et à Courcelles.
Rue Daguesseau. Elle aboutit d'un côté dans la rue de Surêne, de l'autre dans celle du Faubourg-Saint-Honoré, et doit son nom à M. Daguesseau, conseiller au parlement, qui la fit percer pour communiquer à un marché qu'il avoit eu la permission d'établir en cet endroit, et qui a été transféré depuis dans la rue du Chemin-du-Rempart.
Marché Daguesseau. Il est situé dans l'espace qui sépare la rue de la Magdeleine de celle du Chemin-du-Rempart, et l'on y entre par ces deux rues. Ce marché fut établi en cet endroit pour la commodité des habitants du faubourg Saint-Honoré et du Roule, par les soins de Joseph Antoine Daguesseau, conseiller honoraire au parlement de Paris. Il l'avoit d'abord placé, en 1723, sur un terrain plus éloigné qu'il avoit obtenu par échange de madame de Duras. Depuis on jugea qu'il étoit avantageux de rapprocher ce marché de la ville; et des lettres-patentes ayant été obtenues à cet effet en 1745, il fut ouvert le 2 juillet 1746, sur l'emplacement qu'il occupe aujourd'hui, lequel appartenoit à André Mol de Lurieux, avocat au conseil.
Rue du Dauphin. Elle donne d'un bout rue Saint-Honoré, vis-à-vis Saint-Roch; de l'autre elle aboutissoit autrefois à la porte du jardin des Tuileries, et donne aujourd'hui dans la rue de Rivoli. Cette rue s'appeloit d'abord rue de Saint-Vincent. Elle est ainsi indiquée en 1575[629]. On l'a ensuite appelée cul-de-sac Saint-Vincent, (p. 1081) parce qu'on la fermoit toutes les nuits du côté des Tuileries. Elle a porté ce nom jusqu'au mois de novembre 1744, que Louis XV, à son retour de Metz, étant venu habiter quelques jours ce palais, le dauphin son fils passa par cette rue pour aller entendre la messe à Saint-Roch. Pendant le peu de temps qu'il resta à l'église, on enleva l'inscription de cul-de-sac de Saint-Vincent, pour y substituer celle de rue du Dauphin, qu'elle a conservé jusqu'en 1789, et repris depuis la restauration.
Rue du Doyenné. Elle aboutissoit dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre et dans le cul-de-sac du même nom. Elle étoit nommée rue du Doyenné, parce qu'elle avoit été ouverte au milieu de la maison et de la cour du doyen de Saint-Thomas, depuis Saint-Louis du Louvre. On l'appeloit dans le principe rue du Doyenné Saint-Thomas-du-Louvre[630].
Rue de Duras. Elle commence à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, et aboutit à l'ancien marché Daguesseau. Elle a pris son nom de l'hôtel de Duras, le long duquel elle est située.
Rue de l'Échelle. Elle va de la rue Saint-Honoré à la place du Carrousel. Quelques-uns ont pensé que cette rue avoit pris son nom de l'échelle patibulaire que les évêques de Paris avoient eue dans cet endroit: quoiqu'il n'y ait point de preuves suffisantes pour appuyer cette opinion, cependant il est certain qu'au milieu du dix-septième siècle la barrière des Sergents du For-l'Évêque étoit placée au coin de cette rue.
Rue l'Évêque. Elle va d'un bout au carrefour des Quatre-Cheminées, de l'autre à celui que forment les (p. 1082) rues des Moineaux, des Moulins et des Orties. On présume que son nom lui vient de ce qu'elle a été ouverte sur la haute voirie qui appartenoit à l'évêque de Paris. Plusieurs titres, qui remontent au commencement du règne de Louis XIII, parlent de cette rue, et quelques-uns nous apprennent qu'elle s'appeloit anciennement rue du Culloir, sans nous donner l'étymologie de ce nom.
Rue Saint-Florentin. Elle va de la rue Saint-Honoré aux Tuileries; elle s'appeloit auparavant Cul-de-sac de l'Orangerie, et devoit ce nom à l'orangerie du roi qui se trouvoit au bout. Il paroît, par les titres de Saint-Éloi, que l'alignement en fut pris en 1640; et que, dès 1651, on la nommoit rue de l'Orangerie. Cependant Gomboust et Bullet ne lui donnent que le nom de cul-de-sac. Le duc de la Vrillière, ministre et secrétaire d'état, ayant fait bâtir un hôtel dans cette rue, elle changea de nom, et prit, le 26 janvier 1767, celui de rue Saint-Florentin, sous lequel ce ministre étoit alors connu.
Rue des Frondeurs. Elle aboutit à la rue Saint-Honoré et au carrefour des Quatre Cheminées. On ignore le nom que cette rue portoit anciennement; car s'il est vrai que le mot Frondeurs vienne des troubles connus dans notre histoire sous le nom de Fronde, elle n'a pu être appelée ainsi que depuis 1648. Elle est sans nom sur les plans de Gomboust et de Bullet. On la trouve nommée pour la première fois sur celui de Rouvin, en 1697.
Rue Sainte-Geneviève. Voyez rue Hébert.
Rue du Hasard. Elle va de la rue Traversière à la rue Sainte-Anne; on ignore à quelle occasion elle a pris ce nom, sous lequel elle est déjà indiquée, en 1622, dans un censier de l'archevêché.
Rue Hébert. Nous ignorons l'étymologie de ce nom qu'a porté d'abord ce chemin, qui aboutit d'un côté à la grande rue de Chaillot, et de l'autre au terrain vague qui (p. 1083) vient finir aux murs de la ville. On le nomme maintenant rue Sainte-Geneviève. Le chemin sans nom qui descend de la barrière de Passy à cette rue vient de recevoir celui de rue de Lubeck.
Rue Saint-Honoré. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence au coin de la rue des Bons-Enfants, et finit au boulevart[631].
Rue du Faubourg-Saint-Honoré. Elle commence au boulevart, et finit à celle du Roule; on l'appeloit en 1635 la chaussée du Roule, parce qu'elle conduisoit au village du même nom.
Rue de Longchamps. C'est un chemin qui donne, comme la rue Hébert, dans la grande rue de Chaillot, et se prolonge à travers les champs jusqu'à la barrière du même nom.
Rue Saint-Louis. Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Honoré, et de l'autre dans celle de l'Échelle. On présume qu'elle doit son nom au voisinage de l'hôpital des Quinze-Vingts, fondé par saint Louis, ou à la rue Saint-Honoré, qui, comme nous l'avons dit (p. 912), s'appeloit anciennement, dans cet endroit, Grande Rue Saint-Louis. Gomboust et Bullet nous apprennent, dans leur plan, que cette rue se nommoit anciennement rue de l'Échaudé; mais avant eux on la désignoit déjà sous le nom de rue Saint-Louis; et l'ayant repris, elle l'a toujours conservé. Nous remarquerons ici que ce nom de l'Échaudé, que nous retrouverons dans la nomenclature des rues de Paris, étoit une dénomination générale que l'on donnoit à une masse ou île de maisons de figure triangulaire; et l'on appeloit rue de l'Échaudé; celle qui faisoit la (p. 1084) base ou l'un des côtés de ce triangle. La rue dont nous parlons est aussi indiquée sous le nom de rue des Tuileries, dans un censier de l'archevêché, de 1663.
Rue de Lubeck. Elle descend de la barrière de Passy à la rue Hébert, maintenant rue Sainte-Geneviève.
Rue Neuve de Luxembourg. Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Honoré, de l'autre sur le boulevart. Elle doit son nom au maréchal duc de Luxembourg, qui avoit son hôtel sur le terrain qui forme aujourd'hui cette rue.
Rue Magdebourg. C'est le nom que porte aujourd'hui une ruelle située à droite de la rue des Batailles, en descendant vers celle de Chaillot.
Rue de la Magdeleine. Elle commence à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, et aboutissoit en 1789 à celle de l'Arcade et à l'église paroissiale dont elle a pris le nom. On l'a aussi appelée rue de l'Évêque et de l'Abreuvoir-l'Évêque. Elle est ainsi indiquée dans les procès-verbaux de 1637 et de 1642[632].
Rue de Mantoue. Voyez rue de Chartres.
Rue du Marché. Cette rue conduisoit à un marché qui a été transféré près la porte Saint-Honoré, et c'est de là qu'elle avoit pris son nom; elle a son entrée dans la rue Daguesseau et dans celle de Surêne.
Rue Sainte-Marie. Elle va de la rue des Batailles dans la nouvelle rue de Lubeck.
Ruelle Sainte-Marie. Elle est située à l'extrémité de la rue des Batailles, du côté de la barrière.
(p. 1085) Rue de Marigny. On donne ce nom à une avenue plantée d'arbres, qui aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, de l'autre aux Champs-Élysées; elle est située en face de l'hôtel Beauveau, et se prolonge le long de celui que fit bâtir la marquise de Pompadour, et qui appartint depuis à son frère le marquis de Marigny. Elle fut ouverte lors des nouvelles plantations qui furent faites par ordre de ce directeur général des bâtiments, jardins, etc.
1ere Rue de Matignon. Elle aboutissoit, d'un côté, dans la rue des Orties, de l'autre, par un retour d'équerre, dans le cul-de-sac de Saint-Thomas-du-Louvre. Cet emplacement formoit, au quinzième siècle, l'hôtel, la place et les jardins de la Petite-Bretagne, qui avoient appartenu au duc de Bretagne. Elle devoit son nom à M. Jacques de Matignon, comte de Thorigny, qui y fit bâtir un hôtel. (Cette rue a été détruite.)
2e Rue de Matignon. Elle aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, de l'autre aux Champs-Élysées, vis-à-vis l'allée des Veuves. C'étoit autrefois une prolongation de la petite rue Verte.
Rue de Milan. C'est le nom que l'on a donné depuis 1789 à un chemin sans nom situé près de la barrière de Courcelles.
Rue de Miromesnil. Elle a été ouverte en 1779, et aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, de l'autre à celle de la Pépinière; elle doit son nom au chancelier Maupeou, qui étoit de cette famille.
Rue des Moineaux. Elle a une de ses extrémités dans la rue Neuve-Saint-Roch, l'autre dans celle des Orties. Elle étoit connue sous ce nom dès l'an 1561[633].
(p. 1086) Rue de Montpensier. On a donné ce nom à une partie de la rue de Valois qui donne dans celle de Rohan.
Il y a une autre rue de Montpensier qui longe le Palais-Royal, depuis le théâtre Français jusqu'à l'angle opposé.
Rue de Mouceaux. C'est une rue percée depuis 1780, qui donne d'un côté dans la rue du Faubourg-du-Roule, de l'autre dans celle de Courcelles.
Rue des Moulins. Elle donne, d'un bout, à l'extrémité de la rue l'Évêque, de l'autre dans la rue Thérèse, et doit son nom à deux Moulins situés sur la butte Saint-Roch, auxquels elle conduisoit, et qu'on a détruits lorsqu'après avoir aplani cette butte on a couvert de maisons l'espace qu'elle occupoit. Cette rue existoit dès 1624[634].
Rue des Mulets. Elle traverse de la rue d'Argenteuil dans celle des Moineaux. Le voisinage des moulins pourroit bien lui avoir fait donner le nom qu'elle porte, à cause des mulets qui portoient le blé et rapportoient la farine; elle est indiquée dans le censier de l'archevêché, de 1663.
Rue Saint-Nicaise. Elle va de la rue Saint-Honoré dans celle des Orties, et occupe l'emplacement du rempart de l'enceinte de Charles V. Elle doit son nom à une chapelle de Saint-Nicaise qui servoit à l'usage de l'hôpital des Quinze-Vingts vers le milieu du 15e siècle[635].
Rue de l'Oratoire. Elle est située vis-à-vis la rue de Mouceaux. C'étoit un chemin sans nom avant 1789.
1re Rue des Orties. Elle régnoit le long des galeries du Louvre; elle a porté en 1603 le nom de Saint-Nicolas-du-Louvre, en 1622 celui de rue des Galeries[636]. On appeloit aussi cet endroit le rempart du Louvre. Jaillot (p. 1087) dit que c'étoit anciennement un mur qui régnoit le long du quai, et qui pouvoit être garni d'orties, d'où cette rue ainsi que la suivante auront reçu leur nom[637].
2e Rue des Orties. Elle va de la rue Sainte-Anne à celle d'Argenteuil. Cette rue se trouve mentionnée sous ce nom dans le censier de l'archevêché, de 1623.
Rue de la Pépinière. Cette rue, qui se prolonge le long de l'espace qu'occupoit, avant la révolution, la pépinière du roi, n'a pris le nom qu'elle porte que depuis 1780. Avant cette époque, c'étoit un chemin sans nom. Elle donne, d'un côté, dans la rue de Courcelles, de l'autre, dans celle des Porcherons, située hors du quartier[638].
Rue de Poitiers. Cette rue nouvelle, percée depuis 1780, aboutit d'un côté dans la rue Neuve-de-Berri, de l'autre dans celle d'Angoulême.
Rue du Pont. Cette petite ruelle est située entre la grande rue de Chaillot et la rue Basse du même nom.
Rue de Ponthieu. Cette rue, percée en même temps que la rue Poitiers, est située dans la même direction, mais plus près de l'avenue de Neuilly; elle communique également dans les rues Neuve-de-Berri et d'Angoulême.
Rue Quatremère. Cette rue, qui devoit son nom à une famille connue de Paris, a été aussi ouverte à travers les champs qui bornoient auparavant la rue d'Anjou. (p. 1088) Elle fait la continuation de cette rue, et va aboutir à celle de la Pépinière[639].
Rue du Rempart. Elle va d'un bout dans la rue Saint-Honoré, de l'autre dans celle de Richelieu; elle doit son nom à une partie de l'enceinte de Charles VI sur laquelle elle est située. En 1636, elle s'appeloit rue Champin.
Rue du Chemin-du-Rempart. Elle commence au coin de la rue de Surêne, et règne le long du rempart jusqu'à l'entrée du faubourg Saint-Honoré; c'est ce qui lui en a fait donner le nom. Elle portoit anciennement celui de Chevilly. La partie opposée se nomme rue Basse-du-Rempart, parce qu'elle est effectivement plus basse que le boulevart[640].
Rue de Richelieu. La partie de cette rue qui se trouve dans ce quartier commence à la rue Saint-Honoré et finit à la rue Neuve-des-Petits-Champs. Le cardinal de Richelieu ayant fait bâtir le Palais-Royal, et abattre à cet effet les anciens murs de la clôture de Charles V, on ouvrit cette rue. Elle fut d'abord nommée Royale; mais, peu après, elle prit le nom de Richelieu.
Rue Neuve-Saint-Roch. Elle donne d'un côté dans la rue Saint-Honoré, et de l'autre dans la rue Neuve-des-Petits-Champs; cette rue doit son nom à l'église Saint-Roch, dont la principale entrée y étoit située avant qu'on l'eût rebâtie. Elle s'appeloit auparavant rue de Gaillon. Sauval dit qu'on la nommoit, en 1495 la ruelle Michaut-Riegnaut, en 1521 Michaut-Regnaut, et en 1578 rue de Gaillon, du nom de l'hôtel qui en faisoit le coin.
Rue du Rocher. Elle fait suite à la rue de l'Arcade et (p. 1089) se prolonge jusqu'à la barrière de Mouceaux. C'étoit un chemin sans nom avant 1789.
Rue de Rohan. Cette rue, située en face de celle de Richelieu, sur l'ancien terrain des Quinze-Vingts, communique d'un côté avec la rue Saint-Honoré, de l'autre aboutit à la rue de Chartres.
Rue Roquépine. La rue Roquépine a été percée en même temps que la rue d'Astorg, et donne d'un côté dans la rue Verte, de l'autre à la jonction des rues d'Anjou et Quatremère. Elle se prolongeoit autrefois jusqu'à la rue de l'Arcade: ce passage a été fermé.
Rue du Roule. C'est la continuation de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Elle doit son nom au petit village du Roule, réuni à celui de la Ville-l'Évêque, et déclaré ensuite faubourg de Paris. Ce village a porté au treizième siècle les noms de Rollus ou Rotulus; on le distinguoit en haut et bas Roule, et plusieurs titres font mention d'une léproserie ou maladrerie qui s'y trouvoit située, et qu'on a souvent appelée l'Hôtel du bas Rolle et Hôtel du Roule.
Rue Rousselet. Cette rue, percée le long de l'emplacement de l'ancien Colysée, donne d'un côté dans les Champs-Élysées, de l'autre dans la rue du Colysée.
1re Rue Royale. Elle va de la rue Neuve-des-Petits-Champs dans la rue Thérèse. On l'a nommée d'abord rue Neuve-de-Richelieu. On lui donna ensuite le nom de Royale, lorsqu'on fit porter le nom de la Reine à celle dans laquelle elle aboutit.
2e Rue Royale. Elle va de la rue Saint-Honoré à la place Louis XV, à laquelle elle sert de principale entrée de ce côté; elle a été tracée en même temps que cette place[641].
(p. 1090) Rue des Saussaies. Elle aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, et de l'autre aux extrémités des rues de Surêne et de la Ville-l'Évêque. Elle a porté les noms de rue des Carrières, de la Couldraie, des Saussaies[642], de Chemin de la Saussaie[643], vraisemblablement parce qu'il y avoit dans ce terrain des carrières, des coudres et des saules. Plus anciennement elle avoit été appelée ruelle Baudet.
Rue de la Sourdière. Elle va de la rue Saint-Honoré au cul-de-sac de la Corderie; elle doit son nom à M. de La Faye, sieur de la Sourdière, qui avoit sa maison dans cet endroit. Ce n'étoit, au milieu du dix-septième siècle, qu'une longue allée qui régnoit le long de cette maison et de ses jardins. On voit, par un procès-verbal de 1640, qu'il y avoit trois maisons contiguës qui passèrent au sieur Guiet de l'Épine; et le passage, ayant été élargi, prit le nom de l'Épine-Guiet, et de Guiet-l'Épine. Il est ainsi désigné en 1663; mais dès l'année suivante on le voit sous le nom de la Sourdière, qu'il a conservé.
À l'extrémité de cette rue se trouve le cul-de-sac de la Corderie. On l'a aussi appelé autrefois cul-de-sac Péronnelle, dénomination prise de son emplacement, (p. 1091) qu'on nommoit ainsi. On y entre par la rue Neuve-Saint-Roch. C'est maintenant une rue ouverte sur le marché Saint-Honoré, et qui porte le même nom.
Le passage qui conduisoit de cette rue aux Jacobins étoit une ruelle ou cul-de-sac nommé le cul-de-sac de Saint-Hyacinthe, du nom d'un des saints de cet ordre.
Rue de Surêne. Elle aboutit à la rue des Saussaies et au boulevart. C'étoit anciennement un simple chemin qui conduisoit au village de Surêne; et le cimetière de la Magdeleine y étoit situé. C'est dans cet endroit qu'on avoit d'abord placé le marché Daguesseau.
Rue Thérèse. Elle va de la rue Sainte-Anne à la rue Ventadour. On l'ouvrit lorsqu'on aplanit la butte Saint-Roch; et le nom qu'elle porte lui fut donné en l'honneur de Marie-Thérèse d'Autriche, épouse de Louis XIV. Il paroît cependant qu'elle ne le reçut qu'après la mort de cette princesse: car ce n'est que depuis 1692 qu'on la trouve distinguée de la rue du Hasard, et indiquée sous le nom de rue Thérèse.
Rue Saint-Thomas-du-Louvre. Elle aboutissoit d'un coté à la rue Saint-Honoré et à la place du Palais-Royal, de l'autre à la rue des Orties et aux galeries du Louvre. Ce nom lui vient d'une église de Saint-Thomas, située dans cette rue, et que depuis sa reconstruction on appela Saint-Louis-du-Louvre. On la nommoit anciennement la rue des Chanoines, Strata Canonicorum. On lui donna ensuite le nom qu'elle porte aujourd'hui, Vicus S. Thomæ de Lupera en 1242; S. Thomas de Lupara en 1256, et de Lupera en 1288[644].
Rue Traversière. Elle est ainsi nommée parce qu'elle (p. 1092) traverse de la rue Saint-Honoré dans celle de Richelieu. Dans quelques titres qui remontent jusqu'à 1623, elle est appelée rue Traversante, de la Brasserie et du Bâton Royal.
Dans cette rue est un cul-de-sac nommé le cul-de-sac de la Brasserie; il doit ce nom à une maison dite de la Brasserie, qui en faisoit le coin en 1668.
Rue de Valois. Elle a été percée sur l'emplacement des Quinze-Vingts, et donne d'un côté dans la rue Saint-Honoré, de l'autre dans celle de Rohan.
Il y a une seconde rue de Valois qui donne d'un bout dans la rue Saint-Honoré, et de l'autre se prolonge le long du Palais-Royal jusqu'au passage Radziville, où elle donne dans la rue de Beaujolois.
Une troisième rue de Valois, située devant le jardin de Mouceaux, aboutit d'un côté à la rue de Courcelles, et se prolonge jusqu'à la barrière qui porte aussi le nom de Mouceaux.
Rue de Ventadour. Elle aboutit d'un côté dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, et de l'autre dans la rue Thérèse. On la nommoit autrefois rue Saint-Victor; ensuite elle s'est prolongée jusqu'à la rue des Moineaux, et sous le nom de Ventadour ou de Lionne, elle se continuoit en 1673 au-delà de la rue Neuve-des-Petits-Champs. Elle tient le nom qu'elle porte maintenant de la famille de Ventadour.
Petite rue Verte. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré, de l'autre dans la rue Verte.
Allée des Veuves. Cette allée, qui termine les Champs-Élysées, donne d'un bout dans la grande allée, de l'autre sur le quai, à l'extrémité du Cours-la-Reine.
Rue Villedo. Elle traverse de la rue Sainte-Anne dans la rue de Richelieu; et doit son nom aux sieurs Guillaume et François Villedo, intendants généraux des (p. 1093) bâtiments du roi et des ponts-et-chaussées, qui avoient, en 1667, plusieurs possessions à la butte Saint-Roch, sur lesquelles cette rue a été ouverte.
Rue des Vignes. Elle aboutit à la grande rue de Chaillot en entrant par l'avenue: c'étoit un chemin sans nom avant 1789.
Rue de la Ville-l'Évêque. Elle commence à la rue de l'Arcade, à l'ancienne extrémité de la rue de la Magdelaine, et finit à la rue des Saussaies. Son nom lui vient du territoire sur lequel elle est située, qui appartenoit à l'évêque et au chapitre de Notre-Dame, et dont plusieurs titres du treizième siècle font mention sous le même nom de Villa Episcopi.
Ils sont nombreux dans ce quartier et principalement autour du Palais-Royal.
Passage Radziville. Il est situé dans l'angle des rues de Valois et de Beaujolois, et donne à l'entrée de la rue des Bons-Enfants.
Passages sans nom de la rue de Beaujolois dans la rue Neuve-des-Petits-Champs. Il y en a deux, l'un avant, l'autre après la rue Vivienne.
Passage du café de Foi. Il donne de la rue Montpensier dans la rue de Richelieu.
Plusieurs autres passages sans nom communiquent encore le long de la rue Montpensier à divers points de la rue de Richelieu.
Passage Saint-Guillaume. Il communique de la rue Traversière à la rue de Richelieu.
Passage Saint-Roch. Il est situé auprès de cette église et communique de la rue Saint-Honoré à la rue d'Argenteuil.
Quai des galeries du Louvre. Il commence au premier guichet, appelé de la rue Froi-Manteau, et finit au bout du Pont-Royal. À l'entrée de ce quai est le port Saint-Nicolas, lequel a pris son nom de l'église collégiale qui en étoit voisine. C'est à ce port qu'abordoient, avant la révolution, les marchandises qui venoient des pays étrangers en remontant la Seine. C'est encore là que l'on décharge aujourd'hui les barques qui apportent les productions de la Normandie, etc. Avant la construction du nouveau pont, dit Pont des Arts, on passoit la rivière à cet endroit dans des bateaux.
Quai des Tuileries ou de la Conférence. Il commence au bout du Pont-Royal, et finit à l'endroit où étoit anciennement la porte dont il a pris le nom. C'est de l'entrée de ce quai que partent, tous les jours, les galiotes de Saint-Cloud et de Sève.
Port aux Pierres. Il est situé vis-à-vis le Cours-la-Reine.
Quai de la Savonnerie. Il commence à l'extrémité du Cours-la-Reine, et finit à la barrière des Bons-Hommes. On le nomme maintenant quai de Billy et de la Conférence.
Il a paru vraisemblable à plusieurs historiens de Paris que[645], sous la domination des Romains, la cité de (p. 1095) Paris avoit commencé à étendre ses faubourgs sur la rive septentrionale du fleuve dont elle est entourée: à défaut de monuments historiques, des restes d'antiquités qu'on y a trouvés sur divers points et à diverses époques ont démontré jusqu'à l'évidence ce qui n'avoit d'abord été qu'une simple conjecture.
Des débris de voies romaines, que le temps n'a point entièrement détruits, indiquent des communications établies avec plusieurs lieux environnants, tels que Clichi, Pierre-Laie, Pontoise, Saint-Denis, Pierre-Fite, etc.; et d'autres monuments qui ne peuvent exister que dans l'enceinte des villes, prouvent que cette partie septentrionale, depuis couverte de forêts et de marécages, étoit alors habitée: voici ce que l'on a découvert dans le quartier que nous venons de décrire.
Aquéduc de Chaillot. Cet aquéduc souterrain, dont les premières constructions étoient établies sur les hauteurs de Chaillot, et à la source des eaux minérales qui existent encore aujourd'hui dans cet endroit, traversoit l'emplacement des Champ-Élysées, et probablement celui qu'occupe aujourd'hui le jardin des Tuileries, pour venir aboutir au jardin du Palais-Royal. Les travaux que l'on faisoit en 1763 pour la formation de la place Louis XV procurèrent la découverte des canaux de conduite de cet aquéduc; et l'on découvrit en même temps à Chaillot un reste de maçonnerie antique qui avoit fait partie de ses constructions. M. le comte de Caylus a publié à ce sujet une dissertation[646].
Bassins antiques du Palais-Royal. Ils furent découverts en 1781, lors des fouilles que l'on fit dans le jardin de ce palais pour établir les fondations de ses nouvelles (p. 1096) galeries. Le premier, qui gisoit à trois pieds au-dessous du sol, et à l'extrémité méridionale de ce jardin, présentoit un carré de vingt pieds de dimension sur ses quatre côtés. Au même endroit furent trouvées des médailles d'Aurélien, de Dioclétien, de Posthume, de Magnence, de Crispe, de Valentinien Ier; ce qui semble indiquer une construction qui ne remonte pas au-delà du quatrième siècle.
Le second bassin, beaucoup plus vaste que le premier, et trouvé dans la partie septentrionale du même jardin, s'étendoit à cinq pieds sous terre, depuis le point de la galerie où est situé le café de Foi, jusqu'au passage de Radziville. Tous les deux étoient évidemment de construction romaine; et une circonstance assez remarquable, c'est que la direction de l'aquéduc, reconnue par M. de Caylus depuis Chaillot jusqu'à la place Louis XV, continuant d'être prolongée en ligne droite, seroit venue précisément aboutir au premier de ces deux bassins[647].
Palais-Royal. La cour de ce palais qui donne sur la rue Saint-Honoré et qui sert d'entrée à la partie de cet édifice qu'occupe M. le duc d'Orléans, doit être incessamment fermée au public; et à côté de cette cour il a été percé un nouveau passage formant une galerie qu'orne une colonnade d'ordonnance dorique. Ce passage, dans lequel on a pratiqué des boutiques, traverse le péristyle dont (p. 1097) on avoit fait provisoirement, pendant quelques années, la bourse de Paris, et vient communiquer à la seconde cour que borne au nord la galerie de bois.
Au milieu du jardin, dont les deux extrémités sont ornées de tapis de verdure, s'élève une gerbe d'eau formant un jet d'environ dix-huit pieds de hauteur, qui retombe dans un grand bassin circulaire, et répand ainsi de la fraîcheur au milieu de cette promenade jusqu'alors peu agréable à cause de son extrême aridité.
Théâtre du Vaudeville. Ce théâtre a été élevé sur l'emplacement de l'ancien Vauxhall, vis-à-vis le Palais-Royal, et à l'entrée des rues de Chartres et de Saint-Thomas-du-Louvre qu'il borde des deux côtés. C'est un édifice qui, à l'extérieur, n'a pas d'autre apparence que celle d'une maison particulière. La salle qu'il contient est petite et n'a de même rien qui mérite d'être remarqué.
Palais des Tuileries. Toutes les constructions qui obstruoient la façade de ce monument, du côté de la place du Carrousel, ont été abattues; et le terrain qu'elles occupoient a été changé en une vaste cour qui s'étend jusqu'au premier guichet de la grande galerie, et que ferme une grille en fer d'un beau travail. Cette grille a trois entrées: la première au milieu et vis-à-vis l'arc de triomphe dont nous allons bientôt parler, les deux autres de chaque côté, et entre des massifs carrés en pierre formant piédestaux, qui supportent des statues colossales de Victoires, assises et entourées de divers attributs. Avant qu'on y eût placé ces statues, traitées dans le style de la décoration monumentale, les quatre chevaux de bronze antique enlevés à la ville de Venise avoient été élevés sur ces piédestaux.
Intérieur du palais. Cet intérieur a subi de grands changements dans sa décoration. Sous le vestibule on a (p. 1098) pratiqué un nouvel escalier d'une belle architecture qui conduit d'un côté aux galeries supérieures de la chapelle et au théâtre, de l'autre à la salle des maréchaux. Ces diverses pièces ont subi, tant dans leur disposition que dans leur architecture, de grands et heureux changements. Les galeries au rez-de-chaussée du côté du jardin ont été décorées, sous toutes les arcades qui les composent, de statues antiques ou copiées de l'antique, représentant des personnages romains, matrones et sénateurs.
Jardin des Tuileries. Sans rien changer à la belle ordonnance et aux grandes masses de ce jardin, on l'a achevé dans quelques détails qui, jusqu'alors, avoient été négligés et qui en complètent la symétrie. C'est principalement du côté du pont tournant qu'ont été faits en ce genre les travaux les plus importants. L'orangerie a été abattue ainsi que les constructions qui obstruoient toute cette extrémité du jardin; et sur cet emplacement on a formé deux larges terrasses parfaitement symétriques, qui se dessinent en fer à cheval et viennent finir en pente douce des deux côtés du grand bassin. Ces deux terrasses ont été plantées d'arbres formant allées et bosquets; elles sont entourées de fossés du côté de la place Louis XV, et revêtues d'un mur solide en bossages. Chaque angle extérieur du parapet est orné d'un lion en marbre blanc.
Les deux autres terrasses dites des Feuillans et du bord de l'eau ont été plantées d'arbres. La première est fermée d'une grille toute semblable à celle qui termine la cour du château. Cette grille, qui s'étend depuis le pavillon Marsan jusqu'à l'extrémité du jardin, et qui forme ainsi l'un des côtés de la rue de Rivoli dans presque toute sa longueur, est soutenue de distance en distance par des piliers carrés sur lesquels on a placé des vases en marbre blanc d'une forme élégante. La terrasse du bord de l'eau est ornée de belles copies en bronze de quelques-unes (p. 1099) des statues les plus célèbres de l'antiquité, le Laocoon, l'Apollon du Belvédère, l'Hercule Télèphe, la Diane de Versailles, etc. On communique du château à cette terrasse par une galerie souterraine; ce qui en fait une promenade particulière pour les princes, et que l'on peut isoler en un instant du reste du jardin, en fermant toutes les grilles dont elle est entourée.
Enfin tous les compartiments du parterre, jusqu'alors fermés seulement par des barrières en bois, ont été entourés de balustrades de fer; et plusieurs statues nouvelles en bronze et en marbre, ou modernes ou copiées de l'antique, ont été répandues autour des bassins, à l'entrée de ce parterre et sur la lisière du bois.
Grande galerie (côté du midi). À l'extérieur et dans toute la partie construite par Métezeau, il a été percé des arcades au nombre de vingt-huit, et établi dans le vaste rez-de-chaussée qui règne le long de ces arcades, des corps-de-garde et une orangerie. Dans toute la longueur de ce bâtiment jusqu'au pavillon de l'Infante, on a pratiqué dans le toit des jours qui éclairent la galerie intérieure où est exposée la collection des tableaux du roi, collection qui abonde en chefs-d'œuvre de toutes les écoles, et que l'on considère comme la plus belle de l'Europe, tant par le nombre que par l'excellence des morceaux dont elle est composée. Des colonnes de marbre du plus grand prix, des bustes, des ciselures en bronze doré, forment la décoration de cette galerie magnifique. À son extrémité est le salon d'exposition des tableaux de l'école française, dont l'entrée donne sur un escalier du plus grand style. Cet escalier communique au musée des statues antiques, plus nombreux et plus varié que celui du Vatican, aussi riche peut-être en chefs-d'œuvre du premier ordre, et qui se compose de toute la célèbre collection Borghèse, des antiques qui appartenoient anciennement au roi, et de (p. 1100) beaucoup d'autres statues tirées de la Villa-Albani, du Vatican, et de plusieurs collections particulières. Ce musée comprend tout le rez-de-chaussée dont se composoient autrefois les appartements de la reine, ainsi que la fameuse salle du vieux Louvre dite des Cent-Suisses, que décorent les admirables sculptures de Jean Goujon.
Galerie (côté du nord). Cette galerie, parallèle à celle qui est connue sous le nom de grande galerie, construite sur les mêmes dimensions, et qui doit aboutir à la partie opposée du vieux Louvre, a été commencée, il y a environ quinze ans, du côté des Tuileries, et se prolonge en ce moment jusqu'à la rue de Rohan, offrant déjà une suite de vingt-une arcades, toutes semblables à celles de l'autre galerie qui sont en regard. La façade extérieure qui donne sur la rue de Rivoli se compose de croisées séparées par des niches destinées sans doute à recevoir des statues; au-dessus règne une longue corniche soutenue par des consoles. Tout cet ensemble a de la noblesse et de la simplicité, peut-être même trop de simplicité pour la demeure d'un grand souverain. L'intérieur de cette galerie est divisé en appartements destinés à être habités par des personnes que leurs emplois attachent à la cour.
Arc de triomphe. Ce monument, que Buonaparte fit élever en 1806, à la gloire, disoit-il, des armées françoises, et qui n'étoit réellement que le monument de son insolence et de son orgueil, n'a point été abattu depuis la restauration; et il existe encore ainsi que la colonne de la place Vendôme!...
Cette construction présente une largeur de soixante pieds sur quarante-cinq de hauteur. Sa profondeur est de vingt pieds et demi. Sa double façade se compose de trois arcades; et deux arcades percées dans chacune de ses faces latérales correspondent de l'une à l'autre et traversent les trois (p. 1101) arcades de la façade. Huit colonnes de marbre rouge de Languedoc, d'ordre corinthien, enrichies de bases et de chapiteaux en bronze doré, ornent l'extérieur de cette composition; à l'aplomb de ces colonnes et au-devant de l'attique s'élèvent autant de statues de soldats français de diverses armes, dont les costumes forment, avec les bas-reliefs et les ornements traités dans le style antique dont les voûtes et les cintres des arcades sont couverts, une disparate qui n'est pas de très-bon goût. Ce sont des Fleuves, des Naïades, des Victoires, etc.; toutes ces sculptures ont été traitées d'une grande manière et avec une délicatesse très-rare d'exécution.
Six bas-reliefs en marbre blanc qui retraçoient les événements les plus remarquables de la campagne de 1805, décoroient les quatre faces de cet arc de triomphe. Ceux-là ont du moins été enlevés en 1815 pour ne plus jamais reparoître. Au-dessus de l'attique que surmontoit un double socle s'élevoit un quadrige qu'accompagnoient deux Victoires, et auquel on avoit attelé les quatre fameux chevaux de bronze dont nous avons déjà parlé. Ce quadrige attendoit la statue de l'usurpateur; il a été enlevé en même temps que les bas-reliefs. Le char et les Victoires en plomb doré étoient de la main de M. Lemot, et l'on y reconnoissoit le grand style, et la belle exécution de cet artiste célèbre.
L'église Saint-Roch. On a rendu à cette église quelques-uns des tableaux qui lui avoient été enlevés, entre autres celui du Doyen (la guérison des ardents), et celui de Vien (saint Denis prêchant la foi en France). Plusieurs chapelles ont été ornées de bas-reliefs, représentant des sujets tirés de la vie de N. S. par M. Desenne; et le même artiste a exécuté pour la chapelle du Calvaire un groupe du Christ au tombeau, dont l'exécution mérite des éloges. Saint-Roch possède encore plusieurs tableaux modernes qui lui ont été donnés par la ville de Paris.
(p. 1102) On a de même rendu à cette église les monuments sépulcraux dont elle avoit été dépouillée, et l'on y a en outre déposé quelques-uns des monuments enlevés aux églises qui ont été détruites pendant la révolution, entre autres le tombeau du cardinal Dubois, et celui de Henri de Lorraine, comte d'Harcourt.
Marché Saint-Honoré. Ce marché a été ouvert et construit sur l'emplacement du couvent des Jacobins. Il est divisé en quatre compartiments couverts d'une simple toiture que portent des piliers de bois façonnés en colonnes; deux rues y communiquent de la rue Saint-Honoré et de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et la place au milieu de laquelle il s'élève forme un carré entouré de maisons.
Colonne de la place Vendôme. Cette colonne, qui, nous l'espérons, disparoîtra un jour, pour l'honneur de la France, de la place qu'elle occupe, et la rendra à la statue équestre du grand roi, qui s'y élevoit autrefois, fut, de même que l'arc de triomphe, commencée par ordre de Buonaparte après la campagne de 1805, et finie seulement en 1810.
Elle a 218 pieds de haut, y compris son piédestal dont la hauteur est de 21 pieds et demi. Son diamètre est de 12 pieds; et toute sa surface, y compris le piédestal, le chapiteau et son amortissement, est revêtue de fortes lames de bronze, chargées de bas-reliefs. Ceux du piédestal représentent des trophées d'armes; les autres, qui s'élèvent en spirale jusqu'au faîte du monument, à l'imitation des colonnes Trajane et Antonine, offrent l'histoire monumentale de cette campagne de 1805, à l'occasion de laquelle a été conçu et exécuté ce monument.
Buonaparte, qui, peu de temps auparavant, avoit refusé une statue que ses flatteurs lui offroient, disant qu'à la postérité seule appartenoit le droit de la lui ériger, (p. 1103) si elle l'en jugeoit digne, changea bientôt d'avis, et fit placer sur la calotte de cette colonne, qui étoit l'un des points les plus élevés de Paris, sa statue pédestre vêtue à la romaine. Cette statue colossale, de dix pieds de proportion, avoit été exécutée par le sculpteur Chaudet. Elle a été renversée en 1814; à sa place s'élève le drapeau blanc; et le contraste étrange qu'il offre avec le monument qui lui sert de support peut donner matière à bien des réflexions.
Champs-Élysées. À l'entrée de cette promenade, on a placé deux groupes en marbre qui ornoient autrefois le parc de Marly. Ces groupes, exécutés par Coustou jeune, représentent deux chevaux qui se cabrent et qui sont retenus par deux hommes nus.
Arc de triomphe de l'Étoile. Le projet de cet arc de triomphe fut encore conçu en 1805. Il fut commencé avec des travaux et des dépenses énormes, sur les dessins de l'architecte Chalgrin, et abandonné, nous ne savons pourquoi, lorsque la construction en étoit déjà fort avancée[648]. Il est construit sur la plus grande échelle des monuments de ce genre; et peut-être eût-il été le plus colossal de tous ceux qui existent maintenant. Sa hauteur eût été de 138 pieds, sa profondeur de 68. C'est une belle masse dont l'aspect est imposant et dont la situation à la porte Chaillot étoit une des plus heureuses qu'il fût possible de rencontrer, ce monument pouvant y être vu de tout Paris et de ses environs jusqu'à Neuilly. Il n'y a pas d'apparence qu'il soit jamais achevé.
Pont des Invalides. Ce pont, qui sert de communication du quai de la Conférence au Champ-de-Mars et à (p. 1104) l'École-Militaire, s'élève en ligne droite sur cinq arches surbaissées. Il est orné entre chaque arche et au-dessus de chaque pilier d'une couronne de laurier au milieu de laquelle est gravé en relief le chiffre ⅃L surmonté d'une couronne royale. Ce pont, de la coupe la plus élégante et la plus hardie, est considéré avec juste raison comme le plus beau de Paris. Il portoit, pendant la révolution, le nom de pont d'Iéna; et des aigles éployées remplissoient l'espace qu'occupe aujourd'hui le chiffre du roi.
Église de la Magdeleine. Buonaparte avoit voulu faire de cette église, commencée avant la révolution, un Temple de la Gloire; et un concours avoit été ouvert pour l'exécution de ce bizarre et ridicule projet. Alors les constructions déjà faites éprouvèrent quelques changements dans leur ordonnance. Les travaux toutefois se poursuivirent lentement et n'ont été repris avec quelque activité que depuis le retour du roi, où le monument a subi encore quelques changements nouveaux pour être rendu à sa première destination. Deux rangs de colonnes corinthiennes, de six pieds de diamètre, en décorent la façade; et l'édifice sur les trois autres faces est entouré d'un péristyle formé par un seul rang de colonnes du même ordre et de la même dimension. Cette église doit avoir 264 pieds de longueur dans œuvre, non compris le portail et la chapelle de la communion. Sa largeur, aussi dans œuvre, et sans y comprendre les porches des portes latérales sera de 138 pieds. Elle sera, dit-on, surmontée d'un dôme, et le maître-autel s'élèvera au milieu du chœur. Toute cette ordonnance est d'un grand caractère; et l'église de la Magdeleine, lorsqu'elle aura été achevée, sera sans doute, dans son ensemble, la plus belle église moderne de Paris: mais aura-t-elle le caractère imposant et religieux de nos superbes basiliques gothiques? nous en doutons: cette architecture gothique semble appartenir spécialement (p. 1105) au christianisme; et il ne nous semble pas que rien, sous ce rapport, puisse jamais l'égaler ou la remplacer.
Chapelle sépulcrale de Louis XVI et de Marie Antoinette, reine de France. Ce monument, élevé à la mémoire de ces deux augustes victimes, est presque entièrement achevé: du côté du rond-point il donne sur la rue d'Anjou, et l'entrée principale semble devoir être dans la rue de l'Arcade, un peu plus bas que la rue Neuve-des-Mathurins. L'édifice a la forme d'un carré long: ses deux faces latérales se composent chacune de neuf arcades, qui probablement seront fermées par des grilles et figureront des charniers. Du côté de la façade principale on monte quelques marches qui conduisent à une espèce de vestibule ou petite chapelle; un second escalier mène à une plate-forme élevée de dix à douze pieds au-dessus du sol: à son extrémité s'élèvent sur un perron quatre colonnes doriques avec fronton qui forment l'entrée de la principale chapelle. Les trois ronds-points qui la terminent semblent indiquer qu'elle formera trois divisions; et son exhaussement prouve qu'elle doit être accompagnée de chapelles souterraines. Cette composition a le caractère sépulcral qui lui convient, et fait honneur à l'architecte qui l'a exécutée. On a le projet de l'enrichir d'un grand nombre de sculptures, d'ornements, bas-reliefs, etc., que l'on exécute en ce moment.
Abattoir du Roule. Il est situé à l'extrémité de la rue de Miromesnil. À la fin du troisième volume de cet ouvrage, nous entrerons dans quelques détails sur les divers édifices de ce genre que l'on a élevés à diverses extrémités de Paris, et qui peuvent être mis au nombre des établissements les plus utiles que l'on ait formés pour la commodité et la salubrité de cette capitale.
Rue d'Astorg. On a prolongé cette rue à travers la rue d'Anjou jusque dans celle de la Pépinière.
Rue de la Bienfaisance. Elle aboutit d'un côté à la rue du Rocher et de l'autre à la rue de Miromesnil.
Rue Castiglione. Elle a été ouverte sur le terrain des Capucins, et aboutit d'un côté à la rue de Rivoli, de l'autre à la rue Saint-Honoré, vis-à-vis la place Vendôme.
Rue de la Croix du Roule. C'est un chemin qui traverse les champs, et qui communique de la rue du Faubourg-du-Roule à la barrière de Courcelles.
Rue Duphot. Elle aboutit d'un côté au boulevart de la Magdeleine, de l'autre à la rue Saint-Honoré. Le nom qu'elle porte est celui d'un général français.
Rue Gasté. Elle donne d'un côté dans la rue basse Saint-Pierre, de l'autre dans la rue des Batailles.
Rue des Gourdes. C'est un chemin parallèle à l'allée des Veuves, qui, d'un côté, aboutit à l'avenue de Neuilly, de l'autre vient finir à la ruelle des Blanchisseuses. Dans cette rue des Gourdes vient aboutir une autre rue sans nom qui longe le jardin Marbeuf.
Rue des Grésillons. Elle donne d'un côté dans la rue du Rocher, de l'autre dans celle de Miromesnil.
Rue Saint-Hyacinthe. Elle traverse de la rue de la Sourdière au Marché Saint-Honoré.
Rue Saint-Jean-Baptiste. Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Michel, de l'autre dans celle de la Pépinière.
Rue Neuve-du-Luxembourg. La continuation de cette rue depuis la rue Saint-Honoré vient se terminer à la rue de Rivoli.
Rue du Marché Saint-Honoré. Elle va de la rue Saint-Honoré (p. 1107) à la rue Neuve-des-Petits-Champs, traversant le Marché qui porte ce nom.
Rue des Maisons-Neuves. Cette rue, percée vis-à-vis la rue d'Astorg, et dans la même direction, aboutit d'un côté à celle de la Pépinière, de l'autre à la Voirie.
Rue Saint-Michel. Elle aboutit aux rues Saint-Jean-Baptiste et des Maisons-Neuves.
Rue de Mondovi. Elle commence à l'angle de la rue du Mont-Thabor, et vient aboutir à la rue de Rivoli.
Rue Montaigne. Elle commence au rond-point des Champs-Élysées, et vient aboutir à la rue du Faubourg-du-Roule.
Rue du Mont-Thabor. Elle se termine par un cul-de-sac qui traverse la rue Castiglione, et va aboutir à la rue Mondovi.
Rue Notre-Dame-de-Grace. Elle donne d'un bout dans la rue d'Anjou, de l'autre dans celle de la Magdeleine.
Rue de Ponthieu. Cette rue a été prolongée jusque dans la rue Montaigne.
Rue Richepanse. Elle donne dans la rue Saint-Honoré et dans la rue Duphot. Le nom qu'elle porte est celui d'un général français.
Rue de Rivoli. Elle commence à la rue de Rohan, et se prolongeant le long de la galerie neuve du château et du jardin des Tuileries, vient aboutir à la place Louis XV. Toutes les maisons de cette rue sont de la même élévation, et se composent d'un rez-de-chaussée formant une longue suite d'arcades d'une belle proportion, au-dessus duquel s'élèvent trois étages avec mansardes. C'est la plus belle rue de Paris.
Rue de la Grande-Voirie. Elle donne d'un bout dans la rue des Grésillons, et finit de l'autre par un cul-de-sac, traversant la rue de la Petite-Voirie.
(p. 1108) Rue de la Petite-Voirie. Elle donne d'un côté dans la rue des Maisons-Neuves, et de l'autre dans celle de la Bienfaisance.
Passage Delorme. Il communique de la rue de Rivoli à la rue Saint-Honoré.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE DU PREMIER VOLUME.
QUARTIER SAINT-JACQUES-DE-LA-BOUCHERIE.
QUARTIER SAINTE-OPPORTUNE.
(p. 1110) QUARTIER DU LOUVRE, OU SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS.
QUARTIER DU PALAIS-ROYAL.
Erratum. Page 487, ligne 2, habilement s'opposer; lisez, l'opposer.
1: Voyez la Ire partie de ce volume, p. 63.
2: Ibid., p. 64, 66, 69 et suiv.
3: Nous trouvons expressément dit «que tout homme libre devoit rester fidèle au prince à qui il s'étoit une fois recommandé, tant que ce prince étoit vivant; mais qu'après sa mort, il lui étoit permis de se recommander à qui il jugeroit à propos de le faire.» (Corps diplom. de Dumont, t. I.)
4: Voyez la Ire partie de ce volume, p. 64.
5: Sur ce que nous allons dire et jusqu'à la page 476, on peut consulter les livres 16, 17, 18, 19, 29, 30 et 31 de cet auteur.
6: Les grands qui se donnoient à un roi ne pouvoient traiter en leur nom avec des princes étrangers, ni se rendre leurs clients; obligés de le suivre à la guerre, ils devoient être compris dans tous les traités qu'il lui arrivoit de faire, et aucune guerre ne pouvoit être légitimement entreprise sans leur avis. C'étoit encore parmi eux que ces rois barbares choisissoient leurs ambassadeurs, et ceux qui étoient chargés de leurs négociations.
7: Greg. Tur. Hist., lib. II, c. 30.
8: «Louis-le-Bègue, étant sur le point de mourir, chargea l'évêque de Beauvais et un comte, nommé Alboin, de porter à Louis, son fils aîné, la couronne, l'épée et les autres ornements royaux, mandant à ceux qui étoient auprès de lui de le faire sacrer et couronner roi. Mais avant de procéder à cette cérémonie, ils convoquèrent les grands du royaume dans la ville de Meaux, pour délibérer sur ce qu'ils avoient à faire. Louis ne fut pas couronné aussitôt que son père l'avoit désiré; et contre l'intention de ce prince, on lui associa son frère Carloman.» (Aimoin, liv. V, c. 39.)
Quoique Pépin eût fait sacrer et couronner ses fils de son vivant, «les Francs les élurent après sa mort pour lui succéder» (Egin. de princip.), et les annales qui portent le nom d'Aimoin disent très-expressément que «Charles et Carloman furent créés rois par le consentement de tous les Francs.» (Lib. 4, c. 47.)
Nous apprenons du même annaliste que Louis-le-Débonnaire ne dut d'avoir succédé à son père qu'à la diligence qu'il avoit faite pour prévenir la trahison de Wala, et à la bonne volonté du peuple. C'est ainsi qu'il obtint le trône du consentement et avec l'applaudissement de tous les Francs. (Ibid., c. 102.) On pourroit multiplier à l'infini ces exemples, tant dans la première que dans la seconde race.
9: Voyez la première partie de ce volume, p. 59.
10: C'est-à-dire le vassal bénéficier; car le vassal allodial ou libre propriétaire prêtoit l'hommage simple, lequel étoit fort différent de la recommandation qui étoit aussi appelée hommage lige. Ceux des grands vassaux qui se prétendoient propriétaires de leurs biens en franc aleu, offrirent toujours le premier, et refusèrent le second tant qu'il leur fut possible de s'y soustraire.
11: Il reste plusieurs formules des sermens prêtés à leur couronnement, par les rois des deux premières races, et même pendant le cours de leurs règnes: on peut les réduire à ces trois points principaux: protection aux églises; paix aux peuples; justice à chacun.—Le vassal juroit d'être fidèle au roi régnant, comme tout homme franc devoit l'être à son roi.
12: Cap. Car. Calv., tit. 53, c. 4.
13: «Si vous voulez que nous vous soyons fidèles, disoit le peuple à Charlemagne, faites observer les lois.» (Petitio populi, Worm., an. 803.) Non-seulement les lois autorisoient les fidèles à en agir ainsi avec les rois, mais «elles leur enjoignoient même de leur remontrer toutes les fautes qu'ils pouvoient commettre, afin qu'ils les réparassent. Si après ces avertissemens, le roi ne changeoit point de conduite et d'intention, alors les sujets ecclésiastiques et séculiers devoient faire cause commune afin qu'il ne conservât point le pouvoir de traiter qui que ce fût contre la loi et la raison, et ce nonobstant sa propre volonté.» (Cap. Car. Calv., t. 29, c. 10.)
C'étoit là sans doute régner à de tristes et humiliantes conditions; mais de cette situation précaire des rois, d'où naissoient tant et de si graves inconvénients, il en résultoit du moins cet avantage que, pour ôter tout prétexte à la révolte, ces princes apportoient le plus grand soin à faire rendre la justice; et que les grands vassaux se voyoient obligés de les imiter, et de se montrer de leur côté justes et bienveillants envers leurs sous-vassaux, pour ne point s'exposer à perdre leurs droits de suzeraineté. Plus on pénètre le fond du régime féodal, plus on reconnoît que c'étoit un excellent système administratif, peut-être même le meilleur qui ait jamais existé; système dont on avoit fait une mauvaise loi politique en y assujettissant le souverain au même degré que les moindres de ses sujets, et qu'il auroit suffi de le renfermer dans ses bornes naturelles pour en faire la plus salutaire des institutions. C'est ce qui arriva par la suite; et la France eût été trop heureuse, si, parvenus là, ses rois eussent su s'y arrêter.
14: Les rois eux-mêmes sembloient reconnoître que ce déni de justice pouvoit légitimer la révolte; et lorsque Charles-le-Chauve se réconcilia avec ses sujets révoltés, il distingua des autres ceux que la guerre avoit ruinés, et qui, n'ayant point été récompensés de leurs services, avoient un juste sujet de se soulever contre lui. Il promit même de réparer le tort qu'il leur avoit fait, le plus tôt et le mieux qu'il lui seroit possible, avec le conseil de ses fidèles. (Cap. Car. Calv., tit. 29, c. 6.)
15: Que de clameurs n'a-t-on point élevées contre la puissance spirituelle, ses usurpations, etc. à l'occasion de ces dépositions de rois et d'empereurs, souvent prononcées par un tribunal composé d'évêques! Cependant que l'on se transporte à ces temps reculés, qu'on en étudie les usages, qu'on en comprenne les mœurs, qu'on renonce enfin à cette manie absurde de les juger d'après les temps où nous vivons, et l'on sera forcé de reconnoître comme raisonnable et salutaire, ce que l'on blâme avec tant de violence et d'aigreur. Les rois, nous le répétons, étoient à la merci de la race turbulente et guerrière qui les environnoit. «Il n'étoit permis à personne, dit un capitulaire, d'empêcher par sa désobéissance l'exécution des lois; mais si l'un des rois descendans de Louis-le-Débonnaire manquoit aux engagements communs qu'il a pris avec les autres rois et à ceux qu'il a pris vis-à-vis de son peuple, ceux qui ne s'en étoient point écartés s'assembloient avec le grand nombre des fidèles, et après que l'on avoit averti inutilement le prince réfractaire, on décidoit en commun quelle conduite on devoit tenir à son égard.» (Cap. Car. Calv., tit. 31, c. 12.) Ainsi la loi elle-même consacroit, en certains cas, la révolte. Réduits souvent à de telles extrémités, c'étoient les rois eux-mêmes qui, de même que le faisoient leurs sujets dans un si grand nombre d'autres circonstances, demandoient d'être jugés par un tribunal ecclésiastique, comme plus équitable, plus modéré, et étranger d'ailleurs à toute passion, à tout intérêt qui auroit pu leur être contraire: «Après avoir été sacré roi, disoit Charles-le-Chauve; après avoir été élevé sur le trône, je n'ai pas dû en être renversé; mon sacre n'a pas pu devenir nul, au moins avant que j'eusse été entendu et jugé par les évêques, qui sont les ministres de mon sacre et que l'Écriture appelle les trônes de Dieu, trônes sur lesquels le Tout-Puissant est assis et par qui il rend ses jugements. J'ai toujours été prêt à me soumettre à leurs réprimandes et à leurs sentences pénales (judiciis castigatoriis), et maintenant encore je suis dans la même disposition.» (Cap. Car. Calv., tit. 30, c. 3.)
16: Les mêmes démembrements s'opérèrent en Allemagne avec de légères différences que nous ne pourrions faire connoître ici sans sortir de notre sujet.
17: Les Sarrasins.
18: Voyez page 134, 1re partie de ce volume.
19: Voy., p. 68, première partie de ce volume.
20: Ibid. p. 66 et suiv.
21: De tous les duchés, il ne conserva que celui de Bénévent; et non content de diviser les autres, il crut nécessaire encore de démembrer la juridiction des comtes des cités.
22: Aimoin, lib. 15, c. 19.
23: Les invasions des Normands.
24: Ce domaine, qui étoit immense, fut tellement divisé que vers la fin de la seconde race les rois de France n'avoient plus pour toute propriété que la petite ville de Laon et son petit territoire.
25: Eudes, comte de Paris et frère de Robert, aïeul de Hugues Capet. La troisième race de nos rois eût sans doute commencé à cet Eudes, s'il ne fût mort sans enfans.
26: Charles de Lorraine. On lui fit justement un crime d'avoir rendu hommage à l'empereur Othon.
27: Hugues Capet étoit moins riche que plusieurs de ses vassaux: ce ne fut même qu'après la mort de son frère Othon, que le comté de Paris fut définitivement réuni à la couronne de France.
28: Voyez p. 271, première partie.
29: Suger, de simple moine de Saint-Denis, en étoit devenu abbé par ses grands talents. Louis-le-Gros avoit été élevé dans cette abbaye; ce fut là que Suger en fut connu, et ce qui donna occasion à ce prince, devenu roi, de l'employer dans la suite aux plus grandes affaires..... C'est lui qui a bâti l'église de Saint-Denis, telle qu'on la voit encore aujourd'hui, à l'exception du portail et des deux tours qui l'accompagnent, monuments vénérables de l'ancienne église élevée par Pépin et par Charlemagne; et ce qui honore du moins autant sa mémoire, c'est qu'on croit, avec beaucoup de vraisemblance, que le projet de la compilation des grandes chroniques, connues sous le nom de Chroniques de Saint-Denis, fut son ouvrage. (Hénault.)
30: Toutes les villes des peuples qui habitoient le nord de l'Europe étoient chétives et grossièrement bâties; et les voyages de la Terre-Sainte leur firent voir, pour la première fois, de ces belles cités, dont jusque là ils n'avoient pas même l'idée. Les historiens latins sont frappés à la vue de la magnificence, des richesses, et de l'élégance dont l'empire d'Orient leur offroit le spectacle. «Ô que Constantinople est une belle et vaste cité! s'écrie Foulques de Chartres en la voyant pour la première fois. Combien de couvents elle renferme, et combien de palais bâtis avec un art admirable! on ne croiroit jamais combien elle abonde en toutes sortes de bonnes choses, en or, en argent, en étoffes de différentes espèces. À chaque heure, il arrive dans son port des vaisseaux chargés de toutes les choses nécessaires à l'usage de l'homme.» (Fulcher, ap. Bongars, v. 1, p. 386.) Guillaume, archevêque de Tyr, l'historien le plus éclairé de tous ceux qui ont écrit sur les croisades, dit que ce que les Occidentaux voyoient de l'élégance et de la splendeur de la cour de Constantinople étoit au-dessus de toutes les idées qu'ils auroient pu s'en former. Gonthier, moine français, qui écrivit une histoire de la conquête de Constantinople, Geoffroi de Villehardouin, gentilhomme d'un rang distingué, et accoutumé à toute la magnificence que l'on connoissoit en Occident, en parlent avec la même admiration. Ce dernier peint avec les couleurs les plus vives l'étonnement dont furent frappés ceux de ses soldats qui voyoient pour la première fois Constantinople: «Ils avoient peine à croire, dit-il, qu'il y eût une ville si belle et si riche dans le monde entier. Quand ils virent ses grandes murailles, ses hautes tours, ses riches palais et ses superbes églises, tout cela leur parut si grand, qu'ils n'auroient jamais pu se former une idée de cette ville impériale, s'ils ne l'eussent vue de leurs propres yeux.» (Histoire de la Conquête de Constantinople, p. 49.)
31: Voy. pag. 31, première partie. Ces murs furent élevés pendant le voyage du roi à la Terre-Sainte, et aux dépens des bourgeois de Paris, comme ces mêmes bourgeois le représentèrent depuis à Louis XIII: cependant on les a toujours appelés les murs du roi. Les successeurs de Philippe les donnèrent aux prévôts des marchands et échevins; c'est-à-dire qu'ils leur en confièrent la garde, la visite et le soin de les réparer.
32: Entre autres le clos de Sainte-Geneviève, celui de Saint-Étienne-des-Grès, le clos l'Évêque, une partie de la terre de Laas, etc.
33: Le Louvre.
34: Ces juges accordèrent à l'abbaye tout le territoire contenu depuis la tournelle de Philippe Hanselin, bâtie sur le bord de la Seine (tournelle ou tourelle, connue sous le nom de tour de Nesle), jusqu'à la borne qui sépare, vers la plaine de Grenelle, la terre de Saint-Germain d'avec celle de Sainte-Geneviève, et depuis cette borne jusqu'à une autre qui sépare les mêmes terres près du chemin d'Issy, enfin depuis cette dernière jusqu'à celle que les arbitres eux-mêmes posèrent contre les murs de Saint-Étienne-des-Grès.
35: Elles furent achevées en deux ans, l'une sous le nom de Saint-André-des-Arcs, l'autre sous celui de Saint-Côme.
36: Voyez page 349; 1re partie.
37: Nos premiers rois les trouvèrent déjà établis à Paris, maîtres absolus du commerce, et exerçant ouvertement l'usure. Un édit de Dagobert, de l'an 633, les fit sortir de France; on les y voit reparoître sous Charles-le-Chauve, et le concile de Paris, de 850, renouvela toutes les lois de police portées précédemment contre eux. En 1096, Philippe Ier et tous les souverains de l'Europe les chassèrent de nouveau de leurs États; mais ils y rentrèrent peu d'années après, sous des conditions qui, en garantissant davantage leur sûreté, aggravèrent le poids de leur servitude. Ils se rendirent tributaires du prince, qui les partagea entre les grands seigneurs de sa cour; et, de même que les serfs, ils faisoient partie de l'héritage, et demeuroient attachés à la terre. Ils continuèrent ainsi leur trafic et leurs usures, et les choses demeurèrent en cet état sous les règnes de Louis-le-Gros et de Louis-le-Jeune. (Delamare.)
38: Action injuste, contraire au droit naturel, et par conséquent à la religion. Un grand pape (saint Grégoire-le-Grand) en jugeoit ainsi. Tout zélé qu'il étoit pour la conversion des juifs, il ne pouvoit souffrir qu'on leur fît des injustices (Hénault.)
39: Ce sont aujourd'hui les rues de la Poterie, de la Friperie, de la Chaussetterie, de Jean-de-Bausse et de la Cordonnerie.
40: Les nouveaux accroissements de Paris leur fournirent les moyens de trouver des logements commodes. Quelques-uns allèrent demeurer derrière le lieu où est aujourd'hui le Petit-Saint-Antoine, d'autres à la montagne Sainte-Geneviève, d'autres dans le cul-de-sac de la rue de la Tisseranderie. De là viennent les noms de rue des Juifs et de rue Judas. Ils se logèrent aussi rue des Lombards, rue Quinquempoix et rue des Jardins, depuis rue des Billettes. La rue de la Harpe et la rue Saint-Bon en furent tellement remplies, que, dans le grand pastoral de l'église de Paris, on trouve ces deux rues sous le nom de Juiverie. Il n'y eut plus que les artisans et les plus pauvres d'entre eux qui se logèrent dans la juiverie de Champeaux.
41: Le connétable ou comte des écuries (comes stabuli), qui, sous la deuxième race, ne marchoit qu'après le comte du palais, devint le premier homme de l'État sous la troisième.
42: On le donna aux débauchés qui fréquentoient les mauvais lieux.
43: Il levoit deux sous par semaine sur tout ce qu'on appeloit alors logis de bourdeaulx et de femmes bourdelières. Chaque femme adultère lui devoit cinq sous.
44: Auguste l'établit à Rome sous le nom de præfectus urbis; et cette institution passa ensuite, par une loi expresse, dans toutes les provinces de l'Empire.
45: On avoit renfermé dans ces nouveaux murs les bourgs anciens et nouveaux de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui appartenoient à l'évêque de Paris; une partie du Bourg-l'Abbé, dépendant de l'abbaye de Saint-Martin-des-Champs; tout le Beau-Bourg, qui étoit sur les terres du Temple; le bourg Thiboust, dont étoit propriétaire une famille parisienne de ce nom; toute la terre ou bourg de Saint-Éloi; tout le bourg de Sainte-Geneviève; une partie du bourg de Saint-Germain-des-Prés, et la plus grande partie des terres, des vignes et des prés qui étoient dans la dépendance des seigneurs de ces bourgs, et les avoient jusqu'alors séparés de la ville, etc. (V. les 1er et 2e plans de Paris, pl. 1 et 2.)
46: Le vice radical de cette législation des Francs étoit la loi qui admettoit la composition, c'est-à-dire le rachat par une amende, de presque tous les crimes, et entre autres du meurtre, qui ne peut être efficacement puni que par la mort du meurtrier.
47: Le jugement par jurés.
48: L'établissement des combats judiciaires connus sous le nom de jugement de Dieu, et dernière ressource de ceux qui avoient subi une condamnation par jurés, pourroit le faire croire (voyez p. 351, première partie); et peut-être étoit-il moins absurde de s'en remettre ainsi à la Providence du soin de prononcer en dernier ressort dans une procédure, que d'abandonner la vie, les biens, l'honneur d'un citoyen, à l'ignorance, à la sottise, à la pusillanimité ou à la passion du premier venu. Puisque nous avons trouvé bon de rétablir dans notre code criminel cette institution apportée des forêts de la Germanie au milieu des Gaules, et que nous persistons à l'y maintenir, malgré tout ce qu'elle a d'abusif, de funeste, de déraisonnable, il conviendroit, pour ne pas nous montrer moins sensés que nos grossiers aïeux, d'y joindre le combat judiciaire, qui en est un fort digne complément.
49: «Que les maîtres ou les avoués des serfs soient contraints pour eux, et que, suivant la loi, ils répondent et soient examinés pour eux en justice; mais que les maîtres contraignent et recherchent leurs esclaves comme il les aiment.» (Cap. excerp. ex leg. Long. c. 12.)
50: Ban signifie tout mandement fait à cri public, pour ordonner ou défendre quelque chose.
52: Voyez Ire partie, p. 139 et 140.
53: Le vicomte, dont la juridiction étoit inférieure à celle du comte, jugeoit de toutes les causes fiscales, se faisoit partie publique pour la veuve et l'orphelin; et toutes les causes roturières ressortissoient à son tribunal. La compétence du tribunal du centenier ne s'étendoit pas au-delà des causes mineures; mais comme il y avoit appel de son tribunal à celui du comte, sa juridiction ressembloit beaucoup à celle des hauts-justiciers, avec cette différence qu'il avoit le droit d'informer et d'instruire même sur des affaires dont le jugement n'étoit pas de sa compétence.
54: Les usurpations des vassaux sur la couronne vers la fin de la seconde race portèrent atteinte à l'ensemble de cette hiérarchie, sans toutefois en attaquer le principe: le droit d'appel fut conservé. Mais chaque suzerain ayant concentré en lui-même le pouvoir administratif et le pouvoir politique, et s'étant en quelque sorte fait roi dans ses domaines, il en résulta nécessairement que sa cour particulière de justice fut le dernier degré de l'appellation pour tous ses vassaux; et les choses en étoient là, lorsque les Capets montèrent sur le trône. La cour des comtes de Paris, devenue alors cour royale, changea de nom sans changer d'abord d'attributions; et les vassaux de ce comté et des autres domaines du roi furent les seuls qui dépendirent de sa juridiction. Ce ne fut que par degré que cette prérogative précieuse du trône, ce droit d'appel général de tous les sujets à la cour de justice du roi, qui est la sûreté de chacun et qui fait la dignité des souverains, fut reconquis par la couronne de France, pour être plus solidement établi, et ne lui être plus jamais enlevé.
55: Greg. Tur., lib. 5, c. 20; lib. 6, c. 36; lib. 7, c. 24; lib. 8, c. 21; lib. 9, c. 6.
56: Aim., lib. 5, c. 49.
57: On l'appelle bourgmestre en Germanie; et dans les cités épiscopales, telles que celle de Cologne, où l'évêque avoit lui-même le droit de présider et de décider de l'avis donné par les échevins, ce bourgmestre étoit l'envoyé ou le commissaire de l'évêque (Carta archiep. Colon., an. 1229).
58: Ce tribunal étoit appelé præsidium. L'institution des communes multiplia ses justiciables; et telle est l'origine de nos présidiaux.
59: Cod. Theod., lib. 12, tit. 6, leg. 5, 8, 24, et ultim.
60: Ce magistrat se nommoit Étienne Boislève, et non Boileau, comme la plupart des historiens l'ont appelé. Tous s'accordent à faire de lui le plus grand éloge, et jamais peut-être il n'en fut de plus mérité. C'est un des hommes les plus intègres et du plus grand sens dont la France puisse s'honorer. Non-seulement il remit l'ordre dans Paris, mais il créa les divers corps ou communautés des marchands et artisans, et leur donna leurs premiers statuts; ce qu'il fit avec tant de sagesse et de prévoyance, que ces mêmes statuts n'ont été que copiés ou imités dans tout ce qui s'est fait depuis pour la discipline de ces communautés, ou pour l'établissement des nouvelles qui se sont formées. (Delamarre.)
61: C'est de là que naissoit son droit d'avoir toujours un dais subsistant au-dessus de son principal siége, prérogative qui n'appartenoit qu'à ce tribunal. C'est la première juridiction qui ait eu un sceau aux armes du roi, et un officier particulier pour en avoir la garde. (Delamarre.)
62: L'usage s'étoit introduit, parmi les propriétaires de fiefs, d'affermer les prévôtés de leurs possessions, pour en grossir les revenus; et la prévôté seule de Paris en avoit été exceptée jusqu'à la minorité de saint Louis. Alors les troubles et les besoins de l'État ayant obligé le conseil de ce prince d'avoir recours à ces moyens extraordinaires pour se procurer de l'argent, la prévôté de cette ville fut comprise, pour la première fois, au nombre des fermes du roi, et adjugée au plus offrant. Les personnes de qualité qui y avoient siégé jusqu'alors s'en retirèrent dès qu'elle fut devenue vénale; et elle se trouva entre les mains de gens de tout état, sans naissance et sans savoir. Le mal qui en résulta fut grand, mais il dura peu; et le roi, devenu majeur, rétablit l'ancien ordre dans cette partie importante de l'administration.
63: En 1389, sous Charles VI, le prévôt étoit obligé d'exercer lui-même la justice; et il ne lui étoit permis d'avoir un lieutenant que pour quelques causes légitimes qui l'empêchassent de présider lui-même.
64: Il étoit composé d'un chef, qui avoit le nom de bailli de Paris, d'un lieutenant-conservateur, de douze conseillers, d'un avocat et d'un procureur du roi, d'un greffier et de deux audienciers.
65: Les prévôts de Paris, gens d'épée, souvent sans étude et sans lettres, n'exercèrent la justice que par le lieutenant civil, après que Charles VIII et Louis XI, l'un en 1493, et l'autre en 1498, eurent ordonné que les prévôts, baillis et sénéchaux fussent docteurs ou au moins licenciés dans les deux droits. Alors le lieutenant civil devint, après le prévôt, le premier magistrat du Châtelet.
66: En 1526, le titre de prévôt de Paris fut changé en celui de garde de la prévôté. Ce magistrat avoit un grand nombre de priviléges, et étoit considéré comme le chef de la noblesse dans la première ville et la première province du royaume.
67: Les présidiaux pouvoient juger en dernier ressort jusqu'à 250 liv. ou 10 liv. de rente; et par provision, nonobstant l'appel, en donnant caution, jusqu'à 500 liv. ou 20 liv. de rente. Le siége établi au Châtelet de Paris étoit composé de vingt-quatre conseillers.
68: Voyez pl. 30. Le terrain qu'occupoit cet ancien édifice a été changé en une place régulière que décore une des plus jolies fontaines de Paris. Voyez, à la fin de ce quartier, l'article Monuments nouveaux.
69: Dubreul, Hist. de l'Abbaye, p. 60.—Hist. eccl. Par., t. I, p. 535, etc.
70: Tom. I, p. 69.
71: Dubreul, Suppl., p. 85.
72: Dubreul, p. 795.
73: Nous parlerons avec quelque détail de ce monument, à l'article de l'Hôtel-de-Ville.
74: Acta SS. Ben. Sæc. 3, part. I, p. 594.
75: V. ce que nous avons dit des Commendes, p. 211, Ire partie.
76: Dubreul, Suppl., 84.
77: D. Mabillon et plusieurs de ses confrères.
78: Hist. eccl. Par., t. II, p. 295. Archiv. de S. Germ... Test. Christ. Malcion....... Nouvelle Gaule chrétienne, tom. VII, col. 253, etc.
79: Le corps de bâtiment où elle étoit placée existe encore, et est occupé par des marchands de diverses professions.
80: Hist. S. Mart., lib. IV, fol. 330.
81: Cette association étoit faite en nom collectif, et composée de dix-huit à dix-neuf familles, qui possédoient ensemble la boucherie de la porte de Paris, et celle du cimetière Saint-Jean; de manière que si les mâles d'une de ces familles venoient à manquer, les autres en héritoient, à l'exclusion des bâtards et des femmes. Quoique ces bourgeois fussent très-riches, cependant ils exerçoient eux-mêmes leur métier: ils y étoient même obligés, comme on le voit par les registres du parlement, et il leur étoit défendu de louer leurs étaux à d'autres. Cette communauté de bouchers avoit une juridiction particulière et une chambre de conseil; l'appel de leurs jugements alloit au Châtelet, et ils ont conservé ce privilége, jusqu'à ce que Louis XIV eut réuni au Châtelet toutes les justices particulières de la ville et des faubourgs de Paris. De ces familles de bouchers, il ne restoit plus, dans le siècle dernier, que les Sainctyons et les Thiberts.
82: Pig., p. 51.
83: Leurs places furent désignées devant Saint-Leufroi, près le Petit-Châtelet, dans la halle de Beauvais et le long des murs du cimetière Saint-Gervais.
84: Les mêmes lettres portoient que les quatre nouvelles boucheries seroient démolies; mais ce dernier article n'eut point son entière exécution. À l'exception de celle qui avoit été bâtie vis-à-vis Saint-Leufroi, et qui fut abattue, parce qu'elle eût été trop près de la grande, toutes ces nouvelles boucheries furent conservées. (Traité de la Police, t. I, p. 1205. et suiv.)
85: Soixante liv. parisis pour les trois étaux.
86: Recherches sur Paris; quartier Saint-Jacques-de-la-Boucherie, p. 18.
87: T. I, p. 314.
88: Hist. S. Martin, p. 6.
89: En 1758.
90: Hist. S. Mart., p. 148 à 153.
91: Hist. S. Mart., p. 156.
92: Saint-Jacques-l'Hôpital et Saint-Jacques-du-Haut-Pas.
93: L'église a été abattue et convertie en marché. La tour est devenue une propriété particulière.
94: L'existence de ce personnage singulier parut, dit-on, mystérieuse et pleine de prodiges à ses contemporains, parce qu'ils lui virent faire des choses qui leur semblèrent fort au-dessus et de la condition obscure dans laquelle il étoit né, et des moyens que pouvoit lui fournir la profession d'écrivain qu'il exerçoit: car, ajoute-t-on, sortant tout à coup de la médiocrité où il sembloit devoir toujours vivre, il tira d'honnêtes familles de la misère, dota des filles, secourut la veuve et l'orphelin, fonda des hôpitaux, répara des églises; enfin se répandit en largesses plus grandes qu'il n'appartenoit d'en faire à un particulier, et même à un particulier opulent.
Toutefois il est probable que par contemporain il faut entendre ici la classe populaire, qu'étonne tout ce qui est nouveau à ses yeux, et qui est disposée à trouver du merveilleux dans tout ce qui lui paroît inexplicable. Voyant un homme dont l'état sembloit peu lucratif, faire tout à coup des dépenses aussi considérables, le peuple de ce temps-là, qui n'étoit pas plus capable que ne le seroit celui de nos jours, de rechercher et d'approfondir les causes d'un événement dont les apparences avoient quelque chose d'extraordinaire, se fit sur le compte de Nicolas Flamel mille idées bizarres dont la tradition s'est perpétuée et peut-être grossie d'âge en âge. Les moins exagérés crurent qu'il avoit trouvé la pierre philosophale, et cette croyance a trouvé des partisans jusque dans le siècle dernier. «Un particulier, dit l'abbé Villain, sous un nom imposant, mais sans doute emprunté, se présenta, en 1756, à la fabrique de cette paroisse, se disant chargé par un ami mort d'une somme considérable qu'il devoit employer à des œuvres pies, à sa volonté. Ce particulier ajouta que, pour entrer dans les vues de son ami, il avoit imaginé de réparer des maisons caduques appartenantes à des églises; que la maison du coin de la rue de Marivault, vis-à-vis de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, avoit besoin de réparations, et qu'il y dépenseroit trois mille livres. L'offre fut acceptée; la réparation étoit le prétexte: l'objet véritable étoit une fouille et l'enlèvement de quelques pierres gravées[94-A]. Les intéressés à la découverte du trésor imaginaire veillèrent avec soin sur l'ouvrage; on creusoit en leur présence; on emportoit furtivement des moellons et toutes les pierres gravées. La réparation qui a été faite montoit à deux mille livres; mais ce particulier et les intéressés ont disparu sans payer, et cette dépense restera probablement sur le compte d'un maître maçon, qui s'est livré trop légèrement à des inconnus qu'il cherche et ne trouve point.» On présume que ces inconnus cherchoient la pierre philosophale.
Avant cet événement, plusieurs curieux ayant déjà fait fouiller la terre dans les caves de leurs maisons, y avoient trouvé, dans différents endroits, des urnes, des fioles, des matras, du charbon; et dans des pots de grès une certaine matière minérale, calcinée et divisée en petits globes de la grosseur d'un pois. De telles découvertes, bien qu'elles ne fussent pas de nature à satisfaire leur curiosité, semblèrent confirmer néanmoins ces idées de science occulte, au moyen desquelles on cherchoit à expliquer les actions extraordinaires de ce personnage.
Quelques-uns, cherchant des explications plus naturelles[94-B], prétendirent que cet homme avoit dû ses immenses richesses à la connoissance qu'il avoit des affaires des juifs; et que, lorsqu'ils furent chassés de France, leurs biens ayant été acquis et confisqués au profit du roi, Flamel traita avec leurs débiteurs pour la moitié de ce qu'ils devoient, en leur promettant de ne pas les dénoncer. Mais, comme l'observe très-bien Saint-Foix, ces écrivains n'eussent pas avancé un fait aussi faux, s'ils eussent lu les déclarations de Charles VI, à l'occasion de ce bannissement: la première, du 17 septembre 1394, porte plusieurs clauses, tant pour la sûreté de leurs personnes, que pour celle de leurs biens, et le remboursement de leurs créances; et les autres, données le 2 mars 1395 et le 30 janvier 1397, dégagent entièrement leurs débiteurs de toute obligation contractée envers eux.
Tant de fables ridicules qui ont été débitées sur Nicolas Flamel, et ces conjectures de quelques-uns dont la fausseté est si évidente, et l'incertitude où tant d'autres sont restés, par cette impossibilité où ils croyoient être de rendre raison des merveilles de sa vie, prenoient leur source dans une erreur première qui leur faisoit supposer qu'en effet il avoit fallu d'immenses richesses pour exécuter tout ce que ce personnage avoit fait. Il a suffi à un homme de sens d'écarter d'abord cette supposition, pour faire évanouir le merveilleux dont on avoit voulu entourer ce personnage, plus célèbre qu'il ne lui appartenoit de l'être, et qui, sans doute, n'avoit pas compté sur une telle célébrité. Tel est le résultat du travail complet fait sur ce stérile sujet par M. l'abbé Villain déjà cité. (Voyez Histoire de la paroisse Saint-Jacques-de-la-Boucherie, et Hist. de Nicolas Flamel et de Pernelle, par cet écrivain, 1761.) Il y prouve, qu'à l'exception de quelque bizarrerie qu'il est possible de remarquer dans le caractère de Flamel, ses œuvres et sa vie, ne sortent pas de la classe des événements les plus communs. Pour arriver à cette démonstration, le savant biographe a compulsé, lu, vérifié une foule d'actes, de titres, de contrats, ensevelis dans la poussière des dépôts, et notamment dans les archives de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Soutenu de toutes ces pièces, il prouve jusqu'à la dernière évidence, 1o que le bien de Flamel n'étoit pas très-considérable, et qu'il a pu facilement le gagner dans son état d'écrivain, qui, loin d'être peu lucratif, étoit une profession honorée et avantageuse avant la découverte de l'imprimerie; 2o que sa femme Pernelle, à laquelle il survécut plus de vingt années, avoit accru sa fortune par une donation qu'elle lui fit du patrimoine assez considérable qu'elle possédoit; 3o qu'il vivoit avec l'économie la plus sévère, à cause de ce goût de piété qui le portoit à consacrer au service des églises la fortune que Dieu lui avoit donnée; 4o enfin, et ceci est sans réplique, qu'après un recensement fait de son avoir et des fondations dont il est le créateur, il est démontré que ces établissements ne passent pas la valeur de son capital. Cette petite dissertation, extrêmement curieuse, est un vrai triomphe remporté par la critique judicieuse et éclairée sur l'ignorance et les préventions.
94-A: Saint-Foix dit qu'en 1754 on voyoit encore et qu'il avoit vu lui-même ces pierres où étoient gravées la figure de Flamel et celle de sa femme, avec des inscriptions gothiques et de prétendus hiéroglyphes.
94-B: Piganiol et Naudé.
95: Sur ce pilier on avoit aussi placé l'inscription suivante: «Feu Nicolas Flamel, jadis écrivain, a laissé par son testament, à l'œuvre de cette église, certaines rentes et maisons qu'il a aquestées et achetées de son vivant, pour faire certain service divin et distributions d'argent, chacun an par aumosne, touchant les Quinze-Vingts, l'Hôtel-Dieu et autres églises de Paris.»
96: Voyez pl. 30, une Représentation de l'Église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, d'après une ancienne gravure devenue très-rare.
97: Il fut un temps où ce droit d'asile, dont on abusoit sans doute alors, avoit été très-salutaire. Il avoit été introduit en France à cette époque de la conquête, où les vaincus n'avoient pas souvent d'autre refuge contre la violence de leurs vainqueurs, et où le clergé étoit protecteur né de tous les opprimés. Plus tard les évêques le défendirent, uniquement parce que c'étoit un droit qu'ils pouvoient céder, mais qu'ils ne devoient pas se laisser ravir; une telle foiblesse pouvant avoir, pour des droits d'une toute autre importance, les conséquences les plus dangereuses.
98: Dans la Cité.
99: Avant d'en venir à la ligne parallèle du carré long, il faut observer que la paroisse Saint-Jacques avoit encore dans la rue Saint-Martin, à gauche, plus loin que la rue Aubry-le-Boucher, quelques maisons placées après celles qui dépendoient de la paroisse Saint-Josse, et qu'elle en possédoit également un certain nombre dans la rue Quinquempoix.
100: Le reste dépendoit de Saint-Barthélemi, dans la Cité.
101: L'abbé Lebeuf.
102: Voyez p. 271, Ire partie.
103: En jetant les yeux sur le plan du territoire de Saint-Germain l'Auxerrois, l'on voit une ligne qui coupe assez également la rivière par moitié dans sa longueur: la rive gauche reste à Saint-Sulpice et à Saint-André-des-Arcs; sur le grand bras, Saint-Germain à la droite, et Saint-Barthélemi la gauche. Quand on a construit des ponts, qu'on les a couverts de maisons, qu'on a placé auprès ou dessous des moulins, des gords[103-A], des bateaux à lessive, etc., l'usage a été de les attribuer aux paroisses qui étendoient leur territoire sur le rivage. Le pont Saint-Michel se trouvoit, par cette raison, partagé entre trois paroisses. (Jaillot.)
103-A: Espèce de pêcherie que l'on construit dans une rivière, au moyen de deux rangs de perches qu'on y plante.
104: Les drapiers, les épiciers, les merciers, les fourreurs, les bonnetiers et les orfévres.
105: Hist. de Par., i. I, p. 207.
106: Merc. de Fr., octob. 1755.
107: Ces titres sont différentes bulles d'Honoré III, du 17 janvier 1222; de Grégoire IX, du 23 mai 1231, etc.
108: On trouve cependant des actes postérieurs qui lui donnent son ancien titre. Lebeuf, t. Ier, p. 319 et 322.
109: Hist. de Par. t. I, p. 207. Hist. eccles. Par., t. I, p. 147. Le Maire, t. III, p. 185.
110: C'étoient là ces êtres inutiles et dangereux, fardeau de la société, que l'on a chassés de leurs maisons, que l'on a voués à toutes les misères, à tous les opprobres, sans pouvoir vaincre leur constance ni lasser leur résignation.
111: Cet hospice est devenu le magasin d'un marchand d'étoffes, qui a pour enseigne l'image de sainte Catherine.
112: Martin Fréminet vivoit sous Henri IV et Louis XIII. C'étoit un imitateur de Michel-Ange, dont il avoit pris tous les défauts et saisi quelques beautés.
113: Lebeuf, tome II, page 489. Il ne reste plus maintenant aucun vestige de cette église, dont la place est occupée par une maison particulière.
114: Archiv. du Saint-Sépulcre, inv., p. 255.
115: Part. I., fol. 154.—Cart. épisc., fol. 323.
116: Cet édit avoit été obtenu par le marquis de Louvois, qui étoit alors vicaire général de ces deux ordres.
117: On prétend que le ministre Colbert, qui avoit fait la dépense de ce tableau, y étoit représenté, tenant un des coins du linceul.
118: V. pl. 30; et sur la cour Batave, qui a remplacé cette église, voyez, à la fin de ce quartier, l'article Monumens nouveaux.
119: Et non duc de Lorraine, comme l'a écrit Dubreul; puisque c'étoit alors Thierry ou son fils Simon Ier.
120: Il en avoit, dit-on, rassemblé plus de deux cents.
121: Pierre Lebrun, son valet de chambre, et Robert de Franzelles, son chambellan ordinaire. Ce dernier lui avoit, dit-on, gagné au jeu la part qu'il obtint dans cet hôtel.
122: Sa veuve lui avoit fait élever un petit mausolée que l'on considère comme l'un des chef-d'œuvres de Paul Ponce, sculpteur florentin qui vivoit sous François II. C'est un bas-relief en bronze, représentant un personnage debout, qui, d'une main, tient des pavots, de l'autre soutient sa tête légèrement penchée. Tous les historiens de Paris ont cru que cette figure étoit une image allégorique du sommeil: l'ayant examinée avec attention au musée des Petits-Augustins, où elle avoit été transportée, il nous a semblé que ce ne pouvoit être que le portrait d'André Blondel lui-même, parce qu'on y remarque une imitation naïve de la nature, qu'un sculpteur habile n'eût point aussi scrupuleusement suivie, en voulant exprimer un caractère idéal. Ce morceau, du reste, est remarquable, surtout par le moelleux des draperies et la vérité de l'attitude. (Déposé maintenant au Louvre.)
123: Sauval, qui avoit vu le testament que Diane fit en 1564, dit qu'elle y ordonne, si elle meurt à Paris, qu'avant de la transférer à Anet, où elle veut être enterrée, on la porte dans l'église de Filles-Repenties, et qu'on y fasse pour elle un service des morts.
124: L'église et le monastère de Saint-Magloire ont été remplacés par des maisons particulières. (Voy. pl. 30.)
125: Il y a plusieurs raisons très-fortes pour appuyer cette opinion. 1o L'abbaye possédoit seulement des reliques de saint Gilles et non de saint Leu; 2o dans les livres ecclésiastiques de Paris, du treizième siècle, on voit saint Gilles avec un office propre, au 1er septembre, et saint Loup remis à un autre jour, ou réduit à une simple commémoraison; 3o dans tous les titres de ce temps, relatifs à cette église, on lit toujours: Ecclesia SS. Egidii et Lupi.
126: Cartul. S. Magl., fol. 76.
127: Lebeuf, p. 296.
128: En 1727 on fit encore à cette église plusieurs réparations considérables; on en changea presque entièrement l'intérieur, de manière que cette église étoit une des plus agréablement décorées de Paris. La charpente entière du clocher de l'horloge fut transportée, la même année, de la tour sur laquelle elle étoit, et qui menaçoit ruine, sur une autre tour nouvellement bâtie, haute de douze toises, et distante de vingt-quatre pieds. Cette manœuvre se fit heureusement, par le moyen d'un grand échafaud sur lequel on fit rouler le clocher, lequel avoit sept pieds et demi de diamètre sur trente-cinq d'élévation, ce qui se fit sans toucher au plomb de la couverture, aux plates-bandes de fer, etc., et sans déplacer la grosse cloche de l'horloge, qui pesoit au moins deux milliers. Cette manœuvre hardie fut exécutée par un charpentier nommé Guérin. (Voy. pl. 30.)
Dans le temps qu'on faisoit ces réparations, on détruisit une pierre bise qui étoit au second pilier à droite en entrant dans la nef. Sur cette pierre étoient les armes et l'épitaphe, en vers latins, de Jean Louchart et de Marie de Brix sa femme. Ce Jean Louchart étoit un des plus déterminés ligueurs, et un de ceux qui eurent le plus de part à la mort du président Brisson, de Claude Larcher et de Jean Tardif. Il fut aussi l'un des quatre factieux que le duc de Mayenne fît pendre dans la salle basse du Louvre, le 4 décembre 1591.
En 1780, de nouvelles réparations furent faites dans le chœur de cette église, sous la direction de M. de Wailly. Le sol du sanctuaire fut exhaussé, et l'on pratiqua au-dessous une chapelle souterraine dans laquelle on descend par deux escaliers. Le grand autel reçut en même temps une nouvelle décoration.
129: Elle possédoit, dès 1450, trois chapelles établies par fondation, et qui étoient à la nomination alternative de l'évêque de Paris et de l'abbé de Saint-Magloire. Il y avoit aussi une confrérie de l'Ange-Gardien, instituée par Henri de Gondi, cardinal de Retz et évêque de Paris.
130: Ce tableau passoit pour être le chef-d'œuvre de Porbus; et l'on prétend même que le célèbre Poussin le regardoit comme un des plus beaux qu'il eût jamais vus. Cette tradition peut paroître suspecte: car enfin Porbus, qui a excellé dans le portrait, qui, de même que les meilleurs peintres flamands, est remarquable par l'éclat et la vérité de son coloris, n'avoit point, comme dessinateur, la science, la pureté et l'élévation, qui seuls auroient pu lui mériter un si magnifique éloge de la part d'un homme tel que le Poussin. Toutefois, nous ne pouvons entièrement rejeter cette anecdote racontée par tous les historiens de Paris; et quoique les jugements qu'ils portent sur les productions des arts, soient ordinairement fort erronés, n'ayant point vu ce tableau, et ne sachant pas même ce qu'il est devenu, nous ne pouvons savoir si effectivement Porbus ne s'est pas surpassé en cette circonstance.
131: Son monument, exécuté par Girardon, se composoit d'une pyramide en marbre blanc jaspé, que surmontoit une urne cinéraire en marbre blanc; l'urne étoit accompagnée de deux génies, dont l'un soutenoit le portrait en médaillon de madame de Lamoignon. Au-dessous le sculpteur avoit représenté, dans un bas-relief, un événement remarquable et qui fait le plus grand honneur à la mémoire de cette illustre dame. Elle avoit ordonné qu'on l'inhumât aux Récollets de Saint-Denis; mais il arriva que son corps ayant été déposé dans l'église de Saint-Leu, avant d'être transporté dans ce couvent, les pauvres de cette paroisse, qu'elle avoit comblés de ses bienfaits, se rassemblèrent, s'emparèrent des restes précieux de celle qu'ils avoient toujours regardée comme leur mère, et profitant d'un moment où l'église étoit déserte, creusèrent une fosse et l'y enterrèrent. C'est cette action si touchante que son fils, M. de Lamoignon, président à mortier au parlement, avoit confiée au ciseau de l'artiste[131-A].
131-A: Nous ignorons ce qu'est devenu ce monument qui n'a point été déposé au musée des Petits-Augustins.
132: L'église de Saint-Leu et Saint-Gilles a été rendue au culte.
133: Voyez l'article Hôtel-de-Ville, quartier de la Grève.
134: Sauval, t. I, p. 658; et t. II, p. 474.
135: Arch. de l'archevêché et de Saint-Méri.
136: Cart. S. Magl., 1284, fo 88.—Guillot, Corrozet, etc.
137: Cens. de S. Éloi.
138: Compte de 1421, cité par Sauval, t. III, p. 283.
139: Sauval, t. I, p. 130.—Cette rue n'existe plus depuis quelques années.
140: Arch. de l'archev.
141: Hist. univ., t. III, p. 469.—MS. S. Germ., c. 454.
142: Nécr. de N. D.
143: Nécrol. S. Catharinæ de Culturâ, 18 juin.
144: MSS. de S. Germ. des Prés.
145: Hist. de l'ord. de S. Lazare.
146: Sauval dit qu'en 1300 elle s'appeloit rue de la Parcheminerie, et qu'elle n'a pris le nom qu'elle porte que vers la fin du treizième siècle, temps auquel les maîtres à écrire s'y retirèrent; ce qui implique contradiction. L'abbé Lebeuf y voit la Lormerie de Guillot, ce qui ne paroît pas admissible. (Jaillot.)
147: Dans cette rue est un cul-de-sac nommé de la Heaumerie, lequel paroît être véritablement la Lormerie de Guillot. On appeloit lormiers ceux qui fabriquoient de petits ouvrages en fer ou en cuivre. Ils avoient leur confrérie, et il étoit naturel qu'ils se fussent placés auprès de ceux qui faisoient les heaumes ou casques, les hautberts ou cottes de mailles, auxquels ils fournissoient les treillis, les chaînes et les anneaux qui entroient dans la composition de ces armures. Il y avoit dans cette même rue un autre cul-de-sac, que l'on nommoit du For-aux-Dames: il devoit ce nom aux religieuses de Montmartre, qui avoient en cet endroit l'auditoire de leur juridiction et une prison.
148: Arch. de S. Méri. Dans cette rue est le cul-de-sac du Chat-Blanc. Depuis 1300 il a eu successivement les noms de rue Jehan-Chat-Blanc et Charblanc, Gilles-Chat-Blanc, Guichard-le-Blanc, Petite rue des Rats.
149: Elle fait maintenant une des faces latérales de la place neuve du Châtelet.
150: Cette rue et celle de la Joaillerie ont été détruites; et toutes les deux sont entrées dans le plan de la nouvelle place du Châtelet.
151: Petit Cart. de l'évêché, ch. 229.
152: En 1612 et 1636 on l'appeloit rue de la Pourpointerie, nom qu'elle n'a pas porté long-temps.
153: Cens. de l'évêché.
154: On trouve dans cette rue un cul-de-sac nommé des Étuves. Au quinzième siècle, c'étoit une ruelle qui aboutissoit dans la rue de la Vieille-Monnoie. On la ferma ensuite pour y faire un jeu de paume, dans lequel on entroit par ce cul-de-sac. Elle prit son nom des étuves qu'on avoit construites dans une maison qui en fait le coin.
155: Pet. Cart. C. 189 et 166.
156: Cens. Sancti Elig.
157: Plan manusc. Biblioth. du R.
158: Arch. de S. Méri.
159: C'est dans cette rue que se fit, sous la régence, l'agiotage des billets de banque du fameux Écossois Law, qui ruina alors la France, comme on l'a ruinée depuis avec des papiers représentant d'abord des valeurs énormes et idéales, puis après réduits à leur juste valeur, c'est-à-dire à rien.
160: La partie de cette rue qui formoit le cul-de-sac, existe encore, et se trouve effectivement fermée sur le terrain de Saint-Magloire. On la nomme cul-de-sac Saint-Magloire.
161: Il fut massacré en 1418. Un procureur au Châtelet qui acheta cette maison, en 1663, s'y trouvoit, dit Sauval, mal logé et à l'étroit.
162: Cens. de l'évêché.
163: Dans cette rue est un cul-de-sac, appelé de Beaufort. C'étoit autrefois une ruelle qui conduisoit aux prisons de l'abbaye de Saint-Magloire. Il a pris son nom d'une maison qui, en 1572, étoit connue sous le nom d'hôtel de Beaufort.
164: Cens. de l'archevêché.
165: La rue de la Triperie est entrée avec les rues Saint-Leufroi et de la Joaillerie dans le plan de la nouvelle place du Châtelet.
166: Sauval, t. III, p. 291 et 429.
167: Cens. S. Germ. Autiss.
168: Cart. Sorb., fol. 20.
169: Past. A, p. 677.
170: Le cardinal de Lorraine, revenant du concile de Trente, voulut faire une espèce d'entrée à Paris, accompagné de plusieurs gens armés. Le maréchal de Montmorency, alors gouverneur de cette capitale, lui envoya dire qu'il ne le souffriroit pas. Le cardinal répondit avec hauteur, et continua sa marche; Montmorency l'ayant rencontré vis-à-vis les Charniers des Innocents, fit main-basse sur son escorte, et le força à se sauver dans la boutique d'un marchand de cette rue, où il resta caché jusqu'à la nuit sous le lit d'une servante.
171: Dans cette rue, du côté de la rivière, étoit une descente qui n'avoit point de dénomination particulière; et au-dessus de cette descente, il y avoit une cour assez spacieuse que l'on nommoit la cour aux Bœufs. Plus haut se voit encore aujourd'hui un petit cul-de-sac, reste d'une ruelle nommée du Moulin ou des Moulins, laquelle devoit ce nom à un moulin auquel elle aboutissoit. Jaillot pense que c'est cette ruelle qui, dans le rôle des taxes de 1313, est appelée rue ou ruelle Iehan Bonnefille et Iehanne Bonnefille. Plusieurs titres prouvent en effet que Jean Bonnefille, maître des bouchers, avoit sa maison dans cette rue au treizième siècle, et que ses descendants y demeurèrent après lui.
172: Cens. S. Elig.
173: Arch. de S. Méri.
174: À l'extrémité et en face de cette rue, dans celle de Quinquempoix, est un cul-de-sac qui porte le nom de Venise, parce qu'il semble en prolonger la rue. Il est fort ancien. Dès 1210 il s'appeloit Vicus de Byeria, rue de Bièrre, et de même en 1250[174-A]. Il y a eu depuis quelques variations dans l'orthographe jusqu'en 1601, qu'il fut nommé rue Verte, et enfin cul-de-sac de Venise. Ce cul-de-sac donne aujourd'hui dans la maison dite la Cour batave.
174-A: Arch. de S. Méri.
175: Ces boutiques, qui obstruent ainsi la galerie formée par ces arcades, nuisent à l'effet que produiroit l'ensemble de cette cour, et gâtent le plan primitif de cette belle maison.
176: Il se trouve que ces figures sont les mêmes que celles qui remplissent les tympans de l'arcade de la chambre des comptes (Voy. 1re partie, p. 406); et ainsi se confirme ce que nous n'avions présenté d'abord que comme une simple conjecture, que ces figures avoient été appliquées sur cette arcade par une opération de moulage.
177: Les quais de Conti et des Augustins.
178: Il fut nommé, dans le principe, quai de la Saunerie.
179: Depuis, la place des Trois-Maries. (Sauval, t. III, p. 125).
180: La ville avoit donné ce mur à bail en 1503; et la chambre des comptes, prétendant qu'il appartenoit au roi, en fit un nouveau bail le 10 octobre de la même année. Ces détails sont constatés par un réquisitoire de M. de Marillac, procureur-général, et par l'arrêt rendu en conséquence le 11 août 1550.
181: C'est de là que lui est venu son dernier nom de la Mégisserie.
182: Ils furent relégués sur le bord des rivières; mais il étoit encore à craindre que la saleté inséparable des préparations diverses qu'ils donnoient aux peaux, et l'usage qu'ils faisoient, dans leurs teintures, de drogues pernicieuses, n'ôtassent à l'eau sa salubrité: ces considérations déterminèrent à les transférer au faubourg Saint-Marcel et à Chaillot, ce qui ne fut exécuté cependant qu'en 1673.
183: Il a été détruit vers 1780.
184: Vales. in Præf., p. 17.
185: Olim., Reg. 3, fol. 108; et reg. 4, fol. 169.
186: Cet office de bailli de l'évêque étoit si important, que des personnes de qualité ne dédaignoient point de l'exercer. Un Henri de Béthune l'étoit en 1303, et à la fin du même siècle, un Henri de Marle.
187: Voyez 1re partie, p. 349.
188: Cens. de l'évêché, en 1372, etc.
189: On lit dans Sauval que cet édifice existoit encore en 1432.
190:
Forum Episcopi sæculare
Nimiâ ædium vetustate collabens
A fundamentis excitavit
Johannes Franciscus de Gondy,
Primus Parisiorum archiepiscopus,
Pacis artes, jura, legesque meditans;
Urbe armis incessâ, factionibus
Turbatâ,
Anno Domini 1652.
191: Ce tribunal avoit été accordé à l'archevêque pour connoître de toutes les affaires séculières concernant le duché de Saint-Cloud et ses dépendances.
192: Ce bâtiment, qui existe encore, n'a point changé de destination, et sert d'entrepôt à la direction générale des salines.
193: Petit cart. de l'évêché, c. 227, fol. 165, verso.
194: Il existe encore quelques colonnes du portail de cet édifice, dont une partie a été convertie en maison particulière, et dont l'autre avoit été employée à l'agrandissement du grenier à sel.
195: Félibien et Lobineau, t. II, p. 950.
196: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 18, verso.
197: T. I, p. 64.
198: Nous ignorons ce que sont devenues ces figures, qu'on ne trouve point dans la collection des monuments françois.
199: Ils eurent l'honneur de complimenter Louis XV au palais des Tuileries, lors de sa majorité; et à cette occasion ils firent frapper une médaille qui représente le buste du roi; au revers on lit cette inscription: «Les six corps marchands ont complimenté le roi sur sa majorité, étant présentés par le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, le 23 février 1723.»
Chacun des membres les plus distingués de cette association passoit successivement à la place de juge-consul, puis d'échevin de la ville de Paris. Ils étoient regardés comme les plus notables bourgeois; cette dernière qualité les anoblissoit, et leur donnoit le titre d'écuyer.
200: Ils exerçoient leur profession sur le pont au Change, qu'ils avoient seuls le droit d'habiter. «Mais comme en 1461, dit Sauval, après la suppression de la pragmatique, leur corps vint à s'affoiblir, de sorte que le pont au Change n'étoit plus habité que par des chapeliers et des faiseurs de poupées, peu à peu ils déchurent si fort, et pour le nombre et pour le bien, qu'en 1514, se voyant réduits à cinq ou six chefs de famille tout au plus, et ainsi hors d'état de faire la dépense nécessaire pour l'entrée de Marie d'Angleterre, il leur fallut cesser d'être du nombre des six corps.»
201: D'abord à Saint-Denis-de-la-Chartre, puis ensuite à Sainte-Marie-Égyptienne.
202: Ces statuts, comme ceux de tous les autres corps, régloient principalement les conditions nécessaires pour être admis dans le corps, les années d'apprentissage, l'obligation de chef-d'œuvre, la manière dont les veuves pouvoient exercer le commerce, les modes d'inspection du corps sur ses membres, sur la qualité des marchandises, etc., etc.
203: Les marchands de vin, qui, comme nous l'avons dit, ne purent être admis dans les six corps, obtinrent cependant comme eux des armoiries en 1629.
Ces armoiries étoient un navire d'argent à bannière de France flottante, avec six autres petites nefs d'argent à l'entour, une grappe de raisin en chef, le tout en champ d'azur.
204: L'auteur des Tablettes parisiennes.
205: Il fut convenu, 1o que la cure seroit annexée à une prébende indiquée par l'acte, et qu'ainsi celui qui jouiroit à l'avenir de cette prébende seroit curé ou chefecier; 2o qu'à chacune des trois autres prébendes on attacheroit trois vicairies pour un prêtre, un diacre et un sous-diacre qui seroient amovibles, et auxquels on paieroit, à chacun, 4 liv. par an; 3o que, si un chanoine vouloit assister aux heures canoniales, et faire l'office de son vicaire, il seroit dispensé d'en avoir un, jouiroit de la même rétribution, etc.
206: Il y avoit encore dans cette église une semi-prébende, dont l'origine est inconnue.
207: Hist. du Dioc. de Paris, t. I, p. 66. (Voy. pl. 33.)
208: C'étoit un privilége que le roi donnoit aux officiers de sa maison et à certaines communautés, de plaider en première instance, et dans de certains cas, aux requêtes du palais et de l'hôtel.
209: L'auditoire fut pour lors transporté aux Porcherons, dans la maison seigneuriale, qui existoit encore en 1789.
210: Sa veuve, qu'il laissoit arec trois enfants, fut une espèce d'Artémise que rien ne put consoler de la perte de son mari: elle lui érigea un buste, et fit graver sur sa tombe cette épitaphe singulière, où ses regrets et son amour offrent une vivacité d'expression qui s'accorde peu avec l'austérité et les principes du christianisme. Elle est assez curieuse pour être rapportée.
Uxor mæsta sui dùm cernit busta mariti,
Tunc ternos amplexa, gemens, in funere natos:
Quid me linquis, ait, miseroque dolore sepultam
Deseris, ô conjux? Ah! si nunc cura jugalis
Te tenet ulla tori, lacrymis gemituque tuorum
Flecteris: hanc animam, quæso, rape, namque, perempto
Te, superesse piget; nullâ fruar antè quiete,
Quàm mihi fatales dissolvant stamina Parcæ.
Jamque dolore amens tabeseo, et tempora vitæ
Longa meæ nec erunt: primisque extinguar in annis.
Mors mihi grata foret, posituræ morte labores.
Et nos una duos tandem teget urna; meusque
Spiritus æterno tecum potietur amore.
211: À peu près 16,000 livres d'aujourd'hui. Il acheta en même temps une maison voisine et la seigneurie qui en dépendoit.
212: Voy. pl. 32.
213: Liv. rouge du Châtelet, fol. 39.
214: Cassiod., formul. 8, de Praf. Vigil. urb. Ravenn., lib. 7.
215: Capit. Reg. Franc., t. I, p. 10.
216: Olim, IV, fol. 118.
217: Voy. pl. 33. Il n'existe plus que des portions dégradées de ce monument, qui sert maintenant d'habitation à des particuliers. Les cariatides et tous les ornements de sculpture dont il étoit couvert ont été détruits; et la balustrade qui s'élevoit au-dessus du second fronton a été abattue.
218: Cart. Sorb., fol. 142.—Hist. de Paris, t. I, p. 102.
219: Le fief Popin s'étendoit en partie sûr les rues de Richelieu, des Petits-Champs, Sainte-Anne, Traversière, Clos-Georgeau; en entier sur les rues du Hasard et Villedot; et dix maisons relevoient de ce fief entre les rues Thibaut-aux-Dés, des Deux-Boules, Bertin-Poirée, et des deux côtés de la rue des Deux-Visages (Arch. de l'archev.). La place où est située la rue de l'abreuvoir Popin avoit été donnée par cette famille, dans le 12e siècle, à l'abbaye de Hautes-Brières, de qui la compagnie des marchands de l'eau l'acquit en 1170. (Traité de la Pol., t. II, pag. 653).
220: Jaillot, quart. S.-Opportune, p. 7.—Sauval dit encore qu'en 1449 on la nommoit le cloître Sainte-Opportune; et il est vrai que ce nom a été donné en général à toutes les rues qui environnoient cette église.
221: Arch. de l'archev.—Sauval, t. III, p. 283 et 310.
222: Cens. de l'évêché.
223: Ibid.
224: Ibid.
225: Pet. Cart. de l'évêché, fol. 89. Cart. 107, gr. Cart., fol. 283.
226: Sauval., t. II, p. 242.
227: Cens. de l'évêché.
228: Arch. S. Martin.
229: T. II, p. 125. Au bout de cette rue est le cul-de-sac de la Fosse aux Chiens. C'étoit anciennement une rue qui se prolongeoit jusqu'à la rue Tirechape. La place où ce cul-de-sac est situé étoit hors de la première enceinte, et servoit de voirie; ce qui a fait donner à tout cet endroit les noms de Marché aux pourceaux, de la Place aux Chats et de la Fosse aux Chiens, qui en occupe une partie. Dès le commencement du quinzième siècle, c'étoit un cul-de-sac. Il se nomme aujourd'hui cul-de-sac des Bourdonnois.
230: Jaillot, quart. S. Opport., p. 17 et 18.
231: Ce buste, abattu en même temps que toutes les statues de nos rois, a été remis à sa place.
232: MS. de S. Germ., c. 453, fol. 285.
233: Cens. de l'évêché.
234: Arch. de l'archevêché.
235: L'abbé Lebeuf pense que ce nom pourroit lui venir du fief Harenc, qu'on sait, dit-il, avoir été voisin de Sainte-Opportune. Jaillot n'adopte point cette conjecture, parce que le fief Harenc étoit situé près de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, donnant dans cette rue et dans celle du Crucifix, et qu'il n'y avoit dans la rue de la Harangerie, ni même dans le quartier Sainte-Opportune, aucune maison qui dépendit de ce fief.
Il y avoit en 1372, dans cette rue, une ruelle qui n'est désignée dans les titres sous aucun nom. Elle est devenue depuis un passage particulier.
236: Cens. de S Ant.—Gr. cart., fol. 82, 151, 171.—Petit cart., fol. 148.
237: Nous ferons connoître, en parlant des rues du quartier du Louvre, celle qui paroît la plus vraisemblable.
238: Il y a dans cette rue un cul-de-sac appelé Rolin-prend-gage: anciennement on le nommoit ruelle Baudoin-prend-gaige. Il en est fait mention sous ce nom dans les registres du parlement à l'an 1311; et il paroît, par les censiers de l'évêché, qu'il le portoit encore en 1581.
239: Cens de l'évêché.
240: Jaillot, quart. S. Opport., p. 49.
241: Cens. de l'évêché.
242: Ibid.
243: Jaillot, quart, S. Opport, p. 50.
244: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 67, recto.
245: Sauval., t. I, p. 163.
246: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 75, verso.
247: Jaillot, quart. S. Opport., p. 52, 53.
248: Cart. épisc., fol. 399.
249: Gr. cart., c. 135, fol. 90.
250: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 12, verso.
251: Chez les rois francs, comme chez les empereurs grecs, tous les officiers devoient être nourris de la table du prince; et les anciennes chroniques nous ont conservé sur ce service de leur maison, pendant le carême, des détails qui peuvent donner quelque idée de ce qu'étoit alors la cour royale de France. Le Roi se mettoit à table le premier, et il étoit servi par les ducs et par les rois tributaires qui se trouvoient alors auprès de lui. Ceux-ci prenoient place immédiatement après, et le même service qu'ils avoient fait auprès de lui, les comtes et les préfets le faisoient auprès d'eux. Ces derniers les remplaçoient, et avec eux mangeoient les différents dignitaires ou chevaliers qui composoient la cour. La table étoit ensuite occupée par les compagnies militaires (militares viri, vel scholares alæ), qui, à leur tour, étoient remplacés par les maîtres des différents offices et les valets de la cour. Ceux-ci ne se mettoient à table qu'à minuit. (Monach. Sangal., lib. I.)
252: Cav. Car. Cal., tit. 36.
253: Les grandes compagnies, qu'il fallut faire sortir du royaume et employer à des guerres extérieures sous Charles V, pour parvenir à les exterminer, n'avoient point d'autre origine.
254: On connoît la réponse de cet Aldebert, comte de Périgord, à Hugues Capet et à son fils Robert. Ce seigneur assiégeoit la ville de Tours qui appartenoit alors au comte Eudes, dit le Champenois. «Les rois, dit une ancienne chronique, n'osèrent l'en empêcher par la voie des armes; ils lui envoyèrent seulement demander qui l'avoit fait comte.—Eh! qui donc les a faits rois, répondit froidement Aldebert qui continua le siége et emporta la place.»
255: N'oublions pas toutefois que ces excès et ces violences ne se commettoient que sur les terres des voisins. Chacun défendoit et protégeoit ses vassaux avec un soin extrême; et l'on conçoit quel intérêt puissant chacun avoit à le faire. (Voyez Ire partie, p. 73.)
256: La Normandie, l'Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, l'Auvergne, le Vermandois, l'Artois, Montargis, Gien, etc.
257: Voyez p. 341, Ire partie.
258: En 1041, Louis IX, plus puissant que Henri, établit, à son retour de la croisade, une autre trève, dite la quarantaine le roi, par laquelle il étoit défendu atout seigneur de songer à se venger de son ennemi avant quarante jours. Depuis, et par une ordonnance datée de Corbeil en 1257, il abolit entièrement ces sortes de guerres, chargeant les sénéchaux de punir tous ceux qui voudroient se faire justice par les armes; mais cette ordonnance n'atteignit encore que les vassaux du second ordre.
259: Il la soupçonnoit d'infidélité, et principalement d'avoir eu quelque liaison en Syrie avec le prince d'Antioche, son oncle paternel. Par ce divorce il lui rendit la Guienne et le Poitou, qu'elle avoit apportés en mariage; et six semaines après, cette princesse donna ces provinces à Henri, comte d'Anjou et duc de Normandie, qu'elle épousa. Il étoit déjà déclaré successeur du roi d'Angleterre, et se trouva depuis, sous le nom de Henri II, souverain de ce royaume, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Anjou, de Poitou, de Touraine et du Maine. Philippe-Auguste lui enleva depuis quelques-unes de ces provinces, mais la puissance des Anglois n'en fut pas moins très-grande en France, et l'on sait les maux qu'elle y causa. Peu s'en fallut qu'ils ne la subjuguassent entièrement: et nous verrons, par la suite, ces insulaires maîtres de presque toutes nos provinces, leurs rois déclarés successeurs des rois de France, et régnant déjà dans Paris. Suger avoit prévu ce qui arriva; et s'étoit fortement opposé à une action si préjudiciable à l'État. Elle ne fut consommée qu'après sa mort, arrivée en 1152.
260: En 1223.
261: L'université, qui jusque là n'avoit point eu de sceau particulier, et dont les actes étoient scellés par le chancelier de l'église de Notre-Dame, prétendoit se délivrer de cette sujétion. Le légat, qu'elle prit pour juge de son différend avec l'église, rompit publiquement le sceau qu'elle avoit fait, et anathématisa d'avance ceux qui oseroient en faire un autre. Ce fut cet acte insultant qui alluma la fureur des écoliers. Maîtres et élèves, tout fut excommunié, et cette excommunication ne fut levée qu'au concile de Bourges, où quatre-vingts docteurs de Paris se rendirent pour obtenir l'absolution du légat, qui la leur accorda sur-le-champ.
262: Ces confédérés étoient Thibaud VI, comte de Champagne; Pierre de Dreux, dit Mauclerc, comte de Bretagne; Philippe, comte de Boulogne, oncle du roi; Hugues de Lusignan, comte de la Marche; Jeanne, comtesse de Flandre; Enguerrand de Couci; les comtes de Ponthieu, de Châtillon, etc., etc.
263: Il faut observer qu'alors la plupart de ceux qui portoient le nom d'écoliers étoient des hommes faits qui venoient à Paris de toutes les parties de l'Europe et de la France, pour y suivre les cours de théologie, de droit et de philosophie.
264: Quelques professeurs s'établirent à Angers et à Orléans; et l'on croit que ce fut là l'origine de ces deux universités. D'autres passèrent en Bretagne et en Angleterre, chez les ennemis les plus acharnés de la régente, où l'on s'empressa de leur donner asile et protection.
265: L'ordre des frères prêcheurs venoit d'être fondé en Espagne par saint Dominique, et saint François d'Assise avoit fondé en Italie celui des frères mineurs, à peu près dans le même temps.
266: Il s'étoit également acquis la confiance de l'empereur Frédéric II et de Grégoire IX, dans ces démêlés si fameux qui amenèrent la fin de la maison de Souabe; tous les deux le consultoient, et il ne tint pas à lui que cette lutte cruelle dans laquelle tous les torts étoient évidemment du côté de l'empereur, ne se terminât par une paix durable.
267: Il est certain que cet affranchissement des esclaves, fait unique dans les annales du monde, ne pouvoit être conçu et exécuté avec quelque sûreté que sous l'empire de la loi chrétienne; mais c'est une grande question de savoir si le moment étoit venu de le faire, et si cette politique des rois de France que l'on commence à entrevoir, de chercher dans le peuple des appuis contre la noblesse, n'avoit pas des inconvénients plus grands que les avantages qu'ils espéroient en retirer. Peut-être aurons-nous occasion de l'examiner. Quoi qu'il en soit, il y eut encore des esclaves en France sous les successeurs de saint Louis; et nous dirons bientôt ce qui se passa sous Louis X, lorsque ce prince publia une ordonnance en faveur des serfs. Long-temps après le règne de ce prince, plusieurs seigneurs continuèrent de maintenir leur ancienne autorité sur les esclaves. Il paroît même, par une ordonnance du fameux Bertrand Duguesclin, connétable de France, que la coutume de les affranchir étoit encore regardée, de son temps, comme une innovation pernicieuse. (Voy. Roberts, introd., § 20.)
268: Il les fit publier l'an de grâce 1270, avant qu'il allât à Tunis, dans toutes les cours laies du royaume et de la prévôté de France. Ce recueil, précieux monument de son zèle pour la tranquillité et le bonheur de ses sujets, contient 208 articles. C'est proprement un nouveau code composé de lois romaines, de canons des conciles, de décrétales ou épîtres des papes, de différentes coutumes de la monarchie, et d'ordonnances de nos rois. Il prescrivoit des formes pour les actions réelles ou personnelles, substituoit les preuves par témoins aux combats judiciaires, régloit les juridictions, établissoit des lois pour les fiefs, les donations, les successions, les partages, les affranchissements, des punitions pour les divers crimes, etc., etc.; enfin embrassoit presque toute la jurisprudence françoise telle qu'elle étoit alors. Toutefois, et déjà nous en avons fait la remarque, ces établissements n'eurent cours dans la France entière que parce que c'étoient des coutumes générales, dont plusieurs sans doute étoient tombées en désuétude, mais qui toutes étoient anciennes et avoient eu force de lois par le consentement des assemblées de la nation. (Voy. p. 174, 1re partie.)
269: On sait qu'il se plaisoit à rendre lui-même la justice à ses sujets, et qu'en été il établissoit son tribunal, ou sous les arbres du bois de Vincennes, ou dans le jardin de son palais de la Cité. «Tableau touchant de nos antiques mœurs, dit avec raison l'auteur du Tableau du règne de saint Louis (Collect. des Mém. relat. à l'hist. de France., t. II, p. 124), dont la poésie et l'éloquence se sont emparées, pour en proposer l'exemple aux siècles modernes, sans réfléchir que c'étoit à titre du seigneur féodal, que Louis jugeoit ses sujets, et que la constitution des monarchies actuelles, entièrement différente, rend plus ou moins, dans toute l'Europe, la justice indépendante du pouvoir suprême.» La poésie et l'éloquence de nos temps modernes se sont emparées de bien d'autres choses, qu'elles ont également dénaturées et niaisement consacrées.
270: Il ordonna que toutes les femmes folles de leurs corps seroient chassées des maisons particulières, et défendit à ses sujets de leur louer aucune habitation où elles pussent faire leur infâme commerce. Alors on donna un nom odieux aux endroits où elles furent obligées de se retirer: c'étoient de petites loges, dans lesquelles il leur étoit défendu de passer la nuit, afin qu'un reste de pudeur pût contenir les hommes, forcés, pour y entrer, de braver le grand jour et tous les regards. Ces loges furent appelées bords ou bordels, du mot saxon bord, qui signifie petite loge; et c'est par erreur qu'on a cru trouver cette étymologie dans la situation de ces maisons au bord de l'eau. Les broderies, les boutonnières d'argent et autres ornements furent interdits à ces femmes perdues; on les empêcha même de mettre leurs loges dans les grandes rues, et on les contraignit de se retirer dans les rues de l'Abreuvoir, des Boucheries, de Froi-Manteau; dans celles de Glatigny, Chapon, Champ-Fleury, etc.
271: Entre autres mesures rigoureuses, il ordonna que, pour les distinguer des chrétiens, ils seroient tenus de faire coudre sur leur robe, devant et derrière, une pièce de feutre d'une palme de diamètre. Cette marque fut appelée rouelle; et lorsqu'on trouvoit un juif qui ne l'avoit pas, sa robe étoit confisquée, et il étoit condamné à dix livres d'amende. Philippe-le-Hardi rendit contre eux, dans la suite, un arrêt encore plus sévère, en ordonnant qu'ils porteroient une corne sur leur bonnet; ce qui fut pour eux la plus grande humiliation qu'ils eussent encore éprouvée. Il leur fut défendu en même temps de porter des habits de couleur, de se baigner dans les rivières où se baignoient les chrétiens, etc. Ils n'eurent plus, dès lors, à Paris, qu'une synagogue, rue de la Tacherie, et un cimetière rue de la Harpe. Du reste, ils étoient toujours soumis à la servitude, comme du temps de Philippe-Auguste.
273: Ce prévôt étoit le fameux Étienne Boislève, dont nous avons déjà parlé. Son grand sens et sa fermeté firent refleurir le commerce et l'industrie; par l'intégrité de ses jugements il releva l'honneur de son tribunal, et donna ainsi l'exemple à tous les juges du royaume. On raconte que saint Louis, satisfait de son zèle, et voulant lui donner des marques éclatantes de sa satisfaction, le faisoit asseoir auprès de lui, chaque fois qu'il rendoit lui-même la justice au Châtelet.
274: Il avoit le même droit, au mariage de ses enfants, et lorsqu'il partoit pour quelque expédition militaire.
275: Les soi-disant philosophes.
276: C'est ce qu'on appeloit basse-justice (Voy. p. 513.)
277: Cette juridiction temporelle du clergé n'avoit cessé de s'accroître sous les règnes précédents et jusqu'à saint Louis. Le désordre, l'anarchie et les violences étant alors à leur comble, l'église, seul refuge des opprimés, avoit cru devoir employer pour en arrêter le cours ce qu'elle avoit de lois plus sévères et de plus terribles châtiments. Sous la minorité du roi, son conseil, fort mal conseillé sans doute, voulut arrêter le cours de cette justice salutaire; mais il ne réussit alors qu'à empêcher les juges ecclésiastiques de mettre en interdit les chapelles du roi. Depuis, les seigneurs eux-mêmes avoient formé une commission à l'effet de défendre à leurs vassaux l'appel devant un tribunal ecclésiastique; et cette commission, qui devoit être permanente, s'étoit même arrogé le droit de juger de la validité d'une excommunication; mais le pape menaça, et parvint facilement à rompre cette association. Les rois eux-mêmes se montroient impatients d'un joug qui avoit été si long-temps nécessaire à leur propre conservation; et par cette corruption du cœur que fait naître l'usage même légitime du pouvoir, cherchoient imprudemment tous les moyens possibles de le briser.
278: Il est dit dans cet acte que le roi seul a la voirie à Paris et dans toute la banlieue, excepté dans les rues où l'évêque a toutes les maisons de l'un et de l'autre côté; et que si, parmi les maisons de l'évêque, il y en a seulement une qui ne soit point à lui, l'évêque perd la voirie, que le roi ne partage avec personne. Tous les lieux d'exemptions, comme Saint-Martin-des-Champs, le Temple, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Éloi, Saint-Julien-le-Pauvre, n'ont point de voirie; le chapitre de Notre-Dame ne l'a que dans le Parvis, et l'abbaye de Sainte-Geneviève que dans la vieille terre, depuis la croix Hémon jusqu'à l'abbaye.
279: Ce nombre fut fixé à soixante-dix sergents à pied et trente-cinq à cheval; mais, quelques années après, le roi en augmenta le nombre, et permit au prévôt d'avoir quatre-vingts sergents à cheval et quatre-vingts sergents à pied. Le prévôt de Paris avoit encore douze autres sergents à pied qui lui étoient particulièrement attachés, et faisoient auprès de lui l'office de gardes.
280: Voyez p. 146, 1re partie.
281: Il fut reporté avec la même pompe à Saint-Denis. Depuis on en transféra une côte dans l'église de Notre-Dame, et partie du chef à la Sainte-Chapelle.
282: Voyez p. 409, 1re partie.
283: «Il est toujours aisé, dit le P. Daniel, de faire le procès à ceux qui ont administré les finances, soit parce qu'il est rare de se modérer dans un tel poste, soit parce que, dans un pareil maniement, il est moralement impossible de rendre compte de tout.»
284: Ceci va paroître bien extraordinaire, bien prodigieux, bien incroyable à nos grands prédicateurs de liberté, aux philanthropes ennemis de la féodalité, qui versent encore tous les jours des larmes si amères sur le joug de fer dont elle accabloit l'humanité, dans ces temps d'une aussi effroyable tyrannie; mais il n'en est pas moins vrai que le plus grand nombre des serfs préféra son argent à la liberté qui lui étoit si peu libéralement offerte. «Attendu, est-il dit, dans les lettres du roi, que plusieurs, par mauvais conseil ou faute de bons avis, ne connoissent pas la grandeur du bienfait qui leur est accordé, nous ordonnons à nos officiers de les taxer si suffisamment et si grandement, comme leur condition et leurs richesses pourront bonnement le souffrir.» (Spicil., t. III, p. 707.) Ceci prouve tout à la fois et que les serfs se soucioient peu d'être libres, et qu'ils étoient riches; ce qui devroit cependant ne pas sembler si malheureux à nos philosophes et à nos libéraux: car tout en estimant la liberté, on sait qu'ils ne méprisent point les richesses.
285: «C'est pour la première fois, dit le président Hénault, qu'il est fait mention de la loi salique, qui ne permettoit pas que les femmes héritassent de la couronne de France.» C'est encore là une de ces opinions erronées de nos historiens modernes, que nous aurons occasion d'examiner et de réduire à sa juste valeur. Ce n'étoit point uniquement par la loi salique, mais par toutes les anciennes lois et coutumes des Francs, que les femmes étoient exclues de la succession au trône; et nous dirons pourquoi.
286: Pour cimenter cette paix, les religieux cédèrent à l'université le patronage des cures de Saint-André-des-Arcs et de Saint-Côme, et payèrent en outre tous les arrérages d'une rente qu'ils lui devoient en vertu d'une transaction faite antérieurement entre les deux parties. Ils convinrent en outre de faire murer la porte qui donnoit sur le Pré-aux-Clercs, lequel devint, depuis ce moment, une promenade publique commune aux écoliers et aux habitants de Paris.
287: C'étoient deux mauvais prêtres, l'un déposé de sa cure pour ses crimes, l'autre moine apostat de l'ordre de Saint-Benoît. Ces hommes qui les suivoient étoient des serfs affranchis; et il est remarquable que rien de pareil n'étoit arrivé avant ces affranchissements; ce qui semble justifier l'opinion émise dans l'ordonnance du connétable Duguesclin. (Voyez p. 708.)
288: Il songeoit, quand il mourut, à établir partout un même poids et une même mesure, et à faire en sorte que, dans toute la France, on se servît de la même monnoie. Louis XI eut depuis la même pensée.
Ordonnance faite à Saint-Germain, de laquelle, dit du Tillet, est tirée la maxime reçue «qu'en fait de justice on n'a égard à lettres missives; ordonnance sainte de nos rois, pour se garder de surprise en cet endroit, qui est leur principale charge.» Autre ordonnance qui règle que les confiscations seront employées à acquitter les rentes à vie ou perpétuelles; autre qui réunit au domaine les terres que le roi possédoit avant son avénement à la couronne; autre qui défend aux maîtres du parlement, présidents ou autres, d'interrompre les besongnes du parlement; autre au sujet de la discipline de cette compagnie; autre concernant le gouvernement de son palais, dans laquelle le roi déclare qu'il n'entendra aucune affaire avant d'avoir assisté, tous les jours, au saint sacrifice de la messe.
289: Hugues de Cuisy, troisième successeur de Capetal, fut également pendu dans l'hôtel de Nesle sous Philippe de Valois, pour prévarications dans l'exercice de sa charge. Ces deux exécutions diminuèrent beaucoup la considération dont jouissoit la place de prévôt de Paris.
290: Le collége du Plessis et celui des Écossais.
291: Ce prince fut sévère justicier. Sous son règne, il se fit une recherche très-rigoureuse des financiers, presque tous Lombards et Italiens, que l'on accusoit des usures les plus criantes: leurs biens furent confisqués, et on les renvoya dans leur pays, aussi pauvres qu'ils en étoient venus. Gérard Laguerre, receveur général des revenus de la couronne, accusé de malversation, mourut à la question, sans avoir fait l'aveu du crime qu'on lui imputoit; mais il est probable qu'on en avoit acquis des preuves suffisantes, car son corps n'en fut pas moins traîné par les rues et attaché au gibet de Paris.
292: Les colléges de Marmoutier, d'Arras, des Lombards, de Tours, de Lisieux, de Bourgogne, d'Autun, de l'Ave-Maria, le collége Mignon, ceux de Saint-Michel, de Cambrai, de Boncours, de Justice, des Allemands et de Tournai.
293: Nos rois commençoient à user de ce droit suprême sur les grands vassaux; et peu de temps après Jean fit décapiter, dans l'hôtel de Nesle, le comte d'Eu et de Guines, connétable de France, accusé et convaincu de haute trahison; mais, dans cette dernière exécution, du moins les formalités nécessaires furent remplies.
294: Il y avoit déjà eu plusieurs maladies contagieuses à Paris sous les règnes précédents; mais celle-ci, qui désola en même temps toute la France, fut la plus terrible qui eût encore exercé ses ravages dans cette capitale. Elle enleva plusieurs personnes de la famille royale: Jeanne de Navarre, fille de Louis X; Bonne de Luxembourg, femme du duc de Normandie; la reine Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe de Valois. Il mouroit à l'Hôtel-Dieu jusqu'à cinq cents personnes par jour; on renouvela par trois fois la communauté des sœurs qui servoient les malades, et qui périrent toutes victimes de leur zèle. Des quartiers entiers devinrent déserts; et le cimetière des Innocents se trouva tellement comblé de cadavres, qu'on se vit forcé de le fermer, et d'en bénir un autre hors de la ville.
295: C'étoit une imposition sur diverses marchandises; mais le roi reconnut que cet octroi étoit gratuit de la part de la ville, et ne portoit aucun préjudice à ses priviléges et franchises.
296: Il fit défendre de nourrir des pourceaux dans l'enceinte de la ville, sous peine de dix sous d'amende pour chaque pourceau, et permit au premier qui les rencontreroit de les tuer. Il étoit aussi défendu de balayer les rues dans les grandes pluies, pour ne pas charger la rivière des immondices, qui devoient être emportées dans des tombereaux.
297: Saint-Foix.
298: Ibid.
299: Dubreul, Malingre, Belleforêt.
300: Elle étoit écrite en petit gothique, et placée entre les deux statues: l'abbé Lebeuf ne lui donne que deux à trois cents ans.
301: Quartier du Louvre, p. 25.
302: Depuis, l'abbaye Saint-Germain-des-Prés: le corps du saint étoit dans la petite chapelle Saint-Symphorien, qui faisoit partie de cette basilique.
303: Voici les termes de cet acte:
Basilicæ domni ac peculiaris patrini mei Germani episcopi qui me dulcissimè enutrivit, et suâ sanctâ oratione, ac si indignum, ad sacerdotii honorem perduxit, si SUPERSISTIT in basilicâ domni Vincentii, ubi sanctum ejus corpusculum requiescit, dono inibi in honore sepulturæ suæ, villam Bobanæ quæ est in territorio Stampense super fluvio Colla, quam mihi gloriosus domnus Chlotarius rex suo munere contulit: quod jubeo eâ conditione ut si sanctum corpus ejus IN BASILICA NOVA quam inclitus Chilpericus quondàm rex construxit, si convenerit, ut inibi transferatur, villa ipsa, ubi semper ejus corpus fuerit, semper ibi deserviat, et ipse sanctus pontifex pro meis facinoribus deprecari dignetur...... Die VI kal. aprilis, anno XXII regnantis gloriosissimi domni Chlotarii regis. (Corvaisier—Hist. des évêques du Mans, p. 194.)
304: Cette relique étoit une portion de ses vêtements. Elle existoit encore dans le trésor de Notre-Dame en 1787.
305: S. Germani Rotundi.
306: Les évêques de Paris possédoient, dans les environs de cette église, une grande étendue de terres labourables et de prairies, dont les démembrements ont formé plusieurs paroisses et les quartiers les plus populeux de Paris.
307: Duchesne, t. IV, p. 77.
308: Le nom de monastère s'est conservé long-temps pour les paroisses, dans le vieux mot montier et moutier: mener la mariée au moutier. Dans la chronique de Cambrai, que cite l'abbé Lebeuf, la cathédrale d'Arras est appelée monasterium S. Mariæ Atrebatensis.
309: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 18, verso.
310: Lebeuf, Hist. du Dioc. de Par., t. I, p. 49.
311: À commencer au Grand-Châtelet inclusivement, et suivant la grande chaussée de Saint-Denis, pour ne se terminer que vers Saint-Cloud, dont Chaillot seul se trouvoit excepté. (Lebeuf, ibid.)
312: Il y avoit eu anciennement beaucoup de fondations de chapelles qui n'existoient plus dans le quatorzième siècle; et les plus anciennes de ce temps-là ne passoient pas le quinzième. L'abbé Lebeuf y compte une chapelle de Saint-Nicolas, dans la nef, établie dès l'an 1189; en 1317, une chapelle de Sainte-Madeleine; en 1328, une chapelle de la Trinité, fondée par Guillaume Des Essarts. Plusieurs chapellenies se trouvoient déjà établies en 1497, à l'autel des Cinq-Saints, situé dans la nef, etc., etc. (Le même, ibid., p. 50.)
313: Voy. pl. 47. La situation de ce portail, placé intérieurement, et précédé d'un vestibule, est cause sans doute que les figures dont il est orné ont échappé aux dévastations des brigands révolutionnaires. Elles sont au nombre de six, et représentent les deux personnes royales dont nous avons déjà parlé, un ecclésiastique orné d'une simple dalmatique, qu'on croit être le saint diacre Vulfran; sainte Geneviève, un ange et un évêque, que l'abbé Lebeuf dit être saint Landri. Le peuple de Paris s'imagine y voir la représentation de saint Germain; mais c'est une erreur: la statue de saint Germain étoit au trumeau qui séparoit les deux battants de la porte; elle en fut ôtée dans le dix-septième siècle, avec le pilier qui embarrassoit l'entrée, et enfouie en terre sous la première arcade du bas-côté, à droite. (Lebeuf, ibid., p. 42.)
314: Voyez pl. 35.
315: V. pl. 36. Le clocher, dont on a abattu la partie pyramidale, étoit d'un gothique qui annonçoit le douzième siècle. Sa situation singulière au côté méridional de l'entrée du chœur porte à penser qu'il y en avoit un autre au côté septentrional, pour établir un ordre symétrique, comme on le remarque dans un grand nombre d'églises.
316: Architecte de la partie du Louvre bâtie sous François Ier. Nous aurons bientôt occasion d'en reparler.
La construction de ce jubé fut accompagnée de riches embellissements faits intérieurement à cette église depuis 1607 jusqu'à 1623, en menuiserie, peintures, bronzes, marbres précieux et dorures. Toutes les voûtes furent peintes d'azur, semé de fleurs de lis d'or. Le grand autel surtout étoit d'une magnificence remarquable, orné de six colonnes de porphyre, enceint d'une balustrade de marbre blanc, etc.
317: Dans le temps que cette église étoit collégiale, l'office paroissial se célébroit dans une chapelle de la nef, que l'on appeloit chapelle de la paroisse.
318: Nom qu'on donne, dans la décoration d'architecture, à une partie unie, simple, de diverses figures, et ordinairement carrée-longue.
319: C'est ainsi qu'on nomme les montants et traverses de bois, de pierre ou de fer qui séparent les guichets d'une croisée.
320: On prétend que François Ier, vivement frappé des beautés de l'original peint à fresque dans le réfectoire des Dominicains de Milan, voulut le faire transporter en France, avec le mur sur lequel il étoit peint, mais qu'ayant reconnu l'impossibilité de l'exécution d'un tel projet, il en fit faire plusieurs copies, au nombre desquelles étoit celle-ci. Si le fait est vrai, on ne sauroit assez regretter ce morceau, d'autant plus précieux que l'original est dans un état de dégradation qui augmente tous les jours, et qu'on dit irréparable.
321: Le mausolée de ces deux personnages offre leurs figures en albâtre, étendues sur une tombe de marbre noir, les mains jointes et la tête appuyée sur un coussin; l'homme en habit de guerre, la femme vêtue suivant la mode du temps. Un lion est couché à leurs pieds. (Il avoit été déposé au musée des Petits-Augustins.)
Nous ne croyons pas qu'aucun historien de Paris ait parlé de ce monument, qui cependant est en ce genre l'un des plus remarquables de cette capitale. Il n'est point de sculpture moderne exécutée avec un sentiment plus délicat, un fini plus précieux, une plus grande vérité d'imitation. Les draperies, jetées avec toute l'élégance que pouvoit permettre un semblable costume, sont d'une souplesse qui le dispute aux ouvrages des plus grands maîtres du seizième siècle. On ignore l'auteur de ce chef-d'œuvre qui nous retrace le style de Germain Pilon dans son meilleur temps.
Le soubassement est couvert d'ornements d'une exécution très-soignée, et enrichi de cinq petites statues représentant la Vierge, des Saints, des Vertus caractérisées par leurs attributs. Ces divers morceaux paroissent sortir de la même main, et ne sont point indignes de ces deux excellentes figures.
322: Ce monument avoit été déposé au musée des Petits-Augustins.
323: Déposé dans le même musée.
324: On voit que cette paroisse s'étendoit jusque dans le quartier Sainte-Opportune, et même dans les rues environnantes de cette dernière église, dont les droits curiaux étoient extrêmement circonscrits. Elle n'avoit sous sa juridiction que trente à quarante maisons comprises dans les rues de la Tabletterie et des Fourreurs, de plus, les maisons du cloître et de la place, celles de la rue de l'Aiguillerie, quelques-unes au coin de la rue Saint-Denis, et la rue Courtalon.
325: Une partie de cette forêt subsistoit encore du temps de saint Louis, qui, au rapport des historiens, fit construire l'hôpital des Quinze-Vingts in luco (dans le bois). Elle se confondoit alors avec la forêt de Saint-Germain-en-Laye.
326: Histoire de l'université de Paris.
327: Ces domaines, dispersés dans le royaume, et au nombre de cent soixante (Voy. p. 81, 1re partie.), composoient le principal revenu de nos rois de la première et de la seconde race. Ce n'étoient point des maisons de plaisance avec de vastes jardins embellis par l'art; c'étoient de bonnes métairies, ordinairement au milieu des forêts. On y tenoit des haras; on y nourrissoit des bœufs, des vaches, des moutons, de la volaille. On vendoit au profit du roi les provisions qu'il n'avoit pas consommées. Voy. p. 677.
328: Duch., t. V, p. 63.
329: On sait que l'évêque et le chapitre de Paris avoient aussi des droits sur une partie du terrain du Louvre. Dix-huit ans après, en 1222, ce même prince chargea la prévôté de Paris du paiement d'une rente de 20 liv. parisis à ce prélat et à son église, à cause des Halles, du Petit Châtelet et même de la plus grande partie du Louvre, bâtis dans leur seigneurie.
330: Ici Sauval dit que les tours des portaux ne s'élevoient que jusqu'au premier étage. Il confond évidemment les tours de l'enceinte avec celles qui flanquoient le corps-de-logis; et il suffit de jeter les yeux sur la gravure que nous en donnons pour s'en convaincre. Voy. pl. 37.
On voyoit autrefois dans la sacristie de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés un ancien tableau qui paroissoit avoir été peint au commencement du quinzième siècle. Il représente un saint abbé de ce monastère, nommé Guillaume, à genoux, et soutenant un Christ détaché de la croix; à l'article où nous parlerons de cette célèbre abbaye, nous aurons occasion de revenir sur ce tableau, extrêmement curieux sous plusieurs rapports, mais principalement par la composition du fond sur lequel se détachent les figures. Ce fond représente l'abbaye au milieu de ses prés, environnée de tours rondes, de hautes murailles et de fossés profonds. Le Louvre, avec ses grosses tours, y paroît aussi de l'autre côté de la rivière, tel qu'il avoit été construit par Philippe-Auguste. À côté est le Petit-Bourbon, dont a pu voir encore des débris dans le siècle dernier; et plus loin, la butte Montmartre avec le monastère de religieuses que la reine Adélaïde de Savoie y avoit fait bâtir. C'est d'après ce tableau, seul monument qui nous ait laissé une représentation de ces édifices, que cette gravure a été fidèlement copiée. (Il avoit été déposé au musée des Petits-Augustins.)
331: Les registres et les titres de la chambre des comptes sont pleins d'assignations de deniers, que nos rois donnaient aux grands seigneurs sur la tour du Louvre. Louis VIII, qui pendant son règne avoit amassé des sommes immenses en masse et en espèces, les fit porter dans cette tour, et non dans celle du Temple, qui avoit jusque là servi de trésor à ses prédécesseurs. François Ier l'ayant fait abattre deux ans et demi après, le coffre du Louvre ou de l'épargne lui succéda, et servit à la garde du trésor royal, suivant le registre des ordonnances du parlement.
332: Sur le pignon du pont-levis étoit la figure de Charles V tenant un sceptre, sculptée par Jean de Saint-Romain, pour le prix de 6 liv. 8 sous parisis.
333: Quoique cette tour servît de prison, nous apprenons des registres de la chambre des comptes que Charles V y demeuroit en 1398, et qu'il fit fermer de fil d'archal les fenêtres de son appartement, parce qu'il se trouvoit incommodé des oiseaux et des pigeons qui y entroient sans cesse. On croit même qu'il n'est pas le seul de nos rois qui en ait fait sa demeure. Du reste, le peuple, avide de tous les bruits qui frappent son imagination, contoit quantité de fables de cette tour; et c'étoit une tradition, qu'il y existoit des souterrains où l'on se défaisoit des criminels qu'on ne vouloit pas faire mourir en public.
334: Selon un catalogue de cette bibliothèque, il y avoit 269 volumes dans la première chambre, 260 dans la chambre du milieu, et 380 dans la chambre du troisième étage.
335: Ces fossés étoient très-poissonneux; et il est dit que l'an 1415, le 3 février, on en leva les bondes, pour donner de l'air au poisson, qui étoit enseveli sous la glace.
336: Henricus II, christianissimus, vetustate collapsum refici cœptum à patre Francisco I, rege christianissimo, mortui sanctissimi parentis piissimus filius absolvit, anno à salute Christi M. D. XXXXVIII.
337: Voy. pl. 39. Depuis la nouvelle restauration, il ne reste plus d'intègre dans cette partie que la moitié de l'aile qui s'étend depuis l'angle jusqu'au gros pavillon du milieu; l'autre portion a été démolie dans sa partie supérieure, et reconstruite dans l'ordonnance des autres façades intérieures. Avant, elle étoit ornée de frontons comme le Vieux-Louvre.
338: Cet homme célèbre remplit Paris de monuments qui sont tous autant de chefs-d'œuvre. Tout le monde connoît sa fin tragique. Il fut tué le jour de la Saint-Barthélemi, lorsqu'il s'occupoit à retoucher la sculpture de la fontaine des Innocents, qui depuis long-temps étoit achevée.
339: Cette salle, lorsque nos rois cessèrent d'habiter le Louvre, devint un dépôt des statues antiques et des plâtres qui servoient aux études des artistes. Elle prit alors le nom de salle des Antiques. Depuis, les quatre classes qui composent l'Institut y ont tenu leurs séances.
340: Voy. pl. 39. Ce grand artiste, qui passa presque toute sa vie à Rome, n'étoit point alors à Paris; et ces figures furent exécutées sur les modèles qu'il envoya.
341: Voyez pl. 47.
342: Voyez pl. 38.
343: Voy. pl. 43. La façade du côté du quai étoit masquée par une autre façade élevée depuis par Perrault; et les artistes d'un goût délicat la préféroient à cette dernière.
344: Voy. pl. 40.
345: Des officiers envoyés par la cour lui apprêtoient à manger sur la route; il étoit complimenté et recevoit des présents dans toutes les villes où il passoit. Quand il approcha de Paris, on envoya au-devant de lui M. de Chantelou, maître-d'hôtel du roi, qui savoit l'italien, et qui, par cette raison, eut ordre de l'accompagner pendant tout son séjour dans cette capitale.
346: Le portrait qu'en a tracé Claude Perrault peut passer pour vrai, quoiqu'il sorte d'une main ennemie, parce qu'il s'accorde assez avec ce qu'en dit M. de Chantelou, qui en parle avec une entière impartialité; le voici:
«Il avoit une taille un peu au-dessous de la médiocre, bonne mine, un air hardi. Son âge avancé et sa bonne réputation lui donnoient encore beaucoup de confiance. Il avoit l'esprit vif et brillant, et un grand talent pour se faire valoir: beau parleur, tout plein de sentences, de paraboles, d'historiettes et de bons mots dont il assaisonnoit la plupart de ses réponses........ Il ne louoit et ne prisoit guère que les hommes et les ouvrages de son pays. Il citoit souvent Michel-Ange; et on l'entendoit presque toujours dire: Sicome diceva il Michel-Angelo Buonarotta.»
347: Voy. pl. 41. Le roi en posa la première pierre avec un grand éclat. La médaille qu'on y plaça étoit d'or, et de la valeur de 2,400 liv. Elle représentoit d'un côté la tête de Louis XIV, et de l'autre le dessin du cavalier Bernin, avec ces paroles: Majestati et æternitati imperii Gallici sacrum. La médaille étoit du célèbre Warin, et l'inscription de Chapelain.
348: T. I, vie du Bernin.
349: Patte, dans ses Mémoires sur l'architecture, porte à peu près le même jugement de ce projet. Presque tous les artistes qui en ont parlé sont d'avis que c'est une composition médiocre: cependant aujourd'hui que le goût de l'architecture est changé en France, il est probable qu'on le jugeroit plus favorablement; et l'on ne peut nier que les lignes qu'il présente n'aient plus de grandeur, et ne soient conçues dans un style plus pur que la colonnade actuelle.
350: Ceci arriva après que le Bernin eut quitté la France. Il n'avoit point vu ce projet; et si l'on ne savoit d'ailleurs la haine qui existoit entre lui et les Perrault, cette circonstance suffiroit seule pour détruire entièrement la petite anecdote qu'on a tant répétée de son admiration pour le dessin de la colonnade, anecdote que Voltaire a dite d'abord en prose, et ensuite en vers:
«À la voix de Colbert Bernini vint de Rome:
De Perrault dans le Louvre il admira la main.
Ah! dit-il, si Paris renferme dans son sein
Des travaux si parfaits, un si rare génie,
Falloit-il m'appeler du fond de l'Italie?»
Si le Bernin a jamais exprimé sa façon de penser sur Perrault, il a certainement dit à peu près le contraire de ce qu'on lui fait dire ici.
351: Voy. pl. 42.
352: On lui reproche de n'être qu'une décoration théâtrale, sans liaison entre ses parties ni avec l'édifice, qu'elle ne sert qu'à masquer; on critique l'innovation des colonnes accouplées, qui n'offre, dit-on, aucun résultat avantageux; et l'on prétend qu'avec des colonnes solitaires, même d'un diamètre égal à celles qu'il a employées, l'architecte eût donné plus de majesté à sa façade, sans priver de lumière l'intérieur du péristyle. Mais ce que l'on blâme surtout universellement, c'est cet avant-corps du milieu qui interrompt la colonnade, et en forme deux péristyles séparés. Par là le monument perd la moitié de sa noblesse et de sa grandeur.
353: Voy. pl. 44. C'est cette façade qui masque celle de Levau, déjà existante, et dont nous venons de parler.
354: Voy. pl. 43.
355: Pour les trois façades intérieures du Louvre qui se composent des trois ordres, Voyez la pl. 45; et pour les vestibules ou entrées, la pl. 46.
356: Voyez à la fin de ce quartier l'article Monuments nouveaux.
357: Voyez p. 275, 1re partie.
358: On sera peut-être curieux d'avoir ici un détail circonstancié des formalités qui s'observoient en pareille circonstance, pour donner une sanction entière à de semblables établissements. Sur le consentement de l'évêque, du 15 octobre 1612, ces lettres-patentes furent enregistrées au parlement le 4 septembre d'après; l'année suivante, le pape Paul V l'autorisa par une bulle du 6 des ides de mai (le 10) 1613; et en conséquence des lettres de relief adressées à la cour des aides le 16 décembre 1618, celles de 1611 y furent enregistrées le 18 février 1619, et à la chambre des comptes le 10 avril 1629, en exécution de semblables lettres qui leur avoient été adressées au mois de janvier précédent.
359: Voyez pl. 47.
360: Sur un mausolée de marbre noir, le cardinal[360-A] est représenté à genoux, ayant devant lui un livre ouvert que lui présente un ange. Ce mausolée, remarquable parmi les monuments de la sculpture française, est de François Anguier. (Déposé pendant la révolution au musée des Petits-Augustins.)
360-A: Ce prélat, digne des anciens temps, mourut en disant la messe, et au moment qu'il prononçoit ces mots du canon: hanc igitur oblationem; il fut ainsi lui-même la victime du sacrifice qu'il n'eut pas le temps d'achever. Cette circonstance est rappelée dans son épitaphe, et exprimée dans le distique suivant:
Cœpta sub extremis nequeo dùm sacra sacerdos
Perficere, at saltem victima perficiam.
361: L'église de l'Oratoire a été concédée à des protestants qui y célèbrent leur culte; on a placé dans les bâtiments de la communauté les bureaux de la caisse d'amortissement.
362: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 46.
363: Ibid.—et Dubreul, p. 802.
364: Hist. S. Mart. de Campis, p. 200.
365: Hist. de Par., t. V, p. 602.
366: Huit sacerdotales, deux diaconales et deux sous-diaconales. (Petit Pastor., fol. 86.)
367: Hist. de Par., t. III, p. 77.
368: Voyez p. 361, 1re partie.
369: Ce clocher fut élevé vers l'an 1300, et l'abbé Lebeuf a trouvé dans un acte de 1424 que le chapitre acquit, moyennant seize sous de rente, un petit terrain dans la justice de l'évêque, et faisant le coin de la rue des Petits-Champs, pour y construire le portail. C'étoit ainsi que la plupart des anciennes églises se formoient de parties incohérentes, élevées successivement à de longs intervalles, ce qui d'ailleurs ne répugnoit point au système de l'architecture gothique. La représentation que nous donnons de celle-ci doit paroître d'autant plus curieuse qu'elle provient d'un dessin original, lequel est unique, et n'a jamais été gravé. (Voy. pl. 47.) Il ne reste plus d'autre vestige de cette église, qu'une petite portion du mur du portail; le reste a été remplacé par des maisons; et le cloître est devenu un passage qui donne de la rue des Bons-Enfants dans la rue Croix-des-Petits-Champs, et que croisent deux autres passages aboutissant à la rue Saint-Honoré et à la nouvelle rue de Montesquieu.
370: Sur son tombeau, déposé pendant la révolution au musée des Petits-Augustins, cet homme trop fameux est représenté à genoux devant un prie-Dieu, sur lequel est posé le livre des psaumes ouvert à ces mots: miserere mei Deus, etc. Cette figure est de Coustou, habile sculpteur du siècle dernier; et l'on prétend qu'il y a parfaitement saisi les traits et la physionomie du ministre. Il l'a représenté la tête et les yeux tournés vers l'épaule gauche, du côté du peuple, et la légère altération qu'il a mise dans ses traits semble indiquer le repentir. Il n'y a pas moins d'adresse et de circonspection dans l'épitaphe qui étoit encore plus difficile à traiter que la figure. Elle est de M. Couture, recteur de l'université de Paris, et mérite d'être citée:
D. O. M.
AD ARAM MAJOREM.
In communi Canonicorum sepulcreto situs est Guillelmus Dubois, S. R. E. cardinalis, archiepiscopus et dux Cameracencis, S. Imperii princeps, regi à secretioribus consiliis, mandatis et legationibus, publicorum cursorum præfectus, primus regni administer, hujus Ecclesiæ canonicus honorarius. Quid autem hi tituli? nisi arcus coloratus, et fumus ad modicum pariens. Viator, stabiliora solidioraque bona mortuo apprecare. Obiit anno 1723. Hœredes grati erga regem et summum pontificem animi monumentum posuêre.
371: Elle fut ouverte en 1583.
372: Arch. S. Germ. Autiss., reg. 1, fol. 70.
373: Arch. de l'archev.
374: Elles n'avoient pas sans doute dix toises chacune; car tout l'emplacement du Petit-Bourbon n'en contenoit guère plus de deux mille huit cents. (Jaillot.)
375: Il avoit été en partie démoli en 1527, à l'occasion de la révolte et de l'évasion du fameux connétable de Bourbon. On sema du sel sur le sol qu'il occupoit; les armoiries du coupable y furent brisées, et le bourreau barbouilla les fenêtres et les portes qui restoient encore, de ce jaune infamant dont on barbouilloit les maisons des traîtres, et notamment des criminels de lèse-majesté.
376: On la nommoit aussi rue du Louvre.
377: Sauval, qui cite pour garant un registre de l'hôtel-de-ville (t. I, p. 27 et 431; t. II, p. 237 et 260), prétend que ce fut dans cet hôtel que Henri IV fut blessé par Jean Châtel. Le chancelier de Chiverni dit, dans ses mémoires, que ce malheur arriva dans l'hôtel de Schomberg, depuis l'hôtel d'Aligre. D'autres historiens avancent que ce fut au Louvre.
378: En 1281.
379: Ce fut dans cet hôtel de Retz que fut conduit l'exécrable Ravaillac après son attentat.
380: Entre autres par l'hôtel d'Angeviller.
381: Elle a été depuis abattue, ainsi que plusieurs maisons de la rue du Petit-Bourbon, contiguë à ce passage, pour former une place devant l'église.
382: On avoit déjà parlé de marier Henri IV avec Marie de Médicis; et comme Zamet étoit né sujet du duc de Florence, ses ennemis le soupçonnèrent d'un crime dont il n'y eut toutefois aucune preuve.
383: Dans cette maison du Doyenné qu'elle occupoit, sans doute pour être à la proximité du Louvre et de sa tante la marquise de Sourdis, dont l'hôtel étoit situé dans un cul-de-sac, rue des Fossés-Saint-Germain.
384: Sauval assure avoir connu des vieillards qui lui avoient dit qu'après sa mort on l'exposa dans la grand'salle de sa maison; qu'elle étoit vêtue d'une robe de satin blanc, et couchée sur un lit de parade de velours cramoisi, enrichi de dentelles d'or et d'argent.
Saint-Foix dit qu'il n'est pas vraisemblable qu'on ait exposé à la vue du public une personne à qui des symptômes terribles de mort avoient défiguré tous les traits et tourné la bouche jusque derrière le cou.
385: Il est remarquable que la première fontaine qui fut élevée dans la Cité étoit alimentée par les eaux de l'aquéduc Saint-Gervais. Ce fut en 1605 et sur l'emplacement de la maison du père de Jean-Châtel, que le prévôt des marchands Miron la fit construire, après qu'on eut abattu la pyramide infamante qui d'abord avoit été bâtie sur les ruines de cette maison. On y lisoit ce distique latin qui rappeloit la mémoire de l'attentat du régicide, et de la destruction du monument destiné à en éterniser le souvenir:
Hic, ubi restabant sacri monumenta furoris,
Eluit infandum Mironis unda scelus.
Peu d'années après, cette fontaine fut transférée dans la cour méridionale du Palais de Justice, et elle y étoit déjà en 1724. Elle existe encore sous le nom de fontaine Sainte-Anne, et reçoit de l'eau de la pompe du pont Notre-Dame.
386: Pet. cart., fol. 163, c. 223.
387: Cens. de l'évêch., 1489.—Sauval, t. I, p. 109.
388: Il y a dans cette rue trois culs-de-sacs:
1o. Celui des Provençaux. Il doit son nom à une enseigne qui subsistoit encore en 1772. On l'appeloit anciennement Arnoul de Charonne, du nom d'un particulier qui y demeuroit en 1293. Depuis, par altération, Raoul de Charonne et Arnoul le Charron. (Cart. S. Germ. Autiss., fol. 38 et 39.—Cens. de l'év.)
2o. Celui de la Petite-Bastille. En 1499, il étoit cité sans nom dans les censiers de l'évêché, sous la seule dénomination de Ruelle-sans-bout. En 1540, on le trouve nommé Jean de Charonne. Enfin il a reçu son dernier nom d'un cabaret qui en occupoit le fond.
3o. Le cul-de-sac de Court-Bâton[388-A]. Il formoit autrefois avec celui de Sourdis une rue qui aboutissoit dans celle de l'Arbre-Sec et sur le fossé. On la nommoit Chardeporc; et elle devoit ce nom à Adam Chardeporc, qui, en 1251, possédoit plusieurs maisons sur le fossé Saint-Germain. (Cart. S. Germ. Autiss., fol. 72.) Comme on appeloit anciennement un porc bacco, et bacon quand il étoit salé, on donna à cette rue le nom de Bacon, qu'elle portoit en 1340. (Reg. 1, fol. 13.) On voit cependant, par le dit de Guillot et le rôle de 1313, que cette rue s'appeloit du Col-de-Bacon, vraisemblablement d'une enseigne. Il fut ensuite changé, par altération, en Cop ou Coup-de-Bâton; et c'est ainsi qu'elle est désignée dans la liste du quinzième siècle. On a dit ensuite de Court-Bâton, du nom d'une maison qui faisoit le coin de cette rue et de celle des Fossés. (Reg. des Ensaiss. de l'archev., 1636)
388-A: Il est maintenant fermé d'une grille.
389: T. I, p. 243.
390: Arch. de N. D., compte de 1407.
391: Cette place devint un lieu de rassemblement. En 1505 il y éclata une espèce de sédition, à l'occasion d'une marchande que le curé, dit-on, ne vouloit pas enterrer, avant qu'on ne lui eût montré si, dans son testament, il existoit un legs pour l'église; ce qui semble bien incroyable. Sous Charles VI, il y avoit déjà eu au même endroit une émeute, à laquelle l'excès des contributions avoit servi de prétexte.
393: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 27—verso et seq.
394: Cens. S. Germ. Autiss., an. 1554.
395: Hist. univ. Par., t. III, p. 459.—Arch. de l'archev.
396: La portion de cette rue qui étoit du côté de la vieille place du Louvre a été abattue pour l'agrandir; cette place est nommée maintenant place d'Austerlitz, et l'espace qui est devant la façade latérale du palais, du côté de la rue du Coq, se nomme place de Marengo.
397: Voyez p. 822. Elle fait maintenant partie de la place qui est devant la colonnade, et qu'on nomme place d'Iéna.
398: Cart. S. Germ. Autiss., folio 28, verso.
399: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 28, verso.
400: Arch. de l'archev.
401: Arch. de S. Germ. l'Auxer.
402: Cette rue est maintenant fermée du côté du cloître.
403: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 14 et 61.
404: Ibid.
405: Ensaiss. de S. Germ., reg. 2, fol. 36 et 64.
406: Ensaiss. de S. Germ. Reg. 3, fol. 54. Devant cette place étoit un port qui servoit d'arrivage aux marchandises, et de dépôt de navigation. Avant la construction du pont Neuf, il y avoit sur cette place, comme sur d'autres points des rivages de la Seine, un nombre suffisant de bachoteurs ou passeurs d'eau pour la facilité des communications.
407: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 67 et 68.
408: Arch. de l'archev., et de S. Honoré.
409: Abb. v. 174 et seq.
410: Dans cette rue est un cul-de-sac appelé de Sourdis. Il doit ce nom à un hôtel qui y subsistoit encore en 1772. Vis-à-vis ce cul-de-sac étoit autrefois la poste aux chevaux.
411: On donnoit indifféremment à ces trois rues le nom de rues ou ruelles du cloître, ruelle par laquelle on va à l'église, et y aboutissant.
412: Il y a dans le cloître un cul-de-sac que l'on nommoit, au quinzième siècle, rue de la Treille, ensuite, ruelle du Puits du Chapitre. Un titre de 1271 la désigne sous le nom de ruella Guidonis de Ham. Elle a repris le nom de cul-de-sac de la Treille.
413: Elle a pris ce nom de l'église qui étoit sous l'invocation de saint Honoré, évêque d'Amiens.
414: Arch. du chap. de N. D.
415: On la nomme maintenant rue de la Bibliothèque.
416: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 52, verso.
417: Arch. de l'archev.
418: Cart. de Sorb., fol. 145, verso.—Cart. épiscop. 1282.
419: Les anciens bâtiments qui subsistoient encore vers le milieu du dernier siècle annonçoient le règne de saint Louis, ou celui de Philippe-le-Hardi.
420: T. I, p. 159.
421: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 52.
422: Germ. Brice, t. IV, p. 180.
423: Une des plus grandes effronteries de Buonaparte avoit été de faire mettre son buste au milieu de tout ce magnifique appareil, honneur insigne qu'il jugeoit lui être dû, pour avoir fait regratter cette belle colonnade.
424: À la place de ce casque étoit encore un portrait de Buonaparte.
425: Le quartier des Halles.
426: Vis-à-vis la rue Royale, à l'endroit où commence aujourd'hui le nouveau faubourg qui porte ce même nom de faubourg Saint-Honoré.
427: Cet arrêt avoit pour fondement six motifs qui regardoient la santé, la subsistance et la sûreté des citoyens. «Le premier, que la ville de Paris, portée à une grandeur excessive, seroit plus susceptible de mauvais air; le second, que cela rendroit le nettoiement de ses immondices beaucoup plus difficile; le troisième, que l'augmentation du nombre des habitants augmenteroit à proportion le prix des vivres et autres denrées, ouvrages et autres marchandises; le quatrième, que l'on avoit depuis couvert de bâtiments les terres qui avoient autrefois servi d'agriculture pour les légumes et les menus fruits nécessaires aux provisions de la ville: ce qui en causeroit immanquablement la disette si l'on continuoit d'y bâtir; le cinquième que les habitants des bourgs et des villages voisins, attirés par les prérogatives des faubourgs de cette capitale, venoient s'y habituer en si grand nombre, que, si cela continuoit, la campagne deviendroit déserte; le sixième enfin, que la difficulté de gouverner un si grand peuple donnoit lieu au déréglement de la police et aux meurtres, vols et larcins qui se commettoient fréquemment et impunément, de jour et de nuit, en cette ville et ses faubourgs.»
Cependant l'on bâtit encore depuis, et hors des bornes qui avoient été plantées en 1638; ce qui provoqua, en 1672, un nouvel arrêt, qui ordonnoit qu'il seroit planté de nouvelles bornes aux extrémités des faubourgs pour en marquer l'enceinte, et faisoit de très-expresses défenses de les passer à l'avenir par aucun bâtiment. (Delamare.)
428: On en trouvera plus loin la preuve.
429: Recherch. sur Par., quart. du Palais-Roy., p. 77.
430: Hist. eccles. Par., t. II, p. 182.
431: La ville de Brie s'appeloit anciennement Braie, Braia. C'est des premiers comtes de Dreux qu'elle a été nommée depuis Brie-comte-Robert.
432: Gall. christ., t. VII.—Hist. univ., t. III, p. 53.
433: Hist. eccles. Par., t. II, p. 184.
434: On disoit également dans ce temps-là, les pauvres maîtres de Sorbonne. On conserve, à la fin d'un petit cartulaire de l'évêque de Paris, les statuts de ce collége écrits en caractères du quinzième siècle. Selon ces statuts, le proviseur devoit donner à chaque écolier trois sous par jour pour sa nourriture, et ceux-ci étoient tenus de ne parler qu'en latin dans sa maison. (Lebeuf.)
435: Past. D., p. 323.
436: Il le fit comme étant de fondation royale, le roi ayant succédé aux droits des comtes de Dreux.
437: L'église de Saint-Nicolas fut dès ce moment totalement abandonnée. Depuis elle a été démolie, et il n'en reste plus aucuns vestiges, mais nous ignorons à quelle époque. Elle existoit encore en 1780.
438: Ces bénéfices étoient à la collation de l'archevêque, excepté les quatre royaux, et celui des Gallichers, ainsi appelé du nom de son fondateur, qui étoit un gentilhomme limousin.
439: Il a construit une autre église à Livourne.
440: Voyez pl. 65.
441: Le Moine, qui avoit décoré la chapelle de la Vierge, fut chargé de l'exécution du mausolée de cette Éminence, lequel étoit placé sous l'arcade opposée. Ce ministre y étoit représenté expirant dans les bras de la Religion. La France, désignée par son écusson, exprimoit le regret de la perte qu'elle étoit sur le point de faire; derrière le piédestal s'élevoit une pyramide chargée d'une urne, et du pied de cette urne descendoit une grande et lourde draperie qui couvroit en partie le squelette de la Mort, que l'artiste avoit jugé à propos d'offrir aux regards du mourant. Ce monument, mal conçu et encore plus mal exécuté, présentoit une image frappante de cette dégradation rapide où l'art étoit parvenu sous le règne de Louis XV.
442: Cette église avoit été concédée, depuis la révolution, à des protestants qui, pendant quelques années, y ont exercé leur culte. Depuis elle a été abattue, et le terrain sur lequel elle étoit située entrera nécessairement dans le grand plan qui doit lier ensemble le Louvre et le palais des Tuileries.
443: Recherch. sur Paris, quart. du Pal.-Roy., p. 23.
444: Cette inscription fut vivement critiquée. Balzac prétendit qu'elle n'étoit ni grecque, ni latine, ni françoise; il la trouvoit d'ailleurs pleine de vanité: elle sembloit, selon lui, offrir ce sens absurde, qu'il n'y avoit point en France d'autres cardinaux que le cardinal de Richelieu, ou bien qu'il étoit le cardinal des cardinaux françois. On réfuta l'opinion de Balzac, et on lui prouva que c'étoit un gallicisme consacré par un ancien usage, et qui n'étoit pas plus ridicule que l'Hôtel-Dieu, les Filles-Dieu, la place Maubert, la rue Bourg-l'Abbé, etc.
445: Cette salle pouvoit contenir environ trois mille spectateurs. Le roi la donna à Molière en 1660; et après sa mort, arrivée le 17 février 1673, elle fut destinée aux représentations de l'Opéra. Ce spectacle a toujours été donné depuis sur ce théâtre jusqu'au 6 avril 1763, qu'il fut consumé par un incendie. Il y avoit en outre dans le même emplacement un second théâtre également construit par les ordres du cardinal, et qui n'étoit fait que pour contenir cinq cents spectateurs choisis. La passion que ce ministre avoit pour les représentations dramatiques l'avoit porté à ces dépenses.
446: Le roi fit expédier un pouvoir à Claude Bouthillier, surintendant des finances, pour accepter cette donation. Comme ce pouvoir contient un détail assez curieux des choses que le cardinal donnoit au roi, nous croyons à propos de le rapporter ici.
«S. M. ayant très-agréable la très-humble supplication qui lui a été faite par M. le cardinal de Richelieu, d'accepter la donation de la propriété de l'hôtel de Richelieu, au profit de S. M. et de ses successeurs rois de France, sans pouvoir être aliéné de la couronne, pour quelque cause que ce soit; ensemble sa chapelle de diamants, son grand buffet d'argent ciselé et son grand diamant, à la réserve de l'usufruit de ces choses, la vie durant du sieur cardinal, et à la réserve de la capitainerie et conciergerie dudit hôtel pour ses successeurs ducs de Richelieu, même la propriété des rentes de bail d'héritages constituées sur les places et maisons qui seront construites au dehors et autour du jardin dudit hôtel: sadite Majesté a commandé au sieur Bouthillier, conseiller en son conseil d'état, et surintendant de ses finances, d'accepter, au nom de sadite Majesté, la donation, etc., etc.»
447: Cette galerie, construite avec tant de soins et de dépenses, fut dans la suite si négligée, qu'on se vit forcé de la détruire en 1727; des appartements furent pratiqués dans l'espace qu'elle occupoit.
448: Un nouvel incendie la consuma une seconde fois en 1781; alors ce spectacle fut transporté sur le boulevart de la porte Saint-Martin.
449: Desgots, architecte du roi.
450: On détruisit aussi l'orangerie, qui étoit placée au-dessous des anciennes galeries, et séparée du grand jardin par une grille de fer.
451: Il y avoit, dès le principe, dans le Palais-Royal, sans compter une foule de cafés, de salles de restaurateurs, de maisons de jeu, de lieux de prostitution, etc., un grand et un petit théâtre, deux spectacles d'ombres chinoises et de fantoccinis, trois clubs, une assemblée militaire, des bains, une loge de francs-maçons, des maisons de vente, etc., etc.
452: Cette salle sert maintenant aux comédiens françois. On en a depuis changé la décoration intérieure, laquelle étoit composée de loges coupées et saillantes en forme de balcons; ce qui faisoit l'effet le plus bizarre et le plus désagréable. Son architecture extérieure n'a d'ailleurs rien de remarquable.
453: C'étoient des enfants qu'on avoit stylés à paroître sur la scène et à faire des gestes, tandis que des acteurs cachés dans les coulisses chantoient et parloient pour eux. Cette salle est maintenant un café.
454: Nous suivons l'ordre dans lequel ces tableaux étoient placés à l'époque où ils ont été vendus par le dernier duc d'Orléans.
455: Ces merveilles de l'école françoise étoient sorties du royaume; le Régent les fit racheter en Hollande pour la somme de 120,000 liv. Sortis une seconde fois de France, ces tableaux faisoient le principal ornement d'une des plus belles galeries de l'Angleterre; ils y ont été détruits, il y a quelques années, par un incendie.
456: Ce fut M. Charles d'Escoubleau, marquis d'Alluye et de Sourdis, qui l'acheta le 22 mars de ladite année. Le même jour il en fit sa déclaration au profit du cardinal de Richelieu.
457: Les historiens de Paris disent que la rue Saint-Thomas-du-Louvre étoit alors la seule avenue du Palais-Royal, d'où il s'ensuivroit que l'hôtel de Sillery auroit couvert toute la place, et que la rue Froid-Manteau auroit été prolongée sur ses ruines jusqu'à la rue Saint-Honoré, ce qui n'est pas exact; l'inspection seule du plan de Saint-Victor, publié par d'Heulland, suffit pour s'en convaincre. (Jaillot.)
458: Voyez pl. 65.
459: Belleforest, Corrozet, Dubreul, Sauval.
460: On en trouve aussi la réfutation dans des vers de Rutebœuf, poète contemporain de saint Louis, dont Fauchet a conservé un fragment, où l'hôpital des Quinze-Vingts est peint avec des couleurs qui ne conviennent en aucune façon à des gentilshommes. Voici ce fragment:
Li Roix a mis en un repaire,
Mes je ne sais pas porquoi faire,
Trois cents aveugles tote à rote.
Parmi Paris en va trois paires,
Tote ior ne finent de braire:
As trois cents qui ne voient gote,
Li uns sache, li autre bote,
Si se donnent mainte secosse,
Qu'il n'y a nul qui lor éclaire:
Si feux y prent, ce n'est pas dote,
L'ordre sera bruslée tote,
S'aura li Roix plus à refere.
461: Saint Louis avoit formé le projet de fonder cet hôpital dès l'an 1254.
462: On sait que, dans ces contrées brûlantes, le vent élève des tourbillons d'un sable extrêmement fin, qui, s'insinuant dans les yeux, attaque la vue de ceux qui ne prennent pas les précautions nécessaires pour s'en garantir.
463: Par un acte passé en 1282, entre la congrégation de la maison des pauvres aveugles et le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, cette congrégation cède au chapitre 10 liv. 15 s. de rente sur deux maisons près la Grande-Boucherie; et en échange le chapitre accorde aux Quinze-Vingts la permission d'avoir un cimetière et deux cloches du poids de cent livres chacune, leur abandonnant en outre la dîme qui lui appartenoit sur les terres de leur hôpital.
464: Voyez pl. 65.
465: Dans l'origine, le pape Clément IV avoit permis aux administrateurs de faire la quête par tout le royaume.
466: L'emplacement qu'occupoient les Quinze-Vingts forme maintenant un groupe de maisons et de rues, dont nous donnerons la nomenclature à la fin de ce quartier.
467: Les maisons qui formoient cette partie de la rue ont été abattues depuis la révolution, et la nouvelle galerie élevée en regard de l'ancienne a fait de la place du Carrousel une place régulière sur trois côtés. Le quatrième est encore couvert d'une partie des maisons qui la séparoient, en 1789, de la rue Saint-Thomas-du-Louvre.
468: C'étoit un poteau que l'on fichoit en terre, et contre lequel on s'exerçoit à rompre la lance ou à lancer des dards.
469: Entre les rues dites des Grands et des Petits-Augustins; on en faisoit aussi dans l'endroit qui conserve encore le nom de rue des Vieilles-Tuileries.
470: C'est le jardin des Tuileries.
471: Cens. de l'évêché.
472: Il ne faut point oublier qu'à cette époque les Quinze-Vingts et tous les édifices environnants étoient hors des murs de la ville.
473: Compte de l'ordinaire de Paris 1519.
475: D'après les plans et les dessins que Ducerceau nous en a conservés, son étendue devoit être bien supérieure à celle que présente aujourd'hui la ligne de bâtiments dont il est composé.
476: Voyez pl. 66. Ce palais y est vu du côté du jardin, dans le temps qu'il en étoit encore séparé par une rue et par un mur. Dans le principe, cette coupole et les quatre corps de bâtiments qui l'accompagnoient, n'avoient pas l'élévation qu'ils ont maintenant.
477: Voyez pl. 53.
478: Voyez pl. 54.
479: Le séjour que les officiers de Louis XV firent dans cette galerie pendant sa minorité, y causa de grandes dégradations; elle fut alors séparée, dans toutes ses dimensions, par des cloisons, et depuis on n'avoit point pensé à réparer le dommage que ces arrangements passagers y avoient causé.
480: Une grande partie des appartements de ce palais, et notamment le pavillon de Flore, étoient occupés depuis long-temps par diverses personnes de qualité. On avoit également accordé des logements aux Tuileries à des particuliers attachés au service de S. M., à des gens de lettres, à des artistes, etc. Il n'y avoit guère que l'appartement du roi et celui de la reine qui fussent restés intacts.
481: Ce théâtre avoit cent quarante pieds de longueur, et soixante-deux pieds et demi de largeur dans œuvre. Sa hauteur depuis le sol du théâtre jusqu'au premier entrait étoit de cinquante-quatre pieds; celle de la mansarde, dans laquelle étoient placées les machines, les vols, les gloires, étoit de vingt-deux pieds, non compris le faux comble de la couverture. Les fondations destinées aux machines infernales avoient seize pieds de profondeur.
482: C'est dans l'emplacement de ce théâtre que fut construite la seconde salle de la Convention nationale, et que l'on a depuis élevé la nouvelle salle des spectacles du château des Tuileries.
483: Sur cette galerie et sur les diverses réparations et additions faites au château des Tuileries depuis 1789, voyez, à la fin de ce quartier, l'article Monuments nouveaux.
484: Il se trompe cependant dans cette partie de son récit, puisqu'il est incontestable qu'elle ne fut achevée que sous Louis XIII.
485: Il donna à cet effet des lettres-patentes, datées du 2 décembre 1608, dont voici le texte:
«Comme entre les infinis biens qui sont causés par la paix, celui qui provient de la culture des arts n'est pas des moindres, se rendant grandement florissants par icelle, et dont le public reçoit une très-grande commodité, nous avons eu aussi égard, en la construction de notre galerie du Louvre, d'en disposer le bâtiment en telle forme que nous y puissions commodément loger quantité des meilleurs ouvriers, et plus suffisants maîtres qui se pourroient recouvrer tant de peinture, sculpture, orfévrerie, horlogerie, insculpture en pierreries, qu'autres de plusieurs et excellents arts, tant pour nous servir d'iceux, comme pour être, par ce même moyen, employés par nos sujets en ce qu'ils auroient besoin de leur industrie, et aussi pour faire comme une pépinière d'ouvriers, de laquelle, sous l'apprentissage de si bons maîtres, il en sortiroit plusieurs qui par après se répandroient par tout notre royaume, et qui sauroient très-bien servir le public, etc.»
Par ces mêmes lettres-patentes, le roi donne à ces artistes le privilége de travailler pour le public, sans pouvoir être inquiétés par les maîtres de Paris, ni autres, et de pouvoir faire des apprentis qui auront ensuite le droit de s'établir dans tout autre endroit du royaume qu'il leur plaira de choisir.
486: Le module est une mesure en architecture qui se compose du diamètre, et plus souvent du demi-diamètre de la colonne.
487: En blâmant cette profusion d'ornements, Blondel loue avec raison la pureté et la délicatesse de leur exécution.
488: Voy. pl. 55.
490: On en a fait une suite de galeries où sont déposés les chefs-d'œuvre de sculpture antique apportés d'Italie.
491: Cette galerie, presque entièrement détruite en 1661 par un incendie, avoit été rétablie sur les dessins de ce peintre.
492: Ces tableaux ont été transportés dans la grande galerie, et remplacés par des cartons de Jules Romain. Au-dessous de ces cartons est une exposition d'une partie des dessins de la collection du Roi[492-A].
492-A: Ces dessins, qui étoient alors au nombre de dix mille, et dont le nombre a fort augmenté, sont maintenant déposés à l'hôtel d'Angeviller, rue de l'Oratoire.
493: On arrive à ce salon par un très-bel escalier construit, quelques années avant la révolution, par ordre de M. le comte d'Angeviller. L'exposition des tableaux des peintres vivants s'y faisoit tous les deux ans.
494: C'est ce fameux Musée où furent pendant quelques années rassemblées presque toutes les merveilles que l'Italie possédoit. Il contient encore, dans ce qui lui en est resté, une des plus belles collections de l'Europe. Voyez l'article monuments nouveaux.
495: Elle étoit située près du troisième guichet. Son établissement remonte à François Ier. Vers 1630, Louis XIII la plaça dans le pavillon de la reine. En 1690 elle fut transportée dans les galeries du Louvre. Ce fut alors qu'on acheva l'immense collection de caractères dont elle étoit composée, et qui en faisoit l'établissement le plus riche et le plus complet que l'on connût en ce genre. Cette imprimerie n'étoit point soumise aux réglements de la librairie, mais dépendoit immédiatement du roi.
496: La monnoie des médailles, transférée aux galeries du Louvre en 1689, étoit située au-dessus du troisième guichet. Elle contenoit une suite considérable de poinçons et de carrés composant l'histoire métallique des rois de France, histoire qui cependant ne remonte pas plus haut que François Ier. On y voyoit en outre les portraits de ces princes, depuis le commencement de la monarchie jusqu'à Louis XVI.
497: Ce guichet fut ainsi nommé, parce qu'il fut ouvert par le marquis de Marigny, directeur-général des bâtiments de Louis XV.
498: La plupart de ces sculptures, plâtres, portraits, etc., ont été d'abord transportes et déposés dans les galeries supérieures du musée des Petits-Augustins, et, depuis la restauration, dans des salles du collége des Quatre-Nations.
499: Voyez pl. 67.
500: En 1588.
501: Chronologie novennaire.
502: Elle étoit située de l'autre côté de la rivière.
503: Ces murs étoient alors situes à peu près vis-à-vis la rue Royale; la rue se nommoit rue des Tuileries.
504: Voy. le plan de Gomboust, gravé en 1652.
505: Voy. pl. 70. Ce Renard avoit été valet de chambre du commandeur de Souvré. C'étoit un homme d'un caractère souple et obligeant, qui ne manquoit point d'esprit, et se connoissoit fort bien en meubles et en tapisseries. Il faisoit de ces objets précieux une sorte de commerce avec les personnes de qualité; et le cardinal Mazarin, qui lui en achetoit quelquefois, s'amusoit de sa conversation. Dès que Louis XIII lui eut donné ce terrain, il en fit un jardin très-proprement tenu, qui, par sa situation et par les manières honnêtes du maître, devint le rendez-vous ordinaire des seigneurs de la cour, et de tout ce qu'il y avoit alors de plus galant dans la ville. Il est souvent parlé de ce jardin dans les mémoires de la minorité de Louis XIV; et, du temps de la Fronde, il devint même fameux par une aventure burlesque qui offre un nouveau coup de pinceau à ajouter au tableau de cette guerre à la fois déplorable et ridicule. Quoique les frondeurs ne voulussent pas permettre que le roi entrât dans Paris, les courtisans ne laissoient pas que d'aller en toute liberté aux Tuileries, et de là au jardin de Renard. Un jour que le duc de Candale, Jarzay, Boutteville, Saint-Mesgrin et quelques autres s'étoient réunis pour y souper et s'y divertir, les frondeurs commencèrent à craindre que, si le peuple voyoit souvent les seigneurs qui étoient dans le parti de la cour, il n'en prit insensiblement des dispositions favorables au jeune roi. En conséquence, ils y envoyèrent le duc de Beaufort, suivi d'une assez grosse troupe de gens. Ce prince chassa les violons, renversa les tables, mit tout en désordre dans le jardin; et cette belle expédition n'eut pas d'autres suites.
506: Il eût fallu rapporter trois mille toises cubes de terre, ce qui eût coûté une somme considérable, sans rien ajouter à l'agrément de cette promenade.
507: On donne ce nom à une épaisseur de maçonnerie qui sert de pied à un mur.
508: Il y avoit dans un de ces bosquets une salle de comédie en verdure, qui subsistoit encore du temps de la minorité de Louis XV. À la place de ce théâtre on fit un jeu de mail pour le jeune roi; et dans le vide de ce mail, on éleva un pavillon où fut placé un billard également destiné à son amusement.
509: Ces charmilles qui bordoient la lisière du bois ont été détruites.
510: Voyez pl. 56.
511: Ce vœu des artistes et généralement de tous les gens de goût a été exécuté depuis la révolution.
512: Il a été détruit pendant la révolution, et l'on a comblé le fossé.
513: Une de ces portes est celle du pavillon du milieu; les deux suivantes sont ouvertes de chaque côté de la terrasse contiguë au palais; il y en a une au milieu de la terrasse du nord; la cinquième est à l'extrémité du jardin du côté de la place Louis XV; la sixième au pont tournant. Depuis, on en a ouvert deux autres. (Voyez l'article monuments nouveaux.)
514: L'un de ces deux manéges, qui étoit couvert, est devenu depuis fameux pour avoir servi de local aux séances de l'assemblée nationale; il a été abattu, ainsi que les écuries et un grand nombre d'édifices qui remplissoient cet espace. C'est maintenant une très-belle rue qui va de la place du Carrousel à la place Louis XV.
515: Toutes ces sculptures sont en marbre, et n'ont point été déplacées. Depuis, ce magnifique jardin a été enrichi d'un grand nombre d'autres figures, ouvrages modernes ou copiés de l'antique. Voyez l'article Monuments nouveaux.
516: Voyez pl. 67.
517: Les plans de Quesnel et de Mérian.
519: Ce jardin, d'abord tracé et entouré de murs par Catherine de Médicis, ensuite abandonné, fut continué et planté sous Henri IV.
520: Néanmoins, soit qu'elle eût été bâtie par le propriétaire de l'hôtel Gaillon, soit en raison du voisinage de cet hôtel, elle est désignée dans tous les actes sous le titre de chapelle de Gaillon ou de Sainte-Suzanne de Gaillon; et lorsqu'il fut proposé de l'acquérir pour agrandir l'église que l'on vouloit élever, elle ne fut cédée par le titulaire qu'à la charge de construire dans la nouvelle église, et le plus près possible du grand autel, un autel dit de la chapelle de Sainte-Suzanne de Gaillon.
521: Cet hôpital étoit destiné aux malades affliges d'écrouelles. Le fondateur le transporta dans le faubourg Saint-Jacques.
522: Ces figures, cette croix et ces armes ont été détruites pendant la révolution. Depuis ce portail a été réparé.
523: Voyez pl. 57.
524: Ces deux chapelles furent bâties en 1709, au moyen d'une loterie que le roi accorda à la fabrique de cette église.
525: Cette chapelle avoit été bâtie sur le terrain qui servoit anciennement de cimetière.
526: Voyez pl. 58.
527: Sur les réparations faites à cette église et sur les décorations nouvelles dont elle a été enrichie, voyez l'article monuments nouveaux.
528: Son tombeau étoit surmonté de son buste, par Coysevox.
529: Son monument en marbre avoit été exécuté par Charpentier.
530: Son médaillon étoit incrusté dans le mur, et on lisoit au-dessous son épitaphe composée par le célèbre recteur de l'université Coffin.
531: Un médaillon offroit également le portrait de ce personnage, et au-dessous étoient placés plusieurs symboles de la carrière qu'il avoit parcourue.
532: Son monument se composoit d'un génie pleurant auprès d'un médaillon qui renformoit son portrait; au-dessous étoient groupés un globe et des instruments de mathématiques.
Tous ces monuments, dont les meilleurs étoient médiocres, avoient été déposés au musée des Petits-Augustins.
533: L'église Saint-Roch a été rendue au culte.
534: Il y a maintenant, dans la même rue, une communauté de sœurs de la Charité.
535: On avoit déposé au musée des monuments françois quelques fragments de ce tombeau, qui, au total, étoit d'une exécution médiocre.
536: On y conservoit soigneusement une chaise qui avoit servi, dit-on, à Saint-Thomas, dit l'Ange de l'école.
537: L'église des Jacobins, les bâtiments et les jardins qui occupoient presque tout l'espace qui est entre la rue Saint-Honoré et la rue Neuve-des-Petits-Champs, ont été abattus, et l'on a transporté sur ce vaste emplacement le marché qui obstruoit auparavant la rue Traversière. Voyez Monuments nouveaux.
538: Charles IX y logea en 1566 et en 1574. (Sauval, t. II, p. 289.)
539: Cette acquisition fut faite par contrat du 4 juillet 1685, moyennant 660,000 liv., et adjugée par décret le 22 août 1687.
540: Voyez pl. 59.
541: Deux rues qu'on a ouvertes, l'une sur le terrain des Capucines, l'autre sur celui des Feuillans, viennent de lui rendre ces points de perspective qui lui manquoient.
542: Deux de ces hôtels, appartenans à deux traitants nommés Poisson de Bourvalais et Villemarec, furent saisis en 1717, et destinés à former le logement du chancelier de France.
543: Elle pesoit environ 60,000 livres, et pour la couler on fondit 83,753 livres de matière. Elle a été abattue, avec toutes les autres statues de nos rois, le 18 août 1792.
544: Voici les plus remarquables de ces inscriptions:
Ludovico magno, decimo quarto, Francorum et Navarræ regi christianissimo, victori perpetuo, religionis vindici, justo, pio, felici, patri patriæ, erga urbem munificentissimo, quam arcubus, fontibus, plateis, ponte lapideo, vallo amplissimo arboribus consito decoravit, innumeris beneficiis cumulavit; quo imperante securi vivimus, neminem timemus, statuam hanc equestrem quamdiù oblatam recusavit, et civium amori, omniumque votis indulgens, erigi tandem passas est; præfectus et ædiles, acclamante populo, posurêe.
Jusqu'en 1730, le piédestal de cette statue équestre ne fut orné que des inscriptions données par l'académie des belles-lettres; mais à cette époque on l'enrichit de cartels et de trophées de bronze doré, sculptés par Coustou le jeune, auxquels on ajouta les inscriptions suivantes:
Dans le cartel qui étoit placé du côté de la chancellerie;
Ludovicus XV, Franciæ et Navarræ rex optimus, magni pronepos, Europæ arbiter, suscepto è Mariâ Polonâ Delphino, à præfecto et ædilibus, pro avo monumentum absolvi sivit, anno 1730.
Ce cartel étoit tenu par deux enfants, ayant pour symbole les attributs de Minerve, tels que le hibou, la branche d'olivier, le serpent, un livre, etc. Sous la corniche et sous cette inscription se groupoient des attributs convenables aux sciences et aux arts.
Sur le pilastre à droite de l'inscription étoit un trophée représentant l'Afrique; et sur le pilastre à gauche, un autre trophée représentoit l'Amérique.
À gauche de la statue, du côté opposé à la chancellerie, on avoit placé un autre cartel avec cette inscription:
Cippum cui equestris Ludovici Magni statua imposita est splendidis ordine uno late septum ædibus restitui, et ornari curârunt præfectus et ædiles, anno 1730.
Cette inscription, ainsi que la première, étoit soutenue par deux enfants ou génies, avec pilastres, trophées, etc.
Le piédestal vis-à-vis le couvent des Feuillants offroit les armes de France, ornées de palmes et de lauriers; de l'autre côté, et vis-à-vis l'église des Capucines, on voyoit les armes de la ville de Paris, dont le vaisseau étoit posé sur la tête d'un fleuve, accompagné de roseaux, d'armes, du livre, du caducée, de la bourse de Mercure, et couronné par le chapeau de ce dieu, attributs qui désignent le commerce.
Dans les pilastres qui ornoient les angles on avoit sculpté des agrafes soutenant des chutes de festons de chêne et de laurier, qui tomboient le long de ces pilastres, comme symboles de la force et de la victoire.
Tout ce monument fut entouré d'une grille de fer dans la même année 1730[544-A].
Jusqu'en 1775, la foire d'été, dite de Saint-Ovide, se tenoit sur la place Vendôme. Cette foire duroit un mois: on construisoit des boutiques sur la place, et les spectacles des boulevarts étoient obligés de s'y établir.
544-A: Sur la colonne qui a remplacé ce monument, voyez, à la fin de ce quartier, l'article monuments nouveaux.
545: Voyez pl. 68.
546: L'abbé Lebeuf ne s'est pas expliqué clairement, en disant, t. I, p. 124, que ces religieux furent établis en 1577. Cette époque ne peut s'appliquer qu'à l'établissement de leur réforme, puisque tous les actes attestent qu'ils ne vinrent à Paris qu'en 1587.
547: Quatorze religieux avoient, dit-on, succombé, dans une semaine, sous la grande austérité de cette règle.
548: Ces dons leur furent faits à l'occasion d'un jubilé; M. de Gondi, évêque de Paris, ayant indiqué, dans cette vue, une station dans leur église.
549: On ne leur donne ordinairement qu'un module de moins en hauteur.
550: Voyez pl. 67.
551: La vie de ce saint abbé avoit été peinte sur verre dans le cloître de ce monastère, en peinture dite d'apprêt[551-A], par un peintre flamand nommé Sempi. On voyoit encore quelques-uns de ces tableaux au musée des Monuments français.
551-A: La peinture d'apprêt diffère de l'ancienne peinture sur verre, en ce que par celle-ci on coloroit d'une teinte uniforme la substance entière du verre mis en fusion, tandis que, dans le nouveau procédé, la couleur est appliquée avec le pinceau, et fixée sur le verre au moyen d'un feu assez fort pour l'amollir, et non pour le liquéfier entièrement. Par cette manière d'opérer, on se procure des teintes qui donnent du relief aux figures; mais aussi la couleur n'est pas, comme dans l'autre, inaltérable.
552: Elle étoit alliée à la famille souveraine des Médicis.
553: Les monuments des Rostaing, de Marie de Barbezières, de Raimond Phélippeaux, des comtes d'Harcourt, et du maréchal de Marillac, avoient été déposés au musée des Petits-Augustins. Toutes ces sculptures étoient d'une grande médiocrité.
554: Il leur fallut pour cela une permission du pape, qui leur fut accordée par une bulle du 13 juillet 1528.
555: Par ces constitutions il leur fut accordé un vicaire-général; mais en 1619 Paul V lui donna le titre de général, et le rendit indépendant de celui des frères mineurs.
556: Hist. de Par., t. II, p. 1132.
557: L'abbé Lebeuf recule l'établissement des Capucins jusqu'en 1515. Cette date manque d'exactitude sous tous les rapports, puisqu'ils ne furent établis en Italie qu'en 1525, et en France en 1574.—Sauval n'est pas plus exact lorsqu'il dit que leur première maison fut fondée et bâtie à Meudon en 1585, par le cardinal de Lorraine (mort en 1574); que quelques-uns furent installés en même temps à Picpus, ce qui arriva en 1572; enfin que Henri III leur fit bâtir, vers l'an 1603, leur couvent près les Tuileries, tandis que ce prince est mort à Saint-Cloud en 1589.
558: Les registres du parlement, au 11 juillet 1574, nous apprennent que onze de ces religieux assistèrent au convoi de Charles IX, décédé le 30 mai précédent.
559: Il faut toutefois en excepter le nouveau couvent de la Chaussée-d'Antin, dont nous ne tarderons pas à parler.
560: Nous citerons entre autres le P. Ange de Joyeuse, fameux par son inconstance, son courage et sa dévotion[560-A]; le P. Joseph Le Clerc, autre capucin célèbre, le confident et l'un des principaux agents du cardinal de Richelieu; le P. Athanase Molé, frère du président Mathieu Molé; le P. J. B. Brûlart, frère du chancelier de ce nom; le P. Séraphin de Paris, l'un des prédicateurs ordinaires de Louis XIV, «orateur, dit La Bruyère, qui, avec un style nourri des saintes Écritures, expliquoit la parole divine uniment et familièrement,» ce qu'il n'osoit espérer de son siècle. Le P. Michel Marillac, fils du garde des sceaux, etc., etc. Les jeunes religieux de cette maison s'étoient appliqués, vers la fin du dernier siècle, à l'étude des langues savantes, et ils y avoient fait des progrès tels, qu'on pouvoit espérer beaucoup de leurs travaux et de leurs lumières, lorsque la révolution est venue tout détruire et tout disperser.
560-A: C'est de lui que Voltaire a dit:
«Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.»
561: Ce modèle leur avoit été donné par M. de Vergennes, ministre des affaires étrangères, qui l'avoit lui-même reçu des Turcs, chez qui il avoit été en ambassade.
562: Tous les bâtiments des Capucins ainsi que ceux des Feuillans, qui étoient situés vis-à-vis, ont été démolis; et sur ces vastes emplacements ont été percées plusieurs rues nouvelles; voyez l'article Monuments nouveaux.
563: Voyez pl. 70. Il avoit été question d'un plan de restauration pour cet édifice, dans lequel on devoit ajouter aux constructions déjà existantes une nef spacieuse en forme de basilique; et le dôme, qui maintenant compose seul toute l'église, eût été réservé uniquement pour le chœur. Si ce plan étoit exécuté, le nom de l'habile architecte qui l'a conçu (M. Molinos) nous donne l'assurance qu'alors l'église de l'Assomption deviendroit un monument digne d'être remarqué.
564: Hist. de Par., t. II, p. 1254.
565: Les religieuses de Sainte-Élisabeth étoient dirigées par des religieux de leur congrégation, et celles de la Conception faisoient profession d'être soumises aux supérieurs ecclésiastiques ordinaires.
566: Les bâtiments de cette communauté ont été changés en maisons particulières.
567: Il y avoit travaillé pendant douze années consécutives.
568: C'étoit Bouchardon lui-même qui avoit demandé cet artiste pour son successeur. Ces quatre figures, d'un style maniéré et mesquin, représentoient la Force, la Paix, la Prudence et la Justice.
569: Voyez pl. 68. Les inscriptions étoient placées sur les deux faces qui regardoient les Tuileries et les Champs-Élysées. La première étoit ainsi conçue:
Ludovico XV. Optimo principi, quod ad Scaldim, Mosam, Rhenum victor, pacem armis, pace et suorum et Europæ felicitatem quæsivit.
On lisoit sur la seconde:
Hoc pietatis publicæ monumentum Præfectus et ædiles decreverunt, anno M.DCC.XLVIII, posuerunt anno M.DCC.LXIII.
570: Ces bas-reliefs, de sept pieds et demi de long sur cinq de haut, offroient, du côté de la rivière, le roi dans un quadrige, couronné par la Victoire et conduit par la Renommée; de l'autre, le même prince assis sur un trophée, et donnant la paix à ses peuples.
571: Il a été renversé le 10 août 1792. C'est devant le piédestal mutilé de cette statue que fut consommé l'assassinat juridique de Louis XVI, le 21 janvier 1793, et que coula, sur un échafaud permanent, le sang le plus pur de la France.
572: Voyez pl. 60. Le bâtiment de la gauche étoit et est encore occupé par des particuliers; celui de la droite servoit autrefois de garde-meuble de la couronne. On y voyoit les grands meubles, comme lits, dais, etc., servant au sacre de nos rois; les diamants de la couronne, la chapelle d'or du cardinal de Richelieu, la nef d'or qui servoit dans les grandes cérémonies, des tapisseries magnifiques des Gobelins et de la Savonnerie; une quantité innombrable de vases de jaspe, agate, cristal de roche, etc.; des armures anciennes et étrangères, etc., etc.
573: Voy. pl. 61.
574: Voyez p. 66.
575: Ce pont, commencé en 1768, fut achevé en 1772. Il est composé de cinq arches, également en voûtes surbaissées, de 120 pieds d'ouverture et de trente pieds de hauteur sous la clef, il a environ 750 pieds de long. La largeur des piles est de 13 pieds.
576: On appelle ainsi le catalogue, registre ou inventaire de tous les bénéfices d'un diocèse.
577: Pet. Cart., fol. 417.
578: Gall. Christ., t. VII, col. 260.
579: Hist. de Par., t. III, p. 102.
580: La confrérie de Sainte-Marie-Magdeleine fut établie le 20 novembre 1491. Le roi Charles VIII s'en déclara le fondateur, et s'y fit recevoir, ainsi que la reine son épouse.
581: Les chanoines prétendoient, pour maintenir ce droit de curé primitif, avoir celui de venir officier à l'église de la Ville-l'Évêque, le jour de la fête de la patronne.
582: Cette église a été entièrement détruite, et l'emplacement qu'elle occupoit est maintenant un chantier de bois à brûler.
583: Toutefois le curé et les marguilliers de Saint-Roch n'acquiescèrent à ce jugement qu'à condition que ces limites ne pourroient préjudicier à leurs droits, en cas que, dans la suite, la clôture de la ville fût reculée ou avancée.
584: L'ancienne église de la Magdeleine n'a point cessé de servir au culte, jusqu'au commencement de la révolution, pendant laquelle elle a été abattue. Il n'existe aucune gravure de ce petit monument; et celle que nous donnons est copiée d'après un ancien dessin, qui, sans doute, est unique. Nous croyons inutile de faire remarquer combien est précieuse cette suite de monuments détruits qu'offre notre ouvrage, et qui, sans lui, n'auroient laissé, avant peu, que des traditions confuses et bientôt effacées. (Voyez pl. 69.)
585: Voyez pl. 62.
586: Voyez l'article Monuments nouveaux.
587: Elle fut depuis abbesse et réformatrice du Val-de-Grâce.
588: Pet. Cart., fol. 109, verso, C. 144.
589: Pet. Cartul., fol. 258, C. 375.
590: L'érection d'une chapelle en paroisse nous paroît aujourd'hui une chose extrêmement simple et facile dans son exécution, surtout quand les autorités ecclésiastiques et civiles ont donné leur approbation. Il n'en étoit pas de même autrefois, où ce changement pouvoit blesser une infinité d'intérêts qu'il falloit concilier. Nous ne croyons pas nous écarter de notre sujet, en mettant sous les yeux de nos lecteurs la liste des personnes et des corps qui avoient droit de juridiction sur le territoire du Roule, et dont il fallut requérir le consentement pour l'érection de cette paroisse.
Le décret ne fut arrêté qu'après avoir ouï les dames de Saint-Cyr, dames de Villiers-la-Garenne, du Pont de Neuilly et de partie du Roule; les religieux de Saint-Denis, hauts, moyens et bas justiciers de ces lieux, et du fief des Mathurins et de Socoly, la dame de Vaubrun, dame de Clichy, défaillante; les prévôts, lieutenants, ouvriers monnoyeurs de Paris; Jacques Rioul, secrétaire du roi, seigneur de Villiers-la-Garenne; le chapitre de Saint-Honoré, gros décimateur de Villiers, et celui de Saint-Benoît, gros décimateur de Clichy. Les chanoines de Saint-Honoré demandèrent à continuer d'aller en procession à cette église, le 1er mai. L'archevêque retint la collation pure de la cure, et statua qu'on paieroit quarante livres chaque année au curé de Villiers, et cinq livres à la fabrique. François Socoly, écuyer, seigneur de Villiers, se conserva en la nouvelle paroisse le droit d'une part de pain bénit, et d'un bouquet le 1er de mai, jour de la fête patronale. (L'abbé Lebeuf, t. III, p. 94.)
591: Elle a été détruite: la représentation que nous en donnons provient d'un dessin qui n'avoit jamais été gravé. Voy. pl. 69.
592: Voyez pl. 63.
593: Nous en parlerons avec plus de détail à l'article de la Halle aux blés.
594: Voyez pl. 64.
595: Voyez pl. 70.
596: Cet hospice porte maintenant le titre d'hôpital, et est administré par le gouvernement.
597: Auteuil signifioit, dans l'ancien langage, un lieu couvert de prés et de marais; et le mot chal, chail, cal, est traduit, dans des titres du quatorzième siècle, par destructio arborum. L'abbé Lebeuf pense que c'est de là que vient notre mot échalas.
598: Ce nom même seroit probablement tombé tout-à-fait dans l'oubli, s'il n'y avoit eu dans ce lieu une maison de plaisance appartenant à nos rois. Les ducs de Bretagne y possédoient aussi au quatorzième siècle un domaine, dit pour cette raison le manoir de Nigeon, ou l'hôtel de Bretagne. Gui de Bretagne, comte de Penthièvre, y mourut en 1321. Marie de Bretagne, fille de Charles de Châtillon, jouissoit de cette maison en 1360 et la porta en mariage à Louis, duc d'Anjou, frère du roi Charles V. Cet hôtel, ou châtelet, qui appartenoit encore en 1427 au duc de Bretagne, composa une partie des biens situés à Chaillot, que le roi d'Angleterre donna, le 28 avril de la même année, au comte de Salisbury, avec un autre hôtel et des terres qui appartenoient au nommé Jean Tarenne. Ce don n'étoit que pour sa vie; ainsi le comte Salisbury étant mort le 3 novembre 1428, le duc de Bretagne rentra dans la possession de ce domaine, et en jouit jusqu'à son décès. (L'abbé Lebeuf, t. III, p. 54.—Sauval, t. II, Ibid., t. III.)
599: Les chanoines de Sainte-Geneviève et les habitants des deux villages se trouvant très-bien de cette coutume, le roi Louis-le-Gros accorda, en 1124, qu'elle seroit conservée à perpétuité dans la terre de Chaillot.
Il paroît que l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés possédoit aussi très-anciennement quelques fiefs dans ce village; car Dubreul parle d'une redevance à laquelle les habitants de Chaillot étoient assujettis à l'égard de cette abbaye; redevance qui, par sa nature, semble avoir pris naissance dans un siècle assez reculé. «Les habitants de Chaillot doivent, dit-il, chaque année, pour hommage à l'abbé de Saint-Germain-des-Prés, ou en son absence, à son receveur, deux grands bouquets à mettre sur le dressoir, et demi-douzaine de petits, avec un fromage gras fait du lait de leurs vaches qui viennent paître à l'île de la Maquerelle, au-deçà de la Seine, et un denier parisis pour chaque vache.»
600: Il est maintenant administré par le gouvernement.
601: Ce qui fait quarante-huit mille six cents muids d'eau.
602: Voyez pl. 67.
603: La représentation que nous en donnons est rare, et date de ces premiers temps. Le bâtiment, en lui-même, n'a rien qui mérite l'attention, mais il est curieux de voir quel étoit alors l'état d'un endroit aujourd'hui très-peuplé et couvert de maisons. La manufacture de la Savonnerie y paroît isolée dans une vaste plaine: on aperçoit derrière, à une certaine distance, le village de Chaillot, et à droite les derniers arbres du Cours-la-Reine, qui étoit encore hors de la ville. Il paroît que les quais se prolongeoient déjà jusqu'à cette distance au-delà des murs. Voy. pl. 69.
604: Sous Henri IV on la nommoit la maison de Grammont.
605: L'abbé Lebeuf ajoute: mais seulement homme vivant et mourant pour cette haute justice. Cette phrase, de style de jurisprudence, signifie que l'acquéreur main-mortable, lorsqu'il achetoit un immeuble pour lequel on ne vouloit pas qu'il jouit des avantages de la main-morte, étoit alors obligé de fournir un homme qui payoit les droits de mutation, et étoit censé le propriétaire de l'acquisition. À sa mort, on en substituoit un autre à l'effet de perpétuer le paiement des mêmes droits.
606: Cette église étoit d'une très-mauvaise architecture; le comble n'avoit aucune proportion avec le reste du bâtiment, ce qui produisoit un effet d'autant plus choquant, que, par sa situation, on l'apercevoit de très-loin. L'église et le couvent ont été entièrement détruits pendant la révolution; et sur le terrain adjacent on avoit commencé à élever le palais dit du Roi de Rome. On achève en ce moment la démolition de ces premières constructions et le nivellement de ce terrain.
607: Ces religieux étoient aussi connus sous le nom de Bons-Hommes. Quelques-uns pensent que ce nom leur fut donné parce que Louis XI appeloit François de Paule le Bon-Homme. D'autres croient que c'étoit une dénomination commune à tous les Ermites. En effet, Louis VII avoit déjà fondé, en 1164, et établi dans le bois de Vincennes, un monastère de l'ordre de Grandmont, dont les religieux étoient vulgairement appelés Ermites ou Bons-Hommes. Cette maison, richement dotée par les libéralités de ce prince et de plusieurs autres illustres personnages, passa, par un échange, aux Minimes du couvent de Nijon, qui y envoyèrent, en 1585, un certain nombre de religieux, lesquels prirent alors le nom de Minimes de Vincennes.
608: En l'abordant il se jeta à ses pieds, et lui dit: Saint homme, si vous voulez, vous pouvez me guérir. François de Paule l'exhorta à mettre sa confiance dans la Providence divine, et promit le secours de ses prières; toutefois, malgré les vives instances du roi, il ne voulut jamais faire d'autre prière à Dieu, sinon que son adorable volonté fût accomplie. Ce saint moine, sachant ce que ce monarque attendoit de lui, avoit long-temps refusé de quitter sa solitude; il répondit au roi de Naples, dont Louis XI avoit employé la médiation, qu'il n'iroit pas trouver un prince qui commenceroit par lui demander un miracle. Enfin il fallut un ordre du pape pour le déterminer à faire un tel voyage.
610: L'église a été détruite, et le couvent changé en manufacture.
611: Jaillot semble avoir confondu ces deux hôtels; du moins ce qu'il en dit est si succinct et si embrouillé, qu'il est difficile de le bien comprendre.
612: À cette époque, la brique et la pierre étoient les seuls matériaux que l'on employât dans les grands bâtiments. C'est ainsi que furent bâtis la Place-Royale, Fontainebleau et plusieurs autres édifices publics. La rougeur de la brique, la noirceur de l'ardoise et la blancheur de la pierre formoient des nuances de couleur qui passoient alors pour très-agréables. Des édifices publics, ce genre de construction passa dans les maisons particulières; mais on se dégoûta bientôt de cette bigarrure de mauvais goût; elle fut même critiquée dès ce temps-là, et l'on trouvoit, avec quelque raison, qu'elle rendoit les maisons assez semblables à des châteaux de cartes.
613: Sur une partie de l'emplacement qu'occupoit cet hôtel ont été élevés le bâtiment des écuries d'Orléans et le Vauxhall d'hiver ou Panthéon. Les écuries d'Orléans ont été construites sur les dessins de M. Poyret, architecte. Cet édifice a le caractère qui lui convient. Le Vauxhall étoit une salle de danse bâtie en 1784, pour remplacer l'ancien Vauxhall de la foire Saint-Germain, que l'on venoit d'abattre. On en a fait depuis le théâtre du Vaudeville.
616: Il ne faut pas confondre cette rue de Matignon avec la prolongation de la petite rue Verte, qui a reçu depuis peu le même nom. Celle-ci étoit voisine de la rue des Orties et de celle de Saint-Thomas-du-Louvre.
618: Il étoit alors un des principaux rendez-vous de la Fronde.
619: Après la suppression des fermiers généraux, cet hôtel fut acheté par une société particulière de négociants, qui y continuèrent la fabrication et la vente du tabac. Il appartient, depuis quelques années, au gouvernement, qui l'a fait en partie démolir: sa démolition entière entre dans le plan des travaux qui doivent réunir le Louvre aux Tuileries.
620: Buonaparte et plusieurs personnes de sa famille ont habité cet hôtel; l'empereur de Russie y a logé en 1815. L'infortuné duc de Berry en a été le dernier habitant.
621: Il est occupé maintenant par le grand aumônier de France.
622: Il appartient à M. de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent. L'empereur de Russie l'a occupé en 1814.
623: Au coin de la rue Neuve-de-Berri et de celle du faubourg du Roule.
625: On trouvera à la fin du troisième volume de cet ouvrage une notice sur les barrières de Paris, qui sont au nombre de cinquante, et dont plusieurs sont remarquables par l'élégance et le bon style de leur architecture.
626: Traité de la Pol., t. 1, p. 88.
627: Arch. de l'archev.
628: Vis-à-vis cette rue est une rue sans nom, où sont les réservoirs de la pompe à feu.
629: Cens. de l'évêché.
630: Il existe encore une petite portion de cette rue, qui donne sur la place du Carrousel.
631: Sur les changements de nom qu'elle a éprouvés, voyez page 912.
632: Cette rue, se prolongeant maintenant à travers les jardins qui avoisinoient l'église, vient aboutir à celle de l'Arcade, vis-à-vis la rue des Mathurins. Dans ce prolongement elle a une communication sans nom avec la rue d'Anjou, laquelle est située à son couchant.
633: Arch. de l'archev.
634: Arch. de l'archev.
635: La galerie neuve des Tuileries traverse le terrain sur lequel cette partie de la rue étoit située.
636: Arch. de l'archev.
637: Quelques auteurs font terminer cette rue au second guichet, et, depuis cet endroit jusqu'à la cour des Tuileries, l'appellent rue de la Monnoie, de la Monnoie-du-Louvre et de la Petite-Monnoie. Elle a été détruite.
638: Il y a une caserne d'infanterie dans cette rue.
639: La rue Quatremère a maintenant perdu son nom, et fait suite à la rue d'Anjou.
640: C'est dans cette rue qu'est la principale entrée du marché Daguesseau.
641: Cette rue est fameuse par l'événement désastreux arrivé le 30 mai 1770, au milieu des fêtes données à l'occasion du mariage du dauphin. On venoit de tirer un feu d'artifice sur la place Louis XV; la foule des spectateurs, se portant dans la rue Royale, y rencontra une foule non moins nombreuse qui venoit du côté opposé; et de la violence de ces deux masses qui s'entre-choquoient, il résulta un tel désordre, une presse si horrible, que plus de 300 personnes restèrent mortes sur la place, sans compter un grand nombre d'autres qui moururent après, des suites de leurs blessures.
642: T. I, p. 162.
643: Cens. de l'archev., 1665.
644: Cart. de Sorbonne, fol. 147.—Cart. S. Germ. Autiss., folio 52. La partie de cette rue qui dépassoit la place du Carrousel a été détruite.
645: Voyez Discours prélimin., p. xiij.
646: Recueil d'antiq., t. II, p. 375.
647: Voyez Observ. sur quelques antiq. rom., etc., par M. Bourignon de Saintes.
648: Elle étoit parvenue jusqu'à la naissance du cintre de grande arcade.
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——Page 520: "il étoit défendu aux comtes et aux autres officiers" a été remplacé par "il étoit défendu aux comtes et aux autres officiers".
——Page 828: "Albert de Gondi, duc de Retz et maréchal de France, l'acheta en 1378 des enfants" a été remplacé par "Albert de Gondi, duc de Retz et maréchal de France, l'acheta en 1578 des enfants".
——Page 859: "En 2581, Henri III fit commencer les nouveaux" a été remplacé par "En 1581, Henri III fit commencer les nouveaux".