Title: Calligrammes: Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916)
Author: Guillaume Apollinaire
Engraver: René Jaudon
Illustrator: Pablo Picasso
Release date: September 17, 2017 [eBook #55569]
Language: French
Credits: Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at
Free Literature (online soon in an extended version,also
linking to free sources for education worldwide ... MOOC's,
educational materials,...) (Images generously made available
by the Hathi Trust)
PORTRAIT DE L'AUTEUR PAR PABLO PICASSO GRAVÉ SUR BOIS PAR R. JAUDON
À LA MÉMOIRE
DU PLUS ANCIEN DE MES CAMARADES
RENÉ DALIZE
MORT AU CHAMP D'HONNEUR
le 7 mai 1917
LIENS
Cordes faites de cris
Sons de cloches à travers l'Europe
Siècles pendus
Rails qui ligotez les nations
Nous ne sommes que deux ou trois hommes
Libres de tous liens
Donnons-nous la main
Violente pluie qui peigne les fumées
Cordes
Cordes tissées
Câbles sous-marins
Tours de Babel changées en ponts
Araignées—Pontifes
Tous les amoureux qu'un seul lien a liés
D'autres liens plus ténus
Blancs rayons de lumière
Cordes et Concorde
J'écris seulement pour vous exalter
Ô sens ô sens chéris
Ennemis du souvenir
Ennemis du désir
Ennemis du regret
Ennemis des larmes
Ennemis de tout ce que j'aime encore
LES FENÊTRES
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Quand chantent les aras dans les forêts natales
Abatis de pihis
Il y a un poème à faire sur l'oiseau qui n'a qu'une aile
Nous l'enverrons en message téléphonique
Traumatisme géant
Il fait couler les yeux
Voilà une jolie jeune fille parmi les jeunes Turinaises
Le pauvre jeune homme se mouchait dans sa cravate
blanche
Tu soulèveras le rideau
Et maintenant voilà que s'ouvre la fenêtre
Araignées quand les mains tissaient la lumière
Beauté pâleur insondables violets
Nous tenterons en vain de prendre du repos
On commencera à minuit
Quand on a le temps on a la liberté
Bigorneaux Lotte multiples Soleils et l'Oursin du couchant
Une vieille paire de chaussures jaunes devant la fenêtre
Tours
Les Tours ce sont les rues
Puits
Puits ce sont les places
Puits
Arbres creux qui abritent les Câpresses vagabondes
Les Chabins chantent des airs à mourir
Aux Chabines maronnes
Et l'oie oua-oua trompette au nord
Où les chasseurs de ratons
Raclent les pelleteries
Étincelant diamant
Vancouver
Où le train blanc de neige et de feux nocturnes fuit
l'hiver
Ô Paris
Du rouge au vert tout le jaune se meurt
Paris Vancouver Hyères Maintenon New-York et les
Antilles
La fenêtre s'ouvre comme une orange
Le beau fruit de la lumière
PAYSAGE
LES COLLINES
Au-dessus de Paris un jour
Combattaient deux grands avions
L'un était rouge et l'autre noir
Tandis qu'au zénith flamboyait
L'éternel avion solaire
L'un était toute ma jeunesse
Et l'autre c'était l'avenir
Ils se combattaient avec rage
Ainsi fit contre Lucifer
l'Archange aux ailes radieuses
Ainsi le calcul au problème
Ainsi la nuit contre le jour
Ainsi attaque ce que j'aime
Mon amour ainsi l'ouragan
Déracine l'arbre qui crie
Mais vois quelle douceur partout
Paris comme une jeune fille
S'éveille langoureusement
Secoue sa longue chevelure
Et chante sa belle chanson
Où donc est tombée ma jeunesse
Tu vois que flambe l'avenir
Sache que je parle aujourd'hui
Pour annoncer au monde entier
Qu'enfin est né l'art de prédire
Certains hommes sont des collines
Qui s'élèvent d'entre les hommes
Et voient au loin tout l'avenir
Mieux que s'il était le présent
Plus net que s'il était passé
Ornement des temps et des routes
Passe et dure sans t'arrêter
Laissons sibiler les serpents
En vain contre le vent du sud
Les Psylles et l'onde ont péri
Ordre des temps si les machines
Se prenaient enfin à penser
Sur les plages de pierreries
Des vagues d'or se briseraient
L'écume serait mère encore
Moins haut que l'homme vont les aigles
C'est lui qui fait la joie des mers
Comme il dissipe dans les airs
L'ombre et les spleens vertigineux
Par où l'esprit rejoint le songe
Voici le temps de la magie
Il s'en revient attendez-vous
À des milliards de prodiges
Oui n'ont fait naître aucune fable
Nul les ayant imaginés
Profondeurs de la conscience
On vous explorera demain
Et qui sait quels êtres vivants
Seront tirés de ces abîmes
Avec des univers entiers
Voici s'élever des prophètes
Comme au loin des collines bleues
Ils sauront des choses précises
Comme croient savoir les savants
Et nous transporteront partout
La grande force est le désir
Et viens que je te baise au front
Ô légère comme une flamme
Dont tu as toute la souffrance
Toute l'ardeur et tout l'éclat
L'âge en vient on étudiera
Tout ce que c'est que de souffrir
Ce ne sera pas du courage
Ni même du renoncement
Ni tout ce que nous pouvons faire
On cherchera dans l'homme même
Beaucoup plus qu'on n'y a cherché
On scrutera sa volonté
Et quelle force naîtra d'elle
Sans machine et sans instrument
Les secourables mânes errent
Se compénétrant parmi nous
Depuis les temps qui nous rejoignent
Rien n'y finit rien n'y commence
Regarde la bague à ton doigt
Temps des déserts des carrefours
Temps des places et des collines
Je viens ici faire des tours
Où joue son rôle un talisman
Mort et plus subtil que la vie
Je me suis enfin détaché
De toutes choses naturelles
Je peux mourir mais non pécher
Et ce qu'on n'a jamais touché
Je l'ai touché je l'ai palpé
Et j'ai scruté tout ce que nul
Ne peut en rien imaginer
Et j'ai soupesé maintes fois
Même la vie impondérable
Je peux mourir en souriant
Bien souvent j'ai plané si haut
Si haut qu'adieu toutes les choses
Les étrangetés les fantômes
Et je ne veux plus admirer
Ce garçon qui mime l'effroi
Jeunesse adieu jasmin du temps
J'ai respiré ton frais parfum
À Rome sur les chars fleuris
Chargés de masques de guirlandes
Et des grelots du carnaval
Adieu jeunesse blanc Noël
Quand la vie n'était qu'une étoile
Dont je contemplais le reflet
Dans la mer Méditerranée
Plus nacrée que les météores
Duvetée comme un nid d'archanges
Ou la guirlande des nuages
Et plus lustrée que les halos
Émanations et splendeurs
Unique douceur harmonies
Je m'arrête pour regarder
Sur la pelouse incandescente
Un serpent erre c'est moi-même
Qui suis la flûte dont je joue
Et le fouet qui châtie les autres
Il vient un temps pour la souffrance
Il vient un temps pour la bonté
Jeunesse adieu voici le temps
Où l'on connaîtra l'avenir
Sans mourir de sa connaissance
C'est le temps de la grâce ardente
La volonté seule agira
Sept ans d'incroyables épreuves
L'homme se divinisera
Plus pur plus vif et plus savant
Il découvrira d'autres mondes
L'esprit languit comme les fleurs
Dont naissent les fruits savoureux
Que nous regarderons mûrir
Sur la colline ensoleillée
Je dis ce qu'est au vrai la vie
Seul je pouvais chanter ainsi
Mes chants tombent comme des graines
Taisez-vous tous vous qui chantez
Ne mêlez pas l'ivraie au blé
Un vaisseau s'en vint dans le port
Un grand navire pavoisé
Mais nous n'y trouvâmes personne
Qu'une femme belle et vermeille
Elle y gisait assassinée
Une autre fois je mendiais
L'on ne me donna qu'une flamme
Dont je fus brûlé jusqu'aux lèvres
Et je ne pus dire merci
Torche que rien ne peut éteindre
Ou donc es-tu ô mon ami
Qui rentrais si bien en toi-même
Qu'un abîme seul est resté
Où je me suis jeté moi-même
Jusqu'aux profondeurs incolores
Et j'entends revenir mes pas
Le long des sentiers que personne
N'a parcourus j'entends mes pas
À toute heure ils passent là-bas
Lents ou pressés ils vont ou viennent
Hiver toi qui te fais la barbe
Il neige et je suis malheureux
J'ai traversé le ciel splendide
Où la vie est une musique
Le sol est trop blanc pour mes yeux
Habituez-vous comme moi
À ces prodiges que j'annonce
À la bonté qui va régner
À la souffrance que j'endure
Et vous connaîtrez l'avenir
C'est de souffrance et de bonté
Que sera faite la beauté
Plus parfaite que n'était celle
Qui venait des proportions
Il neige et je brûle et je tremble
Maintenant je suis à ma table
J'écris ce que j'ai ressenti
Et ce que j'ai chanté là-haut
Un arbre élancé que balance
Le vent dont les cheveux s'envolent
Un chapeau haut de forme est sur
Une table chargée de fruits
Les gants sont morts près d'une pomme
Une dame se tord le cou
Auprès d'un monsieur qui s'avale
Le bal tournoie au fond du temps
J'ai tué le beau chef d'orchestre
Et je pèle pour mes amis
L'orange dont la saveur est
Un merveilleux feu d'artifice
Tous sont morts le maître d'hôtel
Leur verse un champagne irréel
Qui mousse comme un escargot
Ou comme un cerveau de poète
Tandis que chantait une rose
L'esclave tient une épée nue
Semblable aux sources et aux fleuves
Et chaque fois qu'elle s'abaisse
Un univers est éventré
Dont il sort des mondes nouveaux
Le chauffeur se tient au volant
Et chaque fois que sur la route
Il corne en passant le tournant
Il paraît à perte de vue
Un univers encore vierge
Et le tiers nombre c'est la dame
Elle monte dans l'ascenseur
Elle monte monte toujours
Et la lumière se déploie
Et ces clartés la transfigurent
Mais ce sont de petits secrets
Il en est d'autres plus profonds
Qui se dévoileront bientôt
Et feront de vous cent morceaux
À la pensée toujours unique
Mais pleure pleure et repleurons
Et soit que là lune soit pleine
Ou soit qu'elle n'ait qu'un croissant
Ah! pleure pleure et repleurons
Nous avons tant ri au soleil
Des bras d'or supportent la vie
Pénétrez le secret doré
Tout n'est qu'une flamme rapide
Que fleurit la rose adorable
Et d'où monte un parfum exquis
ARBRE
À Frédéric Boutet
Tu chantes avec les autres tandis que les phonographes
galopent
Où sont les aveugles où s'en sont-ils allés
La seule feuille que j'aie cueillie s'est changée en
plusieurs mirages
Ne m'abandonnez pas parmi cette foule de femmes au
marché
Ispahan s'est fait un ciel de carreaux émaillés de bleu
Et je remonte avec vous une route aux environs de Lyon
Je n'ai pas oublié le son de la clochette d'un marchand
de coco d'autrefois
J'entends déjà le son aigre de cette voix à venir
Du camarade qui se promènera avec toi en Europe
Tout en restant en Amérique
Un enfant
Un veau dépouillé pendu à l'étal
Un enfant
Et cette banlieue de sable autour d'une pauvre ville au
fond de l'est
Un douanier se tenait là comme un ange
À la porte d'un misérable paradis
Et ce voyageur épileptique écumait dans la salle d'attente
des premières
Engoulevent Blaireau
Et la Taupe-Ariane
Nous avions loué deux coupés dans le transsibérien
Tour à tour nous dormions le voyageur en bijouterie et
moi
Mais celui qui veillait ne cachait point un revolver armé
Tu t'es promené à Leipzig avec une femme mince
déguisée en homme
Intelligence car voilà ce que c'est qu'une femme
intelligente
Et il ne faudrait pas oublier les légendes
Dame-Abonde dans un tramway la nuit au fond d'un
quartier désert
Je voyais une chasse tandis que je montais
Et l'ascenseur s'arrêtait à chaque étage
Entre les pierres
Entre les vêtements multicolores de la vitrine
Entre les charbons ardents du marchand de marrons
Entre deux vaisseaux norvégiens amarrés à Rouen
Il y a ton image
Elle pousse entre les bouleaux de la Finlande
Ce beau nègre en acier
La plus grande tristesse
C'est quand tu reçus une carte postale de La Corogne
Le vent vient du couchant
Le métal des caroubiers
Tout est plus triste qu'autrefois
Tous les dieux terrestres vieillissent
L'univers se plaint par ta voix
Et des êtres nouveaux surgissent
Trois par trois
LUNDI RUE CHRISTINE
La mère de la concierge et la concierge laisseront tout passer
Si tu es un homme tu m'accompagneras ce soir
Il suffirait qu'un type maintînt la porte cochère
Pendant que l'autre monterait
Trois bec de gaz allumés
La patronne est poitrinaire
Quand tu auras fini nous jouerons une partie de jacquet
Un chef d'orchestre qui a mal à la gorge
Quand tu viendras à Tunis je te ferai fumer du kief
Ça a l'air de rimer
Des piles de soucoupes des fleurs un calendrier
Pim pam pim
Je dois fiche près de 300 francs à ma probloque
Je préférerais me couper le parfaitement que de les lui donner
Je partirai à 20 h. 27
Six glaces s'y dévisagent toujours
Je crois que nous allons nous embrouiller encore davantage
Cher monsieur
Vous êtes un mec à la mie de pain
Cette dame a le nez comme un ver solitaire
Louise a oublié sa fourrure
Moi je n'ai pas de fourrure et je n'ai pas froid
Le Danois fume sa cigarette en consultant l'horaire
Le chat noir traverse la brasserie
Ces crêpes étaient exquises
La fontaine coule
Robe noire comme ses ongles
C'est complètement impossible
Voici monsieur
La bague en malachite
Le sol est semé de sciure
Alors c'est vrai
La serveuse rousse a été enlevée par un libraire
Un journaliste que je connais d'ailleurs très vaguement
Écoute Jacques c'est très sérieux ce que je vais te dire
Compagnie de navigation mixte
Il me dit monsieur voulez-vous voir ce que je peux faire
d'eaux fortes et de tableaux
Je n'ai qu'une petite bonne
Après déjeuner café du Luxembourg
Une fois là il me présente un gros bonhomme
Qui me dit
Écoutez c'est charmant
À Smyrne à Naples en Tunisie
Mais nom de Dieu où est-ce
La dernière fois que j'ai été en Chine
C'est il y a huit ou neuf ans
L'Honneur tient souvent à l'heure que marque la pendule
La quinte major
LETTRE-OCÉAN
SUR LES PROPHÉTIES
J'ai connu quelques prophétesses
Madame Salmajour avait appris en Océanie à tirer les cartes
C'est là-bas qu'elle avait eu encore l'occasion de participer
À une scène savoureuse d'anthropophagie
Elle n'en parlait pas à tout le monde
En ce qui concerne l'avenir elle ne se trompait jamais
Une cartomancienne céretane Marguerite je ne sais plus quoi
Est également habile
Mais Madame Deroy est la mieux inspirée
La plus précise
Tout ce qu'elle m'a dit du passé était vrai et tout ce qu'elle
M'a annoncé s'est vérifié dans le temps qu'elle indiquait
J'ai connu un sciomancien mais je n'ai pas voulu qu'il
interrogeât mon ombre
Je connais un sourcier c'est le peintre norvégien Diriks
Miroir brisé sel renversé ou pain qui tombe
Puissent ces dieux sans figure m'épargner toujours
Au demeurant je ne crois pas mais je regarde et j'écoute
et notez
Que je lis assez bien dans la main
Car je ne crois pas mais je regarde et quand c'est
possible j'écoute
Tout le monde est prophète mon cher André Billy
Mais il y a si longtemps qu'on fait croire aux gens
Qu'ils n'ont aucun avenir qu'ils sont ignorants à jamais
Et idiots de naissance
Qu'on en a pris son parti et que nul n'a même l'idée
De se demander s'il connaît l'avenir ou non
Il n'y a pas d'esprit religieux dans tout cela
Ni dans les superstitions ni dans les prophéties
Ni dans tout ce que l'on nomme occultisme
Il y a avant tout une façon d'observer la nature
Et d'interpréter la nature
Qui est très légitime
LE MUSICIEN DE SAINT-MERRY
J'ai enfin le droit de saluer des êtres que je ne connais pas
Ils passent devant moi et s'accumulent au loin
Tandis que tout ce que j'en vois m'est inconnu
Et leur espoir n'est pas moins fort que le mien
Je ne chante pas ce monde ni les autres astres
Je chante toutes les possibilités de moi-même hors de
ce monde et des astres
Je chante la joie d'errer et le plaisir d'en mourir
Le 21 du mois de mai 1913
Passeur des morts et les mordonnantes mériennes
Des millions de mouches éventaient une splendeur
Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-Le-Boucher
Jeune l'homme était brun et ce couleur de fraise sur les joues
Homme Ah! Ariane
Il jouait de la flûte et la musique dirigeait ses pas
Il s'arrêta au coin de la rue Saint-Martin
Jouant l'air que je chante et que j'ai inventé
Les femmes qui passaient s'arrêtaient près de lui
Il en venait de toutes parts
Lorsque tout à coup les cloches de Saint-Merry se mirent
à sonner
Le musicien cessa de jouer et but à la fontaine
Qui se trouve au coin de la rue Simon-Le-Franc
Puis Saint-Merry se tut
L'inconnu reprit son air de flûte
Et revenant sur ses pas marcha jusqu'à la rue de la Verrerie
Où il entra suivi par la troupe des femmes
Qui sortaient des maisons
Qui venaient par les rues traversières les yeux fous
Les mains tendues vers le mélodieux ravisseur
II s'en allait indifférent jouant son air
Il s'en allait terriblement
Puis ailleurs
À quelle heure un train partira-t-il pour Paris
À ce moment
Les pigeons des Moluques fientaient des noix muscades
En même temps
Mission catholique de Borna qu'as-tu fait du sculpteur
Ailleurs
Elle traverse un pont qui relie Bonn à Beuel et disparaît
à travers Pützchen
Au même instant
Une jeune fille amoureuse du maire
Dans un autre quartier
Rivalise donc poète avec les étiquettes des parfumeurs
En somme ô rieurs vous n'avez pas tiré grand chose des
hommes
Et à peine avez-vous extrait un peu de graisse de leur
misère
Mais nous qui mourons de vivre loin l'un de l'autre
Tendons nos bras et sur ces rails roule un long train de
marchandises
Tu pleurais assise près de moi au fond du fiacre
Et maintenant
Tu me ressembles tu me ressembles malheureusement
Nous nous ressemblions comme dans l'architecture du
siècle dernier
Ces hautes cheminées pareilles à des tours
Nous allons plus haut maintenant et ne touchons plus
le sol
Et tandis que le monde vivait et variait
Le cortège des femmes long comme un jour sans pain
Suivait dans la rue de la Verrerie l'heureux musicien
Cortèges ô cortèges
C'est quand jadis le roi s'en allait à Vincennes
Quand les ambassadeurs arrivaient à Paris
Quand le maigre Suger se hâtait vers la Seine
Quand l'émeute mourait autour de Saint-Merry
Cortèges ô cortèges
Les femmes débordaient tant leur nombre était grand
Dans toutes les rues avoisinantes
Et se hâtaient raides comme balle
Afin de suivre le musicien
Ah! Ariane et toi Pâquette et toi Amine
Et toi Mia et toi Simone et toi Mavise
Et toi Colette et toi la belle Geneviève
Elles ont passé tremblantes et vaines
Et leurs pas légers et prestes se mouvaient selon la
cadence
De la musique pastorale qui guidait
Leurs oreilles avides
L'inconnu s'arrêta un moment devant une maison à
vendre.
Maison abandonnée
Aux vitres brisées
C'est un logis du seizième siècle
La cour sert de remise à des voitures de livraisons
C'est là qu'entra le musicien
Sa musique qui s'éloignait devint langoureuse
Les femmes le suivirent dans la maison abandonnée
Et toutes y entrèrent confondues en bande
Toutes toutes y entrèrent sans regarder derrière elles
Sans regretter ce qu'elles ont laissé
Ce qu'elles ont abandonné
Sans regretter le jour la vie et la mémoire
Il ne resta bientôt plus personne dans la rue de la
Verrerie
Sinon moi-même et un prêtre de Saint-Merry
Nous entrâmes dans la vieille maison
Mais nous n'y trouvâmes personne
Voici le soir
À Saint-Merry c'est l'Angélus qui sonne
Cortèges ô cortèges
C'est quand jadis le roi revenait de Vincennes
Il vint une troupe de casquettiers
Il vint des marchands de bananes
Il vint des soldats de la garde républicaine
Ô nuit
Troupeau de regards langoureux des femmes
Ô nuit
Toi ma douleur et mon attente vaine
J'entends mourir le son d'une flûte lointaine
LA CRAVATE ET LA MONTRE
UN FANTÔME DE NUÉES
Comme c'était la veille du quatorze juillet
Vers les quatre heures de l'après-midi
Je descendis dans la rue pour aller voir les saltimbanques
Ces gens qui font des tours en plein air
Commencent à être rares à Paris
Dans ma jeunesse on en voyait beaucoup plus
qu'aujourd'hui
Ils s'en sont allés presque tous en province
Je pris le boulevard Saint-Germain
Et sur une petite place située entre Saint-Germain-des-Prés
et la statue de Danton
Je rencontrai les saltimbanques
La foule les entourait muette et résignée à attendre
Je me fis une place dans ce cercle afin de tout voir
Poids formidables,
Villes de Belgique soulevées à bras tendu par un ouvrier
russe de Longwy
Haltères noirs et creux qui ont pour tige un fleuve figé
Doigts roulant une cigarette amère et délicieuse comme
la vie
De nombreux tapis sales couvraient le sol
Tapis qui ont des plis qu'on ne défera pas
Tapis qui sont presque entièrement couleur de la
poussière
Et où quelques taches jaunes ou vertes ont persisté
Comme un air de musique qui vous poursuit
Vois-tu le personnage maigre et sauvage
La cendre de ses pères lui sortait en barbe grisonnante
Ii portait ainsi toute son hérédité au visage
Il semblait rêver à l'avenir
En tournant machinalement un orgue de Barbarie
Dont la lente voix se lamentait merveilleusement
Les glouglous les couacs et les sourds gémissements
Les saltimbanques ne bougeaient pas
Le plus vieux avait un maillot couleur de ce rose violâtre
qu'ont aux joues certaines jeunes filles fraîches mais
près de la mort
Ce rose-là se niche surtout dans les plis qui entourent
souvent leur bouche
Ou près des narines
C'est un rose plein de traîtrise
Cet homme portait-il ainsi sur le dos
La teinte ignoble de ses poumons
Les bras les bras partout montaient la garde
Le second saltimbanque
N'était vêtu que de son ombre
Je le regardai longtemps
Son visage m'échappe entièrement
C'est un homme sans tête
Un autre enfin avait l'air d'un voyou
D'un apache bon et crapule à la fois
Avec son pantalon bouffant et les accroche-chaussettes
N'aurait-il pas eu l'apparence d'un maquereau à sa
toilette
La musique se tut et ce furent des pourparlers avec le
public
Qui sou à sou jeta sur le tapis la somme de deux francs
cinquante
Au lieu des trois francs que le vieux avait fixés comme
prix des tours
Mais quand il fut clair que personne ne donnerait plus
rien
On se décida à commencer la séance
De dessous l'orgue sortit un tout petit saltimbanque
habillé de rose pulmonaire
Avec de la fourrure aux poignets et aux chevilles
Il poussait des cris brefs
Et saluait en écartant gentiment les avant-bras
Mains ouvertes
Une jambe en arrière prête à la génuflexion
Il salua ainsi aux quatre points cardinaux
Et quand il marcha sur une boule
Son corps mince devint une musique si délicate que nul
parmi les spectateurs n'y fut insensible
Un petit esprit sans aucune humanité
Pensa chacun
Et cette musique des formes
Détruisit celle de l'orgue mécanique
Que moulait l'homme au visage couvert d'ancêtres
Le petit saltimbanque fit la roue
Avec tant d'harmonie
Que l'orgue cessa de jouer
Et que l'organiste se cacha le visage dans les mains
Aux doigts semblables aux descendants de son destin
Fœtus minuscules qui lui sortaient de la barbe
Nouveaux cris de Peau-Rouge
Musique angélique des arbres
Disparition de l'enfant
Les saltimbanques soulevèrent les gros haltères à bout
de bras
Ils jonglèrent avec les poids
Mais chaque spectateur cherchait en soi l'enfant
miraculeux
Siècle ô siècle des nuages
CŒUR, COURONNE ET MIROIR
TOUR
À R. D.
Au Nord au Sud
Zénith Nadir
Et les grands cris de l'Est
L'Océan se gonfle à l'Ouest
La Tour à la Roue
S'adresse
VOYAGE
À TRAVERS L'EUROPE
À M. Ch.
Rotsoge
Ton visage écarlate ton biplan transformable en
hydroplan
Ta maison ronde où il nage un hareng saur
Il me faut la clef des paupières
Heureusement que nous avons vu M. Panado
Et nous sommes tranquilles de ce côté-là
Qu'est-ce que tu vois mon vieux M. D...
90 ou 324 un homme en l'air un veau qui regarde à travers
le ventre de sa mère
J'ai cherché longtemps sur les routes
Tant d'yeux sont clos au bord des routes
Le vent fait pleurer les saussaies
Ouvre ouvre ouvre ouvre ouvre
Regarde mais regarde donc
Le vieux se lave les pieds dans la cuvette
Una volta ho inteso dire Chè vuoi
Je me mis à pleurer en me souvenant de vos enfances
Et toi tu me montres un violet épouvantable
Ce petit tableau où il y a une voiture m'a rappelé le jour
Un jour fait de morceaux mauves jaunes bleus verts et
rouges
Où je m'en allais à la campagne avec une charmante
cheminée tenant sa chienne en laisse
Il n'y en a plus tu n'as plus ton petit mirliton
La cheminée fume loin de moi des cigarettes russes
La chienne aboie contre les lilas
La veilleuse est consumée
Sur la robe ont chu des pétales
Deux anneaux d'or près des sandales
Au soleil se sont allumés
Mais tes cheveux sont le trolley
À travers l'Europe vêtue de petits feux multicolores
IL PLEUT
LA PETITE AUTO
Le 31 du mois d'Août 1914
Je partis de Deauville un peu avant minuit
Dans la petite auto de Rouveyre
Avec son chauffeur nous étions trois
Nous dîmes adieu à toute une époque
Des géants furieux se dressaient sur l'Europe
Les aigles quittaient leur aire attendant le soleil
Les poissons voraces montaient des abîmes
Les peuples accouraient pour se connaître à fond
Les morts tremblaient de peur dans leurs sombres
demeures
Les chiens aboyaient vers là-bas où étaient les frontières
Je m'en allais portant en moi toutes ces armées qui se
battaient
Je les sentais monter en moi et s'étaler les contrées où
elles serpentaient
Avec les forêts les villages heureux de la Belgique
Francorchamps avec l'Eau Rouge et les pouhons
Région par où se font toujours les invasions
Artères ferroviaires où ceux qui s'en allaient mourir
Saluaient encore une fois la vie colorée
Océans profonds où remuaient les monstres
Dans les vieilles carcasses naufragées
Hauteurs inimaginables où l'homme combat
Plus haut que l'aigle ne plane
L'homme y combat contre l'homme
Et descend tout à coup comme une étoile filante
Je sentais en moi des êtres neufs pleins de dextérité
Bâtir et aussi agencer un univers nouveau
Un marchand d'une opulence inouïe et d'une taille
prodigieuse
Disposait un étalage extraordinaire
Et des bergers gigantesques menaient
De grands troupeaux muets qui broutaient les paroles
Et contre lesquels aboyaient tous les chiens sur la route
Et quand après avoir passé l'après-midi
Par Fontainebleau
Nous arrivâmes à Paris
Au moment où l'on affichait la mobilisation
Nous comprîmes mon camarade et moi
Que la petite auto nous avait conduits dans une époque
Nouvelle
Et bien qu'étant déjà tous deux des hommes mûrs
Nous venions cependant de naître
LA MANDOLINE, L'ŒILLET ET LE BAMBOU.
FUMÉES
Et tandis que la guerre
Ensanglante la terre
Je hausse les odeurs
Près des couleurs-saveurs
Des fleurs à ras du sol regardent par bouffées
Les boucles des odeurs par tes mains décoiffées
Mais je connais aussi les grottes parfumées
Où gravite l'azur unique des fumées
Où plus doux que la nuit et plus pur que le jour.
Tu t'étends comme un dieu fatigué par l'amour
Tu fascines les flammes
Elles rampent à les pieds
Ces nonchalantes femmes
Tes feuilles de papier
À NÎMES
À Emile Léonard
Je me suis engagé sous le plus beau des cieux
Dans Nice la Marine au nom victorieux
Perdu parmi 900 conducteurs anonymes
Je suis un charretier du neuf charroi de Nîmes
L'Amour dit Reste ici Mais là-bas les obus
Épousent ardemment et sans cesse les buts
J'attends que le printemps commande que s'en aille
Vers le nord glorieux l'intrépide bleusaille
Les 3 servants assis dodelinent leurs fronts
Où brillent leurs yeux clairs comme mes éperons
Un bel après-midi de garde à l'écurie
J'entends sonner les trompettes d'artillerie
J'admire la gaîté de ce détachement
Qui va rejoindre au front notre beau régiment
Le territorial se mange une salade
À l'anchois en parlant de sa femme malade
4 pointeurs fixaient les bulles des niveaux
Qui remuaient ainsi que les yeux des chevaux
Le bon chanteur Girault nous chante après 9 heures
Un grand air d'opéra toi l'écoutant tu pleures
Je flatte de la main le petit canon gris
Gris comme l'eau de Seine et je songe à Paris
Mais ce pâle blessé m'a dit à la cantine
Des obus dans la nuit la splendeur argentine
Je mâche lentement ma portion de bœuf
Je me promène seul le soir de 5 à 9
Je selle mon cheval nous battons la campagne
Je te salue au loin belle rose ô tour Magne
LA COLOMBE POIGNARDÉE ET LE JET D'EAU
2e CANONNIER CONDUCTEUR
Me voici libre et fier parmi mes compagnons
Le Réveil a sonné et dans le petit jour je salue
La fameuse Nancéenne que je n'ai pas connue
Les 3 servants bras dessus bras dessous se sont endormis
sur l'avant-train
Et conducteur par mont par vol sur le porteur
Au pas au trot ou au galop je conduis le canon
Le bras de l'officier est mon étoile polaire
Il pleut mon manteau est trempé et je m'essuie parfois
la figure
Avec la serviette-torchon qui est dans la sacoche du
sous-verge
Voici des fantassins aux pas pesants aux pieds boueux
La pluie les pique de ses aiguilles le sac les suit
Fantassins
Marchantes mottes de terre
Vous êtes la puissance
Du sol qui vous a faits
Et c'est le sol qui va
Lorsque vous avancez
Un officier passe au galop
Comme un ange bleu dans la pluie grise
Un blessé chemine en fumant une pipe
Le lièvre détale et voici un ruisseau que j'aime
Et cette jeune femme nous salue charretiers
La Victoire se tient après nos jugulaires
Et calcule pour nos canons les mesures angulaires
Nos salves nos rafales sont ses cris de joie
Ses fleurs sont nos obus aux gerbes merveilleuses
Sa pensée se recueille aux tranchées glorieuses
VEILLE
Mon cher André Rouveyre
Troudla la Champignon Tabatière
On ne sait quand on partira
Ni quand on reviendra
Au Mercure de France
Mars revient tout couleur d'espérance
J'ai envoyé mon papier
Sur papier quadrillé
J'entends les pas des grands chevaux d'artillerie allant
au trot sur la grand-route où moi je veille
Un grand manteau gris de crayon comme le ciel m'enveloppe
jusqu'à l'oreille
Quel
Ciel
Triste
Piste
Où
Va le
Pâle
Sou-
rire
De la lune qui me regarde écrire
OMBRE
Vous voilà de nouveau près de moi
Souvenirs de mes compagnons morts à la guerre
L'olive du temps
Souvenirs qui n'en faites plus qu'un
Comme cent fourrures ne font qu'un manteau
Comme ces milliers de blessures ne font qu'un article
de journal
Apparence impalpable et sombre qui avez pris
La forme changeante de mon ombre
Un indien à l'affût pendant l'éternité
Ombre vous rampez près de moi
Mais vous ne m'entendez plus
Vous ne connaîtrez plus les poèmes divins que je chante
Tandis que moi je vous entends je vous vois encore
Destinées
Ombre multiple que le soleil vous garde
Vous qui m'aimez assez pour ne jamais me quitter
Et qui dansez au soleil sans faire de poussière
Ombre encre du soleil
Écriture de ma lumière
Caisson de regrets
Un dieu qui s'humilie
C'EST LOU QU'ON LA NOMMAIT
Il est des loups de toute sorte
Je connais le plus inhumain
Mon cœur que le diable l'emporte
Et qu'il le dépose à sa porte
N'est plus qu'un jouet dans sa main
Les loups jadis étaient fidèles
Comme sont les petits toutous
Et les soldats amants des belles
Galamment en souvenir d'elles
Ainsi que les loups étaient doux
Mais aujourd'hui les temps sont pires
Les loups sont tigres devenus
Et les Soldats et les Empires
Les Césars devenus Vampires
Sont aussi cruels que Vénus
J'en ai pris mon parti Rouveyre
Et monté sur mon grand cheval
Je vais bientôt partir en guerre
Sans pitié chaste et l'œil sévère
Comme ces guerriers qu'Épinal
Vendait Images populaires
Que Georgin gravait dans le bois
Où sont-ils ces beaux militaires
Soldats passés Où sont les guerres
Où sont les guerres d'autrefois
La 1re édition à 25 exemplaires de Case d'Armons a été polygraphiée sur papier quadrillé, à l'encre violette, au moyen de gélatine, à la batterie de tir (45e batterie, 38e Régiment d'artillerie de campagne) devant l'ennemi, et le tirage a été achevé le 17 juin 1915.
RECONNAISSANCE
À Mademoiselle P...
Un seul bouleau crépusculaire
Pâlit au seuil de l'horizon
Où fuit la mesure angulaire
Du cœur à l'âme et la raison
Le galop bleu des souvenances
Traverse les lilas des yeux
Et les canons des indolences
Tirent nies songes vers
les
cieux
SP
SAILLANT
À André Level
Rapidité attentive à peine un peu d'incertitude
Mais un dragon à pied sans armes
Parmi le vent quand survient la
Mais la couleuvre me regarde dressée comme une épée
Vive comme un cheval pif
Un trou d'obus propre comme une salle de bain
Berger suivi de son troupeau mordoré
Mais où est un cœur et le svastica
Àÿ Ancien nom du renom
Le crapaud chantait les saphirs nocturnes
Et le long du canal des filles s'en allaient
GUERRE
Rameau central de combat
Contact par l'écoute
Ou tire dans la direction «des bruits entendus»
Les jeunes de la classe 1915
Et ces fils de fer électrisés
Ne pleurez donc pas sur les horreurs de la guerre
Avant elle nous n'avions que la surface
De la terre et des mers
Après elle nous aurons les abîmes
Le sous-sol et l'espace aviatique
Maîtres du timon
Après après
Nous prendrons toutes les joies
Des vainqueurs qui se délassent
Femmes Jeux Usines Commerce
Industrie Agriculture Métal
Feu Cristal Vitesse
Voix Regard Tact à part
Et ensemble dans le tact venu de loin
De plus loin encore
De l'Au-delà de cette terre
MUTATION
Une femme qui pleurait
Eh! Oh! Ha!
Des soldats qui passaient
Eh! Oh! Ha!
Un éclusier qui pêchait
Eh! Oh! Ha!
Les tranchées qui blanchissaient
Eh! Oh! Ha!
Des obus qui pétaient
Eh! Oh! Ha!
Des allumettes qui ne prenaient pas
Et tout
A tant changé
En moi
Tout
Sauf mon Amour
Eh! Oh! Ha!
ORACLES
Je porte votre bague
Elle est très finement ciselée
Le sifflet me fait plus plaisir
Qu'un palais égyptien
Le sifflet des tranchées
Tu sais
Tout au plus si je n'arrête pas
Les métros et les taxis avec
Ô Guerre
Multiplication de l'amour
Petit Avec un fil
Sifflet on prend
à 2 trous la mesure
du doigt
14 JUIN 1915
On ne peut rien dire
Rien de ce qui se passe
Mais on change de Secteur
Ah! voyageur égaré
Pas de lettres
Mais l'espoir
Mais un journal
Le glaive antique de la Marseillaise de Rude
S'est changé en constellation
Il combat pour nous au ciel
Mais cela signifie surtout
Qu'il faut être de ce temps
Pas de glaive antique
Pas de Glaive
Mais l'Espoir
DE LA BATTERIE DE TIR
Au maréchal des logis F. Bodard
Nous sommes ton collier France
Venus des Atlantides ou bien des Négrities
Des Eldorados ou bien des Cimméries
Rivière d'hommes forts et d'obus dont l'orient chatoie
Diamants qui éclosent la nuit
Ô Roses ô France
Nous nous pâmons de volupté
À ton cou penché vers l'Est
Nous sommes l'Arc-en-terre
Signe plus pur que l'Arc-en-Ciel
Signe de nos origines profondes
Étincelles
Ô nous les très belles couleurs
ÉCHELON
Grenouilles et rainettes
Crapauds et crapoussins
Ascèse sous les peupliers et les frênes
La reine des prés va fleurir
Une petite hutte dans la forêt
Là-bas plus blanche est la blessure
Ô rose toujours vive
Ô France
Embaume les espoirs d'une armée qui halète
Le Loriot chante
N'est-ce pas rigolo
Enfin une plume d'épervier
VERS LE SUD
Zénith
Tous ces regrets
Ces jardins sans limite
Où le crapaud module un tendre cri d'azur
La biche du silence éperdu passe vite
Un rossignol meurtri par l'amour chante sur
Le rosier de ton corps dont j'ai cueilli les roses
Nos cœurs pendent ensemble au même grenadier
Et les fleurs de grenade en nos regards écloses
En tombant tour à tour ont jonché le sentier
LES SOUPIRS DU SERVANT DE DAKAR
C'est dans la cagnat en rondins voilés d'osier
Auprès des canons gris tournés vers le nord
Que je songe au village africain
Où l'on dansait où l'on chantait où l'on faisait l'amour
Et de longs discours
Nobles et joyeux
Je revois mon père qui se battit
Contre les Achantis
Au service des Anglais
Je revois ma sœur au rire en folie
Aux seins durs comme des obus
Et je revois
Ma mère la sorcière qui seule du village
Méprisait le sel
Piler le millet dans un mortier
Je me souviens du si délicat si inquiétant
Fétiche dans l'arbre
Et du double fétiche de la fécondité
Plus tard une tête coupée
Au bord d'un marécage
Ô pâleur de mon ennemi
C'était une tête d'argent
Et dans le marais
C'était la lune qui luisait
C'était donc une tête d'argent
Là-haut c'était la lune qui dansait
C'était donc une tête d'argent
Et moi dans l'antre j'étais invisible
C'était donc une tête de nègre dans la nuit profonde
Similitudes Pâleurs
Et ma sœur
Suivit plus tard un tirailleur
Mort à Arras
Si je voulais savoir mon âge
Il faudrait le demander à l'évêque
Si doux si doux avec ma mère
De beurre de beurre avec ma sœur
C'était dans une petite cabane
Moins sauvage que notre cagnat de canonniers-servants
J'ai connu l'affût au bord des marécages
Où la girafe boit les jambes écartées
J'ai connu l'horreur de l'ennemi qui dévaste
Le Village
Viole les femmes
Emmène les filles
Et les garçons dont la croupe dure sursaute
J'ai porté l'administrateur des semaines
De village en village
En chantonnant
Et je fus domestique à Paris
Je ne sais pas mon âge
Mais au recrutement
On m'a donné vingt ans
Je suis soldat français on m'a blanchi du coup
Secteur 59 je ne peux pas dire où
Pourquoi donc être blanc est-ce mieux qu'être noir
Pourquoi ne pas danser et discourir
Manger et puis dormir
Et nous tirons sur les ravitaillements boches
Ou sur les fils de fer devant les bobosses
Sous la tempête métallique
Je me souviens d'un lac affreux
Et de couples enchaînés par un atroce amour
Une nuit folle
Une nuit de sorcellerie
Comme cette nuit-ci
Où tant d'affreux regards
Éclatent dans le ciel splendide
TOUJOURS
À Madame Faure-Favier
Toujours
Nous irons plus loin sans avancer jamais
Et de planète en planète
De nébuleuse en nébuleuse
Le don Juan des mille et trois comètes
Même sans bouger de la terre
Cherche les forces neuves
Et prend au sérieux les fantômes
Et tant d'univers s'oublient
Quels sont les grands oublieurs
Qui donc saura nous faire oublier telle ou telle
partie du monde
Où est le Christophe Colomb à qui l'on devra l'oubli
d'un continent
Perdre
Mais perdre vraiment
Pour laisser place à la trouvaille
Perdre
La vie pour trouver la Victoire
FÊTE
À André Rouveyre
Feu d'artifice en acier
Qu'il est charmant cet éclairage
Artifice d'artificier
Mêler quelque grâce au courage
Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l'on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d'arrêt
Des roses mourir d'espérance
Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d'une hanche
L'air est plein d'un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses
MADELEINE
LES SAISONS
C'était un temps béni nous étions sur les plages
Va-t'en de bon matin pieds nus et sans chapeau
Et vite comme va la langue d'un crapaud
L'amour blessait au cœur les fous comme les sages
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était artiflot
À la guerre
C'était un temps béni Le temps du vaguemestre
On est bien plus serré que dans les autobus
Et des astres passaient que singeaient les obus
Quand dans la nuit survint la batterie équestre
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était artiflot
À la guerre
C'était un temps béni Jours vagues et nuits vagues
Les marmites donnaient aux rondins des cagnats
Quelque aluminium où tu t'ingénias
À limer jusqu'au soir d'invraisemblables bagues
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était artiflot
À la guerre
C'était un temps béni La guerre continue
Les Servants ont limé la bague au long des mois
Le Conducteur écoute abrité dans les bois
La chanson que répète une étoile inconnue
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était militaire
As-tu connu Guy au galop
Du temps qu'il était artiflot
À la guerre
VENU DE DIEUZE
LA NUIT D'AVRIL 1915
À L. de C.—C.
Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triples-croches
Mais avez-vous le mot
Eh! oui le mot fatal
Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches
Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons
Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance
Et tes mille soleils ont vidé les caissons
Que les dieux de mes yeux remplissent en silence
Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons
Les obus miaulaient un amour à mourir
Un amour qui se meurt est plus doux que les autres
Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir
Les obus miaulaient
Entends chanter les nôtres
Pourpre amour salué par ceux qui vont périr
Le printemps tout mouillé la veilleuse l'attaque
Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts
Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque
Couche-toi sur la paille et songe un beau remords
Qui pur effet de l'art soit aphrodisiaque
Mais
orgues
aux fétus de la paille où tu dors
L'hymne de l'avenir est paradisiaque
LA GRACE EXILÉE
Va-t'en va-t'en mon arc-en-ciel
Allez-vous-en couleurs charmantes
Cet exil t'est essentiel
Infante aux écharpes changeantes
Et l'arc-en-ciel est exilé
Puisqu'on exile qui l'irise
Mais un drapeau s'est envolé
Prendre ta place au vent de bise
LA BOUCLE RETROUVÉE
Il retrouve dans sa mémoire
La boucle de cheveux châtains
T'en souvient-il à n'y point croire
De nos deux étranges destins
Du boulevard de la Chapelle
Du joli Montmartre et d'Auteuil
Je me souviens murmure-t-elle
Du jour où j'ai franchi ton seuil
Il y tomba comme un automne
La boucle de mon souvenir
Et notre destin qui t'étonne
Se joint au jour qui va finir
REFUS DE LA COLOMBE
Mensonge de l'Annonciade
La Noël fut la Passion
Et qu'elle était charmante et sade
Cette renonciation
Si la colombe poignardée
Saigne encore de ses refus
J'en plume les ailes l'idée
Et le poème que tu fus
LES FEUX DU BIVOUAC
Les feux mouvants du bivouac
Éclairent des formes de rêve
Et le songe dans l'entrelac
Des branches lentement s'élève
Voici les dédains du regret
Tout écorché comme une fraise
Le souvenir et le secret
Dont il ne reste que la braise
LES GRENADINES REPENTANTES
En est-il donc deux dans Grenade
Qui pleurent sur ton seul péché
Ici l'on jette la grenade
Qui se change en un œuf coché
Puisqu'il en naît des coqs Infante
Entends-les chanter leurs dédains
Et que la grenade est touchante
Dans nos effroyables jardins
TOURBILLON DE MOUCHES
Un cavalier va dans la plaine
La jeune fille pense à lui
Et cette flotte à Mitylène
Le fil de fer est là qui luit
Comme ils cueillaient la rose ardente
Leurs jeux tout à coup ont fleuri
Mais quel soleil la bouche errante
À qui la bouche avait souri
L'ADIEU DU CAVALIER
Ah Dieu! que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs
Cette bague je l'ai polie
Le vent se mêle à vos soupirs
Adieu! voici le boute-selle
Il disparut dans un tournant
Et mourut là-bas tandis qu'elle
Riait au destin surprenant
LE PALAIS DU TONNERRE
Par l'issue ouverte sur le boyau dans la craie
En regardant le paroi adverse qui semble en nougat
On voit à gauche et à droite fuir l'humide couloir désert
Où meurt étendue une pelle à la face effrayante à deux
yeux réglementaires qui servent à l'attacher sous les
caissons
Un rat y recule en hâte tandis que j'avance en hâte
Et le boyau s'en va couronné de craie semée de branches
Comme un fantôme creux qui met du vide où il passe
blanchâtre
Et là-haut le toit est bleu et couvre bien le regard fermé
par quelques lignes droites
Mais en deçà de l'issue c'est le palais bien nouveau et qui
paraît ancien
Le plafond est fait de traverses de chemin de fer
Entre lesquelles il y a des morceaux de craie et des touffes
d'aiguilles de sapin
Et de temps en temps des débris de craie tombent
comme des morceaux de vieillesse
À côté de l'issue que ferme un tissu lâche d'une espèce
qui sert généralement aux emballages
Il y a un trou qui tient lieu d'âtre et ce qui y brûle est un
feu semblable à l'âme
Tant il tourbillonne et tant il est inséparable de ce qu'il
dévore et fugitif
Les fils de fer se tendent partout servant de sommier
supportant des planches
Ils forment aussi des crochets et l'on y suspend mille
choses
Comme on fait à la mémoire
Des musettes bleues des casques bleus des cravates
bleues des vareuses bleues
Morceaux du ciel tissus des souvenirs les plus purs
Et il flotte parfois en l'air de vagues nuages de craie
Sur la planche brillent des fusées détonateurs joyaux
dorés à tête émaillée
Noirs blancs rouges
Funambules qui attendent leur tour de passer sur les
trajectoires
Et font un ornement mince et élégant à cette demeure
souterraine
Ornée de six lits placés en fer à cheval
Six lits couverts de riches manteaux bleus
Sur le palais il y a un haut tumulus de craie
Et des plaques de tôle ondulée
Fleuve figé de ce domaine idéal
Mais privé d'eau car ici il ne roule que le feu jailli de la
mélinite
Le parc aux fleurs de fulminate jaillit des trous penchés
Tas de cloches aux doux sons des douilles rutilantes
Sapins élégants et petits comme en un paysage japonais
Le palais s'éclaire parfois d'une bougie à la flamme aussi
petite qu'une souris
Ô palais minuscule comme si on te regardait par le gros
bout d'une lunette
Petit palais où tout s'assourdit
Petit palais où tout est neuf rien rien d'ancien
Et où tout est précieux où tout le monde est vêtu comme
un roi
Une selle est dans un coin à cheval sur une caisse
Un journal du jour traîne par terre
Et cependant tout paraît vieux dans cette neuve demeure
Si bien qu'on comprend que l'amour de l'antique
Le goût de l'anticaille
Soit venu aux hommes dès le temps des cavernes
Tout y était si précieux et si neuf
Tout y est si précieux et si neuf
Qu'une chose plus ancienne ou qui a déjà servi y
apparaît
Plus précieuse
Que ce qu'on a sous la main
Dans ce palais souterrain creusé dans la craie si blanche
et si neuve
Et deux marches neuves
Elles n'ont pas deux semaines
Sont si vieilles et si usées dans ce palais qui semble antique
sans imiter l'antique
Qu'on voit que ce qu'il y a de plus simple de plus neuf
est ce qui est
Le plus près de ce que l'on appelle la beauté antique
Et ce qui est surchargé d'ornements
A besoin de vieillir pour avoir la beauté qu'on appelle
antique
Et qui est la noblesse la force l'ardeur l'âme l'usure
De ce qui est neuf et qui sert
Surtout si cela est simple simple
Aussi simple que le petit palais du tonnerre
PHOTOGRAPHIE
Ton sourire m'attire comme
Pourrait m'attirer une fleur
Photographie tu es le champignon brun
De la forêt
Qu'est sa beauté
Les blancs y sont
Un clair de lune
Dans un jardin pacifique
Plein d'eaux vives et de jardiniers endiablés
Photographie tu es la fumée de l'ardeur
Qu'est sa beauté
Et il y a en toi
Photographie
Des tons alanguis
On y entend
Une mélopée
Photographie tu es l'ombre
Du Soleil
Qu'est sa beauté
L'INSCRIPTION ANGLAISE
C'est quelque chose de si ténu de si lointain
Que d'y penser on arrive à le trop matérialiser
Forme limitée par la mer bleue
Par la rumeur d'un train en marche
Par l'odeur des eucalyptus des mimosas
Et des pins maritimes
Mais le contact et la saveur
Et cette petite voyageuse alerte inclina brusquement la
tête sur le quai de la gare à Marseille
Et s'en alla
Sans savoir
Que son souvenir planerait
Sur un petit bois de la Champagne où un soldat s'efforce
Devant le feu d'un bivouac d'évoquer cette apparition
À travers la fumée d'écorce de bouleau
Qui sent l'encens minéen
Tandis que les volutes bleuâtres qui montent
D'un cigare écrivent le plus tendre des noms
Mais les nœuds de couleuvres en se dénouant
Écrivent aussi le nom émouvant
Dont chaque lettre se love en belle anglaise
Et le soldat n'ose point achever
Le jeu de mots bilingue que ne manque point de susciter
Cette calligraphie sylvestre et vernale
DANS L'ABRI-CAVERNE
Je me jette vers toi et il me semble aussi que tu te jettes
vers moi
Une force part de nous qui est un feu solide qui nous
soude
Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous
ne pouvons nous apercevoir
En face de moi la paroi de craie s'effrite
Il y a des cassures
De longues traces d'outils traces lisses et qui semblent
être faites dans de la stéarine
Des coins de cassures sont arrachés par le passage des
types de ma pièce
Moi j'ai ce soir une âme qui s'est creusée qui est vide
On dirait qu'on y tombe sans cesse et sans trouver de
fond
Et qu'il n'y a rien pour se raccrocher
Ce qui y tombe et qui vit c'est une sorte d'êtres laids
qui me font mal et qui y viennent de je ne sais où
Oui je crois qu'ils viennent de la vie d'une sorte de vie
qui est dans l'avenir dans l'avenir brut qu'on n'a pu
encore cultiver ou élever ou humaniser
Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il
manque ce qui éclaire
C'est aujourd'hui c'est ce soir et non toujours
Heureusement que ce n'est que ce soir
Les autres jours je me rattache à toi
Les autres jours je me console de la solitude et de toutes
les horreurs
En imaginant ta beauté
Pour l'élever au-dessus de l'univers extasié
Puis je pense que je l'imagine en vain
Je ne la connais par aucun sens
Ni même par les mots
Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain
Existe-tu mon amour
Où n'es-tu qu'une entité que j'ai créée sans le vouloir
Pour peupler la solitude
Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs
avaient douées pour moins s'ennuyer
Je t'adore ô ma déesse exquise même si tu n'es que
dans mon imagination
FUSÉE
La boucle des cheveux noirs de ta nuque est mon trésor
Ma pensée te rejoint et la tienne la croise
Tes seins sont les seuls obus que j'aime
Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à
pointer la nuit
En voyant la large croupe de mon cheval j'ai pensé à tes
hanches
Voici les fantassins qui s'en vont à l'arrière en lisant un
journal
Le chien du brancardier revient avec une pipe dans sa
gueule
Un chat-huant ailes fauves yeux ternes gueule de petit
chat et pattes de chat
Une souris verte file parmi la mousse
Le riz a brûlé dans la marmite de campement
Ça signifie qu'il faut prendre garde à bien des choses
Le mégaphone crie
Allongez le tir
Allongez le tir amour de vos batteries
Balance des batteries lourdes cymbales
Qu'agitent les chérubins fous d'amour
En l honneur du Dieu des Armées
Un arbre dépouillé sur une butte
Le bruit des tracteurs qui grimpent dans la vallée
Ô vieux monde du XIXe siècle plein de hautes cheminées
si belles et si pures
Virilités du siècle où nous sommes
Ô canons
Douilles éclatantes des obus de 75
Carillonnez pieusement
DÉSIR
Mon désir est la région qui est devant moi
Derrière les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la zone des armées
Mon désir c'est la butte du Mesnil
Mon désir est là sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense
Butte du Mesnil je t'imagine en vain
Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs
d'eux
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
Ca ta clac des coups qui meurent en s'éloignant
En y veillant tard dans la nuit
Le Decauville qui toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma bourguignotte
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d'entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût
Je désire
Te serrer dans ma main Main de Massiges
Si décharnée sur la carte
Le boyau Gœthe où j'ai tiré
J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne respecte aucune gloire
Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par
moments
Nuit des hommes seulement
Nuit du 24 septembre
Demain l'assaut
Nuit violente ô nuit dont l'épouvantable cri profond
devenait plus intense de minute en minute
Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Nuit des hommes seulement
CHANT DE L'HORIZON EN CHAMPAGNE
À M. Joseph Granié
Voici le tétin rose de l'euphorbe verruquée
Voici le nez des soldats invisibles
Moi l'horizon invisible je chante
Que les civils et les femmes écoutent ces chansons
Et voici d'abord la cantilène du brancardier blessé
Le sol est blanc la nuit l'azure
Saigne la crucifixion
Tandis que saigne la blessure
Du soldat de Promission
Un chien jappait l'obus miaule
La lueur muette a jailli
À savoir si la guerre est drôle
Les masques n'ont pas tressailli
Mais quel fou rire sous le masque
Blancheur éternelle d'ici
Où la colombe porte un casque
Et l'acier s'envole aussi
Je suis seul sur le champ de bataille
Je suis la tranchée blanche le bois vert et roux
L'obus miaule
Je te tuerai
Animez-vous fantassins à passepoil jaune
Grands artilleurs roux comme des taupes
Bleu-de-roi comme les golfes méditerranéens
Veloutés de toutes les nuances du velours
Ou mauves encore ou bleu-horizon comme les autres
Ou déteints
Venez le pot en tête
Debout fusée éclairante
Danse grenadier en agitant tes pommes de pin
Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs
Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous
Sculptez les profondeurs
Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les
avettes
Moi l'horizon je fais la roue comme un grand Paon
Ecoutez renaître les oracles qui avaient cessé
Le grand Pan est ressuscité
Champagne viril qui émoustille la Champagne
Hommes faits jeunes gens
Caméléon des autos-canons
Et vous classe 16
Craquements des arrivées ou bien floraison blanche dans
les cieux
J'étais content pourtant ça brûlait la paupière
Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms
Œil du Breton blessé couché sur la civière
Et qui criait aux morts aux sapins aux canons
Priez pour moi Bon Dieu je suis le pauvre Pierre
Boyaux et rumeur du canon
Sur cette mer aux blanches vagues
Fou stoïque comme Zénon
Pilote du cœur tu zigzagues
Petites forêts de sapins
La nichée attend la becquée
Pointe-t-il des nez de lapins
Comme l'euphorbe verruquée
Ainsi que l'euphorbe d'ici
Le soleil à peine boutonne
Je l'adore comme un Parsi
Ce tout petit soleil d'automne
Un fantassin presque un enfant
Bleu comme le jour qui s'écoule
Beau comme mon cœur triomphant
Disait en mettant sa cagoule
Tandis que nous n'y sommes pas
Que de filles deviennent belles
Voici l'hiver et pas à pas
Leur beauté s'éloignera d'elles
Ô Lueurs soudaines des tirs
Cette beauté que j'imagine
Faute d'avoir des souvenirs
Tire de vous son origine
Car elle n'est rien que l'ardeur
De la bataille violente
Et de la terrible lueur
Il s'est fait une muse ardente
Il regarde longtemps l'horizon
Couteaux tonneaux d'eau
Des lanternes allumées se sont croisées
Moi l'horizon je combattrai pour la victoire
Je suis l'invisible qui ne peut disparaître
Je suis comme l'onde
Allons ouvrez les écluses que je me précipite
tout
OCÉAN DE TERRE
À G. de Chirico
J'ai bâti une maison au milieu de l'Océan
Ses fenêtres sont les fleuves qui s'écoulent de mes yeux
Des poulpes grouillent partout où se tiennent les
murailles
Entendez battre leur triple cœur et leur bec cogner aux
vitres
Maison humide
Maison ardente
Saison rapide
Saison qui chante
Les avions pondent des œufs
Attention on va jeter l'ancre
Attention à l'encre que l'on jette
Il serait bon que vous vinssiez du ciel
Le chèvrefeuille du ciel grimpe
Les poulpes terrestres palpitent
Et puis nous sommes tant et tant à être nos propres
fossoyeurs
Pâles poulpes des vagues crayeuses ô poulpes aux becs
pâles
Autour de la maison il y a cet océan que tu connais
Et qui ne se repose jamais
MERVEILLE DE LA GUERRE
Que c'est beau ces fusées qui illuminent la nuit
Elles montent sur leur propre cime et se penchent pour
regarder
Ce sont des dames qui dansent avec leurs regard pour
yeux bras et cœurs
Jai reconnu ton sourire et ta vivacité
C'est aussi l'apothéose quotidienne de toutes mes Bérénices
dont les chevelures sont devenues des comètes
Ces danseuses surdorées appartiennent à tous les temps
et à toutes les races
Elles accouchent brusquement d'enfants qui n'ont que
le temps de mourir
Comme c'est beau toutes ces fusées
Mais ce serait bien plus beau s'il y en avait plus encore
S'il y en avait des millions qui auraient un sens complet
et relatif comme les lettres d'un livre
Pourtant c'est aussi beau que si la vie même sortait des
mourants
Mais ce serait plus beau encore s'il y en avait plus
encore
Cependant je les regarde comme une beauté qui s'offre
et s'évanouit aussitôt
Il me semble assister à un grand festin éclairé à giorno
C'est un banquet que s'offre la terre
Elle a faim et ouvre de longues bouches pâles
La terre a faim et voici son festin de Balthasar
cannibale
Qui aurait dit qu'on pût être à ce point anthropophage
Et qu'il fallût tant de feu pour rôtir le corps humain
C'est pourquoi l'air a un petit goût empyreumatique qui
n'est ma foi pas désagréable
Mais le festin serait plus beau encore si le ciel y mangeait
avec la terre
il n'avale que les âmes
Ce qui est une façon de ne pas se nourrir
Et se contente de jongler avec des feux versicolores
Mais j'ai coulé dans la douceur de cette guerre avec
toute ma compagnie au long des longs boyaux
Quelques cris de flamme annoncent sans cesse ma
présence
J'ai creusé le lit ou je coule en me ramifiant en mille
petits fleuves qui vont partout
Je suis dans la tranchée de première ligne et cependant
je suis partout ou plutôt je commence à être partout
C'est moi qui commence celte chose des siècles à venir
Ce sera plus long à réaliser que non la fable d'Icare
volant
Je lègue à l'avenir l'histoire de Guillaume Apollinaire
Qui fut à la guerre et sut être partout
Dans les villes heureuses de l'arrière
Dans tout le reste de l'univers
Dans ceux qui meurent en piétinant dans le barbelé
Dans les femmes dans les canons dans les chevaux
Au zénith au nadir aux 4 point cardinaux
Et dans l'unique ardeur de cette veillée d'armes
Et ce serait sans doute bien plus beau
Si je pouvais supposer que toutes ces choses dans lesquelles
je suis partout
Pouvaient m'occuper aussi
Mais dans ce sens il n'y a rien de fait
Car si je suis partout à cette heure il n'y a cependant
que moi qui suis en moi
EXERCICE
Vers un village de l'arrière
S'en allaient quatre bombardiers
Ils étaient couverts de poussière
Depuis la tête jusqu'aux pieds
Ils regardaient la vaste plaine
En parlant entre eux du passé
Et ne se retournaient qu'à peine
Quand un obus avait toussé
Tous quatre de la classe seize
Parlaient d'antan non d'avenir
Ainsi se prolongeait l'ascèse
Qui les exerçait à mourir
À L'ITALIE
À Ardengo Soffici
L'amour a remué ma vie comme on remue la terre dans
la zone des armées
J'atteignais l'âge mûr quand la guerre arriva
Et dans ce jour d'août 1915 le plus chaud de l'année
Bien abrité dans l'hypogée que j'ai creusé moi-même
C'est à toi que je songe Italie mère de mes pensées
Et déjà quand von Kluck marchait sur Paris avant la
Marne
J'évoquais le sac de Rome par les Allemands
Le sac de Rome qu'ont décrit
Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l'Arétin
Je me disais
Est-il possible que la nation
Qui est la mère de la civilisation
Regarde sans la défendre les efforts qu'on fait pour la
détruire
Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes
Les fantômes des Esclaves toujours frémissants
Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES
Nous l'armée invisible aux cris éblouissants
Plus doux que n'est le miel et plus simples qu'un peu de
terre
Nous te tournons bénignement le dos Italie
Mais ne t'en fais pas nous t'aimons bien
Italie mère qui est aussi notre fille
Nous sommes là tranquillement et sans tristesse
Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins
nous tombions
Nous savons qu'un autre prendrait notre place
Et que les Armées ne périront jamais
Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits
C'est la guerre qui est longue
Italie
Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une
sœur
J'ai comme toi pour me réconforter
Le quart de pinard
Qui met tant de différence entre nous et les Boches
J'ai aussi comme toi l'envol des compagnies de perdreaux
des 75
Comme toi je n'ai pas cet orgueil sans joie des Boches
et je sais rigoler
Je ne suis pas sentimental à l'excès comme le sont ces
gens sans mesure que leurs actions dépassent sans
qu'ils sachent s'amuser
Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu'ils
emploient
Elle est au delà de la vie confortable
Et de ce qui est l'extérieur dans l'art et l'industrie
Les fleurs sont nos enfants et non les leurs
Même la fleur de lys qui meurt au Vatican
La plaine est infinie et les tranchées sont blanches
Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles
Sur les roses momentanés des éclatements
Et les nuits sont parées de guirlandes d'éblouissements
De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées
Nous jouissons de tout même de nos souffrances
Notre humeur est charmante l'ardeur vient quand il
faut
Nous sommes narquois car nous savons faire la part des
choses
Et il n'y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades
que chez celui qui plume les patates
Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots
sonores
Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de
la majesté héroïque et le courageux honneur
individuel
Nous avons le sourire nous devinons ce qu'on ne nous
dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui
se dégonflent sauraient à l'occasion faire preuve de
l'esprit de sacrifice qu'on appelle la bravoure
Et nous fumons du gros avec volupté
C'est la nuit je suis dans mon blockhaus éclairé par
l'électricité en bâton
Je pense à toi pays des 2 volcans
Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au
moment de Messine
Je salue le Colleoni équestre de Venise
Je salue la chemise rouge
Je t'envoie mes amitiés Italie et m'apprête à applaudir
aux hauts faits de ta bleusaille
Non parce que j'imagine qu'il y aura jamais plus de
bonheur ou de malheur en ce monde
Mais parce que comme toi j'aime à penser seul et que
les Boches m'en empêcheraient
Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous
avons l'un et l'autre si on les laissait faire serait vite
remplacé par je ne sais quelles commodités dont je
n'ai que faire
Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et
qu'eux voudraient nous forcer à ne plus choisir
Une même destinée nous lie en cette occase
Ce n'est pas pour l'ensemble que je le dis
Mais pour chacun de toi Italie
Ne te borne point à prendre les terres irrédentes
Mets ton destin dans la balance où est le nôtre
Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux
d'escargots
Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la
terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins
Notre armée invisible est une belle nuit constellée
Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux
Ô nuit ô nuit éblouissante
Les morts sont avec nos soldats
Les morts sont debout dans les tranchées
Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimées
Ô Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers
Nous jetons nos villes comme des grenades
Nos fleuves sont brandis comme des sabres
Nos montagnes chargent comme cavalerie
Nous reprendrons les villes les fleuves les collines
De la frontière helvétique aux frontières bataves
Entre toi et nous Italie
Il y a des patelins pleins de femmes
Et près de toi m'attend celle que j'adore
Ô Frères d'Italie
Ondes nuages délétères
Métalliques débris qui vous rouillez partout
Ô frères d'Italie vos plumes sur la tête
Italie
Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras
Et ce soldat blessé toujours debout Arras
Et maintenant chantons ceux qui sont morts
Ceux qui vivent
Les officiers les soldats
Les flingots Rosalie le canon la fusée l'hélice la pelle les
chevaux
Chantons les bagues pâles les casques
Chantons ceux qui sont morts
Chantons la terre qui bâille d'ennui
Chantons et rigolons
Durant des années
Italie
Entends braire l'âne boche
Faisons la guerre à coups de fouets
Faits avec les rayons du soleil
Italie
Chantons et rigolons
Durant des années
LA TRAVERSÉE
Du joli bateau de Port-Vendres
Tes yeux étaient les matelots
Et comme les flots étaient tendres
Dans les parages de Palos
Que de sous-marins dans mon âme
Naviguent et vont l'attendant
Le superbe navire où clame
Le chœur de ton regard ardent.
IL Y A
Il y un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait
des asticots dont naîtraient les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus
autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz
asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de
Nietzsche de Goethe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon porte-carte plusieurs photos de mon
amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des
pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de
l'Arbre isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme
l'horizon dont il s'est indignement revêtu et avec
quoi il se confond
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications
de la T S F sur l'Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour
les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris
devant un Christ sanglant à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci de-là
Il y a des figues de barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j'avais fait dans une fusée de 15 centimètres
et qu'on n'a pas laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leurs cours
Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse
sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été
à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les
campagnes occidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent
s'ils les reverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de
l'invisibilité
L'ESPIONNE
Pâle espionne de l'Amour
Ma mémoire à peine fidèle
N'eut pour observer cette belle
Forteresse qu'une heure un jour
Tu te déguises
À ta guise
Mémoire espionne du cœur
Tu ne retrouves plus l'exquise
Ruse et le cœur seul est vainqueur
Mais la vois-tu cette mémoire
Les yeux bandés prête à mourir
Elle affirme qu'on peut l'en croire
Mon cœur vaincra sans coup férir
LE CHANT D'AMOUR
Voici de quoi est fait le chant symphonique de l'amour
Il y a le chant de l'amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d'amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées comme des
pièces contre avions
Le hurlement précieux de Jason
Le chant mortel du cygne
Et l'hymne victorieux que les premiers rayons du soleil
ont fait chanter à Memnon l'immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement
Il y a aussi les cris d'amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes
tropicales
Le tonnerre des artilleries qui accomplissent le terrible
amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Il y a là le chant de tout l'amour du monde
AUSSI BIEN QUE LES CIGALES
SIMULTANÉITÉS
Les canons tonnent dans la nuit
On dirait des vagues tempête
Des cœurs où pointe un grand ennui
Ennui qui toujours se répète
Il regarde venir là-bas
Les prisonniers L'heure est si douce
Dans ce grand bruit ouaté très bas
Très bas qui grandit sans secousse
Il tient son casque dans ses mains
Pour saluer la souvenance
Des lys des roses des jasmins
Éclos dans les jardins de France
Et sous la cagoule masqué
Il pense à des cheveux si sombres
Mais qui donc l'attend sur le quai
Ô vaste mer aux mauves ombres
Belles noix du vivant noyer
La grand folie en vain vous gaule
Brunette écoute gazouiller
La mésange sur ton épaule
Notre amour est une lueur
Qu'un projecteur du cœur dirige
Vers l'ardeur égale du cœur
Qui sur le haut Phare s'érige
Ô phare-fleur mes souvenirs
Les cheveux noirs de Madeleine
Les atroces lueurs des tirs
Ajoutent leur clarté soudaine
À tes beaux yeux ô Madeleine
DU COTON DANS LES OREILLES
Ceux qui revenaient de la mort
En attendaient une pareille
Et tout ce qui venait du nord
Allait obscurcir le soleil
Mais que voulez-vous
c'est son sort
Allô la truie
C'est quand sonnera le réveil
ALLÔ LA TRUIE
La sentinelle au long regard
La sentinelle au long regard
Et la cagnat s'appelait
La sentinelle au long regard la sentinelle au large regard
Allô la truie
Tant et tant de coquelicots
D'où tant de sang a-t-il coulé
Qu'est-ce qu'il se met dans le coco
Bon sang de bois il s'est saoulé
Et sans pinard et sans tacot
Avec de l'eau
Allô la truie
Le silence des phonographes
Mitrailleuses des cinémas
Tout l'échelon là-bas piaffe
Fleurs de feu des lueurs-frimas
Puisque le canon avait soif
Allô la truie
Et les trajectoires cabrées
Trébuchements de soleils-nains
Sur tant de chansons déchirées
Il a l'Étoile du Bénin
Mais du singe en boîtes carrées
Crois-tu qu'il y aura la guerre
Allô la truie
Ah! s'il vous plaît
Ami l'Anglais
Ah! qu'il est laid
Ton frère ton frère ton frère de lait
Et je mangeais du pain de Gênes
En respirant leurs gaz lacrymogènes
Mets du coton dans tes oreilles
D'siré
Puis ce fut cette fleur sans nom
À peine un souffle un souvenir
Quand s'en allèrent les canons.
Au tour des roues heure à courir
La baleine a d'autres fanons
Éclatements qui nous fanons
Mais mets du coton dans des oreilles
Evidemment les fanions
Des signaleurs
Allô la truie
Ici la musique militaire joue
Quelque chose
Et chacun se souvient d'une joue
Rose
Parce que même les airs entraînants
Ont quelque chose de déchirant quand on les entend à
la guerre
Écoute s'il pleut écoute s'il pleut
Les longs boyaux où tu chemines
Adieu les cagnats d'artilleurs
Tu retrouveras
La tranchée en première ligne
Les éléphants des pare-éclats
Une girouette maligne
Et les regards des guetteurs las
Qui veillent le silence insigne
Ne vois-tu rien venir
au
Pé
ris
co
pe
La balle qui froisse le silence
Les projectiles d'artillerie qui glissent
Comme un fleuve aérien
Ne mettez plus de coton dans les oreilles
Ça n'en vaut plus la peine
Mais appelez donc Napoléon sur la tour
Allô
Le petit geste du fantassin qui se gratte au
où les totos le démangent
La vague
Dans les caves
Dans les caves
LE DÉPART
Et leurs visages étaient pâles
Et leurs sanglots s'étaient brisés
Comme la neige aux purs pétales
Ou bien tes mains sur mes baisers
Tombaient les feuilles automnales
LE VIGNERON CHAMPENOIS
Le régiment arrive
Le village est presque endormi dans la lumière parfumée
Un prêtre a le casque en tête
La bouteille champenoise est-elle ou non une artillerie
Les ceps de vigne comme l'hermine sur un écu
Bonjour soldats
Je les ai vus passer et repasser en courant
Bonjour soldats bouteilles champenoises où le sang
fermente
Vous resterez quelques jours et puis remonterez en ligne
Echelonnés ainsi que sont les ceps de vigne
J'envoie mes bouteilles partout comme les obus d'une
charmante artillerie
La nuit est blonde ô vin blond
Un vigneron chantait courbé dans sa vigne
Un vigneron sans bouche au fond de l'horizon
Un vigneron qui était lui-même la bouteille vivante
Un vigneron qui sait ce qu'est la guerre
Un vigneron champenois qui est un artilleur
C'est maintenant le soir et l'on joue à la mouche
Puis les soldats s'en iront là-haut
Où l'Artillerie débouche ses bouteilles crémantes
Allons Adieu messieurs tâchez de revenir
Mais nul ne sait ce qui peut advenir
CARTE POSTALE
Je t'écris de dessous la tente
Tandis que meurt ce jour d'été
Où floraison éblouissante
Dans le ciel à peine bleuté
Une canonnade éclatante
Se fane avant d'avoir été
ÉVENTAIL DES SAVEURS
SOUVENIRS
Deux lacs nègres
Entre une forêt
Et une chemise qui sèche
Bouche ouverte sur un harmonium
C'était une voix faite d'yeux
Tandis qu'il traîne de petites gens
Une toute petite vieille au nez pointu
J'admire la bouillotte d'émail bleu
Mais le rat pénètre dans le cadavre et y demeure
Un monsieur en bras de chemise
Se rase près de la fenêtre
En chantant un petit air qu'il ne sait pas très bien
Ça fait tout un opéra
Toi qui te tournes vers le roi
Est-ce que Dieu voudrait mourir encore
L'AVENIR
Soulevons la paille
Regardons la neige
Écrivons des lettres
Attendons des ordres
Fumons la pipe
En songeant à l'amour
Les gabions sont là
Regardons la rose
La fontaine n'a pas tari
Pas plus que l'or de la paille ne s'est terni
Regardons l'abeille
Et ne songeons pas à l'avenir
Regardons nos mains
Qui sont la neige
La rose et l'abeille
Ainsi que l'avenir
UN OISEAU CHANTE
Un oiseau chante ne sais où
C'est je crois ton âme qui veille
Parmi tous les soldats d'un sou
Et l'oiseau charme mon oreille
Écoute il chante tendrement
Je ne sais pas sur quelle branche
Et partout il va me charmant
Nuit et jour semaine et dimanche
Mais que dire de cet oiseau
Que dire des métamorphoses
De l'âme en chant dans l'arbrisseau
Du cœur en ciel du ciel en roses
L'oiseau des soldats c'est l'amour
Et mon amour c'est une fille
La rose est moins parfaite et pour
Moi seul l'oiseau bleu s'égosille
Oiseau bleu comme le cœur bleu
De mon amour au cœur céleste
Ton chant si doux répète-le
À la mitrailleuse funeste
Qui claque à l'horizon et puis
Sont-ce les astres que l'on sème
Ainsi vont les jours et les nuits
Amour bleu comme est le cœur même
CHEVAUX DE FRISE
Pendant le blanc et nocturne novembre
Alors que les arbres déchiquetés par l'artillerie
Vieillissaient encore sous la neige
Et semblaient à peine des chevaux de frise
Entourés de vagues de fils de fer
Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps
Un arbre fruitier sur lequel s'épanouissent
Les fleurs de l'amour
Pendant le blanc et nocturne novembre
Tandis que chantaient épouvantablement les obus
Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient
Leurs mortelles odeurs
Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine
La neige met de pâles fleurs sur les arbres
Et toisonne d'hermine les chevaux de frise
Que l'on voit partout
Abandonnés et sinistres
Chevaux muets
Non chevaux barbes mais barbelés
Et je les anime tout soudain
En troupeau de jolis chevaux pies
Qui vont vers toi comme de blanches vagues
Sur la Méditerranée
Et t'apportent mon amour
Roselys ô panthère ô colombes étoile bleue
ô Madeleine
Je t'aime avec délices
Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
Si je pense à ta bouche les roses m'apparaissent
Si je songe à tes seins le Paraclet descend
Ô double colombe de ta poitrine
Et vient délier ma langue de poète
Pour te redire
Je t'aime
Ton visage est un bouquet de fleurs
Aujourd'hui je te vois non Panthère
Mais Toutefleur
Et je te respire ô ma Toutefleur
Tous les lys montent en toi comme des cantiques
d'amour et d'allégresse
Et ces chants qui s'envolent vers toi
M'emportent à ton côté
Dans ton bel Orient où les lys
Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
Me font signe de venir
La fusée s'épanouit fleur nocturne
Quand il fait noir
Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
De larmes heureuses que la joie fait couler
Et je t'aime comme tu m'aimes
Madeleine
CHANT DE L'HONNEUR
LE POÈTE
Je me souviens ce soir de ce drame indien
Le Chariot d'Enfant un voleur y survient
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille
Quelle forme il convient de donner à l'entaille
Afin que la beauté ne perde pas ses droits
Même au moment d'un crime
Et nous aurions je crois
À l'instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N'est la plupart du temps que la simplicité
Et combien j'en ai vu qui morts dans la tranchée
Étaient restés debout et la tête penchée
S'appuyant simplement contre le parapet
J'en vis quatre une fois qu'un même obus frappait
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes
Avec l'aspect penché de quatre tours pisanes
Depuis dix jours au fond d'un couloir trop étroit
Dans les éboulements et la boue et le froid
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture
Anxieux nous gardons la route de Tahure
J'ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure
Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir
Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d'obus sur nos têtes s'écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C'est une fleur qui s'ouvre et puis s'évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie
Séjour de l'insomnie incertaine maison
De l'Alerte la Mort et la Démangeaison
LA TRANCHÉE
Ô jeunes gens je m'offre à vous comme une épouse
Mon amour est puissant j'aime jusqu'à la mort
Tapie au fond du sol je vous guette jalouse
Et mon corps n'est en tout qu'un long baiser qui mord
LES BALLES
De nos ruches d'acier sortons à tire-d'aile
Abeilles le butin qui sanglant emmielle
Les doux rayons d'un jour qui toujours renouvelle
Provient de ce jardin exquis l'humanité
Aux fleurs d'intelligence à parfum de beauté
LE POÈTE
Le Christ n'est donc venu qu'en vain parmi les hommes
Si des fleuves de sang limitent les royaumes
Et même de l'Amour on sait la cruauté
C'est pourquoi faut au moins penser à la Beauté
Seule chose ici-bas qui jamais n'est mauvaise
Elle porte cent noms dans la langue française
Grâce Vertu Courage Honneur et ce n'est là
Que la même Beauté
LA FRANCE
Poète honore-la
Souci de la Beauté non souci de la Gloire
Mais la Perfection n'est-ce pas la Victoire
LE POÈTE
Ô poètes des temps à venir ô chanteurs
Je chante la beauté de toutes nos douleurs
J'en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux
Donner un sens sublime aux gestes glorieux
Et fixer la grandeur de ces trépas pieux
L'un qui détend son corps en jetant des grenades
L'autre ardent à tirer nourrit les fusillades
L'autre les bras ballants porte des seaux de vin
Et le prêtre-soldat dit le secret divin
J'interprète pour tous la douceur des trois notes
Que lance un loriot canon quand tu sanglotes
Oui donc saura jamais que de fois j'ai pleuré
Ma génération sur ton trépas sacré
Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude
Chantez ce que je chante un chant pur le prélude
Des chants sacrés que la beauté de notre temps
Saura vous inspirer plus purs plus éclatants
Que ceux que je m'efforce à moduler ce soir
En l'honneur de l'Honneur la beauté du Devoir
17 décembre 1915
CHEF DE SECTION
Ma bouche aura des ardeur de géhenne
Ma bouche te sera un enfer de douceur et de séduction
Les anges de ma bouche trôneront dans ton cœur
Les soldats de ma bouche te prendront d'assaut
Les prêtres de ma bouche encenseront ta beauté
Ton âme s'agitera comme une région pendant un
tremblement de terre
Tes yeux seront alors chargés de tout l'amour qui s'est
amassé dans les regards de l'humanité depuis qu'elle
existe
Ma bouche sera une armée contre toi une armée pleine
de disparates
Variée comme un enchanteur qui sait varier ses
métamorphoses
L'orchestre et les chœurs de ma bouche te diront mon
amour
Elle te le murmure de loin
Tandis que les yeux fixés sur la montre j'attends la
minute prescrite pour l'assaut
TRISTESSE D'UNE ÉTOILE
Une belle Minerve est l'enfant de ma tête
Une étoile de sang me couronne à jamais
La raison est au fond et le ciel est au faîte
Du chef où dès longtemps Déesse tu t'armais
C'est pourquoi de mes maux ce n'était pas le pire
Ce trou presque mortel et qui s'est étoilé
Mais le secret malheur qui nourrit mon délire
Est bien plus grand qu'aucun âme ait jamais celé
Et je porte avec moi cette ardente souffrance
Comme le ver luisant tient son corps enflammé
Comme au cœur du soldat il palpite la France
Et comme au cœur du lys le pollen parfumé
LA VICTOIRE
Un coq chante je rêve et les feuillards agitent
Leurs feuilles qui ressemblent à de pauvres marins
Ailés et tournoyants comme Icare le faux
Des aveugles gesticulant comme des fourmis
Se miraient sous la pluie aux reflets du trottoir
Leurs rires amassés en grappes de raisin
Ne sors plus de chez moi diamant qui parlais
Dors doucement tu es chez toi tout t'appartient
Mon lit ma lampe et mon casque troué
Regards précieux saphirs taillés aux environs de
Saint-Claude
Les jours étaient une pure émeraude
Je me souviens de toi ville des météores
Ils fleurissaient en l'air pendant ces nuits où rien ne
dort
Jardins de la lumière où j'ai cueilli des bouquets
Tu dois en avoir assez de faire peur à ce ciel
Qu'il garde son hoquet
On imagine difficilement
À quel point le succès rend les gens stupides et tranquilles
À l'institut des jeunes aveugles on a demandé
N'avez-vous point de jeune aveugle ailé
Ô bouches l'homme est à la recherche d'un nouveau
langage
Auquel le grammairien d'aucune langue n'aura rien à dire
Et ces vieilles langues sont tellement près de mourir
Que c'est vraiment par habitude et manque d'audace
Qu'on les fait encore servir à la poésie
Mais elles sont comme des malades sans volonté
Ma foi les gens s'habitueraient vite au mutisme
La mimique suffit bien au cinéma
Mais entêtons-nous à parler
Remuons la langue
Lançons des postillons
On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de
nouveaux sons
On veut des consonnes sans voyelles
Des consonnes qui pèsent sourdement
Imitez le son de la toupie
Laisser pétiller un son nasal et continu
Faites claquer votre langue
Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans
civilité
Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle
consonne
Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours
claironnants
Habituez-vous à roter à volonté
Et quelle lettre grave comme un son de cloche
À travers nos mémoires
Nous n'aimons pas assez la joie
De voir les belles choses neuves
Ô mon amie hâte-toi
Crains qu'un jour un train ne t'émeuve
Plus
Regarde-le plus vite pour toi
Ces chemins de fer qui circulent
Sortiront bientôt de la vie
Ils seront beaux et ridicules
Deux lampes brûlent devant moi
Comme deux femmes qui rient
Je courbe tristement la tête
Devant l'ardente moquerie
Ce rire se répand
Partout
Parlez avec les mains faites claquer vos doigts
Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour
Ô paroles
Elles suivent dans la myrtaie
L'Eros et l'Antéros en larmes
Je suis le ciel de la cité
Écoutez la mer
La mer gémir au loin et crier toute seule
Ma voix fidèle comme l'ombre
Veut être enfin l'ombre de la vie
Veut être ô mer vivante infidèle comme toi
La mer qui a trahi des matelots sans nombre
Engloutit mes grand cris comme des dieux noyés
Et la mer au soleil ne supporte que l'ombre
Que jettent des oiseaux les ailes éployées
La parole est soudaine et c'est un Dieu qui tremble
Avance et soutiens-moi je regrette les mains
De ceux qui les tendaient et m'adoraient ensemble
Quelle oasis de bras m'accueillera demain
Connais-tu cette joie de voir des choses neuves
Ô voix je parle le langage de la mer
Et dans le port la nuit les dernières tavernes
Moi qui suis plus têtu que non l'hydre de Lerne
La rue où nagent mes deux mains
Aux-doigts subtils fouillant la ville
S'en va mais qui sait si demain
La rue devenait immobile
Qui sait ou serait mon chemin
Songe que les chemins de fer
Seront démodés et abandonnés dans peu de temps
Regarde
La Victoire avant tout sera
De bien voir au loin
De tout voir
De près
Et que tout ait un nom nouveau
LA JOLIE ROUSSE
Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut
connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour
Ayant su quelquefois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l'Artillerie et l'Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutte
Je sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seul
pourrait des deux savoir
Et sans m'inquiéter aujourd'hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de
l'invention
De l'Ordre et de l'Aventure
Vous dont la bouche est faite à l'image de celle de Dieu
Bouche qui est l'ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
À ceux qui furent la perfection de l'ordre
Nous qui quêtons partout l'aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons vous donner de vastes et d'étranges
domaines
Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité
Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout
se tait
Il y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenir
Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières
De l'illimité et de l'avenir
Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés
Voici que vient l'été la saison violente
Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps
Ô Soleil c'est le temps de la Raison ardente
Et j'attends
Pour la suivre toujours la forme noble et douce
Qu'elle prend afin que je l'aime seulement
Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant
Elle a l'aspect charmant
D'une adorable rousse
Ses cheveux sont d'or on dirait
Un bel éclair qui durerait
Ou ces flammes qui se pavanent
Dans les roses-thé qui se fanent
Mais riez riez de moi
Hommes de partout surtout gens d'ici
Car il y a tant de choses que je n'ose vous dire
Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire
Ayez pitié de moi
ONDES
LIENS
LES FENÊTRES
PAYSAGE
LES COLLINES
ARBRE
LUNDI RUE CHRISTINE
LETTRE-OCÉAN
SUR LES PROPHÉTIES
LE MUSICIEN DE SAINT-MERRY
LA CRAVATE ET LA MONTRE
UN FANTOME DE NUÉES
CŒUR COURONNE ET MIROIR
TOUR
VOYAGE
À TRAVERS L'EUROPE
IL PLEUT
ÉTENDARDS
LA PETITE AUTO
LA MANDOLINE l'ŒILLET ET LE BAMBOU
FUMÉE
À NÎMES
LA COLOMBE POIGNARDÉE ET LE JET D'EAU
2e CANONNIER CONDUCTEUR
VEILLE
OMBRE
C'EST LOU QU'ON LA NOMMAIT
CASE D'ARMONS
LOIN DU PIGEONNIER
RECONNAISSANCE
S. P.
VISÉE
1915
CARTE POSTALE
SAILLANT
GUERRE
MUTATION
ORACLES
14 JUIN 1915
DE LA BATTERIE DE TIR
ÉCHELON
VERS LE SUD
LES SOUPIRS DU SERVANT DE DAKAR
TOUJOURS
FÊTE
MADELEINE
LES SAISONS
VENU DE DIEUZE
LA NUIT D'AVRIL 1915
LUEURS DES TIRS
LA GRACE EXILÉE
LA BOUCLE RETROUVÉE
REFUS DE LA COLOMBE
LES FEUX DU BIVOUAC
LES GRENADINES REPENTANTES
TOURBILLON DE MOUCHES
L'ADIEU DU CAVALIER
LE PALAIS DU TONNERRE
PHOTOGRAPHIE
L'INSCRIPTION ANGLAISE
DANS L'ABRI-CAVERNE
FUSÉE
DÉSIR
CHANT DE L'HORIZON EN CHAMPAGNE
OCÉAN DE TERRE
OBUS COULEUR DE LUNE
MERVEILLE DE LA GUERRE
EXERCICE
À L'ITALIE
LA TRAVERSÉE
IL Y A
L'ESPIONNE
LE CHANT D'AMOUR
AUSSI BIEN QUE LES CIGALES
SIMULTANÉITÉS
DU COTON DANS LES OREILLES
LA TÊTE ÉTOILÉE
LE DÉPART
LE VIGNERON CHAMPENOIS
CARTE POSTALE
ÉVENTAIL DES SAVEURS
SOUVENIRS
L'AVENIR
UN OISEAU CHANTE
CHEVAUX DE FRISE
CHANT DE L'HONNEUR
CHEF DE SECTION
TRISTESSE D'UNE ÉTOILE
LA VICTOIRE
LA JOLIE ROUSSE
001—Paysage
[Maison] voici la maison où naissent les étoiles et les divinités
[Arbre] cet arbrisseau qui se prépare à fructifier te ressemble
[Personnage] amants couchés ensemble vous vous séparerez mes membres
[Cigare] un cigare allumé qui fume
002—Lettre-océan
[Première image]
Je traverse la ville nez en avant et je la coupe en 2
J'étais au bord du Rhin quand tu partis pour le Mexique
Ta voix me parvient malgré l'énorme distance
Gens de mauvaise mine sur le quai à la Vera Cruz
[Carte postale]
Les voyageurs de l'Espagne devant faire
le voyage de Coatzalcoalcos pour s'embarquer
je t'envoie cette carte au lieu
de profiter du courrier de Vera Cruz qui n'est pas sûr
Tout est calme ici et nous sommes dans l'attente
Des événements.
[à gauche]
Juan Aldama
Correos
Mexico
4 centavos
U.S. Postage
2 cents 2
[au centre]
Ypiranga
Republica Mexicana
Tarjeta Postal
[à droite]
11.45
29-5
14
Rue des Batignolles
[motif circulaire, centre]
Sur la rive gauche devant le pont d'Iéna
[motif circulaire, rayons]
Zut pour M. Zun
arrêtez cocher
Vive le Roy
Evviva il Papa
ta gueule mon vieux pad
non si vous avez une moustache
La Tunisie tu fondes un journal
Jacques c'était délicieux
A bas la calotte
Des clefs j'en ai vu mille et mille
Hou le croquant
Vive la République
[à droite du motif circulaire]
TSF
[bas de l'image]
Bonjour Anomo Anora
Tu ne connaîtras jamais bien les Mayas
[Deuxième image]
Te souviens-tu du tremblement de terre entre 1885 et 1890
on coucha plus d'un mois sous la tente
bonjour mon frère Albert à Mexico
Jeunes filles à Chapultepec
[Motif circulaire, centre]
Haute de 300 mètres
Sirènes
Hou ou ou ou ou ou ou ou Hou Hou Hou
Autobus
R r o o o to ro ro ro ting ting ro o changement de section ting ting
Gramophones
z z z z z z z z z z z z ou ou ou o o o o o o de vos jardins fleuris
fermez les portes
Les chaussures neuves du poète
cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré cré
cré cré cré cré cré cré cré
[Motif circulaire, rayons]
et comment j'ai brûlé le dur avec ma gerce
rue St-Isidore à La Havane ça n'existe +
Chirimoya
A la Crème à
Pendeco c'est + qu'un imbécile
Il appelait l'Indien Hijo de la Cingada
priétaire de 5 ou 6 im
je me suis levé à 2h. du matin et j'ai déjà bu un mouton
le câblogramme comportait 2 mots en sûreté
allons circulez Mes
ture les voyageurs pour Chatou
Toussaint Luca est maintenant à Poitiers
003—La cravate et la montre
[cravate]
la cravate douloureuse que tu portes et qui t'orne ô civilisé ôte-la
si tu veux bien respirer
[montre, remontoir]
comme l'on s'amuse bien
[bord droit de la montre]
la beauté de la vie passe la douleur de mourir
[heures]
mon cœur
les yeux
l'enfant
Agla
la main
Tircis
semaine
l'infini redressé par un fous de philosophe
les Muses aux portes de ton corps
le bel inconnu
et le vers dantesque luisant et cadavérique
les heures
[aiguilles]
Il est – 5
Et tout sera fini
004—coeur, couronne et miroir
[cœur]
Mon Cœur semblable à une flamme renversée
[couronne]
Les rois qui meurent tour à tour renaissent au cœur des poètes
[miroir]
Dans ce miroir je suis enclos vivant et vrai comme on imagine les anges
et non comme sont les reflets
Guillaume Apollinaire
005—Voyage
[nuage]
Adieu amour nuage qui fuis
et n'a pas chu pluie fécondante
refais le voyage de Dante
[oiseau]
télégraphe
oiseau qui laisse tomber
ses ailes partout
[train]
où va donc ce train qui meurt au loin
dans les vals et les beaux bois frais du tendre été si pâle
[ciel]
la douce nuit lunaire et pleine d'étoiles
c'est ton visage que je ne vois plus
006—Il pleut
Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans
le souvenir c'est vous aussi qu'il pleur merveilleuses rencontres de
ma vie ô gouttelettes et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout
comme un univers de villes auriculaires écoute s'il pleut tandis que
le regret et le dédain pleurent une ancienne musique écoute tomber les
liens qui te retiennent en haut et en bas
007—La petite auto
Je n'oublierai jamais ce voyage nocturne ou nul de nous ne dit un mot
Ô départ sombre où mouraient nos 3 phares
ô nuit tendre d'avant la guerre
ô villages où se hâtaient les
maréchaux-ferrants rappelés
entre minuit et une heure du matin
vers Lisieux la très bleue
ou bien
Versailles d'or
et 3 fois nous nous arrêtâmes pour changer un pneu quyi avait éclaté.
008—La mandoline l'œillet et le bambou
[la mandoline]
comme la balle à travers le corps le son traverse la vérité car la raison
c'est ton art femme
o batailles la terre tremble comme une ma[n]doline
[l'œillet]
Que cet œillet te dise la loi des odeurs qu'on n'a pas encore promulguée
et qui viendra un jour régner sur nos cerveaux bien + précise &
+ subtile que les sons qui nous dirigent
Je préfère ton nez à tous tes organes ô mon amie
Il est le trône de la future sagesse
[le bambou]
Ô nez de la pipe les odeurs-centre fourneau y forgent les chaînes univers
infiniment déliées qui lient les autres raisons formelles
009—La colombe poignardée et le jet d'eau
[colombe]
douces figures poignardées
chères lèvres fleuries
Mia Mareye Yette Lorie
Annie et toi Marie
où êtes-vous ô jeunes filles
Mais près d'un jet d'eau qui pleure et prie
cette colombe s'extasie
[jet d'eau]
Tous les souvenirs de naguère
Ô mes amis partis en guerre
Jaillissent vers le firmament
Et vos regards en l'eau dormant
Meurent mélancoliquement
Où sont-ils Braque et Max Jacob
Derain aux yeux gris comme l'aube
Où sont Raynal Billy Dalize
Dont les noms se mélancolisent
Comme des pas dans une église
Où est Cremnitz qui s'engagea
Peut-être sont-ils morts déjà
De souvenirs mon âme est pleine
Le jet d'eau pleure sur ma peine
[bassin]
Ceux qui sont partis à la guerre au nord se battent maintenant
Le soir tombe Ô sanglante mer
Jardins où saigne abondamment le laurier rose fleur guerrière
010—2e canonnier conducteur
[trompette]
As-tu connu la putain de Nancy
qui a foutu la vxxxxx à toute l'artillerie
l'artillerie ne s'est pas aperçu qu'elle avait mal au [cul]
[botte]
Sacré nom de Dieu quelle allure nom de Dieu quelle allure cependant
que la nuit descend
[Notre-Dame]
souvenirs de Paris avant la guerre ils seront bien plus doux
après la victoire
[Tour Eiffel]
salut monde dont je suis la langue éloquente que sa bouche ô Paris tire
et tirera toujours aux Allemands
[obus]
j'entends chanter l'oiseau le bel oiseau rapace
011—Loin du pigeonnier
Et vous savez pourquoi
Pourquoi la chère couleuvre
Se love de la mer jusqu'à l'espoir attendrissant de l'Est
Xexaèdres
barbelés
mais un secret
collines bleues
en sentinelle
Malourène 75 Canteraine
Ô gerbes des 305 en déroute
Dans la Forêt où nous chantons
012—S.P.
Qu'est-ce qu'on y met
Dans la case d'armons
Espèce de poilu de mon cœur
Pan pan pan
Perruque à perruque
Pan pan pan
Perruque à canon
Pour lutter contre les vapeurs
les lunettes pour protéger les yeux
au moyen d'un masque nocivité gaz
un tissu trempé mouchoir des nez
dans la solution de bicarbonate de sodium
les masques seront simplement mouillés des larmes de rire de rire
013—Visée
Chevaux couleur cerise limite des Zélandes
Des mitrailleuses d'or coassent des légendes
Je t'aime liberté qui veilles dans les hypogées
Harpe aux cordes d'argent ô pluie ô ma musique
L'invisible ennemi plaie d'argent au soleil
Et l'avenir secret que la fusée élucide
Entends nager le Mot poisson subtil
Les villes tour à tour deviennent des clefs
Le masque bleu comme met Dieu son ciel
Guerre paisible ascèse solitude métaphysique
Enfant aux mains coupées parmi les roses oriflammes
014—1915
1915
soldats de faïence et d'escarboucle
ô amour
015—Carte postale
Nous sommes bien
mais l'auto-bazar que l'on dit merveilleux
ne vient pas jusqu'ici
LUL
on les aura
faire suivre route transparente
France
016—Saillant
[quand survient la] torpille aérienne
Le balai de verdure
T'en souviens-tu
Il est ici dans les pierres
Du beau royaume dévasté
[à gauche]
Salut le Rapace
Salut
[à droite]
grain de blé
[fin du poème]
Lou
Lou Verzy
Vive le capiston
017—Échelon
[à gauche]
On tire contre avions
Verdun
[au centre]
Le Ciel
Coquelicots
Flacon au col d'or
On a pendu la mort
A la lisière du bois
On a pendu la mort
Et ses beaux seins dorés
Se montrent tour à tour
[à droite]
L'orvet
Le sac à malice
La trousse à boutons
018—Madeleine
[étoile]
Dans le village arabe
Des Souvenirs
mais il y a d'autres chansons
[lettre]
Bonjour mon poète
Je me souviens de votre voix
Votre petite fée
Photographie tant attendue
[canons]
Far tiz rose
018—Venu de Dieuze
Halte là
[ficelle]
mesure du doigt
Qui vive
France
Avance au ralliement
Halte là
Le Mot
Claire-Ville-Neuve-En-Cristal-Eternel
[portée]
forte s'allantanado
funambule des lianes du printemps
tu assassines les arbres qui sont tes G.V.C.
La poule d'eau caquète et plonge à ton approche
Cantato
Ah ! mon Dieu m' quiot' fille
L'hommé qu' j'ai
C'est eun' mouq' dans d' l'huile
Tout à fouait
Couple des marais les turquoises
Hennissements partout
Amour sacré amour de la Patrie
Le général
Il était Antisthène et c'était Fabius
019—Aussi bien que les cigales
gens du midi ne savez pas M gens du mi creuser que ais di vous n' vous ne sa vous avez donc vez pas vous savez pas regar éclairer ni encore dé les ciga voir Que vous boire com le jour les que vous manque-t-il me les ci de gloire donc pour gales ô se voir aus gens du mi c ra si bien di gens du reusez ce que les soleil gens qui voyez bu lui ciga devriez savoir vez pissez où les creuser et voir comme vous aussi bien pour le les ciga sau moins aussi bien les rez que les cigales creu Eh quoi! vous savez gens du Midi il faut ser boire et ne savez creuser voir boire pour plus pisser utile pisser aussi bien que bien ment comme les les cigales sor cigales LA JOIE pour chan tir ADORABLE ter com au DE LA PAIX me elles so SOLAIRE leil
020—Du coton dans les oreilles
[première page]
Tant d'explosifs sur le point vif !
Ecris un mot si tu l'oses ?
Les points d'impact dans mon âme toujours en guerre
Ton troupeau féroce crache le feu
Ô Mégaphone
[écriteau]
Les Cénobites tranquilles
[pluie]
puis écoutez tomber la pluie si tendre et si douce
soldats aveugles perdus parmi les chevaux de frise sous la lune liquide
des Flandres à l'agonie sous la pluie fine la pluie su tendre et si douce
confondez-vous avec l'horizon beaux êtres invisibles sous la pluie fine
la pluie si tendre et si douce
Les longs boyaux où tu chemines
Adieu les cagnats d'artilleurs
021—Éventail des saveurs
[coiffure]
Attols singuliers
de brownings quel
goût de vivre Ah !
[œil gauche]
Des lacs versicolores
dans les glaciers solaires
[œil droit]
Mes tapis de la saveur moussons des sons obscurs
et ta bouche au souffle azur
[doigt]
1 tout petit oiseau qui n'a pas de queue et qui s'envole quand on lui en met une
[bouche]
ouïs ouïs les pas le phonographe ouïs ouïs l'aloès
éclater et le petit mirliton