Title: En Virginie, épisode de la guerre de sécession
Author: Jean de Villiot
Release date: December 23, 2019 [eBook #61008]
Language: French
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JEAN DE VILLIOT
ÉPISODE DE LA GUERRE DE SÉCESSION
PRÉCÉDÉ D'UNE ÉTUDE
SUR
L'ESCLAVAGE ET LES PUNITIONS CORPORELLES
EN AMÉRIQUE
ET SUIVI D'UNE
BIBLIOGRAPHIE RAISONNÉE
DES PRINCIPAUX OUVRAGES FRANÇAIS ET ANGLAIS SUR LA FLAGELLATION
PARIS
CHARLES CARRINGTON, ÉDITEUR
13, FAUBOURG MONTMARTRE, 13
1901
«La vérité, l'âpre vérité,» s'est écrié Danton. Nous aussi, nous voulons la vérité, toute la vérité. Dussent quelques-uns en être froissés, nous la voulons surtout sur des sujets historiques qui nous paraissent avoir été le point de départ, sinon le motif, de la révolution qui s'est accomplie dans nos mœurs au cours de ce siècle. Nous ne vivons que par le souvenir, et, seule, l'Histoire peut évoquer à nouveau les heures qu'elle a vécues. Nous entreprenons donc ce livre avec la ferme conviction de faire œuvre utile en dévoilant des faits certainement ignorés de la masse du Public, faits qui nous semblent intéressants puisqu'ils sont intimement liés aux événements qui marquent l'évolution de notre civilisation moderne.
Il n'est pas absolument indispensable, quand on traite des matières quelque peu délicates et spéciales, de tomber dans la crudité, comme aussi il est possible de ne pas donner un tour de phrase pornographique à des relations qui ne se rapportent qu'à des faits matériels, à des choses arrivées et qui, par conséquent, ne peuvent être que naturelles, car tout ce qui se passe sous le ciel ne peut être d'une autre essence. Un sentiment littéraire de mauvais aloi, une tartuferie affectée, sont mille fois plus méprisables et plus pernicieux que la bonne franchise et la liberté d'expression quand elles n'ont d'autre but que de mettre à nu, combattre, flageller, les vices des hommes.
Nous déclarerons d'abord franchement que la présente étude n'est pas écrite pour les enfants, grands ou petits, qui n'y verraient, ou plutôt ne voudraient y voir qu'un appel à une excitation malsaine, but duquel nous nous éloignerons sensiblement. Peut-être quelques-uns de nos lecteurs persisteront-ils quand même à trouver le mal là où il n'existe pas; mais entre ceux-ci et nous, nous placerons le bon proverbe:
A ces lecteurs nous recommanderons encore—et ils feront sagement de suivre notre conseil—de fermer vite ce livre, de le jeter loin, sans achever de le lire afin que leurs chastes pensées ne soient ainsi nullement troublées par cette lecture. Nous avons la prétention d'écrire pour les admirateurs du vrai, de la Nature, et rien n'est plus beau que la Nature, dans toute sa splendeur nue, quelquefois aussi dans toute sa hideur. Nous la décrivons telle qu'elle est, dépouillée de tous les voiles dont la pudibonderie exagérée se plaît de la recouvrir.
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On aurait tort de s'imaginer que l'usage des verges a été de tout temps un apanage des sectes religieuses ou autres et bon nombre de littérateurs ont, dans leurs œuvres, largement usé de la flagellation et s'en sont fait un sujet pour contenter une certaine catégorie de lecteurs… malades.
Nous le répétons,—et nous ne saurions trop le redire—nous n'avons nullement l'intention de mettre sous les yeux de personnes vicieuses, des scènes plus ou moins impudiques; contre de pareilles peintures s'élèverait à bon droit la morale publique.
Ce genre de littérature est, d'ailleurs, réprouvé des honnêtes gens, et c'est pour ceux-là seuls que nous écrivons, et comme c'est aux lecteurs intelligents que nous nous adressons, nous voudrions que les autres se rassurent dans le cas où leur esprit maladif ne pourrait approuver un ouvrage qui, ne répondant pas à leurs goûts, ne saurait être, par cela même, un remède à leur état d'âme. Qu'ils le critiquent donc, en poussant leur cri de protestation au nom de la morale outragée. Nous serons entièrement satisfaits de leur feinte indignation.
C'est surtout d'Outre-Manche que nous arrive la fausse pudibonderie. Il existe en effet, quelque part, à Londres, une société dite de Vigilance Nationale (?) laquelle s'érige en juge de nos actions, de nos mœurs, de nos livres. Cette société, qui se figure que son action a moralisé complètement les mœurs britanniques, opère maintenant chez nous, couvrant de sa surveillance, comme d'une égide, la pudique vertu d'Albion menacée par nos écrits.
Cependant, John Bull avoue parfois qu'il peut être un pécheur; mais, alors, il explique l'accusation qu'il porte contre lui-même, en faisant remarquer avec hypocrisie, qu'il n'est pas loin d'être aussi mauvais que d'autres…
Les mœurs anglaises sont curieuses. Leur isolement, leurs habitudes monacales exaltent les passions en les concentrant. Un reste de puritanisme les aggrave.
Là, règne cette dangereuse maxime qu'une austérité rigoureuse est la seule sauvegarde de la vertu. Le mot le plus innocent effraye; le geste le plus naturel devient un attentat. Les sentiments, ainsi réprimés, ou s'étouffent ou éclatent d'une manière terrible. Tout pour le vice ou tout pour la vertu, point de milieu; les caractères se complaisent dans l'extrême, et l'on voit naître des pruderies outrées et des monstres de licence; il y a des dévotes qui craignent de prononcer le mot shirt (chemise) et des femmes hardies, montrant dans l'accomplissement de la faute suprême la plus douce sérénité.
La société de Vigilance Nationale n'a rien à faire avec notre livre. La pruderie légendaire de nos voisins doit nous préserver de ses démarches; aussi, est-ce avec peine que nous avons vu le Parquet français donner suite à des dénonciations venues d'Outre-Manche. Si la justice française—dont le rôle est de se prononcer moins sur la forme que sur le fond de tout ouvrage incriminé—continue à prêter une oreille attentive et complaisante aux dénonciations hypocrites des puritains anglais, nous verrons bientôt ceux-ci s'abattre sur les étalages de nos librairies.
Ils en supprimeront tout ce qui ne leur conviendra pas,—à moins que ce ne soit pour emporter et lire, quand ils seront seuls, bien seuls, ces pages défendues qu'ils sont les premiers à honnir… en public…
Et quand on songe aux livres qu'ils trouvent immoraux, on frémit à la pensée d'être bientôt obligé de se passer de lire autre chose que la Bible.
La Bible! Ah! messieurs, entendons-nous! Voilà un livre qui vous est cher et qui nous appartient aussi bien qu'à vous, mais nous avons pris la précaution de l'expurger, et si la lecture en est ennuyeuse, du moins ne présente-t-elle aucun danger, tandis que telle que vous l'avez traduite, nous n'en permettrions la lecture à nos enfants que lorsqu'ils pourraient justifier de leurs quarante-cinq ans!
C'est ici que se place une admirable page de la préface de la Chanson des Gueux[1]:
[1] Jean Richepin. La Chanson des Gueux. Édition définitive, Paris, M. Dreyfous, 1881.
La gauloiserie, les choses désignées par leur nom, la bonne franquette d'un style en manches de chemises, la gueulée populacière des termes propres n'ont jamais dépravé personne. Cela n'offre pas plus de dangers que le nu de la peinture et de la statuaire, lequel ne paraît sale qu'aux chercheurs de saletés.
Ce qui trouble l'imagination, ce qui éveille les curiosités malsaines, ce qui peut corrompre, ce n'est pas le marbre, c'est la feuille de vigne qu'on lui met, cette feuille de vigne qui raccroche les regards, cette feuille de vigne qui rend honteux et obscène ce que la nature a fait sacré.
Mon livre n'a pas de feuille de vigne et je m'en flatte. Tel quel, avec ses violences, ses impudeurs, son cynisme, il me paraît autrement moral que certains ouvrages, approuvés cependant par le bon goût, patronnés même par la vertu bourgeoise, mais où le libertinage passe sa tête de serpent tentateur entre les périodes fleuries, où l'odeur mondaine du lubin se marie à des relents de marée, où la poudre de riz qu'on vous jette aux yeux a le montant pimenté du diablotin, romans d'une corruption raffinée, d'une pourriture élégante, qui cachent des moxas vésicants sous leur style tempéré, aux fadeurs de cataplasme. La voilà, la littérature immorale! C'est cette belle et honnête dame, fardée, maquillée, avec un livre de messe à la main, et dans ce livre des photographies obscènes, baissant les yeux pour les mieux faire en coulisse, serrant pudiquement les jambes pour jouer plus allègrement de la croupe, et portant au coin de la lèvre, en guise de mouche, une mouche cantharide. Mais, morbleu! ce n'est pas la mienne, cette littérature!
La mienne est une brave et gaillarde fille, qui parle gras, je l'avoue, et qui gueule même, échevelée, un peu ivre, haute en couleur, dépoitraillée au grand air, salissant ses cottes hardies et ses pieds délurés dans la glu noire de la boue des faubourgs ou dans l'or chaud des fumiers paysans, avec des jurons souvent, des hoquets parfois, des refrains d'argot, des gaietés de femme du peuple, et tout cela pour le plaisir de chanter, de rire, de vivre, sans arrière-pensée de luxure, non comme une mijaurée libidineuse qui laisse voir un bout de peau afin d'attiser les désirs d'un vieillard ou d'un galopin, mais bien comme une belle et robuste créature, qui n'a pas peur de montrer au soleil ses tétons gonflés de sève et son ventre auguste où resplendit déjà l'orgueil des maternités futures.
Par la nudité chaste, par la gloire de la nature, si cela est immoral, eh bien! alors, vive l'immoralité! Vire cette immoralité superbe et saine, que j'ai l'honneur de pratiquer après tant de génies devant qui l'humanité s'agenouille, après tous les auteurs anciens, après nos vieux maîtres français, après le roi Salomon lui-même, qui ne mâchait guère sa façon de dire, et dont le Cantique des Cantiques, si admirable, lui vaudrait aujourd'hui un jugement à huis-clos.
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Que pourrions-nous ajouter à ce qui précède?
Nous tenions simplement à mettre le public d'amateurs et de bibliophiles, auquel nous nous adressons exclusivement, en garde contre les menées d'un petit nombre de faux apôtres qui ont la prétention—et peut-être la conviction—de nous empêcher d'exposer un sujet délicat, comme s'il n'était pas possible de le faire sans tomber dans l'obscénité.
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Nous ferons précéder notre récit d'une explication destinée à éclairer le lecteur sur les pratiques en usage dans la flagellation des esclaves en Amérique, avant l'époque où se passe notre action.
Ce sujet nous a semblé intéressant au plus haut point, c'est pourquoi nous n'hésitons pas à publier ces pages.
L'histoire de l'esclavage et la traite des noirs, tels qu'ils ont existé autrefois, tels qu'ils se dissimulent aujourd'hui, est encore à faire et cette plaie, que l'Humanité porte au flanc depuis l'enfance du Monde, ne peut se fermer sans avoir été sondée.
Le document contient des détails souvent monstrueux, parfois horribles, toujours répugnants, sur les pratiques révoltantes auxquelles se livraient les maîtres à l'égard de la race réprouvée et maudite.
Reportons-nous tout d'abord à l'histoire de l'esclavage en Amérique, où il était établi péremptoirement que ce système—l'esclavage—ne pouvait être maintenu que par la force brutale; cette déclaration ne put que gagner en autorité, les propriétaires d'esclaves ayant légalement le droit de leur infliger des peines corporelles. Une loi, établie en 1740, tout à l'avantage des maîtres d'esclaves, disait que «dans le cas où une personne, volontairement (ce qui est fort discutable) couperait la langue, éborgnerait, ou priverait d'un membre un esclave, en un mot, lui infligerait une punition cruelle autre qu'en le fouettant ou le frappant avec un fouet, une lanière de cuir, une gaule ou une badine, ou en le mettant aux fers ou en prison, ladite personne devra payer, pour chaque délit de cette sorte, une amende de cent livres sterling (2.500 francs).»
D'autre part, on lisait dans le code civil de la Louisiane:
«L'esclave est entièrement soumis à la volonté de son maître, qui peut le corriger et le châtier, mais non avec trop de rigueur, de façon à ne pas le mutiler, l'estropier, ou l'exposer à perdre la vie.»
En résumé, le droit pour le maître de battre son esclave comme il l'entendait et de lui infliger des punitions corporelles autant que son bon plaisir le lui commandait, mais sans le mutiler ou le tuer, ce droit était parfaitement établi par la loi des États esclavagistes du Sud; et, dans au moins deux États, le maître était expressément autorisé à se servir d'un fouet ou d'une lanière de cuir comme instruments de supplice.
Parfois, un esclave était flagellé jusqu'à ce que la mort s'en suivit, et ces cas n'étaient malheureusement pas rares. Un nommé Simon Souther fut traduit devant les Assises d'octobre 1850, dans le comté de Hanover (État de Massachusetts), pour meurtre d'un esclave; reconnu coupable, il fut condamné à cinq ans de détention. A cette occasion, le juge Field fit au jury le récit de la punition infligée à l'esclave:
Le nègre avait été attaché à un arbre et fouetté avec des baguettes flexibles. Lorsque Souther était las de frapper, il se faisait remplacer par un nègre qui continuait la flagellation avec des tiges de bois mince. Le malheureux esclave avait été frappé également avec la dernière cruauté par une négresse aux ordres du maître, puis horriblement brûlé sur diverses parties du corps. Il fut ensuite inondé d'eau chaude dans laquelle on avait fait tremper des piments rouges. Attaché à un poteau de lit, les pieds étroitement serrés dans une brèche, le nègre poussait d'affreux hurlements. Souther n'en continua pas moins à accabler le pauvre martyr, sur le corps duquel il se ruait et frappait des poings et des pieds. Cette dernière phase de la punition fut continuée et répétée jusqu'à ce que l'esclave mourut.
Le planteur féroce fit appel de la condamnation qui le frappait si justement et si peu, mais la Cour suprême confirma la sentence, estimant, dans ses conclusions, que le prévenu aurait dû être simplement pendu pour homicide volontaire.
Dans un autre cas qui fut jugé à Washington même l'année suivante, le colonel James Castleman fut poursuivi pour avoir fouetté un esclave jusqu'à la mort. Il n'en fut pas moins acquitté. Ce colonel fit ensuite rédiger et publier par son avocat, une brochure dans laquelle il défendait sa réputation. On y lisait que deux de ses esclaves, surpris en état de vol, furent immédiatement punis pour ce méfait. Le premier, nommé Lewis, fut fustigé au moyen d'une large courroie de cuir. Il avait été sévèrement puni, mais le colonel estimait que la rigueur du châtiment n'excédait pas l'importance du vol commis par l'esclave. Il admettait cependant que son compagnon avait été plus cruellement châtié et que si Lewis était mort, il n'y avait de la faute de personne: Lewis, en effet, après avoir subi la première partie de sa peine, avait été attaché au moyen d'une chaîne à une poutre, et suspendu par le cou. Il y avait juste assez de longueur de chaîne pour lui permettre seulement de se tenir debout et droit; s'il s'appuyait d'un côté ou d'un autre, s'il se courbait, le carcan devait l'étrangler. C'est du reste ce qui se produisit.
A l'occasion des Procès libérateurs, qui eurent lieu à Boston en 1851, un policeman, cité comme témoin, affirmait qu'il était de son devoir d'agent de police d'appréhender toute personne de couleur, qu'il trouvait dans les rues après une certaine heure. Tout délinquant était mis au poste, et le lendemain matin, comparaissait devant un magistrat qui le condamnait invariablement à recevoir trente-neuf coups de fouet. Les policemen touchaient un salaire supplémentaire: un demi-dollar (2 fr. 50) pour l'exécution de cette punition. Des hommes, des femmes, des enfants furent fouettés ainsi fréquemment par la police, et ce à la demande formelle de leurs maîtres eux-mêmes.
Weld, dans son Slavery as it is (L'Esclavage tel qu'il est) publié en 1839, raconte le fait suivant qui indique comment étaient traités les esclaves qui s'évadaient:
«Une belle mulâtresse d'une vingtaine d'années, à l'esprit indépendant et qui ne pouvait supporter la dégradation de l'esclavage, s'était à différentes reprises, enfuie de chez son maître; pour ce crime elle avait été envoyée au Workhouse (maison des pauvres) de Charleston, pour y être fouettée par le gardien. L'exécution eut lieu avec un tel raffinement de cruauté que sur le dos de la malheureuse pendaient de sanglants lambeaux de peau; il n'eût pas été possible de placer la largeur d'un doigt entre les très nombreuses plaies qui y saignaient. Mais l'amour de la liberté s'était développé chez cette femme; elle oublia la torture et la fuite qui en avait été la cause, et elle réussit à s'évader de nouveau sans qu'on pût jamais la retrouver.»
Pour démontrer la nécessité des punitions corporelles, Olmsted nous fournit l'anecdote suivante: «Une dame de New York, allant passer l'hiver dans un des États du Sud, avait loué les services d'une esclave, qui, un jour, refusa catégoriquement de faire certain petit travail domestique qui lui était commandé. A de douces remontrances: «Vous ne pouvez m'y forcer, répondait-elle, et je ne veux pas faire ce que vous me demandez là; je ne crains nullement que vous me fouettiez.» La domestique parlait avec raison; la dame ne pouvait pas la fouetter, et, d'un cœur plus sensible que ses congénères, ne voulait point appeler un homme pour faire cette besogne, ou envoyer sa domestique à un poste de police pour y être fouettée, comme il était d'usage dans les États du Sud.
Pour ne pas laisser de marques sur le dos des esclaves, et ne pas abaisser leur valeur marchande (!), on avait substitué, en Virginie, aux instruments habituels de punition, la courroie élastique et la palette scientifique. Par le vieux système, la lanière de cuir coupait et lacérait d'une façon si déplorable la peau, que la valeur des esclaves s'en trouvait singulièrement diminuée lorsqu'ils devaient être vendus sur un marché; aussi l'usage de la courroie était-il un immense progrès dans l'art de fouetter les nègres. On assure qu'avec cet instrument, il était possible de flageller un homme jusqu'à le mettre à deux doigts de la mort, et cependant, sa peau ne portant nulle trace de violences, il en sortait sans dommage apparent.
La palette est une large et mince férule de bois, dans laquelle sont percés un grand nombre de petits trous; lorsqu'un coup est porté avec cet instrument, ces trous, par suite du mouvement précipité et de l'épuisement partiel de l'air qui s'y produit, agissent comme de véritables ventouses, et on assurait que l'application continuelle de cet instrument produisait absolument les mêmes résultats que ceux de la lanière de cuir.
L'enrôlement des nègres dans les armées fédérales pendant la guerre de Sécession a montré jusqu'à quel point terrible les esclaves avaient été soumis à la flagellation. M. de Pass, chirurgien d'un régiment de Michigan, cantonné dans le Tennessee, dit que sur 600 recrues nègres qu'il avait eu à examiner, une sur cinq portait des marques de fustigations sévères, et la plupart montraient de nombreuses cicatrices qu'on n'aurait pu couvrir avec deux doigts. Il avait même rencontré jusqu'à mille stigmates provenant de flagellations excessives, et plus de la moitié des hommes qui se présentaient durent être rejetés pour incapacité physique, causée par les coups reçus, et par des morsures de chiens, visibles sur leurs mollets et leurs cuisses. M. Westley Richards, autre chirurgien, dit que sur 700 nègres qu'il avait examinés, la moitié au moins de ces esclaves portait les marques de fustigations cruelles et de mauvais traitements divers: quelques-uns avaient reçu des coups de couteau, d'autres portaient des traces de brûlures; d'autres enfin avaient eu les membres brisés à coups de matraque.
La flagellation des esclaves se pratiquait parfois de la façon suivante: le coupable était étendu la face contre terre, ses bras et ses jambes attachés à des pitons ou à des anneaux, et, son immobilité ainsi bien assurée, il était fouetté jusqu'à la dernière limite.
Une torture encore plus raffinée consistait à ensevelir le malheureux dans un trou juste suffisant pour contenir son corps, de fixer une porte mobile, ou trappe au-dessus de sa tête, et de l'y laisser de trois semaines à un mois—si, bien entendu, il ne succombait pas avant l'expiration du terme.
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Les coutumes des races aborigènes de l'Amérique sont peu connues, et il nous serait impossible de dire d'une façon bien affirmative, que la flagellation ou les punitions corporelles faisaient partie du système judiciaire des Peaux-Rouges. Nous reviendrons donc aux premiers colons, ceux surtout qui s'établirent au Nord, emportant de chez eux la ferme croyance que le fouet était un réformateur efficace pour le maintien de la bonne moralité. En eux était également ancrée cette intolérance religieuse, dont ils cherchaient vainement à s'affranchir et qui était précisément l'une des principales causes de leur immigration.
Le poteau d'exécution restait en permanence—il existe d'ailleurs encore dans certaines provinces des États-Unis—et ce furent surtout les Quakers[2] qui goûtèrent les premiers les bienfaits de la flagellation. Les chefs et les prédicateurs de cette secte furent longtemps persécutés. A Boston, en 1657, une femme nommée Mary Clark, accusée de prêcher cette doctrine, fut condamnée à recevoir vingt coups d'un fouet formé de grosses cordes à nœud et manié à deux mains par le bourreau. Puis l'infortunée expia encore, par une année de prison, le crime d'avoir exprimé librement son opinion. Deux prédicateurs, Christopher Holder et John Copeland furent chassés de leur ville natale après avoir été fouettés, et d'autres personnes punies également pour avoir montré quelque sympathie à l'égard de ces deux proscrits. Quelque temps après, une femme nommée Gardner fut arrêtée à Weymouth, et dirigée sur Boston où elle et sa servante furent publiquement fouettées avec un chat à neuf queues.
[2] Quakers: sectaires en Angleterre et en Amérique. Ils se reconnaissent au tutoiement.
C'est alors que la loi, dont le texte suit, fut promulguée contre les Quakers:
«Quiconque introduira un quaker dans l'enceinte de cette juridiction (l'État où la loi était en vigueur), sera mis à l'amende de cent livres sterling (2.500 francs) au profit du pays, et maintenu en prison jusqu'au paiement intégral de la somme.
«Quiconque hébergera un quaker, sachant qu'il l'est, sera mis à l'amende de 40 schellings (50 francs) pour chaque heure durant laquelle le quaker aura été hébergé ou caché, et maintenu en prison jusqu'au paiement intégral de ladite amende.
«Tout quaker venant en ce pays sera soumis à cette loi et puni en conséquence, savoir: A la première infraction, si c'est un homme, il lui sera coupé une oreille, puis il sera astreint aux travaux forcés pendant un laps de temps. A la seconde infraction, il lui sera coupé l'autre oreille, et si c'est une femme, elle sera sévèrement fouettée avant son envoi dans une maison de correction et condamnée aux travaux forcés.
«A la troisième infraction, l'accusé, homme ou femme, aura la langue percée d'un fer rouge et sera maintenu définitivement en maison de correction.»
Sous le régime d'une aussi douce loi, les quakers devaient disparaître rapidement. Du moins le pensait-on, et le gouverneur de Plymouth (aux États-Unis) disait «qu'en son âme et conscience, les quakers étaient gens qui méritaient d'être exterminés, eux, leurs femmes et leurs enfants, sans la moindre pitié».
Les colons Hollandais suivirent bientôt l'exemple de leurs voisins les puritains. Un nommé Robert Hodshone, accusé d'avoir tenu une réunion religieuse à Hamstead, fut attaché à l'arrière d'une charrette en compagnie de deux femmes qui lui avaient donné l'hospitalité, et traîné de la sorte jusqu'à New-York. Là, il fut mis dans l'obligation de payer une amende de 600 guilders (1.260 francs environ) et, ne le pouvant pas, fut condamné à travailler à la brouette (terme employé pour les condamnés), sous la surveillance d'un nègre qui avait ordre de le flageller avec des cordes selon son bon plaisir. Le gardien s'acquitta si bien de sa tâche que le malheureux fut bientôt dans l'impossibilité matérielle de faire le moindre travail. Pour ce, mis à nu jusqu'à la ceinture, il fut fouetté tous les deux jours, jusqu'à ce qu'il en mourut.
Les quakers n'en continuaient pas moins à prospérer, à tel point que des mesures plus rigoureuses encore furent prises à leur égard. Un nommé William Robinson fut condamné, à Boston, à subir le fouet, et banni ensuite de la ville, avec défense, sous peine de mort, d'y remettre les pieds. Le malheureux, attaché à l'affût d'un canon, reçut trente coups de fouet.
En 1662, un nommé Josiah Southick, dont les parents avaient été chassés de Boston, retourna dans cette ville. Arrêté immédiatement et attaché demi-nu à une charrette, il fut traîné dans les rues de Boston et fouetté sur tout le parcours, puis reçut la même punition à Rocksbury et le lendemain à Dedham, après quoi on le relâcha. Le fouet qui servit à cette exécution, manié à deux mains par le bourreau, était formé de cordes de boyaux, séchées puis nouées, et fixées à un long manche. La souffrance endurée par le patient fut vraiment terrible.
A Dover (New England), trois femmes, Anne Coleman, Mary Tomkins et Alice Ambrose furent condamnées à la peine du fouet. C'est un curieux document que l'arrêt de prise de corps qui fut lancé contre elles, après la sentence. Le voici:
«Les constables de Dover, Hampton, Salisbury, Newbury, Rowley, Ipswich, Wenham, Lynn, Boston, Roxbury, Dedham, sont requis, au nom du Roi, de s'emparer des Quakeresses (ici les trois noms suivaient), de les attacher à une charrette, et les conduisant à travers leurs villes respectives, de les fouetter sur leurs dos nus, avec un maximum de dix coups par ville; et de les conduire ainsi de commune en commune jusqu'à ce que les condamnées soient hors de cette juridiction, et les constables sus-désignés sont responsables de la bonne exécution de cette sentence.
Fait à Dover, par moi, Richard Malden, ce 22 décembre 1662.
Le sinistre cortège commença par une froide journée de décembre, et les trois malheureuses subirent leur peine stoïquement, excitant sur leur passage la pitié de quelques-uns de leurs doctrinaires. Ces derniers furent immédiatement mis au pilori.
Douces mœurs!…
L'une de ces trois femmes, Anne Coleman, fut de nouveau flagellée à Salem, avec quatre de ses amies. L'instrument employé alors était le chat à neuf queues.
Un nommé Wharton, ayant eu l'imprudence d'aller visiter les victimes dans leur prison, il fut décrété à son égard l'arrêt suivant:
«Aux Constables de Boston, de Charlestown, de Malden, de Lynn.
«Vous êtes requis respectivement.
«D'appréhender en sa propre demeure Edward Wharton, convaincu de vagabondage. Le constable de Boston devra lui appliquer trente coups de fouet sur le corps mis préalablement à nu.
«De le faire passer de commune en commune jusqu'à Salem, qu'il prétend être son lieu de résidence, en le fustigeant comme ordonné.
«La présente vous servira de mandat.
«Boston, le 30 juin 1664.»
Nous citerons encore un cas. C'est celui d'Anne Needham, qui, appartenant à la secte des quakers, fut mise à l'amende à Boston. N'ayant pu payer cette amende, cette femme fut fustigée cruellement et subit courageusement sa peine sans pousser un seul cri.
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Un journal de 1774 raconte de plaisante façon une histoire de flagellation qui trouve ici sa place:
Quelques quarante années auparavant, alors que bon nombre de naïfs avaient à se repentir de leur affiliation à une secte biblique rigoureusement interdite, le capitaine Saint-Léo, commandant d'un navire de guerre, était appréhendé pour s'être promené un dimanche; et ce fait, considéré à cette époque comme un crime, appelait sur la tête du coupable un châtiment exemplaire.
Le coupable fut donc tout d'abord condamné à une forte amende par le juge de paix. Et comme le capitaine, surpris et indigné, se refusait à payer, excipant judicieusement de son ignorance des lois, on s'empara de sa personne. Il fut solidement attaché par la tête et par les pieds à un pilori dressé sur la place publique où les bonnes gens du pays vinrent pieusement lui donner des conseils sur l'observation du dimanche et lui rappeler les inconvénients qui pouvaient résulter d'une promenade à l'heure des offices.
Remis en liberté, le capitaine Saint-Léo reconnut l'incorrection de sa conduite et, publiquement, exprima des regrets; il déclara que, désormais, il était bien décidé à mener une vie pieuse et exempte de reproches. Les saintes personnes, ravies de cette soudaine conversion, l'invitèrent à souper. Le capitaine, décidément bien converti, suivait assidûment les offices religieux. Avant de reprendre la mer, Saint-Léo voulut rendre la politesse qui lui avait été faite; il invita donc une grande partie des sommités de la ville, y compris les prêtres et le juge à un repas à bord de son navire, prêt à mettre à la voile. Un excellent dîner fut, en effet, servi; on vida de nombreux flacons, et la gaîté, quelque peu excitée par de copieuses et franches libations, battait son plein, lorsque, brusquement, une bande de matelots fit irruption dans la cabine du capitaine; ceux-ci se saisirent des convives et, malgré leurs protestations, les pieux invités furent traînés sur le pont, où, solidement attachés, ils reçurent des mains de l'équipage, armées de verges, une magistrale correction, cependant que le capitaine les exhortait au calme, les assurant que la mortification de la chair aidait, après un plantureux repas, à sauver l'âme compromise par la gaieté.
Après quoi, les invités encore ficelés, furent jetés dans leur embarcation, et abandonnés en cet état sur le rivage alors que le navire mettait immédiatement à la voile.
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Le pilori et le poteau ont été et sont encore d'un usage fréquent dans certaines parties des États-Unis. Dans l'État de Delaware, par exemple, il existait, il y a peu de temps, trois poteaux à fouetter: un à Dover, un autre à Georgetown et le troisième à Newcastle. Dans le pays, ce moyen pénal est considéré comme souverainement efficace pour la répression des crimes de peu d'importance.
A Newcastle, le pilori consiste en un très lourd poteau, haut d'environ douze pieds; à mi-hauteur se trouve une plate-forme: à peu près à quatre pieds (1m,22) au-dessus de cette plate-forme, est fixée une traverse percée de trois trous: un pour la tête et le cou du patient, les deux autres pour les mains et les poignets. La punition est infligée par le shérif avec le chat à neuf queues, mais ce magistrat s'acquitte généralement très mal de cette besogne, qu'il considère à juste titre comme dégradante pour sa dignité.
Les noirs supportaient beaucoup mieux que les blancs les tortures de la flagellation. Ces derniers étaient surtout plus affectés de l'infamie attachée à cette punition, que de la douleur pourtant si violente qu'elle occasionnait.
Il y a quelques années seulement, un cas de torture par la flagellation fut le sujet de toutes les conversations. Une jeune fille de dix-sept ans, élève dans une école publique de Cambridge (État de de Massachusetts), ayant commis le crime de chuchoter pendant un cours, fut condamnée par son institutrice à être fouettée. L'enfant, que révoltait un légitime sentiment de pudeur, résista avec tant de force, qu'on dut requérir le directeur et deux de ses aides. Ces trois hommes se saisirent de l'élève, et tandis que deux d'entre eux lui maintenaient les bras et les jambes, le directeur la frappait de vingt coups d'une forte lanière de cuir. Cette punition avait été infligée selon l'ancienne coutume, c'est-à-dire devant toute l'école. L'affaire fut cependant portée devant les tribunaux, mais le personnel de l'école en fut quitte pour une légère admonestation. Néanmoins, quelques mois après, l'affaire ayant eu quelque retentissement, les punitions disciplinaires de cette nature furent abolies dans toutes les écoles des États-Unis.
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La flagellation domestique, que l'on nomme spanking, est en usage un peu partout, aux États-Unis, principalement en ce qui concerne les enfants. Au temps où les puritains régnaient en maîtres, dans ce pays—ça n'a d'ailleurs pas beaucoup changé—la flagellation était la punition ordinaire infligée aux enfants des deux sexes, et, en certains districts, ils devaient s'y soumettre jusqu'à ce qu'ils eussent atteint l'âge du mariage!
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet que nous venons de résumer, et il serait intéressant de faire connaître à fond les coutumes flagellatrices, si nous pouvons nous exprimer ainsi, qui régnèrent et qui règnent encore au Nouveau-Monde. Peut-être un jour donnerons-nous à nos lecteurs, s'ils veulent bien nous suivre sur ce terrain, de plus amples détails sur ces coutumes barbares. Mais, pour les besoins du présent livre, nous avons tenu à faire rapidement l'historique de ces mœurs étranges, historique nécessaire que nous présentons comme la préface de l'histoire dont nous nous sommes inspiré pour notre livre.
Le récit que nous reproduisons est rigoureusement exact quant aux faits, sinon quant aux détails. Il éclairera d'un jour nouveau, du moins l'espérons-nous, les pratiques monstrueuses en usage chez les esclavagistes qui torturaient non seulement par nécessité de répression, mais aussi par dilettantisme, par passion et besoin de cruauté: Flagellandi tam dira Cupido!
Pendant l'été de 1866, peu après la signature du traité de paix qui termina la guerre de Sécession, j'habitais New-York, de retour d'une expédition de chasse et de pêche en Nouvelle-Écosse, attendant le paquebot qui devait me ramener à Liverpool.
J'avais alors trente ans à peine, j'étais robuste, bien portant; encore avais-je une taille qui pouvait passer pour avantageuse: près de six pieds! Mon esprit aventureux et ma curiosité à l'endroit de ce qui m'était inconnu me poussèrent, durant mon séjour à New-York, à parcourir la cité en tous sens, explorant de préférence les plus vilains quartiers de la capitale du Nouveau Monde. Au cours de mes pérégrinations je fis des études de mœurs assez curieuses; j'ai conservé soigneusement des notes qui, peut-être un jour, formeront la relation complète de mes aventures. Cependant, à titre d'essai, je détache cette page du livre de ma vie.
Un après-midi, vers cinq heures, j'étais entré à Central Park afin de m'y reposer un peu en fumant un cigare. Nous étions en pleine canicule; le soleil déclinait vers l'ouest, éclatant encore de toute sa lumineuse splendeur dans un ciel d'un bleu cru. Oisif, je regardais indifféremment les promeneurs, lorsque mon attention fut attirée vers une jeune femme assise sur le banc près duquel je flânais; elle était absorbée dans la lecture d'un livre qui paraissait l'intéresser vivement. Elle pouvait avoir vingt-cinq ans; son visage, d'un ovale régulier, était charmant, et de sa physionomie se dégageait un caractère de douceur infinie. Ses cheveux châtain clair—suivant la mode de la coiffure féminine à cette époque—étaient relevés sur sa tête en un lourd chignon. Sa robe, très simple, quoique de coupe élégante, ses fines bottines et son maintien sérieux, tout en cette jeune femme indiquait une personne du meilleur monde. Je la regardais d'abord à la dérobée; puis la fixais obstinément, comme si j'eusse voulu exercer sur cette belle étrangère un regard fascinateur. Un instant après, en effet, elle eut intuitivement conscience de cette force magnétique; car, levant enfin les yeux, elle m'examina des pieds à la tête; satisfaite sans doute d'une petite perquisition qui paraissait n'avoir rien de désobligeant pour moi, elle me sourit aimablement et me fit un signe discret. C'était évidemment une invitation à venir m'asseoir auprès d'elle. J'avoue que j'en fus tout d'abord on ne peut plus surpris: je ne croyais certes pas avoir affaire à une demi-mondaine.
Une conversation avec une jolie femme ne m'a jamais déplu; c'est pourquoi j'acceptai sans façon la place que m'offrait à côté d'elle la jolie lectrice dont le corsage exhalait des parfums capiteux et singulièrement troublants.
D'un petit air dégagé elle amorça la conversation. Mon inconnue parlait correctement, d'une voix très harmonieuse, à laquelle son accent américain ajoutait un charme infini.
Je la regardais encore. Elle était vraiment adorable: ses longs yeux bleus, son visage un peu pâle, le mignon retroussis de son nez et sa petite bouche joliment meublée de deux rangées de petites dents nacrées, tout cela m'attirait étrangement; elle avait une loquacité de fauvette, babillant gentiment sur toutes choses, en employant des expressions gamines qui m'amusaient fort. Je pris alors la grande résolution non seulement de la reconduire jusqu'à sa porte, mais Dieu et mon porte-monnaie aidant, de me faire offrir une hospitalité toute écossaise. Après quelques instants d'une causerie devenue plus familière, je l'invitai à dîner, ce qui parut la charmer, car elle accepta incontinent, sans se faire prier.
Nous nous installâmes dans un restaurant où je commandai un dîner au Champagne. La soirée s'acheva au théâtre et, la pièce terminée, je hélai un «hack» (voiture de place) et je reconduisis chez elle ma conquête, qui, en route, m'apprit qu'elle s'appelait Dolly.
La maison qu'habitait Dolly était d'élégante apparence; la porte nous fut ouverte par une quarteronne coquettement habillée qui nous introduisit dans un salon. Cette pièce, d'aspect honnête, était meublée avec un goût exquis; le parquet était jonché d'épais tapis d'Orient; des tentures de velours cramoisi pendaient aux portes; tout était d'un confortable parfait.
Dolly m'invita à m'asseoir dans un large fauteuil, et, me priant de l'excuser, se retira dans la pièce voisine qui, ainsi que je fus à même de le savoir plus tard, était sa chambre à coucher. Elle revint au bout d'un instant drapée d'un grand peignoir blanc orné de rubans bleus. Elle était chaussée de jolies sandales; maintenant ses cheveux flottaient sur ses épaules et tombaient jusqu'aux reins.
Elle ne portait sous son peignoir—ainsi que je le vis ensuite—qu'une fine chemise garnie de dentelles et des bas de soie rose, attachés très haut au-dessus du genou par une jarretière de satin rouge. Sous ce vêtement d'intérieur, ma conquête était, au surplus, d'une esthétique qui eût fait rêver Michel-Ange lui-même: sa taille aux courbes accentuées s'élançait hardiment des hanches copieuses et souples et sa peau douce comme un velours, fine comme un satin, frissonnait au moindre baiser de l'air.
Le cerveau troublé par cette apparition, en proie à une fièvre inconnue dont je n'avais encore jamais ressenti les atteintes, fou d'amour, je me précipitai dans sa chambre…
Le lendemain matin, je m'éveillai vers huit heures et demie; ma compagne dormait; ses cheveux épars sur l'oreiller semblaient la nimber de vapeurs. Elle me parut encore plus belle, plus ravissante que la veille; sous la clarté des lumières elle était ainsi adorable. Sa peau gardait une matité incomparable qui semblait lui donner le sommeil; ses seins fermes et blancs comme des dômes neigeux s'agitaient doucement sous l'action de la respiration tranquille.
Cependant elle se réveilla. Ce fut pour moi une joie, comme ce me fut un embarras. Ébloui, je ne savais que lui dire et comme le sujet de la guerre était encore à l'état d'actualité, je lui demandai banalement qui, des Nordistes ou des Sudistes, avaient ses sympathies.
Elle vit mon trouble et ma gaucherie, et répondit:
—Je suis Nordiste, toutes mes sympathies vont donc à mes compatriotes et je suis profondément heureuse que les Sudistes aient été battus, l'esclavage aboli. C'était une atrocité et une honte pour notre pays.
—Mais, lui dis-je, si je m'en rapporte à ce que j'ai entendu dire, il est infiniment probable que les nègres étaient plus heureux avant la guerre, quoique esclaves, qu'ils ne le sont maintenant en tant que citoyens libres.
—Oui, mais ils sont libres, et c'est là un grand point. Peu à peu, les choses s'arrangeront.
—On m'a affirmé que les esclaves étaient généralement bien traités par leurs maîtres.
—Cela peut être exact, mais ils ne jouissaient d'aucune sécurité; du jour au lendemain, vendus à des maîtres étrangers, le mari était séparé de la femme, la mère de l'enfant; de plus, beaucoup de propriétaires traitaient ces malheureux avec la plus grande brutalité, les accablant de travail, les nourrissant plus mal que des chiens. Les filles et les femmes, mistis ou quarteronnes, ne pouvaient rester vertueuses, obligées qu'elles étaient de se plier au désir du maître, et si, par hasard, elles avaient la force de résister, elles étaient fouettées jusqu'au sang.
—Vous m'étonnez… J'avais bien entendu dire que ces pratiques barbares s'exerçaient contre des hommes, mais à l'égard des femmes…
—… Je ne me trompe pas, croyez-moi. Je connais à fond ce sujet; j'ai vécu longtemps moi-même dans un État esclavagiste avant la guerre; aussi ai-je pu étudier la question de très près.
—Les femmes étaient-elles souvent fouettées?
—Je ne pense pas qu'il y ait eu une seule plantation où elles ne fussent punies de cette façon. Naturellement il y avait des maîtres plus mauvais que d'autres, mais ce qui, en tout cas, rendait la punition plus pénible, c'est qu'elle était toujours infligée par des hommes, et souvent devant une réunion d'hommes.
—Sur quelles parties du corps fouettait-on les femmes, demandais-je vivement intéressé, et avec quel instrument était infligé ce châtiment?
—C'était presque toujours le derrière qui avait à supporter les coups. Quant aux instruments affectés à cet usage, les plus répandus étaient la baguette de noisetier, la courroie et la batte.
—La batte?
—Oui, c'est un instrument de bois rond et plat, attaché à un long manche. On l'emploie toujours pour frapper sur le derrière. Chaque coup froisse les chairs, boursoufle la peau d'une large ampoule, mais le sang ne coule pas. La baguette au contraire cingle comme une cravache et, pour peu qu'elle soit appliquée rudement, elle incise la peau et le sang jaillit. Il y avait encore un terrible instrument, qu'on appelait communément la peau-de-vache, mais on ne l'employait que sur les hommes.
—Vous êtes, en vérité, très au courant des différents supplices; mais par quel hasard vous trouviez-vous dans un état esclavagiste?
—J'aidais à tenir une station souterraine; mais savez-vous ce que l'on entendait par là?
Et comme je répondais négativement elle reprit:
—Une station souterraine était une maison dans laquelle les abolitionistes hospitalisaient les nègres marrons. Il y avait plusieurs de ces établissements dans le Sud et les déserteurs étaient envoyés d'une station à l'autre jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus dans un État libre. C'était très dangereux, car l'aide donnée à un nègre marron était considérée comme une grave infraction aux lois des pays du Sud. Tout homme ou femme surpris dans l'accomplissement de cette œuvre d'affranchissement était certain d'avoir à subir une très longue période d'incarcération dans les prisons de l'État, avec, en surcroît, les travaux forcés. De plus, la majeure partie du public s'élevait contre les abolitionistes, non seulement les propriétaires d'esclaves, mais, chose incroyable, les blancs qui ne possédaient pas un seul nègre se déclaraient esclavagistes. Il arrivait souvent que les anti-esclavagistes étaient pris et lynchés. On leur faisait subir mille tortures. Il y en eut que l'on enduisit de goudron et de plumes, d'autres que l'on mit tout nus à cheval sur un rail suspendu…
—Avez-vous eu à subir de pareilles épreuves dans votre station?
—Certes, j'ai eu beaucoup à souffrir, et ce qui m'est arrivé là-bas a changé entièrement le cours de ma vie; mon séjour dans le Sud a fait de moi ce que je suis… une prostituée, ajouta-t-elle tristement. Oh! les Sudistes, comme je les hais! les bêtes féroces! reprit-elle avec une colère rageuse.
Cette exclamation, qui me parut être l'expression de douleurs morales longtemps accumulées, me fit comprendre que ma petite amie devait être l'héroïne d'une histoire intéressante. Ma curiosité se trouvait piquée au vif.
Je repris:
—Je serais bien heureux d'apprendre ce qui vous est arrivé dans le Sud, ma belle amie.
Après un moment d'hésitation, elle se décida à me répondre:
—Je n'ai jamais raconté mon histoire à personne; vous me paraissez cependant d'un naturel affectueux. Je consentirai à vous narrer les épisodes de ma vie extraordinaire, si vous voulez bien me faire le plaisir de dîner ce soir avec moi, sans cérémonie aucune.
J'acceptai cette invitation avec un empressement d'autant plus vif que, très amoureux encore, j'entrevoyais avec chagrin la fin probable de mon aventure galante.
En ce moment on frappa à la porte, et la quarteronne entra, très proprement et presque élégamment vêtue. Elle apportait du thé et des tartines grillées qu'elle plaça à côté du lit.
—Mary, lui dit Dolly, donnez-moi un peignoir. Puis, se tournant vers moi, elle me dit:
—Mary a été esclave pendant vingt-cinq ans, et si cela vous intéresse, vous pouvez la questionner sur sa vie passée, elle vous répondra franchement; d'ailleurs elle n'est pas timide… N'est-ce pas, Mary?
La quarteronne, une grosse bonne femme, sourit largement, montrant une rangée de dents à rendre jalouse une jeune pouliche.
—Non, Miss Dolly, répondit-elle, mo pas timide.
J'étais également tout disposé à questionner Mary.
Je lui demandai.
—Dites-moi, quel âge avez-vous, et de quel État venez-vous?
—Mo qu'avé tente années—me répondit-elle dans un charabia nègre presque incompréhensible,—et mo qu'a été élevée su plantation à vieux Massa Bascombes dans État Alabama. Là s'y trouvait avec mo 150 mouns; dans maison là, mais gagné douze servantes. Mo-même femme de chambre, ajouta-t-elle avec orgueil.
—Votre maître était-il bon pour vous? hasardai-je.
—Mon maît, assez bon Moun, baillé nous bon à manger et li pas demander tavail top gand, mais li sévé, et li fait baillé nous dans son plantation et son case, bon coup de fouets.
—Avez-vous été souvent fouettée, Mary?
Mary me regarda avec un air stupéfait, tant la question lui paraissait extraordinaire.
—Mo qu'a été fouettée bien souvent—dit-elle en gardant son air étonné—mo qu'a vieux sept ans quand mo kimbé première fessade, et mo fini quand mo kimbé vingt-cinq ans une semaine même quand Président baillé liberté à tous nègres.
—Comment avez-vous été fouettée?
—Quand mo pitit fille, mo recevée fessée, et quand mo vini grand fille li baillé mo fessade avec courroie ou baguette bois, mo aussi gagné fessade su mo derrière même tout nu, avec batté, ça qu'a fait mo beaucoup grand mal.
—Qui est-ce qui fouettait les femmes?
—Un capataz, mais, massa li aussi qu'a donné fessée à moun dans chambre même gardée pour ça, femme li qu'a fouettée attachée par terre su banc, jupon li livé et li gagné fessade su derrière même tout nu.
—Les fessées étaient-elles sévèrement données?
—Oh! fouetté la qu'a baillé nous grand mal, nous qu'a crié beaucoup fort, même chose lapin, et fouettée li qu'a duré jusqu'à sang sorti.
Dolly nous interrompit.
—Quand la peau avait été coupée par une fustigation trop vive, dit-elle, les marques ne disparaissaient jamais entièrement. Mary en porte encore les marques à l'heure qu'il est.
Et je m'assurais de visu de la véracité des dires de Dolly.
Je remarquais sur le dos et le postérieur de Mary que la peau était zébrée de longues lignes blanches, profondes, produites par la baguette.
La quarteronne semblait éprouver un certain plaisir à exposer ses charmes, et elle serait sans doute restée longtemps encore dans cette position si sa maîtresse ne l'avait invitée à laisser tomber ses jupons. Elle quitta alors la pièce en souriant, très satisfaite.
—Eh bien! me dit Dolly, vous avez vu les tatouages qui ornent la peau de ma domestique. De plus, elle a été séduite ou, pour mieux dire, prise de force par le fils aîné de son maître; elle n'avait alors que quinze ans. Elle passa ensuite par les caprices des deux plus jeunes, ce qui ne l'empêcha d'ailleurs nullement de recevoir le fouet pour la moindre peccadille. Parfois, m'a-t-elle raconté, elle était dans l'obligation de coucher avec un de ses maîtres et, encore toute saignante de coups, de se plier à toutes ses fantaisies. J'ai à mon service, comme cuisinière, une femme noire de trente-cinq ans environ. Elle vient de la Caroline du Sud. Son corps est encore plus atrocement déchiré que celui de Mary.
Dolly but une gorgée de thé et continua:
—Ne croyez-vous pas maintenant que l'abolition de l'esclavage est une bonne chose?
Je répondis affirmativement.
Nous n'échangeâmes que peu de paroles pendant la fin du déjeuner.
Je m'habillai promptement et quittai Dolly, lui rappelant notre entrevue du soir et sa promesse de me raconter les aventures de sa vie. Je passai une journée agitée, brûlant d'entendre Dolly me raconter des aventures, que je soupçonnais palpitantes et pleines d'intérêt.
L'aiguille du temps tournait trop lentement à mon gré. Enfin, elle marqua sept heures, et j'accourus, on plutôt je courus chez ma nouvelle maîtresse. Elle me reçut avec affabilité, et, après avoir soupé sommairement, tant était grande mon impatience, j'allumai un cigare et m'installai commodément et j'attendis le récit promis. Comme il devait être très long, je résolus d'exercer mes talents sténographiques. L'occasion me parut, d'ailleurs, excellente.
Donc, ce qui suit est l'exacte reproduction des paroles de Dolly. Je les ai reproduites sans y rien ajouter, sans nul commentaire. C'est, en vérité, une confession que je livre au Public. A lui d'en tirer telle instructive moralité qu'il lui plaira.
Pour l'intelligence de mon récit, permettez-moi de vous donner d'abord quelques détails sur mes jeunes ans.
Je m'appelle Dolly Morton, et je viens d'avoir trente ans. Je suis née à Philadelphie où mon père était employé de banque. J'étais fille unique, et ma mère, étant morte alors que j'avais à peine deux ans, je n'ai gardé aucun souvenir de celle qui devait guider mes premiers pas dans la vie.
Nous étions sans fortune, et quoique mon père n'eût que de faibles appointements, je reçus néanmoins une éducation soignée; il avait l'espérance que je pourrais plus tard vivre en donnant des leçons.
Puisque je parle de mon père, je crois nécessaire de vous dire quel était son caractère: c'était un homme froid et réservé, n'ayant jamais eu pour moi la moindre tendresse; je ne reçus de lui aucune marque d'affection paternelle. Peut-être m'aimait-il? C'est probable, quoiqu'il ne le laissât jamais paraître. J'étais fouettée sévèrement pour la moindre incartade et ces punitions honteuses ont laissé gravée dans mon souvenir une impression pénible que je ne me rappelle jamais qu'avec douleur. Après ces corrections j'allais, sanglotant, trouver la vieille servante qui m'avait élevée. Elle me plaignait, me soignait, et tout était fini, jusqu'à ce qu'une autre faute me faisait retomber sous le courroux paternel.
Mon père, d'un caractère peu communicatif, détestait la société. Aussi avais-je peu d'amies. C'est là une faute. Que peut devenir une jeune fille, d'un caractère expansif, partageant son temps entre la lecture et les distractions futiles. Aliments insuffisants pour un esprit vif et imaginaire? Pauvre isolée dans un milieu désert, l'enfant s'étiole, semblable à ces fleurs abandonnées qu'on n'arrose jamais. Je possédais heureusement une bonne santé, un caractère gai, et j'aimais passionnément la lecture. C'était pour moi une grande consolation, et, quoique parfois triste, je n'étais pas en vérité trop malheureuse.
Quand j'atteignis dix-huit ans, cette existence monotone commença à me peser singulièrement et je tentais de prendre quelque liberté. Ceci ne me réussit nullement; mon père, sans s'inquiéter autrement de l'indécence qu'il y avait à fouetter une jeune fille de mon âge, me donna le fouet, promettant d'user couramment de ce moyen de punition jusqu'à ce que j'eusse atteint l'âge de vingt ans. Vous pouvez juger de l'effet produit par la perspective du fouet! Était-ce bien un père qui parlait? Quoi! je me voyais dans l'expectative d'une humiliante correction jusqu'à l'âge de raison, peut-être jusqu'à mon mariage!
Je dus m'incliner; j'étais très romanesque, je rêvais d'amour du matin au soir, mais l'idée de résister à l'auteur de mes jours ne se serait jamais présentée à mon esprit, et j'acceptais les fessées avec toute la philosophie possible.
Cette vie changea brusquement; mon père fut enlevé en quelques jours par une pneumonie et je me vis seule au monde. Tout d'abord, je fus abasourdie, mais je ne ressentis pas un bien vif chagrin; je n'avais jamais éprouvé pour lui qu'une amitié modérée. Ses manières brusques surtout m'affligeaient et étaient cause de mon peu d'affection.
Je n'en étais pas moins seule… bien seule, abandonnée dans un milieu indifférent, sans expérience de la vie, sans défense contre ses embûches; comment ne suis-je pas tombée dans les pièges tendus par le vice, dans les bas-fonds de la débauche, poussée par la misère, la misère, cette pourvoyeuse qui guette et manque rarement sa proie? C'est ce que je ne saurais dire. La destinée me réservait ses coups pour l'avenir.
Mon père mourait, ne laissant que des dettes et la meute sinistre des créanciers commença à gronder. J'étais sans ressources pécuniaires; il fallut donc me résoudre à faire argent de tout, et je vendis de mon mobilier ce qui avait quelque valeur. Ce fut, bien entendu, pour régler les créanciers aux aguets, si bien qu'il ne me resta pas un rouge liard.
Je ne savais où coucher, et ma bonne dut m'offrir une hospitalité qui, pour être généreuse, n'en était pas moins momentanée, c'est-à-dire jusqu'au jour où, rencontrant par bonheur une dame que j'avais un peu connue autrefois, je lui narrai ma détresse. Elle en fut vivement touchée et me recueillit dans sa demeure.
Miss Ruth Dean—c'était le nom de ma bienfaitrice—était quakeresse. Agée de trente ans, vierge sans aucun doute, elle possédait un cœur d'une extrême sensiblerie. Sa bourse était sans cesse ouverte à l'infortune et se vidait généreusement pour les œuvres philanthropiques.
Sans être jolie, elle était agréable, grande et mince, un corps délicat, de grands yeux d'une douceur extrême, des cheveux noirs, peignés en bandeaux, donnaient à son visage une expression de douce quiétude et de sérénité et on y lisait toute la mansuétude d'une âme généreuse. Cependant, douée d'une indomptable énergie, elle supportait sans se plaindre d'accablantes fatigues.
Elle fut pour moi la meilleure des amies, me traita comme une compagne, me fit manger à sa table. Enfin, elle mit une jolie chambre à ma disposition.
Miss Dean avait des correspondants dans toute l'Amérique, et c'est alors que l'instruction que j'avais reçue me fut d'une grande utilité: Miss Dean, en effet, fit de moi son secrétaire, me donnant de petits appointements et tous les vêtements dont j'avais besoin, y compris le linge de corps.
Peu à peu, elle devint pour moi une véritable sœur; elle me trouvait jolie et me le disait; rien n'était trop beau pour satisfaire mes désirs; elle me donnait des jupons et des chemises garnies de dentelles, alors qu'elle revêtait de simples dessous de toile grossière, et une éternelle robe gris perle, toute droite et unie. Ces petits détails me sont chers; ils me rappellent l'époque heureuse de ma vie. Jamais je ne goûtai de bonheur plus grand qu'en ce temps d'existence paisible.
Il est évident qu'une aussi douce personne, au cœur si généreux, ne pouvait aimer l'esclavage.
Miss Dean faisait partie de la ligue abolitioniste et fournissait des fonds aux personnes chargées des stations; elle-même recevait assez souvent des esclaves marrons, ce qu'elle pouvait faire, du reste, ouvertement et sans danger, la Pensylvanie étant un état libre.
Deux ans s'écoulèrent. J'avais beaucoup d'amies, et quoique Miss Dean, en tant que quakeresse, n'aimât les bals ni le théâtre, elle donnait néanmoins de petites soirées; il va sans dire que j'y étais adulée et fêtée et que ma jeune beauté y attirait beaucoup d'adorateurs. Cette existence me plaisait à merveille. Mais ce n'était que le prélude, le tableau enchanteur qui précéda le terrible drame qui allait briser ma carrière.
Les relations entre le Nord et le Sud étaient déjà très tendues lorsque survint la mort de John Brown, le grand abolitioniste. C'était une grande perte pour les amis de la liberté. Miss Dean en fut particulièrement touchée; elle connaissait intimement ce grand homme, et l'applaudissait hautement d'avoir poussé les esclaves à l'émancipation. Tout acte en faveur des malheureux noirs était bon et bien fait à son avis, et elle déclarait qu'elle n'hésiterait pas une seconde à imiter John Brown si l'occasion s'en présentait.
De l'intention à l'action il n'y avait que peu de distance pour Miss Dean: elle résolut de diriger une station souterraine. Elle me fit part de son projet:
—Il y a longtemps que j'aurais dû commencer à aider ces malheureux noirs, me dit-elle. Je suis certaine de diriger la station mieux qu'un homme; les rôdeurs se méfient facilement d'hommes habitant seuls, mais ne supposent nullement qu'une femme ait le courage de faire ce dangereux métier. En vivant tranquillement et en prenant toutes les précautions nécessaires, je ne pourrais être inquiétée.
J'étais moi-même une fervente abolitioniste et l'enthousiasme communicatif de Miss Dean m'enflamma à mon tour. La douleur d'autrui m'a toujours peinée et j'étais décidée à tout risquer pour aider mon amie dans son noble projet. Je lui fis part de ma décision. Elle refusa d'abord de m'écouter, disant que c'était une folie, me faisant envisager les risques d'une telle entreprise et le long emprisonnement que nous aurions à subir si nous venions à être découvertes.
—Non pas, ajouta-t-elle, que j'aie peur de la prison, mais vous, Dolly, vous seriez trop malheureuse. Vous êtes jeune, sensible et peu habituée à souffrir; vous ne pourriez supporter et la mauvaise nourriture et les durs travaux qu'on vous infligerait. De plus, on m'a raconté que dans le Sud, on coupait les cheveux des femmes captives. Non, ma chérie, vraiment, je ne puis vous emmener; si un malheur quelconque vous arrivait, je ne me le pardonnerais jamais.
—Eh! répondis-je, le travail ne m'effraie pas, et mes cheveux ne sont pas si beaux que les vôtres. Je puis donc bien courir les mêmes risques que vous. Ne pensez pas que je veuille vous abandonner au moment du danger. Je veux le partager avec vous, et, bon gré mal gré, vous m'emmènerez, m'écriai-je en l'embrassant câlinement.
Certes, ma fidélité la touchait vivement, mais elle n'était pas encore convaincue.
Enfin j'insistai avec tant de force qu'elle finit par m'accepter comme collaboratrice. Elle écrivit immédiatement à quelques «amis[3]» en les priant de lui faire savoir dans quelle partie du Sud une nouvelle «station» pourrait rendre le plus de services.
[3] Des quakers.
Les réponses ne se firent pas attendre, et, après avoir discuté le pour et le contre de tous les endroits proposés, notre choix s'arrêta sur une maison située au centre de la Virginie, près de la petite ville de Hampton, sur la rivière James, à environ 25 milles de Richmond, la capitale de l'État.
Miss Dean donna immédiatement des ordres afin de louer et préparer la maison pour deux dames qui, pour des raisons de santé, désiraient passer quelque temps en Virginie.
Nous commençâmes nos préparatifs, et mon amie décida de n'emmener qu'une seule domestique. Marthe—c'était son nom—quakeresse comme sa maîtresse, était depuis longtemps à son service. Elle n'ignorait pas le but de notre déplacement, et n'hésitait pas à courir les risques de la prison ou de l'expéditive loi de Lynch.
Par mesure de prudence, nous avions laissé ignorer à tous nos amis l'emplacement exact de notre résidence, nous contentant de répondre aux nombreuses questions qui nous étaient adressées que nous allions faire une excursion dans le Sud.
Quinze jours plus tard, nos préparatifs étant achevés, nous nous mettions en route, et, après un séjour de deux jours à Richmond, nous arrivions à notre nouvelle installation.
Tout était en bon ordre et paraissait confortable dans notre nouvelle demeure. La maison, très isolée, située au bout d'une longue avenue, se cachait dans les terres à un quart de mille de la route. Il y avait cinq grandes pièces et une cuisine; derrière la maison un jardin, rempli de fleurs et d'arbustes, donnait une agréable fraîcheur. Une barrière entourait toute la propriété.
L'aménagement des diverses chambres fut de suite commencé, et Marthe prépara le thé et le servit dans la salle à manger. C'était une grande pièce, basse de plafond, et recevant le jour par deux grandes fenêtres garnies de fleurs. L'ameublement en était original: des objets absolument modernes et des meubles lourds et antiques s'y trouvaient entremêlés. Néanmoins, l'ensemble produisait un agréable effet. Notre lunch terminé, Miss Dean écrivit aux «amis», qui dirigeaient les stations nord et sud, amis avec lesquels nous allions entrer en communication, «que nous pourrions désormais leur être utiles pour faciliter l'évasion des esclaves».
Les plus prochaines stations se trouvaient, au Sud, à trente milles et celle du Nord à vingt-cinq milles.
La correspondance terminée, et comme nous avions grand besoin de repos, nous nous couchâmes.
Le lendemain matin, je me réveillai fraîche et parfaitement disposée, et comme Miss Dean dormait encore, je m'habillai sans bruit et me glissai jusqu'à la porte, dans le but d'explorer les environs.
Au dehors, la végétation était ravissante, et à chaque pas je rencontrai des arbres et des fleurs qui m'étaient inconnus.
Pendant plus d'une heure, j'allai ainsi à l'aventure, sans rencontrer un seul blanc, quoique je visse beaucoup de noirs travaillant dans les champs. Ces braves gens, s'apercevant de la présence d'une étrangère, me regardaient avec de grands yeux surpris, comme des bœufs qui regardent passer un convoi.
Je rentrai enfin. Miss Dean m'attendait pour le déjeuner, que Marthe apporta immédiatement. J'y fis grand honneur, la promenade m'ayant mise en appétit.
Nous fûmes bientôt complètement installées, et, insouciantes du danger, toutes nos précautions ayant été prises, nous semblait-il, aucun mauvais pressentiment ne venait troubler notre quiétude.
La nouvelle vie que j'allais mener m'amusait déjà beaucoup; nous avions fait de nombreuses provisions et caché des matelas et couvertures dans une petite cabane attenante à la maison, dans le cas où un fugitif arriverait de la «station» située au Nord de la nôtre.
Notre maison était fort bien située pour la mission que nous avions à remplir, notre plus proche voisin demeurant à trois milles, et la petite ville de Hampton étant à peu près à la même distance.
La température était très élevée, mais je m'y habituai parfaitement et, tous les jours, je faisais de longues promenades dans la campagne, vêtue d'une robe légère et d'un chapeau de paille; les nègres eurent vite fait de me connaître, et, s'apercevant de l'intérêt que je leur portais, ils m'offraient de nombreux présents, entre autres de beaux morceaux d'opossum et de coon, animaux à chair délicate dont les esclaves étaient très friands.
Souventes fois je me promenai dans les plantations et dans le quartier des esclaves, mais je prenais grand soin à faire ces visites secrètement, car si les propriétaires d'esclaves ou même les blancs des environs s'en étaient aperçus, nos desseins eussent bien vite été découverts.
Trois mois passèrent ainsi tranquillement. Nous recevions en moyenne deux ou trois esclaves fugitifs par semaine. Ils arrivaient généralement à la nuit tombante; nous leur faisions prendre un repas réconfortant et leur donnions un abri dans la cabane. Munis de provisions, ils repartaient le lendemain au soir pour une autre station, se dissimulant soigneusement dans les sentiers ou le long des plantations.
Parfois, trop fatiguées pour continuer leur route, les femmes restaient jusqu'à ce qu'elles fussent en état de partir.
Parmi ces nègres marrons, les uns arrivaient bien vêtus et sans avoir trop souffert, mais d'autres, le plus grand nombre, étaient dans un état horrible. Beaucoup de femmes avaient des enfants sur les bras, quelques-unes venant de la Floride, après une marche pénible et dangereuse.
Presque tous ces évadés portaient des traces récentes de coups de fouet, et certains le stigmate de leur propriétaire imprimé au fer rouge. J'ouvre ici une parenthèse pour vous donner une idée de la misère de ces pauvres diables.
Un soir, nous étions, Miss Dean et moi, tranquillement installées à lire et à discuter sur le sujet de notre lecture; depuis près d'une semaine, nous n'avions eu personne à secourir et mon amie disait justement: «Je me demande si un de ces malheureux viendra, ce soir, nous demander l'hospitalité», quand nous entendîmes heurter à la porte.
Je courus ouvrir. Une femme entra en chancelant et vint tomber évanouie à mes pieds. J'appelai à mon aide Miss Dean et Marthe et nous transportâmes la malheureuse sur un canapé.
C'était une fort jolie fille, très claire de peau; ses cheveux bruns flottaient sur ses épaules, car elle ne portait pas de madras. Elle pouvait avoir seize ans; ses seins étaient déjà très développés.—Les femmes de couleur entrent très jeunes en état de nubilité. Elle n'avait jamais travaillé dans les plantations, car ses mains étaient fines et blanches et ses vêtements d'une certaine recherche étaient seulement déchirés et souillés. Elle était chaussée de gros souliers qui, ainsi que ses bas, étaient recouverts de boue. Elle revint promptement à elle et ses grands yeux hagards nous regardèrent avec une expression de douleur et de crainte. Elle but avidement un grand bol de bouillon et dévora la viande qu'on lui servit. La pauvre femme n'avait rien mangé depuis vingt-quatre heures! Au lieu de l'envoyer dans la cabane, je fis monter cette pauvre fille dans une chambre inoccupée où se trouvait un lit, et je la priai de se déshabiller. Elle me regarda timidement, puis après un moment d'hésitation, enleva sa robe et ses jupons—elle n'avait pas de pantalon. Je vis alors que sa chemise était remplie de taches de sang. Je compris que la malheureuse avait été fouettée récemment, et, doucement, je la décidai à me raconter son histoire.
Elle appartenait à un planteur, un homme marié et père de famille, qui demeurait à 25 milles de là. Son maître, la trouvant à son goût, lui ordonna un jour de se trouver dans son cabinet de toilette, à une certaine heure. Elle était vierge et, comme elle savait ce qui l'attendait, elle osa se soustraire à l'ordre donné. Le lendemain, on lui donnait une note à remettre au majordome, qui, l'emmenant à la salle d'exécution, lui apprit qu'elle allait être fouettée pour désobéissance. Couchée sur un chevalet, les membres attachés et son jupon relevé, le capataz la fouetta sans pitié, jusqu'à ce que le sang ruisselât. Puis on la releva en la menaçant du même supplice si elle ne se pliait pas aux exigences du maître. Courageusement, et plutôt que de sacrifier sa virginité, elle se sauva à travers bois, jusqu'à ce qu'elle eût atteint notre maison.
Nous la cachâmes pendant une semaine et, un autre captif nous étant arrivé, ils partirent tous deux, de compagnie, réconfortés par nos secours et munis de provisions.
Ces cruautés ne dépassent-elles pas en horreur tout ce que l'imagination peut concevoir de plus horrible. Honte à jamais sur ces barbares qui, au nom de la civilisation jetaient le sang des noirs à la face de l'humanité.
Combien d'autres anecdotes ne pourrais-je encore vous raconter, si je ne craignais d'assombrir davantage mon récit. Ces actes d'inouïe sauvagerie, presque incroyables, se renouvelaient journellement et se pratiqueraient peut-être encore si l'attitude ferme d'un petit nombre d'hommes qui se dévouèrent à cette cause, n'avait mis un frein à ces actes qui déshonorent la civilisation.
Mon histoire et celle de mon amie furent étroitement liées à cette époque de mon existence. Reprenons cette histoire.
Nous continuions notre vie calme, mais si Miss Dean était toujours pleine d'empressement et d'enthousiasme dans l'accomplissement de son œuvre charitable, je trouvais, quant à moi, cette existence un peu monotone. L'isolement commençait à me peser. J'aurais voulu une compagne avec laquelle j'aurais pu rire et causer gaîment, car Miss Dean, quoique toujours bonne et charmante, était d'un caractère enclin à la mélancolie; j'eusse souhaité qu'une personne moins triste partageât mes heures de jeune fille.
Ma première bravoure était maintenant tombée, et, parfois, des idées noires me hantaient. L'idée d'être arrêtée, d'avoir les cheveux coupés ras et d'être emprisonnée me terrifiait. Je n'avais pourtant aucune raison de m'alarmer: nous étions bien connues dans les environs, tous les blancs à qui nous avions affaire étaient très polis avec nous, et aucun d'eux ne soupçonnait que deux femmes seules eussent osé se sacrifier au point de risquer leur liberté en se mettant ainsi hors la loi. Ce cas, d'ailleurs, ne s'était jamais produit.
Chose étrange! nous étions environnées d'individus sans aveux, et qui, certes, ne se recommandaient pas par leurs scrupules ou leur honnêteté. Aucun d'eux ne possédait l'argent suffisant pour acheter un esclave, et pourtant la traite des noirs n'avait pas de plus ardents défenseurs.
J'avais l'habitude de me promener chaque jour dans la campagne, et je souhaitais ardemment de trouver quelqu'un à qui parler. Enfin mes vœux furent exaucés.
Une après-midi, je marchais lentement, en proie à je ne sais quels pensers tristes, lorsqu'au coin d'une route, je me trouvais face à face avec un petit troupeau que précédait un taureau. Celui-ci, en me voyant, baissa la tête, gratta la terre du sabot, et poussa un mugissement féroce. Il est probable que si j'étais restée immobile, l'animal aurait continué sa route; mais, prise d'une frayeur incompréhensible je me mis à courir de toutes mes forces en poussant un cri de terreur. La bête se mit aussitôt à ma poursuite. J'allais être atteinte et tuée sans nul doute, quand un cavalier, qui se trouvait là et qui avait entendu mes appels, sauta une haie qui nous séparait et, piquant droit à l'animal, le détourna de sa course en le frappant de sa lourde cravache.
C'était un jeune homme; il mit pied à terre et vint à moi; j'étais immobile et je tremblais au point que je me serais affaissée, lorsque s'élançant, il me soutint en portant à mes lèvres une gourde pleine d'une liqueur réconfortante.
—Remettez-vous, dit-il, le danger est passé.
Je le remerciai chaleureusement. C'était un bel homme, grand, très brun, portant une forte moustache; il pouvait avoir trente-cinq ans. Sa physionomie était très agréable, bien que je ne sais quoi d'énergique en tempérât la douceur.
Il attacha son cheval à un arbre, et s'asseyant auprès de moi, commença à me parler de façon alerte et légère. Je me trouvai vite à mon aise avec lui, si bien que quelques minutes après, je bavardais gaiement, heureuse d'avoir enfin trouvé un compagnon aimable auquel j'étais attachée par la reconnaissance. Il me dit s'appeler Randolph, célibataire, et possesseur d'une grande plantation peu éloignée de notre maison. Je savais cela déjà et connaissais quelques-uns de ses esclaves, mais je me gardai bien de lui faire cette confidence. En apprenant mon nom, il se mit à sourire:
—J'ai entendu parler de vous et de Miss Dean, dit-il, et j'étais persuadé que mes locataires—car votre maison m'appartient—étaient deux vieilles filles laides et désagréables.
Je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour.
—Miss Dean est un peu plus âgée que moi, répondis-je, mais elle n'est ni laide ni désagréable; elle est au contraire tout à fait charmante. Quant à moi, je suis… son secrétaire.
—Vous pourriez ajouter que vous êtes tout à fait charmante et que vous voyez en moi un homme enchanté d'avoir fait votre connaissance.
Je rougis, mais au fond, j'étais heureuse du compliment. Les jeunes gens avec lesquels je m'étais trouvée à Philadelphie étaient tous des Quakers plutôt austères, et peu habitués au langage doré qui tourne la tête aux femmes.
Le jeune homme continua, toujours sur le ton le plus galant:
—Vous devez trouver la vie bien triste toutes seules ici, sans voisins. Voulez-vous me permettre d'aller vous rendre visite un jour ou l'autre? Vous êtes sans doute chez vous le soir?
J'eus un soubresaut violent. Lui à la maison! c'était le loup dans la bergerie; nos pieuses manœuvres seraient vite découvertes!
Avec un calme apparent, je lui répondis qu'il m'était absolument impossible de prendre sur moi d'accéder à son désir; Miss Dean, il ne devait pas l'ignorer, était une quakeresse et par cela même d'un commerce assez difficile. J'ajoutais qu'elle ne voulait que moi pour la distraire et que des visites—fussent-elles de simple politesse—pourraient la mécontenter. Ce disant, je me levai, voulant à tout prix éviter de nouvelles questions, questions que je prévoyais embarrassantes.
—S'il en est ainsi, répliqua-t-il, je ne m'imposerai pas à Miss Dean, mais me permettez-vous d'insister pour vous revoir? Voulez-vous que je sois ici, demain, à trois heures?
Il n'y avait aucun danger à accepter ce rendez-vous; de plus, si je le lui refusais, il était capable de venir à la maison. J'étais jeune, insouciante, et ignorante du danger qui pouvait résulter de telles entrevues. Je promis donc d'être exacte, et lui dis au revoir.
Il pressa un moment ma main, me dit: «A demain», puis, sautant en selle, il partit au galop.
Je le suivis des yeux, me sentant pleine de reconnaissance pour l'homme qui peut-être m'avait sauvée de la mort. Alors je repris lentement, comme j'étais venue, le chemin de l'habitation, roulant dans ma tête mille projets divers. J'étais heureuse de cette petite aventure qui, pour un instant, jetait dans la monotonie de ma vie une lueur de gaieté.
Je trouvai Miss Dean occupée à faire des chemises pour les nègres.
—Vous êtes fraîche comme une rose, ce soir, me dit-elle, qu'est-ce qui vous a donné ces belles couleurs?
Je lui racontai en riant que j'avais été poursuivie par un taureau, mais je me gardai bien de parler du grand danger que j'avais couru, ni de M. Randolph; mon amie, dont les principes étaient irréductibles à l'égard des hommes, ne m'eût jamais permis de revoir M. Randolph. Puis, j'enlevai mon chapeau et nous nous mîmes à table.
Le lendemain, à l'heure dite, je trouvai Randolph au rendez-vous; il avait l'air très heureux en me saluant, et me prit les deux mains, me contemplant un instant avec un regard extatique.
Une femme s'aperçoit toujours du charme qu'elle inspire. Aussi était-il difficile que je me méprisse sur les sentiments de M. Randolph. Après quelques mots aimables, il m'offrit son bras et nous allâmes nous asseoir dans un petit coin de verdure au bord d'un lac.
Il me questionna sur ma vie passée et mes espérances. Je lui confiai que j'étais orpheline, et lui donnai des détails sur les fonctions que je remplissais auprès de Miss Dean, sans toutefois lui faire connaître les raisons qui nous engageaient à vivre en Virginie.
Les manières de M. Randolph étaient correctes, et nous restâmes ensemble pendant plus d'une heure sans qu'il se fût permis la moindre privauté. En me quittant, il me fit promettre de revenir trois jours après.
Je fus exacte au rendez-vous, puis, peu à peu, l'habitude vint de nous voir tous les jours. Certes, je ne ressentais pour lui aucun amour véritable, mais je me plaisais en sa compagnie. Il avait beaucoup voyagé, connaissait bien l'Europe, et ses récits étaient toujours variés et pleins d'intérêt.
Cependant, je crus m'apercevoir qu'il était cruel et qu'il n'avait sur les femmes qu'une opinion de négrier. Il entendait l'amour au point de vue de la suprématie du maître. C'est tout au plus s'il considérait les femmes blanches un peu supérieures à ses nègres.
Malgré cela, il me fascinait, je ne pouvais lui refuser un rendez-vous. Toujours très poli avec moi, je m'apercevais néanmoins de la condescendance qu'il me témoignait. Il était immensément riche, faisait partie de l'aristocratie du Sud, et était membre de «P. F. V.» c'est-à-dire appartenait aux premières familles de Virginie, tandis que je n'étais que la fille d'un employé de banque mort dans la misère. En un mot il avait l'air de me considérer comme lui étant tout à fait inférieure par la naissance comme par le sexe.
Peut-être cet homme avait-il raison…
Peu à peu, sans m'expliquer pourquoi, je me pris à avoir un peu plus d'affection pour Randolph, et soit que je m'habituasse à ses manières, soit que je lui fusse reconnaissante de n'avoir jamais porté sur moi le dédaigneux jugement qu'il portait sur les femmes en général, je sentais qu'une détente se produisait en mon cœur. Je lui savais gré de sa politesse et de la galanterie pleine de réserve dont il usait à mon égard. Il me prêtait des livres, des poésies que je dissimulais pour que miss Dean ne les vît pas, et souvent, étendus sur la mousse, il me lisait d'une voix qu'il savait rendre harmonieuse des passages de Byron ou de Shelley.
Une après-midi, par une chaleur torride, nous étions installés dans notre coin favori à l'ombre des arbres, au bord de l'eau. Il me lisait un poème d'amour avec une voix chaude et si vibrante qu'à chacun des vers passionnés, je sentais des flammes me monter au visage, et, dans ma poitrine, mon cœur battre avec violence.
Une douce langueur me pénétrait toute, et je fermais les yeux, comme si j'eusse voulu prolonger par le sommeil le doux rêve que je rêvais.
Il cessa de lire. Tout était calme.
Un oiseau moqueur s'envola en poussant un cri strident; j'éprouvais un bien-être indicible.
Je sentis soudain son bras se glisser autour de ma taille, et ses lèvres se poser sur les miennes; un frisson me parcourut toute, mais je ne fis aucun mouvement pour me dérober. Le baiser figé sur mes lèvres semblait m'avoir hypnotisée.
Me pressant tendrement contre lui, il couvrit mon visage et mon cou de baisers, murmurant qu'il m'aimait, et me donnant les plus doux noms.
Ah! s'entendre dire: «Je vous aime!» comme ces mots sonnent agréablement à l'oreille d'une femme quand elle les entend pour la première fois.
Combien sommes-nous qui résistons au fluide enchanteur qui nous pénètre?
Cette longue chanson d'amour qu'est notre vie, nous voudrions toujours la vivre, y revenir sans cesse, même quand elle nous a trompées.
Pauvres naïves que nous sommes! Et combien Randolph avait raison de ne prendre nul ménagement à l'égard de la naïve jeune fille qui se livrait tout entière, imprudemment, presque inconsciemment; elle ne voyait pas, la pauvre créature, dans l'illusion d'un rêve doré, surgir le mensonge et le désenchantement.
La réalité brutale n'apparaissait pas encore au bord du précipice où sombre la vertu.
Cependant mon immobilité l'enhardit. Je sentis sa main glisser lentement sous mes jupes.
Le charme était rompu! Je frémis sous l'attouchement infâme de cet homme, et essayai de me dresser pour m'enfuir. Vains efforts! Il m'avait saisie rudement et me maintenait couchée sur le sol malgré mes prières, malgré mes larmes.
Je tentai un suprême effort. Peine perdue, il se jeta sur moi, me renversa et, hagard, une lueur de folie immonde éclairant ses yeux sombres, il arrachait mes vêtements. Cependant je résistais de toutes mes forces; j'essayais mes dents sur sa face et mes ongles sur ses yeux. J'étouffais sous le poids de son corps et sentais mes forces décroître. Mais j'étais vigoureuse, et je combattis vaillamment pour la défense de ma virginité. J'appelais à l'aide en poussant en même temps de grands cris que sa main étouffait. La lutte fut longue; mes membres étaient brisés et comme il continuait à peser de tout son poids sur ma poitrine, je râlais épuisée, haletante, à bout de souffle; les yeux hagards, en proie à une indicible épouvante, j'étais envahie de dégoût et voyais venir l'instant fatal où toute résistance serait vaine, lorsque soudain, craignant sans doute qu'attiré par mes cris quelqu'un ne survînt, il lâcha prise et se releva. Je me redressai d'un bond, éperdue, sanglotant et sans voix; je lui crachais au visage. Mes vêtements étaient déchirés et souillés, mes cheveux défaits inondaient mes épaules. J'allais m'enfuir, quand il me saisit par le bras, et, me regardant dans les yeux, avec un sourire cruel de négrier, il me dit:
—Petite folle, pourquoi me résistes-tu?
—Laissez-moi, misérable! Comment osez-vous me regarder en face après votre action infâme. Vous êtes un lâche, monsieur Randolph! J'informerai la justice et demanderai votre arrestation.
Il éclata de rire:
—Ma petite fille, dit-il d'un ton hautain et méprisant, vous vous trompez étrangement. Vous ne donnerez aucune suite à votre projet de dénonciation quand vous aurez entendu ce que je vais vous dire.
Je fis un brusque mouvement pour dégager mon bras de son étreinte, mais il me serra plus fort, et continua:
—Toute lutte est inutile; j'en ai fini avec vous pour aujourd'hui, et dans un moment vous serez libre; mais auparavant écoutez-moi. Ne croyez pas que j'ignore ce que vous faites ici avec Miss Dean. Vous dirigez une station souterraine. Je m'en étais douté dès le premier jour, et je vous ai surveillées. Pour plusieurs raisons que vous devinerez sans peine, je ne vous ai pas dénoncées, mais vous êtes toutes deux en mon pouvoir, et s'il me plaît de vous envoyer en prison, je n'ai qu'un mot à dire. Comprenez-vous, maintenant!
J'étais épouvantée. Nous étions entièrement à la merci de cet homme; terrifiée, je ne trouvais rien à lui répondre. Changeant de ton, il continua:
—Mais je n'ai nulle envie de vous dénoncer. Je veux continuer à être votre ami. Je vous aime, et tout à l'heure quand je vous ai embrassée et que vous vous y êtes prêtée avec tant de complaisance, j'ai cru voir dans votre calme encourageant la défaite de votre vertu. J'ai été brutal, il est vrai; je vous en demande sincèrement pardon. Mais je veux que vous m'apparteniez. Laissez Miss Dean, et venez vivre avec moi; vous aurez tout ce qu'une femme peut désirer; je vous assurerai mille dollars par an, votre vie durant; de plus, je vous jure de laisser Miss Dean continuer tranquillement son manège et de ne la troubler en quoi que ce soit.
Si j'avais pu prévoir l'avenir, j'aurais accepté cette offre, mais pleine de rage et de honte, je m'écriai:
—Non, misérable lâche, je ne quitterai pas Miss Dean, vous pouvez nous dénoncer si vous le voulez. Je préfère la prison à votre contact. Retirez-vous, partez, misérable! Votre vue me devient odieuse!
—Très bien, mademoiselle Morton, qu'il soit fait selon vos désirs, mais il est à croire que, lors de notre prochaine rencontre, vous regretterez d'avoir repoussé mes offres.
Puis il pivota sur ses talons et me laissa seule.
A peine eut-il disparu que je remis un peu d'ordre dans ma coiffure et dans mes vêtements; l'esprit plein encore d'un trouble extrême, je courus vers la maison.
Je pus rentrer heureusement dans ma chambre sans être aperçue de Miss Dean ni de Marthe.
Vivement je me déshabillai; ma robe était en loques. Le matin, quand je l'avais mise, elle était blanche et immaculée, elle était maintenant toute verte dans le dos. Les cordons de mes jupons étaient brisés et mes dessous en charpie. Mes cuisses étaient marbrées de taches noires et bleues causées par la pression des doigts de la brute, et j'étais horriblement courbaturée.
Mes vêtements remplacés, je me jetai sur le lit, et cachant mon visage dans mon oreiller, je me mis à pleurer abondamment. Je ne pouvais me pardonner d'avoir eu confiance en Randolph.
J'aurais dû surtout me méfier de lui, depuis que j'avais surpris le peu de cas qu'il faisait des femmes, et j'étais plus honteuse encore qu'il m'eût prise pour une de ces filles qui livrent leur corps au premier venu.
Le souvenir de ses menaces me revint à l'esprit; j'étais certaine qu'il les mettrait à exécution, et je sentais qu'il était de mon devoir de prévenir Miss Dean; je n'en eus cependant pas le courage; il eût fallu lui avouer ma honte, et cet aveu était au-dessus de mes forces.
En imagination, je nous voyais déjà, Miss Dean et moi, vêtues de vêtements grossiers, travaillant du matin au soir avec du pain noir pour toute nourriture.
On frappa tout à coup à la porte.
C'était Marthe qui annonçait le dîner. Miss Dean remarqua immédiatement mes traits décomposés, mon trouble, mes yeux rouges, et, très inquiète me demanda ce que j'avais. Je mis le tout sur le compte d'un mal de tête, ce qui était vrai; l'excellente femme me fit coucher sur le sofa, me baigna la tête avec de l'eau de Cologne et me fit mettre au lit.
Malheureusement, je ne pus dormir; je rêvai continuellement d'un être formidable qui luttait avec moi, et qui réussissait à me ravir ma virginité.
Je me levai le jour à peine éclos, me demandant anxieusement où nous serions dans vingt-quatre heures, m'attendant absolument à voir se réaliser les menaces de Randolph.
Le jour passa lentement, à chaque instant il me semblait entendre les pas des gens de police, et je surveillai avec angoisse la grande avenue qui conduisait à la maison.
Le soir vint enfin, sans que rien d'extraordinaire se soit passé. Vers neuf heures, un esclave marron vint nous demander l'hospitalité, et, en soignant la pauvre créature, j'oubliais mes propres peines.
Plusieurs jours passèrent ainsi, en des alternatives de crainte et de quiétude.
Je commençais à retrouver un peu d'assurance, mais j'avais grande envie de fuir; je demandai un jour à Miss Dean si elle ne pensait pas avoir assez fait pour la cause de l'émancipation et si elle ne retournerait pas bientôt chez elle.
Elle ne voulut pas entendre parler d'une semblable chose. Elle se rendait très utile, disait-elle, et, au moins pour quelque temps encore, elle voulait rester dans la station.
Quinze jours passèrent encore, et j'étais tout à fait rassurée. Je pensais que Randolph ne se souvenait plus de son acte de lâcheté.
Je ne l'avais pas revu depuis la fameuse scène à laquelle je ne pouvais penser sans honte. Je devais, hélas! me retrouver avec lui, dans une circonstance sinon moins terrible que la dernière, du moins très pénible.
Une après-midi, Miss Dean et moi étions assises sous la vérandah. Mon amie confectionnait des chemises pour les esclaves, tandis que j'arrangeais un chapeau; ce faisant, je fredonnais une chanson nègre intitulée: Ramenez-moi vers ma vieille Virginie. Il était au moins bizarre que je chantasse ces couplets, moi qui, précisément, aurais voulu me voir à mille lieues de ce maudit pays, et qui, certes, n'aurais jamais demandé à y revenir. Tout à coup, nous entendîmes le pas de plusieurs chevaux, mêlé à des voix d'hommes, et en regardant dans l'avenue, je vis, les uns à pied, les autres à cheval, une vingtaine d'individus paraissant se diriger vers la maison. Nous ne savions ce que ces gens pouvaient nous vouloir, aucun blanc ne se présentant jamais chez nous. Arrivés à notre porte, ils attachèrent leurs chevaux à la grille, et vinrent se placer autour de nous. Leurs regards durs et la façon dont ces hommes nous regardaient me terrifiaient. Ils m'étaient tous inconnus et leurs vêtements grossiers, leurs longues barbes, leurs chemises de coton, trahissaient clairement des coureurs des bois. Je voyais bien que leurs intentions n'étaient rien moins que pacifiques, mais j'ignorais absolument ce qu'ils pouvaient nous vouloir. Enfin, l'un d'eux, un peu mieux vêtu que les autres, et qui pouvait avoir une quarantaine d'années,—et que je sus après être un chef de bande, du nom de Jack Stevens, s'approcha de Miss Dean, et lui dit:
—Allons, levez-vous toutes deux. Mes amis et moi avons quelque chose à vous communiquer.
Soumises, ainsi qu'il convient à des femmes demi-mortes de peur, nous nous levâmes, et Miss Dean, qui s'était ressaisie demanda sans hésitation:
—De quel droit envahissez-vous ma maison aussi brutalement?
L'homme se prit à rire dédaigneusement:
—Vous n'en savez rien? ricana-t-il. Eh! vous m'étonnez, car vous êtes loin d'être aussi innocente que vous le paraissez.
Il poussa un énergique juron, et continua:
—Nous avons appris que vous dirigez une station souterraine, et depuis que vous êtes ici, bon nombre d'esclaves se sont évadés par votre entremise. Écoutez bien, et tachez de comprendre: nous autres, Sudistes, ne voulons sous aucun prétexte que les Nordistes anti-esclavagistes viennent fourrer leur nez dans nos affaires, et s'emploient à prêcher la révolte parmi nos esclaves. Quand nous avons la chance d'attraper quelqu'un de vos semblables, nous lui faisons amèrement regretter de s'être occupé des nègres, et maintenant que nous vous tenons, nous allons vous juger, selon la loi de Lynch. Les hommes qui m'accompagnent constitueront le jury.
—Eh bien, les amis, dit Stevens se tournant vers ses compagnons, est-ce ainsi qu'il fallait parler?
—Bravo, bravo, Jack, très bien! approuvèrent quelques-uns.
Je tombai sur ma chaise absolument anéantie. J'avais entendu raconter mille cruautés perpétrées sous l'égide de la loi de Lynch.
Miss Dean était toujours très calme:
—Si vous avez quelque chose à nous reprocher, dit-elle, vous n'avez dans aucun cas le droit de faire justice vous-mêmes; vous devez prévenir la police et les autorités de votre État.
Un murmure de voix furieuses interrompit mon amie:
—Nous avons le droit d'agir comme bon nous semble. La loi de Lynch est faite pour vous et vos pareils; taisez-vous! Allons, Jack, assez causé, et au travail!
—C'est bien, mes enfants, il nous importait de trouver les oiseaux au nid; maintenant, sortons un instant afin de statuer sur le sort des prisonnières; nous savons qu'elles sont coupables et le seul point à fixer est le châtiment qu'elles auront à subir.
Nous restâmes seules et les hommes, dehors, s'entretinrent avec animation. Malheureusement, ils étaient trop éloignés pour que nous pussions saisir leurs paroles. J'étais affaissée sur ma chaise, absolument morte de peur:
—Oh! Miss Dean, que vont-ils nous faire?
—Je n'en sais rien, ma chérie, répondit-elle en me prenant la main; pour moi, je ne m'en inquiète guère, mais je suis terriblement désolée de vous avoir entraînée dans ce guêpier.
Je restai près de mon amie… elle me serrait les mains, les caressant affectueusement. Les lyncheurs revinrent enfin; ils avaient discuté avec animation, ayant eu, semblait-il, beaucoup de peine à se mettre d'accord.
Enfin, Stevens s'avança vers nous d'un air à la fois solennel et grotesque.
—La cour, dit-il avec emphase, a statué sur votre cas et voici ce qu'elle a décidé: Vous êtes condamnées toutes deux à être fouettées avec une baguette de coudrier. Vous serez ensuite mises à cheval sur le coupant d'une palissade, et ensuite il vous sera enjoint d'avoir à quitter l'État de Virginie dans les quarante-huit heures. Ce laps de temps passé, si on vous retrouve ici, vous aurez de nouveau affaire à nous.
En entendant cette horrible sentence, mon sang se glaça dans mes veines. Je voulus me lever; mes jambes me refusèrent tout service, et je retombai sur mon siège.
—Oh! vous ne nous fouetterez pas, m'écriai-je; certainement vous ne voulez pas nous torturer ainsi! Ayez pitié de nous, je vous en prie… ayez pitié de nous.
Mais il n'y avait pas la moindre trace de sensiblerie sur la figure de ces brutes, et l'un d'eux s'écria:
—Misérable petite Nordiste, si j'étais libre de mes actions, je vous enduirais de goudron et de plumes et je vous mettrais à cheval sur la palissade pendant deux heures. On verrait la tête que vous y feriez.
Cette grossière plaisanterie les fit éclater de rire et je retombai sur ma chaise en sanglotant encore plus fort.
Miss Dean, elle, ne donnait pas le moindre signe d'émotion; elle était extrêmement pâle, mais ses yeux brillaient d'une lueur étrange et dit en s'adressant au chef de la bande:
—J'avais toujours entendu dire, et j'étais persuadée que les Sudistes étaient chevaleresques et cléments envers les femmes, je regrette de m'être trompée.
—Il n'y a pas ici à être chevaleresque: vous agissez comme des hommes; ne vous en prenez qu'à vous-mêmes si nous vous traitons en hommes.
—C'est bien. Il faut que vous sachiez tous ici que je suis la seule coupable. Cette jeune fille, qui est mon secrétaire, n'est pour rien en tout ceci. Vous devez donc l'acquitter.
—Jamais! réclamèrent quelques voix.
—Taisez-vous, s'écria Stevens, et laissez-moi parler.
Et se tournant vers nous, il ajouta:
—Nous savons parfaitement que vous êtes la directrice de ce bureau de soi-disant bienfaisance; mais comme cette fille vous aidait dans cette besogne, elle doit être punie; cependant, elle sera fouettée moins sévèrement que vous… Est-ce juste, amis, demanda-t-il à ses féroces acolytes.
—Parfaitement, parfaitement, soyons moins sévères envers l'enfant que vis-à-vis du vieux chimpanzé.
L'un d'eux s'écria:
—Mais où donc est la servante. N'aurait-elle pas besoin d'une petite correction? Une petite promenade sur le grillage ne pourrait, il me semble, que lui être salutaire.
—Évidemment, approuva le chef. Que deux d'entre vous courent à sa recherche, et que les autres s'occupent de trouver des baguettes.
Les hommes s'assirent en attendant; ils plaisantaient grossièrement et, à chacune de leurs remarques, le rouge me montait au visage. Miss Dean, toujours calme et tranquille, ne paraissait pas entendre les ignominies de ces sauvages. Ceux qui étaient partis à la recherche de Marthe revinrent au bout d'un instant:
—La souillon est partie, dirent-ils; elle s'est sans doute défilée dans les bois.
—Bah! dit Stevens, nous avons les deux patronnes, et il est probable que lorsque nous en aurons fini avec elles, elles regretteront amèrement de s'être occupées d'abolitionisme.
—Vous avez raison, Jack, crièrent les hommes; nous leur ferons maudire le jour où elles se sont installées en Virginie… Et maintenant, à l'ouvrage.
—A l'ouvrage, répliqua Stevens. Bill, allez chercher l'échelle qui est sous le hangar; Peter et Sam, vos baguettes sont-elles prêtes? Ah! ah! ces dames ont sans doute souvent été cueillir et croquer la noisette, mais je doute qu'elles aient jamais reçu des coups de baguette d'hickory sur leur petit derrière.
Les hommes riaient bruyamment, et je recommençais à trembler.
Quand donc ce supplice allait-il prendre fin?
L'échelle apportée fut appuyée contre la vérandah. Stevens se plaça de côté tenant une badine à la main. Les hommes formèrent le cercle et leur chef s'écria d'une voix forte:
—Amenez les prisonnières!
On nous traîna en nous poussant par les épaules pour recevoir cette cruelle et ignoble punition. Je me tenais debout avec peine; Miss Dean marchait au martyre droite et fière. Un sourire de dédaigneux mépris errait sur ses lèvres pâles.
Stevens prit la parole:
—Comme c'est vous la patronne, vous aurez l'honneur d'être fouettée la première. Attachez-la, mes amis.
Deux hommes la saisirent, la couchèrent sur l'échelle et lui faisant de force étendre les bras, lui attachèrent les poignets aux barreaux, puis firent de même pour les chevilles. La malheureuse n'opposait qu'une résistance instinctive, elle ne fit entendre aucune protestation, mais lorsqu'elle fut bien attachée, elle tourna la tête vers Stevens:
—Ne pourriez-vous pas me fouetter sans enlever mes vêtements? demanda-t-elle ingénument.
—Impossible, la belle; on vous a condamnée à être fouettée sur la peau, et vous subirez le châtiment ainsi que c'est convenu.
Ses jupons et sa chemise furent relevés et attachés au-dessus de sa taille; Miss Dean ne portait pas le pantalon ordinaire, mais une longue paire de culottes blanches attachées par des rubans autour des chevilles.
A cette vue, ce fut une explosion de joie et de rires ironiques.
—Le diable m'emporte, s'écria Stevens, profondément étonné. Elle a des pantalons! je n'avais jamais vu une femme ainsi attifée. Enfin, enlevez-moi ça!
—Je vous en prie, supplia Miss Dean, laissez-moi mon vêtement. Il ne me protégera pas beaucoup contre vos coups… Ne me mettez pas nue devant tous!…
On ne lui répondit même pas. Un des hommes s'avança, et déboutonna le vêtement, la laissant nue et toute frissonnante de la taille aux jarrets. La pauvre femme rougit, puis pâlit affreusement; enfin elle baissa la tête sur sa poitrine et ferma les yeux… Comme je vous l'ai déjà dit, Miss Dean était très maigre; ses hanches étaient étroites, ses jambes et ses cuisses sveltes, mais bien modelées. Sa peau, très fine et très blanche, laissait apparaître le réseau des veines.
Les hommes, groupés autour de l'échelle, observaient cyniquement cette scène, leurs yeux reflétant de lueurs lubriques.
Stevens leva alors la baguette, la fit siffler autour de la tête et la laissa retomber rapidement, frappant d'un premier coup terrible le corps de la malheureuse. Le bois claqua comme un fouet, et la chair frissonna sous l'aiguillon de la douleur.
Miss Dean n'avait pas fait un mouvement.
Stevens continua de frapper; chaque coup tombait au-dessous du précédent, et la peau était maintenant toute zébrée. Le corps de la suppliciée s'agitait en soubresauts convulsifs: ses dents claquaient. La terrible baguette continuait son horrible office. J'aurais voulu crier, j'étais stupéfaite du courage de mon amie. Chaque coup me faisait bondir; les raies rouges se multipliaient. Le sang commençait à sourdre et à couler le long des cuisses; elle tournait la tête chaque fois, ses yeux horrifiés suivaient le bras de l'homme. Enfin la brute cessa de frapper et jeta la baguette dont le bout était tout déchiqueté. Puis, se baissant, il examina attentivement les marques de la correction.
La surface entière de la peau était rouge et barrée de marques livides qui s'entre-croisaient en tous sens; le sang coulait abondamment et contrastait avec la blancheur immaculée des cuisses.
Cinquante coups au moins avaient été donnés.
—Là! dit Stevens, je suppose qu'elle en a assez. Je l'ai peu ménagée comme vous pouvez vous en rendre compte. Il est probable qu'elle ne pourra s'asseoir aisément de quelques jours, et je doute fort que les marques disparaissent jamais.
Les vêtements de la victime furent alors baissés, ses pieds et ses mains déliés. Elle restait debout se tordant en proie à la plus affreuse douleur, et apparemment indifférente à tout ce qui l'entourait; elle sanglotait et d'abondantes larmes s'échappaient de ses yeux voilés par la terreur.
Un peu remise, elle releva son pantalon qui traînait à terre, et, toute rougissante du regard des hommes, encore fixé sur elle, elle le rattacha péniblement autour de sa taille. Deux des bourreaux, la saisissant sous les bras, la conduisirent à la vérandah, où elle s'étendit de tout son long sur un canapé, incapable du moindre mouvement.
Je vous laisse a penser l'état d'épouvante en lequel j'étais. Les paroles brutales de ces hommes me faisaient rougir; je me sentais prise de fureurs soudaines contre ces barbares et, aussi, prête à leur adresser toutes les supplications. J'étais envahie de pitié pour ma malheureuse compagne et terrifiée par la perspective du châtiment qui m'était réservé. Je n'ai jamais pu supporter la moindre douleur physique.
Stevens ramassa la baguette neuve, et, s'adressant à ses hommes:
—Maintenant, dit-il, nous allons opérer sur ce tendron; amenez-la, mes amis.
A ces mots, voyant qu'il n'y avait personne derrière moi, je résolus de fuir, et pris mes jambes à mon cou. J'aurais mieux fait de rester tranquille, je n'avais pas fait trois mètres qu'une main me saisissait au cou et, avec la rapidité de l'éclair, je me trouvais solidement attachée à l'échelle.
Stevens me déshabilla lui-même lentement. Mes jupes et ma chemise furent roulées sous mes bras et quand il arriva au pantalon, il s'arrêta. Je portais le pantalon ordinaire, très large de jambe et fendu au milieu.
—Regardez, dit-il, elle a aussi des pantalons, mais ils sont faits autrement et recouverts de dentelles.
Puis, sur une remarque fort grossière à propos de la fente, les hommes s'esclaffèrent tandis que je pleurais à chaudes larmes.
Il fit tomber mon dernier vêtement et je sentis sur ma chair nue le frôlement caressant de la brise.
J'étais anéantie par la honte. Je sentais peser sur moi le regard et une indicible angoisse me poignait la gorge; ce n'était là, hélas, que le préambule de l'horrible supplice auquel j'allais être soumise.
Stevens prit la parole de nouveau:
—Nous allons sans plus tarder procéder à l'exécution. Je propose de lui infliger douze coups bien cinglés sans cependant faire sortir le sang. Souvenez-vous qu'elle n'a joué dans cette affaire qu'un rôle de comparse.
Tous, cependant, n'étaient pas du même avis; quelques-uns réclamaient pour moi un châtiment équivalent à celui enduré par ma maîtresse.
Dans mon malheur, ce me fut un soulagement d'apprendre que je n'aurais pas à subir un traitement aussi cruel que Miss Dean. Un des hommes cria au tortionnaire:
—Faites attention, et tapez dur, Jack; faites-la un peu sauter.
Le lâche, j'eusse voulu savoir ce lâche tortionnaire, tourmenteur de femmes, en proie aux flammes infernales.
—N'ayez nulle crainte, mon garçon, répondit Stevens, je sais comment on se sert d'une baguette; elle va recevoir douze coups qui vont transformer son derrière en drapeau américain rayé rouge et blanc. Lorsqu'elle sortira de mes mains, elle ne demandera pas son reste, et sera plutôt gênée pour marcher. Pourtant, je n'en ferai pas sortir une goutte de sang; je vous le répète, je sais ce que c'est que de fouetter; j'ai été majordome durant cinq années en Géorgie.
Pendant tout ce discours, j'étais restée honteuse de ma nudité, et, machinalement, je me serrais aussi fort que possible contre l'échelle.
Le premier coup tomba enfin; ce fut horrible; la douleur était encore plus atroce que je ne me l'étais imaginée. La respiration me manqua, et, pendant quelques secondes, je restai suffoquée. Alors, je me mis littéralement à hurler. Il continua de frapper lentement, plaçant chaque coup au-dessous du précédent et la baguette, en retombant, me donnait la sensation d'un fer rouge appliqué sur mes chairs.
Je me tordais de plus en plus, criant de toutes mes forces, faisant des bonds désordonnés, autant que mes liens me le permettaient, tout en suppliant le bourreau de cesser. J'avais oublié mon état de nudité, et la seule sensation que j'éprouvais était une douleur plus cuisante que si elle eût été provoquée par des brûlures.
Quand les douze coups m'eurent été donnés, j'étais à demi évanouie.
On me laissa suspendue par les poignets, et les hommes m'entourant, se mirent à m'examiner. Le sentiment de la pudeur me revint peu à peu, et je suppliai ces cruels justiciers de me laisser prendre un vêtement.
Ils restèrent sourds à ma prière, occupés qu'ils étaient d'écouter la péroraison de Stevens.
—Voyez, mes amis, disait celui-ci, avec quelle régularité les coups ont été frappés. Voilà ce qu'on appelle une bonne correction. Mais cette fille n'a aucune énergie. La première noiraude venue aurait supporté le double de coups sans se plaindre. Parlez-moi de sa compagne, voilà au moins une femme courageuse.
Puis, me remettant mes effets, il me conduisit à la vérandah où Miss Dean, toujours étendue sur le canapé, pleurait doucement de honte et de douleur…
La conduite de ces batteurs d'estrade à l'égard de deux femmes dont l'une était jeune, belle et, en tous points désirable, peut paraître singulière. Comment leur nature brutale ne fut-elle pas surexcitée par le capiteux spectacle de ma resplendissante nudité?
Ce n'est pas qu'à la perspective angoissante de la torture je préférasse l'ignominie qui devait résulter de la défaite de ma vertu, mais, au plus profond de moi, j'espérais néanmoins que la vue de mes jeunes charmes, avivant les instincts de concupiscence de ces brutes, serait un prétexte à querelle.
Quoique naïve encore, malgré la leçon que m'avaient donnée les infâmes entreprises de Randolph, je savais que l'exhibition de mon corps pouvait réveiller les ignobles appétits de ces hommes grossiers et frustes; j'espérais, dis-je, qu'ils se seraient disputés ma possession, et qu'à la faveur d'une rixe j'aurais pu m'enfuir.
Hélas! je ne savais pas qu'ils fussent les suppôts de Randolph lui-même, et payés largement par celui-ci pour l'exécution d'un ordre barbare.
Chez ces hommes, la cupidité, cette fois, avait parlé plus haut que l'instinct bestial.
Du reste, les coureurs des bois n'agissaient pas toujours ainsi quand l'appât du gain ne commandait pas à leurs actions, et ce même Stevens échappa longtemps aux recherches de la justice pour un crime d'assassinat précédé de viol, perpétré en des circonstances particulièrement atroces.
Le récit du crime monstrueux me fut fait, plus tard, par une vieille mulâtresse, esclave de Randolph père, laquelle l'avait elle-même entendu raconter par le menu des détails.
Je crois devoir placer digressivement ici le récit de cette femme:
Malgré le surmenage dont étaient accablés les esclaves, malgré le surcroît de travail exigé de chacune d'elles, Randolph père n'arrivait pas à satisfaire aux demandes des marchands de coton; aussi était-il urgent que son troupeau humain augmentât en nombre.
Le planteur acheta donc sur le marché de Richmond trois noirs parmi lesquels était une mulâtresse d'une trentaine d'années nommée Maria de Granier.
(En certaines parties de l'Amérique du Sud, les esclaves nés dans la plantation, avaient leur prénom suivi du nom de leur maître.)
Cette femme qui, autrefois, avait été très jolie, se trouvait, au moment de son exposition au marché, dans un état lamentable: prise sous un éboulement alors qu'elle se livrait à des travaux de terrassement, elle en fut tirée à demi morte et pour toujours infirme, incapable d'exécuter désormais les rudes travaux auxquels elle avait été soumise.
Maria de Granier, marchandise avariée, fut cédée à bas prix. Mais ce qui engagea Randolph père à faire cette acquisition, c'est que, malgré son terrible accident, l'esclave allait bientôt être mère. Il comptait sans doute que la jeune infirme pourrait suffire à de menus travaux et que l'enfant dont elle était enceinte augmenterait le nombre de ses esclaves et lui rendrait un jour quelques services.
Pour abominable qu'il fût, ce calcul n'en était pas moins exact:
La mulâtresse grosse des œuvres d'un blanc, donna le jour à une ravissante petite fille qu'elle appela Rosa. Et, pendant quatorze ans, l'enfant grandit, entourée de soins par les femmes qui, afin de cacher ses fautes enfantines, risquaient souvent d'être fouaillées; adorée des pauvres noirs qui enduraient stoïquement la bastonnade quand le majordome les surprenait aidant l'enfant dans son travail.
Cependant Rosa était devenue une ravissante créature aux traits fins et réguliers, aux dents blanches, aux longs yeux noirs; des formes incomparables se révélaient déjà sous son ignominieux vêtement d'esclave, et ses bras nus à la peau veloutée, apparaissaient à peine teintés de ce bistre qui décèle le sang mêlé.
La vue de Rosa avait inspiré à Georges Randolph qui, à cette époque, venait d'avoir dix-huit ans, une passion violente. Il la poursuivait de ses prévenantes assiduités et n'attendait qu'une occasion propice pour faire subir à cette enfant le sort qui attendait toutes les jeunes esclaves.
Mais, par une sorte de prescience du danger dont elle se sentait menacée, Rosa, qui s'était aperçue de la nature des sentiments de Georges, fuyait l'occasion, aussi n'acceptait-elle les gâteries et les caresses du jeune homme qu'en la présence des noirs, devant lesquels, malgré l'impunité dont il se savait couvert, le jeune homme n'eût point osé perpétrer un attentat.
Enfin, un jour que Rosa, seule, portait un faix de coton dans un hangar servant de magasin et bâti à la lisière d'un bois, Georges, en l'absence du majordome qu'il avait éloigné sous un prétexte spécieux, se jeta sur l'enfant, la couvrit de baisers et, dans un violent accès d'érotisme, lui commanda de se coucher.
Rosa, se dégageant adroitement de l'étreinte, n'obtempéra point à l'ordre et s'enfuit dans la forêt où Randolph furieux la poursuivit longtemps.
L'enfant avait franchi des haies, des futaies, des halliers, et pris, en courant, des sentiers qui lui étaient inconnus; tant et si bien qu'épuisée, haletante, elle se laissa tomber au milieu d'une sente où, morte de fatigue, elle s'endormit…
La nuit tombait. Bientôt, les fanes mortes et les branches sèches qui jonchaient le sentier crièrent sous les pas d'une troupe d'hommes. Ce bruit, succédant tout à coup au calme profond de la forêt, réveilla l'enfant. Elle se souvint et elle eut peur. Mais rassurée à la pensée que ce bruit de pas pouvait provenir de la marche de noirs qui la cherchaient dans la forêt, elle se dressa et appela. Au même instant elle sentit sur sa peau nue la fraîche caresse des brises courant sous les bois.
Dans sa fuite folle ses vêtements s'étaient défaits; ils étaient tombés un à un et, maintenant, elle se sentait honteuse d'être nue. Il lui semblait que l'ombre avait des curiosités malsaines.
L'enfant avait appelé. Des voix d'hommes lui répondirent. Étaient-ce les noirs?
Non! c'était Stevens escorté de deux compagnons portant guêtres de cuir aux jambes et carabine à l'épaule.
—Par les tripes du Shériff! dit-il en apercevant l'enfant, voilà une créature qui n'a pas peur des refroidissements.
Et, s'approchant:
—Par la mort bleue! Elle est digne d'être hospitalisée, de force ou de gré, en la somptueuse demeure de Jack Stevens… Le diable que nous adorons a eu, sans doute, pitié de notre continence forcée; c'est pourquoi il nous offre aujourd'hui un morceau de choix.
Rosa comprit l'effroyable signification de ces paroles. Elle fit un mouvement de retraite.
Stevens épaula sa carabine:
—Halte, la belle! cria-t-il. Bien que myope le jour, je suis nyctalope la nuit, et sais diriger sur le but un lingot de plomb. Allons! pas tant de façons et suis-nous.
Cernée maintenant par les trois hommes, l'enfant sentit que toute résistance devenait impossible. Rouge de confusion, angoissée de terreur, elle joignit les mains:
—Soyez bons, messieurs, soyez cléments… ayez pitié! Je ne suis qu'une enfant… Une pauvre petite esclave qui n'a pas encore quinze ans!…
Les yeux des trois hommes étincelèrent:
—Pas quinze ans!—s'exclama Stevens dont l'autorité paraissait régler les actions et les paroles de ses compagnons—Pas quinze ans! Mais alors, c'est une friandise… un fruit mûr à point, dans lequel personne n'a encore mis les dents!… Par le nombril de Jacob! Vous y goûterez, camarades… après moi!
Tout espoir s'évanouissait, mais le courage revenait à l'enfant:
—Eh bien! dit-elle, tuez-moi! Je ne vous suivrai pas!
Et Rosa, croisant sur sa poitrine ses mains tremblantes, s'accroupit dans l'herbe froide que mouillait déjà la rosée des nuits.
Entre les rudes mains des batteurs d'estrade, Rosa s'était inutilement débattue, en vain avait-elle de nouveau supplié, imploré. Ils l'avaient immobilisée au moyen d'un lasso, emportée à travers bois et, comme ses supplications et ses prières étaient inutiles elle avait pris le parti de pousser des cris, espérant ainsi être entendue.
Certes, elle n'ignorait pas la nature de la correction qui l'attendait à la plantation pour prix de son escapade, mais, quoique n'ayant encore jamais été fouettée, elle préférait néanmoins ce supplice qu'elle savait pourtant cruel au sort que lui réservaient les bandits.
Ceux-ci, inquiets, bien qu'ils fissent diligence afin de se soustraire eux-mêmes aux recherches dont Rosa devait être en ce moment l'objet, inquiets des cris de l'enfant qui pouvaient attirer les noirs de leur côté, résolurent de la bâillonner.
Stevens tira de son sac de cuir un lambeau de cotonnade et en fit un tampon qu'il enfonça profondément dans la bouche de sa victime.
Et c'est ainsi que le groupe des ravisseurs arriva dans la hutte de Jack Stevens.
C'était une cabane en planches, toiturée de branches entrelacées tombant jusqu'au sol et dont les fissures étaient bouchées par de lourdes mottes de gazon; cachée en d'épaisses frondaisons, tapie au milieu d'arbres croissant sur le roc, cette hutte était d'aspect sinistre. Il n'y avait que Jack Stevens et ses deux compagnons qui connussent l'existence de ce repaire. C'est là, qu'après de lointaines expéditions, ils venaient cacher le produit de leurs brigandages.
Stevens, qui portait l'enfant, la déposa doucement sur le lit et enleva le bâillon qui l'étouffait. Puis, un de ces hommes tira de sa veste en peau de buffle un briquet d'acier et alluma une chénevotte, tandis que son camarade préparait le quinquet.
Une lueur fauve éclaira la cabane et les provisions sorties des sacs, furent placées sur une large planche posée au ras du sol.
—Ce n'est peut-être pas d'une extrême élégance, dit Stevens, qui, depuis que la lampe était allumée, brûlait de regards le corps de Rosa, mais c'est tout de même commode; on est chez soi! James, ajouta-t-il en clignant de l'œil, il est indispensable d'assaisonner avec force gingembre et piment notre tranche de venaison; quant à toi, Pèpe, dit-il en s'adressant à l'autre, tu rempliras d'hydromel les gobelets.
Quand la table fut mise, Stevens dit à l'enfant:
—Si le cœur vous en dit, mademoiselle, il y en aura assez pour vous.
Rosa ne répondit rien. Des sanglots étouffés lui poignaient la gorge. Elle avait trouvé une vieille veste de cuir dont elle cherchait à se couvrir. Stevens s'en aperçut.
—Bas le masque! cria-t-il. Cette parure, pour somptueuse qu'elle soit, est indigne de votre beauté!
Il se leva, lui arracha l'oripeau dont elle couvrait éperdument ses seins et revint s'asseoir en ricanant.
Tant que dura le repas, celui que Stevens avait appelé James ne quitta pas des yeux le corps merveilleux de Rosa. Son regard paraissait détailler complaisamment des charmes dont la possession lui était assurée et si, parfois, ce regard se portait sur son chef, c'était chargé de jalousie et d'envie. La douleur seyait, d'ailleurs, à la beauté de l'enfant et on eût dit que la hutte était chaude de son corps, parfumée du capiteux relent de sa virginité éplorée.
L'homme qu'on appelait Pèpe, buvait gobelet sur gobelet. A la fin du repas, le cerveau envahi par les épaisses fumées de l'ivresse, il alla s'étendre sur un lit de feuilles et s'endormit à demi, sans toutefois rien perdre de la scène qui allait se passer.
Les propos échangés entre Stevens et James furent banaux quand ils ne furent pas grossiers. Chacun d'eux avait visiblement une même préoccupation. L'un et l'autre se devinaient.
Mais Stevens, maître absolu, avait su courber James sous une discipline à laquelle il eût été dangereux de résister et, souvent, il arrivait qu'après une expédition, Stevens gardait pour lui seul le butin, laissant ainsi à ses deux compagnons la consolation de se partager la gloire.
—Tu n'aurais peut-être pas le toupet de vouloir commencer?—dit enfin Stevens.
—Qui sait!—répondit tranquillement James en caressant le manche de sa redoutable navaja. La fille m'appartient comme à toi et, équitablement, c'est-à-dire pour la première fois, il pourrait se faire que nous partagions la capture. Si nous tirions au sort à qui commencera?
—J'ai gagné d'avance, répondit Stevens, qui, se dressant sur les genoux, mit sous le nez de James un revolver de gros calibre. Jette-moi ça ou je tire!
James sortit hâtivement la navaja de sa ceinture et la lança dans la hutte. Stevens alla ramasser l'arme et la mit dans la poche de sa veste:
—Maintenant, dit-il, le mariage va s'accomplir avec toutes les formalités en usage dans le pays de cet ivrogne de Pèpe, qui prétend être catholique. Toi, James, tu seras à la fois mon témoin et celui de la mariée; et si Pèpe n'était pas présentement ivre comme un porc, il nous dirait la messe avec distribution de bénédiction nuptiale. Je ne demande qu'une heure, après quoi je me démettrai de mes fonctions d'époux en ta faveur, James! Être trompé par sa femme une heure après son mariage, il n'y a qu'ici qu'on voit ces choses-là!
Un gros rire dont chaque éclat secouait Rosa d'un frisson d'épouvante, éclairait la face bestiale de Stevens.
Puis, il s'avança vers l'enfant qui sanglotait et, sans dire un mot, la face horriblement congestionnée par la luxure, il la couvrait de baisers. Rosa sentait sourdre sous sa peau délicate le sang chaud dont les afflux lui montaient au cerveau, son cœur se brisait sous les immondes caresses de la brute; elle sentait sur ses lèvres passer le souffle bruyant du monstre, et, entre les assauts répétés qui la faisaient mourir, elle éprouvait une horrible sensation: il lui semblait qu'une bête énorme l'enlaçait et posait sur ses seins des tentacules tièdes et visqueuses.
Les sens surchauffés par cet ignoble spectacle, James, écumant, les yeux flamboyants, attendait la fin, il attendait… son tour.
Stevens n'en finissait pas!
Tout à coup, la claie qui fermait la cabane s'ouvrit bruyamment et une bande de noirs, mis sur la trace de Rosa par les vêtements qu'elle avait perdus en s'enfuyant, envahit le repaire.
En présence du danger, les deux bandits se ressaisirent. Ils bousculèrent les nègres, prirent leurs fusils et, comme la porte était gardée, Stevens, d'un coup d'épaule, fit sauter une des planches qui formaient le mur de la hutte; puis, par cette ouverture, il s'enfuit avec James.
Quand le majordome s'approcha de Rosa, celle-ci ne fit pas un mouvement.
Alors cet homme prit le fouet avec lequel il fustigeait les esclaves et la lanière redoutée frappa le corps de l'enfant qui resta immobile. Rosa était morte.
On resta longtemps sans nouvelles des coureurs des bois. Pèpe, l'ivrogne, eut seul à répondre du crime devant la justice, mais comme il n'avait joué dans le drame qu'un rôle secondaire, il fut acquitté. Plus tard, on apprit que James avait été tué à Richmond au cours d'une rixe. Quant à Stevens, personne ne connut jamais les circonstances à la suite desquelles il obtint l'impunité; on ne sut jamais pourquoi il rentra dans les bonnes grâces de Randolph.
Je reprends ma confession:
Mon supplice terminé, Miss Dean m'avait appelée auprès d'elle.
—Ma pauvre enfant, dit-elle, comme j'ai souffert pour vous!… Vos cris me perçaient le cœur. Oh! les monstres de vous avoir si cruellement fouettée.
Elle paraissait avoir oublié sa propre peine et l'ignominie de son châtiment pour ne plus penser qu'à moi.
—Ils m'ont fouettée bien moins cruellement que vous, répondis-je; je n'ai reçu que douze coups, et le sang n'a pas coulé.
Je l'embrassai et je m'appuyai doucement contre elle.
—Nous n'avons pas encore fini de souffrir, reprit Miss Dean. Vous souvenez-vous que cet homme a dit qu'il nous attacherait sur la balustrade pendant deux heures?
Je me souvins alors de la menace, mais sans y attacher grande importance; certes, ce serait peu confortable et probablement même fort douloureux d'être ainsi assise pendant aussi longtemps, sur un espace très étroit et dans l'état où nous sommes, pensais-je; mais j'étais loin de m'attendre à la torture que nous allions éprouver.
Mon illusion ne fut pas de longue durée, car quelques instants après nos bourreaux vinrent nous chercher, et nous portèrent sur la palissade entourant la maison. Cette barrière, haute d'environ cinq pieds, était faite de piquets de bois taillés en coins. Stevens nous dit avec un sourire cruel:
—Nous allons maintenant passer à un autre genre d'exercice. Deux heures de repos, avec ces piquets comme sièges, donneront à vos personnes le temps de se remettre de leurs fouettées. D'ailleurs, pour vous empêcher de tomber, nous vous attacherons. Préparez-les, vous autres.
Je fus épouvantée en me sentant saisir par deux hommes tandis qu'un troisième me relevait mes jupes et m'arrachait mon pantalon. Miss Dean subissait le même sort. Nos vêtements étaient attachés de telle sorte que le bas de notre corps était exposé nu aux regards de ces misérables.
Ils se mirent à plaisanter, se questionnant l'un l'autre sur notre virginité probable, faisant des comparaisons entre nos deux corps, et devisant sur notre aspect général.
Une longue corde fixa solidement nos bras le long de notre corps, puis ils nous soulevèrent et nous fûmes placées à califourchon, face à face, sur le haut de la barrière. Nous reposions sur l'extrémité des pointes de cette balustrade. De chaque côté des piquets avaient été plantés, où furent solidement attachées nos chevilles, puis nos jupes furent baissées.
Stevens nous regarda alors en souriant d'un air narquois.
Maintenant que vous êtes bien en selle, nous allons vous quitter; dans deux heures, un de nos amis viendra vous aider à mettre pied à terre. Il est très probable que vous serez fort endolories, et aurez renoncé à jamais à vos théories anti-esclavagistes.
Puis tous s'éloignèrent en riant avec des plaisanteries si horribles que malgré nos souffrances nous en rougissions encore.
La nuit tombait. Le soleil avait disparu lentement à l'horizon. Un profond silence régnait. La douleur, légère quand on nous avait assises sur les piquets, commençait à devenir intolérable. Tout d'abord, j'avais espéré que Marthe viendrait nous délivrer. Ce fut en vain. Notre maison était trop isolée pour conserver un seul instant l'espoir d'être délivrées par un passant.
Nous ne parlions pas, nos souffrances étant trop cuisantes; de violents sanglots nous secouaient, ajoutant aux souffrances endurées par cette position affreuse.
La douleur devint si aiguë qu'il me sembla que tous mes nerfs allaient éclater. Je me tordais convulsivement sans autre résultat que de faire pénétrer les piquets plus avant. Folle de douleur, je me mis à crier et même à jurer. Miss Dean pleurait silencieusement; sa figure convulsée révélait seule l'intensité de sa souffrance, mais aucun cri ne sortait de ses lèvres. Je commençais à désespérer quand, oh! bonheur, je vis un homme pénétrer dans l'avenue. Mon cœur bondit de joie… nous allions être délivrées!… Je redoublai mes cris, suppliant l'homme d'accourir à notre aide, mais il n'avait pas l'air de s'en émouvoir. Enfin, il approcha et ne fut bientôt qu'à quelques pas de nous.
Je reconnus Randolph…
S'il était un être que je craignais de rencontrer, c'était bien Randolph! Mais à ce moment terriblement critique, je ne vous cacherai pas que j'étais heureuse de le revoir. Je l'implorai d'une voix entrecoupée de pleurs.
—Descendez-moi, oh! sauvez-moi?
Il s'approcha, un sourire moqueur aux lèvres.
—Oh! Randolph, je vous en supplie, délivrez-nous, vite, vite!…
Il resta impassible.
—Eh bien, Miss Ruth Dean, et vous, Miss Dolly Morton, vous voyez ce qu'il en coûte de secourir et protéger les esclaves évadés; et n'avez-vous pas deviné que c'est grâce à mes indications que ce supplice vous a été infligé. J'ai fait connaître vos agissements aux lyncheurs, et ils vous ont punies de la bonne façon. Je vous avais dit, Dolly, que nous nous reverrions. Invisible j'ai assisté à votre jugement et à l'exécution de la sentence. Je dois même avouer que vous avez poussé des hurlements qui n'avaient rien d'humain mais auxquels j'ai été fort insensible.
Il s'arrêta pour rire à son aise et un sentiment d'épouvante me saisit. Cet homme, non seulement ne s'était pas contenté de nous livrer aux lyncheurs, il venait encore railler nos souffrances.
Miss Dean m'interpella:
—Connaissez-vous cet homme?
Il répondit pour moi:
—Oh! oui, elle me connaît; nous étions même très bons amis autrefois, mais nous nous sommes disputés un jour, et elle m'a donné mon congé. Pas vrai, Dolly?
Je haïssais cet être sans cœur, mais la douleur avait tué en moi tout autre sentiment.
—Oui, oui, c'est vrai, mais pour l'amour de Dieu taisez-vous et délivrez-nous.
Il sourit, mais ne fit pas un mouvement.
—Oh! m'écriai-je à moitié folle; comment pouvez-vous rester à regarder deux malheureuses femmes qui souffrent le martyre. Vous n'avez donc pas de cœur, pas de pitié?
—Je ne suis pas un bienfaiteur de l'humanité moi!—répondit-il ironiquement—et je n'ai que très peu de tendresse pour les abolitionistes qui viennent débaucher mes esclaves; mais cependant, je consens à faire en votre faveur exception. Si vous consentez à me suivre, je vous aiderai à descendre.
En entendant cette offre cynique, Miss Dean terrifiée me cria:
—Oh! Dolly, n'écoutez pas cet homme; c'est un lâche… il profite de vos souffrances pour abuser de vous… mais ne l'écoutez pas, ma chérie, et supportez vos douleurs bravement. Je souffre autant, si ce n'est plus que vous, mais jamais je n'accepterai de telles conditions, plutôt la mort.
Randolph éclata de rire.
—Je n'ai nullement l'intention de vous offrir quoi que ce soit de semblable, Miss Dean. Vous pouvez rester assise deux heures et plus sur cette barrière sans que je m'interpose. Ce que j'ai pu voir de vos charmes n'a rien de bien tentant. Plate comme une limande et longue comme une perche, voilà ce que vous êtes; or, j'aime une petite femme potelée comme Dolly.
—Brute! lâche! s'écria Miss Ruth au comble de l'exaspération.
Après tout elle était femme, et il lui était désagréable d'entendre ainsi parler de ses charmes.
—Maintenant Dolly, vous m'avez entendu; voulez-vous me suivre ce soir?
La façon grossière dont il me fit cette question me choqua. Aussi rassemblant le peu de courage qui me restait, je lui répondis.
—Non, non, laissez-moi, je n'irai pas avec vous.
Toutefois je manquais visiblement d'assurance en parlant ainsi.
—Très bien, fit-il; vous avez encore près d'une heure à rester dans cette position, et il est probable qu'au bout de ce temps, vous serez terriblement endolorie. La perspective vous en sourit-elle?
Je me mis à pleurer de nouveau, à le supplier encore de me délivrer sans conditions; mais sans prêter la moindre attention à mes prières il alluma un cigare et alla s'appuyer à la barrière en nous regardant d'un air indifférent, pendant que nous nous tordions en d'indicibles souffrances.
Je résistai encore quelques minutes; enfin, exaspérée, à bout de forces, sentant qu'il me serait impossible de supporter davantage cette torture je criai à Randolph:
—Descendez-moi… je ferai tout ce que vous voudrez.
—Dolly, ma chérie, s'écria Miss Dean, je vous en prie, ne brisez pas votre vie; vos souffrances seront bientôt finies; encore un peu de courage; faites comme moi, je préférerais mourir que de céder à cet homme.
Elle était de l'étoffe dont sont faits les martyrs.
—Êtes-vous tout à fait décidée, dit Randolph en posant sa main sur le nœud de la corde.
—Oui, oui, dépêchez-vous!
—Oh! Dolly, ma pauvre petite, comme je vous plains, dit Miss Dean d'un ton navré. Vous ne savez pas ce que l'avenir vous réserve.
Puis elle baissa la tête et se reprit à pleurer.
En un clin d'œil, Randolph avait dénoué les cordes, et, m'enlevant dans ses bras, me porta à la vérandah, où il me fit asseoir dans un fauteuil. J'éprouvais à demeurer ainsi, un bien-être délicieux après les intolérables tortures que j'avais eu à subir. Il alla me chercher un verre d'eau que je bus avidement; j'avais la bouche sèche; de plus, l'excès de la douleur m'avait donné la fièvre.
Quand je fus un peu remise, je suppliai Randolph de délivrer Miss Dean. Mais, furieux après la pauvre femme, il refusa tout d'abord. Enfin je le priai avec une telle ardeur qu'il se laissa fléchir et me promit de la délivrer avant de quitter la maison.
—Maintenant, Dolly, je vais aller chercher le buggy. Il est au bout de l'avenue, je ne serai donc pas long; restez tranquillement assise, et surtout n'essayez pas de vous sauver; les lyncheurs sont aux environs, et si vous retombiez dans leurs mains, il pourrait vous en cuire.
L'idée de me sauver était bien loin de moi; mes membres étaient si endoloris que je n'avais même plus conscience de l'endroit où je me trouvais. Je m'étendis tout de mon long sur le canapé, heureuse de moins souffrir.
Randolph reparut bientôt; il attacha son cheval et s'approcha en disant:
—Allons, Dolly, j'enverrai prendre vos affaires demain. Pour cette nuit, mes femmes vous procureront le nécessaire. Pouvez-vous marcher jusqu'à la voiture, ou voulez-vous que je vous porte.
J'essayais de marcher, mais mes jambes se dérobaient sous moi. Il m'enleva dans ses bras, me porta jusqu'au buggy et m'enveloppa de couvertures. Se dirigeant ensuite vers Miss Ruth, il défit les cordes qui l'attachaient, sans s'inquiéter davantage de la malheureuse. Ma pauvre amie descendit péniblement de son terrible perchoir, en me disant d'un ton suppliant:
—Dolly, n'allez pas avec cet homme, ma chérie, vous ne savez pas ce que vous faites; il vous a arraché votre promesse au moment où la douleur vous affolait; vous n'êtes donc pas forcée de vous y conformer, restez avec moi, petite.
Ma lâcheté me fit répondre en tremblant:
—Je ne le puis; je suis en son pouvoir.
—Oui ma fille, dit Randolph, vous êtes à ma merci, et si vous essayez de vous dérober, vous ne tarderez pas à vous retrouver à cheval sur la palissade. Puis se tournant vers Miss Dean, il lui dit d'un ton rude:
—Quant à vous, vieille folle, souvenez-vous de la menace des lyncheurs; si dans les quarante-huit heures, vous n'avez pas disparu du pays, vous verrez à qui vous aurez affaire.
Puis il prit place à côté de moi et cingla son cheval qui partit au grand trot.
Tant qu'il me fut possible d'apercevoir la bonne Miss Dean, je lui envoyai des baisers; puis lorsqu'un tournant de la route l'eut dérobée à mes yeux, je me pris à pleurer amèrement. J'avais perdu la seule amie que j'eusse vraiment aimée.
Le cheval était un bon trotteur et les trois milles qui nous séparaient de l'habitation de Randolph furent rapidement franchis. Nous arrivâmes devant une grille de fer que deux nègres ouvrirent pour nous laisser pénétrer dans une avenue ombragée de beaux arbres. La voiture s'arrêta enfin devant le perron d'une élégante maison précédée d'une large terrasse en pente douce et d'une immense pelouse très soignée au milieu de laquelle bruissait une fontaine.
Plusieurs nègres se précipitèrent au-devant de nous, et pendant que deux d'entre eux s'emparaient du cheval, les autres ouvraient la porte de la maison.
Randolph m'enleva dans ses bras, puis, traversant un grand hall très luxueux, me déposa dans une chambre meublée avec goût.
—Là, Dolly, me dit-il, vous êtes maintenant chez vous, à l'abri des lyncheurs.
Il sonna. Une quarteronne répondit aussitôt à son appel. C'était une grande belle femme, coquettement vêtue d'une robe de coton à ramages; elle portait des manchettes et un col très blancs; un bonnet, remplaçant le traditionnel madras, emprisonnait ses cheveux.
Elle me regarda attentivement sans cependant exprimer la moindre surprise.
—Dinah, lui dit son maître, cette dame vient d'être victime d'un assez grave accident. Portez-la dans la chambre rose, et soignez-la avec zèle. Vous m'avez compris?
—Oui, maître.
Puis, s'adressant à moi:
—Je vais aller dîner, ajouta-t-il, mais Dinah aura le plus grand soin de vous; je crois que ce que vous avez de mieux à faire est de vous coucher. Ne craignez rien, vous ne serez nullement troublée cette nuit.
Je compris la signification de ces dernières paroles, mais je ne répondis pas, encore trop étourdie. La rapidité avec laquelle ces tragiques événements s'étaient déroulés m'avaient à demi troublé la raison. Dinah vint à moi et m'enlevant dans ses bras robustes, comme elle eût soulevé un enfant, me porta après avoir monté un immense escalier, dans une chambre à coucher, très élégamment meublée, puis elle m'étendit doucement sur le lit.
Elle ferma la porte, et revenant près de moi, me regarda avec douceur:
—Mo qu'a connaît qui vous êtes, dit-elle. Vous qu'étiez bonnes Mam'zelles même, qu'aidez pauv' négros marrons à gagner libertés. Tous négs connaît bien vous-mêmes, dans plantation, mais n'a pas et' neg' dénoncé vous. Mo savé que Lynchers fotté vous joud'hui. Quoiqu'a fait à vous? Vous fotté et assir su baton pointu? Vous dire à mo, ça qu'o miçants fait à vous, mo bien aimer vous pour ça qu'a fait a negs marrons.
La sympathie de cette esclave me toucha vivement et je lui racontai en détail toutes nos souffrances.
Elle quitta aussitôt la chambre et revint portant un bassin plein d'eau tiède.
—Là, tit' cœur, mo qu'a bien soigné vous.
Après m'avoir déshabillée, elle m'épongea, et frotta légèrement les ecchymoses douloureuses.
—Ça, bon pour coups, dit-elle.
Sa compresse m'apportait en effet un grand soulagement.
Tout en bavardant elle pansa soigneusement mes blessures, s'interrompant pour maugréer les lyncheurs qu'elle appelait de tous les noms maudits. Une constatation bizarre que je fis, c'est le profond mépris que professent les nègres à l'égard des blancs qui ne possèdent pas d'esclaves, de même que le respect mêlé de crainte envers les propriétaires de nègres, respect qui grandissait avec le nombre d'esclaves.
J'ajouterai également que Dinah ne sut jamais que c'était à son maître que nous devions les coups reçus si honteusement.
Dinah ayant fini de me soigner, s'en fut à la commode et ouvrit un tiroir qui, à mon grand étonnement, était plein de linge de corps d'une extrême finesse; elle m'enleva ma chemise et me passa une robe de nuit, après quoi elle me fit mettre au lit.
Elle sortit et revint peu après avec un plateau chargé de différents plats et d'une bouteille de champagne.
Elle plaça une petite table à la tête de mon lit et y mit tout ce qu'elle venait d'apporter.
Peu habituée à boire d'alcool, je demandai à Dinah une tasse de thé qu'elle me prépara immédiatement. J'étais encore très faible. Je mangeai néanmoins de très bon appétit et ce léger repas me réconforta un peu. J'avais momentanément presque oublié le passé, et ne me sentais pas le courage de penser au présent, à l'avenir moins encore.
Pendant le repas, Dinah me parla librement, mais toujours avec respect.
Je lui demandai quelques détails sur son existence:
Née dans la plantation même, elle s'y était mariée et y avait toujours vécu. Son mari était mort, la laissant sans enfants, et elle ajouta avec orgueil qu'elle était gouvernante de la maison et avait vingt femmes sous ses ordres.
Enfin elle se retira.
Mon lit était large et moelleux; j'étais horriblement fatiguée, et, cette grande lassitude aidant, je m'endormis d'un profond sommeil…
La pendule de Saxe marquait huit heures lorsque je m'éveillai le lendemain; tout d'abord, je fus étrangement surprise du lieu où je me trouvais, puis, peu à peu, la foule des événements se précisèrent en mon esprit malade: la honteuse exposition des parties les plus secrètes de mon corps, la terrible fouettée, et la chevauchée sur la barrière: je frissonnais en pensant à Randolph, et à la promesse que je lui avais faite. Il pouvait venir d'un instant à l'autre. Peut-être épiait-il déjà mon réveil, caché là à quelques pas de moi; le rouge de la honte me rendit cramoisie; je sautai vivement hors du lit pour fermer la porte à clé… il n'y avait pas de clé!
Et quand j'eusse pu m'enfermer, à quoi bon pareille précaution? Un jour ou l'autre, il faudrait bien me résigner au sacrifice inévitable.
Toute frissonnante, je me remis au lit, avec la crainte de voir entrer Randolph d'un moment à l'autre. Quand viendrait-il?… Peut-être dans la journée, ou dans la nuit? Me cachant sous mes couvertures, je m'efforçai de dormir. Impossible: toujours je voyais la face de Randolph essayant de me sourire, ce qui me semblait l'affreuse grimace d'un satyre en furie.
Vers neuf heures, Dinah entra portant un plateau avec du thé et une lettre de Randolph: il me disait avoir été appelé à Richmond pour une affaire importante, et peut-être, ajoutait-il, y serait-il retenu cinq ou six jours. Il avait fait prendre mes malles, et me disait de commander à Woodlands où je me trouvais, en maîtresse absolue.
Heureuse de ce répit inattendu, je bus mon thé et me recouchai.
Une jeune quarteronne venait d'entrer, portant un grand bassin qu'elle remplit d'eau froide, puis après avoir étalé tous les objets de toilette qui pouvaient m'être utiles, elle quitta la chambre.
Je pris mon bain et, tout en me séchant, je me regardais dans une grande psyché; les marques de la flagellation avaient considérablement diminué, mais mes chairs étaient toujours sensibles au toucher. J'étais encore toute meurtrie entre les jambes, la barrière avait coupé mes chairs. Des larmes de rage jaillirent de mes yeux quand je vis les traces du honteux traitement que j'avais eu à subir.
Dinah revint et m'aida à m'habiller et à me peigner, puis me conduisit dans une chambre très confortable où deux jolies quarteronnes me servirent à déjeuner en me regardant curieusement de leurs grands yeux de gazelles. Ce repas terminé, Dinah vint m'annoncer que mes malles étaient arrivées.
En déballant rapidement mes malles, ma pensée se reportait tout entière vers Miss Dean. Dinah m'avait prévenue du départ de mon amie et de Marthe, pour le Nord.
Combien j'aurais donné pour pouvoir les suivre! L'idée de m'évader me traversa l'esprit et je résolus de faire tout mon possible pour l'exécuter.
Combien Miss Dean serait heureuse de me voir revenir à elle aussi pure que je l'avais quittée.
Et voilà qu'en ouvrant ma dernière malle, je trouvai un bouquet de fleurs rares que nous avions cueillies ensemble et que j'avais conservées, quoiqu'il commençât à se faner. Oh! ces fleurs, comme j'y tenais. Je les effleurai de mes lèvres, et mon âme tout entière s'envolait vers Miss Dean. Toute ma vie mon remords sera d'avoir lâchement abandonné ma bienfaitrice. Si j'avais pu prévoir la suite!… Mais bien peu font leur existence, et nous toutes, femmes, sommes poussées par cette force inexplicable qui nous dirige vers l'inconnu. La douleur avait été pour beaucoup dans ma résolution, mais je dois l'avouer, je cédai plutôt que je ne fus contrainte à suivre cet homme que, cependant, j'exécrais. Ainsi est fait notre caractère.
Je m'habillai complètement, me coiffai soigneusement et sortis de l'appartement. Dans le hall qui précédait la principale porte extérieure, je rencontrai Dinah à qui je déclarai mon intention de faire un tour dans la propriété.
Alors, avec des larmes dans la voix, Dinah me dit qu'elle devait m'accompagner partout, sans me laisser m'éloigner de l'habitation.
Mon projet d'évasion s'écroulait. Dans un mouvement de rage, je lançai mon bouquet de fleurs fanées par-dessus la barrière—infranchissable pour moi.
—Va! m'écriai-je, que le vent emporte ma dernière espérance. Miss Dean, nous sommes à jamais séparées. Puisse la brise te porter mes regrets et un peu de l'amour que je ne cesserai jamais d'avoir pour toi.
Puis, étendue sur une banquette, je me pris à sangloter.
Peu à peu, je me calmai, et Dinah, dans l'espoir de me distraire, me proposa de me faire visiter la maison.
J'acceptai son offre et nous nous promenâmes dans toute l'habitation. Je fus surprise du luxe qui s'étalait partout. Il y avait une vingtaine de chambres, toutes admirablement meublées, chacune dans un style différent. Je parcourus successivement plusieurs boudoirs, de vastes fumoirs, une merveilleuse salle de billard, et une grande bibliothèque remplie de livres de toutes sortes; deux corridors et deux larges escaliers donnaient accès dans toutes ces pièces.
Ainsi que me l'avait dit Dinah, elle avait sous ses ordres vingt servantes, toutes portant le même costume: une robe de coton à ramages, un tablier blanc, un col, des manchettes et sur la tête un élégant bonnet. Les filles affectées aux cuisines étaient des noires ou des mulâtresses, mais toutes les femmes de chambre étaient quarteronnes ou mistis; elles pouvaient avoir de dix-huit à vingt-cinq ans; toutes étaient fort jolies et deux mistis surtout étaient réellement belles. Plusieurs enfants couraient dans les appartements, mais je n'aperçus pas un seul homme.
J'allai ensuite me promener seule dans les jardins qui étaient entièrement entourés de grilles de fer; la seule entrée était la grande avenue par laquelle j'étais arrivée, la veille avec Randolph. J'errai à l'aventure pendant longtemps, mais je remarquai toutefois que les nègres employés au jardinage ne me quittaient pas des yeux, et surveillaient mes moindres mouvements. Je voulus m'assurer que j'étais vraiment prisonnière et je m'avançai vers la grille que j'essayai d'ouvrir. Deux noirs s'approchèrent immédiatement et l'un d'eux me dit:
—Ou pas poué allé. Nous qu'a gagné ordre de Massa pas laissé ou sorti.
Je retournai tristement dans ma chambre que j'examinai soigneusement pour la première fois. Elle était ravissante, tendue de rose et de blanc. De larges fenêtres ouvraient sur un jardin. L'ameublement très soigné et intime, ressemblait quelque peu à celui d'un boudoir. De très larges fauteuils et une table carrée la garnissaient principalement.
Roulant un fauteuil près de la fenêtre, et m'y allongeant, je m'abandonnai à mes pensées.
Que Randolph était donc cruel de nous avoir livrées aux lyncheurs et de m'avoir arraché mon consentement par des souffrances horribles.
Oh! pourquoi n'avais-je pas eu le courage de supporter bravement, comme Miss Dean, les tourments que ces brutes nous avaient infligés. En quelques heures, j'eusse été sur la route de Richmond. Je comparai ma position avec celle de mon amie; elle était bien tranquille maintenant; dans deux jours, elle serait en sûreté à Philadelphie, tandis que je resterai à Woodlands, prisonnière d'un monstre qui me prendrait comme jouet de toutes ses fantaisies.
La matinée s'écoula ainsi, et vers une heure, Dinah vint m'annoncer que le lunch était prêt.
Après m'être légèrement restaurée, je rentrai dans la bibliothèque et je cherchai dans la lecture l'oubli momentané de ma triste situation. A sept heures, je fus appelée pour le dîner, un dîner meilleur et mieux servi que ceux auxquels j'étais accoutumée, Miss Dean vivant très simplement. Deux quarteronnes, Lucie et Kate servaient à table, et Dinah, toujours majestueuse, faisait le service.
Je fis un très bon repas; j'avais réellement faim, et comme j'étais bien portante, mon appétit, malgré tout ce que j'avais eu à subir, ne perdait pas ses droits.
J'allai ensuite m'étendre sur un canapé, dans un petit salon attenant à la salle à manger. Les lampes en furent allumées, les rideaux tirés, et je m'installai très confortablement pour lire. La soirée me parut longue, et je me décidai enfin à me coucher. Dinah me déshabilla et je me glissai entre les draps. Je ne tardai pas à dormir d'un profond sommeil.
Mon esprit versatile et léger—j'étais si jeune!—ne me rappelait plus ma triste situation, et c'est après des rêves enchanteurs que je m'éveillai, le lendemain, fraîche et disposée, comme s'il ne s'était rien produit dans le cours démon existence…
Quatre jours s'écoulèrent, tranquilles, monotones.
J'oubliais presque Randolph, lorsqu'un matin Dinah, en m'apportant mon déjeuner me dit avoir reçu une lettre de son maître; il annonçait son retour pour le soir, et lui recommandait de préparer un très bon dîner. Je me dressai, regardant fixement Dinah. J'étais terrifiée de savoir si proche le moment redouté. Eh quoi, déjà! Je m'accoutumais à la nouvelle vie que je menais, et c'était pour moi un coup terrible que je pressentais, tel le bras qui vous secoue pendant votre sommeil et interrompt un beau rêve.
C'était maintenant la réalité, l'heure fatale et maudite qui approchait, l'heure où il faudra me donner tout entière à l'homme que je haïssais le plus au monde, n'éprouvant pour lui qu'une répulsion qui me semblait en ce moment ne jamais vouloir s'atténuer.
Je me levai et m'habillai machinalement; il me fut impossible de déjeuner, et toute la journée j'errai mélancoliquement d'une chambre à l'autre, la tête pleine de pensées tristes.
J'étais déjà épouvantée par les événements que j'entrevoyais.
Maintenant, je n'avais plus d'espoir d'échapper au satyre qui guettait, depuis trop longtemps, sa malheureuse proie.
Vers cinq heures, j'étais assise dans ma chambre, lorsque Dinah entra, suivie d'une quarteronne qui portait un tub. Elle le plaça au milieu de la pièce, le remplit d'eau chaude, puis elle sortit, me laissant seule avec Dinah. J'avais déjà pris mon bain, et je me demandais pourquoi cette fille me rapportait le tub rempli d'eau chaude; je n'avais pas l'habitude de prendre de bains chauds, et j'en fis la remarque à Dinah.
—Mo, mamzel, me répondit-elle, mo savé vou même faitement propre, Maît' dans lette, ma dé mo baillé à vous bain pafumé; si mo pas complir, li baillé mé fessée.
Je rougis d'indignation, et j'étais profondément humiliée. On purifiait la victime et on la parfumait avant le sacrifice. Dinah n'y pouvait rien; elle avait reçu des ordres auxquels elle ne pouvait que se conformer. Je lui permis donc de me laver.
Elle parut rassurée et se mit immédiatement à parfumer le bain. Elle y versa le contenu d'une petite fiole, puis un paquet de poudre blanche qui fleurait délicieusement la rose, après quoi, elle remua l'eau jusqu'à ce que la poudre fût complètement dissoute.
J'appris par la suite que cette préparation était en usage dans les harems d'Orient et donnait à la peau un velouté exquis.
Lorsque tout fut prêt, elle me déshabilla et me passa l'éponge sur tout le corps, vantant en même temps l'harmonie de mes formes et la blancheur de ma peau.
Puis elle me sécha avec des serviettes très douces et me massa de la tête aux pieds, froissant légèrement la chair entre ses doigts. Mon corps devenait extrêmement souple, et ma peau devenait d'un blanc laiteux immaculé.
Dinah m'habilla ensuite, portant ses plus grands soins aux linges de dessous. Elle me passa une chemise garnie de guipures et de rubans bleus et blancs, puis un pantalon avec des dentelles roses. Une paire de bas de soie blanche me fut attachée au-dessus du genou avec d'élégantes jarretières de satin bleu, ornées de boucles d'argent.
Lorsque j'eus aux pieds mes plus fins souliers, elle me fit mettre mon corset qu'elle sangla fortement et, finalement, me passa une délicieuse robe blanche. Elle m'avait fait une coiffure très haute qui me seyait à merveille. Ces préparatifs achevés, elle recula de quelques pas et, satisfaite sans doute de son examen, elle s'écria:
—Vous très belle, li Massa li content y baillé moi compliments.
Dinah savait très bien dans quel but elle m'avait ainsi parée, mais elle ne comprenait pas pourquoi j'étais si émue.
Elle n'était pas vertueuse, et comme toutes ou presque toutes les femmes de couleur, elle était de mœurs faciles et d'idées peu austères. De plus, je crois qu'elle m'estimait heureuse d'avoir attiré l'attention du maître, qui était à ses yeux un très important personnage.
Ces apprêts terminés, elle me fit descendre dans le salon, pour attendre l'arrivée de Randolph.
Je m'installai dans la grande pièce, brillamment illuminée pour cette circonstance et, à peu près résignée à mon sort, j'attendis le cœur gros l'homme qui allait me ravir ma virginité.
J'étais assise dans le salon, prêtant l'oreille au moindre bruit. Si j'avais éprouvé à l'égard de Randolph le moindre sentiment de tendresse, ma peine eût été moins amère, mais je le haïssais cordialement.
J'entendis bientôt le roulement d'une voiture qui s'arrêtait devant la terrasse, puis une porte qui s'ouvrait. Mon cœur commença à battre violemment, mais mon énervement ne ressemblait en rien à celui d'une jeune fille qui attend son amant. Quelle singulière position était la mienne; j'étais partagée entre la crainte de revoir Randolph et le désir d'en finir au plus tôt.
Enfin il entra. Il était en costume de soirée. Venant à moi, il me prit les mains et m'embrassa sur les lèvres. Je frémis de tout mon être; il me regardait longuement et attentivement, pendant que, les yeux baissés et toute rougissante, j'attendais qu'il m'adressât la parole.
—Vous êtes tout simplement ravissante, Dolly, dit-il après un long silence. Votre robe vous sied à ravir, mais à l'avenir, il faudra mettre une toilette décolletée pour le dîner.
Il me considérait déjà comme sa propriété.
—Je n'en ai pas, murmurai-je en manière d'excuse sans oser lever les yeux.
—Vous en aurez bientôt plusieurs, reprit-il en souriant. Maintenant, dites-moi, avez-vous été bien soignée durant mon absence? Dinah a-t-elle bien veillé sur vous et les domestiques ont-ils été respectueux?
Je n'avais certes pas eu à me plaindre, et, sans les tristes idées que j'avais en tête, j'aurais pu me trouver très heureuse. Je lui répondis donc que Dinah avait été très bonne et que les domestiques s'étaient montrés envers moi attentifs et pleins de déférence.
—C'est heureux pour eux, et, s'il en avait été autrement, il leur en eût cuit, depuis Dinah jusqu'à la dernière des filles de cuisine.
Ses paroles me révoltèrent un peu. Il me semblait qu'il eût pu éviter de faire allusion à des corrections dont je ressentais encore légèrement la douleur.
Il m'adressa encore quelques questions sans importance et une des femmes vint annoncer que le dîner était servi.
La table était couverte de fleurs, le linge et la verrerie étaient d'une grande richesse.
Sur le grand buffet d'acajou brillait la lourde argenterie qui appartenait à la famille des Randolph depuis plusieurs générations. C'était la première fois depuis mon arrivée que l'on servait le dîner dans la vaisselle plate.
Randolph parlait gaîment, mangeant de bon appétit et sablant le champagne avec une aisance sans égale. Je ne touchais que du bout des lèvres aux nombreux mets servis et ne répondais que par monosyllabes.
Randolph, dans l'espoir de m'animer, essaya de me faire boire une coupe de champagne, mais le vin me monta à la tête et ne fit que m'étourdir au lieu de m'exciter.
Il n'insista plus pour m'en faire boire. Le repas terminé, nous passâmes au salon et Randolph alluma un cigare.
Il avait appris à Richmond que Miss Dean était arrivée saine et sauve à Philadelphie, et il ajouta en riant bruyamment:
—Je ne pense pas que l'élégante quakeresse recommencera de sitôt à diriger une station souterraine. Par Dieu, elle a reçu une terrible fouettée; j'imagine qu'elle en portera toujours les marques; Quant à vous, Dolly, vous n'aurez pas de cicatrices, votre peau n'ayant pas été coupée.
Vers dix heures, il se leva, et, me prenant par la taille, essaya de m'entraîner. Je fis un dernier appel à sa pitié:
—Je vous en supplie, monsieur Randolph, épargnez-moi, lui dis-je en joignant les mains.
Sa figure changea brusquement et ses traits prirent une expression de colère qui m'effraya.
—Dolly, me répondit-il durement, n'insistez pas; vous savez ce que vous m'avez promis, et je suppose que c'est une affaire terminée.
—Oh! je vous en prie, rendez-moi ma parole. Vous savez bien que j'étais à demi folle de douleur lorsque je vous ai promis ce que vous me demandiez. Soyez généreux et laissez-moi partir…
—Écoutez, m'interrompit-il brusquement, tout ce que vous pourrez me dire est inutile. Vous êtes en mon pouvoir, à ma discrétion, et, certes, je ne vous rendrai pas votre parole. Si vous ne consentez pas à me suivre de plein gré, j'emploierai la force. M'avez-vous bien compris?
Ma dernière chance de salut s'évanouissait et ses menaces m'épouvantaient. Toute résistance devenait inutile et la soumission était obligatoire. C'est en sanglotant et baissant la tête que je murmurai:
—Je suis prête à vous suivre.
Oh! combien ces mots me coûtèrent. Randolph me prit le bras et me conduisit à ma chambre sans ajouter une parole.
Randolph avait fermé la porte, et, se tournant vers moi, me dit:
—Voyez-vous, belle Dolly, je suis très heureux que vous soyez revenue à de bons sentiments. J'eusse été très fâché d'employer la violence à votre égard.
Me faisant tenir debout devant la glace, il défit vivement les boutons de mon corsage et les cordons de ma jupe, puis en un clin d'œil, fit sauter mon corset. Il défit ensuite mes jupons et mes pantalons et m'enleva mes bas. Je me trouvais donc complètement déshabillée devant lui, n'ayant que ma chemise sur le corps, et, je l'avoue, malgré ce dernier vêtement, je me sentais rougir de honte. Quelle angoissante position pour une femme qui était encore une jeune fille! et je savais bien que les femmes, dans tous les temps et dans tous les pays du monde, qui ont passé par ces épreuves n'en étaient pas mortes.
Puis, soudain, comme si le dernier voile qui me restait et me couvrait mal, l'eût impatienté, il me l'enleva et je me trouvai complètement nue devant cet homme. Je fermai les yeux, mais les larmes perlèrent sous mes paupières et coulèrent lentement sur mes joues. Cependant Randolph ne cessait de parler.
—Comme vous êtes belle et bien faite, murmurait-il. Combien vos formes sont élégantes et pures!
Une autre femme eût peut-être été heureuse de ces compliments, mais j'étais trop honteuse et ne prêtais que peu d'attention à ces paroles; je désirais ardemment la fin de ce supplice.
Enfin, Randolph m'avait étendue sur le lit. Me serrant dans ses bras, il m'étouffait de baisers…
Je ne me soucie pas de savoir comment les autres femmes se sont tirées d'affaire en cette pareille circonstance. Pour moi, je la trouvai si bestiale et douloureuse que, dans ma naïveté, je me crus victime d'un abominable attentat. Je ne ressentis pas la plus fugitive sensation voluptueuse. Rien que de la douleur.
Toutes les femmes ont passé par là; je le sais et aucune pourtant ne s'en est plainte: la preuve en est qu'elles y retournent.
Néanmoins, je n'éprouvai que du dégoût et mon aversion pour Randolph ne fit que d'augmenter.
Je me réveillai le lendemain matin, courbaturée. Randolph, lui, donnait toujours profondément.
J'étais triste et découragée, et mes pensées n'étaient pas précisément gaies.
Après avoir longuement réfléchi sur mon affreuse situation, je crus que le mieux était de rester à Woodlands, pour quelque temps du moins, et de faire contre fortune bon cœur. Je résolus donc de tirer le meilleur parti de la situation.
J'en étais là de mes réflexions, lorsqu'on frappa à la porte: c'était Suzanne, l'une des femmes de chambre, qui apportait le thé. Elle plaça son plateau sur une table près du lit; elle me regardait sans la moindre expression d'étonnement ou de curiosité, mais je me sentis toute honteuse de me trouver couchée avec un homme en présence de cette fille, et je rougis malgré moi.
Elle mit un peu d'ordre dans ma chambre, ramassant mes vêtements que Randolph avait jetés à la volée par toute la pièce. Puis elle prépara le bain et se retira.
Je me levai, puis une fois habillée, je descendis dans le jardin, afin de m'asseoir dans un coin solitaire où je pusse réfléchir à mon aise.
Après tout ce que j'avais eu à subir, j'étais heureuse de me retrouver un instant seule; la sérénité du ciel, l'air frais du matin, le doux arôme des fleurs et le clair soleil qui montait à l'horizon, eurent pour effet de calmer un peu la surexcitation de mes nerfs. Je me sentais toute alanguie et je restai étendue à l'ombre jusqu'à l'heure du déjeuner.
Après le repas, Randolph s'éloigna et Dinah entra, m'apportant un panier de clés, en me demandant respectueusement mes ordres pour la journée. Je remarquai qu'elle ne m'appelait plus Mamzelle, mais Maîtresse.
Comme je n'avais nullement l'intention de me donner la peine de surveiller la gestion d'une maison aussi importante que Woodlands, je priai Dinah de garder les clés et de continuer à diriger tout comme auparavant.
Elle parut très heureuse de ma résolution, et, reprenant fièrement son panier, elle partit toute joyeuse.
Je passai l'après-midi sur un divan à lire tranquillement et je ne revis Randolph qu'au dîner.
Mon appétit était revenu; je fis honneur aux excellentes choses qu'on nous servit et je bus une ou deux coupes de Champagne. Je trouvai, cette fois, ce vin délicieux; il ne tarda pas à agir et me monta même légèrement à la tête.
A onze heures, nous nous mîmes au lit et cette nuit se passa plus agréablement que la précédente.
Plusieurs semaines s'écoulèrent. J'étais confortablement installée à Woodlands, et je commençais à me faire à ma nouvelle vie, m'efforçant même de chasser toute préoccupation d'avenir.
Randolph avait pris, pour mon service, la meilleure couturière de Richmond, et, grâce à ses soins empressés, ma garde-robe était au complet. J'avais quantités de toilettes de ville et de soirée, du linge très fin orné de dentelles de prix.
Il m'avait aussi fait faire un costume d'amazone et me donnait des leçons d'équitation.
Randolph, très généreux, m'avait offert de nombreux bijoux; c'était, d'ailleurs, un parfait gentleman possédant une brillante instruction. Malheureusement un libertinage invétéré gâtait ses bonnes qualités; j'eusse voulu mon amant plus sage.
Toutes les femmes de sa plantation lui étaient passées par les mains. Il n'avait néanmoins aucun égard pour elles; elles étaient ses esclaves et, pour la moindre faute commise, il les faisait fouetter ou les fouettait lui-même sans pitié.
Il en était de même avec moi, corrections exceptées, bien entendu. Il me répétait souvent que j'étais jolie, et ne se lassait pas de me contempler. Il ne m'aimait pas, il m'admirait. J'étais obligée de me plier à toutes les fantaisies que son cerveau surexcité lui commandait, d'agréer toutes ses fantaisies lubriques.
Son grand amusement était de me varier mes costumes. Il me prenait en robe de soie, robe de ville ou de soirée, dans toutes les positions qui lui traversaient l'esprit.
Du jour de mon entrée dans la maison, il délaissa complètement les servantes pour s'occuper exclusivement de moi. Au fond j'aurais préféré qu'il me laissât un peu plus tranquille.
Peu à peu, cependant, je finis par m'habituer à lui et à l'appeler par son prénom, Georges. Il était toujours très doux avec moi, quoique parfois de très mauvaise humeur.
A cause de son incorrigible libertinage, Randolph, bien qu'appartenant comme je vous l'ai dit, à l'aristocratie de la Virginie, n'était pas invité dans la société. Aussi il ne venait jamais de dames à Woodlands et, quand il recevait, il n'y avait que des hommes à table. Je m'asseyais alors en face de lui à la place d'honneur. A l'occasion de ces fêtes, toutes les femmes de la maison étaient vêtues de noir, avec le col et les manchettes blanches, et de jolis bonnets sur la tête.
Malgré toute la licence accordée à ses invités, aucun d'eux ne me manqua jamais de respect, personne n'essaya de prendre la moindre privauté. Tous me traitaient comme la dame de la maison et, comme on savait que Randolph était très violent et tirait admirablement au pistolet, arme dont il était d'ailleurs constamment prêt à se servir, aucun d'eux ne se serait jamais avisé de me parler trop familièrement.
Le temps pourtant s'écoulait sans événements notables; j'étais toujours très bien portante, et ne m'ennuyais pas. J'avais quantité de livres à ma disposition: je montais à cheval tous les jours, tantôt seule, tantôt avec mon amant. Souvent même, nous faisions de longues promenades en voiture.
De temps à autre, nous allions passer quelques jours à Richmond; c'était là pour moi de vraies parties de plaisir.
Nous descendions dans le meilleur hôtel et nous allions tous les soirs au théâtre ou dans un café concert quelconque. Je n'avais jamais été au spectacle avant de vivre avec Randolph, et je fus prise d'une grande envie de me faire actrice.
Je m'en ouvris à Georges que la singularité de mon désir égaya beaucoup, mais il me déclara qu'il ne voulait plus entendre parler de cela.
Lorsque nous étions à Woodlands, je me promenais toute la journée dans la plantation qui, très importante, comprenait plus de deux cents nègres, tous employés à la culture du coton.
Randolph était assez bon pour eux; il les nourrissait bien et n'exigeait qu'un travail proportionné à leurs forces; en revanche il ne leur pardonnait pas la moindre faute: aussi la courroie, la baguette et la batte ne chômaient-elles guère.
Les esclaves étaient répartis en trois quartiers. Le premier était réservé aux couples mariés, le second aux hommes seuls et le troisième aux filles.
Mais, aussitôt le travail terminé, ils se réunissaient pour danser et chanter en s'accompagnant de tambourins. Naturellement, les registres de naissance que Randolph tenait soigneusement, accusaient une notable et continuelle augmentation dans la population.
A la maison, la discipline était toujours maintenue par Dinah, et, quand une fille faisait mal son service ou lui manquait de respect, elle était impitoyablement menée à Randolph qui ne tardait pas à lui faire regretter un moment de négligence. Souvent j'entendais les cris des coupables, mais jamais je n'assistais à l'exécution d'une punition.
Je crois vous avoir dit que j'avais pour femme de chambre une misti du nom de Rosa. Cette fille avait été avant mon arrivée la favorite de Randolph qui l'avait complètement délaissée depuis mon installation. Rosa en conçut un vif ressentiment à mon égard.
Elle manifesta les premiers jours sa jalousie en faisant très mal son service et en affectant pour moi des airs impertinents. Je savais que si je me plaignais à Randolph le châtiment serait sévère et je résolus de patienter.
Rosa était très belle fille; âgée d'environ vingt ans, elle était grande, à peine plus foncée de peau qu'une brune des pays chauds. Son corps était bien proportionné; ses mains fines n'avaient jamais été déformées par un travail pénible et ses cheveux non crêpés lui tombaient plus bas que les reins. Sa voix était mélodieuse, mais un peu traînante, et elle se servait du langage petit nègre en parlant.
Un matin qu'elle m'aidait à ma toilette, sa mauvaise humeur éclata: elle se mit à me brosser les cheveux si rudement que je lui en fis l'observation, mais sans y prendre garde, elle les tira plus violemment encore en disant:
—Ça pas occupation moi-même, brossé bourré vous-même. Vous béqué eré que paque tine la peau blanche, vous êtes belle bitin, vous femme, pas meilleur comme mo, vous pas femme à Massa, y vous qui tini coucé toutes les nuits avec lui-même.
Rouge de colère, je lui ordonnai de quitter la chambre, ce qu'elle fit en ricanant.
Les larmes me vinrent aux yeux et j'eus conscience de mon abaissement. Il était dur après tant de malheur de s'entendre parler de la sorte par une esclave. Mais, après tout, elle avait dit la vérité: je ne valais pas mieux qu'elle.
J'achevai de m'habiller seule, et je descendis. Randolph remarqua mes yeux rouges.
—Qu'avez-vous, Dolly? me demanda-t-il.
—Oh! rien; Rosa a été un peu impertinente avec moi.
Ma réponse ne le satisfaisant point, il insista et je lui racontai toute la scène, intercédant pour Rosa qui, ajoutai-je, avait toujours été très polie avec moi.
—Je lui parlerai tout à l'heure, dit Georges, et il continua tranquillement de déjeuner.
J'avais oublié la scène qui s'était passée et, le repas fini, je passai dans la bibliothèque afin de lire les journaux pendant que Randolph fumait un cigare.
Au bout d'un instant il sonna. Une des femmes, nommée Jane, répondit à son appel.
—Allez me chercher Rosa et Dinah, lui dit son maître, et revenez avec elles; j'ai besoin de vous trois ici.
Elles arrivèrent ensemble quelques minutes après.
Georges se leva de son siège et, se tournant vers Rosa qui paraissait épouvantée, il s'écria:
—Ah! vous voilà, insolente; comment osez-vous parler sur un ton semblable à votre maîtresse? Chienne que vous êtes! Croyez-vous que c'est parce que j'ai eu des bontés pour vous, que je vous laisserai insulter une dame blanche. C'est ce que nous allons voir.
Terrifiée, Rosa pâlit, autant que le permettait son teint bronzé; elle éclata en sanglots et, se tournant vers son maître, s'écria en joignant les mains:
—Lagué mo, lagué mo, Massa, pas fotté moin, mo qu'a mandé pardon; puis, se tournant vers moi, elle me lança un regard suppliant.
Je ne voulais pas que cette malheureuse fût fouettée; aussi intercédai-je vivement en sa faveur auprès de Randolph. Mais il ne se laissa pas fléchir.
—Enlevez-la, dit-il en se tournant vers Dinah.
Celle-ci, s'avançant vers Rosa, la saisit par les poignets, et, faisant demi-tour, l'enleva sur ses épaules larges en se penchant fortement en avant. Les pieds de la coupable quittèrent le sol, et elle se trouva courbée en deux sur le dos de Dinah.
Je ne tenais pas à voir le supplice et je me dirigeai vers la porte.
—Restez ici, je le veux, dit impérieusement Randolph. Levez les jupons, Jane, ordonna-t-il, et faites attention de bien les tenir hors de la portée de la badine.
Ainsi fut fait. Rosa avait la peau très lisse; ses jambes bien moulées, dans des bas de coton blanc très propres, elle portait comme jarretières des nœuds de rubans bleus, et était chaussée de jolis souliers. Randolph alla chercher une badine dans un cabinet voisin, puis revint en disant:
—Je vais maintenant vous apprendre le respect dû à vos maîtres; il y a longtemps que vous n'avez été fouaillée, mais je vais vous remuer le sang convenablement.
Rosa n'avait pas soufflé mot pendant ces préparatifs, mais à présent, elle tournait la tête vers son maître, et l'implorant:
—Oh! Massa, vous qu'a pas baillé fotté, fot a Rosa même.
Il commença de fouetter la malheureuse, frappant lentement et posément. La fille frémissait, jetant les jambes en l'air pour essayer d'échapper au terrible contact de la badine, puis elle se mit à crier et à supplier son bourreau.
—Oh! Massa, Massa, plus baillé flonflon, Massa qu'a baille top fot, oh! ché doudou qu'assez!
Le coudrier continuait à strier ses chairs, lui arrachant de longs cris. Sa peau était très fine pour une femme de couleur; elle devait sentir cruellement la douleur.
Randolph s'arrêta enfin. La coupable fut remise sur pieds, sanglotant.
—Là, Rosa, lui dit son maître. Vous n'avez pas à vous plaindre; je n'ai pas été sévère aujourd'hui, mais faites attention à vos paroles, car si j'apprends de vous la moindre impertinence, vous ne vous en tirerez pas aussi légèrement.
Rosa, toujours pleurant, quitta la chambre avec les deux femmes.
Nous restâmes tous deux seuls.
—Je crois, me dit Randolph, que maintenant vous n'aurez plus à vous plaindre d'elle, mais si elle recommençait faites-le-moi savoir.
—Oh! Georges, répondis-je, comment avez-vous pu fouetter ainsi cette malheureuse, surtout après avoir eu des relations avec elle; elle est jolie, et c'est mal à vous.
Il se mit à rire.
—Oui, vous avez raison, je l'ai eue souvent et je l'aurai encore si l'envie m'en prend, mais je ne l'en fouetterai pas moins si elle se conduit mal et si elle en a besoin. Ce n'est qu'une négresse, malgré sa peau claire, et vous, incorruptible abolitioniste, ne savez ni ne voulez comprendre le peu de cas que nous faisons de nos esclaves. Leur corps nous appartient, et nous sommes libres d'en faire ce que bon nous semble. Pour mon compte, je fais plus de cas de mes chevaux et de mes chiens que de mes nègres.
Je croyais connaître Randolph, mais cette dernière remarque m'indigna. Je m'abstins pourtant de toute observation.
Lorsque je montai m'habiller pour dîner, je trouvai Rosa dans ma chambre; elle paraissait très humble et très soumise. J'eus pitié d'elle, car je savais combien les coups de badine étaient douloureux.
—Je regrette que vous ayez été battue, Rosa, lui dis-je; le fouet vous a-t-il fait très mal?
—Oh, que oui, maîtresse, l'a qu'a fessée, qu'a fait gand mal a mo. Li maît jamais qu'a baillé me fessade si fot, Dinah qu'a mo bandé tant coum gaisse à possuc. Ma ça qu'a faire toujours gand mal.
Elle m'aida à m'habiller, et depuis ce jour, je n'eus plus jamais lieu de me plaindre d'elle.
Trois nouveaux mois passèrent; je vis bien des choses curieuses, mais je ne veux pas allonger mon récit, ou plutôt ma confession.
Randolph donnait toujours à ses amis des dîners ou parties amusantes et parfois fort libres. N'eut-il pas l'idée, un jour qu'il avait dix convives, de vouloir les faire servir par dix esclaves nues! Cette fantaisie m'épouvanta.
—Oh! Georges, m'écriai-je, vous ne ferez pas une chose pareille? Ce serait trop honteux.
—Mais si, certainement, répondit-il en riant; comment, Dolly, vous rougissez; je croyais pourtant bien que vous étiez guérie de votre timidité.
—Mais votre idée est absolument insensée. Si vous voulez agir ainsi, au moins, ne m'obligez pas à rester à votre table; ma position entre dix hommes environnés de femmes nues serait trop horrible!
Hélas! il me fallut consentir à cette lubrique fantaisie d'un cerveau que je commençais à considérer comme malade.
Le repas eut lieu, ainsi que l'avait voulu Randolph, et, mourant de honte, je me retirai dans ma chambre, pour ne pas voir ce qui allait inévitablement se passer.
Quelques jours après cette scène, Randolph m'annonça qu'il était dans l'obligation de partir à Charlestown pour affaires et ordonna à Dinah de lui préparer sa valise. Avant de s'éloigner, il me fit plusieurs recommandations et me donna le contrôle de toute la maison, en m'exonérant cependant de la surveillance de la plantation: je devais également laisser les majordomes absolument maîtres du travail.
Il ajouta que si l'une des femmes commettait quelque faute, je pourrais, avec l'aide de Dinah, la fouetter moi-même, ou, si je le préférais, l'envoyer à un des surveillants avec une note spécifiant quel instrument devait être employé pour la correction: la baguette, courroie, ou batte.
Je lui promis de faire tout ce qu'il me disait, mais, à part moi, je comptais bien ne pas fouetter ou faire fouetter une seule femme sous quelque prétexte que ce fût. Certes, il est bon parfois de fustiger doucement un enfant, mais l'idée de frapper rudement une femme me répugne profondément.
Randolph parti, je me sentais heureuse d'être libre d'agir à ma guise, sans avoir à subir les ordres d'un maître, car Randolph était moins mon amant que mon maître.
Le temps passa tranquillement. Dinah était très attentive et les femmes se conduisaient parfaitement. Je passais mes journées à lire et à monter à cheval. Randolph m'en avait donné un très doux, car j'étais toujours fort nerveuse.
Nous étions à l'époque de la récolte du coton. Cet ouvrage était fait par des femmes qui étaient obligées, sous peine de punition, d'en récolter un certain poids par jour. Elles se réunissaient à la fin de la journée et un surveillant, un carnet à la main, pesait leurs paniers. Si le poids était insuffisant, la femme était fouettée avec la courroie qui produisait une forte douleur sans abîmer la peau.
J'ai entendu dire à un surveillant qu'on pouvait fouetter une négresse pendant une demi-heure avec la courroie, sans en tirer une goutte de sang.
Nous avions alors soixante-dix femmes employées à ramasser le coton, et tous les soirs, quatre ou cinq recevaient la fouettée. Cette coutume n'était pas particulière à notre habitation, mais tous les planteurs de la Virginie agissaient ainsi. Les majordomes surveillant les travaux des champs étaient chargés du soin de punir les négresses, et toutes les plus jolies travailleuses leur passaient entre les mains; ils n'en avaient pas plus de pitié pour cela; leurs attributions comprenant les fustigations, c'est presque machinalement qu'ils les exerçaient.
Cependant, je continuais à mener une existence que l'absence de Randolph rendait fort calme.
Peu à après son départ, je reçus une lettre de Georges m'annonçant que ses affaires n'étaient pas terminées, et qu'il comptait rester encore quelques semaines à Charlestown. La nouvelle ne m'émut guère. Je n'aimais pas mon amant et j'étais heureuse d'avoir un peu de tranquillité.
Le même jour, après le déjeuner, j'étais dans la bibliothèque, quand Dinah entra, l'air fort contrarié; elle me raconta que, depuis le départ du maître, Emma, une fille de cuisine, faisait très mal sa besogne, et restait insensible à toutes les observations. Puis Dinah me demanda si je voulais la fouetter moi-même.
—Non, répondis-je, je ne puis faire cela.
—Lors, vous ça ka la mandé a majordome.
—Non, pas davantage.
Dinah me regarda très surprise. Elle ne pouvait comprendre pourquoi je ne voulais ni battre la fille ni l'envoyer au majordome.
—Oh! maîtresse, dit-elle, mo ka faire? si vous ka pas baillé fouetté a canaille négesse la, toutes autes bouguesses dans maisons tant comme, li van mal corresponde a mo même, y moi ka pas pouvoi tini ordre, dans habitation.
Je ne pus m'empêcher de rire en entendant la façon méprisante avec laquelle Dinah parlait des drôlesses noires. Esclave elle-même et passible du fouet pour la moindre faute commise, elle avait une haute idée de sa propre importance et de sa position de femme de charge de Woodlands.
—Attendez le retour du maître, lui dis-je, alors vous vous plaindrez d'Emma et vous la punirez.
Dinah était fort mécontente et me fit observer que si je ne voulais pas fouetter la femme avec une badine, je pouvais le faire sur mes genoux avec une pantoufle. Mais je lui refusai cette dernière satisfaction, et elle partit furieuse en grommelant contre mon indulgence pour «catin négesse».
Une semaine se passa. Une belle après-midi, j'étais partie avec un livre, m'installer dans un endroit paisible des jardins, auprès d'un joli lac couvert de nénuphars et environné de bosquets. Sur la berge était construite une petite maison toute chargée de plantes grimpantes, et meublée de chaises longues en osier, et d'une petite table ronde.
En approchant, j'entendis des éclats de rire, et j'aperçus deux galopins fort occupés à jeter des pierres à quelque chose qui remuait dans l'eau.
C'était le frère et la sœur, enfants d'une splendide mulâtresse appelée Marguerite, employée comme fille de cuisine. Les deux enfants étant quarterons, le père était évidemment un blanc. Le garçon avait une douzaine d'années, et la petite un ou deux ans de plus. Comme il leur était interdit de venir dans ce jardin, je supposais qu'ils s'enfuiraient à mon approche, mais, absorbés par leur jeu ils ne m'aperçurent pas.
En avançant encore, je m'aperçus que leur but était un pauvre petit chat qui luttait désespérément pour regagner le rivage, et que les petits sauvages repoussaient impitoyablement.
J'aime beaucoup les animaux, et particulièrement les chats; ce spectacle me rendit furieuse. Je courus au bord de l'eau et saisis la pauvre bête que je couchai au soleil, espérant qu'elle reviendrait à la vie, mais les pierres des petites brutes l'avaient cruellement blessée et elle resta étendue sans vie sur l'herbe.
J'entrai dans une grande colère et, saisissant les deux drôles, je les renversai tour à tour sur mes genoux et les fustigeai un peu fort. Puis, satisfaite, je m'installai confortablement et je lus le roman que j'avais apporté avec moi. Après le dîner, le soir, Dinah vint me demander divers renseignements, et j'en profitai pour la prier de me dire ce qu'elle connaissait de la vie de Randolph.
Elle parlait longuement, prenant plaisir à s'écouter elle-même; son récit était semé de remarques que je ne crois pas utile de reproduire; aussi ne vous en donnerai-je qu'un résumé.
Dinah était exactement du même âge que Randolph, étant née le même jour que lui, trente-cinq ans auparavant. Sa mère avait été la nourrice de Georges, et les deux enfants, élevés ensemble, étaient une vraie paire d'amis. Mais sitôt que Randolph fut en âge de comprendre la différence qui les séparait, il devint autoritaire, et la rouait de coups quand elle ne se pliait pas à ses caprices. A dix-huit ans, il lui ravit sa virginité, puis alla passer trois ans en Europe.
A vingt-cinq ans, Dinah épousa un quarteron, et, depuis cette époque, Randolph ne l'avait plus approchée. Ce dernier venait d'atteindre sa trentième année lorsque son père et sa mère moururent à peu de temps l'un de l'autre; il devint alors propriétaire de Woodlands. A cette époque, Dinah était veuve et première femme de chambre; elle fut élevée à la dignité de femme de charge par Randolph qui lui conféra une certaine autorité sur les autres esclaves, ce qui ne l'empêchait pas de la fouetter quand elle avait le malheur de lui déplaire, quoique cela ne fût pas arrivé depuis plus de deux ans.
Je congédiai Dinah et me mis au lit. Le lendemain, à mon réveil, je reçus une lettre de Randolph.
Georges m'annonçait son retour pour le lendemain soir, et me recommandait de lui faire préparer un bon dîner à l'heure habituelle.
Le jour de son arrivée, vers deux heures, je fis seller mon cheval et partis me promener. Aidée de Rosa, j'avais mis une jolie amazone, et m'étais coiffée d'un grand feutre gris comme en portent les cowboys, ce qui m'allait à ravir. Je rentrai vers cinq heures. Le groom m'attendait sur le perron, et m'annonça que son maître était arrivé depuis plus d'une demi-heure. Épouvantée, j'entrai en courant au salon.
—Oh! Georges, lui dis-je, je suis vraiment peinée de ne pas avoir été là pour vous recevoir, mais je ne pouvais penser que vous arriveriez avant six heures.
Je croyais le trouver furieux, mais il était au contraire de bonne humeur. Il se leva, vint à moi, et répondit en m'embrassant:
—Cela importe peu, ma petite chérie, je suis seul fautif.
Je fus surprise de ces manières affectueuses auxquelles je n'étais pas accoutumée, manières presque tendres et qui contrastaient singulièrement avec l'humeur habituelle de mon amant.
Nous descendîmes à la salle à manger, et nous fîmes honneur au repas qui, d'ailleurs, était excellent.
Randolph me questionna sur la conduite des femmes; je lui dis sans hésitation que je n'avais eu qu'à me louer d'elles durant son absence.
Après le dîner, une fois installés au salon, Randolph me fit part de ses craintes sur la situation présente. Les rapports entre Nord et Sud étaient très tendus. Georges, naturellement, Sudiste convaincu, avait voué une haine invétérée à ses adversaires qu'il agonisait d'injures. J'étais Yankee, et, comme telle, j'espérais en mon âme sur l'entière victoire de mes compatriotes; je me gardais cependant d'exprimer tout haut mon opinion; Randolph, selon son habitude, m'eût violemment imposé silence.
Le lendemain, nous fîmes en buggy une longue promenade, qui nous conduisit jusqu'à l'habitation où j'avais vécu si heureuse avec Miss Dean.
Les souvenirs se pressaient en foule dans mon esprit.
—Oh! partons, dis-je à Georges qui s'aperçut de mon émotion. Mais le cruel ne fit que rire bruyamment de ce qu'il appelait ma «sensiblerie mouillée»,—mouillée! parce que mon émotion se traduisait en larmes silencieuses!—et nous reprîmes lentement le chemin de Woodlands.
Les jours succédaient aux jours, dans un morne désœuvrement. La continuité du calme dans cette ruche monotone pesait lourdement sur mes esprits; il me semblait que je souffrais de ma tranquillité. Depuis le retour de Randolph, tout allait pourtant pour le mieux et aucune femme n'avait encore eu ses jupons relevés—pour recevoir le fouet, s'entend, car—pour le reste… L'amour existe dans tous les pays.
Cette quiétude ne pouvait durer. Un petit accident arrivé dans la récolte—accident peu important, du reste, eut le don de mettre Randolph dans une violente colère.
J'étais dans la bibliothèque, étendue négligemment sur une chaise longue, chaussée d'espadrilles légères, Randolph entra brusquement, les yeux chargés d'éclairs. Il mordillait rageusement sa moustache, et, ne trouvant personne sur qui passer la colère qui grondait sourdement en lui, il m'adressa violemment la parole.
—Drôlesse! vous savez que ces espadrilles me déplaisent. Eh quoi! avez-vous l'intention maintenant de vous affubler plus mal qu'une chienne d'esclave…
—Mais…
—Taisez-vous, ou je vous gifle.
Alors, un peu calmé, il m'annonça qu'il avait un rendez-vous très important avec un planteur des environs. Il appela Dinah qui accourut aussitôt, et lui commanda de faire seller son cheval, puis alla s'habiller.
Au bout d'une demi-heure, il rentrait, en costume de route. Le groom n'avait pas encore fait son apparition et Randolph se mit à arpenter rageusement la pièce en consultant sa montre à chaque minute. Il jurait de faire attacher et fouetter le groom jusqu'au sang, s'il manquait son rendez-vous et finalement sonna encore Dinah.
—Je parie que la garce a oublié de prévenir le groom, grommela-t-il entre ses dents.
Dinah parut, calme.
—Avez-vous commandé mon cheval?
La femme se mit à trembler, affreusement pâle.
—No, Massa, mo ka oublié.
Il bondit de fureur.
—C'est ainsi; c'est bien, je vous réponds que cela ne vous arrivera plus.
Et bondissant sur la pauvre Dinah, il la renversa, d'un tour de main lui releva ses jupes, et commença à la frapper furieusement, s'excitant, tapant de plus en plus fort sur la chair qui frémissait sous le cruel contact de ses gros poings.
Enfin il la repoussa violemment, en jurant.
—Oh! Georges, lui dis-je. Comment avez-vous pu battre cette fille?
Il me regarda durement:
—Je vous serais reconnaissant de vous mêler de ce qui vous regarde. Je fais ce qu'il me plaît de mes esclaves.
Il s'animait en parlant.
—Dieu me damne, jura-t-il, jamais personne ne s'est permis semblable remarque, et j'ai bien envie de vous fouetter comme cette femme.
Il l'aurait fait. Mon sang se glaça dans mes veines.
—Je vous demande pardon, fis-je d'une voix étranglée… Je suis désolée que ma prière ait pu vous contrarier.
—C'est bien. Mais sachez que je déteste les observations.
Enfin, il quitta la salle. Je poussai un soupir de soulagement en le voyant disparaître dans l'avenue, au grand trot de son cheval.
La nouvelle de la punition de Dinah s'était vivement répandue par toute la maison. Comme elle était femme de charge, et obligée de rapporter à son maître toutes les fautes commises par ses gens, elle n'était pas très aimée des noirs.
Je fis venir Dinah auprès de moi. Je fus surprise de la trouver plus fraîche que jamais, ses cheveux bien en ordre sous un bonnet blanc, un tablier, un col et des manchettes très propres. Sa figure avait son habituelle expression de placidité mais ses yeux étaient un peu rouges.
—Je vous plains, ma pauvre Dinah, lui dis-je, votre maître vous a battue bien sévèrement.
Quoiqu'un peu surprise de la sympathie que je lui témoignais, elle parut néanmoins s'en montrer reconnaissante, et me remercia, en disant:
—Mo ka tini bocoup fouettée dans ma vie, mais mo jamais croire que Massa baillé à mo fessée tan coin pitit fille. Mo l'a pas reçu chose comme ça depuis mo tini treize ans. Mo ha reçu deux fois la batte mais la main de Massa être quasi dure comme batte.
Dinah avait parlé sans émotion: elle ne trouvait pas étrange qu'une femme de son âge fût fouettée d'une manière aussi cruelle, et elle ne paraissait pas en garder rancune à son maître. Elle était son esclave: son corps était sa propriété: il était par conséquent libre de faire d'elle ce que bon lui semblait. Et l'état d'âme de Dinah était semblable à celui de tous les noirs, pauvres gens subissant de gaîté de cœur la pire des dégradations, résignés à souffrir comme des bêtes sous le bâton, sans aucune velléité de révolte.
Je m'habillai pour dîner et, en entrant dans la salle à manger, j'y trouvai Randolph déjà installé.
Il avait manqué son rendez-vous. Je m'attendais donc à le trouver de fort méchante humeur, mais, à ma grande surprise, il se montra fort doux et aimant, la nuit qui suivit surtout.
Quel étrange caractère que celui de cet homme?…
Je vais franchir une période de quatre mois. Pendant ce temps, les événements s'étaient aggravés: les États esclavagistes, séparés du Nord, avaient élu un Président du Sud, Jeff Davis, et s'étaient brusquement emparés du fort Sum; la guerre enfin était commencée.
Malgré le mauvais état des affaires, le travail continuait à la plantation, mais tout y allait assez mal. Les noirs, informés de ce qui se passait à l'extérieur, donnaient fréquemment des signes d'insubordination; Randolph et ses surveillants se promenaient continuellement, armés de revolvers. Les punitions étaient encore plus nombreuses et plus terribles que par le passé et grâce à ce surcroît de sévérité, la discipline était quand même maintenue.
Dans la maison, à de rares exceptions près, les femmes devenaient difficiles à conduire, mais de ce côté non plus, Randolph ne supportait pas la moindre faute. Aussi Dinah, aidée d'une esclave nommée Milly, devait-elle constamment infliger de terribles fustigations. Le sang coulait parfois.
Puis, subitement, les affaires subirent un arrêt. Les greniers et magasins pleins de coton ne se vidaient plus. Comme les revenus de Randolph consistaient surtout dans la vente du coton, il se trouva brusquement avec peu d'argent liquide, et malgré sa douloureuse détresse, il espérait fermement que le Sud sortirait victorieux de la lutte.
Quant à moi, est-il besoin de le répéter, toutes mes sympathies allaient aux Nordistes. Je me gardais bien, naturellement, de faire part de mes espérances à Georges, qui, très violent, m'eût peut-être tuée en apprenant ce qui se passait en mon âme.
Randolph quittait rarement la plantation et ne recevait plus personne. Ses amis étaient d'ailleurs, tous enrôlés dans les rangs des combattants. Entre temps, il avait été élu membre de Congrès de la Confédération du Sud. Contraint de demeurer à Woodlands, Georges commença à m'apprécier davantage et me traita un peu moins en machine à plaisir.
Avec ses esclaves, il était de plus en plus strict; depuis le commencement de la guerre, plusieurs noirs s'étaient évadés et Randolph avait offert deux cents dollars pour la capture de chaque déserteur, mais ce fut inutilement, heureusement pour les fugitifs. Ces pertes de bétail humain le tracassaient beaucoup: ces noirs valaient chacun de quinze cents à deux mille dollars. Jusqu'alors aucune des femmes n'avait tenté de s'échapper, lorsqu'un matin, Dinah vint nous prévenir qu'une esclave appelée Sophie, sortie la veille au soir, n'avait pas reparu.
Sophie était une belle mulâtresse de vingt-six ans, qui pouvait valoir dix-huit cents dollars. Randolph envoya immédiatement son signalement de tous côtés, promettant une forte récompense à qui la ramènerait à Woodlands ou la ferait incarcérer dans une prison de l'État. L'effet ne s'en fit pas attendre. Un soir vers cinq heures, deux hommes arrivèrent, ramenant la mulâtresse dans une voiture; ils l'avaient retrouvée dans le quartier des esclaves d'une habitation située à vingt-cinq milles de Woodlands.
La femme, dont les poignets étaient ligotés, n'avait évidemment pas souffert depuis son départ; sa robe était propre; elle paraissait seulement épouvantée, n'ignorant pas ce qui l'attendait.
Randolph était très heureux d'avoir retrouvé son esclave. Le lendemain, à déjeuner, il me dit qu'il avait décidé d'infliger à Sophie un châtiment exemplaire; elle serait fouettée avec la batte, dans le hall, devant toutes les femmes réunies.
Puis il sortit faire tout préparer pour l'exécution. Vingt minutes après, il rentrait, me disant:
—Tout est prêt en bas; vous n'avez jamais vu appliquer la batte; si vous voulez, vous pouvez descendre, ça vous amusera.
Certes, il était triste de voir fouetter une femme, mais je m'y étais quelque peu habituée, et ma curiosité avivée par la promesse d'un spectacle que je n'avais jamais vu, je suivis Georges.
Dans le milieu de la pièce, était installé un long bloc de bois, large d'environ deux pieds, et supporté par quatre piquets munis de courroies. Sur le plancher, à côté, était la batte: c'était une espèce de battoir semblable à celui des laveuses, mais n'ayant qu'un demi-centimètre à peine d'épaisseur, et monté sur un manche de deux pieds et demi de long; c'était là l'instrument le plus redouté, car après son application, la peau restait endolorie beaucoup plus longtemps qu'avec la courroie ou la baguette.
Toutes les femmes de la maison étaient présentes. Dinah, seule, se tenait près du bloc. Aidée de Milly, elles s'emparèrent de la coupable.
—Oh! massa, criait celle-ci, étendant les bras en sanglotant, vous pas baillé batte à ma, baillé ma fessade avec courroie ou baguette, mais pas baillé batte…
—Étendez-la, commanda Randolph.
En un instant, elle fut solidement ligotée sur le chevalet, et ses jupes relevées.
Randolph prit la batte, et se plaçant à la gauche de la coupable, lui dit:
—Maintenant, chienne, je vais recouvrer sur votre peau les quatre cents dollars que m'a coûtés votre évasion.
Puis il leva la batte aussi haut qu'il le put. Dans l'attente du coup, la femme avait frissonné, serrant les jambes. L'instrument retomba, claquant comme un coup de fouet, sur la partie supérieure de la fesse gauche. Sophie remua convulsivement, et poussa un long cri de douleur. Une large marque rouge était apparue sur la peau. Le second coup tomba à gauche et fut suivi d'un nouveau cri et d'une nouvelle marque.
Georges continua de frapper rudement, visant alternativement à droite et à gauche un endroit nouveau. Le supplice prit fin. Le châtiment avait été terrible; Randolph jeta la batte et ordonna à Dinah de délivrer la femme qui, sitôt détachée, roula à terre en proie à la plus affreuse douleur.
Je remarquai que les femmes présentes, habituées à la vue de semblables corrections, n'étaient nullement émues par cette scène de sauvagerie.
Les semaines s'écoulaient sans grand changement dans notre existence. La guerre battait son plein et les troupes nordistes approchaient; les fédéraux étaient entrés en Virginie et n'étaient plus qu'à peu de distance de Woodlands.
Puis eut lieu la bataille de Bull-Run, perdue par les Nordistes. Quand la nouvelle de la victoire des confédérés nous parvint, Randolph ne me cacha pas sa joie. J'étais désolée de cette défaite, mais je ne tardais pas à reprendre courage, dans l'attente d'autres victoires de mes compatriotes.
Peu après la bataille de Bull-Run, Randolph fut convoqué à Richmond pour assister à un Congrès tenu par les chefs des confédérés. Comme son absence devait être de longue durée, il me donna des instructions détaillées au sujet des travaux à faire exécuter, et m'ordonna de lui écrire deux fois par semaine.
Dès le jour du départ de Randolph, je décidai qu'autant que possible, on ne fouetterait plus sur la plantation; ces ordres, qui ne concernaient que les femmes, surprirent les majordomes, mais je crois qu'ils s'y conformèrent.
Au dehors, la guerre faisait rage et les troupes des fédérés se concentraient déjà autour de Richmond; beaucoup de plantations voisines étaient occupées militairement par les Nordistes et je m'attendais d'un moment à l'autre à voir mes compatriotes, les garçons en bleu, comme on les appelait, faire leur apparition chez nous.
Ils arrivèrent enfin!
Une après-midi, j'étais à ma fenêtre, lorsque j'aperçus une bande de soldats, conduite par un jeune officier, et suivie d'une voiture régimentaire. Ils firent une pause devant la terrasse, disposèrent leurs armes en faisceaux et se mirent à décharger leur voiture qui contenait des objets de campement et des vivres. Mon cœur battait violemment, et je m'assis sur un sofa en attendant le dénouement de la perquisition qui ne devait pas manquer d'avoir lieu.
Quelques instants après, en effet, Dinah annonça l'officier, qui dit, en me saluant de la façon la plus courtoise:
—Madame, j'ai reçu l'ordre d'occuper cette plantation, mais je vous promets de ne rien détruire, ni d'arrêter le travail. Je logerai mes hommes dans le quartier des esclaves, mais je vous prierai de me faire donner une chambre dans la maison.
—Je suis heureuse de vous voir, monsieur, répondis-je en souriant. Je suis née dans le Nord et toutes mes sympathies sont pour vous. Prenez un siège, et je vais donner des ordres pour qu'une chambre confortable vous soit préparée.
Il s'assit, l'air très surpris. Cet officier, grand et blond, pouvait avoir vingt-sept ans; son visage plein de distinction décelait la franchise; il avait une longue moustache blonde et portait élégamment l'uniforme simple des officiers du Nord.
An bout d'un instant, la conversation avait pris entre nous un caractère de cordiale familiarité. Il me dit se nommer Franklin et être capitaine. De plus, il était né en Pensylvanie, ainsi que moi. Cette découverte nous réjouit; aussi notre causerie, jusqu'à l'heure du repas ne languit-elle pas un seul instant.
Je mis pour le dîner une de mes plus jolies toilettes, et je descendis dans la salle à manger y attendre le capitaine Franklin.
Me saluant avec une respectueuse aisance, il me remercia tout d'abord d'avoir bien voulu lui réserver un appartement dont l'aménagement le ravissait. Il avait quitté son uniforme et portait maintenant un vêtement civil, sous lequel il paraissait fort élégant.
Nous nous mimes à table, et je m'aperçus, non sans en éprouver une intime satisfaction, qu'il faisait grand honneur aux plats fins et plus encore aux vieux vins de Woodlands. En riant il me disait sa joie d'avoir pu utiliser de façon si inespérée son billet de logement. La conversation était fort agréable et pleine de charme.
Le dîner terminé, il me pria de l'excuser; il avait, disait-il, à s'occuper de son service.
Je montai à ma chambre et écrivis à Randolph pour le mettre au courant de la situation; j'avais été prévenue qu'il se trouvait non loin de là.
La réponse ne se fit pas attendre. Il me disait qu'il préférait ne pas revenir à Woodlands où il ne pourrait assister impassible à l'envahissement de sa propriété. Il m'annonçait que sitôt qu'il aurait loué une maison, à Richmond, il m'enverrait chercher.
Cependant, le capitaine Franklin était toujours plein d'égards pour moi, et me traitait avec la plus extrême déférence.
Je m'étais vite aperçue de l'impression que je lui causais, et à certains signes qui n'échappent jamais à une femme, je surpris facilement qu'il éprouvait plus que de la sympathie pour moi. De mon côté, le capitaine me plaisait beaucoup; ses manières galantes et polies m'avaient à peu près conquise, si bien que l'amour, amour que je n'avais jusque-là ressenti pour personne, avait envahi mon cœur.
Je pressentais le danger de cette passion et, anxieuse, je me demandais s'il la partageait. J'avais une envie folle de sentir se poser ses lèvres sur mes lèvres et entendre de lui ces mots tendres qui tous pénètrent l'âme tant et si bien que mon amour qui grandissait chaque jour me fit brusquer les événements.
Le capitaine m'ayant dit un soir que son parfum préféré était celui de la violette, je ne manquai d'en saturer ma toilette et d'en vaporiser mon corps et mes dessous.
C'est ainsi que, dans un ajustement coquet aux mille détails féminins, je fis mon entrée dans la salle.
Franklin, que je n'avais pas vu depuis le matin, s'y trouvait déjà. Il me tendit la main, et sans m'en rendre compte je lui abandonnai la mienne plus longtemps qu'il n'était décent.
Pendant le dîner, il fut très gai, riant, causant aimablement, puis nous passâmes au salon. Jusque-là, le capitaine n'avait pas dépassé les bornes de la plus stricte courtoisie. Il fallait donc que ce fût moi qui devinsse entreprenante.
Sous prétexte de m'aider à dévider un écheveau de laine, je le fis placer à coté de moi, et je m'assis sur un tabouret à ses pieds, de façon que son regard plongeât dans mon corset par la large échancrure de mon corsage.
Puis, prétextant soudain un subit et violent mal de tête, je me levai en chancelant. Il s'élança pour me soutenir, me portant sur le canapé. D'un coup de genou savamment combiné, j'avais fait remonter mes jupons.
Franklin vit ma jambe, et, cette fois, n'y tint plus. Il m'enlaça dans une étreinte à m'étouffer, et me mit sur les lèvres un baiser passionné en murmurant: «Je vous aime!…» Je ne me défendais nullement; bien au contraire. Je lui rendis son baiser et… vous devinez le reste de l'aventure.
Je lui racontai mon odyssée et, en détails, les moyens horribles employés par Randolph pour me forcer à habiter Woodlands. Il fut ému par mon histoire, et, lorsque je l'eus terminée, il m'embrassa tendrement en me disant:
—Je suis sans grande fortune et ne puis, par conséquent, vous offrir le luxe que vous avez ici, mais je vous apporte mon amour et ma volonté et pour une âme aimante comme la vôtre, je pense que cela peut suffire.
—Oh! je vous suivrai avec bonheur partout où vous serez, vous qui êtes mon premier et seul amour, mais êtes-vous bien certain de m'aimer toujours?
—Pouvez-vous en douter, cruelle?
Et après un long baiser aussitôt suivi d'une autre manifestation d'amour, nous nous séparâmes jusqu'au lendemain.
Nous étions trop heureux pour que notre bonheur fût durable!
Un jour le capitaine Franklin reçut l'ordre de partir avec son détachement: il devait rejoindre le gros de l'armée.
Notre séparation fut cruelle et je me pris à maudire la fortune, jalouse du moment de bonheur qu'elle avait accordé à mon âme.
Franklin s'éloigna, après m'avoir fait promettre de lui écrire.
Je me mis à la fenêtre, les yeux pleins de larmes, pour voir disparaître à la tête de son détachement le seul homme que j'aie jamais aimé d'amour véritable.
Arrivé au bout de l'avenue, il se retourna, me salua du sabre, puis disparut. Je ne devais plus le revoir: l'année suivante il fut tué à la bataille de Cedar Mountain.
Cependant quinze jours s'étaient écoulés. Randolph ne revenait pas. J'étais très inquiète: les esclaves donnèrent fréquemment de visibles signes d'insubordination et j'écrivis à Georges de venir ou de m'appeler auprès de lui, quoiqu'il en coûtât à mon cœur de reprendre la vie commune d'autrefois.
Dans sa réponse il me disait d'aller le rejoindre à Richmond où il avait loué une superbe maison.
Je fis faire immédiatement mes malles, et commandai de préparer la voiture qui devait me transporter avec mes bagages.
Le vieux cocher, Jim, parut un peu effrayé de ma décision, m'apprenant que, depuis le commencement de la guerre, les chemins étaient infestés par les détrousseurs de grande route, des Bushwhackers et qu'il était peu prudent de voyager avec des valeurs sur soi. Il finit par me conseiller de laisser mes bijoux à la garde de Dinah, et jugeant bon l'avis du vieux nègre je rouvris mes malles pour en sortir mes bijoux, que j'enfermai dans un coffre-fort dissimulé dans la muraille de la chambre de Randolph.
A quatre heures, le buggy, attelé de deux bons chevaux, s'arrêta devant le perron et, mes malles chargées, je commençai mon voyage.
L'après-midi était splendide.
Très légèrement vêtue, je ne souffrais nullement de la chaleur. Je passai les rênes à Jim et m'abandonnai à mes pensées. La route était superbe, et une légère brise nous caressait agréablement. Certes, je n'étais pas enchantée de revoir Randolph, mais j'espérais m'amuser à Richmond, du moins mieux qu'à Woodlands.
Comme nous étions arrivés en haut d'une longue côte, et que Jim avait mis ses chevaux au pas, pour les laisser souffler un peu, je le fis causer et lui dit que bientôt peut-être il serait un homme libre. Il hocha la tête, m'affirmant qu'il était bien beau de vivre à sa guise, mais qu'il était absolument incapable de gagner sa vie et que presque tous les esclaves pensaient comme lui.
Nous en étions là de notre conversation quand soudain quatre hommes à l'aspect peu rassurant sortirent des bois et, braquant d'énormes revolvers dans notre direction, nous crièrent:
—Lâchez les rênes et levez les mains en l'air.
—Par Dieu, maîtresse, les Bushwhackers, me souffla Jim à mi-voix, puis il leva les mains, pendant que, glacée d'épouvante, je me cachais en criant.
Deux des bandits s'approchèrent et, avec force jurons, nous intimèrent l'ordre de descendre. Toute résistance était impossible et, immédiatement, malgré nos terreurs, il nous fallut obtempérer à l'ordre; les bandits s'assurèrent tout d'abord que nous n'étions pas en état de fuir; alors les Bushwhackers remirent leurs revolvers à la ceinture et se mirent à l'ouvrage: les traits de la voiture furent enlevés et l'un des hommes, montant sur un cheval et tenant l'autre par la bride, s'éloigna au grand trot.
Les trois détrousseurs qui restaient jetèrent sans façon mes malles à terre, et les ayant brisées, commencèrent à fouiller parmi les étoffes et les robes.
Ils furent vivement désappointés de n'y trouver ni bijoux ni argent et l'un d'eux, s'approchant de moi, m'ordonna rudement de lui donner ma bourse. Il n'y trouva que cinq dollars; il se mit à jurer furieusement. Puis se tournant vers Jim:
—Vous, vieux négro, filez rapidement sans tourner la tête. C'est compris, n'est-ce pas?
—Non Massa, répondit Jim, mo ka pas quitté maîtesse.
L'homme tira son revolver et l'appliqua sur la tempe du vieux nègre.
—Allons, au trot, ou je vous casse la tête…
Jim n'avait pas fait un mouvement, et de ses grands yeux tranquilles il continuait de fixer l'homme.
Je crus comprendre que les bandits voulaient me garder pour me rançonner et je lui dis:
—Vous pouvez partir, Jim; allez mon ami, vous ne sauriez m'être utile maintenant.
—Oh! maitesse, mo ka pas l'aimé laissé vous seule com yon becqué, mo ka couri Woodlands.
Puis il s'en alla lentement, tournant la tête de temps à autre.
Le chef vint à moi:
—Il est déjà tard, dit-il, aussi nous allons vous donner l'hospitalité pour la nuit. Demain matin vous trouverez probablement une voiture qui vous conduira à Richmond.
Puis, me saisissant le bras, il me fit prendre un petit sentier à travers bois. Nous marchâmes pendant un mille environ, et arrivâmes à une petite cabane de bois, grossièrement construite.
Une lampe fut allumée, et je vis avec terreur le lieu dans lequel je devais passer la nuit.
Les murs étaient faits de tronçons d'arbres, le toit de brindilles et de branchages; le mobilier se composait de quatre lits faits en feuillée et recouverts de peaux de bêtes; une planche servait de table.
Au milieu de la cabane, un feu de bois se consumait lentement; l'un des hommes y jeta une bûche, et, détachant une poêle qui pendait au mur, y fit frire quelques tranches de lard qu'il plaça sur la table avec un morceau de pain noir et une bouteille de whiskey.
Puis tous trois se mirent à manger, m'invitant à en faire autant.
Naturellement, je m'en abstins et rejetai dédaigneusement l'offre.
Alors, l'un d'eux prit la parole:
—Nous avons été très désappointés en ne trouvant rien dans vos malles, ma belle enfant. Comme nous n'avons pas l'habitude de travailler pour rien, il faut que d'une façon ou d'une autre nous soyons payés.
—Oh! m'écriai-je vivement, si l'un de vous veut m'accompagner à Richmond demain, mon mari, M. Randolph, vous donnera la somme que vous fixerez.
—Non, il est inutile que vous nous fassiez une proposition semblable. Et comme nous n'avons pu tirer d'argent de vous, nous allons nous payer sur votre personne!…
Je vous laisse à penser l'état dans lequel m'avait mise cette déclaration:
—Oh! implorais-je, vous ne m'infligerez pas pareil traitement; croyez-moi, je vous enverrai tout l'argent que vous voudrez; mais laissez-moi partir, ajoutai-je en sanglotant. Ils se prirent à rire bruyamment:
—Vos larmes sont superflues, la belle; nous n'en agirons pas différemment pour cela, dit celui qui paraissait le plus âgé des trois; puis se tournant vers ses sombres compagnons:
—Allez, camarades, déshabillez la donzelle, et attachez-la.
Et malgré mes cris et ma résistance, je me trouvai en un instant nue et ligottée aux quatre coins d'un lit.
Ils commencèrent à m'examiner, admirant à haute voix ma peau et la finesse de mes formes, surenchérissant sur des particularité que j'eusse voulu cacher et se décidèrent enfin à commencer leur monstrueuse besogne.
Ils tirèrent au sort ma possession; mais, hélas! je n'en devais pas moins subir les assauts répétés de chacun d'eux; tous les trois me violèrent…
Je ne puis vous raconter les horreurs que j'ai supportées. J'étais à moitié morte de dégoût; une sueur froide ruisselait sur mon front; et j'étais toute meurtrie, leur façon d'aimer étant faite de brutalité immonde et de rudesse infâme.
Ils délièrent enfin mes membres: les courroies avaient laissé des marques rouges sur ma peau brûlée de leurs monstrueuses caresses.
Je m'habillai péniblement, et m'étendis sur le lit grossier cherchant un peu d'oubli dans le sommeil. Mais quoique physiquement et moralement éreintée, je ne pus fermer l'œil.
Je n'oublierai jamais les tortures de cette épouvantable nuit. J'avais une peur affreuse que ces individus voulussent me garder avec eux.
Le jour vint pourtant, et les rayons du soleil levant glissèrent par les trous des claies qui fermaient la cabane.
Cependant les hommes s'éveillèrent et préparèrent du café. Inconsciente, j'en bus avidement un gobelet, ce qui me rafraîchit un peu.
Puis ils m'annoncèrent qu'ils allaient me rendre ma liberté. L'un d'eux, me prenant le bras et me poussant hors de la cabane, me conduisit alors jusqu'à la route après m'avoir fait faire mille détours. Puis, il disparut dans les fourrés des bois. Je m'étais assise au revers du chemin ne sachant au juste ce que je devais faire, quand une voiture parut. Je m'avançai vers le conducteur qui voulut bien me conduire jusqu'à Richmond.
Arrivé devant la maison de Randolph, le brave homme arrêta son cheval et m'aida à descendre.
Je frappai à la porte; une jolie femme de chambre vint m'ouvrir et me considéra avec étonnement, comme hésitant. Mais, quand je lui eus dit qui j'étais, elle me conduisit près de Randolph.
—Oh! Dolly, s'exclama Georges, comme vous voilà faite!—Je devais en effet avoir une mine affreuse.
—D'où venez-vous? le vous attendais à huit heures, hier soir. Où est Jim? Où est la voiture?
Cet accueil inattendu acheva de me déconcerter:
—Eh! ne m'accablez pas avec vos questions; il y a près de vingt-quatre heures que je n'ai mangé et je suis malade de faim, de fatigues et d'épouvante. J'ai besoin de secours, je parlerai ensuite.
Stupéfait, il obéit. J'étais réellement affamée, et je fis un bon repas et bus deux grands verres de vin.
Puis, me sentant remise, je m'assis dans un fauteuil et fis à Randolph le récit de mes aventures, mais sans parler des outrages dont je venais d'être victime.
Je ne sais s'il se douta que je lui cachais quelque chose, mais il ne me posa pas de questions allusives. Il paraissait seulement très contrarié de la perte de ses deux beaux chevaux:
—Dieu damne les brutes, dit-il, je n'aurais pas donné ces deux bêtes pour huit cents dollars! quant à votre garde-robe, elle peut être facilement remontée. Je vais aller prévenir la police par acquit de conscience, mais sans grand espoir; par ces temps de bouleversement et de guerre on n'est jamais sûr.
Enfin, n'y tenant plus, brisée de fatigues, je me couchai et m'endormis, malgré les exhortations de Randolph, qu'une continence forcée avait mis en appétit…
Je me levai tard le lendemain matin, et partis faire différentes courses. Randolph tenait à ce que je fusse toujours bien mise. Très généreux sous ce rapport il ne négligeait rien.
En quelques jours, ma garde-robe fut remplacée.
Georges était allé chercher mes bijoux à Woodlands.
La plantation était dans un état affreux; les esclaves refusaient de travailler, malgré Dinah et les surveillants qui ne pouvaient maintenant les y contraindre.
A Richmond, la vie était triste. Les nombreux échecs des Sudistes avaient semé le deuil partout. Randolph se décida à quitter Richmond et il fut convenu que nous partirions pour New York. Cette nouvelle m'enchanta, et c'est avec ravissement que je m'installai avec lui dans le meilleur hôtel de la ville.
Pendant quelque temps, je fus relativement heureuse.
J'avais de très belles toilettes, Georges m'emmenait fréquemment au spectacle et devenait très aimable pour moi.
Les semaines s'écoulaient rapidement et, par un inexplicable et subit revirement, je remarquai que Randolph devint subitement froid et réservé à mon égard. Il rentrait tous les jours fort tard: je compris qu'il était peut-être l'amant d'autres femmes. Un jour, il m'entraîna dans sa chambre:
—J'ai résolu, me dit-il, d'aller en Europe avec plusieurs amis; en un mot, Dolly, l'heure de la séparation a sonné. Mais il n'y a pas de votre faute; je n'ai jamais eu à me plaindre de vous; en conséquence, je vais acheter pour vous une petite maison et la meublerai convenablement. Vous recevrez une bonne somme pour commencer. Vous êtes jeune, jolie et intelligente, je suis certain que vous réussirez à New York.
C'était une façon un peu brutale de me signifier mon congé, mais en somme, il ne m'abandonnait pas sans ressources.
Je me mis à songer; mon avenir ne m'apparut pas sous des couleurs très brillantes, mais il fallait que je me courbasse sous la loi d'inéluctables circonstances.
Le lendemain donc, après de nombreuses recherches, Randolph acheta, à mon intention, une petite maison qui fut immédiatement meublée avec quelque goût. Puis, en m'y installant, il me donna mille dollars. Je pris deux domestiques noires et devins dès lors propriétaire.
Une après-midi, Randolph me rendit visite et m'aborda en ces termes:
—Vous savez, Dolly, que j'adore fouetter une femme; il est peu probable qu'à l'avenir je puisse me payer cette agréable fantaisie en Europe; aussi faut-il que vous me permettiez de vous laisser fustiger sérieusement avant mon départ.
Cette étrange proposition ne me souriait guère, mais je n'eus pas la force de lui refuser; j'acceptai donc, lui recommandant toutefois de ne pas me frapper trop fort si je lui passais cette dernière fantaisie.
Prenant un mouchoir, il m'attacha les mains, malgré ma défense. Puis, s'asseyant sur une chaise et me renversant sur ses genoux, il me traita ainsi qu'une petite fille, malgré mes pleurs et mes supplications.
—Là, Dolly, maintenant tout est fini entre nous; vous avez reçu de moi la dernière fessée.
Puis il m'embrassa une dernière fois, me dit adieu, et tranquillement sortit de ma maison.
Il partit pour l'Europe dès le lendemain et depuis, je ne l'ai plus revu. Je sais pourtant aujourd'hui qu'il est revenu et qu'il habite Woodlands.
*
* *
Au bout de peu de temps, mes ressources diminuèrent rapidement. Malgré toute ma volonté et la lutte intérieure qui se livrait entre ma conscience et la nécessité, il fallut me résoudre à me laisser pousser vers la chute finale.
J'étais jolie, et bientôt j'eus un grand nombre d'adorateurs.
Je haïssais cependant mon horrible profession et certes, je puis affirmer que je ne m'y suis jamais faite. A deux reprises déjà, j'ai été demandée en mariage, mais je me suis jurée de n'épouser que quelqu'un que j'aimerai réellement. Peut-être un jour mes vœux seront-ils exaucés.
L'an dernier, je suis allée passer quelques jours à Philadelphie où j'ai eu des nouvelles de Miss Dean. Elle est toujours aussi bonne qu'autrefois et continue à être très charitable. Je crois que ses aventures en Virginie sont ignorées. J'aurais bien voulu revoir ma douce amie, mais ma présente condition me le défendait. C'est pour moi un grand chagrin.
Maintenant, mon histoire est finie et vous savez pourquoi je hais les Sudistes.
Ils sont la cause de tous mes malheurs et de ma chute dans le vice. Sans eux, je n'eusse pas été martyrisée par les Lyncheurs, et je n'aurais pas été obligée de me livrer à Randolph. Trois bandits ne m'auraient pas violée et enfin, malheur de moi! je ne serais pas
UNE PROSTITUÉE
Ici s'arrête le récit que m'a fait Dolly Morton.
Tant que je demeurai à New York, je la revis; j'avais pitié de son infortune. Le jour de mon départ, je lui donnai mon adresse, lui disant que je serais heureux d'avoir parfois de ses nouvelles. Je crois que la pauvre fille m'aimait un peu: le jour où elle me dit adieu, des larmes coulèrent de ses doux yeux.
Six mois plus tard, je l'avais à peu près oubliée—ainsi sommes-nous faits—lorsque je reçus d'elle une lettre m'annonçant son mariage avec un homme un peu plus âgé qu'elle et qui avait un commerce très florissant.
Elle l'aimait vraiment et l'avenir s'annonçait heureux.
J'en fus satisfait pour elle. C'était ma foi, une brave créature et, quoiqu'un peu faible de caractère, je suis persuadé qu'elle a dû être une excellente femme de ménage fidèle à l'homme qui l'avait tirée de l'abîme.
Depuis, je n'ai plus entendu parler d'elle je souhaite de tout cœur que cette pauvre femme ait maintenant l'existence heureuse. Elle a souffert beaucoup sans l'avoir mérité et la vie lui doit bien la compensation de quelques jours heureux.
*
* *
Dans le manuscrit écrit sous la dictée de Dolly Morton, se trouvaient beaucoup de passages que les besoins d'une publication m'ont obligés de supprimer. Ces quelques lignes non parues n'ajoutaient rien, d'ailleurs, à la lamentable odyssée de cette femme et j'ai cru bien faire en la livrant ainsi expurgée au public.
FIN
Supplément à «En Virginie»
BIBLIOGRAPHIE DE LA FLAGELLATION
Parmi les sujets dont on s'est le plus occupé, littérairement parlant, la flagellation se place aux premiers rangs. Il existe en effet une littérature spéciale et relativement très complète sur les pratiques flagellatrices dans presque toutes les langues européennes, à commencer par le latin.
Mais c'est incontestablement l'Angleterre qui tient la tête en cette matière. D'innombrables ouvrages ont été écrits sur la flagellation sous toutes formes et cette littérature a acquis un développement qui pourrait, à juste titre, nous paraître étrange, à nous autres Français.
Sous le pseudonyme de Pisanus Fraxi, un Anglais fort instruit et très riche, consacra son existence et sa fortune à mener à bonne fin la publication de trois recueils extrêmement curieux et intéressants, intitulés Index librorum prohibitorum, Centuria librorum absconditorum et Catena Librorum Tacendorum, tous trois imprimés avec luxe et à petit nombre et privately, c'est-à-dire non destinés au commerce. Dans ces recueils, Pisanus Fraxi fait mention de la presque totalité des livres curieux et étranges parus depuis l'antiquité, consacrant à chacun une description minutieuse au point de vue matériel et un aperçu approximatif en ce qui concerne le contenu.
On y parle longuement de la flagellation. Un très grand nombre d'ouvrages anglais y sont consacrés et nous avons cru utile et nécessaire de donner à notre tour à nos lecteurs un aperçu des livres les plus curieux parus sur l'intéressant sujet qui fait l'objet de notre étude.
Voici d'abord: L'Esprit de la Flagellation, ou Mémoires de Mistress Hinton, qui dirigea une école pendant de longues années à Kensington, auxquels on a maintenant ajouté des anecdotes, par une dame très adonnée à la discipline au moyen de verges de bouleau; les modistes fouetteuses; la marâtre sévère, et la maîtresse d'école complaisante, avec des figures analogues. Londres, imprimé et publié par Mary Wilson, Wardour Street[4].
[4] The Spirit of Flagellation; or, The Memoirs of Mrs. Hinton, who kept a school many years at Kensington. To which is now added, Anecdotes, by a Lady much addicted to Birch Discipline. The Whipping Milliners; The Severe Stepmother; And The Complaisant Schoolmistress. Avec des figures analogues. London: Printed and published by Mary Wilson, Wardour Street.
Dans un avis qu'elle publie à la page 41, Mary Wilson nous informe que l'ouvrage a été publié le 1er mai 1852, le volume ne porte cependant pas de date.
D'après les dires de l'éditeur, l'édition originale de l'Esprit de la Flagellation semble avoir paru vers l'année 1790. Le format primitif in-8o fut transformé dans l'édition nouvelle en in-12 pour plus de commodité «étant donné, dit la dame sus-nommée, que ce format s'adapte plus facilement à nos poches rétrécies d'aujourd'hui».
De nombreuses anecdotes fournies par un amateur de fustigations, ainsi qu'une série de gravures vinrent augmenter l'ouvrage original.
Dans un avis qui précède une réédition de l'Exposition des flagellants femelles[5], Thérèse Berkley[6] nous informe que l'Esprit de la Flagellation fut réimprimé par Miss Wilson en l'année 1827.
[5] Index Librorum Prohibitorum, p. 243.
[6] Voir Index Librorum Prohibitorum à l'article: Mary Wilson et Theresa Berkley.
Malheureusement, on ne peut guère tabler sur ces affirmations relatives aux dates pour ces sortes d'ouvrages. Il paraît établi que l'Esprit de la Flagellation a eu trois éditions différentes: 1o en 1827, George Cannon avec 6 gravures, 2o E. Dyer en 1852 (?) avec six lithographies pliantes et 3o vers 1870, avec six lithographies non pliantes.
Les anecdotes qui remplissent 81 pages du genre le plus lascif sont certainement dues à une personne extrêmement triviale; les illustrations, quoique très médiocres, valent encore mieux que le texte. Les trois appendices de l'ouvrage ont par la suite été publiés à nouveau séparément.
Cet ouvrage a eu récemment un certain nombre de réimpressions vulgaires, sans gravures.
Un autre volume de la même valeur littéraire et du même genre, porte pour titre:
Éléments d'intuition et Modes de Punition. En lettres par Mlle Dubouleau, célèbre institutrice particulière parisienne à Miss Smart-Bum, gouvernante d'une pension de jeunes demoiselles à… Avec développement de quelques secrets de Tuteurs pour rire, qui ont trouvé leurs délices dans l'administration des Verges de Bouleau à leurs élèves femelles. Embellie de très jolies illustrations, 1794[7].
[7] Elements of Tuition, and Modes of Punishment. In Letters from Mademoiselle Dubouleau, A celebrated Parisian Tutoress, to Miss Smart-Bum, Governess of a young Ladies' Boarding School at… With some secrets developed of mock Tutors, who have taken a delight in administering Birch Discipline to their Female Pupils. Embellisbed with Most Beautiful Prints 1794.
Les cinq lettres qui forment ce volume ne sont qu'une suite de lieux communs sur la flagellation, une série d'anecdotes racontées en langage des plus libertins laissant en maints endroits à désirer au point de vue grammatical. La lettre introductrice, qui constitue en quelque sorte la préface est ce qu'il y a de mieux dans le livre, sans que toutefois elle brille par l'originalité. Il y a dans une des lettres, celle adressée par une certaine Lady Flaybum, une répétition absolue de l'une des autres narrations de l'ouvrage.
Manon la Fouetteuse[8], ou la Quintessence de la Verge de Bouleau. Traduit du français par Rébecca-Birch. Ex-enseignante au pensionnat de jeunes dames de Mistress Busby, Londres. Imprimé pour la société du Vice.
[8] Manon la Fouetteuse; or, the Quintessence of Birch Discipline. Translated from the French by Rebecca Birch, Late Teacher at Mrs. Bushby's Young Ladies' Boarding School. London: Printed for the Society of Vice.
Un volume in-8o de 96 pages, contenant 8 lithographies fort mal dessinées. Publié par Dugdale en 1860, mais la première édition remonte à 1805 ou 1810.
Comme les ouvrages précédents, Manon la Fouetteuse est un ouvrage lourd, au style ampoulé et prétentieux, formé d'anecdotes sur la flagellation dont aucune ne possède un cachet d'élégance ou d'esprit. C'est en somme le compte rendu de la carrière de Mlle Dubouleau «qui tient maintenant en Amérique un pensionnat pour jeunes filles». Cette demoiselle confia son manuscrit à son amie Rébecca Birch qui le traduisit pour l'édification de ses propres amis. A vrai dire, on est en droit de douter que l'on se trouve en présence d'une traduction.
Dans Le Bouquet de Verges, ou Anecdotes curieuses et originales de dames amateurs de flagellation au moyen de Verges de Bouleau, Avec de riches illustrations, Publié pour l'amusement et le bénéfice des dames ayant sous leur tutelle des jeunes dames et messieurs revêches, bêtes, libertins, menteurs et paresseux, Boston: imprimé pour George Fichier, Prix: deux guinée[9]; on trouve 8 lithographies obscènes, de mauvais coloris et très mal exécutées.
[9] The Birchen Bouquet; or Curious and Original Anecdotes of Ladies fond of administering the Birch Discipline. With Rich Engravings. Published for the Amusement as well as for the Benefit of those Ladies who have under their Tuition sulky, stupid, wanton, lying, or idle Young Ladies and Gentlemen. Boston. Printed for George Tickler, Price: Two Guineas.
Ce livre, publié une première fois vers 1770 ou 1790 fut réimprimé en 1826 puis en 1881. Enfin récemment.
Comme dans Les Éléments d'intuition, les scènes de flagellation réunies dans le Bouquet de verges ne sont qu'une compilation de faits qui n'ont aucune valeur littéraire. L'on est même en droit de se demander pourquoi cet ouvrage a été si souvent réédité.
L'École du Couvent, ou Précoces expériences d'un jeune flagellant, par Rosa Bellinda Coote, Londres, Édition privée, M.DCCCLXXIX[10], est un récit divisé en 5 chapitres. Une lettre introductive signée Rosa Bellinda Coote et datée du 10 janvier 1825, nous informe que «les curieux faits suivants ont été portés à ma connaissance et confiés à ma discrétion par une jeune comtesse de ma connaissance». Une allusion y est faite aux propres mémoires de l'auteur, auxquels l'École du Couvent peut bien n'être qu'un appendice. Les deux contes sont l'œuvre de l'éditeur.
[10] The Convent School, or Early Experiences of a Young Flagellant, by Rosa Bellinda Coote, London. Privately Printed. M.DCCCLXXIX.
Lucile, l'héroïne, est maltraitée dès son enfance. A la mort de sa mère, étant encore toute enfant, son père la flagelle avec la dernière violence pour exciter ses passions et se mettre dans un état plus propre à goûter les plaisirs que la gouvernante de Lucile ne semble pas trop lui refuser. Quelques temps après elle est envoyée à Bruxelles dans une école congréganiste, où la supérieure la fouette sans pitié pour son bon plaisir. Mais elle réussit à s'évader de ce couvent; elle va se réfugier à l'hôtel d'Angleterre où l'on aurait refusé de la recevoir, n'aurait été l'intervention d'un gentilhomme anglais Lord Dunwich, qui se trouva être un ami intime du comte d'Ellington auquel elle était fiancée.
Le mariage s'accomplit; mais bientôt le mari la néglige pour ses chevaux et la conséquence en est que la jeune femme se laisse aller dans les bras de Lord Dunwich. L'époux apprend la chose et, déguisé en prêtre, il réussit à surprendre la confession de l'infidèle. Il convient de dire qu'ils étaient tous deux catholiques romains. On lui impose une pénitence et elle est renfermée dans une pièce attenante à l'église. Lord Ellington, toujours revêtu d'habits sacerdotaux et aidé d'un autre moine la flagelle avec la dernière violence et la soumet à toutes sortes d'horreurs et de traitements barbares. Après avoir accompli ces abominations, le mari outragé se retire et revient peu après habillé en homme du monde et la jeune femme le reconnut de suite. Alors le gentilhomme s'écrie: «Femme! ma vengeance est accomplie; vous ne me trahirez plus. J'ai égalisé les choses en dégradant, humiliant et torturant mon épouse adultère. Vous ne me reverrez jamais. Tel a été mon moyen de divorcer d'avec une chienne adultère!» Son amant, Lord Dunwich accueille à bras ouvert Lucille, provoque ensuite le mari cruel et lui tire une balle en plein cœur. Le couple amoureux prend la fuite et Lord Dunwich se noie quelque temps après dans le Rhin.
«Depuis cette époque, dit l'héroïne, vous savez que je me suis consolée en m'abandonnant sans aucune retenue à toutes sortes de manies érotiques et plus particulièrement en m'adonnant à la flagellation de sorte que, chère Rosa, je me sens m'en aller tout doucement, quoique à peine âgée de vingt-cinq ans…»
Le livre n'est en somme pas mal écrit, quoique dans ses différentes parties il ne soit guère attrayant; au contraire, on peut dire que les nombreuses scènes de flagellation agrémentées de tortures plutôt dégoûtantes sont au plus haut point fastidieuses et révoltantes.
Conférence expérimentale, par le colonel Spanker, sur les plaisirs excitants et voluptueux qui dérivent du fait de mater et d'humilier une belle et modeste jeune dame; telle qu'il l'a faite dans la salle de réunion de la Société des Flagellants Aristocratiques de Mayfair. Londres, Édition Privée. A. D. 1837[11].
[11] Experimental Lecture. By Colonel Spanker, on The exciting and voluptuous pleasures to be derived from crushing and humiliating the spirit of a beautiful and modest young lady; as delivered by him in the Assembly Room of the Society of Aristocratic Flagellants, Mayfair. London. Privately Printed, 1836.
Cet ouvrage qui comporte deux volumes, quoique une troisième partie a dû être projetée sans cependant être mise à exécution—l'on trouve en effet à la dernière page du deuxième volume la mention: fin de la IIe partie, puis plus bas quelques lignes qui font assister au mariage de l'héroïne, suivies de la mention: Finis?—est orné de 11 planches coloriées passablement obscènes, d'une exécution rudimentaire et faite par quatre artistes différents.
A été réimprimé récemment.
Voici d'ailleurs un compte rendu analytique de cette conférence «faite pour une classe spéciale de flagellants qui trouvent leurs délices dans la torture poussée à l'excès:
«La conférence expérimentale, comme son titre le dénote, traite de l'état d'extase qui résulte, à ce que l'on prétend, de la jouissance que l'on peut puiser dans la cruauté physiquement et moralement parlant.
«Un excès de volupté peut uniquement être produit par deux causes: premièrement par le fait de nous imaginer que l'objet de nos désirs se rapproche de notre idéal de beauté ou d'autre part, quand nous voyons cette personne éprouvant les sensations les plus violentes possibles. Aucun sentiment n'est aussi vif que la douleur; son effet est véritable et certain. Elle ne trompe jamais comme la comédie de plaisirs éternellement jouée par les femmes et rarement éprouvée en réalité. Celui qui peut produire sur une femme les plus violentes impressions, celui qui peut le mieux troubler et agiter la constitution féminine jusqu'au paroxysme réussit à se procurer à lui-même la plus forte dose de plaisir sensuel.»
Ces remarques contiennent la quintessence de toute la philosophie que l'on trouve à satiété dans les volumes renommés du Marquis de Sade, où ce dernier, dans ses rêves exaltés d'orgies sanglantes, de phlébotomies, de vivisection et de tortures de toutes espèces, accompagnés de blasphèmes, ajoute tant d'importance à l'humiliation morale des victimes qu'il met en jeu. Ce à quoi il tend particulièrement, c'est la jouissance physique causée par la torture raffinée à laquelle ses victimes doivent être soumises et qui se résolvent finalement par leur mort.
Dans ce petit ouvrage, nos flagellants réussissent à réduire leurs expérimentations aux mœurs actuelles; elles comprennent une série très longue de tourments qui sont volontairement infligés à une seule victime, une jeune dame très sensible et d'une éducation supérieure.
Dans Justine et Juliette, le nombre d'individus prenant part aux orgies et aux meurtres perpétrés exclut toute possibilité de réalité, tandis qu'ici, tout le procédé est si méthodiquement et si exactement développé, que nous sommes presque portés à croire ou à supposer que tout est basé sur des faits réels, étant donné que l'histoire est si documentairement portée à la connaissance du lecteur.
Faut-il pour cela que nous soyons portés à croire que nous coudoyons journellement des hommes qui puisent une secrète jouissance dans l'action de torturer, des femmes faibles et confiantes et qu'en ce faisant ils puissent arriver à mettre en fonction leurs organes génitaux et jouir?…
L'expérience nous a appris qu'il en était malheureusement ainsi et nous pourrions citer plusieurs cas tout à fait récents où des jeunes filles ont été attachées à des échelles, liées sur des canapés et brutalement flagellées, soit avec des verges de bouleau, soit avec le plat de la main, la boucle d'une courroie ou même encore avec un trousseau de clefs! Quelques-unes d'entre elles ont été préalablement averties qu'elles seraient battues «jusqu'à ce que le sang viendra» et on s'était mis d'accord sur la compensation pécuniaire qu'elles recevraient pour prix de leur complaisante soumission. D'autres, au moyen de cajoleries, ont été décidées à se prêter à la petite mise en scène, après qu'on leur eut fait accroire qu'il ne s'agissait en somme que d'une plaisanterie et pour mieux dire, d'une fumisterie. Mais une fois livrées sans moyen de défense, pieds et poings liés, entre les mains du flagellateur libertin, elles peuvent crier grâce! Ces lâches s'efforcent de produire le plus de souffrances, le plus de douleurs possibles et plus ils maltraitent leur malheureuse victime, plus leur jouissance est grande. Ils ressemblent, dans ces moments d'expansion libertine, à de véritable démons, hurlant de joie et de plaisir presque autant que leur souffre-douleur, de peine. Et cependant, ces mêmes individus, une fois leur rage érotique passée, entourent des soins les plus tendres, les plus attentifs, leur victime, lui témoignant la plus grande amabilité. Boutonnant leur redingote, ils redeviennent ce qu'ils étaient auparavant, c'est-à-dire de galants et aimables gentilshommes, car gentilshommes ils le sont tous de naissance, ceux qui sont possédés de cette terrible manie.
Si de pareils procédés sont, en toute conscience, une chose révoltante, que faut-il penser de ceux qui, non contents de mater, d'anéantir le corps, dérivent encore une jouissance plus grande de l'écrasement, de l'annihilation de l'esprit chez leurs victimes?
D'après l'horrible théorie du colonel Spanker, nous devons supposer que l'on ne saurait éprouver de véritable jouissance en fustigeant le postérieur calleux d'une fille de rencontre que ses parents ont habituée, dès sa jeunesse, aux plus rudes corrections, mais que cela provoque de réelles jouissances en exposant aux coups la tendre et délicate nudité d'une jeune dame sensitive, à l'éducation supérieure et à l'esprit élevé.
Dans le but de mettre en pratique ce plan diabolique, le colonel loue une maison à Mayfair et y fonde la Société des Flagellants aristocratiques qui comprend au moins une demi-douzaine des plus belles et plus fashionables jeunes dames du jour.
Nous voyons ainsi que l'auteur considère que les femmes aussi ne dédaignent pas de se délecter des souffrances infligées à un membre de leur propre sexe. Nos viragos «au sang bleu» sont lassées des victimes vulgaires et consentantes, qui se soumettent aux tortures dans un but de lucre… En conséquence Spanker découvre «une jeune dame connue de la plupart d'entre eux, Mlle Julia Ponsonby, une adorable blonde de dix-sept ans, dont la mère, une veuve, forcée d'aller pour quelque temps à l'étranger, cherche une dame honorable à laquelle elle puisse confier son enfant, pendant la durée de son absence.» La dame honorable et comme il faut qui prend charge de la demoiselle n'est autre qu'une procureuse de la société et miss Julia se trouve bientôt prisonnière dans la maison de Mayfair, dont la serre a été transformée en salle de conférences et où l'on a placé, an milieu de massifs de plantes en pleine floraison, de fontaines et d'autres ornements luxueux, l'appareil «quelque chose comme une paire de larges marches d'escalier, en acajou massif» et auquel on attache les victimes lorsqu'on les soumet à la torture. Le colonel fait son apparition sur la scène et, après avoir abreuvé de toutes sortes de vilenies la jeune femme, qui le traite avec le mépris qu'il mérite, il commence par lui administrer une volée de claques retentissantes sur son derrière nu, puis se laisse aller à d'autres «horribles libertés» et finalement l'envoie se coucher.
Le lendemain matin il la réveille, armé d'une verge, et, en dépit de sa honte et de sa terreur, assiste à sa toilette, qu'il accompagne de coups bien appliqués avec le bouleau. Quand elle est à moitié habillée, il la force à grimper sur une échelle, en tenant ouverts ses propres pantalons, tandis que des cinglements de l'impitoyable badine la forcent à l'obéissance. Son bourreau l'oblige enfin à se placer contre un mur la tête à terre et les pieds en l'air, puis il la laisse.
On la revêt alors d'un élégant costume de bal, et après l'avoir fustigée sur les épaules nues avec une cravache de dame, on la présente à l'assemblée des flagellants réunis dans la serre dans l'attente du spectacle à venir. Il y a là six dames masquées en dominos et quatre messieurs affublés de fausses barbes.
Alors le colonel fait un exposé de ses idées et de ses théories, appuyant ses dires de vigoureuses cinglées, que miss Julia est forcée de supporter; le conférencier dévoile tout le secret des délicieuses sensations et des jouissances que procure la flagellation et ce, d'une façon bien plus étendue que jamais…
La jeune fille, après ces préliminaires, est livrée aux indécentes caresses de toute la société: la petite cravache est de nouveau mise à contribution et, tandis qu'on la déshabille avec une lenteur étudiée, on accompagne chaque phase de l'opération de nouvelles tortures, de plus en plus raffinées. On la pique avec une épingle, on la pince et on la force à raconter des épisodes érotiques de sa vie au pensionnat. Miss Debrette, l'une des dames de la société est ensuite placée sur le chevalet et miss Julia est contrainte de fouetter la jeune dame qui semble y trouver un plaisir extrême, quoiqu'elle soit maltraitée au point d'en être couverte de sang. Puis on se livre à d'autres indécences inouïes, pour prouver «que le flagellant tout autant que le flagellé éprouve de voluptueuses jouissances.»
Ensuite commence ce que le colonel, avec un sourire sarcastique appelle la flagellation pour tout de bon!
Miss Julia est attachée à une échelle avec le dos tourné vers les échelons.
C'est ici que se termine la première partie de l'ouvrage.
La deuxième partie commence par la description très en détail de l'opération à laquelle volontairement miss Debrette s'est soumise. L'un des messieurs lui succède et, après que les deux eurent cyniquement fait part de leurs impressions personnelles aux autres membres de la société, le supplice de Julia recommence: on la fouette au moyen d'une brassée d'orties en pleine sève. La position de la jeune femme sur l'échelle peut donner une idée de la trivialité de la description qui est faite de la scène qui s'ensuit.
Après l'avoir changée de position et lui avoir fait tourner le dos à l'assistance inaccessible à tout sentiment de pitié, le colonel relate quelques autres épisodes de l'application de la torture aux victimes de la lubricité humaine, après quoi on soumet la pauvre enfant à une fustigation accélérée au moyen d'une espèce de lanière de cuir, jusqu'à lui faire presque perdre les sens. Les lubriques acteurs de cette scène révoltante se mettent à jouer à saute-mouton par dessus le dos ensanglanté de l'infortunée et, après cette diversion dans leur dégoûtante orgie, le colonel les régale d'une nouvelle histoire ayant pour sujet les tortures infligées à une femme mariée, durant sa première nuit de noces.
Mais ce n'est là qu'un entr'acte: la représentation continue et, c'est le tour d'une courroie garnie de fines pointes d'acier, de démontrer ses vertus sur le corps nu et déchiqueté de miss Julia que l'on a placée sens dessus dessous, la tête en bas et les jambes en l'air, le long de l'échelle.
Puis une mêlée générale s'engage, qu'il est absolument impossible de décrire; les participants à cette orgie se laissent aller à tous les excès, avec toute la lascivité et le voluptueux excitement que toute cette cruauté est sensée avoir déchaînés et—tout naturellement,—cela au détriment de la pauvre Julia. De nouveau la pauvrette est soumise à une flagellation impitoyable au moyen d'une lourde cravache et finalement—en guise de couronnement de son martyre,—on lui inflige la plus cruelle, la plus abominable des tortures morales: elle est brutalement violée avec tout le raffinement de détails qui, d'ordinaire, peuvent accompagner une telle opération.
Nous pouvons affirmer sans crainte que ce livre est l'ouvrage le plus froidement cruel, le plus cyniquement indécent qu'il nous ait été donné de lire; il est unique en son genre dans la langue anglaise. On semble revivre le rêve sauvage ou plutôt le cauchemar d'un vieux satyre vicieux, vanné, positivement usé et dont l'épiderme tanné jusqu'à l'insensibilité par des flagellations quotidiennes a été saisie d'une folie de passions étranges pour la flagellation bestiale.
Il va sans dire que le compte rendu qui précède ne donne que les grandes lignes de l'ouvrage, car nous avons soigneusement évité de copier le moindre détail, dont la minutie est d'un érotisme trop accentué pour se retrouver sous notre plume. Les plus impudiques descriptions y sont faites et toutes les phases de cette lente agonie de la pauvre fille, le moindre mouvement, la plus petite contraction et le moindre tressaillement sont notés, et commentés. La beauté de Julia est l'objet d'une analyse et de remarques d'une crudité inouïe et rien n'est négligé pour prouver que seul un Néron ou un marquis de Sade peuvent réellement éprouver quelque plaisir sensuel.
Nous pouvons puiser quelque consolation dans le fait que ce livre est trop délibérément horrible pour être dangereux, car ce mélange de débauches lubriques, d'extravagances sadiques, d'usages d'abattoir froidement, cyniquement mis en œuvre ne peut être que le produit d'une imagination surchauffée et surexcitée par des idées obscènes et lascives. Le livre est bien écrit et l'auteur s'est évidemment donné beaucoup de peine pour mettre bien en relief les moindres détails, comme s'il avait voulu convaincre le lecteur de la réalité absolue de ce système répugnant qu'il expose avec tant d'ampleur.
Curiosités en flagellation. Une série d'incidents et de faits compilés par un flagellant amateur et publiés en cinq volumes. Vol. I. Londres 1875[12].
[12] Curiosities of Flagellation. A series of Incidents and Facts collected by an amateur Flagellant and published in five volumes. Volume I. London 1875.
Malgré l'annonce de cinq volumes, il n'en parut à l'origine qu'un seul, qui fut réédité en 1879-1880, avec addition d'un volume supplémentaire. Ces deux volumes pris séparément contiennent chacun un récit: le vol. I. est réservé à The Jeweller's Housekeeper, en français, La Gouvernante du Joaillier; le vol. II. contient Mrs North's School ou l'école de Mme North. Chacun de ces volumes est illustré de cinq gravures exécutées avec très peu de soin; elles sont coloriées et de nature quelque peu obscène. L'ouvrage est publié par l'auteur lui-même.
La Gouvernante du Joaillier est un récit qui a pour but d'exposer la flagellation comme une pratique aphrodisiaque, comme un moyen d'arriver à un but déterminé et non pas comme le but lui-même que l'on se propose d'atteindre, contrairement à la tendance des livres publiés au début du siècle.
L'auteur cependant nous semble pousser les choses un peu trop loin quand il cherche à nous persuader que les victimes éprouvent malgré tout une sensation agréable et voluptueuse, après une flagellation impitoyable accompagnée d'autres pratiques inhumaines, même quand ils sont sur le point de succomber à leurs tortures, et que ces sensations augmentent d'intensité quand le supplice a cessé, ce qui les fait se soumettre par la suite docilement à ces pratiques et les incite même à désirer vivement d'y être soumises encore, d'être fouettées de verges, avec des cravaches et d'avoir leur peau cinglée jusqu'à ce que le sang découle en profusion des cicatrices béantes, et tout cela pour assouvir les instincts voluptueux qui accompagnent et suivent leur agonie.
Nous ne doutons pas que la fustigation sur les postérieurs soit suffisante pour provoquer une circulation anormale du sang dans cet endroit et dans les parties adjacentes et que par cela même elle ne stimule les facultés procréatrices chez certaines natures exceptionnellement douées. Mais nous ne pouvons admettre, en aucune façon, qu'un individu de l'un ou de l'autre sexe, surtout s'il est sain de corps et de constitution normale, puisse se soumettre volontairement aux tortures décrites dans le volume.
La famille dans laquelle se passent les aventures relatées et dont, au dire de l'auteur, «beaucoup sont basées sur des faits», se compose de M. Warren, un bijoutier des environs de Saint-Paul[13] «réputé imbu de principes religieux»; de Sarah sa gouvernante; de «deux filles de par sa femme». Miss Annie âgée de seize ans et Miss Alice, de quatorze ans, deux des plus belles filles du quartier de Highgate où leur père a son domicile particulier et «maître» Willy, un gamin de onze ans, fils du joaillier «de par Sarah».
[13] Saint Paul, la cathédrale de Londres qui donne au quartier son nom. Elle est située dans la cité.
Suivant les instructions du joaillier, la gouvernante invente des histoires contre les enfants, afin de fournir à ce père modèle des prétextes pour flageller impitoyablement ses enfants, le garçon comme les filles, le soir, quand il retourne de la Cité. Après s'être adonné avec frénésie à ce passe-temps excitant, il calme ses ardeurs dans les bras de Sarah; ou bien encore, les deux amants se flagellent mutuellement pour prolonger leurs accès de volupté. En dépit des histoires inventées contre elles par Sarah et des corrections brutales qui en sont la conséquence, les deux jeunes filles, aussi bien Annie qu'Alice se prennent d'un réel attachement pour Sarah et en arrivent même à désirer d'être soumises à une bonne fustigation,—ce que nous trouvons foncièrement anormal.
Nous ne croyons ni utile, ni nécessaire, de faire une description détaillée de ces flagellations, qui d'ailleurs se ressemblent toutes; elles ont ceci de particulier qu'elles sont décrites d'un style bien meilleur que celui que l'on est habitué à trouver dans les livres de cette nature. Le récit se termine d'une façon quelque peu abrupte; l'on voit bien que l'auteur se proposait d'y donner une suite, car vers la fin Sarah promet de montrer à ses jeunes amis «quelques petits instruments de plaisir; mais la chose doit être remise à un autre moment».
Voici l'analyse du IIe volume qui contient l'histoire de l'école de mistress North.
Le volume se compose de cinq lettres passablement longues qui traitent toutes de l'influence de la verge de bouleau sur les organes sexuels. Point n'est besoin de faire ressortir que le sujet est, d'un bout à l'autre, traité avec une désinvolture extrême et que le langage employé est d'une franchise outrée. L'auteur décrit dans leurs moindres détails les scènes de fustigation et les conséquences qui en résultent, sans rien cacher.
Dans la première lettre, sir Charles dit qu'il a à ses gages une dame, miss Whippington qui dirige un pensionnat pour les jeunes filles de l'aristocratie. Elle flagelle ses élèves pour le plaisir de son riche protecteur, après avoir arrangé pour lui une cachette d'où il peut, tout à son aise, suivre les contorsions et jouir de la confusion et de la honte de ses belles et rougissantes victimes. Lady Flora Bumby, une jeune fille gracile, à l'air doux, d'une délicate beauté, blonde, âgée de quatorze ans environ est mise en scène, avec accompagnement de détails minutieux sur sa contenance, sur sa toilette intime, ses dentelles et les charmes qu'ils cachent aux regards profanes. C'est ensuite le tour de miss Mason, une belle brune de seize ans, aux yeux fulgurants, aux joues de pourpre: elle est gentiment apprêtée et délicatement cinglée de longues marques rouges. Ceci produit aussi bien chez le bourreau que chez sa victime le même effet érotique; mais nous, pour notre part, nous sommes en droit de supposer que cette idée existe seulement dans l'imagination des écrivains lascifs, quand ils forcent leurs effets. Néanmoins nous pouvons nous hasarder à dire qu'une femme encline à l'hystérie peut être soumise à bien des tourments par un amant préféré sans en ressentir toujours de la douleur, surtout si ce dernier réussit à faire naître chez elle un excitement voluptueux, alors qu'il lui inflige des mauvais traitements corporels. Malgré cela ces créatures ne sont que des exceptions: elles sont toutes anémiques et esclaves de leur système nerveux; elles se contredisent souvent. Elles sont menteuses, ont des visions et des accès d'insomnie. Elles s'adonnent à la boisson et souvent la morphinomanie ou l'abus du chloral les conduit droit à la maison de fous ou dans la tombe. Il n'y a pas de femme bien développée, en bonne santé, avec un sang pur et abondant circulant dans ses veines, qui puisse éprouver du plaisir à être battue; et avec bien plus de raison, il n'y a pas d'homme dans ces conditions qui peut puiser la moindre jouissance dans le fait d'être fustigé. Les flagellateurs du sexe fort sont généralement des êtres absolument usés et dépravés et il en est de même des femmes de cette catégorie; à moins qu'ils ne soient des exceptions, c'est-à-dire des êtres dominés par des passions anormales.
Pour revenir à notre sujet après cette digression qui, nous l'espérons, n'est pas tout à fait déplacée, voici, après miss Mason, une autre élève qui tombe sous la férule de la douce institutrice. Cette fois on nous présente une boulotte, assez courte de stature, aux cheveux roux, avec de grands yeux d'un brun sombre: elle répond au nom de miss Howard et n'a atteint que son dix-septième printemps. Pour commencer, on l'expose dans toute la gloriole de sa captivante nudité. C'est couchée à plat-ventre qu'elle subit son châtiment jusqu'à ce qu'elle ait perdu connaissance. Ici se termine ce petit délassement et sir Charles, arrivé au paroxysme de l'excitation, est confortablement soigné par miss W…, l'institutrice, qui pendant plus de deux heures se prête à ses extravagances libidineuses et assouvit sa soif de luxure, faisant revivre de temps à autre ses forces déclinantes, au moyen de quelques douzaines de coups de verge bien appliqués, tandis que dans leur chambre, miss Mason et Lady Flora se laissent aller sans aucune retenue aux incitations d'une idylle amoureuse d'un genre nettement lesbien.
Dans la première lettre, Wildish raconte quelques autres épisodes de flagellation. Une épouse corrige son ivrogne de mari au moyen d'une cravache et cet exercice produit chez elle un tel excitement qu'elle se réconforte dans les bras d'un amant qui a suivi toute la scène à travers le trou de la serrure. Nous avons ensuite le mariage d'un Lord Coachington qui, âgé de trente ans à peine et cependant déjà usé jusqu'à la moelle des os, épouse une jeune veuve très riche. Mais il ne réussit pas à remplir ses devoirs conjugaux malgré les ingénieux artifices mis en œuvre par la jeune femme,—artifices décrits avec une lascivité extrême et que notre plume se refuse à transcrire. Alors, il offre de placer sur la tête de sa femme 250.000 francs, pour qu'elle consente à se laisser attacher au moyen de cordons de soie et à recevoir de lui une fessée en règle sur son postérieur, avec des verges de bouleau. Elle consent et le noble Lord se met à la besogne, en dépit des pleurs et des grincements de dents de la jeune épouse, qui se tord de douleur et regrette, un peu tardivement, de s'être prêtée à cette fantaisie maniaque. Le résultat de cette opération ne se fit pas attendre et se traduisit au bout de neuf mois par la naissance de jumeaux: deux filles!…
Dans cette même lettre, on nous conte l'aventure d'un certain M. Robinson atteint, lui, d'une flagellomanie aiguë. Il offre cinq mille livres sterling, soit 125.000 francs à un jeune garçon, pour qu'il lui soit permis de le fouetter à cœur joie et à satiété. Mais, ayant par la suite acquis la certitude que le bel adolescent n'était autre qu'une jeune fille déguisée, il la remet aux mains de ses quatre valets de pied et il s'ensuit une orgie qui défie toute description. La lettre se termine par une communication de Miss Whippington qui s'étend complaisamment sur les détails d'une fustigation infligée par elle à Mlle Lucie Saint-Clair, l'une de ses élèves.
La troisième lettre fait l'objet, de la part de Mistress North, d'une communication comportant une copie très exacte du journal de feu Lord P…, un fervent disciple et propagateur de la flagellation avec des verges. Ce mémoire est suffisamment nouveau et curieux, même pour les initiés aux pratiques flagellatoires et libertines, qui sans doute ne trouveront généralement dans ces livres, que très peu de choses qui ne leur soient connues de longue date. Il raconte les amours d'une gouvernante robuste qui s'amuse à flageller un frère et une sœur confiés à ses soins. Elle éprouve des spasmes voluptueux en administrant ces corrections qui, en fin de compte, la portent à faire partager son lit par son élève mâle, auquel elle frappe avec ivresse le derrière et les parties adjacentes, non sans le couvrir simultanément de caresses lascives. Ce couple si étrangement assorti se livre ensuite à une distraction d'un genre particulier, que ce Faublas en herbe appelle jouer «à la vache et au veau». Nous voulons passer rapidement sur les aimables leçons données an gamin, et glisser sur la matière, car il nous est franchement impossible de suivre et d'étudier les progrès de cette corruption inculquée à des enfants d'un âge relativement peu avancé.
Les amours, ou plutôt les passions de cette gouvernante nymphomaniaque, sont continuées dans la cinquième lettre, qui termine le livre, dont voici la conclusion, d'une ironie vraiment cynique: «Cher Sir Charles, je pense qu'en voilà assez du journal de Lord P…, le restant est trop sale pour que je puisse le transcrire.»
Vraiment! Mais alors, qu'est-ce que cela peut bien être!
Dans la quatrième lettre, Sir Charles relate l'histoire d'un de ses amis qui possédait plusieurs grands singes auxquels il avait enseigné de se flageller réciproquement, dans le but de faire naître chez eux une excitation des sens. Si—comme on est en droit de le supposer—cette histoire n'est pas vraie, elle n'en a pas moins le mérite de la nouveauté et ouvre un nouveau champ d'études aux Buffon de l'avenir.
Une fois de plus on nous sert dans cette lettre la description de trois jeunes demoiselles, qui, toutes frémissantes, sont attachées au chevalet et flagellées avec la dernière violence, au grand amusement d'un ancien Lord-Chancelier, M. S…, qui paie pour suivre la cérémonie à travers un petit trou, après quoi il est soulagé par la maîtresse de pension.
Ce petit ouvrage est évidemment original, aussi original que peut l'être un livre de ce genre, si l'on considère que c'est toujours la même rengaine et qu'il est assez difficile d'apporter dans le traitement de ce sujet des variations continuelles et pas banales.
Nous ne doutons pas que ceux qui sacrifient au vice de la flagellation, se délecteront à la lecture de ces cinq lettres et même en demanderont encore. Le style est entraînant et tout nous porte à croire que l'ouvrage est de la même plume que la Conférence Expérimentale. L'analogie du style dans ces deux ouvrages saute parfois aux yeux: on y retrouve en certains endroits les mêmes phrases interminables. La partie la mieux écrite est incontestablement celle dans laquelle sont décrites les prouesses de la gouvernante et qui nous montre combien il est dangereux de confier sans aucune retenue de jeunes enfants à des servantes. Le grand scandale de Bordeaux[14] nous fournit un exemple de pareille négligence de la part de parents; d'autre part on peut trouver de nombreux autres cas dans le livre du Dr Tardieu[15]. En somme, il y a de bons enseignements à tirer de partout, même d'un livre franchement érotique.
[14] Affaire du Grand Scandale de Bordeaux. Pellerin, 1881. 8 vol.
[15] Étude Médico-Légale sur les attentats aux mœurs par Ambroise Tardieu, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1873, in-8o, avec gravures.
Nous nous sommes plus longuement étendu sur ce dernier ouvrage, parce qu'il nous est présenté comme une première œuvre de l'auteur et nous croyons que le lecteur nous excusera facilement.
La quintessence de la discipline an moyen de verges de bouleau. Suite du Roman de la Castigation. Illustré de quatre superbes planches coloriées. Édition privée. Londres 1870[16].
[16] The Quintessence of Birch Discipline. A sequence to the Romance of Chastisement. Illustrated by four beautifully coloured plates. Privately printed. London, 1870.
Les quatre superbes planches coloriées ne sont que d'obscènes caricatures d'une exécution des plus rudimentaires. L'auteur et l'éditeur sont la même personne, quoique le Roman de la Castigation ait une autre personne pour auteur. Les sept dernières pages du volume sont occupées par un récit intitulé: Lettre d'un Page Boy[17] à sa mère habitant la campagne.
[17] Page-boy, petit commissionnaire, garçon de courses, chasseur.
Dans le livre sus-mentionné, une certaine Mme Martinet, dans une lettre qu'elle adresse à l'une de ses amies, nous offre le récit de la façon dont elle passe ses vacances à Aspen Lodge, près de Scarborough, la résidence de «mon vieux protecteur, Sir Frédéric Flaybum, qui, vous ne l'ignorez pas, trouva nécessaire d'installer et de mettre en vogue mon pensionnat aristocratique et pour lequel j'ai aménagé de secrets points d'observation pour son usage, dans les grandes occasions».
Au moyen d'un prêt de deux cents livres sterling (5.000 francs), Sir Frédéric a su décider la veuve d'un officier de l'armée des Indes, à loi confier ses deux jeunes filles, «en lui donnant carte blanche à tous les points de vue, avec la seule restriction que l'exercice de son autorité paternelle (sic) n'ait pas d'effets dangereux et ne laissât pas de traces défigurantes sur ses enfants».
A l'arrivée de Mme Martinet à Aspen Lodge, Anette et Miriam s'y trouvent déjà. Le lendemain, elle et son protecteur se mettent à les fouetter toutes deux, prenant pour prétexte une plainte non motivée d'ailleurs et absolument inventée par Sir Frédéric. Quand l'opération, qui n'était d'ailleurs accompagnée d'aucune pratique particulière et cruelle, fut terminée, on annonce M. Handcock et Miss Vaseline, deux amis de vieille date de Sir Frédéric. La jeune dame, «une délicieuse blonde, de taille élancée mais exquisément moulée, avec des lèvres de corail, des dents de perles et de ces grands yeux langoureux gris bleus, qui caractérisent si bien un tempérament sensuel», entoure de ses bras potelés le cou de Sir Frédéric, qu'elle embrasse avec une ferveur amoureuse qui ne laisse pas que de surprendre l'honorable institutrice.
Il s'ensuit une scène de la plus haute suggestivité, agrémentée de flagellation mutuelle et d'autres provocations plus ou moins efficaces: «Cette scène, dit textuellement Mme Martinet dans sa lettre, dura pas mal de temps et nous remplit, nous, les dames, d'une délicieuse ivresse, les messieurs étant trop vannés pour se laisser aller à trop d'excitement.»
Dans la lettre d'un Page-Boy, le jeune Fred raconte comment, en regardant par le trou de la serrure, il surprend ses maîtresses, les dames Switchers, en train de satisfaire aux goûts dépravés de l'honorable M. Freecock, en le flagellant et en assouvissant d'autre manière encore ses lubriques appétits. Mais le gamin est surpris à son poste d'observation et,—laissons-le parler lui-même,—«en un clin d'œil ils m'eurent lié par les poignets au chevalet; mes pantalons furent descendus en moins de temps qu'il ne faut pour le dire et ils se mirent à me tanner le derrière avec frénésie au moyen d'une formidable verge de bouleau».
Le style de ce volume peut être placé au même rang que celui des trois ouvrages précédemment décrits. Mais ce livre a au moins un avantage, celui de n'être pas, dans son ensemble, farci de détails dont la crudité et la cruauté provoquent d'ordinaire un si profond dégoût.
Les mystères de la «Villa de la Verveine» ou miss Bellasis flagellée pour avoir volé, par Etonensis. Prix: Quatre guinées, Londres. Édition privée. MDCCCLXXXII[18].
[18] The Mysteries of Verbena House, or Miss Bellasis Birched for Thieving. By Etonensis, Price Four Guineas. London. Privately Printed. MDCCCLXXXII.
Ce volume est dû à deux auteurs différents; orné de quatre planches coloriées, il n'a été tiré qu'à 150 exemplaires.
Après avoir pataugé au milieu de tant d'ouvrages lourds, insipides, sinon absolument répugnants, sur la flagellation, c'est avec un réel plaisir que l'on tombe finalement sur un volume écrit avec tact et avec art, que l'on peut lire sans appréhension.
Dans cet ouvrage on nous trace un tableau très fidèle et très minutieux de ce qu'est un pensionnat fashionable pour demoiselles à Brighton, à notre époque, et le récit roule principalement sur les punitions corporelles infligées aux aimables pensionnaires de la maison.
Deux pièces d'or sont dérobées à une élève créole et miss Bellasis est convaincue d'avoir commis le larcin. Ce qui aggravait sa faute, c'est qu'elle avait caché le fruit de son vol dans la boîte à ouvrage de l'une des plus jeunes élèves. La perquisition générale à laquelle on se livre à la suite de la découverte du larcin, donne lieu à de singulières découvertes: chez une miss Hazeltine on découvre une bouteille d'eau-de-vie de genièvre, tandis que l'on trouve dans le pupitre de Mlle Hatherton un livre obscène. Les deux délinquantes, tout comme l'héroïne principale de l'histoire sont destinées à être fouettées. Mais la propriétaire de l'établissement, miss Sinclair, qui jusqu'alors avait été opposée aux châtiments corporels, croit utile de consulter préalablement le révérend Arthur Calvedon, aumônier du pensionnat. En attendant qu'il se rende à l'appel qui lui est adressé, une espèce de conseil de guerre est tenu et les gouvernantes françaises et allemandes sont admises à émettre leurs avis respectifs sur la castigation des jeunes filles. Le discours de l'institutrice française est reproduit en français qui serait évidemment irréprochable, s'il n'était défiguré par d'innombrables coquilles d'imprimeur. Mais le révérend arrive: il commence à faire un exposé très étendu de ses expériences au collège d'Éton et cela donne lieu à une dissertation très compliquée sur les différents modes de flagellation. Arthur—comme on a pris l'habitude d'appeler tout simplement le conseiller spirituel de l'école—brûle d'envie de demander l'autorisation d'assister à la fustigation de Mlle Bellasis; mais il n'ose et est obligé de se retirer sans avoir vu l'accomplissement de son secret désir; il promet toutefois de revenir après l'opération.
Le lendemain matin, la voleuse est conduite dans la grande salle d'études, par la sous-directrice et la gérante. Après une vive résistance de sa part, elle est dépouillée de ses vêtements, liée sur un pupitre et publiquement fouettée en présence de toutes ses camarades et des domestiques.
La description de la flagellation, qui suit alors, n'est pas du même auteur; le style est distinctement différent. L'allure légère et agréable du début de l'ouvrage se transforme à partir de la page 97 en une narration plus sérieuse, d'un style plus châtié et plus sobre surtout. Jusqu'alors les mots obscènes avaient été employés sans restriction, sans ménagements, sans scrupules: l'auteur appelle tout par les noms propres.
Le caractère de miss Sinclair est du coup transformé du tout au tout.
Mais procédons dans notre analyse. La fustigation de miss Bellasis est décrite avec une ampleur bien exagérée, car elle ne nous apprend rien de bien nouveau. Tout de suite après, nous trouvons une scène passionnelle entre le révérend Arthur et miss Sinclair que la fustigation de son élève, sur le postérieur de laquelle elle a usé trois verges, a mis dans un état de surexcitation sensuelle indescriptible.
Le jour suivant, miss Sinclair, devenue la maîtresse d'Arthur, punit sévèrement les demoiselles Hatherton et Hazeltine, en particulier, chez elle, c'est-à-dire qu'elle inflige aux deux jeunes filles toutes sortes de tourments, d'abord avec une cravache, puis avec une brosse à cheveux, tandis que le révérend admirateur regarde à travers un trou dans la cloison. Le volume se termine d'une façon abrupte par quelques lignes d'encouragement pour les flagellants des deux sexes.
En somme, ce livre est, comme nous l'avons dit déjà, le seul qui ait quelque mérite et qui semble se baser non sur des inventions mais sur des faits réels et vécus.
Exposition de flagellants femelles, dans le monde modeste et incontinent, prouvant par des faits indubitables qu'un certain nombre de dames trouvent un secret plaisir à fouetter leurs propres enfants et ceux commis à leur charge et que leur passion pour exercer et ressentir le plaisir d'une verge de bouleau appliquée par des sujets de leur choix de l'un et de l'autre sexe est du tout au tout aussi prédominant que celui que leur procure le commerce avec les hommes. Publié maintenant pour la première fois d'après des anecdotes authentiques, françaises et anglaises, trouvées dans le boudoir d'une dame. Embellie de six belles planches in-quarto, supérieur à n'importe quoi de ce genre qui ait jamais été publié. Londres. Imprimé pour G. Peacock, no 66, Drury-Lane[19].
[19] Exhibition of Female Flagellants, in the Modest and Incontinent World. Proving from Indubitable Facts that a number of Ladies take a Secret Pleasure in whipping their own, and other Children committed (sic) to their care, and that their Passion for exercising and feeling the Pleasure of a Birch-Rod, upon Objects of their Choice of both Sexes, is to the full as predominant as that of Mankind. Now first published, from authentic Anecdotes, French and English, found in a Lady's Cabinet. Embellished with six beautiful Quarto Prints, superior to any thing of the kind ever Published. London. Printed for G. Peacock, no 66. Drury Lane.
Une jolie vignette ovale orne cet ouvrage. Elle représente Cupidon attaché à un arbre tandis qu'une jeune fille assise prépare une verge de bouleau pour le châtier.
Au point de vue littéraire ce livre ne vaut absolument rien. L'auteur traite son sujet d'une façon par trop exclusive et part de ce principe que la flagellation en elle-même constitue la jouissance, tandis qu'en réalité l'on ne peut considérer cette pratique que comme un moyen d'arriver au but que l'on se propose, c'est-à-dire la jouissance sensuelle. En lui-même le châtiment corporel que l'on s'impose ne peut certainement avoir rien que de désagréable. Ce n'est pas la flagellation qui termine l'opération, puisqu'elle est suivie d'autres actes qui produisent les effets définitifs désirés et provoqués. D'autre part, les verges sont exclusivement placées dans les mains des femmes, comme si les hommes ne sauraient éprouver au moins tout autant de plaisir à fouetter des jeunes filles qu'à être fouettés par elles.
Dans l'Exposition des flagellants femelles cette théorie uniforme est adoptée d'un bout à l'autre; on nous y enseigne que dans la flagellation il faut un certain art, du tact, et de la délicatesse.
Voici à titre de document, la traduction d'un passage qui s'y rapporte: «Saches donc, fille nigaude (dit Flirtilla), qu'il y a une certaine façon de manier ce sceptre de félicité, dans laquelle peu de femmes ont la main heureuse; ce n'est pas le geste passionné et violent d'une vulgaire femelle qui peut charmer, mais les manières délibérées et élégantes d'une femme de sang et du monde, qui déploie en toutes ses actions cette dignité qui se retrouve même dans le jeu de son éventail, qui souvent sert à faire de si profondes blessures. Quelle différence entre le vulgaire et le mondain, le distingué, précisément en cette matière! Quelle différence entre la vue d'une femme vulgaire qui, provoquée par ses enfants, les saisit comme un tigre ferait d'un agneau, expose brutalement leur derrière et les corrige avec le plat de la main ou avec une verge ressemblant beaucoup plus à un manche à balai qu'à un gentil faisceau de verges, élégamment nouées ensemble tandis qu'une mère bien-née, froidement et méthodiquement sermonnera son enfant ou son pupille et, quand elle se sera rendu compte qu'il est dans son tort et qu'il mérite une punition, ordonne à l'incorrigible miss de lui apporter les verges, de se mettre à genoux et de demander à mains jointes une bonne fouettée; puis, cette cérémonie préliminaire accomplie, elle lui ordonnera de se coucher en travers de ses genoux ou bien la fera monter sur le dos de la bonne, et puis, avec les plus jolies manières que l'on puisse imaginer enlèvera tout ce qui empêchera le libre accès du derrière frémissant de la petite demoiselle, qui pendant tout le temps, tout en larmes et avec des promesses et des suppliques les plus tendres implore sa chère maman ou sa gouvernante de lui pardonner; et à tout cela la belle exécutrice prêtera oreille charmée, découvrant cependant avec un sentiment délicieux les gentilles et aimables rotondités si blanches, qu'en quelques minutes elle fera passer au rose le plus sombre au moyen d'une verge maniée avec savoir-faire et élégance!»
Il existe d'ailleurs encore deux autres éditions de cet ouvrage, savoir:
The Exhibition of Female Flagellants. Suus cuique mos. London. Printed at the Expense of Theresa Berkley, for the Benefit of Mary Wilson, by John Sudbury, 252, High Holborn.
L'autre Édition est celle de genre bien connu de Hollywell Street.
Le Chérubin ou Gardien de l'Innocence féminine. Exposant les Artifices des Pensionnats loués[20], des Diseurs de Bonne Aventure, des Modistes corrompues et des soi-disant Femmes du monde. Londres, imprimé pour W. Locke, no 12 Red Lion Street, Holborn. 1792[21].
[20] Loué est pris ici dans le sens de loyer; c'est-à-dire, Pensionnats pris en location par de vieux messieurs.
[21] The Cherub; or Guardian of Female Innocence. Exposing the Arts of Boarding Schools; Hired Fortune-Tellers; Corrupt Milliners; and Apparent Ladies of Fashion, London: Printed for W. Docke. no 12 Red Lion Street, Holborn. 1792.
Ce livre qui a été réimprimé à plusieurs reprises a pour objet, comme son titre compliqué l'indique assez clairement, de mettre à nu chacune de ces catégories de vice. De nombreuses anecdotes se suivent. En voici une qui a trait à la location des Pensionnats de demoiselles par de vieux libertins, qui trouvent plaisir à voir fouetter les jeunes élèves.
«Un vieux Crésus libertin de Broad Street, dont les richesses étaient aussi considérables que les instincts dépravés, a entretenu depuis quelques années une espèce de trafic sensuel avec les directrices de deux pensionnats; l'un situé aux environs de Hackney et l'autre dans la Banlieue de Stratford. Toutes les semaines il versait à ces Dames des sommes importantes, rien que pour pouvoir goûter des jouissances visuelles qu'un homme ordinaire aurait trouvé plutôt répugnantes qu'agréables.
Le gentleman en question fait des visites régulières et à tour de rôle chez chacune de ces accommodantes matrones.
Voici comment le spectacle se déroule:
Toutes les fautes commises, les dérogations au règlement etc., sont soigneusement enregistrées pendant les quatre ou cinq jours qui précèdent la visite du Crésus; le jour de sa venue est fixé pour l'exécution de toutes les punitions infligées aux élèves. Après avoir fait entrer le vieux birbe dans un petit cabinet adjoignant la salle et dans la porte duquel sont aménagés des trous d'observation, les élèves sont appelées l'une après l'autre, mises à nu, étendues sur un établi ad hoc et fouettées sur leurs postérieurs en proportion de la gravité de leurs fautes. Dans la situation où elles se trouvent les jeunes filles ne peuvent pas se douter un instant qu'elles sont vues de tout autre personne que leur directrice. Et quand le vieux jouisseur, après avoir suivi, au moyen d'une lorgnette toutes les phases et les progrès de la flagellation en est arrivé au summum bonum de sa passion il sort de son rôle passif et se transforme à son tour en exécuteur… Son désir assouvi il se retire comme un homme de bonne composition qu'il est, parfaitement heureux et placide.
L'ouvrage est orné d'un frontispice suggestif par Isaac Cruikshank.
Part the second. The female flagellants in the Beau-Monde and the Demi-monde; proving from indubitable facts that the secret Pleasure of Whipping their own children and those of others, and that the Delights of the Birch Rod are as powerful in the female as in the masculine part of humanity. Now first published from the Manuscript of a Lady, and from original correspondance addressed to the Editor of the first Part. With highly coloured Engravings. Two Guineas[22]. Est une continuation du volume mentionné plus avant, sous le titre d'Exposition des flagellants féminins.
[22] Deuxième Partie. Les Flagellants femelles dans la Beau Monde et dans le Demi-Monde; prouvant par des faits indubitables que le secret plaisir de fouetter leurs propres enfants et ceux des autres et que les Délices de la Verge de Bouleau sont aussi puissants dans la partie féminine que dans la partie masculine de l'humanité. Publie maintenant pour la première fois le manuscrit d'une Dame et la Correspondance originale adressée au rédacteur de la première partie. Avec des illustrations coloriées de haut ton. Deux guinées.
Conférences Fashionables, organisées et tenues avec la discipline de verges de bouleau, par les suivantes et nombreuses belles dames, qui ont rempli à l'approbation générale les rôles de mère, marâtre, gouvernante, femme de chambre, ménagère, gérante de maison, etc., etc.
Avec les observations préliminaires sur les plaisirs de la verge de bouleau, administrée par la jolie main d'une dame favorite. Embellie d'une jolie gravure, d'une demi-feuille, représentant une marâtre fouettant son fils.
C'est un aussi grand provocateur que les cantharides ou le jus de vipères, parce que cela irrite le sang et donne une nouvelle vigueur aux esprits assoupis.
(Le Jésuite lascif, un Opéra.)
Quatrième édition, avec de nombreuses adjonctions. Londres. Imprimé pour G. Peacock, no 66, Drury Lane[24].
[24] Fashionable Lectures, etc… The fourth Edition. With considerable additions. London. Printed for G. Peacock, no 66 Drury Lane.
Cet ouvrage est incontestablement le plus curieux, le plus original et très probablement le premier publié de la série. On aurait pu l'intituler: Le Drame de la flagellation; toute l'action se déroule en dialogues et monologues.
A ce sujet, nous croyons intéressant de reproduire la teneur d'un passage qui termine l'ouvrage: Le Sublime de la Flagellation.
Très peu de temps après la publication des Conférences Fashionables à Paris la carte suivante fut remise par les libraires à tous les acheteurs de l'ouvrage.
CARTE
ADRESSÉE A MESSIEURS LES FLAGELLANTS
«Tous les acheteurs des Conférences qui seraient curieux de juger par eux-mêmes de l'effet qu'elles produisent quand elles sont bien développées, peuvent être adressés à une dame très accomplie au point de vue physique comme au point de vue de l'intellect, et qui, si on sait lui faire un compliment approprié[25], est prête à développer n'importe laquelle de ces conférences avec toute l'énergie et l'éloquence de son talent oratoire et son action, heureusement en corrélation.
[25] Un bel euphémisme!
«Cette dame a une maison à elle et sa salle de conférence est meublée de verges, de chats à neuf queues, et de quelques-uns des meilleurs ouvrages sur la flagellation. La dame a également dans sa maison une femme robuste, capable de prendre un homme sur ses épaules, quand il lui prend l'envie d'être traité comme un écolier; et en outre, elle, aussi bien que sa bonne, sont prêtes de jouer un rôle passif dans l'usage des verges, quand de temps à autre on le lui demandera. Prix de la première conférence: un louis,—chaque lecture suivante un demi-louis et 2 fr. 50 pour la bonne si elle sert de chevalet dans la circonstance.
«N. B. Les messieurs seuls, qui éprouvent du plaisir à jouer le rôle d'écoliers, seront servis par la maîtresse et la servante, à toute heure, avant qu'ils se lèvent, le matin, dans leurs propres domiciles, où se jouera admirablement bien le délicieux divertissement d'être sorti du lit, bousculé, puis fouetté, pour n'avoir pas voulu se rendre à l'école.»
La Danse de Mme Birchini, une histoire moderne, considérablement augmentée avec des anecdotes originales recueillies dans les cercles fashionables. Publié maintenant pour la première fois par Lady Termagant Flaybum.
«De tomber aux pieds d'une maîtresse impérieuse, d'obéir à ses ordres, d'avoir à lui demander pardon, furent pour moi les plus doux plaisirs.»
(Les confessions de J.-J. Rousseau, vol. I.)
«C'est un excitateur aussi puissant que les cantharides ou que le jus de vipère, parce que cela irrite le sang et redonne une vigueur nouvelle aux esprits assoupis.»
(Le Jésuite lascif; un opéra.)
Neuvième édition, avec de belles planches. Londres. Imprimé pour Georges Peacock, et vendu Drury Lane, no 66[26].
[26] Madame Birchini's Dance. A Modern Tale. With Considerable additions, and Original Anecdotes collected in the Fashionable Circles. Now first published by Lady Termagant Flaybum.
The Ninth Edition, with beautiful Prints. London: Printed for George Peacock, and sold at no 66 Drury Lane.
C'est un livre éminemment curieux. La première édition originale a dû être publiée contemporainement avec les Révélations de Lady Bumtickler. Ces anecdotes originales sont en prose et ne diffèrent pas grandement de ce qui nous a été présenté dans l'exposition de flagellants femelles mais la Danse de Mme Birchini est en vers, parfois bien terre à terre, mais empreints, en certains endroits, d'une belle vigueur et d'une ardeur remarquable.
C'est, en somme, l'histoire d'un jeune noble qui, devenu impotent à la suite d'excès de tout genre, se livre aux soins habiles de Mme Birchini qui réussit, grâce à ses procédés spéciaux, à lui rendre son ancienne vigueur et à le mettre à même de remplir ses devoirs conjugaux après l'accomplissement desquels sa jeune épouse soupirait désespérément.
Le joyeux ordre de Sainte-Brigitte. Souvenirs personnels de l'usage de la verge par Marguerite Anson York.
Imprimé pour les amis de l'auteur, MDCCCLVII[27].
[27] The Merry Order of St Bridget, Personal Recollections of the Use of the Rod by Margaret Anson; York: Printed for the Author's Friends, MDCCCLVII.
On attribue ce livre au même auteur qui a écrit pour Hotten The History of the Rod (l'Histoire de la verge). Il se compose de douze épîtres écrites par miss Anson à une de ses amies; la première lettre est datée de 1868, tandis que sur l'ouvrage le frontispice porte la date erronée de 1857.
Un certain nombre de dames, assemblées dans un château en France, pendant le second Empire, créent, pour passe-temps, le Joyeux Ordre de Sainte-Brigitte, une société ayant pour but l'application mutuelle des verges, une pratique à laquelle elles sont toutes adonnées.
Marguerite Anson est la soubrette de l'une de ces dames et elle est admise à faire partie de la société en qualité d'aide. La description de sa propre installation donnera une idée des rites de l'ordre.
Mais laissons-la avant tout admirer son costume: «Une chemise de toile fine, garnie de Valenciennes avec des entre-deux de rubans. Un jupon moelleux en flanelle blanche garnie de soie en bordure dans le bas; un autre en cachemire blanc, très fin avec un ruché dans le bas, garni de velours bleu de ciel. J'avais en fait de corset l'un de ceux de ma maîtresse, tout brodé; et par-dessus le tout, un magnifique peignoir bleu, avec des ruchés blancs; pas de jupes ni de pantalons et rien aux pieds, qu'une paire de mules bleues garnies de rosettes blanches très mignonnes.»
Ainsi accoutrée, Marguerite est placée dans une petite chambre contiguë à la grande salle où le Joyeux Ordre tenait ses assises: elle a les yeux bandés.
«Il me semble que j'attendis longtemps, mais je crois que ce ne fut que quelques minutes au bout desquelles quelqu'un entra dans la chambre:
—Enlevez votre manteau! me dit une voix que je reconnus pour celle de Mistress D…, une dame anglaise, belle, grosse et grasse, de quarante ans environ, pleine de vie et de malice, qui avait été une des promotrices de l'affaire.
—Maintenant, suivez-moi!
La porte de la salle fut ouverte et l'on m'introduisit. Puis la porte se referma et fut verrouillée et j'entendis autour de moi des rires étouffés.
Alors une voix partant du fond de la salle s'exclama: «Silence, mesdames, s'il vous plaît!»
Trois coups secs furent frappés sur une table et la même voix demanda:
—Qui vient ici?…
J'avais été stylée par Mistress B… et je répondis, conformément à ses instructions:
—Une candidate pour une place dans le Joyeux Ordre de Sainte-Brigitte.
—Êtes-vous prête à servir l'ordre du mieux que vous pourrez et d'aider, comme le demande votre maîtresse, dans l'accomplissement des cérémonies de l'ordre?
—Je le suis!
—Est-ce que vous vous engagez à ne jamais souffler mot de ce que vous verrez, entendrez ou ferez dans cette chambre, sous peine de perdre votre place sans certificat?
—Oui! Je m'y engage!
—Connaissez-vous le but du Joyeux Ordre?
—Oui!
—Dites-le nous!
Selon mes instructions je répondis.
—La salutaire et agréable discipline au moyen de verges appliquées réciproquement par ses membres au cours de ses séances.
—Avez-vous jamais été fouettée?
—Oui!
—Promettez-vous de vous soumettre à telle flagellation que le Joyeux Ordre vous imposera, sans vous rebeller ou sans murmurer?
—Oui!
—Préparez-la!
«J'entendis de nouveau des rires étouffés dès que cet ordre fut donné et je pus me rendre compte que mistress D… était secouée d'un rire intérieur, tandis qu'elle exécutait sa consigne, et qu'elle m'enleva mon peignoir. Elle épingla mes jupons et ma chemise sur mes épaules et alors, ma chère, je savais ce qui allait venir. Quelqu'un d'autre se saisit de l'une de mes mains tandis que mistress D… me tenait l'autre en attendant un nouveau commandement.
—Avancez!
«Ils me firent faire quelques pas en avant et au même instant un formidable coup de verge tomba sur ma hanche, puis sur l'autre et ainsi de suite jusqu'à ce que j'eus atteint le bout de la salle. Je pleurai et me débattis; mais tout fut en vain; mes guides me maintenaient solidement et, lorsqu'elles me lâchèrent, je ne pouvais plus que sangloter et haleter.
Alors un nouveau commandement se fit entendre:
—A genoux!
Je m'agenouillai devant l'ottomane du centre de la pièce. Les dames maintinrent mes bras par-dessus ce meuble et lady C… quitta son fauteuil, s'avança vers moi et me fouetta jusqu'à ce que je ne sus plus guère où je me trouvais. Alors elles m'aidèrent à me lever et la dame dit:
—Mesdames de l'Ordre de Sainte-Brigitte, recevez-vous Marguerite Anson en qualité de membre et de servante jurée, pour faire tout ce que vous demanderez?
—Oui! répondirent en chœur celles qui ne riaient pas.
—Laissez-la voir! fut le commandement qui retentit alors et, à ces mots, l'une des dames fit retomber mes vêtements et une autre m'enleva mon bandeau des yeux. J'étais tellement secouée et abrutie par la flagellation que pendant un certain temps, je pus à peine y voir. Mistress D… me prit par le bras et me ramena à l'extrémité de la pièce. Je me remis peu à peu et alors, en regardant autour de moi, je fus témoin d'un spectacle que n'aurait certainement jamais rêvé ce journaliste dont je mentionnais l'entrefilet dans ma dernière lettre.
«Chacune des dames tenait en main un faisceau de verges souples et solides et nouées avec des rubans correspondant à la couleur de leurs vêtements.
Sur l'ottomane où j'avais subi ma dernière fustigation étaient déposées deux autres verges.
—Marguerite Anson! Approchez! me dit Mme C… de nouveau. J'avançai timidement, appréhendant une nouvelle fessée…
—Agenouillez-vous!
Je m'agenouillai et elle me fit cadeau d'une verge en m'informant que j'étais maintenant une servante du Joyeux Ordre de Sainte-Brigitte, que j'étais autorisée à prendre part à leurs cérémonies et que j'étais tenue de faire tout ce que l'on me demanderait.
Puis on m'enjoignit d'aller me placer à l'extrémité de la salle, et de m'apprêter à faire à celle dont le tour était venu, absolument la même chose qui m'avait été faite à moi.
Il saute aux yeux qu'une répétition d'une flagellation de ce genre entre femmes ne peut que devenir insipide à la longue, car elles ne varient que fort peu. Pour faire diversion, l'auteur intercale dans son récit des réminiscences évoquées par les dames présentes, au cours desquelles l'élément masculin est mis en scène.
Une anecdote surtout est impayable: c'est l'histoire d'un monsieur qui, se faisant passer pour un inspecteur scolaire du gouvernement, fait une tournée d'inspection dans tous les pensionnats de jeunes filles où les plus belles d'entre les élèves sont fouettées en sa présence.
L'auteur adopte la thèse, d'après laquelle une certaine délicatesse et du savoir-faire sont des qualités essentiellement requises en flagellation.
«Il y a, dit-il, une grande différence entre les différents modes d'administrer les verges. Il n'y a aucune jouissance à puiser dans le maniement des verges ou dans la réception des coups, quand la chose est pratiquée de la même manière qu'emploierait une femme vulgaire dans un accès de colère. Mais, quand la verge est maniée par une dame du monde, élégante, avec dignité et grâce dans le maintien et dans l'attitude, le fait de pratiquer la flagellation et de la subir deviennent également une source de réel plaisir[28].»
[28] Cette phrase est incontestablement plagiée. Elle se trouve dans «L'Exposition des Flagellants Féminins».
L'extrait suivant de History of the Rod (l'histoire de la verge) a quelque analogie avec le récit de Marguerite Anson, qui précède.
C'est pour cela que nous croyons utile de le reproduire ici, à titre de document bibliographique.
«Une vieille nouvelle française, que nous avons parcourue en passant, le long des quais de la Seine à Paris, donnait une description très vivante d'une espèce de club romantique de flagellation qui existait à Paris peu de temps avant la Terreur. Les dames qui faisaient partie de cette association se fouettaient réciproquement avec une élégance pleine de charmes! Une sorte de procès précédait chaque correction et, quand une dame était reconnue coupable elle était immédiatement déshabillée et fouettée par ses compagnes. S'il faut en croire les affirmations contenues dans ce livre qui avait pour titre le Château de Tours, un grand nombre de dames du plus grand monde étaient affiliées à cette société et recevaient de leurs compagnes des châtiments personnels.
Ces nobles dames étaient également décrites dans ce livre comme instigatrices et créatrices des nouvelles modes; elles donnaient le ton. A en juger par les descriptions de ces modes, faites dans le livre en question, quelques-unes ne devaient pas différer beaucoup de celles adoptées jadis par notre bonne aïeule, la mère Ève!»
Les Mystères de la flagellation[29] ou un Récit des Cérémonies secrètes de la Société des flagellants. La sainte pratique des Verges. Saint-François flagellé par le Diable. Comment on domine ses passions par l'art de la flagellation. Avec beaucoup d'Anecdotes curieuses sur la Prédominance de ce Passe-temps particulier chez toutes les nations et à toutes les époques, soit sauvages ou civilisées (sic).
[29] Mysteries of Flagellation or A History of the Secret Ceremonies of the Society of Flagellants. The Saintly Practice of the Birch. Saint Francis whipped by the Devil. How to subdue the Passions by the art of Flogging! With many Curious Anecdotes of the Prevalence of this Peculiar Pastime in all Nations and Epochs, whether Savage or Civilized. Printed by C. Brown, 44 Wych Street, Strand. Price 2d.
Imprimé par C. Brown, 44 Wych Street, Strand. Prix: 2d.[30].
[30] 2d. vingt centimes. Sur la couverture, en tête se trouve répétée, en toute lettrée cette fois, la mention: «Price Two pence».
Cette publication—8 pages—qui date de 1863, avait été provoquée par l'arrestation d'une dame Potter, pour avoir fouetté une jeune fille contre sa volonté.
En comparaison avec son genre, cette brochure n'est pas mal écrite. Elle nous donne un aperçu de ce qu'étaient certains établissements de Londres et notamment le White House (maison Blanche), la Den of Mother Cummings (Repaire de la Mère Cummings), l'Élysée de Brydges Street, etc.
Voici d'ailleurs le résumé de l'affaire Potier. Elle est intéressante:
«A cette époque (en juillet 1863), sur la demande de la Société de Protection des Femmes, une perquisition fut opérée dans l'Académie, alors très en vogue, de Sarah Potter, alias Stewart, dans la Wardour Street[31] et une rare collection d'accessoires et d'instruments de flagellation fut saisie et transportée au palais de justice de Westminster. C'est alors seulement que le grand public apprit que des jeunes filles étaient débauchées dans l'École de flagellation de la femme Stewart, pour être soumises à la fustigation de la part de jeunes et de vieux amateurs de ce sport particulier, au grand profit de cette honnête dame. Les spécimens les plus curieux de son stock d'instruments servant à son industrie consistaient en une échelle pliante, avec des entraves, des verges de bouleau, des balais de chiendent et d'accessoires secrets à l'usage des hommes et des femmes.
[31] Ce fait n'est pas tout à fait exact, en ce sens que la perquisition eut lieu au no 3 de Albion Terrace, Kings Road à Chelsea, où cette dame habitait après avoir déménagé de Wardour Street.
Sa méthode de procéder dans sa petite industrie était la suivante. Elle attirait des jeunes filles, les nourrissait, les logeait et les habillait et en retour elles étaient obligées de se prêter aux caprices des protecteurs de cette pension de famille d'un nouveau genre.
Elles étaient fouettées de différentes façons. Quelquefois on les fixait à l'échelle: d'autres fois elles étaient pourchassées à coups de fouet par la chambre; parfois on les couchait sur le lit. On avait recours à toutes les variations et à tous les raffinements qu'une imagination pervertie pouvait inventer, pour varier dans la mesure du possible les orgies, en retour desquelles la maîtresse de maison touchait des sommes variant entre 5 et 15 livres sterling. Les bénéfices que la Stewart tirait de cette école lui permettaient de tenir des valets et une maison de campagne, au grand scandale de la communauté.»
Ce récit est évidemment exagéré. On ne pourrait admettre que la jeune fille fût flagellée contre sa volonté, car elle avait pour habitude de fouetter des messieurs et de se soumettre elle-même à l'opération quand elle était payée en conséquence. Il est un fait certain, c'est qu'elle retourna chez Mme Potter dès que celle-ci fut relâchée de prison et habita avec elle pendant longtemps à Howland Street.
Mistress Sarah Potter, alias Stewart fut une matrone d'une certaine importance qui, à un moment donné réalisa de grosses sommes. Au cours de sa carrière accidentée elle changea très souvent de domicile.
Sous ses auspices, les flagellations étaient appliquées presque exclusivement aux messieurs quoique de temps en temps il arrivait que des jeunes filles y étaient soumises. Elle avait pour spécialité de procurer de très jeunes filles avec les parents desquelles elle prenait préalablement des arrangements pour éviter dans la suite des désagréments éventuels. Elle habillait ces enfants de costumes suggestifs et leur enseignait des tours variés, pour amuser ses clients.
Le Roman de la Castigation; ou les Révélations de miss Darcy.
Illustré de gravures coloriées. Londres: imprimé pour les libraires[32].
[32] The Romance of Chastisement, or The Revelation of Miss Darcy.
Illustrated with coloured Drawings; London: Printed for the Booksellers.
Belinda Darcy rend visite à son amie Dora Forester, qui l'initie aux plaisants mystères de la flagellation et lui révèle ce qui se passe à la Villa Belvédère, une maison de délassement où l'on fait un usage très étendu de la verge.
Le livre contient en outre quelques scènes diverses, telle que la description d'une pénitence dans un couvent, et une scène de flagellation domestique, etc.
Au point de vue littéraire, cet ouvrage a quelque mérite et on peut le lire avec intérêt.
Le Roman de la Castigation ou Révélations de l'école et de la chambre à coucher. Par un expert.
[33] The Romance of Chastisement; or Revelations of the School and Bedroom. By an Expert.
Ce livre roule principalement sur la Castigation de jeunes filles et l'auteur semble y trouver un réel plaisir. Il croit qu'une femme opérant sur elle-même ou sur quelqu'un de son propre sexe éprouve dans la même mesure du plaisir.
Dans l'exposé de ses théories l'auteur cherche à démontrer que celui qui reçoit les coups en éprouve également de la jouissance et ce, presque au même degré que celui qui inflige la correction.
Un seul passage est vraiment nouveau et pittoresque, dans lequel l'auteur affirme l'existence de derrières qui rougissent de honte, tout comme le visage.
Il cite à l'appui un cas particulier.
L'auteur de cet ouvrage avait un manuscrit qui n'a pas été publié et qui se trouve actuellement en possession d'un bibliophile de Londres. Il comprend les contes suivants: «Les Vacances de Richard», «Un Plongeon dans l'Atlantique», «Le château de Cara» et «L'Histoire de Sam[34].» Il y a encore huit morceaux en prose et en vers soit: «Les Leçons d'Allemand», «Devait-il le faire?», «Récits de l'École», «Le four de la Reconnaissance, ou Réminiscences rivales», «Réminiscences de Félix Easyman Esq.»—y compris «Autobiographie» et «Barnania», «l'Eton d'Antan» (comprenant l'Histoire de Kitty et l'Histoire d'Esther) etc., etc. Puis un supplément au Roman de la Castigation[35].
[34] Harry's Holidays. A Dip in the Atlantic; Castle Cara; Sam's Story.
[35] «The German Lessons», «Did he ought to do it?», «Tales out of School», «The Reckoning Day or Rival Recollections», «Reminiscences of Felix Easyman Esq.», «Eton of Old» etc., etc.
La Sublimité de la flagellation, en lettres de Mme Termagant Flaybum, de Birch-Grove, à lady Harriet Tickletail, de Bumfiddle-Hall. Dans lequel sont présentés le magnifique conte de la Coquette châtie (sic) en français et en anglais et Le Brosseur de derrières du pensionnat ou les Détresses de Laure. Orné d'une superbe planche.
Longtemps tourmenté, sans savoir exactement par quoi, je dévorais d'un œil ardent, chaque belle femme; mon imagination les rappelait sans cesse à ma mémoire, uniquement pour les dompter à ma façon et les transformer en autant de demoiselles Lambercier.
(J.-J. Rousseau, Confessions, vol. I.)
Londres. Imprimé pour George Peacock.[36]
[36] Sublime of Flagellation; In Letters from Lady Termagant Flaybum, of Birch-Grove, to Lady Harriet Tickletail, of Bumfiddle-Hall. In which are introduced The Beautiful Tale of La Coquette Chatie (sic), in French and English, and The Boarding-School Bumbrusher; or the Distresses of Laura. Decorated with a superb Print.
Long tormented, without knowing by what, I devoured with an ardent eye every fine woman; my imagination recalled them incessantly to my memory, solely to submit them to my manner, and transform them into so many Miss Lamberciers.
(Rousseau, Confessions, vol I.)
London: Printed for George Peacock.
Ce volume contient quelques anecdotes piquantes, mais au demeurant, il peut être placé au même rang que les ouvrages médiocres de ce genre. Il présente cependant une nouveauté en ce sens que l'honneur y est mêlé. Une jeune danseuse, amante d'un riche lord, ne veut pas répondre à l'amour du fils de ce dernier, qu'elle a des scrupules de trahir, mais elle assouvit la passion du jeune homme qui l'idolâtre, en lui distribuant généreusement force coups de cravache, ce dont l'amoureux paraît ravi.
Vénus Maîtresse d'école; ou Sports du bouleau. Par R. Birch, traducteur des Mémoires de Manon.
Imprimé pour Philosemus, embelli d'une jolie planche. Prix: 10s. 6d.[37].
[37] Venus School Mistress; or Birchen Sports. By R. Birch, Translater of Manon's Memoirs. Printed for Philosemus. Embellished with a Beautiful Print. Price 10s. 6d.
Cet ouvrage fut réimprimé à plusieurs reprises. C'est une œuvre très mal écrite qui relate les aventures de miss Birch, la fille d'une femme qui dirigeait un externat et qui ne laissait jamais passer une occasion de fesser ses élèves. Miss Birch y prend goût et en fin de compte monte à son tour une école avec une de ses amies. «Et maintenant, dit-elle, nous vivons ensemble et fouettons, comme deux petits diables aussi bien les petits garnements que les grands.» Les aventures relatées dans ce volume sont très terre à terre, à l'exception peut-être de quelques passages.
Un détail à noter: une deuxième page—faux titre—d'une édition réimprimée vers 1830 par Carmon, porte la désignation suivante:
«Aphrodite flagellatrix: Sive Ludi Betulani De gustibus non est disputandum. Romæ Apud Plagossum Orbilium, In viam flagrorum sub signo flagelli 1790[38].»
[38] Vénus Flagellatrice.
Il ne faut pas discuter sur les goûts. A Rome: Chez Plagosus Orbilius. Dans la rue des Flagrants, à l'Enseigne des Verges. 1790.
La Favorite de Vénus; ou Secrets de mon Mémorandum: expliqué dans la vie d'une Dévote du Plaisir. Par Thérésa Berkley.
«Ciels! Quelle sensation! Comment puis-je décrire les plaisirs de la verge!—Son contact magique est si enivrant—si enchanteur—si—…»
Illustré avec de belles illustrations. Londres: Imprimé et publié par J. Sudbury, 252, High-Holborn[39].
[39] The Favorite of Venus; or, Secrets of my Note Book: Explained in the Life of a Votary of Pleasure. By Theresa Berkley.
«Heavens! what a sensation! how can I describe the pleasures of the Rod!—its magic touch is so enthralling—so enchanting—so…
Illustrated with Fine Engravings. London: Printed and Published by J. Sudbury, 252 High-Holborn.
Ce livre traite des amours d'un garçon livreur qui va porter aux clients les marchandises achetées dans la boutique de son père. Mais comme cette clientèle se compose presque uniquement de femmes entretenues et de prostituées, les épisodes sont d'une nature quelque peu triviale et l'ouvrage en lui-même est très terre-à-terre, sans grande valeur littéraire.
Les Camarades d'École; ou Guide des Jeunes Filles en Amour, En une série de lettres. Y compris quelques anecdotes-curieuses sur la Flagellation. Auxquelles on a ajouté, la singulière et divertissante Histoire de la Vie et de la Mort d'un Godemiche, enrichie de fines gravures. Première partie. Londres; imprimé par John Johnes, Whitefriars[40].
[40] The School-Fellows; or, Young Ladies' Guide to Love. In a Series of Letters. Including Some Curious Anecdotes of Flagellation. To which is added, The Singular and Diverting History of The Life and Death of a Godemiche. Enriched with Fine Engravings. Part the First. London; Printed by John Jones, Whitefriars.
En neuf lettres Cécile et Émilie rappellent l'une à l'autre les moments qu'elles ont passés ensemble à l'école et retracent les aventures amoureuses qu'elles ont eues depuis leur séparation. Ces lettres roulent principalement sur la masturbation et la flagellation. Le style est très pauvre, les expressions triviales et le sujet dépourvu d'intérêt.
La Nuit de noces; ou Batailles de Vénus, une Révélation voluptueuse, formant la Vie Intéressante d'une courtisane de qualité, forcée par le besoin à Prostituer son Corps pour de l'Or; elle est prise en garde par différentes Personnes Riches et Pieuses et devient fameuse par ses méthodes Artistiques et Licencieuses de ranimer les instincts animals, de faire renaître l'énergie décroissante avec l'âge, et pour rendre à la Torche qui s'éteint une nouvelle Lumière. Dans cet ouvrage on trouvera quelques curieuses Anecdotes sur la Flagellation et sur d'autres succédanés pratiqués en cette science méritoire sur les Vieux et les Jeunes. Le tout formant la narration (sic) la plus intéressante d'intrigues et de débauche qui ait jamais été offerte au public!!![41]
[41] The Wedding Night; or, Battles of Venus, a Voluptuous Disclosure, being the Interesting Life of a Courtezan of quality, compelled by necessity to Prostitute her Person for Gold, etc., etc… In this Work will be found some CURIOUS ANECDOTES OF FLAGELLATION and of other strange succedaneums practiced in the meretricious science upon old and young. etc., etc. Illustrated with curious Engravings. J. Turner, 50 Holywell street. Price 3s. 6d.
Illustré de curieuses gravures. J. Turner, 50 Holywell Street. Prix 3s. 6d.
Le titre de cet ouvrage n'a absolument rien de commun avec son contenu. Il n'est pas question du tout d'une nuit de noces, pas même en passant. Le livre n'est nullement obscène. Il retrace la vie d'une jeune fille de tempérament ardent que les instincts sensuels, les revers de ses parents et d'autres circonstances jettent dans les bras d'un homme de position qui l'entretient, mais qu'elle ne parvient pas à aimer. Elle change d'amant, mais ne trouve le bonheur qu'auprès d'un jeune homme pauvre qui, mourant bientôt, la laisse de nouveau seule.
Elle mène une existence aventureuse, fait le trottoir, et parvient, au moyen de ses économies, à monter une maison hospitalière, où les vieux messieurs trouvent tout ce qu'il leur faut. Ayant amassé un magot, elle se retire à la campagne où elle mène la vie d'une veuve d'officier colonial, finit par se marier avec un gentilhomme campagnard qui la trompe et s'enfuit en Jamaïque avec la jeune servante. L'épouse trompée se voue au bien et ferme les yeux de son mari repentant auquel elle a pardonné à son retour.
The Cabinet of Fancy, or Bon Ton of the Day; A Whimsical, Comical, Friendly, Agreeable Composition; Intended to please All, and offend None; suitable to amuse Morning, Noon, and Night, Writte (sic) and compiled by Timothy Fiekle Pitcher.
London, printed for J. Mc. Lean, Lhips Alley, Wellelsse Square; F. Sudbury, No 16 Tooby Street Borough; and Sold by all the Booksellers in Town and Country.
The Charm, The Night School, The Beautiful Jewess and The Butcher's Daughter. All Rights reserved.
Brussels 1874. Hartcupp et Cie, 8 fr.
(Le Charme, l'École de Nuit, La Belle Juive, la Fille du Boucher.)
Tous Droits réservés, in-12. A Bruxelles chez Hartcupp et Cie. 1874. 8 fr.
Jupes troussées, par E. D. Auteur de la Comtesse de Lesbos. Londres, 1899, 1 vol. in-12.
Voici 180 pages superbement érotiques. Un avant-propos donne au lecteur—qui doit s'armer de patience… et de courage pour avaler le récit entier—toutes explications sur le but poursuivi dans cette publication.
«Un bibliophile français de mes amis—y est-il dit—chercheur érudit et infatigable, a réuni une collection d'anecdotes sur la flagellation à diverses époques, collection que nous avons à notre disposition, jointe à ses souvenirs personnels. Nous donnons ici une partie de ses souvenirs, et à la suite quelques extraits de sa collection, pour ne pas grossir démesurément le volume.»
Qui s'en plaindrait? Personne. Le lecteur, puisqu'il y a lecteurs pour ce genre de littérature, ne verrait aucun inconvénient à quelques pages de plus. D'autre part, le chercheur, qui voit là matière à dissertation—voire à philosophie—ne demande qu'à recueillir le plus possible. D'ailleurs la préface de Jupes troussées nous fait espérer une suite. Voyez plutôt:
«Si la présente publication obtient auprès de nos lecteurs le succès que nous sommes en droit d'en espérer, je m'empresserai de publier la suite de la collection, qui pour ma part, m'a vivement intéressé, par le charme du récit, et par le piquant des descriptions des jolies scènes qui s'y déroulent, et qu'on sent prises sur le vif. C'est comme le panorama de la discipline, de la fin du siècle dernier à nos jours.»
Que voilà belles promesses. Et allez donc. Dix chapitres s'offrent au lecteur qui peut y puiser maints enseignements, peut-être aussi répulsion et dégoût!
Et maintenant, voulez-vous quelques extraits de ce livre? En voici le prologue, l'entrée en matière, le frontispice en quelque sorte.
«Comment je devins professeur d'anglais, dans le pensionnat que dirigeait Mme Tannecuir»—pourquoi toujours ces noms appropriés au sujet?—«dans une des plus grandes villes de France, cela importe peu à ce récit. Il suffit de savoir qu'un mois après mon installation dans l'établissement, j'avais acquis un autre titre auprès de la maîtresse, qui était devenue doublement la mienne. Après un siège assez court et bien mené, la place s'était rendue à discrétion.»
Voilà qui promet. Cependant le style est doux, tout doux, trop doux pour ce genre d'ouvrage, mais n'ayez crainte, dès la seconde page l'auteur se rattrape. Un portrait de ladite directrice «fouillé jusqu'aux moindres détails»; une description du pensionnat, et les verges entrent en danse.
Des verges, encore des verges, toujours des verges! C'est tantôt une méchante écolière, qui a battu une de ses petites compagnes, qui est conduite dans la salle de discipline. «C'est une mignonne petite blonde de treize ans, déjà grassouillette, deux yeux très tendres, figure douce. Elle rougit, tremble de honte. On l'assoit sur les genoux de la directrice, et flic, flac,» etc., etc., cliché connu.
Et d'une.
Autre scène:
Cette fois «c'est Eliane de P. qui a un caractère indomptable; toutes les réprimandes qu'on lui adresse sont sans effet sur elle. Et la voilà qui crache à la figure d'une sous-maîtresse.
Eliane est une superbe créature, beauté troublante, dix-huit ans, svelte, bien cambrée, beaux dessous, belles chairs… Toute la lyre, quoi.
Et de nouveau voilà un postérieur qui rougit, car Mme Tannecuir a pris sur une table une longue verge souple et élastique, et l'applique sur le beau postérieur, d'abord sans trop de sévérité, rosant à peine le satin, pour préparer la peau à un plus rude châtiment. Quand la croupe a pris une teinte plus colorée, réchauffée par les légères atteintes, Mme Tannecuir, jugeant que la préparation est ainsi suffisante, accentue la force de ses coups, qui rougissent la surface cinglée.
Et de deux.
Vous croyez que c'est terminé. Patience, il n'y a encore que deux chapitres de passés.
Une fustigation par chapitre ce n'est point trop. Il est vrai qu'ils sont singulièrement allongés par les scènes intimes qui se passent entre la directrice et le professeur d'anglais. Vous savez, la flagellation, c'est un puissant aphrodisiaque… Demandez plutôt à Mme Tannecuir, ou non lisez les chapitres suivants. Vous y trouverez que le professeur d'anglais ne peut suffire à éteindre les feux de cette extraordinaire directrice qui s'adresse à des personnes de son sexe.
En tout bien, tout honneur; c'est sans témoins: malheureusement, ce satané professeur d'anglais qui est partout et voit tout, s'aperçoit d'un spectacle charmant qui se passe tout près de sa cachette, et est assez peu galant pour troubler ces… ces… comment dirai-je… ces… débats.
Et voilà une scène du plus haut érotisme qui termine l'histoire.
Déjà? Oui, et il y en a dix chapitres!
Il est vrai que je ne vous ai pas donné tous les détails des corrections infligées à Mlle Héloïse de R…, «un joli tendron de dix-sept ans aux cheveux blond cendré, aux doux yeux de gazelle, dont la candeur angélique ne laissait pas soupçonner que la mignonne était la plus indisciplinée des pensionnaires», ni à Rosine de B…, «une belle brune, au teint lilial, de seize ans, la taille parfaite, entre les deux, développée pour son âge»; des charmes! des charmes mystérieux! ni à «la tendre Victoire, blondinette de treize ans qui va recevoir une fessée pour la guérir de sa paresse habituelle», ni à la blonde sous-maîtresse elle-même, «qui prend un grand plaisir à voir donner le fouet».
Je ne vous ai pas parlé non plus de ce qui se passait pendant ces corrections où l'on bandait les yeux aux victimes pendant que le professeur d'anglais et Mme Tannecuir… mais j'allais en dire trop long. Lisez l'ouvrage, il en vaut la peine.
D'ailleurs, cette très véridique histoire est suivie de La discipline au Couvent, à l'abbaye de Thétien 1780-1788. «Extraits des mémoires du R.-P. Chapelain—je copie exactement—de l'abbaye de Thétien, copiés textuellement sur les souvenirs écrits de sa main, trouvés dans son secrétaire après sa mort.
Et ainsi commencent ces extraits:
«Deux tendres novices embéguinées depuis six mois, sœur Véronique et sœur Gudule, la première, une mignonne blonde de dix-neuf ans, la seconde, une belle brune de vingt ans, ont fait un accroc à leur robe d'innocence.»
Figurez-vous qu'on les a trouvées dans la même couche, égrenant un chapelet qui n'était pas leur chapelet habituel.
Et pour punir un crime à ce point atroce, voilà la mère abbesse—la sainte femme!—qui fouette vigoureusement les deux coupables, sous les yeux ébahis et fort satisfaits du Père Prieur.
Flic, Flac, et flic et flac, et voilà quatre chapitres sur le même sujet.
Inutile de dire qu'on fouette d'abord une sœur Radogune, «une superbe professe de trente ans—bigre!—plantureuse brune, aux rondeurs opulentes,» ou bien c'est «une tendre novice, qui s'offre toute rouge de honte, avec un délicieux corps de vierge blonde, grassouillette, dodue, aimablement (?) potelée», et encore Hélène de Belvèlize, une mignonne petite blonde potelée, qui a eu dix-sept ans aux dernières cerises, toute ronde, replète, bien garnie partout; une belle chevelure blonde encadre son front virginal—(encore! elle aussi)—tordue ordinairement en deux longues tresses, dont les pointes nouées d'une faveur bleue, lui battent les… jambes; mais les tresses sont défaites et les cheveux épars sur les épaules tombent dans le dos: deux grands yeux bleus limpides et languissants, fendus comme une longue amande, sont ombragés par des franges dorées de cils longs et soyeux, surmontés d'épais sourcils plus foncés, qui se rejoignent au-dessus d'un nez pur et délicat, dont les ailes transparentes palpitent, au-dessus d'une toute petite bouche, fendue dans une cerise».
Clic, clac, et clic et clac.
Et sœur Sévère, et sœur Hache-Cuir (!) s'en donnent à cœur que veux-tu.
Voici venir «Yolande de Beaupertuis, une superbe fille, à qui on donnerait plutôt dix-huit ans que seize sous une opulente chevelure noire, un teint mat de la blancheur des lis, fait ressortir ses épais sourcils d'ébène, et les longs cils soyeux, qui descendent sur deux grands yeux noirs veloutés mais hautains dont l'éclat n'est pas fait pour atténuer l'orgueil qu'elle porte dans ses traits.
Une petite bouche aux lèvres ronges, sensuelles complète cette belle figure de Diane chasseresse.»
Et en route pour cent coups de martinets administrés sous la compétente direction du Père Prieur, qui moralise à sa façon.
Un point, c'est tout.
Suivent deux pièces de vers, intitulées La discipline au couvent (1830).
Et l'auteur avoue modestement que ces deux pièces, extraites des souvenirs rimés de l'aumônier de couvent des Lorettes de L. vers 1830, sont tout simplement le chef-d'œuvre du genre.
Jugez-en un peu par ces extraits:
Ouf! Et d'un. Point ne se termine là ce chef-d'œuvre. Oyez encore:
Flic, flac, ô poésie, voilà de tes coups!
Voici la fin de la première poésie:
Soyons discret! Après dix pages de versification érotique! Dieu grand, il était temps!
Enfin le volume se termine par une séance au Club des Flagellants, traduction d'une lettre écrite par un certain John Seller qui a assisté, déguisé en femme à cette séance.
Peu intéressante cette lettre.
Beaucoup d'obscénités. Pas le moindre effort littéraire.
Je n'en parlerai donc pas.
Les Callipyges ou Les Délices de la Verge, par E. D. Paris. Aux dépens de la Compagnie, 1892, 2 volumes.
C'est là le compte rendu de conférences qui auraient été faites aux séances d'un comité formé de dix charmantes femmes, aux formes opulentes, qui s'étaient donné le titre bien approprié de «Callipyges».
L'ouvrage est donc divisé en chapitres différents pour chaque conférence. Nous les passerons rapidement en revue.
Voici d'abord une Conférence sur l'Utilité et l'Agrément de la verge. La conférencière parle des causes qui font donner le fouet dans les pensionnats, puis du but poursuivi en cela. Ici nous citons: le passage en vaut la peine.
«Pour nous, et pour vous aussi, mesdames, qui m'avez fait l'honneur de me demander mon avis franc et sincère, il y a un double but, que résume admirablement ce proverbe latin: utile dulci, mêler l'utile à l'agréable.»
On n'est pas plus franc, en effet.
Après le but, voilà les moyens: ils sont nombreux, et… accompagnés d'exemples.
Passons. Suit une conférence sur le pantalon, «ce recéleur charmant des plus riches et des plus aimables trésors».
Hum! hum!
Mrs Flog va nous dire ce qu'elle pense de la Pudeur et de la Confusion. Voilà qui, placé dans une telle bouche, promet d'être intéressant. Elle commence ainsi:
«Un des plus séduisants attraits de la flagellation, c'est sans contredit la confusion qui empourpre les joues d'une pudique jeune fille, à la seule pensée qu'elle va montrer son postérieur nu.»
Celte confusion n'a rien qui nous étonne, mais que ce soit là un attrait séduisant?…
A l'appui de ces dires, Mrs Flog organise une conférence expérimentale, tenue chez elle, et soyez certains que les expériences sont poussées dans leurs détails les plus extrêmes. La cruauté et la luxure s'y sont donné rendez-vous; mais en somme, ce n'est qu'un roman.
La fin du premier volume contient quelques observations du plus haut intérêt, mais comme elles sont enjolivées (?) de scènes plus ou moins… odieuses, nous regrettons de ne pouvoir citer que les titres des chapitres, savoir:
Conférence expérimentale, tenue chez Mrs Flog.
Five O'Clock chez Lady Fine (conférence anecdotique).
Conférence sur les diverses manières de fouetter.
Conférence anecdotique chez Lady Richbut.
Enfin: Conférence expérimentale tenue chez Mrs S. Tear, et nous passons au second volume.
En voici les principaux chapitres:
Sur les pratiques voluptueuses pendant la flagellation.
Sur la sévérité dans le châtiment.
Sur la discipline dans la famille.
Sur la discipline entre amies.
Le tout semé d'anecdotes et de conférences expérimentales.
Il est fâcheux que l'auteur de ce volume ne l'ait pas écrit en termes pins modérés et plus… littéraires. L'ouvrage y eût gagné.
Que ne soigne-t-on pas davantage l'impression. Nous relevons dans notre lecture une moyenne de trois ou quatre fautes par page!
Mémoires d'une procureuse anglaise, faisant suite à l'ouvrage Fillettes et Gentlemen. Paris. A la librairie de Cupidon, 1891.
Un affreux petit ouvrage, où les fautes abondent; mal imprimé. Quelques scènes de flagellation sans importance, où, seule, la note érotique est cherchée.
Étude sur la flagellation A TRAVERS LE MONDE, AUX POINTS DE VUE HISTORIQUE, MÉDICAL, RELIGIEUX, DOMESTIQUE ET CONJUGAL, AVEC UN EXPOSÉ DOCUMENTAIRE DE LA FLAGELLATION DANS LES ÉCOLES ANGLAISES ET LES PRISONS MILITAIRES.
Dissertation documentée basée en partie sur les principaux ouvrages de la littérature anglaise en matière de flagellation et contenant un grand nombre de faits absolument inédits avec de nombreuses annotations et des commentaires originaux. Paris, 1899, 1 vol. in-8o tiré à 500 exemplaires sur papier de Hollande.
Préface à «l'étude sur la flagellation». En publiant cette étude, nous avons voulu franchement rompre en visière avec un préjugé suranné qui veut que certains sujets d'une nature parfois—mais pas toujours—scabreuse soient systématiquement exclus de la discussion. La Flagellation, dont l'origine remonte aux époques les plus éloignées est un de ces thèmes que l'on s'est plu à classer dans la catégorie des questions délicates que l'on ne doit aborder qu'avec la plus extrême réserve. Notre but n'est pas d'imprimer aux idées de nos lecteurs une direction bien déterminée dans un sens ou dans un autre; de porter aux nues, grâce à une surexcitation pernicieuse des sens, cette antique institution qui, de nos jours, quoi qu'on en dise, n'en subsiste pas moins sous une forme identique au fond mais modifiée dans les détails de son exécution; nous nous bornons à soumettre au public un exposé aussi complet que possible, un recueil très consciencieux de toutes les théories émises sur ce sujet, une collection de faits s'y rattachant, sans commentaires, tels qu'ils nous sont transmis par d'antiques chroniques et de plus récentes études. A nos lecteurs d'en tirer la conclusion qui leur plaira. Déviant cependant du point de vue essentiellement documentaire auquel nous nous plaçons en ce qui concerne strictement la publication de cet ouvrage, nous croyons tout de même pouvoir émettre un avis tout à fait personnel, qui peut se résumer en quelques mots: «La flagellation n'est, en somme, qu'un moyen comme un autre de provoquer une surexcitation des sens, que l'on a employé de tous temps plutôt dans ce but réel que dans un autre et qui a constitué, comme il le constitue encore aujourd'hui, un moyen détourné de faire naître chez les émoussés des désirs et des jouissances qui doivent fatalement amener un assouvissement d'appétits charnels. Le fanatisme religieux, les pénitences ascétiques et tous les autres prétextes qui ont servi de couverture à cette pratique n'ont dû avoir cependant qu'un résultat unique qu'il conviendrait plutôt de considérer et d'analyser au point de vue médical.»
Ce recueil, qui contient un certain nombre de faits et de relations entièrement inédits, intéressera certainement le lecteur à quelque classe qu'il appartienne: la lecture de cette étude produira sur lui, selon son tempérament ou ses principes, des impressions bien diverses: il pourra y puiser de l'étonnement; il pourra aussi s'en délecter, comme également il n'y trouvera peut-être qu'une amusante distraction, peut-être même éprouvera-t-il un certain dégoût. Mais ce dernier cas se produirait-il, que nous ne saurions nous en plaindre, parce que nous aurions au moins réussi à faire prendre par ce lecteur-là, en légitime horreur cette manie qui n'a pu éclore et n'éclôt encore qu'en des cerveaux maladifs.
Nous n'éprouvons aucun embarras pour déclarer ici franchement que nous considérons la flagellation comme une des passions vicieuses inhérentes au genre humain. A ce titre, nous croyons le sujet digne d'attirer toute notre attention, et nous sommes persuadés que son analyse et sa discussion s'imposent. Au grand public de s'ériger en juge de nos efforts, qui ne s'appuient certainement pas sur une pudibonderie déplacée. Nous pouvons, en effet, avec une légère variante, faire nôtre, en la circonstance, un adage latin: «Castigat scribendo mores.»
En présence des lois de la nature, lois que certainement l'homme n'a pas inspirées, nos préjugés surannés, nos vertus hypocrites s'évanouissent comme fumée: la réalité, la vérité nous apparaît nue, entièrement nue, et quand nous cherchons à la travestir nous commettons tout simplement un crime de lèse-nature: ce n'est plus la vérité, ce n'est plus la réalité dès qu'on l'affuble des oripeaux de nos conventions stupides qui permettent bien de penser en toute liberté de conscience, mais n'admettent pas que cette liberté se traduise franchement et sans ambages, nous mettant ainsi dans l'obligation de vivre en un perpétuel mensonge à l'égard de nous-mêmes.
On nous a enseigné que le mariage, c'est-à-dire l'accouplement des deux sexes en vue de perpétuer la race humaine, tel qu'il nous est imposé par les lois, est le seul et unique système de copulation logique et légitime, l'idéal de l'hyménée, et que tous les autres systèmes, c'est-à-dire les rapports sexuels basés sur des principes différents, sont illicites et criminels et comportent forcément la damnation.
Cette théorie est identique à celles qui règlent toutes les religions: elle est trop consolante, trop idéale, pour répondre à la réalité des faits, car elle implique la bonté excessive et la vertu, ainsi que l'abnégation à toute épreuve chez les deux sexes.
Malheureusement l'homme, tout comme la femme, et cette dernière peut-être à un bien plus haut degré, sont dominés, subjugués par des passions qui ne sauraient obéir aux lois humaines, parce qu'elles subissent l'impulsion de la nature, souveraine maîtresse en ces sortes de choses.
Et ce sont précisément ces passions qui font naître en nous ces manies baroques, ces extravagances voluptueuses qui provoquent, de la part de notre pudibonderie de convention, les hauts cris que l'on pousse quand, par hasard, il se trouve quelqu'un qui s'attaque à la matière et entreprend de la disséquer et de l'analyser au point de vue psychologique.
De toutes les passions, la luxure est précisément celle qui s'impose le plus tyranniquement au genre humain: La flagellation,—et c'est un fait indéniablement établi,—est un des agents les plus actifs de cette luxure innée, à laquelle la chasteté la plus stricte n'échappe que très rarement.
L'homme a de tous temps cherché et trouvé dans la souffrance et dans l'influction de douleurs corporelles une âpre jouissance; il n'a pas seulement puisé d'étranges sensations dans son propre martyre, mais il a aussi joui d'étrange, de cynique, et, disons-le, de révoltante façon des tortures infligées à son semblable.
Dans les Chants de Maldoror (Paris et Bruxelles, «chez tous les libraires,» 1874, in-18) nous cueillons ce passage qui le dit bien:
«… Tu auras fait le mal à un être humain et tu seras aimé du même être: c'est le bonheur le plus grand que l'on puisse concevoir.»
Il serait oiseux, dans cette préface, de refaire en abrégé l'historique de la Flagellation qui se développe avec toute l'ampleur que comporte le sujet dans le volume que nous présentons à nos lecteurs.
Notre rôle se borne ici à expliquer le but que nous poursuivons en publiant cet ouvrage. Nous voulons propager, dans la mesure du possible, la connaissance approfondie d'une passion humaine qui se présente sous des aspects tellement divers et revêt des formes si variées qu'elle offre un champ d'études très vaste. On pourra puiser dans notre Étude sur la Flagellation maints enseignements, en tirer maintes moralités et se faire une idée exacte des différentes anomalies de la nature humaine dans ses vices, au point de vue des jouissances toutes charnelles, qui n'empiètent en rien sur le domaine intellectuel et moral. On ne saurait en effet, taxer l'âme de tares qui n'affectent que la vile enveloppe humaine, le corps, et constituent, tout aussi bien que d'autres défauts constitutionnels, des aberrations physiques, c'est-à-dire un état maladif latent, dont, en somme, elles procèdent.
Cet ouvrage était accompagné de sept eaux-fortes représentant des scènes de flagellation.
Ces illustrations, d'un caractère artistique indéniable, ont été poursuivies et détruites par le Parquet, sur la dénonciation et à la requête d'une Société anglaise. Toute la presse parisienne a été unanime à flétrir ces poursuites. Nous donnons quelques extraits des principaux journaux qui se sont élevés avec indignation contre les procédés employés en cette occurrence:
Du Radical, 7 juillet 1899, sous le titre: Les dessins de la Flagellation.
La neuvième chambre correctionnelle a condamné hier, à 200 francs d'amende, pour outrage aux bonnes mœurs, M. Carrington, éditeur, à raison de divers dessins qui accompagnent l'Histoire de la flagellation à travers les âges, ouvrage publié par sa maison.
C'était Me Albert Meurgé qui assistait le prévenu. Il a fait remarquer, non sans ironie, que ce fut la plainte d'une Société anglaise, la «National Vigilance Association» qui mit en mouvement le parquet français. Et il a ajouté, aux rires de l'auditoire, que ce qui avait offensé cette vertueuse Société, c'était une publication antérieure de M. Carrington, les Dessous de la pudibonderie anglaise, où l'hypocrisie de ces messieurs d'Outre-Manche se peut voir à nu.
Des Droits de l'Homme, 7 juillet 1899, sous le titre: Pudibonderie anglo-française.
M. Carrington, éditeur à Paris, a publié un ouvrage intitulé l'Histoire de la flagellation au point de vue médical, historique et religieux.
A la suite d'une dénonciation d'une société de puritains anglais la «National Vigilance Association», le parquet a trouvé que les gravures de l'Histoire de la flagellation étaient obscènes et M. Carrington a comparu devant la neuvième chambre du tribunal correctionnel.
Me Meurgé assiste le prévenu.
C'est bien ce qu'on peut appeler l'internationalisme de la répression, le parquet parisien s'étant mis à la remorque d'une société anglaise.
M. Carrington avait publié récemment un livre intitulé les Dessous de la pudibonderie anglaise. Cette publication ne doit pas être étrangère aux représailles de la présente poursuite.
Malgré les efforts de Me Meurgé, M. Carrington a été condamné à 200 cents francs d'amende.
Du Petit Bleu, 6 juillet 1899, sous le titre: Pudeur Anglaise:
M. Carrington, a publié en France un ouvrage qui a pour titre: la Flagellation à travers l'histoire. M. Carrington a raconté les fustigations légendaires dont certains personnages historiques furent les héros ou les victimes: telle, la rivale de la duchesse du Barry, flagellée sur l'ordre de la favorite par «quatre robustes chambrières»; tel le chevalier de Boufflers à qui une épigramme irrévérencieuse valut une correction de même nature.
M. Carrington a fait suivre ses récits de certaines eaux-fortes, dans le goût des dessins du XVIIIe siècle, ayant un caractère artistique incontestable, mais ayant aussi, paraît-il, un caractère obscène.
Qui s'en est plaint? Personne en France. Mais notre «Ligue contre la licence des rues» a été mise en mouvement par une société analogue qui, vigilante et inexorable, fait bonne garde autour de la pudique Albion.
M. Carrington ayant vendu des exemplaires de son livre en Angleterre, la «National Vigilance Association», ayant son siège à Londres, a demandé à M. le sénateur Bérenger de faire poursuivre la répression de l'outrage aux bonnes mœurs commis par l'auteur.
Le président de la ligne française a transmis la plainte au parquet qui a déféré M. Carrington au tribunal correctionnel.
M. le substitut Rambaud, avec cette largeur d'idées et cette finesse d'esprit qu'on lui connaît, a soutenu la prévention avec austérité mais sans passion.
Me Meurgé a défendu le prévenu, qui déclarait que ses compatriotes avaient voulu se venger de la publication qu'il a faite d'un livre intitulé la Pudibonderie anglaise.
M. Carrington a été condamné à 200 francs d'amende.
La tribunal a ordonné, en outre, la destruction des objets saisis.
Pauvres eaux-fortes galantes!
De l'Intransigeant, 8 juillet 1899, sous le titre: La flagellation en correctionnelle:
Fichtre! on ne s'est pas ennuyé, hier, à la neuvième chambre correctionnelle!
M. Carrington, éditeur à Paris, a publié un ouvrage intitulé: «l'Histoire de la flagellation aux points de vue médical, historique et religieux.
Or, ledit ouvrage est illustré de nombreuses planches, lesquelles on le devine ne manquent pas d'un certain… intérêt.
Tant et si bien que la pudeur anglaise s'est émue, mais émue au point que la «National Vigilance Association» a fait un appel désespéré à la pudeur française, en la personne de son père et vigilant gardien, M. Bérenger; et c'est ainsi que M. Carrington se trouve assis en police correctionnelle en compagnie de ses bouquins.
Voilà-t-il pas Me Meurgé qui, dans sa malice, s'avise de vouloir prouver que, chaque jour, le parquet laisse en vente de pires horreurs! Et alors non, je ne peux pas vous dire tout ce qui défila devant les yeux du tribunal!
Ah! sapristi, c'est un joyeux métier que celui de juges!…
Mais, enfin, les fautes des uns n'innocentent pas les autres, et M. Carrington n'en a pas moins attrapé 200 cents francs d'amende.
Allez donc faire de l'art, après ça!…
Du Rappel, 8 juillet 1899, sous le titre: une Morale d'exportation.
C'est de nos voisins qu'il s'agit.
Nous avons la bonne fortune de posséder une Société qui nous sauve, paraît-il, de la pluie de feu qui détruisait les villes maudites. Ils en ont une en Angleterre! et terrible! auprès de laquelle notre «Bérengère» paraît toute de mansuétude et de tolérance. De très hauts personnages composent le comité de cette National Vigilance Association dont Sa Grâce le duc de Westminster est le président.
Nationale, dit le titre. C'est Internationale qu'il faut lire.
Notre ami Blondeau vous a conté hier le procès fait à un éditeur de Paris, M. Carrington, sur la plainte de cette Société.
L'éditeur a été condamné; il s'agissait d'une publication en langue française. Il est étrange que le parquet ait cru devoir poursuivre sur la plainte d'une association étrangère.
La Vigilance Association a donc des attributions plus étendues que la nôtre, tellement étendues que son action s'exerce surtout, vous vous en doutez un peu, contre les productions littéraires du continent: Sapho de Daudet; les nouvelles de Maupassant; les romans de Zola; la Vie de Bohême de Murger, etc., ont encouru ses foudres et la justice anglaise a poursuivi et condamné les traducteurs et les éditeurs de ces ouvrages.
Faut-il ajouter à cette liste Boccace et Rabelais et la Reine de Navarre? Ceux-là aussi furent proscrits.
Ne rions pas! La Vigilance Association a fait des victimes. Un éditeur estimé de l'autre côté du détroit, M. Vizetelly, dont le catalogue semblait le livre d'or de nos gloires tant il avait pris à cœur de répandre les noms des meilleurs écrivains français, cet éditeur, dis-je, un vieillard de soixante-dix-huit ans poursuivi à la requête des Vigilants pour avoir traduit et publié l'Assommoir d'Émile Zola, fut condamné à dix-huit mois de hard-labour. Il mourut en prison.
Mais, direz-vous, ces poursuites témoignent d'un état morbide de la pensée: toutefois, comme elles sont dirigées contre les traductions en langue anglaise et des éditions faites en Angleterre, nous perdons tout droit de protester, du moins dans une certaine mesure. Cela est évident, mais puisque les pères la pudeur de Londres viennent chez nous, cela devient plus grave.
Qu'a donc publié d'horrible M. Carrington? Une Étude sur la Flagellation au point de vue historique et médical, livre tiré sur grand papier, à petit nombre, pour des souscripteurs, et accompagné de gravures représentant des scènes historiques de flagellation. Dans ces gravures, sans qu'il soit possible d'y découvrir la moindre pensée obscène, les personnages fouettés sont représentés vêtus, n'ayant de découvert que la partie du corps flagellée.
Le délicieux Willette, dans un numéro récent du Courrier Français ne représentait-il pas plus crûment encore et sans que personne pût songer à s'en offenser une scène de ce genre: une horrible scène de flagellation d'une jeune fille… en pays de langue anglaise?
Dans sa spirituelle plaidoirie, Me Meurgé, a fait bonne justice des allégations du parquet. Il a d'ailleurs découvert le véritable mobile non des poursuites engagées mais de la plainte: M. Carrington, sujet anglais, a publié dernièrement les Dessous de la Pudibonderie anglaise. Tout s'explique! L'accès de pudicité est une petite vengeance.
Malheureusement pour la Vigilance Association, il ne s'agissait pas dans l'espèce d'une officine pornographique, mais d'une librairie d'art et de sciences, de l'éditeur des traductions anglaises du Cabinet secret de l'Histoire du docteur Cabanès (également poursuivies) d'un ouvrage de Tarnowsky, professeur de l'Académie impériale de Russie, l'un des plus célèbres psychologues de notre temps et d'autres livres luxueux et précieux.
Je m'empresse d'ajouter que de courageux et nobles esprits n'ont, en Angleterre même, jamais cessé de lutter contre les agissements de cette pudibonde Société, et j'ai sous les yeux l'admirable plaidoyer que rédigea pour Vizetelly, Robert Buchanan, l'un des maîtres de la littérature anglaise.
Et pour qu'on sache bien à quels esprits nous avons affaire, citons ce dernier trait. Il montrera leur discernement, leur science et leur goût et leur aptitude à mettre sur le même plan quelques ordures indiscutablement ordures et d'admirables œuvres.
Richard Burton, le célèbre voyageur anglais et le merveilleux traducteur des Mille et une Nuits, le premier Européen qui, après Burckhardt, put pénétrer jusqu'à la Mecque, avait recueilli au cours de ses voyages incessants à travers toute l'Asie, un nombre considérable de manuscrits précieux, uniques. Ces manuscrits orientaux formaient une collection que les savants auxquels il fut donné de les parcourir déclaraient inestimable. Ils étaient destinés à jeter un nouveau jour sur une foule de questions littéraires, scientifiques et historiques et des experts consultés les avaient estimés, pour leur seule valeur artistique, à la somme de vingt-cinq mille francs! Ce dernier détail, peu important en soi, a cependant quelque intérêt.
Or,—je n'invente pas, je cite—dans son IIe rapport (1896) la National Vigilance Association annonçait à ses membres qu'elle avait reçu des mains de la veuve de Richard Burton cette collection précieuse et qu'elle l'avait détruite.
Ami John Bull! Vous qui lisez si bien la Bible, consultez un peu l'évangile et, si la paille française vous ennuie, songez à la poutre britannique.
La place nous manque pour donner les extraits de tous les journaux qui se sont occupés de cette affaire.
Nous citerons encore:
Le Temps, le Journal, le Journal du Peuple, la Presse, le XIXe siècle, la Petite République et nombre de journaux anglais: Daily Telegraph, Daily Chronicle, Daily Messenger, Reynolds Newspaper, etc. etc., etc.
Mémoires d'une danseuse russe, par E. D., auteur de Défilé de fesses nues. Paris, sous les galeries du Palais-Royal, 1892, 3 volumes in-18o (Une édition possède des gravures).
L'ouvrage est divisé en trois parties:
1o Mon enfance chez un boyard;
2o Chez la modiste à Moscou;
3o A l'académie impériale de Danse.
Voici quelques extraits de l'avant-propos:
«Je liai connaissance à Paris, pendant l'Exposition de 78, avec une danseuse russe, qui faisait partie d'un corps de ballet en représentation dans un théâtre du Trocadéro. Mariska—c'est le nom que nous donnerons à la danseuse qui l'a pris pour signer ses mémoires—avait trente-huit ans sonnés, et n'en paraissait pas plus de trente, malgré les nombreuses tribulations par lesquelles elle était passée dans le cours de son existence.
«L'ampleur de ses formes postérieures m'intriguait, au dernier point, par le développement qui bombait d'une façon exagérée les jupes repoussées. J'avais, chaque fois que je la rencontrais, une question sur le bout de la langue, mais je n'étais pas encore assez familier avec la ballerine, pour m'informer de la cause d'une pareille envergure, que j'attribuais aux exercices physiques, auxquels devaient se livrer dès leur enfance les élèves de Terpsichore.
«Je tournais autour de la belle Slave, lorgnant d'un œil d'envie le superbe ballonnement, tenté de palper l'étoffe comme par hasard, mais j'osais à peine l'effleurer, craignant des rebuffades, bien que Mariska parût m'encourager de l'œil.
«Un soir, j'eus l'occasion de tâter l'étoffe soyeuse, qui couvrait la somptueuse mappemonde. Nous allions souper au cabaret, deux de mes amis et moi, avec la danseuse, en cabinet particulier. Je montai derrière elle les degrés qui conduisaient au salon du premier; j'en profitai pour prendre dans mes mains la mesure de la circonférence, qui me parut d'un volume remarquable, sans qu'elle s'en montrât le moins du monde offusquée.
«Pendant le souper, arrosé de Champagne frappé, nous la plaisantions sur ce que nous appelions sa difformité. Elle avait un sourire goguenard, comme si elle méditait quelque farce épicée, dont on la disait coutumière dans les soupers où on l'invitait.
«Quand la table fut desservie, elle avait une pointe d'ivresse. Elle avait vidé coup sur coup quatre ou cinq coupes de Champagne, comme pour se donner du cœur. Elle sauta sur la table, s'agenouilla, nous tournant le dos, et sans crier gare! elle se troussa lestement, s'exhibant des genoux à la ceinture.
«Nous crûmes à ce geste qu'elle avait gardé son maillot. Nous fûmes bien vite détrompés le plus agréablement du monde. Elle était nue des genoux aux hanches…
«… Nous étions un peu surpris du sans-gêne et du sans-façon avec lequel la danseuse nous exhibait ainsi toutes ses nudités dans la plus riche indécence.
«—Eh bien, criait-elle, mon postérieur est-il difforme, mes seigneurs?
«Ah! non, il n'était pas difforme. Certain aimable chroniqueur qui les aime amples, larges, opulents, serait tombé en extase devant cette merveille de croupe rebondie.
«Les jupes étaient retombées, la danseuse avait repris sa place sur sa chaise qu'elle garnissait de telle débordante façon, qu'ici encore elle eût fait tomber à genoux le chroniqueur fasciné.
«Elle nous demanda si nous désirions connaître la cause du développement anormal de ses fesses.
«Elle nous raconta, avec le bagout d'une véritable Parisienne, entretenant sa verve par des coupes de champagne qu'elle vidait de temps en temps, qu'elle était née, qu'elle avait passé son enfance, son adolescence et une partie de sa jeunesse dans le servage.
«Elle avait souffert physiquement et moralement dans les diverses conditions où elle avait passé son existence, fouettée à tout propos chez le boyard, par la gouvernante, les maîtres et les enfants, chez la modiste où on l'avait mise en apprentissage par la maîtresse et par les clients qui venaient se plaindre; à l'Académie impériale de Danse, où la chorégraphie s'enseigne le fouet en main. Et rien n'aide au développement des fesses comme la flagellation continue. On ne lui avait pas ménagé les corrections depuis son enfance…»
La première partie de l'ouvrage est consacrée à l'enfance de Mariska chez un riche boyard. Là, la malheureuse se voit dans l'obligation de passer par toutes les fantaisies des maîtres, des enfants et des invités.
Les verges et le knout tiennent une place honorable dans ce premier volume, où il n'est guère question que de flagellations diverses, infligées aux esclaves.
«La boïarine—c'est Mariska qui parle—décida qu'on me mettrait en apprentissage chez une grande modiste de Moscou, Mme K… pour y apprendre la confection des vêtements de femmes. Ma nouvelle maîtresse avait tous droits sur moi. On lui avait recommandé de ne pas négliger les coups, pour me faire entrer le métier par derrière. C'était le seul moyen de m'encourager à bien faire.»
Et, dans cette seconde partie, des «Mémoires d'une danseuse russe», nous voyons se dérouler des scènes d'atelier, parfois fort intéressantes et non dépourvues d'une note documentaire. Mariska était non seulement fouettée par sa maîtresse, mais elle recevait encore de nombreuses fouaillées de clientes et clients mécontents.
Enfin, le troisième et dernier volume contient les tribulations de Mariska à l'Académie impériale de Danse.
Nous regrettons que le texte vraiment trop épicé ne nous permette de citer quelques passages.
Utilité de la flagellation, DANS LES PLAISIRS DE L'AMOUR ET DU MARIAGE, traduit du latin de J.-H. Meibomius.
Avant de parler de cet ouvrage par lui-même, nous donnerons quelques notes bibliographiques.
La première édition parut à Leyde (Lugdunum Batav.) en 1629. Elle ne contient que le seul traité.
Viennent ensuite les éditions suivantes:
2o Leyde (Lugd. Batav.), sans date, petit in-12o de 48 pages.
3o Lubecæ, editio secunda, 1639, petit in-12, 48 pages. Nombreuses fautes.
4o Lugd. Batav., ex off. Elz., 1643, in-4o de 48 pages.
5o Londres, 1795, in-32, dont il a été fait à Paris, sous la date de 1757, une contrefaçon erronée.
6o Londres, 1770, in-32.
Ces cinq dernières éditions, de même que la première, ne renferment que le traité de Meibomius.
En 1669, Thomas Bartholin en donna à Hafnia (Copenhague) une édition latine in-8o, augmentée: 1o de sa Lettre à Henri Meibomius fils; 2o de la Réponse de celui-ci; 3o d'une petite dissertation académique intitulée: De renum officio in re venerea, de Joachim Œlhaf, médecin à Dantzick; et 4o d'une «dissertatiuncula» d'Olaüs Worm, médecin à Copenhague.
Cette édition ainsi augmentée fut rééditée à Francfort, 1669, in-8o; puis en 1670, à Francfort également, in-12o (ou petit in-8o) de 144 pages. Quoique mal imprimée, sur d'assez mauvais papier, cette édition est recherchée, comme très complète.
Mercier donna une nouvelle édition latine d'après le texte des éditions de Francfort; Parisiis, 1792, petit in-12.
La traduction française de Meibomius avec les additions de Thomas Bartholin et la lettre de Meibomius le jeune, est attribuée à Claude Mercier de Compiègne, l'éditeur. Elle parut sous les titres suivants:
1o De l'utilité de la flagellation dans les plaisirs du mariage et dans la médecine, et dans les fonctions des lombes et des reins. Ouvrages curieux, traduit du latin de Meibomius, orné de gravures en taille-douce, et enrichi de notes historiques et critiques, auxquelles on a joint le texte latin. Paris, chez Jac. Gironard, 1792.
Petit in-12 (in-18 Cazin) de 168 pages. Frontispice et figure par Texier. Pas de faux titre. Certains exemplaires sans nom d'éditeur avec la simple rubrique. Paris, 1792.
2o De l'utilité de la flagellation dans la médecine et dans les plaisirs du mariage et des fonctions des lombes et des reins. Ouvrage singulier, traduit du latin de J.-H. Meibomius, etc., enrichi de notes historiques et critiques. Paris, C. Mercier, 1759.
Petit in-12, 156 pages. Un joli frontispice non signé.
3o De la flagellation dans la médecine et dans les plaisirs de l'amour; ouvrage singulier, traduit du latin de J.-H. Meibomius; nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée du joli poème de l'Amour fouetté, A Paris, chez Mercier, éditeur du Furet littéraire, rue d'Angivilliers, no 151, an VIII (1800).
In-12 (in-18 Cazin); 148 pages dont 4 de titre et faux titre, et 3 pages d'annonces. Même frontispice que l'édition précédente. Sur le faux titre, on lit: Éloge de la Flagellation. L'Amour fouetté est de Fuzelier. Cette édition fut corrigée par l'abbé Mercier de Saint-Léger.
4o De l'utilité de la flagellation dans la médecine et dans les plaisirs du mariage, et des fonctions des lombes et des reins; ouvrage singulier, traduit du latin de J.-H. Meibomius; enrichi de notes, d'une introduction et d'un index. Londres (Besançon, Metoyer aîné), 1801.
In-8o de 100 pages, édition très soignée, conforme (comme texte) à l'édition de l'an VIII.
Édition moderne (la dernière parue): Utilité de la Flagellation dans les plaisirs de l'Amour et du Mariage, traduit du latin de J.-H. Meibomius. Nouvelle édition, augmentée de notes historiques, critiques et bibliographiques, suivie de la Bastonnade et de la Flagellation pénale, par J.-D. Languinais. A Amsterdam, Aug. Brancart. Libraire-Éditeur, 1891.
In-12o de 200 pages. Pap. vergé, bien imprimé.
«Voici enfin, mon cher Cassius, le petit traité que je vous ai promis dans une orgie bachique.
«Vous vous convaincrez en le lisant, que l'usage de la flagellation n'est pas aussi extraordinaire qu'il le paraît au premier coup d'œil.
«… Je vous ai dit que les coups et la flagellation servaient quelquefois à la guérison de plusieurs maladies. Je vais vous démontrer que l'expérience a confirmé la bonté de ce remède, en m'appuyant sur l'autorité des médecins qui l'ont enseigné et pratiqué.»
Ainsi commence Meibomius. Et, ce thème posé, il le développe tout au long. C'est la partie qui traite de la Flagellation dans la médecine. Puis suit la flagellation en amour.
A la suite de ce traité, nous lisons[42] une étude intitulée: De la Flagellation, par Thomas Bartholin (Observations extraites de la lettre de Thomas Bartholin à Henri Meibomius fils), dissertation curieuse et intéressante.
[42] Nous parlons de l'édition marquée Amsterdam, 1891, édition dont nous nous occupons exclusivement.
Puis De la Flagellation, par Henri Meibomius fils, sous forme d'un extrait de la réponse de H. Meibomius fils à Th. Bartholin.
Enfin l'ouvrage se termine par La Bastonnade et la flagellation pénales, étude en dix chapitres, dont la conclusion se termine, à propos des dépravés qui tentent de restaurer l'antique usage de la bastonnade par ces mots pleins de bons sens:
«Le moderne qui veut rétablir les anciens usages se prépare de grands malheurs.»
Mémoires de Miss Ophélia Cox.—Traduit pour la première fois de l'anglais par les soins de la société des Bibliophiles Cosmopolites. Londres, imprimerie de la Société cosmopolite, 1892.
Un volume in-16, 216 pages, imprimé sur papier vergé à 500 exemplaires.
L'éditeur s'exprime ainsi dans la préface:
«L'auteur du livre que nous présentons au public, prévient son lecteur vers la fin de l'ouvrage, que son livre est vrai de tous points.
«Cette assertation est exacte. Nous connaissons miss Ophélia.
«Nous avons surtout été décidés à publier cet opuscule par la peinture réelle et vibrante des scènes qui se passent, à Londres, dans l'intérieur des maisons de rendez-vous.
«On trouve dans ces scènes un singulier mélange de respectabilité et de sadisme qui est un des traits les plus curieux du caractère anglais.»
L'ensemble de l'ouvrage traite surtout des dessous d'une maison de rendez-vous de Londres.
La verge y tient un grand rôle—le plus important.
Nous ne savons pas si les scènes qui y sont décrites se passent réellement à Londres: elles dépassent en cruauté et en sadisme tout ce que l'on peut imaginer de plus horrible.
Ouvrage bien imprimé, dans un style soigné. Les descriptions y sont poussées jusqu'à l'extrême.
Jean de Villiot.—Curiosités et Anecdotes sur la flagellation.—Sur la Flagellation et les Punitions corporelles; le Knout; la Flagellation en Russie; après le Bal; la Cour Martiale de miss Fanny Hayward; la Détention féminine en Sibérie; la Flagellation pénale; un Remède pour la Kleptomanie dans la Société Anglaise; les Étrangleurs; les Larrons et le Bâton; la Flagellation dans l'Art; le Marquis de Sade et Rose Keller; Sarah Bernardt et son Fouet; la Flagellation dans les Cours royales; psychologie du Fouet; les Punitions dans l'Armée anglaise; la Flagellation en Orient.—Paris, librairie des Bibliophiles (Ch. Carrington). Tirage privé à 500 exemplaires, 1900.
Un volume in-8o carré de 436-xx pages. Imprimé à 750 exemplaires sur papier vergé de Hollande et 20 exemplaires sur papier du Japon.
Extrait de l'introduction.—Les pages que l'on va lire ne sont pas écrites évidemment… pour les petites filles, dont on coupe le pain en tartines…
«Les petites filles! les petites filles! Mon Dieu! n'y a-t-il pas des écrivains qui se dévouent par vocation ou par nécessité à composer des historiettes sans dard et sans venin? Est-ce qu'il n'y a pas des auteurs pour enfants et même des auteurs pour dames[43]?»
[43] Charles Asselineau.
Donc ces pages sont seulement pour le philosophe. Il y trouvera matière à méditation, soit à propos de cet attrait qu'exerce sur un si grand nombre d'hommes la peine du fouet infligée à leurs semblables, combien il faut peu de chose pour démuseler le fauve qui sommeille au fond du cœur de tous; soit qu'il cherche à démêler par quelle aberration des sens cette même flagellation ranime la volupté aussi bien chez les bourreaux blasés que chez les victimes impuissantes.
L'aberration, en effet, est à son comble quand le plaisir n'est excité que par la vue de la douleur ou quand la douleur ressentie aboutit au plaisir. Ce dernier sentiment même, bien que diamétralement opposé au premier, témoigne lui aussi d'une perversion singulière. L'origine, toutefois, en est plus mystérieuse. Deux classes distinctes d'hommes recherchent en effet dans la douleur une excitation au plaisir: le mystique et le débauché. Mais le plaisir que chacun d'eux recherche est, en son essence, trop différent pour que la question ne soit pas par cela même éminemment complexe.
et l'impuissant ou le blasé flagellant ses reins appauvris pour ranimer une ardeur qui n'y fut jamais ou qui s'y éteignit par l'abus, demandent au même instrument de supplice des sensations totalement différentes.
Tous deux relèvent peut-être de la psychopathie, mais chacun réclame une étude spéciale.
Si le sadisme et le masochisme ont, sous ces plumes expertes, vu leurs arcanes abominables savamment dévoilés, il reste un travail non moins intéressant à tenter sur le goût de la souffrance chez les mystiques de toute race et de tous credo. Ce travail constituerait un chapitre et non l'un des moindres, d'un traité de l'Érotologie mystique, traité qui reste à faire et qui devrait tenter la verve érudite d'un poète.
La flagellation considérée comme châtiment ou comme adjuvant de luxure, donnée ou soufferte, est évidemment un sujet capable d'attirer et de fixer l'attention.
Dans l'un et dans l'autre cas, elle doit sa vogue dont témoigne l'histoire des mœurs chez tous les peuples, à l'humiliation profonde endurée par le patient, humiliation d'où provient, quand elle joue le rôle d'un aphrodisiaque, la volupté du masochiste humilié et savourant sa souffrance.
Donnée sur les épaules ou sur le dos, elle ne peut exciter que cette sensation et pourquoi la flagellation pénale est le plus souvent appliquée de cette façon, sauf dans la famille où les parents s'ils n'ont en but qu'une correction régulière et sans arrière-pensée, l'appliquent sur les fesses de leur progéniture.
Elle l'est presque toujours de cette façon quand on l'applique ou qu'on la reçoit comme aphrodisiaque externe, et c'est là incontestablement un des rites les plus en faveur auprès des dévots de la Vénus Callipyge. La vue des trésors impudiquement étalés ajoute au plaisir de ce noir orgueil jouissant de la douleur du patient ou de la patiente, et comme Vénus n'est pas la seule à posséder ces trésors, peut-être faut-il voir dans ce fait l'explication de l'appétit malsain des fessées sur la chair nue que bien des pédagogues ressentent maladivement.
Il n'est pas besoin d'insister sur l'humiliation que ressent le patient sous les cuisants baisers des verges ou du fouet. Cette torture était celle que les Romains infligeaient à leurs esclaves et, comme pour abaisser jusqu'à ce degré,—le dernier pour eux—ils l'infligeaient également aux Vestales qui, dans leur veille sacrée devant le feu de Vesta l'avaient laissé s'éteindre. Cela ne le rallumait pas. Il n'en est pas de même, paraît-il, de ce feu que des vestales à rebours savent raviver dans les reins flagellés de ces vieux qui veulent redevenir jeunes ou de ces jeunes qui sont déjà vieux.
Under the Sjambok. A Tale of the Transvaal, by George Hansby Russell. London, John Murray, 1899, in-8o, 348 pages[44].
[44] Sous le Sjambok. Conte du Transvaal, par George Hansby Russell. Londres, 1899. Prix 6 shellings (7 fr. 50).
D'abord qu'est le Sjambok? C'est un énorme fouet dont se servent les Boers pour conduire leurs bestiaux. On le fabrique généralement avec la peau du rhinocéros. S'il était destiné seulement aux animaux, tout serait pour le mieux, mais plus d'un indigène du pays des Boers a senti sur ses épaules la caresse cinglante du Sjambok.
A vrai dire, il y a de cela une ou deux générations.
Les effets de ce terrible instrument équivalent à ceux du Chat-à-neuf-queues employé dans les prisons anglaises, et beaucoup de Cafres ont succombé sous les coups de ce fouet.
L'ouvrage dont je m'occupe actuellement n'a aucun caractère érotique ou même léger. C'est, en réalité, une étude physiologique des mœurs des Boers; mais, je le répète, je crois qu'il serait préférable de reporter de semblables coutumes à quelques générations en arrière. L'auteur, très chauvin—pour ne pas dire davantage—donne de telles descriptions qu'on se croirait en plein état sauvage. Au fond, l'ouvrage n'offre que peu d'intérêt. Je le mentionne seulement parce que le fouet y joue un rôle prépondérant.
L'intrigue est simple:
Richard Hanson, un vieux camarade de George Leigh, le héros du livre, recommande à celui-ci de s'occuper de sa fille qui se trouve au moment de sa mort, dans le Sud Afrique.
Voilà George Leigh, parti à la recherche de miss Hanson. D'où récits d'aventures plus ou moins fantastiques, certainement peu véridiques, si peu même à mon avis, que je ne crois pas utile de donner des extraits de ce roman.
Scarlet and Steel. Some modern military episodes, by E. Livingston Prescott. London, 1897, in-8o, 362 pages[45].
[46] Allusion aux jaquettes rouges des soldats anglais.
Un hasard m'a appris que ce magistral ouvrage a été écrit par une femme. A la fois bien documentées et d'un style clair et impressionnant, ces pages laissent sur l'esprit un indéfinissable sentiment de tristesse.
C'est vraiment avec plaisir que j'ai lu ces pages émouvantes, aujourd'hui où les œuvres malsaines ou nulles s'entassent, où chaque auteur semble apporter son tribut à l'inutilité.
Chaque page de ce passionnant roman—car n'en doutez pas, profanes, il est des romans passionnants—chaque page est pleine d'action, de mouvement, de vie. Point de mauvaise sentimentalité. L'auteur a recherché avec soin ses documents avant de les placer dans son livre et, chose curieuse dans ce genre d'ouvrages, rien n'a été négligé. Les renseignements ont certainement été pris à bonne source.
En 1879, parut la loi anglaise sur les règlements et la discipline dans l'armée. Cette loi barbare en plus d'un point, comprend LES PUNITIONS CORPORELLES à infliger aux soldats dans les prisons militaires. Et ce livre répond à un besoin. Il fallait lutter contre cette discipline atroce qui fait appliquer le fouet à des hommes.
Ami John Bull, tant que tu traiteras tes soldats en enfants auxquels on donne la fessée, tu seras déshonoré devant le monde civilisé[47].
[47] Dans l'Étude sur la flagellation aux points de vue historique et médical, se trouvent de longs extraits de Scarlet and Steel. Les personnes qui ne pourraient pas lire l'original dont il n'existe malheureusement pas de traduction française, trouveront dans l'Étude sur la flagellation, la traduction des principaux passages sur le sujet qui nous occupe.
The Story of the Australian Bushrangers, by Geo. E. Boxall. London, 1899, in-8o, 392 pages[48].
[48] Histoire des Batteurs de buissons australiens, par G.-E. Boxall. N'a pas été traduit en français.
Il semble presque impossible de se faire aujourd'hui la moindre idée de l'importance des Bushrangers[49], au commencement du siècle. Il est infiniment probable que l'Australie, las Tasmanie, voire la Nouvelle-Zélande ont été peuplées au début par les forçats exportés d'Angleterre, d'autant plus qu'à ce moment, il fallait vraiment peu de chose pour transformer un honnête homme en forçat. Sous l'égide féroce des rois Georges d'Angleterre, le moindre crime voyait son auteur finir sur la potence et pour les délits insignifiants, on envoyait les délinquants peupler les plaines de Botany Bay.
[49] Le mot Bushranger est difficilement traduisible en français. C'est l'équivalent de coureur ou batteur de buissons. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit des évadés des bagnes australiens qui, postés sur la lisière des bois et des forêts, arrêtaient et dévalisaient les voyageurs qui s'attardaient dans ces parages.
L'ouvrage en question s'occupe donc en grande partie des forçats évadés. Dans les descriptions du bagne, l'auteur est arrivé au dernier degré de la férocité dans l'application des peines corporelles. Et j'ai tout lieu de croire que rien n'est exagéré.
Je vais maintenant m'efforcer de résumer quelques parties de ce livre.
Les punitions des forçats atteignaient le plus haut point de sauvagerie.
La moindre peccadille était punie de fort douce façon, à coups d'un instrument appelé Chat-de-voleurs, et auprès duquel le Chat-à-neuf-queues n'est que jeu d'enfant.
L'auteur de l'ouvrage que je cite est d'avis que l'emploi de cet instrument était plutôt nuisible, tant au physique qu'au moral.
Chose curieuse: les soldats gardiens des forçats étaient soumis à une discipline plus sévère encore et l'on vit des malheureux commettant délibérément les plus grosses fautes pour changer leur sort en celui de forçats! Si ces derniers montraient une conduite empreinte à l'égard des supérieurs d'obséquiosité et de bassesses, ils voyaient leur sort s'adoucir considérablement; si, par malheur, les prisonniers essayaient de montrer de l'indépendance—indépendance forcément relative—il n'y avait pas de répit pour eux jusqu'à la mort qui avait souvent lieu sur l'échafaud.
Je trouve, en continuant ma lecture, de curieuses anecdotes: c'est ainsi qu'il habitait à Sydney—actuellement l'une des plus belles villes de l'Australie—deux flagellateurs, véritables artistes (?) en leur genre. Ils travaillaient toujours ensemble, l'un de la main droite, l'autre de la gauche, et se disaient capables de fouetter cruellement un homme sans lui soutirer la moindre goutte de sang. Le dos des malheureux suppliciés avait l'aspect d'une véritable pomme soufflée, tout parsemé qu'il était de boursouflures qui restaient sensibles et faisaient endurer aux patients une douleur beaucoup plus longue que celle produite par la coupure de la peau.
Ordinairement les bourreaux entamaient les chairs: il se trouvait à Sydney tout autour du champ d'exécution situé dans Barrack Square, un sol saturé de sang humain.
Une curieuse anecdote racontée par l'auteur: Un individu fouetté par les deux flagellateurs dont j'ai parlé quitta le lieu d'exécution, le sourire aux lèvres, remettant sur ses épaules horriblement tuméfiées sa flanelle de forçat d'un geste de défi, se vantant que les bourreaux étaient incapables de lui arracher le moindre soupir.
Un autre prisonnier, flagellé avec la plus grande force sur les reins, s'époumonnait en vain à crier: «Plus haut, plus haut.» Le bourreau continuait froidement son œuvre. Le malheureux, une fois débarrassé de ses liens, saute sur l'exécuteur et le couche à terre d'un coup de poing. Aussitôt saisi, il dut subir, dans le triste état où il se trouvait, une punition équivalente à la première.
Parfois, un prisonnier reconnu innocent était nonobstant fouetté: Un malheureux forçat fut condamné à recevoir 50 coups du chat. Au moment de l'exécution de la sentence une circonstance imprévue prouve sa parfaite innocence.
—Qu'importe, dit le juge de Launceston, chargé de faire exécuter la punition; qu'il soit puni d'abord et je lui ferai grâce une autre fois.
Les prisonniers étaient astreints à saluer en se découvrant tous les officiels de la colonie. A ce sujet, l'auteur raconte le cas de ces forçats qui, en janvier 1839, exécutant une construction à Woolloomollô Bay, sur la propriété de Sir Maurice O'Connell, blessèrent grièvement leur contremaître en lâchant, pour saluer leur maître, une énorme pierre qu'ils transportaient.
Le capitaine O'Connell décréta de ce fait que les ouvriers employés chez lui ne seraient plus astreints à saluer pendant le travail. Ce qui n'empêche qu'un beau jour le Préfet de police de Sydney fasse fustiger un nommé Joseph Todd qui, chargé d'un lourd fardeau, était dans l'impossibilité absolue de saluer ledit chef de police (le colonel Wilson[50]).
[50] Voici comment l'auteur raconte cette anecdote:
«… Le colonel Wilson passait là, accompagné de sa fille. Les forçats continuèrent leur tâche, ne prêtant nulle attention au Préfet de police, quand celui-ci s'écria d'une voix furieuse: «Otez vos chapeaux!» Quelques-uns s'exécutèrent, mais l'un d'eux, nommé Joseph Todd, chargé d'un lourd fardeau, ne broncha pas sous l'ordre. «Otez votre chapeau, canaille!» reprit le colonel. «Je suis autorisé à ne pas le faire,» répondit Todd. Le Préfet se répandit en grossières injures. Enfin, n'y tenant plus: «Qu'on l'arrête,» cria-t-il, et aussitôt accoururent un sergent et quelques hommes. Todd opposait une vive résistance. Il n'en fut pas moins saisi et fustigé cruellement. Le jugement portait que Todd avait commis une grave infraction en refusant de se livrer aux soldats qui venaient l'arrêter, refus qui n'était acceptable que pour un homme libre!»
Joseph Todd, qui reçut pour ce fait 50 coups du chat était arrêté la semaine suivante pour une incartade légère et condamné de nouveau à recevoir 30 coups du chat-à-neuf-queues.
L'ouvrage est composé surtout d'anecdotes dans ce genre et, vu la modicité de son prix (7 fr. 50) nous le recommandons au lecteur.
Curious episodes of private history.—The Court Martial on Miss Fanny Hayward BY AN EX-INFANTRY-CAPTAIN[51]. Paris, Librairie des Bibliophiles, 1899; 1 volume in-8o carré. 70 pages. Imprimé sur papier de Hollande.
[51] Épisodes Curieuses de l'Histoire Privée.—La Cour martiale pour Miss Fanny Hayward, par un ex-Capitaine d'Infanterie. Paris, 1899.
Voici un très curieux conte: Une courtisane, miss Fanny Hayward, accusée d'avoir volé une montre dans la chambre d'un officier, est traduite par les amis de ce dernier devant une cour martiale improvisée et condammée à recevoir un certain nombre de coups de fouets. On lui donne le choix entre cette punition honteuse et une dénonciation à la police. L'accusée choisit la fustigation et la scène s'accomplit à la grande joie des officiers et des petites dames invitées à la fête (?)
Telle est toute l'intrigue. Ce conte a été traduit en français et se trouve tout au long dans l'ouvrage Curiosités et Anecdotes sur la flagellation, dont j'ai parlé précédemment.
L'auteur de cette histoire affirme qu'elle est vraie en tous points et que seuls les noms de lieux et de personnes ont été changés, pour les besoins d'une publication.
Curious Sidelights of social History. HOW WOMEN ARE FLOGGED IN RUSSIAN PRISONS. Narrative of a Visit to a Convent Prison in Siberia by AN ENGLISH DOCTOR. Paris, Librairie des Bibliophiles, 1899. Un volume in-8o, 48 pages[52].
[52] Curieux aperçus de l'Histoire sociale: Comment les femmes sont fouettées dans les prisons russes. Narration d'une visite faite dans une prison de femmes en Sibérie, par un docteur anglais. 1 plaquette in-8o carré, 48 pages.
C'est la copie d'une lettre écrite par un jeune docteur anglais, voyageant en Sibérie, à un ami intime habitant Londres. Cette lettre est datée: Tomsk, Western Siberia, 24th July 1880.
Cette lettre est authentique. Si le docteur n'a pas été témoin des scènes qu'il décrit, il est certain qu'il a puisé ses renseignements à bonne source.
L'éditeur de ce volume a écrit une très intéressante préface.
Cette lettre traduite en français se trouve également tout au long dans l'ouvrage: «Curiosités et anecdotes sur la flagellation.»
Défilé de fesses nues.—Recueil de lettres érotiques, PAR E. D. AUTEUR DE MES ÉTAPES AMOUREUSES. Paris. Chez la petite Lollote. Galeries du Palais-Royal, 1891. Petit in-16, VI-210 pages.
Ce volume vient de m'être communiqué par un bibliophile de mes amis. Le titre indique ce qu'est le livre: un recueil de lettres érotiques. Pour cela, oui. Quant à la petite Lollote, c'est vainement que j'ai cherché son adresse au Palais-Royal.
Au dos du faux titre de ce livre, se trouve une liste d'ouvrages faits par le même auteur (E. D.), savoir: Le marbre animé, Mes Amours avec Victoire, La Comtesse de Lesbos ou la Nouvelle Gamiani, Lèvres de Velours, L'Odyssée d'un Pantalon, Les Callipyges, ou les délices de la Verge, Jupes Troussées, Étapes Amoureuses, Défilé de Fesses nues, Odor di Femina, Exploits d'un Galant précoce.
Voilà une belle liste, aux titres suggestifs, et si l'on songe au peu d'années que M. E. D. a mis à faire tous ces volumes, je frémis à l'idée de ce qu'il m'aurait fallu analyser de livres, si M. E. D. ne s'était pas arrêté.
Cet ouvrage me paraît, sinon traduit de l'Anglais, du moins écrit par un étranger. J'ai d'ailleurs remarqué que les ouvrages signés E. D. présentent des différences de styles assez considérables. Dans tous les cas, le style en est pauvre: la note cherchée et poussée à l'excès est uniquement celle de l'obscénité.
Il m'est impossible de donner ici des extraits in extenso. Les adoucir serait leur enlever le seul mérite qu'ils ont.
Voici cependant l'Avant-Propos:
Ce recueil contient un choix de lettres sur des sujets très piquants, prises dans la collection d'un bibliophile anglais, qui a bien voulu me les communiquer. J'ai traduit les unes, copié le texte des autres, en déguisant les noms des lieux et des personnages.
Je crois cette publication destinée à un grand succès. Rien de plus émoustillant que ces récits alertes, qui chatouillent le lecteur et la lectrice par la verve salace qui les distingue des ouvrages parus dans ce genre jusqu'à ce jour, sans en excepter les piquants souvenirs de M. Martinett, que je viens de savourer. Puis la variété des récits écrites par des plumes différentes, ajoute un grand charme à l'intérêt déjà considérable de cet ouvrage sans rival. C'est un chef-d'œuvre qui complète la collection des érotiques. Je suis d'autant plus à l'aise pour en parler ainsi, sans qu'on puisse me taxer de forfanterie, que je ne suis ici que le fidèle traducteur, ou le modeste copiste.
A vous, charmantes lectrices, je dédie ce nouveau chatouilleur, bien digne d'éclipser tous ces aînés: car quoi de plus séduisant en ce monde, que le défilé sous nos yeux émerveillés de ces ravissants objets, désignés par le titre un peu gros de cet ouvrage, gracieux ornement, suspendu dans l'espace, que vous balancez dans un déhanchement voluptueux, riche, somptueux, opulent, l'orgueil d'un sexe adorable, le plus lorgné de ses appas, devant lequel le genre humain, hommes et femmes, tombe à genoux, pour lui adresser ses fervents hommages.
Après un tel panégyrique de cet ornement suspendu dans l'espace (?!) tirons le rideau.
Randiana, or Excitable Tales, contient des détails poussés jusque dans leurs plus infimes parties. L'auteur ne cherche pas à déguiser sa pensée. J'ignore absolument quel peut être cet auteur, mais c'est certainement un homme du monde, et du meilleur.
L'ouvrage se compose de vingt-quatre chapitres, écrits avec beaucoup de verve, dans un très pur anglais. Ce n'est certainement pas une traduction, les scènes se passant d'ailleurs en grande partie à Londres. Il y a cinq chapitres sur les vingt-quatre, que je dois signaler spécialement, attendu qu'ils se rapportent à notre sujet.
Dans le chapitre V, on trouve un abrégé de l'histoire de la flagellation et dans le chapitre VI, on entre dans le vif de la question, avec l'histoire de deux ecclésiastiques qui ont persuadé à une jeune femme de laisser expérimenter sur son corps les bienfaits de la flagellation.
Ce volume, publié vers 1880 à Londres (?) est devenu presque introuvable. Il a été réimprimé en 1897 à Paris, en une charmante édition tirée, sur papier de Hollande, à 200 exemplaires numérotés à la presse. Le titre de cette édition porte: Social Studies of the Century. Randiana, or Excitable Tales. Paris, Société de Bibliophiles for the Delectation of the Amorous and the instruction of the amateur in the Year of the excitement of the sexes, MDCCCXCVIII.
Pisanus Fraxi, l'éminent bibliographe fait, sur ce volume, les remarques suivantes:
Chacun des vingt-quatre chapitres de cet intéressant ouvrage, contient une petite affaire d'amour, brièvement et habilement racontée, et dont l'auteur est le héros.
Aucune de ces aventures ne dépasse le domaine des choses possibles: elles peuvent même fort bien—exagération mise à part—arriver à tout homme du monde possédant, en sus de l'amabilité, une bourse bien garnie. Néanmoins, l'auteur me permettra d'être sceptique quand il affirme:
«Je suis homme à ne pas farder la vérité, mais aussi à ne raconter que ce qui est, et si extraordinaire que puissent paraître quelques-uns de mes racontars à ceux qui n'ont jamais passé par de semblables habitudes, elles n'en sont pas moins exactes. La lecture de cet exposé fera, je crois, grandir le zèle avec lequel il sera lu.»
J'hésite vraiment à porter croyance—ajoute Pisanus Fraxi—aux effets magiques du baume Pinero, ni à l'emploi sans danger d'un semblable aphrodisiaque dans de semblables scènes d'orgie et de flagellation pratiquées par le père Pierre de Sainte-Marthe des Anges, de South Kensington, ni à l'aventure audacieuse avec la vertueuse Mme Leveson.
L'improbabilité même de ces scènes peut être sans doute considérée par quelques-uns des lecteurs comme une marque d'originalité et le volume sera certainement salué comme joyeuse arrivée par tous les philosophes de la même école que l'auteur.
Théodore de Banville.—Contes héroïques. Paris, 1884.
Je ne classe pas cet ouvrage parmi ceux écrits exclusivement sur la flagellation. Théodore de Banville n'était pas coutumier de tels livres. N'empêche que le premier des contes, La Borgnesse, se terminait par un sujet de flagellation qui vient apporter là sa note sombre.
Christmant, amant d'une femme de monde quelconque, est surpris par le mari. Mais la maîtresse a le temps de s'échapper et serait bientôt hors d'atteinte si le modèle du peintre, Léo, n'avait, d'un signe imperceptible, indiqué au mari outragé la porte par laquelle avait disparu la fugitive.
«Cependant ce clin d'œil de trahison jeté par Léo, Christmant l'avait vu, lui aussi, et surpris au vol. Alors il saisit un fouet accroché à la muraille entre deux bébés japonais, et de toutes ses forces en cingla le visage du modèle. L'œil blessé horriblement sortit de son orbite, et les joues et la bouche déchirés ne furent plus qu'une plaie. Et furieuse, hurlant, toute sanglante, de longs filets de sang coulant sur sa gorge nue, tordant ses bras, la grande Léo eut encore un air de défi, et de son œil unique regardant Léopold Christmant avec l'expression d'une haine farouche:
—«Tant pis! je vous aimais! dit-elle.»
Dans le même ouvrage, un autre des contes La Bonne nous donne une scène différente. Il serait téméraire de ma part d'essayer d'analyser Banville. Je cite donc:
«En voyant la colère qui brillait dans les yeux de la grande femme, les visiteurs voulurent s'interposer mais les écartant d'un geste terrible, elle saisit Audren, et l'ayant mis sur son bras, comme lorsqu'il était enfant, le déculotta et lui donna le fouet. Le vicomte de Larmor hurlait de douleur; mais toujours Annan Goën le frappait de toutes ses forces, et acharnée à le châtier, elle ensanglantait sa main vengeresse dans la chair déchirée et meurtrie de ce mauvais gentilhomme.»
Rare tracts on flagellation.—Voici sept opuscules qu'il serait de coupable négligence d'omettre dans cette bibliographie.
Un érudit nommé Henry Thomas Buckle, né en Angleterre de parents fortunés, et mort à l'âge de trente-trois ans a laissé un certain nom dans la littérature anglaise. C'est l'auteur de l'Histoire de la civilisation en Angleterre (3 volumes) œuvre monumentale, restée inachevée par la mort de l'auteur, ouvrage renommé pour la clarté du style et la profonde philosophie qui s'en dégage. Parmi les sujets qui attirèrent l'attention de ce chercheur, vient s'ajouter celui qui se rapporte aux punitions corporelles. Du moins, on le dit, et je vois là l'explication de la réunion de son nom. Voici en effet le titre général des sept opuscules:
Rare Tracts: Reprinted from the original editions collected by the late Henry Thomas Buckle, author of «A History of Civilization in England» autrement dit: Traités rares sur la flagellation, réimprimés sur les éditions originales, réunis par feu Henry Thomas Buckle auteur de l'«Histoire de la civilisation en Angleterre».
On prétend que Thomas Buckle avait prêté ces opuscules en 1872, à un éditeur de Londres, nommé J. C. Hotten, qui les a publiés dans sa Bibliothèque dite du Progrès social, d'après les éditions originales collectionnées par Thomas Buckle. L'éditeur de l'édition originale, en 1777 était G. Peacock, et il est probable que Buckle se serait servi de ces opuscules pour un chapitre curieux et intéressant de son ouvrage sur la civilisation.
Les sept volumes de la réimpression sont très rares et valent de 250 à 300 francs. Ils sont formés en partie de révélations sur certaines dames du grand monde anglais, dames qui s'adonnaient beaucoup au sport tout particulier de la flagellation. Les noms sont peu déguisés.
Entre autres documents, on trouve un opéra-comique représenté sur une scène privée ainsi que des conférences fashionables qui, paraît-il, ont été faites avec accompagnement d'expériences pratiques! Ces volumes éclairent d'un jour nouveau les pratiques en usage au siècle dernier en Angleterre.
Voici les titres complets des sept volumes:
1. Exhibition of Female Flagellants in the Modest and Incontinent World.
2. Part Second of the Exhibition of Female Flagellants in the Modest and Incontinent World.
3. Lady B—r's Revels. A Comic Opera, as Performed at a Private Theatre with unbounded Applause.
4. A Treatise of the Use of Flogging in Venereal Affairs. Also of the Office of the Loins and Reins. By Meibomius.
5. Madame Birchini's Dance. A Modern Tale, with Original Anecdotes collected in Fashionable Circles. By Lady Termagant F—m.
6. Sublime of Flagellation: in Letters from Lady Termagant F—m to Lady Harriet T—l.
7. Fashionable Lectures; Composed and Delivered with Birch Discipline, by the Following Beautiful Ladies.
London, printed by G. Peacock, 1777[53].
[53] 1. Exposition des Flagellants femelles dans le monde modeste et incontinent.
2. Seconde partie de l'Exposition des Flagellants femelles dans le monde modeste et incontinent.
3. Les orgies de Lady B—r's—Opéra-comique, comme exécuté sur un Théâtre privé, avec applaudissements sans frein.
4. Traité de l'usage de la verge dans les plaisirs vénériens, et dans l'office des reins et des lombes, par Meibomius. (Voyez plus haut: Meibomius, De l'utilité de la flagellation.)
5. La danse de Mme Birchini. Conte moderne, avec Anecdotes originales recueillies dans des fashionables Cercles, par Lady Termagant F—m.
6. La majesté de la flagellation: en lettres de Lady Termagant F—m à Lady Harriet T—l.
7. Lectures fashionables; composées et prononcées avec la discipline du fouet, par les magnifiques dames suivantes. Londres, imprimé par G. Peacock, 1777.
Lashed into lust. A caprice of a flagellation. Paris, 1899[54].
[54] La luxure dans le fouet. Caprice d'un flagellateur. 1 volume petit in-8o. Deux éditions dont l'une sur papier de Hollande.
Voici maintenant un ouvrage absolument moderne et qui démontre par son existence même, que l'étrange goût de la flagellation n'est pas encore éteint.
Voici le problème que l'auteur anonyme (nous le connaissons personnellement, et c'est un gentleman distingué, ce qui prouve le peu de bonne foi qui préside à l'établissement de ces ouvrages) cherche à résoudre: comment domestiquer et réduire à la soumission une courtisane à la langue acérée qui pense que chaque homme représente sur terre un imbécile, plus qu'un naïf.
L'auteur a résolu ce problème avec beaucoup d'habileté. Ce volume n'a jamais été publié en français quoique l'original ait été écrit dans cette langue. Les acheteurs de cet ouvrage, s'ils supposent acquérir un bréviaire de piété, doivent être tristement déçus: l'auteur a choisi ses héroïnes et leur a assigné un rang hiérarchique dans la haute prêtrise de la galanterie.
Les actrices de ce petit drame sont des parvenues, de naissance et origines diverses.
L'assemblée à la Villa du Nid d'Amour est suffisamment hétéroclite: nous y trouvons la fille du faubourg, coudoyant la femme pervertie du commerçant honnête, à laquelle fait vis-à-vis la dame raisonnable et d'âge presque mûr qui donne de sages conseils à la jeune fille de bonne famille «folle de son corps», enfin toute l'assemblée s'incline devant la hautaine courtisane à la mode qui tout à l'heure criera, suppliera sous les cuisantes morsures de la verge. La principale scène de flagellation a lieu sur un yacht, en pleine Méditerranée. Ce yacht est commandé par un anglais de goûts bizarres, nommé Sir Ralph. A bord une nièce de ce dernier, une jeune femme d'admirable beauté du nom de miss Violet Stafford, maîtresse de Sir Ralph, et la courtisane dont j'ai parlé, formaient l'élément féminin qui devait entrer en scène.
Le premier sujet d'une castigation fut miss Violet, qui pour une peccadille commise un mois auparavant, fut fouettée sans pitié. La courtisane française avait assisté avec grande surprise à la punition de sa jeune amie anglaise, et même essayé de dissuader les bourreaux de leur action infâme. Aussi, je laisse à penser l'indignation qu'elle ressentit lorsque son amant l'informa tranquillement que son tour était venu. Je cite son propre récit que l'auteur lui fait raconter à des amies:
«Je crus qu'il plaisantait et je me mis à rire. Mais lui se tenant debout, le fouet à la main me dit placidement:
«Allons, Nini, déshabillez-vous, la belle!
Comme je le regardais, hébétée, pétrifiée d'étonnement, il reprit criant presque:
«Allons… fais vite,» et au même instant son fouet s'abattait cinglant mes épaules.
«Je poussai un cri de douleur et de rage, et bondis comme une tigresse pour lui arracher le fouet: deux coups rapides me firent battre en retraite.
«Nous étions restés seuls. Je courus vers la porte; elle était fermée en dehors.
«Assassin! misérable lâche!» m'écriai-je éperdument; à chacune de mes exclamations, le fouet retombait sur mes épaules.
«Sir Ralph, d'une voix calme, me disait:
«Prends garde à la figure. Je ne voudrais pas te blesser.» Puis, il continuait, par saccades: «sois raisonnable… déshabille-toi, ou… j'emploie la force—Osez donc, misérable! criai-je de nouveau.»
Et la scène se continue entre amant et maîtresse jusqu'à l'intrusion de nouveaux témoins qui vont prêter appui à l'orgie sanguinaire qui va se dérouler.
Les détails qui accompagnent les descriptions m'empêchent de les citer.
C'est, je crois, le livre le plus érotique qu'il m'ait été donné de lire en anglais.
Théâtre des cruautés des hérétiques au XVIe siècle.—Reproduction du texte et des gravures de l'édition française de 1558. Publié sans doute à Londres, 96 pages.
Prison Characters drawn from life with suggestions for prison government. Female life in prison by F. W. Robinson[55].
[55] Caractères de la prison (en Angleterre); basé sur la vie, avec conseils au gouvernement des prisons. Vie des femmes en prison, par F. W. Robinson.
Deux illustrations, deux volumes, 736 pages.
Les duels par la flagellation.—Je viens de passer rapidement en revue les principaux ouvrages, où des auteurs talentueux ou nuls se sont efforcés de nous raconter par «des scènes vécues» (?) disaient-ils presque tous, que la flagellation fut, est, et sera toujours à l'ordre du jour, qu'elle fait partie intégrante de notre vie. Je suis loin de les approuver, considérant plutôt les malheureux adonnés à cette pratique comme des malades, et rien de plus. Cependant, il est des circonstances où le fouet ou le bâton ont joué un rôle prépondérant. Je me souviens avoir lu dans les journaux américains, il y a quelques semaines à peine, que deux habitants du pays, qui s'étaient voués une haine mortelle, dont la jalousie était la base (cherchez la femme) ont trouvé un ingénieux moyen de mettre fin au conflit qui les séparait. Attachés tous deux solidement à deux arbres vis-à-vis, n'ayant que la main droite de libre, et cette main armée d'un gourdin, ils se sont administrés réciproquement une telle volée de coups, qu'il est plus que probable qu'ils ont trouvé dans la mort l'unité qu'ils n'avaient pu avoir de leur vivant. Voilà un duel, qui, je crois, ne sera pas goûté de sitôt dans la vieille Europe. Mais en Amérique…
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* *
Le Journal illustré, dans son numéro du 4 mars 1900 donne en première page une gravure représentant un duel au fouet entre deux charretiers, duel qui se termina tragiquement, l'un des deux combattants ayant eu l'œil crevé.
Voici les faits tels que les a relatés le Petit Journal:
«Deux charretiers, Georges Falga et Emmanuel Ricci, âgés vingt-trois ans et vingt-six ans, vivaient en paix… lorsqu'à La Garenne-Colombes, où ils demeurent, ils firent la connaissance d'une fort jolie fille dont ils s'éprirent éperdument et que tous deux désiraient épouser. Falga, plus heureux que son rival, ayant obtenu, avec le consentement du père, celui de la jeune personne qui ne voulait pas de Ricci parce qu'il est Italien, s'empressa de faire part à ce dernier du résultat de sa démarche.
Furieux d'être ainsi évincé, l'Italien jura de se venger.
Hier matin, vers six heures, comme les deux rivaux, avant de se rendre à leur travail, prenaient leur repas dans un débit de la Garenne, une violente discussion s'éleva entre eux, à propos du prochain mariage de Falga, et de grossières invectives furent échangées. Ils allaient en venir aux mains, lorsque d'autres charretiers, témoins de la scène, s'interposèrent et proposèrent aux deux hommes d'aller vider leur querelle dans un duel en champ clos.
L'arme choisie serait le fouet dont chacun d'eux était armé. Les conditions de ce singulier duel réglées, Falga et Ricci, suivis de leurs témoins allèrent se placer dans un terrain situé à quelque distance du débit.
Mis en face l'un de l'autre, chacun tenant son arme, les combattants, qui, au préalable s'étaient dévêtus jusqu'à la ceinture, attendirent le signal et se mirent immédiatement à se cingler consciencieusement le visage et le torse de terribles coups de fouet.
D'énormes zébrures, laissant échapper le sang, ne tardèrent pas à apparaître sur la peau des deux adversaires, qui redoublant d'ardeur, se frappaient comme des sourds. Le combat durait depuis quelques minutes, lorsque tout à coup, Ricci poussa un cri terrible et chancela. Le fouet de son rival venait de lui atteindre l'œil.»
Les corrections conjugales et les littérateurs, anciens et modernes.—Cette grave question: Doit-on ou ne doit-on pas battre sa femme? a fait couler des flots d'encre à pas mal de littérateurs.
Il est bien un vieux proverbe qui dit «qu'il est permis de battre sa femme, mais qu'il ne faut pas l'assommer», et comme il est universellement reconnu que les proverbes sont la sagesse des nations, nous devons prendre celui-là en bonne part.
«Battre sa femme, dit M. Esquiros, est un usage fort ancien dans le monde et notamment en France… Toutes les sociétés commencent, comme l'humanité, par l'état sauvage, lequel entraîne toujours l'emploi aveugle de la force. De vieilles cérémonies religieuses consacraient même cet usage en plusieurs provinces; le droit en était accordé au mari comme une franchise.»
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En Angleterre, écrit M. Larcher, la loi qui permettait au mari de battre sa femme gratuitement a subsisté jusqu'en 1660.
Depuis ce temps, moyennant une faible amende, tout mari anglais peut infliger de rudes corrections à sa femme.
A notre époque, dans ce pays, il ne se passe pas une semaine, pas un jour même, sans qu'une feuille publique, soit de Londres, soit de la province, n'annonce qu'un mari a horriblement maltraité sa femme. Ces actes de brutalité conjugale sont depuis longtemps si communs en Angleterre, que le public n'y donne plus aucune attention; ils passent en quelque sorte inaperçus. On se dit: «Ce n'est rien, c'est un homme qui a corrigé sa femme,» tout aussi simplement qu'on se dirait: «Ce n'est rien, c'est un homme qui a battu son chien.» Il est même à supposer que les chiens, s'ils subissaient les mauvais traitements que subissent un grand nombre de femmes, trouveraient plutôt des défenseurs que ces dernières… Dès l'instant que de tels actes de barbarie ne soulèvent plus l'indignation publique, le devoir des législateurs serait d'aviser au moyen d'y mettre un terme… Est-ce au mari, au mariage ou à la femme qu'il faut s'en prendre? Que l'on cherche et l'on trouvera.
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Une bonne correction, dit Salomon, vaut mieux aux femmes qu'un collier de perles.
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Tilly fait la remarque que les femmes résistent souvent aux plus nobles procédés, et sont presque toujours subjuguées par le charme des plus mauvais traitements.
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Le Petit Bleu du 15 mars 1900, publiait l'entrefilet suivant:
Battu et ridiculisé.—Montluçon.—Il existe à Montluçon une vieille et originale coutume locale qui veut que tout mari qui se laisse battre par sa femme soit promené par la ville la tête coiffée d'un bonnet de coton, une quenouille en main en guise de sceptre et monté à l'envers sur un âne.
Cette pratique quelque peu comique est toujours en vigueur. Aussi, avant-hier soir, vers six heures, à la sortie des usines, plus de trois mille personnes se trouvaient-elles sur le pont Saint-Pierre et aux abords pour voir passer un cortège de mari battu.
Le patient était un ouvrier d'usine, à qui sa femme avait donné une maîtresse gifle à la suite d'une querelle conjugale, et à qui ses camarades d'atelier appliquaient la peine encourue en pareil cas, suivant le rite usité.
Le malheureux, cavalcadant à l'envers sur un âne de marinier, le chef ceint d'un casque à mèche et portant dans le dos une pancarte infamante, où étaient écrits ces mots: «Battu par sa femme et content,» fut promené par toute la ville, essuyant les lazzis les plus sanglants d'une foule sans pitié.
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Bien d'autres auteurs ont agité cette question, mais les citer tous m'écarterait sensiblement de mon programme.
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A l'ombre.—Traduit pour la première fois de l'Anglais pour la Société des Bibliophiles, 1 volume, in-18o papier vergé. (Édité à 10 francs.)
Dans son prospectus, l'éditeur de cet ouvrage dit:
«Il est assez délicat de donner une idée du livre, vu sa nature ultra-légère. Contentons-nous de dire que ceux que ne choquent pas les robes qui se retroussent et les cotillons qui découvrent ce qu'ils devraient cacher, ceux-là, disons-le, trouveront leur compte dans ce volume singulièrement pimenté. Est-il besoin d'ajouter que l'application de la verge et de la main sur d'affriolantes rondeurs y joue un rôle prépondérant; c'est un des traits caractéristiques de cette sorte de littérature, et, dans cet ouvrage, c'est pour ainsi dire à chaque page que se manifeste ce goût étrange dont tant d'ouvrages sérieux ont affirmé et commenté l'existence.»
Les Loups de Paris, par Jules Lermina[56].—Ce n'est pas sous un titre semblable que l'amateur d'ouvrages sur la flagellation, penserait trouver une terrible scène de fustigation. Le hasard—qui fait parfois bien les choses au profit des bibliomanes—m'a fait rencontrer ce livre qui, à première vue, semble être un roman-feuilleton fort banal. En le feuilletant, j'y ai trouvé quelques études intéressantes, où le document n'est pas dédaigné, mais l'auteur, obéissant aux lois inexorables de la compréhension populaire, a dû mettre sa tâche à la hauteur de Mme Pipelet qui s'en est donnée à cœur joie: des massacres, cambriolages, vols avec effractions, assassinats: «O ma chère! c'est palpitant.»
[56] Grand in-8o, avec un frontispice en couleurs (grande chromolithographie pliante).
Arrivons au passage qui nous intéresse. Il s'agit d'une tentative d'évasion dans un bagne. Le forçat coupable est condamné à recevoir cinquante coups de bâton. Je cite textuellement:
On entraîna le coupable. Entraîner n'est pas le mot propre, car il suppose résistance. Et il se laissait faire, comme s'il n'eût été qu'une masse inerte…
Les forçats avaient été convoqués, selon l'usage, pour assister au châtiment, à l'expiation…
L'évadé fut dépouillé jusqu'à la ceinture…
Un condamné à vie s'avança tenant en main l'instrument du supplice. En cette année-là, on faisait l'essai d'un fouet d'importation anglaise, le cat-o-nine tails, touffe de neuf lanières, garnies de petites balles de plomb.
L'exécuteur fit siffler dans l'air le cuir, qui rendit un bruit sec comme un coup de feu.
Le condamné resta immobile, les poignets appuyés sur le billot de bois.
Il faut dire que chaque coup du cat-o-nine tails, était compté pour dix coups ordinaires. C'était donc cinq rasades seulement, terme consacré, que le patient devait recevoir.
Un!… Son dos se marbra de bleu et de rouge.
Il ne remua pas.
Deux! Il y eut du sang.
Même immobilité.
—Diable! fit un des assistants, voilà une forte nature. Qui se serait attendu à cela? Ordinairement, on tombe au troisième.
Bah! ce sera pour le quatrième.
Mais le troisième tomba net sur les épaules l'homme…
Le quatrième enleva quelques lambeaux de chair…
L'autorité n'en revenait pas. Ce fouet britannique ne remplissait pas les conditions du programme…
—Cinq!
C'est fait. Le condamné se redressa. Il y avait là un baquet rempli d'eau dans laquelle on avait fait dissoudre quelques kilos de sel marin.
—Vous permettez? demanda-t-il.
Et sans attendre la réponse, il plongea dans l'eau la toile grossière qui servait d'éponge, et le liquide ruissela sur ses épaules…
Il ne frémissait même pas. Et cependant, à voir la chair écrasée, la douleur devait être atroce…
Mais lui, sachant que, sa peine subie, il rentrait dans les rangs, à sa place, alla se mettre dans le groupe des forçats, endossant la casaque dont on l'avait dépouillé…
—C'est une mystification, dit un surveillant.
De fait, ils étaient tous consternés.
—Il y a un autre condamné, fit un garde-chiourme. On pourrait essayer.
—Soit…
La condamnation était moins grave. Vingt coups, ce qui se résolvait en deux coups de fouet de nouvelle invention…
—C'est l'exécuteur qui a le poignet trop mou, objecta quelqu'un.
Celui qui venait de recevoir les cinq coups dit, mettant le bonnet à la main:
—J'offre de frapper le patient.
—Tu n'auras pas la force.
—Essayez.
—Soit.
Le forçat qui avait encouru la peine, pour quelque peccadille d'insubordination, était un énorme colosse dont les épaules, le torse, le râble semblaient taillés en plein bronze…
Il se posa, arrogant, défiant du regard le poignet fin et sans doute faible de cet exécuteur de hasard.
—Bonne affaire! murmura-t-il. Si celui-là me démolit…
Il n'acheva pas.
On entendit un cri, un râle.
L'homme était par terre, crispant ses ongles au sol.
Un seul coup du cat-o-nine tails l'avait abattu.
Le médecin s'approcha… Une sorte de gloussement sortait de sa poitrine, tandis qu'une écume rougeâtre souillait ses lèvres.
—Il ne résisterait pas au second coup, dit le médecin. Bien heureux s'il réchappe de cette première alerte…
C'était fait.
Les gardes-chiourmes appelèrent les hommes à la grande fatigue.
La flagellation dans la gravure, la caricature, en politique.—Là aussi, la flagellation a joué un rôle important. Mais cette partie demande une étude spéciale. Je ne citerai donc que quelques exemples.
Qui ne se rappelle le numéro publié par le Le Rire, entièrement illustré par le dessinateur Willette? Une des gravures, la plus amusante peut-être, représente un intérieur britannique, et, cependant que le père lit la Bible, la mère éponge le postérieur d'une fillette. Légende: En Angleterre, les petites filles sont bien gentilles, mais trop souvent fouettées.
*
* *
Au moment où j'écris ces lignes, La Caricature, journal satyrique donne en première page un dessin représentant la reine Victoria, flagellée vigoureusement par le Président Krüger. Cette caricature, considérée à juste titre comme outrageante, a eu un immense retentissement de l'autre côté du détroit.
Dans son numéro du 30 avril 1800, Le Courrier français donne un merveilleux dessin de Willette à propos du rétablissement de la flagellation en Virginie. La légende du dessin porte:
«Les journaux publient une dépêche de New-York annonçant que l'Assemblée législative de l'État de Virginie a voté une loi permettant d'appliquer les châtiments corporels en public.
«La première à qui cette loi a été appliquée est une jeune fille de dix-huit ans qui a été fouettée sur la place publique de Manassas, parce qu'elle avait des relations immorales avec un clergyman.»
Sans commentaires.
Une petite brochure vient de paraître, sous le titre. Les Crimes des couvents[57], qui contient des détails si révoltants sur des faits qui se sont passés dernièrement, d'une telle férocité que le sujet mérite d'être étudié à fond.
[57] B. Guinaudeau.—Les Crimes des couvents.—L'exploitation des Orphelins. Paris, 1889. 1 brochure de 72 pages, 50 centimes.
Je réserverai donc cette étude pour un autre ouvrage, car ici, la place me fait défaut.
Traité du fouet, et de ses effets sur le physique de l'amour, ou aphrodisiaque externe.—Ouvrage médico-philosophique, suivi d'une dissertation sur les moyens d'exciter aux plaisirs de l'amour, par D… (Doppet) médecin, 1788, 1 vol. in-18 de 108 pages, plus 18 feuillets préliminaires.
Le Traité du fouet est une imitation plagiaire du traité de Meibomius, dont j'ai déjà parlé. Ici tout est libertinage et satire grossière. Le lecteur n'y apprendrait rien d'utile; en revanche, il y peut trouver les moyens de ruiner sa santé, car l'ouvrage contient une pharmacopée très étendue des plus actifs aphrodisiaques, réduits en électuaires formulés, suivie d'une liste raisonnée des plantes analogues à la vertu de ses récipés.
J'ai sous les yeux une réimpression de ce volume qui porte: Londres, 1891. Cette édition est précédée d'une notice bibliographique dont je cite quelques passages intéressants:
L'auteur du Traité du fouet est François-Amédée Doppet, médecin, littérateur et général français, d'origine savoisienne, né a Chambéry en mars 1753, et mort à Aix (Savoie) vers l'an 1800. Sauf Quérard, France litt. et la Biogr. génér. de Hœfer qui donnent l'énumération exacte de ses nombreux ouvrages, il n'est guère brièvement cité par les autres biographes, que pour l'ouvrage qui nous occupe.
La première édition a pour titre: Aphrodisiaque externe, ou Traité du fouet et de ses effets sur le physique de l'amour, ouvrage médico-philosophique suivi d'une dissertation sur tous les moyens capables d'exciter aux plaisirs de l'amour, par D***, sans lieu d'impression (Genève) 1788, in-18 (disent Brunet, Graesse et le comte d'I***), in-16 (disent Barbier, Quérard et Hœfer) de 158 pages.
Il est à remarquer que tous les biographes indiquent Genève comme lieu d'impression, tandis que la Bibliographie du comte d'I***, seule, indique Paris.
La Bibliographie des ouvrages relatifs à l'amour, aux femmes, etc. Turin et San Remo, 1871-1873, en annonçant, au Traité du fouet, une figure-frontispice, qui n'a jamais existé que dans l'imagination un peu vagabonde des éditeurs, ajoute que le Médecin de l'amour paru à Paphos (Paris) en 1787, in-8o, est un essai du même ouvrage. C'est une profonde erreur. Le Médecin de l'amour, est tout simplement une véritable histoire médico-romanesque n'ayant aucun point de ressemblance avec le Traité du fouet.
*
* *Il se rencontre aussi des exemplaires de cette édition originale portant un titre ainsi libellé: Traité du fouet, ou Aphrodisiaque externe, etc. A Paris, chez les marchands de nouveautés.
Une réimpression à très petit nombre a eu lieu à Paris ou à Lille, au commencement de ce siècle (1820 à 1825). Cette édition contient 108 pages, la table comprise; elle porte sur le titre, pour épigraphe, un passage latin, tiré de l'ouvrage de Meibomius. Elle est bien imprimée, son bon papier ordinaire collé, d'une teinte légèrement bleuâtre.
*
* *Il est à remarquer que la seconde partie de cet ouvrage, intitulée: Dissertation sur tout les moyens capables d'exciter aux plaisirs de l'amour, ne fait point partie essentielle du Traité du fouet. C'est plutôt une pharmacopée aphrodisiaque très curieuse.
Aussi cette partie a-t-elle été détachée de l'ouvrage et reproduite avec des annotations, depuis peu, à l'étranger.
On y a même joint un frontispice très épicé, dont l'allégorie, aussi frappante qu'ingénieuse, rappelle d'une façon toute gaillarde, le souvenir des Fleurs animées de Granville.
Histoire des Flagellans, où l'on fait voir le bon et le mauvais usage des Flagellations parmi les chrétiens, par des preuves tirées de l'Écriture sainte, etc., traduit du latin de M. l'Abbé Boileau, docteur de Sorbonne (par l'abbé Granet), Amsterdam, chez Henri Sauzet, 1732 (1 vol. in-12).
Diverses éditions en latin, français et anglais.
—Tout est vraiment digne d'attention dans ce livre, publié vers la fin de l'année 1700, par l'abbé Boileau, frère du célèbre Despréaux. Cet excellent écrit que l'abbé Irailh, a eu le grand tort d'appeler un livre saintement obscène traduit en français dès 1701, puis en 1732 par l'abbé Granet, l'éditeur des œuvres du savant de Launoy, n'excita pas moins, quand il paru une grande rumeur parmi les moines, les théologiens et surtout chez les jésuites, soit à cause des opinions jansénistes imputées à l'auteur, soit par une suite de cette déplorable prédilection que les jésuites ont toujours eue pour la discipline d'en bas. Le père du Cerceau et l'infatigable controversiste Jean-Baptiste Thiers, curé de Vibraye, s'emportèrent cruellement contre l'abbé Boileau. De leur côté les moines et les moinesses firent grand bruit. Mais de réfutation concluante, il n'en parut aucune.
L'abbé Boileau poursuit, en dix chapitres, la flagellation, spécialement la flagellation volontaire, depuis son origine jusqu'à son époque, sous toutes ses formes et ses prétextes, comme une indigne coutume née du paganisme et de l'esprit de libertinage.
Ne fait-il pas beau voir le père Girard donnant la discipline à la belle Cadière, pour commencement de satisfaction, et cela, parce que liberté pareille a été prise, sans encombre de chasteté, par saint Edmond, Bernardin de Sienne, et par le capucin Mathieu d'Avignon?
A en juger par la nature humaine, qui est la même partout, la flagellation du christianisme n'a pas eu d'avantages sur celle des lupercables, et dans le nombre des dévotes fouettées, nous avons dû avoir autant de femmes compromises que les Romains.
Hector France dans «Le Péché de sœur Cunégonde» (Paris s. d. In-4o illustré) nous donne une très amusante scène de pénitence religieuse. Je cite textuellement:
«Cependant, ce n'était pas de l'Ave Maria dont s'occupait une religieuse, car en passant devant une porte sur laquelle était écrit le nom de sœur Sainte-Irène, on entendit le bruit de ce que Rabelais nomme une Cinglade, mais une cinglade timide et molle, précédée et suivie de petits gémissements.
—Restez là, dit monseigneur à la petite fille en s'arrêtant et frappant trois coups. Peut-on entrer? ajouta-il.
—Je me meurtris aux épines de la mortification, répondit une voix plaintive.
—Quelle mortification?
—Je me flagelle.
—Eh! ma sœur, dit le directeur en poussant la porte qu'il referma sur lui, c'est sur la chair qu'il faut frapper, ma sœur, la chair! la misérable chair! Avez-vous le cordon de Jésus-Marie-Joseph?
—Oui, monseigneur, le voici.
—Allons, plus haut, retroussez votre tunique de lin!
Et presque aussitôt la petite fille, terrifiée, entendit les cinglements de la corde devenir plus stridents, et à chaque coup s'accentuer les plaintes.
—Invoquez le nom de Jésus, dit le prélat et les épines de la mortification se changeront pour vous en feuilles de rose.
—Oh! doux Jésus! dit la sœur.
—Les morsures de la flagellation se tourneront en suaves blandices.
—Oh! doux Jésus!
—Les souffrances du martyre en jubilation.
—Oh! doux Jésus!
—Les angoisses de l'agonie se transformeront en céleste béatitude.
—Oh! doux Jésus! Grâce, monseigneur! vous frappez trop fort.
—«Alors Ponce Pilate, après avoir fait fouetter Jésus, le livra aux Juifs pour être crucifié.» C'est en mémoire de cet acte que notre sainte patronne Élisabeth de Hongrie livrait sa chair à la flagellation et la sainte ne se plaignait pas de la violence du pieux Conrad. Elle disait à chaque coup: «Plus fort, très cher père Conrad, plus fort!» Aussi elle est assise à la droite du Père.
—Plus fort, monseigneur! Frappez sur ma misérable chair. Oh! doux Jésus! Aïe! Aïe!
—Le sol est durci sous la lourde pression de vos péchés, il faut frapper, ma fille, pour pouvoir enfoncer la racine de vertu.
—Oh! doux Jésus! Quelles délices! oh! doux Jésus! monseigneur! Oui… enfoncez… la… racine… de… vertu… Oh! Joies du Paradis!
—Vous avez gagné 643 jours d'indulgence plénière, agenouillez-vous, priez et réjouissez-vous.
—«Réjouissons-nous! J'ai vu la rosée tombée du ciel, j'ai vu la chaste nuée d'où le juste est sorti, j'ai vu le désiré, j'ai vu le rejeton de David, j'ai vu le fils de la Vierge, j'ai vu le Messie, j'ai vu Emmanuel, j'ai vu Jéhovah, notre juste, c'est en mon Jésus! Il va bientôt venir. Oh! Joies du Paradis!»
—Amen! Le voici, ma sœur!
—Jésus! Marie! Joseph!
—Courbez plus bas la tête, ma fille.
—Ah! doux Jésus! L'esprit saint est en moi! Et la petite fille, qui écoutait toute tremblante, n'entendit plus que des soupirs étouffés. Sans doute la sœur Sainte-Irène, touchée par l'onction intérieure de la grâce, demeurait plongée dans la contemplation des perfections infinies et noyée dans une amoureuse union avec le fils du Père éternel… ou avec son ministre, Mgr de Ratiski… Mystère[58]!…
[58] Une curieuse gravure illustre ce passage.
Hector France.—La pudique Albion. Les nuits de Londres. 1 vol. in-18o jésus, 332 pp. (Paris, 1885).
Dans ce volume, page 203 commence un chapitre intitulé Filles fessées. Comme ce chapitre occupe 13 pages, je ne puis le citer en entier, quoiqu'il en vaille la peine. Voici quelques-uns des passages les plus pittoresques:
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«Traversant un matin un corridor pour se rendre à sa classe, il (La Cecilia, professeur de français à cette époque) entendit des supplications suivies d'un bruit ressemblant a ce que nos pères appelaient une cinglade, et nous, une forte fessée. Or, comme les plus jeunes élèves de l'école n'avaient pas moins de douze ans, le châtiment lui parut si extraordinaire en raison de la pudibonderie anglaise qu'il prit avec toutes sortes de précautions, des informations sur la nature de ce bruit insolite, près de la sous-maîtresse assistant à son cours.
—Oh! répondit-elle en rougissant un peu, c'est une petite fessée (little whipping) qu'on a infligée à cette mauvaise tête de miss O'Brien.
Miss O'Brien était précisément une des plus grandes élèves, superbe Irlandaise de dix-sept ans mais qui en paraissait vingt, tant la nature avait pour elle été prodigue.
—Vous ne voulez pas dire, répliqua La Cecilia stupéfait, qu'on a donné le fouet à cette grande fille?
—Parfaitement, «le fouet», comme vous l'appelez; c'est l'usage de la maison.
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Voici une lettre reproduite dans ce livre; elle est d'un gentleman nommé G. Ferguson:
«Quant à l'abominable pratique de fouetter les jeunes filles dans les écoles, écrit-il, je veux vous relater ce qui vient d'arriver dans une pension du nord de Londres à une jeune personne dont je suis le tuteur. Elle a dix-huit ans et y fut envoyée pour terminer sa dernière année d'éducation. Un soir, une des plus jeunes du pensionnat, fillette de douze ans, ayant été fort désobéissante, la maîtresse ordonna à ma pupille de fouetter, en sa présence, la petite dont elle retroussa aussitôt, elle-même, les jupons. L'autre naturellement, stupéfiée de cet ordre, refusa nettement de l'exécuter. Alors, la maîtresse, après avoir fessé très sévèrement la fillette, conduisit ma pupille dans la classe où sept ou huit autres de ses compagnes travaillaient, leur disant qu'elle allait faire un exemple. Elle ordonna à la jeune fille d'ôter sa robe et son pantalon, la menaçant, si elle n'obéissait pas, d'envoyer chercher le maître d'allemand pour la déshabiller. Affolée, elle céda et fut contrainte de se tenir devant ses camarades dans la plus humiliante et la plus indécente des attitudes, la moitié de ses effets enlevée et l'autre moitié retroussée jusque sur ses épaules, tandis que la maîtresse la frappait avec une verge de bouleau jusqu'à ce que le sang ruisselât sur ses cuisses; alors seulement elle s'arrêta et l'envoya au lit.»
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Je détache ce passage de la lettre d'une dame:
«L'âge où le fouet agit le plus efficacement sur les jeunes personnes varie entre quinze et dix-huit ans. C'est l'époque où les passions fermentent, prennent de la force, et il faut user d'un traitement radical. Pour les filles plus jeunes, quelques coups de baguettes bien appliqués sur le gras des jambes ou des bras produit d'ordinaire l'effet désiré. Naturellement il n'est pas possible d'établir une règle quant au nombre des coups. Tout dépend des tempéraments et des caractères. Deux filles recevant le fouet ne se conduisent pas toutes deux de la même façon sous la douleur; les unes ont la chair plus sensible que les autres, mais en général, un coup par année est ce qu'il y a de plus équitable et de plus logique. Ainsi douze coups pour une fillette de douze ans. Une de trois lustres en recevra quinze et ainsi de suite.»
«A cette théorie si simplement exposée», dit Hector France, «je n'ajouterai pas un mot. Tout commentaire serait superflu».
Maurice Alhoy.—Les Bagnes; Histoire, types, mœurs, mystères.—Édition illustrée. Paris, 1845. Un volume grand in-8o de 480 pages.
Très intéressant ouvrage qui contient un long chapitre sur la bastonnade et les punitions corporelles au bagne. Je cite les passages qui m'ont semblé les plus intéressants au point de vue du document.
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De nos jours dans les bagnes, l'office de l'exécuteur existe encore; mais ses fonctions se réduisent presque toujours à appliquer la bastonnade, châtiment qui résume là, à quelque exception près, presque toute la collection des peines… Le forçat voleur, faussaire, faux monnayeur, vit sous la tutelle de la loi, qui semble morte pour lui comme il est mort pour elle, et il peut commettre impunément tous les crimes contre la propriété, il ne court risque que de se voir étendu sur une souche qu'on nomme banc de justice, et frappé par un bras vigoureux d'un nombre de coups de gercette ou corde goudronnée, qui varie de dix à cent; et à moins que le condamné ne joue du couteau contre son gardien, qu'il ne l'étouffe dans ses bras ou qu'il ne le jette dans les flots, il rachètera tous les crimes par la flagellation.
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Il y eut à Rochefort un forçat surnommé Jean le Bourreau, qui accomplissait ses fonctions avec un appétit carnassier qui s'exaltait tellement quand le sang venait à saillir, qu'il fallait mettre près de lui plusieurs agents afin qu'il ne prolongeât pas le supplice du patient au delà des limites fixées par le jugement. Cet homme était d'une haute stature, et quoique bancal, sa force était prodigieuse. Les cicatrices d'un coup de couteau dans la main et plusieurs autres blessures dont les stigmates tatouaient ses membres, témoignaient de la haine profonde qu'il inspirait. Les liens de la parenté ou de l'intimité n'avaient aucune puissance sur la nature de cet homme; on le voyait vers le soir attendre l'heure de la rentrée des condamnés, comme le fauve qui guette un troupeau dans lequel il lui faut une proie. Un jour on lui livra pour la correction son propre neveu, forçat comme lui; et celui-ci fut si vigoureusement châtié par son inflexible oncle, qu'il faillit perdre la vie.
J'ai vu à l'hôpital le forçat Pitrou, qui avait passé par les mains de Jean le Bourreau jusqu'à vingt-cinq fois; il était impossible de regarder sans horreur le corps de ce condamné: de la nuque au talon on eût dit un spécimen de ces grandes figures d'écorchés qui servent aux études anatomiques.
La bastonnade produit un effet qui varie suivant la nature du condamné. Tel forçat n'éprouve, en la subissant, que la douleur physique, tel autre en ressent un ébranlement moral qui le rend plus indomptable ou le frappe d'atonie. Le fameux Pontis de Sainte-Hélène reçut les coups de corde sans rien perdre de cette dignité qui imposait même aux plus cyniques de la chiourme. Il subit ce châtiment sans se plaindre, et dit qu'il ressemblait au Christ innocent et flagellé. L'abbé Molitor, victime d'une cabale formée par ses compagnons de chaîne, subit la bastonnade et oublia plus vite la douleur que l'humiliation… M. le Dr Lauvergne cite un forçat, voleur, incorrigible qui, chaque jour avant le ramas, venait régler avec le commissaire la balance de ses larcins et de sa bastonnade.
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EXTRAIT DU CODE PÉNAL DES CHIOURMES
Sera puni de la bastonnade:
Le forçat qui aura limé ses fers ou employé un moyen quelconque pour s'évader;
Le forçat sur lequel il sera trouvé des objets de travestissement;
Le forçat qui volera une valeur au-dessous de 5 francs;
Le forçat qui s'enivrera;
Le forçat qui jouera des jeux de hasard;
Le forçat qui fumera dans le port ou dans sa localité;
Le forçat qui vendra ou dégradera ses effets;
Le forçat qui écrira sans permission;
Le forçat sur lequel il sera trouvé une somme au-dessus de 10 francs;
Le forçat qui battra son camarade;
Le forçat qui refusera de travailler ou commettra un acte d'insubordination.
A la campagne (traduction de Country retirement) ou comment employer agréablement les loisirs de la vie de château, traduit pour la première fois de l'anglais pour la société des Bibliophiles cosmopolites.
1 volume in-18, papier vergé (publié à 10 francs).
Cet ouvrage, fort libre, écrit avec beaucoup de chaleur, est une suite de scènes lubriques où la flagellation joue le rôle principal.
Ces tableaux sont curieux par leur originalité, mais franchement obscènes.
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QUELQUES OUVRAGES ALLEMANDS
SUR LA FLAGELLATION
Depuis quelques années, un certain intérêt s'est manifesté outre-Rhin, sur les sujets touchant la flagellation et les punitions corporelles.
Aussi, pour bien compléter cette bibliographie, je crois bon de donner un résumé des principaux ouvrages allemands en la matière.
Die Körperstrafen bei allen Völkern von den ältesten Zeiten bis auf die Gegenwart. Culturgeschichtliche Studien von Dr. Richard Wrede. Mit 118 Illustrationen und 1 Tafel. Gross 8o. 480 Seiten[59].
[59] Les punitions corporelles chez tout les peuples—depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Étude morale très documentée de M. le Dr Richard Wrede avec 118 illustrations et 1 tableau, volume in-8o, 480 pages.
Cet ouvrage est très documenté et très étendu dans ses détails. Il traite des persécutions des chrétiens et des fustigations employées à leur égard, puis il s'occupe des sectes des flagellants et de l'inquisition. Suit une description des droits de justice au moyen âge, du rôle joué par le bâton et le fouet dans l'armée et la flotte, et des punitions corporelles dans les nations slaves. Les punitions à l'école et l'emploi de la fustigation au point de vue sexuel et anormal sont traitées sous les titres généraux de Masochisme, Sadisme et Massage. L'ouvrage contient quelques illustrations intéressantes.
Stock und Peitsche im XIX. Jahrhundert. Ihre Anwendung und ihr Missbrauch im Dienste des modernen Straf und Erziehungswesens. Von D. Hansen[60].
[60] Bâton et fouet au XIXe siècle,—leurs applications et leurs abus au système des punitions corporelles et de l'éducation, par D. Hansen, 2 volumes.
Deux volumes qui, comme l'indique le titre, traitent du bâton et du fouet au point de vue de la discipline morale. Le second volume est réservé à l'emploi de ces deux instruments dans les différents pays, ainsi que de leur application dans les maladies sexuelles. Très intéressant ouvrage. La façon de traiter est très moderne.
Der Flagellantismus und die Flagellanten. Eine Geschichte der Rute in allen Ländern von Wm. M. Cooper. In das Deutsche übertragen von Hans Dohrn[61].
[61] La flagellation et les flagellants.—Une histoire du bâton dans tout les pays, par Wm. M. Cooper, traduite en allemand par Hans Dohrn.
Un volume de 196 pages. Quelques curieuses illustrations, mais point libres. Ce volume paraît être une traduction littérale de l'ouvrage anglais «History of the Rod», dont j'ai déjà parlé plus haut.
Das Deutsche Zuchthaus. Ein Beitrag zur Geschichte seiner Entstehung, Einrichtung und der darin geltenden Disciplinar-Strafen. Nebst einem Anhang: «Hausordnung des Zuchthauses zu Waldheim» von Cäsar Krause. Mit 1 Abbildung (Der Willkomm)[62].
[62] La maison de correction allemande.—Une contribution à l'histoire de son origine, établissement, et de la punition disciplinaire qui sont appliquées,—avec un appendice.—Réglementation sur la direction de la maison correctionnelle de Waldheim, par César Krause, avec frontispice.
Brochure traitant des punitions corporelles dans les prisons allemandes. Plus la lutte pour l'existence devient difficile, plus les punitions à infliger aux criminels devient importante et l'un des éléments primordiaux de cette question est l'application des peines corporelles.
Qu'est au juste une maison de correction allemande? Quels en sont le but et la direction? Comment y applique-t-on les punitions corporelles? Quel sentiment domine le règlement des punitions appliquées? C'est à ces questions complexes que répond cette brochure. Comme l'auteur l'indique dans sa préface, ceci n'est qu'un essai pour tirer de l'obscurité un sujet qui n'a pas reçu jusqu'ici l'attention qu'il méritait. La présente petite brochure comble une lacune dans ce genre de littérature. L'ouvrage contient une illustration représentant la correction infligée à un malheureux qui, presque nu, est entouré d'une foule curieuse où les femmes dominent avides de sensations mauvaises. Le prisonnier, couché sur un chevalet, est fortement maintenu.
Die Geheimnisse der Inquisition. Von M. Féréal. Grosse Ausgabe mit Illustrationen. Ein starker Band. (600 Seiten.) Bestes Werk über die Gräuel der Inquisition in Spanien.[63]
[63] Les secrets de l'Inquisition, par M. Féréal, grande édition avec illustrations (600 pages). Ouvrage sur la cruauté de l'Inquisition en Espagne (voir pour le contenu très détaillé, l'édition française de cet ouvrage bien connu).
Eine Orgie von Mönchen. Der Günstling des Inquisitors. Die Leidenschaft des Inquisitors. Wieder Joseph. Die Aebtissin der Carmeliterianer. Das Amulet des Gross-Inquisitors. Die Marterkammer. Die Kerker der Inquisition. Ein grosses Fest in Sevilla. Die Gnadenkammer. Tortur des Wassers. Die Busskammer. Der Lampenball. Eine Verschwörung. Das Autodafé. Ein Märtyrer, etc.
Ce volume qui traite des secrets de l'Inquisition est certainement traduit de l'ouvrage français bien connu de M. Féréal. Il ne manque pas d'intérêt, si l'on s'en rapporte aux titres des chapitres. L'inquisition a été si souvent traitée dans la littérature française, qu'il serait superflu de donner un compte rendu des tortures décrites dans ce volume de 600 pages. Nombreuses illustrations.
Die Strafen der Chinesen. Nach dem Englischen von H. Dohrn. Mit 21 Abbildungen in Kunstdruck und 1 Titelbilde[64].
[64] Les punitions des Chinois. Traduit de l'anglais, par H. Dohrn.—Avec 21 illustrations artistiques et frontispice.
Traite des punitions dans le peuple chinois, où la bastonnade joue un rôle important. Traduit de l'anglais.
Grausamkeit und Verbrechen im sexuellen Leben. Von Russalkow 2. Auflage. 80 Seiten[65].
[65] La cruauté et le crime dans la vie sexuelle, par Russalkow, 2e édition, 80 pages.
Voici un titre mystérieux qui, certes, promet de ne pas manquer d'intérêt. La cruauté et le crime dans la vie sexuelle en disent long. Cet ouvrage qui en est à sa seconde édition et a comme suite le volume suivant:
Ueber Schmerzzufügen. Prügelkuren.—Massage.—Schläge als Weihe.—Hang zur Grausamkeit, von Gutzeit[66].
[66] L'accoutumance à la douleur.—La guérison par le bâton.—Le massage.—Les coups comme consécration.—La pendaison comme cruauté, par Gutzeit.
Das Prügeln in der Schule. Eine Gefahr fur Bildung und Sittlichkeit, von Gutzeit[67].
[67] Le bâton à l'école: un danger pour l'éducation et la civilisation, par Gutzeit.
Trop d'instituteurs, surtout dans les écoles villageoises, se complaisent à casser maintes baguettes sur le dos des enfants qui leur sont confiés. Une façon comme une autre de faire entrer les sciences! Ce volume est dirigé contre cette odieuse pratique. Dans l'intérêt de l'enfance, nous aimerions voir cet ouvrage traduit en français et répandu parmi les éducateurs de nos enfants.
Der Gebrauch der Alten ihre Geliebte zu schlagen. Aus dem Französischen, mit Anmerkungen. Stuttgart 1856.—80. S.[68]
[68] L'usage des anciens de battre leurs fiancées.—Traduit du français avec annotations.
Le titre de cet ouvrage fait sourire… Battre sa fiancée! Voilà une coutume qui, je crois, aurait de la peine à s'acclimater en France. Quoique parfois, après le mariage, cette coutume donne trop d'exemples, je ne crois pas qu'elle serait acceptée avant le mariage. Ce volume est traduit du français; mais je n'en connais pas l'original.
Flagellum salutis, oder Heilung durch Schläge, von Paullini, nach der Ausgabe von 1698. Stuttgart, 1847.—350 Seiten[69].
[69] Le salut par la flagellation, par Paullini, d'après l'édition de 1698. 350 pages.
Ouvrage de religion mystique, traduit du latin.
Kudejar, eine historische Chronik aus der Zeit Iwans des Schrecklichen, von Kastomarow[70].—347 Seiten.
[70] Kudejar. Chronique historique du temps d'Ivan le Terrible, par Kastomarow.
Que de mystères dans cette Russie du Nord! Que de cruautés sont cachées dans les profondeurs de ce pays! Ce présent volume voit son action se dérouler sous le règne d'Ivan dit le Terrible. Je ne crois pas qu'il en existe une traduction française. Pour les lecteurs de romans palpitants, cette chronique historique de 359 pages vient à point.
Lenchen im Zuchthause. Schilderung des Strafverfahrens (Flagellantismus) in einem Süddeutschen Zuchthause vor 1848.—Ein Beitrag zur Sittengeschichte, von W. Reinhard. Hamburg, 1890[71].
[71] Hélène en prison.—Description des systèmes de punitions corporelles dans une maison pénitentiaire de femmes, située dans l'Allemagne du Sud, avant 1848. Aperçu de l'histoire des mœurs.
Cet ouvrage paraît des plus sérieux. Le lecteur en quête de scènes érotiques pour ranimer ses sens malades ne trouvera rien de semblable dans ce livre.
Parmi tous les ouvrages sur la flagellation des femmes—et ils sont légion—je crois que c'est le seul qui soit réellement vrai. Poursuivi en Allemagne au moment de sa publication, ce volume est devenu très rare, et c'est à l'érudit libraire de Dresde, M. D… qui s'occupe exclusivement de livres allemands sur ce sujet, que je dois la communication de l'exemplaire que je possède. Le plan de l'ouvrage est peu compliqué et ce n'est pas là son moindre mérite. Hélène, l'héroïne de l'ouvrage, une jeune femme d'assez bonne éducation et employée comme domestique, est accusée d'avoir volé, arrêtée, condamnée et envoyée dans une maison de correction. Pendant toute sa détention, elle entretient une correspondance suivie avec son fiancé, établi à ce moment dans un autre pays, et écrit également à une de ses anciennes amies. Dans ces lettres, elle décrit tout au long ses souffrances dans la maison de correction, ainsi que les scènes de flagellation dont elle est parfois le témoin involontaire. Comme je l'ai fait observer, l'auteur ne s'attache nullement à faire ressortir les diverses sensations plus ou moins voluptueuses qui accompagnent ordinairement ces pratiques. La jeune héroïne, certainement ignorante à ce sujet, raconte naïvement que les nobles dames du voisinage de la prison ne manquaient jamais une occasion de venir voir fouetter les hommes ou les jeunes garçons envoyés dans cette maison pour y recevoir leur peine!
A l'arrivée à la prison, les condamnées étaient préalablement soumises à la visite du chirurgien, puis fouettées. Le passage où la jeune domestique raconte son arrivée dans cet endroit infâme est certes un des plus intéressants de tout le volume. La place me manquant, je ne puis en citer malheureusement que quelques lignes[72].
[72] Je ne traduis pas littéralement. Je me contente de citer à peu près pour la compréhension de lecteur français.
Hélène, arrivant en voiture à la maison de détention, écrit:
«En descendant, je m'imaginais que quelqu'un avait prononcé ces mots:
«Ah! Ah! voilà un morceau délicat pour «la bienvenue»[73].
[73] La correction infligée à l'arrivée dans la prison s'appelait la bienvenue.
«Le cocher, qu'un gros rire soulevait approuvait de la tête. On me conduisit alors dans un petit bureau situé au rez-de-chaussée, où bientôt entra un homme qu'on me dit être le chirurgien de l'établissement.
«Hélas! c'était la conséquence obligatoire de mon entrée dans cette maison, et je devais me courber sous la loi d'inéluctable circonstance, mais, quoique je reconnaisse maintenant que je devais passer par là, je trouve qu'il n'en est pas moins honteux et dégradant de se plier à de telles exigences.
«Cependant sans avoir prononcé un seul mot, le chirurgien s'était approché de moi, et m'examinait minutieusement. Épargnez-moi l'exposé de mes sentiments pendant que cet homme me regardait: j'en mourrais de honte.
«—Elle est parfaitement saine, dit-il enfin, intacte et vigoureuse; emmenez-la.
«On me conduisit dans une autre pièce, à coté, où un commis inscrivit sur un registre mon état civil, et… mon crime! oui, mon crime! Pourtant, malheureuse que j'étais, je ne pouvais m'imaginer que j'étais une criminelle. Devant la loi, oui; devant ma conscience, jamais! Et c'est là une cruauté nouvelle ajoutée à ma torture.»
L'ouvrage se continue dans un sens approximatif, toujours bien documenté. Il vaut la peine d'être lu[74].
[74] Il vient de paraître cette année même une édition anglaise de cet ouvrage. Elle est due à l'éditeur du présent volume. Souhaitons qu'une édition française suivra bientôt.
Von der Nützlichkeit der Geisselhiebe in medizinischer und physischer Beziehung. Aus dem Lateinischen übersetzt von J. H. Meibomius. (Seltene Uebersetzung von Meibomius, de usu flagrorum in re medica et venerea.) Zwei Theile. Das Geisseln und seine Einwirkung. Eine medizin-philosoph. Abhandlung. Aus dem Französischen, in-8o, Stuttgart, 1847.
Traduction allemande du traité de Meibomius, dont j'ai déjà parlé.
Indecent Whipping, being accounts by numerous persons of their experiences of indecent punishments inflicted in Schools and elsewhere. Reprinted from «Town Talk» by desire. London, 1885[75].
[75] Fustigations indécentes, étant le récit fait par de nombreuses personnes de leurs expériences personnelles sur les fustigations indécentes infligées dans les écoles et ailleurs. Réimprimé d'après le «Town Talk», sur le désir qui en fut exprimé. Londres, 1885.
(Plaquette grand in-8o de 32 pages.)
Très intéressant volume. Édité au prix modeste de 1 fr. 25, on ne le trouve guère aujourd'hui qu'en le payant 10 ou 12 fois ce prix. C'est une série de lettres et d'histoires évidemment très véridiques qui ont paru sur le journal «Town Talk» qui, à ce moment, s'attira à Londres un mouvement de curiosité au moins aussi vif que celui provoqué par la «Pall Mall Gazette», au moment de ses révélations faites par ces vieux messieurs qui violaient de toutes jeunes fillettes, attirées par des proxénètes.
Les flagellations racontées dans cette brochure avaient été infligées en grande part à des jeunes filles d'un âge déjà respectable, soit chez elles, soit dans les écoles. L'éditeur, dans une très brève préface s'excuse d'avoir édité ces lettres, ajoutant que c'est dans le désir de voir la fustigation indécente effacée dans les maisons d'éducation.
Je crois que l'espoir d'une bonne vente n'était pas absolument étranger à cette publication. Les journaux anglais contiennent assez souvent de semblables histoires parfois très scabreuses, pour qu'il soit inutile de s'excuser de les avoir publiées. Que voulez-vous? c'est une partie de la nourriture intellectuelle des jeunes miss!
Un point d'arrêt. La place me manque et le lecteur me demande de quitter momentanément la plume. Je m'incline.
De tout cet amas de littérature spéciale, de toutes ces élucubrations qu'enfantèrent cerveaux sains et cervelles folles, que devons-nous conclure? J'ai parcouru dans tous les sens ce vaste labyrinthe, et, non sans m'être parfois égaré en route, je me retrouve à mon point de départ, observant toutefois que le trajet accompli m'a montré force beaux chemins, recoins ignorés, mystères non approfondis. Aussi vais-je m'efforcer de résumer en quelques lignes l'impression subie en route.
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Avant tout, je dois encore signaler au lecteur qu'à l'heure même où j'écris ces lignes, de nouveaux ouvrages sur la flagellation sont mis en vente. D'autre part, j'ai fait dans la présente bibliographie de nombreuses omissions, souvent volontaires. C'est ainsi que j'ai intentionnellement mis de coté les œuvres du trop fameux marquis de Sade.
Je puis citer parmi les ouvrages anglais oubliés: The Yellow Room, Lady Gay Spanker, The Lustful Turk, etc. J'y reviendrai d'ailleurs.
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Maintenant quelle utile moralité pouvons-nous déduire de cette bibliographie? Je crois que sa lecture attentive permet d'affirmer à nouveau ce que je n'ai cessé de répéter à propos de ce genre tout spécial d'ouvrages, qu'au fond de la nature humaine sommeille ce besoin de destruction, qui rend l'homme comparable à l'animal, avec cette différence toutefois, que celui-ci met bien moins de raffinement que celui-là et de cruauté dans l'assouvissement de ses passions. Quelle en est exactement la cause? Je crois que les sentiments comprimés, loin de s'étouffer tendent au contraire à éclater avec beaucoup plus de violences, et chaque siècle et chaque pays produit ses Néron, ses Sade, ou ses… Oscar Wilde.
Le crime passionnel a de tout temps vivement préoccupé l'opinion publique, et provoqué l'attention des savants. Les cas isolés qui se sont déroulés en notre pays, depuis Sade jusqu'à Vacher, ne sont que la reproduction en petit, la répétition, l'imitation sanglante d'un petit nombre, contemplateur, parfois admirateur des forfaits des peuples. Et encore ces faits sont-ils le plus souvent considérés comme des incidents qui passent sans laisser trace dans l'existence universelle.
Peut-être quelques-uns de nos lecteurs ont-ils lu les admirables articles que publia Vigné d'Octon dans un grand journal parisien. Ils se rattachaient exclusivement à la colonisation, à l'apport de notre civilisation chez les peuples qui n'en veulent pas. Et toujours, il en sera ainsi, tant qu'un petit nombre d'hommes, s'arrogera le droit d'imposer à des races inférieures leurs lois, leurs mœurs, leurs croyances.
Après les conquêtes, les luttes entre les races sœurs, le faible a dû de tous temps céder au plus fort, et l'un des plus grands capitaines—sinon bandits—que l'Europe ait possédé n'a pas craint de posséder cette phrase odieuse: La force prime le droit. Autrefois, les races aborigènes de l'Amérique, hier la Pologne, aujourd'hui d'autres peuples disputent héroïquement, aux envahisseurs doublés d'oppresseurs habillés en civilisés leurs territoires, leurs biens. Demain, les nations s'entredévoreront.
Sang, amour, massacre! ces trois mots semblant liés par un lien indissoluble régneront encore longtemps sur l'esprit des hommes. Folie sadique ou folie des grandeurs, meurtres érotiques ou viols en temps de guerre, même recommencement sinistre de l'humanité qui croît en grandeur mais aussi en épouvante.
Pourquoi ai-je été amené à parler de la flagellation? J'ai cru que c'était là le seul moyen capable de montrer combien il faut peu de chose pour réveiller le monstre qui sommeille en nous.
La luxure est certainement le mal qui fait le plus de ravages dans l'humanité. Or la luxure est bien rarement indépendante de la cruauté et, pour exercer cette dernière, la flagellation semble venir comme corollaire indispensable, complétant merveilleusement cet instinct du mal, et, qu'elle soit donnée ou soufferte, elle ne fait pas moins partie intégrante du sadisme. Parcourez les nombreux thèmes émis sur la matière. Lisez sans vous interrompre ces pages où chaque auteur s'est efforcé de dépasser son prédécesseur en horreur, et comparez à ces ordures—incontestablement ordures—les nombreuses études sérieuses publiées à ce sujet par des plumes autorisées. La différence est minime. Dans la première catégorie de ces ouvrages, une note domine: l'érotisme, mais enfanté par le cerveau quelque peu en délire d'un auteur qui rarement a du talent. Dans la seconde catégorie, les sujets étudiés—je parle des sujets humains—sont tous possédés de la manie érotique poussée à son extrême limite. Ce sont des fous.
Je n'ai nullement la prétention d'avoir mis sous les yeux des bibliophiles une liste très complète des ouvrages parus sur la flagellation. Mon intention a été plus modeste! J'ai voulu seulement montrer que ce grave sujet a des bases inébranlables dans la religion, les mœurs, depuis les temps les plus éloignés et qu'aujourd'hui, il ne le cède en rien pour sa vigueur. Et pour prouver cela, que faire, sinon s'appuyer sur l'immuable littérature. Aussi, je me promets bien de reprendre le sujet plus à fond un de ces jours et de donner une bibliographie plus complète et surtout plus ordonnée que la présente. J'ai voulu me contenter d'une esquisse, d'un léger aperçu des ouvrages sur la flagellation parus en français ou en d'autres langues, mais non pousser cette étude à fond.
Pour que tant et tant d'auteurs divers s'en soient occupés, il faut que cette passion tienne une assez large place dans nos mœurs, qu'elle s'y soit implantée d'une façon indéracinable.
Mais, me direz-vous, la presque totalité de ce genre de littérature est composée d'ouvrages anglais ou traduits de l'anglais!
C'est vrai et c'est bien là-bas que fleurit cette pratique, si, toutefois, on doit s'en rapporter à la quantité de volumes élaborés sur la matière.
A toi la palme, John Bull, car en France, tout se termine par des chansons. Oyez plutôt:
TAPEZ, MESSIEURS[76]!
[76] Extrait du Nouvelliste des concerts (25 janvier 1900).
CHANSONNETTE
Paroles de P.-L. Flers. Musique de S. Boussagol-Raiter.
I
REFRAIN
II
Au refrain.
III
Au refrain.
IV
Au refrain.
FIN DE LA BIBLIOGRAPHIE
ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY
LA FLAGELLATION A TRAVERS LE MONDE
DÉJÀ PARU DANS CETTE COLLECTION:
ÉTUDE SUR LA FLAGELLATION
Aux Points de Vue Médical, Domestique et Conjugal
Dissertation documentée, basée en partie sur les principaux ouvrages de la littérature anglaise en matière de flagellation et contenant un grand nombre de faits absolument inédits, avec de nombreuses annotations et des commentaires originaux.
Un volume in-8o carré de 500 pages, imprimé sur papier vergé
PRIX: 30 francs.
CURIOSITÉS & ANECDOTES
Sur la Flagellation et les Punitions corporelles
CONTENANT: La Cour Martiale de Miss Hayward, la Flagellation en Russie, les Larrons et le bâton, le Marquis de Sade, les punitions dans l'armée anglaise, etc., etc., etc.
Bel ouvrage in-8o carré, soigneusement imprimé, 420 pages.
Prix du volume imprimé sur vergé de Hollande: 40 fr.
Les Mystères
de la Maison de la Verveine
OU
MISS BELLASIS FOUETTÉE POUR VOL
(Tableau de l'Éducation des Jeunes Anglaises)
Un volume in-8o carré, imprimé à 500 exemplaires, sur papier vergé de Hollande, avec illustrations dans le texte.
PRIX: 20 francs.
ÉVREUX. IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY