The Project Gutenberg eBook of Par la faute de M. de Balzac

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Title: Par la faute de M. de Balzac

Author: André Maurois

Release date: January 12, 2020 [eBook #61160]

Language: French

Credits: Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK PAR LA FAUTE DE M. DE BALZAC ***

PAR LA FAUTE

DE M. DE BALZAC

PAR ANDRÉ MAUROIS

LES AMIS D'EDOUARD
N° 56

La soirée s'était passée à fumer des cigarettes en portant sur les hommes et les œuvres des jugements aussi dépourvus de bienveillance que de solidité quand, vers minuit, la conversation se ralluma tout d'un coup, comme ces feux que l'on a cru morts et qui réveillent le dormeur surpris dans une chambre illuminée.

On en était venu, j'ai oublié comment, à parler de l'inconsistance des caractères, de cette folle incohérence des désirs et des sentiments qui fait le même homme capable tour à tour de courage et de lâcheté, de libertinage et d'austérité, qui mêle parfois une pureté véritable à l'exercice de la prostitution et une générosité sincère à une avarice active, enfin qui rend si difficiles à prévoir les actes des êtres que l'on croit connaître le mieux, et le jeune Bazire, qui ne perd jamais de vue les thèses favorites de son parti, avait aussitôt profité de ce beau terrain pour les y déployer en ordre de bataille.

—Eh! oui, avait-il dit, ce que vous appelez une «personnalité» n'est qu'un chaos de sensations, de souvenirs, de tendances, et ce chaos est impuissant à s'organiser lui-même. Mais vous semblez oublier qu'il peut être organisé de l'extérieur. Une doctrine peut orienter ces petits éléments dispersés comme un aimant oriente les grains de limaille. Un grand amour, une croyance religieuse, un préjugé plus vigoureux que les autres introduisent dans un esprit l'invisible armature qui lui manquait et lui permettent d'atteindre à cet état d'équilibre qui est en somme le bonheur. Le point d'appui, le point d'accrochage d'une âme doit toujours être en dehors d'elle, et c'est pourquoi...

À ce moment Renaud ferma d'un geste sec le livre qu'il feuilletait.

—La religion? dit-il en se frottant l'œil gauche... Oui, la religion, la passion peuvent mettre de l'ordre dans un esprit... Oui... Mais pour moi qui n'ai, ni le bonheur de croire, ni la délicieuse folie d'aimer, la grande force d'équilibre, c'est plutôt la fiction... Le Prince André, de Tolstoï, le Lucien Leuwen, de Stendhal, voilà les «organisateurs de mon chaos»... Et je ne crois pas que mon cas soit bien rare... Est-ce que Rousseau n'a pas en son temps modifié, et même créé, la sensibilité de quelques millions de Français? D'Annunzio celle de l'Italien moderne? Wilde celle de quelques Anglais du début de ce siècle?... Et Chateaubriand?... Et Rimbaud?... Et Barrés?

—Pardon, interrompit l'un de nous, ont-ils créé la sensibilité de leur temps ou l'ont-ils simplement notée?

—Notée? Jamais, cher ami... Les types que dessine le grand écrivain sont ceux qu'une époque souhaite, non ceux qu'elle offre. Le chevalier courtois et galant de la chanson de geste a été imaginé dans un milieu de brutes, puis il a transformé ses lecteurs. Le héros désintéressé du cinéma de Los-Angeles est celui d'une nation d'hommes d'argent. L'art présente des modèles, l'homme les réalise, et en les réalisant les rend inutiles en tant qu'œuvres d'art. Quand la France fut pleine de Manfreds et de Renés véritables, elle se dégoûta du romantisme. Proust va nous faire une génération d'analystes qui auront horreur du roman d'analyse et n'aimeront plus que de beaux récits tout nus.

—Excellent sujet de conte d'Hoffmann ou de Pirandello, dit le jeune Bazire: les personnages du romancier s'animent et le maudissent...

—Rien n'est pourtant plus certain, cher ami, et cela est vrai jusqu'aux détails... Les gestes mêmes de vos personnages deviendront un jour des gestes de chair. Vous souvenez-vous d'une phrase de Gide: «Que de Werther secrets s'ignoraient qui n'attendaient que la balle du Werther de Gœthe pour se tuer?...» Je connais, moi, un homme dont la vie entière a été transformée par un simple geste d'un héros de Balzac.

—Avez-vous lu, dit Beltara, qu'à Venise, pendant toute une saison, un groupe de Français imagina de prendre les noms des principaux personnages de Balzac et de feindre leurs caractères? On ne rencontrait plus au café Florian que Rastignac, de Marsay, Nathan, la duchesse de Maufrigneuse; plusieurs des actrices tinrent à honneur de jouer leur rôle jusqu'au bout...

—Ce dut être charmant, reprit Renaud; encore n'était-ce qu'un jeu, tandis que pour l'homme dont je vous parle, ce fut sa vie réelle, sa vie unique, qui changea soudain de direction sous l'impulsion d'un souvenir littéraire. C'était un garçon que j'ai eu comme camarade à Normale et qui se nommait Lecadieu..., l'homme le plus remarquable, et de loin, d'une promotion qui n'était pas médiocre.

—Remarquable en quoi?

—En toutes choses... Une âme forte, étrange... le besoin de se faire une doctrine, de tout remettre en question pour tout reconstruire à sa mesure... besoin dangereux, illusoire, mais qui tout de même chez les adolescents est un des signes de la grandeur... Comme écrivain, comme orateur, il avait déjà du talent... Jamais le ton «scolaire»... D'ailleurs il lisait surtout des romans, et Stendhal, Balzac étaient ses dieux.

Il leur ressemblait un peu par la carrure. Bâti en force, il était laid, mais de cette laideur intelligente, empreinte de bonté, et comme monumentale qui est presque toujours l'enveloppe du grand romancier. Je dis «presque toujours», parce que d'autres tares moins visibles, le manque de caractère, un vice, peuvent provoquer ce besoin de se réincarner qui est nécessaire pour faire un créateur. Mais Tolstoï jeune était hideux, Balzac massif, Dostoïevski faunesque et le visage du jeune Lecadieu me rappelait celui d'Henri Beyle au moment où il quitte Grenoble.

On devinait qu'il était pauvre; il m'emmena plusieurs fois chez son beau-frère, un mécanicien de Belleville chez qui l'on déjeunait dans la cuisine et qu'il montrait à toute l'École avec une sorte d'ostentation. Sentiment très «Julien Sorel», et tout faisait voir en effet que ce caractère le hantait. Quand il parlait de la scène où Julien dans le jardin obscur saisit sans amour la main de Mme de Rénal, il avait l'air de raconter sa vie. Les circonstances ne lui permettaient d'essayer son audace que sur des servantes de bouillon Duval ou des modèles de la Rotonde, mais il attendait avec impatience le moment où il pourrait soumettre des femmes orgueilleuses, ardentes et chastes.

«Forcer l'entrée de ces salons par une grande œuvre que l'on ne puisse négliger, me disait-il, oui c'est possible... Mais avec quelle lenteur! Et d'ailleurs comment faire un bon roman sans connaître des femmes vraiment achevées?... Un avenir politique? Il y faut un patron. Comment le séduire sans le rencontrer? Une maîtresse distinguée m'épargnerait dix ans d'écoles et de basses intrigues.»

Un jour, comme il avait oublié son carnet de notes sur une table, nous l'avions feuilleté et nous étions tombés sur une page étonnante. En tête, on lisait comme une sorte de titre: Points de repère, puis au-dessous:

Musset à vingt ans est un
grand poète.                            Rien à faire.
Hoche, Napoléon à vingt-quatre
ans sont généraux en
chef.                                        Rien à faire.
Gambetta à vingt-cinq ans
est un avocat illustre.              Peut-être.
Stendhal ne publie Le Rouge
et le Noir qu'à quarante-huit
ans.                                         Voilà qui laisse de l'espoir.

Cet agenda de l'ambition nous parut alors assez ridicule, bien que l'hypothèse: Lecadieu, homme de génie, fût en somme loin d'être absurde. Dans toute vie de grand homme possible intervient à un moment imprévisible un événement minuscule qui déclenche le succès. Que serait devenu Bonaparte sans Vendémiaire à Saint-Roch? Byron sans le coup de fouet des critiques écossais? Rien sans doute que de fort ordinaire. Encore Byron boitait-il, ce qui, pour un artiste, est une force, et Bonaparte, timide, craignait les femmes. Notre Lecadieu, lui, était laid; il était pauvre; il avait du talent, mais trouverait-il son Saint Roch.

* * *

Au début de notre troisième année le directeur de l'École fit appeler dans son bureau quelques-uns d'entre nous. Ce directeur était Perrot, le Perrot de l'Histoire de l'Art, un brave homme qui ressemblait à la fois à un sanglier fraîchement sorti du bain et à un Cyclope, car il était borgne et formidable. Quand on lui demandait un conseil d'avenir, il répondait: «En sortant d'ici, tâchez de trouver une bonne place, bien payée, avec peu de travail.» Ce jour-là, il nous annonça que le député Trélivan souhaitait qu'un Normalien voulût bien donner des leçons particulières à ses fils.

Nous connaissions Trélivan, ancien ministre de l'Instruction publique, ancien Président de la Chambre, le plus cultivé, le seul spirituel des hommes d'État de ce temps-là. Dans sa jeunesse, il avait étonné le Quartier Latin en récitant debout sur une table les Catilinaires et les Philippiques. Le père Hase, le vieux professeur de grec de la Sorbonne, disait n'avoir jamais eu un meilleur élève, et vraiment il ne semblait pas que les succès politiques l'eussent trop gâté. Il conservait ce dédain du succès sans lequel le succès marque la fin d'un esprit et une sorte de fantaisie dans le langage et les attitudes qui nous enchantait. Cette idée même de désirer pour ses enfants, plutôt qu'un de leurs maîtres ordinaires, un précepteur aussi jeune que nous l'étions tous, semblait bien de Trélivan et nous plut.

J'aurais accepté volontiers d'aller chez lui quelques heures par semaine, mais Lecadieu comme «cacique» avait un droit de priorité et sa réponse était facile à prévoir. Il trouvait là l'occasion qu'il devait si fort souhaiter; il entrait de plain-pied chez un homme qui avait été puissant et le serait encore, dont il pourrait quelque jour devenir le secrétaire et qui certainement allait le lancer dans ce monde mystérieux que notre camarade prétendait dominer. Il accepta avec joie. Perrot lui conseilla de profiter de ce «haut patronage» pour se faire donner une belle place où il «croûtillonnerait» pendant le reste des jours. Le lendemain, il entrait en fonction.

J'étais son meilleur ami et son confident. Presque chaque soir nous avions ensemble, sur le palier du dortoir, de longs entretiens. Je sus dès la première semaine qu'il était désappointé, n'ayant vu Trélivan qu'une fois, le premier jour. Le ministre vivait peu chez lui. Il avait prié sa femme, avec une politesse ironique, de s'entendre avec M. Lecadieu. Mme Trélivan paraissait avoir trente-cinq ans; elle était très belle, ou du moins avait semblé telle à mon ami.

Le dimanche suivant, nous fûmes invités à déjeuner par un de nos anciens professeurs, alors devenu député. C'était un ami de Gambetta, de Bouteillier, de Trélivan, et Lecadieu en profita pour se renseigner.

—Qu'est-ce c'est que Mme Trélivan?

—Mme Trélivan?... C'est la fille d'un préfet... bonne bourgeoisie. J'ai dîné chez elle...

Lecadieu, penché sur la table, l'écoutait avec une extrême attention:

—Est-elle honnête? demanda-t-il brusquement.

—Qui? Mme Trélivan?... ça, mon ami... On lui prête des amants; moi, je n'en sais rien... Cela paraît vraisemblable. Trélivan s'occupe fort peu d'elle et la regarde d'un air plus sarcastique que tendre.

—Et vous croyez. Monsieur, qu'il tolérerait?

—Tout est possible... À Paris, vous savez... Le député de Caen écarta les mains en hochant la tête et parla des élections prochaines.

* * *

Les femmes auxquelles le monde a fait une réputation de légèreté semblent condamnées à vivre ensuite la vie qu'on leur a attribuée. Nous voyons dans un être ce que nous nous attendons à y trouver, et comme les signes du visage peuvent être interprétés de mille façons, tel jugera provocante la femme qu'il sait facile et que tel autre moins renseigné jugera simplement aimable. La certitude de réussir donne confiance à des timides et c'est ainsi qu'une femme, honnête par goût, et d'ailleurs peu sensuelle, mais livrée en otage aux désirs des hommes par des propos calomnieux, finit par céder sans plaisir à des amants dont le nombre toujours plus élevé l'étonne et la décourage.

Dès le lendemain de cette conversation, Lecadieu chez les Trélivan se considéra comme un amant heureux. Assis entre ses deux élèves, il s'admirait pour une rouerie que rien n'avait encore prouvée. Bientôt il put me dire avec satisfaction que Mme Trélivan assistait à ses leçons. Il la regardait avec une audace croissante. Elle portait toujours des robes assez ouvertes qui laissaient deviner la naissance des seins sous un voilage de tulle. Ses épaules et ses bras montraient cette fermeté pleine qui précède, sans le laisser prévoir, l'empâtement de la maturité. Le visage était sans rides ou du moins Lecadieu trop jeune pour en découvrir les imperceptibles sillons. Quand elle s'asseyait, elle découvrait des chevilles très fines que le léger grillage de la soie semblait soustraire à la matière charnelle. Ainsi elle apparaissait à Lecadieu à la fois divine par sa beauté et par les ombres savantes qui enveloppaient sa forme animale, accessible pourtant puisque la légende la disait faible.

Les conversations de mon ami et de Mme Trélivan, qui d'abord n'avaient eu d'autre sujet que les livres et la conduite des enfants, furent assez vite transformées par lui en cette sorte de badinage à la fois si grave et si futile qui sert presque toujours de prélude à l'amour. Avez-vous remarqué que, dans les conversations entre homme et femme, le ton plaisant n'est là que pour masquer l'intensité du désir? On dirait que, conscients de la force qui les emporte et du danger qui les menace, ils s'efforcent de protéger leur repos par la feinte indifférence de leurs discours. Alors tout trait est allusion, toute phrase est un coup de sonde, tout compliment une caresse. Alors discours et sentiments glissent sur deux plans superposés, et le plan supérieur où passent les mots ne peut être interprété que comme signe et symbole de l'autre où se meuvent des images confuses et grossières.

Cet ardent normalien qui voulait dominer la France par son génie se pliait à parler là des dernières pièces jouées, de romans, de robes même, et du temps qu'il faisait. Mais en parlant il regardait cette main que Julien avait saisie, cette taille que Félix de Vandenesse avait prise, et il préparait par avance les gestes décisifs.

Toutefois il concevait mal comment il passerait à ceux-ci. Les deux enfants étaient toujours présents. En vain guettait-il dans les yeux de Mme Trélivan un encouragement ou un signe d'intelligence. Elle le regardait avec un calme parfait, avec un sang-froid qui ne laissait place pour aucune hardiesse de hasard.

Chaque fois qu'il sortait du petit hôtel que les Trélivan habitaient dans l'île Saint-Louis, il errait le long des quais en méditant: «Je ne suis qu'un lâche... Cette femme a eu des amants... Elle a au moins quinze ans de plus que moi... Elle ne peut être bien difficile... Il est vrai que son mari est un homme admirable. Mais les femmes voient-elle ces choses? Elle semble s'ennuyer à la folie.» Et il se répétait avec fureur: «Je ne suis qu'un lâche... Je ne suis qu'un lâche.»

Il se serait moins méprisé s'il avait alors mieux connu l'état véritable du cœur de Mme Trélivan, renseignement que j'eus, moi, beaucoup plus tard par une amie de cette dame qui avait joué auprès d'elle, en cette période de sa vie, le rôle que je remplissais auprès de Lecadieu.

Thérèse Trélivan avait été élevée par un père voltairien et républicain, type de bourgeois français devenu rare aujourd'hui, mais très commun vers la fin de l'Empire. Cet homme avait fait instruire sa fille en dehors de toutes croyances religieuses, dans une sorte d'évangélisme démocratique inspiré de Renan et de Renouvier. À vingt ans elle avait transformé ses premières ardeurs de jeune fille en apparente passion politique et «fait une poussée» de vertu. En épousant Trélivan, jeune et déjà célèbre député d'opposition, elle avait imaginé la belle vie d'un couple consacré à l'apostolat. Elle s'était vue inspirant les discours de son mari, les copiant, soutien fidèle dans les échecs, compagne effacée et précieuse dans le succès. Ceux qui l'ont connue en ce temps là disent tous que sa naïveté, sa confiance étaient charmantes à voir. La vie devait lui offrir un spectacle bien décevant.

Trélivan, intelligence presque trop rapide, esprit sarcastique, réaliste et d'une grande pudeur d'enthousiasme, avait été beaucoup moins séduit qu'agacé par l'ardeur, peut-être maladroite, de sa femme. La naïveté plaît aux contemplateurs; elle irrite les hommes d'action. Surtout il avait éprouvé le terrible ennui qu'inspirent l'admiration et la certitude d'être aimé. Il avait repoussé d'abord tendrement, puis poliment, puis sèchement cette collaboration domestique. Les premières grossesses et les précautions qu'elles imposent lui avaient été prétexte à fuir sa maison et sa femme.

Après six ans de demi abandon, désœuvrée, agitée par un besoin confus de tendresse, celle-ci avait pris pour amant un collègue et un ami politique de Trélivan, homme brutal, exigeant, compromettant, qui lui avait donné par ses vantardises la réputation d'une femme facile, et qu'elle avait fini par haïr. Au moment où Lecadieu était entré dans la maison, elle venait enfin de quitter cet amant, non sans difficultés et déchirements, en se promettant de ne pas le remplacer. Le découragement avait fait d'elle une femme très faible, prodigieusement paresseuse, beaucoup trop indolente pour être méchante, et complètement dépourvue de sensualité.

Les vacances de Pâques vinrent interrompre les études des enfants et donner à Lecadieu le temps d'une méditation assez longue de laquelle il sortit résolu. Le lendemain de la rentrée, après la leçon, il demanda à Mme Trévilan un entretien particulier. Elle crut qu'il avait à se plaindre d'un de ses élèves et l'emmena dans un petit salon. En la suivant il était parfaitement calme, comme on l'est avant un duel quand on a bien pris son parti. Dès qu'elle eut refermé la porte, il lui dit qu'il ne pouvait plus se taire, qu'il ne vivait que pour les minutes qu'il passait auprès d'elle, qu'il avait sans cesse son visage devant les yeux, enfin la déclaration la plus artificielle et la plus littéraire, après laquelle il voulut s'approcher d'elle et lui prendre les mains.

Elle le regardait avec ennui et embarras et répétait: «Mais c'est absurde... Mais taisez-vous donc.» Enfin elle lui dit: «C'est ridicule, cessez, je vous prie, et allez vous-en» d'un ton si suppliant et en même temps si décidé qu'il se sentit vaincu et honteux. Il s'éloigna d'elle et sortit en murmurant: «Je vais demander à M. Perrot de me faire remplacer auprès de vos fils».

Dans le vestibule, il s'arrêta un instant, un peu étourdi, puis erra quelques secondes à la recherche de son chapeau, de sorte qu'un domestique, qui l'entendit, ouvrit la porte de l'office et le suivit pour le reconduire.

C'est à ce moment que cette sortie d'amant chassé, ce valet de chambre debout derrière lui, rappelèrent brusquement à mon camarade une nouvelle de Balzac qu'il venait de lire, une courte, mais très belle nouvelle qui a pour titre: La Femme Abandonnée.

Est-ce que vous vous souvenez tous de La Femme Abandonnée? Ah! Vous n'êtes pas des balzaciens... Il faut alors que je vous rappelle, pour que vous compreniez la suite, que dans ce récit un jeune homme s'introduit, sous un faux prétexte, chez une femme et lui déclare, sans préparation, l'amour le plus extravagant.

Elle lui lance un coup d'œil plein de hauteur et de mépris» et dit au valet de chambre quelle a sonné: «Jacques—ou Jean—, éclairez Monsieur». Jusque-là, c'était assez l'aventure de Lecadieu.

Mais dans Balzac le jeune homme, en traversant l'antichambre, réfléchit: «Si je quitte la maison, je serai toujours un sot pour cette femme; peut-être en ce moment ressent-elle un regret vague de m'avoir si brusquement congédié; c'est à moi de le comprendre.» Il dit alors au valet de chambre: «J'ai oublié quelque chose», remonte, trouve encore Mme de Beauséant dans le salon et devient son amant.

—Oui, pensa Lecadieu, tout en cherchant sa manche avec maladresse... Oui, c'est ma situation... Exactement... et non seulement je serai toujours un sot à ses yeux, mais elle racontera cette aventure à son mari. Et quels ennuis!... Si je remonte, au contraire...» Il dit au valet de chambre: «J'ai oublié mes gants», traversa le vestibule presque en courant et rouvrit la porte du boudoir.

Mme Trélivan était assise, songeuse, sur une petite chaise, près de la cheminée; elle le regarda avec surprise, mais avec une grande douceur:

—Quoi! Monsieur, dit-elle, c'est encore vous? Je croyais...

—J'ai dit au valet de chambre que j'avais oublié mes gants. Je vous supplie de m'entendre cinq minutes.

Elle ne protesta pas, et il paraît certain que, pendant les courts instants de réflexion que lui avait laissés la sortie de mon ami, elle avait regretté son mouvement de vertu. Ce sentiment, si humain, de mépriser ce qui s'offre et de s'accrocher à ce qui échappe, avait fait sans doute que, l'ayant chassé de bonne foi, en l'entendant s'éloigner elle avait désiré le revoir.

Thérèse Trélivan avait trente-neuf ans. Une fois encore, la dernière peut-être, la vie pouvait devenir pour elle un terrible et délicieux mélange de douleur et de joie; une fois encore elle pouvait connaître les rendez-vous, les lettres cachées, les raisonnements sans fin de la jalousie. Son amant serait un adolescent qui peut-être avait du génie; ce rêve de protection maternelle que son mari avait si sèchement interrompu, peut-être allait-elle pouvoir le reprendre avec un homme qui lui devrait tout.

Quand il s'approcha d'elle après un assez long discours qu'elle n'avait pas entendu, elle lui tendit la main et détourna les yeux avec une grâce infinie. Ce mouvement, qui était dans la tradition des héroïnes de Lecadieu, l'enchanta si fort qu'il baisa cette main avec une passion devenue sincère.

* * *

À partir de ce jour, les confidences que je reçu de lui furent beaucoup plus rares. Je pus deviner, malgré ses honorables efforts pour être discret, qu'il était fort amoureux. Il n'avait eu avant celle-ci que des maîtresses tout à fait médiocres; il ignorait à quelle beauté subtile peut atteindre la femme délicate dont le corps participe à la fois de la mouvante grâce humaine et de l'immobile perfection de l'art. Si même, comme nous l'avait dit notre député normand, Mme Trélivan était «insignifiante», elle pouvait étonner et ravir encore un enfant. Et d'ailleurs une femme amoureuse est-elle jamais insignifiante?

Elle lui apprit, entre autres choses, que les grands hommes sont des hommes. Il fut bien surpris de découvrir que ce Gambetta, ce Trélivan auxquels ils avaient toujours pensé comme à César, à Pompée, avait eu jadis ses timidités, ses hésitations. Elle lui montra des lettres d'amour qu'elle avait reçues (et dédaignées) d'un homme d'État qui passait pour le plus solide esprit de la République; elles étaient naïves et romantiques. Elle le fit dîner avec de grands écrivains, de grands savants; il fut étonné et touché en constatant que ces héros étaient accessibles aux passions.

Sa maîtresse lui enseignait, avec un naïf machiavélisme, le chemin de ces estimes qu'il avait crues lointaines. L'un qui était un grand orateur, n'était fier que d'un petit livre sur les jardins, convoitait un fauteuil académique et flattait tout ce qui l'en pouvait rapprocher. Un autre, qui passait pour notre meilleur financier, était si paresseux qu'un secrétaire énergique le gouvernait sans efforts. Un ministre qui avait pour maîtresse une actrice sans talent, était à la merci des régisseurs.

Cette rapide découverte du monde, ce brusque éclairage de la scène, ce droit si nouvellement acquis pénétrer dans les coulisses, paraissaient procurer à Lecadieu des plaisirs toujours renouvelés. Très occupé par des rendez-vous de plus en plus nombreux, par des devoirs mondains, il en était venu à travailler peu. Même son aspect avait changé; il ne pouvait s'habiller chez de grands tailleurs, mais sa façon de se coiffer, de nouer sa cravate dénonçaient l'homme qui cherche à plaire, et non plus à s'imposer.

Nous devions passer au mois de juin notre concours d'agrégation. Il ne le préparait guère, certain d'être reçu, au moins dans un rang médiocre, et décidé à quitter l'Enseignement aussitôt qu'il le pourrait.

* * *

Les chambres des élèves, à Normale, sont des sortes de loges fermées par des rideaux et alignées le long d'un couloir. La mienne était à droite de celle de Lecadieu; à gauche couchait André Klein, maintenant député socialiste de Lyon.

Quelques semaines avant le concours je fus réveillé par un bruit qui me parut étrange et, m'étant assis sur mon lit, j'entendis distinctement des sanglots. Je me levai; dans le couloir, Klein déjà alarmé épiait, l'oreille collée au rideau, devant la chambre de Lecadieu. C'était de là que venaient les gémissements.

Après m'avoir consulté d'un mouvement de tête, Klein tira le rideau. Lecadieu, encore habillé, était étendu sur son lit, en larmes. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit de la force de ce caractère, de notre respect pour lui, et vous imaginerez notre surprise.

—Qu'est-ce que tu as? lui dis-je... Lecadieu! Réponds-moi... qu'est-ce que tu as?

Il frissonna.

—Laisse-moi tranquille... Je vais m'en aller.

—T'en aller? Quelle est cette histoire?

—Ce n'est pas une histoire; je suis obligé de partir.

—Es-tu fou? On t'a renvoyé?

—Non... J'ai promis de partir.

Il secoua la tête avec fureur et se laissa retomber sur son lit. Je regardais Klein qui souleva les sourcils en avançant les lèvres.

—Tu est ridicule, Lecadieu, dit-il.

L'autre se redressa vivement.

—Enfin, lui dis-je, qu'est-il arrivé?... Mme Trélivan? Pourquoi tant de mystères?

Pendant quelques minutes il refusa de répondre. Puis convaincu sans doute de l'inutilité de sa tardive discrétion, poussé aussi par un besoin vif de se raconter, il se leva, alla devant sa glace, remit en ordre ses cheveux et sa cravate et dit avec une grande fermeté:

—Évitons au moins l'hypocrisie... Aujourd'hui, après ma leçon, Trélivan m'a fait demandé de passer à son bureau. Il m'a dit «bonjour, mon ami» et sans un mot de plus m'a tendu deux de mes lettres... Oui, j'avais eu la sottise d'écrire des lettres sentimentales... J'ai été... comment vous dire?... effondré... J'ai balbutié je ne sais quoi, des phrases incohérentes sans doute. Lui m'écoutait, tout à fait calme. Je me sentais jugé, mesuré... Il faut le connaître, vous savez, Trélivan... Un grand bonhomme... C'est ce qu'il y a de plus terrible... Enfin comme je concluais par le classique: «Je suis à votre disposition», il a secoué la cendre de sa cigarette: «Non, je vous en prie, m'a-t-il dit. Je voudrais que nous traitions cette affaire en hommes... Vous aimez ma femme; vous le lui écrivez. Elle vous aime aussi et ne le nie pas... Pour moi, je la vois à peine, comme vous avez pu le constater; nos enfants sont assez grands pour pouvoir se passer d'elle... je n'ai pas de fille... Je vais donc divorcer... Seulement, je suis un homme public et mon divorce fera quelque bruit. Pour réduire ce scandale au minimum, j'ai besoin de vous. Je vous offre une issue correcte, honorable... je ne veux pas que ma femme, restée à Paris pendant le procès, alimente, volontairement ou involontairement, les colporteurs de potins et les petits journaux à anecdotes... Je vous demande de partir, et de l'emmener. Je préviendrai votre directeur et vous ferai nommer professeur dans un collège de province...—Mais, Monsieur, lui dis-je; je ne suis pas agrégé.—Eh bien? ce n'est pas indispensable. Soyez tranquille; j'ai encore assez d'influence au ministère pour faire nommer un professeur de sixième. D'ailleurs rien ne vous empêche de continuer à préparer votre agrégation et de vous y présenter l'an prochain. Je vous ferai alors donner un poste meilleur... Surtout ne croyez pas que je me prépare à vous persécuter... Bien au contraire. Vous vous trouvez dans une situation difficile, pénible; je le sais, j'en tiens compte et si vous acceptez mes conditions, je vous aiderai à en sortir... Si vous les refusez, je me verrai obligé d'user des armes légales.»

Il y eut un silence; puis Klein demanda:

—Les armes légales?... Qu'est-ce que cela veut dire? Qu'est-ce qu'il peut te faire?

—Oh! tout... le procès en adultère... Et puis un homme comme lui peut fermer toute carrière. Résister serait fou. En cédant au contraire... qui sait?

—Tu as accepté?

—Je pars dans huit jours, avec elle, pour le collège de Luxeuil.

* * *

En ce temps-là, j'étais, comme Lecadieu, bien jeune, et ce coup de théâtre avait quelque chose de si dramatique que j'en acceptai la fatale nécessité sans penser à la discuter. Plus tard, quand j'ai réfléchi à ces événements de sang-froid et avec quelque connaissance des hommes, j'ai compris que Trélivan avait habilement profité de l'inexpérience d'un enfant pour déblayer sa propre vie avec peu de dégâts. On ne pouvait l'en blâmer. Il y avait longtemps qu'il désirait se débarrasser d'une femme infidèle et qui l'ennuyait. Il avait connu l'existence du premier amant, «l'ami politique», mais avait hésité à déclencher un scandale qui eût atteint et peut-être divisé le parti, et surtout qui l'eût exposé à retrouver dans son monde cette femme remariée dont la présence lui eût été désagréable. L'exercice de la politique lui avait appris à attendre et il avait guetté patiemment l'occasion favorable.

Il n'en pouvait trouver de plus belle: Un adolescent écrasé par son prestige; sa femme écartée de Paris pour longtemps, pour toujours peut-être si elle suivait son amant (et il était probable qu'elle le suivrait parce qu'il était jeune et qu'elle l'aimait); ses enfants enfin, auxquels il tenait, confiés à lui sans discussion possible. Il avait vu là une partie sûre à jouer et l'avait gagnée sans effort.

Quinze jours plus tard, Lecadieu avait disparu de notre vie. Il écrivit quelquefois, ne parut pas au concours d'agrégation de cette année-là, ni au suivant. Les ondes soulevées par cette chute diminuèrent, disparurent. Un faire-part m'annonça son mariage avec Mme Trélivan. Je sus par des camarades qu'il était agrégé, par un inspecteur général qu'il avait été nommé au lycée de B..., poste très demandé, «grâce à des influence politiques», puis je quittai l'Université et l'oubliai, avec beaucoup d'autres.

* * *

L'an dernier, les hasards d'un voyage m'ayant conduit à B..., j'eus la curiosité d'entrer au lycée qui est installé dans une ancienne abbaye et l'un des plus beaux de la France, et de demander au concierge ce qu'était devenu M. Lecadieu. Ce concierge était un homme gras et pompeux qui, sans doute à force de promener dans une atmosphère chargée de science le cahier des absents et celui des retenues, avait acquis une sorte de pédantisme vulgaire tout à fait antipathique.

—M. Lecadieu? me dit-il... M. Lecadieu appartient au corps des professeurs de ce lycée depuis plus de vingt ans, et nous espérons qu'il y attendra sa retraite... D'ailleurs, si vous voulez le voir, vous n'avez qu'à traverser la cour d'honneur et à descendre dans la cour des petits, par l'escalier de gauche. Il est certainement par là à causer avec la surveillante.

—Comment! Le lycée n'est pas en vacances?

—Si, mais Mlle Septime accepte de garder quelques enfants dans la journée pour des familles de la ville. M. le Proviseur veut bien l'y autoriser, et M. Lecadieu vient lui tenir compagnie.

—Tiens! Mais il est marié, Lecadieu, n'est-ce pas?

—Il l'était, Monsieur, me dit mon concierge d'un air de reproche et d'une voix tragique. Nous avons enterré Mme Lecadieu il y a un an, la veille de la Saint-Charlemagne.

—Au fond, c'est vrai, pensai-je, elle devait avoir près de soixante-dix ans, Mme Trélivan... La vie de ce ménage a dû être bien étrange.

Et la curiosité l'emportant sur l'antipathie, je demandai encore:

—Elle était beaucoup plus âgée que lui, n'est-ce pas?

—Monsieur, dit-il, ce que je vais vous dire va vous sembler incroyable, mais je ne l'avais jamais vue. C'étaient des gens qui vivaient tout seuls... une maison fermée... Oh! lui, il n'y a rien à dire... Il faisait bien régulièrement ses visites, mais elle, elle était fière...

Je vis qu'il allait me raconter toute l'histoire et, me hâtant de profiter de sa première offre, je traversai la cour d'honneur. C'était un ancien cloître du Quinzième, un peu déshonoré par des fenêtres trop nombreuses à travers lesquelles on apercevait des bancs et des tables fendillés. À gauche, un escalier voûté descendait vers une cour plus petite entourée de maigres arbres. Au pied de cet escalier, deux personnages se tenaient debout: un homme qui me tournait le dos et une grande femme au visage osseux, aux cheveux gras, dont le corsage de flanelle à carreaux était soulevé en cercle rigide par un corset citadelle à la mode ancienne. Ce couple paraissait engagé dans une conversation animée. Le passage voûté, faisant tuyau acoustique, m'apporta une voix qui évoqua avec une extraordinaire netteté le palier du dortoir de Normale et voici ce que j'entendis:

—Oui, Corneille est peut-être plus fort, mais Racine est plus tendre, plus délicat. La Bruyère a dit avec beaucoup d'esprit que l'un peint les hommes tels qu'ils sont; l'autre...

Entendre dire de telles platitudes à une telle interlocutrice, et penser qu'elles étaient dites par un homme qui avait été le confident de mes premières idées et l'influence la plus forte que que j'eusse subie dans ma jeunesse, cela me parut si étrange et surtout si pénible que je fis sous la voûte deux pas brusques vers lui. Il tourna la tête, découvrant une noble barbe carrée grisonnante, un grand crâne chauve. Mais c'était bien Lecadieu. Lui aussi me reconnut aussitôt, et son visage prit une vague expression d'ennui et presque de douleur qui disparut immédiatement sous un sourire artificiel.

Assez ému, ne désirant pas parler du passé devant la surveillante à tête de gendarme, j'invitai rapidement mon ami à déjeuner et lui donnai rendez-vous à midi dans le restaurant de l'endroit. Quand j'y arrivai, après avoir vu comme il convenait l'Ingres douteux du Musée et la crypte de la cathédrale, Lecadieu était déjà là et poursuivait avec la patronne, petite femme grasse aux accroche-cœurs noirs, une conversation érudite et badine dont les dernières phrases me soulevèrent le cœur. Je me hâtai de l'entraîner vers une table.

Vous connaissez cette volubilité inquiète des hommes qui redoutent une allusion pénible. Dès que la conversation tend à s'approcher des thèmes «tabou», une fausse animation dénonce leur anxiété. Leurs phrases sont alors comme ces trains vides que le commandement fait circuler dans les secteurs vulnérables pour détourner une attaque prévue. Pendant tout le repas, mon Lecadieu ne cessa de parler avec une éloquence facile, fluviale, banale jusqu'à l'absurde, de la ville de B..., de son collège, du climat, des élections municipales, des intrigues des professeurs-femmes.

«Il y a ici, mon vieux, en dixième préparatoire, une petite institutrice...»

Pour moi, la seule chose qui m'eût intéressé aurait été de savoir comment cette belle ambition avait renoncé, comment cette dure volonté avait capitulé, enfin ce qu'avait été sa vie sentimentale depuis le jour où il avait quitté Normale. Mais chaque fois que j'essayais de l'entraîner de ce côté, il obscurcissait l'air tout autour de nous d'un jet de paroles vaines et confuses.

Comme on servait le fromage, je devins furieux et perdant toute mesure, je lui dis brutalement en le tenant sous mon regard:

«Quel jeu joues-tu donc, mon ami?... Tu as pourtant été intelligent?... Pourquoi parles-tu comme un recueil de morceaux choisis?... Pourquoi as-tu peur de moi?... Et de toi?»

Il devint très rouge; une rapide lueur de volonté, peut-être de colère, passa dans ses yeux, et pendant quelques instants je retrouvai mon Lecadieu, mon Julien Sorel, mon Rastignac de l'école. Mais tout de suite le masque officiel vint se replaquer sur le grand visage barbu et, avec un sourire:

—Comment? me dit-il... Quoi, intelligent?... Que veux-tu dire? Tu as toujours été singulier.»

Puis il me parla de son proviseur: M. de Balzac avait achevé son homme.