The Project Gutenberg eBook of Les grandes chroniques de France (6/6)

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Title: Les grandes chroniques de France (6/6)

Author: Paulin Paris

Release date: March 6, 2021 [eBook #64721]

Language: French

Credits: Mireille Harmelin, Laurent Vogel, DP Europe, DP-Test Italia and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES GRANDES CHRONIQUES DE FRANCE (6/6) ***

LES
GRANDES CHRONIQUES
DE FRANCE,

SELON QUE ELLES SONT CONSERVÉES
EN L'ÉGLISE DE SAINT-DENIS
EN FRANCE.

PUBLIÉES PAR M. PAULIN PARIS,
De l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres.

TOME SIXIÈME.

PARIS.
TECHENER, LIBRAIRE,
12, PLACE DU LOUVRE.

1838.

PARIS. — IMPRIMERIE DE BÉTHUNE ET PLON,
36, rue de Vaugirard.

CY COMENCENT LES FAIS DU BON ROY JEHAN.

I.

Du couronnement du roy Jehan, des chevaliers qu'il fist et de la mort monseigneur Raoul conte d'Eu et de Guynes, lors Connestable de France.

ANNÉE 1350

[1]Après le trespassement du roy Phelippe de Vallois régna pour luy Jehan, son ainsné fils ; et fu couronné en l'église de Rains, le dimenche vint-sixiesme jour de septembre, l'an de grace mil trois cent cinquante. Et aussi à celluy jour fu couronnée la royne Jehanne, femme dudit roy Jehan. Et après ce couronnement, fist le roy pluseurs chevaliers nouveaux, c'est assavoir : Charles, son ainsné fils, dauphin de Vienne ; Loys, son secont fils ; le conte d'Alençon[2] ; le conte d'Estampes ; monseigneur Jehan d'Artois ; monseigneur Phelippe, duc d'Orléans, frère dudit roy Jehan ; monseigneur d'Artois ; le duc de Bourgoigne, fils de la devant dite royne Jehanne de son premier mari, c'est assavoir de monseigneur Phelippe de Bourgoigne ; le conte de Dampmartin et pluseurs autres.

[1] A partir d'ici jusque vers 1356, les anciennes éditions de Froissart ne font guère que reproduire le texte de nos chroniques. C'est l'un des endroits sinon les plus agréables du moins les plus véridiques de ce fameux historien. M. Buchon, dans ses éditions, a remplacé cette lacune par un texte dont la plus grande partie semble effectivement plus conforme au style de Froissart.

[2] Le conte d'Alençon. Charles IIIe du nom, et non pas Louis, fils du roi, comme le dit Villaret. — Le conte d'Estampes. Louis d'Evreux, tige des comtes d'Eu. — Monseigneur Jehan d'Artois, surnommé Sans Terre, fils du fameux Robert. Le conte de Dampmartin, Charles.

Les choses ainsi faites, le roy se parti de la dite ville de Rains le lundi au soir, et s'en retourna à Paris par Laon, par Soissons et par Senlis. Et entrèrent lesdis roy et royne à Paris à très belle feste, le dimenche dix-septiesme jour du mois d'octobre ensuivant, après vespres, et dura la feste toute la sepmaine. Et puis demoura le roy à Paris, à Neelle[3] et au palais, jusques à la saint Martin d'yver ensuivant, et fist l'ordenance de son parlement[4]. Et quant le roy entra en Paris, au retour de son joyeux avènement, la ville de Paris et grant pont[5] estoient encourtinés de divers draps ; et toutes manières de gens de mestier estoient vestus chascun mestier d'unes robes pareilles ; et les bourgois de la dite ville d'unes autres robes pareilles[6] ; et les Lombars qui en la dite ville demouroient furent vestus tous d'unes robes parties de deux tartares de soye[7], et avoient chascun sur sa teste chappiaux haus agus et mi-partis de meismes leur robes ; et tous les uns après les autres, les uns à cheval et les autres à pié, alèrent au devant du roy qui entra à Paris à grant joye ; et jouoit-l'en devant luy de moult de divers instrumens[8].

[3] A Neelle. Sans doute à l'Hôtel de Nesle, situé sur la rive gauche de la Seine, en face du Louvre.

[4] A l'avènement de chaque roi, tous les officiers judiciaires avoient besoin d'une nouvelle investiture, autrement ils étoient désappointés : expression que nous avions laissée vieillir avant de la reprendre des Anglois, dans une acception moins exacte.

[5] Grand Pont. Le Pont aux Changeurs.

[6] D'unes autres robes. On voit ici suffisamment la distinction des gens de métier, ou ouvriers, et des bourgeois. M. Guizot dira-t-il encore que c'est lui et ses amis qui ont inventé la classe moyenne?

[7] Tartares de soie. Les tartares étoient de longues robes dont le tissu semble avoir été généralement de bourre de laine ou de soie. (Voy. les citations de Ducange au mot tartarius.) Peut-être, de là, le mot moderne de tartans, châles de bourre de laine.

[8] Cette entrée est représentée dans une miniature charmante de l'admirable manuscrit de nos Chroniques, no 6 Supplément françois.

Le mardi qui fu le seiziesme jour de novembre ensuivant, l'an devant dit, Raoul, conte d'Eu et de Guynes[9], lors connestable de France, qui nouvellement estoit venu d'Angleterre de sa prison, en laquelle il avoit esté depuis l'an quarante et six qu'il avoit esté pris à Caen ; fors tant que il avoit esté eslargi par pluseurs fois pour venir en France, fu prins en l'ostel de Neelle à Paris là où le roy estoit, par le prévost de Paris du commandement du roy. Et audit ostel de Neelle fu tenu prisonnier jusqu'au jeudi ensuivant, dix-huitiesme jour dudit mois de novembre. Et là, à heure de matines dont le vendredi ajourna[10], en la prison où il estoit fu décapité, présent le duc de Bourbon[11], le conte d'Armagnac, le conte de Montfort, monseigneur Jehan de Bouloigne, le seigneur de Revel et pluseurs autres chevaliers et autres qui, du commandement du roy, estoient là ; lequel roy estoit au palais. Et fu ledit connestable descapité pour très grans et mauvaises traïsons que il avoit faites et commises contre ledit roy Jehan ; lesquelles traïsons il confessa en la présence du duc d'Athènes[12] et de pluseurs autres de son lignage. Et fu enterré le corps aux Augustins de Paris, hors du moustier, du commandement du roy, pour l'honneur des amis dudit connestable.

[9] Guynes. Et non pas Guyenne, comme le dit Villaret. Raoul étoit de la maison de Brienne.

[10] Dont le vendredi ajourna. C'est-à-dire : à l'heure où le jour commençoit à poindre.

[11] Bourbon. Variantes Bourgoigne. Je suis de préférence la leçon de Charles V, msc. 8395 ; et d'autant plus volontiers, à compter d'ici, que la transcription en est d'une main plus récente et que suivant toutes les apparences elle a été revue attentivement par Charles V lui-même.

[12] Duc d'Athènes. Gauthier de Brienne.

II.

Coment le roy Jehan fist connestable monseigneur Charles d'Espaigne, et de pluseurs incidences.

ANNÉE 1351

Au mois de janvier après ensuivant, Charles d'Espaigne à qui ledit roy avoit donné la conté d'Angoulesme, fu fait par icelluy roy connestable de France[13]. Item, le premier jour d'avril après ensuivant, se combati monseigneur Guy de Neelle, mareschal de France, en Xaintonge à pluseurs Anglois et Gascoins, et fu ledit mareschal et sa compaignie desconfis ; et y furent pris ledit mareschal, monseigneur Guillaume, son frère, monseigneur Arnoul d'Odeneham et pluseurs autres. Item, le jour de Pasques flouries qui furent le dixiesme jour d'avril l'an mil trois cent cinquante, fu présenté à Giles Rigaut de Roicy, qui avoit esté abbé de Saint-Denis en France et de nouvel avoit esté fait cardinal, le chappel rouge, au palais à Paris, en la présence dudit roy, par les évesques de Laon et de Paris, et par mandement du pape fait à eux par bulle ; ce qui n'avoit pas acoustumé à estre fait autrefois[14] ; mais ce fut par la prière dudit roy. Item, au mois de septembre mil trois cent cinquante un, fu recouvrée des François la ville de Saint-Jehan-d'Angéli, que les Anglois avoient tenue cinq ans ou environ ; et fu rendue par les gens du roy anglois sans bataille aucune pour ce qu'il n'avoient nuls vivres. En celuy an fu la plus grande chierté de toutes choses que homme qui lors vesquist eust oncques veu au royaume de France, et, par espécial, de grains : car un setier de forment valut à Paris, par aucun temps en ladite année, huit livres parisis ; un setier d'avoine soixante sous parisis ; un setier de pois huit livres parisis, et les autres grains à la value. Et en celuy an fu fait le mariage de monseigneur Charles d'Espaigne, lors connestable de France à qui ledit roy Jehan avoit donné la conté d'Angoulesme, et de la fille monseigneur Charles de Blois, duc de Bretaigne.

[13] Il en exerçoit les fonctions depuis plusieurs années sous le nom du comte d'Eu, prisonnier en Angleterre. Charles étoit fils du célèbre Ferdinand de la Cerda et, par sa grand-mère, arrière petit-fils de saint Louis.

[14] Auparavant, les cardinaux étoient obligés d'aller trouver le pape pour recevoir de ses mains les insignes de leur nouvelle dignité. Il y avoit précisément un siècle que les cardinaux partageoient avec les légats l'honneur de porter le chapeau rouge ; sans doute parce qu'à compter du concile de Lyon en 1246, on les considéra comme légats par le fait même de leur titre de prêtres cardinaux.

III.

Coment la ville et le chastel de Guynes furent pris des Anglois par traïson, le jour que le roy Jehan faisoit à Saint-Ouyn la feste de l'Estoille[15].

[15] Le msc. de Charles V ajoute ici : Laquelle feste est cy-après pourtraite et ymaginé. En effet, dans une curieuse miniature on voit les chevaliers de l'Étoile habillés d'une blanche tunique serrée par une ceinture dorée, puis d'un riche manteau fourré de ceux qu'on appeloit d'hermine angoulé. Le roi sur son trône porte le même costume, et comme eux une grande étoile semblable aux plaques de nos grands dignitaires, au côté gauche de la poitrine. Au-dessous de ce premier tableau est celui du dîner des chevaliers de l'Étoile.

En celuy an mil trois cent cinquante un dessus dit, au mois d'octobre, fu publiée la confrairie de la noble maison de Saint-Ouyn près de Paris, par ledit roy Jehan ; et portoient ceux qui en estoient chascun une estoille en son chaperon par devant ou en son mantel. Durant ceste feste de l'estoille, fu prise par traïson des Anglois la ville et le chastel de Guynes : car bonnes trièves estoient jurées entre les roys de France et d'Angleterre ; et pour ce, en celle seurté, estoit venu veoir ladite feste le sire de Banelinguehem, capitaine et garde dudit lieu[16]. Et durant ce, les Anglois traictièrent avecques un de ceux à qui la garde dudit chastel estoit bailliée, nommé Guillaume de Biauconroy ; et par traïson, sans ce que deffense y fust mise, y entrèrent. De laquelle prise le peuple s'esmerveilla trop, disant que vérité, loyauté né foy n'estoit ès Anglois. Et pour ce fu pris ledit Guillaume qui, pour la traïson ainsi faite par luy à la requeste desdis Anglois, fu descapité et pendu comme raison estoit.

[16] Le roi l'avoit sans doute mandé lui-même pour recevoir les insignes du nouvel ordre. Le nombre des chevaliers fut dès le premier jour porté à cinq cents. C'était trop peut-être ; mais il en survécut un bien petit nombre à la déroute de Poitiers. — Biauconroy. Var. : Biaucony, Beaucerny. (Voyez les curieux statuts de l'ordre de l'Étoile dans Villaret, vol. II, p. 38 et suivant.)

IV.

Coment le duc de Lenclastre et le duc de Bresvic vindrent à Paris pour eux combatre devant le roy Jehan, mais le roy prist le fait en sa main.

ANNÉE 1352

En l'an mil trois cent cinquante deux, la vigile Notre-Dame mi-aoust, se combati monseigneur Guy de Neelle, seigneur d'Aufemont, lors mareschal de France en Bretaigne, contre les Anglois ; et fu ledit mareschal occis en la bataille, et avec luy le sire de Briquebec, le chastelain de Beauvais et pluseurs autres nobles tant du pays de Bretaigne comme d'autres marches du royaume de France. En celuy an, le mardi quatriesme jour de décembre, se dut combatre à Paris un duc d'Allemaigne appelé le duc de Bresvic[17] contre le duc de Lenclastre, pour paroles[18] que ledit duc de Lenclastre devoit avoir dites dudit duc de Bresvic, dont il l'appela en la court de France. Et vindrent ledit jour les deux ducs dessus nommés en champ tous armés, pour combatre en unes lices qui, pour ce, furent faites au Pré-aux-Clercs : l'Allemant demandeur, et l'Anglois deffendeur. Et jasoit ce que ledit Anglois feust anemi du roy de France, et que, par sauf-conduit, il feust venu soy combatre pour garder son honneur, touteffois, ne souffrist pas le roy que il se combatissent ; mais depuis que il orent fait les seremens et que il furent montés à cheval pour assembler, les glaives ès poings, le roy prist la besoigne sur luy et les mist à accort. En cel an mil trois cent cinquante deux le jeudi sixiesme jour de décembre, mourut pape Clément VI à Avignon, lequel estoit en le onziesme an de son pontificat. Le mardi ensuivant dix-huitiesme jour de décembre, fu esleu en pape, environ heure de tierce, un cardinal lymosin que l'en appelloit par son titre le cardinal d'Ostie ; mais pour ce que il avoit esté évesque de Clermont, on l'appelloit plus communément le cardinal de Clermont ; et fu appellé Innocent : et par son propre nom estoit appellé monseigneur Estienne Aubert.

[17] Bresvic. Brunswick.

[18] Voici la première fois que je trouve une proposition de duel faite à l'occasion de mauvaises paroles.

V.

De la mort monseigneur Charles d'Espaigne, connestable de France.

ANNÉE 1353

L'an de grace mil trois cens cinquante trois, le huitiesme jour de janvier, monseigneur Charles, roy de Navarre et conte de Evreux, fist tuer en la ville de Laigle, en Normendie, en une hostellerie, monseigneur Charles d'Espagne, lors connestable de France. Et fu ledit connestable tué en son lit, assez tost après le point du jour, par pluseurs gens d'armes que le roy de Navarre y envoia ; lequel roy demoura en une granche au dehors de ladite ville de Laigle, jusques à tant que ceux qui firent ledit fait retournèrent par devers luy. Et en sa compaignie estoient, si comme l'en dist, monseigneur Phelippe de Navarre, son frère, monseigneur Jehan, conte de Harecourt, monseigneur Loys de Harecourt son frère, monseigneur Godefroy de Harecourt leur oncle, et pluseurs autres chevaliers et autres gens, tant de Normendie comme Navarrois et autres. Et après, se retraist ledit roy de Navarre et sa compaignie en la cité d'Evreux dont il estoit conte, et là se garny et enforça ; et aveques luy se alièrent pluseurs nobles, par espécial de Normendie, c'est assavoir : les dessus nommés de Harecourt, le seigneur de Hembuye, monseigneur Jehan Malet seigneur de Graville, monseigneur Amaury de Meulent et pluseurs autres. Et assez tost après, se transporta ledit roy de Navarre en la ville de Mante, qui jà par avant avoit envoié lettres closes en pluseurs des bonnes villes du royaume de France et aussi au grant conseil du roy, par lesquelles il escripvoit que il avoit fait mettre à mort ledit connestable pour pluseurs grans mesfais que ledit connestable li avoit fais ; et envoia le conte de Namur par devers le roy de France à Paris. Et depuis, le roy de France envoia en ladite ville de Mante, par devers ledit roy de Navarre, pluseurs grans hommes, c'est assavoir : Monseigneur Guy de Bouloigne cardinal, monseigneur Robert le Coq évesque de Laon, le duc de Bourbon, le conte de Vendosme et pluseurs autres, lesquels traictièrent avec ledit roy de Navarre et son conseil. Car combien que ledit roy de Navarre si eust fait mettre à mort ledit connestable, comme dessus est dit, il ne luy souffisoit pas que ledit roy de France, de qui il avoit espousée la fille, luy pardonnast ledit mesfait ; mais faisoit pluseurs requestes au roy son seigneur, tant que l'en cuidoit bien que, entre les deux roys dessus dis, déust avoir grant guerre ; car ledit roy de Navarre avoit fait grans aliances et grans semonces en diverses régions ; et si garnissoit et enforçoit ses villes et ses chastiaux. Finablement, après pluseurs traitiés fu fait accort entre les deux roys dessus dis par certaines manières dont aucuns des poins s'ensuivent. C'est assavoir : Que ledit roy de France bailleroit audit roy de Navarre trente-huit mil livres de terre à tournois, tant pour cause de certaine rente que ledit roy de Navarre prenoit sur le trésor du roy à Paris, comme pour autres titres que ledit roy de France luy devoit asseoir par certains traitiés fais lonc-tems avant entre les prédécesseurs desdis deux roys pour cause de la conté de Champaigne, et tout aussi pour cause du mariage dudit roy de Navarre qui avoit espousé la fille dudit roy de France ; pour lequel mariage luy avoit esté promise certaine quantité de terre ; c'est assavoir : douze mil livres à tournois. Pour lesquelles trente-huit mil livres de terre devant dites, il voult avoir la conté de Biaumont-le-Rogier, la terre de Breteuil en Normendie, les terres de Conches et d'Orbec, la visconté du Pont-Audemer et le baillage de Constentin. Lesquelles choses luy furent accordées par ledit roy de France : ja fust ce que la conté de Biaumont et les terres de Breteuil, d'Orbec et de Conches fussent à monseigneur Phelippe, frère du roy de France, qui estoit duc d'Orléans ; auquel duc le roy, son frère, bailla autres terres en récompensacion de ce. Outre ce, convint accorder audit roy de Navarre, pour avoir paix, que les devant dis Harecourt et tous les autres aliés entreroient en sa foy, sé il leur plaisoit, de toutes leur terres, quelque part qu'elles fussent au royaume de France, et en auroit ledit roy de Navarre les hommages, sé il vouloient, autrement non.

Oultre ce, luy fu accordé qu'il tendroit toutes lesdites terres, avec celles que il tenoit par avant en parrie. Et pourroit tenir eschequier, deux fois l'an, sé il vouloit, aussi noblement comme le duc de Normendie. Encore luy fu accordé que le roy de France pardonroit à tous ceux qui avoient esté à mettre à mort ledit connestable, la mort d'iceluy. Et ainsi le fist, et promist par son serement que jamais pour achoison de ce, ne leur feroit ou feroit faire vilenie ou dommage. Et aveques toutes ces choses, ot encore ledit roy de Navarre une grant somme d'escus d'or dudit roy de France ; et avant ce que ledit roy de Navarre voulsist venir par devers le roy de France, il convint que l'en luy envoiast le conte d'Anjou, second fils du roy de France, par manière d'ostage. Et après ce, vint à Paris à grant foison de gens d'armes[19].

[19] Quoi qu'on en ait dit, cet accommodement du roi Jean et de Charles-le-Mauvais étoit conseillé par une saine et bonne politique. On ne pouvoit sitôt oublier les suites de la défection de Robert d'Artois et de Geoffroi d'Harcourt. Déjà, si l'on s'en rapporte à Froissart, la flotte angloise étoit en mer, et la nouvelle de la réconciliation des deux princes lui fit rebrousser chemin.

VI.

Coment le roy de France pardonna au roy de Navarre la mort de monseigneur Charles d'Espaigne, connestable de France.

Le mardi, quatriesme jour du moys de mars audit an mil trois cens cinquante trois, vint ledit roy de Navarre en parlement à Paris, pour la mort dudit connestable, si comme dit est, environ heure de prime ; et descendi au palais, et puis vint en la chambre de parlement en laquelle estoit le roy en siège, et pluseurs de ses pers de France avec les gens de parlement et pluseurs autres de son conseil ; et si y estoit le cardinal de Bouloigne. Et, en la présence de tous, parla ledit roy de Navarre au roy que il luy voulsist pardonner le fait dudit connestable, car il avoit eue bonne cause et juste de avoir fait ce que il avoit fait, laquelle il estoit prest de dire au roy, lors ou autre fois, si comme il disoit. Et oultre dit encore et jura qu'il ne l'avoit point fait en contempt du roy né de son office, et que il ne seroit de rien si courroucié comme d'estre en l'indignacion du roy. Et ce fait, monseigneur Jaques de Bourbon, connestable de France, par le commandement du roy mist la main au[20] roy de Navarre, et puis si le fist-l'en traire arrière. Et assez tost après, la royne Jehanne, ante, et la royne Blanche, suer dudit roy de Navarre, laquelle royne Jehanne avoit esté femme du roy Charles dernièrement trespassé, vindrent en la présence du roy et luy firent la réverence en eux inclinant devant luy. Et à donc, monseigneur Regnault de Trie, dit Patroullart, se agenouilla devant le roy et luy dist teles parolles en substance : « Mon très redoubté seigneur, véés-ci mesdames la royne Jehanne et la royne Blanche qui ont entendu que monseigneur de Navarre est en vostre male grace, dont elles sont fortement courouciées ; et pour ce sont venues devers vous : et vous supplient que vous luy vueillez pardonner vostre mal talent ; et, sé Dieu plaist, il se portera si bien par devers vous que vous et tout le peuple de France vous en tendrez bien contens. »

[20] Mist la main au. Porta la main sur le.

Les dites paroles dites, lesdis connestable et mareschaus alèrent querre ledit roy de Navarre et le firent venir devant le roy, lequel se mist entre les deux roynes, et à donc ledit cardinal dit en substance les paroles qui s'ensuivent :

« Monseigneur de Navarre, nul ne se doit esmerveiller sé monseigneur le roy s'est tenu à mal content de vous, pour le fait qui est advenu, lequel il ne convient jà que je die, car vous l'avez par vos lettres si publié et autrement que chacun le scet. Et vous estes tant tenu à luy que vous ne le déussiez jamais avoir fait. Vous estes de son sanc, si prochain comme chascun scet ; vous estes son homme et son per, et si avez espousée madame sa fille, et de tant avez-vous plus mespris. Toutefois pour l'amour de mesdames les roynes qui cy sont qui moult affectueusement l'en ont prié, et aussi pour ce que il tient que vous l'avez fait par petit conseil, il le vous pardonne de bon cuer et bonne volenté. »

Et lors lesdites roynes et ledit roy de Navarre qui mist le genoul à terre en mercièrent le roy. Et encore dist le cardinal que aucun du lignage du roy ne se avanturast d'ores en avant de faire tels fais comme le roy de Navarre avoit fait : car vraiement sé il advenoit et fust le fils du roy qui le féist du plus petit officier que il eust, si en feroit-il justice. Et ce fait et dit, le roy se leva et la court se départi.

Item, le vendredi devant la my caresme après ensuivant, vint-et-uniesme jour du moys de mars, un chevalier baneret des Basses-Marches, appellé monseigneur Regnaut de Pressigny, seigneur de Marant près de la Rochelle, fu trainé et puis pendu au gibet de Paris, par le jugement de parlement et de pluseurs du grant conseil du roy.

VII.

De la réconciliation de ceux de Harecourt pour la mort dudit connestable.

ANNÉE 1354

L'an mil trois cens cinquante quatre, environ le moys d'aoust, se réconcilièrent au roy de France lesdis conte de Harecourt et monseigneur Loys, son frère ; et luy durent moult révéler de choses, si comme l'en disoit, et par espécial luy durent révéler tout le traitié de la mort dudit monseigneur Charles d'Espaigne, jadis connestable de France, et par qui ce avoit esté. Assez tost après, c'est assavoir au moys de septembre, se parti de Paris ledit cardinal de Bouloigne et s'en ala à Avignon, et disoit l'en communement que il n'estoit pas en la grace du roy ; jà soit ce que par avant, par l'espace d'un an que il avoit demouré en France, il eust esté tous jours avecques le roy si privé comme homme povoit estre d'autres.

En celuy temps se départi monseigneur Robert de Lorris chambellanc du roy, et se absenta, tant hors dudit royaume de France comme autre part ; et disoit l'en communément que sé il ne fust absenté, il eust eu villenie et dommage du corps ; car le roy estoit couroucié et moult esmeu contre luy ; mais la cause estoit tenue si secrette que pou de gens le sceurent. Toutefois disoit-l'en que il devoit avoir sceu la mort dudit connestable avant que il fust mis à mort, et que il devoit avoir révélé audit roy de Navarre aucuns consaus secrès du roy, et que toutes ces choses furent révélées au roy par les devant dis conte de Harecourt et monseigneur Loys, son frère.

Item, assez tost après, c'est assavoir environ le moys de novembre, l'an dessus dit, le roy de Navarre se parti de Normendie et s'en ala latitant[21] en divers lieux, jusques à Avignon.

[21] Latitant. En cachette, incognito.

En ce moys partirent de Paris l'arcevesque de Rouen chancelier de France, le duc de Bourbon et pluseurs autres, pour aler à Avignon ; et aussi partirent le duc de Lenclastre et pluseurs autres Anglois, pour traitier de paix entre les roys de France et d'Angleterre, devant le pape.

VIII.

De la rébellion des Navarrois contre le roy de France, et de la revenue de monseigneur Robert de Lorris.

En l'an dessus dit, audit moys de novembre, se parti le roy de Paris et ala en Normendie jusques à Caen, et fist prendre et mettre toutes les terres du roy de Navarre en sa main, et instituer officiers de par luy, et mettre garde ès chastiaux du roy de Navarre, excepté en six ; c'est assavoir : Evreux, Pont-Audemer, Cherebourc, Gavray[22], Avranche et Mortaing ; lesquels ne luy furent pas rendus ; car il avoit dedens Navarrois qui respondirent à ceux que le roy y avoit envoyés que il ne rendroient les forteresces fors au roy de Navarre, leur seigneur, qui les leur avoit baillées en garde.

[22] Gavray. Aujourd'hui bourg et chef-lieu de canton du département de la Manche.

Item, au moys de janvier ensuivant, vint à Paris monseigneur Robert de Lorris, par sauf conduit que il ot du roy et demoura bien quinze jours après, avant que il eust né temps né lieu de parler au roy. En la parfin y parla-il ; mais il s'en retourna à Avignon par l'ordonnance du roy et de son conseil, pour estre au traictié avec les gens du roy. Et assez tost après, c'est assavoir la fin de février audit an, vindrent nouvelles que les trièves qui avoient esté prises entre les deux roys, jusques en avril ensuivant, estoient aloingnées par le pape, jusques à la nativité de saint Jehan-Baptiste après ensuivant ; pour ce que ledit pape n'avoit peu trouvé voie de paix à laquelle les traicteurs qui estoient à Avignon, tant pour l'un comme pour l'autre roy, se voulsissent consentir. Et envoia le pape messages par devers lesdis roys, sur une autre voie de traictié que celle qui avoit esté pourparlée autrefois entre lesdis traicteurs.

IX.

De la prise de la ville de Nantes en Bretaigne par les Anglois, et coment le chastel et tout fu recouvré.

En l'an dessus dit mil trois cens cinquante quatre, au moys de janvier, le roy fist faire florins de fin or appellés florins à l'aignel, pour ce que en la pille avoit un aignel, et estoient de cinquante deux au marc[23]. Et en donnoit le roy, lors que il furent fais, quarante-huit pour un marc de fin or ; et deffendi-l'en le cours de tous autres florins.

[23] Le marc d'or étant alors de soixante livres, le mouton, comme les appelle Leblanc, ou plutôt, suivant notre chronique, le florin à l'agnel, valoit vingt-quatre ou vingt-cinq sols.

En celuy an, audit moys de janvier, vint à Paris monseigneur Gautier de Lor, chevalier, comme messager dudit roy de Navarre par devers le roy de France, et parla à luy ; et finablement s'en retourna au moys de février par devers le roy de Navarre, et emporta lettres de sauf conduit pour ledit roy de Navarre, jusques emmy avril ensuivant.

Item, en celuy an, le soir de karesme prenant qui fu le dix-septiesme jour de février, vindrent pluseurs Anglois près de la ville de Nantes en Bretaigne ; et en entra par eschielles environ cinquante-deux dedens le chastel, et le pristrent. Mais monseigneur Guy de Rochefort, chevalier, qui en estoit capitaine et estoit en ladite ville hors du chastel, fist tant par assaut et effort qu'il le recouvra en la nuit meisme. Et furent tous les cinquante-deux Anglois que mors que pris.

X.

Coment le roy envoia monseigneur le dauphin en Normendie, et du parlement que les Navarrois firent sur les François.

ANNÉE 1355

L'an mil trois cent cinquante-cinq à Pasques, le roy Jehan envoia en Normendie Charles, son ainsné fils, dauphin de Vienne, son lieutenant, et y demoura tout l'esté. Et luy octroyèrent les gens dudit pays de Normendie deux mil hommes d'armes pour trois mois. Et environ au mois d'aoust ensuivant, audit an cinquante-cinquiesme, ledit roy de Navarre vint de Navarre et descendi au chastel de Cherebourc en Constentin, environ deux mil hommes, que uns que autres, avec luy ; et furent pluseurs traictiés avec les gens du roy de France duquel ledit roy de Navarre avoit espousé la fille : et lesdis roys de Navarre et de France envoièrent par pluseurs fois de leur gens l'un desdis roys par devers l'autre, et cuida-l'en, telle fois fu vers la fin du mois d'aoust, que il deussent avoir grant guerre l'un contre l'autre.

Et les gens du roy de Navarre qui estoient ès chastiaux d'Evreux et de Pont-Audemer en faisoient bien semblant, car il tenoient et gardoient lesdis chastiaux moult diligemment et pilloient le païs environ comme ennemis.

Et vindrent aucuns au chastel de Conches[24] qui estoit en la main du roy, et le pristrent et garnirent de vivres et de gens. Et pluseurs autres choses firent les gens dudit roy de Navarre contre le roy de France et contre sa gent. Et finablement, fu fait accort entre eux. Et ala ledit roy de Navarre devers ledit dauphin où il estoit au chastel du Vau-de-Rueil[25], et y estoit environ le dix-septiesme ou le dix-huitiesme jour de septembre ensuivant ; et de là monseigneur le dauphin le mena à Paris devers le roy. Et le vint-quatriesme jour du mois dessus dit qui fu au lundi, vindrent à Paris devers le roy au chastel du Louvre. Et là, en la présence de moult grant quantité de gens et des roynes Jehanne, ante, et Blanche, suer dudit roy de Navarre, fist-il audit roy de France la révérence et s'excusa de ce que il s'estoit parti du royaume de France. Et, avec ce, dist que aucuns luy avoient rapporté que aucuns l'avoient blasmé devers le roy : si requist le roy que il luy voulsist nommer ceux qui ce avoient fait ; et après jura moult forment que il n'avoit oncques fait choses après la mort du connestable contre le roy que loiaux ne peust et deust faire. Et néanmoins, requist au roy que il luy voulsist tout pardonner et le voulsist tenir en sa grace ; et luy promist que il luy seroit bons et loyaux comme fils doit estre à père et comme vassal à son seigneur. Et puis le roy luy fist dire par le duc d'Athènes que il luy pardonnoit tout de bon cuer.

[24] Conches. Petite ville de Normandie à quatre lieues d'Evreux.

[25] Vau-de-Rueil. Vaudreuil, ou Notre-Dame du Vaudreuil ; aujourd'hui bourg du département de l'Eure, à deux lieues de Louviers.

Item, en celuy an mil trois cent cinquante-cinq, ala le prince de Galles, ainsné fils du roy d'Angleterre, en Gascoigne, au mois d'octobre ; et chevaucha près de Toulouse et puis passa la rivière de Garonne, et alla à Carcassonne et ardi le bourc ; mais il ne peust mal faire à la cité, car elle fu deffendue ; et de là ala à Narbonne, ardant et pillant le païs.

XI.

Coment le roy de France manda à celuy d'Angleterre coment il se vouloit combattre à luy, corps contre corps ou force contre force.

En celuy an cinquante-cinq, descendi le roy d'Angleterre à Calais en la fin du mois d'octobre, et chevaucha jusques à Hesdin ; et rompi le parc et ardi les maisons qui estoient audit parc ; mais il n'entra point au chastel né en la ville. Et le roy de France, qui avoit fait le mandement à Amiens, tantost que il ot oï de la venue dudit roy anglois et estoit en ladite ville d'Amiens, se parti et les gens qui estoient avec luy pour aler contre ledit roy anglois. Mais il ne l'osa atendre et s'en retourna à Calais tantost qu'il ot oï nouvelles que le roy de France s'en aloit vers luy en ardant et pillant le païs par où il passoit. Si ala ledit roy de France après luy jusques à Saint-Omer, et luy manda par le mareschal d'Odenehan[26] et par pluseurs autres chevaliers que il se combattroit sé il vouloit corps contre corps ou pouvoir contre pouvoir. Mais ledit roy anglois refusa la bataille et s'en repassa par mer sans plus faire en celle fois, et le roy de France s'en revint à Paris.

[26] D'Odenehan. Arnoul d'Andrehan, suivant Froissart, capitaine du château d'Ardres. Mais toutes les autres relations contemporaines écrivent le nom de ce brave guerrier comme nos chroniques.

Item, en ce meisme an cinquante-cinq au mois de novembre, le prince de Galles, après ce qu'il ot couru le païs de Bourdeaux jusques près de Toulouse et de là jusques à Narbonne, et ars et gasté le païs tout environ, il s'en retourna à Bourdeaux à tout le pillage et grant foison de prisonniers, sans qu'il trouvast qui luy donnast de rien à faire. Et toutes voies estoient audit païs pour le roy de France le conte d'Armagnac lieutenant du roy en Languedoc pour le temps ; le conte de Foys, monseigneur Jacques de Bourbon conte de Pontieu ; et aussi y estoit monseigneur Jehan de Clermont mareschal de France, à plus grant compaignie la moitié, si comme l'en disoit, que n'estoit ledit prince de Galles. Si en parla-on bien forment contre aucuns des dessus dis nommés qui là estoient ou devoient estre pour le roy de France.

XII.

De l'assemblée que le roy fist faire en parlement des nobles, du clergié et des bonnes villes, pour ordener aydes à soustenir le fait de la guerre.

En ce meisme an, à la saint Andrieu, furent assemblés à Paris, par le mandement du roy, les prélas, les chapitres, les barons et les villes du royaume de France ; et leur fist le roy exposer en sa présence l'estat des guerres, le mercredi après la saint Andrieu, en la chambre du parlement, par maistre Pierre de la Forest, lors arcevesque de Rouen et chancelier de France. Et leur requist ledit chancelier, pour le roy, que il eussent avis ensemble quelle aide il pourroient faire au roy, qui feust suffisant pour faire les frais de la guerre. Et pour ce que il avoit entendu que les sougiés du royaume se tenoient forment à grevés par la mutacion des monnoies, il offri à faire forte monnoie et durable, mais que on luy féist aide qui fust souffisant à soustenir la guerre. Lesquels respondirent c'est assavoir : le clergié, par la bouche de maistre Jehan de Craon, lors arcevesque de Rains ; les nobles, par la bouche du duc d'Athènes ; et les bonnes villes, par Estienne Marcel, lors prévost des marchans à Paris, que il estoient tous prests de vivre et de mourir avec le roy, et de mettre corps et avoir en son service ; et délibéracion requistrent de parler ensemble, laquelle leur fu ottroiée.

XIII.

Coment le roy de France donna à monseigneur Charles, son ainsné fils, la duchié de Normendie et luy[27] en fist hommage.

[27] Luy. Charles. — Il est à remarquer qu'à compter de ce don, le nom de duc de Normandie fut affecté au prince, de préférence à celui de Dauphin.

En ce meisme an, le lundi vigile de la Conception Notre-Dame, donna le roy la duchié de Normendie à monseigneur Charles, son ainsné fils, dauphin de Vienne et conte de Poitiers ; et l'endemain, jour de mardi et feste de la Conception devant dicte, luy en fist ledit monseigneur Charles hommage, en l'hostel maistre Martin de Mello, chanoine de Paris, au cloistre Notre-Dame.

XIV.

Coment les gens des trois estas, présent le roy, respondirent par délibéracion que il feroient[28] continuelment, chascun an, trente mille hommes d'armes, et de l'ordonnance qui fu faite et avisée pour trouver le paiement à les paier.

[28] Que il feroient. C'est-à-dire qu'ils leveroient et équiperoient à leurs frais.

Après la devant dite délibération eue des trois estas dessus dis[29], il respondirent au roy, en la dite chambre de parlement, par la bouche des dessus nommés, que il luy feroient trente mille hommes chascun an à leur frais et despens, dont le roy les fist mercier. Et pour avoir la finance pour paier lesdis trente mille hommes d'armes, laquelle fu estimée à cinquante cent mil livres[30] par les trois estas dessus dis, ordenèrent que on lèveroit sur toutes gens, de tel estat que il fussent, gens d'églyse, nobles ou autres, imposicion de huit deniers par livre sur toutes denrées ; et gabelle de sel courroit par tout le royaume de France. Mais pour ce que on ne pouvoit lors savoir sé lesdites imposicions et gabelle souffiroient, il fu alors ordené que les trois estas dessus dis retourneroient à Paris le premier de mars, pour veoir l'estat des dites imposicions et gabelle, et sur ce ordener ou de autre ayde faire pour avoir lesdites cinquante cent mil livres, ou de laissier courir lesdites imposicions et gabelle. Auquel premier jour de mars les dessus dis trois estas retournèrent à Paris, excepté pluseurs grosses villes de Picardie, les nobles et pluseurs autres grosses villes de Normendie. Et virent ceux qui y estoient l'estat desdites imposicions et gabelles ; et tant pour ce qu'elles ne souffisoient à avoir lesdites cinquante cent mil livres, comme pour ce que pluseurs du royaume ne se vouloient accorder que lesdites imposicions et gabelles courussent en leur pays et ès villes où il demouroient, ordenèrent nouvel subside sus chascune personne en la manière qui s'ensuit. C'est assavoir que tout homme et personne, fust du sanc du roy et de son lignage ou autre, clerc ou lai, religieux ou religieuse, exempt ou non exempt, hospitalier, chef d'églyse ou autres, eussent revenus ou rentes, office ou administration quelconques ; monoiers et autres, de quelque estat qu'il soient, et auctorité ou privilège usassent ou eussent usé au temps passé ; femmes vefves ou celles qui faisoient chief, enfans mariés ou non mariés qui eussent aucune chose de par eux, fussent en garde, bail, tutelle, cure, mainburnie[31] ou administration quelconques ; qui auroit vaillant cent livres de revenue et au dessous, fust à vie ou à héritage, en gaiges à cause d'office, en pensions à vie ou à volenté, feroit ayde et subside pour le fait des guerres de quatre livres. Et de quarente livres de revenue et au dessus quarente sols ; de dix livres de revenue et au dessus, vint sols ; et au dessous de dix livres, soient enfans en mainburnie, au-dessus de quinze ans, laboureurs et ouvriers gaignans qui n'eussent autre chose que de leur labourage, feroient ayde de dix sols. Et sé il avoient autre chose du leur, il feroient ayde comme les autres serviteurs, mercenaires ou aloués qui ne vivoient que de leur services ; et qui gaaignast cent sols[32] par an ou plus, feroit-il semblable aide et subside de dix sols ; à prendre les sommes dessus dites à parisis au païs de parisis, et à tournois au païs de tournois. Et sé lesdis serviteurs ne gaignoient cent sols ou au dessus, il ne paieroient rien, sé il n'eussent aucuns biens équipolens ; auquel cas il aideroient comme dessus est dit. Et aussi n'aideroient de riens mendiens ou moines cloistrés, sans office et administracion, né enfans en mainburnie sous l'aage de quinze ans qui n'auroient aucune chose comme devant est dit ; né nonnains qui vivent de revenue au dessus de quarante livres, né aussi femmes mariées, pour ce que leur maris aidoient ; et estoit et seroit compté ce qu'elles avoient de par elles avec ce que leur maris avoient. Et quant aux clercs et gens d'églyse, abbés, prieurs, chanoines, curés et autres comme dessus qui avoient vaillant au dessus de cent livres en revenue, fussent bénéfices en sainte églyse, en patremoine, ou l'un avec l'autre, jusques à cinq mille livres, les dessus dis feroient ayde de quatre livres pour les premiers cent livres, et pour chascun autre cent livres, jusques auxdites cinq mille livres, quarante sols, et ne feroient de riens ayde au dessus desdites cinq mille livres, né aussi de leur meubles ; et les revenues de leur bénéfices seroient prisiées et estimées selonc le taux du dixiesme, né ne s'en pourroient franchir né exempter par quelconques privilèges, né qu'il féissent[33] de leur dixiesme quant les dixiesmes estoient ottroiés.

[29] Des trois estas. Dans une petite miniature du msc. de Charles V, on voit ici le roi sur son trône, entouré des trois états. Le clergé en chape épiscopale, la noblesse en manteau rouge, les villes en robe brune.

[30] Cinq millions. La plupart des manuscrits portent cinquante mil livres. Mais celui de Charles V, si parfaitement correct pour ce règne et le suivant, doit faire préférer notre leçon qui d'ailleurs donne le seul sens vraisemblable. Villaret prétend que l'expression n'étoit pas alors usitée ; il se trompe, c'est celle de cinq millions qui ne l'étoit pas. Remarquons aussi que Villaret, auteur du reste fort recommandable, cite la chronique du roi Jean comme un ouvrage différent des Grandes Chroniques de France. Cette erreur vient de ce que nous conservons à la Bibliothèque du roi, sous les nos 9649 à 9653, un exemplaire des Chroniques de Saint-Denis reliées en cinq volumes. Le quatrième de ces volumes porte sur le dos : Chronique du roi Jean, mais on y reconnoît le texte que nous publions ici. Levesque a commis la même bévue, dans son livre de La France sous les cinq premiers Valois.

[31] Mainburnie. Synonyme de tutelle.

[32] Cent sols. Le terme moyen du salaire des ouvriers, outre leur nourriture, non pas à Paris mais dans les provinces, est aujourd'hui de cent francs ; le sol du quatorzième siècle représente donc assez exactement un franc de notre temps. Ainsi pour apprécier l'impôt qu'on venoit d'établir, on ne sera pas très-éloigné de la vérité en disant que les possesseurs d'un revenu de 1600 à 4000 francs furent tenus de payer une aide de quatre-vingts francs ; ceux qui avoient quatre cents à seize cents francs furent taxés à quarante francs. Enfin on exigea vingt francs de ceux dont les appointemens, gages ou revenus n'atteignoient pas l'humble chiffre de 400 francs. D'après ce calcul, les cinq millions demandés correspondroient à une levée de cent millions pour nous.

M. Michelet, après une évaluation fort arbitraire de ce qu'on demanda à chaque ordre de citoyens, ajoute l'une de ces réflexions si brèves, si sententieuses et souvent si injustes : Plus on avoit et moins l'on payoit. Il oublie que les citoyens riches (bourgeois ou nobles), indépendamment de la taxe, payoient encore de leur personne. Dans les trente mille hommes d'armes qu'on alloit lever n'étoient pas compris sans doute les chevaliers, les nobles, les bourgeois capables de représenter eux-mêmes autant d'hommes d'armes. N'étoit-ce pas alors le cas de dire : Plus on avoit et plus l'on payoit, ou bien de ne rien dire du tout? (Voyez M. Michelet, Histoire de France, tome III, p. 366.)

[33] Né qu'il féissent. Non autrement qu'ils n'eussent fait…

Et quant aux nobles et gens des bonnes villes qui avoient vaillant au dessus de cent livres de revenue, lesdis nobles feroient aide, jusques à cinq mille livres de revenue et néant oultre, pour chascun cent livres, quarante sols oultre les quatre livres pour les premiers cent livres. Et les gens des bonnes villes par semblable manière, jusques à mille livres de revenue tant seulement[34]. Et quant aux meubles des nobles qui n'avoient pas cent livres de revenue, l'en estimeroit les meubles qu'il auroient, jusques à la value de mil livres et non plus. Et des gens non nobles qui n'avoient pas quatre cens livres de revenue, l'en estimeroit leur meubles jusques à la value de quatre mille livres, c'est assavoir, pour cent livres de meubles, dix livres de revenue ; et de tant feroient-il ayde par la manière dessus devisée. Et sé il advenoit que aucun noble n'eust vaillant en revenue tant seulement jusques à cent livres, né en meuble purement jusques à mil livres, ou que aucun noble ne eust seulement en revenue quatre cens livres, né en meuble purement quatre mil livres, et il eust partie en revenue et partie en meuble, l'en estimeroit et regarderoit la revenue et son meuble ensemble, jusques à la somme de mil livres quant aux nobles, et de quatre mil livres quant aux non nobles. Et non plus.

[34] Il n'est pas aisé de comprendre cette différence à l'avantage de la bourgeoisie qui ne devra payer que l'impôt des premiers 20,000 francs de revenu, tandis que les nobles seront tenus à un paiement proportionnel jusqu'à cent mille francs. Au reste le nombre des bourgeois possesseurs de pareils revenus ne devoit pas être considérable : chacun d'eux avoit alors les plus grandes facilités pour prendre rang parmi les hommes d'armes ; et de là à la noblesse, il n'y avoit qu'une génération.

XV.

De la rebellion du menu peuple de la cité d'Arras contre les gros.

Après avint, le samedi sixiesme jour de mars l'an mil trois cens cinquante-cinq dessus dit, que une dissencion s'esmut en la ville d'Arras des menus contre les gros ; tant que ledit jour les menus tuèrent dix-sept des plus notables de la ville. Et le lundi ensuivant en tuèrent autres quatre et pluseurs en bannirent qui n'estoient pas en la dite ville. Et ainsi demourèrent lesdis menus seigneurs et maistres d'icelle ville[35].

[35] Froissart dit que cette émeute de la commune contre les riches fut excitée par le nouvel impôt sur le sel ordonné par les trois états. Suivant lui, le nombre des morts n'auroit été que de quatorze.

XVI.

Coment le roy de Navarre fu pris au chastel de Rouen, et de la mort d'aucuns chevaliers de Normendie qui estoient rebelles au roy de France.

En ce temps, le mardi sixiesme jour d'avril ensuivant qui fu le mardi après la my-karesme, le roy de France se parti au matin, avant le jour, de Maneville[36], tout armé, accompaignié d'environ cent hommes d'armes, entre lesquels estoient le conte d'Anjou son fils, le duc d'Orléans son frère, monseigneur Jehan d'Artois conte de Eu, monseigneur Charles son frère, cousin germain du roy, le conte de Tancarville, monseigneur Arnoul d'Odenehan mareschal du roy, et pluseurs autres jusques au nombre dessus dit. Et vint droit au chastel de Rouen par l'uys de derrière, sans entrer en la ville. Et trouva en la salle, assis au disner, monseigneur Charles son ainsné fils, duc de Normendie, Charles roy de Navarre, Jehan conte de Harecourt, les seigneurs de Preaux, de Graville[37] et de Clere, monseigneur Loys et monseigneur Guillaume de Harecourt, frères dudit conte, monseigneur Friquet-de-Fricamp, le seigneur de Tournebu, monseigneur Maubue de Mainesmares, tous chevaliers, Colinet Doublet et Jehan de Bantalu, escuiers, et aucuns autres.

[36] Maneville. Sans doute Saint-Pierre-de-Manneville, à trois lieues de Rouen.

[37] De Graville. Jean Malet, sire de Graville. M. Buchon, dans ses notes sur Froissart (liv. I, part. II, ch. 20), s'est trompé quand il a cru devoir corriger ce nom bien connu en celui de Guerarville.

La cause fu que, depuis leur réconciliacion faite par le roy de France de la mort du devant dit connestable, ledit roy de Navarre avoit machiné pluseurs choses au dommage, déshonneur et mal du roy et de monseigneur son ainsné fils, et de tout le royaume de France. Et aussi le conte de Harecourt avoit dit au chastel de Vau-de-Rueil où estoit faite assemblée pour ottroier estre faite au roy ayde pour la guerre en la duchié de Normendie, pluseurs injurieuses et orgueilleuses paroles contre le roy, en destourbant de son pouvoir celle ayde estre accordée et mise à exécution ; combien que ledit ainsné fils du roy, duc de Normendie, et ledit roy de Navarre l'eussent accordé au roy de France.

Et pour ces causes, fist le roy les dessus nommés mettre en prison en diverses chambres audit chastel ; et tantost ala disner le roy de France. Et quant il ot disné luy et tretous ses enfans, son frère et ses deux cousins d'Artois, et pluseurs des autres qui estoient venus avec luy, montèrent à cheval et alèrent en un champ derrière ledit chastel, appellé le champ du pardon. Et là furent menés en charrète, par le commandement du roy, lesdis conte de Harecourt, le seigneur de Graville, monseigneur Maubué et Colinet Doublet ; et là leur furent ledit jour les testes coupées, et puis furent tous nus trainés jusques au gibet de Rouen ; et là furent pendus et leur têtes mises sur eux, sur le gibet. Et fu ledit roy de France présent et aussi lesdis enfans et son frère, à coupper les testes et non pas au pendre. Et ce jour et l'endemain, jour de mercredi, délivra le roy pluseurs des autres qui avoient esté pris. Et finablement ne demoura que trois prisonniers ; c'est assavoir ledit roy de Navarre, ledit Friquet-de-Fricamp, et ledit Bantalu, lesquels furent menés à part. C'est assavoir ledit roy de Navarre au Louvre, et les deux autres en Chastelet. Et depuis fu ledit roy de Navarre mené en Chastelet, et luy furent bailliés aucuns du conseil du roy pour luy garder. Et pour ce, monseigneur Phelippe de Navarre, son frère, fist garnir de gens et de vivres pluseurs des chastiaux que ledit roy de Navarre tenoit en Normendie. Et jasoit que ledit roy de France mandast audit monseigneur Phelippe que il luy rendist lesdis chastiaux ; toute voie ne le voult-il faire. Mais assemblèrent luy et monseigneur Godefroy de Harecourt, oncle dudit conte de Harecourt, pluseurs ennemis du roy de France et les firent venir au pays de Constentin, lequel pays il tindrent contre ledit roy de France et ses gens.

XVII.

Coment monseigneur Arnoul d'Odenehan ala à Arras et mist la ville en l'obéissance du roy de France.

ANNÉE 1356

L'an de grace mil trois cens cinquante-six, le vint-septiesme jour du moys d'avril et fu le mercredi après Pasques qui furent le vint-quatriesme jour du moys dessus dit, monseigneur Arnoul d'Odenehan, mareschal de France, ala en la ville d'Arras ; et là, sagement et sans effroy de gens d'armes, fist prendre pluseurs, jusques au nombre de cent et plus, de ceux qui avoient mis ladite ville en rébellion et avoient murdri pluseurs des bourgeois de ladite ville dont dessus est faite mencion. Et l'endemain, jour de jeudi, fist ledit mareschal coupper les testes à vint des dessus dis qu'il avoit fait prendre, au marchié de ladite ville, et les autres fist prisonniers tenir en prison fermée, jusques à tant que le roy ou luy eussent ordené autrement d'eux. Et pour ce, fu ladite ville mise en la vraie obéissance du roy. Et demourèrent les bonnes gens paisiblement en icelle, si comme il faisoient par avant ladite rébellion.

XVIII.

Du siège que le roy de France fist devant Breteuil, lequel chastel fu rendu. Et coment il poursuivi le duc de Lenclastre qui tousjours fuioit devant luy. Et de la prise de pluseurs chevaliers de France par ledit prince de Galles.

En ce meisme an cinquante-six, en la fin du moys de juing, descendi le duc de Lenclastre en Constantin, et se assembla avec monseigneur Phelippe de Navarre qui s'estoit rendu ennemi du roy de France, pour cause de la prise du roy de Navarre, son frère, qui encore estoit en prison. Et avec eux estoit monseigneur Godefroy de Harecourt, oncle dudit conte de Harecourt qui avoit eu la teste couppée à Rouen. Et se mistrent à chevauchier, et estoient environ quatre mille combattans. Et chevauchièrent à Lisieux, au Bec, au Pont-Audemer. Et refreschirent le chastel qui avoit esté assegié par l'espace de huit ou de neuf sepmaines. Mais monseigneur Robert de Hotetot[38], lors maistre des arbalestriers, qui avoit tenu le siège devant ledit chastel, et en sa compaignie pluseurs nobles et autres, se partirent du siège quant il sorent la venue desdis ducs, monseigneur Phelippe et monseigneur Godefroy ; et laissièrent les engins et l'artillerie qu'il avoient. Et ceux dudit chastel prindrent tout et mistrent dedens ledit chastel. Et après chevauchièrent lesdis ducs et monseigneur et leur compaignie jusques à Breteuil[39], en pillant et robant les villes et le pays par où il passoient, et rafreschirent le chastel par où il passèrent, c'est assavoir Breteuil. Et pour ce qu'il trouvèrent que la cité et le chastel d'Evreux avoit esté de nouvel rendu aux gens du roy, qui longuement avoit esté asségié devant, et avoit esté ladite cité arse et l'églyse cathédrale aussi, et pillée et robée tant par les Navarrois qui rendirent ledit chastel lequel fu rendu par composition, comme par aucuns des gens du roy qui estoient au siège ; lesdis duc, monseigneur Phelippe et leur compaignie alèrent à Vernueil au Perche[40] et pristrent la ville et le chastel, et pillièrent et robèrent tout, et ardirent partie de ladite ville. Et le roy de France qui avoit fait la semonce tantost qu'il avoit oï nouvelles du duc de Lenclastre, aloit après, à moult grant et bele compaignie de gens d'armes et de gens de pié ; et le suivi jusques à Condé[41], en alant vers ladite ville de Verneuil là où il les cuidoit trouver. Et quant il fu audit Condé il oï nouvelles que ledit duc et messire Phelippe s'estoient partis celuy jour de ladicte ville de Verneuil, et s'en aloient vers la ville de l'Aigle. Si les suivi le roy jusqu'à Tuebuef[42] à deux lieues ou environ de ladicte ville de l'Aigle ; et là fu dit au roy que il ne les pourroit acconsuivre, car il y avoit grant forest où il se bouteroient sans ce que on les peust avoir. Et pour ce, s'en retourna son ost et vint devant un chastel que on appelle Tillières que on disoit estre en la main des Navarrois ; et le prist le roy et y mist gardes.

[38] Hotetot, ou Hondetot. Aujourd'hui : Houdetot.

[39] Breteuil. Aujourd'hui petite ville du département de l'Eure, sur les bords de l'Iton.

[40] Au Perche. Ou plutôt en Timerais.

[41] Condé. Aujourd'hui Condé-sur-Iton, bourg du département de l'Eure, près de Breteuil.

[42] Tuebeuf. Entre Laigle et Mortagne. Aujourd'hui village du département de l'Orne. — Pour le château de Tillières, bâti par Richard II de Normandie, nous en avons déjà parlé ailleurs.

Et après ala devant ledit chastel de Breteuil auquel avoit gens de par le roy de Navarre. Mais pour ce que il ne vouldrent rendre le chastel, le roy et tout son ost y mistrent le siège et y demourèrent huit sepmaines. Et finablement fu rendu au roy ledit chastel par composicion, et s'en alèrent ceux qui estoient dedens là où il vouldrent, et emportèrent leur biens. Et de là se parti le roy et s'en ala à Chartres et fit la semonce pour aler contre le prince de Galles, ainsné fils du roy d'Angleterre, qui s'estoit parti de Bourdeaux et estoit venu en Berry en robant, pillant et ardant le pays par où il passoit. Et par semblable manière, s'en vint[43] devers la rivière de Loire et passa par la ville de Rumorentin, et là prist pluseurs chevaliers et autres qui estoient dedans, entre lesquels furent pris le seigneur de Craon et Bouciquaut. Et après chevaucha ledit prince droit vers Tours. Et le roy de France ala après pour le rencontrer. Et quant le prince sceut que le roy luy aloit à l'encontre, il s'en retourna vers Poitiers ; et jà soit ce que ledit roy n'eust encore que un pou de gent, toutefois suivoit-il ledit prince le plus tost que il povoit pour soy combatre à luy. Et avint que le samedi, dix-septiesme jour du moys de septembre, l'an dessus dit, le roy bien accompaignié fu près dudit prince et de son ost, à deux lieues ou environ.

[43] S'en vint. Il s'agit du prince de Galles, et non plus du roi Jehan.

Et iceluy samedi, le conte de Sancerre, le conte de Joigny, le seigneur de Chastillon-sur-Marne, souverain maistre de l'ostel du roy, et pluseurs autres armés chevaliers et escuiers qui aloient après le roy, trouvèrent pluseurs des gens dudit prince en leur chemin auxquels il se combattirent : et furent lesdis contes et seigneur de Chastillon pris et pluseurs de ceux qui estoient en leur compaignie.

XIX.

De la bataille qui fu devant Poitiers et de la prise du roy de France qui plus vassalment[44] s'y porta que nul autre.

[44] Vassalment. Chevaleureusement. Le mot Vassal n'avoit pas autrefois d'autres sens que celui de Chevalier : il n'emportoit avec lui aucune idée de dépendance.

Le lundi ensuivant dix-neuviesme jour dudit moys de septembre, l'an cinquante-six dessus dit, entre prime et tierce ou environ, l'ost du roy de France fu logié devant l'ost dudit prince, à moins du quart d'une lieue. Et vint le cardinal de Pierregort qui avoit esté envoié en France par le Saint-Père, pour traitier de la pais entre lesdis roys de France et d'Angleterre ; lequel cardinal ala pluseurs fois de l'un ost à l'autre, pour savoir sé il pourroit trouver aucun bon traictié ; mais il ne pot. Et pour ce s'en ala à Poitiers qui estoit à deux petites lieues du lieu où ledit roy de France et son ost estoient d'une part et ledit prince et son ost d'autre part, lequel lieu estoit assez près d'un chastel de l'évesque de Poitiers, appellé Chauvigny[45]. Et estoit l'ost dudit prince logié en un fort pays de haies et de buissons. Et néantmoins le duc d'Athènes, lors connestable de France, monseigneur Arnoul d'Odenehan et monseigneur Jehan de Clermont lors mareschal, et leur batailles coururent sus à l'ost dudit prince d'une part, et monseigneur le duc de Normendie, ainsné fils du roy de France, qui avoit une bataille, le duc d'Orléans, frère du roy, qui en avoit une autre, et ledit roy qui avoit la tierce, s'approchièrent de l'ost dudit prince. Mais il estoient en si forte place que il ne porent entrer en eux, et pluseurs desdites batailles de la partie du roy de France, tant chevaliers comme escuiers, s'enfuirent vilainement et honteusement. Et dient aucuns que pour ce fu l'ost dudit roy de France desconfit, et les autres dient que la cause de la desconfiture fu pour ce que on ne povoit entrer auxdis Anglois ; car il s'estoient mis en trop forte place, et leur archiers traioient si dru que les gens du roy de France ne povoient demourer en leur trait.

[45] Chauvigny. Sur la Vienne.

Finablement, la place demoura audit prince de Galles et à ses gens, jasoit ce que le roy de France eust autant de gens comme ledit prince. Et là furent mors, de la partie du roy de France : le duc de Bourbonnois, le duc d'Athènes connestable, ledit monseigneur Jehan de Clermont mareschal, monseigneur Geoffroy de Charny qui portoit l'oriflambe, monseigneur Regnaut Chauveau évesque de Chaalons, et pluseurs autres jusques au nombre de huit cens ou environ. En ladite bataille furent pris ledit roy de France qui si vassaument se porta comme chevalier peust faire, monseigneur Phelippe son ainsné fils, monseigneur Jaques de Bourbon conte de Pontieu et frère du devant dit duc de Bourbonnois, monseigneur Jehan d'Artois conte de Eu, monseigneur Charles son frère conte de Longueville-la-Giffart, cousins germains dudit roy de France, monseigneur Jehan de Meleun conte de Tancarville, monseigneur Jehan de Meleun son ainsné fils, monseigneur Guillaume de Meleun arcevesque de Sens, et Simon de Meleun frère dudit conte ; le conte de Ventadour, le conte de Dampmartin, le conte de Vendosme, le conte de Vaudemont, le conte de Salebruche, le conte de Nasso, et ledit mareschal d'Odenehan et pluseurs autres, tant chevaliers comme autres, jusques au nombre de dix-sept cens ou environ ; et bien y ot tant de mors comme de pris, tant de ceux qui sont nommés comme autres, cinquante-deux chevaliers bannerès. Et de ladite besoigne l'en fist retraire le duc de Normendie ainsné fils du roy, le duc d'Anjou et le conte de Poitiers ses frères, et le duc d'Orléans, frère dudit roy. Et pou d'autres dux ou contes en eschapa qui ne fussent mors ou pris. Et après, s'en retournèrent à Paris lesdis duc de Normendie, conte de Poitiers et duc d'Orléans, et ledit conte d'Anjou demoura en son pays pour le garder. Et entra ledit duc de Normendie à Paris le juedi vint-neuviesme jour dudit moys de septembre, et fist une convocation de tous les trois estas du royaume de France, c'est assavoir : des gens d'églyse, des nobles et de ceux des bonnes villes, pour estre à Paris le quinziesme jour du moys d'octobre ensuivant. Et ledit prince de Galles enmena à Bourdeaux ledit roy de France et tous ses autres gros prisonniers, excepté ledit conte de Eu qui fu recreu[46] sur sa foy, jusques à la Toussains ensuivant pour ce que il estoit blecié. Et autres prisonniers, tant chevaliers comme autres qui n'estoient pas de moult grant auctorité, furent mis à raençon et recreus sur leur foy pour aler pourchacier leur raençons.

[46] Recreu. Racheté.

XX.

Coment monseigneur Charles duc de Normendie et ainsné fils du roy de France, après ce que il fu revenu de la bataille de Poitiers, fist assembler les gens des trois estas pour ordener hastivement de la délivrance du roy son père. Et furent les gens du conseil du roy séparés du conseil de ceux des trois estas, qui furent esleus cinquante pour tous.

En ce meisme an, le quinziesme jour dudit moys d'octobre qui fu en un jour de samedi, vindrent à Paris pluseurs gens d'églyse et nobles et gens de bonnes villes de la langue d'oil. Et le lundi ensuivant furent tous assemblés en la chambre du parlement par le commandement de monseigneur le duc de Normendie qui fu là présent, et en la présence duquel monseigneur Pierre de la Forest, arcevesque de Rouen et chancelier de France, exposa à ceux des trois estas dont dessus est faite mencion, la prise du roy, et coment il s'estoit vassaument combatu de sa propre main, et nonobstant ce avoit esté pris par grant infortune. Et leur monstra ledit chancelier coment chascun devoit mettre grant paine à la délivrance dudit roy. Et après leur requist, de par monseigneur le duc, conseil coment le roy pourroit estre recouvré, et aussi de gouverner les guerres et aides à ce faire.

Lesquels des trois estas, c'est assavoir les gens d'églyse par la bouche de monseigneur de Craon, arcevesque de Rains, les nobles par la bouche de monseigneur Phelippe, duc d'Orléans et frère germain du roy, et les gens des bonnes villes par la bouche d'Estienne Marcel, bourgois de Paris et lors prévost des marchans, respondirent que il vouloient faire tout ce qu'il pourroient aux fins dessus dites, et requistrent délay pour eux assembler et parler ensemble sur ces choses ; lequel fu donné. Et furent mis et ordenés, par ledit monseigneur de Normendie, pluseurs du conseil du roy pour aler au conseil des dessus dis trois estas. Et quant il y orent esté par deux jours, on leur fist sentir et dire que lesdites gens des trois estas ne besoigneroient point sur les choses dessus dites, tant que les gens du conseil du roy feussent avec eux. Et, pour ce, se déportèrent lesdites gens du conseil du roy de plus aler aux assemblées des trois estas qui estoient chascun jour faites en l'ostel des frères Meneurs, à Paris. Et continuèrent quinze jours ou environ, tant que il ennuioit à pluseurs de ce que lesdis trois estas attendoient si longuement à faire leur responses sur les choses dessus dites. Toutefois, après que lesdis trois estas orent conseillié et assemblé par plus de quinze jours, et esleu de chascun des trois estas aucuns auxquels les autres avoient donné pouvoir de ordener ce que bon leur sembleroit pour le prouffit du royaume ; iceux esleus qui estoient cinquante ou environ de tous les trois estas dessus dis, firent sentir audit monseigneur le duc de Normendie qu'il parleroient volentiers à luy secrètement. Et pour ce ala ledit duc luy sixiesme seulement auxdis frères Meneurs par devant lesdis esleus, lesquels luy distrent que il avoient esté ensemble, par pluseurs journées, et avoient tant fait que il estoient tous à un accort. Si requistrent audit monseigneur le duc qu'il voulsist tenir secret ce que il luy diroient qui estoit pour le sauvement du royaume, lequel monseigneur le duc respondi qu'il n'en jureroit jà ; et pour ce ne laissièrent pas à dire les choses qui s'ensuivent.

Premièrement il luy distrent que le roy avoit esté mal gouverné au temps passé : et tout avoit esté par ceux qui l'avoient conseillié, par lesquels le roy avoit fait tout ce que il avoit fait, dont le royaume estoit gasté et en péril d'estre tout destruit et perdu. Si luy requistrent que il voulsist priver les officiers du roy que il luy nommeroient lors de tous offices, et que il les féist prendre et emprisonner, et prendre tous leur biens ; et que dès lors il tenist tous les biens dessus dis pour confisqués. Et pour ce que monseigneur Pierre de la Forest, lors arcevesque de Rouen et chancelier de France, qui estoit l'un des officiers contre lesquels il faisoient lesdites requestes, estoit personne d'églyse, si que monseigneur le duc n'avoit aucune connoissance sur luy[47], si requistrent que il voulsist escripre au pape de sa propre main, et supplier que il luy donnast commissaires tels comme lesdis esleus des trois estas nommeroient, lesquels commissaires eussent puissance de punir ledit arcevesque des cas que lesdis esleus bailleroient contre ledit arcevesque et contre les autres officiers de qui les noms s'ensuivent : Messire Simon de Bucy, chevalier du grant conseil du roy et premier président en parlement ; messire Robert de Lorris qui avoit esté premier chambellan du roy Jehan ; messire Nicolas Braque, chevalier et maistre d'ostel du roy, et par avant avoit esté son trésorier et après maistre de ses comptes ; Enguerran du Petit-Celier, bourgois de Paris et trésorier de France ; Jehan Poillevilain, bourgois de Paris, souverain maistre des monnoies et maistre des comptes du roy ; et Jehan Chauveau de Chartres, trésorier des guerres. Et requistrent lesdis esleus que commissaires feussent donnés tels que il nommeroient et procéderoient contre lesdis officiers, sur les cas que lesdis esleus bailleroient. Et sé lesdis officiers estoient trouvés coupables, si feussent punis ; et sé il feussent trouvés innocens, si vouloient que il perdissent tous leur dis biens et demourassent perpétuelment sans office royal[48].

[47] Connoissance, etc. C'est-à-dire, ne pouvoit en rien connoître de son cas.

[48] On voit que la justice du peuple étoit à peu près la même au XIVe siècle et à la fin du XVIIIe. La chronique conservée dans le manuscrit du Supplément françois, no 530, ajoute au nom de ces magistrats ceux de Jaques La Vache et de Pierre de Mainville. (fo 60, vo.)

Item, requistrent audit monseigneur le duc que il voulsist délivrer le roy de Navarre, lequel avoit esté emprisoné par le roy, père dudit monseigneur le duc, si comme dessus est dit ; en luy disant que depuis que ledit roy de Navarre avoit esté emprisonné, nul bien n'estoit venu au roy né au royaume, pour le péchié de la prise dudit roy de Navarre.

Item, requistrent encore audit monseigneur le duc que il se voulsist gouverner du tout par certains conseilliers que il luy bailleroient de tous les trois estas ; c'est assavoir quatre prélas, douze chevaliers et douze bourgois : lesquels conseilliers auroient puissance de tout faire et ordener au royaume, ainsi comme le roy, tant de mettre et oster officiers, comme de autres choses ; et pluseurs autres requestes luy firent grosses et pesans.

Si leur respondi ledit monseigneur le duc que de ces choses il auroit volentiers avis et délibéracion avec son conseil : mais toutes voies il vouloit bien savoir quelle ayde lesdis trois estas luy vouloient faire. Lesquels esleus luy respondirent que il vouloient ordener entre eux que les gens d'églyse paieroient un dixiesme et demi pour un an, mais que de ce il eussent congié du pape. Les nobles paieroient dixiesme et demi de leur revenues. Et les gens de bonnes villes feroient, pour cent feux, un homme armé. Et disoient lesdis esleus que ladite ayde estoit merveilleusement grant et qu'elle pouvoit bien monter à trente mille hommes armés. Et pour sur ce avoir avis et de toutes les choses dessus dites, monseigneur le duc se départi de eux, et l'endemain après disner devoit leur en respondre. Et pour ce assembla ledit monseigneur le duc au chastel du Louvre pluseurs de son lignage et autres chevaliers, et ot avis et délibéracion sur les choses dessus dites ; et pluseurs fois tant audit jour de l'endemain comme en deux ou trois jours ensuivans, envoia ledit monseigneur le duc aux frères Meneurs[49] devers lesdis esleus, pluseurs de ceux de son lignage, pour les requérir de traictier avec eux, coment il se voulsissent déporter d'aucunes des requestes que eux luy avoient faites, par espécial de trois dont dessus est faite mencion ; en leur monstrant que lesdites requestes touchoient le roy, son père, de si près que il ne les oseroit faire né acomplir sans le congié exprès de son père.

[49] Le couvent des Cordeliers ou Frères Mineurs comprenoit une grande partie de la rue et de l'école de médecine. Le réfectoire qui servoit en 1792 de réunion au club des Cordeliers existe encore.

Finablement, pour ce que lesdis esleus ne se vouldrent déporter desdites requestes né d'aucune d'icelles, pluseurs de ceux du lignage de monseigneur le duc et autres chevaliers qui avoient esté à son conseil sur lesdites choses, furent d'accort et conseillièrent à monseigneur le duc que il acomplist lesdites requestes, pour ce que autrement il ne pouvoit avoir aide des trois estas, sans laquelle ayde il ne pouvoit faire né gouverner la guerre. Et pour ce, fu journée assignée auxdis trois estas, à leur requeste, pour oïr tout ce qu'il vouldroient dire publiquement, en la chambre du parlement à un jour de lundi matin veille de Toussains. Mais ledit monseigneur le duc qui moult estoit forment courroucié et troublé pour cause de dites requestes qui luy avoient esté faites à part et secrètement, si comme dessus est dit, et lesquelles on luy vouloit faire publiquement en la chambre de parlement, considérant que lesdites requestes il ne povoit acomplir sans courroucier forment le roy, son père, et sans luy faire offense notable, manda et fist aler par devers luy aucuns autres de ses conseilliers, lesquels il n'avoit point appellés aux choses dessus dites ; et leur exposa, de sa bouche, les requestes que lesdis trois estas luy avoient faites, et aussi l'aide que il luy offroient, et voult que ses conseilliers en déissent leur avis. Lesquels, en la présence de pluseurs des autres qui autrefois y avoient esté, luy monstrèrent coment il ne devoit faire né acomplir lesdites requestes dessus exprimées. Et aussi luy monstrèrent coment l'aide que l'en luy offroit n'estoit pas souffisante pour fournir sa guerre. Et jasoit ce que, par les esleus, eust esté dit audit monseigneur le duc que ladite aide povoit faire et fournir trente mille hommes armés, c'est assavoir, pour chascun homme demi florin à l'escu[50] pour jour, lesdis conseilliers monstrèrent audit monseigneur le duc que ladite aide ne povoit monter que huit ou neuf mille hommes armés, par pluseurs fais et raisons auxquelles s'accordèrent pluseurs autres qui estoient au conseil dudit duc, qui bien estoient jusques au nombre de trente et plus. Et jasoit ce que la plus grant partie d'iceux eust par avant esté d'accort que ledit monseigneur le duc acomplist lesdites requestes et luy eussent conseillé, toutesvoies se revindrent-il lors, et furent tous d'un accort qu'il ne le féist pas.

[50] Demi florin à l'escu. En octobre 1356, le florin d'or valoit 20 sols, par conséquent le demi-florin auroit été de 10 sols, correspondant à 10 francs d'aujourd'hui. Cette paie d'un homme d'armes, c'est-à-dire de deux cavaliers, paroîtroit énorme si l'on ne devoit pas y comprendre les frais du premier adoubement.

Mais pour ce que moult grant peuple estoit assemblé en ladite chambre de parlement en laquelle lesdites requestes devoient tantost estre faites audit monseigneur le duc, par la bouche de maistre Robert le Coq, lors evesque de Laon, le dit monseigneur le duc ot conseil coment il pourroit faire départir ledit peuple ; et, par le conseil que il ot, il envoia quérir en ladite chambre de parlement pour venir devers luy en la pointe du palais où il estoit, aucuns de ceux des trois estas, et par espécial de ceux qui principalement gouvernoient les autres et conseilloient à faire lesdites requestes. Et là vindrent par devers luy maistre Raymon Saquet, arcevesque de Lyon ; monseigneur Jehan de Craon, arcevesque de Rains, et ledit maistre Robert le Coq, evesque de Laon, pour les gens d'églyse. Pour les nobles y furent monseigneur Waleran de Lucembourc, monseigneur Jehan de Conflans, mareschal de Champaigne, et monseigneur Jehan de Péquigny, lors gouverneur d'Artois. Et pour les bonnes villes, y furent Estienne Marcel, prévost des marchans de Paris ; Charles Toussac, eschevin, et pluseurs autres de pluseurs autres bonnes villes. Et là, leur dit et exposa ledit monseigneur le duc aucunes nouvelles que il avoit oïes, tant du roy son père comme de son oncle l'empereur, et leur demanda sé il leur sembloit que il feust bon que lesdites requestes et response qui luy devoient estre faites de par les trois estas, et pour lesquelles faire et oïr le peuple estoit assemblé en ladite chambre de parlement, fussent délayées jusqu'à une autre journée pour les causes et raisons qu'il leur dist lors. Et furent d'accort tous ceux qui là estoient présens, tant du conseil dudit monseigneur le duc comme des envoiés desdis trois estas, que lesdites requestes et responses fussent différées jusques au juesdi ensuivant. Jasoit ce que on apperceust que aucuns desdis envoiés eussent mieux voulu que la besoigne n'eust point esté différée. Et toutes voies furent-il d'accort, par leur opinions, au délay. Et ainsi se départirent et retournèrent en ladite chambre de parlement, et le duc d'Orléans et pluseurs autres avec eux. Et parla ledit duc d'Orléans au peuple qui estoit assemblé en la chambre de parlement, et leur dit que monseigneur le duc de Normendie ne pourroit lors oïr les requestes et responses que on luy devoit faire pour certaines nouvelles que il avoit oïes tant du roy, son père, que de son oncle l'empereur, desquelles il leur fist aucunes dire en publique. Et pour ce se départi ladite assemblée de la dicte chambre de parlement, et s'en alèrent aucuns en leur pays.

XXI.

De l'ordenance que ceux de la Langue d'oc firent pour l'amour et rédemption du roy de France.

En ce meisme an au moys d'octobre, les trois estas de la Langue d'oc se assemblèrent en la ville de Thoulouse, par l'auctorité du conte d'Armagnac, lieutenant du roy au pays, pour traictier ensemble à faire aide convenable pour la délivrance du roy. Et là firent pluseurs ordenances par l'autorité dessus dite. Premièrement que il feroient cinq mil hommes d'armes, chascun à deux chevaux, et auroit chascun homme d'armes demi florin à l'escu pour jour. Et feroient mil sergens armés à cheval, deux mil arbalestiers et deux mil pavasiers[51], tous à cheval, et auroient chascun desdis sergens, arbalestiers et pavaisiers, huit florins à l'escu[52] pour chascun moys, et feroient ladite aide pour un an. Et si ordenèrent que tous les dessus dis seroient paiés par ceux et en la manière que lesdis estas ordeneroient, ou les esleus par iceux. Et oultre ce, ordenèrent que homme né femme dudit pays de Langue d'oc ne porteroit par ledit an, sé le roy n'estoit avant délivré, or né argent né perles, né vair né gris, robes né chapperons découppés né autres cointises quelconques ; et que aucuns menesterieus jugleurs ne joueroient de leur mestiers. Et encores ordenèrent certaine monnoie, c'est assavoir trente-deuxiesme, laquelle il firent faire et monnoier ès monnoies[53] du roy dudit pays par l'autorité dudit conte, jasoit ce que au pays de Langue d'oc courust lors autre monnoie, c'est assavoir monnoie soixantiesme. Et pour avoir confermacion de toutes les choses dessus dites envoièrent à Paris devers monseigneur le duc de Normendie, ainsné fils du roy et son lieutenant-général, trois personnes, c'est assavoir de chascun des trois estas une ; et leur furent confermées par ledit monseigneur le duc toutes les choses dessus dites.

[51] Pavasiers. Garnis de pavas ou pavois, petit bouclier rond.

[52] Huit florins à l'escu. C'est-à-dire environ cent soixante francs ; la moitié de la solde d'un homme d'armes.

[53] Es monnoies. Aux hôtels des monnoies.

Incidence. En celuy temps, c'est assavoir l'an cinquante-six, jour de la saint Luc, dix-huitiesme jour du moys d'octobre dessus dit, fu mouvement de terre si grant, que pluseurs villes et chastiaux en fondirent en terre, et par espécial ès païs de Lorraine et d'Alemaigne.

XXII.

Coment monseigneur le duc de Normendie, tant de son bon entendement naturel comme par bonne délibéracion de son conseil, fist despartir les gens des trois estas et leur fist dire que chascun d'eux s'en repairast en son lieu.

Le mercredi ensuivant qui fu l'endemain de la feste de Toussains, ledit monseigneur le duc manda au Louvre pluseurs du conseil du roy et du sien, et aucuns de ceux des trois estas dont dessus est faite mencion ; et ot délibéracion assavoir sé il estoit bon que ceux des trois estas qui estoient à Paris s'en allassent chascun en son pays sans plus faire quant alors, pour aucunes causes qu'il leur dist. Et luy fu conseillié pour la plus grant partie de tous ceux qui furent audit conseil que ainsi le féist. Et pour ce, dit à ceux qui estoient présens desdis trois estas que ainsi le féissent, et leur pria que il déissent de par luy aux autres qui estoient à Paris que chascun s'en allast en son lieu. Et leur dist que il les remanderoit, mais que il eust oï certains messagiers, chevaliers qui venoient de devers le roy, son père, qui luy aportoient certaines nouvelles de par luy ; et aussi que il eust esté devers l'empereur, son oncle, par devers lequel il entendoit aler briefment.

Dont pluseurs desdis estas qui avoient entencion de gouverner le royaume par les requestes que il avoient faites audit monseigneur le duc, furent moult dolens ; et bien leur fu avis que toutes ces choses avoient esté faites par ledit monseigneur le duc, pour départir ladite assemblée desdis trois estas qui estoient à Paris : et, en vérité, ainsi estoit-il.

Et pour ce, l'endemain qui fu jour de juesdi, pluseurs desdis trois estas qui estoient encore à Paris, monseigneur le duc estant à Montlehéri là où il ala celuy jour au matin, s'assemblèrent au chapitre desdis frères Meneurs. Et là ledit evesque de Laon publia en la présence de ceux qui y vouldrent venir coment monseigneur le duc leur avoit requis conseil et aide, et coment, pour ce faire, il avoient esté assemblés par pluseurs fois et par maintes journées, et près pour ladite response faire, laquelle monseigneur le duc n'avoit voulu oïr. Et leur dit que chascun d'eux préist copie des choses qui avoient esté ordenées par lesdis esleus, et l'emportast en son pays. Lesquelles choses firent pluseurs desdis trois estas qui estoient à ladite assemblée. Et jà soit ce que, par pluseurs fois, ledit monseigneur le duc parlast audit prévost des marchans et par pluseurs journées, et aussi aux eschevins de Paris en eux requerrant que il luy voulsissent faire aide à soustenir la guerre, si ne s'y vouldrent accorder né consentir, s'il ne faisoit assembler lesdis trois estas, laquelle chose il n'ot pas conseil de faire. Et pour ce, il ordena que on envoieroit certains des conseilliers du roy par les bailliages du royaume, pour requérir ladite aide aux bonnes villes.

XXIII.

Coment monseigneur Robert de Clermont desconfit en Normendie les gens monseigneur Phelippe de Navarre, et y fu occis monseigneur Godefroy de Harecourt.

Après les choses dessus dites, au moys de novembre ensuivant, avint que monseigneur Robert de Clermont, lieutenant de monseigneur le duc de Normendie au pays de Normendie, se combatti contre les gens monseigneur Phelippe de Navarre, qui estoient au pays de Constentin, avec lesquels estoit monseigneur Godefroy de Harecourt qui s'estoit rendu ennemi du roy de France tantost qu'il oï les nouvelles de son nepveu le conte de Harecourt que le roy avoit fait décapiter à Rouen le karesme précédent, lorsque le roy de France prist le roy de Navarre, comme dessus est dit plus à plain. Et fu ledit monseigneur Godefroy desconfit et occis en ladite bataille, et ceux de sa compaignie. Et de huit cens hommes qui estoient des gens d'armes dudit monseigneur Phelippe avec ledit monseigneur Godefroy, n'en eschappa nul ou peu qui ne fussent mors ou pris.

XXIV.

Coment le chastel de Pont-Audemer que les Navarrois tenoient fu rendu aux gens du roy de France.

Le dimanche quatriesme jour du moys de décembre ensuivant, ceux qui estoient au chastel de Pont-Audemer[54], au bailliage de Rouen, qui ledit chastel avoient tenu, comme ennemis du roy de France, au nom dudit roy de Navarre et de monseigneur Phelippe, son frère, et avoient pillé, robé et gasté tout le pays d'environ, rendirent le chastel par composicion aux gens du roy de France et de son fils monseigneur le duc de Normendie, qui avoient esté au siège devant ledit chastel depuis le moys de juillet précédent ; et s'en alèrent, par ladite composicion, là où il vouldrent, à tout leur biens et leur prisonniers qu'il avoient dedens ledit chastel. Et si leur donna l'en encore six mille florins à l'escu[55], pour rendre ledit chastel.

[54] C'étoit un corps d'Allemands qui, d'abord à la solde du brave Baudrain de la Heuze, avoient, en son absence, livré la ville à Jean de Couloigne, Navarrois. (Chr. msc., no 530, S. Fr.)

[55] Six mille florins à l'escu. Environ cent vingt mille francs d'aujourd'hui.

XXV.

Coment monseigneur le duc de Normendie, ainsné fils du roy de France, ala devers l'empereur, son oncle.

Le lundy cinquiesme jour dudict moys de décembre, parti monseigneur le duc de Normendie de Paris pour aler à Mès par devers monseigneur Charles de Boesme, empereur de Rome, oncle dudit monseigneur le duc, pour parler à luy et avoir conseil de luy, tant sur le gouvernement du royaume de France et de la prise du roy son père, comme de pluseurs autres choses ; et laissa à Paris son lieutenant, son frère ainsné après luy, monseigneur Loys, conte d'Anjou.

XXVI.

Coment le prévost des marchans, avec pluseurs habitans de la ville de Paris, alèrent par pluseurs fois par devers monseigneur d'Anjou, pour faire cesser la nouvelle monnoie qui couroit pour le temps.

Le samedi ensuivant, dixiesme jour de décembre, fu publiée à Paris la nouvelle monnoie qui avoit esté faite par l'ordenance dudit monseigneur le duc de Normendie, et par son conseil ; c'est assavoir : deniers blans de six sous huit deniers de taille, et de quatre deniers d'aloy, appellée monnoie quarante-huitiesme ; et avoit chascun denier cours pour douze deniers tournois. Et autres blans deniers, qui par avant couroient pour huit deniers tournois la pièce, furent rabaissiés à trois tournois ; et le mouton d'or fu mis à trente sous tournois. Desquelles choses le commun de Paris fu moult esmeu, et par espécial pour cause de ladite nouvelle monnoie ; car ceux qui gouvernoient la ville ne vouloient souffrir ledit monseigneur le duc avoir finances, sans lettre de gaaignier[56]. Et, pour celle cause, le prévost des marchans et pluseurs des habitans de ladite ville de Paris alèrent au Louvre le lundi ensuivant, douziesme jour dudit moys, par devers ledit conte d'Anjou qui estoit demouré lieutenant de monseigneur le duc de Normendie qui estoit alé par devers l'empereur son oncle, si comme dessus est dit. Et luy requistrent que il voulsist faire cesser ladite monnoie en luy disant que il ne souffriroient point qu'elle courust ; et de fait empeschièrent ledit cours, et ne souffrirent que aucun la préist ou méist.

[56] Sans lettre de gaaignier. Ainsi portent les meilleures leçons ; mais quelques manuscrits remplacent ces mots assez obscurs par ceux-ci : Sans leur congié ou sans leur dangier. Ce qui s'entendroit mieux. J'ai dû cependant préférer les textes authentiques.

Si leur fist dire ledit conte que il auroit avis à son conseil sur ladite requeste, et l'endemain, au jour de mardi, leur respondroit. Auquel mardi retournèrent audit Louvre lesdis prévost des marchans et habitans, en plus grant nombre quatre fois que il n'avoient fait la journée devant ; mais pour ce que ledit conte n'avoit pas encore eu plenière délibéracion sur ladite requeste, il leur fist dire et prier que il attendissent jusques à l'endemain, jour de mercredi ; et lors tournaissent devers luy, et il respondroit tant que il leur devroit suffire.

Auquel mercredi retournèrent ledit prévost et habitans par devers ledit conte d'Anjou en trop plus grant nombre que par avant, et leur fist accorder que l'en cesseroit de faire ladite monnoie jusques à tant que ledit conte d'Anjou sauroit la volenté dudit duc de Normendie, son frère, par devers lequel il pensoit tantost envoier pour celle cause, et escripre la requeste des dessus dis de Paris.

Et ainsi se départirent et ne courut puis ladite nouvelle monnoie. Et aussi ne furent point gardées les ordenances faites sur les cours des autres monnoies ; mais furent prises et mises si comme par avant estoient.

Item, le samedi vingt-quatriesme jour dudit moys de décembre, qui fu la vigille de Noël, mil trois cens cinquante-six dessus dis, le pape prononça six cardinaux nouveaux, desquels fu l'un dessus nommé monseigneur Pierre de la Forest, arcevesque de Rouen et chancelier de France.

XXVII.

De la revenue de monseigneur le duc de Normendie de devers l'empereur, son oncle.

ANNÉE 1357

Le samedi, quatorziesme jour de janvier ensuivant, ledit monseigneur le duc de Normendie, ainsné fils du roy de France, retourna à Paris de devers son oncle l'empereur, devers lequel il avoit esté en ladite ville de Mès, et entra en ladite ville de Paris ledit samedi, environ heure de vespres. Et en sa compaignie estoit ledit chancelier, nouvel cardinal. Et leur alèrent à l'encontre jusques oultre saint Anthoine le prévost des marchans et grant foison des bourgois de ladite ville de Paris. Et pour la révérence dudit cardinal nouvel, pluseurs des ordres et collèges de ladite ville luy alèrent à l'encontre à procession jusques au dehors de Paris.

XXVIII.

Coment monseigneur le duc de Normendie, par droit ennuy[57] et pour paix avoir, acorda au prévost des marchans et ses aliés pluseurs requestes que il luy firent sans raison injustement.

[57] Ennuy. Quelques manuscrits portent enuy qu'on pourroit aussi bien lire envy et interpréter : « Malgré le droit. »

Le juesdi ensuivant, dix-neuviesme jour du moys de janvier, ledit monseigneur le duc de Normendie envoia par devers ledit prévost des marchans aucuns de ses conseilliers, c'est assavoir : monseigneur Guillaume de Meleun, arcevesque de Sens, le conte de Roussi, le seigneur de Revel, monseigneur Robert de Lorris et autres, lesquels distrent audit prévost des marchans que il se voulsist traire à Saint-Germain l'Aucerrois ; car il luy avoient à dire aucunes choses de par monseigneur le duc de Normendie. Lequel prévost y ala, environ heure de disner, à compaignie de grant foison de gens de ladite ville de Paris armés à descouvert. Et là, les conseilliers de monseigneur le duc requistrent audit prévost des marchans que il voulsist cesser et faire cesser les gens de ladite ville de l'empeschement que il avoient fait et mis au cours de la nouvelle monnoie devant dite ; lesquels prévost et autres gens respondirent que riens n'en feroient, et qu'il ne souffriroient point que ladite monnoie courust. Et outre, furent si esmeus par toute ladite ville que il fisrent cesser tous menestereux[58] d'ouvrer : et fist commander ledit prévost par toute la ville que chascun s'armast ; et ot-on grant doubte que aucune chose ne fust faite contre les officiers du roy ou aucuns d'iceux ; et pour celle cause ledit duc ot délibéracion avec aucuns de son conseil ; et l'endemain, jour de vendredi vintiesme jour dudit moys de janvier, ala monseigneur le duc du Louvre au palais, bien matin, et aussi y alèrent le prévost des marchans et pluseurs d'iceulx de ladite ville de Paris.

[58] D'ouvrer. De chanter ou jouer des instrumens.

Et en la chambre de parlement parla ledit monseigneur le duc de sa bouche à eux, et leur dist que il ne se tenoit pas mal content de eux, et leur pardonnoit tout ce qui avoit esté fait par eux : et oultre leur accordoit que les gens des trois estas s'assemblassent quant il vouldroient. Et aussi leur dist que il déboutoit et mettroit hors de son conseil les officiers du roy que les gens des trois estas luy avoient autrefois nommés ; et outre leur dist que il les feroit prendre sé il les povoit trouver, et s'en tendroit si saisi que, quant le roy seroit retourné, il en pourroit faire bonne justice.

Et avec ce leur dist que jà soit ce que le droit de faire monnoie et de la muer appartenoit au roy pour cause de l'héritage de la couronne de France, toutesvoies vouloit-il, pour cause de leur faire plaisir, que ladite nouvelle monnoie ne eust point de cours ; mais vouloit que quant les gens des trois estas seroient assemblés il ordonnassent avec aucuns des gens dudit monseigneur le duc qu'il ordeneroit à ce, certaine monnoie telle que seroit agréable et prouffitable au peuple. Desquelles choses ledit prévost des marchans requist lettres. Lesquelles ledit monseigneur le duc luy ottroia et furent toutes commandées à un notaire. Et aussi convenoit que ledit monseigneur le duc, pour refraindre la fureur dudit prévost des marchans et des autres de Paris, le féist et accordast contre sa voulenté, constraint de grans parolles, luy sachant que ce estoit contre raison. Mais pour ladite promesse touchant lesdis officiers, pluseurs d'iceux se absentèrent. Et ledit chancelier qui avoit esté fait nouvel cardinal, si comme dessus est dit, ne se monstra plus par Paris. Et jasoit ce que, par l'ordenance du roy, ledit chancelier et monseigneur Simon de Bucy deussent aler à Bourdeaux pour les traictiés de paix qui y devoient estre entre les gens desdis roys de France et d'Angleterre, néantmoins requisrent ledit prévost des marchans et autres qui le suivoient audit monseigneur le duc que il ne souffrist pas que ledit chancelier et monseigneur Simon de Bucy alaissent auxdis traictiés ; et pour ce donna ledit monseigneur le duc lettres par lesquelles il rappelloit la légacion dudit monseigneur Simon mais non pas du chancelier, pour ce que il convenoit, si comme l'en disoit, que il allast rendre au roy ses sceaux.

XXIX.

De ceux chiés lesquels l'en envoia sergens en garnison, et coment les gens des trois estas furent mandés pour rassembler à Paris.

Le mercredi ensuivant, vingt-cinquiesme jour dudit moys de janvier, ledit monseigneur le duc, à la requeste desdis prévost des marchans et autres, envoia sergens en garnison ès maisons monseigneur Simon de Bucy, de monseigneur Nicolas Bracque, maistre d'ostel du roy qui longuement s'estoit meslé de ses finances, et ès maisons de Enguerran du Petit-Celier, trésorier de France, et de Jehan Poillevilain, maistre de la chambre des comptes et souverain maistre des monnoies. Et fist-l'en inventoire des biens que on y trouva. Et si furent mandés les gens des trois estas de par monseigneur le duc pour estre à Paris assemblés le dimenche, cinquiesme jour de février ensuivant.

XXX.

Coment les gens des trois estas furent rassemblés.

Audit moys de janvier, monseigneur Phelippe de Navarre chevaucha de Constentin jusques à Chartres, et de là à Bonneval, et s'en retourna audit pays de Constentin en gastant les pays par lesquels il passa ; et toutesvoies disoit-l'en qu'il n'avoit pas plus de huit cens hommes ou environ. Item, le dimenche dessus dit, cinquiesme jour de février, se assemblèrent à Paris pluseurs evesques et autres gens d'églyse, nobles et pluseurs gens de bonnes villes du royaume de France. Et par pluseurs journées furent assemblés en ladite ville en l'ostel des Cordeliers, et là firent pluseurs ordenances.

XXXI.

Coment maistre Robert le Coq, evesque de Laon, prescha en parlement, de par les gens des trois estas, coment les officiers du roy devoient estre privés de leur offices.

Le vendredi, troisiesme jour du moys de mars ensuivant, furent assemblés au palais royal, en la chambre de parlement, en la présence de monseigneur le duc de Normendie, du conte d'Anjou et du conte de Poitiers, ses frères, et de pluseurs autres nobles, gens d'églyse et gens de bonnes villes, jusques à tel nombre que toute ladite chambre en estoit plaine. Et prescha messire Robert le Coq, evesque de Laon, et dist que le roy et le royaume avoient esté, au temps passé, mal gouvernés, dont moult de meschiefs estoient advenus tant audit royaume comme aux habitans d'iceluy, tant en mutacions de monnoies comme par prises, et aussi par mal administrer et gouverner les deniers que le roy avoit eus du peuple, dont moult grandes sommes avoient esté données par pluseurs fois à pluseurs qui mal desservi l'avoient.

Et toutes ces choses avoient esté faites, si comme disoit l'evesque, par le conseil des dessus nommés chancelier, et autres qui avoient gouverné le roy au temps passé. Dist lors encore ledit evesque que le peuple ne povoit plus souffrir ces choses ; et, pour ce, avoient délibéré ensemble que les dessus nommés officiers et autres que il nommeroit lors, — tant que sur le tout il furent vint-deux dont les noms suivent : maistre Pierre de la Forest, lors cardinal et chancelier de France ; monseigneur Simon de Bucy ; maistre Jehan Chalemart ; maistre Pierre d'Orgemont, président en parlement ; monseigneur Nicolas Bracque et Jehan Poillevilain, maistres de la chambre des comptes et souverains maistres des monnoies ; Enguéran du Petit-Célier et Bernart Fremaut, trésoriers de France ; Jehan Chauveau et Jacques Lempereur, trésoriers des guerres ; maistre Estienne de Paris, maistre Pierre de la Charité et maistre Ancel Choquart, maistres des requestes de l'ostel du roy ; monseigneur Robert de Lorris, chambellan du roy ; monseigneur Jehan Taupin, de la chambre des enquestes ; Geoffroy le Masurier, eschançon dudit monseigneur le duc de Normendie, le Borgne de Beausse, maistre d'Escurie dudit monseigneur le duc ; l'abbé de Faloise, président en la chambre des enquestes ; maistre Robert de Preaux, notaire du roy ; maistre Regnault d'Acy, avocat du roy en parlement ; Jehan d'Auceurre, maistre de la chambre des comptes ; Jehan de Behaigne, varlet dudit monseigneur le duc, — seroient privés de tous offices royaux perpétuelment, dont il y avoit aucuns présidens en parlement, aucuns maistres des requestes en l'ostel du roy, aucuns maistres de la chambre des comptes et aucuns autres officiers de l'ostel dudit monseigneur le duc, si comme dessus est dit. Et requist ledit evesque audit monseigneur le duc que dès lors il voulsist priver les vint-deux dessus nommés comme dit est ; et toutesvoies n'avoient il esté appellés né oïs en aucune manière ; et si n'avoient pluseurs de iceux et la plus grant partie esté accusés d'aucune chose, né contre iceux dit né proposé aucune villenie ; et si estoient pluseurs d'iceux officiers à Paris, lesquels l'en povoit chascun jour veoir et avoir qui aucune chose leur voulsist dire ou demander.

Item, requist encore ledit evesque que tous les officiers du royaume de France fussent suspendus, et que certains réformateurs feussent donnés, lesquels seroient nommés par les trois estas qui auroient la cognoissance de tout ce que l'en vouldroit demander auxdis officiers et contre iceux dire et proposer. Item, requist encore ledit evesque que bonne monnoie courust telle que lesdis trois estas ordeneroient, et pluseurs autres requestes fist.

Lors, un chevalier appelé monseigneur Jehan de Pequigny, pour et au nom des nobles, advoua ledit evesque ; et un avocat d'Abbeville appelé Nicholas le Chauceteur l'advoua au nom des bonnes villes ; et aussi fist Estienne Marcel, prévost des marchans de Paris. Et offrirent, au nom des trois estas dessus dis, audit monseigneur le duc trente mille hommes d'armes, lesquels il paieroient par leur mains et par ceux qu'il y ordeneroient. Et pour avoir la finance à ce faire, il avoient ordené certain subside, c'est assavoir : Que les gens d'églyse paieroient dixiesme et demy de toutes revenues, les nobles aussi dixiesme et demy, c'est assavoir de cent livres de terre quinze livres. Et les gens des bonnes villes feroient de cent feus un homme d'armes, c'est assavoir demi-escu de gaige pour chascun jour. Mais pour ce que il ne savoient pas encore combien ladite finance pourroit monter, né sé elle souffiroit à paier les trente mille hommes d'armes dessus dis, il requistrent que il peussent rassembler à la quinzaine de Pasques ensuivant ; et entre deux, il feroient savoir combien ladite finance pourroit monter. Et sé il trouvoient à ladite quinzaine que ladite finance ne souffisist, il la croistroient. Et aussi il requistrent que depuis ladite quinzaine, il peussent rassembler deux fois, quant bon leur sembleroit, jusques au quinziesme jour du moys de février ensuivant. Lequel duc de Normendie leur octroia toutes leur requestes, tant les dessus escriptes comme les autres, et par ce tindrent que les vint-deux officiers dont dessus est faite mencion estoient privés, et demoureroient les autres officiers souspendus par telle manière que, en ladite ville de Paris, l'en ne tint point de jusridicion jusques au lundi ensuivant que le prévost fu restitué en son office. Et du parlement fust ordené par ceux du grant conseil qui avoient esté esleus par les dessus dis trois estas le vendredi ensuivant, et en ostèrent pluseurs de ceux qui en estoient par avant, tant que sur le tout il n'y en laissièrent que en présidens que en autres que seize ou environ. Et de la chambre des comptes ostèrent tous les maistres qui y estoient, tant clers comme lais, qui estoient quinze en nombre, et y en mistrent quatre tous nouveaux, deux chevaliers et deux lais.

Mais quant il y orent esté un jour, il alèrent par devers le grant conseil et leur distrent qu'il convenoit que l'en y méist de ceux qui autrefois y avoient esté, pour leur monstrer le fait de ladite chambre ; et pour ce y mist l'en par provision quatre des anciens, avec les quatre nouveaux dessus dis.

XXXII.

Du traictié et des trièves qui furent prises à Bourdeaux entre le roy de France et le prince de Gales.

Le samedi, dix-huitiesme jour dudit moys de mars, fu traictiée paix à Bourdeaux, entre le roy de France qui encore y estoit prisonnier et le prince de Gales.

La manière dudit traictié fu tenue secrète pour ce que en icelle estoit réservée la volenté du roy d'Angleterre. Mais pour aucunes choses qui à ce les murent, il pristrent trièves générales de Pasques ensuivant jusques à deux ans. Et envoia ledit prince les prisonniers qu'il avoit en France, et ordena d'emmener le roy de France en Angleterre pour parfaire ledit traictié.

Item, le dimenche vint-sixiesme jour dudit moys de mars, fu la monnoie publiée à Paris, par l'ordenance des gens des trois estas, c'est assavoir : un mouton d'or courant pour vingt-quatre sous parisis, et demi-moutons qui lors furent fais nouviaux pour douze sous parisis ; deniers blans à la couronne pour dix deniers tournois : et les autres monnoies qui lors furent faites.

XXXIII.

Des lettres qui furent apportées à Paris de par le roy de France, lesquelles furent publiées en faisant deffense que les trois estas ne s'assemblassent à la journée dessus dicte.

Le mercredi après Pasques flories qui fu le quint jour du moys d'avril, furent criées et publiées par Paris, par lettres ouvertes et mandement du roy, les trièves dont est dessus faite mencion. Et aussi fu crié et publié que le roy ne vouloit pas que l'en paiast le subside qui avoit esté ordené par lesdis trois estas, dont est faite mencion ; et aussi il ne vouloit pas que les trois estas se rassemblassent à la journée par eux ordenée à la quinzaine de Pasques né à autres, dont le peuple de Paris fu moult esmeu, par espécial contre l'arcevesque de Sens, contre le conte d'Eu cousin germain du roy, et contre le conte de Tancarville, qui les lettres du roy ès quelles les choses dessus dites estoient contenues avoient apportées de Bourdeaux, et auxquels le roy avoit enchargié de les faire publier avec pluseurs autres choses que l'en leur avoit commises et chargiées à faire.

Et disoit la plus grant partie du peuple de Paris que c'estoit fausseté et traïson de publier que lesdictes trièves fussent données né accordées ; et de empescher ladite assemblée des trois estas né à lever ledit subside. Et par la commocion et desroy qui fu lors en ladite ville, il convint que ledit arcevesque et conte s'en alassent assez hastivement ; lesquels se absentèrent. Et pour ce que aucuns disoient qu'il estoient moult dolens de la vilenie qui leur avoit esté faite, et que pour ce il assembloient gens d'armes et avoient entencion et volenté de gréver aucuns de ceux de Paris, l'en fist garder soigneusement ladite ville, tant de jour comme de nuit ; et n'y avoit de la partie devers Grant-Pont que trois portes ouvertes de jour ; et de nuit elles estoient closes toutes.

Item, le samedi ensuivant, la veille de Pasques les grans, qui fu le huitiesme jour d'avril, fu crié et publié par Paris que l'en leveroit ledict subside et que les trois estas se rassembleroient à ladicte quinzaine de Pasques, nonobstant ledit cri qui avoit esté le mercredi précédent. Et ordena ledit duc de Normendie que l'en féist ledit cri, par le conseil ou contrainte des dessus dis trois estas, c'est assavoir : dudit evesque de Laon qui estoit principal gouverneur desdis trois estas, du prévost des marchans et de aucuns autres.

XXXIV.

En quel temps le roy de France arriva en Angleterre.

L'an de grace mil trois cens cinquante-sept, le mardi après Pasques, qui fu le onziesme jour du moys d'avril, fist le devantdit prince de Gales ledit roy de France entrer en mer à Bourdeaux, pour le mener en Angleterre ; et y arrivèrent le quatriesme jour de may ensuivant. Et fu ledit roy mené à Londres et y entra le vint-quatriesme du moys de may. Et avint que, en alant et chevauchant, le roy d'Angleterre encontra le roy de France aux champs, auquel ledit roy d'Angleterre fist moult grant honneur et révérence, et parla à luy moult longuement. Et après passa oultre en son chemin. Et le roy de France et le prince de Gales s'en alèrent à Londres là où le roy de France fu tenu prisonnier si largement comme il vouloit ; car il avoit ses gens, tels et tant comme il vouloit ; et aloit chacier et esbatre toutes fois qu'il luy plaisoit, et estoit en un moult bel ostel, dehors ladite ville de Londres, appellée Savoie, et estoit au duc de Lenclastre.

XXXV.

Coment le roy d'Angleterre manda au duc de Lenclastre qu'il laissast à faire siège de devant Rennes en Bretaigne.

A la nativité saint Jehan-Baptiste ensuivant, les cardinaux de Pierregort, de Urgel et de Rouen, l'arcevesque de Sens et pluseurs autres passèrent la mer et alèrent à Londres par devers le roy de France pour parfaire le traictié entre les deux roys, et y demourèrent longuement. Et par pluseurs fois dit-l'en en France que le traictié estoit rompu. Et pendans lesdits traictiés, le duc de Lenclastre qui avoit esté à siège devant la ville de Rennes par l'espace de huit ou neuf moys et estoient ceux dedens la ville à très grant meschief pour ce qu'il avoient pou de vivres, se leva, luy et tout son siège, par le mandement du roy d'Angleterre son seigneur. Mais l'en donna audit duc soixante mille escus d'or pour ses frais[59].

[59] Environ douze cent mille francs d'aujourd'hui.

XXXVI.

Coment la puissance inique des trois estas déclina et vint à néant.

Environ la Magdaleine ensuivant, les ordenés par les trois estas, tant du grant conseil des généraux sur le fait du subside comme les réformateurs, commencièrent à décliner et leur puissance à apeticier. Car la finance que il avoient promise ne fu pas si grande de plus de dix pars et les laissièrent les nobles, et ne vouldrent point paier né les gens d'églyse aussi. Et aussi pluseurs des bonnes villes qui cognurent et apperceurent l'iniquité du fait desdis gouverneurs principaux qui estoient dix ou douze ou environ, se déportèrent de leur fait et ne vouldrent paier.

Et l'arcevesque de Rains qui par avant avoit esté l'un des plus grands maistres fit tant que il fu principal au conseil de monseigneur le duc. Et furent presque tous ceux qui avoient esté mis hors de leur offices remis en leur estas, excepté les nommés vint-deux, jasoit ce que aucuns d'iceux n'en laissassent onques leur estas.

XXXVII.

De la deffense que monseigneur le duc de Normendie fist au prévost des marchans et à autres qui usurpoient la puissance de gouverner le royaume de France.

Après avint, environ la my-aoust, que monseigneur le duc de Normendie dist au prévost des marchans, à Charles Toussac[60], à Jehan de l'Isle et à Gille Marcel qui estoient principaux gouverneurs de la ville de Paris, que il vouloit, dès or en avant, gouverner et ne vouloit plus avoir curateurs ; et leur deffendit qu'il ne se meslassent plus du gouvernement du royaume que il avoient entrepris par telle manière que on obéissoit plus à eux que à monseigneur le duc. Et dès lors chevaucha ledit monseigneur le duc de Normendie par aucunes des bonnes villes et leur fist requeste, en sa personne, de avoir aide d'eux comme de autres choses. Et du fait de sa monnoie leur parla, lequel luy avoit esté empeschié si comme dessus est dit, dont les dessus dis gouverneurs des trois estas furent moult dolens. Et s'en ala ledit evesque de Laon en son eveschié, car il véoit bien que il avoit tout honny.

[60] Toussac. Et non pas Consac, comme l'écrivent tous nos historiens modernes.

XXXVIII.

De la chandelle que ceux de Paris offrirent à Notre-Dame de Paris, et de la réconciliation de ceux de ladite ville par devers monseigneur le duc, et coment il fu si près mené que il se consenti de rassembler les trois estas.

La vigile de ladite my-aoust, l'an dessus dit mil trois cens cinquante-sept, offrirent ceux de Paris à Nostre-Dame une chandelle qui avoit la longueur du tour de ladite ville de Paris, si comme l'en disoit, pour ardoir jour et nuit sans cesse[61].

[61] Le don de cette immense bougie roulée fut souvent renouvelé, et vers le XVIe siècle il étoit annuel. Enfin, on le remplaça par celui de la lampe d'argent qui brûloit nuit et jour devant l'autel de la Vierge. Villaret se trompe quand il dit que l'occasion de cette offrande fut la réconciliation des bourgeois avec le dauphin. La chronologie s'y oppose. M. Michelet, après le récit du pillage des Navarrois, ajoute : « L'effroi étoit tel à Paris, que les bourgeois avoient offert à Notre-Dame une bougie qui avoit, disoit-on, la longueur du tour de la ville. » Ce motif est encore plus puérilement imaginé, et le véritable c'étoit l'usage de faire un don à l'église de Paris, la veille de l'Assomption.

Item, environ la saint Remy ensuivant, se réconcilièrent ceux de Paris par devers monseigneur le duc de Normendie et firent tant que il retourna en ladite ville en laquelle il n'avoit esté de lonc-temps. Et luy distrent que il luy feroient très grant chevance, et ne luy requeroient riens contre aucuns de ses officiers, né aussi la délivrance du roy de Navarre, laquelle il luy avoient requise par pluseurs foys. Et luy supplièrent que il voulsist que vint ou trente villes se assemblassent à Paris ; laquelle chose ledit monseigneur le duc leur ottroia. Et furent mandées pluseurs villes de par luy ; c'est assavoir, jusques au nombre de soixante-dix ou environ, jasoit ce que il ne luy en eussent requis que vint ou trente. Et quant il furent assemblés à Paris, il ne firent aucune chose, mais alèrent devers ledit monseigneur le duc et luy distrent que il ne povoient besongnier né riens faire, sé tous lesdis trois estas n'estoient rassemblés ; et luy requistrent les dessus dis de Paris que il les voulsist mander, laquelle chose il leur ottroia. Et envoia ces lettres aux gens d'églyse, aux nobles et aux bonnes villes, et les manda. Et aussi envoia ledit prévost des marchans ses lettres aux dessus dis, avec les lettres dudit monseigneur le duc. Et fu la journée de assembler à Paris lesdis trois estas, an mardi après la feste de Toussains ensuivant qui fu le septiesme jour de novembre, l'an dessus dit. Et pendant ladite journée, fu ledit monseigneur le duc si mené que il n'avoit denier de chevance, pourquoy il convenoit que il féist tout ce que les dessus dis de Paris vouloient ; et convint que il mandast, à leur requeste, ledit evesque de Laon qui estoit en son éveschié, lequel, par fiction, fist dangier[62] de retourner, et néantmoins il vint tantost.

[62] Dangier. Difficulté.

Item, cedit mardi, après la feste de Toussains, se assemblèrent à Paris aucunes gens d'églyse, nobles et autres envoiés des bonnes villes ; et moins que autrefois n'en estoit venu aux autres assemblées. Et assemblèrent aux Cordeliers par pluseurs journées, et firent tant que le parlement qui avoit esté ordené à seoir l'endemain de la saint Martin, par ledit monseigneur le duc et son conseil, et jà avoit esté mandé par les baillages, fu continué quant aux plaidoieries jusques au secont jour de janvier ; et depuis, par leur ordenance, fu continué jusques à l'endemain de la Chandeleur.

XXXIX.

De la délivrance du roy de Navarre par un chevalier ennemi et traitre du roy de France, et coment il convint que monseigneur le duc de Normendie envoiast au roy de Navarre un très fort et seur sauf-conduit pour venir à Paris.

Le mercredi huitiesme jour du moys de novembre ensuivant, avant le point du jour du jeudi ensuivant, le roy de Navarre qui estoit en prison au chastel de Alleux en Cambresis[63], fu délivré par un chevalier en qui le roy de France se fioit, appellé monseigneur Jehan de Pequigny, lors gouverneur, de par le roy de France, au pays d'Artois : lequel, comme faux traitre, sans le consentement, sceu et volenté dudit roy de France, son seigneur, qui ledit roy de Navarre faisoit tenir en prison, au grant péril et préjudice du roy et du royaume ainsi faussement le délivra. Car il ala, et gens d'armes avec luy, jusques au nombre de trente ou environ, et estoient bourgois presque tous ; et vint audit chastel de nuit et fit tant, par eschieles et autrement, que luy et sa compaignie entrèrent audit chastel qui estoit très mal gardé, sans ce que ceux qui estoient dedens le sceussent, si comme l'en disoit. Mais il ne firent point de mal à ceux qui estoient audit chastel. De là vint le roy de Navarre et ceux qui l'avoient délivré à Amiens, desquels une grant partie estoit de ladite ville, et là demoura par aucuns jours. Et fist délivrer tous les prisonniers tant de la court, de l'églyse, comme de la court laye. Et cependant fu traictié entre monseigneur le duc de Normendie qui estoit à Paris, par aucuns des amis du roy de Navarre, c'est assavoir par la royne Blanche sa suer, et par la royne Jehanne sa tante, qui pour ce estoient venues en ladite ville de Paris, et par autres, de envoier sauf-conduit audit roy de Navarre et à tous ceux qui seroient en sa compaignie. Et convint que ledit monseigneur le duc passast tel sauf-conduit, comme les amis dudit roy de Navarre vouldrent deviser, c'est assavoir que pour quelconque chose faite ou à faire, l'en ne le peust arrêter né ceux qui seroient en sa compaignie, et si en porroit amener à Paris tant et tels comme il vourroit, armés ou autrement. Et lors, au conseil dudit monseigneur le duc estoit principal et souverain maistre ledit evesque de Laon qui les choses dessus dites avoit toute préparées et faites par la puissance et ayde du devant dit prévost des marchans et de dix ou de douze de la ville de Paris. Si n'estoit pas merveille sé ledit monseigneur le duc estoit conseillié à faire tout ce qui estoit bon au roy de Navarre. Lequel sauf-conduit fu porté à Amiens par un clerc appellé Mahy de Pequigny, frère dudit monseigneur Jehan de Pequigny, et par un échevin de Paris appellé Charles Toussac. Ce fait, pluseurs des bonnes villes qui estoient venues à Paris à ladite assemblée des trois estas, par espécial des parties de Champaigne et de Bourgoigne, se partirent de Paris sans prendre congié, quant il sceurent que le roy de Navarre devoit venir à Paris ; pour ce que il se doubtoient que l'en ne leur voulsist faire avouer la délivrance du roy de Navarre.

[63] Alleux. Ou Arleux-en-Palluel. L'ancienne façon d'écrire le nom de ce bourg, situé à quatre lieues de Cambray, est confirmée par le titre du joli fabliau publié par M. Francisque Michel : Le Meunier d'Alleux.

Item, le mercredi, veille de saint Andrieu ensuivant, près de l'anuitier, entra ledit roy de Navarre à Paris, avec moult grant compaignie de gens armés. Et estoient avec luy monseigneur Jehan de Meulent, evesque de Paris, et moult grant nombre de ceux de Paris, dont il y avoit bien deux cens hommes d'armes et plus qui estoient alés à l'encontre dudit roy jusques à Saint-Denis en France ; et ala ledit roy de Navarre descendre en l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

XL.

De la prédication par parolles couvertes que ledit roy de Navarre fist au Pré aux clercs à pluseurs gens de la ville de Paris à la fin à quoy il tendoit.

L'endemain, jour de la saint Andrieu, environ heure de prime, le roy de Navarre qui avoit fait assavoir par ladite ville de Paris, en pluseurs lieux, que il vouloit parler aux gens de ladite ville, fu en un eschafaut sur les murs de ladite abbaïe de Saint-Germain-des-Prés, par devers le Pré-aux-Clercs ; lequel eschafaut estoit fait pour le roy de France, pour veoir les gaiges de batailles que l'en faisoit aucunes fois en unes lices qui estoient audit pré, joingnant aux murs de Saint-Germain. Es quelles lices estoient venus moult de gens par le mandement que ledit roy de Navarre et ledit prévost des marchans avoient fait à pluseurs quarteniers et cinquanteniers de ladite ville. Et en la présence de dix mille personnes dist moult de choses, en démonstrant que il avoit esté pris sans cause et détenu en prison par dix-neuf moys : et contre pluseurs des gens et officiers du roy dist pluseurs choses. Et jasoit ce que contre le roy né contre le duc il ne déist riens appertement, toutevoies dist-il assez de choses deshonnestes et villaines par parolles couvertes. Moult longuement sermona et tant que l'en avoit disné par Paris, quant il cessa. Et fu tout son sermon de justifier son fait, et de dampner sa prise. Et le pareil sermon avoit fait à Amiens[64].

[64] Il est, je pense, assez inutile de rappeler que tout ce récit des règnes de Jean et de Charles V révèlent à chaque phrase la pensée de Charles V lui-même. Et cela donne à la dernière partie des Chroniques de Saint-Denis une importance que ne pourra jamais surpasser aucun autre monument historique.

XLI.

De la response que l'evesque de Laon rendit pour monseigneur le duc sans en demander son plaisir.

A l'endemain qui fu vendredi et premier jour de décembre, alèrent au palais, par devers monseigneur le duc de Normendie, ledit prévost des marchans, maistre Robert de Corbie et aucuns autres de ladite ville de Paris. Et requistrent audit monseigneur le duc de par les bonnes villes, si comme il disoient, que il voulsist faire raison et justice audit roy de Navarre. Et lors ledit evesque de Laon qui principal estoit audit conseil de monseigneur le duc, si comme dessus est dit, et par lequel ledit roy et prévost des marchans et leur partie faisoient ce que il faisoient, respondi, pour monseigneur le duc sans luy en demander son plaisir, que ledit duc feroit audit roy de Navarre, non pas seulement raison et justice, mais toute grace et toute courtoisie et tout ce que bon frère doit faire à autre. Et certes c'estoit bien trompé quant celui qui estoit maistre et gouverneur dudit roy de Navarre et de ceux de sa partie, estoit maistre et principal au conseil de monseigneur le duc, c'est assavoir ledit evesque de Laon ; et n'y avoit lors homme au conseil dudit monseigneur le duc qui luy osast contredire.

XLII.

Coment monseigneur le duc, par le conseil que il ot et aussi par sa benignité, ala premièrement devers le roy de Navarre, en l'ostel de la royne Jehanne.

Le samedi ensuivant, ledit monseigneur le duc assembla de ceux de son conseil tant et tel comme ledit evesque voult ; et furent exposées les requestes que faisoit ledit roy de Navarre, et fut dist que chascun y pensast. Et l'endemain jour de dimenche, tiers jour dudit moys de décembre, retournaissent au conseil.

Iceluy jour de samedi, après diner, ledit duc ala en l'ostel de ladite royne Jehanne, par le conseil qui luy fu donné, pour parler audit roy de Navarre qui encore n'avoit esté par devers luy né parlé à luy. Et assez tost après que ledit monseigneur le duc fu venu audit ostel, ledit roy de Navarre y ala à grant compaignie de gens d'armes ; et toutesvoies monseigneur le duc y estoit alé à assez petite compaignie, sans aucunes armes. Et quant ledit roy de Navarre entra en la chambre où estoit ladite royne et ledit duc, lesdis duc et roy s'entre saluèrent assez mortement. Toutesvoies convint-il que les sergens d'armes qui estoient alés avec ledit duc audit ostel, et gardoient l'huys de la chambre où il estoit, se partissent, ou l'en leur eust fait villenie. Et demourèrent les gens dudit roy de Navarre en la garde dudit huys, comme maistres et souverains que il se tenoient ; et là parlèrent assez ensemble, et pou après se départirent.

XLIII.

Coment il fu conseillié à monseigneur le duc par l'evesque de Laon et par le prévost des marchans que il accordast toutes les requestes du roy de Navarre.

Le dimanche ensuivant, troisiesme jour de décembre, furent devant monseigneur le duc au conseil pluseurs conseilliers tels comme ledit evesque ordena. Et furent répétées les requestes que ledit roy de Navarre faisoit ; et toutesvoies, pour oïr tout ce que il vouldroit requérir avoit esté ordené certains conseilliers dudit monseigneur le duc, desquels la plus grant partie estoient audit roy de Navarre. Mais ainsi l'avoit ordené ledit evesque, afin que tout quanque ledit roy requerroit luy fust octroié par ledit monseigneur le duc qui, par contrainte, ne povoit refuser chose que iceluy evesque voulsist. Lesquels conseilliers estoient audit conseil. Et pour ce encore que il y eust plus des amis dudit roy de Navarre, et que les requestes que il faisoit ne peussent estre empeschiées par aucuns preudes hommes qui estoient audit conseil, ledit evesque malicieusement fist et ordena que ledit prévost des marchans, maistre Robert de Corbie, Jehan de l'Isle et aucuns autres de leur aliance alèrent heurter à l'huys de la chambre où ledit monseigneur le duc et le conseil estoit pour ordener desdites requestes ; et feingnirent que il voulsissent parler audit monseigneur le duc d'autre chose ; et toutesvoies ne distrent-il aucune chose fors tant que il distrent audit monseigneur le duc que les gens envoiés de par les bonnes villes estoient à accort et s'en vouloient aler, mais que il eussent faite leur response. Si requéroient ledit monseigneur le duc que il féist savoir à tous les nobles qui estoient à Paris que il feussent l'endemain aux Cordeliers, pour eux accorder avec les bonnes villes. Lequel duc respondit que il le feroit volentiers.

Ce fait, ledit monseigneur le duc, par le conseil dudit evesque, fist demourer au conseil lesdis prévost des marchans et sa compaignie. Et lors, fist demande à chascun d'iceux qui estoient au conseil, sur lesdites requestes. Et finablement fu conseillié à monseigneur le duc que il accordast audit roy de Navarre les choses qui ensuivent ; et si fu dit par ledit prévost des marchans en disant son opinion : « Sire, faites amiablement au roy de Navarre ce que il vous requiert, car il convient qu'il soit fait ainsi. » Comme sé il voulsist dire : il en sera fait, veuillez ou non.

Si fu lors ordené : Que le roy de Navarre auroit toute la terre qu'il tenoit quant il fu pris, et tous les meubles qui estoient sous ladite terre.

Item, toutes les forteresses que il tenoit lors que dessus est dit, qui depuis avoient esté prises par le roy de France et ses gens ; et tous les biens qui estoient ès dites forteresses.

Item, fu ordené que ledit monseigneur le duc pardonneroit audit roy de Navarre et à tous ses adhérens tout ce que il avoient meffait au roy et au royaume de France.

XLIV.

Autres ordenances, coment les dessus dis décapités et pendus à Rouen fussent despendus et enterrés ; et les biens rendus à leur hoirs.

Encores fu ordené que le conte de Harecourt, le seigneur de Graville, monseigneur Maubué-de-Mainesmares, chevaliers, et Colinet Doublet, escuier, lesquels le roy de France avoit fait descapiter à Rouen, en sa présence, et puis traisner et pendre au gibet de Rouen, lorsque le roy de Navarre fu pris, seroient despendus publiquement et rendus à leur amis, pour enterrer en terre benoicte ; et toutes leur terres qui estoient confisquées rendues à leur enfans ou héritiers. Et pour ce que ledit roy de Navarre requéroit pour ses injures, dommaiges et intérêts grant somme de florins ou terre en lieu desdis florins ; et disoit-l'en à part, jasoit ce que il ne feust pas dit clèrement, que il pensoit à en avoir ou la duchié de Normendie ou la conté de Champaigne ; il fu ordené que l'en traiteroit avec luy de continuer ceste requeste jusques à un autre jour. Et finablement luy furent accordées toutes les choses dessus dites, et en ot lettres dudit duc telles comme les gens dudit roy les vouldrent faire. Et pour ce que l'assemblée des trois estas estoit continuée jusques au vintiesme jour de Noël ensuivant, car il n'avoient pas esté d'acort, et si s'en estoient alés pluseurs sans prendre congié quant il orent sceu la délivrance dudit roy, si comme dessus est dit, accordé fu que les roys et duc rassembleroient au vintiesme jour de Noël dessus dit, pour traitier des choses dessus dites ; et cependant ledit monseigneur le duc envoieroit certaine personne notable en Normendie pour exécuter royaument et de fait audit roy les choses à luy accordées ; et y fu ordené monseigneur Almaury de Meullant, chevalier baneret.

Et, par trois ou quatre jours après, compaignièrent lesdis duc et roy l'un l'autre, et furent par ledit temps souvent ensemble, et mengièrent ensemble pluseurs fois en l'ostel de la royne Jehanne, en l'ostel dudit evesque de Laon et au palais ; et tousjours estoit ledit evesque avec eux, et moult bonne chière s'entrefaisoient. Et ensemble, moult secrètement, visitèrent les saintes reliques en la chappelle du palais. Et fist ledit roy délivrer tous les prisonniers qui estoient ès prisons de Paris, tant ès prisons de l'églyse comme ès prisons des seigneurs lais ; néis ceux qui estoient en oubliète, condamnés au pain et à l'yaue, furent délivrés.

Après ces choses, vindrent certaines nouvelles à Paris que le traictié entre les roys de France et d'Angleterre estoit tenu parfait, et qu'il estoient à accort ; et disoit l'en communément que ledit roy de France seroit tantost en France.

Item, le mercredi jour de la sainte Luce, se parti le roy de Navarre de Paris un pou avant prime ; et avoit, en sa compaignie grant foison de gens d'armes, et s'en ala à Mante.

XLV.

Coment les capitaines des chastiaux de Normendie qui estoient tenus contre le roy de France vindrent à Mante par devers le roy de Navarre, lequel les reçut moult liement.

En ce temps vindrent à Villepereur[65], à Trappes et au pays d'environ pluseurs gens d'armes, par diverses flottes, dont les uns estoient Anglois et les autres estoient à monseigneur Phelippe de Navarre, si comme l'en disoit ; et ne savoit-on à Paris qui estoit capitaine desdites gens d'armes[66]. Et coururent tout le pays jusques près de Paris, à quatre ou cinq lieues ; pillièrent et robèrent dix ou douze lieues de pays et gastèrent et prisrent Maule sur Mandre[67] et l'enforcièrent et pluseurs autres forteresses, sans ce que aucun y féist résistance en aucune manière. Et jasoit ce que ceux de Paris y envoiassent monseigneur Pierre de Villiers, lors chevalier du guet, et aucuns autres tant de Paris que de la visconté, toutesvoies ne se mistrent-il point en poine de rebouter les ennemis : et vuidèrent les bonnes gens tout le pays, et amenèrent tous leur biens à Paris. Aucuns disoient que lesdis ennemis estoient huit cent hommes d'armes ; autres disoient qu'il estoient mil ou douze cens.

[65] Villepereur (Villa-pyrorum). Aujourd'hui Villepreux, bourg à deux lieues de Versailles. — Trappes est un village à peu de distance.

[66] Suivant Froissart, c'étoit un Gallois nommé Ruffin.

[67] Maule sur Mandre. Aujourd'hui bourg du département de Seine-et-Oise, à cinq lieues de Versailles.

Item, le jour de Noël ensuivant, furent les capitaines des chastiaux et forteresces de Normendie tenus par les ennemis du roy de France, à Mante[68], avec le roy de Navarre, et disnèrent avec luy ; et disoit l'en que il avoient fait ensemble grans aliances.

[68] A Mantes. C'est-à-dire : Les capitaines des châteaux… furent à Mantes.

Et en ce temps, le duc de Normendie fist grans semonces de gens d'armes, pour estre à Paris et ès villages environ audit vint-deuxiesme jour ; et disoit l'en que c'estoit pour rebouter lesdis ennemis qui estoient entour Paris. Mais pluseurs, et par espécial ceux de Paris cuidoient que ce fu pour eux grever que ledit monseigneur le duc féist ladite semonce, et par pluseurs fois luy en parlèrent : mais il respondoit tousjours que c'estoit pour ladite cause. Néantmoins ceux de Paris se doubtoient forment, et ordenèrent que aucuns hommes armés ne entreroient à Paris sé il n'estoient cogneus, et firent garder par gens armés les entrées de Paris. Et toutesvoies ledit evesque de Laon par lequel lesdis de Paris se conseilloient et gouvernoient principalement et qui tout estoit au roy de Navarre, estoit principal conseillier dudit duc ; et estoit tout fait par luy et par son ordenance. Moult de gens estoient esbahis, et disoit-l'en que il estoit la besague[69] qui fiert des deux bous. Et vraiement l'en disoit que ledit evesque faisoit savoir audit roy tout ce qui estoit fait au conseil de monseigneur le duc. Et le roy de Navarre qui savoit que le duc faisoit ladite semonce la faisoit aussi la plus grant que il povoit, et vraiement les gens de Paris et du pays environ estoient forment esbahis, car il se doubtoient que entre les deux seigneurs eust descort par lequel le pays feust gasté et destruit. Car ceux qui gardoient les chastiaux de Breteuil et d'Evreux, de Pont-Audemer et de Pacy, ne les vouloient rendre au roy de Navarre sans mandement du roy de France. Et pour ce disoit ledit roy de Navarre que on ne luy avoit pas tenu les convenances que ledit monseigneur le duc luy avoit faites de rendre les chastiaux, et estoit son entencion de pourchacier son droit ; si comme l'en disoit.

[69] Besague. Hache à deux tranchans. Bisacuta.

XLVI.

Des chapperons partis que ceux de Paris pristrent ; et coment le roy de Navarre alla à Rouen.

ANNÉE 1358

La première semaine de janvier ensuivant, ceux de Paris ordenèrent qu'il auroient tous chapperons partis de rouge et de pers[70] ; et fu commandé par les ostels, de par le prévost des marchans, que on préist tels chapperons. Et tousjours estoient les ennemis entour Paris, qui pilloient tout et prenoient toutes les bonnes gens et faisoient raençonner les villes et ceux que il povoient tenir.

[70] Pers. Bleu.

Item, le lundi huitiesme jour de janvier dessus dit, entra ledit roy de Navarre à Rouen, à moult grant compaignie de gens armés et non armés, tant de ladite ville qui estoient alés encontre luy comme autres que il avoit amenés avec luy. Et cedit jour ardirent les ennemis un moult bel ostel que monseigneur le duc de Normendie avoit au dessoubs de Rouen, à trois lieues, appellé Couronne[71].

[71] Couronne. Aujourd'hui le Grand Couronne, village situé sur la rive gauche de la Seine, et chef-lieu de canton du département de la Seine-Inférieure.

XLVII.

Coment le roy de Navarre fist despendre les dessus dis décapités à Rouen, et les fist enterrer solempnellement.

Le mercredi ensuivant, dixiesme jour du moys de janvier, le roy de Navarre envoia, au matin, au gibet de Rouen, pour despendre et ensevelir les corps des trois dessus dis que le roy de France avoit fait descapiter en sa présence, lorsque le roy de Navarre fu pris. Auquel gibet ne fu rien trouvé du conte de Harecourt, car lonc-temps avant il avoit esté osté ; mais l'en ne savoit par qui, combien que l'en supposoit que ce eussent fait ses parens. Et là furent ensevelis par trois rendues[72] de la Magdaleine de Rouen le corps du seigneur de Graville, de monseigneur Maubué de Mainesmares, et de Colinet Doublet, qui encore avoient esté audit gibet sans les testes ; et furent mis en trois coffres, tels comme on a accoustumé de faire pour mors. Et il y ot un autre coffre wit[73] pour représentacion dudit conte de Harecourt : lesquels coffres furent mis en trois chars[74] à dames qui là avoient esté amenés pour celle cause. Et fu le coffre qui faisoit la représentacion dudit conte en l'un desdis chars, le seigneur de Graville en l'autre, et les deux autres coffres en l'autre char. Et ledit jour, environ heure de tierce, ledit roy de Navarre à cheval et très grant foison de peuple avec luy à cheval et à pié, partirent de Rouen et alèrent au gibet dessus dit ; et là ot cent varlés qui portoient cent grans torches ; et avoit chascun varlet un escusson des armes dudit roy de Navarre. Et fist ledit roy charier lesdis coffres jusques à un lieu près de Rouen appellé le Champ du pardon auquel lesdis corps avoient esté descapités en la place : au plus près que l'en pout de là où il avoient esté descapités furent lesdis chars arrestés ; et là furent chantées moult sollempnellement vigilles des mors, par grant foison de gens de pluseurs religions qui estoient là alés pour celle cause ; et cela fait, lesdis chars furent mis au chemin : c'est assavoir, celui où estoient les deux coffres devant ; et après ledit char avoit deux escuiers armés des armes dudit Maubué et Colinet, montés sur leur chevaux, et leur amis après. Et après, estoit le char auquel estoit le corps dudit seigneur de Graville ; et après avoit deux hommes à cheval qui portoient deux bannières de ses armes, et deux autres sur deux chevaux armés, l'un pour guerre et l'autre pour tournoy, et après estoient les amis dudit seigneur. Et après estoit le char auquel estoit la représentacion dudit conte de Harecourt et deux varlés et deux hommes armés, le roy de Navarre et les amis du conte. Et ainsi furent charriés jusques à la porte derrière le chastel de Rouen, c'est assavoir jusques au lieu où il avoient esté mis dedens les charretes quant on les mena exécuter. Et là furent arrestés et furent mis hors lesdis coffres desdis chars, et les pristrent chevaliers et escuiers si comme on a acoustumé à porter corps. Et les portèrent jusques à Notre-Dame de Rouen en l'églyse cathédrale. Et ledit roy de Navarre et merveilleusement grant peuple aloient après à pié ; et fu moult tart quant il furent en ladite églyse. Et là furent mis en une chappelle couverte de cierges qui avoient bien vint-sept piés de lonc. Et en chascun des pilliers de ladite église avoit une grant pièce de cendal atachiée, dedens laquelle avoit quatre escus petits des armes dessus nommées.

[72] Rendues. Religieuses.

[73] Wit. Vide.

[74] Chars. Variante : Chairs.

XLVIII.

Du sermon que le roy de Navarre fist à ceux de Rouen en nommant martirs ceux qui estoient descapités.

L'endemain, jour de jeudi onziesme jour dudit moys de janvier, le roy de Navarre fu au matin, en une fenestre sur la porte de Saint-Oyen de Rouen ; et là parla à grant foison de gens qui estoient alés en la place qui estoit devant pour oïr ledit roy qui avoit fait savoir que il vouloit parler à eux ; et leur dit en substance autel comme il avoit dit à Paris. Et pluseurs fois nomma les quatre corps dessus dis martirs. Et après ala à ladite églyse de Notre-Dame, là où fu dite la messe des mors moult solempnellement par l'evesque d'Avranches, et puis furent mis lesdis coffres en despost au charnier de ladite églyse de Notre-Dame[75]. Et celuy jour au disner, fist le roy de Navarre seoir à sa table un marchant de vin de petit estat, pour le temps maire de ladite ville de Rouen.

[75] Je ne sais si l'on voit encore à Notre-Dame de Rouen, comme avant la révolution, le heaume de ces quatre chevaliers appendus dans la chapelle des Innocens ou de St-Romain.

XLIX.

Coment monseigneur le duc de Normendie en asseurant ceux de Paris leur dist, en plaines halles, qu'il vouloit vivre et mourir avec eux, et que les gens d'armes qu'il faisoit venir estoient pour le bien de ceux du royaume : et, par la deffaute de ceux qui avoient le gouvernement, il convenoit que il-meismes méist paine à rebouter les ennemis.

Ce meisme jeudi, onziesme jour dudit moys de janvier mil trois cens cinquante-sept, monseigneur le duc de Normendie qui longuement avoit demouré à Paris et ne pouvoit avoir chevance, car ceux de Paris avoient tout le gouvernement, fu conseillié que il parlast au commun de Paris. Si fist savoir, celuy jour bien matin, que il iroit ès halles pour parler au commun. Et quant l'evesque de Laon et le prévost des marchans le sceurent, il le cuidèrent empeschier, et distrent à monseigneur le duc que il se vouloit mettre en grant péril de soy mettre devant le peuple. Néantmoins, ledit monseigneur le duc ne les crut point, mais ala, environ heure de tierce, ès dites halles, à cheval, luy sixiesme ou huitiesme ou environ. Et dist à grant foison de peuple qui là estoit que il avoit entencion de mourir et de vivre avec eux, et que il ne créussent aucuns qui avoient dit et publié que il faisoit venir des gens d'armes pour les piller et gaster : car il ne l'avoit oncques pensé. Mais il faisoit venir lesdites gens d'armes pour aidier à deffendre et garantir le peuple de France qui moult avoit à souffrir, car les ennemis estoient moult espandus parmy le royaume de France, et ceux qui avoient pris le gouvernement n'y mettoient nul remède. Si estoit son entencion, ce disoit, de gouverner dès lors en avant, et de rebouter les ennemis de France ; et n'eust pas tant attendu ledit duc sé il eust eu le gouvernement et la finance. Et oultre, dit lors que toute la finance qui avoit esté levée ou royaume de France, depuis que les trois estas avoient eu le gouvernement, il n'en avoit né denier né maille ; mais bien pensoit que ceux qui l'avoient receue si en rendroient bon compte. Et furent les parolles dudit duc moult agréables au peuple ; et se tenoit la plus grant partie par devers luy[76].

[76] Et se tenoit, etc. C'est-à-dire : Et le plus grand nombre favorisoit plutôt son parti que celui des meneurs des Trois-Etats.

L.

De l'assemblée que le prévost des marchans fist faire à Saint-Jaques-de-l'Ospital, pour la doubte que il avoit que le peuple de Paris ne se tenist du tout avec monseigneur le duc ; et des parolles que dit Charles Toussac, eschevin.

L'endemain, jour de vendredi douziesme jour dudit moys de janvier, le prévost des marchans et ses aliés considérans et voyans que le peuple estoit à faire le plaisir et la volenté de monseigneur le duc, leur seigneur ; doubtans par aventure que ledit peuple ne s'esméust contre eux, firent assembler à Saint-Jaques-de-l'Ospital[77] grant foison de gens, et par espécial ceux qui estoient de leur partie. Et quant ledit duc sceut ladite assemblée, il parti tantost du palais et ala audit Ospital, et en sa compagnie estoit ledit evesque de Laon et pluseurs autres. Et quant il fu là, il fist parler son chancellier à tous ceux qui là estoient, et leur fist dire une partie de ce qu'il avoit dit le jour précédent ès halles. Et oultre, pour ce que pluseurs publioient que ledit duc ne tenoit pas au roy de Navarre les convenances que il luy avoit promises, et ledit duc ne povoit faire son devoir de rebouter ses ennemis qui dommageoient et gastoient tout environ Paris, Chartres et le pays environ ; iceluy duc fist dire que il avoit bien tenu audit roy de Navarre ce qu'il avoit promis en tant comme il povoit ; mais aucuns d'iceux auxquels le roy son père avoit baillié à garder aucuns chastiaux dudit roy de Navarre ne les vouloient rendre, il n'en povoit mais ; mais il en avoit fait tout son povoir et encore estoit prest du faire.

[77] Saint-Jaques de l'Ospital. Église située à l'extrémité des rues Mauconseil et Saint-Denis. Transformée depuis la révolution de 1792 en magasin, elle fut abattue en 1822.

Et après ce que ledit chancellier ot parlé, Charles Toussac se leva et voult parler ; mais il y ot si grant noise que il ne pout estre oï. Si se parti lors monseigneur le duc et sa compaignie, fors l'evesque de Laon qui demoura avec ledit prévost des marchans. Et assez tost après que ledit duc fu parti, ledit Charles recommença, et lors fu oï. Si dist moult de choses, et par espécial contre les officiers du roy. Et dist que il y avoit tant de mauvaises herbes que les bonnes ne povoient fructifier né amender ; et dit moult de choses couvertement contre le duc. Et après, quant il ot parlé, un advocat appellé Jehan de Sainte-Aude, qui par les trois estas avoit esté fait un des généraux gouverneurs des subsides ottroyés par les trois estas, parla et dit que le prévost des marchans né les autres des trois estas n'avoient pas emboursé l'argent que on avoit receu des subsides. Et autel avoit dit ledit prévost des marchans. Et nomma ledit Jehan pluseurs chevaliers qui en avoient eu par le mandement dudit duc, si comme disoit ledit Jehan, jusques à la somme de quarante ou de cinquante mille moutons lesquels avoient esté mal emploiés, si comme ses parolles le notoient et donnoient à entendre. Et là fu encore dit par ledit Charles Toussac que ledit prévost des marchans étoit preud'homme et avoit fait ce que il avoit fait, pour le bien et le sauvement et le proufit de tout le peuple. Et dist que sur ledit prévost régnoit haine, et que il le savoit bien. Et que sé ledit prévost des marchans cuidoit que ceux qui là estoient présens et les autres de Paris ne le voulsissent porter né soustenir, il querroit son sauvement là où il le pourroit trouver. Et là aucuns qui estoient de leur aliance crièrent, disans que il le porteroient et soustenroient contre tous.

Item, le samedi ensuivant, treisiesme jour dudit moys de janvier, monseigneur le duc manda pluseurs des maistres de Paris au palais là où il estoit, et parla à eux moult amiablement et leur requist que il luy voulsissent estre bons subgiés, et il leur seroit bon seigneur. Lesquels luy respondirent que il vivroient et mourroient avec luy, et que il avoit trop attendu à prendre le gouvernement.

LI.

D'une faible monnoie que les gens des trois estas ordenèrent à Paris.

Le huitiesme jour d'après Noël l'an dessus dit, fu l'assemblée à Paris des bonnes villes ; mais il n'y ot aucuns nobles, et pou y ot des gens d'églyse. Et tous les jours assembloient et si ne povoient estre à accort. Et toutesvoies il demourèrent à Paris jusques au vint-quatriesme ou vint-cinquiesme jour de janvier. Et ordenèrent que il retourneroient le dimenche devant karesme prenant, onziesme jour du moys de février ensuivant. Et pour provision ordenèrent que on feroit nouvelle monnoie plus foible que celle qui autrefois avoit esté faite par eux, et que monseigneur le duc y auroit plus de proufit : c'est assavoir le quint denier, et les autres quatre seroient pour la guerre. Et ainsi fu fait ; et valut le mouton trente sols parisis.

Et les deux roynes Jehanne et Blanche traictoient à Paris de l'accort mettre entre monseigneur le duc qui là estoit, et le roy de Navarre qui estoit à Mante ; mais ledit roy avoit de ses gens à Paris monseigneur Jehan de Piquegny et autres. Et tousjours venoient à Paris gens de diverses marches, souldoiers, tant que monseigneur le duc ot bien dedens Paris deux mille hommes d'armes, lesquels demouroient à Paris sans riens faire né porter aucun proufit ; et toutesvoies les ennemis estoient sur le pays en pluseurs lieux et pilloient et roboient tout, et furent jusques à Saint-Cloust.

Incidence. — Le mardi, seiziesme jour dudit moys de janvier, espousa monseigneur Loys, conte d'Estampes, madame Jehanne d'Eu, fille jadis de Raoul conte d'Eu et connestable de France, et suer à l'autre conte d'Eu et de Guynes et aussi connestable de France qui ot la teste couppée à Neele, à Paris. Laquelle madame Jehanne avoit esté femme de monseigneur Gautier, duc d'Athènes et conte de Brene en Champaigne et connestable de France, qui avoit esté tué en la bataille de Poitiers où le roy Jehan fu pris.

LII.

De la prise d'Estampes.

Celuy mardi meisme, les ennemis d'entour Paris et Chartres pristrent Estampes et la pillèrent, et y pristrent grant foison de prisonniers que il menèrent en pluseurs forteresces que il tenoient en Chartrain et en Beausse.

LIII.

De la mort Jehan Baillet, trésorier de monsieur le duc de Normendie. Et coment Perin Marc fu justicié, pendu et puis despendu et enterré en l'églyse Saint-Merry.

Le mercredi vint-quatriesme jour dudit moys de janvier, après disner, Jehan Baillet, trésorier de monseigneur le duc de Normendie et moult acointé de luy, fu tué à Paris d'un vallet changeur appellé Perrin Marc[78] qui le féri d'un coutel au dessoubs de l'espaule par derrière, en la rue nueve Saint-Merry. Et après s'enfuy ledit Perrin audit moustier de Saint-Merry. Et le soir bien tart, ledit duc qui moult estoit courroucié de la mort de son dit trésorier envoia audit moustier de Saint-Merry monseigneur Robert de Clermont[79] son mareschal, Jehan de Chalon, fils de monseigneur Jehan de Chalon, seigneur d'Arlay, Guillaume Staise, lors prévost de Paris et grant foison de gens d'armes, lesquels brisièrent les huis dudit moustier et en mistrent hors à force ledit Perrin Marc. Et l'endemain matin jour de jeudi, ledit Perrin fu traisné au chastelet au lieu où il avoit fait le coup, et là ot le poing couppé et puis fu mené au gibet de Paris, et là pendu.

[78] Perrin Marc. Villani, copiste souvent infidèle de nos Chroniques, ajoute ici que Macé se plaignoit de n'avoir pas reçu le prix de deux chevaux achetés par les gens de l'écurie du dauphin. « Le trésorier, » dit sur cela M. Michelet, « refusoit de payer, sans doute sous prétexte du droit de prise. » Je suis surpris de voir une pareille conjecture sous la plume de M. Michelet, qui auroit dû la laisser à Dulaure ou à M. Sismondi. Il ne peut ignorer que ce droit de prise, dont on a fait tant de bruit, n'étoit que celui d'emprunter pour un très court espace de temps les objets de première nécessité que ne pouvoient emporter avec eux dans leurs tournées les grands officiers de la couronne. C'étoient des matelas, de la vaisselle et des fourrages. Mais jamais il n'arrivoit aux emprunteurs de prétendre à la propriété de ces objets. Et si les citoyens ne devoient pas les refuser, on ne pouvoit se dispenser de leur tenir compte de ceux qu'on ne leur restituoit pas. Au reste, il est fort douteux que Perrin Marc et non pas Macé, valet changeur, ait eu personnellement à réclamer quelque chose du trésorier Jean Baillet.

[79] La plupart des manuscrits et les éditions gothiques omettent ce nom ; et Villaret transporte au jeune Jean de Chalon le titre de maréchal de Champaigne, tandis que Lévesque fait de Jean de Clermont le maréchal de Normandie. La vérité, c'est que Jean de Clermont fut nommé maréchal de France par le duc de Normandie depuis la captivité de son père. L'erreur vient de ce que les chroniqueurs contemporains l'ont souvent désigné comme maréchal de monseigneur le duc de Normandie.

Mais l'evesque de Paris fist tant que ledit Perrin fu despendu le samedi ensuivant et fu ramené audit moustier de Saint-Merry et restabli ; et là à très grant sollempnité fu enterré le jour que les obsèques dudit Jehan Baillet furent faites ; auxquelles fu présent monseigneur le duc de Normendie. Et à celles dudit Perrin fu le prévost des marchans, et grant foison des bourgois de Paris.

LIV.

Des messagiers du roy de France envoiés à monseigneur le duc son fils ainsné, à Paris.

Le samedi vint-septiesme jour du moys de janvier, les messages du roy qui estoient venus d'Angleterre, c'est assavoir l'evesque de Therouenne chancellier de France, le conte de Vendosme, le seigneur de Derval, le sire d'Aubigny, monseigneur Jehan de Saintré chevalier et messire Jehan de Champeaux clerc, firent leur rapport au duc de Normendie, en la présence de pluseurs de son conseil, evesques, chevaliers et autres, sur le traictié de l'accort fait en Angleterre, entre les roys de France et d'Angleterre. Lequel traictié moult plut audit duc et à ses conseilliers, si comme il disoient.

LV.

De la response que monseigneur le duc de Normendie fist au message du roy de Navarre.

Après celuy samedi huit jours ou environ, messire Jehan de Piquegny vint à Paris de par le roy de Navarre qui estoit à Mante, et fist ledit messire Jehan pluseurs requestes à monseigneur le duc, de par ledit roy de Navarre, en la présence des roynes Jehanne et Blanche et de pluseurs du conseil dudit duc. C'est assavoir que monseigneur le duc tenist les convenances audit roy de Navarre que il luy avoit, lesquelles il ne[80] esclaircissoit point ; et que il féist rendre audit roy ses forteresces et quarante mille florins à l'escu que l'en luy avoit promis l'autre fois qu'il avoit esté à Paris, et aussi aucuns joyaux qui avoient esté pris du sien, lors qu'il fu emprisonné.

[80] Lesquelles il ne. Que ledit Picquegny ne précisoit pas.

Et lors monseigneur le duc se mist à un genouil devant les dites roynes, lesquelles le firent lever tantost et raseoir emprès elles. Et respondi audit monseigneur Jehan que il avoit bien audit roy de Navarre tenues les convenances que il ly avoit, et que sé aucun à qui il fust tenu de respondre vouloit dire le contraire il diroit que celui mentiroit. Mais ledit monseigneur Jehan n'estoit pas homme à qui monseigneur le duc en déust respondre. Et toutes voies disoit-il encore que sé aucun vouloit maintenir que il n'eust tenu audit roy de Navarre lesdites convenances, il avoit des chevaliers qui bien s'en combattroient, sé mestier estoit. Et pluseurs autres parolles dist lors monseigneur le duc. Et lors fu dit par l'evesque de Laon que monseigneur le duc auroit plus grant advis sur lesdites requestes, et en respondroit tant que il souffiroit ; et ainsi se départirent.

LVI.

Coment l'université de Paris, par le prévost des marchans, alèrent par devers monseigneur le duc pour faire accorder les demandes au roy de Navarre.

Celle sepmaine, l'université de Paris[81], le clergié, le prévost des marchans et ses compaignons, alèrent par devers monseigneur le duc, au palais, et là fu dit audit duc, par frère Simon de Langres, maistre de l'ordre des Jacobins, que tous les dessus nommés avoient esté ensemble au conseil, et avoient délibéré que le roy de Navarre feroit faire audit duc toutes ses demandes à une fois ; et que tantost que il les auroit faites, ledit duc feroit rendre audit roy de Navarre toutes ses forteresces : et après l'en regarderoit sur toutes les requestes dudit roy, et luy passeroit l'en tout ce que l'en devroit. Et pour ce que ledit maistre ne disoit plus, un moine de Saint-Denis en France, maistre en théologie et prieur d'Essonne[82], dit audit maistre que il n'avoit pas tout dit. Si dist lors ledit prieur à monseigneur le duc, que encore avoient-il délibéré que sé il ou le roy de Navarre estoient refusans de tenir et accomplir leur délibération, il seroient tous contre celuy qui en seroit refusant et prescheroient contre luy[83].

[81] Du Boullay, dans son Histoire de l'Université, et tous nos historiens assurent, je ne sais sur quel garant, que l'Université refusa toujours de porter le chaperon mi-parti ; mais tous, à l'exception de M. Michelet, omettent de mentionner la visite faite par l'Université au dauphin, qui s'en seroit bien passé.

[82] Essonne. Près de Corbeil.

[83] Il suffiroit de ces dernières phrases pour prouver que notre chronique n'est plus rédigée par un moine de Saint-Denis.

LVII.

Autre ordenance par aucuns des gens des trois estas.

Le dimenche devant karesme prenant, onziesme jour de février, se rassemblèrent à Paris pluseurs des bonnes villes et du clergié, mais il n'y vint nul noble. Et par pluseurs journées se assemblèrent, si comme il avoient accoustumé. Et finablement ordenèrent que les gens d'églyse paieroient demy-dixiesme pour le temps advenir, pour un an. Et ceulx qui n'avoient aucune chose paiée pour l'an passé paieroient aussi avecques l'autre année demy-dixiesme. Et les villes fermées feroient de soixante-quinze feus[84] un homme armé ou dix sous parisis pour jour ; et le plat païs feroit de cent feus un homme armé.

[84] Soixante-quinze. Et non pas soixante-cinq, comme le portent les éditions gothiques et les historiens modernes.

LVIII.

Coment le prévost des marchans et ses aliés alèrent au palais en la chambre de monseigneur le duc de Normendie ; et là, présent luy, tuèrent les deux mareschaux de Clermont et de Champaigne, après ce que il orent tué maistre Regnaut d'Acy, advocat en parlement.

Le jeudi vint-deuxiesme jour du moys de février, l'an mil trois cens cinquante-sept à matin, et fu le secont jeudi de karesme, ledit prévost des marchans fist assembler à St-Eloy près du Palais[85] tous les mestiers de Paris armés, et tant que on estimoit qu'il estoient bien trois mil tous armés. Et environ heure de tierce, un advocat de parlement appellé maistre Regnaut d'Acy, en alant du palais en sa maison qui estoit près de Saint-Landry[86], fu tué près du moustier de la Magdaleine[87], en l'ostel d'un patissier là où il se bouta quant il vit que l'on le vouloit tuer ; et ot tant et de telles plaies que tantost il mourut sans parler. Et tantost après, ledit prévost et pluseurs en sa compaignie montèrent en la chambre de monseigneur le duc au palais sur les merceries[88], et là trouvèrent ledit duc auquel ledit prévost dist telles parolles en substance : « Sire, ne vous esbahissez de choses que vous véez, car il est ordené et convient que il soit fait. » Et si tost que ces parolles furent dites, aucuns de la compaignie du prévost des marchans coururent sur monseigneur Jehan de Conflans, mareschal de Champaigne, et le tuèrent joignant du lit de monseigneur le duc et en sa présence. Et aucuns autres de la compaignie dudit prévost coururent sur monseigneur Robert de Clermont, mareschal dudit duc de Normendie, lequel se retray en une autre chambre de retrait dudit monseigneur le duc, mais il le suivirent et là le tuèrent. Et monseigneur le duc qui moult estoit effraié de ce que il véoit, pria ledit prévost des marchans que il le voulsist sauver, car tous ses officiers qui lors estoient en la chambre s'enfouirent et le laissièrent. Et adont, ledit prévost luy dit : « Sire, vous n'avez garde. » Et luy bailla ledit prévost son chapperon qui estoit des chapperons de la ville parti de rouge et de pers, le pers à destre ; et prist le chapperon dudit monseigneur le duc qui estoit de brunette[89] noire à un orfrois d'or, et le porta tout celuy jour, et monseigneur le duc porta celuy dudit prévost[90]. Tantost après, aucuns de la compaignie dudit prévost prisrent les corps des deux chevaliers et les trainèrent moult inhumainement par devant monseigneur le duc jusques en la court du palais devant le perron de marbre ; et là demourèrent tous estendus et descouvers en la vue de ceux qui les vouloient veoir, jusques après disner bien tart ; et n'estoit nul homme qui les osast oster.

[85] Sur l'emplacement actuel de la rue de Saint-Eloy.

[86] Saint-Landry. Cette église étoit à l'entrée actuelle de la rue de Saint-Landry, sur le quai de la Cité.

[87] La Magdaleine. L'église de la Magdeleine-en-la-Cité étoit sur l'emplacement de la maison no 5 de la rue actuelle de la Juiverie. On a conservé l'ancien nom au passage qui divise cette maison.

[88] Sur les merceries. Ces derniers mots ne sont que dans le manuscrit de Charles V.

[89] Brunette. Etoffe fine et très-recherchée. — Orfrois, bordure, frange d'or ou d'argent.

[90] Quel frappant rapport avec la journée du 20 juin 1792!

Et ledit prévost des marchans et ses compaignons alèrent en leur maison en Grève que l'en appeloit la maison de la ville. Et là ledit prévost estant aux fenestres de ladite maison, sur la place de Grève, parla à moult grant nombre de gens armés qui estoient en ladite place et leur dist que le fait qui avoit esté fait ce avoit esté pour le bien commun du royaume de France, et que ceux qui avoient esté tués estoient faux, mauvais et traitres. Et requist ledit prévost au peuple qui là estoit, que en ce le voulsissent porter et soustenir, car il avoit fait ce faire pour le bien du royaume, si comme il disoit. Et lors, pluseurs crièrent à haute voix que il advouoient le fait, et que il vouloient vivre et morir avec ledit prévost des marchans.

Et tantost après, ledit prévost des marchans retourna au palais et tant de gens d'armes avec luy que toute la court en estoit plaine. Et monta en la chambre où monseigneur le duc estoit qui moult estoit dolent et esbahi de ce qui estoit advenu. Et encore estoient les corps desdis chevaliers devant ledit perron de marbre, et le povoit ledit duc véoir des fenestres de sa chambre. Et quant ledit prévost fu en ladite chambre, et pluseurs armés de sa compaignie avec luy, il dit audit monseigneur le duc que il ne se méist point à mesaise de ce qui estoit advenu, car il avoit esté fait de la volenté du peuple, et pour eschiéver greigneurs périls ; et ceux qui avoient esté mors avoient esté faux, mauvais et traitres. Et requist ledit prévost à monseigneur le duc, de par ledit peuple, que il voulsist ratifier ledit fait et estre tout un avec eux. Et que sé mestier avoient d'aucun pardon pour cause dudit fait, que le duc leur voulsist à tous pardonner. Lequel duc octroia audit prévost les choses dessus dites, et luy pria que ceux de Paris voulsissent estre ses bons amis et il seroit le leur. Et pour celle cause, ledit prévost envoia audit duc deux draps, l'un de pers et l'autre de rouge, pour ce que ledit duc féist faire des chapperons pour luy et pour ses gens tout comme ceux de Paris les portoient, c'est assavoir, parti de pers et de rouge, le pers à destre. Et ainsi le fist ledit monseigneur le duc et portoit tel chapperon comme dit est, et ses gens aussi, et ceux du parlement et des autres chambres du palais et tous autres officiers communément estans à Paris[91].

[91] Au milieu de circonstances aussi critiques, pense-t-on que le dauphin auroit pu garantir sa vie, si la liberté de la presse eût existé comme sous le règne de Louis XVI? Cette question seroit digne d'être mise au concours par l'Académie des Sciences morales et politiques. En comparant le résultat des deux crises, on est tenté de rejeter sur Louis XVI toutes les fautes : cependant les concessions qui firent la perte de ce vertueux Prince avoient fait le salut de Charles V.

Et celuy jour de jeudi, environ vespres, ledit prévost commanda que on levast lesdis corps des deux chevaliers dessus dis qui encore estoient en ladite court du palais, et que l'en les portast à Ste-Katherine-du-Val-des-Escoliers. Et jà estoit levé le corps de maistre Regnaut d'Acy, et avoit esté porté en son ostel par ses gens, car il avoit esté tué près de son ostel. Mais toutesvoies fu-il longuement là où il avoit esté tué en la vue de chascun, avant que il eust esté levé.

Si furent les deux corps dessus dis mis par povres varlès en une charrete, et menés à descouvert dedens ladite charrete par lesdis povres varlès qui ladite charrete trainoient sans chevaux au lonc de la ville, jusques audit lieu de Ste-Katherine-du-Val-des-Escoliers ; et par lesdis varlès furent descendus en la court, et puis emmenèrent lesdis varlès ladite charrete et laissièrent là les deux corps. Et emportèrent lesdis varlès le mantel de l'un des chevaliers pour leur salaire de les avoir amenés jusques là. Et pour ce que les religieux de Sainte-Katherine n'osoient enterrer lesdis corps, aucuns d'eux alèrent vers ledit prévost pour savoir que il vouloit que lesdis religieux féissent desdis corps? Lequel prévost respondi auxdis religieux que il luy plaisoit que il en féist ce que monseigneur le duc vouldroit. Et après alèrent vers monseigneur le duc, lequel leur dist que il les féissent enterrer secrètement sans solemnité. Mais assez tost après fu deffendu auxdis religieux, de par l'evesque de Paris, que il n'enterrassent point le corps de monseigneur Robert de Clermont en terre benoite, car ledit evesque le tenoit pour excomménié, pour ce que il avoit esté à oster et traire hors du moustier de Saint-Merry Perin Marc, qui avoit tué Jehan Baillet, si comme dessus est dit. Si en fu ordené secrètement par lesdis religieux tant de l'un comme de l'autre. Et ledit maitre Regnaut d'Acy fu le soir enterré secrètement au moustier de Saint-Landry, de quelle paroisse il estoit.

Et celuy jeudi au soir, bien tart, fu ledit prévost des marchans en l'ostel de la royne Jehanne, et là parla à luy moult longuement. Et disoit-l'en que entre les autres choses que il luy dist, il luy requit que elle féist venir le roy de Navarre à Paris.

LIX.

De l'assemblée que le prévost des marchans fist aux Augustins et des paroles que maistre Robert de Corbie dist.

L'endemain, jour de vendredi vint-troisiesme jour dudit moys de février, ledit prévost des marchans fist assembler au matin aux Augustins grant nombre de ceux de Paris desquels pluseurs estoient armés. Et manda à ceux qui avoient esté envoiés de par les bonnes villes qui encores estoient à Paris que il alassent là, desquels pluseurs y alèrent. Et là, maistre Robert de Corbie dist que le prévost des marchans avoit fait faire le fait qui avoit esté fait le jour précédent pour le bien et pour le proufit du royaume, et que il estoient quatre qui empeschoient tous les bons consaux devers monseigneur le duc, et par eux avoit esté empeschiée la délivrance du roy de France, si comme disoit ledit maistre Robert. Et dist que sur la délivrance du roy avoient esté assemblés l'université, le clergié et la ville de Paris qui tous estoient et avoient esté d'accort et en une oppinion. Et depuis soixante-quatre personnes du conseil monseigneur le duc qui sur ce meismes avoient esté assemblées avoient esté de une oppinion, et les quatre dessus dis empeschièrent tout. Mais il ne dist point qui estoient ces quatre, et si ne dist oncques sur quoi ce conseil avoit esté, en espécial, né aucun cas particulier né espécial pour lequel il eussent mis à mort les trois dessus nommés. Et toutesvoies requist ledit maistre Robert les envoiés des bonnes villes, pour ledit prévost et les autres qui avoient fait ledit fait, que il voulsissent ratifier ce qui avoit esté fait et eux tenir en bonne union avec ceux de Paris ; laquelle union avoit esté promise et jurée en pluseurs assemblées par avant, si comme disoit ledit maistre Robert.

Et jà fust ce que pluseurs de ceux des bonnes villes sceussent bien que seure chose n'estoit pas de ratifier ledit fait, toutesvoies dirent par doubte tous ceux qui en ladite assemblée estoient, que il créoient que ce avoit esté fait à bonne cause et juste, et le ratiffioient, dont pluseurs de Paris qui là estoient les en mercièrent.

LX.

Coment le prévost des marchans vint à monseigneur le duc en parlement, et luy requist que il voulsist tenir les ordenances que les trois estas avoient establies l'année devant.

Le samedi ensuivant, vint-quatriesme jour dudit moys, fu monseigneur le duc en la chambre de parlement, et avec luy aucuns de son conseil qui luy estoient demourés. Et là alèrent à luy ledit prévost et pluseurs autres avec luy, tant armés comme non armés, et requistrent à monseigneur le duc que il féist tenir et garder, sans enfraindre, toutes les ordenances lesquelles avoient esté faites par les trois estas l'an précédent, et que il les laissast gouverner si comme autrefois avoit esté fait ; et que il voulsist debouter aucuns qui encore estoient en son conseil ; et pour ce que le peuple se tenoit trop mal content de moult de choses qui estoient faites au conseil de monseigneur le duc contre ledit peuple, il voulsist mettre en son grand conseil trois ou quatre bourgois que l'en luy nommeroit. Toutes lesquelles choses monseigneur le duc leur octroia.

LXI.

De la revenue du roy de Navarre à Paris ; et du mandement que le roy de France fist au duc de Normendie, son ainsné fils.

Le lundi ensuivant, vint-sixiesme jour dudit moys de février, entra le roy de Navarre à Paris, à moult grant compaignie de gens d'armes, tant de ceux qu'il avoit amenés comme de ceux de Paris qui estoient alés contre luy ; et ala descendre ledit roy en l'ostel de Neelle qui lors estoit au duc de Normendie. Et celuy jour, le prévost des marchans ala devers luy et luy pria et dist que il voulsist faire justes requestes audit monseigneur le duc, et que il voulsist porter et soustenir le fait que il avoient fait à Paris des trois qui avoient esté occis. Lequel roy leur octroia tout. Et toute celle sepmaine, les deux roynes veves Jehanne et Blanche, le prévost des marchans, l'evesque de Laon et ses compaignons traictièrent l'accort entre le duc et le roy, lequel fu fait dedens dix ou douze jours après. Mais pou de gens sceurent lors la manière. Toutesvoies donna lors ledit duc audit roy l'ostel de Neelle. Et furent si bien ensemble que chascun jour il disnoient l'un avec l'autre, et faisoient moult grant semblant de eux entr'aimer. Et après, environ le dixiesme ou douxiesme jour de mars, le roy de France manda à monseigneur le duc de Normendie que il envoiast en Angleterre deux prélas, et quatre chevaliers, car il estoit moult seul si comme il mandoit. Et aussi manda que il luy envoiast deux bons notaires pour ordener les lettres du traictié d'accort entre luy et le roy d'Angleterre. Et tousjours estoient ceux de Paris ainsi comme esmeus, et se armoient et assambloient souvent ; pour laquelle chose pluseurs officiers du roy de France et du duc se absentèrent[92] tant prélas comme autres. Et depuis en retourna pluseurs à Paris, pour la seurté que il orent dudit prévost des marchans qui disoit que l'en ne leur vouloit mal.

[92] Se absentèrent. Le reste du chapitre est inédit et ne se trouve que dans le manuscrit de Charles V.

LXII.

Des lettres que le prévost des marchans envoia aux bonnes villes pour les faire alier et prendre chapperons partis de meisme ceux de Paris.

En ce temps furent faites ordenances sur tous officiers. Et l'évesque de Therouenne, lors chancellier de France, qui nouvellement estoit venu d'Angleterre, n'avoit point apporté les seaux du roy, mais les avoit laissiés en Angleterre par l'ordenance du roy et de son conseil. Lequel chancelier bien apperceut que l'en vouloit user d'autres seaux que de celuy de Chastellet duquel l'en usoit en l'absence du grant. Et aussi pour pluseurs autres causes se parti de Paris, et s'en ala en son pays d'Alvergne[93].

[93] D'Alvergne. Ce prélat recommandable étoit en effet de la maison de Montaigu en Auvergne, et se nommoit Gilles Aycelin.

En ce temps, assez tost après l'occision des trois dessus nommés, le prévost des marchans et les eschevins envoièrent lettres closes par les bonnes villes du royaume, par lesquelles il leur faisoient savoir le fait qu'il avoient fait, et leur requéroient que il se voulsissent tenir en vraie union avec eux et que il voulsissent prendre de leur chapperons partis de pers et de rouge, si comme avoient fait le duc de Normendie et pluseurs autres du sanc de France, si comme ès dites lettres estoit contenu. Et, en vérité, ledit monseigneur le duc, le roy de Navarre, le duc d'Orléans frère dudit roy de France, et le conte d'Estampes, qui tous estoient des fleurs de lis[94], portoient lesdis chapperons. Dont pluseurs ne renvoièrent oncques responses desdites lettres, et autres rescriprent sans autre aliance faire et sans prendre desdis chapperons ; et autres prisrent desdis chapperons.

[94] Des fleurs de lys. Belle et ancienne manière de désigner les parens du roi, les princes du sang.

LXIII.

De la response que ceux qui tenoient les forteresces féirent à ceux que le roy d'Angleterre leur envoia.

En ce temps envoia le roy d'Angleterre deux chevaliers anglois en France pour faire issir des forteresces tous ceux[95] qui aucunes en avoit prises depuis les trièves données à Bourdiaux entre le roy de France et le prince de Galles. Dont pluseurs et presque tous, tant en Chartain comme en Normendie, qui avoient prises lesdites forteresces respondirent que il n'estoient point au roy d'Angleterre, né les dites forteresces ne tenoient de par luy ; et dirent aucuns que il estoient au roy de Navarre et les autres disrent que il trouveroient bien qui les avoueroit. Et ne issirent point, mais coururent, pillèrent et robèrent le pays. Et furent aucuns de la garnison d'Esparnon, le lundi douziesme jour du moys de mars, en la ville de Chastres soubs Mont-Lehery environ ; et pillèrent tout et emmenèrent moult de prisonniers à Mont-Lehery et n'estoient pas plus de six vint ou environ : et si ne trouvèrent qui empeschement leur féist. Et toutesvoies estoit l'accort fait entre ledit duc et le roy de Navarre, par telle manière que il estoient le plus du temps ensemble, et avoient esté par plus de huit jours ensemble par avant. Et avoit ledit duc accordé que ledit roy, en partie de paiement de ce que il devoit avoir par ledit accort, auroit la conté de Bigorre, et la jugerie de Rivière[96] et la conté de Mascon et autres terres au païs, jusques à dix mil livres mesurées de terre. Et si fu accordé à la royne Blanche, sœur dudit roy, que elle auroit Moret en Acquitaine de ce que l'en luy devoit pour son douaire. Item, en tout ce temps donnoit ledit roy de Navarre saufs-conduis à Paris, contenant ceste forme[97] :

[95] Tous ceux. Tous ceux qui sous prétexte d'ordres émanés du roi d'Angleterre avoient pris possession de places que la conclusion des trêves empêchoit de croire en danger.

[96] La Jugerie. Variante : Viguerie.

[97] Cette dernière phrase est inédite.

LXIV.

Cy après s'ensuit la teneur des saufs conduis que le roy de Navarre donnoit en la ville de Paris.

« Charles, par la grace de Dieu, roy de Navarre et conte d'Evreux, à tous ceux qui ces lettres verront salut. Savoir faisons que nous avons donné et donnons par la teneur de ces présentes à nos amés et féaux chevaliers Jehan de Neuf-Chastel et le seigneur de Raon[98], et à leur compaignie jusques au nombre de trente personnes à cheval, seur et sauf conduit du jour de la date de ces présentes jusques à la feste de Penthecouste prochaine venant, pour aler, venir cependant, et demourer sé mestier est par tous les lieux du royaume de France. Si donnons en mandement à tous capitaines, chastelains, gardes de païs, villes et passages et destrois dudit royaume, et à chascun d'eux ; et prions tous autres que lesdis chevaliers et leur compagnie, jusques au nombre dessus dit, fassent et laissent jouir et user de nostre présent sauf conduit, sans leur faire né souffrir estre fait aucun empeschement en corps, en chevaux, en harnois né en aucuns de leur biens. Donné à Paris le douziesme jour du moys de mars, l'an de grace mil trois cens cinquante-sept. » Et estoient ainsi signées : « Par le roy. P. du Tertre. » — Et obéissoit-l'en plus auxdis saufs conduis que on ne faisoit à ceux de monseigneur le duc.

[98] Les meilleures leçons écrivent ainsi ce nom. Variantes : Rouen et Craon.

Item, le mardi treiziesme jour du moys de mars l'an dessus dit, se parti de Paris ledit roy de Navarre et s'en ala à Mante, et monseigneur le duc demoura à Paris.

LXV.

Coment monseigneur le duc prist nom de régent par titre de lettres, à très bonne cause.

Le mercredi quatorziesme jour du moys de mars fu publié à Paris que monseigneur le duc qui par avant s'estoit appellé lieutenant du roy, depuis sa prise, s'appelleroit dès là en avant régent du royaume. Et fu son titre tel : Karolus primogenitus regis Francorum regnum regens, etc. Et jasoit ce que par avant l'en eust tousjours escript au nom du roy, en parlement et en toutes lettres de justice, il fu deffendu celuy jour que plus on n'y escrisist. Et fu baillié le titre tel comme dessus est dit en cédulles aux notaires et aux escrivains du palais : et fu le nom du roy tout estaint. Et ne scella-on plus du scel de chastellet, mais du scel dudit duc en cire jaune. Et portoit le scel maistre Jehan de Dormans, qui estoit chancelier dudit régent. Et furent mis au conseil dudit régent, le prévost des marchans, maistre Robert de Corbie, Charles Toussac et Jehan de l'Isle, maistres et principaux, après ledit evesque de Laon qui tout gouvernoit.

LXVI.

De la mort de Phelipot de Repenti, escuier.

Le samedi au soir, dix-septiesme jour du moys de mars, fu pris à Saint-Cloust, près de Paris, un escuier françois appellé Phelipot de Repenti[99], et fu amené à Paris. Et le lundi matin ensuivant, dix-neuviesme jour dudit moys sus dit, ledit Phelippot eut la teste couppée ès halles de Paris, et puis fu pendu au gibet ; pour ce qu'il confessa que il estoit de la compaignie de pluseurs qui avoient empris de prendre ledit duc de Normendie, régent du royaume, à Saint-Oyen, en l'ostel de la Noble maison, là où il estoit alé trois jours ou quatre devant. Mais pluseurs disoient que ce n'estoit point pour mal, mais estoit pour le mettre hors de la puissance et des mains de ceux de Paris[100]. Et assez tost après, un chevalier appellé le Bègue de Villaines qui moult estoit ami dudit monseigneur Robert de Clermont qui avoit esté tué à Paris, se rendit ennemi de ceux de ladite ville de Paris.

[99] Repenti. Villaret ajoute : ou de Renti ; je ne sais sur quel fondement.

[100] Ce témoignage justifie complètement la loyauté du malheureux Philippe de Repenti.

LXVII.

Coment le régent ala à Senlis et à Compiègne.

Le jour de Pasques fleuries, vint-cinquiesme jour du moys de mars, ledit régent fu à Senlis, là où luy et le roy de Navarre avoient mandé par leur lettres tous les nobles de Picardie et de Beauvoisin. Mais ledit roy n'y ala point, et s'envoia excuser par monseigneur Jehan de Piquegny pour causes de deux bosses que il avoit ès aines, si comme le dit monseigneur Jehan disoit. Mais à ladite journée ala pou desdis nobles.

Si se parti ledit régent et s'en ala à Compiegne. Et environ Pasques les grans, qui furent le premier jour d'avril, l'an mil trois cens cinquante-huit, le confesseur du roy de France et un sien secrétaire appellé maistre Yvon vindrent de Angleterre par devers ledit régent, mais la cause ne fu pas sceue communelment.

Item, le jeudi absolu, furent les ennemis à Corbueil et y pillèrent et prisrent des prisonniers, et s'en partirent tantost.

LXVIII.

Coment le conte de Brene[101] respondi au régent pour ceux de Champaigne. Et coment le chastel de Monsterel-au-fort-d'Yonne fu rendu audit régent lequel y jut une nuit et de là se parti et ala en la cité de Meaux.

[101] Brene. Brienne.

L'an de grace mil trois cens cinquante huit, le lundi après Quasimodo, neuviesme jour du moys d'avril, ledit régent qui avoit mandé par ses lettres les gens d'églyse, les nobles et les bonnes villes de Champaigne pour estre à Provins ledit jour de Quasimodo, entra en ladite ville de Provins. Et jasoit ce que le roy de Navarre eust escript par ses lettres closes aux dessusdis de Champaigne, que il seroit à la journée, toutesvoies n'y fu-il point ; mais maistre Robert de Corbie et monseigneur Pierre de Rosny, archidiacre de Brie en l'églyse de Paris, envoiés là de par la ville de Paris, furent à ladite journée.

Le mardi ensuivant dixiesme jour dudit moys, avant disner, ledit régent parla en sa personne aux dessusdis de Champaigne, et leur dit que le royaume de France estoit à très grant meschief, et avoit moult à faire, si comme il savoient. Si leur pria et requist que il y méissent tout le bon remède que il pourroient, tant par conseil comme par aide, et aussi leur pria que il fussent tout un. Car sé division estoit au peuple de France, il estoit en grant péril, si comme il disoit. Et outre leur dist que sé aucunes choses avoient esté faites qui semblassent estre moult merveilleuses[102], que, par aventure, quant il auroient oï ceux qui lesdites choses avoient faictes, il en seroient apaisiés. Et ce leur disoit ledit régent, si comme l'en cuidoit, pour ceux qui avoient esté tués à Paris. Car après ce que il ot dites les parolles dessusdites, il dist telles parolles : « Véez-cy maistre Robert de Corbie et l'archediacre de Paris qui vous diront aucunes choses de par les bonnes gens de Paris. »

[102] Merveilleuses. Cet adjectif avoit autrefois l'acception de sinistre, inconvenant, insolite. Il n'étoit pas, comme aujourd'hui, synonyme de miraculeux et sembloit plutôt venir de male volens. Dans Garin le Loherain, Fromont refusant d'aller à la rencontre des Sarrasins :

« Et respont Begues : — Merveilles avés dit. »

Plus loin, Begues cherchant à prouver que les Sarrasins s'enfuiront à l'approche des chrétiens, Fromont répond :

« Voir, » dist Fromont. « Merveilles avés dit.
» Volez ocire la gent au roy Pepin. »

Il y a cinquante exemples qui confirment ceux-ci.

Et lors ledit maistre Robert parla et dist à ceux de Champaigne qui là estoient que ceux de Paris les amoient et avoient amés, et vouloient estre tout un avec eux. Et prioient aux dessusdis de Champaigne que il voulsissent estre tout un avec ceux de Paris, et ne se voulsissent merveillier sé aucunes choses avoient esté faictes à Paris ; car quant il sauroient les causes, et auroient oï ceux qui ces choses avoient conseilliées, il en seroient tous apaisiés, si comme disoit ledit maistre Robert, et pluseurs autres choses.

Si requisrent les dessusdis de Champaigne audit régent que il voulsist que il peussent parler ensemble ; laquele chose il leur octroia. Si se traisrent à part et parlèrent ensemble. Et assez tost firent savoir au régent que il estoient près de luy faire response. Si ala ledit régent, le duc d'Orléans son oncle, le conte d'Estampes et pluseurs autres en un jardin, là où les dessusdis de Champaigne estoient ; et là monseigneur Simon de Roucy conte de Brene en Laonnois, respondi pour les Champenois et dist audit régent que il estoient près de luy conseillier de luy aidier et faire tout ce, pour luy, que bons et loyaux subgiès doivent faire pour seigneur. Mais pour ce que les plus grans et plus puissans de Champaigne n'estoient pas là, si comme disoit ledit conte, il requist audit régent que il leur donnast une autre journée pour eux assembler à Vertus en Champaigne ; et bien luy dist ledit conte que lesdis Champenois ne iroient plus à Paris. Laquelle requeste le régent leur ottroia : et fu ladite journée assignée au dimenche vint-nueviesme jour du moys d'avril. Et après dist ledit conte que audit maistre Robert de Corbie ne respondroient-il point, car à luy n'avoient-il que respondre. Et si demanda ledit conte audit régent de par les Champenois sé il savoit aucun mal au mareschal de Champaigne qui avoit esté tué à Paris, né villenie aucune pour laquelle on le deust avoir mis à mort? Et bien dit le conte que de monseigneur Robert de Clermont ne demandoit-il rien, car il s'en attendoit[103] à ceux de son pays, et bien créoit que il en feroient leur devoir. Lequel régent leur respondi que il tenoit et créoit fermement que ledit mareschal de Champaigne et ledit messire Robert de Clermont l'avoient servi et conseillié bien et loyaument, et n'avoit oncques sceu le contraire. Et lors ledit conte de Brene dist audit régent : « Monseigneur, Nous Champenois qui cy sommes vous mercions de ce que vous nous avez dit ; et nous attendons que vous fassiez bonne justice de ceux qui nostre ami ont mis à mort sans cause. » Et ce fait et dit, ledit régent ala disner et tous les Champenois qui vouldrent aler avec ly, car il en avoient esté tous semons.

[103] Il s'en attendoit. Il s'en rapportoit.

Et le mercredi ensuivant, onziesme jour dudit moys d'avril, ledit régent se parti de Provins et s'en ala en l'abbaye de Pruilly[104], et de là à Monsterel-au-fort-d'Yonne. Et ala devant le chastel lequel gardoit, de par la royne Blanche, un chevalier appellé monseigneur Taupin du Plessie, lequel Taupin estoit sur la porte dudit chastel tout armé, la teste au bacinet, quant ledit régent ala devant. Et lors, ledit régent luy commanda que il ouvrist la porte du chastel. Lequel Taupin ly respondi : « Mon redoubté seigneur, pour Dieu ne me veuilliez déshonnourer : madame la royne Blanche m'a baillié ce chastel à garder, et m'a fait jurer que je ne le rendroie à personne du monde, fors au roy[105] et à elle. Je vous supplie que il vous plaise à envoier par devers elle, et je cuide qu'elle me mandera tantost que je le vous rende. »

[104] Pruilly. La cinquième fille de Cîteaux. Entre Provins et Montereau-Fault-Yonne, comme on écrit aujourd'hui.

[105] Au roy. Sans doute celui de Navarre.

Auquel Taupin ledit régent commanda de rechief deux fois ou trois que il luy ouvrist ledit chastel. Et lors ledit Taupin luy respondit : « Mon redoubté seigneur, je ne tendray pas ce chastel contre vous ; mais pour Dieu vueilliez-moi garder mon honneur. » Si descendi à la porte et l'ouvri ; et ledit régent et ses gens y entrèrent, et y coucha une nuit et le prist en sa main, et establi à le garder de par ly ledit Taupin, et li fist faire serement nouvel. Et se parti dudit chastel et s'en ala à Meaux, là où demouroit lors madame la duchesse, sa femme, et là où il avoit envoié de Provins le conte de Joigny et environ soixante hommes d'armes en sa compaignie, pour ce que l'en ly avoit dit que ceux de Paris avoient entencion de prendre et garnir de par eulx le marchié de Meaux. Et y estoit entré ledit conte deux jours devant. Dont le maire et aucuns de ladite ville furent moult courrouciés, et en parla ledit maire moult haultement audit conte de Joigny, qui s'estoit mis audit marchié et le tenoit. Et luy dist ledit maire que sé il cuidast qu'il voulsist avoir pris ledit marchié que il ne feust pas entré en ladite ville de Meaux. Et quant ledit régent fu en ladite ville de Meaux, ledit conte luy dist ce que ledit maire luy avoit dit. Lequel maire fu mandé devant ledit régent, et luy furent récitées les parolles que il avoit dictes, et les luy fist-l'en amender, et fu réservée la tauxation et l'amende.

LXIX.

De l'artillerie que ceux de Paris pristrent au Louvre, et la firent porter en l'ostel de la ville.

Le mercredi, dix-huitiesme jour dudit moys d'avril, se parti ledit régent de la ville de Meaux pour aller à Compiegne à une journée[106] qu'il avoit mise aux Vermendisiens qui y devoient estre. Et luy apporta-on, celuy jour, nouvelles que ceux de Paris avoient pris grant quantité d'artillerie que on avoit mis au Louvre et chargiée, pour mener en certains lieux où ledit régent avoit ordené que fust menée ; et l'avoient ceux de Paris fait mener en la maison de la ville, en Grève. Et si avoient encore les dessusdis de Paris envoié audit régent unes bien merveilleuses lettres closes. Et un pou avant, il avoient mis gens d'armes de par eux audit chastel du Louvre. Et en ce temps et par avant, depuis que ledit régent s'estoit parti de Paris repairoient pou ou nuls gentils hommes en ladite ville de Paris, dont ceux de ladite ville estoient moult dolens. Et tenoient pluseurs que les gentils hommes leur vouloient mal[107]. Et fu une grande division au royaume de France. Car pluseurs villes, et la plus grant partie, se tenoient devers le régent leur droit seigneur ; et autres se tenoient devers Paris.

[106] Une journée. Un ajournement, rendez-vous.

[107] Ce fut l'émigration du temps. Dans les jours de déchaînement populaire, il faut ou se joindre à la bête féroce, ou se préparer un abri contre elle ; et dans cette alternative, il n'y a guère à recueillir que des regrets ou de la honte.

LXX.

Du descort de ceux d'Amiens les uns contre les autres, et coment les ennemis qui tenoient Esparnon pillièrent Chastiau-Landon.

Le jeudi ensuivant, dix-neuviesme jour du moys d'avril, ledit régent fu à Compiegne, et y demoura une pièce. Et là luy furent aportées nouvelles que en la ville d'Amiens avoit très grant descort entre ceux de la ville. Si s'esmeut pour y aler, et ala jusques à Corbie. Là oï nouvelles pour lesquelles il n'ala point oultre.

En celuy jour furent les ennemis qui demouroient à Esparnon, à Chastiau-Landon et l'endemain à Chésoy[108]. Et y pillièrent et pristrent prisonniers tant que l'en disoit que il y avoient bien gaingnié cinquante mil moutons d'or et plus. Et s'en retournèrent sans aucun empeschement à Esparnon, à tout leur pillerie et leur prisons.

[108] Chesoy. Sans doute Cheroy, entre Sens et Château-Landon.

Incidence. Le lundy jour de saint Georges, vingt-troisiesme jour dudit moys d'avril, fist le roy d'Angleterre une moult solemnel feste à Windesores, là où le roy de France estoit en prison ; et y alèrent pluseurs grans seigneurs d'Alemaigne, de Henault et de Breban.

LXXI.

De l'ordenance qui fu faite en Champaigne sur le fait des aides pour la guerre.

Le dimenche vint-neuviesme jour du moys d'avril, furent les Champenois assamblés à Vertus. Mais ledit régent n'y fu pas, car il estoit encore au voyage que il avoit fait vers Amiens. Et pour ce y envoia monseigneur Symon de Roucy, conte de Brene, lequel fist autelles requestes aux Champenois, de par ledit régent, comme ledit régent leur avoit fait à Provins. Si furent ensamble par deux jours et furent d'accort que il feroient, ès bonnes villes de soixante-dix feus, un homme d'armes : et au plat pays, personnes franches de cent feus, un homme d'armes : et de personnes serves et de fors mariages et de mortes mains de deux cens feus, un homme d'armes. Les gens d'église, un dixiesme : les nobles de cent livres de rente cent souls : et, outre ce, sé aucuns bourgois tenoient aucun fief, il en paieroient comme les nobles, avec ce que il paieroient des feus. Et toute celle aide il lèveroient par leur mains et despendroient en gens d'armes par leur mains, sé n'estoit le dixiesme que le régent auroit pour sa despense. Et envoièrent audit régent ceste ordenance.

Item, le mardi premier jour de may ensuivant, devoient toutes les bonnes villes rassembler à Paris, par l'ordenance que il avoient faictes à la dernière assemblée qui y avoit esté ; mais ledit régent manda que ladite assemblée se féist à Compiegne, le vendredi ensuivant, quatriesme jour du moys de may, et ainsi se fist. Dont ceux de Paris furent moult courrouciés ; mais la plus grant partie de toutes les autres villes en avoient grant joie. Et en ladite ville de Compiegne fu accordé par tous, tant de gens d'églyse comme de nobles et des bonnes villes, un pareil subside à celuy qui avoit esté accordé à Vertus par les Champenois.

LXXII.

Coment monseigneur le régent et le roy de Navarre parlementèrent ensamble, le roy de Navarre pour ceux de Paris ; et coment le roy de Navarre vint à Paris ; et luy firent ceux de Paris grant joie et grant honneur et en eussent volentiers fait leur capitain et leur gouverneur.

Le mercredi, secont jour du moys de may, le roy de Navarre qui estoit logié à Mello[109], et ledit régent duc de Normendie qui estoit logié à Clermont en Beauvoisin, furent en mi-marchié desdites villes, au lieu que l'en dit Domage-Lieu[110] pour parlementer ; et avoient chascun grant foison de gens d'armes. Et là parla ledit roy audit régent pour ceux de Paris, afin que iceluy régent voulsist accorder à eux. Et ledit régent dist audit roy que il aimoit ladite ville de Paris, et que il savoit bien que en celle ville avoit de bonnes gens, mais aucuns qui y estoient luy avoient fait grans villenies pluseurs et desplaisirs, comme de tuer ses gens en sa présence, de prendre son chastel du Louvre et son artillerie, et pluseurs autres grans despis luy avoient fais. Si n'avoit pas entencion de entrer à Paris jusques à ce que ces choses li fussent adreciées. Et requist audit roy que il fust avec luy et luy aidast à les adrecier.

[109] Mello. Ou Merlou, à quatre lieues de Senlis.

[110] Cette dernière indication n'est pas dans le manuscrit de Charles V, et je n'ai pas retrouvé sur les cartes ce nom de Domage-Lieu, que donnent les autres leçons.

L'endemain, jour de jeudi, rassemblèrent audit lieu et parlèrent ensemble comme le jour précédent. Et après se parti ledit roy et s'en ala à Paris où il entra le vendredi ensuivant, quatriesme jour dudit moys de mai, à moult grant compaignie, tant de ses gens comme de ceux de Paris qui estoient alés encontre luy. En laquelle ville il fu moult honnoré et seigneuri par l'espace de dix ou douze jours que il y demoura ; et volentiers en eussent fait leur capitain aucuns de ceux de Paris ou leur seigneur, comme faux et mauvais que il estoient.

Item en celuy temps, l'evesque de Laon qui estoit en l'assemblée à Compiegne, fu en péril d'estre tué par pluseurs nobles hommes qui là estoient avec ledit régent. Et convint que il s'en partist celéement ; et ala à Saint-Denis en France. Et manda à ceux de Paris que on le alast querir. Si envoièrent ceux de Paris et aussi le roy de Navarre qui là estoit, grant quantité de gens d'armes quérir ledit evesque à Saint-Denis ; et vindrent en sa compaignie jusques à Paris. Si fu dit audit régent de pluseurs nobles et autres que ledit evesque estoit faux et mauvais ; et vérité estoit : car par luy estoient avenus tous les maux au royaume de France. Et luy requistrent que il ne fust plus à son conseil.

Item, en celuy temps, Jehan de Meudon, chastelain de Evreux pour le roy de France, bouta le feu en ladite ville de Evreux et fu toute arse, dont le roy de Navarre fu moult courroucié.

Item, le dimenche treiziesme[111] jour du moys de may, partirent les ennemis qui estoient à Esparnon dudit lieu, et chevaulchièrent de rechief en Gatinois. Et ardirent toute la ville de Nemours, et moult dommagièrent pluseurs autres villes au pays, comme Grés[112] et autres villes, dont moult de gens estoient merveilliés ; car ce pays estoit en douaire à la royne Blanche, suer audit roy de Navarre. Et monseigneur James Pipes, capitain d'Esparnon, s'appeloit lieutenant au roy de Navarre en ses saufs conduis et en ses autres fais, et si estoit souvent avec le roy de Navarre, si comme l'en disoit[113]. Et s'en retournèrent les ennemis trois ou quatre jours après, sans ce que aucun leur féist empeschement.

[111] Treiziesme. Et non pas quatriesme comme portent les autres manuscrits et les éditions précédentes. Le 4 may tomboit un vendredy, cette année-là.

[112] Grés ou Grez. Aujourd'hui village entre Nemours et Fontainebleau.

[113] Cette liaison du roy de Navarre avec le partisan James Pipes n'étoit peut-être pas bien prouvée ; mais tout porte à croire, surtout les sauf-conduits rapportés plus haut, que Charles-le-Mauvais avoit promis aux pillards de ne marcher ni faire marcher contre eux. Le dauphin, de son côté, privé d'argent par les Etats qui percevoient toutes les taxes, ne pouvoit réunir dix hommes d'armes, avant les assemblées de Compiègne et de Vertus. Les malheurs publics permettoient donc aux émissaires du Navarrois de calomnier le fils du roi, d'insinuer l'idée de transporter la couronne de France sur une tête plus puissante, etc., etc. — Il y a quelque rapport entre les accapareurs de 1790 et les pillards de 1358.

LXXIII.

Des lettres qui furent aportées d'Angleterre.

Le mardi, quinziesme jour du moys de may, furent aportées à Paris pluseurs lettres closes envoiées d'Angleterre, de pluseurs grans seigneurs de France et d'autres, par lesquelles on escripvoit que la paix avoit esté faite entre les roys de France et d'Angleterre le huitiesme jour dudit moys, et que lesdis roys avoient mangié ensemble et s'estoient entrebaisiés. Laquelle chose les uns ne créoient point, les uns pour ce que il ne voulsissent pas, les autres pour ce que par pluseurs fois avoit ainsi esté mandé et tousjours les Anglois y avoient mis empeschement ; et les autres qui en estoient forment joieux le créoient.

LXXIV.

Du commencement et première assemblée de la mauvaise Jaquerie de Beauvoisin.

Le lundi, vint-huitiesme jour dudit moys de may, s'esmurent pluseurs menues gens de Beauvoisin des villes de Saint-Leu de Serens, de Nointel, de Cramoisi[114] et d'environ, et se assemblèrent par mouvement mauvais. Et coururent sur pluseurs gentils hommes qui estoient en ladite ville de Saint-Leu et en tuèrent neuf : quatre chevaliers et cinq escuiers. Et ce fait, meus de mauvais esprit, alèrent par le pays de Beauvoisin, et chascun jour croissoient en nombre, et tuoient tous gentils hommes et gentils femmes qu'il trouvoient, et pluseurs enfans tuoient-il. Et abattoient ou ardoient toutes maisons de gentils hommes qu'il trouvoient, fussent forteresces ou autres maisons. Et firent un capitaine que on appelloit Guillaume Cale[115]. Et alèrent à Compiègne, mais ceux de la ville ne les y laissièrent entrer. Et depuis il alèrent à Senlis, et firent tant que ceux de ladite ville alèrent en leur compaignie. Et abattirent toutes les forteresces du pays, Armenonville, Tiers et une partie du chastel de Beaumont-sur-Oyse. Et s'enfouy la duchesse d'Orléans qui estoit dedens, et s'en ala à Paris.

[114] Nointel, Saint-Leu et Cramoisi sont aujourd'hui trois villages : le premier au-dessus de Beaumont-sur-Oise ; le second sur la même rivière, à cinq lieues au-dessous ; le troisième entre Mello et Saint-Leu. Quant à Serens, ce doit être le surnom du village de Saint-Leu, et il faut le reconnoître dans le Sanctum-Lupum de Cherunto du Continuateur de Nangis. La carte de Desnos (Généralité de Paris) écrit : Saint-Leu Desservant. Tiers et Ermenonville, que les paysans abattirent, sont des villages situés aux deux extrémités de la forêt d'Ermenonville, à quatre ou cinq lieues de Saint-Leu. La chronique inédite du Msc. 530 dit également que « la première esmeute des paysans contre les nobles fu commenciée dans la première sepmaine du moys de juing. » (Fo 69, Vo.)

[115] Guillaume Cale. « Capitaneum quemdam de villâ quæ Mello dicitur, rusticum magis astutum ordinarunt, scilicet Guillermum dictum Karle. » (Continuateur de G. de Nangis.) La Jaquerie, l'un des épisodes de la déplorable année 1358, offre les plus grands rapports avec les bandes qui, presque de nos jours, crioient : Guerre aux Châteaux, Paix aux Chaumières.

LXXV.

De la mort du maistre du pont de Paris et du maistre charpentier du roy, par les gouverneurs de Paris.

Le mardi vint-neuviesme jour dudit moys, le prévost des marchans et les autres gouverneurs de Paris firent couper les testes et après escarteler les corps, en Grève à Paris, au maistre du pont de Paris, appellé Jehan Peret, et au maistre charpentier du roy, appellé Henry Metret, à tort et sans cause ; pour ce, si comme il disoient, que il devoient avoir traictié avec aucuns dudit duc de Normendie, ainsné fils du roy de France et régent le royaume, de mettre gens d'armes dedens ladite ville de Paris pour ledit régent. Et firent pendre les quartiers desdis maistres aux entrées de ladite ville de Paris. Et je qui ceci escris vi[116] que quant le bourel, appellé lors Raoulet, voult coupper la teste au premier maistre, c'est assavoir audit Peret, il chaï et fu tourmenté d'une cruelle passion tant que il rendoit escume par sa bouche ; dont pluseurs de Paris disoient que ce estoit miracle, et que il déplaisoit à Dieu de ce que on les faisoit mourir sans cause. Et lors un advocat du Chastelet, appellé maistre Jehan Godart, lequel estoit aux fenestres de l'ostel de la ville, en la place de Grève, dist haultement oïant le peuple qui là estoit : « Bonnes gens, ne vous vueilliez esmerveillier sé Raoulet est ainsi chéu de mauvaise maladie, car il en est entechié[117], et en chiet souvent. »

[116] Et je qui ceci escris. Ces mots ne sont que dans le manuscrit de Charles V : les autres avec les éditions gothiques portent : « Et virent pluseurs. » Notre texte doit être le véritable et prouve que le Chroniqueur étoit à Paris dans ce temps-là, sans doute assez mal à son aise, en raison de ses sentimens de loyauté. — Les éditions précédentes ne nomment pas Peret.

[117] Entechié. Affecté.

LXXVI.

De la cruauté de ceulx de Beauvoisin ; et coment le régent se parti de Meaux pour aler à Sens.

En ce temps multiplièrent moult ces gens de Beauvoisin. Et se resmuèrent et assemblèrent pluseurs autres en diverses flotes en la terre de Morency, et abatirent et ardirent toutes les maisons et chastiaux du seigneur de Morency et des autres gentils hommes du pays. Et aussi se firent autres assemblées de tels gens en Mucien[118] et en autres lieux environ. Et en ces assemblées avoit gens de labour le plus, et si y avoit de riches hommes, bourgois et autres ; et tous gentils hommes que il povoient trouver il tuoient, et si faisoient-il gentils femmes et pluseurs enfans ; qui parestoit trop grant forsennerie.

[118] Mucien ou Mulcien. « Pagus Melcianus. » C'est la partie de Brie renfermée entre Crepy et Crécy. Elle comprend Meaux, May-en-Mulcien, Rosoy-en-Mulcien, etc. (Voy. M. Guérard, Provinces et Pays de la France, dans l'Annuaire de la Société de l'Histoire de France, année 1837.)

En ce temps, ledit régent qui estoit au marchié de Meaux que il avoit fait enforcier et faisoit de jour en jour, s'en parti et ala au chastel de Monstereil au fort d'Yonne ; et assez tost après s'en parti et ala en la cité de Sens, en laquelle il entra le samedi neuviesme jour de juing ensuivant, à matin. Et fu receu en ladite cité par les gens d'icelle moult honnorablement si comme il le devoient faire, comme à leur droit seigneur après le roy de France son père. Et toutesvoies, avoit lors pou de villes, cités ou autres en la Langue d'oyl qui ne fussent meues contre les gentils hommes, tant en faveur de ceux de Paris qui trop les haoient, comme pour le mouvement du peuple. Et néantmoins fu-il receu en ladite ville de Sens à grant paix et honorablement. Et fist ledit régent en ladite ville grant mandement de gens d'armes.

LXXVII.

Coment ceux de Paris furent desconfis à Meaux ; et de la mort du maire de la ville appellé Jehan Soulas.

Celuy samedi meisme, qui estoit le neuviesme jour de juing, l'an mil trois cens cinquante-huit, pluseurs qui estoient partis de la ville de Paris, jusques au nombre de trois cens ou environ, desquels gens estoit capitain un appellé Pierre Gille espicier de Paris, et environ cinq cens qui s'estoient assemblés à Cilly en Mucien[119], desquels estoit capitain un appellé Jehan Vaillant prévost des monnoies du roy, alèrent à Meaux. Et jasoit ce que Jehan Soulas, lors maire de Meaux, et pluseurs autres de ladite ville eussent juré audit régent que il luy seroient bons et loyaux et ne souffreroient aucune chose estre faite contre luy né contre son honneur, néantmoins il firent ouvrir les portes de ladite cité auxdis de Paris et de Cilly, et firent mettre les tables et les nappes parmy les rues, le pain, le vin et les viandes sus ; et burent et mangièrent sé il vouldrent et se resfraichirent. Et après se mirent en bataille, en alant droit vers le marchié de ladite ville de Meaux auquel estoit la duchesse de Normendie et sa fille, et la seur dudit régent, appellée madame Ysabel de France qui puis fu femme du fils du seigneur de Milan et fu contesse de Vertus que le roy Jehan, son père, luy donna à son mariage. Et avec eux estoit le conte de Foys, le seigneur de Hangest et pluseurs autres gentils hommes que ledit régent y avoit laissiés pour garder ladite duchesse sa femme, sa fille, sa seur et ledit marchié.

[119] Cilly ou Silly. Aujourd'hui hameau à quatre lieues au-delà de Dammartin, près de la route de Soissons.

Si issirent dudit marchié lesdits conte de Foys, le seigneur de Hangest et aucuns autres, jusques au nombre de vint-cinq hommes d'armes ou environ, et alèrent contre les dessusdis Pierre Gille et sa compaignie ; et se combattirent à eux. Et là fu tué un chevalier dudit marchié appellé monseigneur Loys de Chambly, d'un vireton près de l'euil. Finablement ceux dudit marchié eurent victoire. Et furent ceux de Paris, de Cilly et pluseurs de la cité de Meaux qui s'estoient mis avec eux, desconfis. Et pour ce, ceux dudit marchié mirent le feu en ladite cité et ardirent aucunes maisons[120].

[120] Le manuscrit de Charles V donne ici, dans une miniature, la représentation du combat. Le marché de Meaux est une forteresse dont on distingue trois tours, surmontées chacune d'un petit pennon blanc. Le drapeau blanc étoit donc, dès le règne du roi Jean, celui de la monarchie françoise ; je ne crois pas qu'on l'ait encore remarqué dans un monument aussi ancien. Au reste, il se pourroit que les couleurs bleu et rouge du parti populaire eussent été la première cause de l'adoption d'une troisième couleur, le blanc, pour signe de ralliement des royalistes.

Et depuis furent informés que pluseurs de ladite cité avoient esté armés contre eux et les avoient voulu trahir, et pour ce ceux dudit marchié pillièrent et ardirent partie de ladite cité. Mais la grant églyse ne fu pas arse né aussi aucunes maisons des chanoines : mais toutesvoies fu tout pris ; et aussi fu le chastel qui estoit au roy ars ; et dura ledit feu tant en ladite ville comme audit chastel plus de quinze jours. Et pristrent ceux dudit marchié Jehan Soulas, le maire de ladite ville de Meaux, et pluseurs autres hommes et femmes, et les tindrent prisons audit marchié. Et depuis fit-l'en mourir ledit maire, si comme droit estoit.

LXXVIII.

De la mort Guillaume Cale par le roy de Navarre ; et coment ledit roy ala de Beauvoisin à Saint-Ouyn, pour parler au prévost des marchans.

En celuy temps chevaulcha le roy de Navarre en Beauvoisin, et mist à mort pluseurs de ceux des communes ; et par espécial fist coupper la teste dudit Guillaume Cale à Clermont en Beauvoisin. Et pour ce que ceux de Paris luy mandèrent que il alast vers eux à Paris, il se traist à Saint-Ouyn, en l'ostel du roy appellé la Noble-Maison. Et là ala le prévost des marchans parlementer audit roy. Et le jeudi, quatorziesme jour dudit moys de juing, ala ledit roy de Navarre à Paris. Et contre luy alèrent pluseurs de ladite ville de Paris pour luy accompagnier jusques là où il descendi, c'est assavoir à Saint-Germain-des-Prés.

LXXIX.

Du preschement que le roy de Navarre fist en l'ostel de la ville, et coment par l'énortement de ses aliés fu fait capitain de Paris : dont pluseurs de ladite ville furent courrouciés.

Le vendredi, quinziesme jour de juing, ledit roy de Navarre vint en la maison de la ville et prescha. Et entre les autres choses dist que il amoit moult le royaume de France et il y estoit moult bien tenu, si comme il disoit ; car il estoit des Fleurs de lis de tous costés, et eust esté sa mère roy de France sé elle eust esté homme ; car elle avoit esté seule fille du roy de France. Et si luy avoient les bonnes villes du royaume, par espécial celle de Paris, fait très grans biens et haus honneurs, lesquels il taisoit ; et pour ce estoit-il prest de vivre et de mourir avecques eulx.

Et aussi prescha Charles Toussac et dist que le royaume de France estoit en petit point et avoit mal esté gouverné, et encore estoit ; si estoit mestier que il y féissent un capitain qui mieux les gouverneroit et luy sembloit que meilleur ne povoient-il avoir du roy de Navarre.

Et à ce mot furent pluseurs forgiés et ordenés à ce, qui crièrent : Navarre! Navarre! tous à une voix ainsi comme sé il voulsissent dire : Nous voulons le roy de Navarre. Et toutesvoies, la plus grant partie de trop de ceulx qui là estoient se teurent et furent courrouciés dudit cry ; mais il ne l'osèrent contredire.

Si fu lors esleu ledit roy en capitain de la ville de Paris ; et luy fu dit, de par le prévost des marchands de Paris, que ceux de Paris escriproient à toutes bonnes villes du royaume, afin que chascun se consentist à faire ledit roy capitain universal par tout le royaume de France.

Et lors, leur fist ledit roy serment de les garder et gouverner bien et loyalement, et de vivre et morir avec eulx contre tous, sans aucun excepter ; et leur dist : « Biaux seigneurs, ce royaume est moult malade, et y est la maladie moult enracinée ; et, pour ce, ne puet-il estre si tost gary : si ne vous vueilliés pas mouvoir contre moy sé je ne apaise si tost les besoingnes, car il y faut trait et labour. »

LXXX.

Coment ledit régent s'en ala de Sens à Provins, à Chasteau-Tierry et à Gandelus ; et du nombre des Jaques tués par gentilshommes.

Celui vendredi meismes, ledit régent qui toute celle sepmaine avoit demouré à Sens, s'en parti et s'en ala à Provins, et d'illec vers Chasteau-Tierry et vers Gandelus[121] où l'en disoit qu'il avoit grande assemblée de ces communes que l'en appelloit Jaques-Bonhomme ; et tousjours luy venoient gentilshommes de tous pays. Et la royne Jehanne estoit à Paris, laquelle mettoit grande diligence de faire aucun traictié entre ledit régent, par devers lequel elle envoioit souvent, et ceulx de Paris. Et pour ce se parti ladite royne de Paris le samedi vingt-troisiesme jour de juing pour aler par devers ledit régent qui estoit environ Meaulx, en attendant les gens d'armes qui luy venoient.

Et tousjours ardoient les gentilshommes aucunes maisons que il trouvoient à ceulx de Paris, sé il n'estoient officiers du roy ou dudit régent ; et prenoient et emportoient tous les biens meubles que il trouvoient et estoient auxdis habitans ; et ne se osoit homme qui alast par pays, avoer de Paris[122]. Et aussi tuoient les gentilshommes tous ceux que il povoient trouver qui avoient esté de la compagnie des Jaques, c'est-à-dire des communes qui avoient tué les gentilshommes, leur femmes et leur enfans, et abattues maisons ; et tant que on tenoit certainement que l'en en avoit bien tué dedens le jour de la saint Jean-Baptiste vint mil et plus.

[121] Gandelus. Aujourd'hui bourg du département de l'Aisne, à quatre lieues de Château-Thierry.

[122] C'est que ces Marseillais du XIVe siècle avoient été bien réellement soulevés par les anarchistes de Paris. Je demande la permission de citer à l'appui de cette opinion la précieuse chronique manuscrite conservée sous le no 530, Supplément françois. A l'occasion de l'expédition du roi de Navarre contre les Jacques, on y lit : « En ce temps assembla le roy de Navarre grans gens et ala vers Clermont-en-Beauvoisis, et en tuèrent plus de huit cens et fist copper la teste à leur cappitaine qui se vouloit tenir pour roy ; et dient aucuns que les Jacques s'attendoient que le roy de Navarre leur deust aidier, pour l'aliance que il avoit au prévost des marchans, par lequel prévost la Jaquerie s'esmeut, si comme on dit. En ce temps alèrent ceux de Paris » — (non pas les Navarrois) « à Ermenonville, et assaillirent le chastel et le prindrent d'assaut. Là estoit de Lorris, qui avoit l'ordre de chevalerie ; mais par paour il regnia gentillesse et jura que il amoit mieulx les bourgois et le commun de Paris que les nobles ; et par ce fu sauvé et sa femme et ses enfans. Mais ses biens furent tous robés et prins qui dedens le chastel estoient. Lors repairèrent icelles gens à Paris. » Notre chronique a dit plus haut qu'Ermenonville avoit été pris par les Jaques. Parisiens ou Jaques, c'étoit tout un.

LXXXI.

Coment les gentilshommes de Bourgoigne laissièrent le roy de Navarre.

Le vendredi vingt-deuxiesme jour dudit mois de juing, le roy de Navarre parti de Paris et avecques luy pluseurs de ladite ville et pluseurs de ses gens. Et estoient environ six cens glaives, et alèrent à Gonesse où pluseurs autres des villes de la visconté de Paris les attendoient. Et deux jours ou trois devant, pluseurs des gentilshommes qui avoient esté avec ledit roy de Navarre une partie de la saison et encore estoient, espécialement ceulx du pays de Bourgoigne, prisrent congié dudit roy de Navarre, quant il virent que il avoit accepté la capitainerie de ceus de Paris, en disant que il ne seroient point contre ledit régent né contre les gentilshommes ; et s'en partirent et s'en alèrent en leur pays. Et ledit roy et sa compaignie s'en alèrent vers Senlis.

LXXXII.

Coment ledit régent et son ost logièrent près de Paris, en telle manière que nul n'osoit issir né entrer en ladite ville de celle part où il estoit.

Monseigneur le régent qui avoit esté vers Chasteau-Tierry, vers la Ferté-Milon et au pays environ pour despécier pluseurs assemblées des Jaques qui là estoient, après ce que les nobles qui estoient avec ledit régent orent mis à mort pluseurs Jaques, ars et gasté tout le pays entre la rivière de Marne et de Seine, s'en retourna en alant vers Paris, et se logia à Chielle-Sainte-Bautheut[123], la derrenière sepmaine de juing, c'est assavoir le mardi vingt-troisiesme jour dudit moys.

[123] Bautheut. Bathilde.

Et la royne Jehanne fu à Laigny, qui moult se penoit de traictier entre ledit régent et ceulx de Paris. Et lors n'y pout aucun traictié estre trouvé : car ceulx de Paris se tenoient fiers et haus contre ledit régent leur seigneur. Et pour ce, luy et son ost se deslogièrent de Chielle et se logièrent environ le bois de Vincennes, environ le pont de Charenton et environ Conflans, le vendredy vint-neuviesme jour dudit moys de juing. Et tenoit-l'en que en l'ost dudit régent avoit bien trente mil chevaux. Si fu tout le pays gasté jusques à huit ou dix lieues, et communément les villes arses.

Et ledit roy de Navarre s'en retourna et entra en la ville de Saint-Denis, lequel roy estoit alié avec ceulx de Paris contre ledit régent leur droit seigneur. Et si avoit en la compaignie dudit roy grant foison ennemis du roy et du royaume de France, Anglois et autres que ledit roy de Navarre avoit fait venir des garnisons anglesches, d'Esparnon et d'autre part. En la ville de Saint-Denis se tint le roy de Navarre. Et ledit régent et son ost estoient logiés ès lieux dessus dis, et estoit le corps dudit régent logié en l'ostel du Séjour, ès Quarrières[124]. Et n'osoit homme issir de Paris de celle part né entrer aussi ; mais par pluseurs fois en issoit l'en en bataille ; mais tousjours perdoient plus qu'il ne gaignoient et en y ot pluseurs mors.

[124] Quarrières. Les Carrières sont un petit village dépendant de la commune de Charenton. Quant à l'ostel du Séjour, c'est aujourd'hui la maison de plaisance ou de refuge de M. l'archevêque de Paris.

LXXXIII.

Coment le régent et le roy de Navarre assemblèrent en un pavillon qui fu tendu sur une motte, entre Saint-Anthoine et le bois, pour accorder un traictié que la royne Jehanne avoit basti ; et du serment que ledit roy fist sur Corpus Domini que l'evesque de Lisieux avoit célébré, en entencion que ledit régent et ledit roy le usassent pour plus fermement tenir leur seremens ; mais ledit roy de Navarre refusa à user le premier.

Le dimenche huitiesme jour de juillet ensuivant, assemblèrent lesdis régent et roy de Navarre en un pavillon qui, pour ce, fu tendu près de Saint-Anthoine, en un lieu que l'en dit le Moulin-à-Vent, pour accorder ensemble certain traictié que la royne Jehanne avoit pourparlé. Si estoient les batailles dudit régent toutes ordenées aux champs en quatre batailles, où l'en estimoit bien douze mil hommes d'armes et plus. Et les gens du roy de Navarre furent en bataille ordenés sur une petite montaigne près de Monstruel et de Charonne, et n'estoient pas plus de huit cens combattans, si comme l'en les estimoit. Et, pour ce que il estoient si petit nombre ne approchièrent point ledit pavillon né les batailles audit régent.

Si parlementèrent ledit régent et ses gens et le roy de Navarre et ses gens, en la présence de ladite royne. Si furent à acort par la manière qui s'ensuit, c'est assavoir : pour toutes les choses que ledit roy pourroit demander audit régent pour quelconques causes que ce fust, luy bailleroit dix mil livres de terre[125] et quatre cens mil florins à l'escu, lesquels seroient bailliés audit roy par la manière qui s'ensuit. C'est assavoir la première année cent mil, et chascun an ensuivant cinquante mil, jusques à fin de paie ; et si seroient lesdis quatre cens mil florins pris sur les aydes que le peuple feroit pour cause des guerres, sans ce que ledit régent en fust autrement tenu né obligé. Et pour ce, ledit roy de Navarre devoit estre avec ledit régent contre tous excepté le roy de France ; et afin que ledit régent et le roy de Navarre tenissent sans enfraindre toutes les choses dessus dites, l'evesque de Lisieux, qui présent estoit, chanta une messe audit pavillon, environ heure de nonne, et consacra deux personnes[126], en espérance que de l'une fust fait deux parties et usées par lesdis régent et roy. Et quant la messe fu chantée, lesdis régent et roy jurèrent, sur le corps-Dieu sacré que ledit evesque tenoit entre ses mains, que il teindroient et acompliroient sans enfraindre tout ce que chascun avoit promis, présens à ce dus, contes et barons tant come en povoit au devant dit pavillon, environ heure de nonnes. Et après ledit evesque brisa l'oiste, et en voult faire user à chascun desdis régent et roy ; mais ledit roy dit que il n'estoit pas jeun[127] ; et pour ce ledit régent n'en prist point aussi, jasoit ce que il se feust ordené pour le recevoir. Si usa tout ledit evesque. Et, par ce, ledit roy devoit aler à Paris pour les faire mettre en l'obéissance dudit régent. Et ainsi se départirent ; et s'en ala ledit régent aux Quarrières et ledit roy à Saint-Denis.

[125] Dix mil livres de terre. C'est-à-dire lui assigneroit la propriété de terres évaluées à dix mille livres.

[126] Personnes. Deux oistes ou hosties, deux Corpus Domini.

[127] Jeun. « Jejunus. » A jeun.

LXXXIV.

Coment, après les dessusdis sermens, les gens au roy de Navarre coururent sus aux gens du régent.

Le mardi ensuivant dixiesme jour du moys de juillet, le roy de Navarre ala à Paris ; et cuidoit ledit régent que ledit roy deust aler devers luy, celuy jour, porter la response de ceux de Paris : mais il n'y ala point, ainçois demoura tout ce jour. Et l'endemain, le onziesme jour dudit moys, il mist en ladite ville de Paris les Anglois que il avoit avecques luy. Et disoit-l'en en l'ost dudit régent que ceux de Paris avoient dit audit roy que il avoit fait sa paix sans eux et que il ne leur en challoit, car il se passeroient bien de li[128]. Et pour ce fist nouvelles alliances, si comme l'en disoit, avec eux ; et bien y parut de fait, car il ne retourna point devers ledit régent ; mais[129], luy estant dedens ladite ville de Paris, pluseurs en issirent armés, par espécial de ceux que il y avoit menés.

[128] Cette dernière circonstance précieuse est éclaircie par le continuateur de Nangis, qui place le fait après la destruction prétendue du pont de bateaux dont il sera question tout à l'heure : « Alterâ autem vice contigit quod nobiles cum duce in armis partes illas ubi pons fuerat, ut dicitur, propè pontem de Charenton accesserunt, ut regem Navarræ cum Parisiensibus expugnarent, contrà quos rex Navarræ, capitaneus parisiensis, cum suis armatus aggressus est, et veniens ad ipsos locutus est multis sermonibus eis sine pugnâ, et deindè reversus est Parisius. Quod videntes Parisienses, suspicati sunt contrà ipsum, quod, quia nobilis erat, cum aliis conspirasset aliqua Parisiensibus secreta forsitan vel nocua. Propter quod dictum regem cum suis spreverunt, et ipsum ab illo officio removerunt. »

(Spicileg., t. III, p. 118.)

[129] Mais, etc. Cette dernière phrase est inédite, et ne se trouve complète que dans le manuscrit de Charles V.

Et assaillirent ledit mercredi, onziesme jour dudit moys, aucuns de l'ost dudit régent qui se deslogoient de la Granche-aux-Merciers pour eux approchier dudit régent. Et pour ce, crya-l'en en l'ost alarme, et s'arma l'ost, et courut-l'en jusques à la bastide des fossés, et là ot grant escarmuche, et y demoura-l'en jusques près de la nuit : et y perdirent ceux de Paris plus que les autres.

LXXXV.

Coment le roy de Navarre mist sus au régent qu'il avoit enfraint le traictié, et du pont de bateaux qui fu fait sur Saine.

Le jeudi douziesme jour du moys de juillet, le roy de Navarre s'en retourna à Saint-Denis, et laissa les Anglois à Paris. Et ledit régent envoia par devers ledit roy pour savoir quelle volenté il avoit, et luy fist requérir que il venist avec luy, car il luy avoit promis que il luy ayderoit contre tous. Lequel roy respondi que ledit régent et sa gent avoient enfraint le traictié et les convenances que il avoient, car il avoient assaillis ceux de Paris le jour précédent, si comme disoit ledit roy, tant comme il traictoit avecques eux ; jasoit ce, en vérité, que ceux de Paris eussent commencié l'escarmuche. Mais ledit roy disoit ces choses pour ce qu'il ne povoit avoir fait à Paris ce qu'il avoit promis au traictié dudit régent et de luy ; car il avoit promis de tant faire que ceux de Paris paieroient six cens mil escus de Phelippe pour le premier paiement de la raençon du roy, mais que ledit régent leur reméist toute paine criminelle. Et ceux de Paris respondirent quant il en parla, que il n'en paieroient jà denier. Et pour ce, mettoit sus ledit roy audit régent que il avoit enfraint ledit traictié, jasoit ce que ceux qui là estoient savoient bien le contraire. Si cuida-l'en bien que tous traictiés fussent rompus, dont moult de gens avoient grant joie.

Et mist-l'en[130] grant paine à achever un pont que l'en avoit encommencié sur bateaux pour passer la rivière de Saine, lequel fu achevé ledit jeudi. Et tantost, pluseurs de l'ost passèrent ledit pont et ardirent Vitery et pluseurs autres villes oultre la rivière de Saine, et y pilla-l'en tout ce que l'en y trouva.

[130] Mist-l'en. Les gens du régent, ou comme dit simplement le continuateur de Nangis : Nobiles. « Nobiles super Secanam pontem fecerant inter Parisius et Corbelium, per quod transibant ad ambas partes fluminis. » Le pont fut établi bien au-dessous de Corbeil, et dans la presqu'île formée par le confluent de la Seine et de la Marne, en face de Vitry. Le continuateur ajoute que les nobles eurent le dessous dans l'engagement dont le chapitre suivant va nous entretenir ; et que le pont fut détruit. Le fait peut rester douteux.

Et ladite royne Jehanne aloit souvent par devers les uns et par devers les autres pour renouveler ledit traictié. Toutesvoies parloient pluseurs moult vilainement contre ledit roy de Navarre qui si solempnellement avoit juré et ne tenoit chose que il eust promis.

LXXXVI.

Coment monseigneur le duc de Normendie, ainsné fils du roy de France, lors régent le royaume, reboutèrent, luy et ses gens, ceux de Paris de dessus le pont qu'il avoit fait faire sur Saine ; et de pluseurs escarmuches faictes environ Saint-Anthoine de ceux de Paris contre les gens dudit régent ; et du traictié qui fu fait pour faire la paix entre le régent et ceux de Paris.

Le samedi ensuivant quatorziesme jour de juillet, environ heure de disner, ledit régent estant en sa chambre, en son conseil, pluseurs de la ville de Paris, dont la plus grant partie estoient d'Anglois qui estoient issus par devers Saint-Marcel, chevaulchièrent jusques devant ledit pont que ledit régent avoit fait faire, lequel pont estoit sur la rivière de Saine, devant l'ostel des Quarrières où estoit logié ledit régent. Et tantost que il furent devant ledit pont, il descendirent à pié, et en entra aucuns dedens ladite rivière pour aller sur ledit pont où il n'avoit point de garde. Mais l'en ne povoit monter sus ledit pont sé l'en n'entroit en l'yaue jusques au nombril, pour ce qu'il avoit faute au bout du pont par devers Vitery ; et y mettoient les gens dudit régent une bachière toutes les fois que il vouloient passer : et quant il en avoient fait, ladite bachière estoit ostée du bout du pont. Et estoit mise contre ledit pont au dessus, ainsi comme au milieu. Et lors estoit en celuy estat ; et pour ce convint que les dis de Paris entrassent en l'yaue pour monter sur ledit pont. Si crya-l'en alarme moult forment ; et fu moult l'ost estourmie, car les autres estoient venus à couvert et soudainement. Si alèrent pluseurs, les uns armés et les autres désarmés, pour deffendre ledit pont. Et jà avoient pluseurs des dessus dis de Paris oultre la moitié du pont. Et là se combatirent les gens dudit régent et reboutèrent leur ennemis qui estoient sur ledit pont, et y ala ledit régent en sa personne : et y furent pluseurs des gens dudit régent navrés de trait. Et si y fu pris son mareschal que on appelloit monseigneur Rigaut de Fontaines. Et aussi y ot des autres navrés et pris. Toutesvoies furent-il reculés et mis tous hors dessur ledit pont par les gens dudit régent et s'en retournèrent vers Paris. Et pour ce que l'en crioit alarme vers Paris, au cousté devers Saint-Anthoine, et disoit-l'en que ceux de Paris estoient issus de celle part, les gens d'armes se trairent vers là, et sur les champs furent les batailles rangiés. Et y ot des escarmuches toute jour jusques à la nuit, et y perdirent ceux de Paris plus que il ne gaignièrent. Toutesvoies, ceux qui issirent de Paris, tant d'un cousté de Paris comme d'autre, estoient le plus Anglois. Et durant ces choses, la royne Jehanne ala devers ledit régent pour renouer ledit traictié, et quant elle s'en parti pour aler à St-Denis, encore estoient les batailles sur les champs. Si traictièrent toute celle sepmaine jusques au jeudi ensuivant dix-neuviesme jour dudit moys de juillet. Et celluy jour, ladite royne Jehanne, le roy de Navarre, l'arcevesque de Lyon qui là avoit esté envoié de par le pape, l'evesque de Paris, le prieur de Saint-Martin-des-Champs, Jehan Belot eschevin de Paris, Colin le Flamant, et autres de Paris alèrent environ tierce au bout dudit pont que ledit régent avoit fait faire de la partie devers Vitery, et avoient des gens d'armes et des archiers avecques eux. Et ledit régent y ala à petite compaignie tout désarmé ; et parlementèrent ensemble en l'un des bateaux dudit pont ; et finablement furent à accort, par telle manière que ceux de Paris prieroient ledit régent que il leur voulsist remettre son mautalent, et pardonner tout ce que il avoient fait ; et il se mettroient en sa merci, par telle condicion qu'il en ordenneroit, par le conseil de la royne Jehanne, du roy de Navarre, du duc d'Orléans et du conte d'Estampes, concordablement et non aultrement. Et avec ce demourroient en leur vertu tous accors, toutes convenances et toutes aliances que ceux de Paris avoient avecques ledit roy de Navarre avecques bonnes villes et avecques tous autres. Et ledit régent devoit faire ouvrir tous passages de rivières et autres, afin que toutes denrées et marchandises pussent passer et estre portées à Paris. Et pour parfaire les choses contenues audit traictié, fu journée prise au mardi ensuivant, pour estre à Laigny-sur-Marne ; et là devoient estre ledit régent et son conseil d'une part, et ceux qui seroient ordenés pour Paris d'autre part, et lesdis royne, roy, duc d'Orléans et conte d'Estampes, par le conseil desquels ledit régent en devoit ordener. Et ce fait, fu publié en l'ost que il avoit bonne paix entre ledit régent et ceux de Paris. Et pour ce se deslogièrent les gens de monseigneur le duc et s'en partirent pluseurs celuy jour.

Et l'endemain, jour de vendredi, vingtiesme jour dudit mois, pluseurs alèrent vers Paris pour besoignes que il avoient à faire lesquels on n'y voult laissier entrer. Mais leur demanda-l'en à qui il estoient ; et quant il respondirent que il estoient au duc, ceux de Paris leur disrent : « Alés à vostre duc. » Et y entra Mathé Guete[131], trésorier de France, lequel fu en grant péril d'estre tué ; et finablement en fu mis hors quant il ot esté mené en la maison de la ville en Grève, et à Saint-Eloy devant le prévost des marchands et les gouverneurs.

[131] Mathé Guete. Sans doute celui qui, dans le préambule du traité de Brétigny, sera nommé Macy Guery.

Et après ce que ledit accort fu fait par la manière que dessus est dit, les dessus dis de Paris, en haine de monseigneur ledit régent, prisrent et saisirent pluseurs maisons et biens meubles de pluseurs officiers qui avoient esté avec ledit régent audit ost.

Et ledit régent s'en ala celui jour de vendredi au Val-la-Comtesse, et la plus grant partie de son ost s'en parti.

LXXXVII.

Coment ceulx de Paris se esmeurent contre les Anglois que le roy de Navarre avoit fait venir en ladite ville ; et en tuèrent partie et les autres emprisonnèrent au Louvre. Et de la mort de ceulx de Paris vers Saint-Cloust.

Le samedi ensuivant, veille de la Magdalène, fu la journée[132] ensuivant qui avoit esté mise à Laigny-sur-Marne remise à Corbeil. Et celuy samedi, après disner, s'esmeut à Paris un grant descort entre ceulx de la ville et pluseurs Anglois qu'il avoient fait venir en ladite ville contre ledit régent leur seigneur, pour ce que l'en disoit que aucuns autres Anglois qui estoient à Saint-Denis et à Saint-Cloust pilloient le pays. Si s'esmeut le commun de ladite ville de Paris, et courut sur lesdis Anglois qui estoient en ladite ville de Paris, et en tuèrent vint-quatre ou environ et en prisrent quarante-sept des plus notables, en l'ostel de Neelle auquel il avoient disné avec le roy de Navarre. Et plus de quatre cens autres en divers ostieux de ladite ville, lesquels il mistrent tous en prison au Louvre. De laquelle chose le roy de Navarre fu moult courroucié, si comme l'en disoit ; et aussi furent le prévost des marchans et autres gouverneurs de ladite ville. Et, pour ce, l'endemain, jour de dimenche et de la Magdalène, vingt-deuxiesme jour dudit moys de juillet, le roy de Navarre, l'evesque de Laon, le prévost des marchans et pluseurs autres gouverneurs de ladite ville de Paris furent en la maison de ladite ville, environ heure de midi, et y ot moult de peuple assemblé en ladite maison, tous armés devant en la place de Grève. Auquel peuple ledit roy parla et leur dist qu'il avoient mal fait d'avoir tué lesdis Anglois, car il les avoit fait venir en son conduit[133] pour servir ceulx de la ville de Paris. Et tantost pluseurs d'iceux crièrent qu'il vouloient que tous les Anglois fussent tués, et vouloient aler à Saint-Denis mettre à mort ceux qui y estoient, qui pilloient tout le pays. Et disrent audit roy et au prévost des marchans que il alassent avec eux, en disant que il avoient esté bien paiés de leur gages et soudées, et néanmoins il pilloient tout le pays. Et jasoit ce que ledit roy et prévost féissent tout leur povoir de refraindre ledit peuple, il ne le povoient faire, mais convint que il leur accordassent à aler avec eux. Mais avant que on partist de Paris, il fu près de vespres. Dont pluseurs présumèrent que ledit roy fist attendre le partir, afin que lesdis Anglois ne feussent sourpris et despourveus. Et environ heure de vespres partirent de Paris, les uns par la porte Saint-Honoré, le roy de Navarre, le prévost des marchans et toute leur route par la porte Saint-Denis et alèrent vers le Moulin à vent. Et estimoit-on que il estoient, tant d'une part comme d'autre, environ seize cens hommes de cheval et huit mille de pié. Et furent lesdis roy de Navarre, le prévost des marchans et toute leur route bien l'espace de demie heure largement, sans eux mouvoir au champ qui est de l'autre partie dudit moulin à vent par devers Montmartre. Et de leur route furent envoiés trois glaives qui chevauchièrent par emprès Montmartre. Lesquels, sans ce qu'il feussent après veus, chevauchièrent en alant tout droit vers le bois de St-Cloust, auquel bois lesdis Anglois estoient en une embusche. Et au-dehors dudit bois par devers Paris en avoit environ quarante ou cinquante. Si cuidèrent ceux de Paris que il n'en y eust plus ; et alèrent vers lesdis Anglois. Et quant il furent près, les Anglois qui estoient audit bois issirent hors, et tantost ceux de Paris se misrent à fouir et les Anglois au chacier. Si tuèrent lesdis Anglois grant foison des dessus dis de Paris, par espécial de ceux de pié qui estoient issus par la porte St-Honoré ; et tenoit-l'en communément qu'il y avoit de mors bien six cens ou plus, et furent presque tous gens de pié. Et ledit roy de Navarre qui véoit ces choses ne se parti pas de là, mais laissa tuer les dessusdis de Paris sans leur faire aucune aide né secours. Et après ce que lesdis de Paris furent desconfis et tués comme dit est, ledit roy de Navarre s'en ala à Saint-Denis, et ledit prévost des marchans et sa compaignie s'en retournèrent à Paris. Et furent, quant il rentrèrent à Paris, forment huiés et blasmés de ce qu'il avoient ainsi les bonnes gens de Paris laissié mettre à mort sans les secourir. Et dès lors commencièrent ceux de Paris forment à murmurer, et faisoient forment garder les quarante-sept prisonniers anglois qui estoient au Louvre par le commun de Paris ; et volentiers les eust le commun de Paris mis à mort ; mais le prévost des marchans et les autres gouverneurs de Paris ne le povoient souffrir.

[132] La journée. L'ajournement.

[133] En son conduit. Sous sa sauve-garde.

LXXXVIII.

Coment le prévost des marchans et ses aliés délivrèrent les prisonniers du Louvre.

Le vendredi vingt-septiesme jour dudit mois de juillet, le prévost des marchans et pluseurs autres jusques au nombre de huit vint ou deux cens hommes armés et pluseurs archiers alèrent au Louvre ; et, de fait, contre la volenté dudit peuple et commun de Paris, délivrèrent lesdis Anglois prisonniers et les misrent hors de Paris par la porte Saint-Honoré. Et en les conduisant de la ville dehors, aucuns de ceux qui estoient avec ledit prévost crioient et demandoient sé il i avoit aucun qui voulsist aucune chose dire contre la délivrance desdis Anglois ; et avoient leur arcs tous tendus pour les délivrer de tous empeschemens, sé aucuns les voulsist mettre en ladite délivrance ; mais il n'y ot personne qui osast parler né faire semblant ; jasoit ce qu'il en fussent moult douloureusement courrouciés en ladite ville de Paris.

Si s'en alèrent les Anglois à Saint-Denis avec le roy de Navarre, qui tousjours y estoit demouré depuis le dimenche précédent ; car il n'osoit pas seurement retourner à Paris, si comme l'en disoit, tant pour cause de ce que il n'avoit point aidié à ceux de Paris le dimenche précédent, lorsque les Anglois les avoient tués, comme pour la délivrance des Anglois du Louvre, laquelle avoit esté faite à la requeste dudit roy de Navarre, si comme l'en disoit et voir estoit. Si en estoit le peuple de Paris forment esmeu en cuer contre ledit prévost des marchans et contre les autres gouverneurs ; mais il n'y avoit homme qui osast commencier la riote. Toutesvoies Dieu, qui tout voit, qui vouloit ladite ville sauver, ordena par la manière qui s'ensuit.

LXXXIX.

De la mort du prévost des marchans et de pluseurs autres ses aliés.

Le mardi darrenier jour du moys de juillet, le prévost des marchans et pluseurs autres avec luy, tous armés, alèrent disner à la bastide Saint-Denis. Et commanda ledit prévost à ceux qui gardoient ladite bastide que il baillaissent les clefs à Joseran de Mascon, qui estoit trésorier du roy de Navarre. Lesquels gardes desdites clefs disrent que il n'en bailleroient nulles. Dont le prévost fu moult courroucié, et se mut riote à ladite bastide entre ledit prévost et ceux qui gardoient lesdites clefs, tant que un bourgois appellé Jehan Maillart, garde de l'un des quartiers de la ville, de la partie de vers la bastide, oï nouvelles dudit débat, et pour ce se traist vers ledit prévost et luy dist que l'en ne bailleroit point les clefs audit Joseran. Et, pour ce, eust pluseurs grosses parolles entre ledit prévost et ledit Joseran d'une part, et ledit Jehan Maillart d'autre part. Si monta ledit Jehan Maillart à cheval, et prist une bannière du roy de France et commença à hault crier : « Montjoie Saint-Denis au roy et au duc! » tant que chascun qui le véoit aloit après et crioit à haulte voix ledit cri. Et aussi fist le prévost et sa compaignie. Et s'en alèrent vers la bastide Saint-Anthoine. Et ledit Jehan Maillart demoura vers les halles. Et un chevalier appelé Pepin des Essars qui rien ne savoit de ce que ledit Jehan Maillart avoit fait, prist assez tost après une autre bannière de France, et crioit semblablement comme Jehan Maillart : « Montjoie Saint-Denis! » Et durant ces choses, ledit prévost vint à la bastide Saint-Anthoine, et tenoit deux boistes où avoit lettres lesquelles le roy de Navarre luy avoit envoyées, si comme l'en disoit. Si requistrent ceux qui estoient à ladite bastide que il leur monstrast lesdites lettres. Et s'esmut riote à ladite bastide, tant que aucuns qui là estoient coururent sus à Phelippe Giffart qui estoit avec ledit prévost, lequel se deffendi forment, car il estoit fort armé et le bacinet en la teste ; et toutesvoies fu-il tué. Et après fu tué ledit prévost et un autre de sa compaignie appelé Simon Le Paonnier : et tantost furent despoilliés et estendus tous nus sur les quarriaux en la voie. Et ce fait, le peuple s'esmut pour aler quérir des autres et pour en faire autel ; et leur dist-on que, en l'ostel de Hocaus, à l'enseigne de l'Ours, près de la porte Baudoier, estoit entré Jehan de l'Isle le jeune. Si y entrèrent grant foison de gens et y trouvèrent ledit Jehan de l'Isle et Gille Marcel, clerc de la marchandise de Paris, lesquels il misrent à mort. Et tantost furent despoilliés comme les autres et trainés tous nus sur les quarreaux devant ledit ostel et là furent laissiés. Et tantost se parti ledit peuple et s'esmut à aler querre des autres. Et ce jour, à la bastide Saint-Martin, fu tué Jehan Poret-le-Jeune. Et furent les cinq corps dessus nommés trainés en la court de Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers, et là furent mis et estendus tous nus en ladite court, en la veue de tous, si comme il avoient fait mettre les mareschaux, celui de Clermont et celui de Champaigne : dont pluseurs tenoient que c'estoit ordenance de Dieu, quar il estoient mort de telle mort comme il avoient fait morir lesdis mareschaux.

Item, celui mardi, furent pris et mis au Chastellet de Paris, Charles Toussac eschevin de Paris, et Joseran de Mascon trésorier du roy de Navarre. Et le peuple qui les menoit crioit haultement le dessus dit cri, et avoit chascun dudit peuple l'espée nue au poing.

XC.

De la venue du régent à Paris, et de la mort Charles Toussac et de Joseran de Mascon.

Le jeudi, secont jour d'aoust au soir, ala le duc de Normendie, régent le royaume, à Paris où il fu receu à très grant joie du peuple de ladite ville. Et celui jour, avant que ledit régent entrast à Paris, furent lesdis Charles Toussac[134] et ledit Joseran trainés du Chastellet jusques en Grève, et là furent décapités. Et longuement après demourèrent en la place sur les quarreaux, et après en la rivière furent gietés.

[134] Charles Toussac. La veuve de ce méchant échevin ne conserva pas longue rancune au parti qui avoit mis à mort son mari. Cinq mois après, elle se remaria à Pierre de Dormans, échanson du régent et neveu du célèbre chancelier Jean de Dormans. En considération de ce futur mariage, le dauphin consentit à rendre à Marguerite tous les biens confisqués sur son premier mari Toussac, comme on le voit par une déclaration datée du 7 janvier 1358-59 transcrite dans le Recueil Msc. du Trésor des Chartes, tome 26.

Quant au récit de la mort du prévôt des marchans, on a souvent essayé d'en changer le caractère et d'en modifier les circonstances. Dans ce but, on s'est appuyé de l'autorité des Chroniques de Saint-Denis. Un illustre membre de l'Académie des Belles-Lettres, feu M. Dacier, a surtout voulu prouver que Maillart n'avoit joué, dans la journée du 31 juillet, qu'un rôle secondaire, et que tout l'honneur devoit en revenir à Pepin des Essarts. (Voyez les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, volume 43, page 563 et suivantes. Voyez aussi les notes des pages 383 et 384, dans la deuxième édition du Froissart donnée par M. Buchon.)

Ce n'est point ici le lieu de rejeter l'opinion de M. Dacier au rang des paradoxes dont se fait trop souvent un jeu l'imagination des érudits : l'un de mes amis, M. Léon de La Cabane, s'est chargé de ce soin dans une dissertation qui sera publiée peut-être avant ce volume. Mais je ne puis m'empêcher de remarquer : 1o que le continuateur de Nangis, dont on a invoqué le silence, atteste que le coup mortel fut porté à Marcel par l'un des gardiens des portes : « Adfuit unus ex dictis custodientibus, qui elevans cum magno impetu gladium vel hastam percussit validè præpositum mercatorum et eum crudeliter interfecit. » Or, Pepin des Essarts n'étoit pas un gardien des portes, mais bien Jean Maillart. — 2o Que sur deux leçons de Froissart, l'une accordant l'honneur de la journée à Maillart, l'autre le transportant sur la tête de Pepin des Essarts, cette dernière est le moins fréquemment reproduite dans les manuscrits, et peut seule être le fait d'une infidélité réfléchie. — 3o Qu'une autre chronique inédite et jusqu'à présent non consultée, raconte le fait de manière à justifier le récit du continuateur de Nangis et celui du texte de Froissart le plus généralement transcrit dans les manuscrits anciens. On me pardonnera, sans doute, de rapporter ce nouveau témoignage qui bat complètement en ruine le sentiment de M. Dacier, de M. Michelet et de plusieurs autres. Après avoir raconté l'accord fait secrètement par Marcel avec le roi de Navarre, le chroniqueur ajoute :

« Le prévost des marchans et ses aliés avoient fait leur atrait et ne voulurent que on veillast en celle nuit aux portes né aux murs. Mais à Paris avoit un bourgois nommé Jehan Maillart qui estoit garde, par le gré du commun, d'un quartier de la ville qui estoit ordenée par quatre cappitaines. Cil Jehan ne voult mie que cil qui estoient ordenés en son quartier pour veillier, laissassent leur garde. Dont Phelippe Giffars et autres qui estoient aliés à la trahison le blasmèrent et voulurent avoir les clefs de la porte, et retraire ses gens et leur garde laissier. Lors ce Jehan Maillart s'apperceut bien de trahison et manda Pepin des Essars et pluseurs autres bourgois et les fist armer et pluseurs autres, et fist drécier une bannière de France, et crioit cil et sa gent : Montjoie au riche roy et au duc son fils le régent! Si assembla avecques eulx grant foison du peuple de Paris en armes et alèrent véir aux portes et les forteresces. Et avint que vers la porte Saint-Anthoine il trouvèrent ledit prévost des marchans et autres de ses aliés qui par couverture crioient : Montjoie au riche roy et au duc son fils le régent! si comme les autres. Adonc Jehan Maillart requist au prévost des marchans et pardevant le peuple que il montrast les lettres que le régent leur avoit envoiées ; mais il ne les monstroit mie volentiers, pource que le mandement luy estoit contraire, et se cuidoit excuser par paroles. Mais ly pluseurs conceurent la trahison. Et là fu assailli du commun et fu occis… »

Pepin des Essarts fut-il invité par Maillart à prendre les armes, ou les prit-il avant de rien savoir des dispositions de Maillart? Voilà toute la question. Quant à celui qui délivra la France de la tyrannie de Marcel, la comparaison de tous les témoignages contemporains doit nous le faire reconnoître dans Jehan Maillart plutôt que dans Pepin des Essarts. Les Chroniques de Saint-Denis, qui allèguent pour ou contre ce dernier une sorte d'alibi, le font, à mon avis, non pour frustrer Maillart de la gloire qui devoit lui revenir, car elles lui laissent d'ailleurs le premier et le principal honneur de la journée, mais sans doute pour répondre au vœu et aux dénégations que Maillart exprimoit lui-même. Compère de Marcel comme Froissart nous l'a appris, et long-temps son ami, Maillart se reprochoit sans doute d'avoir commis, en débarrassant la France d'un scélérat, ce que l'opinion religieuse de son siècle regardoit comme un véritable parricide. Il peut donc avoir usé lui-même de la haute influence qu'il conserva toujours sur le régent-roi et sur ses concitoyens, pour obscurcir l'éclat d'une action qui l'exposoit à de rudes récriminations jusque dans le sein de sa famille. Ainsi l'allégation de nos chroniques, qui plusieurs fois citeront encore honorablement Jean Maillart, ne peut affaiblir la conviction qui résulte du triple récit du continuateur de Nangis, partisan des opinions populaires, de notre chroniqueur anonyme, narrateur impartial, et de Froissart lui même, ce courtisan des chevaliers, dans la première de ses deux rédactions suivie par Jean de Wavrin dans son Histoire d'Angleterre, et par Jean Lefevre, dans ses Grandes Histoires du Haynaut.

XCI.

Coment le régent fu deffié de par le roy de Navarre.

Le vendredi tiers jour du mois d'aoust, fu le régent deffié de par le roy de Navarre. Et celui jour fu pris Pierre Gille. Et aussi fu maistre Thomas de Ladit, chancelier dudit roy de Navarre, qui estoit en habit de moine.

XCII.

De la mort de pluseurs traitres du roy et du régent ; et des parolles que ledit régent dist à ceux de Paris.

Le samedi ensuivant, quart jour dudit moys d'aoust, ledit Pierre Gille et un chevalier qui estoit chastelain du Louvre, et estoit né d'Orléans de assez petit lieu, de gens de mestier[135], et estoit appelé monseigneur Gille Caillart, furent trainés du Chastellet jusques ès halles, et là orent les testes coppées. Mais ledit chevalier eust avant la langue coppée, pour pluseurs mauvaises paroles qu'il avoit dictes du roy de France et du régent son fils. Et après, les corps furent giettés à la rivière. Et après, la semaine ensuivant, furent descapités ensemble, en un jour, Jehan Prévost et Pierre Leblont ; et en un autre jour deux avocas, l'un de parlement appelé maistre Pierre de Puiseux, et l'autre de Chastellet appelé maistre Jehan Godart. Et furent tous giettés en la rivière ; et un appelé Bonvoisin fu mis en oubliette[136].

[135] Ce passage, comme une foule d'autres, prouve bien qu'on n'exigeoit pas des preuves de noblesse de tous ceux qu'on élevoit au rang de chevalier.

[136] En oubliette. En prison perpétuelle.

Celui jour de samedi, quatriesme jour dudit mois d'aoust, parla ledit régent audit peuple de Paris, en la maison de la ville ; et leur dist la grant traïson qui avoit esté traictiée par les dessus dis mors et de l'evesque de Laon et de pluseurs autres qui encore vivoient ; c'est assavoir de faire ledit roy de Navarre roy de France, et de mettre les Anglois et Navarrois en Paris, celui jour que le prévost des marchans fu tué. Et devoient mettre à mort tous ceux qui se tenoient de la partie du roy et son fils, et jà avoient esté pluseurs maisons de Paris signées à divers seings[137] ; dont moult de gens estoient forment esbahis en ladite ville.

[137] A divers seings. Le continuateur de Nangis, si favorable aux Parisiens, dit la même chose : « Ipse rex Navarræ cum suis omnibus urbem Parisiensem citius subintraret et homines sibi contrarios tales et tales quorum ostia signata reperiret, trucidaret. » (Spicileg., t. III, fo 120.)

XCIII.

Coment les Anglois tindrent partie de la ville de Meleun.

Celui samedi, pluseurs Anglois et Navarrois alèrent à Meleun : et les reçut la royne Blanche qui estoit au chastel dedens ledit chastel. Si occupèrent l'isle de Meleun et toute la partie qui est devers Biere[138]. Et l'autre partie qui est devers la Brie se tint contre eulx, tant que le régent y envoia des gens d'armes et des brigans ; et ainsi fu celle partie françoise : et le chastel et tout le demourant furent Anglois et Navarrois qui estoient tout un ; et firent moult de maulx et de dommages au pays par devers le Gastinois ; et ardirent toutes les maisons de l'abbaye du Lis, environ la Nostre-Dame de mi-aoust.

[138] Biere. Le petit pays de Biere comprenoit la rive droite de la Seine, dans le territoire de Melun ; c'est-à-dire Fontainebleau et les environs. La Brie est de l'autre côté de la Seine.

XCIV.

Coment aucuns de Picardie furent desconfis des Anglois et Navarrois qui tenoient le chastel de Mauconseil[139].

[139] Mauconseil. Ce nom ne se retrouve plus sur les cartes. Le continuateur de Nangis nous apprend qu'il étoit situé près de Noyon. — La chronique inédite (no 530, Sup. fr.) nomme le capitaine des François et Flamands Pierre de Flavy, chevalier ; et celui des Navarrois Le Bascon de Mareil. — Froissart dit, à propos de la prise de Mauconseil, que « ces trois forteresses (Creil, La Harelle et Mauconseil) firent tant de destourbiers au royaume de France, que depuis en avant cent ans ne furent réparés né restaurés. » Il eût fallu imprimer qui au lieu de que, avec les manuscrits. Mais comment Froissart, mort vers 1400, peut-il parler de ce qui se voyoit un siècle après l'année 1358? Je soupçonne la une faute des nouvelles éditions.

Le jeudi vingt-troisiesme jour du moys d'aoust, pluseurs des communes de Tournay et de autres villes de Picardie qui estoient à siège devant un chastel de l'evesque de Noyon avec pluseurs nobles du pays, pource que les Anglois et Navarrois l'avoient pris et se tenoient dedens, furent desconfis par pluseurs de la partie des Anglois et Navarrois, desquels estoit capitaine monseigneur Jehan de Piquegny et monseigneur Robert son frère, lesquels se estoient rendus ennemis du roy de France, de son fils et de son royaume, avec ledit roy de Navarre. Et s'enfouirent lesdites communes ; et les gentilshommes furent pris, jusques au nombre de cent vingt ou environ. Et y fu pris ledit evesque de Noyon et fu mené à Creil, dont ledit monseigneur Robert s'appeloit capitain[140], depuis que ladite ville avoit esté prise des Anglois.

[140] S'appeloit capitain. Plus loin, nos chroniques nomment, comme Froissart, le capitaine de Creil messire Jehan de Foudrigai. (Voyez chapitre CXVI.)

XCV.

Coment Paris estoit lors avironnée de forteresces angloises.

En ce temps, en diverses contrées prisrent lesdis Anglois et Navarrois pluseurs forteresces environ Paris, c'est assavoir Rays, Poissy et pluseurs autres ; et chevauchoient souvent jusques à demi-lieue de Paris de celui costé. Et ceux de Creil chevauchoient souvent jusques à Gonesse et ès villes environ, et prenoient prisonniers et emmenoient chevaulx, et rençonnoient villes et aucunes ardoient ; et si ne y résistoit-l'en point, mais s'enfuioit chascun devant eux.

XCVI.

Coment le roy de Navarre ala à Meleun et ardi Chatres-soubs-Mont-Lehery.

La première sepmaine de septembre, environ heure de tierce, le roy de Navarre chevaucha bien à deux mil combattans, si comme l'en disoit ; et ala à Meleun rafraichir ses gens et veoir ses seurs, la royne Blanche et une autre appelée Jehanne, lesquelles estoient dedens le chastel. Et en son chemin ardi pluseurs villes comme Chatres-soubs-Mont-Lehery et autres.

XCVII.

De la mort maistre Thomas de Ladit, chancelier du roy de Navarre.

Le mercredi douziesme jour dudit mois de septembre, environ heure de tierce, maistre Thomas de Ladit, chancelier du roy de Navarre, qui avoit tousjours esté en prison depuis le quatriesme jour d'aoust qu'il avoit esté pris, si comme dessus est dit, fu rendu aux gens de l'evesque de Paris, par vertu de certaines bulles du pape. Et fu ledit chancelier mis sur un huis et levé sur les épaules de deux hommes qui le portoient, pour ce que il estoit ès fers, par les deux jambes ; et en telle manière parti du palais où il avoit esté en prison. Mais avant qu'il fu le giet d'une pierre, loin de la porte de la cour du palais, pluseurs compaignons de Paris luy coururent sus et le gietèrent contre terre et le tuèrent ; et tantost fu despoillié tout nu, et demoura longuement en tel estat sus les quarreaux, au milieu du ruissel de la pluie qui courroit au travers de son corps ; et environ vespres, il fu trainé jusques à la rivière et gieté dedens.

XCVIII.

De la mort d'aucuns traistres, et coment Anglois et Navarrois avoient lors toutes les rivières venans à Paris.

Le dimenche seiziesme jour du mois de septembre, monseigneur Jehan de Piquegny, accompaignié de grant foison de gens d'armes, ala à Amiens, et par la traïson d'aucuns de ceux de la ville entra ès forsbours et les ardi et pilla. Et fu ladite cité en aventure d'estre prise. Toutesvoies, par la volenté de Dieu et la résistance des bons de ladite ville et du conte de Saint-Pol qui hastivement vint au secours, ledit monseigneur Jehan et sa compaignie furent reboutés. Et depuis furent pris aucuns des bourgois de la ville qui avoient esté consentans de rendre ladite ville audit monseigneur Jehan de Piquegny pour le roy de Navarre, par ceux de ladite ville ; et en orent les testes coppées Jaques de Saint-Fucien[141] et quatre autres bourgois de celle ville. Et depuis firent lesdis Anglois et Navarrois pluseurs chevauchiées en diverses parties du royaume de France ; par espécial ceux qui tenoient Creil chevauchièrent en Mucien[142], à Dampmartin, à Gonesse et ès villes environ, et prisrent tout ce que il trouvèrent.

[141] Notre chronique inédite met le maire de la ville, Fremyn de Coquerel, au nombre de ceux qui furent punis de mort.

[142] Mucien. Dans la Brie.

Au mois d'octobre ensuivant, chevauchièrent tout le pays de Mucien et prisrent une petite forteresce à deux lieues de Meaulx appelée Oissery[143], et tantost l'enforcièrent et raençonnèrent le pays. Et pour avoir la rivière de Marne, il alèrent à la Ferté-soubs-Juerre, et prisrent une isle en laquelle il avoit une bonne tour, et tantost l'enforcièrent. Et ainsi eurent toutes les rivières qui venoient à Paris, c'est assavoir la rivière de Seine à Meleun, celle de Marne à la Ferté-soubs-Juerre, et au-dessous de Paris, Mante et Meulent et Poissi ; la rivière d'Oise, à Creil. Et ainsi estoit Paris asségié, et si estoit Rouen et Beauvais, par les forteresces que il tenoient environ, car il estoient seigneurs de tout le Beauvoisin. Si ne povoit-l'en mener vins à Arras, à Tournay, à Lille né ès autres villes de Picardie. Et ainsi estoient lesdites villes asségiées quant à ce.

[143] Oissery. Aujourd'hui bourg du département de Seine-et-Marne. On compte trois lieues de Meaux à Oissery.

XCIX.

Des forteresces que Robin Canole prist en Orlenois.

Audit mois d'octobre, Robin Canole, capitain de pluseurs forteresces angloises en Bretaigne et en Normendie, chevaucha en Orlenois et prist Chastel-Neuf sur Loyre[144], et tantost après Chastillon-sur-Louen ; et après chevaucha plus hault alant en Aucerrois et en la Puysaie, et prist une forteresce appelée Malicorne ; mais les gens du pays s'assemblèrent et alèrent devant ladite forteresce. Et un chevalier appelé messire Arnault de Cervolle, surnommé l'archeprestre, qui venoit au mandement dudit régent accompagnié de grant nombre de gens d'armes, se mist avec lesdites gens du pays devant ladite forteresce de Malicorne. Mais il s'en partirent honteusement sans prendre ladite forteresce.

[144] Chastel-Neuf-sur-Loyre. « Domum pulchram et solemnem, » dit le continuateur de Nangis. Aujourd'hui bourg du département du Loiret, à cinq lieues d'Orléans. — Chastillon-sur-Louen ou Loing, aujourd'hui petite ville du même département, à cinq lieues de Montargis. Son ancien château existe encore. — La Puisaie est un petit pays sur la frontière du Gâtinois et du Nivernois. — Malicorne, aujourd'hui petit village du département de l'Yonne, à sept lieues de Joigny.

C.

De la forteresce de Amblainviller.

Audit mois d'octobre l'an mil trois cens cinquante-huit dessus dit, aucuns se partirent des garnisons angloises qui estoient entour Paris, et laissièrent leur forteresces garnies, et alèrent prendre une forte maison à trois lieues de Paris, en un lieu appelé Amblainviller[145]. Et ceux de Paris envoièrent devant ladite maison des gens d'armes et des brigans[146] par pluseurs fois ; mais il n'y firent chose qui vaulsist, et en la fin ceux de Paris achetèrent la forteresce dessus dite aux Anglois et la firent abattre.

[145] Amblainviller. Peut-être Aubervillers, aujourd'hui village à une lieue de Saint-Denis.

[146] Brigans. On donnoit en général ce nom aux compagnies franches qui ne reconnoissoient le commandement d'aucun chevalier banneret.

CI.

Les noms de pluseurs bourgois de Paris que le régent fist emprisonner.

Le jeudi vint-cinquiesme jour du mois d'octobre, pluseurs des habitans de Paris desquels les noms s'ensuivent furent pris et emprisonnés ; c'est assavoir : Jehan Giffart le boisteux, Nicholas Poret[147], Jehan Moret, Girart Moret, Estienne de la Fontaine argentier du roy, Pierre Basselin, Jaques de Mante, Jehan de La Tour, Hélie Jourdain, Colin le Flament, Jaques le Flament maistre de la chambre des comptes, Hannequin le Flament, Jehan Gosselin, Jehan Restable, Arnault Roussel, Jaques du Castel, Jaques le Flament trésorier des guerres, Guillaume Lefèvre, Regnault de la Chambre, Pasquet le Flament et Alain de Saint-Benoit, lequel Alain fu l'endemain délivré.

[147] Poret. Variante : Le Petit. (Msc. 8302.) Sans doute le frère de Jehan Porret le jeune, tué avec Marcel.

CII.

De la requeste qui fu faite à monseigneur le régent sur la délivrance des dessus nommés.

Le lundi ensuivant vingt-nueviesme jour du moys d'octobre, pluseurs des mestiers de Paris, au pourchas de amis des dessus nommés prisonniers, alèrent en la maison de la ville et firent grant clamour de leur amis qui avoient esté pris, en disant que autel pourroit-on faire de tous les autres de Paris. Et faisoient sentir, par leur paroles, que ce avoit esté fait par vengeance de ce qui avoit esté fait au temps passé par ceux de Paris ; en disant que l'en les prendroit ainsi les uns après les autres ; et tout, pour esmouvoir le peuple. Et portoit la parolle un clerc de Paris appelé maistre Jehan Blondel, lequel requist au prévost des marchans qui lors estoit appelé Jehan Culdoe, et pluseurs autres qui là estoient, qu'il alassent par devers le régent qui estoit au Louvre, pour lui requérir que il féist tantost délivrer les dessus emprisonnés, ou que il déist les causes pour lesquelles il les avoit fait emprisonner. Et ainsi le firent contre la voulenté du prevost des marchans et firent audit régent lesdites requestes ; lequel respondi que il iroit l'endemain à la maison de la ville, et là feroit dire les causes pour lesquelles il les avoit fait emprisonner ; et quant il les auroient oïes, sé il vouloient que il les délivrast il les délivreroit. Et ainsi se despartirent.

CIII.

Coment les dessus nommés furent accusés et tesmoigniés traistres devant ledit régent ; mais, pource que il ne pot estre prouvé par pluseurs, il furent délivrés.

L'endemain jour de mardi, trentiesme jour du moys dessus dit, pluseurs des bons et loyaux subgiés dudit régent qui bien sceurent que leur dit seigneur devoit aler à ladite maison pour la cause dessus dite, et qui doubtèrent que les amis ou aliés desdis prisonniers ne alaissent en ladite maison fors que pour constraindre leur dit seigneur de faire aucune chose contre sa voulenté, s'armèrent et furent en ladite maison et en la place de Grève, si fors que il ne devoient doubter les autres. Et là vint ledit régent qui monta sur les degrés de la croix de Grève, et dist au peuple que il avoit esté informé que les dessusdis emprisonnés estoient traitres et aliés au roy de Navarre. Et là, un jeune homme de Paris appelé Jehan d'Amiens, et avoit espousé la fille de l'un des dessusdis emprisonnés appelé Jehan Restable, lequel Jehan d'Amiens avoit esté par devers le roy de Navarre pour pourchacier la délivrance d'un sien ami prisonnier dudit roy, dist que il savoit bien les choses dites par ledit régent estre vraies. Pour lesquelles choses ceux qui par avant avoient moult arrogamment demandé et requis la délivrance des dessusdis prisonniers, n'osèrent plus parler. Mais ledit maistre Jehan Blondel requist audit régent pardon de ce que il en avoit dit et fait, lequel régent le pardonna audit Jehan et aux autres qui en avoient parlé. Et s'en parti ledit régent. Si ordena certains commissaires pour savoir la vérité des choses qui luy avoient esté dites contre les dessus dis prisonniers. Mais les choses estoient si secrètes et si obscures que l'en ne trouva lors aucune chose encontre eux. Et pour ce en furent quatorze délivrés le jour de la saint Clément ensuivant, vint-troisiesme[148] jour de novembre. Et assez tost après tous les autres.

[148] Vint-troisiesme. Et non pas dix-huitiesme, comme les précédentes éditions. — Villaret a faussé l'histoire dans cet endroit, quand il a dit que « le régent voulant gagner les cœurs par sa douceur, après avoir fait instruire le procès des coupables, leur pardonna. » Il paroît que le régent n'eut à renvoyer que des innocens.

CIV.

Des cardinaux qui vindrent à Paris pour traictier de paix entre le régent de France et le roy de Navarre.

Le jeudi treiziesme jour de décembre, entrèrent à Paris les cardinaux de Pierregort et d'Urgel, pour traictier de paix entre le régent et le roy de Navarre. Et depuis alèrent à Meulent par devers ledit roy ; et depuis à Meleun par devers la royne Blanche sa suer, et partout ne firent riens. Et s'en alèrent à Avignon. Et en alant, ledit cardinal de Pierregort fu pillié et robé de grant avoir ; mais depuis luy fu tout rendu, si comme l'en disoit. — Item, le premier jour de janvier, pluseurs de la ville d'Amiens qui avoient traï ladite ville furent décapités[149].

[149] Cette dernière phrase ne se trouve que dans le manuscrit de Charles V.

CV.

Coment Laigny-sur-Marne fu pilliée et gastée.

ANNÉE 1359

Le mardi après l'apparicion[150], huitiesme jour du moys de janvier l'an mil trois cens cinquante-huit, les Anglois et Navarrois qui tenoient la Ferté-soubs-Juerre alèrent à Laigny-sus-Marne et pillièrent la ville et y prisrent des bonnes gens. Et depuis alèrent en la ville grant nombre de brigans qui estoient venus de Milan, qui gastèrent ladite ville par telle manière que tous les habitans s'en partirent ; et demoura toute gastée.

[150] L'Apparicion. L'Épiphanie.

CVI.

Coment les Anglois furent desconfis devant Troies.

Le samedi ensuivant, douziesme jour dudit moys, les Anglois et Navarrois qui tenoient une maison de l'évesque de Troies appellée Ais-en-Ote[151], alèrent devant Troies, et estoient environ quatre cens. Si issirent de Troies le conte de Vaudemont et ceux de ladite ville et desconfirent lesdis Anglois et en y ot environ six vint mors et autant de pris, et pour ceste cause, les autres qui eschappèrent ardirent ladite maison de Ais et s'en partirent. Et aussi furent autres qui tenoient une autre forteresce appellée Champlost[152], entre la rivière de Saine et d'Yonne, et alèrent tous à Regennes près d'Aucerre ; et par ce, le chemin qui avoit esté empeschié de Sens à Troies fu délivre.

[151] Ais-en-Ote. Aujourd'hui Aix-en-Othe ou Aixote, bourg du département de l'Aube, à huit lieues de Troyes.

[152] Champlost. Bourg du département de l'Yonne, à six lieues de Joigny. — Regennes est un hameau sur la route d'Auxerre à Joigny.

CVII.

Coment la cité d'Aucerre fu prise et mise à raençon des Anglois.

Le jour des Brandons ensuivant, dixiesme jour de mars avant le point du jour, pluseurs des garnisons angloisches qui s'estoient assemblés à Regennes, près d'Aucerre à deux lieues, partirent dudit lieu de Regennes et alèrent à Aucerre et y trouvèrent petite ou nulle garde. Si eschiellèrent ladite ville par devers la porte de Gligny ; et entrèrent lesdis Anglois dedens par dessus les murs, et pristrent la ville, la cité et le chastel avant soleil levant. Et jasoit ce que eust grant foison de gens habitans en ladite ville et en eust deux mille ou plus de bien armés, néantmoins y trouvèrent lesdis Anglois petite résistance[153]. Et à la prise de ladite ville, furent fais chevaliers deux Anglois : l'un appellé Robin Canole et l'autre Thomelin Fouque, lesquels estoient capitains de grant foison d'Anglois. Et si y estoient deux chevaliers anglois dont l'un estoit appellé messire Jehan d'Arton et l'autre messire Nichole Tamore. Au chastel de laquelle ville fu pris monseigneur Guillaume de Chalons fils du conte d'Aucerre, et sa femme et pluseurs autres. Et de ladite ville et cité eschappèrent pou d'hommes ou femmes qui ne fussent pris par lesdis Anglois. Toutesvoies en mistrent-il pou à mort, mais pristrent tous à raençon et pillièrent la ville par tele manière que il n'y ot riens mucié que il ne trouvassent, feust en terre, en murs ou autre part. Et toutesvoies disoit-l'en que il n'estoient pas plus de mil, que de maistres que de varlès. Et disoient pluseurs, tant de ladite ville comme des Anglois, que il y avoient bien trouvé de biens qui valoient cinq cens mil moutons d'or ; et les raençons des personnes singulières qui valoient trop grossement. Et quant lesdis Anglois se virent tous seigneurs de ladite ville, et l'eurent pillié, et mis à point leur prisonniers, environ huit jours après ladite ville prise il parlèrent à aucuns des plus notables habitans, et leur distrent que il en ardroient toute la ville, ou que il en ardroient la plus grant partie et enforceroient aucuns lieux qui y estoient, et les tendroient ; et ceux qui demourroient en ce qui ne seroit ars promestroient aux Anglois bonne obéissance, ou lesdis habitans raençonneroient[154] ladite ville. Si fu traictié par pluseurs journées entre lesdis Anglois et ceux de ladite ville. Et finablement furent à tel accort, c'est assavoir que lesdis Anglois auroient pour la raençon de ladite ville quarante mil moutons, et quarante mil perles du pris de dix mil moutons, et si emporteroient tous les biens que il avoient trouvés en ladite ville, sé il vouloient, exceptés les joiaux de l'églyse Saint-Germain, lesquels ils prendroient pour gaige seulement, jusques à tant que il fussent paiés de la raençon dessus dite. Mais ceux de ladite ville s'obligeroient à ceux de ladite églyse Saint-Germain de racheter desdis Anglois lesdis joiaux dedens la nativité saint Jehan-Baptiste après ensuivant, ou de paier perpétuellement auxdis religieux de Saint-Germain, chascun an trois mil florins de rente ; et si feroient lesdis Anglois abattre des murs de la ville tant comme il leur plairoit, et ardoir les portes. Lesquelles choses furent accordées par ceux qui traictoient pour ladite ville. Et pour ce allèrent aucuns d'iceux par devers le régent pour avoir son consentement sur ce. Et cependant lesdis Anglois firent abattre partie des murs et les créneaux, et emplir les fossés de ladite ville des pierres desdis murs, et ardoir les portes.

[153] La chronique inédite du msc. 530 dit : « En ce temps, Phelippe de Navarre et Robert Canolle prindrent la cité d'Aucerre, par aucuns des bourgois de la cité qui la leur rendirent par trahison. » (Fo 75, Ro.)

[154] Raençonneroient. Rachèteroient.

CVIII.

De la prise de messire James Pipes, anglois, et de pluseurs autres ses compaignons.

Le jeudi, quatorziesme jour de mars ensuivant, messire James Pipes[155], messire Othe de Hollande, anglois, et environ seize ou dix-huit personnes notables de leur compaignie, qui estoient partis d'Evreux de la compaignie du roy de Navarre et de monseigneur Phelippe son frère, furent pris par les compaignons de la garnison d'une forte maison qui est au seigneur de Garanchières[156] appellée Grant-Seuvre.

[155] James Pipes. Froissart fait agir et parler vaillamment James Pipes à trois mois de là au prétendu siège de Melun.

[156] Garenchières. Garencières est aujourd'hui un village du département de l'Eure, à deux lieues d'Evreux. Grant-Seuvres, aujourd'hui Grosœuvre, est un bourg du même département, à peu de distance de Garencières. — Notre chronique inédite touche à cet événement sans doute, quand elle dit que : « le sire d'Ivery, Phelippe Malvoisin et pluseurs autres bons chevaliers et escuiers du pays devers la rivière d'Eure, firent pluseurs belles besongnes, et en trois places ruèrent jus en pou de temps leur ennemis. » (Msc. 530, fo 71, ro.)

Incidence. Item, samedi, trentiesme jour du moys de mars, et fu le samedi devant Lætare Jerusalem, fu trouvée une grant quantité de monnoie noire de divers coings ; et en y avoit environ une baignouère pleine, sur un pilier de la petite Maison-Dieu de Sens, laquele l'en abatoit, pour ce que elle estoit trop près des murs de ladite cité de Sens. Et dedens deux ou trois jours après, monseigneur Jehan de Chalon, seigneur d'Arlay, lors lieutenant dudit régent ès parties de Champaigne et du bailliage de ladite ville de Sens, ala à Sens pour avoir ladite monnoie, et de fait la prist et l'en fist porter à Troie.

CIX.

Coment aucuns de ceux d'Aucerre furent destourbés en alant de Paris à Aucerre.

Tout le moys ensuivant, les Anglois qui avoient pris ladite ville d'Aucerre demourèrent en ycelle, en attendant ceux qui estoient alés pour ladite ville à Paris par devers le régent, pour ladite finance, lesquels ne retournèrent point que deux ou trois exceptés qui en retournant furent desrobés, entre Joigny et Aucerre, d'une grande finance que il aportoient, par Bourguignons ; desquels Bourguignons l'un estoit appellé messire Symon de Saint-Aubin, chevalier, et l'autre Huguenin de Binant, escuier, et pluseurs autres.

CX.

D'une assemblée que monseigneur le régent fist faire au palais des gens de Paris, pour oïr prononcier les demandes du roy d'Angleterre.

L'an de grace mil trois cens cinquante-neuf, fu prise la ville d'Aubigny-sur-Nierre[157], par escheler, comme avoit esté Aucerre dont dessus est faite mencion.

[157] Aubigny-sur-Nierre. Et non pas Dabigne-sur-Mettre, comme dans les précédentes éditions. C'est une ville de l'ancien Berry, aujourd'hui département du Cher. Elle est située sur la Nere, à neuf lieues de Sancerre.

Item, le jeudi secont jour de may ensuivant, fu arse la ville de Chastillon-sur-Loaing, par messire Robert Canole qui retournoit d'Aucerre à Chastel Nuef sur Loyre, et en raportoit sa part de la pille d'Aucerre. Quar le mardi précédent, derrenier jour d'avril, lesdis Anglois avoient laissié ladite ville d'Aucerre, et s'en estoient alés en leur forteresces, à tout leur pille ; et en avoient mené grant nombre de hommes, de femmes et de petits enfans de l'aage de dix ans ou environ, et avoient arses les portes et abatu grant foison des murs de la ville. Et néantmoins y aloient depuis lesdis Anglois souvent quérir des vivres qui y estoient demourés ; par espécial ceux de Regennes.

Item, le dimenche dix-neuviesme jour de may ensuivant, fu faite une convocation à Paris de gens d'églyse, de nobles et de bonnes villes, par lettres de monseigneur le régent, pour oïr un certain traictié de paix qui avoit esté pourparlé en Angleterre entre le roy de France et celuy d'Angleterre. Lequel traictié avoit esté aporté par devers ledit régent, par monseigneur Guillaume de Meleun, archevesque de Sens, par le conte de Tanquarville frère dudit archevesque, par le conte de Dampmartin, et par messire Arnoul d'Odeneham, mareschal de France, tous prisonniers des Anglois. A laquelle journée vint pou de gens, tant pour ce que l'en ne fist pas assez tost assavoir ladite convocacion, comme pour ce que les chemins estoient empeschiés des Anglois et Navarrois qui tenoient forteresces en toutes les parties par lesquelles l'en povoit aler à Paris ; et aussi pour cause des pilleurs qui tenoient forteresces françoises qui ne faisoient gaires mieux que les Anglois. Et en estoit tout le royaume semé, par telle manière que on ne povoit aler par le païs. Lesdis Anglois et Navarrois tenoient le chastel de Meleun, l'isle et toute la ville du costé devers Bière ; et la partie devers Brie estoit françoise. Item, il tenoient la Ferté-soubs-Juerre, Oysseri, Nogent-l'Artaut, et bien cinq ou six forteresces sur la rivière de Marne ; en Brie il tenoient Becoisel et la Houssoie[158]. En Mucien il tenoient Juilly, Creil et pluseurs autres sur la rivière d'Oyse : sur Saine en devalant, Poissy, Meullent, Mante, Rais ; et plus de cent autres en diverses parties, tant en Picardie comme ailleurs.

[158] La Houssoye ou La Houssaye. Aujourd'hui village du département de Seine-et-Marne, à cinq lieues de Coulommiers. — Je n'ai pas retrouvé Becoisel, que le msc. 9,652 écrit Le Trisel.

Laquelle journée du dix-neuviesme jour fu continuée de jour en jour en attendant plus de gens, jusques au samedi ensuivant, vint-cinquiesme jour dudit moys. Auquel samedi ledit régent fu au palais sur le perron de marbre en la court ; et là, en présence de tout le peuple, fist lire ledit traictié par maistre Guillaume des Dormans, advocat du roy en parlement, par lequel traictié apparoit que le roy d'Angleterre vouloit avoir la duchié de Normendie, la duchié de Guienne, la cité et le chastel de Saintes, toute la dyocèse et païs ; la cité d'Agen, la cité de Tarbe, la cité de Pierregort, la cité de Limoges, la cité de Caours et toutes les diocèses et païs, la conté de Bigorre, la conté de Poitiers, la conté d'Anjou et du Maine, la cité et chastel de Tours et toute la diocèse et païs de Touraine, la conté de Bouloigne, la conté de Guines, la conté de Pontieu, la ville de Monstrueil-sur-Mer et toute la chastellerie, la ville de Calais et toute la terre de Merq[159] en toute justice et seigneurie, ressort et souveraineté, sans ce que, des terres dessus dites le roy d'Angleterre fust en aucune manière subgiet au roy de France présent né à ses successeurs roys de France, mais seulement voisin. Et oultre vouloit avoir ledit roy d'Angleterre l'homage, ressort et souveraineté de la duchié de Bretaigne, perpétuellement, si comme les autres terres dessus dites.

[159] Merq. Ce nom de pays, peut-être le même que Marquenterre, en Ponthieu, a été oublié dans l'estimable Indication des Provinces et pays de la France, publiée dans l'Annuaire de l'Histoire de France, année 1837.

Et oultre vouloit avoir quatre millions d'escus de Phelippe, avec toutes les autres terres que il tenoit au royaume de France, par tel condicion que le roy de France devoit faire récompensacion de autres terres à tous ceux qui avoient aucunes choses sur lesdites terres, par aliénation faite par les roys de France ou par ceux qui ont eu cause[160] d'eux, depuis que lesdites terres et pays vindrent et furent aux roys de France.

[160] Qui ont eu cause. Qui prétendoient à des droits transmis par eux.

Et encore requéroit ledit Anglois avoir la possession des villes et chastiaux de Rouen, de Caen, de Vernon, du Pont-de-l'Arche, du Goulet[161], de Gisors, de Moliniaux, d'Arques, de Gaillart, de Vire, de Boulongne, de Monstrueil-sur-la-Mer, de la Rochelle ; cent mille livres d'Esterlins et dix seigneurs pour ostages dedens le premier jour d'aoust ensuivant. Et ce fait, il devoit mettre le roy de France en son royaume, en son povoir ; toutesvoies tousjours loyal prisonnier jusque à ce que toutes les choses dessusdites fussent acomplies. Lequel traictié fu moult déplaisant à tout le peuple de France. Et après ce qu'il orent eu délibéracion, il respondirent audit régent que ledit traictié n'estoit passable né faisable : et pour ce ordennèrent à faire bonne guerre aux Anglois.

[161] Le Goulet. Place forte dont il reste à peine des vestiges. — Moliniaux ou Moulineaux, aujourd'hui village à trois lieues de Caen. — Arques, petite ville de Normandie, près de Dieppe.

CXI.

Coment les officiers du roy furent rappellés par le régent, et de l'aide que l'en offri pour la guerre.

Le mardi vint-huitiesme jour du moys de may, ledit régent prononça par sa bouche que, à tort et sans cause raisonnable, il avoit privé de ses offices les vint-deux personnes qui avoient esté privées par l'ordonance des trois estas, l'an cinquante-sept ; et qu'il les avoit tousjours trouvés bons et loyaux ; mais l'evesque de Laon et les tirans traitres qui avoient empris le gouvernement le firent faire par contraincte, si comme il dit lors. Et les restitua en leur estas et renommées.

Item, le dimenche secont jour de juing ensuivant, fu accordé au régent que les nobles le serviroient un moys à leur despens, chascun selon son estat, sans compter aler né venir. Et avec ce paieroient les imposicions qui seroient ordenées par les bonnes villes. Les gens d'églyse offrirent à payer lesdites imposicions ; la ville de Paris et viscontés offrirent six cens glaives, trois cens archiers et mil brigans. Et fu ordené que tous ceux qui là estoient s'en retournaissent en leur villes, pour ce que il ne vouloient aucune chose ottroier sans parler à leur villes, et qu'il envoiassent leur responses dedens le lundi après la Trinité. Et depuis envoièrent pluseurs villes leur response : mais pour ce que le plat païs estoit tout gasté par les ennemis anglois et navarrois, et aussi par les garnisons des forteresces françoises, lesdites bonnes villes ne porent acomplir le nombre de douze mil glaives qui luy avoient esté accordés de la Langue d'oc.

CXII.

Coment un traictié fu fait entre le régent et le roy de Navarre.

Audit moys, le régent ala à Meleun : et là se tint et fist faire le moustier du Lis fort[162], et y establi une bastide contre ses ennemis qui tenoient le chastel et l'isle de Meleun et la partie de ladite ville devers Bière ; et l'avoient tenue depuis l'entrée du moys précédent. Et y estoit tousjours la royne Blanche et Jehanne, sa seur, seurs audit roy de Navarre. Et ledit régent et ses gens tenoient l'autre partie de ladite ville qui est devers Brie.

[162] Fort. C'est-à-dire il fortifia le monastère du Lys.

Et pendant ce que ledit régent estoit à Meleun, aucuns de ses gens traictièrent de paix avec aucuns des gens du roy de Navarre, à Rosny et à Veteil[163]. Et finablement furent à accort que ledit régent rendroit audit roy de Navarre toutes les forteresces que il tenoit de luy, et outre paieroit encore douze mille livrées de terre et six cens mil escus de Jehan, à paier chascun an cinquante mille jusques à douze ans. Et par ce ledit roy demourroit ami bienvueillant et alié du roy de France et dudit régent, et de nouvel feroit homage audit régent. Lequel traictié fu rapporté audit régent à Meleun. Et pour ce se parti le mercredi darrenier jour de juillet ensuivant, après disner, et s'en ala par yaue à Paris toute jour et la nuit ensuivant et arriva à Paris le jeudi bien matin, premier jour d'aoust. Et celuy jour fist assambler à heure de relevée, en la chambre des comptes, pluseurs de son conseil, le prévost des marchans de Paris et aucuns autres bourgois de ladite ville. Et là ledit régent fist narracion dudit traictié que il ne vouloit avoir passé sans avoir eu leur advis et délibéracion. Si fu ordené que il y auroit plus des gens de Paris. Et pour ce fu dit que l'en retourneroit le vendredi matin, secont jour dudit moys d'aoust ; et ainsi fu fait, et fu l'assemblée en la chambre de parlement. Et là ledit régent répéta ledit traictié, et fu dit que l'en retourneroit l'endemain, samedi tiers jour dudit moys, pour dire chascun ce que il ly en sambleroit.

[163] Rosny et Vétheuil sont dans les environs de Mantes, aujourd'hui département de Seine-et-Oise.

Auquel samedi retournèrent en ladite chambre de parlement, et là fu conseillié audit régent que il féist accort audit roy de Navarre, en luy baillant ce que dessus est dit. Si retourna à Mante et à Meulent le seigneur de Vignay qui ces choses traictoit pour ledit régent avec aucuns autres, par devers Friquet de Fricamp, le seigneur de Luce, et monseigneur Regnault de Braquemont qui ces choses traictoient pour le roy de Navarre. Lesquels vindrent à Paris parler audit régent, et leur ala à l'encontre Jehan Culdoe, lors prévost des marchans, acompaignié de Jehan Maillart et de aucuns autres de Paris jusques à Saint-Denis, afin, si comme l'en disoit, que on ne féist villenie à Paris aux dessusdis chevaliers du roy de Navarre. Et les conduist ledit prévost et sa compaignie jusques au Louvre, par devers ledit régent, lequel régent fist moult grant chière auxdis Friquet, seigneur de Luce et de Braquemont, jasoit ce que eussent esté des plus principaux conseilliers dudit roy et encore estoient ; et les fist mangier à sa table, et leur fist livrer chambre au Louvre. Et furent par pluseurs journées avec luy. Et après retourna ledit Braquemont par devers le roy qui estoit à Mante, si comme l'en disoit, et les deux autres demourèrent à Paris.

Item, le samedi dix-septiesme jour du moys d'aoust, ledit régent parti de Paris, et ala à St-Denis au disner, et au giste à Pontoise, là où le roy de Navarre devoit aler pour parler à luy et pour parfaire le traictié.

CXIII.

Des hostages qui furent envoiés à Meulent avant que le roy de Navarre osast venir à Pontoise par devers ledit régent.

Le lundi ensuivant, dix-neuviesme jour dudit moys d'aoust, après disner, ledit régent issi hors de Pontoise pour aler au devant du roy de Navarre, et mena ledit régent avec luy moult de gens d'armes, et chevaucha en alant vers Meulent environ une lieue.

Et lors vit ledit roy qui estoit issu dudit Meulent, et venoit devers ledit régent ; et avoit avec luy environ cent hommes d'armes ; et si en y avoit bien autant des gens ledit régent que il avoit envoiés contre ledit roy. Et si en avoit aucuns que ledit régent avoit envoiés pour convoier certains hostages lesquels monseigneur ledit régent avoit envoiés à Meulent, pour ce que ledit roy n'osoit né vouloit aler à Pontoise, sé il n'avoit hostages. Et furent hostages le duc de Bourbon, monseigneur Loys de Harecourt, le sire de Morency[164], le sire de Saint-Venant, monseigneur Guillaume Martel, le Baudrin de la Heuse et aucuns autres chevaliers, le prévost des marchans et deux bourgois de Paris. Mais ledit roy ramena avec luy ledit prévost et bourgois de Paris, quant il ala par devers ledit régent, et les autres demourèrent à Meulent.

[164] Morency. La maison de Montmorency est souvent ainsi désignée dans les anciens monumens.

Et quant ledit roy vit ledit régent sus les champs, il renvoia sa gent à Meulent, et ne retint avec luy que quarante chevaux ou environ. Si s'approchièrent l'un de l'autre, et avoient chascun le chapperon avalé[165], hors de la teste. Et quant il furent près l'un de l'autre, si se entresaluèrent, et retournèrent ensemble à Pontoise à l'anuitier. Et furent les torches alumées à l'entrée de la ville. Et mena ledit régent avec luy descendre ledit roy au chastel auquel le régent estoit hébergié ; et livra-l'en audit roy chambre dessous la chambre dudit régent, et ce soir souppèrent ensemble.

[165] Avalé. Descendu.

Et l'endemain, jour de mardi, fu le conseil des deux assemblé pour traictier de l'assiete des douze mille livrées de terre que ledit régent devoit baillier audit roy. Et réquéroit audit régent et son conseil ledit roy et son conseil que on luy baillast pour ladite terre, les viscontés de Faloise, de Baieux, d'Auge et de Vire. Et de ce ne furent pas à acort les gens du conseil dudit régent. Pour ce alèrent devers ledit régent, et luy distrent les requestes des gens dudit roy, et les offres qui leur avoient esté faites par les gens dudit régent. Et sembla audit régent que on le seurquéroit[166] de la partie dudit roy. Et pour ce envoia le conte d'Estampes par devers ledit roy et luy manda que sé il ne prenoit les offres qui luy avoient esté faites de par luy, lesquelles estoient bonnes et honnorables et raisonnables, que il n'auroit paix né acort avec luy, mais le feroit mettre seurement là où il l'avoit pris, et après féist chascun le mieux que il pourroit. Laquelle chose ledit roy ne voulut accorder ; et cuida-l'en que le traictié fust tout rompu.

[166] Surquéroit. Demandoit trop de choses exorbitantes. Surenchérissoit.

CXIV.

Du bel langage que le roy de Navarre dist au conseil de monseigneur le régent.

L'endemain, jour de mercredi vint-et-uniesme jour du moys d'aoust, ledit roy manda un pou avant heure de disner le conseil dudit régent pour aler parler à luy en sa chambre, et leur dist que il vouloit estre bon ami du roy et dudit régent et du royaume de France ; car il véoit bien, si comme il disoit, que le royaume de France estoit sur le point d'estre destruit ; et luy, qui estoit si prochain de par père et de par mère, ne le povoit né vouloit souffrir. Et pour ce, ne vouloit avoir terre né argent, fors seulement la terre que il avoit par devant ; ains le vouloit emploier à faire tout le bien que il pourroit pour le royaume. Et il pensoit que l'en luy déserviroit sé il faisoit bien. Et dist, en oultre, que il vouloit ces choses dire devant le peuple.

Et ces choses ainsi dites au conseil dudit régent, ledit conseil s'en retourna devers le régent, et luy dit ces choses dont ledit régent moult s'esjoy, et aussi communément ceux qui l'oïrent, car par avant l'en tenoit que tout le traictié estoit rompu. Et disoient pluseurs que Dieu avoit inspiré ledit roy, sé il disoit en bonne entencion ce que il disoit. Et lors fu ordenné que on feroit venir des gens de ladite ville de Pontoise en la sale du chastel, et le roy diroit les choses dessus dites. Et ainsi fu fait celuy jour. Et leur dit le roy de Navarre ce qui dessus est dit ; et, oultre, que il délivreroit toutes les forteresces qui avoient esté prises depuis que il avoit esté ennemi du roy de France et du régent, par ses gens ou par ses aliés. Et assez tost après s'en partirent les Anglois qui estoient à Poissy, de Chaumont-en-Vouquessin, à Jouy, à la Ville-au-Tertre[167], et à Latainville. Dont pluseurs disoient que le roy de Navarre feroit bien besongne, et que, par ladite paix, moult de bien vendroit au royaume. Et les autres disoient que le roy de Navarre faisoit tout ce que il faisoit par cautèle et par malice, pour décevoir ledit régent et le peuple, et que il ne feroit jà bien de sa vie.

[167] La Ville-au-Tertre. Aujourd'hui la Villetertre, près de Chaumont en Vexin. — Latainville, et non pas La Chanville, comme dit Villaret. C'est un village encore plus rapproché de Chaumont que la Villetertre.

CXV.

Coment monseigneur le régent parla bien en parlement pour le roy de Navarre, et de la response que fist maistre Jehan des Mares contre pluseurs traitres.

Le samedi, vint-quatriesme jour du moys d'aoust, ledit régent s'en retourna de Pontoise à Paris, et ledit roy s'en ala à Meulent. Et deurent estre à Paris ensemble, le dimenche premier jour de septembre ensuivant, pour ordener du fait de la guerre ; pour ce que l'en disoit que le navire du roy anglois estoit tout prest, et que celuy roy devoit passer brievement à grant ost pour venir en France. Et jasoit ce que ledit régent eust jà partout envoié lettres au royaume, contenant le traictié de la paix de luy et du roy de Navarre, par lesquelles il se pénoit, tant comme il povoit, de recommander ledit roy et de le mettre en la grace du peuple, toutesvoies ne le vouloit-il ou n'osa faire venir à Paris, jusques à ce que il eust parlé au peuple sur ce. Et pour ce fist une grande assemblée en la chambre de parlement, et là récita au peuple le traictié dudit roy, et leur dist de sa bouche qu'il ne vouloit point faire venir ledit roy de Navarre à Paris sé ce n'estoit de leur bon gré, et que il ne vouldroit point que l'en féist né déist audit roy né à ses gens aucunes choses qui leur déust déplaire.

Et lors, un advocat de parlement appellé maistre Jehan des Mares, pour et au nom du prévost des marchans et de ladite ville, respondi en substance que le peuple de Paris estoit joieux et lie de la bonne paix dessusdite, et leur plaisoit bien que il féist venir à Paris ledit roy toutesfois que il luy plairoit : mais les bonnes gens de Paris supplioient audit régent que il ne voulsist souffrir que aucuns traistres venissent à Paris que ledit maistre Jehan nomma lors. Et dist au régent que sé il venoient à Paris, que il tenoit fermement que le peuple ne les y pourroit souffrir. Et estoient ceux dont les noms s'ensuivent : maistre Robert le Coq évesque de Laon, maistre Michiel Casse chancelier de l'églyse de Noyon, Jehan de Sainte-Aude, Pierre de la Courtneuve, Vincent du Valrichier, Pierre des Barres, Gieffroi le Flament du porche St-Jaques et aucuns autres.

Lequel régent respondi que ce n'estoit point son entencion né sa volenté que lesdis traistres venissent à Paris ; et jasoit ce que ledit roy luy eust fait requeste pour les dessus nommés, afin que il leur pardonnast tout, toutesvoies ne luy avoit-il voulu accorder né pensoit à faire.

CXVI.

De l'outrageus subside que les gens du roy de Navarre prenoient sur toutes marchandises qui avaloient le pont de Meleun.

Le dimenche, premier jour de septembre l'an mil trois cens cinquante-neuf dessusdit, ledit régent ala à Saint-Denis à l'encontre du roy de Navarre qui y devoit estre et qui y fu ; et, le soir de celuy jour, vindrent à Paris au giste, et le mena ledit régent au Louvre avec luy descendre, et furent ensemble toute celle semaine, et le festoia et honnora ledit régent moult grandement ; et fist ledit régent pluseurs graces et dons à pluseurs des gens dudit roy qui avoient esté traitres du roy de France et du régent, son fils. Et avoient les gens dudit roy de Navarre grant asséis[168] et grant voix par devers ledit régent, dont pluseurs bonnes personnes qui bien et loyaument avoient servi ledit régent en avoient grant desplaisir. Et la semaine ensuivant se parti ledit roy de Paris, et s'en ala à Meleun pour mettre hors, si comme l'en disoit, pluseurs Navarrois qui encore y estoient, dont il ne fist rien. Et levoit-l'en de toutes marchandises qui passoient l'arche du pont de Meleun trop grant subside ; c'est assavoir : de chascun tonnel de vin, six escus d'or ; de chascun muy de grain, deux escus ; de vint-cinq molles de busches, un escu ; d'une couple de foing, huit escus ; d'un millier de costerès, un escu ; et des autres choses à la value ; et disoit-l'en que c'estoit pour paier les Navarrois qui avoient demouré au chastel et en la ville de Meleun, qui s'estoit tenue de la partie du roy de Navarre : dont moult de gens estoient merveilliez, car il convenoit[169] que ceux qui avoient esté ennemis des François et qui les avoient pilliés, robés et tués fussent paiés de leur gages, du temps qu'il avoient esté ennemis du chastel et de la chevance des François. Et quant le roy de Navarre ot esté à Meleun avec ses seurs, la royne Blanche et Jehanne, par quatre fois ou par cinq, il s'en parti et y laissa encore les Navarrois. Et si ne délivra pas Creil qui estoit tenu des Anglois, et toutesvoies avoit-il promis à la délivrer, mais que l'en luy baillast six mille royaux, desquels la ville de Paris fist finance. Mais il ne furent pas bailliés audit roy pour ce que on ne véoit pas que la délivrance de Creil fust bien preste ; car un Anglois en estoit capitain, lequel on appelloit monseigneur Jehan de Foudrigay, lequel ne le vouloit pas rendre sans plus grant finance que de six mille royaux.

[168] Grant asséis. Grande influence, haute position.

[169] Il convenoit. Il étoit décidé, consenti, accordé.

CXVII.

Coment monseigneur le régent ala à Rouen ; et d'une incidence.

Le huitiesme jour du mois de septembre, parti de Paris ledit régent pour aler à Rouen ; et ala à Saint-Denis où il demoura deux jours ; et après à Pontoise et à Vernon, et entra en la ville de Rouen, le dix-huitiesme jour dudit mois.

Incidence. En cest an, furent les moys de juillet, d'aoust et le commencement de septembre tant pluvieus que la plus grant partie des grains furent tous germés ès champs, pource que on ne les povoit mener à ville. Et disoit l'en que, tant pour celle cause comme pour les pilleries que ceux des garnisons françoises faisoient, il seroit moult grant chierté de blé. Et dès lors enchieri forment ; car le sextier de fourment valoit à Paris, à la Saint-Rémy, quatre livres parisis et plus, et une queue de vin vermeil de Bourgoigne valoit plus de cinquante livres parisis ; mais la monnoie estoit foible, car un escu valoit bien quarante-huit sous parisis, et assez tost après valut cinquante-deux sous parisis.

CXVIII.

De la revenue du régent à Paris et des nopces Jehan, conte de Harecourt ; et coment le captau de Buef prist la ville de Clermont.

Le lundi septiesme jour d'octobre ensuivant, retourna ledit régent de Rouen à Paris ; et entra le lundi devant soleil levant à Paris, accompagnié de seize hommes de cheval ou environ ; et avoit chevauchié toute la nuit, car le dimenche précédent il avoit souppé à Vernon bien tart et de là s'en vint toute nuit à Paris.

Item, le lundi quatorziesme jour d'octobre, Jehan, conte de Harrecourt, fils du conte de Harrecourt qui avoit eu la teste coppée à Rouen, si comme dessus est devisé, espousa Catherine, seur du duc de Bourbon et fille du duc qui avoit esté mort en la bataille de Poitiers, là où le roy Jehan avoit esté pris, et seur aussi de la duchesse de Normendie, de la royne d'Espaigne et de la contesse de Savoie. Et furent les nopces au Louvre près de Paris ; et y furent présens ledit régent et le roy de Navarre.

Item, le mardi douziesme jour de novembre ensuivant, fu la tour du pont Sainte-Maxence prise par certains Anglois que le capitain de la tour tenoit prisonniers dedens ladite tour.

Item, le lundi ensuivant dix-huitiesme jour dudit moys de novembre, l'an mil trois cent cinquante-neuf dessus dit, devant le point du jour, fu eschiellé le chastel de Clermont en Beauvoisin et la ville prise par un gascoin de la partie du roy anglois, appelé le cateau de Buef[170], lequel estoit venu de Mante par devers le roy de Navarre, son cousin et ami très espécial, sous sauf-conduit dudit régent, lequel sauf-conduit avoit esté donné audit cateau par ledit régent, à la requeste et prière dudit roy de Navarre. Et le sauf-conduit durant, il prist lesdis chastel et ville de Clermont.

[170] Le cateau de Buef. Captal de Buch. Jean de Grailly, captal de Busch ou de Buch, petit pays du Bordelois. Le château de Cap ou tête de Busch donnoit à celui qui le possédoit le titre de captal. On a écrit ce nom de Busch de bien des façons, mais les meilleures leçons des Chroniques de Saint-Denis le donnent, ici, comme nous l'avons préféré ; et deux vers de la chanson de geste de Bertrand Du Guesclin justifient cette orthographe :

Car je croi, sé Dieu plaist et je puis esploitier,
Que du catal de Buef mengerai un quartier,
Né je ne pense à nuit autre char mengier.

Du père de Jean de Grailly descendent en ligne directe féminine les rois de France de la maison de Bourbon.

CXIX.

Coment le roy d'Angleterre et ses fils, à tout leur effort, vindrent devant Rains ; et de la mort Martin Pisdoe, bourgois de Paris.

En celuy mois de novembre, le roy d'Angleterre, le prince de Galles son ainsné fils et autres de ses fils, le duc de Lenclastre et toute la puissance d'Angleterre, passèrent la mer et arrivèrent à Calais ; et chevauchièrent par l'Artois et par le Vermandois droit vers Rains, et misrent le siège devant ladite ville de Rains, d'une part et d'autre de la rivière de Veele. Et fu le roy d'Angleterre logié à Saint-Baale, à quatre lieues de Rains[171] ou environ. Le prince de Galles, son ainsné fils, estoit logié à Ville-Dommange, à deux lieues de Rains ; le conte de Richemont et celuy de Norentonne[172] à St-Thierri, à deux lieues de Rains ; le duc de Lenclastre à Brimont, assez près de Rains ; le mareschal d'Angleterre et monseigneur Jehan de Biauchamps estoient à Brétigny[173], à une lieue de Rains. Et chevauchoient les gens dessus nommés chascun jour tout environ Rains, par telle manière que à peine povoit aucun de pié ou de cheval entrer dedens la ville né issir.

[171] A quatre lieues de Rains. L'abbaye de Saint-Basle est à trois lieues de Reims au-dessus du bourg de Verzy. Ses ruines sont encore respectables à l'entrée de la forêt de Reims.

[172] Norentonne pour Northampton.

[173] Brétigny. Ou plutôt Betheny.

Item, le samedi darrenier jour de novembre, jour de la saint Andrieu, ledit régent publia, en la chambre de parlement, certaines ordenances que il avoit faites celle sepmaine en son conseil, sur la rescription des officiers royaux, lesquels il jura, en sa personne, la main mise sur le livre ; et aussi les fist jurer à ses officiers qui présens estoient.

Item, le lundi, pénultième jour du moys de décembre ensuivant, un bourgois de Paris appelé Martin Pisdoe fu décapité ès halles de Paris, sur un eschaffaut. Et après ot coppés les deux bras et les deux cuisses ; et fu la teste mise sur le pillori des halles ; et chascun desdis membres fu pendu hors des quatre portes principales de Paris, chascun membre à une potence de fust, qui pour celle cause fu faite. Et fu ledit bourgois ensi exécuté pource que il avoit traictié avec aucuns familiers et officiers du roy de Navarre, de traïr le roy de France, la ville de Paris et ledit régent. Et devoient entrer à Paris gens d'armes par diverses portes, et eux herbergier en divers lieux. Et aucuns d'eux devoient aler au Louvre, où devoit estre ledit régent, plus fors que ledit régent. Et là devoient tuer tous ceux que il voulsissent, et après courir toute la ville et prendre les places par la ville, afin que les gens de ladite ville ne se peussent assembler. Et fu ceste chose sceue et révélée par un autre bourgois appelé Denisot le Paumier, à qui ledit Martin avoit la chose descouverte, afin que il fust de l'aliance dessus dite.

CXX.

Coment le roy d'Angleterre se parti de devant Rains sans rien faire, et de la prise de pluseurs chevaliers françois estant en une bastide devant Tournelles.

ANNÉE 1360

Le dimanche onziesme jour de janvier, environ mienuit, le roy d'Angleterre et tout son ost après ce qu'il ot demouré devant Rains par quarante jours, se desloga et s'en parti sans ce que il eust donné assaut né donnast à ladite ville ; et s'en ala droit vers Chaalons. Et passa par devant sans arrester et sans y donner assaut. Et passèrent la rivière de Marne au-dessus de ladite ville, et chevauchièrent par la Champaigne et passèrent la rivière d'Aube et celle de Seine, à Mery et à Pons[174]. Et passa l'ost du duc de Lenclastre par devant Sens sans y donner assaut. Et le roy d'Angleterre et ses enfans s'en alèrent par devers Cerisiers et par devers Brinon l'Archevesque ; et alèrent par devant Aucerre vers Rougemont. Et demoura le roy une pièce en une ville que on appelle Guillon. Et là alèrent à luy ceux du duchié de Bourgoigne et firent pactis avec luy et luy donnèrent deux cent mille flourins afin que il ne féist dommage audit duchié. Et si luy accordèrent que il eust des vivres dudit duchié pour son argent[175]. Et ce fait, ledit roy se parti et s'en ala vers Nevers[176] et passa la rivière de Yonne à Collanges-sur-Yonne. Et envoyèrent ceux de la contée de Nevers par devers luy, et raençonnèrent toute la contée et la baronnie de Donzi-au-Pré. Et lors se mist à chemin à s'en venir par le Gastinois droit vers Paris, et vint le prince de Galles par devers Moret en Gastinois, droit à une forteresce qui lors estoit angloise, appelée les Tournelles[177], devant laquelle forteresce pluseurs de ceux de France avoient fait une bastide et se y estoient mis à siège. Et jasoit ce que il sceussent bien la venue dudit prince, il ne s'en partirent pas. Si se mist ledit prince devant ladite bastide et la fist assaillir ; et finablement dedens trois ou quatre jours après, lesdis François qui estoient dedens ladite bastide, pource que il n'avoient que boire né que mangier, se rendirent audit prince. Et là furent pris messire Haguenier seigneur de Bouville, le seigneur d'Aigreville, messire Jehan des Bares, messire Guillaume du Plessie et messire Jehan Braque, tous chevaliers, et pluseurs autres, jusques au nombre de quarante combattans ou environ.

[174] Mery et Pons sont bâties toutes deux sur la Seine, mais Pons est tout près du confluent de l'Aube. — Cerisiers est à quatre lieues au-dessus de Sens, à la droite de l'Yonne, et Brinon est entre Cerisiers et Auxerre. — L'Abbaye de Rougemont est près de Montbar. Le village de Guillon est plus rapproché d'Avallon.

[175] Ce traité, si peu honorable pour les conseillers du jeune duc de Bourgogne, est transcrit dans le nouveau Rymer, tome III, p. 473, sous la date du 10 mars 1360.

[176] Vers Nevers. C'est-à-dire qu'il fit mine de vouloir passer dans le Nevernois. — Coullange-sur-Yonne est au-dessous de Clamecy ; Donzy est au-dessus.

[177] Les Tournelles. Ce doit être Dormelles, près de Moret.

Item, le lundi devant Pasques flouries, l'an mil trois cent cinquante-neuf, vingt-troisiesme jour de mars, fu la monnoie publiée à Paris, à deux deniers pour le denier blanc, qui par avant valoit deux sous parisis ; et le royal d'or, que l'en mettoit par avant pour quatorze sous parisis, à trente-deux sous parisis. Et valoit lors le sextier de bon fourment quarante-huit livres parisis ou environ de ladite foible monnoie.

Item, le mardi avant Pasques les grans, darrenier jour de mars, le roy d'Angleterre se loga en l'ostel de Chantelou[178], entre Mont-Lehery et Chatres, et tous ses enfans et tout son ost ès villes d'environ, jusques près de Corbueil et jusques à Longjumel. Et fu prise journée de traictier de paix, par le moyen frère Symon de Langres, maistre de l'ordre des Jacobins, légat de par le pape en France pour celle cause, qui jà par pluseurs fois avoit esté par devers ledit roy d'Angleterre et aussi par devers ledit régent. Et assemblèrent lesdis traicteurs le vendredi bénoît, troisiesme jour du moys d'avril ensuivant, en la Maladerie de Longjumel ; et là furent pour ledit régent le seigneur de Fiennes, lors connestable de France ; messire Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, lors mareschal de France ; le seigneur de Garancières ; le seigneur de Vignay, du pays de Vienne[179] ; messire Symon de Bucy et messire Guichart d'Angle, chevaliers, et aucuns clercs conseillers et secrétaires. Et pour ledit roy d'Angleterre furent le duc de Lanclastre, le conte de Norentonne, le conte de Warvhic ; messire Jehan de Chandos, tous anglois, messire Gautier de Mauny Hanuyer. Et tantost se départirent sans faire aucun traictié.

[178] Chantelou. On retrouve ce petit castel sur la carte de Cassini.

[179] Du pays de Vienne. Il est nommé Aymar de la Tour dans le traité de Bréquigny.

CXXI.

Coment le roy d'Angleterre vint près de Paris, luy et son ost, et fu-l'en assemblé pour traictier, mais l'en ne pout lors accorder.

L'an de grace mil trois cent soixante, le mardi après Pasques les grans, qui fu le septiesme jour d'avril, ledit roy d'Angleterre et tout son ost deslogièrent et s'approchièrent de Paris et se logièrent icelluy jour, c'est assavoir ledit roy à Chastellon près Mont-Rouge, et les autres à Jcy, à Vanves, à Vaugirart, à Gentilly, à Quaichant et ès autres villes environ. Et celuy jour s'en monstrèrent pluseurs en bataille devant Paris, mais pour ce ne issi aucun de ladite ville.

Item, le vendredi ensuivant, dixiesme jour dudit mois d'avril, retournèrent aucuns des dessus nommés pour ledit régent, pour traictier par l'amonestement de l'abbé de Clugny qui tantost estoit venu de par le pape, pour traictier entre les parties. Et assemblèrent les traicteurs en une maladerie appelée la Banlieue[180], qui est outre la tombe Ysore. Et y furent pour ledit Anglois les autres dessus nommés. Et tantost se partirent aussi sans aucun traictié faire, si comme il avoient fait par avant.

[180] La Banlieue. Peut-être Bagneux. La Tombe Ysore, située dans l'endroit même où l'on a pratiqué de notre temps l'entrée des catacombes, étoit autrefois un tumulus où les traditions poétiques vouloient qu'eût été enseveli le géant Isoré, tué devant Paris par le fameux Guillaume d'Orange. C'est dans ce combat singulier que le héros de tant de Chansons de geste avoit perdu la plus grande partie de son nez. Et voyez le sort des traditions poétiques! Plus tard, vers le quinzième siècle, on crut que le surnom de Guillaume au Court-nez étoit dû au cor ou cornet dont il se servoit en guise de cri de guerre. Les barons qui se prétendoient sortis de son illustre sang prirent donc pour blason un cor de chasse, que leurs descendans de la maison d'Orange gardent encore en mémoire de Guillaume d'Orange au Cornet.

CXXII.

Coment l'en rassembla à Brétigny pour traictier. Et sont après les noms de ceux qui furent commis tant d'une part comme d'autre.

Le dimenche jour de Quasimodo, douziesme jour dudit mois d'avril l'an dessus dit, le roy d'Angleterre et tout son ost se deslogièrent des villages d'entour Paris au matin et en vindrent pluseurs batailles assez près de Saint-Marcel, en faisant semblant que il attendissent que l'en issist de Paris pour les combattre : mais rien n'en fu fait, jasoit ce que en Paris eust grant foison de gens d'armes nobles et autres avec ceux de ladite ville. Mais les portes et les murs furent bien garnis de gens d'armes et de ceux de ladite ville de la partie d'oultre Petit pont ; et n'estoit pas la ville effréée. Et quant lesdis Anglois orent demouré sur les champs jusques environ heure de tierce, il s'en partirent et s'en alèrent après leur charios et leur autres batailles qui s'en aloient devant le chemin vers Chartres. Et boutèrent les feux, dès le samedi précédent, en grant foison des villes entour Paris de ce costé. Et alèrent jusques vers Bonneval et vers Chasteaudun[181]. Et firent assez sentir tant par l'abbé de Cligny, légat du pape en France pour traitier de paix, comme par autres, que il entendroient volentiers audit traictié de paix, sé ledit régent vouloit envoyer par devers eux. Et pour ce, par délibération du conseil, ledit régent envoya à Chartres pluseurs de son conseil, entre lesquels estoient messire Jehan de Dormans evesque de Beauvais et chancelier de Normendie[182], messire Jehan de Meleun conte de Tancarville, lequel estoit encore prisonnier de la bataille de Poitiers aux Anglois, là où le roy de France avoit esté pris ; messire Jehan le Maingre, dit Boucicaut, mareschal de France, le seigneur de Montmorency, le seigneur de Vinay, messire Jehan de Groslée, messire Symon de Bucy premier président de parlement, maistre Estienne de Paris chanoine, maistre Pierre de la Charité chantre de l'églyse Nostre-Dame de Paris, messire Jehan d'Augerau doien de Chartres, maistre Guillaume de Dormans et maistre Jehan des Mares advocat en parlement, Jehan Maillart bourgois de Paris et aucuns autres. Et partirent de Paris le lundi après la saint Marc, vingt-septiesme jour du mois d'avril.

[181] Bonneval et Chasteaudun. A douze lieues au-delà de Chartres.

[182] Normendie. C'est-à-dire du duc de Normendie. Avant le XVIe siècle on n'entendoit rien autre chose, par les mots trésorier de France ou maréchal de France, que les trésoriers ou les maréchaux du roi de France.

A celuy jour furent à Chartres et trespassèrent oultre, en alant vers ledit roy d'Angleterre. Et envoièrent par devers luy et son conseil, pour savoir où il assembleroient pour traictier. Auxquels de la partie de France fu fait assavoir que il retournassent vers Chartres et que ledit roy anglois traiteroit vers là. Et ainsi le firent les François et s'en retournèrent vers Chartres. Et le roy d'Angleterre s'en ala logier à une lieue près ou environ en un lieu appelé Sours[183]. Et prisrent place pour assembler à un lieu qui a nom Brétigny, à une lieue de Chartres ou environ.

[183] Sours. Aujourd'hui bourg considérable à deux lieues de Chartres. Brétigny, qu'on trouve encore sur la carte de Cassini, est un hameau qui paroît en dépendre. La plupart des manuscrits, même celui de Charles V, portent Dours. J'ai préféré le no 9652.

Item, le vendredi premier jour de mai, l'an dessus dit, assemblèrent audit lieu de Brétigny les dessus dis de la partie de France et les gens dudit roy anglois ; entre lesquels furent le duc de Lencastre, le conte de Norentonne, le conte de Varvich, le conte de Surfort, monseigneur Regnault de Cobehan, messire Barthélemy de Broueys, messire Gautier de Mauny, tous chevaliers, et pluseurs autres jusques au nombre de vingt-deux personnes. Et toute la sepmaine continuèrent le traictié, tant que par le plaisir de Dieu et de la glorieuse vierge Marie, le vendredi ensuivant huitiesme jour du mois de mai, il féirent accort de paix par la manière qui s'en suit.

CXXIII.

Cy est la teneur d'une des lettres monseigneur le régent, de l'adveu des traicteurs de paix de la partie du roy de France et de luy.

« Charles, ainsné fils du roy de France, régent le royaume, duc de Normendie, dauphin de Viennois, à tous ceux qui ces lettres verront salut. Nous vous faisons savoir que tous les débas et descors quelconques meus et demenés entre monseigneur le roy de France et nous, d'une part, et le roy d'Angleterre d'autre part, pour le bien de paix est accordé le huitiesme jour de mai, l'an mil trois cent soixante, à Brétigny, en la manière qui s'en suit :

» Premièrement, que le roy d'Angleterre, avecque ce que il tient en Guienne et en Gascoigne, aura pour luy », (et cætera, si comme ès articles ci-dessous est contenu.) »Toutes lesquelles choses si dessoubs escriptes et chascune d'icelles faites et accordées et ordonnées en la présence de révérent père en Dieu, nostre très chier et feal chancelier Jehan, par la grace de Dieu, esleu de Beauvais ; nos amés et féaux conseillers maistre Estienne de Paris chanoine, Pierre de la Charité chantre de l'églyse de Paris, Jehan d'Augerau doien de Chartres, messire Jehan le Maingre, dit Boucicaut, mareschal de France, Charles sire de Montmorency, Aymart de la Tour sire de Vinay, Jehan de Grolée, Regnault de Gouillons, Pierre d'Omont, Symon de Bucy, maistre Guillaume des Dormans, Jehan des Mares, Jehan Maillart bourgois de Paris, maistre Macé Guery, Nichole de Veres, nos clers, secretaires, commis et députés de par nous sur ce, avec les commis et députés de par le roy d'Angleterre, ci-dessous nommés, c'est assavoir : Messire Henry duc de Lenclastre, Guillaume conte de Norentonne, Thomas conte de Warvich, Rauf conte de Stafort, Williame conte de Saleberys, messire Gautier sire de Mauny, messire Regnault de Cobehan, messire Jehan de Beauchamp, messire Guy de Brienne[184], Franc de Hale, Jehan captau de Buef, Barthélemy de Brouéis[185], Guillaume de Granson, Jehan Chandos, Noel Loreng, Richard la Vache, Mile de Stapelancon[186], chevaliers, monseigneur Jehan de Winewic, chancelier dudit roy d'Angleterre ; maistre Henry de Assliton[187], maistre Guillaume de Ludgeburc, maistre Jehan Branquete, Adam Hiltenet Willame de Tupinon[188] ; l'an et le jour, au lieu dessus dit, à l'onneur de la benoite Trinité, Père, Fils et saint Esprit ; de la benoite glorieuse vierge Marie, et pour la révérence de nostre saint père le pape Innocent VI, lequel, quant il estoit cardinal en sa personne, et puis sa promotion, par révérens pères en Dieu les cardinaux de Boulogne et de Pierregort, nos cousins, et d'Urgel, qui furent de par luy envoiés en France et en Angleterre, qui en faire ceste paix ont adjousté et mis très grant et bonne diligence ; et de nos bien amés frère Andrieu de la Roche abbé de Clugny, et messire Hue de Genevre[189] seigneur d'Auton, messages derrenièrement envoiés par devers nous sur ce, de par nostre dit saint père, qui ont diligemment sur ce travaillié et traictié ; et receus les sermens desdis procureurs et autres dessus nommés en tesmoignant chascune d'icelles ès noms que dessus, nous acceptons, accordons, agréons, approuvons et confermons de nostre certaine science, et le voulons avoir en vigueur et fermeté, si et par telle manière que sé nous les eussions traictiés, parlés, accordés, jurés et promis en nostre propre personne. »

[184] De Brienne. Le nouveau Rymer écrit Brian. (T. III, p. 493.)

[185] Broueys. Rymer : Burgoshe et Burgash.

[186] Stapelancon. Rymer : Stapelton.

[187] Assliton. Rymer : Ashton. — Ludgeburc pour Lougteburg.

[188] Tupinon. Rymer : Tyrringham. — La fin de cet instrument, à compter de là jusqu'au chapitre suivant, n'a pas été connue des éditeurs de Rymer.

[189] Genevre. La bulle d'Innocent VI, en date du 4 mars précédent, le nomme « de Gebenna, dominum de Hauton » ; et non pas d'Autun, comme le P. Daniel. (T. V, p. 509.)

CXXIV.

Cy commence toute l'ordenance du traictié entre les deux roys de France et d'Angleterre.

« Edouart[190], fils au noble roy de France et d'Angleterre, prince de Galles, duc de Cornouaille et conte de Cestre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront salut. Nous vous faisons assavoir que de tous les débas et descors quelconques, meus et démenés entre nostre très chier et redoubté seigneur et père, roy de France et d'Angleterre, d'une part, et nos cousins le roy et son ainsné fils régent le royaume de France, et pour tous ce qu'affiert d'autre part, pour bien de paix est accordé, le huitiesme jour de may, l'an de grace mil trois cens soixante, à Brétigny delès Chartres, par la manière qui s'ensuit :

[190] Edouart fils, etc. Pourquoi le traité n'est-il pas fait au nom du roi lui-même qui se trouvoit présent? Sans doute parce qu'il ne croyoit pas de sa dignité de traiter avec le fils du roi, ou peut-être pour ne pas donner une force trop insolente au titre de roi de France et d'Angleterre, qu'il osoit bien encore y prendre.

» Le premier article. Premièrement, que le roy d'Angleterre, avec ce qu'il tient en Gascoigne et en Guyenne, aura pour luy et pour ses hoirs, perpétuellement à tous jours, toutes les choses qui s'ensuivent à tenir par la manière que le roy de France ou son fils ou aucuns de ses antécesseurs roys de France les tindrent, c'est assavoir ce que en souveraineté en souveraineté, ce que en demaine en demaine ; et pour le temps et manière cy-dessoubs desclairiés, la cité, le chastel et la conté de Poitiers et toute la terre et le païs de Poitou, ensamble le fief de Touars et la terre de Belleville ; la cité et chastel de Saintes et toute la terre et le pays de Saintonge, par deçà et par delà la Charente ; la cité et le chastel d'Agen et la terre et le païs d'Agenois ; le chastel et la cité et toute la conté de Pierregort et la terre et le païs de Piereguys ; la cité et le chastel de Limoges et la terre et le païs de Limousin ; la cité et le chastel de Caours et la terre et le païs de Caoursin ; la cité, le chastel et la terre de Tarbe ; la terre, le païs et la conté de Bigorre ; la conté, la terre et le païs de Gaure ; la cité et le païs d'Angoulesme ; la contée et la terre et tout le païs d'Angolemois ; la cité, le païs et le chastel de Rodès ; la contrée et le païs de Rouergue. Et sé il y a aucuns seigneurs, comme le conte de Fois, le conte d'Armignac, le conte de Lille, le conte de Pierregort, le visconte de Limoges ou autres qui tiennent aucunes rentes dedens les mettes[191] desdis lieux, il feront hommage audit roy d'Angleterre et tous autres services, et devoir deus à cause de leur terres et lieux, en la manière qu'il ont fait au temps passé.

[191] Mettes. Limites.

» Le secont article. Item, aura le roy d'Angleterre tout ce que le roy de France ou aucuns des roys d'Angleterre anciennement tindrent en la ville de Monstruel-sur-la-Mer et les appartenances.

» Le tiers article. Item, aura le roy d'Angleterre toute la conté de Pontieu entièrement, sauf et excepté que sé aucunes choses ont esté aliénées, par les roys d'Angleterre qui ont esté pour le temps, de ladite conté et appartenances et à autres personnes que roys de France, le roy de France ne sera pas tenu de les rendre au roy d'Angleterre. Et sé lesdites aliénations ont esté faites aux roys de France qui ont esté pour le temps, sans autre moyen[192], et le roy de France les tiengne à présent en sa main, il les laissera au roy d'Angleterre entérinement, excepté que sé les roys de France les ont eus par eschange pour autres terres, le roy d'Angleterre délivrera au roy de France ce que l'en en a eu par eschange, ou il luy laissera les choses ainsi aliénées. Mais sé les roys d'Angleterre qui ont esté pour le temps en avoient aliéné ou transporté aucunes choses en autres personnes que ès roys de France, et depuis soient venus ès mains au roy de France, ou aussi par partage[193], le roy de France ne sera pas tenu de les rendre. Aussi, sé les choses dessus dites doivent hommage, le roy de France les baillera à autres qui en feront hommage au roy d'Angleterre ; et sé il ne doivent hommage, le roy de France baillera un tenant qui luy en fera le devoir, dedens un an prochain après ce qu'il sera parti de Calais.

[192] Sans autre moyen. Sans intermédiaire.

[193] Partage. Le msc. de Charles V porte : Portage.

» Le quatriesme article. Item, le roy d'Angleterre aura la ville et le chastel de Calais, le chastel, la ville et seigneurie de Merq, les villes, chastiaux et seigneurie de Sangate, Couloigne, Hammes, Wales et Oye, avec les terres, bois, marois, rivières, rentes, seigneuries, avoisons[194] d'églyse, et toutes autres appartenances et lieux entregisans dedens les mettes et bonnes qui s'ensuivent ; c'est assavoir de Calais jusques au fil de la rivière, par devant Gravelines, et aussi par le fil de meisme la rivière tout entour l'engle. Et aussi par la rivière qui va par delà Poil ; et aussi par meisme la rivière qui chiet au grant lac de Guynes jusques au Fretin, et d'ilec par delà valée en tour la montaigne de       [195], en encloant meisme la montaigne ; et aussi jusques à la mer, avec Sangate et toutes ses appartenances.

[194] Avoisons. Et non pas maisons, comme portent la plupart des manuscrits et les imprimés. C'étoit le droit au titre d'avoué d'une église, attaché à certains fiefs.

[195] Le nom de la montagne n'a pas été rempli dans le manuscrit de Charles V. Le nouveau Rymer porte : Calbully.

» Le cinquiesme article. Item, le roy d'Angleterre aura le chastel, la ville et tout enterinement la conté de Guynes, avec toutes les terres, villes, chastiaux, forteresces, lieux, hommages, seigneuries, bois, forès, droitures d'icelles, aussi enterinement comme le conte de Guynes derrenier mort la tint au temps de sa mort. Et obéiront les églyses et les bonnes gens estans dedens les limitacions de ladite conté de Guynes, de Calais et de Merq et des autres lieux dessusdis au roy d'Angleterre, ainsi comme il obéissoient au roy de France et au conte de Guynes qui fu pour le temps. Toutes lesquelles choses de Merq et de Calais, contenues en ce présent article et en l'article prochain précédent, le roy d'Angleterre tenra en demaine, excepté les héritages des églyses, qui demourront auxdites églyses enterinement, quelque part qu'il soient assis ; et aussi excepté les héritages des autres gens du pays de Merq et de Calais, assis hors de la ville de Calais, jusques à la valeur de cent livres de terre par an de la monnoie courante au pays et au dessoubs. Lesquiex héritages leur demourront jusques à la valeur dessusdite et au-dessoubs. Mais les habitacions et héritages assis en ladite ville de Calais, avec leur appartenances demourront en demaine au roy d'Angleterre, pour en ordener à sa volenté ; et aussi demourront aux habitans en la conté, ville et terre de Guynes tous leur demaines entièrement ; et y revenront pleinement, sauf ce qui est dit des confrontations, mettes et bonnes, en l'article prochain précédent.

» Le sixiesme article. Item, est accordé que le roy d'Angleterre et ses hoirs auront et tendront toutes les isles et pays dessus nommés ensemble, avecques les autres villes, lesquelles le roy d'Angleterre tient à présent.

» Le septiesme article. Item, acordé que ledit roy de France et son ainsné fils le régent, pour eux et pour tous leur hoirs et successeurs, au plus tost que l'en pourra, sans fraude et sans mal engin, et au plus tart dedens la Saint-Michiel venant en un an, rendront, bailleront et délivreront audit roy d'Angleterre et à tous ses hoirs et successeurs, et transporteront en eux toutes les honneurs, hommages, obédiances, ligéances, vassaulx, fiés, services, recognoissances, droitures mer et mixtes[196], impère, et toutes manières de jurisdicions haultes et basses, ressors et sauvegardes, avoisons et patronages d'églyse, et toutes manières de seigneuries et souverainetés, et tout le droit qu'il avoient ou povoient avoir, appartenoient, appartiennent ou puent appartenir par quelconque cause ou tiltre ou couleur de droit, à eux, aux roys et à la couronne de France, pour cause de contés, cités, chastiaux, villes, terres, pays et isles et lieux avant nommés, et de toutes leur appartenances et appendances, quelque part que il soient, et chascune d'icelles sans y rien retenir à eux, à leurs hoirs né successeurs, aux roys né à la couronne de France. Et aussi manderont le roy et son ainsné fils, par leur lettres patentes à tous arcevesques, evesques et autres prélas de sainte églyse, et aussi aux contes, viscontes, barons, nobles, citoyens et autres quelconques de cités, terres, pays, isles et lieux avant nommés, qu'il obéissent au roy d'Angleterre et à ses hoirs, et à leur certain commandement, en la manière qu'il ont obéy aux roys et à la couronne de France ; et par meismes les lettres leur quitteront et absouldront, au mieux qu'il se pourra faire, de tous hommages, fois, seremens, obligacions, subjecions et promesses fais par aucuns d'eux aux roys et à la couronne de France en quelconques manières.

[196] Mer et mixtes. Pures et mélangées.

» Le huitiesme article[197]. Item, accordé est que ledit roy d'Angleterre aura les contés, cités, chastiaux, terres et isles et lieux avant nommés avecques toutes leur appartenances et appendances quelque part que il soient, à tenir à luy et à ses hoirs, héréditablement et perpétuelment, en demaine ce que les roys de France y tenoient en demaine, et aussi en fiés, service, souveraineté ou ressort, ce que les roys de France y avoient par telle manière ; sauf tant comme dit est par dessus, en l'article de Calais et Merq. Et sé des cités, chastiaux, contés, terres, pays, isles et lieux avant nommés, souverainetés, droit mer et mixte, impere, jurisdicions et prouffis quelconques que tenoient aucuns roys d'Angleterre illec, et en leur appartenances et appendances quelconques, aucunes aliénacions, donacions, obligacions, ou charges ont esté faites par aucuns des roys de France qui ont esté depuis quarante ans en çà, par quelque cause ou fortune que ce soit, toutes teles donations, aliénacions, obligacions et charges, sont et seront, dès ores, du tout rappellées, quassées et annullées, et toutes choses ainsi données, alliénées ou chargiées, seront réalment et de fait rendues et bailliées audit roy d'Angleterre et à ses députés, espécialement en meisme entiereté comme il furent au roy d'Angleterre depuis soixante-dix ans en çà, au plus tost que l'en pourra sans mal engin, et au plus tart dedens la saint Michiel prochaine venant en un an ; à tenir au roy d'Angleterre, à tous ses hoirs et successeurs, perpétuellement par la manière que dessus est dit, excepté ce que dit est, par dessus, en l'article de Pontieu qui demourra en sa force ; et sauf et excepté toutes les choses données et aliénées aux églyses, qui leur demourront paisiblement en tous les païs et lieux ci-dessus et dessoubs nommés ; si que les personnes desdites églyses prient diligemment pour lesdis roys comme pour leur fondeurs, sans quoi leur conscience seront chargiées.

[197] Les éditions précédentes et plusieurs manuscrits ont omis de publier ou transcrire les articles 8, 9, 10, 11 et 12.

Le neuviesme article. » Item, est accordé que le roy d'Angleterre, toutes les contés, cités, chastiaux et païs dessus nommés qui anciennement n'ont esté des roys d'Angleterre aura et tendra en l'estat et ainsi comme le roy de France ou son fils les tiennent à présent.

Le dixiesme article. » Item, accordé est que sé, dedens les mettes desdis païs qui furent anciennement des roys d'Angleterre, avoit aucunes choses qui autreffois n'eussent esté des roys d'Angleterre, dont le roy de France estoit en possession le jour de la bataille de Poitiers, qui fut le dix-neuviesme jour de septembre l'an mil trois cent cinquante-six, elles seront et demourront au roy d'Angleterre et à ses hoirs, par la manière que dessus est dit.

Le onziesme article. » Item, accordé est par le roy de France et son ainsné fils le régent, pour eux et pour leur hoirs et pour tous les roys de France et leur successeurs et à tousjours, que au plus tost qu'il se pourra faire sans mal engin, et au plus tart dedens la saint Michiel venant en un an, rendront et bailleront au roy d'Angleterre tous les honneurs, régalités, obédiences, homaiges, ligeances, vassaux, fiés, services, recognoissances, seremens, droitures, mer et mixte, impere, et toutes autres manières de juridicions haultes et basses, ressors, sauvegardes, seigneuries et souverainetés qui appartenoient, appartiennent ou povent en aucune manière appartenir aux roys et à la couronne de France, ou à aucune autre personne à cause du roy et de la coronne de France, en quelque temps, ès cités, contées, chastiaux, terres, païs, isles et lieux dessus nommés, ou en aucun d'iceux et en leur appartenances quelconques, ou ès personnes, vassaux, subgiés quelconques d'iceux, soient princes, dus, contes, vicontes, arcevesques, evesques et autres prélas d'églyse, barons, nobles et autres quelconques, sans rien à eux, leur hoirs et successeurs, ou à la coronne de France ou autres que soit, retenir ou réserver en iceux ; par quoy né leur hoirs ou autres roys de France, ou autre que ce soit, à cause du roy ou de la coronne de France, aucune chose y pourroit chalengier[198] ou demander au temps avenir sur le roy d'Angleterre ou successeurs, ou sur aucun des vassaux et subgiés avant dis, pour cause des païs et lieux avant nommés, ainsi que tous les avant nommés personnes et leur hoirs et successeurs perpétuelment seront hommes liges et subgiés du roy d'Angleterre et à tous ses hoirs et ses successeurs ; et que ledit roy d'Angleterre et ses hoirs et successeurs, toutes les personnes, contées, terres, païs, isles, chastiaux et lieux avant nommés, et toutes leur appartenances et appendences tendront, auront et à eux demourront plainement, franchement et perpétuelment en leur franchises, souverainetés et seigneuries et obéissances, ligeances et subjections, comme les roys de France avoient et tenoient en aucun temps passé ; et que le roy d'Angleterre, ses hoirs et successeurs auront et tendront perpétuelment tout le païs avant nommé, avec leur appartenances, appendances et les autres choses avant nommées en toutes franchises et libertés perpétuelles, comme seigneur souverain et liège et comme voisin au roy et au royaume de France ; sans y recognoistre souverain ou faire aucune obédiance, hommage, ressort, subjecion ; et sans faire en aucun temps avenir aucuns services ou recognoissances aux roys né à la couronne de France des cités, contées, chastiaux, terres, païs, isles, lieux et personnes avant nommés ou pour aucunes d'icelles.

[198] Chalengier. Réclamer.

Roubriche. Cet article douziesme qui s'en suit et le précédent article furent ostés du traictié qui fut corrigié depuis à Calais, quant les deux roys y furent ; et fu fait et accordé sur ces deux articles, ce qui est contenu en une lettre dont la copie est escripte en ce livre ci-après au feuillet ………… là où il est traictié des choses faites l'an mil trois cent soixante-huit, tantost après le quatriesme jour de juillet, après ce qui est escript des appellacions faites par le conte d'Armignac et pluseurs autres : et là sera trouvée transcrite ladite lettre qui se commence : Edouart, etc., signée en marge à tel signe ✠.

Le douziesme article. » Item, est accordé que le roy de France et son ainsné fils renonceront expressément auxdis ressors et souverainetés et à tout le droit qu'il ont et povent avoir en toutes les choses qui par ce présent traictié doivent appartenir au roy d'Angleterre ; et semblablement le roy d'Angleterre et son fils renonceront expressément à toutes les choses qui, par ce présent traictié, ne doivent être bailliées né demourer audit roy d'Angleterre, et à toutes les demandes qu'il faisoient au roy de France, et par espécial au nom et au droit de la couronne de France, à l'ommage, souveraineté et demaine du duchié de Normendie et du duchié de Touraine, des contées d'Anjou, du Maine, et à la souveraineté et hommage du duchié de Bretaigne, et à la souveraineté et hommage de la conté et païs de Flandres, et à toutes autres demandes que le roy d'Angleterre faisoit ou faire pourroit au roy de France pour quelconque cause que ce soit ; oultre ce et excepté qui par ce présent traictié doit demourer et estre baillié audit roy d'Angleterre et à ses hoirs ; et transporteront, cesseront et délaisseront, l'un roy à l'autre perpétuellement, tout le droit que chascun d'eux avoit en toutes les choses qui, par ce présent traictié, doivent demourer ou estre baillées à chacun d'eux, et du temps et lieu où et quant lesdites renonciacions se feront, parleront et ordeneront les deux roys à Calais ensemble.

Le treiziesme article. » Item, est accordé, afin que ce présent traictié puisse estre plus briefvement accompli, que le roy d'Angleterre fera amener le roy de France à Calais dedens trois sepmaines après la Nativité saint Jehan-Baptiste prochaine venant, cessant tout juste empeschement, aux despens du roy d'Angleterre, hors les frais de l'ostel du roy de France.

Le quatorziesme article. » Item, est accordé que le roy de France paiera au roy d'Angleterre trois millions d'escus d'or, dont les deux valent un noble de la monnoie d'Angleterre : et en seront paiés audit roy d'Angleterre ou à ses députés six cent mil escus à Calais, dedens quatre moys, à compter depuis que le roy de France sera venu à Calais ; et dedens l'an dès-lors prochain ensuivant, en seront paiés quatre cent mil escus, tels comme dessus est dit, en la cité de Londres en Angleterre ; et dès lors, chascun an prochain ensuivant, quatre cent mille escus tels comme devant, en ladite cité, jusques à tant que lesdis trois millions seront paiés.

Le quinziesme article. » Item, est accordé que par paiant lesdis six cent mille escus à Calais, et par baillant les ostages ci-dessous nommés et délivrés au roy d'Angleterre dedens les quatre moys, à compter depuis que le roy de France sera venu à Calais comme dit est, la ville et les forteresces de la Rochelle et les chastiaux, forteresces et villes de la conté de Guynes, avecques toutes les appartenances et dépendances, la personne dudit roy de France sera toute délivre de prison, et pourra partir franchement de Calais et venir en son païs sans aucun empeschement. Mais il ne se pourra armer né ses gens contre le roy d'Angleterre, jusques à tant qu'il ait accompli ce qu'il est tenu de faire par ce présent traictié. Et sont ostages, tant prisonniers pris à la bataille de Poitiers comme autres qui demourront pour le roy de France, ceux qui s'ensuivent, c'est assavoir : Monseigneur Loys, conte d'Anjou ; monseigneur Jehan, conte de Poitiers, fils du roy de France ; le duc d'Orléans, frère dudit roy. Et de quarante compris audit nombre, seize des prisonniers qui furent pris à Poitiers, en la compaignie du roy de France, et le duc de Bourbon, le conte de Blois ou son frère le conte d'Alençon, ou monseigneur Pierre d'Alençon son frère, le conte de Saint-Pol, le conte de Harecourt, le conte de Porcien, le conte de Valentinois, le conte de Braine, le conte de Vaudemont, le conte de Forès, le viconte de Biaumont, le sire de Coucy, le conte de Fiennes[199], le sire de Préaux, le sire de Saint-Venant, le sire de Garenchières, le dauphin d'Auvergne, le sire de Hangest, le sire de Montmorency, monseigneur Guillaume de Craon, messire Loys de Harecourt, monseigneur Jehan de Ligny.

[199] Le conte de Fiennes. Variantes : Le sire de Fieules. (Msc. 8395.) — Rymer : Fienles.

» Et les noms des prisonniers sont tels : Monseigneur Phelippe de France, le conte d'Eu, le conte de Longueville, le conte de Pontieu, le conte de Tancarville, le conte de Joigny, le conte de Sancerre, le conte de Dampmartin, le conte de Vantadour, le conte de Salebruche, le conte d'Aucerre, le conte de Vandosme, le sire de Craon, le sire de Derval, le mareschal d'Odeneham, le sire d'Aubigny.

Le seiziesme article. » Item, est ordené que les dessus dis seize prisons qui venront demourer en ostage pour le roy de France, comme dit est, seront parmi ce délivrés de leur prison sans paier aucune raençon, pour le temps passé, s'il n'ont esté à accort de certaine raençon par convenances faites par avant le tiers jour de may darrenier passé. Et sé aucun d'eux est hors d'Angleterre et ne se rend à Calais en ostage dedens le premier moys après lesdites quatre sepmaines de la saint Jehan, cessant juste empeschement, il ne sera pas quitte de sa prison, mais sera contraint par le roy de France à retourner en Angleterre comme prisonnier ou paier la paine par luy promise, et encorue, par deffaut de son retour.

Le dix-septiesme article. » Item, est accordé que, en lieu desdis ostages qui ne vendront à Calais ou qui mourront ou se despartiront sans congié hors du povoir du roy d'Angleterre, le roy de France sera tenu d'en baillier d'autres de semblable estat au plus près que il pourra estre fait dedens quatre moys prochains, après ce que le baillif d'Amiens ou le prévost de Saint-Omer en sera sur ce, par lettres du roy d'Angleterre certifiés ; et pourra le roy de France, à son partir de Calais, amener en sa compaignie dix des ostages tels comme les deux roys accorderont ; et suffira que des quarante dessusdis en demeure jusques au nombre de trente en ostage.

Le dix-huitiesme article. » Item, est accordé que le roy de France, trois mois après ce qu'il sera parti de Calais, rendra à Calais quatre personnes de Paris et deux personnes de chascune des villes dont les noms suivent ; c'est assavoir : St-Omer, Arras, Amiens, Beauvais, Lisle, Douay, Tournay, Rains, Chaalons, Troies, Chartres, Thoulouse, Lyons, Compiègne, Rouen, Caen, Tours, Bourges, les plus suffisans desdites villes pour l'accomplissement du présent traictié.

Le dix-neuviesme article. » Item, accordé est que le roy de France sera amené d'Angleterre à Calais et demourra à Calais par quatre moys après sa venue ; mais il ne paiera rien pour le premier moys pour cause de sa garde. Et pour chascun des autres moys ensuivant que il demourra à Calais, par deffaulte de luy ou de ses gens, il paiera pour ses gardes dix mille royaux, tels comme ils cuerent à présent en France avant son partir de Calais, et ainsi au feur du temps qu'il y demourra.

Le vintiesme article[200]. » Item, est accordé que au plus tost que faire se pourra dedens l'an prochain, après ce que le roy de France sera parti de Calais, monseigneur Jehan, conte de Montfort, aura la conté de Montfort, avec toutes ses appartenances, en faisant l'omaige lige au roy de France et devoir et service en tous cas tels comme bons et loyaux vassaux lige doit faire à son seigneur à cause de ladite contée : ainsi luy seront rendus ses autres héritages qui ne sont mie de la duchié de Bretaigne, en faisant homaige ou autres devoirs que appartiendra. Et s'il veult aucune chose demander en aucuns des héritages qui sont de ladicte duchié hors du pays de Bretaigne, bonne et briève raison luy sera faite par la court de France.

[200] Les deux articles suivans n'ont pas été imprimés dans les éditions précédentes.

Le vint-et-uniesme article. » Item, sur la question du demaine de la duchié de Bretaigne qui est entre ledit Jehan de Montfort d'une part et monseigneur Charles de Blois d'autre part, accordé est que les deux roys, appelés par devant eulx ou leur députés les parties principaus de Blois et de Montfort, par eulx et par leur députés, spécialement s'enformeront du droit des parties et s'efforceront de mettre les parties à accort sur tout ce qui est en débat entre eux, au plus tost qu'il pourront. Et au cas que lesdis roys par eulx et par leur députés ne les pourront accorder dedens un an prochain après ce que le roy de France sera arrivé à Calais, les amis d'une partie et d'autre s'enformeront diligemment du droit des parties et par la manière que dessus est. Et s'efforceront de mettre les parties à accort au mieulx que faire se pourra au plus tost qu'il pourront. Et s'il ne les pevent mettre à accort dedens demy an, aoust prochaine ensuivant, il rapporteront auxdis deux roys ou à leur députés tout ce qu'il en auront trouvé sur le droit desdites parties et sur quoy le débat demourra entre lesdites parties. Et les deux roys par eulx et par leur députés, espécialement au plus tost qu'il pourront, mettront lesdites parties à accort, ou diront leur final avis sur le droit d'une partie et d'autre. Et ce sera exécuté par les deux roys. Et au cas qu'il ne le pourront faire dedens demy an de lors prochain ensuivant aoust, les deux parties principales de Blois et de Montfort feront ce que mieux leur semblera, et les amis d'une part et d'autre aideront quelque part qu'il leur plaira, sans empeschement desdis roys pour la cause dessus dite. Et sé ainsi n'estoit que l'une partie ne voulsist comparoir souffisamment par devers les deux roys ou leur dis députés au temps qui luy sera establi, et aussi au cas que lesdis roys ou leur députés auroient ordené ou déclaré que lesdites parties fussent à accort ou qu'il auroient dit leur avis pour le droit d'une partie ; et aucuns desdites parties ne se vouldroient accorder à ce né obéir à ladite déclaration, adont lesdis roys seront encontre luy de tout leur povoir, et en ayde de l'autre qui se vouldroit accorder et obéir. Mais en nul cas les deux roys, par leur propres personnes né par autres, ne pourront faire né entreprendre guerre l'un à l'autre pour la cause dessus dite. Et tousjours demourra la souveraineté et l'hommaige de la duchié au roy de France.

Le vint-deuxiesme article. » Item, que toutes les terres, pays, villes, chasteaux et autres lieux bailliés auxdis roys seront en tels libertés et franchises comme elles sont à présent, et seront confermés par lesdis roys ou par leur successeurs, et par chascun d'eux toutes les fois qu'il en seront sur ce deuement requis, et sé contraires n'estoient à ce présent accort.

Le vint-troisiesme. » Item, que ledit roy de France rendra et fera rendre et restablir de fait à monseigneur Phelippe de Navarre et à tous adhérens, en appert, au plus tost que l'en pourra sans mal engin, et au plus tart dedens un an prochain après que le roy de France sera parti de Calais, toutes les villes, chasteaux, forteresses, seigneuries, drois, rentes, prouffis, juridicions et lieux quelconques que ledit monseigneur Phelippe, tant pour cause de ly comme pour cause de sa femme ou ses dis adhérens tindrent ou doivent tenir au royaume de France ; et ne leur fera jamais ledit roy reproche, damaige né empeschement pour aucune cause faite avant ses œvres, et leur pardonra toutes offenses et mesprisons du temps passé pour cause de la guerre, et sur ce auront ses lettres bonnes et souffisans. Et que ledit monseigneur Phelippe et ses devant dis adhérens retournent en son homaige et luy facent les devoirs et luy soient bons et loyaux vassaux.

Le vint-quatriesme[201]. » Item, est accordé que le roy d'Angleterre pourra donner, ceste fois tant seulement, à cui il luy plaira en héritage, toutes les terres et héritages qui furent de monseigneur Godefroy de Harecourt, à tenir du duc de Normendie ou autres seigneurs de qui elles doivent estre tenues par raison, parmy les hommaiges et services anciennement accoustumés.

[201] Cet article n'a pas été imprimé dans les éditions précédentes.

Le vint-cinquiesme. » Item, il est ordené que nul homme né pays qui ait esté en l'obéissance d'une partie, et venra par cest accort à l'obéissance de l'autre partie, ne soit empeschié pour chose faicte en temps passé.

Le vint-sixiesme. » Item, est accordé que les terres des bannis de l'une partie et de l'autre, et aussi des églyses de l'un royaume et de l'autre, et que tous ceux qui sont deshérités ou ostés de leur terres ou héritages, ou chargiés d'aucune pension, taille ou ordenance, ou autrement grevés en quelque manière que ce soit pour cause de ceste guerre, soient restitués entièrement en mesmes le droit et possession qu'il eurent devant la guerre commenciée ; et que toutes manières de forfaitures, trespas et mesprises faits par eulx ou aucun d'eulx en moien temps soient du tout pardonnés. Et que ces choses soient faites au plus tost que l'en pourra bonnement, et au plus tart dedens un an prochain, après que le roy sera parti de Calais. Excepté ce qui est dit en l'article de Calais et de Merq, et des autres lieux nommés audit article, excepté aussi le viconte de Fronssac et monseigneur Jehan de Galart, lesquels ne seront point compris en cest article ; mais demourront leur biens et héritaiges en l'état qu'il estoient par avant ce présent traictié.

Le vint-septiesme[202]. » Item, est accordé que le roy de France délivrera au roy d'Angleterre au plus tost qu'il pourra bonnement et devra, et au plus tart dedens la feste saint Michiel prouchaine venant en un an après son départir de Calais, toutes les cités, villes, pays et autres lieux dessus nommés, qui, par ce présent traictié doivent estre bailliés au roy d'Angleterre.

[202] Cet article est encore passé dans les précédentes éditions.

Le vint-huitiesme. » Item, est ordené qu'en baillant au roy d'Angleterre ou autres pour luy par espécial députés, les villes et forteresses et toute la conté de Pontieu, les villes et forteresses et toute la conté de Montfort, la conté et le chastel de Xaintes ; les chasteaux, villes et forteresses et tout ce que le roy tient en demaine au pays de Xantonge, deçà et delà la Charente, le chastel et la cité d'Angolesme, et les chasteaux, forteresses et villes que le roy de France tient en domaine au pays d'Angolesmois, avecques lettres et mandemens des délaissemens des fois et homaiges, le roy d'Angleterre, à ses propres coux et frais, délivrera toutes les forteresses prises et occupées par luy, par ses subgiés, adhérens et aliés, ès pays de France, de Tourraine, d'Anjou, du Maine, de Berry, d'Auvergne, de Bourgoigne et de Champaigne, de Picardie et de Normendie et de toutes les autres parties et lieux du royaume de France, excepté celles du duchié de Bretaigne et des terres et pays qui, par cest présent traictié, doivent appartenir et demourer au roy d'Angleterre.

Le vint-neuviesme. » Item, est accordé que le roy de France fera baillier et délivrer au roy d'Angleterre ou à ses hoirs ou députés, toutes les villes, chasteaux, forteresses et autres terres, pays et lieux avant nommés, avecques leur appartenances, aux propres coux et frais dudit roy de France ; et aussi que s'il avoit aucuns rebelles ou désobéissans de rendre, baillier ou restituer au roy d'Angleterre aucunes cités, villes, chasteaux, pays, lieux ou forteresses qui, par ce présent traictié, luy doivent appartenir, le roy de France sera tenu de les faire délivrer audit roy d'Angleterre à ses despens ; et semblablement le roy d'Angleterre fera délivrer à ses despens les forteresses qui, par ce présent traictié, doivent appartenir au roy de France. Et seront tenus lesdis roys et leur gens à eulx entre aidier quant à ce, sé requis en sont, aux gaiges de la partie qui le requerra, qui seront d'un flourin de Florence pour chevalier, et demy flourin pour escuier, et pour les autres au fuer. Et du seurplus des doubles gaiges, est accordé que sé lesdis gaiges sont trop petis en regard au marchié de vivres au pays, il en sera en l'ordenance de quatre chevaliers pour ce esleus, c'est assavoir deux d'une partie et deux d'autre.

Le trentiesme. » Item, est accordé que tous les arcevesques et evesques et autres prélas de sainte églyse, à cause de leur temporalité, seront subgiés de celuy des deux roys soubs qui il tendront leur temporalité. Et sé il ont temporalité soubs tous les deux roys, il seront subgiés de chacun des deux roys, pour la temporalité qu'il tendront soubs chascun d'iceuls.

Le trente-uniesme. » Item, est accordé que bonnes aliances, amitiés et confédérations seront faites entre les deux roys de France et d'Angleterre et leur royaumes, en gardant l'oneur et la conscience de l'un roy et de l'autre, nonobstant quelconques confédérations qu'il aient deçà et delà avec quelconques personnes, soient d'Escoce, de Flandre ou d'autre pays quelconques.

Le trente-deuxiesme. » Item, est accordé que le roy de France et son ainsné fils le régent, pour eulx et pour leur hoirs de France si avant qu'il pourra estre fait, se delairont et départiront du tout des aliances qu'il ont avecques les Escos, et promettront si avant que faire se pourra que jamais eulx né leur hoirs roys de France, qui pour le temps seront, ne donront né feront au roy né au royaume d'Escoce né aux subgiés d'iceluy présens et avenir, confort, ayde né faveur contre ledit roy d'Angleterre, né contre ses hoirs et successeurs, né contre ses subgiés en quelque manière ; et qu'il ne feront autres aliances avecques lesdis Escos en aucun temps avenir, né contre les roys et royaume d'Angleterre. Et semblablement, si avant que faire se pourra, le roy d'Angleterre et son ainsné fils se délairont et départiront du tout des aliances qu'ils ont avecques les Flamens ; et promettront que eulx né leur hoirs, né les roys d'Angleterre qui pour le temps seront, ne donront né feront aux Flamens présens ou avenir, ayde, confort né faveur contre le roy de France, ses hoirs et successeurs, né contre son royaume né contre ses subgiés en quelque manière, et qu'il ne feront autres aliances avec les Flamens en aucun temps avenir contre les roys et royaume de France.

Le trente-troisiesme[203]. » Item, est accordé que les collacions et provisions faites d'une part et d'autre des bénéfices vacans tant comme la guerre a duré, tiengnent et soient valables, et que les fruis, issues et revenues, recettes et levées de quelconques bénéfices et autres choses temporeles quelconques èsdis royaumes de France et d'Angleterre, par une partie et par l'autre durant lesdites guerres, soient quittes d'une partie et d'autre.

[203] Omis dans les précédentes éditions.

Le trente-quatriesme. » Item, que les roys soient tenus de faire confermer toutes les choses dessus dites par nostre Saint Père le Pape ; et seront baillées par seremens, sentences et censures de court de Rome et tous autres lieux, en la plus fort manière que faire se pourra ; et seront empetrée dispensacion, absolutions et lettres de la court de Rome, touchant l'accomplissement et la perfection de ce présent traictié, et seront bailliées aux parties au plus tart dedens trois moys après ce que le roy sera arrivé à Calais.

Le trente-cinquiesme. » Item, que tous les subgiés desdis roys qui voudront estudier ès études et universités des royaumes de France et d'Angleterre jouiront des privilèges et libertés desdites études et universités tout ainsi comme il povoient faire avant ces présentes guerres et comme il font à présent.

Le trente-sixiesme. » Item, afin que les choses dessus dites, traictiées et parlées soient plus fermes, estables et valables, seront faites et données les seurtés qui s'ensuivent ; c'est assavoir : lettres scellées des seaulx desdis roys et desdis ainsnés fils d'iceulx, les meilleurs qu'il pourront faire et ordener par les conseilliers desdis roys ; et jureront lesdis roys et leur enfans ainsnés et autres enfans, et aussi les autres des lignages desdis seigneurs et autres grans des royaumes, jusques au nombre de vint de chascune partie, qu'il tendront et aideront à tenir pour tant comme à chascun d'eulx touche lesdites choses traictiées et accordées, et acompliront sans jamais venir au contraire et sans fraude et sans mal engin, et sans faire nul empeschement. Et sé il y avoit aucun dudit royaume de France ou du royaume d'Angleterre qui fussent rebelles ou ne voulsissent accorder les choses dessus dites, lesdis roys feront tout leur povoir de corps et de biens et d'amis de mettre lesdis rebelles en vraie obéissance, selon la forme et teneur dudit traictié. Et avecques ce se soubmettront lesdis roys et leur hoirs et royaumes à la cohercion de Nostre Saint-Père le Pape, afin qu'il puisse contraindre par sentence, censures d'églyses et autres voies deues celuy qui sera rebelle, selon ce qu'il sera de raison. Et parmi les seurtés et fermetés dessus dites, renonceront lesdis roys et leur hoirs, par foy et par sermens, à toute guerre et à tout procès de fait. Et sé par désobéissance, rébellion ou puissance de aucuns subgiés du royaume de France ou autre juste cause, le roy de France ou ses hoirs ne povoient acomplir toutes les choses dessusdites, le roy d'Angleterre, ses hoirs ou aucuns pour eulx ne feront ou devront faire guerre contre ledit roy de France, ses hoirs né son royaume ; mais tous ensemble se efforceront de mettre lesdis rebelles à vraie obéissance et de acomplir les choses dessusdites. Et aussi sé aucuns du royaume et obéissans du roy d'Angleterre ne vouloient rendre les chasteaux, villes ou forteresses qu'il tiennent au royaume de France, et obéir au traictié ci-dessus dit, ou pour juste cause ne povoit accomplir ce qu'il doit faire par ce présent traictié, li roys[204] de France né ses hoirs ou aucun pour eulx ne feront point de guerre au roy d'Angleterre né à son royaume ; mais tous deux ensemble feront leur povoir de recouvrer les chasteaux, villes, forteresses dessus dites, que toute obéissance et acomplissement soit faite ès traitié dessusdit ; et seront aussi faites et données d'une part et d'autre, selon la nature du fait, toutes manières de fermetés et seurtés que l'en pourra et saura deviser tant par le pape, le collège de la court de Rome comme autrement, pour tenir et garder perpétuelment la paix et toutes les choses dessus accordées.

[204] Li roys. Dans cette pièce importante que nous donnons ici telle que l'offre le manuscrit de Charles V, on voit que les formes anciennes de la langue sont fréquemment conservées : Li roys pour le roy.

Le trente-septiesme[205]. » Item, est accordé que par ce présent traictié et accort, tous autres accors, traictiés ou prolocucions, s'aucuns en y a fais ou pourparlés au temps passé, sont nuls et de nulle valeur et du tout mis au néant et ne s'en pourront jamais aydier les parties né faire aucun reprouche l'un contre l'autre pour cause d'iceulx traictiés ou accors, sé aucuns en y avoit comme dit est.

[205] Omis dans les éditions imprimées, ainsi que le trente-neuvième article.

Le trente-huitiesme. » Item, quant ce présent traictié sera approuvé, juré et confermé par les deux roys à Calais, quant il y seront en leur personnes, et depuis que le roy de France sera parti de Calais et sera en son pouvoir, dedens un mois prochain ensuivant ledit département, ledit roy de France en fera lettres confirmatoires et autres nécessaires ouvertes, et les envoiera et délivrera à Calais audit roy d'Angleterre ou à ses députés audit lieu. Et aussi ledit roy d'Angleterre, en prenant lesdites lettres confirmatoires, en baillera lettres confirmatoires pareilles à celles dudit roy de France.

Le trente-neuviesme. » Item, est accordé que nul des roys ne procurera né fera procurer par luy né par autres que aucunes nouveletés ou griefs se facent par l'églyse de Rome ou par autres de sainte églyse, quelconques il soient, contre ce présent traictié, sur aucun desdis roys, leur coadjuteurs, adhérens ou aliés quels que il soient, né sur leur terres, né leur subgiés pour achoison de la guerre ou pour autre cause, né pour services que lesdis coadjuteurs ou aliés aient fais auxdis roys ou aucun d'iceulx ; et sé nostre dit Saint Père ou autres le vouloient faire, les deux roys le destourberoient selon ce qu'il pourront sans mal engin.

Le quarantiesme. » Item, des hostaiges qui seront bailliés au roy d'Angleterre à Calais, de la manière du temps de leur département, les deux roys en ordeneront à Calais.


» [206]Toutes lesquelles choses dessus escriptes et chascune d'icelles furent faites, ordenées et accordées de l'auctorité nostre dit seigneur le roy et du nostre[207], par nos amés cousins le duc de Lenclastre, Wyllaume conte de Norentonne, Thomas de Beauchamp conte de Warwhic, Rauf conte de Stafort, Wyllaume conte de Salebury, messire Gautier, sire de Mauny, messire Jehan de Beauchamp, messire Guy de Bryenne, messire Jehan de Greily, captau de Buef, messire Jehan Chandos, messire Wyllaume de Grenson, chevaliers, Jehan de Wynelvic, trésorier, monseigneur Jehan de Wynelvic, chancellier nostre seigneur le roy ; maistre Henry de Haston ; Guillaume de Lughteburgh docteur en loys, et maistre Jehan de Branquette, chanoine de Londres, tous présens et jurés, de tenir et faire tenir et garder les choses dessus dites. Et aussi présens, et jurés par messire Regnauld de Cobehan, nos procureurs et messaiges à ce especialment commis et députés de par nous ; et promis, jurés et accordés et ordenés de par nostre cousin le régent, par les honorables et puissans seigneurs et messaiges et procureurs dudit régent, Jehan par la grace de Dieu esleu de Beauvais pair de France, maistre Estienne de Paris chanoine, et Pierre de La Charité, chantre de l'églyse de Paris, Jehan d'Augeraut, doyen de Chartres, messire Jehan Le Maingre dit Bouciquaut mareschal de France, Charles sire de Montmorency, Aimart de La Tour sire de Vinay, Jehan de Groslée, Regnaud de Goullons, Pierre d'Oomont, Symon de Bucy chevaliers, maistre Guillaume de Dormans, Jehan des Mares et Jehan Maillart, bourgois de Paris procureur, et aussi maistre Robert Porte, evesque dit d'Avranches, messire Raoul de Resneval, monseigneur Artaud de Beausemblant, maistre Macé Gueri et maistre Nicole de Veyres, secrétaires nostre dit cousin et pluseurs autres. Toutes lesquelles choses et chascune d'elles ès noms que dessus, nous, prince de Galles, acceptons, accordons, aggréons, approuvons et confermons de nostre certaine science et les voulons avoir en vigour et fermeté, si et par tele manière comme sé nous les eussions traictiées, parlées, accordées, jurées et promises en nostre propre personne, à l'onneur de la benoite Trinité, le Père, le Fils et le saint Esperit, et de la glorieuse Vierge Marie ; pour la révérence de nostre Saint-Père le Pape Innocent VI, lequel, quant il estoit cardinal en sa personne, et, puis la promocion, pour révérens pères en Dieu les cardinaux de Bouloigne et de Pierregort et de Urgel, qui furent de par luy envoiés en France et en Angleterre, qui en faire ceste pais ont adjousté et mis très grant et bonne diligence, et de nos bien amés frère Andry de La Roche abbé de Clugny, et messire Hugues de Geneuve, chevalier, seigneur d'Ausson, messaigiés derreniers envoiés sur ce de par nostre dit Saint Père le Pape, et ont sur ce diligemment travaillié, traictié et receus les seremens desdis procureurs. En tesmoing desquelles choses, à cestes nos lectres nous avons fait mettre nostre privé séel. Donné à Louviers en Normendie, le seiziesme jour de may, l'an de grace dessus dit.

[206] Le reste de cette charte et les autres pièces qui la suivent ne sont pas dans Rymer.

[207] Du nostre. Il semble qu'il faudroit : Et de la nostre.

» Je Jehan Branquette, clerc du diocèse de Nosibio, notaire publique de l'auctorité du pape et de l'empereur, pour ce que je fus présent le huitiesme jour de may, l'an de grace dessus dit et huitiesme du pontificat de nostre Saint-Père le Pape Innocent VI, quant les choses avant dites et chascune d'icelles furent parlées, traictiées et accordées par la manière et forme que dessus est compris entre les parties, seigneurs, procureurs et tesmoins avant nommés, je les vy et oï ainsi faire accorder et expédier ; par le commandement et volenté desdites parties, à ces présentes lettres contenans lesdis traictiés et accors j'ay mis mon signe publique, avec le signe maistre Nicoles de Veyres, notaire, en tesmoin de toutes les choses devant dites.

» Et je Nicoles de Veyres, clerc du diocèse de Sens, notaire publique de l'auctorité du pape, pour ce que je fus présent le huitiesme jour de may l'an de grace dessus dit, et huitiesme du pontificat de nostre Saint-Père le Pape Innocent VI, quant les choses avant dites et chascune d'icelles furent parlées, traictiées et accordées par la manière et forme que dessus est compris, entre les parties, seigneurs et procureurs et tesmoins avant nommés ; je le vis et oï ainsi faire, accorder et expédier par le commandement et volenté desdites parties ; à ces présentes lettres contenant lesdis traictiés et accors je ay mis mon signe publique, Jehan de Branquette, et Nicoles de Veyres, notaires publiques. En tesmoin de toutes les choses devant dites.

CXXV.

Une lettre coment monseigneur le régent conferma le traictié accordé à Brétigny.

» Charles, ainsné fils du roy de France, régent le royaume, duc de Normendie et daulphin de Viennois, à tous ceulx qui ces présentes lettres verront, salut. Savoir faisons que nous avons veu par escript et leu de mot à mot le traictié de bonne paix et accort final, traictié et fait pour mon seigneur et pour nous et le royaume de France, pour nos adhérens, aliés, amis et aidans, par nos amés et feaulx conseilliers de monseigneur et les nostres, et messaiges et procureurs espécialment de nostre partie establis et aians à ce faire plain pouvoir et mandement spécial de nous. C'est assavoir : Monseigneur Jehan esleu de Beauvais, pair de France, nostre chancellier ; maistre Estienne de Paris chanoine ; Pierre de La Charité, chantre de l'églyse de Paris ; et Jehan d'Augeraut doyen de Chartres ; monseigneur Jehan Le Maingre dit Bouciquaut, mareschal de France ; monseigneur Charles, sire de Montmorency ; monseigneur Aymart de La Tour, sire de Vinay ; monseigneur Jehan de Groslée ; monseigneur Regnaut de Goullons ; monseigneur Symon de Bucy et monseigneur Pierre d'Oomont, chevaliers ; maistre Guillaume de Dormans ; Jehan des Mares et Jehan Maillart, bourgois de Paris d'une part, et certains autres procureurs et messaiges de nostre cousin le prince de Galles, fils ainsné du roy d'Angleterre nostre cousin, ayant à ce povoir et mandement espécial de par luy et autres gens et traicteurs pour lesdis roy d'Angleterre et prince de Galles, pour leur adhérens, aliés, aidans et amis d'autre part : lequel traictié et accort nous avons eu et avons ferme et agréable, et avons juré sur sains évangiles touchiés de nostre main, devant le saint corps de Nostre-Seigneur Jhésus-Crist sacré, l'autre main dréciée envers luy, ledit accort tenir et garder de nostre partie, et faire tenir et garder à nostre povoir sans mal engin à tousjours. En tesmoin de laquelle chose nous avons fait mettre à ces présentes lettres nostre seel de secret, en l'absence du grant. Donné à Paris le dixiesme jour de may mil trois cent soixante.

CXXVI.

Une autre lettre du prince de Galles confermant semblablement le traictié dessusdit.

» Edouard, fils ainsné à noble roy de France et d'Angleterre, prince de Galles, duc de Cournouaille et conte de Cestre, à tous ceulx qui ces présentes lettres verront, salut. Savoir faisons que nous avons veu par escript le traictié de bonne paix et accort final traictié et fait pour nostre très redoubté seigneur et père le roy et nous, et pour les subgiés, amis, aliés, aidans et adhérens de nostre dit seigneur et les nostres, par les traicteurs à ce députés de par nostre dit seigneur et de par nous ; et ayant à ce faire plain povoir d'une part ; et nostre cousin le régent le royaume de France, pour luy et pour son père et pour leur subgiés, aliés, amis, aidans et adhérens, par leur traicteurs, procureurs et messagiés, ayant à ce faire souffisant povoir d'autre part ; lequel traictié et accort nous avons ferme et agréable ; et avons juré sur sains évangiles touchiés de nostre main, devant le saint corps de Nostre-Seigneur Jhésus-Crist sacré, l'autre main destre envers luy, ledit accort tenir et garder à nostre povoir, sans mal engin à tousjours. En tesmoin de laquelle chose nous avons fait mettre nostre privé séel à ces présentes lettres. Donné à Louviers, en Normendie, le seiziesme jour de may de l'an de grace mil trois cent soixante.

CXXVII.

Les lettres de monseigneur le régent contenant l'ordonnance des trièves.

» Charles, ainsné fils du roy de France, régent le royaume, duc de Normendie et daulphin de Viennois ; à tous ceux qui ces lettres verront salut. Savoir faisons que comme entre nos amés et feaulx, l'esleu de Beauvais nostre chancelier ; messire Charles, sire de Montmorency ; messire Jehan Le Maingre dit Bouciquaut, mareschal de France ; messire Aymart de la Tour, sire de Vinay ; messire Raoul de Resneval, messire Symon de Bucy, chevaliers ; maistre Estienne Paris[208] et Pierre de la Charité, nos conseilliers, et avecques pluseurs autres chevaliers, clers et saiges de nostre conseil, nos procureurs et messaiges espéciaux à ce faire de par nous, pour monseigneur et pour nous espécialment establis ; et ayant povoir de par nous, de faire traictier, accorder, promettre et jurer en l'ame de nous et pour monseigneur et pour nous, bonne paix et accort et bonne trièves et loyaux d'une part ; et monseigneur Regnault de Cobehan, monseigneur Barthelemy de Brouéiz ; monseigneur Franc de Hale, Banerés ; Mile de Stapelenton ; monseigneur Richart la Vache et Noel Loreng, chevaliers, procureurs et messaiges espéciaux de monseigneur Edouart, fils ainsné du roy d'Angleterre, espécialment à ce establis et ayans semblable povoir, et avec eux pluseurs autres chevaliers, clers et saiges du conseil du roy d'Angleterre d'autre part. Sur tous les descors et articles pour lesquels estoient guerres qui longuement ont duré entre les deux roys, leur royaumes dessus dis et nous ; les aliés, aydans et amis d'une part et d'autre, ait esté traictié bonne paix et accort final à toujours durans au plaisir de Dieu, contenant pluseurs articles, lesquels ne povent estre acomplis en brief temps ; et pour ce convient que cependant bonnes trièves et loyaux soient prises, accordées, tenues et gardées d'une part et d'autre, tant de leur royaumes que dehors leur royaumes. Et nous pour honneur et révérence de nostre saint Père le Pape, qui pour ce a envoié devers nous ses espéciaux messaigiés ; c'est assavoir l'abbé de Clugny, messire Hugue de Genevre et le maistre de l'ordre des frères Prescheurs, qui sur ce nous ont requis à grant instance, au nom de monseigneur et de nous pour luy et pour nous, ses subgiés, aliés, amis et aydans, et pour les nostres ; avons accordé et octroyé, accordons et octroyons audit roy d'Angleterre, à ses subgiés, aliés, aydans et amis, bonne trièves et loyaux, du date de ces lettres jusques au jour de la Saint-Michiel prochain venant, et d'iceluy jour jusques à la Saint-Michiel qui sera l'an mil trois cent soixante un, et tout le jour de ladite feste jusques au soleil couchié ; et accordons, voulons et octroyons, ès noms de monseigneur et de et pour tous les dessus dis de notre partie que lesdites trièves soient tenues et gardées ; et les promettons en bonne foy, sans fraude et sans mal engin, ès noms devant dis, tenir et faire tenir fermement par tout le pouvoir de monseigneur et le nostre, parmy lesquelles tous les subgiés d'une part et d'autre, de l'un royaume et de l'autre pourront franchement sans contredit aler et venir paisiblement de l'un royaume à l'autre, et marchans marchander et faire tous contras de bonne foy, sans blasme et sans reprouche, tout en la manière que l'en povoit et souloit faire en temps de bonne et ferme paix, et que sé oncques guerres n'eussent esté entre lesdis roys, nous et les royaumes. Et ne pourront ou devront lesdis roys ou leur subgiés, aliés ou aydans durant lesdites trièves, prendre ou embler, escheler, ou autrement occuper ou empescher en quelque manière aucune ville, chastel, forteresse ou autre lieu ; mais cesseront toutes roberies, pilleries, prises de personnes, arsures, ravissemens, prises, marques et autres prises, et tous autres maléfices par terre et par mer. Et sé aucune chose estoit faite ou actemptée de la partie de monseigneur ou la nostre ou d'aucun ou par aucun du povoir monseigneur et du nostre contre ce que dessus est dit ou contre lesdites trièves, monseigneur et nous le ferons réparer et mettre au premier et deu estat sans délay, si tost que nous ou nos députés en seront requis, et ferons rendre et restablir ce qui seroit robé, pris, ravi ou pillié, ou l'estimacion d'icelles choses sé elles n'estoient transmuées ; et pour aucun des fais ou actemptas dessus dis, sé aucuns y a, venoient ou fais estoient, ne seroient ou pourroient estre dites enfraintes ou brisiées lesdites trièves, né guerre pour ce estre suscitée ; mais seront réparés et mis au premier et deu estat, comme dessus est dit, et les malfaiteurs en seront pugnis deuement. Mais ceux qui seroient ignorans desdites trièves et auroient juste cause de ladite ignorance, ne seroient pas pugnis sé ils faisoient ou avoient fait contre lesdites trièves. Lesquelles trièves tenir et garder et faire loyalment tenir et garder, et les actemptas, comme dit est, réparer et mettre au premier et deu estat, nous avons fait promettre et jurer en l'ame de nous par nos dis procureurs et messaigiés traicteurs de ladite paix à ce faire espécialment establis ; et pour plus diligemment les faire tenir et garder comme dit est, et pour faire droiture de prisons et de toutes complaintes qui pevent ou pourroient avenir au temps des trièves et pour les actemptas réparer, nous avons député et commis, députons et commettons conservateurs desdites trièves ledit monseigneur Jehan Le Maingre mareschal de France ; messire Gauthier de Lor ; messire Raoul de Resneval ; messires Saquet de Blaru, Regnault de Goullons et monseigneur Gauthier d'Angles, tous chevaliers et chascun d'eux, auxquels nous, de par monseigneur et de par nous, mandons et commettons par ces présentes lettres que diligemment et loyalment tiengnent et gardent, et fassent tenir et garder fermement lesdites trièves par le temps dessus dit et fassent droitures tant de prisons non gardans leur convenances, que en autre cas appartenant à faire en temps de trièves aux conservateurs d'icelles. Et n'est mie notre entente que sé les gens de l'ost dudit roy d'Angleterre prennent vitailles, aumailles[209], bestes, vin, char ou autres choses pour la nécessité de leur vivre ou de leur chevaux en s'en alant hors du royaume de France en Angleterre de ci à un mois, que ils en soient ou aucuns d'eux repris ou approuchiés, mais que il ne fassent autre prise, arsure, occupacion de forteresses, ravissemens de femmes ou autres maléfices que prendre pour leur vivre durant ledit mois tant seulement.

[208] Paris. Variante : De Paris.

[209] Aumailles. Troupeaux.

» Item, pour ce que aucunes garnisons des gens du roy d'Angleterre demourroient par aucun temps en aucunes forteresses ou chasteaux en France ou ailleurs au royaume de France, nous voulons et accordons que il puissent lever telles raençons, et en telle manière comme eux les ont levées et tenues avant ces euvres pour leur vivre et pour la garde des dis chasteaux et forteresses sans icelles croistre, tant comme il demourront ès lieux dessus dis, et que il puissent franchement achater et emporter vitailles et les aient à fuer et à raison ainsi comme les autres gens des lieux et des païs environ les achèteront, sans fraude et sans malice, mes qu'ils ne preignent né pillent n'emblent forteresses ou fassent autres maléfices. Sur toutes lesquelles choses et leur dépendences et appartenances, nous voulons et mandons que tous les justiciers, subgiés et féaulx de monseigneur et de nous, et requérons tous autres que il obéissent, et entendent auxdis conservateurs, baillis, capitaines et autres dessus dis et à leur députés et à chacun d'eux. En tesmoing de laquelle chose, nous avons fait mettre nostre seel à ces présentes. Donné à Chartres, le septiesme jour de may, l'an de grace mil trois cens soixante[210]. »

[210] Cette lettre et les deux suivantes auroient été plus régulièrement placées avant le traité de Brétigny, dont elles devoient préparer la conclusion.

CXXVIII.

Du mandement que monseigneur le régent fist, pour faire crier et publier les trèves.

« Charles, ainsné fils du roy de France régent le royaume, duc de Normendie et daulphin de Viennois ; à tous justiciers, capitaines et à tous les subgiés féaulx et obéissans de monseigneur et de nous qui ces lettres verront salut. Savoir faisons que entre monseigneur et nous pour nous et pour nos subgiés, adhérens et aliés, aydans et amis d'une part : et nostre cousin le roy d'Angleterre et les siens d'autre part ; sont prises et accordées bonnes trièves et loyaux, jusques à la Saint-Michiel prochaine venant, et d'iceluy jour jusques à un an ensuivant, qui sera le jour de la Saint-Michiel, l'an mil trois cens soixante et un pour l'accomplissement et exécucion de bonne paix final et perpétuel, entre monseigneur et nous et nostre dit cousin, les subgiés, adhérens, aliés, aydans et amis dessus dis. Pour quoy nous vous mandons et commandons estroitement et à chascun de vous que lesdites trièves fassiez crier et publier partout, et icelles tenir et garder fermement, comme en temps de bonne paix, sans rien faire ou souffrir estre fait au contraire. Donné à Bretigny-lès-Chartres, le septiesme jour de may l'an de grace mil trois cens soixante. »

CXXIX.

Et s'ensuit la teneur des lettres que le prince de Galles donna en la ville de Tours, contenans la forme des trèves dessus dites.

« Edouard, ainsné fils au noble roy de France et d'Angleterre, prince de Galles, duc de Cornouaille et conte de Cestre, à tous ceux qui ces lettres verront salut. Savoir faisons que comme entre nos amés conseilliers, monseigneur Regnault de Cobehan, Berthelemy de Broueys et Franc de Hale, banerés ; Mile de Stapelenton, Richart la Vache et Noel Loreng, chevaliers, nos procureurs et messaigiers espéciaulx establis à ce et ayans povoir de faire traictier, accorder, promettre et jurer en nostre ame et en l'ame de nostre très-redoubté seigneur et père le roy, et pour luy et pour nous, bonne paix et accort et bonnes trièves et loyaux d'une part : et les honorables hommes l'esleu de Beauvais ; Charles, sire de Montmorency ; monseigneur Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, mareschal de France ; monseigneur Aymart de La Tour, sire de Vinay ; monseigneur Raoul de Resneval ; monseigneur Symon de Bucy, chevaliers ; maistres Estienne de Paris et Pierre de la Charité, messaiges et conseilliers de nostre cousin le régent le royaume de France, espécialment députés à ce faire pour luy et pour nostre cousin le roy, son père, et ayans semblable povoir ; et avecques eux pluseurs autres chevaliers, clers et saiges du conseil de nostre dit cousin le régent d'autre part, sur tous les descors et articles pour lesquels estoient guerres qui lonc-temps ont duré entre les deux roys, les royaumes dessus dis et nous, les aliés et aydans et amis, d'une part et d'autre ait esté traictié de bonne paix et accort final à toujours durer au plaisir de Dieu, contenans pluseurs articles lesquels ne pevent mie estre acomplis en brief temps ; et pour ce convient que cependant bonnes trièves et loyaux soient prises, accordées, tenues et gardées d'une part et d'autre, tant dedens les royaumes que dehors les royaumes : nous pour honneur et révérence du Saint-Père le Pape, qui pour ce a envoié devers nous ses espéciaulx messaiges ; c'est à savoir, l'abbé de Clugny ; monseigneur Hugues de Genevre et le maistre de l'ordre des Frères-Prescheurs, qui, sur ce, nous ont requis à grant instance ; au nom de monseigneur et de nous, pour luy et pour nous, et pour ses subgiés, aliés, aydans et amis, et pour les nostres, avons accordé et encore accordons et octroyons à nostre cousin de France et à ses subgiés, aliés, aydans et amis, bonnes trièves et loyaux, de la date de ces lettres jusques au jour de la Saint-Michiel prochaine venant ; et d'iceluy jour jusques à la Saint-Michiel qui sera l'an mil trois cens soixante-un, et tout le jour de ladite feste, jusques à soleil couchié. Et accordons, voulons et octroyons, ès noms de monseigneur et de nous, pour et ès noms devant dis tenir et faire tenir fermement, par tout le pouvoir de monseigneur et le nostre, parmy lesquelles tous les subgiés d'une part et d'autre et de l'un royaume et de l'autre pourront franchement et sans contredit aler et venir paisiblement de l'un royaume et de l'autre, et marchans marchander et faire tous contracts de bonne foy sans blasme et sans reproche, tout en la manière que l'en povoit et souloit faire en temps de bonne et ferme paix, et que sé oncques guerre n'eust esté entre lesdis roys, nous et les royaumes. Et ne pourront né devront les dis roys ou leurs subgiés, aliés ou aydans durans lesdites trièves prendre ou embler, escheler ou autrement occuper ou empeschier en quelque manière aucune ville, chastel, forteresse ou autre lieu ; mais cesseront toutes roberies, pilleries, prises de prisons, arsures, ravissemens, prises et représailles, marques et contreprises et tous autres maléfices par terre et par mer ; et sé aucune chose estoit fait ou actempté de la partie de monseigneur ou de la nostre, ou d'aucun ou par aucun du povoir de monseigneur ou du nostre contre ce que dessus est dit ou contre lesdites trièves, monseigneur et nous le ferons réparer et mettre au premier et deu estat sans delay, si tost comme nous ou nos députés en seront requis ; et ferons rendre et restablir ce qui sera robé, pris, ravi ou pillié, ou l'estimation d'icelles choses sé elles n'estoient trouvées ; et sé aucun des fais ou actemptas dessus dis y avenoient ou fait estoient, ne seroient ou pourroient estre dites enfraintes ou brisées lesdites trièves, né guerre pour ce estre suscitée ; mais seront réparés et mis au premier et deu estat, comme dessus est dit ; et les malfaiteurs en seront pugnis sé ils faisoient ou auroient fait aucune chose contre lesdites trièves. Lesquelles trièves tenir et garder et faire loyalment tenir et garder, et les actemptas, comme dit est, réparer et faire réparer et mettre au premier et deu estat, nous avons fait promettre et jurer en l'ame de nous, par nos dis procureurs et messaigiés traicteurs de ladite paix à ce faire et espécialment establis. Et pour plus diligemment les faire tenir et garder, comme dit est, et pour faire droiture des prisons, et tous complaignans qui pevent ou pourroient avenir en temps de trièves et pour les actemptas réparer, nous avons député et commis, députons et commettons conservateurs desdites trièves, nobles et puissans hommes monseigneur Thomas de Beauchamp, conte de Warvich et mareschal de nostre dit seigneur et père ; Thomas de Hollande, seigneur de Warch ; Jehan de Greyli, captau de Buef ; le gardien de Bretaigne et le capitain de Calays, qui seront pour nostre dit seigneur et père pour le temps, et Eustace d'Aubréchicourt tous chevaliers et chascun d'eux ; et néanmoins les capitaines et connestables des lieux et païs où les cas advenront et chascun d'eux auxquels nous mandons de par nostre dit seigneur le roy, et commettons par ces présentes lettres que diligemment et loyalment tiengnent et gardent et fassent tenir et garder fermement lesdites trièves par le temps dessus dit, et fassent droitures tant de prisons non gardans leur convenances, comme en autres cas appartenans à faire, en temps de trièves, aux conservateurs d'icelles : et n'est mie nostre entente que sé les gens de l'ost nostre seigneur le roy et les nostres prennent vitailles, aumailles, vin, char, bestes ou autres choses pour la nécessité de leur vivre et de leur chevaux, alans hors du royaume de France en Angleterre de ci à un mois, que nous né eux, né aucun d'eux soient repris, reprouchiés né domagiés ; mais que nous né eux ne fassions autre arsure, occupacion de forteresse, ravissemens de femmes ou autres maléfices, que de prendre pour les vivres de nous et d'eux, durant ledit mois tant seulement ; et pour ce que aucunes garnisons des gens de nostre dit seigneur le roy demourront par aucun temps en aucunes forteresses ou chasteaux en France, et ailleurs ou royaume de France, nous voulons et accordons de par nostre dit seigneur le roy et de par nous, qu'il puissent lever telles raençons et en telle manière comme il ont levé avant ces trièves, pour leur vivres et pour la garde desdis chasteaux et forteresses, sans icelles croistre, tant comme il demourront ès lieux dessus dis, et que il puissent franchement achater et emporter vitaille et les ayent à fuer raisonnable ainsi comme les autres gens desdis lieux et des païs environ achèteront, sans fraude et sans malice, mais qu'il ne preignent, pillent ou emblent forteresses ou fassent autres maléfices. Sur toutes lesquelles choses et leurs dépendances et appartenances, nous voulons et mandons à tous les subgiés et féaulx de nostre dit seigneur, requérons tous autres qu'il obéissent et entendent auxdis conservateurs, capitains, connestables dessus dis et à leur députés et à chascun d'eux. En tesmoing de laquelle chose, nous avons fait mettre nostre scel à ces présentes lettres. Donné à Sours, devant Chartres, le septiesme jour de may, l'an du règne de nostre dit seigneur et père de France vint premier, et d'Angleterre, trente et quart. »

CXXX.

Coment le roy d'Angleterre et le prince de Galles envoièrent six chevaliers à Paris pour veoir faire à monseigneur le régent le sairement de tenir ferme et stable le traictié de paix.

Le samedi ensuivant, neuviesme jour dudit moys, aucuns de ceux de la partie de France retournèrent à Paris et amenèrent six chevaliers anglois pour veoir ledit régent faire ce qui ensuit : et pour celle cause les y avoient envoiés ledit roy anglois et le prince de Galles, son ainsné fils. Item, le dimenche matin ensuivant, dixiesme jour dudit moys, ledit régent, qui lors estoit à Paris en l'hostel à l'Arcevesque de Sens aux Barrés[211], et son conseil assemblé, le prévost des marchans et pluseurs bourgois de ladite ville, en la présence desquels ledit régent fist réciter, par maistre Jehan des Mares, tout ledit traictié, lequel fu aggréable audit régent. Et pour ce que entre les autres choses dudit traictié estoit accordé que ledit régent devoit oïr la messe, et après le Agnus Dei il devoit aler à l'autel, et l'une des mains sur le corps de Jhésus-Crist sacré, sans y toucher, et l'autre main mise sur le Messel, devoit jurer que ledit traictié il tindroit et acompliroit, feroit tenir et acomplir de tout son povoir, fu chantée une messe basse du Saint-Esprit, par Guillaume de Meleun, arcevesque de Sens ; et quant elle fu dite jusques au point dessus dit, ledit régent issi de son oratoire et ala à l'autel, et en la présence des six chevaliers anglois dessus dis, qui pour veoir ledit sairement faire y avoient esté envoiés par lesdis roy et prince, et de grant foison de gens qui là estoient, fist ledit sairement par la manière devant dite, en lisant une cédule en laquelle estoient les paroles que il devoit dire, escriptes forméement[212]. Et par semblable manière le devoit faire le prince de Galles, et devoit, ledit régent, envoier six chevaliers, trois banerés et trois bacheliers, si comme les Anglois avoient fait, pour veoir le prince de Galles faire ledit sairement, et les deux roys de France et d'Angleterre le devoient faire pareillement quant il seroient ensemble. Et tantost que ledit sairement fu fait par ledit régent, ladite paix fu criée par un sergent d'armes aux fenestres de la chambre dudit régent, sur la cour dudit hostel de l'arcevesque de Sens. Et quant ladite messe fu chantée, ledit régent ala à Nostre-Dame de Paris luy rendre grace de ladite paix, là où l'en chanta Te Deum et sonna les cloches moult solempnelment.

[211] Aux Barrés. Ainsi l'hôtel de Sens étoit bâti sur l'emplacement de la maison des Carmes dits les frères Barrés. Charles V le réunit à l'hôtel Saint-Pol. Il reste encore de beaux vestiges de cet hôtel de Sens.

[212] Forméement. En lettres de forme. Ce mot, dont on a souvent cherché le sens, désignoit sans doute les beaux caractères d'expédition solemnelle.

CXXXI.

Coment le prince de Galles fist à Louviers le sairement pareil à celui que le régent avoit fait à Paris.

L'endemain, jour de lundi onziesme jour dudit moys de may, ledit régent monstra auxdis Anglois les saintes reliques, en la chapelle royal à Paris, et donna à disner auxdis Anglois, et à chascun un bel cheval ; et après se partirent de Paris pour aler pardevers ledit roy d'Angleterre et pardevers ledit prince ; et envoia ledit régent, avecques lesdis Anglois, six chevaliers, trois banerés et trois bacheliers de la partie de France, pour veoir faire ledit sairement audit prince par la manière que avoit fait ledit régent. Lequel prince fist ledit sairement en la présence desdis chevaliers et d'un des secrétaires dudit régent, par la manière que l'avoit fait ledit régent, en l'église de Nostre-Dame de Louviers, l'endemain de l'Ascencion Nostre Seigneur, jour de vendredi et quinziesme jour dudit moys de mai, l'an mil trois cens soixante dessus dit.

Item, le mardi ensuivant, dix-neuviesme dudit moys, ledit roy et ses enfans entrèrent en mer, à Honefleu, pour aler en Angleterre quérir le roy de France, et la plus grande partie de l'ost desdis anglois passèrent la rivière de Saine, au Pont de l'Arche, là où ledit régent avoit mandé que l'on les feist passer ; et s'en alèrent droit à Calais sans meffaire au païs, fors que de prendre vivres ; et demoura en France, pour les Anglois, le conte de Warvich, mareschal d'Angleterre, pour faire tenir de leur partie les trièves qui avoient esté prises par ledit traictié, jusques à la feste Saint-Michiel, l'an mil trois cens soixante-un, et pour cependant mettre ledit traictié de paix à exécucion d'une partie et d'autre. Et furent lesdites trièves publiées par tout le royaume ; mais elles furent mal tenues en pluseurs lieux, par espécial des Anglois ; car pluseurs se mistrent à estre espieurs de chemins, et par manière de volerie faisoient pis que il ne faisoient en temps de guerre ; car il tuoient les gens que il trouvoient par les chemins et roboient tout.

CXXXII.

Coment le roy de France vint d'Angleterre à Calais, et de l'emprumpt pour le premier paiement de la raençon du roy.

Le dimenche, quatorziesme jour du moys de juing ensuivant, le roy de France donna à disner au roy d'Angleterre en la Tour de Londres, et firent moult grand semblant d'amour l'un à l'autre, et jurèrent par leur fois baillées l'un à l'autre que il tendroient véritablement et loyalment la paix dessus dite, par la manière que traictiée avoit esté. Item, le mercredi, huitiesme jour du moys de juillet ensuivant, à matin, arriva le roy de France à Calays, lequel y devoit estre, par le traictié, dedens trois semaines après la nativité Saint-Jehan-Baptiste ; et le dimenche ensuivant, douziesme jour dudit mois, ledit régent parti de Paris pour aler à St-Omer, pour faire acomplir ce que il pourroit dudit traictié, afin que le roy de France, son père, feust délivré. Et en ce temps fut ordené que l'en leveroit à Paris et en la viconté cent mile royaux d'or par emprumpt que l'en feroit de toutes personnes d'églyse, nobles et autres qui auroient puissance de prester ; pour ce que ladite ville de Paris avoit accordé à paier pour le premier paiement de la raençon du roy, quatre-vint mile royaux d'or pour ladite ville et viconté. Item, le vendredi, jour de feste Saint-Denis, neuviesme jour du moys d'octobre ensuivant, ledit roy d'Angleterre arriva à Calais. Item, le dimenche ensuivant, onziesme jour dudit moys, le roy de France qui estoit encore au chastel de Calais, ala veoir ledit roy d'Angleterre, en l'hostel où il estoit herbergié en ladite ville de Calais ; car encore n'avoient-il veu l'un l'autre depuis que ledit Anglois estoit entré en ladite ville, fors quant ledit Anglois estoit descendu de la Nef ; car là luy estoit alé ledit roy de France à l'encontre, et s'entrefirent très bonne chière, et pria le roy de France au roy d'Angleterre que il et ses enfans dinassent l'endemain audit chastel avecques luy, lequel Anglois s'i accorda. Et celuy dimenche traicta ledit roy de France la paix dudit roy d'Angleterre et du conte de Flandres. Et l'endemain, jour de lundi, douziesme jour dudit mois d'octobre, ledit roy d'Angleterre disna avecques le roy de France audit chastel de Calais. Et séit à la table premier le roy d'Angleterre, le roy de France secont, le prince de Galles le tiers et le duc de Lanclastre le quart et le derrenier. Et ainsi, comme il disnoient, le conte de Flandres entra à Calais et ala droit au chastel, et fist la revérence en soy agenoillant devant le roy de France, et après salua le roy d'Angleterre, sans agenoillier, et luy fist le roy de France très bonne chière. Et après disner, deux des enfans du roy d'Angleterre partirent de Calais, et deux des enfans du roy de France les conduirent droit à Bouloigne, à l'encontre desquels ala environ demie lieue le duc de Normendie, qui estoit en ladite ville de Bouloigne, et les mena en ladite ville.

CXXXIII.

Coment monseigneur le régent ala de Bouloigne à Calais pour veoir son père le roy de France et des sairemens des deux roys, et de la paix du roy de Navarre, et comment le roy de France se parti de Calais.

L'endemain, jour de mardy, treiziesme jour dudit moys, le duc de Normendie parti de Bouloigne et ala à Calais, et disna ce mardy avecques le roy d'Angleterre : et aussi fist le roy de France. Et les deux enfans du roy d'Angleterre demourèrent à Bouloigne, et deux des enfans du roy de France pour les compaignier. Item, l'endemain jour de mercredi, quatorziesme jour dudit moys d'octobre, après ce que le dit duc ot disné avecques son père le roy de France, il se parti de Calais et s'en ala au giste de Bouloigne, et les deux enfans du roy d'Angleterre s'en retournèrent à Calais ; et furent les choses si ordenées, que le dit duc de Normendie, quant il retournoit de Calais à Bouloigne, et les deux enfans du roy d'Angleterre, quant il retournoient de Bouloigne à Calais, s'entre rencontrèrent ainsi comme en my-voie.

Item, en cette semaine le Begue de Villaines prist par escheler le chastel de Pacy et la femme et les filles de monseigneur Pierre de Saquenville qui estoient dedens. Item, le samedi vint-quatriesme jour dudit moys d'octobre, l'an mil trois cent soixante dessusdit, les dis roys de France et d'Angleterre jurèrent à Calais ensemble sur le corps Jhesu-Crist et sur les saintes évangiles, tenir perpétuelement la paix faite entre eulx sans enfreindre ; et oïrent les deux roys messe ensemble en deux oratoires, et ne alèrent point à l'offrande, pour ce que l'un ne vouloit aler avant l'autre : mais l'en porta la Paix au roy de France premièrement, lequel ne la voult prendre et issy de son oratoire et la porta au roy d'Angleterre, lequel ne la voult prendre, et baisièrent l'un roy l'autre sans prendre autre Paix. Et celuy jour fu faicte la paix du roy de France d'une part, et du roy de Navarre et messire Phelippe de Navarre son frère d'autre part ; jasoit ce que le dit roy de Navarre ne feust pas lors présent à Calais à faire ladite paix. Mais ledit messire Phelippe y estoit, qui se fist fort pour son dit frère et jura la dicte paix, et le duc d'Orléans, frère du roy de France, la jura pour le roy son frère. Item, l'endemain le dymenche vingt-cinquiesme jour du dit moys d'octobre, ledit roy de France Jehan fu à plain délivre de sa dicte prison, et se parti à matin de Calais et s'en ala à Bouloigne, et le convoia ledit roy d'Angleterre environ une lieue, et après s'en retourna à Calais. Et le prince de Galles, ainsné fils du roy d'Angleterre, ala avecques le roy de France jusques à Bouloigne. Item, l'endemain jour de lundi vint-sixiesme jour dudit moys, le duc de Normendie, ainsné fils du roy de France et ledit prince de Galles jurèrent de rechief tenir ladite paix sans enfraindre ; et aussi fist le conte d'Estampes et aucuns autres grans seigneurs qui là estoient. Et celuy lundy après disner, se parti ledit prince de Bouloigne et s'en retourna à Calais. Et ainsi appert que ledit roi de France Jehan fu prisonnier dudit roy d'Angleterre quatre ans, et tant comme il a, du dix-neufviesme jour de septembre, à quel jour ledit roy fut pris comme dessus est dit, jusques au vint-cinquième jour d'octobre que il fu délivre.

CXXXIV.

Les noms de ceulx qui demourèrent hostages en Angleterre pour le roy de France.

Le jeudi ensuivant, vint-neufviesme jour du mois d'octobre, ledit roy de France se parti de Bouloigne et ala à Saint-Omer, et aucuns de son conseil qui estoient demourez à Calais pour parfaire les lectres et les autres choses qui estoient à parfaire, s'en partirent le vendredi ensuivant trentième jour dudit moys et alèrent à Saint-Omer, là où ledit roy de France estoit. Et est à savoir que dès le samedi précédent vint-quatriesme jour dudit mois d'octobre, après ce que ladite paix ot esté jurée des deux roys, comme dessus est dit, ledit roy d'Angleterre laissa le nom de roy de France et se appella roy d'Angleterre, seigneur d'Irlande et d'Aquitaine : mais il ne renonça pas encore audit royaume de France, et aussi ne renonça pas le roy de France aux ressors et souverainetés des terres que il bailloit au dit roy d'Angleterre né à l'homaige ; mais il seurséoit du nom de roy de France et y devoit renoncier quand certaines terres luy seroient délivrées, qui luy devoient estre bailliées par ledit traictié. Item, le samedi ensuivant, veille de la feste de Toussains derrenier dudit mois d'octobre, à matin devant le jour, ledit roy d'Angleterre se parti de Calais et entra en mer pour aler en Angleterre, et les hostaiges que le roy de France luy avoit bailliés avecques luy ; c'est assavoir : Monseigneur Loys et monseigneur Jehan enfans dudit roy de France, lesquels ledit roy leur père avoit fais ducs de nouvel ; c'est assavoir monseigneur Loys, qui estoit son second fils duc d'Anjou et du Maine qui par avant en estoit conte ; et ledit monseigneur Jehan duc d'Auvergne et de Berry, qui par avant avoit esté conte de Poitiers, laquelle conté devoit estre bailliée au roy d'Angleterre par le traictié, si comme dessus est dit. Après les dessus dis monseigneur Loys et monseigneur Jehan, fils du roy de France, furent hostages monseigneur Phelippe duc d'Orliens, frère germain dudit roy de France ; monseigneur Loys duc de Bourbon ; monseigneur Pierre d'Alençon et monseigneur Jehan frère du conte d'Estampes, tous des Fleurs de lis ; Guy, frère du conte de Bloys ; le conte de Saint-Pol ; le seigneur de Montmorenci ; le seigneur de Hangest ; le seigneur de Saint-Venant ; le seigneur d'Andrezel ; le conte de Braine en Laonnoys ; le seigneur de Coucy ; le conte de Harecourt ; le conte de Grantpré ; le seigneur de la Roche-Guyon ; le seigneur d'Estouteville.

Item, le dimenche ensuivant, jour de la feste de Toussains, premier jour du moys de novembre l'an mil trois cent soixante dessusdit, ledit roy de France à sa messe fist chevalier un escuier d'Artoys appelé Jean d'Ainville, qui avoit demouré avecques luy en Angleterre, et esté maistre de son hostel tant comme le dit roy y avoit demouré. Et ce jour entrèrent en la foy du roy quatre chevaliers de la partie du roy d'Angleterre ; c'est assavoir : monseigneur Rogier de Beauchamp ; monseigneur Guy de Briene ; monseigneur Regnault de Cobehan, tous Anglois, et monseigneur Gauthier de Mauny, Hennuyer, pour certaine rente que ledit roy de France leur promist[213]. Et ledit samedi, vint-quatriesme jour d'octobre, le duc de Lenclastre, monseigneur Phelippe de Navarre et monseigneur Jehan de Montfort, qui avoit esté fils du conte de Montfort qui s'en ala en Angleterre pour le débat du duchié de Bretaigne, estoient entrés en la foy dudit roy de France, et luy avoient fait homaige pour les terres que il tenoient en France avant les guerres desdis roys ; lesquelles terres leur furent toutes rendues par ledit traictié.

[213] Froissart, qui ne désigne pas les chevaliers, éclaircit ce passage : « Les deux rois, » dit-il, « qui par l'ordonnance de la paix s'appeloient frères, donnèrent à quatre chevaliers chascun de son costé la somme de huit mil francs de revenue par an, c'est à entendre à chascun deux mil. » (Liv. I, part. II, ch. 143.)

CXXXV.

Comment l'en fist les joustes à Saint-Omer, et de la venue du roy de France à Saint-Denys, et du roy de Navarre qui vint par devers luy.

Le mardi et le mercredi ensuivans, troisiesme et quatriesme jours dudit moys de novembre, furent faites moult belles joustes à Saint-Omer, pour l'oneur du roy de France qui là estoit. Et lors avoit grand foison d'Anglois et autres ès pays de Brie et de Champaigne, qui gastoient tout le pays, tuoient et raençonnoient gens et faisoient du pis qu'il povoient ; dont aucuns se appelloient la grant compaignie[214]. Lesquels après ce que il orent sceu que ledit roy de France estoit délivre de sa prison, se partirent dudit pays de Brie et s'en allèrent en Champaigne, là où il tenoient pluseurs forteresses. Et ledit roy de France, après ladite feste de Saint-Omer, s'en ala à Hesdin, là où il demoura par aucun temps, et là fist ordenances des gens de son hostel et de la Chambre des comptes, et par lesdites ordenances ne demoura ès requestes de l'ostel que trois clers et trois lays ; et furent les clers : maistre Estienne de Paris, maistre Guy du Saint-Sépulcre et maistre Jaques Leriche[215] ; et les lays furent : monseigneur Jehan Hanière, monseigneur Fauviau de Vaudencourt et monseigneur Gile de Soocourt, chevaliers. Et en la Chambre des comptes, trois clers et trois lays, c'est assavoir, clers : messire Jehan Laigle, maistre Oudart Levrier et messire Legier de la Charmoye ; lays : monseigneur Jehan de Charny chevalier, Jacques de Pacy et Guillaume Staise. Et depuis s'en vint le roy par Amiens, par Noyon et par Compiegne et par Senlis. Et le vendredi, onzième jour de décembre ensuivant, entra le roy au giste à Saint-Denis en France. Item, l'endemain jour de samedi, douziesme jour dudit moys, le roy de Navarre, qui encore n'avoit vu le roy de France depuis sa prise, vint à Saint-Denys à matin et ramena avecques luy certains hostaiges que le roy de France avoit envoiés à Mante, afin que le roy de France venist pardevers luy, quar autrement ne se estoit volu accorder d'y venir. Mais en monstrant qu'il se fioit ès promesses du roy, il ramena lesdis hostaiges, et là fu parlé que il féist homaige au roy. Mais ledit de Navarre ne le voult, en disant que il n'avoit oncques forfait l'omaige que autrefois luy avoit fait ; et finalement après pluseurs parler, ledit de Navarre vint devant le roy de France, devant le grant autel de Saint-Denys, et luy fist la révérence assez humblement ; et après jura sur le corps Jhésu-Crist sacré que tenoit l'abbé de Saint-Denys, revestu des vestemens ès quels il avoit dite la messe, que dès lors en avant il seroit bon et loyal fils et subgié dudit roy de France ; et ledit roy de France jura après pareillement que il luy seroit bon père et bon seigneur ; et après jurèrent le duc de Normendie et monseigneur Phelippe duc de Touraine, son frère. Et si jura lors aussi ledit roy de Navarre que il tendroit et feroit tenir à son pouvoir la paix traictiée entre les roys de France et d'Angleterre ; et après l'enmena le roy de France par la main disner avecques luy : et après disner, prist congié du roy de France et s'en parti. Item, le jeudi douziesme jour de novembre, l'an mil trois cent soixante dessus dit, furent enterrées les deux filles du duc de Normendie à Saint-Anthoine près de Paris, et fu présent ledit duc à l'enterrage, moult courroucié qui plus n'avoit d'enfans. Item, le samedi dessusdit, douziesme jour de décembre, fut criée et publiée à Paris la forte monnoie, c'est assavoir un franc d'or que l'en fist lors nouveaux pour seize sols parisis ; un royal pour treize sols quatre deniers parisis, et blans neufs fins qui furent lors fais pour douze deniers parisis, etc.

[214] La grant compaignie. Et non pas les grandes compagnies, comme on dit aujourd'hui. Tous les historiens distinguent la grande compagnie des autres bandes que l'on eut tant de peine à faire disparoître au XIVe siècle. Le continuateur de Nangis dit : « Anno eodem (1360) surrexerunt filii Belial et viri iniqui, videlicet multi guerratores de diversis nationibus, non habentes titulum aliquem neque causam aliquos invadendi, nisi proprio motu seu nequitiâ affectatâ sub spe depredandi, et vocabatur Magna Societas. Qui quidem scelerati adunantes se in magnâ copiâ valdè, accesserunt in armis propè Avinionem, volentes debellare dominum nostrum summum pontificem, etc. »

La chronique inédite du no 530 Suppl. Franç., s'accorde avec celles de St-Denis pour accuser surtout de ces désordres les Anglois indisciplinés. « Le roy d'Engleterre devoit faire vuidier les forteresces à ses despens, et néanmoins pluseurs Englois descoururent sur le royaume de France en pluseurs routes. Et estoient d'iceux qui desdites forteresces estoient partis et se tenoient par manière de compagnie. Et pluseurs s'en alèrent en Bretagne à Jehan de Montfort. Et s'en assembla une grant route qui s'en ala vers Avignon, et prisrent le pont Saint-Esperit, etc., etc. » (Fo 79, vo.)

[215] Jaques Leriche. Variante : Jaques de la Roche.

CXXXVI.

Coment le roy de France entra à Paris. Et de pluseurs incidences.

ANNÉE 1361

Le dimenche treiziesme jour dudit moys de décembre ala le roy de France à Paris et y fu reçu moult honorablement, et furent les rues et le grand pont par où il passa encourtinées, et fu une fontaine oultre la porte Saint-Denis qui rendoit vin aussi habondamment comme sé ce feust eaue, et portoit-l'en sur le roy un paile d'or à quatre lances. Et ala le roy droit à Nostre-Dame faire son oroison et puis retourna descendre au Palais. Et luy firent ceulx de Paris un bel présent de vaisselle qui pesoit environ mil marcs d'argent.

Item, le jour des Innocens, fu pris le Pont du Saint-Esprit et la ville par ceulx de la Grant compaignie, qui s'estoient partis de France. Item, le treiziesme jour de janvier ensuivant, comença celuy an le parlement. Et par avant avoit eu présidens à Paris par un an ou environ, qui avoient autel povoir comme parlement.

Item, le jeudi vint-huitiesme jour dudit moys de janvier, furent pris, du commandement des réformateurs qui lors avoient été establis nouvellement, monseigneur Nicolas Braque, Almaury Braque son frère, Jehan de Brunetout, Hugues Bernier, Jehan Poillevillain, Jaques Lempereur, Gauchier de Vannes, Jehan Arrode. Et furent eslargis le huitiesme jour ensuivant. Item, en iceluy moys fu faite l'ordenance de faire retourner les Juifs en France.

Incidence. L'an de grace mil trois cent soixante-un, le mardi après la Penthecouste, qui estoit le dix-neufviesme[216] jour de may, gelèrent les vignes en pluseurs contrées entour Paris, et jà en estoient pluseurs fleuries. Item, le jeudi premier jour de juillet ensuivant, fu au marchié de Meaulx devant le roy une bataille emprise de volenté, entre messire Fouquaut d'Archiac appelant, et messire Maingot Maubert deffendant, et fist moult grant chaut celuy jour. Et avint que ledit Fouquaut descendi de dessus son cheval, pource que ledit cheval estoit un peu desrayé, et moult longuement fu à pié au champ, et tousjours se mectoit en peine de requérir son adversaire qui estoit à cheval, jusques à ce que il fu si travaillié que il n'en povoit plus ; et de fois à autres se asséoit sur une chaiere qui estoit au bout des lices, et cuidoient ceux qui le véoient qu'il deust estre desconfit, car il avoit moult travaillié à pié et si estoit lors malade d'un assès[217] de quartaine. Mais du grant chaut qui estoit, ledit Maingot qui tousjours estoit demouré à cheval fu en tel point que il perdit toute puissance, par telle manière que il se laissa pendre sur son arson devant, et feust cheu qui l'eust laissié longuement ; mais quant son dit adversaire le vit en tel estat, il ala vers luy à très-grant peine, et le prist, ainsi pendant comme il estoit par le col, et le tira à terre, et fist son povoir de le tuer, mais l'en disoit qu'il estoit jà mort. Toutes voies, ledit Fouquaut fu si grevé que il convint que ses amis, par le congié du roy, l'emportassent en son hostel, et ledit Maingot demoura mort en la place, et depuis en fu porté par ses amis, du congié du roy, et enterré le soir secrètement[218] ; et ledit Fouquaut fut en bon point tantost que il ot un peu reposé.

[216] Le dix-neufviesme. Ce doit être pour le dix-huitiesme, qui tomboit un mardi cette année-là.

[217] Assès. Accès.

[218] Secrètement. C'est-à-dire sans le secours de l'église.

Item, celuy jeudi premier jour de juillet, fu la cité de Satalie[219] prise par les crestiens ; c'est assavoir par le roy de Chypre[220] et les frères de l'hospital de Saint-Jehan-de-Jérusalem, et plusieurs autres tant du royaume de France comme d'ailleurs. Et toute cette saison le roy se tint à Paris et environ. Et en pluseurs pays du royaume de France furent pluseurs et diverses compaignies de gens de diverses nacions, et domagièrent moult le royaume ès parties où il furent.

[219] Satalie. L'ancienne Attalie, dans la Caramanie. Une chose curieuse, c'est l'omission de cet événement dans l'Histoire des Chevaliers de Malte de Vertot, et dans l'Histoire des Croisades de M. Michaud.

[220] Le roy de Chypre. Pierre de Lusignan.

Incidence. Item, le vint-uniesme jour du moys de novembre ensuivant, mourut à Rouvre près de Dijon, Phelippe, duc et conte de Bourgoigne, conte d'Artois, d'Auvergne et de Bouloigne, de l'aage de treize ans ou environ, auquel succéda au duchié le roy de France ; et ès contés d'Artois et de Bourgoigne, la mère au conte de Flandres ; et ès contés d'Auvergne et de Bouloigne, monseigneur Jehan de Bouloigne, oncle de sa mère. Et se parti le roy de Paris pour aler prendre la possession dudit duchié, le dimenche cinquiesme jour de décembre ensuivant, et ala au bois de Vinciennes au giste.

Item, en l'an mil trois cent soixante-un dessusdit, sixiesme jour d'avril devant Pasques, se combati le conte de Tanquarville pour le roy, et pluseurs autres chevaliers et escuiers, contre aucunes parties des compaignies qui lors estoient au royaume de France, à Brinois[221], près de Lyon sur le Rosne. Et y furent pris ledit conte de Tanquarville, monseigneur Jacques de Bourbon conte de la Marche, qui tantost après mourut pour les plaies qu'il ot en ladite bataille[222] ; le conte de Sallebruche, le conte de Joigny et pluseurs autres, et le conte de Forest mourut en la place.

[221] Brinois. Aujourd'hui Brignais, petite ville à deux lieues de Lyon.

[222] M. Michelet a fait à cette occasion une belle réflexion : « Cette mort de Jacques de Bourbon fut glorieuse : le premier titre des Capets est la mort de Robert-le-Fort à Brisserte ; celui des Bourbons, la mort de Jacques à Brignais. Tous deux tués en défendant le royaume contre les brigands. » (Tome III, page 438.)

Item, le mercredi après Pasques et le jeudi ensuivant, vintiesme et vint-uniesme jour dudit moys d'avril, l'an mil trois cent soixante-deux, et furent Pasques le dix-septiesme jour dudit moys, gelèrent les vignes par toute France, Biauvoisin, Orlenois, Laonnois, Bourgoigne, et en la rivière de Marne, par telle manière que ceste année ne crut point de vin èsdis pays né ès pays voisins ; et communelment l'en ne trouvast pas en cent arpens une queue de vin, et fist-l'en le plus verjus de ce qui crut ceste année. Mais les vignes gietèrent assés bois, et n'estoit homme qui oncques eut veu si grant faute de vin comme il fu celuy an.

CXXXVII.

Coment le roy de France ala à Avignon, et de la mort le pape Innocent, et de l'éleccion du pape Urbain dit Grimouart.

ANNÉE 1362

L'an de grace mil trois cent soixante-deux, au moys d'aoust, le roy de France Jehan se parti de Paris pour aler à Avignon visiter le pape Innocent qui lors vivoit. Et en celuy an mesme, le lundi douziesme jour de septembre, mourut ledit pape Innocent. Et le jeudi vint-deuxiesme jour dudit moys environ nonne, entrèrent les cardinaulx en conclave pour eslire pape, et estoient les présens vint cardinaulx. Et le jeudi vint-septiesme jour d'octobre, veille de saint Symon et saint Jude, l'an mil trois cent soixante-deux dessusdit, pour ce qu'il ne porent estre à accort de l'un d'eulx, esleurent en pape l'abbé de Marseille, appellé messire Guillaume Grimouart, qui par avant avoit esté abbé de Saint-Germain d'Aucerre, et estoit né de la sénéchaucié de Beaucaire. Et pour ce qu'il n'estoit pas lors à Avignon, il celèrent l'éleccion et luy signefièrent que tantost il alast à Avignon. Et le dimenche ensuivant, trentiesme jour dudit moys au soir, il entra assés secrètement en ladite ville et ala droit descendre en l'ostel du pape, et y fust celle nuit sans ce qu'il véist aucuns desdis cardinaulx qui encore laiens estoient. Et le lundi veille de Toussains, luy disrent lesdis cardinaulx son éleccion, laquelle il ot agréable, et celuy jour fu publiée et fu appelé Urbain le Quint, et le sixiesme jour de novembre ensuivant fu consacré. Item, ledit roy Jehan, qui par avant estoit parti pour aler visiter le pape Innocent, si comme dessus est dit, entra en Avignon le dimenche devant la sainte Katherine, vintiesme jour du moys de novembre ensuivant, et le reçut ledit pape Urbain honorablement en consistoire et le detint avec luy à disner. Item, le lundi cinquiesme jour du moys de décembre ensuivant, fu la bataille du conte de Foix et de ses gens contre le conte d'Armignac et les siens à Lille[223] près de Thoulouse. Et ot ledit conte de Foix victoire, et y furent pris ledit conte d'Armignac, les contes de Comminges et de Montleshun ; le seigneur de Lebret et ses deux frères ; le seigneur de Tarride[224] et pluseurs autres. Item, le mardi ensuivant, sixiesme jour dudit mois de décembre, fu la bataille de messire Amanion de Pomiers appelant, et de messire Fouque[225] d'Archiac deffendant, en la présence dudit roy de France, à Villeneuve près d'Avignon, et fu fait l'accort au champ, parce que ledit roy prist le descort sur luy.

[223] Lille. Sans doute Lisle-Jourdain. Suivant M. Gaucheraud, historien élégant et fidèle de Gaston-Phœbus, comte de Foix, la bataille se donna à Launac, à deux lieues de Lille-Jourdain.

[224] Tarride. Et mieux Terride. — Montleshun. Peut-être Montesquiou.

[225] Fouque. Ou Fouquaut.

Item, le vendredi benoist ensuivant, ledit pape Urbain prescha à Avignon le passage général d'oultre-mer, et en fist et ordena chief et capitain ledit roy de France Jehan qui présent estoit, et luy bailla la croix et au roy de Chypre et à pluseurs autres qui là estoient ; et si fist et ordena le cardinal de Pierregort légat pour ledit passage.

CXXXVIII.

Coment le roy de France Jehan retourna de France en Angleterre de sa franche volenté, et coment il y fu receu honorablement des Anglois, et coment une maladie le prist dont il mourut.

ANNÉE 1363

L'an de grace mil trois cent soixante-trois, le mardi au soir troisiesme jour de janvier, le roy de France entra en mer à Bouloigne pour aler en Angleterre traictier avec le roy d'Angleterre de la délivrance de son frère Phelippe, duc d'Orléans, de son fils Jehan, duc de Berry, et de pluseurs autres ducs, contes et bannerets qui là estoient hostaiges pour ledit roy de France, et qui y estoient demourés depuis la délivrance dudit roy Jehan de France[226]. Et arriva ledit roy de France à Douvre l'endemain jour de jeudi et y demoura trois ou quatre jours ; et depuis se parti et ala à Londres et entra en la ville le dimenche, quatorziesme jour dudit moys de janvier, et alèrent à l'encontre de luy grant nombre de notables personnes de ladite ville de Londres, jusques au nombre de mille chevaux ou de plus, vestus de robes pareilles par mestiers ; et alèrent jusques à un hostel dudit roy d'Angleterre appellé Helthan, à deux lieues près de ladite ville de Londres, auquel hostel ledit roy de France avoit disné celuy jour avecques le roy d'Angleterre et la royne ; et envoièrent lesdites personnes de Londres ledit roy de France jusques à ladite ville, et par icelle jusques à un hostel appelé Savoie, auquel il fu logié. Et assez tost après ordenèrent lesdis roys de France et d'Angleterre certaines personnes de leur conseils pour traictier sur les choses pour lesquelles ledit roy de France estoit alé en Angleterre. Et à l'entrée du moys de mars ensuivant prist une maladie audit roy de France pour occasion de laquelle les traictiés qui furent apointiés entre lesdis conseils et lesquels estoient nécessaires estre accordés par lesdis roys, en présence l'un de l'autre, furent assoupés[227]. Et fu malade ledit roy de France de ladite maladie jusques au lundi au soir environ mienuit, huitiesme jour du moys d'avril, l'an mil trois cent soixante-quatre après Pasques : car Pasques furent celuy an le vint-quatriesme jour de mars, en laquelle nuit il trespassa de ce siècle. Et luy succéda au royaume de France Charles, son ainsné fils, lors duc de Normendie, daulphin de Viennois[228].

[226] Tel fut le véritable motif du voyage de Jean en Angleterre. Je ne vois pas même sur quels fondemens nos historiens modernes établissent que le roi se proposoit de retourner en captivité. Qu'y a-t-il de surprenant dans cette course d'un prince inquiet et inconstant? Il revenoit d'Avignon, il voulut aller à Londres : les motifs de voyage ne lui manquèrent pas, comme ils ne lui auroient pas manqué s'il eût voulu visiter l'empereur ou le roi d'Espagne. Le mot du continuateur de Nangis causa joci, ne peut signifier que : pour se divertir, pour son plaisir, et ne peut entraîner l'idée d'un amour ridicule et peu probable à l'âge du roi de France.

[227] Assoupés. Négligés, oubliés, assoupis.

[228] Ici devroit s'arrêter la chronique du roi Jehan, mais tous les manuscrits y joignent les trois chapitres suivans qui touchent au règne de son successeur, mais qui se rapportent à des évènemens antérieurs au sacre.

CXXXIX.

En quel temps messire Bertran du Guesclin prist la ville de Mante et celle de Meullent et pluseurs de Paris.

ANNÉE 1364

L'an de grace mil trois cent soixante-quatre dessus dit, celuy huitiesme jour d'avril, monseigneur Bertran du Guesclin[229], chevalier breton-Galot qui estoit ès parties de Normendie capitain, de par ledit duc de Normendie, prist la ville de Mante, qui lors estoit au roy de Navarre. Et assés tost après fu la ville de Meullent prise et toute la forteresce par les gens dudit duc de Normendie, laquelle ville aussi estoit audit roy de Navarre, et furent pris pluseurs de la ville de Paris et autres qui tenoient la partie dudit roy de Navarre contre lesdis roy de France et duc de Normendie leur drois seigneurs. Et pour ce en furent aucuns exécutés et décapités à Paris comme traictres.

[229] Du Guesclin. Ce nom est écrit régulièrement ainsi dans nos chroniques. — Breton-Galot. De la Bretagne non bretonnante.

CXL.

Coment le corps du roy Jehan fu apporté en France en l'abbaye de Saint-Anthoine lès Paris, et de son obsèque et enterrement à Saint-Denis.

Le mercredi premier jour de mai, l'an mil trois cent soixante-quatre dessusdit, le corps dudit roy Jehan qui avoit esté trespassé à Londres, comme dit est, fu apporté à Saint-Anthoine près de Paris, au soir, et y demoura le jeudi, le vendredi et le samedi ensuivant, pour appareillier et mettre à point le corps et les autres choses nécessaires pour l'obsèque. Et le dimenche, cinquiesme jour dudit moys de may après disner, fu ledit corps apporté de ladite abbaye de Saint-Anthoine en l'églyse de Nostre-Dame de Paris, acompaignié de processions de toutes les églyses de Paris, et de trois de ses fils, c'est assavoir : Charles, duc de Normendie, qui estoit ainsné ; Loys, duc d'Anjou, qui estoit le secont ; et Phelippe, duc de Touraine, qui estoit le plus jeune de tous ses fils. Et aussi y fu le roy de Chypre : et Jehan, duc de Berry, qui estoit le tiers en aage, estoit encore en Angleterre. Et portèrent le corps dudit roy les gens de son parlement[230], si comme acoustumé avoit esté des autres roys, pour ce que il représentent la personne au fait de justice qui est le principal membre de sa couronne, et par lequel il règne et a seigneurie. Item, le lundi matin ensuivant, sixiesme jour dudit moys de may, fu la messe chantée sollempnelment en ladite églyse de Nostre-Dame de Paris, et tantost après la messe fu le corps mis à chemin pour porter à Saint-Denis en France, par la manière qu'il avoit esté apporté de Saint-Anthoine. Et alèrent après à pié ses trois fils, Charles, Louis et Phelippe, et aussi ledit roy de Chypre jusques à Saint-Ladre, au-dehors de Paris ; et là montèrent à cheval les trois frères dessusdis et ledit roy de Chypre, et alèrent tousjours à cheval après le corps jusques à l'entrée de la ville de Saint-Denys, et lors descendirent et alèrent à pié après par ladite ville jusques à l'églyse. Et le mardi ensuivant, septiesme jour dudit moys de may, fu fait l'obsèque dudit roy en ladite églyse de Saint-Denis, et fu le corps enterré au bout du grant autel, à la senestre partie. Et tantost après la messe, le roy Charles, son ainsné fils, ala au préau du cloistre de ladite églyse, et là, appuyé à un figuier estant audit préau, reçeut pluseurs homaiges des pers et grands barons, et après ala disner et demoura à Saint-Denis ledit jour et l'endemain. Item, le jeudi ensuivant, neuviesme jour dudit moys de may, parti ledit roy Charles de Saint-Denis pour aler à son sacre à Reims, lequel devoit estre le jour de la Trinité ensuivant.

[230] Cette phrase semble accuser dans l'historien de Charles V, un membre du parlement. La rédaction lui appartiendroit à partir du traité de Brétigny.

CXLI.

De la prise du captal[231] par messire Bertran du Guesclin, chevalier.

[231] Captal. Le changement d'orthographe de ce nom est une nouvelle preuve du changement de rédaction, depuis le premier retour du roi Jean.

Le jeudi seiziesme jour dudit moys de may, monseigneur Bertran du Guesclin, qui lors estoit pour ledit roy de France ès parties de Normendie, se combati devant Cocherel, près de la Croix Saint-Lieffroy, contre le captal de Buech, lors lieutenant du roy de Navarre èsdites parties ; et fu ledit captal desconfi et pris, et la plus grant partie de sa gent mors ou pris. Et pour avoir ledit captal, le roy de France donna audit messire Bertran, duquel ledit captal estoit prison, la conté de Longueville la Giffart, laquelle avoit esté audit roy de Navarre. Mais le roy de France l'avoit fait prendre et mettre en sa main, pource que ledit roy de Navarre s'estoit rendu son ennemi : et par ce ledit messire Bertran laissa ledit captal au roy de France, lequel il fist mener en prison au marchié de Meaulx.

Ci fenissent les fais du bon roy Jehan.

CY COMENCENT LES GESTES
DU ROY CHARLES
CINQUIESME
DU NOM.

I.

Coment Charles, ainsné fils du roy Jehan, qui trespassa en Angleterre, fu sacré et enoint a roy de France en l'églyse de Reims, et aussi fu la royne sa femme[232].

[232] Dans les plus anciennes leçons, la vie de Charles V n'est pas séparée de celle du roi Jean ; mais pour suivre la méthode la plus naturelle, nous avons, dans cette circonstance, préféré le système des autres manuscrits et des précédentes éditions.

L'an de grace mil trois cent soixante-quatre, le dimenche jour de la Trinité, qui fu le dix-neuviesme jour du moys de may, furent ledit roy Charles et madame Jehanne de Bourbon, sa femme, sacrés à Reims par monseigneur Jehan de Craon, lors arcevesque dudit lieu. Et furent audit sacre les evesques de Laon, de Beauvais, lors chancelier de France ; de Langres et de Noyon, pers de France ; et pluseurs autres prélas qui n'estoient pas pers : et barons Loys duc d'Anjou, et Phelippe duc de Touraine, et la contesse de Flandres, contesse d'Artois, pers de France ; le roy de Chypre, le duc de Bréban, frère de l'empereur et oncle dudit roy de France ; le duc de Lorraine, le duc de Bar et pluseurs autres barons qui n'estoient pas pers. Item, le mardi vint-huitiesme jour dudit moys de may, lesdis roy et royne de France, qui retournoient de leur sacre, entrèrent à Paris, c'est assavoir ledit roy environ heure de midy ; et ala droit à Nostre-Dame et de là retourna au Palais ; et environ nonne, la royne entra à Paris et ala droit au palais. Et avecques la royne estoient à cheval la duchesse d'Orléans, femme de Phelippe duc d'Orléans, oncle dudit roy ; la duchesse d'Anjou, femme dudit Loys duc d'Anjou, et Madame Marie, suer d'iceluy roy, laquelle n'avoit oncques esté mariée, et depuis fu femme du duc de Bar. Et menoit ladite royne, par le frain du cheval, monseigneur de Touraine qui aloit de pié, lequel monseigneur de Touraine estoit frère dudit roy. Et monseigneur le conte de Eu semblablement menoit madame d'Orléans ; monseigneur d'Estampes menoit madame d'Anjou, et monseigneur Loys de Chalon et le seigneur de Beaugieu menèrent ladite madame Marie. Et fist-l'en celuy jour grant disner au palais, là où furent tous les prélas qui estoient à Paris. Et après disner qui fu environ nonne, ot grant jouste en la court du palais et l'endemain aussi, et à tous les deux jours jousta le roy de Chypre et pluseurs autres ducs, contes et barons. Item, le vendredi, derrenier jour dudit moys de mai, l'an mil trois cens soixante-quatre dessus dit, ledit roy Charles octroia à monseigneur Phelippe, son plus jeune frère, la duchié de Bourgoigne, laquelle avoit esté requise par avant au roy Jehan, et l'en reçut celuy jour en sa foy et en son homaige. Et iceluy monseigneur Phelippe laissa au roy, son frère, la duchié de Touraine, que le roy Jehan, son père, luy avoit donnée l'an mil trois cent soixante.

II.

De la mort de Charles de Blois et desconfiture de ses gens, par monseigneur Jehan de Montfort.

Le dimenche, jour de la Saint-Michiel mil trois cens soixante-quatre dessus dit, combatirent devant le chastel d'Auroy[233], près de la cité de Nantes, monseigneur Charles de Blois, lors duc de Bretaigne de l'éritage de sa femme, d'une part ; et monseigneur Jehan de Montfort, d'autre part. Et avoit ledit monseigneur Charles, en sa compaignie, grant foison de François et de Bretons, qui avoient tenu et tenoient la partie du roy de France. Et ledit monseigneur Jehan de Montfort avoit Anglois et autres Bretons, qui avoient tenu la partie du roy d'Angleterre. Et fu ledit monseigneur Charles mort en ladite bataille, et ceux qui en sa compaignie estoient furent desconfis, la plus grant partie mors ou pris. Et depuis ladite bataille, ledit monseigneur Jehan de Montfort ne trouva audit païs de Bretaigne qui luy résistast ou féist aucune guerre. Jasoit ce que la duchesse, femme dudit monseigneur Charles, et duquel costé ladite duchié luy estoit escheue par la mort du duc Jehan, feust demourée en vie et estoit au païs.

[233] Auroy. Aujourd'hui Auray, petite ville du département du Morbihan.

III.

Du traictié qui fu entre monseigneur Jehan de Montfort et la duchesse, pour la duchié de Bretaigne.

ANNÉE 1365

L'an mil trois cens soixante-cinq, le douziesme jour du moys d'avril, monseigneur Jehan de Craon, lors arcevesque de Reims, et monseigneur Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, lors mareschal de France, lesquels le roy de France Charles avoit envoiés audit païs de Bretaigne, pour traictier entre ladite duchesse et ledit monseigneur Jehan de Montfort, féirent et traictièrent accort entre lesdites parties par la manière qui s'ensuit. C'est assavoir que ladite duchié de Bretaigne, duquel vint ans par avant ou environ, la possession et l'estat avoit esté adjugié par le roy Phelippe et par arrest audit monseigneur Charles de Blois, à cause de sadite femme, demourroit en héritage perpétuel audit monseigneur Jehan de Montfort ; et ladite duchesse auroit pour luy et pour ses hoirs la conté de Pantevre[234], qui avoit esté propre héritaige de monseigneur Guy de Bretaigne, son père. Et si devoit avoir par ledit traictié la viconté de Limoges[235]. Et jà soit que ladite duchesse ne se consentist point en sa personne, mais seulement le sire de Beaumanoir et aucuns autres qu'elle avoit institué procureurs pour traictier, néantmoins fu tantost et sans délai la possession dudit duchié, et les villes, chasteaux et forteresses d'iceluy bailliées et délivrées réalment et de fait audit monseigneur Jehan de Montfort, dont moult de gens s'esmerveillièrent ; car ledit duchié avoit esté délivré par avant à ladite duchesse, comme dessus est dit, contre le père dudit monseigneur Jehan de Montfort.

[234] Pantevre. Penthièvre.

[235] La chronique inédite, qui met de côté la vicomté de Limoges, ajoute ici : La terre d'Avaugour.

Item, en celuy an, au moys de juing, fu fait et passé un accort du roy de France d'une part, et du roy de Navarre d'autre, de la guerre qu'il avoient commenciée, et pour laquelle ledit roy de France avoit fait prendre Mante et Meullent et la conté de Longueville. Par lequel accort le captal de Buech, qui de ladite guerre avoit esté pris comme dessus est dit, fu du tout délivre ; et par ledit accort devoient demourer perpétuelment au roy de France lesdites villes de Mante et de Meullent et ladite contée de Longueville, laquelle ledit roy de France avoit jà donnée à messire Bertran du Guesclin, pour la raençon dudit captal, lequel avoit esté prison dudit messire Bertran si comme dessus est dit. Et le roy de Navarre devoit avoir la ville et la baronnie de Montpellier, et pour ce, fu paix criée et publiée entre lesdis roys.

IV.

Coment messire Bertran du Guesclin mena hors de France pluseurs gens d'armes et pristrent la ville de Burgs en Espaigne.

En celuy temps, assez tost après, ledit monseigneur Bertran du Guesclin traicta avecques pluseurs gens de compaignie, Anglois, Gascoings, Bretons, Normans et d'autres nacions qui estoient au royaume de France et y tenoient pluseurs forteresses, aucunes dès le temps de la guerre du roy d'Angleterre, et les autres qui avoient esté occupées par lesdites compaignies depuis la paix faite entre les roys de France et d'Angleterre ; et moult avoient domaigié et domaigoient chascun jour ledit royaume de France. Et fist et pourchacia tant ledit messire Bertran que il laissièrent toutes les forteresses que il tenoient, et si accordèrent et promistrent que il iroient avecques luy contre les Sarrazins. Et pour celle cause, le pape Urbain fist grant ayde audit messire Bertran tant de florins que il luy bailla comme de deux dixmes que il luy octroia. Et partirent assez tost après ledit messire Bertran et pluseurs desdites compaignies, et alèrent au royaume d'Arragon, en l'aide dudit roy d'Arragon contre le roy de Castelle. Et assez tost après, entrèrent audit royaume de Castelle, et sans aucune résistence chevauchièrent par ledit royaume, et pristrent villes, cités, chasteaux et forteresses, sans ce que le roy Pierre de Castelle, qui lors en estoit roy, y méist aucune résistance. Et toutesvoies estoit ledit roy Pierre tenu un des plus puissans roys des Chrétiens, tant de puissance de gens comme de grans trésors ; car il avoit esté et estoit moult crueux et moult doubté tant de ses subgiés comme d'autres ; et pour ce, avoit assemblé grans trésors, tant des aydes qu'il avoit eues de ses subgiés comme des conquestes et finances qu'il avoit eues des roys de Garnade et de Bellemarine[236], lesquels il avoit subjugués et mis en son obéissance, et par espécial avoit tant fait que le roy de Garnade, qui estoit Sarrasin, estoit son homme et tenoit son royaume de luy ; et néantmoins, il ne résistoit point à ceux qui ainsi comme dit est, conquéroient son pays. Et tant chevauchièrent par ledit païs de Castelle que il furent la semaine péneuse l'an mil trois cens soixante-cinq dessus dit, devant la cité de Burgs, de laquelle se estoit tantost parti ledit roy Pierre que il avoit oïes les nouvelles de la venue desdites gens d'armes, et s'en estoit alé vers Tolète si comme l'en disoit. Et tantost se rendirent les habitans de ladite ville de Burgs à ceux de ladite compaignie desquels les noms s'ensuivent : Monseigneur le conte de la Marche, appellé monseigneur Jaques de Bourbon ; Henry d'Espaigne, conte de Tristemare, lequel estoit frère de père non légitime dudit roy Pierre de Castelle, et avoit iceluy Henry esté banni et exillié dudit royaume de Castelle ; et à son titre[237] aloient tous avecques luy, messire Bertran Du Guesclin dont dessus est faite mencion ; monseigneur Arnoul d'Odenehan, mareschal de France ; monseigneur Hue de Carvele[238], Anglois ; monseigneur Maurice de Trésiguidy, et pluseurs autres François, Bretons, Normans, Anglois, Gascoings, Arragonnoys et autres de pluseurs nations jusques au nombre de dix mil hommes d'armes de fait ou de plus, si comme l'en disoit ; lesquels entrèrent en ladite ville de Burgs et y tuèrent aucuns Juifs et Sarrasins, mais il ne meffirent point aux corps des Crestiens.

[236] Bellemarine. C'est-à-dire, comme nous l'avons précédemment expliqué sous l'année 1340, le souverain de Maroc, de la dynastie des Benmerini.

[237] A son titre. Sous son obéissance apparente.

[238] Carvele. La chronique inédite du no 530, qui le fait figurer à la bataille d'Auray, le nomme Cameley, et Froissart Caureley.

V.

Du coronement de Henry, roi d'Espaigne, et des messaiges que Jehan de Montfort envoia au roy de France et de la mort de messire Arnault de Cervole, dit Arceprestre.

ANNÉE 1366

L'an de grace mil trois cens soixante-six, le jour de Pasques, qui furent le cinquième jour d'avril, fu en ladite ville de Burgs coroné en roy de Castelle ledit Henry, frère dudit roy Pierre, de l'accort et consentement des autres seigneurs et capitaines desdites gens d'armes. Et après son coronement, il donna audit monseigneur Bertran la conté de Tristemare que il tenoit avant que il feust exillié du païs et le fist duc tant de Tristemare comme de la terre d'Esture[239].

[239] Estures. Asturies.

Item, environ ledit temps de Pasques, l'an dessus dit, monseigneur de Montfort, lors duc de Bretaigne, par le traictié que avoit fait l'arcevesque de Reims dont dessus est faite mencion, envoia à Paris devant le roy de France Charles, messaiges, c'est à savoir le seigneur de Cliçon, Breton, et monseigneur Guillaume le Latimier, Anglois, afin que le roy voulsist confermer ledit traictié fait par ledit arcevesque, et aussi que le roy lui prorogast le temps que autrefois luy avoit donné pour venir faire son homaige audit roy de France. Et fu accordé auxdis messaiges que il aroient confermaison dudit traictié et si orent en une chartre. Mais elle leur fu bailliée close et promistrent qu'elle ne seroit ouverte jusques à ce que ledit duc feust venu devers le roy faire son homaige tant dudit duchié comme de la conté de Montfort et des autres terres qu'il devoit tenir du roy. Et luy fu donné terme ès personnes desdis de Cliçon et Latimier ses procureurs, jusques à la Saint-Michiel ensuivant, pour venir faire son dit homaige devers le roy.

Item, en celuy an, environ la Trinité, messire Arnault de Cervole, dit l'Arceprestre, chevalier, qui tenoit grans compaignies au royaume de France, fu mis à mort par ceux desdites compaignies qui estoient avec lui, dont moult de gens furent joyeux et liés ; car il avoit esté au roy et encore estoit son homme[240] de pluseurs grans et notables villes, chasteaux, terres et forteresses que il tenoit de l'éritage de la dame de Chasteauvillain, sa femme et de ses enfans ; et aussi de l'éritage du seigneur de Leuroux, après la mort duquel ledit Arceprestre avoit espousé sa femme ; et après la mort de ladite femme il n'avoit voulu rendre lesdites terres et forteresses aux héritiers auxquels elles appartenoient ; jà soit ce que à aucuns d'iceux partie en eust esté adjugiée par arrest de parlement. Et encore avecques tout ce il et ses dites gens gastoyent tout le pays où il aloient, roboient, tuoient et prenoient à raençon toutes gens, et si luy avoit le roy par pluseurs fois fait baillier pluseurs et grans sommes de florins, et le pape aussi pour faire vidier lesdites compaignies hors dudit royaume ; et par plusieurs fois l'avoit promis et juré et si n'en avoit rien fait. Si ne fu pas merveilles sé l'en fu liés de sa mort. Et néantmoins tousjours demouroient lesdites compaignies au royaume, et y faisoient tous les maux que ennemis pevent faire, et y en avoit presque en toutes les parties du royaume excepté le païs de Picardie. Et aucune fois prenoient des forteresses et puis les rendoient par grans sommes de florins que l'en leur donnoit, et tantost en prenoient des autres, et ainsi l'avoient tousjours fait depuis l'an mil trois cens soixante-un, que il commencièrent à domaigier ainsi ledit royaume de France par manière de compaignies, et faisoient encore, nonobstant que le pape Urbain eust données sentences d'escomeniement contre tous ceux qui faisoient telles compaignies et contre leur aidans et confortans.

[240] Car il avoit esté, etc. N'y auroit-il pas une faute ici, et ne liroit-on pas mieux : « Car il avoit osté au roy et encore ostoit son homage… »

VI.

De la naissance de madame Jehanne, fille du roy de France, et de la victoire du roy Henry, et de la fuite du roy Pierre d'Espaigne.

Le dimenche septiesme jour de juing, entre tierce et midi, l'an mil trois cens soixante-six dessus dit, la royne de France, appellée Jehanne, fille du duc de Bourbon qui avoit esté mort en la bataille de Poitiers, et femme du roy Charles qui lors estoit, ot une fille au bois de Vincennes, laquelle fu baptisiée en la chapelle dudit bois de Vincennes, le jeudi ensuivant onziesme jour dudit moys, et fu appellée Jehanne ; et fu parein monseigneur Jehan, duc de Berry et d'Auvergne, frère dudit roy, et marraines les roynes Jehanne d'Évreux, qui avoit esté femme du roy Charles qui fu mort l'an mil trois cens vingt-sept, et Blanche de Navarre, qui avoit esté femme du roy Phelippe, qui mourut l'an mil trois cens cinquante en la ville de Nogent-le-Roy, et Marguerite, contesse d'Artois, mère du conte des Flandres Loys. Et si y furent grant foison de prélas qui estoient à Paris.

Item, environ la nativité Saint-Jehan-Baptiste audit an mil trois cens soixante-six, vindrent nouvelles en France que ledit roy Henry de Castelle avoit conquesté tout le royaume de Castelle et toute la terre que avoit tenue le roy Pierre dudit royaume, et que iceluy roy Pierre s'en estoit foui l'en ne savoit quel part et avoit laissié tout son pays, lequel pays estoit tout en l'obéissance dudit roy Henry ; et ce fu chose tenue à moult grant merveille. Car ledit roy Pierre estoit tenu avant que lesdites compaignies entrassent en son païs le plus puissant roy des Crestiens, de terres, de subgiés et de grans trésors, et toutesvoies avoit esté tout son païs conquesté en moins de trois moys sans ce qu'il y eust nuls qui y méist aucune résistance ; et si estoit ledit roy Pierre tenu le plus hardi et le plus cruel roy des Crestiens. Si disoit-l'en communelment que ces choses là estoient avenues par vengence de Dieu ; car il avoit fait moult de maux et avoit gouverné par tyrannie, si n'estoit point amé de ses subgiés. Et entre ses autres mauvais fais il avoit mauvaisememt fait murdrir sa femme espousée, très bonne et très loyal créature, laquelle avoit esté fille du duc de Bourbon, qui mourut en la bataille de Poitiers là où le roy Jehan fu pris, et estoit seur de la royne de France qui lors estoit. Et pour ce que il savoit bien que ses subgiés le héoient, il ne se osa combattre, si perdi tout et s'en ala, si comme aucuns disoient lors, en terre de Sarrasins. Les autres disoient qu'il estoit alé vers le roy d'Angleterre et vers le prince de Galles et d'Aquitaine, fils dudit roy d'Angleterre, pour avoir aide et secours. Et assez tost après sot-l'en certainement en France que ledit roy Pierre estoit avecques le prince en Gascoigne et fist aliances avecques luy, et donna audit prince grant foison d'or et de riches joyaux, et pour ce, le prince luy promist que il luy aideroit à recouvrer son pays, et fist iceluy prince grant semonce de gens d'armes pour mener en Castelle, avecques ledit roy Pierre, et par plusieurs fois les contremanda.

VII.

De l'omaige que Jehan de Montfort fist au roy de France du duchié de Bretaigne, et coment la femme dudit Charles y renonça.

L'an dessus dit mil trois cens soixante-six, au mois de décembre, c'est assavoir le treiziesme jour, messire Jehan de Montfort, lors duc de Bretaigne, par le traictié dont dessus est faite mencion, fist l'omaige lige à Paris au roy de France Charles, du duchié de Bretaigne et de toutes les autres terres que il tenoit au royaume de France. Et se parti du roy en bonne grace et amour que l'un avoit à l'autre, si comme il sembloit ; et si luy fist le roy de beaux dons de joyaux et de chevaux. Et en celuy mesme temps la duchesse, femme du duc mort en la bataille dessus dite, ractefia, en sa personne, audit duc de Bretaigne, en la présence du roy et de son conseil, le traictié fait par le sire de Beaumanoir et les autres, ses procureurs dessus escrips, en renonçant audit duchié par la manière dont il avoit esté traictié, et requérant au roy que ainsi le confermast et prononçast en force et vertu d'arrest. Et ainsi fu fait et prononcié en la présence du roy et des deux parties, par messire Jehan de Dormans, lors evesque de Beauvais et chancelier de France. Item, le lundi, sixiesme jour dudit moys de décembre, madame Jehanne, fille dudit roy de France Charles, mourut à Paris en la Conciergerie, ostel du roy[241], lequel ostel est près de Saint-Pol. Et le mardi ensuivant fu enterrée en l'églyse Saint-Denis, en France.

[241] En la conciergerie, ostel du roy. Les éditions précédentes, qui pourtant deviennent à compter de ce règne moins grossièrement inexactes, portent seulement ici : En l'ostel du roy.

Item, au moys de février ensuivant, l'an mil trois cens soixante-six dessus dit, furent apportées nouvelles à Paris pardevers le roy de France Charles, que un sien chambellan, appellé messire Jehan de La Rivière, lequel estoit alé oultre-mer environ la nativité Saint-Jehan précédent, estoit trespassé de ce siècle à Fomagosce[242] au royaume de Chypre, environ la feste de Toussains précédent ; de laquelle mort le roy fut moult dolent, car il l'amoit moult. Et fu le corps enterré en la ville de Coste, en laquelle l'en dit que Sainte-Katherine fu née, et pour ce, luy fist faire ses obsèques moult solennels et notables en l'églyse Sainte-Katherine-du-Val-des-Écoliers, à Paris, le mercredi dix-septiesme jour dudit mois de février, les vigiles et le jeudi ensuivant la messe ; et y fu ledit roy présent et tous les prélas et officiers du roy estant à Paris. Et en celuy mesme moys de février furent apportées nouvelles en France que le cinquiesme jour du mois de décembre précédent, le roy de Chypre et pluseurs crestiens en sa compaignie, avoient pour la seconde fois prise la cité d'Alexandrie et la tenoient ; car l'autre fois que ledit roy de Chypre l'avoit prise l'an précédent, il l'avoit tantost laissiée, pour ce que il n'avoit pas assez gens pour la tenir. Et toutes voies ne fu ce pas vrai, car jà soit ce que ledit roy de Chypre féist moult grant armée et que avecques luy feussent grant quantité de crestiens de diverses nations, il ne se traist plus vers ladite ville d'Alexandrie, mais fu fait un traictié entre luy et le soudan, par lequel il orent une longue triève par certaine somme de florins que ledit soudan en donna audit roy de Chypre, si comme l'en disoit.

[242] Fomagosce. Famagouste.

Item, en ce dit moys de février mil trois cens soixante-six dessus dit, le prince de Galles qui, si comme l'en disoit, avoit receu grant somme de florins dudit roy Pierre de Castelle pour luy aidier, passa par le royaume de Navarre, accompagnié de grand nombre de gens d'armes, archiers et autres gens de pié, par traictié que il fist avecques ledit roy de Navarre, pour aler en Castelle contre ledit roy Henry. Et toutesvoies cuidoit ledit Henry que iceluy roy de Navarre feust alié avecques luy, et pour cela avoit donné grant somme de florins. Mais pour ce que ledit prince luy en donna aussi, il se consenti que ledit prince passast par son pays, et ainsi le fist et ledit roy Pierre avecques luy, et entra en Castelle ; dont le roy de Navarre acquist grant blasme et déshonneur.

VIII.

Coment le roy de Navarre se fist prendre par cautelle.

ANNÉE 1367

Item, le treiziesme jour du mois de mars ensuivant, un chevalier breton, appellé monseigneur Olivier de Mauny, prist ledit roy de Navarre assez près de Tudelle et l'enmena prisonnier au royaume d'Arragon, et se fist ledit roy de Navarre prendre par fraude, afin, si comme l'en disoit, que il ne passast avec ledit prince en Castelle. Et assez tost après, pluseurs Anglois et autres des gens dudit prince qui estoient passés en Castelle avec lui au royaume d'Arragon, pour ce que le roy d'Arragon estoit alié dudit roy Henry, assez tost après que il y furent entrés, les Arragonnois leur coururent sus et les desconfirent, et y fu mort un chevalier anglois, appelé messire Guillaume de Feleton, et pluseurs autres jusques au nombre de cinq cens et plus.

IX.

De la prise messire Bertrand du Guesclin et de pluseurs autres par les Anglois, etc.

En celuy an mil trois cent soixante-six, le samedi troisiesme jour du moys d'avril devant Pasques, et fu la veille du dimenche que l'on chante Judica, lesdis prince et roy Henry et leur bataille, se rencontrèrent assez près de St-Dominge[243] et se combattirent, et là fu ledit roy Henry desconfit et s'en parti de la bataille, et la plus grand partie des Castellains avecques luy. Et là furent pris messire Bertran du Guesclin ; monseigneur Arnoul d'Odenehan, maréchal de France ; Le Begue de Villaines et aucuns autres François et Bretons et aussi aucuns autres Arragonnois. Et assez tost après se traistrent lesdis prince et roy Pierre vers Burgs, et par traictié se rendirent ceux de dedens et se mistrent en l'obéissance dudit roy Pierre. Item, en celuy temps, ledit roy de Navarre qui avoit esté pris, comme dit est, par monseigneur Olivier de Mauny, fu délivré, et il bailla par ficcion, son fils en ostaige et trois chevaliers.

[243] Saint-Dominge. Cette bataille a pris encore le nom tantôt de Nadera, ou Najara, et tantôt de Navarette. Ce dernier a prévalu.

X.

Coment le pape Urbain entra en mer pour aler à Rome ; et de la dissencion de ceux de Viterbe contre ses gens, et de la bataille qui y fu.

L'an de grace mil trois cent soixante-sept, le derrenier jour d'avril, dont Pasques furent le dix-huitiesme jour dudit moys, pape Urbain parti d'Avignon pour aler à Rome, au très-grant desplaisir de tous les cardinaux ; et en demourèrent cinq qui n'alèrent pas lors avecques luy, mais il ne leur laissa né donna aucune puissance. Et ala à Marseille pour là entrer en mer, et y trouva pluseurs galies de Venise, de Gennes, de Secile et autres moult honorablement aournées de gens et paremens. Et entra sa personne en celle de Venise et ala droit à Viterbe, là où il demoura et tint sa cour environ quatre moys ; et par le temps que il estoit en la dite ville de Viterbe, c'est assavoir le       [244] l'an mil trois cent soixante-sept dessus dit, se mut une rumeur entre aucuns habitans d'icelle ville et aucuns familiers de cardinaux pour ce, si comme l'en disoit, que iceux familiers lavoient leur mains en la fontaine de la dicte ville. Et fu telle ladite rumeur que ceux de ladite ville s'armèrent et coururent sus aux cardinaux et à leur gens, et convint que aucuns desdis cardinaux se rendissent et laissassent le chappel rouge à aucuns desdis habitans pour leur sauver la vie. Et si allèrent devant le chastel de ladite ville au quel estoit le pape, mais il ne purent entrer. Et pour ce, le pape manda gens d'armes, et dedens trois jours en ot en ladite ville si largement, que le pape ot la seigneurie et puissance de fait ; si en fist prendre pluseurs et procéda à la pugnicion dudit fait, et en furent pluseurs mis à mort.

[244] Cet endroit est ainsi laissé en blanc dans le manuscrit de Charles V ; dans les autres, et dans les éditions précédentes, la date n'est pas même indiquée.

Item, au mois d'aoust ensuivant, l'an dessusdit, le prince de Galles qui estoit alé en Castelle, et le duc de Lencastre, son frère, qui pou orent exploitié fors seulement du fait de la bataille dont dessus est faite mencion au chapitre précédent, s'en retournèrent à Bordeaux et laissèrent ledit roy Pierre en Castelle, lequel n'avoit pas fait son devoir vers ledit prince. Car jasoit que iceluy prince feust là alé pour aidier audit Pierre et pour le remettre au pays dont il avoit esté chascié, il se parti après la bataille en laquelle ledit prince et ses gens avoient eu victoire ; et ne le vit puis ledit prince si comme l'en disoit, et demoura ledit Pierre en moult grant debte devers le prince pour cause de gaiges des gens d'armes que iceluy prince avoit menés avecques luy. Et tantost que le roy Henry, qui estoit venu au royaume de France après ce qu'il ot esté desconfi, comme dit est dessus, avoit demouré au pays de Carcassoys[245] et sa femme et pou de gens avecques luy, sot que ledit prince s'estoit parti de Castelle et les compaignies que il avoit menées avecques luy ; et aussi quant iceluy Henry ot sceu que la plus grant partie des gens dudit royaume de Castelle le recevroient volentiers sé il y aloit, il se mist en chemin pour y aler et prist le chemin par les montaignes de Forez : et jasoit ce que il eust pluseurs empeschemens, il entra audit pays de Castelle, le vint-septiesme jour du mois de septembre mil trois cens soixante-sept dessus dit : et premièrement en la cité de Calehorre, et de là ala à Burgs ; et fu receu audit pays de Castelle de toutes gens moult honnorablement, et luy fist-l'en toute obéissance comme à seigneur ; et ainsi ledit royaume de Castelle fu gaignié par Henry, et recouvré par Pierre, et regaignié par Henry, tout en un an et demi ou environ. Et depuis demourèrent les dictes compaignies, en Guyenne au païs dudit prince, jusques au moys de décembre ensuivant, que elles entrèrent en Auvergne et en Berry. Et en l'entrée du moys de février ensuivant, passèrent la rivière de Loire vers Marcigny-les-Nonnains[246], les uns à gué les autres sur un pont, et demourèrent en Maconnois par aucun temps. Et depuis entrèrent au duchié de Bourgoigne et le passèrent moult hastivement, car il trouvoient pou de vivres, pour ce que l'en avoit fait retraire tout ès forteresses, lesquelles estoient très-bien gardées par la bonne ordenance que messire Phelippe fils du roy de France Jehan, et frère du roy Charles lors duc de Bourgoigne, y avoit mise, tant de gens d'armes comme autrement. Et ne demourèrent audit pays de Bourgoigne que six ou sept jours, sans y prendre aucun fort ; et alèrent en Aucerrois et pristrent les moustiers de Cravent et de Vermanton, là où il trouvèrent grant foison vivres et autres biens ; et il leur estoit bien mestier, car la plus grant partie avoit esté sans mengier pain longuement, et estoient sans soulers. Et quant il furent rafreschis, il se divisèrent et passèrent aucuns la rivière de Yonne à Cravent, et entrèrent en Gastinois environ huit cens hommes d'armes anglois, mais il étoient bien dix mille personnes ou plus ; et les autres alèrent vers Troyes, qui estoient trop plus grant nombre, car il estoient plus de quatre mille combatans et de vint mille pillars et femmes ; et passèrent la rivière de Saine vers Saint-Sepulcre[247] et à Mery. Et après la rivière d'Aube, et alèrent vers Esparnay et assaillirent l'église de ladite ville d'Esparnay qui estoit fort, en laquelle estoient retrais les gens de la ville ; et pour ce qu'il ne la porent avoir par assault il la minèrent : et ceux qui estoient dedens sentirent que l'on minoit ladite église, il contreminèrent, et en cuidant ardoir la mine des ennemis, il ardirent leur contremine. Et convint que il se retraisissent en une tour. Et après parlementèrent auxdites compaignies et raençonèrent[248] leur corps et la ville d'ardoir parmy deux mil frans[249] que il leur baillièrent. Et demourèrent aucuns desdites compaignies en ladite ville d'Esparnay, et les autres passèrent oultre en diverses routes[250], les uns à Fimes, les autres à Coincy-l'Abbaie, et les autres à Ay[251] ; et assaillirent le moustier d'Ay qui estoit fort, auquel estoient les gens de ladite ville, et auquel moustier se boutèrent environ vint hommes d'armes pour secourir les bonnes gens qui estoient dedens. Et pour ce que lesdites compaignies virent que il ne pouvoient avoir ledit moustier par assault, il le minèrent et demourèrent longuement devant. Et cependant le roy faisoit toujours son mandement de gens pour les combatre ; et ceux qui avoient passé la rivière de Yonne à Cravent quant il orent esté bien avant au Gastinois la repassèrent à Pons-sur-Yonne, et alèrent passer Saine à Nogent-sur-Saine, et se traistrent vers les autres à Esparnay.

[245] Carcassoys. Ou Carcassez, le territoire de Carcassonne.

[246] Marsigny-les-Nonnains. A peu de distance de Semur.

[247] Saint-Sépulcre. Peut-être Saint-Sulpice, entre Mery et Troyes.

[248] Raençonèrent. Rachetèrent.

[249] Deux mil frans. Environ cinquante mille francs d'aujourd'hui.

[250] En diverses routes. Dans les précédentes éditions, au lieu de ces mots, il y a : Adimeosdun. Et plus bas, au lieu de Fismes, elles ont mis à fleuves. Au lieu de Coincy, Coucy.

[251] Coincy, à deux lieues de Château-Thierry. — Tous les gastronomes connoissent la position du bourg d', entre la petite ville d'Avenay et celle d'Epernay. — On chercheroit vainement dans nos historiens modernes les précieux détails que nous trouvons ici. La raison en est simple : Froissart ne les donne pas.

XI.

Coment monseigneur Lyonnel, fils du roy d'Angleterre, vint à Paris, et de l'onneur que le roy de France et les barons luy firent.

ANNÉE 1368

L'an de grace mil trois cent soixante-huit, le dimenche jour de Quasimodo seiziesme jour d'avril, Pasques furent celuy an le neuviesme jour dudit mois, messire Lyonnel, duc de Clarence, second fils du roy d'Angleterre, entra à Paris et venoit d'Angleterre ; et aloit à Milan espouser la fille messire Galiache, l'un des seigneurs de Milan ; et alèrent jusques à Saint-Denys en France encontre ledit Lyonnel monseigneur Jehan, duc de Berry, et messire Phelippe, duc de Bourgoigne, frères germains du roy de France. Et le menèrent descendre droit au Louvre où ledit roy estoit, et laiens fu receu dudit roy moult honnorablement. Et ot laiens sa chambre moult bien parée et aournée ; et disna celuy jour et souppa au chastel du Louvre avecques le roy de France, qui aussi y estoit lors logié. Et l'endemain jour de lundi, ledit Lyonnel disna avecques la royne en l'ostel du roy près de Saint-Pol, là où elle estoit logiée, et y fist-l'en très grant feste. Et après disner, quant l'en ot dancié et joué, ledit Lyonnel et lesdis deux frères du roy qui tousjours le compaignoient, s'en retournèrent audit Louvre devers le roy et souppèrent avecques luy, et tousjours coucha ledit Lyonnel au Louvre. Et le mardi ensuivant, dix-huitiesme jour du moys d'avril dessus dit, lesdis ducs de Berry et de Bourgoigne donnèrent à disner et à soupper audit Lyonnel et à ses chevaliers et autres gens qui y vouldrent estre, en l'ostel d'Artois à Paris ; et alèrent au gesir au Louvre. Et le mercredi ensuivant, ledit Lyonnel disna et souppa avecques le roy et luy fist le roy moult de grans dons et à ses gens aussi, qui valoient, si comme l'en estimoit, vint mille florins et plus.

Item, le jeudi ensuivant, ledit Lyonnel se parti de Paris, et le fist le roy convoier par le conte de Tanquarville jusques à Sens, et par autres chevaliers jusques hors du royaume.

Et assez tost après, ceux qui estoient dedens le moustier d'Ay se rendirent et furent pris à raençon ; car il n'avoient plus de vivres dedens ledit moustier. Et demourèrent lesdites compaignies au Meucien[252] en divers logeys. C'est assavoir à Lisy, à Acy, à Fontaines-les-Nonnains et environ, jusques au vendredi douziesme jour de may, l'an mil trois cens soixante-huit dessusdit ; lequel jour se deslogièrent et s'en alèrent vers Chaalons, vers Vitry en Pertois et en celle marche ; et y firent moult de maux comme d'ardoir maisons, tuer gens, efforcier femmes et pluseurs autres maux. Et en celle marche demourèrent jusques environ le commencement du moys de juing, et parla-l'en à eux par pluseurs fois, afin que il partisissent du royaume ; mais il demandoient si grandes sommes de florins, c'est assavoir au moins quatorze cens mil frans d'or, que l'en n'y voult point entendre pour le roy, et partout celuy temps avoit le roy grant nombre de gens d'armes en pluseurs bonnes villes, comme Sens, Troyes et Chaalons, Provins et autres, èsquelles villes lesdites gens d'armes faisoient tant de excès et de maux que ce estoit pitié.

[252] Au Meucien. En Multien, pays de la Brie. Lisy-sur-Ourq, à trois lieues de Meaux. Acy-en-Multien, à sept lieues de Senlis.

Item, le vendredi neuviesme jour de juing mil trois cent soixante-huit dessusdit, lesdites compaignies qui s'estoient deslogiées de devant Vitry passèrent par assez près de Troyes et se alèrent logier vers Marigny[253] et au pays environ. Et lors estoit à Troyes le duc de Bourgoigne, mais il n'avoit pas gens pour combattre à eux : et s'en alèrent passer la rivière d'Yonne vers Aucerre, et alèrent vers Chastillon-sur-Louen, devant Montargis et par tout le Gastinois, droit vers Estampes. Mais il séjournèrent tant en Gastinois que il fu avant le quatriesme jour de juillet que il feussent environ Estampes ; et boutèrent les feux en pluseurs lieux et villes en leur chemin. Et pource que l'en disoit communelment que il venoient devant Paris, le roy manda gens d'armes à Paris. Et en celuy an meisme, la derrenière sepmaine de juin, le roy fist deux mareschaux nouveaux, c'est assavoir : Messire Loys de Sancerre et messire Mouton de Blainville. Car le mareschal Bouciquaut estoit mort, et messire Arnoul d'Odenehan avoit renoncié à l'office, et le roy luy avoit baillié l'oriflame. Et environ quinze jours devant, le roy avoit fait amiral de la mer messire François de Perilleux et en avoit osté le Baudrin de la Heuse.

[253] Marigny. Entre Troyes et Nogent-sur-Seine.

Item, le mardi quart jour de juillet, lesdites compaignies se logièrent à Estampes et à Estrichi[254]. Et y demourèrent jusques au dimenche ensuivant, neuviesme jour dudit moys, que se deslogièrent les Gascoins qui, si comme l'en disoit, se deffioient des Anglois et les Anglois d'eux ; et s'en alèrent à Baugency-sur-Loire, et les Anglois alèrent en Normendie et pristrent la ville de Vire : et y entrèrent de jour comme tous hommes de ville, armés dessous leur grosses robes, premièrement environ quarante ou soixante ; et quant il orent gaaigné la porte, leur grosses routes vindrent après, mais il ne pristrent pas le chastel ; car pluseurs de la dite ville se retraistrent dedens, qui bien le deffendirent et gardèrent ; et aussi fu-il assez tost après raffreschi de gens d'armes. Et environ quinze jours après, une partie desdis Anglois de compaignie, environ quatre cens ou cinq cens, s'en alèrent en Anjou et pristrent la ville de Chasteau-Gontier par la manière qu'il avoient prise Vire. Et lesdis Gascoins se tindrent bien trois sepmaines ou un moys en ladite ville de Baugency ; et pluseurs fois ala le seigneur de Lebret de par le roy de France par devers eux pour traictier, comme il vidassent le royaume de France ; et en espérance de certain traictié pourparlé et non passé entre eux, lesdis Gascoins passèrent la rivière de Loire par devers la Sauloigne ; et crut tant la rivière, assez tost après, que il ne la porent rappasser sans pont ; et ainsi demourèrent une pièce, en attendant la response dudit traictié que le seigneur de Lebret avoit porté devers le roy.

[254] Estrichi. Ou Estrechy.

XII.

Des appellacions que le conte d'Armignac et autres nobles firent contre le prince de Galles en France.

Environ celuy temps, le conte d'Armignac, le seigneur de Lebret, le conte de Pierregort et pluseurs autres barons et nobles du duchié de Guyenne, appelèrent du prince de Galles, duc de Guyenne, pour pluseurs griefs que il leur avoit fais ; et se traistrent devers le roy de France afin que il receust leur appellacions et donnast ajournement en cas d'appel. Et sur ce, ot ledit roy grant délibéracion ; et par le conseil que il ot, il leur octroia lesdis ajournemens, car il n'avoit encore faites aucunes renonciations aux ressors et souverainetés des terres par luy bailliées audit roy d'Angleterre ; jasoit ce que les termes feussent passés dedens lesquels devoient estre faites lesdites renonciations. Car le roy d'Angleterre avoit esté refusant et délayant de faire aucunes renonciations que il devoit faire ; lesquelles se devoient faire lors et par la manière que contenu est ès lettres desquelles la teneur est cy-après encorporée. Et toutesvoies, jusques à ce que lesdites renonciations feussent faites, lesdis ressors et souverainetés demouroient au roy de France par la manière que il les avoit avant ledit traictié ; mais il devoit surseoir de en user jusques à certain temps, si comme ès dites lettres est contenu, desquelles la teneur ensuit[255] :

[255] Voyez plus haut l'article XII du traité de Brétigny.

XIII.

Ci s'ensuit le contenu des lettres des renonciations que le roy d'Angleterre et le prince son fils devoient faire des terres qu'il tenoient ci nommées.

« Edouart, par la grace de Dieu, roy d'Angleterre, seigneur d'Irlande et d'Acquitaine, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Comme pour les discencions, débas et descors meus et espérés[256] à mouvoir entre nous et notre très cher frère le roy de France, certains traicteurs et procureurs de nous et de nostre très chier ainsné fils Edouard, prince de Galles, ayant à ce souffisant pouvoir et auctorité pour nous et pour luy et nostre royaume d'une part ; et certains autres traicteurs et procureurs de nostre dit frère et de nostre très chier neveu Charles, duc de Normendie et daulphin de Viennois, fils ainsné de nostre dit frère de France, ayant povoir et auctorité de son dit père en ceste partie, pour son père et pour luy, se feussent assemblés à Brétigny près de Chartres : auquel lieu fu parlé, traictié et accordé final paix ; et accordé, le huitiesme jour de mai derrenièrement passé, des traicteurs et procureurs de l'une et de l'autre partie, sur les discencions, débas, guerres et descors devant dis ; lesquels traictié et paix les procureurs de nous et de nostre dit fils, pour nous et pour luy, jurèrent aux sains évangiles tenir et garder, et après cela jurèrent nos dis fils et neveu au nom que dessus ; et depuis, nous et nostre dit frère l'avons confermé et juré solempnelment : parmy lequel accort, entre les autres choses, nostre frère et son fils devant dit sont tenus et ont promis bailler, délivrer et délaissier à nous, nos hoirs et successeurs à tousjours, les cités, contés, villes, chasteaux, forteresces, terres, revenues et autres choses qui s'ensuivent, avec ce que nous tenons en Guyenne et en Gascoigne ; à tenir et posséder perpétuelment à nous et à nos hoirs et successeurs ce que en demaine en demaine, et ce que en fié en fié, et par le temps et manière ci-après esclaircis : la cité, le chastel et la conté de Poitiers, et toute la terre et le pays de Poitou, ensemble le fieu de Thouart et la terre de Belleville ; la cité et le chastel de Xaintes, et toute la terre et le pays de Xaintonge par deçà et par delà la Charente, avecques la ville, chastel et forteresce de La Rochelle, et leur appartenances et appendances ; la conté, le chastel d'Agen et la terre et le pays d'Agenois ; la cité, le chastel et toute la conté de Pierregort, et la terre et le pays de Pierreguis ; la cité et le chastel de Lymoges et la terre et le pays de Lymosin ; la cité et le chastel de Caours et la terre et le pays de Caoursin ; la cité, le chastel et le pays de Tarbe et la terre et le pays et la conté de Bigorre ; la conté, la terre et le pays de Gaure ; la conté et le chastel d'Angoulesme et la conté et la terre et le pays d'Angoulesmois ; la cité et le chastel de Rodés et la terre et le pays de Rouergue. Et s'il y a aucuns seigneurs, comme le conte de Foix, le conte d'Armignac, le conte de Lille, le conte de Pierregort, le conte de Lymoges ou autres qui tiennent aucunes terres ou lieux dedens les mettes desdis lieux, il en feront homaige à nous et tous autres services et devoirs deus à cause de leur terres et lieux, en la manière qu'il les ont fais au temps passé : et tout ce que nous ou aucuns des roys d'Angleterre anciennement tindrent en la ville de Monstereul sur la mer et ès appartenances : — toute la conté de Pontieu tout entièrement, sauf et excepté que sé aucunes choses ont esté aliénées par les roys d'Angleterre qui ont esté pour le temps, de ladite conté et appartenances, et à autres personnes qui aux roys de France estoient tenus, nostre dit frère né ses successeurs ne seront pas tenus de les rendre à nous ; et sé lesdites aliénacions ont esté faites aux roys de France qui ont esté par le temps sans aucun moyen, et nostre dit frère le tiengne à présent en sa main, il les laissera à nous entièrement, excepté que sé les roys de France les ont eu par eschange ou autres terres, nous délivrerons ce que l'on a eu par eschange, ou nous laisserons à nostre dit frère les choses ainsi aliénées ; mais sé les roys d'Angleterre qui ont esté par le temps en avoient aliéné ou transporté aucunes choses en autres personnes que ès roys de France, et depuis il soient venus ès mains de nostre dit frère, ou par partage, nostre dit frère ne sera pas tenu de les rendre. Et aussi sé les choses dessusdites doivent homaige, nostre dit frère les baillera à autres qui en feront omaige à nous, et s'il ne doivent omaige, il nous baillera un tenant qui nous en fera le devoir dedens un an prochain après ce que nostre dit frère sera parti de Calais, — le chastel et la ville de Calais, le chastel, la ville et seigneurie de Merque, les villes, chasteaux et seigneuries de Sangate, Coulongne, Hammes, Wale et Oye avecques leur bois, marés, rivières, seigneuries, advoisons d'églyse et toutes autres appartenances et lieux entregisans dedens les mettes et bondes qui s'ensuivent : C'est assavoir deçà Calais jusques au fil de la rivière pardevant Gravelingues, et aussi par le fil de mesme la rivière tout entour l'angle, et aussi par la rivière qui va par delà poil et par meisme la rivière qui chiet au grant lay de Guynes jusques à Fretin et d'ilec par la valée entour la montaigne Calculi, encloant meisme la montaigne ; et aussi jusques à la mer, avec Sangate et toutes les appartenances ; le chastel et la ville et tout entièrement la conté de Guynes avecques toutes les terres, villes, chasteaux, forteresces, lieux, homes, homaiges, bois, forès, droitures d'icelles, aussi entièrement comme le conte de Guynes, derrain mort, les tint au temps qu'il ala de vie à trespassement ; — et obéiront les églyses et les bonnes gens estant dedens les limitations dudit conté de Guynes, de Calais et de Merque et des autres lieux dessusdis, à nous ainsi comme il obéissoient à nostre dit frère et au conte de Guynes qui fu pour le temps. Toutes lesquelles choses comprises en ce présent article et en l'article prochain précédent de Merque et de Calais, nous tendrons en demaine, excepté les héritages des églyses qui demourront auxdites églyses entièrement, quelque part qu'il soient assises ; et aussi excepté les héritages des autres gens du païs de Merque et de Calais, assis hors de la ville de Calais, jusques à la value de cent livres de terre par an de la monnoie courant au païs et au-dessoubs ; lesquels héritages leur demourront jusques à la value dessusdite et au-dessoubs ; mais les habitacions et héritages assis en ladite ville de Calais, avecques leur appartenances, demourront en demaine à nous pour ordener à nostre volenté ; et aussi demourront aux habitans en la terre, ville et conté de Guynes, toutes leur demaines entièrement et revendront plainement, sauf ce que est dit par avant des confrontations, mettes et bondes dessus dites en l'article de Calais, et toutes les isles adjacens aux villes, païs et lieux avant nommés, ensemble avecques toutes les autres isles, lesquelles nous tenrons au temps dudit traictié. Et eust esté pourparlé que nostre dit frère et son ainsné fils renonçassent aux ressors et souverainnetés et à tout droit qu'il pourroient avoir en toutes les choses dessusdites, et que nous les tenissions, comme voisin, sans ressort et souveraineté de nostre dit frère audit royaume de France, et que tout le droit que nostre dit frère avoit ès choses dessus dites, il nous cédast et transportast perpétuelment et à tousjours ; et aussi eust esté pourparlé que semblablement nous et nostre dit fils renoncissons expressément à toutes les choses qui ne doivent estre bailliées ou délivrées à nous par ledit traictié, et par espécial au nom et au droit de la couronne et du royaume de France, à omaige, souveraineté et demaine du duchié de Normendie, du duchié de Touraine, des contés d'Anjou et du Maine, et souveraineté et omaige du duchié de Bretaigne, à la souveraineté et omaige du conté et païs de Flandres, et à toutes autres demandes que nous faisons et faire pourrions pour quelque cause que ce soit, excepté les choses dessus dites qui doivent demourer et estre baillées à nous et à nos hoirs, et que nous leur transportassions, cessissons et délaisissions tous les droits que nous pourrions avoir en toutes les choses qui à nous (ne) doivent estre bailliées. — Sur lesquelles choses, après pluseurs altercacions eues sur ce, et par espécial pource que lesdites renonciacions ne se font pas de présent, avons finablement accordé avec nostre dit frère par la manière qui s'ensuit : c'est assavoir que nous et nostre dit ainsné fils renoncerons, et ferons et avons promis à faire les renonciations, transpors, cessions et délaissemens dessusdis, quant et si tost que nostre dit frère aura baillié à nous ou à nos gens espécialment de par nous députés, la cité et le chastel de Poitiers et toute la terre et le païs du Poitou, ensemble le fié de Thouart et la terre de Belleville ; la cité et le chastel d'Agen et toute la terre et le païs d'Agenois ; la cité et le chastel de Pierregort et toute la terre et le païs de Pierreguis ; la cité et le chastel de Caours et toute la terre et le païs de Caoursin ; la cité et le chastel de Lymoges et toute la terre et le païs de Lymosin ; et toute la conté de Gaure. Lesquelles choses nostre dit frère nous a promis à baillier ou à nos espéciaux députés dedens la feste de la Nativité Saint-Jehan-Baptiste sé il peut ; et tantost après ce, devant certaines personnes que nostre dit frère députera, nous et notre dit ainsné fils ferons en nostre royaume ycelles renonciations, transpors, cessions et délaissemens par foy et sairement, solempnelment, et d'icelles ferons bonnes lettres ouvertes, scellées de nostre grant seel, par la manière et forme comprise en nos autres lettres sur ce faites et que compris est audit traictié, lesquelles nous envoierons à la feste de l'Assomption Nostre-Dame prochain ensuivant, en l'églyse des Augustins à Bruges ; et les ferons baillier à ceux que nostre dit frère y envoiera lors pour les recevoir. Et sé dedens ladite feste saint Jehan-Baptiste, nostre dit frère ne povoit baillier les cités, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux dessus prochainement nommés, il les doit baillier dedens la feste de Toussains prochaine venant en un an ; et icelles bailliées, ferons nous et nostre dit fils lesdites renonciations, transpors, cessions et délaissemens pardevant les gens qui seront députés par nostre dit frère, comme dit est, et en ferons lettres telles et par la manière dessusdite, et les ferons baillier à ses gens au jour de la feste saint Andrieu lors ensuivant, en ladite églyse des Augustins, à Bruges, par la manière dessus dite. Et aussi nous a promis nostre dit frère que il et son ainsné fils renonceront et feront semblables, lors et par la manière dessus dite, les renonciations, transpors, cessions et délaissemens accordés par ledit traictié à faire de sa partie, si comme dessus est dit ; et envoiera ses lettres patentes scellées de son grant seel auxdis lieux et termes pour les baillier aux gens qui de par nous y seront députés, semblablement comme dit est. Et aussi nous a promis et accordé nostre dit frère que luy et ses hoirs cesseront, jusques aux termes desdites renonciations dessus esclaircies, de user de souverainnetés et ressors en toutes les cités, contés, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux que nous tenions au temps dudit traictié, lesquelles nous doivent demourer par ledit traictié, et ès autres qui, à cause desdites renonciations et dudit traictié, nous seront bailliées et doivent demourer à nous et nos hoirs, sans ce que nostre dit frère ou ses hoirs ou autres à cause de la couronne de France, jusques aux termes dessus esclaircis et iceux durans, puissent user d'aucuns services ou souverainneté, né demander subjecion sur nous, nos hoirs, nos subgiés d'icelles présens et avenir, né querelles ou appeaux en leur court recevoir, né rescrire icelles, né de jusridicion aucune user à cause des cités, contés, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux prochains nommés. Et nous a aussi accordé nostre dit frère que nous né nos hoirs, né aucuns de nos subgiés, à cause desdites cités, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux prochains avant dis, comme dit est, soient tenus né obligiés de le recognoistre nostre souverain, né de faire aucune subjeccion, service né devoir à luy né à ses hoirs né à la couronne de France, jusques aux termes des renonciations devant dites. Et aussi accordons et promettons à nostre dit frère que nous et nos hoirs cesserons de nous appeller et porter roys de France par lettres né autrement jusques aux termes dessus nommés, et iceux durans. Et combien que ès articles dudit accort et traictié de la paix en ces présentes lettres, ou autres dépendans desdis articles ou de ces présentes ou d'autres quelconques, que elles soient ou feussent, aucunes paroles ou fait aucun que nous ou nostre dit frère déissions ou féissions qui sentissent translacion ou renonciations taisibles ou expresses des ressors ou souverainnetés[257], est l'intencion de nous et de nostre dit frère que les avant dis souverainnetés et ressors que nostre dit frère se dit avoir ès dites terres qui nous seront bailliées, comme dit est, demourront en l'estat auquel elles sont à présent. Mais toutesvoies que il cessera de en user et de demander subjeccion par la manière dessus dite, jusques aux termes dessus esclaircis. Et aussi voulons et accordons à nostre dit frère que, après ce qu'il aura baillié lesdites cités, contés, chasteaux, villes, terres, païs, isles et lieux qu'il nous doit baillier parmy sa délivrance et renonciacions dessusdites ; et lesdites renonciations, transpors et cessions qui sont à faire de sa partie, pour luy et pour son ainsné fils, faites et envoiées auxdis jour et lieu à Bruges, lesdites lettres bailliées aux députés de par nous, que la renonciacion, transport, cession et délaissement à faire de nostre partie soient tenues pour faites ; et par habondant, nous renonçons dès lors par exprès au nom et au droit de la couronne du royaume de France, et à toutes les choses que nous devons renoncier par force dudit traictié, si avant comme proffitter pourra à nostre dit frère et à ses hoirs. Et voulons et accordons que, par ces présentes, ledit traictié de paix et accort fait entre nous et nostre dit frère, les subgiés, aliés et adhérens d'une partie et d'autre, ne soit, quant aux autres choses contenues en iceluy, empiré ou affebli en aucune manière ; mais voulons et nous plaist qu'il soient et demeurent en leur plaine force et vertu. Toutes lesquelles choses en ces présentes lettres escriptes, nous, roy d'Angleterre dessusdit, voulons, octroyons et promettons loyalment et en bonne foy et par nostre sairement fait sur le corps Dieu ès sains évangiles, tenir, garder, entériner et accomplir sans fraude et sans mal engin de nostre partie ; et à ce et pour ce faire, obligons à nostre dit frère de France, nous, nos hoirs et tous nos biens présens et avenir, en quelque lieu qu'il soient, renonçant par nostre dite foy et sairement à toutes exceptions de fraude, décevance, de crois pris et à prendre et à empétrer, dispensacion de pape ou d'autre au contraire ; laquelle sé empétrée estoit, nous voulons estre nulle et de nulle valeur, et que nous ne nous en puissions aidier, et aux drois disans que royaume ne pourra estre devisé, et général renonciacion non valoir fors en certaine manière, et à tout ce que nous pourrions proposer au contraire, en jugement ou dehors. En tesmoin desquelles choses, nous avons fait mettre nostre grant séel à ces présentes. Donné à nostre ville de Calais sous nostre grant séel, le vint-quatriesme jour d'octobre, l'an de grace mil trois cent soixante. »

[256] Espérés. C'est-à-dire : conjecturés, présumés.

[257] Dans plusieurs manuscrits, on voit écrit à la marge, de la main courante : Nota : Des ressors et souverainetés.

XIV.

Coment le roy ala à Tournay pour parler au conte de Flandres du mariage de sa fille et de Phelippe de Bourgoigne, frère dudit roy ; et de huit cardinaux que le pape fist.

En l'entrée du mois de septembre ensuivant, le roy parti de Paris pour aler à Tournay, là où il avoit mandé le conte de Flandres, le duc de Breban et le conte de Haynaut, en espérance de parfaire le mariage de messire Phelippe, duc de Bourgoigne, frère dudit roy, et de Marguerite fille dudit conte de Flandres, laquelle avoit par avant esté mariée à messire Phelippe duc de Bourgoigne, derrenier trespassé. Mais ledit conte de Flandres ne fu point à Tournay à la journée que le roy avoit entencion que il y feust, et se envoia excuser pour cause de maladie : et pour ce s'en retourna le roy à Paris sans autre chose faire dudit mariage. Mais madame Marguerite, contesse d'Artois et mère dudit conte de Flandres, qui estoit alée à Tournay pour celle cause, et qui moult vouloit et desiroit ledit mariage estre fait, ala par devers son dit fils à Malines, en poursuivant toujours la perfection et accomplissement dudit mariage. Item, le vendredi vint-deuxiesme jour du mois de septembre dessusdit, mil trois cent soixante-huit, le pape Urbain qui estoit à Monflacon[258] fist huit cardinaux ; c'est assavoir : le patriarche de Jérusalem, le patriarche d'Alexandrie, l'arcevesque de Cantorbire, anglois, l'arcevesque de Naples, messire Jehan de Dormans, evesque de Beauvais et chancelier de France, né de Dormans[259] sur la rivière de Marne ; monseigneur Estienne de Paris, evesque de Paris, né de Vitry auprès Paris sur la rivière de Saine, l'evesque de Castres et le prieur de Saint-Pierre de Rome. Et en vindrent les nouvelles certaines à Paris et les lettres de pluseurs cardinaux, le sixiesme jour du mois d'octobre ensuivant. Item, en la fin dudit mois de septembre, les Anglois de compaignie, qui estoient en la ville de[260] Chasteau de Vire, s'en partirent, pour certaine somme de florins que l'en leur donna, et s'en alèrent à Chasteau-Gontier par devers leur compaignons qui là estoient, et pristrent pluseurs forteresces environ, pour ce qu'il ne povoient tous estre logiés en ladite ville de Chasteau-Gontier.

[258] Montflacon. Montefiascone.

[259] Né de Dormans. Son tombeau est encore dans l'église de la petite ville de Dormans, entre Épernay et Château-Thierry.

[260] De. Peut-être faudroit-il lire : Et… Les éditions imprimées portent : Au chastel de la ville.

Item, en celui temps lesdis Gascoins de compaignie, qui avoient passé la rivière de Loire, comme dit est, alèrent en Touraine, et grant foison de gens d'armes du royaume de France, tant aux gaiges du roy comme sans gaiges alèrent après, en espérance de les combattre, jusques à une ville que l'en appelle Faye-les-Vigneuses[261], en laquelle se estoient retrais lesdis Gascoins ; et se tindrent lesdites gens d'armes devant ladite ville par aucuns jours, cuidans que iceux Gascoins deussent issir de ladite ville pour combattre : mais riens n'en firent, et pour ce se retraistrent lesdites gens d'armes de France en la ville de Lodun, et assez tost après se départirent, et lesdis Gascoins demourèrent en ladite ville de Faye.

[261] Aujourd'hui Faye-la-Vineuse, bourg du département d'Indre-et-Loire, à six lieues de Chinon.

Item, le jeudi vint-troisiesme jour du moys de novembre ensuivant, aucuns chevaliers et escuiers de la duchié de Bourgoigne, jusques au nombre de cinquante combatans ou environ, se combattirent à gens de compaignie qui estoient partis de la forteresce de Lez en Beaujeulais, et avoient chevauchié par la duchié de Bourgoigne jusques à Crevant, et s'en retournoient par la conté de Nevers ; et les dessusdis de Bourgoigne les suivirent jusques à une ville appellée Semelay[262], et là se combattirent à eux et les desconfirent. Et furent desdis des compaignies mors jusques au nombre de onze ou de douze, et environ quarante pris, et les autres s'enfouirent ; et si furent rescous grant foison de prisonniers que lesdis des compaignies avoient pris.

[262] Semelay. Aujourd'hui village du département de la Nièvre, à sept lieues de Château-Chinon.

XV.

De la Nativité de Charles, premier fils de Charles-le-Quint, roy de France.

Le dimenche tiers jour du mois de décembre, l'an mil trois cent soixante-huit dessusdit, premier jour de l'Avent Nostre-Seigneur, en la tierce heure après mienuit, la royne Jehanne, femme du roy Charles lors roy de France, ot son premier fils en l'ostel de emprès Saint-Pol de Paris ; et estoit la lune au signe de la Vierge en la seconde face dudit signe, et avoit la lune vint-trois jours. Duquel enfantement ledit roy et tout le peuple de France orent très grant joie, et non pas sans cause ; car onques ledit roy n'avoit eu aucun enfant masle. Et en rendi ledit roy graces à Dieu et à la vierge Marie. Et celui jour ala à Nostre-Dame de Paris, et fist chanter devant l'image de Nostre-Dame, à l'entrée du cuer, une belle messe de Nostre-Dame ; et l'endemain, au jour de lundi, ala à Saint-Denis en France en pélerinage, et fist donner aux ordres de Paris grant foison de florins jusques au nombre de trois mille florins et de plus.

Item, celuy jour de dimenche, messire Aymeri de Margnac, nouvel evesque de Paris, entra à Paris et fu apporté de Ste-Geneviève à Nostre-Dame, si comme il est acoustumé : et luy fist le roy sa feste et donna à disner au Louvre audit evesque et à tous ceux qui le acompaignièrent.

XVI.

De la solempnité du baptisement de Charles, fils du roy Charles le quint de ce nom.

Le mercredi ensuivant, sixiesme jour de décembre, l'an mil trois cent soixante-huit dessusdit, ledit fils du roy fu crestienné en l'églyse de Saint-Pol de Paris, environ heure de prime, par la manière qui ensuit. Et dès le jour de devant furent faites lices de mairien[263] en la rue, devant ladite églyse et aussi dedens ladite églyse environ les fons, pour mieux garder qu'il n'y eut trop presse de gens.

[263] Lices de mairien. Enceintes en bois.

Premièrement : devant ledit enfant ot deux cens varlès qui portoient deux cens torches, qui tous demourèrent en ladite rue, tenant lesdites torches ardans excepté seulement vint-six qui entrèrent dedens ledit moustier. Et après estoit messire Hue de Chasteillon, seigneur de Dampierre, maistre des arbalestiers, qui portoit un cierge en sa main, et le conte de Tanquarville si portoit une couppe en laquelle estoit le sel, et avoit une touaille en son col dont ledit sel estoit couvert. Et après estoit la royne Jehanne d'Evreux qui portoit ledit enfant sur ses bras ; et monseigneur Charles, seigneur de Montmorenci, et monseigneur Charles, conte de Dampmartin, estoit d'encoste luy ; et ainsi issirent dudit hostel du roy de Saint-Pol, par la porte qui est au plus près de ladite églyse. Et tantost après ledit enfant, estoient le duc d'Orliens, oncle du roy, le duc de Berry, le duc de Bourbon, frère de la royne, et pluseurs autres grans seigneurs et dames ; la royne Jehanne, la duchesse d'Orliens sa fille, la contesse de Harecourt et la dame de Lebret, suers de la royne, lesquelles estoient bien parées en couronnes et en joyaux : et après pluseurs autres dames et damoiselles bien parées et bien aournées[264]. Et ainsi fu apporté ledit enfant jusques à la grant porte de ladite églyse de Saint-Pol, à laquelle porte estoient, qui attendoient ledit enfant, le cardinal de Beauvais, chancelier de France, qui ledit enfant crestienna ; et le cardinal de Paris en sa chappe de drap sans autres aournemens, et les arcevesques de Lyon et de Sens, et les evesques d'Evreux, de Coustances, de Troyes, d'Arras, de Meaux, de Beauvais, de Noyon et de Paris ; et les abbés de St-Denis, de Saint-Germain-des-Prés, de Sainte-Geneviève, de Saint-Victor, de Saint-Magloire, tous en mitres et en crosses et tous furent au crestiennement. Et le tint sur les fons ledit seigneur de Montmorency, et fu appellé Charles, pour lesdis seigneur de Montmorency et conte de Dampmartin, qui ce meisme nom avoient. Et après fu reporté ledit enfant audit hostel de Saint-Pol par le cimetière de ladite églyse et par un huys par lequel l'on entroit audit hostel, pour la presse qui estoit devant ladite églyse[265]. Et celuy jour, fist le roy faire une donnée[266] en la couture Ste-Katherine, de huit parisis à chascune personne qui voult aler à ladite donnée, et y ot si grant presse que pluseurs femmes furent mortes en ladite presse. Item, celuy mercredi après vespres, ledit cardinal de Paris partist de ladite ville pour aler à Rome devers le pape, et prist congié du roy au Louvre ; et le convoièrent jusques hors de Paris les ducs de Berry et de Bourgoigne, frères dudit roy, et aussi fist le cardinal de Beauvais et pluseurs autres prélas qui estoient en ladite ville de Paris ; et s'en ala au giste à Charenton. Item, le vendredi, jour de la Purificacion Nostre-Dame, audit an mil trois cent soixante-huit, messire Guillaume de Meleun, lors arcevesque de Sens par bulle du pape à luy sur ce envoiée, présenta et bailla audit cardinal de Beauvais, chancelier de France, le chappel rouge au chastel du Louvre emprès Paris, en la présence du roy Charles, après la messe, emprès l'autel de la chappelle dudit chastel.

[264] Le tableau de cette procession, fort exact du moins pour les premiers personnages jusqu'au comte de Dammartin inclusivement, se reconnoît dans une miniature du manuscrit de Charles V, fo 446, vo. Montfaucon n'a pas connu ce précieux volume, comme j'ai eu déjà l'occasion de le remarquer sous le règne du roi Jean.

[265] Aujourd'hui l'on ne prendroit pas un détour aussi déplaisant, et nos sergens de ville feroient bonne raison de cette presse.

[266] Une donnée. Un don.

Item, le dimenche ensuivant, quatriesme jour du mois de février l'an dessus dit, la royne releva de sa gésine de son dit fils, auquel le roy avoit donné le nom de Daulphin de Viennois ; et pour ce estoit appellé monseigneur le daulphin. Et eut grant feste auxdites relevailles à disner et après disner de dancier et d'autres esbatemens.

Item, en celuy temps, en divers jours, se rendirent aux gens du roy de France pluseurs villes et forteresces du duchié de Guyenne, qui par avant estoient subgiés du roy d'Angleterre ; et aderèrent aux appellacions que avoient faites le conte d'Armignac, le conte de Pierregort, le seigneur de Lebret et pluseurs autres du pays de Guyenne contre le prince de Galles, ainsné fils du roy d'Angleterre et duc de Guyenne. Et en ce temps ledit prince accoucha malade d'une moult grave maladie et devint ydropite. Et pour les causes devant dites, le roy d'Angleterre envoia des Anglois de son pays et un sien autre fils appellé monseigneur Hémon[267] au pays de Guyenne. Car pour occasion desdites appellacions, se ensivit guerre entre lesdis roy et ses enfans contre lesdis appellans.

[267] Hemon. Edmond.

XVII.

De la desconfiture de la bataille du roy Pierre d'Espaigne, et coment il mourust.

En l'an dessus dit mil trois cent soixante-huit, le quatorziesme jour du mois de mars, le roy Henry et le roy Pierre de Castelle, desquels chascun tenoit grant partie du royaume de Castelle, se combattirent assez près de Sebille[268] la Grant, et estoient avec ledit Henry pluseurs François et Bretons tenant la partie du roy de France ; et avecques ledit Pierre estoient pluseurs Castellains et Sarrasins. Et fu iceluy Pierre desconfit et très grant foison de ses gens mors. Et il s'enfoui en un chastel qui estoit assez près du lieu de bataille, et fu suivi par le roy et par ses gens qui se mistrent entour le chastel. Et iceluy Pierre, cuidant eschapper, traicta à aucuns de ceux de la partie de Henry qui estoient hors dudit chastel, lesquels le revelèrent audit Henry. Et fu iceluy Henry à l'encontre dudit Pierre ou ses gens pour luy, et pristrent ledit Pierre au partir dudit chastel, et luy fist ledit Henry couper la teste le vint-deuxiesme jour dudit mois. Si fu-l'en lié en France de ceste aventure, car ledit Henry avoit tousjours tenu et encore tenoit la partie de France, et le roy Pierre estoit alié aux Anglois : toutesvoies estoient frères lesdis Henry et Pierre ; mais Pierre estoit légitime et Henry non, si comme l'en disoit. Et demoura le royaume tout enterin[269] audit Henry, et certainement moult de gens tenoient que ce fust avenu audit Pierre pour ce qu'il estoit très mauvais homme et avoit murdri mauvaisement et traytreusement sa bonne femme espousée, fille du duc de Bourbon et seur de la royne de France.

[268] Sebille. Séville.

[269] Enterin. Entier.

XVIII.

De la confirmacion du mariage de messire Phelippe duc de Bourgoigne et de la fille au conte de Flandres, et coment Abbeville en Pontieu et pluseurs autres villes se rendirent au roy de France.

ANNÉE 1369

L'an de grace mil trois cens soixante-neuf, le samedi après Pasques, qui fu le septiesme jour d'avril, car Pasques furent celui an le premier jour d'avril, le mariage qui longuement avoit esté traictié de messire Phelippe, frère du roy de France Charles, et duc de Bourgoigne, et de Marguerite fille de messire Loys conte de Flandres, fu passé et accordé par certaine manière et condicion dont mencion sera faite ci-après, après ce que la cronique fera mencion de la solempnisacion dudit mariage en sainte église.

Item, le dimenche vint-neuviesme jour dudit moys d'avril l'an dessus dit, la ville d'Abbeville en Pontieu se rendi aux gens du roy de France ; c'est assavoir à messire Hue de Chastillon, maistre des arbalestiers dudit roy, pour et au nom dudit roy, comme à leur souverain seigneur. Et celuy jour se rendi la ville de Rue[270]. Et celle sepmaine se rendirent pareillement toutes les villes, chasteaux et forteresses de la conté de Pontieu que le roy d'Angleterre tenoit, par telle manière que ledit roy de France ot par ses gens la possession de ladite conté en dix jours après ce que ladite ville d'Abbeville se fu rendue ; excepté une forteresse appellée Noyelle[271], laquelle n'estoit pas du demaine de ladite conté, mais en estoit tenue en fief ; et le demaine estoit à la contesse d'Aubemarle, à laquelle contesse les gens du roy d'Angleterre l'avoient ostée : et la tindrent messire Nicole Stauroure et autres Anglois qui estoient dedens. Et les causes pour lesquelles le roy de France fist prendre ladite conté et les autres terres assises en Guyenne qui se mistrent en l'obéissance du roy de France, et par avant estoient au roy d'Angleterre, seront ci-après escriptes.

[270] Rue. Petite ville de Picardie, à six lieues d'Abbeville.

[271] Noyelle. Aujourd'hui Noyelles-sur-Mer, bourg du département de la Somme, à quatre lieues d'Abbeville.

Item, le second jour de mai, l'an dessus dit, se présentèrent en parlement contre Edouart prince de Galles et duc de Guyenne, le conte d'Armignac, messire Jean d'Armignac, le seigneur de Lebret, et pluseurs autres nobles, consuls, consulas et communautés du duchié de Guyenne, lesquels avoient appellé dudit duc de Guyenne.

XIX.

Du parlement que le roy tint pour le fait des appellacions, et dont mencion est faite.

Le mercredi neuviesme[272] jour dudit moys de mai, veille de l'Ascencion l'an dessus dit, le roy de France Charles fu en la chambre de parlement, en la manière que le roy de France y a acoustumé de estre, et la royne Jehanne assise d'encoste le roy, et le cardinal de Beauvais chancelier de France au-dessus, au lieu auquel siet le premier président. Et de ce renc séoient les arcevesques de Rains, de Sens et de Tours, et pluseurs evesques jusques au nombre de quinze ; et pluseurs abbés et autres gens d'église envoiés à celle convocacion séoient ès bas bans et par terre. Et au renc où séoient les lays de parlement, séoient les ducs d'Orléans et de Bourgoigne, le conte d'Alençon, le conte d'Eu et le conte d'Etampes, tous des Fleurs de lis, et pluseurs autres nobles ; et aussi avoit en ladite chambre gens des bonnes villes envoyés en ladite assemblée, et d'autres si grant nombre que toute la chambre estoit pleine. Et là fist dire et exposer le roy par ledit cardinal, et après par messire Guillaume de Dormans, frère dudit cardinal, coment il avoit esté requis par lesdis appellans du duchié de Guyenne, de recevoir leur appelacions dont dessus est faite mencion, et coment il avoit esté conseillié de les recevoir, et que il ne les povoit né devoit refuser, et pour ce les avoit reçues, et donné ajournement aux appellans contre ledit prince ; coment, pour celle cause et pour autres, le roy d'Angleterre avoit envoié par devers le roy de France, et coment le roy de France avoit envoié en Angleterre les contes de Tanquarville et de Salebruche, messire Guillaume de Dormans et le doyen de Paris. Et fist dire le roy par ledit messire Guillaume de Dormans les responses que il avoit faites audit roy d'Angleterre sur ses dites requestes, et aussi les requestes que il luy avoient faites pour le roy de France, et la response que avoit fait sur tout le conseil du roy d'Angleterre, tout en la forme et manière que escript sera ci-après. Et fu dit par la bouche du roy à tous que sé il véoient que il eust fait chose que il ne deust, que il le déissent et il corrigeroit ce que il avoit fait[273], car il n'y avoit faite chose que bien ne se peust adrecier sé deffaut ou trop avoit fait ; et fu di à tous, tant par le roy comme par ledit cardinal, que chascun y pensast et que le vendredi ensuivant refeussent bien matin en ladite chambre pour dire leur avis sur ce.

[272] Le mercredi neuviesme. Et non pas le mardi vint-uniesme, avec les éditions précédentes et plusieurs manuscrits. Cette année-là, le vingt-un mai tomboit un lundi, et le neuf étoit bien un mercredi, comme le porte la leçon de Charles V.

[273] Voilà un exemple remarquable de l'absolutisme de notre ancienne monarchie.

Item, le jeudi ensuivant, jour de l'Ascension à relevée, le roy, la royne Jehanne et grant nombre des conseilliers du roy, tous les prélas et les nobles refurent assemblés en ladite chambre de parlement, et dist le roy et fist dire par le cardinal et par messire Guillaume de Dormans son frère, les causes pour lesquelles il avoit receu les appeaux fais du prince et de ses officiers, par lesdis conte d'Armignac, seigneur de Lebret et leur adhérens. Et dist lors le roy que il vouloit avoir leur conseil et avis, se il avoit en aucune chose failli ou erré : lesquels tous d'un accort, chascun par sa bouche, respondirent que le roy avoit raisonnablement fait ce que il avoit fait, et ne le devoit né povoit reffuser, et que sé le roy d'Angleterre faisoit guerre pour celle cause, induement la feroit et sans raison. Item, le vendredi matin ensuivant, onziesme jour dudit moys de mai, le roy, ladite royne, les prélas, les nobles, les bonnes villes refurent assemblés en ladite chambre de parlement, et furent tous d'accort par la manière que avoient esté les autres le jour précédent à relevée ; et après furent leues les responses qui avoient esté avisées à faire au roy d'Angleterre sur la bille[274] ou cédule qui avoit esté bailliée ès gens du roy de France en Angleterre, lesquelles responses furent approuvées de tous ceux de ladite assemblée. Et si fu ordené que le roy les envoieroit en Angleterre au conseil du roy d'Angletere, et ainsi fu fait.

[274] Bille. Et non bulle, comme les éditions précédentes. C'est encore aujourd'hui le mot anglois bill.


Cy après s'ensuyvent les escriptures qui furent leues devant le roy, et premièrement la bille ou cédule qui fu apportée d'Angleterre. C'est la teneur de la bille ou cédule bailliée par le roi d'Angleterre ou son conseil aus messages derrenièrement envoiés en Angleterre par le roy de France, et est ladite bille ou cédule signée de maistre Jehan de Brankette, secrétaire dudit roy d'Angleterre.

XX.

La teneur de la lettre du roy d'Angleterre.

« A la révérence nostre Seigneur, et pour bonne paix garder, nourrir et maintenir à perpétuité, entre le roy d'Angleterre, son royaume, ses terres et subgiés, et pour espargnier effusion de sanc crestien, et aussi pour bien de tout le commun peuple ; si est avis au conseil le roy d'Angleterre que toutes les demandes, contencions, débas et questions meus et demenés par entre les deux roys et autres à cause de eux, puis la paix derrenièrement faite, se mettront en ordenance et bon appointement d'estre finablement bien appaisiés, et ladite paix bien tenue et gardée par entre eux à tousjours, parmi l'acomplissement des choses dessoubs escriptes. Et premièrement que là où les messages de France, pour appaisier tous les débas de la terre de Belleville et de toutes autres terres contencieuses entre les deux roys, ont offert au roy d'Angleterre la commune paix[275] de Rouergue, le chastel de la Roche-sur-Yon, la conté de la Marche et la terre du conte d'Estampes en Aquitaine ; voirs est que ladite commune de Rouergue, par mandement du roy de France a esté bailliée et livrée au roy d'Angleterre par la paix, et ainsi le tient-il et possède à présent ; si semble audit conseil que elle lui devra demourer à perpétuité sans y estre mis aucun empeschement ; et semble aussi que ledit chastel de la Roche-sur-Yon qui est notoirement assis dedens la terre et le pays de Poitou, lui devra aussi demourer par ladite paix. Et quant à la conté de la Marche et la terre d'Estampes, le roy d'Angleterre ou son conseil n'ont aucune cognoissance de la value ; mais le roy envoiera pour s'en informer, et sé lesdites terres soient de si convenable value que il pourront auques recompenser ladite terre de Belleville, selon l'intencion du traictié de la paix, le conseil pense bien que le roy se tiendra assez près de les recevoir, au cas que la terre de Belleville ne se pourra rendre en aucune manière en propre substance. Et supposé que ladite conté de La Marche et les terres d'Estampes ne soient notablement de ladite value, si pense tous dis le conseil du roy que le roy de France y ordenera d'autres terres, en ce cas, dont le roy d'Angleterre se tendra content de ladite terre de Belleville, en accomplissant quant à ce le traictié de la paix, et aussi les autres terres et lieux qui restent encore à baillier et délivrer au pays d'Aquitaine soient bailliées ou suffisant recompensation pour ycelles, dont le roy se pourra tenir content. Et quant aux hommaiges et fiefs de Cayeux, Huppi, Vergies, Araines et autres qui restent encore à baillier en Pontieu, et aussi la ville de Monstereul sur la mer, et oultre ce, l'angle qui est, par exprès, compris dedens les mettes et landes de Calais et de Merk, semble audit conseil que toutes lesdites choses tant évidemment appartiennent au roy, et dont il a bonne et clère cognoissance selon le fait et l'intencion de la paix susdite, que il ne les devra par nulle voie laissier. Et oultre ce, ledit conseil s'en est parfondement pourpensé parmerveillant[276] très entièrement comment le roy de France a receu ou voulu recevoir les appeaux du conte d'Armignac, du sire de Lebret et de leur adhérens et complis, actendu qu'il estoit et est tenu et obligié par ladite paix d'avoir baillié et délivré audit roy d'Angleterre ou à ses députés, toutes les terres comprises ès lettres avecques la clause : c'est assavoir ; et, icelles délivrées et baillées, tantost avoir renoncié expressement aux ressors et souverainetés ; et cependant avoir sursis de user de souveraineté et de ressort ès terres dessus dites, et de recevoir aucunes appellacions et de rescrire à icelles, si comme ces choses et autres sont assez clèrement comprises ès lectres devant dites. Si à partant sursis le roy de France, tant que en ença, de user desdites souverainetés et ressors ; et est tout vray que le conte d'Armignac et le sire de Lebret et tous les autres vassaux et subgiés des seigneuries et terres en Aquitaine en ont fait hommaige lige au roy d'Angleterre, comme à seigneur souverain et lige, et encontre toutes les personnes qui pourront vivre et mourir ; et depuis il ont fait aussi hommaige au prince, retenu et réservé par exprès la souveraineté et le ressort au roy d'Angleterre. Dont par lesdites causes et autres raisonnables, semble au conseil le roy d'Angleterre, que considéré la forme de ladite paix que tant estoit honorable et proffitable au royaume de France et à toute crestienté, que la réception desdites appellacions n'a mie esté bien faite né passée si ordencement né à si bonne affeccion et amour comme il devoit avoir esté fait de raison, parmy le fait et entencion de la paix et les aliances affermées entre eux. Ains semblent estre moult préjudiciables et contraires à l'honneur et à l'estat du roy et de son fils le prince et de toute la maison d'Angleterre, et pourra estre évident matière de rébellion des subgiés, et aussi donner très-grant occasion d'enfraindre la paix, sé bon remède n'y soit mis sur ce plus hastivement. Et comme le roy d'Angleterre s'en est tousdis depuis la paix déporté de soy appeller ou porter roy de France par lectres ou autrement, par mesme la manière, le roy de France s'en déust avoir déporté de user de souveraineté et ressort avant touchiés. Néantmoins au cas que le roy de France vueille amiablement reparer et redrecier lesdis actemptas et remettre lesdis appellans arrière en la vraie obéissance dudit roy d'Angleterre, et faire expressément les renonciations et délaissement des souverainetés et ressort accordés à faire de sa partie, et en envoie ses lectres au roy d'Angleterre par fourme de ladite paix, laquelle chose si est proprement la substance et effet de ladite paix, et sans laquelle elle ne se pourra aucunement tenir ; adonques pense bien ledit conseil que le roy d'Angleterre fera les renonciacions à faire de sa partie, et sur ce envoiera ses lectres au roy de France en quanque il est tenu à faire, selon la forme de la paix dessus dite. »

[275] La plupart des manuscrits portent la commune et pays de Rouergue ; mais on doit préférer la leçon de Charles V et celle du manuscrit de Jean, duc de Berry, no 8302.

[276] Parmerveillant. S'esmerveillant fort.

(C'est la response que fait le roy de France en son conseil aux poins et articles contenus en la bille ou cédule dessus escripte. — Premièrement à ce qui est contenu au commencement de ladite cédule que à la révérence de Dieu, la paix autrefois faite entre les roys pourroit prendre et recevoir bon appointement sé les choses que ledit roy d'Angleterre requiert par ladite cédule lui estoient faites et accomplies et que par ce pourroit estre eschevée très-grant effusion de sanc crestien et bonne paix gardée entre lesdis roys.)

« Que le roy de France a toujours voulu et encore veult tenir et garder ladite paix, né onques ne fist né fera le contraire, au cas que le roy d'Angleterre la tendra de sa partie ; et ce a bien apparu au roy d'Angleterre pour ce qui luy a esté dit et offert derrenièrement par lesdis messages du roy de France, et encore pourra apparoir clerement à tout homme, par ce qui sera touchié brièvement ci-après. Et semble que le roy d'Angleterre et son conseil, sauve leur grace, ne veulent pas que ladite paix reçoive bon appointement ; car les choses qu'il requièrent sont desraisonnables, et en la plus grant partie contre le traictié de la paix. Et n'est tenu le roy de France de les faire par raison né par ladite paix ; et, selon raison, qui veult aucune chose il doit prendre et eslire moiens et causes raisonnables pour y venir et pour avoir et obtenir raisonnablement ce qu'il requiert, autrement on puet dire et tenir par raison qu'il ne la veult pas ; et à la vérité ledit roy de France eust plus chier que le roy d'Angleterre offrist et requerist telles choses et si raisonnables comme il déust faire pour la paix. »

(Item, à ce qui est contenu au premier article de ladite cédulle, faisant mencion de la terre de Belleville et autres contencieuses, et des offres faites par le roy de France pour icelles terres contencieuses.)

« Qu'il est vérité que le roy de France par sesdis messages fist offrir audit roy d'Angleterre, pour le debat de la terre de Belleville et pour toutes autres contencieuses, tant de Picardie comme d'ailleurs dont ledit roy d'Angleterre faisoit ou povoit faire demande à cause du traictié de la paix, et pour la délivrance de tous les hostaiges nobles, la revenue de la commune paix de Rouergue, de laquelle le roy de France fait demande ; de la ville et le chastel de la Roche-sur-Yon, la conté de La Marche, et la terre que monseigneur d'Estampes a en Poitou, à cause de madame sa femme ; lesquelles choses sont très-nobles et de très-grant valeur : et ceste offre faisoit le roy de France, pour avoir paix audit roy d'Angleterre, et pour oster toutes matières de débas et de questions ; car le roy de France n'i estoit né est en riens tenus, ainçois tient et tout son conseil que ledit roy d'Angleterre n'a cause né raison de faire les demandes qu'il fait de la terre de Belleville et autres contencieuses. Et a tousjours offert le roy de France que le pape et l'église de Rome, à qui les parties se sont soubmises de tout l'accomplissement de la paix par foy et sairement, cognoisse et détermine du débat desdites terres contencieuses, veu ledit traictié et oyes les parties sommièrement et de plain. Ou sé le roy d'Angleterre veult que les commissions soient renouvelées aux commissaires autrefois esleus des parties, sur le débat desdites terres ou à autres, encore plaist-il au roy de France ; nonobstant que le roy d'Angleterre, ses commissaires et procureurs aient esté négligens de procéder, et que par leur négligence le roy de France en peust et deust avoir grant proffit, et auroit plus chier le roy que la vérité fu sceue de son fait et de ses deffenses et qu'il en fust jugié, que ce que le roy d'Angleterre preist lesdites terres offertes pour lesdites terres contencieuses : lesquelles offres le roy d'Angleterre et son conseil ont toutes reffusées, et dient qu'il sont bien informés et acertenés qu'il ont bon droit et qu'il n'en prendront aucuns juges ; et ainsi veulent estre juges en leur cause, laquelle chose est contre toute raison. »

(Et quant à ce que le roy d'Angleterre ou son conseil dient audit article qu'il tient ladite commune paix de Rouergue et en a possession, et luy a esté bailliée par le traictié de la paix.)

« Que ledit roy d'Angleterre tient de fait ladite commune paix de Rouergue soubs umbre du pays de Rouergue qui luy a esté baillié, jasoit ce que icelle commune paix ne luy doive appartenir. Et pour ce en fait le roy de France demande, et en veult estre jugié comme dessus ; et pareillement, de la Roche-sur-Yon dit le roy de France que elle ne doit pas appartenir au roy d'Angleterre, et en veult estre jugié comme dessus. »

(Et quant à ce que dit le roy d'Angleterre ou son conseil audit article, qu'il s'informera de la valeur de ladite terre de Belleville, et la prendra, et s'il y a à parfaire, il tient que le roy de France y parfera.)

« Que ladite conté de La Marche et les terres dudit conté d'Estampes n'ont pas été offertes pour ladite terre de Belleville, mais pour toutes les terres contencieuses, et la délivrance des hostaiges nobles, avec ladite commune paix de la Roche-sur-Yon, et pour paix avoir, comme dit est. Car lesdites terres de La Marche et d'Estampes sont plus nobles et valent plus que ne fait ladite terre de Belleville. Et si tient le roy de France qu'il a bailliée ladite terre de Belleville, ainsi comme faire le deust par la paix, et en veult estre jugié comme dit est ; et touteffois avoit fait offrir pour ladite terre de Belleville, la conté de La Marche pour paix avoir, et ledit roy d'Angleterre ne l'a pas voulu faire. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que le roy de France baille audit roy d'Angleterre les autres terres et lieux qui restent encore à baillier au pays d'Aquitaine ou souffisant recompensacion pour iceux, dont ledit roy d'Angleterre soit content.)

« Que le roy de France tient que il a baillié audit roy d'Angleterre tout ce que baillier luy doit en demaine au pays d'Aquitaine par le traictié de la paix ; et s'il y avoit quelque chose à baillier, il a tousjours offert à faire ; mais ledit roy d'Angleterre et le prince son fils occupent et s'efforcent de occuper pluseurs lieux, terres et seigneuries qui ne leur doivent point appartenir par ladite paix. Sur quoy le roy de France a tousjours offert que bonnes personnes soient esleues des parties qui en sachent la vérité, et le roy de France en fera et tendra tout ce qui sera trouvé qu'il en devra faire ; ou que le pape et l'église de Rome en cognoissent comme dessus. »

(Item, quant au second article de ladite bille ou cédule faisant mencion des hommaiges et fiefs de Cayeux, Huppi, Vergies et autres qui restent encore à baillier en Pontieu, Monstereul sur la mer et la terre de l'angle, lesquelles choses ledit roy d'Angleterre dit à luy appartenir si évidemment par ladite paix qu'il ne s'en doit en aucune manière délaissier.)

« Que des choses dessus dites a ledit roy d'Angleterre fait demande au roy de France, et aussi a le roy de France de pluseurs autres choses fait demande audit roy d'Angleterre par devant certains commissaires esleus des parties. Et ont les commissaires esleus de la partie du roy de France et son procureur comparu à toutes les journées et offert à procéder. Mais par la négligence et deffaut des commissaires esleus dudit roy d'Angleterre a esté le temps de ladite commission expiré et failli, et touteffois ont les messages du roy de France envoiés derrenièrement en Angleterre, requis et offert au roy d'Angleterre et à son conseil que ladite commission fust renouvelée, nonobstant leur négligence, aux premiers commissaires ou à autres ; ou que le pape et l'église de Rome en cogneussent, considéré la submission dessus dite. Lesquelles choses ledit roy d'Angleterre et son conseil ont reffusées, en disant qu'ils n'en prendront aucun juge, et qu'il sont bien acertenés de leur droit, laquelle chose appert évidemment inique et contre raison de leur partie, et puet apparoir clèrement à tout homme que le roy de France leur a offert toute raison. »

(Item, quant au tiers et derrenier article de ladite bille ou cédule, auquel est contenu que le conseil au roy d'Angleterre a parfondément pourpensé en merveillant très-entièrement comment le roy de France a receu ou voulu recevoir les appeaux du conte d'Armignac, de sire de Lebret et de leur adhérens, considéré que par le traictié de la paix, il devoit baillier au roy d'Angleterre certaines terres, et, après ce renoncier aus souverainetés et ressors, et cependant devoit surseoir de user de souveraineté et de ressort, et de recevoir aucunes appellacions, et partant en a le roy de France sursis de user jusques à présent.)

« Que le roy d'Angleterre et son conseil ne se doivent point merveillier de ce que le roy de France a receu les appellacions dessus dites ; car par le traictié de la paix, le roy Jehan, dont Dieu ait l'ame, avoit promis de surseoir à user desdites souverainetés et ressors jusques à certain temps ; c'est assavoir jusques à la saint Andrieu qui fu l'an soixante-un, si comme par le traictié de ladite paix puet apparoir, et par espécial en une lettre en laquelle est contenue la clause : c'est assavoir. Et ne pouvoit reffuser lesdites appellacions, veues les sommacions et requestes d'iceux appellans, qu'il ne leur fausist de justice et qu'il ne péchast mortelment, veu ledit traictié de paix. Et ainsi l'a trouvé le roy de France en tout son conseil, eue sur ce meure délibération par pluseurs fois, si comme les messages du roy de France l'ont plus plainement dit audit roy d'Angleterre et à son conseil, de bouche. Et sé le roy de France s'est déporté par aucun temps de user desdites souverainetés, depuis le temps dessus dit qu'il le povoit faire, de tant il a fait plus grant courtoisie au roy d'Angleterre. Né il n'avoit pas esté autrefois sommé d'autres appellans par la manière qu'il a esté à ceste fois par ledit conte d'Armignac et autres appellans ; et pour bien de paix l'a dissimulé par aucun temps et tant comme il a peu bonnement ; jasoit ce que faire le peust, comme dit est dessus. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que ledit conte d'Armignac, le sire de Lebret et autres subgiés d'Aquitaine, ont fait hommaige lige au roy d'Angleterre comme à seigneur souverain et lige contre toute personne qui puisse venir et morir. Et au prince ont fait hommaige, sauve et réservé la souveraineté au roy d'Angleterre.)

« Que le conte d'Armignac et le sire de Lebret, sauve la grace des proposans, ne le dient pas ainsi. Ainsois ont dit au roy que en faisant hommaige au prince, il distrent expressément que il le luy faisoient selon ce que la teneur du traictié l'en portoit, et réservé à eux leur privilèges, franchises et libertés anciennes si avant et par la manière que leur prédécesseurs les avoient eus et en avoient joï ès temps passés. Et ce est trop bien à présumer, car ès lettres et mandement que le roy de France fist aux subgiés de Guyenne de faire obéissance au roy d'Angleterre estoient par exprès retenues et réservées les souverainetés et ressors au roy de France, si comme par l'inspeccion desdis mandemens puet apparoir ; et sé ladite réservation n'y feust, si y estoit-elle entendue de raison, puisque le roy de France ne transportoit pas exprès icelles souverainetés ; et sé ledit conte d'Armignac ou autre l'avoit fait autrement, si ne vaudroit-il né ne se pourroit soustenir, né le roy d'Angleterre ne les poroit recevoir par la manière qu'il maintient, que ce ne fust contre le traictié de la paix ; et aussi ne faisoit le prince. Et en ce faisant ont clerement et notoirement entrepris sur la souveraineté du roy de France, et si ont-il en pluseurs autres manières, car par ledit traictié de la paix en la clause : C'est assavoir, lesdites souverainetés et ressors demeurent au roy de France en tel estat comme elles estoient au temps du traictié de la paix, sans ce que elles puissent estre dictes ou réputées transportées au roy d'Angleterre par lettres quelconques comprises audit traictié, ou autres données ou à donner par dit né par fait quelconques, sé le roy de France n'y renonce expressément ; laquelle chose il ne fist oncques ; ainsois requiert ledit roy d'Angleterre et son conseil par ladite bille que le roy de France fasse lesdites renonciacions. »

(Et quant à ce que contenu est audit tiers article, qu'il semble au conseil dudit roy d'Angleterre que la réception desdites appellacions n'a pas esté bien faite né ordenéement, né en gardant la paix et amour telle comme elle doit estre par ledit traictié et par les aliances faites entre les deux roys.)

« Que, sauve la grace des proposans, ladite réception d'appellacions a bien et duement esté faite, né le roy de France ne le povoit né devoit refuser, comme dit est dessus ; et en ce n'a rien fait contre la paix, mais selon la forme et teneur d'icelle. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que ladite réception d'appellacions est faite en grant injure et vitupère de la maison d'Angleterre et pourra estre occasion de grant rébellion des subgiés et aussi d'enfraindre ladite paix, se remède n'y est mis briefment.)

« Que, en ce faisant, le roy de France n'a fait né voulu faire aucune injure au roy d'Angleterre né à autres. Car les choses qui sont faites deuement par justice et selon raison et exécucion de droit ne peuvent causer injure né deshonneur. Et aussi ladite réception d'appellacions ne donne aucune occasion de rebellion aux subgiés ; ainsois donne occasion d'obéissance. Car appellacion est remède et bénéfice de droit, et pour garder les subgiés d'oppression et pour oster toute voie de fait. Et aussi le roy de France, en ce faisant, n'a donné aucune occasion d'enfraindre la paix parce que dit est, né par ce né autrement n'en voudroit donner cause né occasion. »

(Et quant à ce que contenu est audit article que le roy d'Angleterre s'est bien desporté de soi appeler et porter pour roy de France, et que aussi bien se peust estre desporté le roy de France de recevoir lesdites appellacions.)

« Que ces deux choses sont trop despareilles ; car soy appeler et nommer roy de France regarde la volenté et intérest seulement dudit roy d'Angleterre, mais recevoir les appellacions ou non ne regarde mie seulement l'intérest du souverain ; ainsois regarde principalement l'intérest des subgiés appelans, afin qu'il soient pourveus contre les oppressions des seigneurs demainiers, et pourveu à la requeste et instance des appelans. Et comme astraint à faire justice a receu le roy de France lesdites appellacions, donné rescript à icelles, et fait ce que seigneur souverain puet et doit faire en tel cas par justice et par raison, et n'a en rien usé par voie de fait. »

(Et quant à ce que contenu est en la fin dudit article que sé le roy veult réparer les attemptas et remettre les appelans en l'obéissance dudit roy d'Angleterre et faire les renonciations qui sont à faire de sa partie et ycelles envoie au roy d'Angleterre par ses lettres ouvertes, le conseil du roy d'Angleterre pense que le roy d'Angleterre fera celles que faire devra par le traictié de la paix.)

« Que, sauve la grace des proposans, l'offre des conclusions dessusdites n'est pas raisonnable par pluseurs raisons : La première, car le roy de France n'a fait aucuns attemptas contre ladite paix en recevant lesdites appellacions ; ainsois a fait ce qu'il povoit et devoit faire pour ladite paix : et aussi par ladite appellacion, les appelans sont exemps dudit roy d'Angleterre et du prince son fils et demeurent en l'obéissance du roy de France ; et ainsi il n'est tenu de les remettre en l'obéissance du roy d'Angleterre ou du prince, s'il n'estoit premièrement cogneu des appellacions et qu'il feust dit et jugié que il eussent mal appelé, au quel cas le roy de France feroit ce qu'il devroit, ainsi comme il l'a accoustumé de faire en cas semblable. La seconde raison : car le roy de France, par le traictié de la paix, n'est tenu de renoncier premièrement né avant que le roy d'Angleterre ; né premièrement ne doit pas envoier ses lettres : ainsois il y a certaine forme autre qu'il n'est contenu en l'offre du roy d'Angleterre dessus esclaircie. La tierce raison : que le roy d'Angleterre n'offre pas à faire les renonciations qui sont à faire de sa partie, supposé que le roy de France les féist de sa partie ; ainsois dit le conseil du roy d'Angleterre qu'il pense que le roy d'Angleterre les feroit, laquelle chose ne souffist pas, considéré la forme du traictié de la paix. La quarte raison : car le roy d'Angleterre n'offre pas à envoier les personnes devant lesquelles le roy de France devroit faire lesdites renonciations ; et aussi ne requiert pas que le roy de France luy envoie personnes devant lesquelles il les fera, lesquelles choses il convenist par le traictié de paix. La quinte raison : car le roy d'Angleterre par ladite bille ou cédulle veult que le roy de France luy délivre certaines terres, lesquelles, par le traictié de la paix, ne regardent en rien le fait des renonciations, si comme Monstereul sur la mer, les quatre homaiges dessusdis, la terre de l'angle et pluseurs autres, lesquelles ledit roy d'Angleterre veult avoir pour ce qu'il dit qu'il y a droit et qu'il en est bien enformé ; et le roy de France dit que elles ne doivent point appartenir au roy d'Angleterre par le traictié de la paix : et n'en veult point estre juge en sa cause, ainsois en veult estre jugié par le pape et l'églyse de Rome, à qui les parties se sont soubmises, ou par commissaires esleus ou à eslire des parties, ainsi comme autrefois a esté fait. La sixte raison : car le roy d'Angleterre, par ladite bille ou cédulle, veult que le roy de France luy baille lesdites terres et luy face formelment et clerement tout ce qu'il requiert ; et il offre en général à faire au roy de France ce que faire devra, laquelle chose cherroit en cognoissance de cause, et est obscure et incertaine ; car aux requestes du roy de France n'a fait né voulu faire le roy d'Angleterre né son conseil aucune particulière né certaine response, jasoit ce que pluseurs fois luy ait esté requis. Parquoy puet apparoir clerement et très évidemment que les responses, offres, conclusions et autres choses contenues en ladite bille ou cédulle, sauve la grace des opposans, ne sont mie raisonnablement baillées ou proposées, espécialment par la forme et manière comprise en ladite bille ou cédulle. Et quant le roy d'Angleterre et son conseil vouldront requérir ou offrir aucunes choses raisonnables et selon la forme de la paix ; et aussi feront et vouldront faire de leur partie ce qu'il doivent faire sur les requestes que le roy de France leur a fait faire par ses dis messages envoiés darrenièrement en Angleterre, tant sur le fait du widement des compaignies et sur les dommaiges qu'il ont fait au royaume de France, comme sur les autres choses touchant le traictié de la paix, le roy de France fera très volentiers ce que faire devra de sa partie.

» Item, dit le roy de France et son conseil, afin qu'il appère à tout homme que tout ce qu'il a fait a esté fait bien et duement, et par voie de justice, et sans faire aucune chose contre la paix ; que, par le traictié de la paix et par ce que dit est dessus appert évidemment que les souverainetés et ressors des terres bailliées par la paix au roy d'Angleterre en demaine et aussi de celles qui lui doivent demourer par la paix appartiennent et demeurent au roy de France en tel estat comme elles estoient au temps de ladite paix, puisqu'il n'y a renoncié. Et ainsi le dit clèrement la clause : c'est assavoir. Et aussi est-il certain et appert par ladite bille ou cédulle et par la confession du roy d'Angleterre et de son conseil que le roy de France n'y a point renoncié. Et par icelle bille ou cédulle il requièrent que le roy de France face les renonciations auxdites souverainetés et ressors, ce que il ne requéissent pas sé il y eust renoncié, et par conséquent en povoit et puet user, passé le terme de ladite surséance qui duroit jusques à ladite feste St-Andrieu, l'an soixante-un.

» Item, que, ce nonobstant, le roy d'Angleterre et le prince son fils, ont entrepris et actempté contre icelles souverainetés et ressors en plusieurs manières, et se sont efforciés d'icelles approprier et attribuer à eux, et icelles dénier et empeschier au roy de France auquel seul et pour le tout elles appartenoient et appartiennent comme est dit dessus. Premièrement le roy d'Angleterre et son gouverneur-général de Pontieu, qui est pardessus tous les officiers de Pontieu et lequel le roy d'Angleterre ne peut désavouer, a ordené et publié audit Pontieu que tous ceux qui appelleroient du séneschal de Pontieu audit gouverneur comme à siège souverain et derrain, duquel l'en ne puist partir sé non par proposition d'erreurs comme on fait en parlement, et après ladite ordenance a donné pluseurs ajournemens pardevant luy et ceux qui avecques luy seroient aux appellans des sentences au jugement dudit séneschal ; duquel séneschal de tout temps on doit et est accoutumé d'appeller au baillif d'Amiens sans moien[277] : et ce ont fait ledit gouverneur, le trésorier de Pontieu et autres officiers dudit Pontieu, de l'autorité et volenté dudit roy d'Angleterre et de son conseil d'Angleterre, né autrement ne l'eussent osé faire né si grant chose entreprendre. Et aussi est venu à la connoissance dudit roy d'Angleterre et de son conseil, et l'ont souffert et consenti expressément ou taisiblement ; et aussi ne puet ledit gouverneur estre désavoué comme dit est selon raison, la coustume, et usaige et commune observance de la court souveraine, espécialment en fait de justice et en ce qui puet cheoir en administration et gouvernement de païs.

[277] Sans moyen. Sans intermédiaire.

» Item, que lesdis gouverneur et trésorier de Pontieu, considérans qu'il ne povoient par raison né devoient entreprendre ledit ressort, s'efforcièrent d'enduire les subgiés de Pontieu à ce qu'il voulsissent requérir que ledit ressort leur feust baillié comme souverain et final, sans plus ressortir au roy de France né à sa court de parlement ; et firent assembler à Abbeville, en l'églyse de Saint-Pierre, les gens d'églyse, les nobles et les bonnes villes de Pontieu, et leur baillièrent ou firent baillier une requeste ou supplicacion contenant que lesdis subgiés requéroient et supplioient avoir ledit ressort par devers ledit gouverneur ; et avoit en icelle supplicacion pluseurs queues pour y mettre les seaux desdites gens d'églyse, nobles et bonnes villes, et leur requéroit-on que ainsi le voulsissent faire : mais lesdis subgiés, comme bien avisés et conseilliés, respondirent d'un commun assentiment qu'il n'en requéroient riens et qu'il ne savoient pas que le roy de France eust renoncié à ses souverainetés et ressors, né qu'il les eust transportés au roy d'Angleterre ; et que sur ce, ledit roy d'Angleterre et son conseil féissent ce que bon leur sembleroit. Et d'icelle supplicacion sera bien monstrée la copie sé mestier est ; et estoit icelle supplicacion getée et ordenée par le conseil du roy d'Angleterre, et contenoit, contre vérité, que le roy de France n'avoit audit pays de Pontieu aucune souveraineté, et que la seigneurie d'iceluy païs estoit toute séparée du royaume de France.

» Item, que, ce nonobstant, ledit gouverneur ordena ledit ressort, iceluy fist publier, et en a usé et donné pluseurs ajournemens en cause d'appel, comme dit est dessus, et en entreprenant lesdites souverainetés et en eux efforçant d'icelles attribuer à eux, contre raison, et contre la teneur de ladite paix.

» Item, que ledit roy d'Angleterre, lesdis gouverneur et trésorier ont requis et fait requérir à pluseurs nobles et subgiés dudit Pontieu qu'il feissent seremens d'estre avec le roy d'Angleterre contre toutes personnes qui pevent vivre et mourir, le roy de France ou autres. Et en y a pluseurs qui l'ont fait ainsi par doubtance, si comme l'en dit, et à ceux qui ne le voulurent faire en saisissent leur terres et leur fiefs, et tient-on communelment que Ringois[278] d'Abbeville a esté mort pour ce qu'il ne voult faire ledit serement contre le roy de France ; et fu mené en Angleterre, et après ce qu'il a esté longuement prisonnier détenu, sans lui vouloir ouvrir voie de droit né à ses amis qui le poursuivoient, on l'a fait saillir des dunes du chastel de Douvre en la mer.

[278] Ringois. Variante : Aingois.

» Item, que par icelle meisme manière l'a fait et s'est efforcié de faire ledit roy d'Angleterre et aussi le prince son fils, au païs de Guyenne, en prenant leur homaiges ; et ainsi le confessent-il et est contenu en ladite bille du conte d'Armignac et du sire de Lebret, qu'il ont fait leur homaige au roy d'Angleterre comme seigneur souverain ; et que ainsi l'ont reçu le roy d'Angleterre et le prince son fils.

» Item, que ledit roy d'Angleterre et le prince son fils, tant en Pontieu comme en Guyenne, ont occupé et occupent de fait la seigneurie et connoissance des causes touchant les églyses cathédraux et autres églyses de fondation royale, de ce que icelles églyses tiennent soubs eux ; et toutesvoies icelles églyses sont de la souveraineté et ressort du roy de France seul et pour le tout, né oncques n'y renonça comme dit est dessus. Et supposé que le roy ait mandé par ses lettres à aucunes villes, seigneurs ou païs qu'il obéissent au roy d'Angleterre par la manière qu'il ont fait au temps aux roys de France, c'est à entendre comme à seigneur en demaine, et selon la forme de la paix laquelle est contenue par exprès en la clause : c'est à savoir, que les souverainetés et ressors des païs bailliés en demaine au roy d'Angleterre au royaume de France, demeurent au roy de France en l'état que elles estoient au temps de la paix, sans ce que elles puissent estre dites ou transportées au roy d'Angleterre par lettres contenues au traictié de la paix, né autres données ou à donner par dit, par fait né autrement par quelconque manière que ce soit, jusques à ce que le roy de France y ait renoncié expressément et bailliées ses lettres ouvertes au roy d'Angleterre ; laquelle chose il ne fist oncques.

» Item, que ledit prince a pris ou fait prendre et mettre en prison maistre Bernart Palot et monseigneur Jehan de Chaponnal, commis ou députés, de par le roy de France ou de par son séneschal à Toulouse, à présenter audit prince les lettres du roy de France ; par lesquelles ledit prince estoit adjourné, en cause d'appel, pardevant le roy ou sa court de parlement à Paris, à l'instance et requeste dudit conte d'Armignac ; et les a détenus prisonniers pour lonc-temps, et encore détient en très grand contempt et mesprisement du roy et de sa souveraineté[279], et en actemptant et entreprenant contre icelles souverainetés.

[279] Le manuscrit de Charles V porte sur la marge, à côté de ces mots : No. Que il les fist morir. — Bernard Palot étoit un docteur, juge du roi à Toulouse, comme on le verra vers la fin de l'année 1377.

» Item, que ledit prince, au contempt de ladite appellacion, fait guerre ouverte contre ledit conte d'Armignac et ses adhérens, et procède contre ledit conte et contre iceux par voie de guerre et de fait le plus efforcément qu'il puet ; et font mourir et mettre à mort tous les appellans qu'il trouvent et leur adhérens. Et en ce faisant n'est pas doute qu'il fait guerre contre le roy de France, considéré que lesdis apellans, par ladite appellacion et durant icelle, sont exemps dudit prince et sont en l'obéissance, sauve-garde et proteccion du roy ; et ne leur puet ledit prince meffaire qu'il ne mefface au roi de France et à sa souveraineté.

» Item, que le roy d'Angleterre, en la guerre entreprise et rebellion dessus dite, soustient et a soustenu, conforté et aidié ledit prince son fils, et luy a envoié et envoie tous les jours gens d'armes et archiers pour faire guerre auxdis appellans, et par conséquent ne puet désavouer le fait dudit prince son fils.

» Item, que le roy d'Angleterre et le prince son fils ont pris à leur soldées et gaiges pluseurs gens de compaignies, ennemis du roy et du royaume de France, pour faire guerre contre lesdis appellans, en aidant et confortant iceux et en les receptant en leur terres et seigneuries. Laquelle chose il ne pevent faire par les aliances des deux roys, et une partie desdites compaignies font demourer au royaume de France à Chastel-Gontier et ailleurs, pour iceluy royaume grever et domaigier.

» Item, que en ce faisant monstrent-il clèrement que il ont lesdites compaignies soustenues, aidiées et confortées au temps passé, et que elles sont et ont bien esté en leur commandement, et qu'il avoient bien la puissance de les empeschier à entrer au royaume de France et de les faire widier et mettre hors s'il leur eust pleu ; ainsi comme tenus y estoient par lesdites aliances.

» Item, qu'il n'est pas doubte que en ce faisant, il ont fait contre les bulles et les procès du pape, et en encourant les peines et sentences contenues en icelles, puisqu'il se aident et se sont aidiés desdites compaignies et icelles confortées et aidiées contre le royaume de France, et aussi puisque ils les povoient retraire dudit royaume et il ne l'ont fait, et par spécial leur subgiés nés de leur terres et seigneuries. Et ainsi sont par lesdites bulles et procès tous leur subgiés et vassaux quittes et absous de tous homaiges et seremens èsquiels il leur estoient tenus et astrains, et puet le roy de France assigner et mettre en sa main toutes les terres, seigneuries qu'il tiennent en demaine au royaume de France.

» Item, que darrenièrement ont les gens du roy d'Angleterre chevauchié en Pontieu par manière de guerre, et bouté feux en la maison du seigneur de Chastillon, et fait pluseurs autres choses par voie de fait et de guerre contre droit et les seremens devant fais.

» Item, que en ce faisant, il appert clèrement que lesdis roy d'Angleterre et prince ont commencié à procéder contre le roy de France par voie de guerre et de fait, en venant et en enfraignant icelle ; et en pluseurs autres manières ont entrepris sur le roy de France et sur son royaume et contre ses souverainetés, lesquelles choses et explois seroient trop lonc à reciter. Et par les rebellions, désobéissances, actemptas, mesprisemens et abus dessus dis, ont tant meffait lesdis roy d'Angleterre et prince envers le roy de France et sa souveraineté, qu'il puet et luy loit[280] par raison et par bonne justice assigner et mettre en sa main tous les demaines que lesdis roy d'Angleterre et prince ont au royaume de France, tant en païs coustumier comme en païs de droit escript. Et s'il y a aucuns subgiés ou autres habitans ou demourans en iceux demaines, le roy leur puet requérir que il obéissent à luy et à ses gens en ce faisant, et il y sont tenus d'obéir comme à leur seigneur souverain. Et s'il y a aucuns subgiés ou autres qui en ce fassent désobéissance ou rebellion, le roy de France les puet, sans offence de justice, faire par sa puissance et par main armée venir à obéissance, et faire tant que la force soit sienne ; et en ce, ne peut-on dire ou noter voie de guerre ou de fait, mais que droite et bonne justice ; né par ce on ne puet dire que le roy ait commencié guerre né fait contre la paix en aucune manière.

[280] Luy loit. Lui est loisible.

» Item, que pour les causes dessus dites et à la conservacion de ses souverainetés et en usant d'icelle, a le roy de France assigné et mis en sa main comme seigneur souverain aucunes villes et lieux qui estoient du demaine du roy d'Angleterre : et où il a trouvé obéissance, il y a mis gens de par luy, pour icelles villes et lieux tenir et garder en sa main ; et où il a trouvé désobéissance, il les y contraint par sa puissance et par la manière qui luy loit à faire. Et ainsi le peut-il faire et continuer, s'il lui plaist, par tous les autres lieux et demaines que lesdis roy d'Angleterre et prince ont au royaume de France, et en la souveraineté d'icelui.

» Et par ce que dit est dessus, puet apparoir clèrement à tout homme que tout ce que le roy de France a fait tant en Pontieu comme en Guyenne sur les demaines que le roy d'Angleterre y tenoit, il l'a fait par voie de justice et de raison, et ainsi comme il luy loisoit à faire comme à seigneur souverain ; et n'a en rien procédé par voie de guerre né de fait ; et que le roy d'Angleterre et le prince son fils ont procédé desraisonnablement et par voie de fait, et commencié la guerre contre le roy de France et ses subgiés, et en venant par pluseurs fois et par pluseurs manières contre le traictié de la paix.

» Et pour ce que plus clèrement appère l'entendement des choses dessus dites, et pour monstrer les justificacions du roy de France en ces choses, s'ensuivent ci-après aucunes requestes que le roy de France luy deut faire par le traictié de la paix, et lesquelles les messaiges du roy de France dessus dis ont faites audit roy d'Angleterre ; mais iceluy roy d'Angleterre né son conseil n'y ont fait né voulu faire response.

La première. » Comme audit traictié entre les autres choses est contenu au vint-septiesme et au vint-huitiesme articles et sur ce faites lettres des deux roys, que le roy d'Angleterre est tenu de faire widier et délivrer, à ses propres coux et frais, toutes les forteresses prises et occupées par luy, par ses subgiés, adhérens ou aliés au royaume de France, en quelque partie que ce soit, excepté celles du duchié de Bretaigne et des païs et terres qui doivent appartenir et demourer audit roy d'Angleterre, et le devoit avoir fait dedens la Chandeleur qui fu l'an mil trois cens soixante ; et en icelles lettres sont nommées par exprès lesdites forteresses occupées audit royaume ou grant partie d'icelles. Item, que ledit roy d'Angleterre ne fit widier né délivrer lesdites forteresses dedens ledit terme de la Chandeleur. Item, que celles qui furent widiées après ladite Chandeleur, ou grant partie d'icelles, ne l'ont point esté par ledit roy d'Angleterre né à ses frais né despens, comme faire le devoit ; ainsois l'ont été aux frais et despens du roy et de ses subgiés et des païs où lesdites forteresses étoient assises. Item, que aucunes des forteresses ne furent oncques délivrées, ainsois ont toujours esté occupées et encores sont par ledit roy d'Angleterre ou par ses subgiés ou aliés, c'est assavoir la Roche-de-Pesay[281] ; et toutesvoies ladite Roche-de-Pesay est par exprès nommée audit traictié entre les forteresses qui devoient être widiées et délivrées au païs de Tourraine. Item, par la faute dudit widement, ceux qui demourèrent ès dites forteresses pour ledit roy d'Angleterre ont pillié, gasté et destruit le païs pour le temps qu'il y ont esté, et aussi durement où pou s'en failloit comme il faisoient durant la guerre, levé nouvelles raençons et fait tout le mal qu'il povoient. Item, que par ce a convenu que les païs où lesdites forteresses estoient aient acheté lesdis fors[282] à grans sommes de deniers, pour ce que le roy d'Angleterre ne les faisoit pas widier, nonobstant qu'il en feust pluseurs fois sommé et requis ; et jà soit ce que le roy de France eust fait de sa partie ce que faire devoit pour ledit widement : et seront bailliées, toutesvoies que besoin sera, par déclaration, les forteresses rachetées aux despens du roy et du pays. Item, que en ces choses le roy et ses subgiés ont esté domaigiés jusques à très grans sommes aussi comme inestimables, à déclarer quant temps sera, et desquelles choses le roy doit estre desdommaigié par le roy d'Angleterre. »

[281] La Roche de Pesay. Aujourd'hui Laroche-Posay, sur les limites de la Touraine et du Poitou.

[282] Fors. Forteresses.

La seconde. » Comme entre les deux roys par ledit traictié de la paix, soient faites et passées alliance contre toutes personnes, excepté le pape et le saint-siège de Rome et l'empereur qui est à présent, pour eux, leur enfans, leur hoirs et successeurs, leur royaumes, terres et subgiés quelconques ; et entre les autres choses soit contenu en icelles alliances, que le roy d'Angleterre ne soufferra aucun de ses subgiés né autres quelconques aler né entrer au royaume de France, né en autre terre du roy, ses enfans, hoirs ou successeurs, pour y faire guerre, domaige ou offense aucune, à gaige, à service d'autrui né autrement, par quelconque manière ou cause que ce soit ; ainsois les empeschera ou destourbera de tout son pouvoir, et les ennemis ou malveillans du roy au royaume de France ne receptera en son royaume ou aucunes de ses terres, né aide ou confort ne leur fera ; et sé aucun de ses subgiés faisoient le contraire, ou aussi une guerre villaine ou domaige au roy ou au royaume de France, par ses successeurs ou subgiés il les pourroit ou feroit pugnir si grandement qu'il seroit example à tous autres ; et de tout son pouvoir feroit réparer et adressier tous les domages, actemptas ou entreprises fais à l'encontre ; et sé il faisoit, procuroit ou souffroit sciemment le contraire estre fait, il vouloit encourir les peines contenues ès-dites alliances.

» Item, qu'il n'est pas doubte que par lesdites alliances le roy d'Angleterre estoit et est tenu et obligié à destourber et empeschier de tout son povoir et procurer et faire diligence par deffenses, inhibicions et de toutes autres manières qu'il poroit, que aucun de ses subgiés n'entrast au royaume de France pour y faire guerre ou domaige par manière de compaignies à service ou gaiges d'autruy, ou autrement par quelconque cause que ce soit ; et aussi il estoit et est obligié s'il faisoit le contraire de faire réparer et adressier les seurprises ou actemptas fais par ses subgiés, laquelle chose il devoit faire en les contraingnant à widier le royaume de France, et faisant redressier les domaiges qu'il avoient fais : autrement les actemptas ne seroient pas adressiés né réparés.

» Item, que selon lesdites alliances puisque le roy d'Angleterre estoit tenu de destourber et empeschier que ses subgiés n'entrassent au royaume de France pour y faire guerre, par semblable voie et par plus forte il estoit tenu, s'il y entroient ou faisoient guerre, de les faire widier et retraire dudit royaume.

» Item, que par exprès il est retenu ès-dites alliances, comme dit est dessus, que ledit roy d'Angleterre ne soufferra point le contraire sciemment ; lesquelles paroles emportent que sé il le scet et vient à sa connoissance, qu'il les fera widier et les empeschera de tout son pouvoir, autrement il se soufferroit sciemment et seroit contre lesdites alliances et promesses.

» Item, que par lesdites alliances, ledit roy d'Angleterre est tenu à trois choses : premièrement de non souffrir les subgiés faire guerre ou domaige au royaume de France ; secondement il est tenu de les destourber ou empeschier ; et tiercement il est tenu sé il font le contraire de réparer et adressier leur entreprise et actemptas, et par conséquent de les faire widier du royaume de France, comme dit est dessus, soit qu'il soient entrés par manière de compaignies à service ou gaiges d'autrui, ou autrement : et aussi doit rendre et restablir ou faire rendre et restablir tous les domaiges que le roy, son royaume et ses subgiés ont eu et soustenu pour celle cause, et aussi ne les doit récepter, né à iceux prester conseil, confort ou aide en aucune manière.

» Item, que par lesdites alliances, ledit roy d'Angleterre est obligié de faire les choses dessus dites de tout son povoir, lesquelles paroles sont à entendre civilement et raisonnablement et de tel povoir que le roy d'Angleterre a sur ses subgiés ; c'est assavoir, qu'il leur doit mander et commander qu'il wident le royaume, et sé ils n'obéissent à ses commandemens il les y doit contraindre par sa puissance et main armée et ce emportent les paroles : de tout son povoir, lesquelles sont à entendre cum effectu.

» Item, que, ce nonobstant, les subgiés du roy d'Angleterre et du prince, tant d'Angleterre comme de Guyenne, ont esté au royaume de France, tant par manière de compaignies comme autrement, et y ont fait guerre et tous les domaiges, excès et maléfices que l'en pourroit dire né desclairer, et ont esté pour la grant partie du temps depuis le traictié de la paix, et encores y sont à présent et ont esté dès la derrenière venue par l'espace d'un an continuellement et plus, sans en partir ; tous ou la plus grant partie subgiés et des terres et de l'obéissance dudit roy d'Angleterre et du prince son fils ; et y ont fait et y font de jour en jour domaiges et excès irréparables et aussi comme inestimables[283], et grant partie des pillages portés, réceptés et vendus en Guyenne.

[283] La fin de cet alinéa et le suivant ont été omis dans les éditions précédentes.

» Item, que il est venu à la connoissance dudit roy d'Angleterre, que lesdites compaignies estoient au royaume, et l'en a le roy de France, par pluseurs fois, sommé et requis qu'il les voulsist faire widier et partir du royaume de France et faire reparer les domaiges et actemptas que fais avoient ; laquelle chose le roy d'Angleterre et le prince n'ont pas fait, jà soit ce que faire le peussent et deussent selon le traictié de la paix.

» Item, que supposé que ledit roy d'Angleterre leur ait fait faire aucuns commandemens de bouche de widier le royaume, ce ne doit pas souffire ; car puisqu'il n'obéissent à ses commandemens, il les doit contraindre de fait, autrement il ne faisoit pas bien son devoir né son povoir.

» Item, que ledit roy d'Angleterre, tant pour lesdites alliances comme par une lettre appellée exécutoire passée à Calais, doit punir les dessus dis, ses subgiés, qui feront guerre ou domaige audit royaume de France pour quelconque cause que ce soit comme traistres, et en la manière qu'il est acoustumé à faire en crime de lèse majesté s'il les puet appréhender, ou bannir de son royaume s'il sont absens, et leur biens ou terres confisquer, sans iceux jamais récepter en son royaume, s'il ne se partent du royaume de France, dedens un mois après ce que il en auront esté sommés et requis par aucun des gens dudit roy d'Angleterre ou autre personne publique ; de quoi rien n'a esté fais, ainsois sont et viennent pluseurs d'iceux par le royaume d'Angleterre et par Guyenne, et aussi joyssent de leurs biens paisiblement.

» Item, que pour les choses dessus dites et occasion d'icelles, le roy de France a esté domaigié irréparablement et ses subgiés jusques à sommes ainsi comme inestimables, et desquelles choses le roy de France doit estre desdomaigié par le roy d'Angleterre et lesquelles choses seront bien esclaircies et montrées.

» Item, et avecques ce, fasse le roy d'Angleterre royalment et de fait widier les gens des compaignies qui sont au royaume de France, spécialment ceux qui sont de ses terres et seigneuries et du prince son fils ; et que de ce fasse tout son povoir par la manière que contenu est èsdites alliances. Et plaise au roy d'Angleterre dire aux messaiges du roy de France à cette fois ce qui l'en plaira faire ; car le roy de France tient que le roy d'Angleterre y est tenu par le traictié de la paix et par lesdites alliances. »

La tierce. » Que comme esdites aliances, entre les autres choses soit convenu que sé aucun des deux roys requiert l'autre en son ayde, celui qui ainsi sera requis aidera le requérant et luy donra tout le bon conseil qu'il pourra aux despens du requérant : et il soit ainsi que ledit roy de France ait fait requérir le roy d'Angleterre par ses messaiges qui y furent derrenièrement qu'il voulsist mander et commander à ses subgiés que sé le roy de France les requéroit de luy servir contre les compaignies à ses despens qu'il luy aidassent, et que aussi voulsist mander au prince son fils que il commandast à ses subgiés de Guienne ; et mesmement[284] qu'il y en avoit aucuns qui estoient ses hommes et le devoient servir contre autres personnes que contre le roy d'Angleterre ou ses enfans. Laquelle requeste fu plainement reffusée auxdis messaiges du roy, soubs couleur que le conseil dudit roy d'Angleterre disoit que le roy d'Angleterre avoit à faire de gens d'armes ou doubtoit d'en avoir à faire prochainement, et aussi disoit-il du prince. Sur quoy leur fu requis que il baillassent lesdis mandemens à leur subgiés de servir le roy à ses despens, comme dit est, au cas que ledit roy d'Angleterre ou le prince ne les manderoient ou embesogneroient pour fait de guerre qui leur survenist ; laquelle chose leur fu encore refusée. Et toutesvoies ledit roy d'Angleterre né aussi ledit prince n'avoient né depuis n'eurent aucune guerre pour laquelle il embesognassent ceux que le roy de France requéroit à avoir en son service à ses despens.

[284] Mesmement que. Avec d'autant plus de raison que.

» Item, que, pour ce, en y a eu pluseurs de la duchié de Guyenne qui n'ont osé venir au service du roy, et aucuns qui y sont venus n'y vindrent pas si tost que le roy en eust besoin ; et en ce a esté le roy et ses subgiés grandement domagié et irréparablement.

» Item, que les gens du roy nostre sire estant devant Faye-la-Vigneuse où lesdites compaignies estoient, en entencion d'icelles compaignies combattre, le séneschal de Poitou, où autres gens ou officiers du prince firent commandement de par le prince à pluseurs seigneurs qui tiennent aucunes terres du prince, que il se partissent de d'avec les autres gens du roy nostre sire, et que, sur quanque il se pouvoient meffaire envers ledit prince, ne feussent avec les gens du roy nostre sire né mefféissent auxdites compaignies.

La quarte. » Que comme pluseurs gens de compaignies des terres et seigneuries du roy d'Angleterre et du prince fussent au royaume de France et iceluy gastassent et pillassent en faisant tous les maux et domaiges que l'en sauroit réciter, et pour résister à leur male volenté et iceux faire partir et widier le royaume de France où il estoient, les séneschaux de Thoulouse et de Carcassonne et autres officiers, vassaux et subgiés du roy de France, se fussent assemblés au lieu de Lisledieu au pouvoir du roy nostre sire, les gens et subgiés du prince confortèrent et aidièrent les dessusdis des compaignies par tele manière que les gens de la partie du roy de France furent desconfis, mors et pris, et lesdis séneschaux et pluseurs barons, vassaux et subgiés du roy menés et détenus prisonniers au povoir du prince et raençonnés, et les biens et pillages receus et receptés, et depuis furent mis les prisons à grans et excessives raençons ; et en ce a esté le roy de France et ses subgiés très grandement domagié.

» Item, que de réparer et adrécier les choses dessusdites fu le prince sommé et requis de par le roy de France et de par monseigneur le duc d'Anjou, et furent envoiés messages, lesquels firent lesdites requestes et baillèrent par escript audit prince ou à son chancelier pour luy et de son commandement.

» Item, que jasoit ce que le prince leur fist respondre qu'il estoit courroucié des domaiges qui estoient fais au royaume de France, et que il, quant il seroit retourné d'Espaigne, en feroit son adrecement, toutesvoies rien n'en fu fait en effet, si comme ces choses peuvent apparoir clerement par instrument publique fait et donné sus lesdites requestes et responses ; et a faillu que les officiers et subgiés du roy ou grant partie d'eux se raençonnassent très excessivement, et plus que faire ne deussent en guerre ouverte, et soustenissent pluseurs autres domaiges ; et doivent lesdis dommages estre restitués et réparés comme fais contre les alliances et traictié de la paix faite entre les deux roys.

» Item, et oultre les choses dessusdites, nouvellement est advenu que Gursomile[285] et autres capitaines desdites compaignies sont venus au royaume d'Angleterre à Londres et ailleurs, et là ont demouré et esté réceptés par pluseurs journées et y ont été rafreschis de chevaux, hernois, gens d'armes et archiers qu'il en ont menés et de toutes autres choses qu'il ont voulu avoir, et que plus est, dient aucuns qu'il ont esté au propre hostel du roy d'Angleterre receus et festoiés.

[285] Gursomile. Variante : Garsonailles.

La quinte. » Que comme par le traictié de la paix il soit dit, c'est assavoir au neuviesme article, que sé aucunes terres sont bailliées au roy d'Angleterre par le traictié de la paix, lesquelles ne furent autrefois des roys d'Angleterre, il les aura en l'estat que il estoient au temps dudit traictié ; et il soit ainsi que au temps de la paix et par avant, la royne Blanche tenoit paisiblement et prenoit par sa main la revenue de la commune paix de Rouergue au prix de dix mil livrées de terre ou rente ou environ ; et le prince ou ses subgiés pour luy détiennent et occupent de fait ladite commune paix de Rouergue, et ont levée par pluseurs années, né délivrer ne la veulent ; et toutesvoies la séneschaucie né la terre de Rouergue n'avoient onques esté au roy d'Angleterre avant ladite paix ; si soit ladite commune paix mise au délivre avec les arrérages qui en ont esté levé pour huit ans ou environ, qui montent pour chascun an dix mil livres ou environ.

La sixiesme. » Que comme par ledit traictié de la paix les souverainetés et ressors du roy nostre sire lui doivent demourer entièrement sans ce que le roy d'Angleterre en puisse ou doie user en aucune manière ; et il soit ainsi que le roy d'Angleterre et le prince son fils se sont efforciés et encore s'efforcent en pluseurs manières de user desdites souverainetés et ressors, si comme en Pontieu où il ont nouvellement ordené un siège d'appellacions pardevant le gouverneur de Pontieu, pour cognoistre des appellacions qui se feront du séneschal de Pontieu ; duquel séneschal l'en doit appeller sans moien au gouverneur du baillif d'Amiens et de là en Parlement à Paris, et ainsi il a esté fait de tous temps.

» Item, que le roy d'Angleterre, ses gens ou officiers pour luy, ont ordené en ladite conté de Pontieu, que quiconques appellera dudit séneschal, qu'il appelle audit gouverneur de Pontieu comme siège souverain et final ; et de fait ont donné ajournemens et rescrips en cause d'appel pardevant ledit gouverneur de Pontieu, en usurpant et entreprenant lesdites souverainetés et ressors.

» Item, cognoissent et s'efforcent de cognoistre des causes touchans les églyses cathédraux et autres églyses de fondacion royal, laquelle chose nul ne puet faire que le seigneur souverain tant seulement ; et généralment s'efforcent de tout leur povoir de entreprendre à user desdites souverainetés et ressors, tant en Guyenne en donnant ajournemens en cause d'appel que autrement, jasoit ce que faire ne le pevent né ne doivent : ainsois en puet user le roy de France seul et pour le tout comme dit est.

» Item, que veues et considérées les choses dessusdites, lesquelles sont venues de nouvel à la cognoissance du roy de France, il appert que le roy d'Angleterre et le prince doivent cesser de user desdites souverainetés et ressors, et que tout ce que fait en ont doit estre rappelé et mis au néant.

La septiesme. » Que comme ledit roy d'Angleterre et le prince son fils, soubs umbre et couleur dudit traictié de la paix, aient occupé et de fait détiennent et occupent pluseurs villes, chasteaux, terres et lieux, lesquels, par ledit traictié, ne leur doivent estre bailliés, né à eux appartenir né demourer ; et aussi aient lesdis roys d'Angleterre et prince, par eux, leur gens et officiers, fait et exercé pluseurs explois de seigneurie et de justice en pluseurs lieux où il ne le povoient faire né devoient ; ainsois en appartient la justice et seigneurie au roy de France ou à ses vassaux et subgiés, lesquelles occupacions et explois seront déclarés sé besoin est. Si se doivent lesdis roy d'Angleterre et prince cessier et délaissier desdites occupacions et explois, et tout ce qu'il ont fait doit estre rappelé du tout et mis au néant ; et avec ce rendre et restituer tout ce qu'il en ont pris, levé ou emporté par eux, leur gens ou officiers.

La huitiesme. » Que comme le roy de France ait fait et accompli tout ce à quoy il estoit tenu par le traictié pour avoir la quinte partie des hostaiges nobles qui sont en Angleterre, que ladite quinte partie luy soit délivrée ; et pour ce demande ceux dont les noms s'ensuivent : c'est assavoir le conte de Harecourt, le seigneur de Montmorency, le conte de Porcien et le sire de Roye. — Par le roy en son conseil ou assemblée tenue à Paris le onziesme jour du mois de may, l'an mil trois cent soixante-neuf[286]. »

[286] Le manuscrit de Charles V porte en marge l'observation suivante : No : Que pour l'ocasion des choses dessusdites recommença guerre entre les deux roys de France et d'Angleterre.

XXI.

Le mariage de monseigneur de Bourgoigne et de madame Marguerite, fille du conte de Flandres.

L'an mil trois cent soixante-neuf dessusdit, le dix-neuviesme jour du mois de juing, le mariage de monseigneur Phelippe, frère du roy de France et duc de Bourgoigne, et de Marguerite, fille de messire Loys conte de Flandres, fu fait et célébré en l'abbaye de Saint-Bavon de Gand par l'evesque de Tournay : et ot en ladite abbaye ce jour moult belle et notable feste. Et l'endemain, jour de mercredi, ledit duc de Bourgoigne donna à disner à toutes gens qui y vouldrent disner en l'abbaye de St-Père de Gand, en laquelle il estoit logié et en laquelle il estoit descendu le lundi précédent environ disner. Et jousta-l'en et fist-l'en moult belle feste le mardi, mercredi et jeudi ; et y furent le duc de Breban oncle dudit duc de Bourgoigne, et la duchesse de Breban, qui estoit tante de ladite Marguerite, duchesse de Bourgoigne ; et aussi avoit icelle Marguerite esté par avant femme du duc Phelippe de Bourgoigne, qui avoit esté trespassé l'an mil trois cent soixante-un, et ainsi fu duchesse de Bourgoigne deux fois. Et par le traictié de ce derrain mariage fait le dix-neuviesme jour de juin, comme dit est, les villes de Lille, de Douay et d'Orchies, avec les chastiaux et chastellenies et toutes les appartenances, furent bailliées audit conte lors de Flandres, par certaines manières et condicions, si comme par le traictié puet apparoir, dont la teneur ensuit :

XXII.

Le traictié du mariage.

« Traictié et accordé est par nous Pierre, evesque d'Aucerre, Gauchier, seigneur de Chasteillon, et maistre Arnaud de Corbie, au nom et pour le roy nostre sire, qui estions envoiés de par lui pour traictier du mariage de monseigneur le duc de Bourgoigne et madame Marguerite, fille monseigneur de Flandres, duchesse de Bourgoigne, par vertu de certaine commission et povoir à nous sur ce baillié de par le roy, d'une part ; et le conseil monseigneur le conte de Flandres, au nom et pour ledit conte, d'autre, en la manière qui s'ensuit. Premièrement pour sanctifier et faire raison à monseigneur de Flandres, tant de dix mil livrées de terre à héritaige qu'il demandoit au roy nostre sire par lettres du roy Jehan de bonne mémoire, son père darrenièrement trespassé que Dieu absoille, et par les siennes sur ce faites, et des arrérages d'icelles pour pluseurs années, comme de cent mil deniers d'or à l'escu, pour la récompensacion de sa monnoie de Clamecy, et pour le paiement de certaine quantité de gens d'armes tenues par lonc-temps à Gravelinghes ; nous, au nom du roy, pour faire raison audit monseigneur de Flandres de ladite demande, et pour le roy en acquitter vers luy, avons accordé que le roy donera et baillera, pour lesdites dix mil livrées de terre, en héritaige perpétuel, audit monseigneur de Flandres et à ses hoirs et successeurs, contes ou contesses de Flandres, les villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douai et d'Orchies, et toutes leur appartenances, baillies, patronaiges, nobletés et appendances quelconques, que les prédécesseurs dudit monseigneur de Flandres, contes de Flandres, tenoient au temps que elles furent transportées ès prédécesseurs du roy, par la manière et condicions qui s'ensuivent : c'est assavoir que au cas que ledit monseigneur de Flandres n'aroit hoir masle de son corps en loyal mariage, lesdites villes, chasteaux et chastellenies appartenans et appendans quelconques, seront héritaige de madame la duchesse de Bourgoigne, sa fille, de ses hoirs masles procréés du corps dudit monseigneur le duc de Bourgoigne, et aussi des hoirs masles procréés et descendans en droite ligne et en loyal mariage de leurs dis hoirs masles ; et que au cas que ledit monseigneur de Flandres, en loyal mariage n'auroit hoir masle, né ladite madame la duchesse de Bourgoigne sa fille aussi n'auroit hoir masle procréé du corps dudit monseigneur le duc de Bourgoigne comme dessus est dit, et que ladite ligne en descendant des hoirs masles dudit monseigneur de Flandres et de ladite madame de Bourgoigne procréés dudit monseigneur de Bourgoigne, comme dit est, faudroit ; par quoy en aucun temps avenir la conté de Flandres eschéist à fille ou à autres hoirs masles et femelles : le roy et ses successeurs roys de France pourront en ce cas ravoir lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances, en baillant dix mil livrées de terres à héritaige par monnoie de Flandres courant le sixiesme jour du mois de novembre l'an mil trois cens cinquante-cinq, — c'est assavoir, le marc d'argent au marc de Troyes pour cent dix-huit sols parisis, — aux hoirs de monseigneur de Flandres, contes ou contesses de Flandres, assises en franc demaine bien et souffisaument ; c'est assavoir, les cinq mil livrées de terre dedens le royaume de France, entre la rivière de Somme et Flandres en descendant jusques à la mer ; et les autres cinq mil livrées de terre près des contés de Nevers ou de Rethel. Et au cas qu'il plaira au conte ou contesse de Flandres qui sera au temps du rachat, il aura pour les dis cinq mil livrées de terre dessus dis, qui se trouvent à seoir près des contés de Nevers ou de Rethel, comme dit est, argent. C'est assavoir pour le denier de rente, quinze deniers paiés à une fois monnoie de France[287], ou vint deniers paiés tout à une fois de ladite monnoie de Flandres, lequel qu'il plaira mieux au conte ou contesse de Flandres, qui sera au temps dudit rachat ; lequel rachat, sé ledit duc de Bourgoigne aloit de vie à trespassement, sans laissier hoir masle procréé de son corps et du corps de ladite duchesse, que Dieu ne veille, le roy né ses successeurs ne pourroient ce faire durant la vie de ladite duchesse de Bourgoigne, tant qu'elle se tendra de remarier, ou sé elle se marie de la volenté et assentement du roy nostre sire ou de ses successeurs roys de France ; et tenront les successeurs dudit conte de Flandres, contes ou contesses de Flandres les cinq mil livrées de terre qui seront assises entre la rivière de Somme, la conté de Flandres et la mer, comme dessus est dit, en un homaige avec la conté de Flandres, et en partie aussi noblement comme ladite conté de Flandres est et doit estre tenue de la couronne de France. Et avec ce, il tenront les autres cinq mil livrées de terre, qui seront assises, comme dit est, près desdis contés de Nevers ou de Rethel, à une foy et à un homaige à par luy aussi noblement comme celle desdites contés dont elles seront plus près assises est tenue de la couronne de France. Et lesdites villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douai et d'Orchies, et toutes les appartenances et appendances d'icelles tenront ledit monseigneur de Flandres, ses hoirs masles, ladite duchesse de Bourgoigne, sa fille, ses hoirs masles, leur hoirs et successeurs contes et contesses de Flandres en un homaige et en pairie avec la conté de Flandres, et aussi noblement que ledit monseigneur de Flandres tient et doit tenir ladite conté de Flandres ; réservé au roy et à sesdis successeurs roys de France, le fié, ressort et souveraineté desdites villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, et des appartenances et dépendances d'icelles, et les drois royaux que les prédécesseurs du roy y avoient au temps que elles estoient ès mains des contes de Flandres, prédécesseurs dudit monseigneur de Flandres ; et aussi réservé au roy et à sesdis successeurs, roys de France, le rachat desdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances, au cas et par la manière et condicions dessusdis. Et ne seront tenus les hoirs dudit monseigneur de Flandres, contes ou contesses de Flandres, de baillier et rendre iceux chasteaux, villes, chastellenies, appartenances et appendances ès mains du roy ou de ses successeurs, roys de France, jusques à ce que lesdites dix mil livrées de terre parisis, monnoie de Flandres dessusdite, leur seront assises plainement en franc demaine et délivrées par la manière dessus déclarée, et qu'il en aient la paisible possession, réalment et de fait. Lesquelles villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances quelconques de Lille, de Douay et d'Orchies, le roy et ses successeurs, roys de France, seront tenus de deschargier de toutes charges et assignacions faites sur icelles, à héritaige, à vie, à terme ou autrement, et puis que elles furent bailliées à sesdis prédécesseurs roys de France ; et en prendra le roy nostre sire dès maintenant la charge sur luy et en acquittera et sera garant audit monseigneur de Flandres, ses hoirs et successeurs, vers tous ceux qui aucune chose luy en pourroient ou vouldroient demander ; sauf que sé aucunes rentes en sont aliénées en héritaige à églyse, depuis ledit temps, le roy sera tenu de en faire recompensacion audit monseigneur de Flandres en autre terre assise bien et souffisamment, entre la rivière de Somme et ladite conté de Flandres en franc demaine, près desdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances quelconques, tout en un hommaige avec ladite conté de Flandres ; ou le roy paiera audit monseigneur de Flandres pour mil livrées de terre par an, sé tant y a, vingt mil florins d'or frans de France pour une fois ; et sé plus ou moins y a, à l'avenant. Laquelle assiete ou paiement le roy fera parfaite et accomplie, comme dit est, audit monseigneur de Flandres dedens le jour de la feste saint Remy, en octobre prochain à venir au plus tart ; et de ce asseurera bien et souffisamment ledit monseigneur de Flandres par bons plaiges et souffisans, agréables audit conte et qui s'en feront débteurs principaux avant le mariage. Et pour ce que depuis que lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et dépendances vindrent ès mains de sesdis prédécesseurs roys de France, iceux prédécesseurs ont acquis le chastel et la terre de l'Escluse, emprès Douay, qui meuvent et sont d'ancienneté du fié et du ressort du chastel de Douay, le roy vouldra, promettra et consentira que ledit conte de Flandres et ses hoirs, par la manière dessusdite, en aient hommaige d'un homme héritier de la terre, et tout autel droit, ressort et souveraineté sur lesdis chastel et terre de l'Escluse, comme ses prédécesseurs, contes de Flandres y avoient, quant lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances de ville de Douay et d'Orchies estoient en leur mains, nonobstant que les prédécesseurs du roy aient acquis le demaine. Et sera tenu ledit conte de Flandres de faire derechief homaige au roy de la conté de Flandres et desdites villes, chasteaux, chastellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, et des appartenances et appendances d'icelles adjointes à icelle conté, à tenir en un hommaige et en partie, comme dit est, en la manière que derrenièrement il fist hommaige au roy de la conté de Flandres. Et si asseurera ledit monseigneur de Flandres le roy, et obligera luy, ses hoirs et successeurs quelque part qu'il soient audit royaume, de rendre et baillier au roy et ses successeurs, roys de France, lesdis chasteaux, villes, chastellenies, appartenances et appendances de Lille, de Douay et d'Orchies, au cas que les condicions dessusdites avenroient, que Dieu ne veuille, et que on les racheteroit par la manière dessusdite. Et quant à ce, soumettra ledit conte soy, sesdis hoirs et successeurs et lesdis biens et terres de luy et d'eux à la juridicion et contrainte du roy et de ses successeurs, roys de France et de sa court, par lesquelles lesdis hoirs et successeurs seront contrains à ce et non autrement, ledit rachat premièrement fait par la manière que dessus est dit ; et les hoirs et successeurs dudit conte de Flandres aians premièrement, royalment et de fait la possession paisible de ladite récompensacion deuement faite et sans fraude. Et par espécial, vouldra ledit monseigneur de Flandres, sé ses hoirs estoient défaillans de rendre et baillier lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances de Lille, de Douay et d'Orchies et des appendances quelconques, que adont le roy et ses successeurs roys de France puissent, s'il leur plaisoit, saisir et arrester toutes leur terres dessusdites, et contraindre les hoirs dudit conte par toutes voies raisonnables, par sa jusridicion temporelle et non autrement, afin que lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et dépendances dessusdites luy feussent rendues. Et icelles rendues, le roy sera tenu de tantost oster et mettre au nient les arrests et saisines et tous empeschemens mis aux terres, biens et possessions dessusdites sans nul contredit, et en baillera ledit conte ses lettres. Et en oultre, baillera le roy audit conte de Flandres pour pluseurs grans sommes d'argent en quoy il est tenu à luy, pour les demandes dessusdites, deux cens mil deniers d'or francs de France, desquels le roy luy paiera cent mil francs huit jours avant ledit mariage ; et les autres cent mil francs luy fera le roy paier et délivrer en sa ville de Bruges, dedens deux ans après ledit mariage fait, à quatre termes et par quatre fois ; c'est assavoir : vint-cinq mil francs en la fin de demy an après ledit mariage, et après, de demy an en demy an à chascun terme vint-cinq mil : et de ce luy donra le roy ses lettres obligatoires et bons plaigemens et souffisans agréables audit conte de Flandres, qui de ce s'obligeront bien et souffisamment par lettres, en leur propres et privés noms et chascun pour le tout envers ledit conte de Flandres, s'aucune deffaute avoit au paiement desdis cent mil francs aux termes dessus déclarés ; et de ce donront bonnes lettres et souffisans, teles qui souffisent audit monseigneur de Flandres ; et par baillant royalment et de fait audit conte de Flandres lesdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances et la possession paisible d'icelles comme dessus est dit, le roy et ses successeurs roys de France et autres pour ce obligiés, sont et seront quictes envers luy et ses hoirs et successeurs des dix mil livrées de terre dessusdites. Et aussi par luy paiant, comme dit est, les deux cens mil francs, sera le roy quicte envers luy et sesdis successeurs de tous les arrérages d'icelles dix mil livres de rente et des dessusdis cent mil escus pour les gens d'armes qu'il tient à Gravelinghes et pour le reste de sa dite monnoie de Clamecy. Et sera tenu ledit monseigneur de Flandres rendre au roy toutes lettres qu'il a sur ces choses du roy Jehan, père du roy à présent, et de luy ou d'autres pour ce obligiés ; et dès maintenant veult que elles soient nulles, et jamais n'en pourront ledit conte né ses successeurs aucune chose demander au roy né à ses successeurs ou autres pour ce obligiés, comme dit est. Et avec ce promettra le roy audit monseigneur de Flandres que la possession desdites villes, chasteaux, chastellenies, appartenances et appendances quelconques de Lille, Douay et d'Orchies, il luy fera baillier et délivrer royalment et de fait, et luy paier plainement les premiers cent mil francs dessusdis, avant que le mariage se fasse en sainte églyse. Et iceluy mariage fait en sainte églyse, comme dit est, ladite duchesse de Bourgoigne demourra au pays de Flandres par un an après ledit mariage fait, ou par tant de temps d'iceluy an comme il plaira audit monseigneur de Flandres ; et voudra et consentira le roy pour luy, ses hoirs et successeurs, roys de France, que toutes lettres et munimens que il a ou puet avoir ou autres de par luy dudit monseigneur de Flandres ou de ses prédécesseurs audit pays de Flandres, touchans, en quelque manière que ce puisse être, le transport fait par ledit conte ou ses prédécesseurs aux prédécesseurs du roy, desdis chasteaux, villes et chastellenies de Lille, de Douay, d'Orchies, et des appartenances et appendances d'iceux quelconques, soient nulles et de nulle valeur, et dès maintenant les annullera et cassera et cognoistra et vouldra estre de nul effet, force ou vertu, soubs quelconque teneur que elles soient en tant comme elles puent ou pourront estre au temps avenir contraires ou préjudiciables aux choses dessusdites ou aucunes d'icelles ; et que d'icelle le roy né ses successeurs, né autres pour luy né pour sesdis hoirs et successeurs, ne se pourra aidier par quelque manière que ce soit à l'encontre desdites choses ou d'aucunes d'icelles. Toutes lesquelles choses dessusdites et chascunes d'icelles, en la manière que dessus elles sont déclarées de point en point, eue sur ce meure délibération avec pluseurs de son sang et autres de son conseil, le roy promettra pour luy et sesdis successeurs, et aussi pour ledit duc de Bourgoigne son frère, dont il se fera fort, en bonne foy, en loyauté et parole de roy, tenir, garder et accomplir de point en point sans enfraindre ; et que il né sesdis hoirs et successeurs, né aussi son dit frère le duc de Bourgoigne ne venront par eux né par autres, en aucun temps à venir à l'encontre ; et à ce s'obligera et sesdis hoirs et successeurs roys de France, loyaument et en bonne foy, sans fraude, nonobstant que lesdis chasteaux, villes et chastellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, et les appartenances et appendances quelconques d'icelles feussent appliqués au demaine de la couronne de France ; et en et d'iceluy demaine aient esté et demouré par lonc temps, quelconques révocacions généraux ou espéciaux que le roy ou ses prédécesseurs aient fait, et que il ou ses dis hoirs et ses successeurs facent ou puissent faire au temps à venir par droit royal ou autrement des dons ou aliénacions fais ou à faire du demaine de ladite coronne de France, quelconques autres dons ou graces fais audit conte de Flandres ou sesdis prédécesseurs par les prédécesseurs dudit roy de France ou par luy-meisme ; que iceux autres dons ou graces ne soient spécifiés ou esclaircis ès lettres qu'il en donra ; et quelconques constitutions, édis, ordenances, coustumes, style ou usages de la court de France ou autres choses quelconques à ce contraires. Lesquels révocacions, constitucions, édis, ordenances, coustumes, styles ou usages et toutes autres choses, en tant comme il sont ou pourroient estre contraires ou préjudiciables aux choses dessusdites ou à aucunes d'icelles, le roy cassera, rappellera et mettra du tout au nient, pour luy, ses hoirs et successeurs par la teneur de ces lettres. Et pour les choses dessusdites faire et accomplir audit monseigneur de Flandres par la manière dessus déclarée, et pour baillier toutes lettres et seurtés à ce appartenans, d'un costé et d'autre, seront les gens du roy à Lille, au dimenche prochain avant la Penthecouste prochaine venir. Et toutes ces dites choses parfaites entièrement audit monseigneur de Flandres, il veut et consent dès maintenant en ce cas le mariage des dessusdis monseigneur le duc de Bourgoigne et de madite dame la duchesse de Bourgoigne sa fille ; et que dès lors en avant, on procède à la solempnisation dudit mariage, à tel jour qu'il plaira au roy et le plus brief qu'il pourra se faire bonnement. En tesmoin de ce, nous Pierre, evesque d'Aucerre, Gauthier, seigneur de Chasteillon, et Arnault de Corbie, pour la partie du roy, pour lequel nous nous faisons fors ; et nous Henry de Bevre, chastellain de Diquemme ; Bauduins, sire de Praet, et Roland, sire de Poukes, conseilliers monseigneur de Flandres pour sa partie, et pour lequel nous nous faisons fors, et qu'il promettra pour luy et pour madite dame de Bourgoigne, sa fille, de tenir et acomplir toutes les choses dessusdites et chascunes d'icelles, en tant comme elles touchent à eux et à chascun d'eux, avons plaqués nos seaux à ce présent traictié, lequel fu fait à Gand le jeudi douziesme jour du mois d'avril après Pasques, l'an de grace mil trois cens soixante-neuf. »

[287] C'étoit par conséquent un intérêt à six pour cent. Il me semble que dans l'opinion la plus répandue, l'intérêt de l'argent passoit pour être alors bien plus considérable. — Tout ce traité est méconnaissable dans les éditions précédentes.

XXIII.

Coment le duc de Lenclastre vint à Calais pour guerroier France ; et coment le duc de Bourgoingne et les François alèrent à Tourneham.

Le dimanche, quinziesme[288] jour de juillet, l'an mil trois cens soixante-neuf dessus dit, le roy parti de Paris et ala au giste à Saint-Denis pour aler à Rouen, et de là à Herefleu, pour veoir le navire que il avoit fait assembler pour faire passer en Angleterre : et avoit le roy ordené que monseigneur le duc de Bourgoigne, son frère, y passeroit, et avecques luy de bonnes gens d'armes, pour faire guerre au roy d'Angleterre en son pays, qui l'avoit commenciée. Mais assez tost après, le duc de Lenclastre, fils dudit roy d'Angleterre, passa à Calais et grant quantité de gens d'armes et de archiers avecques luy, et chevauchèrent jusques à Thérouenne et jusques à Aire et boutèrent les feux par le païs où il passèrent ; et pour celle cause, le roy de France qui estoit ès parties de Normendie, fu conseillié de envoier son dit frère le duc de Bourgoingne et les gens d'armes qui estoient devers luy ès parties où estoit ledit duc de Lenclastre. Si se traist ledit duc de Bourgoingne celle part, et approuchièrent les François des Anglois si près, que le vint-troisiesme jour du mois d'aoust ensuivant, ledit duc de Bourgoingne et sa compaignie se logièrent sur la montaigne de Tourneham, près d'Ardre ; et les Anglois furent logiés entre Guynes et Ardre, à une petite lieue des François ; et chascun jour y avoit des escarmuches. Et finablement, à l'entrée du mois de septembre, furent esleus de chascune des deux parties six chevaliers pour eslire une place en laquelle il se combattroient, et tousjours estoit le roy environ Rouen, et en celuy temps, le roy de Navarre qui longuement avoit demouré en Navarre, vint, par la mer, en Constantin, et envoia monseigneur Legier d'Orgesis et Guerart Mausergent devers le Roy de France, et luy fist savoir que il vendroit devers luy sé il luy plaisoit ; mais il avoit à luy faire aucunes requestes, lesquelles il diroit volentiers à aucuns du conseil du roy, sé il luy en vouloit aucuns envoier. Et pour ce, y envoia le roy le conte de Sarebruche, le doyen de Paris et maistre Pierre Blanchet. Et en ce temps le siège se leva que avoient mis devant Saint-Sauveur-le-Viconte le sire de Craon, le sire de Laval, le sire de Cliçon, et pluseurs autres chevaliers et écuiers de la partie du roy de France, pour ce que ledit Saint-Sauveur se tenoit pour messire Jehan de Chandos, Anglois, et que au chastel dudit Saint-Sauveur se estoient mis et retrais pluseurs gens de compaignie jusques au nombre de mil combattans ou de plus. Et la cause pourquoy se leva ledit siège, fu, si comme l'en disoit, pour ce que ledit sire de Cliçon s'en ala et enmena ses gens. Si ne demourèrent pas les autres si fors que il peussent tenir le siège. De laquelle chose le roy fu trop dolent, et manda au seigneur de Craon et aux autres qu'il retournassent audit siège.

[288] Quinziesme. Et non pas vint-cinquiesme, comme les éditions précédentes et beaucoup de manuscrits. Cette année-là, le 25 tomboit un mercredi.

XXIV.

Coment l'ost de Tourneham desloga, et de la prise de messire Hue de Chastillon, et le chastellain de Beauvais et pluseurs autres.

Le mercredi, deuxiesme jour de septembre ensuivant, de nuit, ledit duc de Bourgoingne qui, dès le vint-troisiesme jour d'aoust précédent, avoit esté logié sur le mont de Tourneham, près d'Ardre, devant le duc de Lenclastre, se desloga et tout son ost et s'en ala à Hesdin, dont moult de gens furent courrouciés, qui avoient espérance que il deust combattre audit duc de Lenclastre ; et en furent, tant ledit duc comme les autres François qui estoient en sa compaignie, moult blasmés de toutes gens ; car les François estoient meilleurs gens que les Anglois, et si estoient en forte place et avoient assez vivres. Et assez tost après le duc de Lenclastre et ses gens se délogièrent et chevauchièrent vers le païs de Caux et passèrent la rivière de Somme à la Blanquetaque, et alèrent jusques à Harfleu, en propos d'ardoir le navire du roy de France qui là estoit ; et ardirent en la conté de Eu grant foison du païs par où il passèrent. Et lors n'avoient esté encore ceux du païs de Caux domaigiés des guerres, comme les autres parties du royaume avoient esté. Si ne porent lesdis Anglois aucune chose meffaire à Harfleu né audit navire, et s'en retournèrent par la conté de Pontieu ; et au-dehors d'Abbeville prindrent monseigneur Hue de Chasteillon, maistre des arbalestriers, le chastellain de Beauvais et aucuns autres chevaliers, escuiers et bourgois de ladite ville qui estoient issus hors, et les emmenèrent à Calais.

XXV.

De la venue de la duchesse de Bourgoingne à Paris.

Item, le mercredi vint-deuxiesme[289] jour de novembre mil trois cens soixante-neuf dessus dit, la duchesse de Bourgoingne, dont parlé est ci-dessus, entra à Paris, qui venoit de Flandres, et alèrent contre luy tous les prélas qui lors estoient à Paris, le cardinal de Beauvais, les nobles et grant nombre de bourgois de Paris, par le commendement du roy, et descendi en l'ostel du roy à St-Paul, là où elle fut reçue très honnorablement du roy et de la royne. Item, en celuy temps, le roy de France ordena de envoier gens en Angleterre, par le païs de Galles, et les y devoient conduire deux Galais, l'un appellé Yvain de Gales et l'autre Jaques Win, autrement le Poursivant d'amours, lesquels se disoient estre ennemis du roy d'Angleterre ; et deurent estre à Harfleu le sixiesme jour de décembre mil trois cens soixante-neuf dessus dit, pour entrer tantost en mer ; car le premier voyage que le roy avoit empris de faire par son frère le duc de Bourgoingne avoit esté roupt[290] par la chevauchiée qui fu faite à Tourneham, dont dessus est faite mencion.

[289] Vint-deuxiesme. Ou plutôt vint-et-uniesme.

[290] Roupt. Rompu.

XXVI.

De l'ordenance des finances faite pour soutenir le fait des guerres.

En celuy temps, le roy fist convocacion des gens d'églyse, des nobles et des bonnes villes de son royaume, pour estre à Paris le septiesme jour de décembre mil trois cens soixante-neuf dessus dit ; et leur fist exposer le fait de la guerre, à laquelle il ne povoit gouverner sans avoir finance de son peuple, et leur requist aide pour faire sa dite guerre. Et après pluseurs assemblées fu accordé que le roy aroit pour l'estat soustenir de luy, de la royne et de monseigneur le dauphin, son fils, l'imposicion de douze deniers pour livre et la gabelle du sel ; et si lèveroit-l'en pour la guerre un fouage de quatre francs pour chascun feu en ville fermée ; et en plat pays un franc et demi partout, le fort portant le foible. Et oultre, l'en paieroit pour chascune queue de vin que l'en vendroit en gros le treiziesme denier, si comme l'en avoit fait depuis la délivrance du roy Jehan ; et si paieroit-l'en le quatriesme denier du vin que l'en vendroit à broche. Et à Paris, l'en paieroit pour chascune queue de vin françois que l'en mettroit en la ville douze sols parisis, du vin de Bourgoigne vint-quatre sols parisis, et pour chascune queue de vin de Beaune et de St-Poursain trente-deux sols parisis ; et pour chascune vente en gros ou en broche, tant comme dit est de chascun desdis vins. Et quant il seront vendus en gros le acheteur paieroit, et sé il estoit vendu en broche le vendeur paieroit. Item, en celuy mois de décembre les dessusdis Galays qui estoient entrés en mer, dont dessus est faite mencion, retournèrent sans faire aucun exploit dedens dix jours ou douze après ce que il y furent entrés, et se excusèrent de leur retour sur fortune de mer qu'il avoient eue si comme il disoient ; et si cousta ce voyage au roy plus de cent mile francs.

XXVII.

Coment Montpellier fu baillié au roy de France par eschange.

ANNÉE 1370

Item, au mois de janvier ensuivant et en celuy de février, furent envoiés messaiges du roy de France au roy de Navarre qui estoit à Chierbourc, et du roy de Navarre au roy de France, pour traictier d'accort pour cause de Mantes et de Meullent que le roy de France tenoit et qui par avant avoient esté audit roy de Navarre ; et avoient esté prises par les gens du roy, si comme dessus est faite mencion. Et pour celle cause, furent pluseurs fois à Paris les roynes Jehanne et Blanche, tante et seur dudit roy de Navarre ; et finablement fu le traictié mis à fin, le vint-uniesme jour du moys de mars mil trois cens soixante-neuf dessus dit. Par lequel traictié ledit roy de Navarre dot avoir Montpellier et toute la baronnie et une grant somme d'argent ; et dot venir devers le roy pour luy faire homaige de toutes les terres que il tenoit de luy. Et envoia le roy de France à Chierbourc pardevers ledit roi de Navarre pour traictier avec luy de la somme, pour ce que il ne vouloit venir devers ledit roy de France sé il n'avoit hostaiges. Sé fu accordé que le duc de Berry, frère du roy de France, iroit à Evreux pour hostaige, et ledit roy de Navarre viendroit devers le roy de France pour faire sondit homaige ; mais le roy de Navarre avoit toujours ses messaiges en Angleterre, pour traictier avecques le roy d'Angleterre ; si delaoit tousjours sa venue devers le roy de France. Et ainsi delaia tousjours jusques environ la Magdalène ensuivant que le roy de France envoia derechief pardevers luy le conte de Sarebruche, qui autrefois y avoit esté. Et par tout le temps dessus dit depuis que la guerre estoit commenciée entre les roys de France et d'Angleterre guerroièrent par espécial au duchié de Guyenne, et recouvra le roy de France pluseurs villes et chasteaux.

Incidence. — Item, le vint-deuxiesme jour d'avril mil trois cens soixante-dix, fu assise la première pierre de la Bastide-St-Anthoine de Paris par Hugues Aubriot, lors prévost de Paris, qui la fist faire des deniers que le roy donna à la ville de Paris. Item, le mardi, seiziesme jour du moys de juillet mil trois cens soixante-dix dessus dit, à Paris devant le roy de France, en son hostel à Saint-Paul, fu fiancée madame Jehanne de France, fille du roy Phelippe qui trespassa l'an mil trois cens cinquante, et de la royne Blanche qui encore vivoit, à deux chevaliers de Arragon, procureurs et au nom de Jehan, ainsné fils du roy d'Arragon, duc de Gironne ; et avoient lesdis chevaliers demouré moult longuement à Paris pour celle cause, en poursuivant le traictié dudit mariage.

XXVIII.

Des dommages que les Anglois firent au royaume de France et entour Paris.

Item, en la fin du moys de juillet ensuivant, messire Robert Canole, messire Thomas de Granson, anglois, et en leur compaignie jusques au nombre de seize cens hommes d'armes ou environ et de deux mille cinq cens archiers, partirent de Calais pour le roy d'Angleterre et chevauchièrent vers Saint-Omer et de là à Arras et ardirent grant quantité des forsbours d'Arras et des blés qui estoient aux champs sur le pié ; et après alèrent devant Noyon par le Vermendoys et ardirent grant quantité de maisons. Mais il n'ardoient point ce que l'en vouloit raençonner[291], et après passèrent les rivières d'Oise et d'Aisne[292] (et alèrent devant Reims ; et après passèrent la rivière de Marne, vers Dormans, et alèrent jusques vers Troyes), et passèrent les rivières d'Aube et de Saine en alant à Saint-Florentin, et de là alèrent passer la rivière d'Yonne, vers Joigny, en ardant tousjours le païs (qui ne se vouloit raençonner. Et après passèrent par le Gastinois et descendirent par Chasteau-Landon, par Nemox[293] et par le païs) jusques à Corbueil et à Essonne. Et le dimenche, vint-deuxiesme jour de septembre[294] mil trois cens soixante-dix dessus dit, logièrent environ Mons et Ablon[295] et le païs environ. Item, le mardi ensuivant, vint-quatriesme[296] jour dudit moys, furent en bataille entre Ville-Juye et Paris. Et à Paris avoit bien douze cens hommes d'armes autres que de la ville aux gaiges du roy : et y ot celle journée des escarmouches devant Saint-Marcel et y perdirent lesdis Anglois environ six ou huit de leur gens. Et celle journée, lesdis Anglois mistrent le feu en grant foison de villes emprès Paris (comme Ville-Juye, Gentilly, Cachant, Arcueil et en l'ostel de Vincestre[297]), et fu conseillié au roy, pour le mieux, que il ne fussent pas lors combatus. Et celuy soir se alèrent lesdis Anglois logier à Anthoigny et environ, et le mercredi ensuivant se deslogièrent et se partirent pour aler vers Normendie, et après retournèrent dedens quatre jours ; et alèrent à Estampes, à Milly, et par la Beausse et Gastinois, faisans tousjours fais que ennemis doivent faire.

[291] Raençonner. Racheter.

[292] Les parenthèses indiquent les phrases passées dans les éditions précédentes.

[293] Nemox. Nemours.

[294] De septembre. Et non pas ensuivant, comme dans les éditions précédentes.

[295] Mons et Ablon. Tout près de Villeneuve-Saint-Georges.

[296] Vint-quatriesme. Et non pas vint-troisiesme, comme dans les éditions précédentes.

[297] Vincestre. Bicêtre.

Incidence. — Item, en celuy moys de septembre mil trois cens soixante-dix, pape Urbain qui estoit ès parties de Rome s'en parti, et se mist en mer en galies que le roy de France luy avoit envoiées par l'abbé de Fescamp et par un chevalier de France, appellé messire Jehan de Chambly dit le Haze. Et arriva à Marseille le dix-septiesme jour dudit moys de septembre, et assez tost après ala à Avignon. Et ainsi demoura au voyage que il avoit fait à Rome par trois ans quatre mois et dix-sept jours.

XXIX.

Coment monseigneur Bertran du Guesclin fu fait connestable de France.

Item, le mercredi second jour du mois d'octobre ensuivant, le roy de France fist connestable de France, vacant par la résinacion que avoit fait dudit office monseigneur Moreau de Fiennes qui par avant l'avoit esté, un chevalier breton, appellé messire Bertran du Guesclin, pour la vaillance dudit chevalier : car il estoit de mendre lignage que autre connestable qui par avant eust esté ; mais, par sa vaillance, il avoit acquises pluseurs grans terres et seigneuries : c'est assavoir, en France, la conté de Longueville que le roy de France luy avoit donnée ; et en Castelle, le roy Henry de Castelle luy avoit donné plus de dix mille livrées de terres. Et assez tost après ala en Anjou, où estoient les devant dis Canole et Granson qui avoient enforcié Vas, Rully[298] et autres lieux, et en combatti et desconfit en une route environ six cens : et y fu pris ledit messire Thomas de Granson. Et après, ala ledit messire Bertran à Vas et le prist par assaut et y furent mors et pris environ trois cens Anglois, et tantost ala à Rully ; mais ceux qui le tenoient s'en estoient partis tantost que il avoient sceu la prise de Vas, mais ledit connestable les suivit jusques à Versurre[299] et là ès forsbours les combatti et desconfit, et y furent bien trois cens mors et pris ; et prist la ville et après la laissa.

[298] Vas. Aujourd'hui Vaas, à plusieurs lieues de Pontvalain, le seul endroit dont parle Froissart dans cette circonstance. — Robert Canolle, suivant la chronique inédite du manuscrit 530, « avoit laissié pluseurs de ses gens en la forteresse de Vas, qui séoit sur la rivière du Loir, et à Rilly (aujourd'hui Ruillé) et au Louroux, lesquels il avoient de nouvel emperées. » (Fo 101.)

[299] Versurre. Variante : Bersurre.

XXX.

De la mort du pape Urbain, et de l'élection du pape Grégoire XI.

Item, le jeudi dix-neuviesme jour de décembre, environ heure de midi mil trois cens soixante-dix dessus dit, le pape Urbain qui nouvellement estoit desparti de Rome, trespassa de ce siècle en ladite ville d'Avignon. Et le dimenche, vint-neuviesme[300] jour dudit moys, entrèrent les cardinaux en conclave pour eslire pape. Et le lundi, trentiesme jour dudit mois de décembre, eslirent, ainsi comme par la voie du Saint-Esperit, messire Pierre Rogier, nommé le cardinal de Biaufort ; car il estoit fils du conte de Biaufort en Valée, et estoit neveu du pape Clément VI, qui l'avoit fait cardinal ; et estoit cardinal-diacre de l'aage de quarante ans ou environ : lequel contredit une pièce et ne vouloit accepter ladite éleccion. Finablement l'accepta et fu nommé Grégoire XI, et fu coroné aux Jacobins d'Avignon, le dimenche veille de la Passion ensuivant. Et messire Loys, duc d'Anjou, frère du roy de France, le mena des Jacobins jusques au Palais tout à pié et tenoit le cheval du pape par le frain. Item, par toute celle année furent des batailles pluseurs en divers lieux entre les François et les Anglois, et orent les François pluseurs victoires et furent presque tous ceux qui avoient esté devant Paris le temps d'esté précédent avecques messire Robert Canole, mors et pris par les François et ceux de leur partie, au païs du Maine, d'Anjou et de Bretaigne.

[300] Vint-neuviesme. Et non pas dix-neuviesme, comme dans les éditions précédentes.

XXXI.

De la nativité de madame Marie, fille du roy de France Charles-le-Quint, et de son baptisement.

Le jeudi, vint-septiesme jour de février ensuivant mil trois cens soixante-dix dessus dit, trois heures après mienuit et avoit la lune douze jours, fu née à Paris en l'ostel du roy emprès Saint-Pol, madame Marie, fille dudit roy Charles et de ladite dame royne Jehanne de Bourbon. Et fu l'endemain baptisée ès fons de l'églyse de Saint-Pol, et furent marraines madame Jehanne de France, fille du roy Phelippe qui avoit esté mort l'an mil trois cens cinquante, et la dame de Lebret, seur de ladite royne ; et monseigneur le daulphin, ainsné fils du roy et frère de ladite Marie, fu parrain.

XXXII.

De la mort madame Jehanne de Évreux, jadis royne de France et Navarre, et de son enterrement.

Le mardi, quart jour du moys de mars ensuivant mil trois cens soixante-dix dessus dit, mourut à Braye-Conte-Robert dame de bonne mémoire madame Jehanne d'Évreux, royne de France et de Navarre, qui avoit esté femme du roy Charles de France et de Navarre qui estoit trespassé l'an mil trois cens vint-sept. Et fu apportée à Saint-Anthoine, près de Paris, le samedi ensuivant huitiesme jour dudit moys. Et l'endemain, jour de dimenche, fu apportée sur un lit à descouvert fors d'un délié cuevrechief qu'elle avoit sur le visage, à Nostre-Dame-de-Paris, à heure de vespres. Et estoient les gens de Parlement qui tenoient le poile autour, et le prévost des marchans et les eschevins portoient un poile d'or sur six lances au-dessus du corps ; et le roy aloit après le corps, dès sa maison de Saint-Pol dont il issi par l'uys de la conciergerie dudit hostel, quant le corps passoit, jusques à Nostre-Dame-de-Paris : et là furent dites vigiles de mors le roy présent. Et l'endemain, jour de lundi, fu la messe chantée de Requiem en ladite églyse par l'evesque de Paris. Et tantost après ladite messe, le roy ala disner en l'ostel dudit evesque, et assez tost après disner fu porté ledit corps au lonc de la ville de Paris, par la manière que il avoit esté le jour précédent, le roy alant à pié aprés, jusqu'à la Bastide St-Denis ; et là monta à cheval, et convoia ledit corps jusques à Saint-Denis là où son obsèque fu fait l'endemain jour de mardi. Et par l'ordonnance de ladite royne, n'ot pour luminaire, en ladite églyse de Paris, que douze cierges, chascun de six livres de cire et autant à Saint-Denis, et douze torches pour convoier le corps de lieu en autre. Et le mercredi ensuivant, le roy luy fist faire son service en ladite églyse Saint-Denis à ses despens, et lors y ot très grant et notable luminaire. Et le jeudi ensuivant, quatorziesme jour dudit moys de mars, fu son cuer enterré aux frères Meneurs de Paris emprès le cuer de son mari le roy Charles.

Item, le mercredi, dix-neuviesme jour dudit moys, furent les entrailles enterrées à Maubuisson, près de Pontoise, emprès celles de sondit mari ; le roy présent, comme par avant avoit esté.

XXXIII.

Coment le roy de France envoia hostaiges au roy de Navarre, avant que il voulsist venir pardevers luy à Vernon.

Quant le roy ot fait parfaire à Maubuisson le service de ladite royne Jehanne, il se parti de là pour aler à Vernon, là où le roy de Navarre devoit venir à luy si comme par avant avoit esté traictié par moult lonc-temps. Car le roy de France avoit, par pluseurs fois, envoié messaiges notables pardevers ledit roy de Navarre tant à Chierbourc comme à Évreux, et ledit roy de Navarre avoit envoié de ses gens pardevers le roy de France, et avoit ce traictié duré près de deux ans. Et finablement, le jour de la Nostre-Dame en mars, l'an mil trois cens soixante-dix dessus dit, et fu le jour de mardi, pour la conclusion dudit traictié, messire Bertran du Guesclin, connestable de France, parti à matin de Vernon où le roy estoit, pour mener certains hostaiges que le roy de Navarre devoit avoir, avant que il partist d'Évreux ; et avoit ledit connestable environ trois cens hommes d'armes avecques luy. Et furent lesdis hostaiges : messires Guillaume de Meleun, arcevesque de Sens, l'evesque de Laon, le seigneur de Montmorency, le conte de Porcien, le seigneur de Garencières, messire Guillaume de Dormans, le seigneur de Blainville mareschal de France, le sire de Blany, messire Jehan de Chastillon, Robert fils du conte de Saint-Pol, monseigneur Jehan de Vienne, messire Claudin de Harenvillier, chevaliers, et huit bourgois, quatre de Paris et quatre de Rouen. Lequel connestable mena tous les hostaiges dessus nommés à Évreux, lesquels ledit roy de Navarre receut honorablement, et tous les fist logier au chastel. Et après disner se parti en la compaignie dudit connestable, et fu environ soleil couchant à Vernon, et ala descendre au chastel auquel estoit le roy de France en un jardin, et là ala ledit roy de Navarre, et estoit le conte d'Estampes, son cousin germain, en sa compaignie. Et tantost que il vit le roy de France, il s'inclina et mist le genou près de terre, et après approcha plus près du roy, et lors se agenouilla, et le roy passa deux pas avant et le prist par le bras, en luy disant que bien fust-il venu : mais il ne le baisa point. Et tantost l'en apporta torches, vin et espices ; et quant il orent pris espices et beu, le roy de France le prist par la main et alèrent ensemble en la chambre du roy, en laquelle la table estoit mise pour soupper. Mais pour ce que ledit roy de Navarre ne souppoit point, il se retraist en la chambre qui estoit ordenée pour luy, et ledit conte d'Estampes en sa compaignie. Et quant le roy ot souppé, ils se traisrent en sa chambre vers luy ; si furent lors les deux roys moult longuement ensemble, seul à seul, et en parlant se agenouilla ledit roy de Navarre pluseurs fois, et ne savoient les regardans pourquoy. Et l'endemain, jour de mercredi, le jeudi et vendredi ensuivant, furent ensemble, mangièrent et burent et feirent tous leur parlemens seul à seul. Et le samedi ensuivant, vint-neuviesme jour dudit mois de mars, au matin, ledit roy de Navarre fist homaige lige audit roy de France de toutes les terres qu'il tenoit au royaume de France et luy promist porter foy, loyauté et obéissance envers tous et contre tous qui pevent vivre et mourir, lequel homaige il n'avoit encore fait depuis que ledit roy de France avoit esté roy. Si en furent moult de bonnes gens liés et joyeux ; car l'en doubtoit moult et avoit-l'en longuement doubté que ledit roy de Navarre ne se feist ennemi du roy de France ; mais lors il se monstrèrent très bons amis. Et celuy samedi se parti ledit roy de Navarre de Vernon, et s'en ala à Évreux ; et ledit connestable le convoia, si comme il avoit fait au venir devers le roy et ramena ledit connestable lesdis hostaiges.

XXXIV.

Coment le cardinal de Cantorbire fu envoié de par le pape en Angleterre, pour traictier de la paix d'entre les roys de France et d'Angleterre, et de la paix du roy de Navarre et du duc d'Anjou.

ANNÉE 1371

En celuy temps, le pape Grégoire envoia cardinaux légas pardevers le roy de France et d'Angleterre, pour traictier de paix entre eux ; c'est assavoir : un cardinal anglois appelé le cardinal de Cantorbire, et un François appellé le cardinal de Biauvais, lequel estoit chancellier de France. Et luy envoia le pape sa commission et son pouvoir en France, et celuy de Cantorbire se partit d'Avignon où le pape estoit et ala celuy de Biauvais qui estoit à Paris encontre celuy de Cantorbire, jusques à Melun là où il demourèrent trois ou quatre jours ; et puis vindrent ensemble à Paris et parlèrent au roy et luy distrent pourquoy le pape les envoioit pardevers lesdis roys. Et requirent au roy de France qu'il se voulsist consentir à bonne paix. Lequel, eue délibéracion avec son conseil, fist respondre que bonne paix vouldroit-il avoir, et sur ce, sans autre chose faire né plus procéder, après ce que ledit cardinal de Cantorbire ot demouré à Paris par aucuns jours et disné avec le roy, il se parti de Paris et s'en ala vers Calais ; et le conduisit tousjours, par le royaume de France, un chevalier appellé le Haze de Chambly, et le cardinal de Biauvais demoura à Paris.

Item, la veille de Penthecouste ensuivant, vint-quatriesme jour du moys de mai mil trois cens septante-un, ledit roy de Navarre vint à Paris devers le roy de France qui luy fist très grand chière ; et fu le jour de ladite Penthecouste vestu de robe pareille au roy de France et ot housse comme le roy avoit. Et fist le roy la paix dudit roy de Navarre et du duc d'Anjou frère du roy, car il n'estoient pas bien amis ; et demoura ledit roy de Navarre avec le roy toute la semaine, et fu moult festoié tant du roy comme de la royne.

Item, le mercredi vint-huitiesme jour de mai dessus dit, environ soleil levant, et avoit la lune quatorze jours, madame Marguerite, fille du conte de Flandres et femme de messire Phelippe, fils du roy Jehan de France et frère du roy Charles qui lors régnoit, et duc de Bourgoigne, ot un fils, en la ville de Dijon, qui fu appellé Jehan ; et fu baptisé le jeudi, jour du Saint-Sacrement, cinquiesme jour du moys de juin. Et le tint sur fons, messire Jehan duc de Berri, frère dudit duc de Bourgoigne, et messire Jean Rogier, evesque de Carpentras, que le pape Grégoire y avoit envoié pour tenir sur fons ledit enfant pour luy ; et messire Charles d'Alençon, arcevesque de Lyon le crestienna, et madame Marguerite, contesse d'Artois, ayole de ladite duchesse de Bourgoigne, fu marraine.

XXXV.

Coment le duc de Breban fu desconfit, et le duc de Guerle mort ; et du trespassement de madame Jehanne de France, fille du roy de France Phelippe.

Le vendredi, vint-deuxiesme jour du moys d'aoust mil trois cens septante-un dessus dit, fu la bataille entre le duc de Breban et ceux qui avecques luy estoient d'une part, et les ducs de Julliers et de Guerle et les leur d'autre part. Et fu ledit duc de Breban desconfit et pris, et le conte de Saint-Pol, qui avecques estoit, fu mors ; et moult d'autres de celle partie mors et pris ; et de l'autre partie, fu mors le duc de Guerle et pluseurs autres.

Item, le mardi seiziesme jour du moys de septembre ensuivant, environ heure de nonne, trespassa, à Besiers, madame Jehanne de France, qui avoit esté fille du roy Phelippe de France, laquelle l'en menoit en Arragon, pour estre mariée à l'ainsné fils du roy d'Arragon ; duquel et de elle le mariage avoit esté longuement traictié à Paris, et l'avoit fiancée par procureur à Paris, si comme dessus est escript. Et fu mise le mercredi ensuivant en dépost en l'églyse cathédrale de ladite ville de Besiers, et le jeudi ensuivant y fu son service fait.

Item, le samedi vint-uniesme jour de février mil trois cens septante-un dessus dit, messire Jehan de Dormans, cardinal nommé de Biauvais pour ce qu'il avoit esté evesque de Biauvais, lors chancellier de France, rendi au roy les seaulx de France, et laissa l'office de chancellerie ; et, par notable élection, fist le roy chancellier messire Guillaume de Dormans, chevalier, frère germain dudit cardinal de Biauvais. Et ainsi fu ledit cardinal de Biauvais chancellier de France depuis que il avoit esté fait cardinal trois ans et quatre mois ; quar il avoit esté cardinal le vint-deuxiesme jour de septembre mil trois cens soixante-huit, et avoit toujours esté chancellier depuis.

XXXVI.

De la nativité de monseigneur Loys, second fils du roy de France, et de son baptisement.

Le samedi, treiziesme jour de mars ensuivant, environ deux heures après minuit, et avoit la lune neuf jours, à Paris en l'ostel du Roy emprès Saint-Pol, fu né messire Loys, second fils du roy Charles, et fu baptisé ès fons dudit moustier de Saint-Pol, à très grant compaignie et solempnité, par messire Jean de Craon, lors arcevesque de Reims, le lundi ensuivant, environ midi ; et fu parrain, messire Loys, conte d'Estampes ; et madame d'Alençon, commère dudit conte, fu marraine.

Item, par celle saison, en pluseurs parties du païs de Guienne ot des besoignes entre les gens du roy de France et ceux du roy d'Angleterre. Et perdirent moult ceux du roy d'Angleterre, tant de leur gens comme de leur pays, et par espécial en Limosin. Car tout le païs de Limosin fu françois, et la ville de Limoges aussi, dedens le premier jour de juillet ensuivant.

XXXVII.

Coment l'abit et les livres des Turelupins furent ars en Grève et les Turelupins condamnés.

ANNÉE 1372

Le dimenche, quart jour dudit mois de juillet mil trois cens septante-deux, furent, en Grève à Paris, la secte, le abit et les livres des Turelupins, autrement només la compaignie de povreté, condempnés de hérésie par messire Mile de Dormans, lors evesque d'Angiers et vicaire de l'evesque de Paris et par l'inquisiteur des hérites. Et ce jour en furent deux condempnés : un homme qui estoit mort en la prison de l'evesque de Paris durant son procès, par l'espace de quinze jours ou environ avant ladite condempnacion ; et une femme appellée Péronne de Aubenton, autrement de Paris. Et ce dimenche furent ars audit lieu de Grève l'abit et les livres, et l'endemain, jour de lundi, furent ars en la place aux Pourceaux à Paris, ladite Péronne et ledit mort qui tousjours, depuis sa mort, avoit esté gardé en un tonnel plein de chaux.

XXXVIII.

Des nefs anglesches que François gaignièrent, et coment la ville de Poitiers se rendi françoise.

En celuy moys de juillet, le roy envoia en Poitou monseigneur Bertran du Guesclin, connestable de France, lequel y prist pluseurs forteresses ; et aussi la navire du roy de Castelle vint devant La Rochelle, et d'aventure rencontrèrent sur la mer environ trente-six nefs du roy d'Angleterre ; et se combattirent devant ladite ville de La Rochelle, et furent les Anglois desconfis et y furent pris le conte de Pennebroc, messire Guichart d'Angle et pluseurs autres que le roy anglois envoioit au païs pour le conforter, et gaignèrent moult grant finance les Espaignols avecques les prisonniers, dont il orent plus de huit vins ; et grant foison ot des mors desdis Anglois. Et assez tost après monseigneur le duc de Berri, frère du roy de France, et ledit connestable en sa compaignie, alèrent devant Poitiers et se rendi la ville à eux comme à messaiges du roy de France ; et se mistrent les habitans en l'obéissance dudit roy de France, et tantost assaillirent le chastel et le pristrent, et les Anglois qui estoient dedens.

Item, assez tost après, le captal de Busch, qui estoit lieutenant du roy d'Angleterre ès païs de Poitou et de Saintonge, se combatti à aucuns des gens du roy de France devant une ville appelée Soubise, et fu ledit captal desconfit et pris et pluseurs de sa compaignie. Si demourèrent les Anglois moult foibles sur le païs, et les gens du roy de France y estoient fors. Si y estoient le duc de Berri et le duc de Bourgoigne, frères du roy de France, et y eut foisons de gens d'armes avecques. Si chevauchièrent le païs et pristrent moult de villes et forteresses. Et vindrent le lundi, sixiesme jour de septembre l'an mil trois cens septante-deux dessus dit, devant La Rochelle et orent traictiés ensemble, et par avant aussi y en avoit eu. Et le mercredi ensuivant, huitiesme jour dudit moys, se mistrent ceux de ladite ville de la Rochelle en l'obéissance du roy de France, et entrèrent lesdis seigneurs de France dedens ladite ville à très grant joie de ceux de ladite ville. Et en iceluy moys de septembre se rendirent ceux de Angoulesme, ceux de Saintes, ceux de Saint-Jehan d'Angeli et pluseurs autres bonnes villes et forteresses.

XXXIX.

Coment ceux de Thouars et de Poitou se rendirent françois à messeigneurs les ducs de Berri et de Bourgoigne, et du siège qui fu devant Brest, l'an mil trois cens septante-trois.

ANNÉE 1373

Le jour de la Saint-André ensuivant, les ducs de Berri et de Bourgoigne, ledit connestable et grant foison de gens d'armes jusques au nombre de trois mil et plus, furent devant la ville de Thouars, qui encore se tenoit pour le roy d'Angleterre. Et attendirent lesdis ducs et connestable tout le jour devant ladite ville ; car traictié avoit esté par avant entre les gens du roy de France d'une part, et les nobles du païs de Poitou qui encore tenoient la part du roy anglois, d'autre, que sé les François estoient ledit jour de la Saint-André plus fors devant ladite ville de Thouars que les Anglois, que tous les Poitevins se mettroient en l'obéissance du roy de France. Et devant ladite ville de Thouars ne vint aucun ledit jour de Saint-André pour ledit roy anglois, et ainsi furent les François plus fors. Si se rendirent tous ceux de Poitou, nobles et autres, en l'obéissance du roy de France, excepté trois forteresses ; c'est assavoir : Mortaigne, Lusignan et Gensay[301], et firent tous les nobles homaige au duc de Berry à qui le roy de France avoit donné la conté de Poitiers à héritage, et le païs de Saintonge à vie tant seulement ; mais le roy retint La Rochelle. Et celle saison, le roy de France envoia pluseurs fois messaiges grans et notables par devers le duc de Bretaigne, que l'en sentoit moult favorable aux Anglois, et le fist le roy par pluseurs fois requérir que il féist son devoir vers luy, si comme tenu y estoit comme vassal et homme lige du roy et pair de France, et que il ne voulsist souffrir les Anglois entrer en son païs de Bretaigne, né les conforter en aucune manière : lequel duc respondoit toujours que ainsi le feroit. Et finablement dedens Pasques ensuivant qui furent mil trois cens septante-trois, ledit duc manda grant foison Anglois, et les fist venir en Bretaigne, dont tous ceux dudit païs, nobles et autres, furent moult courroucés, et distrent audit duc que il ne seroient jà Anglois ; car le roy de France estoit leur seigneur souverain ; et requistrent audit duc que il méist hors de son païs lesdis Anglois. Et pour ce que il ne le voult faire, mais se esforçoit de mettre lesdis Anglois ès villes et forteresses dudit païs, en mettant hors d'icelles les Bretons, et de fait en aucunes ainsi le fist ; pour ce, envoièrent devers le roy, leur seigneur souverain, afin que il y méist remède. Et pour ce, le roy y envoia sondit connestable, le seigneur de Cliçon et autres ; et quant ledit duc senti leur venue, il se parti du pays et ala en Angleterre. Si chevaucha ledit connestable par le païs de Bretaigne et se rendirent à luy, pour le roy de France, nobles, bonnes villes, gens d'églyse et tout le païs, tant de Bretaigne galot comme bretonnant, dedens le jour de la Saint-Jehan-Baptiste ensuivant, excepté seulement Brest, Auroy et Derval, et se mist ledit connestable à siège devant Brest ; et les seigneurs de Laval et de Cliçon devant Derval. Et ledit siège de Brest tenu par aucun temps, les Anglois qui estoient dedens firent un tel traictié que sé les Anglois n'estoient plus fors que les François, devant ledit lieu de Brest en la place commune, le sixiesme jour du moys d'aoust ensuivant il rendroient le chastel ; et de ce baillièrent douze hostaiges, desquels ledit connestable eslargi les six sur leur foy : et se redevoient rendre audit connestable huit jours devant ladite journée dudit sixiesme jour d'aoust, lesquels ne retournèrent point : à laquelle journée dudit sixiesme jour ledit connestable fu, et ot bien trois mil hommes d'armes avecques luy ; et jà soit que il y eut grant foison d'Anglois, il ne se osèrent combattre audit connestable, et si ne rendirent pas ledit lieu de Brest et laissièrent leur six hostaiges qui estoient demourés audit connestable.

[301] Gensay. Je crois que c'est aujourd'hui Janzé, à six lieues de Rennes.

XL.

De la naissance de madame Isabel, fille du roy, et comment le duc de Lenclastre vint en France.

Item, le samedi vint-troisiesme jour de juillet, mil trois cens septante-trois dessus dit, environ heure de midi, en l'ostel du roy emprès Saint-Pol à Paris, fu née madame Isabel, fille dudit roy Charles et de ladite royne Jehanne de Bourbon, et estoit la lune de quatre jours. Et l'endemain, jour de dimenche, après disner, fu baptisée en ladite églyse de Saint-Pol, par messire Jehan de Dormans, cardinal ; et fu parrain monseigneur le daulphin, ainsné fils desdis roy et royne ; et madame Marguerite, contesse de Flandres et d'Artois, et madame Isabel, duchesse de Bourbone mère de ladite royne, furent marraines.

Item, en celuy moys de juillet, Jehan, duc de Lenclastre, fils du roy d'Angleterre, et Jehan, conte de Montfort, celuy qui avoit esté duc de Bretaigne et qui alors se monstra bien manifestement ennemi du roy et du royaume, vindrent d'Angleterre à Calais, accompagniés de grant foison de gens d'armes et de archiers. Et après ce que il orent demouré par aucun temps à Calais et sur la Marche, il se mistrent à chevauchier droit à Hesdin et y demourèrent dedens le port par aucuns jours sans assaillir la ville né le chastel ; et après à Dorlens sans l'assaillir, et après à Beauquesne[302] et de là vers Corbie. Et passèrent la rivière de Somme et chevauchièrent à Roie en Vermendois et demourèrent en la ville sept jours, et ne porent prendre l'églyse qui estoit fort : si ardirent la ville et alèrent en Laonnois et à Vesly-sur-Aisne ; et moult ardirent de villes et aussi perdirent moult de leur gens : car en toutes places où les François qui les chevauchoient en trouvoient aucuns desroutés de leur batailles, il les desconfisoient, sans ce que les François y perdissent aucune chose, et si gaignièrent grant foison sur les Anglois ; et par espécial le vendredi, neuviesme jour de septembre à matin, messire Jehan de Vienne et sa compaignie en trouvèrent près de Ouchie[303], cinquante lances et vint archiers anglois, lesquels furent tous desconfis. Et là furent pris dix chevaliers de grant estat et vint-quatre escuiers, et tousjours chevauchièrent lesdis Anglois tant qu'il passèrent les rivières d'Oise, d'Aisne, de Marne et d'Aube, et chevauchièrent par la Champaigne et par la conté de Braine, droit vers Gié[304], et passèrent la rivière de Saine, et chevauchièrent droit à la rivière de Loire vers Martigny-les-Nonnains, et passèrent ladite rivière de Loire, et tousjours furent chevauchiés par le duc de Bourgoigne et autres gens du roy de France, et si près tenus que il avoient peu de vivres et ne pristrent aucune forteresse notable, et perdirent moult de leur gens et la plus grant partie de leur chevaux. Et depuis, passèrent lesdis Anglois la rivière de Cher et s'en alèrent à Bordeaux, mais il perdirent moult de leur gens, et estoient en tel estat qu'il y avoit plus de trois cens chevaliers à pié qui avoient laissiées leur armeures, les uns jetées en rivière, les autres les avoient despéciées pour ce que il ne les povoient porter, et afin que les François ne s'en peussent aidier ; et jà soit ce que ladite chevauchiée leur feust moult honorable, elle leur fu moult domageuse.

[302] Beauquesne. Aujourd'hui bourg du département de la Somme, à deux lieues de Doullens.

[303] Ouchie. La plupart des manuscrits et des éditions précédentes portent Orchies. Mais, d'après les indices itinéraires précédens, je crois que le manuscrit de Charles V est plus exact. Oulchy-le-Château est aujourd'hui bourg à cinq lieues de Soissons.

[304] Gié. Ou Gyé, village sur la Seine, près de Châteauvillain.

Item, le tiers jour de novembre ensuivant, mourut à Evreux madame Jehanne, seur du roy de France, et femme du roy de Navarre.

Item, le septiesme jour dudit moys de novembre, mourut à Avignon messire Estienne de Paris, cardinal dit de Paris. Item, audit mois de novembre, qui fu le lundi septiesme jour mil trois cens septante-trois devant dit, mourut à Paris messire Jehan de Dormans, cardinal de Biauvais, qui moult longuement avoit esté chancelier de France, et fu enterré aux Chartreux de Paris.

XLI.

Coment Jehan de Montfort vint de Bordeaux en Bretaigne, et se mist au fort de Auroy.

En l'entrée du moys de février ensuivant, messire Jehan de Montfort, qui avoit esté duc de Bretaigne et avoit chevauchié avecques le duc de Lenclastre, par la manière que dessus est escript, vint par mer de Bordeaux en Bretaigne, là où avoit encore trois forteresses qui se tenoient pour luy ; c'est assavoir : Derval, Brest et Auroy, en laquelle il vint descendre premièrement. Et là estoit sa femme, et amena des gens anglois avec luy. Et quant il y fu, il manda pluseurs de ceux de Bretaigne, gens d'églyse, nobles et autres pour aler audit lieu d'Auroy parler à luy ; et le roy de France qui oï nouvelles de ce envoia des gens audit païs de Bretaigne pour le conforter[305], et jà y estoient le connestable de France et le seigneur de Cliçon pour le roy.

[305] Le conforter. Sans doute pour fortifier son parti contre celui des Anglois et du duc de Bretagne.

Incidence des grandes rivières. Item, en celuy an mil trois cens septante-trois dessusdit, ès mois de janvier et de février, furent en France, par espécial ès rivières de Saine, de Marne, de Yonne, d'Oise et de Loire, la plus très grant inondacion d'yaues que l'homme qui vesquist lors eust onques veues ; et durèrent plus de deux mois. Et à Paris aloit-l'en par bastiaux par la rue Saint-Denis oultre la porte, et de la porte Saint-Anthoine jusques à Saint-Anthoine, et de la porte Saint-Honoré jusques au Rolle et à Nully. Et si estoit l'yaue jusques près des planchers des pons de Paris ; et entroit dedens la chapelle basse du palais, et toutes les maisons basses du palais estoient plaines d'yaue, et communelment les caves et celiers de Paris du costé devers grant pont. Et atachoit-l'en les bastiaux à la Croix-Hémon, qui est au-dessus de la place Maubert.

Item, au mois d'avril ensuivant, mil trois cens septante-quatre, et furent Pasques le secont jour d'iceluy mois, le duc de Lenclastre qui estoit à Bordiaux s'en parti par mer et ala en Angleterre à tout tant pou de gens qui luy estoient demourés ; et disoit-l'en que son père et le prince de Galles son frère ne luy avoient pas fait bonne chière, pour ce que il avoit si petitement exploitié en la chevauchiée que il avoit faite ; jà fust ce que elle eust esté la plus grant qui oncques eust esté faite en France par lesdis Anglois. Toutesvoies il avoit moult perdu de gens et de chevaux ; car il et sa route en avoient bien trait d'Angleterre trente mil chevaux et plus, et il n'en porent pas mettre à Bordiaux six mil, et bien avoit perdu le tiers de ses gens et plus.

XLII.

Coment la ville et chastel de La Rochelle furent prises.

ANNÉE 1374

Le jour de Penthecouste, qui fu le vint-uniesme jour de may l'an dessusdit, les trièves qui avoient esté prises par le connestable de France d'une part ; et le sire d'Aubeterre, le chanoine de Robesart et autres pour les Anglois d'autre part, faillirent. Et le vint-uniesme jour d'aoust mil trois cens septante-quatre dessusdit, la ville de La Riolle[306] fu rendue au duc d'Anjou, frère du roy de France, lequel estoit à siège devant ladite ville. Mais le chastel d'icelle ville ne luy fu pas lors rendu, et demoura ledit duc devant ledit chastel jusques au vint-huitiesme jour dudit mois d'aoust ; et lors fu fait un traictié entre luy et ceux qui tenoient ledit chastel pour le roy d'Angleterre, que sé ledit roy d'Angleterre ou l'un de ses fils n'estoient devant ledit chastel le huitiesme jour du mois de septembre ensuivant, si fors que il peussent lever le siège dudit duc d'Anjou, il rendroient le chastel audit duc. Si attendi iceluy duc jusques audit huitiesme jour de septembre, auquel jour né dedens iceluy ne comparut aucun pour ledit roy d'Angleterre ; si fu lors ledit chastel rendu au duc d'Anjou pour le roy de France, et ainsi ot la ville et le chastel.

[306] La Riolle. Le titre de ce chapitre porte bien La Rochelle, et les autres manuscrits aussi bien que les imprimés écrivent encore ici La Rochelle ; mais la leçon de Charles V porte La Riolle, et si l'on fait attention que les rubriques ou titres de chapitre sont toujours dans les manuscrits mis par un autre scribe, après l'exécution du volume, on avouera que la leçon que nous avons préférée est effectivement préférable. En effet, dans le chapitre XXXVIII, nous avons vu que La Rochelle étoit déjà redevenue françoise.

XLIII.

De l'assemblée qui fu à Bruges pour traictier de la paix entre les deux roys.

En celuy an mil trois cens septante-quatre dessusdit, furent envoiés de par le pape l'arcevesque de Ravenne et l'evesque de Carpentras, pour traictier de paix entre lesdis roys. Et en celuy an en karesme assemblèrent à Bruges devant lesdis messages du pape les gens desdis roys ; c'est assavoir : pour le roy de France, le duc de Bourgoigne son frère, l'evesque d'Amiens et pluseurs autres clers et chevaliers ; et pour le roy d'Angleterre, le duc de Lenclastre son fils, l'evesque de Londres et pluseurs autres clers et chevaliers. Et quant il orent esté par aucun temps en ladite ville de Bruges, aucuns de ceux du conseil du roy de France retournèrent à Paris pour luy rapporter aucunes choses parlées par les parties à Bruges sur lesdis traictiés. Et entre les autres choses rapportèrent que lesdis Anglois requerroient à grant instance avoir les ressors et souverainetés des terres que il devroient avoir par ledit traictié. Si assembla le roy de France grant conseil, tant des seigneurs de son sanc, comme prélas, nobles, clers, maistres en théologie et en décrés, et grant nombre d'autres sages qui, tous d'un accort après ce que tout leur ot esté dit et exposé, distrent au roy qu'il ne povoit né devoit laissier aucune chose de ses ressors et souverainetés ; et sé il le faisoit, ce seroit contre son serement et son honneur, et au détriment de son ame pour pluseurs causes et raisons que il luy distrent lors. Et ainsi fu respondu à ses gens qui estoient venus de Bruges par devers luy.

XLIV.

De la loi que le roy Charles-Quint ordena sur l'aagement des ainsnés fils des roys de France, et fu publiée en parlement de Paris.

ANNÉE 1375

[307]L'an de grace mil trois cens septante-cinq, le vint-uniesme jour de may, fu la loy que le roy Charles, lors roy de France, avoit faite sur l'aagement de son ainsné fils et des autres ainsnés fils des roys de France qui seroient à venir, publiée au parlement du roy à Paris en sa présence séant et tenant son parlement ; en la présence de monseigneur Charles, son ainsné fils, daulphin de Viennois, et monseigneur Loys, duc d'Anjou, frère dudit roy, et de grant nombre d'autres seigneurs de son sanc, prélas et autres gens d'églyse, l'université de Paris et pluseurs autres sages et notables, tant clers comme lais. Et est la loy telle, c'est assavoir : que l'ainsné fils du roy de France qui ores estoit et ceux qui pour le temps à venir seroient, tantost que il atteindroient le quatorziesme an de leur aage, pourroient recevoir leur sacre et coronement et leur homaiges, et faire tous autres fais qui à roy de France aagé appartiennent.

[307] On va voir ici dès la première phrase l'indication d'une nouvelle rédaction. Je remarquerai d'ailleurs que dans la leçon de Charles V que nous suivons de préférence, la dernière table des chapitres, placée en tête de la vie du roi Jean, s'arrête à l'indication de celui-ci. La suite n'a pas été récapitulée, et si l'observation que j'ai faite tout à l'heure sur les rubriques est judicieuse, il faut en conclure que le manuscrit de Charles V fut achevé long-temps après. Mais du point où nous sommes arrivés jusqu'à la fin, les chroniques furent-elles rédigées en une seule fois? Je ne le pense pas. Charles V, qui souhaitoit de montrer à l'empereur dans la grande histoire nationale la relation exacte de la réception qu'on lui avoit faite, laissa dans son exemplaire une lacune de plusieurs pages entre le chapitre XLIII et le récit du voyage de l'empereur. Ce fut plus tard que fut comblée cette lacune, mais certainement avant la mort de Charles V.

Item, le premier jour du mois de juing l'an dessusdit, la ville et chastel de Coignac furent rendus des Anglois à monseigneur Bertran du Guesclin, lors connestable de France, qui une pièce avoit esté à siège devant pour le roy de France ; par un tel traictié comme dessus est dit du chastel de La Riole.

Item, le tiers jour de juillet ensuivant, la ville et le chastel de St-Sauveur, en Constantin, que avoit tenu asségiée pour le roy de France messire Jehan de Vienne, amiral de France, et lesquels ville et chastel avoient esté tenus par ceux de la partie du roy d'Angleterre par l'espace de plus de vint ans, furent rendus aux gens du roy de France par un tel traictié comme avoient esté rendus le chastel de La Riole et Coignac, dont dessus est faite mencion.

Item, en ce temps retournèrent de Bruges le duc de Bourgoigne et les conseilliers du roy de France, qui là estoient alés pour les traictiés d'entre les deux roys, et pou orent exploitié, fors de avoir et accorder trièves jusques au premier jour d'avril ensuivant : et ainsi furent lesdis traictiés continués jusques à la feste de Toussains ensuivant. A laquelle feste de Toussains retournèrent auxdis traictiés pour le roy de France messire Loys, duc d'Anjou, et messire Phelippe, duc de Bourgoigne, frères du roy de France, et pluseurs autres du conseil du roy, et alèrent à Saint-Omer. Et pour le roy d'Angleterre, alèrent à Bruges messire Jehan de Lenclastre et messire Hémon conte de Cantebruge, fils du roy d'Angleterre, et pluseurs autres de son conseil. Et par le moien desdis messages du pape, c'est assavoir : de l'arcevesque de Ravenne et de l'arcevesque de Rouen, qui par avant avoit esté evesque de Carpentras, furent d'accort lesdis traicteurs, tant d'une part comme d'autre, de eux assembler à Bruges comme par avant avoient fait ceux qui y avoient esté. Si alèrent lesdis frères du roy de France et ses autres gens qui estoient à Saint-Omer, à Bruges, et y entrèrent le samedi après Noël l'an dessusdit, et en ladite ville de Bruges demourèrent jusques environ Pasques ensuivant, et finablement s'en partirent sans traictié de paix final, mais il proroguèrent les trièves, et depuis aussi furent proroguées jusques au premier jour du mois d'avril mil trois cens septante-six, et Pasques furent le sixiesme jour dudit mois que l'en dit mil trois cens septante-sept. Et envoia assez tost après le roy de France ses messages à Bouloigne pour traictier, et les messages du roy d'Angleterre furent à Calais, et furent lesdites trièves proroguées de terme en terme, jusques à la Nativité Saint-Jean-Baptiste ensuivant, qui fu mil trois cens septante-sept dessusdit. Et aloient les deux arcevesques, messages du pape, de Bouloigne à Calais et de Calais à Bouloigne, en traictant entre les parties. Et finablement, jà feust ce que le roy de France feust par tous les lieux où il avoit guerre entre lesdis roys plus fort que les Anglois, que aussi, par la volenté de messeigneurs et la bonne diligence dudit roy de France, tout son fait se portast bien, et que en toutes choses il feust à son avantage et eust en ce temps moult grant navire sur la mer, tant de galées dont il avoit trente-cinq sur mer, comme de grant foison de barges, tout ledit navire garni de bonnes gens d'armes et de bons arbalestiers ; toutesvoies, pour l'amour de Dieu et le bien de paix, pour l'onneur et révérence du pape et de l'églyse, et pour compassion du peuple, il fist faire moult grans offres, par ses gens, aux gens dudit roy d'Angleterre, tant de grans terres et seigneuries que de monnoie, réservé tousjours à lui son homaige, son ressort et sa souveraineté ès terres que ledit roy d'Angleterre avoit au royaume de France, tant en celles que lors il occupoit de fait, comme en celles que le roy de France luy bailleroit par le traictié. Lesquelles gens dudit roy d'Angleterre ne acceptèrent né refusèrent lesdites offres, mais distrent que il rapporteroient ces choses par devers le roy d'Angleterre leur seigneur, et dedens le premier jour du moys d'aoust ensuivant, ou au plus tart dedens le jour de mi-aoust, il ou autres, pour le roy d'Angleterre, en feroient response en la ville de Bruges à ceux que le roy de France envoieroit pour cette cause. Et se partirent de Calais la veille de la Saint-Jehan et s'en alèrent en Angleterre : et les gens du roy de France s'en retournèrent à leur seigneur à Paris, et faillirent toutes trièves le jour de celle de Saint-Jehan. Et la veille d'icelle Saint-Jehan, mourut ledit roy d'Angleterre Edouard, lequel avoit longuement vescu et esté roy d'Angleterre environ cinquante deux ans.

XLV.

Coment Richart, fils du prince de Galles, fu fait roy d'Angleterre, ses oncles vivans.

ANNÉE 1377

Après, en celuy an mil trois cens septante-sept dessus dit, le seiziesme jour de juillet ensuivant, Richart, fils de feu Edouard prince de Galles, qui avoit esté ainsné fils du roy d'Angleterre et avoit esté mort avant ledit roy d'Angleterre, son père, et estoit de onze ans d'aage ou environ, fu couronné en roy d'Angleterre, en représentant la personne du prince son père. Et toutesvoies avoit laissié ledit roy d'Angleterre trois fils ; c'est assavoir : messire Jehan duc de Lenclastre, messire Hémon duc de Cantebruge, et messire Thomas dont moult gens avoient merveille : car la mère dudit roy Richart avoit esté mariée première fois au conte de Salebery, et avoit esté six ans en sa compaignie ; et depuis elle maintint que un chevalier d'Angleterre, appellé messire Thomas de Hollande, l'avoit fiancée avant ledit conte de Salebery, et l'avoit cogneue charnelment ; et pour ce ledit conte la laissa, et ledit chevalier l'espousa avec lequel elle fu longuement et en ot pluseurs enfans. Et après la mort dudit feu Thomas de Hollande, ledit prince de Galles, ainsné fils dudit roy d'Angleterre, espousa cette dame, vivant ledit conte de Salebery son premier mari ; et de ce mariage nasqui ledit Richart, qui fu fait roy d'Angleterre, comme dessus est dit, vivant encore ledit conte de Salebery.

XLVI.

Du grant effort de gens d'armes que le roy de France avoit sur les champs en cinq parties devisées.

Au moys de juillet ensuivant, le duc d'Anjou, frère du roy de France, et le connestable de France alèrent en Guyenne pour ledit roy de France, bien accompaigniés de gens d'armes et arbalestiers ; et si ot grant navire sur mer auquel avoit trente-cinq galées, et grant foison de barges et autres vaisseaux, lequel navire estoit fourni de gens d'armes et arbalestiers en grant nombre. Et avecques ce, en celle saison, tenoit le roy de France, en la frontière de Picardie, contre les Anglois qui estoient à Calais, à Guynes, à Ardre et ès autres forteresses qui se tenoient pour le roy d'Angleterre, grant foison de gens d'armes et arbalestiers. Et oultre ce, avoit pour ledit roy de France siège devant deux chastiaux qui se tenoient encore en Bretaigne pour messire Jehan de Montfort ; c'est assavoir : Brest et Auroy, et par tous les lieux dessus dis les gens du roy tenoient les champs. Et avecques ce, le duc de Berri, frère dudit roy de France, et le duc de Bourbon avecques luy estoient à siège devant une forteresse, en Auvergne, appellée Carlat, que gens de compaignie qui se tenoient de la partie des Anglois avoient occupée. Et ainsi le roy de France avoit telle puissance en cinq parties, que ses ennemis estoient partout les plus foibles. Et en vérité, de nulle mémoire d'homme n'avoit ce esté veu, né que le roy eust fait si grant fait et noble dont ci-après sera faite mencion. Et premièrement par ledit duc d'Anjou et ceux de sa compaignie en Pierregort, et autre part en Guyenne, furent prises grant nombre de forteresses, si comme ci-après est déclairié. Premièrement, au mois d'aoust, le tiers ou quart jour, se mist sur les champs ledit monseigneur le duc, en la duchié de Guyenne ès parties de Pierregort, en sa compaignie monseigneur Bertran du Guesclin, connestable de France ; monseigneur Loys de Sancerre, mareschal ; le seigneur de Coucy ; le seigneur de Montfort ; le seigneur de Montauban ; le sire de Rey ; messire Guy de Rochefort ; monseigneur Olivier de Mauny ; le sire de Monsteroys ; le seigneur d'Asse ; Le Besgue de Vilaines ; Ivain de Gales ; le sire de Chasteau-Giron[308] ; le sire de Bueil ; messire Pierre de Villiers grant maistre d'ostel du roy, et pluseurs autres seigneurs, jusques au nombre de seize cens hommes d'armes et cinq cens arbalestiers. Et se vint logier à Nantion[309] ; et d'ilec se parti pour venir devant un lieu appellé les Bernardières que tenoient les Anglois ; lesquels quant il sceurent sa venue se partirent dudit lieu et y boutèrent le feu. Et puis vint devant un chastel dudit pays de Pierregort, appellé Condac[310], que tenoient les Anglois, et l'assist et y fu environ quatre jours. Et puis luy fu rendu, lequel chastel monseigneur le duc fist abattre pour ce que les seigneurs dudit chastel avoient esté traistres, et estoient coustumiers de rober et pillier les païs voisins. (Et d'ilec, vint devant un autre fort chastel appellé Bordailles, et mist le siège devant et y fu environ six jours au siège, et puis luy fu rendu)[311]. Et vint à luy monseigneur Jehan de Bueil, lors séneschal de Beaucaire, qui pour ledit monseigneur le duc estoit demouré capitaine ès parties de Rouergue, de Quercin, d'Agenois, Bigorne, Basadois, et amena des gens que monseigneur d'Anjou luy avoit bailliés en gouvernement cinq cens hommes d'armes et deux cens arbalestiers. Et d'ilec se parti monseigneur d'Anjou aux gens[312] qu'il avoit par avant et ceux que Bueil luy avoit amenés, et vint devant Bergerac et assist ladite ville. Et pour icelle endomaigier et pour plus tost prendre, envoia monseigneur le duc ledit monseigneur Jehan de Bueil à la Riole, avec quatre cens hommes d'armes, pour amener les truyes et autres engins qui y estoient. Et monseigneur Thomas de Feleton, séneschal de Bordeaux, qui sceut que ledit Bueil estoit là alé, assembla tous les seigneurs de Gascoigne et autres que il peust assembler jusques au nombre de sept cens combattans, et se mist entre la Riole et Bergerac pour rencontrer ledit Bueil et ses gens ; et y en vindrent nouvelles audit monseigneur d'Anjou, qui tantost manda messire Pierre de Bueil, son mareschal, et luy dist qu'il préist trois ou quatre cens hommes d'armes et ses gens et alast à l'encontre de son frère pour le conforter. Si y ala et mena trois cens cinquante hommes d'armes, et estoient audit nombre messire Pierre de Bueil dessusdit, le Besgue-de-Villaines, Yvain de Galles, messire Gieffroy Fevrier, mareschal du connestable de France, messire Pierre de Mornay, mareschal de monseigneur Loys de Sancerre mareschal de France ; Thibaut du Pont, Juel Rolant et pluseurs autres notables chevaliers et escuiers, et se partirent de Bergerac le premier jour de septembre. Et celuy jour, près de la ville d'Aymet, trouvèrent les gens et coureux de monseigneur d'Anjou[313] les coureux dudit séneschal de Bordeaux, et furent pris aussi comme tous les coureux françois. Et incontinent qu'il se sceurent les uns près des autres il chevauchièrent d'une part et d'autre, si s'entr'encontrèrent ainsi comme à un quart de lieue d'Aymet, et descendirent à pié d'une part et d'autre, et se combattirent moult fort ; et par la grace de Dieu furent desconfis les Anglois, et furent ilec pris ledit séneschal de Bordeaux, les seigneurs de Lagoran[314], de Mussidan, de Duras, le sire de Rosan et pluseurs autres ; et y ot pluseurs des Anglois mors et noyés en une rivière qui près estoit, appellée le Drot. Et l'endemain se rendi ladite ville de Bergerac audit monseigneur d'Anjou qui y avoit esté à siège quinze jours ; et ainsi vint ladite ville en l'obéissance du roy de France. Et après ladite besoingne, messire Jehan de Bueil en amenant les engins chevaucha devant la ville d'Aymet qui se rendi, et ainsi fist la ville de Sauvetat.

[308] Les éditions imprimées portent Chasteau-Cheron. C'est par des erreurs de ce genre que les meilleures familles de France ont tant de peine à retrouver dans nos historiens les titres de leur ancienne illustration.

[309] Nantion. Ce doit être la petite ville de Nontron dans le Périgord, à dix lieues de Périgueux.

[310] Condac. Aujourd'hui village du département de la Charente, à demi-lieue de Ruffec.

[311] Ce qui est entre parenthèses a été omis dans les éditions précédentes. — Bourdeille, au-dessous de Nontron.

[312] Aux gens. Avec les gens.

[313] Coureux. Pour Coureurs. Dans le bon usage de l'ancienne langue françoise, on ne prononçoit pas les r finales dans les noms ni dans les verbes. Courri, allé, porteu, coureu, etc.

[314] Lagoran. Ou Langouiran, petite ville près de Castres.

XLVII.

Coment monseigneur le duc d'Anjou prist en Guienne pluseurs chasteaux et forteresses dont les noms s'ensuivent.

En celuy temps, monseigneur le duc d'Anjou estant devant Bergerac, monseigneur Berducat de Lebret vint à l'obéissance du roy avecques aucunes forteresces qu'il tenoit. Et de Bergerac se parti ledit monseigneur d'Anjou et ala devant Sainte-Foy, une grosse ville sur la rivière de Dourdogne ; et loga une nuit devant, et l'endemain se rendi, et puis ala devant Chasteillon[315] une grosse ville et chastel, assise sur la rivière de Dourdogne ; et mist le siège devant, et y fu par douze jours, ses truyes et ses engins fist drécier et gietter, et après ce qu'il orent domaigié la ville et le chastel, il se rendirent. Et ilec estant en son siège, envoia chevauchier ledit monseigneur d'Anjou ses gens devant une grande ville appelée Craon[316], laquelle se rendi. Et aussi envoia chevauchier monseigneur d'Anjou avec ses gens le sire de Coucy et le mareschal de Sancerre devant la Bourne et Saint-Million, et y ot de grans escarmouches. Et estant au siège devant Chasteillon, firent serment audit monseigneur d'Anjou, les seigneurs de Lagoran, Mussidan, Duras et de Rosan de estre desoremais bons et loyaus François, combien que assez tost après ne demoura guères que les seigneurs de Duras et de Rosan se parjurèrent et se tournèrent devers les Anglois, et s'en alèrent à Bordeaux. Après la prise de Chasteillon s'en ala logier monseigneur d'Anjou devant un chastel qui estoit de Lagoran, et l'endemain vint devant Sauveterre, en entencion de l'assaillir, laquelle se rendi et vint à l'obéissance du roy. Celuy jour, vint logier à un quart de lieue d'une grosse ville appellée Montsegur, laquelle se rendi l'endemain et vint à l'obéissance du roy. Et l'endemain se vint logier devant Cauderot[317] qui se rendi à luy ; d'ilec, vint devant Saint-Macaire et y mist le siège, et fist drécier huit truyes et deux engins ; mais dedans quatre jours se rendi la ville à luy, et la ville rendue, il fist drécier lesdis engins devant le chastel de Saint-Macaire, qui se rendi tantost après. Et ilec estant au siège, se rendi la ville de Langon. Et durant ledit siège, envoia chevauchier ledit duc d'Anjou aucuns de ses gens qui pristrent le chastel d'Andorte par assault ; et aussi ala chevauchier, du commandement de monseigneur d'Anjou, messire Olivier de Mauny[318] devant Lenduras et le prist.

[315] Chasteillon. Aujourd'hui Castillon, au-dessous de Saint-Emillion et de Libourne, que notre scribe va écrire La Bourne et Saint-Milion.

[316] Craon. Ou plutôt Creon, dans le pays Entre deux mers.

[317] Cauderot. Au-dessus de Saint-Macaire, sur la Garonne.

[318] Mauny. Variante : Cliçon. Ce doit être une faute de la plupart des manuscrits. Olivier de Clisson étoit alors en Bretagne.

XLVIII.

Coment pluseurs villes et chasteaux et forteresses se rendirent à monseigneur le duc d'Anjou.

Ledit monseigneur d'Anjou estant au siège devant Saint-Macaire, se vindrent rendre et mettre en l'obéissance du roy les seigneurs de Bedos, monseigneur Avisant de Caumont ; le sire du Chastel-d'Andorte, les enfans de Saincte Aoys[319], eux, leur villes, chasteaux et forteresses dont il avoient grant nombre. Et ledit monseigneur d'Anjou, estant au siège dudit lieu de Saint-Macaire, luy vindrent nouvelles que les seigneurs de Duras et de Rosan s'estoient tournés Anglois. Et tantost comme il le sceut, combien qu'il eust ordené de mettre siège devant Cardillac, voiant la mauvaistié des dessus dis, il ala devant Duras le jour Saint-Denis, et incontinent qu'il y fust venu, il fist asségier la ville qui celuy jour ne fu pas assaillie, mais l'endemain il ordena à la faire assaillir. Lors les gens de la ville doubtans l'assault la rendirent. Et puis assist le siège devant le chastel de ladite ville que moult estoit fort, et fist drécier ses truyes et ses engins et canons, qui moult endomagièrent ledit chastel, et en la fin luy fu rendu ; et y fu trois sepmaines au siège. Et après ledit chastel ainsi rendu pour la saison d'hiver qui estoit venue et aussi pour ce que tous les chevaux se mouroient, ledit duc départi ses gens par establies pour la saison de hiver. Durant cette saison conquist, tant par force comme autrement, et mist en l'obéissance du roy ledit monseigneur d'Anjou moult d'autres grosses et bonnes villes comme Blaive, Mussidan et pluseurs autres forteresses que tenoient les seigneurs de Lagoran et Mussidan ; si que en celle saison conquesta jusques au nombre de six vint et quatorze que villes que chasteaux et autres grosses forteresces et notables.

[319] Saincte-Aoys. Variante : Sainte-Assise.

XLIX.

Coment ceux qui tenoient le chastel d'Auroy se rendirent à l'obéissance du roy de France, par le sire de Cliçon.

En celle meisme saison, c'est assavoir le jour de la mi-aoust ensuivant, ceux qui estoient au chastel d'Auroy en Bretaigne, devant lequel le sire de Cliçon estoit à siège, le rendirent audit seigneur de Cliçon pour le roy de France, et s'en alèrent en Angleterre. Et ainsi demoura toute la duchié de Bretaigne au roy de France, excepté seulement le chastel de Brest, devant lequel avoit bastides pour le roy de France, afin que ceux dudit chastel ne peussent saillir hors.

En celuy meismes temps, le navire du roy de France qui estoit sur la mer fut en Angleterre ; et prinstrent ceux qui estoient dedens la ville de la Rie bonne ville et grosse, et puis l'ardirent et la laissièrent. Et en celuy temps, envoia le roy le duc de Bourgoigne, son frère, le sire de Cliçon et pluseurs autres en la frontière de Calais avec ceux qui devant y estoient ; et le quatriesme jour de septembre, ledit duc et sa compaignie alèrent devant la ville de Ardre qui, le septiesme jour dudit moys, fut rendue audit duc pour le roy. Et ledit jour fu pris d'assault le chastel de Banelinguen, et la forteresce de la Planque, rendue audit duc pour le roy, et depuis aussi fu pris le chastel d'Andric. Et après se parti ledit duc et sa compaignie du païs de Picardie, car il n'y povoient plus besoingnier pour le temps qui fu trop pluvieux, mais il establirent gens d'armes et arbalestiers, pour garder lesdites forteresces qu'il avoient prises. Et toutesvoies les Anglois ne retournèrent point à Bruges à la mi-aoust mil trois cens septante-sept, pour faire les responses sur les offres qui leur avoient esté faites à Bouloigne, ainsi comme il avoient promis, si comme il fu dit par devant[320].

[320] En cet endroit, dans le manuscrit de Charles V, no 8395, un feuillet presqu'entièrement blanc sépare ce qui précède de ce qui suit, et la main du calligraphe change. C'est que, comme je l'ai dit plus haut, la rédaction du voyage de l'empereur fut faite dans le temps même de son séjour en France. Il est probable que les chapitres précédens ne furent faits que plus tard, et ne furent transcrits qu'après le récit du voyage dans notre exemplaire, que nous regardons comme le modèle de toutes les autres leçons. Ces dernières l'ont à compter d'ici grandement défiguré, comme nous le remarquerons.

L.

Coment Charles, empereur de Rome, escript au roy que il vouloit venir en France.

En celuy temps mil trois cens septante-sept, escript au roy l'empereur de Rome Charles, le quatriesme de ce nom, par lettres escriptes de sa main, et par deux messages par luy envoiés, l'un assés tost après l'autre, qu'il estoit ordené pour venir en France veoir le roy et faire certain pèlerinage où il avoit sa dévocion, de quoy le roy fu moult liés. Et pour ce que par lesdites lettres, il ne mandoit pas le temps de son venir né par quel part il entendoit à entrer au royaume, luy renvoia le roy de ses chevaucheurs pour luy en rapporter la certainneté ; lesquels luy rapportèrent que à l'entrée d'Alemaigne, en la duchiée de Luxembourg, il avoient trouvé le roy des Romains, fils dudit empereur jà venu audit lieu de Luxembourg, et estoit venu à petite compaignie en habit mesconnu, luy et ses gens estimés entour quarante chevaux. Et quant le roy fu de ce acertené, il se pensa que l'empereur ne feroit pas longue demeure après la venue de son fils que il avoit envoié devant. Si envoia hastivement à Rains et jusques à la ville de Mouson entrée de son royaume, et par où ledit empereur devoit venir en celles parties, les contes de Sarebruche et de Braine, ses conseilliers ; le sire de La Rivière, son premier chambellan, et messire Pierre de Chevreuse, maistre de son hostel, en leur compaignie, et autres de ses serviteurs, pour aler à l'encontre dudit empereur, et le recevoir honorablement à l'entrée du royaume. Et demourèrent lesdites gens du roy audit lieu de Mouson bien quinze jours ; auquel temps il n'orent nulles nouvelles dudit empereur, combien qu'il envoiassent audit lieu de Lucembourg, devers son fils, pour en savoir la certaineté, lequel semblablement leur fist savoir que nulle certaineté n'en savoit. Pour lesquelles choses le roy les remanda. Et assez tost après leur retour, vint un messaige de l'empereur au roy, et luy apporta lettres escriptes de sa main, èsquelles il se excusoit de sa demeure, pour certaines guerres qui estoient en aucunes parties d'Allemaigne, lesquelles il avoit desjà en partie et vouloit du tout mettre en paix, avant son département, et luy faisoit savoir que sans nulle faulte, il seroit huit jours devant Noël à Paris ; et que pour certaines causes et pour tenir plus brief et meilleur chemin, il avoit changié son propos de venir par Lucembourg, mais il venroit par Brebant, Hénau et Cambray ; et pour ce manda son fils estant à Lucembourg venir en Breban à luy, lequel le duc de Breban, son frère et la duchesse sa femme, avecques les bonnes gens du païs receurent moult honorablement. Et là, devoit venir à luy le conte de Flandres, lequel se parti de Gand pour cette cause, à tout quarante chevaliers en sa compaignie pour venir à Bruxelles ; et là furent pris les hostels pour luy. Mais quant il fu près de là, il s'escusa pour maladie qui luy survint. Pour ce, se envoia excuser par le chastelain de Diquemme et autres de ses gens, et s'en retourna en son païs sans veoir l'empereur. De là se parti ledit empereur et vint en Haynau, où il cuidoit trouver le duc Aubert, gouverneur de Haynau, lequel il avoit là mandé ; mais ledit duc estoit alé en Hollande, et pour ce n'y vint point ; et toutesvoies ala ledit empereur au Quesnoy où ses enfans estoient, et là demoura un jour et vit lesdis enfans.

LI.

Coment le roy de France envoia honnorables messaiges en la cité de Cambray, pour aler à l'encontre de l'empereur qui y devoit venir et le acompaignèrent très-honnorablement jusques dedens ladite ville, en laquelle il fu receu joieusement à processions ; et des paroles que l'empereur dit aux gens que le roy luy avoit envoiés.

En celuy temps, avoit le roy envoié ses messages à Cambray devers ledit empereur ; c'est assavoir, le seigneur de Coucy, les contes de Sarebruche et de Braine, le seigneur de La Rivière, Jehan Lemercier : et en leur compaignie avoit grant foison de chevaliers et d'escuiers en bonnes estoffes, vestus des livrées desdis seigneurs, et estoient bien trois cens chevaux. Et furent le mardi devant Noël, vint-deuxiesme jour de décembre, à Cambray un matin, et alèrent à l'encontre de l'empereur bien une lieue hors de Cambray ainsi acompaigniés, pour luy encontrer et accompaignier de par le roy ainsi honnorablement comme dessus est dit ; en luy disant que le roy le saluoit et avoit grant joie de sa venue et grant désir de luy veoir. Si les reçut moult gracieusement et en mercia moult le roy et eux de ce qu'il y estoient venus, en leur disant que mès qu'il fust venu à la ville, il parleroit à eux plus plainement. Et dont vint ledit empereur et approcha ladite ville de Cambray, et vinrent au-devant de luy l'evesque et les bourgois à bien deux cens chevaux et plus ; et le commun et arbalestiers de la ville estoient à l'entrée de la ville rengiés sans paremens, d'une part et d'autre en assez belle ordenance. Et l'empereur vint chevauchant sur un roncin gris, et vestu d'un mantel et chapperon de drap gris fourré de martres, et son fils, le roy des Romains, encoste luy chevauchant aussi avant comme luy ; et ainsi chevauchièrent jusques bien avant en ladite ville, et là encontrèrent l'evesque et les collèges à procession[321]. Si descendirent l'empereur et son fils et ainsi alèrent à pié jusques à l'églyse. Et après ce qu'il ot fait son oraison, il s'en ala en l'ostel de l'evesque, lequel estoit bien honnestement paré en sales et en chambres, et luy fist ledit evesque ses despens tant comme il fu à la ville. Et après disner envoya querre les gens du roy dessus escrips et leur dist publiquement et devant chascun que combien que il eust sa dévocion à monsieur Saint-Mor, venoit-il principalement pour veoir le roy, la royne et leur enfans, que il désiroit plus à veoir que créature du monde ; et que après ce que il l'auroit veu et parlé à luy, et qu'il luy auroit baillié son fils, le roy des Romains, pour estre tout sien, lequel il luy amenoit, quant Dieu le voudroit après prendre il prenroit la mort en bon gré, car il auroit acompli l'un de ses plus grans désirs. Et combien que lesdites gens du roy eussent sceu qu'il avoit entencion de estre à Noël à Saint-Quentin, il firent tant que il demoura audit lieu de Cambray, qui est sa ville et sa cité, en laquelle il povoit faire ses magnificences et estas impériaux ; et que au royaume de France n'eust point souffert le roy que ainsi en eust aucunement usé. Et pour ce que de coustume l'empereur dist la septiesme leçon à matines, revestu de ses habits et enseignes impériaux, il fu avisé, par les gens du roy, que au royaume ne le porroit-il faire, né souffert ne luy seroit. Si se consenti de bonne volenté de demourer audit Cambray pour faire son ordenance acoustumée en son empire.

[321] Cette procession est figurée dans le msc. de Charles V, fo 467, vo. Le costume de l'évêque est assez curieux.

LII.

Les noms des villes par où l'empereur passa depuis Cambray jusques à Senlis, et des nobles hommes qui lui furent à l'encontre.

L'endemain se party de Cambray ledit empereur, et vint au giste en une abbaye du royaume que l'on appelle le Mont St-Martin[322], et y disna le jour, et puis vint au giste à Saint-Quentin. Auquel lieu de Saint-Quentin les gens et officiers du roy, bourgois et habitans de ladite ville, vindrent à cheval à l'encontre de luy et le reçurent honorablement, en lui disant que bien fust-il venu en la ville du roy ; et luy firent grans présens de char, de poissons, de vins, de pains, de foins, d'avaine et de cires. Et est assavoir que en ladite ville et semblablement par toutes les autres villes où il a esté, tant en venant à Paris comme en son retour, il n'a esté receu en quelconque églyse à procession né cloches sonnans, né fait aucun signe de quelconque dominacion ou seigneurie ; si comme au roy ou à ceux qui ont la cause de luy appartiegne à estre fait en tout le royaume de France. Audit St-Quentin demoura ledit empereur un jour, et vint à Han au giste où les gens du roy qui au-devant estoient allés toujours le compaingnièrent ; et vindrent les gens de ladite ville de Han au-devant de luy, et lui firent la révérence si comme avoient fais ceux de Saint-Quentin ; et de là se parti l'endemain après boire et vint au giste à Noyon. Et au devant de luy vindrent à cheval l'evesque, chappitre et bourgois de ladite ville en grant et belle compaignie, et luy firent la révérence, en disant les paroles telles comme ceux de Saint-Quentin luy avoient dites, en disant que bien fust-il venu en la ville du roy ; et lui firent les présens comme dessus est dit. Et demoura en ladite ville deux jours, et visita l'abbaye de Saint-Eloy et le corps saint.

[322] Le Mont Saint-Martin. Aujourd'hui village sur la route et à mi-chemin de Cambray à Saint-Quentin.

Et le jeudi trente-et-uniesme et derrenier jour de décembre, se parti d'ilec après boire et vint au giste à Compiègne ; et au-devant de luy vindrent à une lieue de la ville les gens de ladite ville, en belle ordenance et bonne compaingnie bien jusques à deux cens chevaux. Et assez tost après vint, de par le roy, à l'encontre dudit empereur, le duc de Bourbon, frère de la royne de France, le conte d'Eu, cousin germain du roy, les evesques de Beauvais et de Paris, et pluseurs autres notables chevaliers et seigneurs en leur compaingnie, jusques au nombre de trois cens chevaliers et plus, vestus des robes dudit duc, lesquelles étoient de blanc et bleu mi-parti. Et luy dit le duc de Bourbon que le roy le saluoit et estoit bien lie de sa venue et que très-volontiers le verroit, et que là les avoit envoyés le roy pour le compaingnier. Et l'empereur venu en ladite ville et descendu en son hostel, le duc de Bourbon pria les seigneurs et chevaliers de l'ostel de l'empereur de venir souper avecques luy en son hostel, lesquels y alèrent ; et l'empereur, pour luy faire plus avant plaisir, luy envoya son fils le roy des Romains, en luy mandant que sé il feust en point qu'il se peust aidier, car de nouvel au partir de Noyon lui estoit prise sa goute dont il estoit si empeschié qu'il ne pouvoit aler, que luy en sa personne fust alé souper avecques luy. Et ledit duc de Bourbon festoya ledit roy et tous les autres, et donna à souper très grandement et largement, et y assembla et fist estre les dames qui estoient en la ville et environ. Et l'endemain, qui fu le vendredi premier jour de janvier, après ce qu'il ot disné à Compiègne, il vint en un curre, pour ce qu'il ne pooit chevauchier, à heure de vespres à Senlis : et au-devant de luy alèrent le baillif de ladite ville et les officiers du roy, et en leur compaingnie les gens de la ville, jusques au nombre de cent chevaux, en lui faisant la révérence et en luy disant qu'il fust le bien venu en la ville du roy.

LIII.

Comment messeigneurs les ducs de Berry et de Bourgoigne, frères du roy de France, acompaingniés de pluseurs nobles chevaliers, alèrent au devant de l'empereur pour luy acompaingnier à entrer en la cité de Senlis, et coment lesdis chevaliers et escuiers estoient noblement vestus d'une couleur.

ANNÉE 1378

Tantost après un petit d'espace, à une lieue de ladite ville au plus, vindrent à l'encontre dudit empereur de par le roy de France, messeigneurs ses frères, les ducs de Berry et de Bourgoigne, le conte de Harecourt, l'archevesque de Sens et l'evesque de Laon, et estoient lesdis seigneurs accompaingniés de chevaliers et d'escuiers vestus tous d'une robe, c'est assavoir : les chevaliers partis de veluyau noir et gris ; les escuiers, de soie pareil de couleur, et estoient bien cinq cens chevaux en leur compaingnie. Et dit le duc de Berry à l'empereur, de par le roy, que le roy le saluoit et avoit grant desir de le veoir, et les envoioit au devant de luy pour luy honnorer et accompaingnier à leur povoir, dont il mercia le roy et eux très grandement. Et quant il fu descendu à son hostel, jusques où il le convoièrent, il s'en retournèrent à leur hostels afin que il ne le grevassent, car il estoit moult malade et travaillié ; et les gens de la ville firent tels présens comme dessus est dit des autres villes.

LIV.

Coment l'empereur vint de Senlis à Louvres, et l'y envoya le roy un curre et une littière noblement attelés, et de là vint à Saint-Denis en France.

Le samedi ensuivant, qui fu second jour de janvier, se parti de Senlis ledit empereur après boire, et vint au giste à Louvre, et vint à l'encontre de luy le duc de Bar que le roy y envoya, qui de nouveau depuis le département les frères du roy estoit venu vers luy ; et furent avec luy aucuns contes, banerés, chevaliers et escuiers, et là combien que ce soit ville plate, luy furent fais aussi grans et aussi honnorables présens comme ès villes dessus dites. Et l'endemain, qui fu dimanche troisiesme jour de janvier, se parti de Louvres après boire. Et pour ce que le roy avoit entendu qu'il estoit moult agrevé de la goute et ne pouvoit chevauchier et le charrier luy faisoit grevance, il luy envoya toute nuit, la nuit de samedi, un des curres de son corps noblement appareillié et de chevaux blans atelé, et la littière de son ainsné fils le daulphin de Vienne noblement appareilliée et attelée de deux mules et de deux coursiers pour venir dedens plus aisiement. De quoy ledit empereur fu moult lie, et en mercia moult le roy en son absence en recevant ledit curre et laditte littière des messages du roy ; et puis vint en ladite littière jusque à la ville de Saint-Denis bien acompaingnié de cent hommes à cheval des gens de ladite ville. Et assez tost après luy vindrent au dehors de ladite ville les arcevesques de Rains et de Rouen et de Sens ; les evesques de Laon, de Beauvais, de Paris, de Noyon, de Baieux, de Lisieux, de Meaux, d'Evreux, de Thérouenne et de Condon ; et l'abbé de Saint-Waast d'Arras, tous du conseil le roy, et luy firent la révérence, en disant que il fust le bien venu, et que le roy les avoit là envoiés pour le honnorer et le acompaingnier. Et luy venu à Saint-Denis, il fist descendre sa littière et porter icelle à bras, car pour sa maladie de goute dessus dite, il ne povoit aler à pié. Et pour ce, en icelle se fist porter en l'églyse Saint-Denis, devant le grant autel saint Loys où il fist son oroison dévotement. Et ainsi de là fu porté dedens ladite littière jusques en sa chambre, et là luy furent présentés, de par l'abbé, de grans poissons, de connins, de buefs, de moutons, de volaille et d'avoine, et habondance du vin, tant comme luy et ses gens en porent despendre. Et pareillement luy firent les gens de la ville de très grans présens ; et après ce que il se fu une grant pièce reposé, il se dementa de veoir les reliques de léans, et se fist porter au trésor en une chaière et là vit les reliques, les couronnes, joyaux, et s'y tint très longuement en y prenant très grant plaisir, si comme il sembloit à sa chière, par le rapport de ceux qui près de luy estoient. Et après ce qu'il fu reporté en sa chambre, lesdis frères du roy et aucuns des prélas qui estoient demourés prisrent congié de luy, et revindrent devers le roy à Paris, et il demoura tout le jour en ladite abbaye.

LV.

Coment l'empereur après ce qu'il ot veu les reliques Saint-Denis, tant ou trésor comme ailleurs, et visité les sépultures que il requist à veoir, se parti de Saint-Denis pour venir à Paris.

Le lundi ensuivant, quatriesme jour du mois de janvier, se leva l'empereur bien matin, pour ce que celuy jour il devoit venir à Paris ; si se fist porter en l'églyse de monseigneur saint Denis et devant les corps sains, et là fist ses dévocions, et se fist porter entour les chaces, et baisa les reliques, le chief, le clou et la couronne, et puis demanda à veoir les sépultures des roys, et par espécial du roy Charles et de la royne Jehanne sa femme, du roy Phelippe et de la royne Jehanne de Bourgoigne sa femme ; car il disoit que en leur hostel avoit esté norry en sa jeunesse et que moult de biens lui avoient fais. Et aussi volt-il veoir la sépulture du roy Jehan, et fist assembler l'abbé et le couvent et leur requist très affectueusement que il voulsistent Dieu prier pour ses bons seigneurs et dames qui gisoient là. Après se parti de l'église, et vint en sa chambre où il avoit esté par devant, et là vint de par le roy, c'est assavoir messires Bureau de la Rivière, son premier chambellan, et Colart de Tanques, escuier de son corps, et vinrent en la court devant les fenestres de sa chambre, et luy présentèrent, de par le roy, un bel destrier ensellé des armes de France bien et richement, et pareillement un bel coursier ; et autant et autels en présentèrent à son fils le roy des Romains. De quoy il mercia le roy grandement, et dit qu'il monteroit et entreroit dessus à Paris, combien que il luy fust bien grief pour cause de sa maladie : et pour ce les envoya devant à La Chappelle Saint-Denis, et jusques là se fist porter en la littière de la royne, qui pour ce luy avoit esté envoiée très-richement et noblement attelée et appareilliée. Et après ce qu'il ot beu, il se party de Saint-Denis en la littière, comme dit est ; et entre Saint-Denis et La Chappelle, vindrent à l'encontre de luy le prévost de Paris et le chevalier du guet, avecques très grant quantité de leur gens à cheval, vestus d'unes robes, et aussi y estoit le prévost des marchands, et les eschevins de la ville de Paris, et des bourgois bien montés et vestus de robes mi-parties de blanc et de violet : et estoient bien en nombre, en ladite place, de dix-huit cens à deux mile hommes, de quoy lesdis prévost et chevaliers, les eschevins et grant quantité de autres bourgois estoient montés sur beaux destriers et coursiers très noblement, et se misrent rengiés aux champs, selon le chemin, en très belle ordenance.

LVI.

Coment les prévos de Paris et des marchans et Chevalier du guet se despartirent d'avec le commun qui estoient rengiés sur les champs, et alèrent au devant de l'empereur pour luy faire révérence.

Lors se départirent d'avec les autres le prévost de Paris, le prévost des marchans et le Chevalier du guet, et se approchièrent de l'empereur, et porta le prévost de Paris les paroles en disant : « Très excellent prince, nous les officiers du roy à Paris, le prévost des marchans et les bourgois de la bonne ville, vous venons faire la révérence et nous offrir à faire vostre bon plaisir, car ainsi le veult le roy nostre seigneur, et le nous a commandé. » Et l'empereur en mercia le roy et eux moult gracieusement. Et lors lesdis prévos et échevins avec les bourgois vindrent ensemble jusques à Paris, et estoient bien en la compaingnie tant des officiers du roy comme des gens de la ville de Paris, quatre mille chevaux et plus. Et ainsi acompaingnié vint ledit empereur à la Chappelle Saint-Denis, et là se fist descendre de la littière de la royne en un hostel, et fu mis à cheval sur le destrier que le roy luy avoit envoié à Saint-Denis, lequel estoit morel[323] ; et semblablement monta le roy des Romains sur celui que le roy luy avoit envoié, lequel estoit pareillement morel. Et appenséement le roy de France les leur donna de celuy poil qui est plus loing et opposite du blanc, pour ce que ès coustumes de l'empire, les empereurs ont acoustumé d'entrer ès bonnes villes de leur empire et qui sont de leur seigneurie, sur cheval blanc, et ne vouloit pas le roy que en son royaume il le feist ainsi, affin qu'il n'y peust estre noté aucun signe de dominacion[324].

[323] Morel. Noir. On voit cette cavalcade dans le manuscrit de Charles V, fo 470, ro.

[324] Villaret a eu grand tort de traiter de petitesses ridicules toutes ces précautions cérémonieuses du roi de France. Dans les idées admises à la cour impériale et souvent même à celle de Rome, tous les rois chrétiens relevoient de l'empereur. Or, l'indépendance de la couronne de France ne permettoit pas de tolérer de pareilles prétentions.

LVII.

Coment le roy de France se parti de son palais pour aler à l'encontre de l'empereur son oncle.

En celuy mesme jour et heure, se parti le roy de France de son palais, monté sur un grant palefroy blanc, richement ensellé tout aux armes de France. Et estoit le roy vestu d'une cote hardie[325] d'escarlate vermeille et d'un mantel à fons de cuve fourré. Et avoit en sa teste un chappel à bec de la guise ancienne, brodé et couvert de perles très richement. Et en sa compaingnie estoient quatre ducs, c'est assavoir : de Berry, de Bourgoigne, de Bourbon et de Bar ; et les contes d'Eu, de Bouloigne, de Coucy, de Sarebruche, de Tancarville, de Sancerre, de Dampmartin, de Porcien, de Grantpré, de Siaume et de Braine ; et pluseurs autres grans seigneurs, banerés et autres chevaliers sans nombre et estimacion, et d'autres grans gentilshommes ; et si estoient des prélas tous ceux dessus escrips, qui alèrent au dehors de la porte Saint-Denis au devant de l'empereur, et estoient tous en chappes romaines par l'ordenance et commandement du roy ; et estoient grandement montés, et accompagnés de leurs chappelains et autres gens chascuns de leur robes. Et les seigneurs et princes dessus dis estoient montés sur grans chevaux moiens, plus haus que coursiers et grandement acompaingniés de chevaliers et d'escuiers, chascun des livrées de leur seigneurs. Et aussi avoit le roy ses officiers de tous estas, en très grant quantité, vestus chascun office d'unes robes ; c'est assavoir : chambellans, de deux paires de robes les unes de veluyau et les autres de deux escarlates parties ; les maistres d'ostel, de deux veluyaux inde et tenné ; et les chevaliers d'onneur, de veluyau vermeil ; les escuiers du corps et d'escuierie, de camocas bleu ; les huissiers d'armes, de deux camocas partis de bleu et rouge ; les officiers, panetiers, eschansons, varlès tranchans, vestus de deux satanins pallés de blanc et tenné ; et pareillement estoient les officiers du daulphin de Vienne, ainsné fils du roy ; et les queus et escuiers de cuisine vestus de houpellandes de soie et aumuces fourrées, à boutons de perles pardessus ; les varlès de chambre cinquante-deux, tous vestus d'unes robes d'un roié gris blanc contre noir ; les someliers vestus d'un roié gris blanc contre un drap noir. Les sergens d'armes, de cinquante à soixante, vestus d'unes robes de drap bleu et noir. Les someliers, d'un roié brun contre un vermeil ; et ainsi de tous les autres officiers, chascune office séparément d'unes robes. Et mist le roy à partir de la cour du palais, pour la multitude des gens à cheval qui y estoient, plus de demi-heure à issir hors. Et chevaucha parmi la ville en grant multitude de gens, droit le chemin de Saint-Denis, en passant par la porte et bastide de Saint-Denis. Et estoit l'ordenance des gens du roy si bien faite, que peu y avoit de presse au regart de la multitude de gens qui là estoient. Et devant aloient tous les chevaliers et escuiers, les arbalestriers de cheval et sergens d'armes. Et devant le roy estoit le mareschal de Blainville et escuiers de son corps, qui avoient deux espées à escharpe et les chappeaux de paremens. Et, sans moien[326], estoit devant luy le fils du roy de Navarre et les contes de Harcourt et de Tancarville, et par derrière ses huissiers d'armes. Et après, les quatre ducs dessus dis, et pluseurs autres contes et barons, et les prélas dessus nommés par ordenance venoient après, deux et deux.

[325] Cote hardie. Dans la miniature que nous avons mentionnée tout à l'heure, cette cote hardie paroît être un vêtement serré sous le manteau.

[326] Sans moien. Sans intermédiaire.

LVIII.

Coment le roy de France et l'empereur avec son fils, le roy des Romains, s'entrencontrèrent entre La Chappelle et le Moulin à vent, et de la révérence que il firent l'un à l'autre à l'assemblée.

Après ceux, aloient les arcevesques premiers, et les evesques après ; et après venoient les grans chevaux et palefrois du roy très richement ensellés, et les varlès les menoient en destre, montés sur autres roncins, vestus tous d'unes robes, et si avoient paremens de France en escharpe, en la manière acoustumée. Et le palefrenier du roy estoit devant les escuiers de corps, monté sur un grant coursier, et avoit le parement du roy, lequel estoit de veluyau et de brodeure ; les fleurs de lis pourfilées de perles en escharpe autour le col, ainsi comme il est acoustumé de porter. Et avec les sergens d'armes du roy estoient devant les deux trompettes du roy, à trompes d'argent et penonceaux de brodeure qui trompoient aucune fois, pour faire les gens avancier de chevauchier. Et ainsi chevaucha le roy de son palais jusques en mi-voie du Moulin à vent et de La Chappelle, que il s'entrencontrèrent luy et l'empereur ; et fu grant pièce avant que il pussent venir l'un à l'autre, pour la presse des gens qui y estoient. En laquelle encontre ledit empereur osta sa barrette et son chapperon, et aussi le roy ; et ne se volt le roy trop approchier de l'empereur, pour ce que son cheval ne fraiast à ses jambes où il avoit la goute ; mais prisrent les mains l'un de l'autre et s'entresaluèrent, en disant le roy à l'empereur que très bien fust-il venu et que il avoit eu grant désir de le veoir. Et passa outre le roy pour saluer le roy des Romains en la manière qu'il avoit fait l'empereur ; et puis retourna devers l'empereur et le fist mettre à dextre de luy, combien que l'empereur s'en excusast très-longuement et ne le vouloit faire ; et fist mettre à senestre emprès luy le roy des Romains. Et ainsi chevaucha le roy au milieu de l'empereur et de son fils tout le chemin, et tout au lonc de la ville de Paris jusques à son palais, par l'ordenance et en la manière qui s'ensuit :

LIX.

De la noble ordenance qui estoit quant le roy et l'empereur et son fils entrèrent à Paris.

Premièrement, fu par le roy ordené que les gens de la ville, pour ce qu'il estoient en trop grant quantité, demourassent aux champs sans entrer en la ville, jusques à tant que l'empereur, le roy et toutes leur gens fussent entrés et passés en la ville, et ainsi fu fait. Et aussi avoit le roy fait crier le jour devant, que nul ne fust tant hardi d'occuper le chemin de la grant rue en venant au palais de gens né de charroi, né ne se boujassent des places où il s'estoient mis pour veoir l'empereur, le roy et le roy des Romains passer.

Et de fait furent mis sergens, pour garder au bout des rues qui viennent sur le chemin de la grant rue, qui gardoient et deffendoient le peuple de passer. Et lors descendirent à pié trente des sergens d'armes, et prisrent le travers de la rue, alant devant les escuiers du corps du roy leur maces en leur poings, et leur espées garnies d'argent en escharpe[327]. Et pour ce que l'empereur avoit fait assavoir au roy, dès ce qu'il vint à Saint-Denis, que à son venir à Paris il ne vouloit avoir nul de ses gens auprès de luy, mais se mettoit en la garde et gouvernement du roy et de ses gens tels comme il les luy voudroit baillier, et prioit très fort le roy que il les luy voulsist tels baillier que bien le gardassent de presse ; et aussi qu'il pleust au roy ordener aucunes gens qui menassent ses gens devant au palais tous ensemble, laquelle chose le roy fist ; et les fist mener les premiers et conduire par le seigneur de Coucy, le conte de Sarebruche et le conte de Braine, qui continuelment avoient esté avec l'empereur puis qu'il estoit entré au royaume. Et pour la garde du corps de l'empereur ordena le roy six de ses chambellans et quatre de ses huissiers d'armes ; c'est assavoir : le seigneur de la Rivière, messire Charles de Poitiers, messire Guillaume des Bordes, messire Hutin de Vermelles, messire Jehan de Barguettes et le Barrois ; et autant en ordena le roy pour son corps : et au roy des Romains, quatre et deux huissiers d'armes, lesquels tous chambellans, chevaliers et huissiers d'armes descendirent aussi à pié, et se ordenèrent en la garde qui commise leur estoit en belle et bonne ordenance.

[327] Voyez la curieuse représentation de ces écuyers du corps du roi, dans la deuxième miniature du fo 470 ro, manuscrit de Charles V.

LX.

De l'ordenance des nobles barons, chevaliers, prélas, escuiers et gens de Paris, qui chevauchoient après les trois princes dessus dis[328].

[328] Les quatre précieux chapitres suivans n'ont jamais été imprimés et ne se retrouvent que dans le manuscrit de Charles V et dans ceux des Continuateurs de Nangis. Les éditions imprimées et les autres manuscrits portent : « Et du surplus je me tais, pour ce que trop longue chose seroit à escrire ; et mesmement à ce que en pluseurs lieux en sera trouvé escript. Et bien viens au disner que le roy luy donna au palais dont l'assiette fu telle. » Par ces mots en pluseurs lieux il semble que l'on ait voulu désigner l'Histoire de Charles V faite plus de vingt ans après le meilleur texte de nos Chroniques par Christine de Pisan. Mais cet historien a beaucoup abrégé elle-même les précieux détails dans lesquels l'historiographe étoit entré.

Item, après les gens de l'empereur qui estoient les premiers entrans en la ville, estoient les chevaliers et escuiers du royaume de France, qui estoient bien huit cens chevaliers sans les escuiers dont on ne sait le compte, et estoient noblement vestus et parés et très-bien montés, si que c'estoit noble et merveilleuse chose à veoir. Après estoient le chancelier de France et les conseillers du roy lays. Et après estoient d'un front, à pié, les portiers et varlès de porte, leur verges en leur mains et vestus d'unes robes. Et après estoit à cheval le prévost de Paris, et après le prévost pluseurs contes et barons. Et après estoit le maréchal de Blainville. Et après ledit mareschal estoient les escuiers du corps et escuierie du roy comme dessus est escript. Et au plus près de l'empereur, du roy et du roy des Romains, estoient un renc de chevalliers à pié, chascun un baston en son poing ; et les chambellans et gardes sus escrips entour l'empereur, le roy et le roy des Romains, estoient tellement que nul n'en povoit approuchier né les empresser. Et derrière les chevaux de l'empereur, du roy et du roy des Romains, estoient les huissiers d'armes tous rengiés à pié, qui aussi avoient des bastons en leurs poins. Et venoient après les frères du roy, le duc de Berry et de Bourgoigne, et entre eux deux, au milieu, estoit le duc de Breban, frère de l'empereur et oncle du roy ; et après, le duc de Sassoigne, esliseur de l'empire, le duc de Bourbon, le duc de Bar, et des autres ducs allemans un appellé le duc Henry, le duc de Bousselau et le duc de Trappo. Et derrière lesdis ducs estoient vint chevaliers et escuiers à pié, qui sont pour la garde du corps du roy, et vint-cinq arbalestriers tous armés couvertement, les espées en une main et bastons ès autres, lesquels se tenoient fors et serrés ensemble pour garder de foule et de presse l'empereur, le roy et le roy des Romains, et les ducs dessus dis qui venoient derrière eux, de la foule et multitude des gens qui venoient après à cheval. Et après venoient tous les prélas dessus escris, et après, les chevaux de parement du roy et tout le remenant de la multitude de chevaux et gens. Et tout derrière venoient le prévost des marchans, le chevalier du guet et les sergens, avec les gens de la ville de Paris. Et ainsi et par telle ordenance chevauchoient l'empereur, le roy et le roy des Romains, par tele manière qu'il ne fussent pressés né arrestés. Mais en brief temps et pou d'espace, vindrent très légièrement et briefment jusques au palais, dont plusieurs gens furent moult merveilliés, qui autrefois n'avoient veue tele né si bonne ordenance de tele multitude, si pou de desroy né de presse. Et aussi furent faites à la porte du palais certaines barrières, et à l'entrée des merceries et de la grande sale aussi, et mis et ordenés sergens d'armes et autres sergens pour icelles garder estroitement, et telement furent gardées que l'empereur, le roy et le roy des Romains et des autres grans seigneurs qui y entrèrent, n'estoient pas plus de quarante[329] chevaux ; et avoit esté ordené que à la venue ou entrée dudit palais, nul ne s'arrestast devant ladite porte, mais passast oultre chacun à cheval et s'espandissent parmi les rues foraines, afin de y avoir moins de presse. Et ainsi vindrent au perron de marbre environ trois heures après midi. Et pour ce que l'empereur ne se povoit pas aisément soustenir pour sa dite maladie, mais le convenoit porter entre bras, le roy luy avoit fait appareillier par un sien secrétaire qui lors estoit concierge de son palais, nommé maistre Phelipe Ogier, en la cour soubs ledit perron, une chaiere couverte de drap d'or et le fist asseoir dedens.

[329] Quarante. Suivant Christine de Pisan : Cent.

LXI.

Comment le roy de France vint à l'empereur emprès le perron où il estoit assis et le salua et le baisa, et puis baisa le roy des Romains, et de l'assiette du soupper de celuy jour.

Si comme l'empereur se séoit et reposoit en la chaière dessus dite, le roy vint à luy et luy dist qu'il fust le très bien venu en son palais, et que onques prince n'y avoit veu plus volentiers ; et lors le baisa, et l'empereur osta tout son chaperon et l'en mercia très humblement ; et aussi salua le roy son fils le roy des Romains et le baisa. Et lors fist le roy lever l'empereur par ses chevaliers et porter en sa chaière contremont les degrés, et aloit le roy d'un costé des degrés et menoit le roy des Romains à sa main sénestre ; et ainsi ala le roy coste à coste de l'empereur, jusques à la chambre qu'il luy avoit faite appareillier ; c'est assavoir en la chambre faicte de bois d'Irlande qui est coste la chambre vert, et regarde d'une part sur les jardins du palais et d'autre part à la Sainte-Chappelle ; et toutes les autres chambres derrière laissa pour l'empereur ; et pour son fils le roy des Romains laissa et fist ordener les chambres de dessous où se souloient retraire les roynes de France ; et prist et se loga le roy ès haultes chambres à galathas[330], que fist faire le roy Jehan son père. Et après ce que l'empereur se fu un petit reposé, le roy l'ala veoir en sa chambre ; et sitost que le roy approucha de luy, il osta tout arrière jus son chaperon, et dist que il le venoit veoir et luy monstrer sa coiffe que encore n'avoit pas veue[331] ; et l'empereur osta son chapeau et tantost se recouvrirent le roy et luy, et s'assistrent en deux chaières l'une emprès l'autre. Et là, le roy luy dist les paroles qui ensuyvent : « Beaux oncles, sachiez que j'ay si grant joie de vostre venue comme plus puis, et vous pri que vous tenez que en ce que j'ay vous avez comme au vostre, et plus avant ne vous scay offrir. » A quoy l'empereur osta arrière son chaperon et le roy aussi, et respondit ledit empereur ces paroles : « Monseigneur, je vous merci des honneurs et biens que vous me faites, et je vous offre et vueil que vous soyés certain que moy et mon fils que je vous ai ci amené ; et tous mes autres enfans et quanque j'ay, sommes vostres et le poez prendre comme le vostre. » Auxquelles paroles pluseurs gens estoient qui orent grant plaisir et joie de cestes grans amitiés et bonnes volentés. Et ainsi se départi le roy. Et pour la maladie dudit empereur qui estoit très-griève, considéré que il avoit eu fièvre avecques et estoit moult travaillié dudit chemin, le roy le fist soupper en sa chambre ; et il mena soupper avecques luy le roy des Romains et les ducs, seigneurs et chevaliers qui estoient venus avec luy, et y ot très grant soupper et très grant presse de gens d'estat, et fu l'assiète tele que il ensuit : L'evesque de Paris, premier ; le roy, et puis le roy des Romains ; le duc de Berry, le duc de Breban, le duc de Bourgoigne, le duc de Bourbon et le duc de Bar ; et pour ce que deux autres ducs n'estoient pas chevaliers, mengièrent à l'autre table, et leur tint compaignie messire Pierre fils du roy de Navarre, le conte d'Eu et pluseurs autres seigneurs. Et est assavoir que la grande sale du palais, la chambre de parlement, la sale sur l'eau, la chambre vert, les autres chambres notables du palais, la Sainte-Chappelle, la chapelle d'emprès la chambre vert estoient partout très-richement parées et ordenées, tant au palais comme au chastel du Louvre, à Saint-Pol, au bois de Vinciennes, et à l'ostel de Beauté-sur-Marne, èsquels lieux le roy mena, tint et festoia partout l'empereur. Et ainsi se passa la journée dudit lundi, entrée de l'empereur à Paris. Et après vin et espices données après souper, se retraistrent le roy, et le roy des Romains et les autres seigneurs chascun en sa chambre.

[330] A galathas. Christine : Et Galathas. Je pense qu'il faut entendre par là les longues galeries dans lesquelles sont encore aujourd'hui conservées les archives du parlement. Ce passage curieux nous apprend ce que les historiens de Paris semblent avoir ignoré, que le roi Jean avoit fait exécuter de grands travaux dans le Palais. Le nom de Galathas n'avoit jusqu'à présent été relevé que dans un édit de la chambre des comptes. « Galatha. Edictum anni 1358 : In camerâ compotorum superiùs ad Galathas, ubi erant Domini de Montemorenciaco, etc. Locus hodiè incognitus in Camerâ computorum. » (Nouv. Ducange.) Le texte de nos chroniques permet de mieux déterminer l'endroit appelé Galathas dans le Palais.

[331] « Et en le saluant osta tout jus son chaperon. Dont il pesa à l'empereur qui recouvrir le voult. Et il dist que il luy monstroit sa coiffe que encores n'avoit veue. Car est assavoir que ès anciennes guises, les rois portoient déliées coiffes soubs les chapperons. » (Christine de Pisan.)

LXII.

Des présens que ceux de la bonne ville de Paris firent à l'empereur et à son fils le roy des Romains.

Le mardi ensuivant, qui fu le quint jour de janvier, le prévost des marchans et les eschevins de Paris, à heure que l'empereur disnoit en sa chambre, entrèrent devers luy et luy présentèrent de par la ville, une nef[332] pesant neuf vins et dix mars d'argent, dorée et très-richement ouvrée, et deux grans flascons dorés et esmailliés du prix de septante mars d'argent. Et à son fils présentèrent une fontaine d'argent dorée et richement ouvrée du pois de quatre-vint trèze mars, avec deux grans pos d'argent dorés très richement ouvrés de trente mars pesans. Et ce dit jour, le roy ne vit point l'empereur pour ce qu'il avoit esté malade et mal dormi la nuit, et ot jà mengié et se vouloit couchier dormir à relevée, avant que le roy eust ouï son service et messe à note, comme de coustume est. Mais ledit empereur envoia devers le roy luy prier moult affectueusement que il luy pleust qu'il peust à luy parler ce jour privéement, pour luy dire aucunes besoignes dont il avoit à parler à luy ; et voult et requist que le chancelier de France y feust présent avecques le roy. Et menga le roy ce jour en sale à grant foison de gens ; et y furent le duc de Sassoigne, qui le soir devant n'avoit pas souppé avecques le roy, l'evesque de Brusseberg, le chancelier de l'empereur, et tous ou la plus grant partie des princes, seigneurs et gens de l'ostel de l'empereur ; et le roy des Romains n'y manga pas, pour ce que le roy le laissa tenir compaignie à l'empereur son père. Et après ce que le roy ot disné et se fu retrait en sa chambre, il ala à bien pou de gens et secrètement devers l'empereur, ainsi que il l'avoit prié et y mena son chancellier ; et l'empereur et le roy assis en deux chaières, l'un d'encoste l'autre, firent widier tout, excepté le chancellier de France que il retindrent et appelèrent. Et longuement parla l'empereur au roy, et tant furent bien ensemble comme l'espace de trois heures, et sur la fin de leur partir fu appellé le chancellier de l'empereur. Des paroles né des besoignes dont il parlèrent ne scet-on riens. Et aux vespres dudit mardi, qui fut veille de la Tiphaine, ala le roy icelles oïr en la Sainte-Chappelle, et à sa main sénestre menoit le roy des Romains ; et y estoient deux oratoires, tendus l'un à destre près des chaières, et l'autre à sénestre près du revestiaire ; et en celuy à destre étoit le roy, et en celui à sénestre le roy des Romains ; et fist le service l'arcevesque de Rains, et fu la Sainte-Chappelle si noblement aournée et l'autel si richement et grandement garni de joyaux d'églyse et de reliques, et tellement enluminée que c'estoit belle et merveilleuse chose à veoir. Et avoit si grant multitude de gens d'estat aus vespres, que à paines povoient-il estre en la Sainte-Chappelle. Et au soupper dudit mardi, qui fu la veille des Roys, fu le grant palais moult noblement paré et ordené, et tant de plas pendus par icelle, et tant de torches et estandars attachiés parmy la sale en moult de places, avecques grant multitude de varlés vestus d'un drap, tenans grant foison de torches, que on véoit aussi clair par nuit en ladite sale comme on feroit par jour ; et y soupa le roy, le roy des Romains, les prélas et princes qui ensuivent, en la forme et manière que l'assiete fu. C'est assavoir : que premier fu assis au grant days de la table de marbre l'evesque de Paris, l'evesque de Brusseberc, conseillier de l'empereur, l'arcevesque de Rains, le roy, le roy des Romains ; les ducs de Berry, de Breban, de Bourgoigne, de Saissoigne, de Bourbon ; le duc Henry et le duc de Bar, et les autres ducs et princes sistrent à l'autre days qui estoit entre la table de marbre et l'uis de parlement. Et fu le souper lonc et servi de grant foison de mès qui trop longue chose seroit à recorder. Et à ladite sale furent audit soupper, par le raport des héraux, tant du royaume de France comme d'estranges, de huit cens à mil chevaliers, et grant multitude d'autres gens d'estat en très grant presse, combien que le service feust fait très honnestement et sans desroy, et tost et bien délivrés et servis tous ceux qui mengièrent audit palais, aussi bien les basses et lointaines tables, comme les hautes et plus prochaines. Et après souper s'en ala le roy et le roy des Romains en la chambre de parlement, en leur compaignie les prélas, princes, seigneurs et chevaliers dessus escrips, tant comme il en y pot entrer. Et furent là les menesterels de bas instrumens, et y jouèrent en la manière acoustumée ; et estoit ladite chambre noblement parée toute à fleurs de lis et grandement alumée, et avoit deux chaières aus deux costés du lit à parer, hautement mises, et sur chascune d'icelles un ciel de brodeure à fleurs de lis. Et au prendre vin et espices le duc de Berry servi d'espices le roy, et le duc de Bourgoigne servi du vin, et après se retrahi le roy par derrières en sa chambre, et envoia le roy des Romains par la sale, en la compaignie de ses frères, les ducs dessus nommés et plusieurs autres seigneurs et chevaliers. Et ainsi fu parfaite la journée dudit mardi, qui fu cinquiesme jour de janvier.

[332] La Nef étoit le morceau principal de la vaisselle chez les grands seigneurs et surtout chez nos rois. La nef d'or étoit encore un meuble d'étiquette à la cour de Louis XVIII. J'ignore si elle orne toujours la table du roi.

LXIII.

Comment le roy monstra à l'empereur les reliques de la Sainte-Chappelle de son palais.

Le mercredi ensuivant, sixiesme jour de janvier et jour de la Thiphaine, l'empereur fist prier au roy qu'il luy pleust celui jour montrer les saintes reliques, et que celuy jour avoit dévocion de les veoir et soy faire apporter, et estre à la messe et disner au palais avecques le roy. Si se levèrent le roy et l'empereur bien matin, et fist le roy garder les portes du palais plus estroitement que devant par chevaliers et escuiers de son hostel, pour ce que le jour devant les sergens d'armes et sergens de Chastellet y avoient trop laissié passer de gens ; et si bien furent gardées que nul n'y entra que chevaliers et escuiers ou autres gens d'estat. Par quoy l'empereur et le roy alèrent paisiblement et sans trop grant presse en ladite chappelle : et pour ce que l'empereur voult en toutes manières monter en hault devant ladite chasse et veoir les saintes reliques, et la montée soit greveuse et estroite, il n'y pot estre porté dans sa chaière, mais se fist tirer par les bras et jambes contre mont la vix[333], et pareillement ravaler à très grant paine et travail et grevance de son corps, pour la grant devocion qu'il avoit à veoir de près lesdites saintes reliques. Et quant il fu amont et le roy ot ouverte la sainte chasse, ledit empereur osta son chapeau et joint les mains, et comme en larmes fist là son oroison longuement en très grant dévocion, et puis se fist soustenir et apporter baisier les saintes reliques ; et l'y monstra et devisa le roy toutes les pièces qui sont en ladite chasse. Et après ce que les princes qui avecques luy estoient orent baisié, le roy tourna ladite chasse devers la chappelle, et laissa à garder icelle les evesques de Beauvais et de Paris, revestus en pontifical de mictres et de crosses. Et quant l'empereur fu raporté aval, il ne voult pas estre mis en l'oratoire que le roy luy avoit fait appareillier, mais volt estre en la chaière où le trésorier de ladite chappelle a coustume à seoir, pour mieux et plus longuement veoir lesdites saintes reliques, et estre mieux à l'opposite du tronc de ladite chasse. Et là luy appareilla-l'en son siège d'un drap d'or bien et honestement, et le roy se mist en son oratoire qui estoit près de l'uis du vestiaire. Mais pour ce que l'empereur n'avoit nulles courtines, fist le roy rebrassier les siennes, et au commencement de la messe envoia le roy, par l'arcevesque de Rains, l'eaue benoite à l'empereur premiers que à luy et aussi le texte de l'Évangile, combien que l'empereur le refusast fort. Mais de fait le voult ainsi faire le roy pour luy honnorer, pour ce qu'il estoit venu luy veoir en son royaume et estoit en son hostel. Et quant ce vint à l'offrande, le roy avoit fait appareillier trois paires des offrandes, d'or, d'encens et de mirre, pour offrir pour luy et pour l'empereur ainsi qu'il est acoustumé. Et fist demander le roy à l'empereur s'il offreroit point, lequel s'en excusa en disant qu'il ne povoit aler né soy agenoillier né aucune chose tenir pour la goute, et qu'il pleust au roy offrir et faire selon son acoustumance ; si fu l'offrande du roy tèle qui s'ensuit : Trois chevaliers, ses chambellans, tenoient hautement trois bèles coupes dorées et esmaillées ; en l'une estoit l'or, en l'autre l'encens, et en la tierce le myrre, et alèrent tous trois par ordre, comme l'offrande doit estre bailliée, devant le roy et le roy après, qui s'agenoillièrent, et il s'agenoilla devant l'arcevesque, et la première offrande qui fu de l'or, luy bailla celuy qui la tenoit et il l'offri et baisa la main. La seconde, qui est de l'encens, bailla le secont chevalier qui la tenoit au premier, et il la bailla au roy, et il l'offri en baisant la main de l'arcevesque. La tierce, qui est de myrre, bailla le troisième chevalier qui la tenoit au deuxiesme, et le deuxiesme au premier, et le premier la bailla au roy, et en baisant la main dudit arcevesque tierce fois l'offri. Ainsi parfist son offrande dévotement et honorablement. Pour ce qu'il estoit tart n'ot point de sermon à ladite messe ; et à la paix donner, deux paix furent appareilliées que le diacre et soudiacre portèrent l'une à l'empereur, l'autre au roy, et aussitost l'un comme l'autre les baisièrent. La messe finée, le roy monta à la sainte chasse et fist baisier des princes et gens de l'empereur qui encore n'y avoient point esté. Et pour ce que la chose fu longue, se retray l'empereur en un retrait d'encoste ladite Sainte-Chappelle, où gisent les clers maregliers et gardes d'icelle, lequel retrait le roy avoit fait bien et honorablement appareillier pour reposer l'empereur. Et quant la chasse fu close, le roy s'en ala par la chappelle en sa chambre. Et lors envoia le roy vers l'empereur audit retrait de la Sainte-Chappelle en sa chambre, son ainsné fils le daulphin de Viennois, que il avoit envoyé quérir en son hostel de Saint-Pol et fait venir au palais pour veoir l'empereur, et l'acompaignèrent les frères du roy les ducs de Berry et de Bourgoigne, le duc de Bourbon frère de la royne, le duc de Bar ; et pluseurs autres seigneurs et chevaliers de grant estat y avoit aussi grant foison. Et quant l'empereur sceut que ledit dauphin venoit pardevers luy, il se fist lever de sa chaière et osta son chaperon et l'acola et baisa, et le daulphin s'inclina devant luy sans agenouiller. Et tantost après descendi le roy de sa chambre, et vint querre l'empereur pour aler mengier en la grant sale du palais : et portoit-l'en l'empereur en une chaière, et le roy estoit coste luy et tenoit le roy des Romains son fils à sa sénestre main, et devant portoit-l'en le daulphin sus cols de chevaliers acompaigné de seigneurs et chevaliers bien grandement. Et ainsi alèrent sans grant presse par les merceries et par la grant sale du palais jusques au hault days de la table de marbre, et fu l'ordenance et l'assiete tèle comme il s'ensuit, et comme il est figuré en l'ystoire[334] ci-après pourtraite et imaginée.

[333] La vix. L'escalier.

[334] L'Ystoire. La figure. En effet, le manuscrit de Charles V offre ici, (page 473, vo), une belle miniature représentant d'une manière fort curieuse le dîner dont on va lire avec intérêt la description.

LXIV.

Le disner qui fu en la grant sale du palais, et de l'ordenance.

Premièrement sist l'arcevesque de Rains, après séoit l'empereur, après séoit le roy ainsi comme au milieu du front de la sale ; après le roy de France séoit le roy des Romains, et avoit autant de distance du roy des Romains à luy comme du roy à l'empereur ; et avoient l'empereur, le roy et le roy des Romains, chascun séparément, un ciel de drap d'or bordé de veluiau aux armes de France, et par dessus ces trois en avoit un très grant qui continuoit le lonc de la table et tout derrière eux pendoit, et tous les piliers et fenestrages derrière la table, houssés de drap d'or très richement et le days aussi. Après le roy des Romains séoient trois evesques bien loin de luy jusques à la fin de la table, l'evesque de Brusseberc, l'evesque de Paris et l'evesque de Beauvais. En l'autre days qui estoit entre la table de marbre et parlement, séoient premièrement le duc de Sassoigne, le daulphin de Viennois ainsné fils du roy, et après séoient les ducs de Berry, de Breban, de Bourgoigne, le fils du roy de Navarre, le duc de Bar, le duc Henry ; et en la fin de la table le chancellier de l'empereur qui n'estoit pas evesque ; et ne séoient pas les ducs de Bourbon, le conte d'Eu, le seigneur de Coucy et le conte de Harecourt, mais estoient entour ledit daulphin tous en piés pour luy tenir compaignie et garder de presse. Les autres ducs et princes mangoient aux autres days par belle et bonne ordenance. Sur le days où mangoit ledit daulphin avoit un ciel pallé de veluiau et de drap d'or, et puis un autre par dessus qui couvroit tout le lonc de la table, et aussi estoit couvert le days de mesmes. Et est assavoir que la sale du grant palais estoit continuée et parée de tapis de hault liche[335] à ymages tout autour si bien ordenés et si à point mis que les roys qui sont de pierre tout autour n'estoient point occupiés né empeschiés de veoir. Et y avoit en ladite sale cinq days, à compter celuy de la table de marbre ; et trois dressouers à vin très richement parés et garnis de vaisselle d'or et de grans flacons d'argent esmailliés. Le secont qui estoit emprès le siège des requestes, estoit tout couvert de pos, flacons et autre vaisselle dorée tant qu'il y en povoit. Et le tiers qui estoit bien avant au milieu de la sale soubs une des arches, estoit, tant qu'il en povoit dessus, garni de vaisselle d'argent blanche, à servir communelment la sale. Et estoient le grant days et le secont et lesdis dressouers avironnés, garnis et deffendus de bonnes barrières, coulisses et palis tout autour, et bien aguisiés pardessus, et n'y povoit-on entrer que par certains pas qui estoient gardés et deffendus par chevaliers à ce ordenés. Et manga bien en ladite sale, par le rapport que en firent les héraux, huit cens chevaliers sans les autres gens. Et combien que le roy eust ordené quatre assiettes[336] de quarante paires de mès, toutesvoies, pour la grevance de l'empereur qui trop longuement eust sis à table, en fist le roy oster une assiette, et n'en servi-l'en que de trois qui furent de trente paires de mès, sans les deux entremès[337] qui furent tels qui s'ensuit :

[335] De hault liche. Ou de haute lisse.

[336] Assiettes. Services.

[337] Entremès. Voilà bien le premier sens de ce mot. Divertissement donné pendant l'intervalle des services. Nous allons voir une mise en scène du XIVe siècle, telle qu'on la chercheroit vainement ailleurs ; car le seul manuscrit de Charles V contient ce qui suit. Les autres, au lieu de la description des entremets, se contentent de dire : « Et n'en servit-on que trois qui font trente-huit mès sans les deux entremès et les dons et présens qui furent fais audit empereur, au roy des Romains et à ses gens. » (V. l'éd. d'A. Verard, bien plus fautive encore en cet endroit, t. III, fo 37.)

L'ystoire et l'ordenance fu coment Godefroy de Buillon conquist la sainte cité de Jhérusalem. Et fist le roy faire à propos ceste histoire, que[338] il luy sembloit que devant plus grans en la christienneté ne povoit-on ramentevoir né donner exemple de plus notable fait, né à gens qui mieux peussent, deussent et feussent tenus telle chose faire et entreprendre au service de Dieu. Et pour mieux figurer la besoigne et plus plainement la cognoistre fu fait ce qui s'ensuit : Au bout de la salle du palais, qui estoit entreclos telement que on n'en povoit rien veoir par dehors, avoit une nef bien façonnée, à forme d'une nave de mer garnie de voilles et de mast, chastel devant et derrière, et de tous autres habillemens et ordenances qui appartiennent à nef pour aler sur mer ; et estoit si[339] joliement painte et abilliée, et très richement et plaisamment. Et dedens estoit garnie de gens, par semblance armés bien joliement, et estoient leur cotes d'armes, leur escus et bannières des armes de Jhérusalem que Godefroy de Buillon portoit[340] ; et jusques à douze estoient, comme dit est, armés des armes des notables chevetaines qui furent à ladite conqueste de Jhérusalem avec ledit Godefroy. Et estoit au devant, sur le bout de ladite nef, Pierre l'Ermite, en l'ordenance et manière et au plus près qu'il se povoit faire, selon ce que l'ystoire raconte. Et fu ladite nef mise hors[341] à gens qui couvertement estoient dedens ; et fu menée très légièrement par le costé senestre dudit palais, et si légièrement tournée que il sembloit que ce fust une nef flotant sur l'eau ; et ainsi fu amenée jusques au grant days audit costé de l'autre part, qui fu le destre costé de ladite sale. Et après ce[342], fu mis hors de la place d'encoste où ladite nef estoit partie, un entremès fait à la façon et semblance de la cité de Jhérusalem, et y estoit le temple bien contrefait selon l'espace, et là avoit une tour haulte assise delès le temple, ainsi comme les Sarrasins ont de coustume où il crient leur loy. Là avoit un vestu en habit de Sarrasin très proprement, et qui, en langue arabique, crioit la loy en la manière que font les Sarrasins ; et estoit ladite tour si haute que celuy qui estoit dessus joignoit bien près des trefs de ladite sale. Et le bas, tout entour de ladite cité où il avoit forme de créneaux et de murs et de tours, estoit garni de Sarrasins armés à leur manière et banières et penons, et ordenés à combattre pour deffendre la cité. Ainsi fu amené à force de gens qui estoient dedens si couvers que on ne les povoit veoir, jusques devant ledit grant days à la destre partie. Et lors se mistrent les deux entremès l'un contre l'autre et descendirent ceux de la nef, et par belle et bonne ordenance vindrent donner assaut à ladite cité et longuement l'assaillirent, et y ot bon esbatement de ceux qui montoient à assaut à eschelles. Finablement montèrent dessus ceux de la nef et conquistrent ladite cité et getoient hors ceux qui estoient en habit de Sarrasins, en mettant sus les bannières de Godefroy et des autres. Et mieux et plus proprement fu fait et veu que en escript ne se puet mettre. Et quant l'esbatement fu parfait, lesdis entremès furent remenés tous entiers en leur place première.

[338] Que. Parce que.

[339] Si. Ainsi.

[340] Portoit. Elles sont figurées dans l'ystoire : D'argent à la croix d'or accompagnée de trente-deux croisettes d'or.

[341] Mise hors. Mise en mouvement.

[342] Après ce. C'est-à-dire après la première décoration, le premier acte ou tableau.

Après ce, fu le disner finé, et osta-l'en les nappes et donna-l'en l'eau à l'empereur et au roy, et lavèrent ensemble aussitost l'un comme l'autre, et le roy des Romains lava un peu après. Et pour ce que la foule estoit très grande et la multitude, combien que devant le days où estoit l'empereur et le roy n'en y ot gaires, pour les bonnes gardes qui estoient aux barrières, ordena le roy, à la prière de l'empereur, que à leur sièges à ladite table où il avoient disné fussent apportées les espices et le vin, pour ce que, à l'entrée de parlement, l'empereur eust esté trop foulé et grevé pour sa maladie. Si fu ainsi fait, et fu apporté le daulphin sus la table en estant[343], à deux piés entre et devant l'empereur et le roy, et le tenoit le duc de Bourbon. Et servi d'espices l'empereur, par le commandement du roy, son frère le duc de Berry ; et le duc de Bourgoigne servi pareillement le roy, et prierent moult l'empereur et le roy l'un l'autre de prendre espices ; et finablement pristrent ensemble aussitost l'un comme l'autre, et semblablement furent au boire, et le duc de Breban servit de vin l'empereur son frère, et le duc de Bourbon donna à boire au roy. Et un pou après, prist le roy des Romains les espices et le vin, et luy donna le conte d'Eu des espices et un de ses chevaliers le vin. Après ce que vin et espices furent données, l'empereur fu mis hors de la table et remis en une chaière. Et pour ce que si grant presse n'eust, se partirent d'ensemble le roy et luy, et fu porté l'empereur par le milieu de la grande sale, par la porte des merceries par les grandes alées, droit en sa chambre. Et après luy envoia le roy ses dis frères et pluseurs autres seigneurs pour luy convoier, et le roy s'en ala et mena avec luy à sa main le roy des Romains, et se mist en la chambre de parlement, où il parla et tint grant pièce compaignie audit roy, ducs et princes de l'empire, l'evesque et le chancelier qui estoient venus avecques l'empereur et pluseurs autres seigneurs et chevaliers qui estoient en la chambre, tant qu'il y en povoit tenir. Et après se retraist le roy et le roy des Romains par derrière la chambre de parlement, et par les grans alées s'en alèrent chascun en sa chambre, et estoit tart quant ces choses furent faites. Et avant que les derreniers eussent mengié, qui furent bien autant que les premiers, il fu près de nuyt. Si ne menga pas le roy au souper ceste nuyt en sale, mais assez privéement en la chambre devant sa chambre, et l'empereur et son fils soupèrent aussi en leur chambres. Toutesvoies ot le roy à souper la plus grant partie des seigneurs de son royaume qui lors estoient à Paris. Après souper se partist le roy et prist ses frères avecques luy et pou d'autres gens, et ala secrètement véoir l'empereur en sa chambre et se sistrent en deux chaières, l'un coste l'autre, et se esbatoient et parloient de bon mos une pièce. Et puis se parti le roy et s'en ala en sa chambre, et là vint à luy et le convoia le roy des Romains, et prist vin et espices avecques le roy, et puis s'en retourna et les frères du roy le convoièrent. Ainsi se retraist chascun pour aler couchier. Si fu ainsi parfaite la journée du mercredi, jour de la Thiphaine.

[343] En estant. Debout.

LXV.

Coment l'empereur et le roy se partirent du palais et se mistrent dedens un très bel batel et riche, pour estre menés par eaue jusques au chastel du Louvre[344].

[344] Au lieu des treize chapitres qui vont suivre, les éditions précédentes et tous les manuscrits, à l'exception de celui de Charles V, portent l'alinéa suivant :

« Coment furent festoyés lesdis empereur et son fils au bois de Vincennes et à Beaulté-sus-Marne ; et coment au départir le roy luy fist monstrer ses belles couronnes par Gillet Mallet son varlet de chambre. Et coment le roy donna des relicques et amaux à l'empereur, et aussi l'empereur en donna au roy ; et baisèrent l'un l'autre au départir : mais je m'en tais pour la prolixité. Et aussi fist l'empereur à son fils le roy des Rommains promettre par la foy et serment de son corps que tous les jours qu'il vivroit feroit obéissance au roy de France, et qu'il vivroit et mourroit avec luy contre tous et envers tous, et aux enfans du roy pareillement. Et fist l'empereur pluseurs dons à monseigneur le daulphin, ainsné fils du roy de France, dont il luy bailla ses lettres scellées des seaulx d'or, par lesquelles il le faisoit son lieutenant au royaume d'Arbre et vicaire-général la vie durant dudit daulphin inrénoncablement. Et luy donna le chasteau de Pompet et Chameaulx en Daulphiné ; et le roy le fist convoyer jusques à Mouson à ses despens. »

Le jeudi ensuivant, qui fu le septiesme jour de janvier, ordena le roy à aler au Louvre et y mener avecques luy l'empereur. Si but l'empereur à matin avant qu'il partisist. Et le roy ne disna jusques à ce qu'il fu au Louvre. Et fist aporter l'empereur à la pointe du palais, et là estoit appareillié un grant batel, fait et ordené à manière de une maison où sont sale et deux chambres tout à cheminées et pluseurs autres retrais et nécessaires, et estoit ledit batel paré et richement aourné ; et ès chambres avoit lis et ciels tendus et toutes autres ordenances comme en une maison appartient ; dont l'empereur et ses gens, quant il furent dedens et l'orent veu, s'en donnèrent grant merveille et y prenoient très grant plaisance. Ainsi arrivèrent au Louvre, et fu apporté ledit empereur en sa chaière, et le roy estoit coste luy jusques à ce qu'il fu dedens ledit chastel, et luy monstra et fist monstrer au dehors et dedens le nouvel édifice qu'il y avoit fait, dont l'empereur par semblant prenoit très grant plaisir. Et le loga le roy en ses chambres très richement parées et ordenées, et le roy se loga à l'autre bout ès chambres qui sont pour son ainsné fils le daulphin de Viennois ; et dessoubs fist logier le roy des Romains ès chambres de la royne, qui semblablement estoient bien ordenées et parées. Et généralment par tout ledit chastel, tant en sales, en chambres, en chapelles, estoit tretout si paré et ordené que rien n'y faloit, combien que des paremens du palais aucune chose n'y eust. Et pour ce que autre fois ne soit dit, pour plus brief parler, fu fait pareillement en tous les hostels du roy où fu l'empereur ; c'est assavoir à Saint-Pol, au bois de Vincennes et à son hostel de Beauté. Celuy jour, disna le roy en la sale du Louvre et tous les chevaliers et escuiers qui y vouldrent venir, et furent servis très grandement et largement.

LXVI.

Coment l'université de Paris vint devers l'empereur pour luy faire révérence, et des gens du conseil que le roy fist assembler pour parler à eux.

Après disner, assembla le roy son conseil en sa chambre. Et en celle heure vint devers l'empereur l'université de Paris par l'ordenance et commandement du roy, et estoient de chascune faculté douze, excepté les Arciens[345] qui estoient vint-quatre, et estoient honnorablement en leur chappes et habis. Et ainsi vindrent faire la révérence à l'empereur en leur manière acoustumée et fist la collacion notablement et légalment, maistre Jehan de La Chaleur, maistre en théologie et chancellier de Nostre-Dame de Paris ; et en icelle collacion recommanda moult la personne de l'empereur, ses nobles fais et vertus et sa dignité, et aussi recommanda moult et ramena notablement l'estat et honneur du roy et du royaume de France, en loant et approuvant à l'empereur sa venue devers le roy ; et finablement recommanda l'université bien et sagement comme à tel cas appartient. A quoy l'empereur respondi de sa bouche en latin, en les merciant des honnorables paroles que dites luy avoient, disant que trois choses l'avoient amené au royaume, la dévocion qu'il avoit à veoir les saintes reliques et aucuns autres pélerinages où il avoit sa dévocion, et par espécial la grant affeccion qu'il avoit à veoir le roy et parler à luy. Et en ce temps estoit le roy à son conseil en sa chambre, où estoient ses frères et grant foison de prélas de son conseil et autres chevaliers en assez grant nombre ; et leur demanda et mist en termes sé il leur sembloit que bon feust que à l'empereur son oncle, qui tant d'amour et fiance luy avoit monstré comme de venir en son royaume et par devers luy, il féist monstrer ou monstreroit le fait et la justice du bon droit que il a contre ses ennemis d'Angleterre, et le grant tort qu'il ont tenu à ses prédécesseurs et à luy par lonc temps, le devoir en quoy il s'estoit mis d'entrer en tout bon traictié de paix. Et les offres[346] qu'il en a faites à deux fins : l'une, pour ce qu'il scet que ses ennemis manifestent en Allemaigne et ailleurs le contraire de la vérité, en eux justifiant ; par quoy l'empereur et princes et son conseil qui avecques luy estoient, oï et veu ce que le roy leur en diroit et feroit veoir par lettres et les traictiés de paix faites et les aliances sur ce, il peussent cognoistre et vraiment respondre et soustenir sur ce la vérité contre ceux qui se sont efforciés, efforcent ou efforceront de parler ou de manifester ou publier le contraire. L'autre raison qui à ce esmouvoit le roy, estoit pour avoir le conseil et avis de l'empereur, après ce qu'il aroit oï et veu le devoir en quoy le roy s'estoit mis et les offres qu'il avoit faites pour paix avoir, si luy sembloit qu'il déust souffire, ou que plus avant le roy en déust faire. Auxquelles demandes et termes, tous d'un accort et sans contradiccion conseillièrent au roy que ainsi le féist. Si ordena son dit conseil et pluseurs autres l'endemain estre assemblés, et aussi fist savoir à l'empereur que à celle heure luy et son fils, les princes, prélas et autres gens de son conseil qui en sa compaignie estoient venus, feussent audit lieu du Louvre à ladite heure pour oïr ce que le roy luy voudroit dire et monstrer ; et fu le vendredi huitiesme jour de janvier. Et celuy jour au matin vint veoir le roy l'empereur privéement, et luy apporta et donna un bel coffret de jaspre garni d'or et de pierreries, d'une espine de la sainte couronne et d'un des os de saint Martin, et depuis luy donna de saint Denis, car moult fort en désiroit à avoir, et en avoit requis le roy. Et cedit jour après disner, le roy et l'empereur vindrent ensemble à la chambre à parer du Louvre, et y estoient le roy des Romains et ceux qui ensuivent de la part de l'empereur ; l'evesque de Brusseberc son chancellier et deux autres clers notables ; les ducs de Bréban et de Sassoigne, et les trois autres ducs dessus nommés, le hault maistre de son hostel et son grant chambellan, le seigneur de Coldis et pluseurs autres seigneurs, contes, barons et chevaliers, jusques au nombre de cinquante personnes et plus. Et de la part du roy en y avoit bien autant et plus, et y estoient les principaux et plus notables dont les noms s'ensuivent, c'est assavoir : les ducs de Berry, de Bourgoigne, de Bourbon, de Bar ; le seigneur de Coucy ; les contes de Harecourt, de Tanquarville, de Sarebruche, de Braine ; monseigneur Jacques de Bourbon ; le mareschal de France de Blainville ; le seigneur de Rayneval ; messire Phelibert de l'Espinace, monseigneur Thomas de Vaudenay, monseigneur Arnault de Corbie, chevaliers, et pluseurs autres. Et des gens du conseil du roy y estoit son chancellier, l'arcevesque de Rains, les evesques de Laon, de Paris, de Biauvais, de Baieux ; l'abbé de Saint-Wast, et d'autres clers et lais du conseil du roy, tant de parlement que autres. Et estoient l'empereur et le roy et le roy des Romains en trois chaières couvertes de drap d'or, et les autres assis à doubles fourmes, en manière de siège de conseil. Et prist le roy à parler et monstrer les fais et besoignes dessus escriptes par longue espace de deux heures et plus ; et prist sa matière des premiers temps du royaume de France, et après, de la conqueste de Gascoigne que fist saint Charlemaine quant il le conquist et convertist à la foy crestienne que ledit païs fu soubmis à la subjeccion du royaume de France ; et sans interrupcion ou contradiccion a tousjours depuis esté et ceux qui en ont tenus les demaines : espécialment les ducs de Guyenne, tant roys d'Angleterre comme autres, en ont tousjours fait hommaige lige et recognoissance aux roys de France, comme à leur droit seigneur à qui est le fief. Et sé ce n'a esté depuis le temps Edouart d'Angleterre derrenier mort, n'y fu mise oncques aucune contradiccion ; et mal à point le fist, puisqu'il eust fait hommaige au roy Phelippe, aïeul du roy, lequel hommaige il fist à Amiens et le recognut son seigneur et roy de France : et depuis ledit hommaige fait, luy revenu en Angleterre par l'espace d'assez lonc temps, rateffia, par ses lettres scellées de son grant scel, et approuva ledit hommaige avoir esté lige, plus fort et plus avant que par paroles n'avoit esté fait audit roy Phelippe, comme plus à plain appert par les lettres sur ce faites desquelles furent monstrés des originaux scellés audit empereur, avec toutes autres chartres plus anciennes de ses prédécesseurs les roys d'Angleterre, faites à saint Loys, et de son temps la recognoissance des hommaiges de Gascoigne, Bordeaux, Bayonne et les isles qui sont endroit Normendie ; et èsdites lettres est expressément contenu coment les roys d'Angleterre ont expressément renoncié à toutes les terres de Normendie, d'Anjou, du Maine, de Tourraine et de Poitiers, sé aucun en y avoient, comme plus plainement est contenu èsdites lettres, lesquelles furent monstrées audit empereur. Et aussi monstra le traictié de la paix, et coment son père et luy l'avoient moult chier achetée, et coment par les Anglois elle fu mal gardée, en le déclairant particulièrement : tant par la faute de rendre les forteresces occupées que il devoient rendre au leur, comme par les hostages qu'il raençonnèrent contre le contenu au traictié ; comme par les compaignies que continuelment il tindrent au royaume de France ; comme par usurper et user des droits de souveraineté qui appartiennent au roy desquels il ne devoient point user ; comme de conforter le roy de Navarre lors ennemi du royaume, ses adhérens et confortans, de leur gens, subgiés et aliés tant Anglois comme Gascoins, et leur donner passages, vivres et confort contre la teneur des aliances faites, jurées et passées et par sairemens fais si fors comme il se peuvent faire entre crestiens. Lesquelles aliances furent aussi monstrées et leues audit empereur en françois et latin, afin que chascun les peust mieux entendre. Et en oultre, le prince de Galles fist tant d'outrages et d'extorcions au païs et gens de Gascoigne, qui encore estoient demourés soubs la souveraineté et ressort du roy, né oncques renonciation n'en fu né n'a esté faite, comme le roy le fist monstrer par la lettre du traictié où est la clause qui se commence : C'est assavoir, etc. Et monstra aussi le roy coment le conte d'Armignac, le seigneur de Lebret et pluseurs autres barons et bonnes villes avoient appelé du prince à luy, et vindrent en leur personnes requérir ajournement et rescript en cause d'appel, et coment le roy y mist longuement et fist grant difficulté avant que faire le voulsist ; et par le conseil sur ce pris de pluseurs notables, avecques ceux de son conseil ; eues aussi les opinions de pluseurs estudes de droit de Bouloigne la crasse, de Montpellier, de Thoulouse et d'Orliens, et des plus notables clers de la court de Rome, que refuser ne le povoit ; et coment par voie ordenée de justice le roy le fist, et non pas par puissance d'armes. Et fu ordené un docteur juge du roy à Thoulouse appelé maistre Bernart Palot et un chevalier appelé monseigneur Jehan de Chaponnal, qui portèrent audit prince les lettres du roy, les inhibicions et ajournemens, et par le sauf-conduit du séneschal dudit prince vindrent près dudit prince, lequel les fist prendre et murtrir mauvaisement contre Dieu et justice, et en offense du roy et du royaume de France. Et aussi monstra le roy audit empereur coment, nonobstant lesdites offenses ainsi faites, il envoia audit roy Edouart, contes, chevaliers et clers pour le sommer et requérir de par luy de radrescier et faire radrescier les choses ainsi par son fils et ses subgiés mauvaisement faites ; et désiroit le roy que par voie amiable remède se y méist et non pas par guerre ; à quoy response raisonnable né d'aucune bonne espérance ne fu au roy de France donnée. Et de fait avoit desjà encommencié la guerre ledit prince en Gascoigne contre les appellans ; et aussi avoient fait en Pontieu les gens dudit roy d'Angleterre et chevauchié en la terre du roy. Pourquoy, par nécessité et par le conseil de son royaume pour ce assemblé en son parlement, entreprist à deffendre sa bonne justice contre ses ennemis.

[345] Arciens. Les professeurs dans les facultés ès-arts.

[346] Les offres. La proposition qu'il fait à son conseil d'exposer tout cela à l'empereur.

Après ce que le roy ot monstré l'occasion de la guerre et bien enfourmé par les responses et lettres scellées l'empereur et son conseil, il luy dist et monstra les devoirs qu'il avoit fais, pour avoir bon traictié à ses adversaires ; et aussi finablement luy monstra les offres que sur ce il avoit faites, et conclust ses paroles ès deux fins dessus escriptes de manifester les drois du roy contre les paroles mençongières des Anglois et non y ajouster foi, et aussi de donner le conseil sur escript. Et aussi luy toucha assez brief les graces et bonnes fortunes que Nostre-Seigneur luy avoit données en sa guerre, pour ce que il pensa que ledit empereur en seroit bien lie ; et toutes ces choses et pluseurs autres touchans ces matières, qui trop longues seroient à escripre, dist le roy si sagement et ordenéement, que tous furent merveilliés de si belle mémoire et bonne manière de parler. De quoy l'empereur et tous ceux qui le sceurent entendre monstrèrent semblant de en avoir très grant plaisir ; et en briefves paroles l'empereur dist en alemant à ses gens qui présens estoient et qui n'entendoient pas françois, ce que le roy luy avoit dit, et leur exposa les lettres que sur ce avoit oï lire ; et fist response au roy telle comme il s'ensuit : c'est assavoir qu'il dist que très-bien avoit entendu ce que le roy avoit dit très sagement, et veu et bien cogneu tant par ses lettres comme autrement, sa bonne querelle et justice, et que partout le manifesteroit et feroit savoir ; et que sé les Anglois se esforçoient en Alemaigne de publier le contraire comme autrefois avoient fait, il deffendroit et soustendroit le droit du roy, si comme il avoit veu et bien cogneu ; et mesmement qu'il savoit bien que le roy d'Angleterre avoit fait l'omage lige au roy de France à Amiens, car il avoit esté présent quant il le fist. Et quant au conseil donner, dist que considéré le bon droit du roy et le grant tort de ses ennemis, l'avantage qu'il avoit en la guerre sur eulx et les aliés du roy que il nomma les roys de Castelle, de Portugal et d'Escoce, il ne luy eust donné conseil né encore ne donnoit de tant offrir à ses ennemis. Et luy sembloit que trop en avoit fait, sé pour l'amour de Dieu seulement ne l'avoit fait ; mesmement qu'il savoit bien la coustume des Anglois estre tele, que quant il se véoient ou voient à leur dessoubs, il requièrent et veulent avoir volentiers paix ; mais sé il voient après leur avantage, il ne la tiennent point, comme maintes fois a-l'en veu que ainsi l'ont fait au royaume de France. Et dont se parti le roy de luy, et s'en tourna à sa chambre.

LXVII.

Coment l'empereur fist rassembler le conseil du roy et ses gens pour oïr l'endemain les offres que il vouloit faire au roy en leur présence.

Le samedi ensuivant, qui fu le neuviesme jour dudit mois, se advisa l'empereur que à la response qu'il avoit faite au roy ne s'estoit pas assez offert au conseil qu'il lui avoit donné. Si fist savoir au roy que après disner féist assembler ceux de son conseil qui par avant y avoient esté, et pareillement feroit savoir à ceux de son conseil que il y feussent, et ainsi fu fait. Et en la manière du jour précédent furent, et encore y ot plus de gens que au vendredi devant n'avoit eu, et commença l'empereur à dire si haut que tous le povoient bien oïr qu'il se vouloit excuser de ce que plus largement n'avoit offert au roy à la response qu'il lui avoit faite ; si vouloit que tous scéussent et que à tous fust révelé et magnifesté par tout que luy et son fils le roy des Romains que pour celle cause il avoit amené avecques luy, tous ses autres enfans, ses aliés, subgiés et bienvueillans il vouloit et offroit au roy estre tous siens, contre toutes personnes, à soutenir et garder son bien et honneur de son royaume et de ses enfans et de ses frères ; et luy bailla un rolle où estoient desclarés et nommés ses aliés desquels il se faisoit fort ; de quoy le roy le mercia moult gracieusement. Et ainsi se départirent.

LXVIII.

Coment l'empereur ala trouver la royne en l'ostel de Saint-Pol.

Le dimenche ensuivant, qui fu le dixiesme jour du moys de janvier, se partirent l'empereur et le roy ensemble, après ce que l'empereur ot disné, et fu apporté l'empereur jusques sur l'eaue au quay endroit le Louvre, où estoit le batel dont dessus est faite mencion ; et en iceluy vindrent contremont la rivière l'empereur, le roy et le roy des Romains par dessoubs le grant pont droit à Saint-Pol ; auquel hostel de Saint-Pol estoit la royne et les enfans du roy. Et quant il furent audit hostel jusques au milieu de la court, le daulphin, ainsné fils du roy et monseigneur Loys, comte de Valois, enfans du roy, se agenouillèrent contre le roy et après alèrent saluer l'empereur en sa chaière où on le portoit et les baisa et osta son chapeau. Et puis furent portés devant nos dis seigneurs, et le roy et le roy des Romains alèrent devant à la grant chambre, et montèrent par la vis : et l'empereur fu aporté après en sa chaière, et quant il fu en haut, il voult aler veoir la royne ; et ensemble y alèrent l'empereur, le roy et le roy des Romains ; et y avoit grant foule et grant presse de seigneurs, chevaliers et gens d'estat, et tellement que à paines povoit-on passer aux huis. Toutesvoies, vindrent ens jusques à la vieille chambre de la royne, laquelle est près et encoste de la sale où est l'ystoire de Theseus. Et là estoit la royne au devant du roy et de l'empereur, laquelle avoit un très-riche cercle sur sa teste, et estoit notablement acompaigniée de grans dames, telles comme il s'ensuit : premièrement y estoit la contesse d'Artois ; la duchesse d'Orléans, fille du roy de France ; la duchesse de Bourbon, mère de la royne ; la nièce du roy, fille de son frère le duc de Berri ; la fille du seigneur de Coucy, la dame de Préaux, et pluseurs autres contesses et dames, femmes de grans seigneurs et de banerés et d'autres dames et damoiselles en très-grant quantité qui trop longue seroit à escripre. Et quant l'empereur vit la royne, il se fist mettre jus de sa chaière, et osta son chaperon ; et la royne le salua et baisa, et puis fu aporté plus avant en ladite chambre devant le lit, et la royne estoit encoste luy et le roy devant qui tenoit le roy des Romains que la royne salua et baisa aussi ; et l'empereur et le roy des Romains baisièrent toutes les dames qui estoient léans du lignage de France. Et lors demanda moult de fois l'empereur la duchesse de Bourbon, mère de la royne, laquelle estoit à un des bous de ladite chambre, hors de la presse ; et fu amenée à l'empereur. Et quant il furent près l'un de l'autre, l'empereur commença si fort à plourer et ladite duchesse aussi que c'estoit piteuse chose à regarder ; et les causes si estoient pour la mémoire qu'il avoit eu de ce que la seur de ladite duchesse avoit esté sa première femme, et aussi que ladite duchesse avoit esté compaigne et nourrie avec la duchesse de Normendie, seur de l'empereur et mère du roy : et onques en celle place ne porent parler ensemble ; mais pria l'empereur que après disner il la peust veoir et parler à elle plus secrètement, et ainsi fu fait. De là, partirent l'empereur, le roy et le roy des Romains et prist congié de la royne, et fu aporté ledit empereur en la chambre du daulphin de Viennois, ainsné fils du roy, laquelle chambre estoit richement appareilliée pour lui, et aussi estoit tout l'hostel comme dessus est dit ; et le roy ala disner en la sale dudit hostel nommée la sale de Sens, et y mena le roy des Romains et toutes les gens de l'empereur, avec grant foison de chevaliers tant qu'il en y povoit. Et endementres que l'on disna, l'empereur s'estoit fait mettre dormir, et après le disner du roy, et vin et espices données, le roy se retraist en sa chambre, et fist retraire le roy des Romains en la chambre de monseigneur Loys, son fils, conte de Valois ; lequel roy des Romains voult aler veoir les lyons, et en sa compaignie y furent les frères du roy : et quant l'empereur fu esveillié, la devant dite duchesse de Bourbon fu menée devers l'empereur, et parlèrent longuement ensemble. Et assez tost après le roy y envoia la royne par les Galetas, et ses enfans le daulphin de Viennois et le comte de Valois, de quoy l'empereur fu moult lie, et fu la royne longuement assise encoste luy, et parlèrent moult longuement ensemble. Et luy donna la royne un beau reliquaire d'or, grant et notable, garni du fust de la vraie croix et très-richement garni de pierrerie ; et le daulphin luy donna deux très-beaux brachés[347], à beles laisses et coliers de soie ferrés à fleurs de lis d'or ; desquelles choses l'empereur fist moult grant semblant de joie, et y prist très grant plaisir, et en mercia la royne et ledit daulphin. Et pour ce qu'il estoit sus le vespre et que l'empereur et le roy devoient aler au bois de Vincennes, le roy vint en la chambre de l'empereur pour le faire partir, pour ce qu'il estoit ordené que il devoient aler ensemble ; et lors prist congié la royne de l'empereur et lesdis enfans du roy, et se retrairent en la chambre d'emprès. Et lors vint le roy des Romains devers la royne, et prist congié d'elle, et elle luy donna un très bel et riche fermail d'or, garni de pierrerie. Et tantost se partirent et alèrent devant monter à cheval le roy et le roy des Romains, et l'en monta l'empereur en la litière de la royne, et ainsi s'en alèrent tout droit au bois. Et quant il arrivèrent au bois, pour ce qu'il estoit tart, vindrent grant foison de torches au devant d'eux ; et fist le roy porter et logier l'empereur en sa belle tour, en la chambre où il meismes gist ; et se logea le roy en la chambre qui se nomme la chambre aux dains qui est ès braies ; et fist logier son fils le roy des Romains en la chambre de son ainsné fils le daulphin de Viennois, et soupa le roy en la sale luy et ses gens ; car pou y avoit d'estranges, pour ce que chascun s'estoit retrait à Paris.

[347] Brachés. Levriers.

LXIX.

Coment l'empereur autour de la chambre où il estoit pour veoir le circuite du chastel du bois de Vincennes se fist porter, et des Heures que le roy luy donna.

Le lundi ensuivant, qui fu le onziesme jour de janvier, se fist porter ledit empereur tout autour de la chambre dessus dite, pour veoir par les fenestres le circuite du chastel, pour ce qu'il n'y povoit aler. Et le roy envoia son fils le roy des Romains au parc, acompaignié de ses frères dessus dis, pour chacier aux dains et comme pour y prendre leur esbatement. Celle matinée ne vit point le roy l'empereur, pour ce que à matin avoit oï sa messe et disné, et vouloit dormir avant que le roy eust oïes ses messes, si comme il a de coustume et de ordenance. Mais après disner l'ala veoir, car ledit empereur avoit jà dormi ; si furent grant pièce ensemble en bonnes paroles et esbatemens, et pria l'empereur au roy qu'il luy voulsist donner une de ses Heures[348], et il y prieroit Dieu pour luy ; et le roy luy en envoia deux, une grant et une petite, et luy manda que il préist lesquelles qu'il vouldroit ou toutes deux s'il luy plaisoit : lequel les receut toutes deux et en mercia le roy.

[348] Heures. Livres d'heures.

LXX.

Coment l'empereur fist promettre au roy des Romains, son fils, par la foy du corps bailliée en la main du roy de France, que il ameroit et serviroit devant tous les princes du monde ledit roy de France et ses enfans, et puis ala au plus haut de la tour, pour veoir les étages d'icelle.

Endementres que le roy estoit avec l'empereur en sa chambre, le roy des Romains vint : et sitost que l'empereur le vit, il l'apela et le prist par la main, et luy fist promettre par sa foy en la main du roy que il l'ameroit et serviroit tant comme il vivroit, devant tous les princes du monde, et les enfans du roy aussi : de quoy le roy le mercia et sot bon gré. Et puis retourna le roy en sa chambre ; et celuy jour fist monstrer au roy des Romains et aux autres princes et chevaliers, la tour, les estages, garnisons et abillemens d'icelle, et furent jusques au haut ; lesquels la tenoient à la plus belle et merveilleuse chose que onquesmés eussent veue. Et ot ledit roy des Romains des arbalestes du roy. Et celle journée, n'y ot plus chose qui fasse à escrire.

LXXI.

Coment l'empereur se parti du bois de Vincennes pour aler à Saint-Mor, et des présens que l'abbé du lieu luy fist.

Le mardi ensuivant, douziesme jour de janvier, se parti l'empereur bien matin du bois, et estoit en la litière du daulphin. Et ala en son pèlerinage à Saint-Mor-des-Fossés, et ne voult que les frères du roy y alassent avecques luy, et aussi n'y ala pas le roy pour ce qu'il avoit à besoignier. De la manière coment il fu receu à Saint-Mor vous dirons :

Le roy manda et commanda à l'abbé que il le receussent à procession, à l'entrée de leur moustier, comme pèlerin : et ainsi le firent. Et est assavoir que ledit empereur y oï messe à note que l'abbé chanta, et offri cent frans. Et les présens que l'abbé luy fist qui estoient de poissons, de buefs, de moutons, de vin, de pain et autres choses, laissa au couvent de léans. Et après la messe ala disner l'empereur en une chambre de ladite église, laquelle le roy luy avoit bien fait tendre et parer, et aussi une sale encoste. Et tousjours depuis son entrée de Paris fu et a esté aux despens du roy et servi en toutes choses des gens et officiers du roy de toutes offices. Après ce qu'il ot disné et dormi, il fu mis en sa litière et aporté à Beauté-sur-Marne où le roy l'avoit attendu ; mais pour ce que le roy vit qu'il demouroit trop et estoit tart, il s'en retourna au bois. Et audit hostel de Beauté fu l'empereur très bien logié, et tout l'hostel très richement paré et servi, comme dit est, très habondamment et à ses heures et plaisirs, tellement que audit hostel il amenda de sa maladie notablement et se mist à aler et visita tout l'hostel haut et bas, à pou de aide, et disoit à ceux qui avec luy estoient, que onques mès en sa vie n'avoit veue plus belle place né plus délitable lieu que il avoit léans. Et chascun jour après disner, s'en aloit le roy veoir une fois et estoient grant pièce ensemble, et aucune fois se mettoient ensemble en une chambre tous seuls, où il parloient de leur besoigne secrètement. Et tousjours s'en aloit le roy soupper et gesir au bois et y disner aussi, et ainsi se continua jusques au département de l'empereur, qui fu le samedi, seiziesme jour dudit mois de janvier. Et le jeudi devant, quatorziesme jour dudit mois, fist faire le roy les dons à l'empereur et à ses gens, ainsi qu'il ensuit : et pour ce que l'empereur s'estoit dementé par pluseurs fois de veoir la couronne que le roy a faite faire, qu'il avoit oï dire qui estoit très belle et riche, le roy la luy envoia, pour veoir, à Beauté, et luy porta Giles Malet et Hennequin, son orfèvre ; lequel la vist très-volentiers, et la tint et regarda moult longuement par tout en y prenant grant plaisir. Et quant il l'ot regardée à sa volenté, il dist que on la reméist en sauf et que, somme toute, il n'avoit onques veu tant de si noble né si riche pierrerie ensemble. Et le mercredi devant, qui estoit le treiziesme jour de janvier, avoit fait savoir le roy à l'empereur, que le jeudi dessus dit, féist venir ses gens à Beauté. Et senti bien secrètement l'empereur par le seigneur de La Rivière et ledit Giles Malet que c'estoit pour leur faire dons, combien que l'empereur s'excusast fort, en disant qu'il ne vouloit pas que le roy luy donnast rien né à ses gens. Toutesvoies, pour acomplir la volenté du roy, les manda querre audit jour. Si envoia le roy celuy jeudi après disner ses frères, les ducs de Berri et de Bourgoigne et le duc de Bourbon, le seigneur de la Rivière et autres, ses chambellans et varlès de chambre, qui portèrent les joyaux qui furent de par le roy donnés et présentés à l'empereur et à son fils et à leurs gens ; et firent les présens de par le roy à l'empereur, en sa chambre, lesdis ducs, et aussi le firent à sondit fils, en la présence de l'empereur, et furent les dons de l'empereur, tels comme il s'ensuit après.

LXXII.

Des riches dons que le roy de France donna à l'empereur et à son fils et fist présenter.

En présentant les choses ci devisées, dist ledit duc de Berri à l'empereur que le roy le saluoit et luy envoioit de ses joyaux, tels que on savoit faire à Paris[349]. C'est assavoir : une coupe d'or de grant pris, garnie de pierrerie au pié et au couvercle, et estoit toute très finement esmailliée de l'espere du ciel où estoit figuré le zodiaque, les signes, les planètes et estoilles fixes et leur images. Et aussi luy présenta deux grans flacons d'or très noblement ouvrés, où estoient figurés en images enlevés[350], comment saint Jacques monstroit à saint Charlemaine le chemin en Espaigne par révélacion ; et la façon d'un chascun desdis flacons estoit en manière de coquille. Si luy dist ledit duc de Berri que pour ce qu'il estoit pèlerin luy envoioit le roy des coquilles ; et encore luy présenta un très bel grant hanap d'or, assis sur un trépié garni de pierrerie, et aussi un gobelet et aiguière d'or garni aussi de pierrerie, esmaillié très noblement.

[349] Ces derniers mots sont principalement curieux.

[350] Enlevés. Variante de Christine de Pisan, msc. 211, Suppl. franç., eslevés. Je préfère la leçon de Charles V ; enlevés pour relevés, ou en relief.

Item, luy présenta deux pos d'or, ouvrés à testes de lyons. Et à son fils furent présentés un grant gobelet d'or et aiguière de mesmes, deux grans pos d'or, où estoient os fretelés[351], saphirs et perles ; et oultre ce, luy fu présenté une très riche sainture d'or, tout au lonc garnie très richement de pierrerie, laquelle valoit bien de six à huit mil francs d'or, de quoy l'empereur mercia grandement le roy, et aussi fist son fils. Et après vint l'empereur en l'alée devant sa chambre, où tous ses princes, evesque, chancellier, chevaliers et autres gens qui estoient venus avecques estoient, et vit les dons que on leur fesoit et y estoit présent, lesquels furent grans et honorables, comme plus à plain peut apparoir en un rolle sur ce fait, auquel il sont plainement et particulièrement déclairiés ; mais l'en s'en passe ci endroit pour cause de briefté[352]. Et bien sembla à tous et ainsi luy monstrèrent que il se tenoient grandement satisfais et contens du roy.

[351] Fretelés. Dentelés, découpés.

[352] « Après ensuivant, à tous les princes fu présenté vaisselle d'or et d'argent si largement et à si très grant quantité que tous s'esmerveilloient. Et tant qu'il n'y ot si petit officier de quelque estat qu'il fussent qui de par le roy ne receussent présent, mais quoy et quels, se passe la cronique pour cause de briefté. » (Christine de Pisan, les faits du roy Charles V, 3e partie, chap. XLV.) On voit clairement par là que le seul guide de Christine est, dans tout le récit du voyage de l'empereur, les Chroniques de Saint-Denis, qu'elle a copié mot à mot quand elle ne l'a pas très abrégé. L'on a donc eu tort de louer Christine d'une exactitude dont elle auroit dû pour le moins avouer plus nettement la source.

LXXIII.

Coment l'empereur, au retour de Saint-Mor à Beauté, mercia le roy des riches présens qu'il avoit envoiés à luy et à son fils le roy des Romains et à leur gens.

Le vendredi ensuivant, quinziesme jour dudit mois de janvier qui estoit le jour de la feste Saint-Mor, ala l'empereur à Saint-Mor en pèlerinage, et chanta l'evesque de Paris, Pontificalibus, la messe devant luy. Et combien que son disner feust prest de par le roy en ladite abbaye pour luy, voult-il revenir disner à Beauté. Et après disner, le roy vint le veoir, et moult fort mercia le roy des dons qu'il avoit fais à luy et à son fils, le roy des Romains et à ses gens, en luy disant que trop en avoit fait. Et après ce, l'empereur et le roy se retraisrent en une garde-robe, emprès sa chambre, et firent tout widier et parlèrent longuement ensemble jusques bien sus le tart. Et lors se parti le roy, et l'empereur le convoia jusques au dehors de ladite chambre et s'en vint au giste au bois. Le samedi, seiziesme jour de janvier, disna le roy plus matin qu'il n'avoit acoustumé, et l'empereur encore plus matin, et après dormi l'empereur. Et le roy se parti de son chastel du bois, acompaignié de grant foison de seigneurs prélas et chevaliers pour convoier l'empereur, car ainsi le voult-il faire : et vint si à point à l'hostel de Beauté-sur-Marne, que l'empereur estoit levé et prest de partir et soy mettre à chemin.

LXXIV.

Des aneaux que le roy et l'empereur s'entredonnèrent, et coment l'empereur et le roy pristrent congié l'un de l'autre amiablement et piteusement, et de ceux qui convoièrent ledit empereur.

Quant le roy fu en la chambre dudit empereur qui l'attendoit, l'empereur vint à luy et prist en son doigt et luy donna un anel où il avoit un ruby, et un autre anel où il avoit un diamant, et les donna au roy par belles paroles en très grant amistié. Et le roy tantost prist un très riche diamant gros qu'il avoit en son doigt, et le donna par pareille manière à l'empereur. Et là devant tous s'entreacolèrent et baisièrent et se partirent tantost et vindrent ensemble en la court, le roy pour monter à cheval, et l'empereur dans sa litière, laquelle le roy luy avoit donnée atelée de trois très beaux mulés, et ainsi alla l'empereur, et chevaucha le roy encoste luy et grant multitude de gens hors dudit hostel aux champs, jusques près l'hostel de Plaisance[353] : et avecques le roy et en sa compaignie estoient les princes dessus dis, excepté le duc de Bar qui le jour devant estoit parti par le congié du roy ; et les prélas tous ceux qui par avant y avoient esté, et d'abondant l'arcevesque de Ravenne y estoit qui de nouvel y estoit venu. Le prévost de Paris, le Chevalier du guet, le prévost des marchans et les échevins et les gens de la ville estoient devant aux champs qui estoient venus pour convoier l'empereur ; et chevauchièrent devant, et assez près de la maison de Plaisance pristrent l'empereur et le roy congié d'ensemble. Et plus tost s'en fu retourné le roy sé il eust voulu croire l'empereur qui souvent luy disoit et fesoit dire que il s'en retournast ; et au prendre congié l'empereur et le roy plourèrent si que les gens l'apercevoient bien, et à grant paine porent parler ensemble, mais il s'entrepristrent par les mains et ainsi se départirent. Et le roy s'en retourna au bois, et les ducs de Berri, de Bourgoigne et de Bourbon se en alèrent avec l'empereur, et le roy des Romains retourna et convoia une pièce le roy, et puis prist congié de luy, et aussi firent les princes et ducs qui en la compaignie de l'empereur estoient venus. Avec l'empereur alèrent lesdis frères du roy et le menèrent à Laigny-sur-Marne, où il ala au giste ; et l'endemain aussi alèrent avec luy à Meaux, et aux deux villes dessus dites fu honorablement receu et fait présens, comme ès autres villes dessus escriptes luy fu fait à son venir. Et celuy dimenche, dix-septiesme jour dudit mois, qu'il fu à Meaux, se parti de l'hostel de l'evesque où il estoit logié et vint au marchié de Meaux soupper luy et son fils et de ses princes, avecques les ducs de Berri et de Bourgoigne, frères du roy, en leur hostel, où il fu grandement, prestement et honorablement receu et servi, luy et toutes ses gens, combien que pou d'espace eussent eu les frères du roy à savoir sa venue.

[353] Plaisance. Tout près de Vincennes.

LXXV.

Coment l'empereur se partist de Meaux, et pristrent de luy congié les frères du roy qui l'avoient convoié eux et pluseurs autres seigneurs.

Le lundi ensuivant, se parti de Meaux ledit empereur et son fils le roy des Romains, et les convoièrent lesdis frères du roy bien une lieue au-delà de la ville ; et pristrent congié de luy et s'en revindrent devers le roy. Et n'est pas à oublier que l'empereur de son propre mouvement, en la faveur du roy et de son fils ainsné le daulphin, ordena et fist son lieutenant et vicaire-général au royaume d'Arle ledit daulphin, et voult que ce feust à la vie dudit daulphin inrévocablement. Et sur ce fist ses lettres scellées en or en si grant et plain povoir comme faire se peust, et come autrefois n'a esté acoustumé. Et semblablement le fist son lieutenant et général-vicaire par unes autres lettres scellées semblablement et à pareil povoir audit daulphin, fiefs et arrière fiefs et tenement quelconques sans riens excepter ; et luy baillia et donna le chastel de Pouppet[354] sus Vienne, et une autre maison en ladite ville appellée Chavaux. Et aussi l'aagea et suppléa toutes choses qui par deffaut d'aage povoient donner empeschement audit daulphin pour ses graces et gouvernement obtenir. Et pour ces choses faire et autres au plaisir et proffit du roy et de ses enfans, laissa son chancellier à Paris, trois ou quatre jours après son département, pour en délivrer et séeller les lettres.

[354] Pouppet. Variante du msc. 9622, Pompet-sur-Vienne, c'est-à-dire sans doute au-dessus de Vienne, comme l'indique la ligne suivante. Christine de Pisan écrit Pompet en Vienne et un aultre lieu appellé Cheneaulx. Il s'agit ici du fameux château de Vienne Pompeiacum, aujourd'hui Pipet.

LXXVI.

Les chemins que l'empereur fist en alant hors du royaume de France.

Après s'ensuit le chemin que l'empereur tint en son retour par l'ordonnance du roy jusques hors de son royaume. Au partir de la cité de Meaux vint au giste à Gandelus, et là ot présens comme ès autres villes. De là fu le mardy dix-neuviesme jour de janvier à Chastel-Tierry, où le roy fist le lieu qui est sien bien appareillier et ordener pour sa venue ; et là fu gouverné par ses officiers en sales, en chambres et en toutes choses, comme en tous les autres hostels du roy a esté. Et estoient en sa compaignie, de par le roy, le seigneur de Coucy, les contes de Sarebruche et de Braine ; le seigneur de La Rivière et Jehan Lemercier, lesquels tous ou la plus grant partie l'acompaignèrent et conduirent jusques hors du royaume, et fu son chemin de Chastel-Thierry à Reims, de Reims à Mouson, sans les gistes d'entre deux. Et en chascuns lieux a eu présens, aussi bien ès plates villes comme ès cités, et partout honorablement et grandement receu et festoié, comme il fut à son venir. Et est assavoir que toute la despense que luy et ses gens ont faite à Paris en hostelleries, le roy a tout fait paier et deffraier ; et semblablement tous les dons qui valent bien deffraiment, puis qu'il entra au royaume jusques il en a esté hors, combien que au nom des villes a esté fait, a esté tout au frais et despense du roy.

LXXVII.

Des lettres de l'empereur que son chancellier bailla au daulphin, contenans les choses dessus dites.

Alors quant le roy fu retourné à Paris, le chancellier de l'empereur aporta au daulphin qui estoit devers le roy et lui présenta les lettres séellées des graces que l'empereur luy avoit faites, de quoy il mercia l'empereur. Et envoia après ledit chancellier en son hostel un bel hanap d'argent très bien doré pesant vingt mars, et dedens avoit mil francs d'or comptés que ledit daulphin luy donna pour la peine qu'il avoit eue de sa besoigne.

LXXVIII.

Comment la royne de France enfanta une fille en l'ostel de Saint-Pol à Paris, laquelle fu nommée Catherine.

Le jeudi quart jour de février ensuivant mil trois cens septante-sept dessus dit, la royne de France ot une fille en l'ostel du roy, emprès Saint-Pol à Paris ; et l'endemain, jour de vendredi, fu baptisée en ladite églyse de Saint-Pol, par messire Aymeri de Maignac, evesque de Paris. Et fu parrain le prieur de Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers de Paris, et marraine une damoiselle qui aidoit à dire les heures à ladite royne appellée damoiselle Catherine de Villiers. Et fu ce fait par dévocion que ladite royne avoit à madame Sainte-Catherine, et fu ladite fille appellée Catherine.

LXXIX.

Du trespassement de madame Jehanne de Bourbon, royne de France, et de son noble appareil.

Le samedi ensuivant, sixième jour dudit mois de février, environ dix heures après midi, ladite royne trespassa de ce siècle audit hostel de Saint-Pol, dont le roy fu moult troublé et longuement ; et si furent moult d'autres bonnes personnes : car il s'entreaimoient tant comme loiaux mariés peuvent amer l'un l'autre. Si fu gardée audit hostel, pour ce que l'ordenance de son enterrement peust estre faite convenablement, jusques au dimenche quatorziesme jour ensuivant. Et cependant chascun jour à matin l'en chantoit messes audit hostel, et après disner vigiles de mors. Auquel jour de dimenche après disner, le corps fu porté notablement sur un beau lit noblement aourné et couvert de biaux draps d'or sur le blanc, et un biau poille d'or vermeil sur quatre lances que le prévost des marchans de Paris et les eschevins portoient. Et les seigneurs de parlement estoient environ le lit où le corps gisoit, et tenoient le poille qui estoit sur le lit, tout autour, si comme il est acoustumé à faire aux roys et roynes de France. Et sur le visage de ladite royne avoit un cuevre chef si délié que tout plainement on véoit le visage parmy, et avoit en sa main dextre un petit baston d'or ouvré par dessus en la façon d'une rose, et en l'autre main avoit un ceptre, et estoient en la compaignie tous les collèges et les ordres de Paris mendians, et tous les gens notables qui estoient lors à Paris, prélas et autres, et quatre cens torches devant, chascune de six livres. Et après le corps aloient à pié le duc de Bourbon, frère de ladite royne, et pluseurs autres du lignage du roy, tous vestus de noir.

LXXX.

Coment le corps de la royne fu porté à Nostre-Dame de Paris et l'endemain à Saint-Denis en France à grant honneur.

[355]Ainsi fu portée jusques à l'églyse Nostre-Dame de Paris, et là fu mis le corps au cuer d'icelle églyse, dessoubs une moult notable chapelle de bois couverte de cierges ; et autour de la nef de ladite églyse avoit quatre cent torches du pois de celles qui avoient esté portées à convoier le corps, et environ le corps avoit tousjours, tant à porter le corps comme en l'églyse, treize grosses torches que portoient treize varlès de chambre du roy. Et tantost furent vespres et vigilles de mors commenciées, et fist le service en ladite églyse de Paris l'evesque de Paris ; et tous les autres prélas, tant arcevesques comme evesques et abbés, furent revestus avecques leur mitres et leur crosses, et estoient seize prélas, dont les evesques de Laon et de Beauvais tenoient cuer. Et furent toutes les leçons et vigiles dites par prélas, et là estoit présent monseigneur Phelippe d'Alençon, patriarche de Jhérusalem et arcevesque d'Aux, lequel n'estoit pas revêtu en habit pontifical, mais estoit en chappe romaine avec les autres seigneurs du lignaige du roy : et furent tant à convoier le corps que à vigiles la royne Blanche, la contesse d'Artois et la duchesse d'Orliens, et aussi la niepce du roy, fille du duc de Berry et femme de Amé de Savoie, fils du conte de Savoie, et pluseurs autres dames et demoiselles, tant de l'ostel de ladite royne trespassée que autres.

[355] Le msc. de Charles V reproduit ici d'une manière intéressante ce convoi funèbre dans une grande miniature.

Le lundi ensuivant, quinziesme jour dudit mois environ prime, fu moult solempnellement la messe dite en l'église de Paris par ledit evesque de Paris, présens ceux qui avoient esté à vigiles. Et tantost que la messe fu dicte, le corps fu levé et mis à chemin pour porter à Saint-Denis, par la manière qu'il avoit esté aporté en ladite églyse de Paris, accompagnié de ceux qui y avoient esté le dimenche. Et y avoit quatre cent torches nouvelles, car les autres quatre cens qui avoient esté portées à Nostre-Dame y demourèrent et tout l'autre luminaire, et aussi y ot treize grosses torches nouvelles que treize varlès de chambre du roy portèrent, lesquelles quatre cent treize torches furent portées avec le corps jusques à Saint-Denis. Et après le corps alèrent tousjours à pié lesdis duc de Bourbon, le patriarche et autres seigneurs du lignaige du roy, et moult grant compaignie tant des officiers du roy comme d'autres. Et encontre le corps vindrent à procession l'abbé et les religieux de Saint-Denis dessoubs jusques oultre la place du Lendit. Et quant le corps fu au cuer de l'églyse de Saint-Denis une belle chapelle de bois, l'en commença le service de mors, et y furent prélas revestus en la manière qu'il avoient esté en l'églyse de Paris, et les deux evesques de Laon et de Beauvais qui tenoient cuer, et l'arcevesque de Rains faisoit le service. Et là avoit moult grant luminaire sur ladite chapelle et environ le cuer de l'églyse, de grant quantité de cierges comme de quatre cens torches toutes nouvelles et treize grosses torches que les treize varlès de chambre tenoient environ le corps ; et furent auxdites vigiles tous les seigneurs et dames dont dessus est faicte mencion.

LXXXI.

Coment le corps de la royne fu enterré à Saint-Denis et son cuer aux Cordeliers de Paris.

Le mardi ensuivant, seiziesme jour dudit mois de février, fu la messe dite à Saint-Denis par l'arcevesque de Rains, et fu diacre et dist l'évangile l'evesque de Noyon, et l'evesque de Lisieux fu sous-diacre et dist l'épistre. Et furent tant arcevesques comme evesques et abbés dix-neuf crosses. Et après la messe dite, le corps fu enterré en une chapelle de ladite églyse de Saint-Denis qui est au costé destre du grant autel, près de la porte par laquelle l'en entre au cloistre, emprès les degrés par lesquels on monte aux corps sains, laquelle chapelle ledit roy Charles avoit fondée. Le mercredi ensuivant dix-septiesme jour dudit mois, après disner, furent vigiles dites en l'églyse des frères Meneurs, à Paris, et là furent la royne Blanche, la contesse d'Artois, la duchesse d'Orliens et pluseurs autres grans dames, et aussi les prélas qui avoient esté à Saint-Denis ; le duc de Bourbon, monseigneur Phelippe d'Alençon, patriarche de Jhérusalem, et grant foison d'autres grans seigneurs. Le jeudi au matin ensuivant fu la messe dite, et après la messe fu le cuer de la royne enterré devant le grant autel de l'églyse desdis frères Meneurs, à la destre partie.

LXXXII.

Coment les entrailles de ladite royne furent enterrées solempnelment en l'églyse des Célestins.

Le vendredi ensuivant, après disner, furent tous les seigneurs et dames dessusdis aux Célestins de Paris, et là, en l'églyse, furent dites vigiles. Et le samedi ensuivant la messe et après la messe furent les entrailles enterrées devant le grant autel de ladite églyse ; et tant auxdis frères Meneurs quant le cuer fu enterré comme aux Célestins, à la messe et aux vigiles ot très-grant luminaire, tant de torches comme de cierges alumés sur chascune des chapelles de bois estant au milieu du cuer, tant de l'une desdites églyses comme de l'autre, et moult beaux draps d'or sur les sépultures, tant dudit cuer comme des entrailles. Et à chascun desdis trois enterrages qui furent fais, furent donnés à toutes personnes qui y vouldrent aler, à chascune personne à chascune fois quatre deniers parisis de bonne monnoie courant lors.

LXXXIII.

Du trespassement de madame Ysabel, fille du roy, et de son enterrement.

Le mardi ensuivant, qui fu le vint-troisiesme jour dudit mois de février, en l'ostel du roy emprès Saint-Pol à Paris, trespassa madame Ysabel, fille desdis roy et royne. Et le jeudi ensuivant fu enterrée en l'églyse de Saint-Denis, en la chapelle où la royne voit esté enterrée.

LXXXIV.

Coment les messaigiers commis à traictier de la paix du roy de France et de celuy d'Angleterre recommencièrent.

En iceluy mois de février, se remistrent sus les traictiés entre les roys de France et d'Angleterre, par le moien des deux arcevesques de Rouen et de Ravenne, messaiges du pape ; et envoièrent lesdis roys leur messaiges à Bruges pour traictier de la paix entre lesdis roys.

LXXXV.

Du trespassement du pape Grégoire XI, et de la fouldre qui chéi.

Le samedi au soir, vint-septiesme jour du mois de mars ensuivant, pape Grégoire qui estoit alé à Rome, si comme dessus est escript, trespassa de ce siècle en ladite cité de Rome au palais Saint-Pierre. Et le mardi, sixiesme jour du mois d'avril ensuivant mil trois cent septante-sept avant Pasques, car Pasques ensuivant furent le dix-huitiesme jour d'avril, au conclave qui estoit ordené par les cardinaux pour faire l'éleccion de l'autre pape et auquel il devoient entrer l'endemain, chéi la fouldre et rompi et despéça deux des loges ordenés pour deux des cardinaux. Et l'endemain, jour de mercredi septiesme jour dudit mois, entrèrent les cardinaux qui lors estoient à Rome audit conclave, et en celuy temps en avoit encore six à Avignon qui point n'estoient alés à Rome avec ledit pape. Et par ce que dessus est dit, puet apparoir que ledit pape Grégoire qui, si comme dessus est escript, fu esleu en pape le trentiesme jour de décembre mil trois cent septante, ne régna pape que sept ans, et tant comme il a du trentiesme jour de décembre au vint-septiesme jour de mars.

LXXXVI.

Coment, par la grace de Dieu, furent révélées au roy de France pluseurs traïsons contre luy machinées à faire par le roy de Navarre.

L'an dessusdit mil trois cent septante-sept, au mois de mars, furent envoiées lettres au roy de France par aucuns grans seigneurs, esquelles estoit contenu que le roy de Navarre avoit conceu et machiné de faire empoisonner ledit roy de France ; et que un appelé Jaquet de Rue, chambellan dudit roy de Navarre, lequel ledit roy de Navarre envoioit lors en France en la compaignie de messire Charles de Navarre, son ainsné fils, savoit ces choses et pluseurs autres mauvaistiés conceues par ledit roy de Navarre contre ledit roy de France. Et pour celle cause ledit roy de France fist prendre ledit Jaquet de Rue et emprisonner par ceux qui le pristrent. Et par iceux qui le pristrent fu trouvé en un des coffres dudit Jaquet un petit roole de mémoires dont ci-après sera faite mencion ; et après fu ledit Jaquet examiné par le commandement du roy de France, lequel confessa ce que ci-après suit :

LXXXVII.

Ci-après s'ensuit la confession Jaquet de Rue, chambellan du roy de Navarre.

[356]Jaquet de Rue, escuier-chambellan du roy de Navarre, pris du commandement du roy de France, et amené prisonnier à Corbueil par Jehan de Rosay, huissier d'armes, et par Guillaume de Rosay, escuier d'escurie du roy nostre sire, frères, le vint-cinquiesme jour de mars mil trois cent septante-sept, a dit et confessé de sa pure volenté, sans contrainte, présens monseigneur le chancelier de France, le sire de La Rivière, messire Nicolas Braque, messire Estienne de la Granche, président en parlement ; messire Pierre de Bournaseau et maistre Jehan Pastourel, conseilliers du roy nostre sire ; le prévost de Paris et Jehan de Vaudetar ; que les mémoires contenus en une cédule qui a esté trouvée en un de ses coffres sont vrais, lesquels mémoires le roy de Navarre luy fist baillier par Guillaume Planterose, son trésorier, né de la conté de Longueville en Caux, pour les faire mettre à exécucion en la manière qui s'ensuit :

[356] Ce grand et important chapitre est inédit. Dans les éditions précédentes et dans la plupart des manuscrits, il a été retranché. Dans le beau manuscrit de la Continuation de Nangis, no 8298-3, on a lié le commencement de la confession de Jaques de Rue à la fin de celle de Pierre du Tertre, et l'on a supprimé l'intermédiaire. Christine de Pisan, après avoir raconté cet événement d'une manière fort concise, ajoute : « Qui plus en voudra savoir, trouver le pourra assés près de la fin où les chroniques de France traittent dudit roy Charles, après le trespassement de la royne. » (Liv. III, chap. 51.)

C'est assavoir « que par le conseil de maistre Pierre du Tertre, de Ferrando d'Ayens, de messire Michel Sanches, capitaine d'Avranches, du prieur de Pampelune, de Gomins Lorens et dudit Jaquet, l'en envoie ledit Gomins Lorens et Jehan Dupré, clerc dudit maistre Pierre, en Angleterre le plus tost que l'en pourra, pour faire les choses qui s'ensuivent :

» Premièrement, que l'en renvoie les traictiés qui furent commenciés entre le roy d'Angleterre et le roy de Navarre, au temps que ledit roy de Navarre fu en Angleterre, avant qu'il venist devers le roy à Vernon, lesquels ledit maistre Pierre du Tertre a pardevers luy ; et que l'en en preingne, par son conseil, ce qui sera bon pour traictier de nouvel. Et scet bien, ledit Jaquet, que par la teneur desdis traictiés, le roy de Navarre devoit faire guerre en chief de luy et de ses forteresses et de son païs contre le roy de France. Et pour ce, le roy d'Angleterre accordoit faire baillier audit roy de Navarre Lymoges et Lymosin et les chasteaux du Melle, de Chiset et de Chivray, que le duc d'Orliens tint en Poitou, et un grant somme d'argent pour une fois, ne se recorde pas quelle. Et le roy de Navarre devoit baillier audit roy d'Angleterre pour seurté, à tenir pour trois ans, quatre de ses forteresses ; c'est assavoir Nogent-le-Rotrou, Nonancourt et deux autres, ne se remembre pas lesquelles, et devoient être mises en la main du conte de Salesbury. Mais avant que le traictié feust parfait, le chancelier du prince et monseigneur Regnaut Sauvage empeschièrent le traictié, pour ce que ledit prince ne vouloit pas que l'en luy baillast lesdis païs et forteresses qui estoient siennes.

» Item, que l'en traicte les meilleurs aliances que l'en pourra avec le roy d'Angleterre contre le roy de France : et que l'en traicte par lesdites aliances le mariage de l'une des filles du roy de Navarre et du roy d'Angleterre, et le mariage du fils de Lencastre et de l'une des filles dudit roy de Navarre, ou du conte de Mortaing et de l'héritière du duchié de Lencastre.

» Item, que l'en traicte que les terres de Bayonne, de Soble et de Labourt, soient baillées audit roy de Navarre siennes à héritage, et qu'il soit lieutenant et garde de Bordeaux et d'Aix et des parties d'environ, pour et au nom du roy d'Angleterre ; et qu'il facent guerre, l'un pour l'autre, contre le roy de France ; et que, pour ce, soit ledit roy d'Angleterre tenu de baillier audit roy de Navarre certaine somme de gens d'armes et d'argent la plus grant que l'en pourra et tout ce que ses gens en pourront traire ; et que nuls desdis roys ne puisse sans l'autre faire paix audit roy de France. Et combien que ledit roy de Navarre fist demander audit roy d'Angleterre comme dit est, toutesvoies estoit l'entencion dudit roy de Navarre que, au cas que le roy d'Angleterre ne la luy vouldroit baillier, que ce nonobstant l'en procédast avant ès dites aliances.

» Item, que l'en accorde de baillier audit roy d'Angleterre, pour tenir ces choses fermes et pour seurtés, les chasteaux et villes de Nogent-le-Roy, d'Anet, d'Ivry et de Nonancourt.

» Item, que l'en traicte aliances entre le duc de Lencastre et ledit roy de Navarre pour le fait contre le roy d'Espaigne, et que, par ledit traictié, ledit duc de Lencastre soit tenu de envoier au roy de Navarre certaine quantité de gens d'armes, le plus que l'en pourra avoir. »

Et le trentiesme jour de mars ensuivant, en Chastellet à Paris ; présens monseigneur le chancelier ; lesdis messire Nicolas Braque, messire Estienne, messire Pierre, maistre Jehan Pastorel et le prévost de Paris et Giles Malet, dist ledit Jaquet que en ce caresme a quatre ans, en la fin de la chevauchiée que le duc de Lencastre fist par le royaume de France auquel temps se devoient conduire certains traictiés de paix d'entre le roy d'Espaigne et ledit roy de Navarre, iceluy roy de Navarre vint devers ledit duc de Lencastre et luy requist entre les autres choses que il luy voulsist aidier à ce que il ne luy convenist pas prendre si deshonnorable traictié comme il avoit avecques ledit roy de Castelle, et que au moins luy voulsist aidier d'un nombre de ses gens, et il paieroit les gaiges et prendroit l'aventure de luy faire guerre. Et en ce temps ledit roy de Navarre fist parler de aliances et amistiés avoir avec Pierre Menric Adelentado de Castelle, pour estre avecques luy contre ledit roy d'Espaigne au cas qu'il y eust guerre ; et dit que à un jour en celuy temps ledit Pierre Jehan Perisdillo et Jehan Sanchis, capitaine de Trevignon, escuiers et familliers dudit prince et autres jusques au nombre de six de sa partie, et feu Radigo et ledit Jaquet, Mahiet de Quoquerel, Sancho Lopès et autres deux personnes de la partie du roy de Navarre, furent ensemble sur les champs, entre le Grouing et Vienne, pour accorder lesdites aliances ; et là ledit Pierre accorda estre de la partie du roy de Navarre contre le roy de Castelle, mais que il feust puissant de luy faire guerre. Et accorda baillier au roy de Navarre en ce cas son lieu de Trevignon, et le Grouing que il gardoit pour le roy de Castelle. Et le roy de Navarre luy promist donner certains terres et lieux en son royaume de Navarre, et à deux frères qu'il avoit lors autres héritages ou rentes. Mais pour ce que ledit duc de Lencastre n'ayda point au roy de Navarre, ce qu'il avoient accordé d'une partie et d'autre ne se mist point à effet ; et depuis a ledit roy de Navarre donné rente audit Pierre Menric et à ses deux escuiers ; c'est assavoir audit Pierre cinq cens florins de rente et à chacun desdis escuiers cent florins ; de laquelle rente il ont été et sont encore bien paiés. Et pour ce, pense ledit Jaquet, sé ledit roy de Navarre avoit guerre audit roy de Castelle, que ledit messire Pierre y seroit de sa partie de tout son povoir ; mais que ledit roy de Navarre eust grant povoir et grant effort.

» Item, que l'en advise ledit maistre Pierre de tenir au long le plus qu'il pourra et par bonne manière les traictiés du roy de France et du roy de Navarre ; soit par laissier les drois royaulx par eschanges de terre ou vendicion de Montpellier, et par autres voies qui meilleurs les saura trouver, afin que le roy de Navarre peust avoir meilleur loisir de faire son traictié et ses aliances avec le roy d'Angleterre et que le roy de France ne s'en apparceust[357].

[357] Le manuscrit de Charles V porte ici : Nota.

» Item, que messire Charles de Navarre, si tost qu'il sera en France, au plus tost que faire se pourra et par bonne manière, face que il ait Nogent en sa main et y mette gens de qui il se pourra aidier au besoin, et ès autres forteresses par semblable manière où il verra qu'il sera à faire par le conseil de ses gens.

» Item, que l'en advise par bonne manière de vendre Montpellier, quant l'en sera à accort des aliances dudit roy de Navarre et du roy d'Angleterre pour faire guerre audit roy de France, avant que ladite guerre soit ouverte et non autrement : et le vouloit ainsi ledit roy de Navarre, pour ce qu'il ne l'eust pu tenir en temps de guerre.

» Item, que l'en face retourner en Navarre le conte de Mortaing le plus tost que l'en pourra ». Et tient ledit Jaquet que c'est pour ce que ledit roy de Navarre ne vouldroit pas que ses deux fils feussent ensemble par deçà. « Et aussi que l'en renvoie devers le roy de Navarre ledit Jaquet le plus tost que l'en pourra avec toutes nouvelles, c'est assavoir de ce qui auroit esté fait des choses contenues en ladite cédule et des autres choses sé elles entrevenoient.

» Item, que on die audit maistre Pierre que il extraie desdis traictiés pieça commenciés entre le roy de Navarre et le roy d'Angleterre, les articles qui bons lui sembleront, et seront envoiés en Navarre, afin d'estre plus aisiés, sé les messages du roy d'Angleterre y aloient.

» Item, que l'en advise[358], au cas que l'on auroit la guerre avecques le roy de France, de prendre trois ou quatre forteresses sur les ennemis ; c'est assavoir sur le roy de France et sur ses subgiés, avant qu'il se donnent garde de celles qu'il peussent avoir plus tost prises, feust sur la rivière de Saine ou ailleurs. » Et dit ledit Jaquet que tous les mémoires dessus dis nomma le roy de Navarre de sa bouche à Guillaume Planterose son trésorier, qui les escript de sa propre main, présent ledit Jaquet, et se charga ledit Jaquet de les apporter par deça pour en parler audit maistre Pierre et aux autres dessus nommés au premier article, et les faire mettre à exécucion : et les sceurent bien Ferrando d'Ayens et Guiot d'Arcies, et non autres.

[358] Nota. (Msc. de Charles V.)

[359]Dit oultre et confesse ledit Jaquet que le roy de Navarre n'aime point le roy de France, né n'ot onques bonne amour à luy, quelques belles paroles qu'il lui ait dictes né quelque bel semblant qu'il lui ait fait ; mais a tousjours tendu par toutes les manières qu'il a peu à lui faire grief et dommage, et sé il povoit et véoit sa keue reluire il mectroit volentiers peine à sa destrucion.

[359] Nota. (Id.)

Dit avecques que environ a huit ans, le roy de Navarre prist et retint avecques luy un phisicien qui demouroit à l'Estoille en Navarre, bel homme et jeune et très-grant clerc et subtil appellé maistre Angel[360], né du pays de Chypre, et luy fist moult de biens et luy parla entre les autres choses de empoisonner le roy de France, en disant que ce estoit l'omme du monde que il haioit plus ; et luy dist que sé il le povoit faire, il luy en seroit bien tenus et luy recompenseroit bien. Et tant fist que ledit phisicien luy octroya de le faire ; et devoit estre fait par boire ou par mangier ; et devoit venir ledit phisicien en France pour ce exécuter, et pensoit ledit roy de Navarre que le roy de France préist plaisir en luy, pour ce qu'il parloit bel latin et estoit moult argumentatif, et que, par ce, eust entrée souvent devers luy, par quoy eust oportunité de faire son fait. Et ledit roy de Navarre qui avoit grant désir à ce que la besoigne s'avançast le pressa moult du faire. Et quant ledit phisicien se vist ainsi pressié si qu'il convenoit qu'il le féist ou se partisist de sa compaignie, il s'en ala et s'en parti, né onques puis ne fu devers luy, et a bien sept ans ou environ qu'il s'en parti : et tenoit-l'en en Navarre que il estoit noié en la mer. Et ce scet ledit Jaquet, parce que ledit roy de Navarre mesme le lui dist. Et dit aussi ledit Jaquet que ledit roy de Navarre est encore en volenté et propos de faire empoisonner le roy de France, et a ordené et disposé le faire par un sien varlet de chambre qui souloit estre de sa paneterie, et est appellé Drouet de la Paneterie et est de Beauvoisin, et a un sien cousin qui sert le roy en sa cuisine ou en la fructerie ; lequel Drouet le roy de Navarre doit envoier pardevers messire Charles son fils, soubs ombre d'autres besoignes ; mais pour cette besoigne se doit traire devers ledit Jaquet dedens Pasques prochaines ou la quinzaine ensuyvant. Et après doit venir son dit cousin, et par l'acointance d'iceluy cousin doit repairier en l'ostel du roy, et par ainsi doit procéder à mettre à exécucion son fait, et se doit faire par mengier ; et a faite les poisons une juive qui demeure en Navarre. Et a espérance ledit Drouet que son dit cousin soit de son aide en ce fait. Et ces choses scet ledit Jaquet parce que le roy de Navarre mesme les luy dist, environ quinze jours après que monseigneur Charles son fils se fu naguères parti de luy ; car ledit Jaquet demoura tant devers luy après le partir des autres : et aussi les luy dist ledit Jaquet[361], et est un peu grosset sans barbe de l'aage d'environ vingt-huit ans ou trente.

[360] Nota. (Id.)

[361] Jaquet. Il doit y avoir ici faute du copiste. Lisez Drouet, comme dans le manuscrit de la Continuation de Nangis, no 9622 (fo 204, vo).

Dit oultre que pour ce que le roy de Navarre senti que feu Guerart Malsergent, qui estoit son bailly d'Evreux, avoit acointance au roy nostre sire et qu'il estoit son bienvueillant, il ordena et manda à maistre Pierre du Tertre que il le féist mourir, et vouloit que il mourut ès ténèbres devant Pasques. Mais pour ce que l'en failli à le tuer en ténèbres, ledit maistre Pierre, si comme il oï dire, le fist murdrir ès feries de Paques ensuivant, à l'entrée d'une nuit en pleine rue, et fu fait, environ a six ans ; ainsi l'a oï dire ledit Jaquet et le tenir communelment.

Dit avec ce, que passés sont sept ans ou environ, avant que le roy de Navarre venist devers le roy de France à Vernon, iceluy roy de Navarre cuida faire prendre Meullen par devers le costé de Chartain, et fu ordené de mettre cinquante hommes d'armes Navarrois en embusche assez près de la porte pour y entrer tantost que la porte se ouverroit : et en estoient capitaines Bernadon d'Espelot et un autre Navarrois. Et aussi fu ordené de mettre en une autre place assez près d'ilec, deux cens hommes d'armes dont Saint-Julien estoit capitaine, pour venir conforter les autres cinquante dessus dis quant il seroient entrés dedens, et pour tout avitaillier le lieu, si que il le peussent tenir contre le roy ; mais celle journée, la porte de celle partie ne se ouvri pas, et ainsi fu ladite emprise de nul effet, et le scet parce qu'il fu au conseil de ces choses.

[362]Dit oultre que, environ Noel derrenièrement passé ot trois ans, monseigneur Phelippe d'Alençon, qui fu arcevesque de Rouen, envoia devers ledit roy de Navarre, et lui fist savoir que volentiers s'alieroit avecques luy contre le roy de France. Et lors ledit roy de Navarre renvoia devers ledit arcevesque Sancho Lopez et ledit Jaquet, pour savoir et lui rapporter plus clerement de son entencion et volenté. Et dit que ledit arcevesque leur dist que volentiers s'alieroit avecques luy par la manière que dit est ; et que combien qu'il fust clerc, si se armeroit-il volontiers en sa personne et se mettroit si avant en ladite guerre comme chevalier qui y feust, et disoit qu'il se faisoit fort du conte de Perche son frère qu'il seroit de cette aliance ; et aussi se faisoit fort qu'il auroit tous les chasteaux de madame sa mère à son plaisir, mais de monseigneur d'Alençon né du conte d'Estampes ne se faisoit-il mie fort ; et dit que le traictié se reprist par deux fois, mais lesdites alliances ne se firent pas, pource que le roy de Navarre le véoit trop foible, et pour ce n'en tint compte.

[362] Nota. (Msc. de Charles V.)

Dit oultre ledit Jaquet que environ a sept ans que ledit roy de Navarre vint en Bretaigne, et vint par Cliçon où estoit le sire de Cliçon, et luy fist ledit sire de Cliçon très-bonne chière et très-grande, et le y receupt moult honnorablement : et d'ilec vinrent à Nantes, et ilecque ledit roy de Navarre dist audit duc qui fu, qu'il ameroit mieux mourir que de souffrir telle vilenie comme le sire de Cliçon luy faisoit, car il amoit la duchesse sa femme, et la luy avoit veue baisier par derrière une courtine[363] ; si comme il oï dire, et la commune renommée estoit telle.

[363] Courtine. Tapisserie, principalement de celles qui font l'office de portières.

Et aussi a-il oï dire que ledit duc qui fu, machina dès lors en la mort dudit sire de Cliçon ; et depuis à un jour que ledit duc qui fu et le sire de Cliçon et le viconte de Rohan furent à Vannes, iceluy duc qui fu fist armer gens de son hostel Anglois, jusques au nombre de trente ou environ, pour mettre à mort ledit sire de Cliçon ; et si comme il dançoit en un jardin, présent ledit duc qui fu, où il devoit estre mis à mort, ledit sire de Cliçon en fu advisé, et pour ce que lesdis Anglois ne firent pas appertement leur fait, il s'en parti franc et délivre.

Dit avecques ce, que aussi tost après ce que la bataille fu à Cocherel, ledit roy de Navarre promist à feu monseigneur Seguin de Badesol mile livrées de terre pour faire guerre au roy de France et à son royaume ; et pour ce que ledit messire Seguin luy demanda que lesdites mile livrées de terre luy feussent assises en certains lieux en Navarre, c'est assavoir : à Falses, à Peralte et à Lerin, et l'empressoit fors, le roy de Navarre, en disant que ledit messire Seguin luy demandoit le plus bel de sa chevance, dist audit Jaquet qu'il failloit qu'il s'en délivrast. Et puis parla à Guillemin Petit, lors son varlet de chambre qui demeure à présent à Evreux[364], et luy dist en la présence dudit Jaquet que il convenoit que il l'empoisonnast. Et à un souper en la propre sale dudit roy de Navarre à Falses, iceluy messire Seguin qui y estoit assis à la table, du sceu et du consentement dudit Jaquet, fist le roy de Navarre empoisonner en coings ou en poires sucrées, ne scet lequel, par Guillemin Petit ; et mourut ledit Seguin dedens six jours après ou environ, et ne scet quelles furent les poisons fors que il pense que ce fu réagal[365].

[364] Nota. (Msc. de Charles V.)

[365] Réagal. Arsenic rouge. Je lis dans le Grand Dictionnaire de P. Marquis, Lyon 1609 : « Riagas. Espèce de poison que aucuns nomment Reagal ou Reagas. Arsenicum, que l'Espagnol dit Reiagar. »

Dit aussi qu'il demoura avecques le roy de Navarre par quinze jours ou environ après ce que messire Charles son fils se fu naguères parti de luy. Et en ce temps vint d'Angleterre par devers ledit roy de Navarre, Garsie Arnault de Salies qui luy dist que la princesse et tout le conseil d'Angleterre avoient grant désir que le mariage se feist du roy d'Angleterre son fils et de l'une des filles dudit roy de Navarre, et que en ce estoient tous fermes ; et que combien que l'empereur eust essayé de faire mariage dudit roy d'Angleterre et de sa fille, il ne s'y estoient voulu consentir, et disoient que mieux amoient qu'il fust marié à celle de Navarre, car c'estoit plus noblement et en plus hault lignage ; et oultre, que au fort il auroit le mariage pour néant et ne cousteroit rien au roy de Navarre, mais que il feust alié aux Anglois. Et quant ledit Jaquet se parti dudit roy de Navarre, pour venir devers ledit messire Charles, iceluy roy de Navarre luy dist que il déist ce que ledit Garsie luy avoit rapporté audit messire Charles, à l'evesque d'Acx, à Ferrando, à messire Guy de Gauville, à Remiro Darilhano, et aux autres du conseil dudit messire Charles ; et ceste charge luy faisoit ledit roy de Navarre, afin que la chose s'avançast, sé le mariage leur sembloit bon. Et quant il fu venu devers eux, il leur dist ainsi : et ledit messire Charles dist lors que il luy sembloit que le mariage estoit bon et luy plaisoit bien, et ainsi furent pluseurs des autres, mais l'evesque en baissa la teste et n'en dist mot. Et lors dist Ferrando : « Or regardez comment cet evesque a les besoignes de monseigneur bien à cuer que ainsi se taist. » Dist oultre que le roy de Navarre a très grant désir à ce que les alliances dessus dictes d'entre luy et le roy d'Angleterre soient hastivement faites, et pour ce a ordené que les messages qui devoient aler en Angleterre y voisent tantost, et que l'entencion du roy de Navarre est de venir en France en sa personne, et ne scet ledit Jaquet sé il vendra par mer ou par terre ; mais bien scet que sé il vient par mer il montera à Bayonne au navire d'Angleterre sé il y vient, et vendra le plus fort que il pourra. Et sé il vient par terre, il viendra ainsi comme soubs un maistre, en habit mescogneu, et entent à faire guerre au roy, de luy et de ses subgiés et aliés, le plus efforciement que il pourra, et recevoir les Anglois en ses chasteaux et forteresses pour luy faire guerre. Et dit que ainsi estoit-il proposé avant que il partist ; mais ledit Jaquet pense que il muera son propos quant il saura nouvelles de sa prise, et qu'il fera avancier les alliances et son armée pour grever le roy et le royaume au plus tost qu'il pourra ; car il dira et pensera en son cuer que le roy de France sache de son fait par la prise dudit Jaquet autant comme il feroit par lui-mesme sé il estoit pris.

Dit avecques ce ledit Jaquet que les messages que monseigneur d'Anjou envoia naguères par devers le roy de Castille, passèrent par Navarre et présentèrent au roy de Navarre une lectre que monseigneur d'Anjou luy envoioit par lesquelles luy prioit que tous mantalens et toutes choses du temps passé fussent oubliées, et que ledit roy de Navarre voulsist estre son ami ; car il vouloit estre le sien, et qu'il se voulsist entremectre de l'acort faire sur le débat entre luy et le roy d'Arragon, et qu'il estoit l'homme qu'il en chargeroit plus volontiers. Et après ce, vint devers le roy de Navarre un docteur qui estoit desdis messages et qui moult vouloit parler audit roy de Navarre ; et luy présenta ledit docteur une autre lectre bien aimable et par monseigneur d'Anjou escripte de sa main ; et luy dist que il voulsist estre ami de monseigneur, et il seroit le sien et se voulsist chargier de son fait. Et après ce que ledit docteur s'en fu parti, ledit roy de Navarre dist ces choses audit Jaquet, et luy dist oultre que il savoit bien que ce n'estoient que paroles pour luy decevoir, et luy vouloit baillier du tour du baston[366], car il savoit bien qu'il estoit l'homme du monde que monseigneur d'Anjou haioit plus ; et que puisqu'il vouloit feindre estre son ami, il se feindroit aussi et luy donroit un tour de baston comme il luy vouloit baillier : car il se chargeroit de son fait, et soubs umbre et couleur de faire la besoigne de monseigneur d'Anjou, il feroit son traictié avecques le roy d'Arragon ; et entendoit par les paroles dudit roy de Navarre que c'estoit pour faire aliances contre le roy d'Espaigne.

[366] Du tour du baston. Ici, l'expression a le sens de notre tour de vieille guerre ou croc-en-jambe, et je crois cette vieille acception plus naturelle que celle qui a prévalu. Le Dictionnaire de Trévoux a donc eu bien tort de l'expliquer : « Tour de bâton, ou de bas-ton, adresses particulières qu'ont des gens d'une profession pour tromper ceux à qui ils ont à faire. » C'est tout simplement une expression proverbiale empruntée à l'ancienne eschermie, lutte ou escrime au bâton.

« Et je Jaquet de Rue dessus nommé, confesse et jure sur les saintes évangiles de Dieu par moi touchées, et sur le péril de la damnapcion de l'ame de moi, que les choses dessus escriptes en ces trois rooles de parchemin, lesquelles, après ce que je les ai confessées sans force et sans contrainte, ont esté ainsi escriptes, et m'ont esté lues par pluseurs journées et par pluseurs intervales, et je meisme les ay lues, sont vraies par la manière que dessus sont escriptes. Et en tesmoing de ce j'ay ce escript de ma main, le premier jour d'avril l'an mil trois cens septante-sept, avant Pasques.

Jaquet de Rue. »

LXXXVIII.

Coment messire Charles, ainsné fils du roy de Navarre, vint à sauf-conduit à Senlis, pour veoir le roy de France son oncle.

En ce temps, c'est assavoir au karesme mil trois cens septante-sept, messire Charles, ainsné fils du roy de Navarre, qui de nouvel estoit venu de Navarre en France et estoit en Normendie, envoia devers le roy et luy fist savoir qu'il venroit volentiers pardevers luy pour le veoir et luy faire la révérence, mais qu'il pleust au roy de luy envoier un sauf-conduit, tant pour luy comme pour ceux qui seroient en sa compaignie, laquelle chose le roy luy ottroia et ainsi le fist. Et vint ledit messire Charles à Senlis là où le roy estoit, et amena en sa compaignie messire Jean Bauffe evesque d'Aics, le prieur de Pampelune, messire Ligier d'Orgetin, messire Baudoin de Baulo, Ferrando Dayens, et pluseurs autres tant chevaliers comme escuiers. Et après ce que ledit messire Charles ot esté avecques le roy pour aucun temps, il luy fist requeste de la délivrance dudit Jaquet de Rue, lequel estoit parti de Navarre en la compaignie d'iceluy messire Charles, et avoit esté pris comme dessus est escript et jà avoit fait la confession dessus escripte. Auquel messire Charles, après aucunes paroles, le roy fist dire et montrer par aucuns de ses conseilliers, les deffautes, mauvaistiés et trahisons que ledit roy de Navarre avoit faites, pactées et machinées tant contre le roy Jehan comme contre le roy Charles son fils regnant à présent. Et depuis, le roy, en sa présence et de pluseurs de son lignage et autres de son conseil, fist ces choses dire audit messire Charles en la présence de ceulx qui estoient venus en sa compaignie, et leur fist dire la confession que avoit faite ledit Jaquet de Rue, et que l'entencion du roy estoit d'avoir les forteresses qui de par ledit roy de Navarre estoient tenues en Normendie, et que gens y fussent mis de par le roy qui loyalement les garderoient à la seurté du roy et du royaume. Et pour ce que là estoient présens pluseurs, et la plus grant partie en la compaignie dudit messire Charles, de ceux qui avoient le garde des dites forteresses, le roy ordena et requist que ledit messire Charles premièrement, et les capitaines des dites forteresses qui là estoient présens, jurassent sur les saintes évangiles de Dieu et par les fois de leur corps, que tantost et sans délai il délivreroient et feroient délivrer par ceux qui dedens estoient lesdites forteresses, et chascune d'icelles au duc de Bourgoigne frère du roy, lequel le roy envoieroit en Normendie pour celle cause, tantost que ledit duc ou ses messages seroient devant lesdites forteresses. Et pour ce que ledit Ferrando d'Ayens avoit la plus grant partie de toutes lesdites forteresses en son gouvernement et en sa puissance, et ledit messire Charles doubtoit, si comme il dist lors à aucuns du conseil du roy, que ledit Ferrando quant il seroit hors de la présence du roy, ne accomplisist pas né enterinast ce qu'il avoit promis et juré en la présence du roy, de rendre lesdites forteresses, pour ce requist à aucuns du conseil du roy, et aussi le fist sentir au roy que la main fu mise audit Ferrando, et qu'il fust arresté prisonnier jusques à ce qu'il eust rendu lesdites forteresses, comme promis et juré l'avoit. Et fu ledit Ferrando baillié en garde à aucuns des officiers du roy, pour mener avecques ledit duc de Bourgoigne en Normendie, afin qu'il luy fist rendre lesdites forteresses. Et assez tost après parti le duc de Bourgoigne, bien accompaignié tant des gens du roy comme des siens, pour aler en Normendie exécuter ce que dit est. Et ala en sa personne devant pluseurs desdites forteresses, garni de povoir du roy souffisant de requérir et prendre lesdites forteresses pour le roy et de par luy, tant par luy comme par ses députés ; et trouva désobéissance en toutes ou en la plus grande partie d'icelles. Et toutes voies estoit ledit messire Charles en sa compaignie ; mais nonobstant toute désobéissance, ledit duc de Bourgoigne, le connestable de France et les autres qui estoient au païs de Normendie de par le roy pour celle cause, firent tant, par force et par assaut comme autrement, que en la saison de l'esté ensuivant qui fu mil trois cens septante-huit, il orent la possession et la seigneurie de toutes les forteresses qui avoient esté dudit roy de Navarre, excepté de la ville et chastel de Cherbourc. Et entre les autres fu rendu le chastel de Breteuil, où estoient messire Pierre de Navarre et madame Bonne sa suer, lesquels furent envoiés devers le roy, et il les receust et gouverna comme son nepveu et sa niepce. Et aussi en une belle tour qui estoit à Bernay, tenue lors de par ledit roy de Navarre, fu pris un sien secrétaire appellé maistre Pierre du Tertre, lequel savoit les secrès d'iceluy roy de Navarre aussi avant comme aucun autre, lequel fu amené en chastellet à Paris en prison, et fu examiné sans force et sans contrainte. Et par son serement déposa et confessa les choses ci-après escriptes ; et si furent trouvées en la tour, en un coffre qui estoit dudit maistre Pierre, pluseurs lettres et escriptures par lesquelles la confession dudit maistre Pierre, ci-après escripte, apparoit estre bien véritable.

LXXXIX.

Ci-après s'ensuit la confession de maistre Pierre du Tertre, secrétaire et conseillier du roy de Navarre.

Maistre Pierre du Tertre, secrétaire et conseillier du roy de Navarre, capitaine et garde de la tour de Bernay pour ledit roy de Navarre, pris illec et amené prisonnier au Temple, à Paris, a dit et confessé de sa pure et loial volenté sans contrainte, le mercredi vintiesme jour de mai mil trois cens septante-huit, en la présence de pluseurs notables personnes tant du sanc du roy nostre sire comme de son conseil, pluseurs choses et mauvaistiés contenues et escriptes en six peaux de parchemin colées ensemble ; et entre les autres choses pour ce que ce seroit trop grant prolucité de tout escripre, dit : Qu'il a servi le roy de Navarre et luy a fait serement de le servir loyaument en tout ce qu'il luy commettroit. Dit aussi que environ la feste Saint-Andrieu ot un an il fist audit roy de Navarre hommaige lige du fief de Cathelon[367], assis en la viconté de Pont-Audemer, et promist le servir envers tous et contre tous, sans excepter le roy nostre sire né autre, jasoit ce que iceluy maistre Pierre du Tertre fust né du royaume de France[368].

[367] Cathelon. Village à quatre lieues de Pont-Audemer.

[368] Villaret dit qu'une seule chronique indique l'origine françoise de Pierre du Tertre. Cette chronique seroit conservée sous le no 10297. Tous les exemplaires de la chronique de Saint-Denis le disent aussi nettement que l'autorité alléguée par Villaret.

Dist aussi que ledit roy de Navarre l'envoia pieça en Angleterre, et en sa compaignie messire Jean de Tilly, chirurgien, et Sancho Lopès, huissier d'armes du roy de Navarre, avecque souffisant povoir de traictier et accorder aliances pour ledit roy de Navarre avecques le roy d'Angleterre, contre le roy de France et son royaume ; et avecques les dessus nommés les traicta et accorda si comme plus à plain est contenu en sa dite confession tout au lonc.

Dist oultre, que Guiot d'Arcy, chambellan de messire Charles de Navarre, vint naguères en France et luy apporta et bailla, de par le roy de Navarre, unes lettres de créance, laquelle créance Jaquet de Rue luy devoit dire, et cuide bien ledit maistre Pierre que c'estoit sur le fait des aliances que le roy de Navarre entendoit présentement à faire avec le roy d'Angleterre. Et dit ledit maistre Pierre que sé par ledit roy de Navarre luy eust esté dit et commandé de extraire des traictiés et aliances pieça faites dont dessus est faite mencion aucuns articles pour traictier de nouvel avecques ledit roy d'Angleterre, il les eust extrais et bailliés, sé lesdis Jaquet et Guyot le luy eussent commandé de par ledit roy de Navarre.

Dist avecques ce, que quant il oï que messire Charles de Navarre aloit sur le païs de Normendie en la compaignie du duc de Bourgoigne et du connestable de France, il prist trois ou quatre charpentiers, un maçon et un canonnier et les mist dans la tour de Bernay pour ordener, garder et deffendre ladite tour contre tous ceux qui y vendroient pour y porter dommaige, et à cette fin les y tint. Et aussi y reçut le capitaine de Moulins et aucuns autres Navarois, qui avoient laissié le fort, pour ce qu'il leur sembloit qu'il n'estoit pas tenable contre les gens qui venoient de par le roy de France : et dit que à ce le movoient et contraingnoient le serrement et hommaige qu'il avoit fait audit roy de Navarre.

Dist oultre, qu'il envoia à pluseurs capitaines des forteresces qui se tenoient pour ledit roy de Navarre en Normendie lettres closes dont la teneur s'ensuit : « Chiers et bons amis, j'ai eu lettres d'un mien ami qui tient forteresse de monseigneur, ès quelles a contenu que le duc de Bourgoigne et le duc de Bourbon gouvernent monseigneur à leur volenté, et le mainent à grant foison de gens d'armes devant Bretueil et y doivent estre aujourd'hui, et après vont au Pont-Audemer, à Mortaing, à Gauray et à Cherbourg, lesquels il pensent avoir de fait par ledit monseigneur. Et ce m'a-il escript afin de avoir advis de faire response sur ce, et pour ce luy escris que tout considéré, m'est avis qu'il n'a en nos adversaires fors que voie de fait très-mauvais et très-cruel, contre lequel fait nul ne puet donner conseil né faire response qui puisse oster né appaisier ce qu'il ont dedens leur cuer : et pour ce convient esvertuer et soy aidier comme pour deffendre sa vie, son honneur et l'éritage de son seigneur que l'en veult avoir et soustraire par males et estranges manières ; et je ne doubte point que Dieu n'aide à ceux qui ainsi le feront. Et quant est de ce que l'en a à faire avecques tels gens qui vont par les lieux de monseigneur, j'ai veu autrefois le cas, et qui eust rendu les forteresses de monseigneur, tous les siens estoient mors entièrement et perpétuelment. Si ne voy autre seurté à nos vies que de bien garder ce que l'en tient, et vault plus et assez bataille que la mort, et durer le plus que l'en pourra ; et entretant aucun bon reconfort nous vendra par droite sentence et ordenance de Dieu. Et pleust à nostre sire que tous nos amis fussent bien advisés de tenir une meismes voie et une meismes response. Mais pour passer le temps avecques cette dure gent, je diroie que l'en leur devroit dire que par commandement de monseigneur le père, l'en a tenu et tient ses forteresses pour luy en l'obéissance et service du roy et contre ses ennemis, si comme il est apparu de fait par ce que l'en fist contre les Anglois de Saint-Sauveur, et que l'en fait chascun jour ailleurs, et tousjours est-l'en en telle volonté de en faire et obéir à la bonne ordenance de monseigneur de Beaumont ainsné fils, et cetera, luy franc et délivre en sa personne et en ses gens qui luy sont baillés pour le conseiller ; et aussi lui aiant pouvoir de monseigneur son père, duquel il convient qu'il appère ; car encore ne s'est-il point porté comme lieutenant né n'a esté sur les terres de monseigneur son père comme chascun scet. Et si convendroit nécessairement avoir lettres de descharge de monseigneur le père, escriptes de sa main et séellées de son grant séel, ou autrement l'en seroit faux et parjure, si comme il meismes porte par lettres qu'il a de chascun capitaine ; par lesquelles condicions l'en puet dire que l'en est prest de faire le commandement de monseigneur de Beaumont. Ou l'en pourroit dire, après ce que l'en auroit monstré ces condicions qui valent excusacions, que ainsi comme feront Evreux, Breteuil, le Pont-Audemer, Gauray, Mortaing et Cherbourg tous ensemble d'un accort, l'en est prest à faire ; et autre response ne sçay penser de présent : meismement que de ceux qui monseigneur deussent aviser je n'ai eu nouvelles quelconques, dont je suis bien esmerveillié comment d'ailleurs je aye ce que je puis sentir de nouvel : et en vérité je croy qu'il leur a esté deffendu sur grans paines et seremens. Si povés avoir avis que vous povez faire, et sé je vous puis faire aucun bon reconfort, je le ferai de bon cuer. — Nostre sire soit garde de vous. Escript ce lundi. Le tout vostre. P. Du Tertre. »

Dist aussi que sé le roy de France et le roy de Navarre eussent esté en bataille l'un contre l'autre sur les champs, il se fust mis et tenu de la partie dudit roy de Navarre contre le roy de France. Dist oultre, que depuis le temps de sa jeunesse, et a bien vint-six ans, il a servi le roy de Navarre et exercé ses besoignes, et seroit aussi comme impossible de tout recorder ; mais à parler généralement ledit roy de Navarre a fait et perpétré pluseurs maux contre le roy et royaume de France, tant du temps du roy Jehan que Dieu absoille, comme du temps du roy, nostre sire qui à présent est, par lequel temps ledit Pierre a tenu et nourri la partie dudit roy de Navarre.

Dist encores que depuis le traictié fait l'an mil trois cens septante, à Vernon, entre le roy de France et le roy de Navarre, ledit Pierre a sceu de certain, par la bouche dudit roy de Navarre, que icelui de Navarre ne pourroit jamais aimer le roy de France, et que sé il trouvoit son point né temps convenable, il luy porteroit volontiers dommages. Et pluseurs autres fais grans et détestables confessa ledit Pierre du Tertre, qui trop lons seroient à escripre.

XC.

Coment maistre Pierre du Tertre et Jaquet de Rue furent condempnés en parlement à estre traynés du palais jusques ès Halles, et là avoir les testes coupées et les quatre membres ; et coment le roy fist abattre pluseurs chasteaux et forteresces.

Après laquelle confession faite dudit maistre Pierre du Tertre, le roy qui bien vouloit que chascun sceut la bonne justice et les mauvaistiés et traysons faites et machinées et pourparlées contre luy par ledit roy de Navarre, ordena que en la chambre de parlement, assemblés grant multitude de gens, prélas, princes, barons, chevaliers, conseilliers, advocas, procureurs et autres gens, fussent à un certain jour amenés, à l'eure que l'en a acoustumé de seoir en parlement, lesdis Jaquet de Rue et maistre Pierre du Tertre, et que là, par leurs seremens fais solennelment, fussent interrogués sur les choses contenues en leur confessions, et ainsi fu fait. Et leur furent leues leur confessions de mot à mot, par la manière que dessus sont escriptes, lesquels après la lecture desdites confessions, chascun après la lecture de la confession qu'il avoit faite, eulx conjurés des plus grans sermens que on leur pot faire faire, confessèrent lesdites confessions estre vraies, et dirent qu'il les avoient par pluseurs fois oï lire autrefois, et dirent que en la manière qu'il estoit escript il l'avoient confessé, sans force et sans contrainte aucune ; et que les choses contenues en leur dépositions estoient vraies, et ainsi le prenoient sur le péril de leur ames, car il savoient bien qu'il estoient dignes de mort, sé le roy ne leur faisoit grace et miséricorde. Et en plus seur tesmoignage de ce, chascun escript de sa main en la fin de sa confession l'affirmacion dessus dit.

Et ces choses rapportées au roy, il voult que raison et justice leur fust faite. Si furent condempnés par le jugement de parlement à estre trainés du palais jusques ès halles, et là sur un échauffaut avoir les testes coupées et chascun les quatre membres, lesquels quatre membres de chascun d'eux furent pendus à huit potences au-dehors de quatre portes de Paris, et les testes ès halles, et le demourant au gibet.

Item, après ce que lesdites forteresces furent mises et rendues en la main du roy, les unes par force et les autres par traictié, le roy fu conseillié par pluseurs sages que il féist abattre lesdites forteresces, car elles avoient esté tenues contre luy qui estoit souverain seigneur ; et par le moien et seurté d'icelles, pluseurs maux, dommaiges, inconvéniens et traïsons avoient esté faites par ceux qui lesdites forteresces tenoient contre le roy, seigneur souverain desdites forteresces et son royaume : et ainsi estoit grant péril de les laissier en estat, pour doubte qu'elles ne retournassent en la main dudit roy de Navarre qui tant de maux et traïsons avoit faites sur la seurté desdites forteresces, lesquelles par pluseurs autres fois avoient esté rendues audit roy de Navarre, par les paix et reconciliacions qu'il avoit faites au roy Jehan, père du roy nostre sire, et au roy ; dont depuis icelles recouvrées en avoit esté désobéissant et porté dommaige au roy et au royaume. Si fist le roy, tant pour celles causes comme pour autres justes et raisonnables, abattre les chasteaux de Breteuil, d'Orbec, de Beaumont-le-Rogier, de Pacy, d'Annet, et les clostures des villes, et aussi la tour et chastel de Nogent-le-Roy ; les chasteaux d'Évreux, de Pont-Audemer, de Mortaing, de Gauray et aucuns autres en Constentin ; mais le chastel et ville de Cherbourg demourèrent entiers ès mains de ceux qui les gardoient pour le roy de Navarre qui ne les vouldrent rendre né délivrer, lesquels mandèrent et firent venir avecques eux pluseurs Anglois pour eux aider à garder lesdites forteresces ; lesquels Anglois pridrent la possession dudit chastel, et en boutèrent hors les Navarrois ; et ledit Ferrando d'Ayens, qui estoit capitain dudit chastel de par ledit roy de Navarre et estoit prisonnier, comme dit est, fu envoié au chastel de Caen prisonnier, pour ce qu'il ne rendoit pas lesdites forteresces, si comme promis et juré l'avoit.

XCI.

Des nouvelles qui vindrent à Paris et en France que les cardinaux qui estoient à Rome, avoient esleu en pape un appellé Berthélemi, pour le temps arcevesque de Bar[369].

[369] Bar. Bari.

Environ le moys de may mil trois cens septante-huit, vindrent nouvelles à Paris et en France que les cardinaux qui estoient à Rome avoient esleu en pape un appellé Berthélemi, pour le temps arcevesque de Bar. Et tantost après eust le roy aucunes particulières lettres des cardinaux qui secrètement luy escripvoient qu'il ne donnast foy à chose qui eust été faite en cette nominacion, et que briefment le certifieroient plus à plain de la vérité ; né aussi ne donnast response à messaiges qui par ledit Berthélemi luy venissent. Et assez tost vindrent à Paris devers le roy un chevalier et un escuier envoiés devers le roy de par iceluy Berthélemi qui, si comme il disoient, se appeloit pape Urbain ; et après ce qu'il orent poursuy le roy et demouré par aucuns jours à Paris, et qu'il orent parlé au roy pluseurs fois, cuidans tousjours que le roy deust tenir celle élection et rescrire audit esleu ou nommé comme pape, respondi un jour auxdis chevalier et escuier qui le poursuivoient d'avoir response, que il n'avoit encore eu aucunes certaines nouvelles de cette éleccion, et si avoit tant de bons amis cardinaux, dont les pluseurs avoient esté serviteurs des prédécesseurs roys de France et de luy, et encore en y avoit pluseurs qui estoient à luy et de sa pension, que il tenoit fermement que sé aucune éleccion de pape eust esté faite, il la luy eussent signifiée ; et pour ce, estoit son entencion de encore attendre jusques à tant que il eust autre certificacion, avant que plus avant il procédast en ce fait.

XCII.

Coment les cardinaux envoièrent messaiges au roy de France, c'est assavoir l'evesque de Famagouste et un maistre en théologie de l'ordre des frères Prescheurs, maistre du Saint-Palais.

Item, au moys d'aoust mil trois cens septante-huit, furent envoiés au roy de par les cardinaux certains messaiges, c'est assavoir l'evesque de Famagouste, et maistre Nicole de Saint-Saturnin, jacobin, maistre en théologie du Saint-Palais ; lesquels apportèrent au roy lettres closes et ouvertes, séellées des seaux du collège des cardinaux, affermans et certifians ledit Berthélemi non estre pape ; mais avoit esté faite la nominacion par force et impression violente. Et sur ce requeroient au roy que il voulsist oïr et croire les dessus dis de ce que par eux luy diroient. Et pour les oïr et avoir délibéracion sur ce pourquoy il venoient devers luy, le roy manda pluseurs prélas, arcevesques et evesques de son royaume, et autres bons clers tant ès Universités de Paris, d'Orléans et d'Angiers, comme d'autre part là où l'en les pot savoir, et les fist assembler à Paris, le samedi, onziesme jour de septembre, l'an dessus dit, en une grant chambre ou sale qui est sur la rivière au Palais. Et en la présence desdis prélas et clers, le roy oï lesdis evesque et maistre du Saint-Palais, lesquels tant par la bouche de l'un comme de l'autre, dirent la manière comment ledit arcevesque de Bar avoit esté nommé pape par paour, violence et tumulte des Romains, et que lesdis cardinaux estoient déterminés à non le tenir pour pape. Si conclurent que pour ce signifier au roy il estoient envoyés devers luy, et ainsi luy signifioient. Et requisrent au roy qu'il voulsist adhérer à la déterminacion desdis cardinaux, et qu'il leur voulsist donner conseil, confort et aide en ce fait. Si voult le roy, après ce qu'il ot oï ces choses, que les sages clers, prélas et autres qui estoient en grant nombre, tant maistres en théologie et en decrés, docteurs en loys et autres maistres en autres sciences, eussent délibéracion ensemble en son absence pour savoir que il avoit à faire et à respondre sur ce. Lesquels par pluseurs journées furent assemblés et orent délibéracion, et finablement furent d'accort de conseiller au roy que il féist faire response auxdis messaiges des cardinaux en la manière que s'ensuit sé il luy plaisoit ; et premièrement à la significacion que lesdis messaiges luy avoient faite de l'entencion des cardinaux, que le roy avoit bénignement oï ce que par eux luy avoit esté exposé. Et quant aux requestes qu'il avoient faites tant de adhérer à la déterminacion des cardinaux comme de leur donner conseil, confort et aide, le roy povoit faire respondre qu'il n'estoit pas encore conseillié de consentir ou de nier ladite adhésion, et qu'il en vouloit encore plus avant estre informé, car la matière estoit moult haulte et périlleuse et doubteuse. Et quant à l'aide, il sembloit que le roy povoit respondre que, au moys d'aoust précédent, il avoit aidié les cardinaux d'une grant finance, et mandé aux gens d'armes nés de son royaume qui estoient et sont oultre les mons que il donnent confort et aide auxdis cardinaux ; et ce a-il fait et mandé pour pourveoir à la seurté des personnes des cardinaux, de leur familliers et de leur biens, et afin de les mettre hors des périls où il sont, et à nulle autre fin. Et sé l'aide faite par le roy aux fins dessus dites ne souffist, encore est-il prest de les aidier et conforter quant point sera. Laquelle consultacion par manière de response le roy fist faire aux messages des cardinaux.

XCIII.

Coment le roy ot lettres que les cardinaux s'estoient partis de Rome.

Assez tost après furent apportées au roy aucunes lettres, par lesquelles étoit escript au roy que les cardinaux, après ladite nominacion ou esleccion dudit Berthélemi, arcevesque de Bar, le plus tost qu'il avoient peu se estoient issus de Rome, et par scrupules de leur consciences, n'avoient depuis fait audit Berthélemi obéissance né révérence aucune. Et après, tous ensemble, Italiens et Oultremontains, excepté le cardinal de Saint-Pierre qui estoit malade, contredirent le fait, et fu escript et signé de leur main et scellé de leur sceaux ; et depuis, estudièrent aucuns desdis cardinaux, très-solemnels docteurs, commis à ce par espécial et très grant diligence, pour savoir, considéré le fait accordé, sé ledit Berthélemi, par l'esleccion faite de luy ou par les fais ensuivis après icelle, avoit aucun droit en la papalité. Et appelèrent avec eulx les commissaires et tous les autres cardinaux oultremontains, tous les autres prélas, maistres en théologie, docteurs en droit canon et en droit civil auxquels il porent parler, et les enfourmèrent du fait, lesquels concordablement en conclusion déterminèrent que ledit Berthélemi n'estoit point pape ; ainçois tenoit par tyrannie et occupacion le saint siège. Après ce, il firent leur publicacion solemnellement selon ce que à eux appartenoit et qu'il le povoient et devoient faire de droit. Et ces choses ainsi faites, lesdis cardinaux firent savoir aux autres cardinaux estans lors à Avignon, qui estoient six en nombre ; lesquels enformés des choses dessus dites par les lettres du collège, le consentirent, loèrent et approuvèrent de tout en tout, et les firent publier en Avignon solemnelment, et deffendre que l'en obéist audit Berthélemi comme à pape : excepté le cardinal de Pampelune qui encores y voult délibérer ; mais depuis se consenti-il avec les autres[370].

[370] On trouve en cet endroit dans la plupart des manuscrits la longue protestation latine des cardinaux réunis à Agnani contre l'élection qu'ils avoient précédemment faite à Rome du pape Urbain. Je n'ai pas cru devoir reproduire cette pièce analysée avec exactitude dans l'Histoire ecclésiastique de Fleury, liv. XCVII, paragraphe 53. Elle est d'ailleurs uniquement du ressort de l'histoire ecclésiastique.

XCIV.

Coment les cardinaux se transportèrent de Anagnie à Fondes et de l'esleccion du pape Clément.

Item depuis lesdis cardinaux se transportèrent en la cité de Fondes, et là, tous assemblés tant Ytaliens comme autres, le nueviesme jour de septembre mil trois cent septante-huit, pour procéder à l'esleccion du vrai pape, eslurent canoniquement et concordablement en pape, sans débat, difficulté ou contradicion aucune, un cardinal appellé monseigneur Robert de Genève, qui portoit le titre de cardinal, c'est assavoir Basilicæ duodecim apostolorum presbiter cardinalis. Et fu appellé pape Clément, et fu couronné et consacré le derrenier jour d'octobre veille de la Toussains ensuivant. Lequel se consenti à ladite esleccion, et aussi firent la royne de Naples et tous les grans seigneurs du païs ; mais les Romains tindrent tousjours ledit Berthélemi pour pape. Et ces choses furent signefiées au roy de France, tant par ledit pape Clément comme par les cardinaux, en le requérant et priant qu'il se voulsist adhérer à ladite esleccion et tenir ledit pape Clément pour vrai pape ; et ot avis et délibéracion le roy sur ce. Et afin que par bon conseil et seur il fist ce qu'il en devoit faire, il manda et fist venir devant luy au bois de Vincennes, le mardi seiziesme jour de novembre mil trois cent septante-huit, pluseurs prélas tant arcevesques que evesques et autres sages clers, comme abbés, maistres en théologie, docteurs en décrès et en lois, et pluseurs autres sages de son conseil, tant chevaliers comme autres ; lesquels, tous d'un accort et singulièrement après leur serement fait aux saintes evangiles de Dieu, dirent et conseillèrent au roy qu'il se déclarast et déterminast pour la partie dudit pape Clément, et qu'il le tenist pour vrai pape. Et dirent oultre au roy que veues les choses dont dessus est faite mencion, et icelles considérées deuement, il le devoit ainsi faire, comme pour donner bon exemple à tous autres crestiens. Si se déclara lors le roy, par la manière que conseillié luy avoit esté et que dessus est dit. Et ces choses fist signefier et publier par son royaume, tant à prélas et églyses cathédraulx comme à autres.

XCV.

Coment le roy, par le conseil de pluseurs sages, fist signefier à pluseurs princes crestiens, lesquels il tenoit pour ses amis et bien vueillans, que il s'estoit délibéré pour la partie du pape Clément.

Après ladite déclaration faite, le roy ot avis et délibéracion, par le conseil de pluseurs sages, que il segnifieroit ces choses aux princes crestiens que il tenoit pour ses amis et bien vueillans, et ainsi le fist. Et envoia messages notables, prélas, barons et autres chevaliers et clers, les uns en Alemaigne, les autres en Hongrie, les autres en Ytalie et autres en pluseurs autres pays, pour segnifier coment il se estoit déclaré pour la partie dudit pape Clément, et pour leur dire et monstrer les causes et raisons qui l'avoient meu à ce faire, et pour leur requérir que pour l'onneur de Dieu et de sainte églyse il voulsissent ainsi faire, afin que toute crestienneté fust soubs un pasteur et un vicaire de Jésus-Christ, ainsi comme elle devoit estre. Et oultre leur faisoit le roy savoir que s'il y avoit aucun prince ou autre qui féist aucun doubte en ce fait pour cause de l'esleccion ou nominacion dudit Berthélemi, que il voulsissent oïr les messages que le roy leur envoioit, lesquels estoient instruis souffisamment et informés de la vérité du fait. Et si trouvèrent lesdis messages du roy, en aucuns lieux, gens instruis autrement que de la vérité, et soustenans le fait dudit Berthélemi, et par espécial ès parties d'Alemaigne. Et jasoit ce que le roy de Hongrie eust par avant segnifié et escrit au roy de France que telle partie comme il tendroit ledit roy de Hongrie tendroit, toutes voies, les messages que le roy de France envoia devers ledit roy de Hongrie pour ceste cause trouvèrent que il estoit plus enclin à la partie dudit Berthélemi que à la partie dudit pape Clément. Et aussi les Flamens, jasoit ce que il fussent et soient du royaume de France, respondirent que jusques à ce qu'il fussent plus plainement enformés, ne tendroient ledit pape Clément pour pape.

XCVI.

Coment ledit Berthélemi, qui se nommoit pape Urbain, fist vint-neuf cardinaux dont les noms s'ensuivent.

Item, en celuy temps, c'est assavoir le vintiesme jour de septembre dessusdit, ledit Berthélemi, qui se nommoit pape Urbain, fist vint-neuf cardinaux dont les noms s'ensuivent : Messire Phelippe d'Alençon, patriarche de Jérusalem et administrateur de l'archevesché d'Aux ; l'evesque de Londres en Angleterre ; l'arcevesque de Ravenne de Padue[371] ; l'evesque de Sisteron ; l'evesque d'Averse, Ursin ; messire Agapit de la Columpne ; messire Estienne de la Columpne ; l'evesque de Perouse ; l'evesque de Bouloigne-la-Grasse ; l'arcevesque de Strigonn en Hongrie ; maistre Mesquin[372] de Naples ; messire Galeot de Petramale ; l'arcevesque de Pise ; l'arcevesque de Corphou ; l'evesque de Tulle ; le général des Frères meneurs ; l'evesque de Michie ; frère Abaillen ; l'arcevesque de Salerne ; l'evesque de Verseil ; l'evesque de Theate ; le patriarche de Grado ; l'arcevesque de Prague en Boesme ; messire Gentil de Sanguce ; le général des Augustins ; l'evesque de Valence en Espaigne ; l'evesque de Reatine ; et l'evesque qu'il nommoit de Mirepois, qui estoit evesque d'Ostun, lequel ne l'accepta pas et non firent pluseurs des autres. Et puis ledit pape Clément fist ledit evesque d'Ostun cardinal, lequel l'accepta. Et en vérité, c'estoit l'un des bons clers que l'on seust en crestienté, lequel avoit fait grant diligence de savoir et enquérir coment ledit Berthélemi avoit esté esleu ; et quant il avoit sceu la vérité, il avoit refusé le chapel rouge de luy. Et puis le prist dudit pape Clément comme dessus est dit. Si estoit grant approbacion du fait dudit pape Clément, considéré la grant clergie et la suffisance dudit cardinal.

[371] Giles de Prates, d'abord évêque de Padoue, puis de Ravenne. — L'évêque de Sisteron étoit Renoul de Monteruc, neveu du cardinal de Pampelune.

[372] Mesquin. Nicolas Meschino, frère Prêcheur, inquisiteur dans le royaume de Naples. — Galeot de Petramale ou Galiot de Tarlat de Pietramala.

Incidence. Item, en celle saison, le grant maistre de Rodes accompaignié de grant quantité de gens d'armes entra au païs de Romanie, et là, par les Grecs et les Turs qui estoient ensemble, fu desconfis et pris, et toutes ses gens mors ou pris devant un chastel appellé Latre[373].

[373] Latre. Var. Sarete. Ferdinand d'Heredia fut pris sous les murs de Corinthe et ne voulut pas que pour le racheter les chevaliers de Rhodes rendissent la ville de Patras qu'il avoit conquise. Il aima mieux demeurer trois ans captif, jusqu'à ce que sa famille le rachetât. (Voy. les Monumens des grands Maîtres, par le vicomte François de Villeneuve-Bargemont, aujourd'hui marquis de Trans.)

XCVII.

De la mort Charles, empereur de Rome et roy de Boesme.

Item, la vigile de la saint André mil trois cent septante-huit dessusdit, Charles, empereur de Rome et roy de Boesme, trespassa de ce siècle ; lequel avoit pardevant pourchacié et procuré par devers les esliseurs de l'empire que son fils fust empereur après sa mort. Et lonc-temps avant sa dite mort s'appelloit son dit fils roy des Romains. Et après la mort de son père tendit à avoir le droit de l'empire. Et tenoient aucuns que pour ce que ledit Berthélemi intrus au pape luy avoit promis de le faire et couronner empereur, il le tenoit pour pape et s'estoit adhéré avecques luy.

XCVIII.

Coment monseigneur Jehan de Montfort, qui se tenoit duc de Bretaigne, fu privé en parlement de toutes les terres qu'il tenoit au royaume de France.

Item, en ce temps, pour ce que le roy qui savoit et aussi tous ceux de son royaume, coment messire Jehan de Montfort, qui se tenoit duc de Bretaigne et qui en avoit fait foy et hommage au roy comme à son lige seigneur naturel et souverain, s'estoit porté et encore portoit mauvaisement et desloyalement envers le roy, en faisant guerre notoirement contre le roy et son royaume, et avoit chevauchié armé contre le royaume de France en la compaignie du duc de Lencastre et autres ennemis du roy, en faisant guerre, boutant feu, tuant hommes, femmes et tous autres fais de guerre, avoit conforté et aidié les Anglois et autres ennemis du roy de toute sa puissance, et avoit au roy renvoié son hommage, tant de la duchié de Bretaigne que des autres terres qu'il tenoit au royaume, fu conseilié de faire appeler ledit Jehan de Montfort pardevant luy, en sa court, pour respondre au procureur du roy, sur tout ce que ledit procureur du roy vouldroit proposer contre luy à toutes fins. Et pour ce, donna à son dit procureur ajournemens souffisans et convenables, par lesquels ledit messire Jehan fu ajourné à comparoir personelment pardevant le roy en sa dite cour garnie de pers et d'autre conseil souffisamment, au samedi quatriesme jour de décembre mil trois cent septante-huit dessusdit, pour respondre audit procureur à toutes fins sur les cas dessusdis et sur autres déclarés ès ajournemens. A laquelle journée de samedi ledit de Montfort ne vint né comparut, né autre pour luy, souffisamment appellé si comme accoustumé est. Et jasoit ce que le procureur du roy requéist avoir deffaut contre ledit Jehan de Montfort, et que le roy ou sa court peust avoir ottroyé à son procureur ledit deffaut s'il luy pleust, toutes voies, il voult que la besoigne surséit en estat, sans y procéder jusques au jeudi ensuivant neuviesme jour dudit mois. Auquel jeudi le roy fu en la chambre de son parlement séant en jugement, la court garnie de pers, et pour ce que tous les pers n'y estoient mie présens, jasoit ce qu'il eussent esté tous ajournés et mandés par le roy pour ceste cause et s'excusoient par leur lettres ouvertes, lesdites lettres furent leues en la présence de tous. Et après fu oï le procureur du roy, en tout ce qu'il voult demander et requérir contre ledit de Montfort. Et premièrement, afin d'avoir deffaut ; et après qu'il fust dist et déclaré iceluy de Montfort estre encheu en crime de lèse-majesté et avoir commis félonnie envers le roy ; et pour ce estre privé de tous drois, honneurs, noblesses et dignités tant de pairie comme autres ; et tous ses biens, fiés, terres, possessions et seigneuries estans au royaume de France, tant en la duchié de Bretaigne comme autres, estre confisqués. Et néantmoins le procureur, en tant comme besoin estoit, requéroit que par le roy et sa court ledit de Montfort fust privé des choses dessusdites. Et oultre, qu'il fust déclaré par le roy et sa court que ledit de Montfort avoit forfait le corps envers le roy ; et ainsi fust dit par le jugement du roy et de sa court.

XCIX.

Coment le cardinal de Limoges vint à Paris de par le pape Clément, pour signifier, monstrer et déclarer tout ce qui avoit esté fait de la nominacion de Berthélemi dont dessus est faite mention ; et aussi de l'esleccion du pape Clément.

Item, en quaresme ensuivant, le cardinal de Limoges vint à Paris, envoié de par le pape Clément, tant comme messaige, pour signifier, monstrer et déclarer tout ce qui avoit esté fait de la nominacion de Berthélemi dont dessus est faite mencion ; et aussi de l'esleccion du pape Clément. Lequel le roy receut à grant honneur et révérence pour l'honneur de l'église, et aussi pour ce que le roy l'amoit. Et après ce qu'il ot dit au roy les causes de sa légacion, le roy luy assigna certaine journée en son chastel du Louvre, pour le oïr publiquement de tout ce qu'il vouldroit dire. A laquelle journée fu le roy en la grant chambre du Louvre emprès la sale, assis en sa chaere, et ledit cardinal en une autre d'encoste luy ; et là furent présens pluseurs princes, prélas, barons, maistres en théologie et docteurs en autres sciences, tant de l'Université de Paris comme autres ; en la présence desquels ledit cardinal de Limoges relata tout ce qui avoit esté fait à Rome, et la nominacion en pape qui avoit esté faite dudit Berthélemi, et coment et par quelle manière et tout le procès, en la manière que contenu est en la déclaracion dessus escripte. Et tout ce qui estoit contenu en ladite déclaracion afferma et maintint estre vray, en sa conscience, et sur le péril de l'ame de luy ; et savoit ces choses estre vraies, car il avoit esté présent et veu et sceu toutes lesdites choses contenues en ladite déclaracion. Par laquelle affirmacion, s'il y avoit aucun qui eust aucun scrupule de conscience au contraire, il doit avoir sa conscience toute appaisiée ; car il n'est pas vraisemblable que un homme de telle autorité et de telle science tesmoignié d'estre preud'homme de tous ceux qui le cognoissent, se fust voulu dampner, pour amour né pour haine d'homme vivant.

C.

Coment le roy manda à Paris pluseurs barons de Bretaigne, pour leur dire les choses dont ci-après est faite mencion.

ANNÉE 1379

Assez tost après Pasques, qui furent l'an mil trois cens septante-neuf, vindrent à Paris le seigneur de Laval, monseigneur Bertran du Guesclin, connestable de France ; le seigneur de Cliçon et le viconte de Rohan, lesquels le roy avoit mandés et fait venir à Paris pour leur dire les choses dont ci-après sera faite mencion. C'est assavoir que une journée au Palais-Royal, en la chambre vert, furent les dessus nommés devant le roy, lequel avoit pluseurs seigneurs de son conseil en sa compaignie : et là le roy de sa bouche relata aux dessus nommés de Bretaigne, coment, après l'accort fait entre la duchesse de Bretaigne, femme du duc Charles, et messire Jehan de Montfort, ledit messire Jehan de Monfort luy avoit fait hommaige lige ; et coment depuis il avoit traictié ledit de Montfort doulcement et courtoisement ; et par espécial après ce que ledit de Montfort ot fait requérir au roy, par ses messaiges, que il luy féist délivrer certaines terres que le conte de Flandres tenoit, lesquelles il disoit à luy appartenir : et en vérité, jasoit ce que lesdites terres ne vaulsissent oultre quatre ou cinq mile livres de terre, le roy, après pluseurs messaiges à luy envoiés tant dudit de Montfort de vers le roy comme du roy devers ledit de Montfort, le roy cuidant le tenir en bonne et vraie subjeccion et obéissance comme tenu y estoit, luy fist offrir de le acquitter envers la duchesse de Bretaigne qui fu femme du duc Charles, de dix mile livrées de terre que ledit de Montfort estoit tenu de luy baillier, par le traictié de paix fait entre ladite duchesse et ledit de Montfort ; mais nonobstant ce, et que le roy par pluseurs fois envoiast pardevers luy messaiges grans et notables, prélas, barons et autres, ledit de Montfort fist venir en Bretaigne grant foison d'Anglois ennemis du roy. Et pour celle cause, le roy y envoia ses frères, les ducs de Berry et de Bourgoigne, pour faire widier lesdis Anglois de sa seigneurie, par force et puissance d'armes. Et quant il furent audit païs de Bretaigne, ledit de Montfort leur promist que il feroit widier lesdis Anglois dudit païs de Bretaigne, ce qu'il ne fist pas. Mais fist guerre au païs par la puissance desdis Anglois, et mist siège devant pluseurs villes, pour ce qu'il ne vouloient recevoir les Anglois dedens lesdites villes ; et pour avoir finance, leva fouages et pluseurs autres subsides, à la grant desplaisance des prélas, nobles et bonnes villes du païs, lesquels envoièrent devers le roy, afin qu'il voulsist mettre remède en toutes ces choses, et de ce, luy supplièrent moult affectueusement. Et pour celle cause le roy y envoia son connestable et grant foison de gens d'armes, lesquels, par force et puissance, firent widier lesdis Anglois du païs, et s'en ala ledit de Montfort avecques eux en Angleterre ; et les gens du roy qui estoient au païs de Bretaigne trouvèrent bonne obéissance en pluseurs villes et chasteaux, et ceux qui se tindrent par aucun temps rebelles furent mis par force et par puissance, en obéissance, tant que finablement, tout le païs de Bretaigne, cités, villes et chasteaux, furent en l'obéissance du roy, et tenus pour luy et de par luy, excepté seulement le chastel de Brest, auquel ledit de Montfort fist venir Anglois qui tousjours le tindrent en rebellion contre le roy. Et ledit de Montfort, qui estoit en Angleterre, se tint pour ennemi du roy, et admena audit lieu de Brest le conte de Cantebruge, fils du roy d'Angleterre et grant foison de gens d'armes anglois, cuidant recouvrer le païs et gaaigner par force d'armes ; mais les gens du roy qui y estoient et ceux du païs avecques eux, gardèrent le païs par telle manière que ledit de Montfort et ceux qui estoient venus avecques luy, s'en retournèrent avecques luy en Angleterre, sans point faire de leur profit. Et aussi avoit ledit de Montfort chevauchié par le royaume de France, en la compaignie du duc de Lencastre, et fait tout fait de guerre comme dessus est dit. Et jasoit ce que les rebellions, désobéissances et traïsons dudit de Montfort fussent si notoires partout le royaume de France, tant en Bretaigne comme ailleurs, que aucun de bon entendement ne les povoit né devoit ignorer, et que le roy comme pour fait notoire et permanant peust sans autre procès avoir appliqué et confisqué à luy et mis en son demaine la duchié de Bretaigne et toutes les autres terres que ledit de Montfort tenoit au royaume de France, toutesvoies y avoit voulu procéder plus meurement, et avoit fait adjourner ledit de Montfort solemnelment, pour comparoir en personne devant luy en sa court de parlement, et pour respondre à son procureur sur les choses dessus dites, au samedi, quatriesme jour de décembre, l'an mil trois cens septante-huit dessus dit. A laquelle journée il n'estoit venu né comparu ; si avoit le roy et sa court fait son jugement par la manière que dessus est dit, et pour exécuter son jugement et son arrest entendoit tantost envoier certaines personnes notables pour prendre royaument et de fait de par luy la possession et saisine de toutes les cités, villes et forteresces du païs ; lesquels il nomma lors. C'est assavoir le duc de Bourbon ; le conte de Sancerre, mareschal de France ; messire Jean de Vienne, admiral de France ; messire Bureau de La Rivière, son premier chambellan, et pluseurs autres chevaliers et gens du conseil en leur compaignie, les uns d'une part et les autres d'autre. Si requist lors le roy aux dessus nommés seigneurs de Laval, de Cliçon, connestable, et de Rohan, que les villes, chasteaux et forteresces que il tenoient et gardoient de par le roy, qui estoient du demaine de la duchié de Bretaigne, il rendissent, baillassent et délivrassent aux seigneurs que le roy envoioit par delà ; lesquels les establiroient et ordeneroient à la seurté tant du roy comme du païs. Lesquels respondirent que ainsi le feroient : mais à plus grant seurté, le roy voult qu'il le jurassent. Si le jurèrent sur les saintes évangiles de Dieu et sur la vraye croix[374]. Et ainsi se partirent du roy lesdis Bretons. Et cuida le roy véritablement que ses gens que il devoit envoier au païs de Bretaigne y trouvaissent plaine obéissance, ainsi comme lesdis Bretons estoient tenus de faire. Si leur accorda le roy lors confirmacion de tous leur privilèges, libertés et franchises et pluseurs autres requestes que il féirent tant pour le païs de Bretaigne comme pour aucuns singuliers ; et en furent les lettres faites et scellées par la manière que il l'avoient requis.

[374] Ici s'arrête la transcription du manuscrit de Charles V, n. 8395, qui, jusqu'à présent, étoit notre principal guide. Mais, depuis les derniers chapitres du voyage de l'empereur, il n'étoit pas plus rigoureusement correct que les autres. Nous nous réglons maintenant de préférence sur le volume coté n. 8302. Il avoit appartenu à Jean, duc de Berry, frère de Charles V.

CI.

De la venue des cardinaux d'Aigrefueil et de Poitiers à Paris.

En celle saison, après Pasques l'an mil trois cent soixante-dix-neuf, vindrent à Paris les cardinaux d'Aigrefueil et de Poitiers, lesquels le pape Clément, qui un petit devant, estoit venu en Avignon, envoyoit en legacion, c'est assavoir le cardinal d'Aigrefueil en Allemaigne et celuy de Poitiers en Angleterre, pour monstrer, dire et déclairier le fait de la nomination en pape dudit Berthélemi, et de l'esleccion du pape Clément ; lesquels deux cardinaux avoient esté présens à tout ce qui avoit esté fait. Lesquels le roy receut honnorablement en son chastel du Louvre, ainsi comme il avoit acoustumé à faire et par pluseurs fois les oï sur la matière devant dite. Et le mercredi quatriesme jour de may l'an mil trois cent soixante et dix-neuf, fu présenté par le cardinal de Limoges au cardinal d'Ostun, dont devant est faite mencion, le chapel rouge, en la présence du roy et des autres cardinaux d'Aigrefueil et de Poitiers ; et disnèrent ce jour avec le roy audit chastel du Louvre. Et le samedi ensuivant, septiesme jour de mai dessusdis, furent lesdis cardinaux au bois de Vincennes par devers le roy qui lors y estoit, et parlèrent à luy sur la matière dessusdite. Et le roy, si comme il avoit accoustumé, leur fist faire responses justes et raisonnables. Assés tost après se partirent de Paris cuidans accomplir leur legacions. Et alèrent le cardinal d'Aigrefueil à Mez et celuy de Poitiers à Tournay, et là demourèrent longuement en cuidant tousjours avoir saufs-conduis des rois des Romains et d'Angleterre pour aler en leur pays ; mais il ne les porent avoir.

Au mois d'aoust ensuivant, commença une grant mortalité à Paris et environ. Et se parti le roy et ala à Montargis en celle saison. Et aussi se partirent de Paris la plus grant partie des conseilliers du roy et autres, pour cause de ladite mortalité.

CII.

Coment le viconte de Rohan et pluseurs autres nobles du païs de Bretaigne remandèrent messire Jehan de Montfort qui estoit en Angleterre.

En celuy temps, le viconte de Rohan et pluseurs autres nobles et autres du païs de Bretaigne remandèrent messire Jehan en Angleterre, pour le faire venir en Bretaigne. Et pristrent et occupèrent de fait pluseurs forteresses qui estoient tenues de par le roy, en venant contre leur foy, loyauté et seremens ; et par espécial, ledit viconte de Rohan, qui solempnelment avoit juré en la présence du roy et de son conseil à Paris, comme dessus est dit. Si envoya le roy, tantost que il fust à sa cognoissance, sur les marches de Bretaigne le duc d'Anjou son frère, accompaignié de grant foison de gens d'armes. Et aussi estoient sur lesdites marches pour le roy le connestable d'un costé et le sire de Cliçon d'un autre. Et tantost que ledit duc d'Anjou fu sur lesdites marches, ledit viconte de Rohan et les autres qui tenoient la partie dudit Montfort commencièrent à traictier avec le duc d'Anjou et les gens du roy. Et ce faisoient-il, si comme pluseurs cuidoient, en attendant la venue dudit Montfort qui encore n'estoit venu en Bretaigne. Et tantost pot assez bien apparoir ; car celuy traictié ne vint à nulle bonne conclusion ; et par delais fu mené et par continuacion tant que ledit Montfort fu venu au païs de Bretaigne. Et furent des journées prises grant foison depuis sa venue, tant au païs de Bretaigne comme ailleurs. Et de toute celle saison ne fu accordé aucun appointement, jasoit ce que le roy leur voulsist faire de grace plus que il n'avoient deservi.

CIII.

De la rébellion des Flamens.

Au mois d'octobre ensuivant, l'an mil trois cent soixante-dix-neuf dessusdit, s'esmurent les Flamens contre le conte de Flandres en la ville de Gand par aucuns excès que les gens et serviteurs dudit conte y avoient fait et faisoient de jour en jour, si comme l'en disoit. Et tuèrent à Gand le baillif du conte et fu tout le païs d'un accort, excepté aucuns singuliers qui se trairent devers le conte, et aussi aucunes villes comme Audenarde et Terremonde où il misrent siège. Et après ce qu'il orent tué ledit baillif, il alèrent en un chastel emprès Gand qui estoit dudit conte, appellé Andringhem, et y boutèrent le feu et l'ardirent. Et puis alèrent à Ypre où il avoit aucuns gentilshomes et qui se tenoient de la partie du conte, et autres alèrent mettre siège devant Alos et ainsi tindrent trois sièges tout à une fois. Et quant le duc de Bourgoigne sceut ces choses, qui avoit espousée la fille dudit conte de Flandres, il se traist vers les marches de Flandres, et premièrement ala à Tournay et fist sentir à ceux qui estoient devant Audenarde qu'il parleroit volentiers à eux : lesquels luy accordèrent d'envoyer à l'encontre de luy en certaine place, c'est assavoir entre Tournay et Audenarde. Et ainsi le firent, et par pluseurs journées assemblèrent avec le duc de Bourgoigne tant que finablement fu traictié fait et accordé en telle manière : premièrement que le conte de Flandres, pour Dieu, à la requeste dudit duc de Bourgoigne, pardonneroit aux Flamens tout ce qu'il avoient meffait contre luy. Item, que ledit conte leur devoit faire réséeller tous les privilèges en la manière qu'il fist quant il entra en Flandres, et qu'il leur promist à les tenir selon leur anciennes coustumes. Item, que sé aucunes lettres ont esté faites ou données depuis le temps dessusdit contre les privilèges desdis Flamens, ledit conte les leur doit rendre et doivent être adnichilées. Item, les Alemans qui ont esté avec ledit conte en ceste guerre doivent jurer que jamais ne mefferont à ceux du païs de Flandres. Item, que tous les bourgois et manans du païs qui en sont partis et ne sont alés avec les communes du païs, et aussi ceux du conseil dudit conte venront audit païs et leur fera-l'en loy ; et au cas que l'en les trouvera coupables, l'en leur fera amender par l'ordenance de vint-cinq hommes esleus en trois bonnes villes de Flandres. Item, que ces vint-cinq hommes dessusdis qui seront pris et esleus en trois bonnes villes feront franques vérités, d'an en an par tout le païs de Flandres ; et ce dont seront d'accort sera jugié et tenu et mis à exécucion par ledit conte de Flandres. Item, lesdis Flamens requéroient et vouloient que la partie d'Audenarde par devers la ville de Gand et certaine quantité des murs d'un costé et d'autre fussent abattus et démolis jusques au rez de terre. Après aucuns traictiés se misrent de cest article en l'ordenance dudit duc de Bourgoigne, et de douze bourgois des trois bonnes villes, c'est assavoir de chascune quatre ; et doivent avoir prononcié leur dit dedans quinze jours après le premier dimenche des Avens mil trois cent soixante-dix-neuf dessusdit. Item, le prévost de Bruges, principal conseiller dudit conte de Flandres, doit estre hors du conseil et païs de Flandres à tousjours. Lequel traictié fu passé et accordé par ledit conte, et lettres faites et scellées soubs son séel.

En l'an dessusdit et en l'yver ensuivant, furent les rivières de Saine et de Marne, d'Yonne et d'Oise moult grans.

CIV.

De la rébellion de Montpellier.

Le mardi vint-cinquiesme jour du mois d'octobre en celuy an, les habitans de Montpellier, par une commotion universal, misrent à mort en la ville de Montpellier messire Guillaume Pointel chevalier, chancelier du duc d'Anjou, frère du roy et lieutenant en toute Langue d'oc ; messire Guy de Lesterie, seneschal de Rouergue ; maistre Arnoult de Lar, gouverneur de Montpellier ; maistre Jacques de la Chaynne, secrétaire dudit duc ; maistre Jehan Perdiguier, gouverneur des finances dudit duc, et pluseurs autres officiers tant du roy comme du duc d'Anjou, jusques au nombre de quatre-vins personnes ou de plus. Et après ce que il orent mis à mort les dessusdis, il les giettèrent en pluseurs puis de ladite ville. Et ce firent, pour ce que lesdis conseilleurs leur avoient requis aide au nom dudit duc d'Anjou pour le fait de la guerre de Langue d'oc. Dont ledit duc d'Anjou fu moult troublé, et non sans cause.

Le mercredi, vintiesme jour dudit mois, l'an dessusdit, à Montargis, en la présence du roy, furent faites les fiançailles de madame Yolant, nièce du roy et fille du duc de Bar, qui avoit espousée la suer du roy ; et la fiança un chevalier, procureur du duc de Gironne, ainsné fils du roy d'Arragon. En ce temps se reprisrent les traictiés entre les roys de France et d'Angleterre ; et envoya le roy ses messages solennels pour lesdis traictiés ès marches de Picardie, tant à Bouloigne comme à Saint-Omer. Mais en ce temps ne fut aucune chose faite.

Item, en ce temps, le conte de Saint-Pol, qui longuement avoit esté prisonnier en Angleterre, vint en Flandres et fut le roy suffisamment informé qu'il avoit traictié avec les Anglois de leur bailler et mettre ès mains toutes les forteresses que il avoit au royaume de France. Et pour ceste cause fist le roy prendre et saisir toutes lesdites forteresses et y fist mettre gens de France de par luy, et aucunes en bailla en garde et gouvernement à Jehan de Ligny, frère dudit conte de Saint-Pol. Et quant ledit conte de Saint-Pol vit que son fait étoit rompu, et qu'il ne povoit aux Anglois tenir ce que il avoit promis, il s'en retourna en Angleterre et espousa la suer du roy d'Angleterre.

En celle année dessusdite, les Anglois misrent une armée sur la mer pour passer en Bretaigne, si comme l'en disoit ; et fu environ la Conception Nostre-Dame. Et quant il furent sur la mer, il orent telle fortune que pluseurs d'eux périllèrent ; et disoit-l'en que il en avoit eu de périllés jusques au nombre de six cent hommes d'armes ou plus. Et les autres retournèrent en Angleterre.

Et environ Noël ensuivant, en la présence du roy et de pluseurs autres, se déclara le duc de Breban pour la partie du pape Clément VII. En celle année crut peu de vin en Aucerrois et sur la rivière d'Yonne.

CV.

La sentence contre ceux de Montpellier.

Le vendredi vint-cinquiesme jour de janvier, l'an mil trois cent soixante-dix-neuf devant dit, environ heure de tierce, entra le duc d'Anjou à Montpellier pour prendre vengeance du vilain fait qui avoit esté fait en ladite ville des officiers du roy et des siens dont dessus est faite mencion. Et en sa compaignie avoit grant foison de gens d'armes et arbalestiers, et y fu receu par la manière qui ensuit :

Premièrement, vindrent au-devant de luy tous les officiers du roy estans lors en ladite ville. Secondement, le cardinal d'Albanie qui là estoit. Tiercement, tous les collèges et religieux de ladite ville, tant de chanoines comme de moines, de mendians et de encloses. Quartement, l'estude de droit civil, de canon et de médecine. Et estoient tous à procession, des deux parties du chemin par où ledit duc devoit passer ; et tous à genoulx crioient à haulte voix : Miséricorde pour le peuple de Montpellier! Après estoient grant quantité d'enfans de ladite ville de l'aage de quatorze ans et au dessoubs, criant aussi miséricorde! Après estoient les consuls, ès robes de la ville, sans manteaulx, sans chapperons et sans ceintures, et grant quantité du peuple, chascun ayant une corde environ le col, requérans à genoulx miséricorde, et apportèrent les clés des portes et le batel de la cloche de la ville, dont l'en avoit fait le touquesin[375] ; lesquelles clés et batel ledit duc fist prendre par le séneschal de Beaucaire qui estoit présent. Et lors descendi à pié ledit cardinal d'Albanie et requist pour eux miséricorde avec tout le peuple ; et ès forbours de ladite ville estoient toutes les femmes d'icelle ville, en simples habis, requérans aussi très-humblement miséricorde. Et quant ledit duc fut entré en ladite ville, il destitua tous les officiers d'icelle et la maison du consulat, l'églyse de Saint-Germain que fist faire pape Urbain, et les portaux d'icelle ville fist garnir de gens d'armes, et les armeures des gens de ladite ville que l'en pot trouver fist apporter par devers luy.

[375] Touquesin. Variante du msc. du duc de Berry no 8302, Tacquehan, et de même plus bas.

Le vint-quatriesme jour dudit mois, ledit duc d'Anjou estant sur un eschaffaut que l'en avoit fait moult notable en une place de ladite ville, afin que le peuple véist mieux ce qui y seroit fait, fu donnée sentence par ledit duc contre l'université, consuls et singuliers de ladite ville de Montpellier, par la manière que ci-après s'ensuit : c'est assavoir l'université à perdre consuls, consulat, maison et arches communes, séel et cloches et toutes autres juridicions ; et envers le roy et ledit duc d'Anjou en six cens mil francs d'or et ès despens que ledit duc d'Anjou avoit fais pour ceste cause. Et quant aux singuliers, six cens des plus coupables, à morir, c'est assavoir deux cens à coper les testes, deux cens pendus et deux cens ars ; leur enfans infames et en perpétuel servitude et leur biens confisquiés et la moitié des biens de tous les habitans d'icelle ville, deux portaux de la ville et six tours et les murs qui sont entre les portaux à abattre et les fossés d'entre deux emplir : tous les harnois et armeures de ladite ville à estre arses. Que les consuls et plus notables de celle ville trairoient les morts qui en la rumeur avoient esté occis des puis où il les avoient gietés, et que ladite université fonderoit une églyse ou chapelle où il auroit six chappelleries, chascune de quarante livres de rente. Et en icelle églyse seroit mise la cloche de quoy fu sonné le touquesin en ladite rumeur. Et en oultre fu condampnée ladite université à la restitution des biens des mors et l'intérêt de partie. Et tantost ladite sentence prononciée se desvestirent les consuls publiquement des robes de consulat, sans mantel, cote né chapperon, et rendirent audit duc le séel de ladite ville. Toutes voies il s'escrioient et requéroient avec le peuple très humblement miséricorde! Et lors, ledit cardinal d'Albanie et aucuns autres prélas envoiés de par le pape et de par le collège des cardinaux prièrent ledit duc moult affectueusement qu'il eust pitié de ce peuple, et que il ne voulsist procéder à aucune exécucion, jusques à ce qu'il eust oï parler ledit cardinal. Si luy assigna jour ledit duc à l'endemain en celle meisme place pour le oïr, auquel jour et lieu ledit cardinal, et collèges, et religieux et religieuses de ladite ville, l'université et très-grant nombre de femmes et de petits enfans qui tous crioient miséricorde pour le peuple, ledit cardinal dit moult de belles paroles audit duc et fist faire une collation par un frère Jacobin tous tendant à fin de miséricorde. Si fist lors ledit duc modéracion de sentence et rémission desdis six cens mil francs, et que les portaus et les murs dessusdis ne seroient mie abattus. Et leur rendi leur consulat, maison, séel, juridicion fors que l'office du baillif et tous les autres qui sont sous luy demourèrent en l'ordenance du roy. Et quant à l'exécucion des six cens condempnés, fu dit que tous ceux qui avoient esté cause de la commocion et qui avoient mis mains aux mors seroient avec leur bien en l'ordenance du roy. Et ainsi remist la moitié des biens des autres de la ville ; et les chappellenies furent ramenées à trois, et les armeures et artillerie d'icelle ville furent mises en la main du roy pour faire sa volenté. Et si fu dit que il paieroient les despens que ledit duc avoient fais en ceste besoigne, lesquels furent depuis ordenés à six vint mil francs par ledit duc.

Incidence. En ce temps, le lundi vint-quatriesme jour de février l'an dessusdit, au bois de Vincennes, fist le duc de Juillers hommage lige au roy, et se déclara lors pour le pape Clément VII.

Par tout ce temps, le cardinal de Poitiers qui estoit venu par deça pour aler en Angleterre, et aussi le cardinal d'Aigrefueil qui estoit envoyé en Allemaigne par le pape Clément se tinrent sur les marches de Tournesis et de Cambresis ; c'est assavoir ledit cardinal de Poitiers à Tournay et à Cambray et ledit cardinal d'Aigrefueil à Metz, pour ce qu'il ne povoient avoir sauf-conduis pour passer oultre.

CVI.

De la mort monseigneur Bertran Du Guesclin, connestable de France.

ANNÉE 1380

Assés tost après Pasques qui furent l'an mil trois cens quatre-vins, et furent Pasques celle année le quinziesme jour de mars, vindrent messages de par les communes de Languedoc à Paris par devers le roy et luy exposèrent et supplièrent que il voulsist envoyer un capitaine de par luy audit païs pour le garder et deffendre tant contre les ennemis comme contre les compaignies qui sur iceluy païs estoient. Et pour ce que tous aydes avoient esté abattus sur ledit païs, il ottroièrent ayde de trois francs pour chascun feu pour un an, imposicion de douze deniers pour livre de toutes denrées excepté le sel, sur lequel il ottroièrent la double gabelle qui autrefois avoit couru au païs. Et parmi ce, leur ottroia le roy capitaine au païs messire Bertran du Guesclin qui lors estoit connestable de France. Lequel parti pour y aler au mois de juin ensuivant. Et en alant, s'arresta sur un chastel en la seneschauciée de Beaucaire, appellé le Chastel-Neuf-de-Randon, lequel estoit occupé par les ennemis du roy et du royaume. Et tant destreigni ledit connestable ceux qui estoient dedens, tant par engins comme par assaus qu'il estoient sur le point de rendre ledit chastel. Mais par la volenté de Nostre-Seigneur, ledit connestable fu malade environ huit jours au siège devant ledit chastel, et trespassa de cest siècle le vendredi treiziesme jour de juillet, qui fu grant dommage au roy et au royaume de France. Car c'estoit un bon chevalier et qui moult de biens avoit fait au royaume de France, et plus que chevalier qui lors vesquist. Et l'endemain, ceux qui estoient audit chastel le rendirent aux gens dudit connestable[376].

[376] Le msc. du Suppl. franç., no 6, l'un des plus beaux sous le rapport des miniatures qu'on ait jamais exécuté au XVe siècle, représente Bertrand du Guesclin exposé sur un lit de parade dans sa tente. Des guerriers viennent déposer sur ses genoux les clés de Châteauneuf. Cette miniature justifie le récit généralement admis d'après lequel les assiégés auroient témoigné de leur vénération pour le grand guerrier, en remettant à sa dépouille mortelle les clés d'une ville qu'il n'avoit pas réduite.

CVII.

De la chevauchie d'Anglois en France.

Audit mois de juillet l'an dessusdit, passèrent la mer d'Angleterre à Calais messire Thomas, fils du roy d'Angleterre, et pluseurs autres Anglois jusques au nombre de sept ou de huit mil combattans, et chevauchièrent au royaume de France et passèrent la rivière de Somme environ Clari et après alèrent vers Soissons et passèrent la rivière d'Oise et de Aisne, et aussi la rivière de Marne au dessoubs de Chaalons, et celle d'Aube à Plancy. Et alèrent devant Troies et puis s'en alèrent logier entre Villeneuve-le-Roy et Sens, et là passèrent la rivière d'Yonne. Et partout boutoient les feux ès villes qui ne se raençonnoient. Et jasoit ce que le roy eust mis sus trois cens hommes d'armes pour les chevauchier, toutes voies furent-il pou domagiés. Et prisrent pluseurs personnes des gens qui les suivoient tant chevaliers comme escuiers. Et puis chevauchièrent par le Gastinois et par la Beausse, et droit vers Bonneval et de là au pays de Bretaigne là où messire Jehan de Montfort les reçut.

En celle saison, au mois de juillet ensuivant, furent parlés pluseurs traictiés entre les gens du roy d'une part et ledit messire Jehan de Montfort et les Bretons d'autre part, aucune fois par le moyen du conte de Flandres et autrefois par le moyen du sire de Cliçon. Et jasoit ce que pluseurs appointemens y feussent pris, toutes voies n'y fu aucune conclusion prise jusques au temps dont mencion sera faite.

CVIII.

Du conte de Flandres et des Flamens.

En la fin du mois d'aoust et fu le vint-huitiesme jour l'an mil trois cens quatre-vins devant dit, ceux de Gand, d'Ypres et de Courtray et de pluseurs autres villes du païs de Flandres partirent de la ville d'Ypres environ heure de nonnes pour aler à Diquemme et cuidoient avoir la ville. Et lors le conte de Flandres, ceux de Bruges et ceux du Franc environ cent hommes d'armes qui estoient en ladite ville de Diquemme, qui sceurent la venue de ceux de Gand, de Ypres et de Courtray, se rengièrent au-dehors de ladite ville. Si coururent sur ceux de Gand, de Ypres et de Courtray, et les desconfirent et gaaignièrent environ deux cens charrios que les dessusdis de Gand, d'Ypres et de Courtray avoient, et en tuèrent pluseurs et les autres s'enfuirent à Ypres bien jusques au nombre de dix mile. Et le conte de Flandres et sa compaignie s'ala logier devant ladite ville d'Ypres environ heure de complies en poursuivant sa victoire, et environ mienuit ledit conte de Flandres se mist dedens ladite ville d'Ypres par le consentement de ceux qui estoient en ladite ville, de la partie dudit conte. Et ceux de Gand et les autres ennemis dudit conte s'enfuirent et alèrent vers Courtray. Et ledit conte demoura maistre de toute la ville d'Ypres pour faire toute sa volenté. Et fist faire pluseurs exécucions tant de coupper testes comme autrement. Et l'endemain, quant ceux de Gand et les autres qui s'en estoient fuis, comme dessus est dit, furent entrés en Courtray, ceux de la ville les prièrent de demourer avec eux pour les aidier. Mais après qu'il orent demouré une heure, ceux de Gand tuèrent leur capitaine et s'enfuirent et tous les autres des autres villes avecques eulx, et se sauva qui se pot sauver. Et celuy jour meisme, messire Sohier de Gand chevalier vint à Courtray accompaignié de pluseurs jeunes gens de ladite ville, et fist apporter sur le marchié la bannière dudit conte de Flandres, en disant que quiconques vouroit estre contre ledit conte le déist, et que il tenoit ladite ville de par le conte et la tenroit à son povoir.

Tantost après ces choses, ledit conte accompaignié de pluseurs hommes d'armes du païs de Flandres, de Bruges, d'Ypres, de Courtray et de pluseurs autres villes dudit païs jusques au nombre de bien soixante mil armés, si comme l'en disoit, vint mettre siège devant Gand.

CIX.

Du trespassement du roy Charles-le-Quint fils du roy Jehan.

Le dimanche, seiziesme jour du mois de septembre l'an mil trois cent quatre-vins dessusdit, à heure de midi, trespassa en son hostel de Beauté-sur-Marne le roy de France Charles dit cinquiesme. Et le lundi ensuivant fu apporté au point du jour le corps à Saint-Antoine emprès Paris. Et là, en attendant ses frères les ducs d'Anjou, de Berry et Bourgoigne, demoura jusques au lundi ensuivant vint-quatriesme jour dudit mois, auquel jour il fu apporté à Nostre-Dame de Paris à telle solempnité comme l'en a acoustumé à porter les roys de France. Et sesdis frères aloient après le corps à pié : mais sur le chemin St-Antoine et la porte ot grant noise et débat entre les escoliers de l'université de Paris et Hugues Aubriot, lors prévost de Paris, et les sergens de Chastellet ; et s'entreprisrent forment pluseurs des escoliers et sergens. Et y ot d'iceux escoliers pluseurs menés en Chastellet et après rendus à l'université. Et ses deux fils, c'est assavoir Charles qui fu roy après luy et Loys conte de Valois, estoient à Meleun. Et fu conseillé qu'il ne partissent point de là jusques à l'enteraige du corps, tant pour ce que il estoient jeunes et peussent avoir esté blesciés en la presse, comme pour la mortalité qui encore estoit à Paris et environ. Et furent ledit lundi les vigiles dites en ladite églyse de Nostre-Dame de Paris ; et le mardi ensuivant la messe. Et tantost après fu apporté à Saint-Denis en la chapelle que il avoit fondée, en laquelle estoit jà enterré le corps de la royne sa femme. Et après fu le cuer porté en l'églyse cathédral à Rouen, en laquelle il fu enterré à telle solempnité comme il appartient. Et depuis, les entrailles furent enterrées en l'églyse de Maubuisson emprès la sépulture de sa mère, si comme il avoit ordené.

CX.

Du commencement[377] du roy Charles sixiesme.

[377] Commencement. Variante : Couronnement.

Pour ce que le roy Charles devant dit avoit fait certaine loy par laquelle il avoit ordené que son ainsné fils et les autres ainsnés des roys qui seroient pour le temps advenir, tantost que il aroient atains le quatorziesme an de leur aage préissent leur sacre, couronnement et gouvernement du royaume de France et receussent leur hommages ; laquelle loy fu publiée le vint-uniesme jour de may l'an mil trois cent soixante-quinze, en plain parlement à Paris, en la présence du roy et de pluseurs personnes notables et seigneurs du sanc royal et autres, si comme devant est escript. Et aussi avoit ordenancé que jusqu'à ce que son dit ainsné fils fust venu à cest aage, monseigneur Loys, duc d'Anjou, frère du roy premier après luy, aroit le gouvernement dudit royaume, en certaine forme et manière contenue en ladite ordenance ; et messire Phelippe, duc de Bourgoigne, le plus jeune des frères du roy, et messire Loys, duc de Bourbon, frère de la royne trespassée, aroient la garde, tuicion et gouvernement de Charles, ainsné fils du roy et de ses autres enfans, jusques à ce que ledit ainsné fils eust ataint le quatorziesme an de son aage. Et pour le nourrissement et autres nécessités dudit ainsné fils et des frères et sœurs, avoit le roy ordené que le duc de Bourgoigne et le duc de Bourbon aroient pour le gouvernement tous les prouffis, revenus et esmolumens tant ordinaires comme extraordinaires de la duchié de Normendie, des bailliages de Senlis et de Meleun, de la ville et visconté de Paris ; excepté le Palais-Royal et toutes les chambres de parlement, des enquestes et des requestes, et des coffres du trésor ; lesquels, par ladite ordenance que le roy avoit faite, demouroient soubs le gouvernement dudit duc d'Anjou avec tout le demourant du royaume de France. Et pour ce que lesdis ducs d'Anjou d'une part, de Bourgoigne et de Bourbon d'autre part, n'estoient pas bien d'accord sur ladite ordenance, par le conseil et délibéracion de pluseurs sages du royaume de France esleus et ordenés par lesdis ducs fu advisé, pour tenir lesdis ducs en unité et par conséquent tout le royaume de France, qu'il estoit expédient que le roy qui encores n'avoit accompli son douziesme an si fust sacré et couronné, receust ses hommages et fust tout le royaume gouverné par luy et en son nom. Lequel advis fu rapporté aux dis ducs, lesquels le consentirent et l'orent agréable.

CXI.

Coment le roy Charles six fu couronné.

L'an de grace mil trois cent quatre-vins devant dit, fu ledit roy Charles nommé sixiesme couronné à Rains, le dimanche quatriesme jour de novembre, en la fin de son douziesme an. Et le dimanche ensuivant, onziesme jour dudit mois, il retourna et entra à Paris à grant solempnité si comme il appartenoit. Et fu la ville encourtinée, et furent joustes faites au palais, le lundi et le mardi, des chevaliers et escuiers qui y estoient.

Le mercredi ensuivant quatorziesme jour dudit mois de novembre, les gens d'églyse, nobles et des bonnes villes qui avoient esté mandés à Paris de par le roy furent assemblés au palais en la chambre de parlement. Et là, en la présence du roy, de ses quatre oncles ducs d'Anjou, de Berry, de Bourgoigne et de Bourbon, et de pluseurs autres de son sanc, fu proposé par l'evesque de Beauvais, lors chancelier de France, coment le roy avoit nécessité d'avoir aide de son peuple, tant pour sa guerre comme pour son estat maintenir ; et leur fu requis que sur ce il eussent advis et respondissent tant qu'il deust estre agréable au roy.

Et le jeudi ensuivant, par un esmouvement d'aucuns de Paris qui alèrent au palais, là où le roy et lesdis ducs estoient, pour ce requérir, furent abattus tous ces aydes qui avoient cours au païs et au royaume pour le fait des guerres.

Audit mois de novembre, le conte de Flandres, qui estoit à siège devant Gand, leva le siège et s'en ala demourer à Bruges.

CXII.

Coment les juifs furent pilliés.

Le jour de jeudi qui fu quinziesme jour dudit mois, pluseurs nobles et populaires alèrent en la juierie de Paris et rompirent les huis desdis juifs et leur huches, et prisrent tous leur biens, tant lettres[378] comme autres choses. Et aussi furent pris pluseurs corps des juifs et leur femmes et enfans, et les amenoit chascun là où bon luy sembloit. Toutes voies, par l'ordenance du roy et de ses oncles, fu crié par Paris que tous ceux qui avoient aucune chose desdis juifs, fust corps ou biens, le rapportassent pardevers le prévost de Paris. Si furent le corps desdis juifs ramenés en Chastellet de Paris et aucuns autres des biens ; mais ce fu pou.

[378] Lettres. Billets à ordre et lettres de change.

En ce temps, furent continués les traictiés qui avoient esté commenciés dès le vivant du roy et de Jehan de Montfort. Et fu conclu sur iceux la seconde semaine de janvier. Et tousjours durant le temps dessusdit, messire Thomas, fils du roy d'Angleterre, et les Anglois qui avecques luy avoient passé au royaume de France et par iceluy avoient chevauchié demourèrent tousjours audit païs de Bretaigne, et se tindrent longuement à siège devant Nantes qui se tenoit pour le roy de France. Mais finablement il s'en partirent sans y aucune chose prouffiter, et y mourut grant foison de leur gens et de leur chevaux. Et s'en alèrent aucuns et en menèrent grant foison de malades[379] en Angleterre, et les autres demourèrent encore audit païs de Bretaigne[380].

[379] Malades. Au lieu de ce mot et des suivans, les éditions imprimées portent : Prisonniers ; et plusieurs manuscrits : Biens. J'ai préféré la leçon des manuscrits qui, ayant commencé par le texte des chroniques de Nangis, ont fondu leurs continuations dans celui des Chroniques de Saint-Denis.

[380] C'est à ce point que s'arrêtent véritablement les Chroniques de Saint-Denis. Cependant, comme les continuations de Nangis dont je viens de parler ajoutent ici quelque chose que l'on ne retrouve pas dans les chroniques imprimées de Charles VI, on me saura gré de clore comme elles le récit de nos chroniques par les pages suivantes qui m'ont paru précieuses (Voy. msc. 9622 et 8298-3).

Item, audit an mil trois cent quatre-vint, messire Hugues Aubriot chevalier, lors prévost de Paris, fu cité et appellé pardevant l'evesque de Paris et pardevant un Jacobin appellé frère Jaques de Morey, lors inquisiteur sur les hérétiques, au lundi vint-uniesme jour du mois de janvier l'an dessusdit. Et pour ce que ledit prévost ne comparut à ladite journée devant les dessus nommés, fu tenu pour contumax : et pour ladite contumace excommenié, dénoncié et publié par toutes les églyses de Paris chascun jour à la messe et à vespres. Et pour ce que ledit prévost doubtoit la vilenie que l'en luy faisoit chascun jour par la manière dessusdite, il comparut pardevant ledit evesque et inquisiteur, le premier jour de février après ensuivant. Et fu détenu prisonnier ès prisons dudit evesque de Paris et mis en procès ; et fu absols de l'excommeniement dessus dit, et son absolucion publiée par la manière que l'excommeniement avoit esté. Si fu proposé contre luy (par le procureur de l'université de Paris qui se fist partie contre luy[381]), qu'il avoit dites pluseurs paroles contre nostre foy. Entre lesquelles il devoit avoir dit à un sergent lequel n'estoit pas venu à son mandement sitost que enchargié luy avoit esté, et ledit prévost l'en reprenoit, lequel sergent se excusa en disant qu'il estoit demouré en l'églyse pour veoir Dieu : « Ribault, scès-tu pas bien que j'ay plus grant puissance de toy nuire que Dieu n'a de toy aidier? » Aussi devoit avoir dit aultre fois ledit prévost à un homme qui disoit qu'il véissent Dieu de la messe que chantoit lors un evesque de Constances appellé messire Sevestre de la Cervelle[382], qu'il n'attendroit jà pour celle cause, et que Dieu ne se laisseroit point manier par un tel homme comme estoit ledit evesque. Oultre fu proposé contre ledit prévost qu'il avoit délivré de Chastellet de son auctorité un prisonnier mis au Chastellet à la requeste dudit inquisiteur pour fait de hérésie. Oultre, fu encore proposé contre luy que après ce que les juifs de Paris orent esté dénonciés par la manière que dessus est dit, le vint-cinquiesme jour de novembre précédent, pluseurs petis enfans desdis juifs furent pris par pluseurs chrestiens lesquels les fist chrestienner ; et ledit prévost contraignit lesdis chrestiens à luy rendre lesdis enfans[383]. Et après ce qu'il luy orent ainsi esté rendus, les rendi à leur pères et à leur mères juifs. Et pluseurs autres choses furent proposées contre ledit prévost ; auxquelles il respondi par sa bouche. Et se fist procès contre luy. Et luy tousjours demourant prévost de Paris, demoura en prison fermée en la cour dudit evesque jusques au vendredi dix-septiesme jour de may mil trois cens quatre-vint-et-un. A laquelle journée fu ledit prévost mis sur un eschaffaut qui pour celle cause avoit esté fait emprès l'Hostel-Dieu de Paris, devant le parvis Nostre-Dame. Sur lequel eschaffaut furent assis lesdis evesque et inquisiteur et pluseurs autres. Et là prescha ledit evesque, et furent leus lesdis articles et pluseurs autres devant grant peuple qui là estoit assemblé pour ceste cause. Et là rappela ledit prévost tout ce qu'il avoit fait et dit. Si luy fu par ledit evesque enjoint pénitence de demourer perpétuelment en prison. Et pour celle cause fu mené chiés ledit evesque et mis en la tour en prison fermée. Et jusques alors demoura tousjours prévost de Paris, nonobstant qu'il fust tousjours en prison fermée chiés ledit evesque comme dessus est dit : mais tantost celle journée passée en fu ordené un aultre.

[381] Les mots de parenthèse ne sont pas dans le manuscrit 9622.

[382] Sevestre de la Cervelle. Mort en septembre 1386. La Gallia Christiana qui nous donne cette date, tome XI, p. 887, ne dit rien de la mauvaise réputation de ce prélat.

[383] Ce dernier crime ou plutôt ce grand acte de courage n'étoit pas le véritable motif de la haine que tant de gens portoient à Hugues Aubriot. Il expioit sa sévérité à l'égard des suppôts de l'Université.

[384]Item, en celuy temps, le traictié qui avoit esté commencié dès le vivant du roy Charles pour le fait de messire Jehan de Montfort fu remis sus et fait et parfait ; par lequel traictié la duchié de Bretaigne luy fu rendue, lequel avoit esté déclairé par arrest prononcié en la présence du roy et des pairs confisqué et acquis au roy. Et furent envoyés de par le roy certains commissaires en Bretaigne, pour luy faire baillier et délivrer les forteresses qui estoient tenues de par le roy. Et pour ce que par ledit traictié et aussi par raison ledit duc de Bretaigne devoit faire hommage au roy tant de la duchié de Bretaigne comme de la conté de Montfort, iceluy duc pour celle cause ala à Compiègne là où le roy estoit, et là en la présence des ducs d'Anjou, de Bourgoigne et de Bourbon, oncles du roy et de pluseurs autres grans seigneurs le vint-septiesme jour de septembre mil trois cent quatre-vint et un, fist hommage au roy des duchié de Bretaigne et conté de Montfort.

[384] La première phrase de cet alinéa a été reproduite dans le texte authentique qui précède.

Item, en celle saison fu ordené le duc de Berry lieutenant pour le roy en Languedoc. Et jasoit ce que ce fust au desplaisir des communes du païs et aussi du conte de Foix, toutes voies y ala-il et trouva grans désobéissances en pluseurs villes du Languedoc, et par espécial à Narbonne, à Nismes, à Besiers et aussi à Thoulouse. Et furent sur le point de combattre ensemble, luy et le conte de Foix. Mais certain traictié fu fait entre eux par lequel la bataille demoura. Et pour ladite désobéissance que ledit duc de Berry avoit trouvée au païs, fu advisé et conseillié qu'il estoit bon que le roy y alast en personne pour réformer et mettre à point le païs. Toutes voies, pour les empeschemens qui survindrent en France, il n'y ala point à celle fois.

Item, en ce temps, le duc d'Anjou qui autrefois avoit eu nouvelles que la royne Jehanne de Naples, laquelle n'avoit aucuns enfans, le vouloit adopter en fils et faire son héritier tant du royaume de Naples comme de la conté de Provence, et ot encores nouvelles pour le temps, et vindrent par devers luy certains messaiges de par elle pour celle cause : et, pour ce, en ot pluseurs conseulx et délibéracions, tant en la présence du roy comme en son absence ; et finablement, luy fu conseillié tant par les seigneurs de son sanc comme par tous les saiges qui furent en son conseil qu'il entreprist le voyage, à aler par devers ladite royne si comme elle luy avoit fait assavoir. Si commença lors à faire son ordenance pour y aler. Mais assés tost après, luy vindrent nouvelles certaines que messire Charles de Duras, aultrement nommé messire Charles de la Paix, nepveu de ladite royne de Naples, estoit venu au royaume de Naples, et avoit eu grant confort de ceux du païs et par espécial de ceux de ladite ville de Naples. Et avoit prinse ladite royne et emprisonnée, et aussi avoit prins en une bataille le mary de ladite royne appellé messire Othes de Breswigh[385] ; et s'estoit ledit messire Charles fait couronner en roy dudit royaume de Naples du consentement et volonté de Berthelemi qui se portoit pour pape à Rome et se nommoit Urbain. Et pour ces nouvelles, ledit duc d'Anjou rompit l'entreprise qu'il avoit faite d'aler au païs. Et assés tost après, pape Clément qui estoit en Avignon envoya certains messages solempnels par devers ledit duc d'Anjou qui estoit avec le roy en France, et luy fist requérir par sesdis messaiges coment il voulsist remettre sus son voyage et l'entreprendre, et il luy feroit grant aide. Si eust ledit duc d'Anjou advis et délibéracion avec le roy, avec les seigneurs de son sanc qui estoient à la cour et avec pluseurs sages tant prélas comme autres sur ce qu'il avoit à faire de ce que le pape luy avoit mandé[386].

[385] Breswigh. Brunswick.

[386] Le manuscrit 9622 conclut par les mots : Et finablement qui devoient être les premiers d'une autre phrase. Terminons de notre côté cette édition par une chanson assez curieuse renfermée dans un manuscrit du Fonds latin, coté no 4641.-B, fo 150 ; elle est relative au jugement de Hugues Aubriot. C'est l'une de ces pièces anciennes dans lesquelles chaque stance finit par un proverbe.


Cy s'ensuit un dit rimé qui fu fait pour un prévost de Paris nommé Hugues Aubriot, lequel ot moult de fortunes en la fin de ses jours. Et de chascun article[387] escrit est au derrain un vers qui fait un notable.

[387] Article. Couplet. — Notable. Proverbe.

Hugue Aubriot bien me recors
Quant fus prévost premièrement,
Que j'oïs à cris et à cors
Dire de ton avenement :
« Bien viengne par qui haultement
» Dès or justice regnera,
» Or est venu qui l'aimera! »
Lors les drois garder tu juras
Du roy et d'université,
Et puis après asséuras
Maintenir ceux de la cité.
Or n'as pas tenu vérité ;
Car chascun de toy se démente.
Trop tost se vente qui aulx plante.
Ce fu très bon commencement :
Sé amés éusses prudence,
Ne t'y tenis pas longuement
Par ta fole oultrecuidance
Qui ores te met en balance
De fenir ta vie à grant honte.
Cil prent mal coup qui trop hault monte.
Quant en hault degré te véis
De tout te voulus entremettre,
Et trop d'ordenances féis
Sur femmes[388] et gens saichans lettres,
Pour ce, en prison t'ont fait metre
Come raison les y contraint.
Qui trop embrasse pou estraint.

[388] Sous la date de 1367, Aubriot avoit rendu de sévères ordonnances contre les prostituées. Il les avoit proscrites de la plupart des rues de Paris.

Tant com le grant Charle a vescu
Tu t'es porté trop fièrement,
En tous cas estoit ton escu,
Or va maintenant aultrement ;
Car par ton fol desvoiement
Aucun ne t'aime né ne prise.
Tant va le pot à l'eau qu'il brise.
Par Paris aler tu souloies
Sur mule et frison d'Allemaigne ;
Gras coursiers, gros roussins avoies
Et tes sergens à la douzaine ;
Or n'y a nul qui ne se paine
Toy grever festes et dimenches :
Bon fait bas voler pour les branches.
Tu souloies emprisonner
Les gens, or es emprisonnés ;
Riens ne vouloies pardonner ;
Ne sçay sé riens t'iert pardonnés.
De rigueur fus abandonnés
Contre chascun plus qu'à sa coulpe.
Bien dois avoir d'autel pain soupe.
Je vis ta chambre bien parée
De riches dras moult noblement,
Et ta maison bien painturée
Et hault et bas communelment ;
Mais tu es logiés autrement
Et as petite compaignie :
Hélas! au dessoubs est qui prie.
Courouciés es de tes oiseaux
Qu'oïr ne pues chanter, en caige ;
Mais bien pues faire les appeaulx
Pour chanter en ton géolaige ;
Tu as perdu ton poil volaige
Par trop estre à vent et à pluie,
Et dist-l'en : Beau chanter ennuye.
Je ne voy par nulle manière
Coment tu puisses eschapper ;
Car cil qui puissance a plenière
Mieulx ne t'en pourroit destrapper.
Bien a esté fait toy happer
Pour justicier et mettre en cendre,
En la fin fault-il rendre ou pendre.
Tu t'es mellés en toute guise,
Par ton barat particulier,
De descort mettre par l'églyse
Encontre le bras séculier.
En mauvaistié es singulier
De ton ventre nuls biens n'en vist,
Tant gratte chievre que mal gist.
A Petit-Pont as ordené
Faire un chastelet fort et rude ;
Et aux chartres les as donné
Les noms des rues de l'Estude[389] ;
Tu y seras mis, bien le cuide ;
Car chascun dist que bien avient,
Tant crie-l'en Noël qu'il vient.

[389] Aux chartres. Aux prisons. Aubriot appeloit les prisons dans lesquelles il renfermoit les écoliers condamnés le Clos Bruneau et la rue du Fouarre, du nom de deux fameux endroits du pays latin. — On reconnoît ici dans le poète les rancunes d'un écolier de l'université.

Tu as fais mains faus jugemens
Par ta pure forsennerye,
Et si as mené proprement,
Tout ton temps, de Néron la vie,
Cressus es qui ne s'umilie
Que fortune jus abatti :
Medium tene beati.
Tu te plains de faulse heresie
Qui est en toy très grant diffame ;
Tu es maistre de sodomie,
Si com dient homes et femmes ;
Tu as dampné de ceulx les ames
Que tu as aux Juifs rendus :
Dignes es d'être ars ou pendus.
Et quant aucun te disoit : « Sire,
» De raison faites le contraire, »
Tu respondoies par grant ire :
« Or voe, or voe, laissiez-me faire ;
» Laissiez crier qui vouldra braire. »
Plus n'en vouloies escouter :
Mais seure chose est tout doubter.
Tu as fait le moine voler
Par force de tes grans richesses ;
Mais riens n'y vaut le flaioler
Ne te fie point en promesses ;
Pour toy aidier ne t'esléesses,
Savoir faut de toy n'auront cure :
Tant vault amour come argent dure.
Bien l'a fait Turquain parcevoir
Ton bon amy espécial ;
Par or as cuidié decevoir
Et parvetir l'official,
Mais le vaillant juge et loyal
L'a mis en prison sans poursuite.
Selon seigneur magnie duite.[390]

[390] Tel maître, tel valet.

Je croy bien tu as ainsy fait
A tieulx qui n'en font pas semblant,
Afin d'anéantir ton fait ;
Mais il n'en parlent qu'en tremblant,
Et aucunes fois en emblant.
Car tel cuide abaissier sa honte
Ou vengier, il acroist et monte.
Avise sé de l'aultrui bien
As pensé, de le bientost rendre ;
A ceux ne donnes pas tes biens
Qui cy ne te pevent deffendre ;
Tes fais sont de si grant esclandre
Ne sçay coment il en ira.
Mal acquis, mal départira.
Quant tu aloies par les rues,
Ne sçay sé t'en es advisés,
Chascun en disoit, neis tes drues[391] :
« Bien doit estre cil desprisiés. »
Si es-tu ore et pou prisiés.
Et disoient aucuns souvent :
Petite pluye abat grant vent.

[391] Neis tes drues. Même tes maîtresses.

Laisses maisons, femmes, nepveus,
Et soies pour t'ame esveilliés,
De rendre à Dieu graces et veus ;
Mieulx ne pues estre conseilliés.
Je tien ton corps pour essilliés,
Car chascun le dit, bien y pert[392] :
Qui trestout convoite tout pert.

[392] Y pert. Y paroît.

Je ne te veuil plus faire plait,
Aubriot, à Dieu te commant ;
De tes folies me desplait,
Or en ira ne sçay coment.
L'en feroit bien un grant romant
De tes fais, mais cy je m'afin :
De bonne vie bonne fin.[393]

[393] Hugues Aubriot fut délivré l'année suivante par les Parisiens, au milieu d'une émeute.

FIN DES GRANDES CHRONIQUES DE FRANCE.

CONCLUSION DE L'ÉDITEUR.

Ici s'arrêtent les grandes Chroniques de France dites de Saint-Denis. Aucun manuscrit ancien ne joint au texte pour ainsi dire sacramentel que l'on vient de lire l'histoire des règnes de Louis XI, de Charles VII ou même de Charles VI. D'ailleurs, les récits de Juvénal des Ursins, de Jean Chartier et de l'auteur anonyme de la Chronique Scandaleuse, vingt fois réimprimés, se trouvent dans toutes les bonnes bibliothèques ; et les moyens d'exécution dont nous pouvions disposer ne nous permettoient pas de reproduire trois ouvrages que d'autres patiens érudits avoient déjà fait connoître.

Mais pour compléter l'édition des Grandes Chroniques de Saint-Denis, il faudroit encore, et nous le sentons parfaitement, ajouter plusieurs dissertations et la Table raisonnée des matières et des noms de lieux et de personnes. Un bon Index est le cachet d'une bonne édition, et si notre librairie moderne se plaint tant du discrédit de ses publications, on peut trouver la cause de ce fâcheux résultat dans le dédain qu'elle professe généralement pour toutes les Tables de matières. Obligés aujourd'hui, pour des raisons qui ne sauroient intéresser nos lecteurs, d'achever notre édition et de nous en tenir au texte complet des Chroniques de Saint-Denis, nous n'en prenons pas moins l'engagement de donner bientôt, dans un volume supplémentaire, notre Table raisonnée et plusieurs dissertations sur la rédaction des chroniques et sur l'autorité de leur témoignage. Avant de publier cet appendice, nous espérons de la Critique littéraire des avis dont il nous sera permis de profiter. Heureux si nous n'avons pas alors à relever un trop grand nombre de ces inexactitudes dont l'attention la plus ardente et la plus scrupuleuse ne préserve pas toujours!

Un autre devoir encore plus rigoureux, c'est l'hommage de nos dernières lignes au nom de celui dont on n'a fait que rendre la pensée et seconder les intentions en imprimant cet ouvrage. Quand les Chroniques de Saint-Denis auront été plus fréquemment consultées, on ne comprendra pas comment il s'étoit écoulé tant de temps avant que l'on songeât à les publier d'une façon convenable, intelligible. Monsieur le vicomte d'Yzarn-Freissinet a senti le premier qu'en essayant de combler cette grande lacune historique, il rendroit service aux bonnes études et feroit acte d'un véritable patriotisme. C'est à lui que j'ai dû le bonheur de consacrer quatre années à cette édition et d'avoir été délivré des obligations dispendieuses auxquelles elle soumettoit l'éditeur. Je ne doute pas que tous les amis de notre histoire nationale ne s'associent à la juste reconnoissance que j'ai vouée à M. de Freissinet, pour avoir fait exécuter un travail dont le gouvernement françois auroit dû prévenir depuis long-temps la pensée, et dont alors il auroit pu facilement charger un éditeur plus habile. On devine la récompense que tous deux nous nous sommes promise à une époque si défavorable aux publications sérieuses : en sacrifiant, l'homme du monde son argent et l'homme de lettres son temps, pour remettre en lumière celui de tous les monumens de notre histoire qui nous sembloit le plus recommandable ; nous craignons seulement d'avoir eu trop bonne opinion de ces mémorables Chroniques de Saint-Denis, et de nous être trompés sur leur importance avec tous les contemporains de saint Louis, de Charles V et de Charles VII. C'est à ceux qui les étudieront qu'il appartiendra de décider si nous avons eu tort de craindre.

Voici maintenant la liste de tous les manuscrits que nous avons consultés ou dont nous avons eu quelque connoissance. Cette description, comme on le pense bien, ne sera pas approfondie : mais ceux qui plus tard auront l'occasion de voir d'autres leçons des mêmes chroniques pourront néanmoins juger, d'après elle, de l'importance particulière de chacune de ces leçons. J'examine d'abord les volumes signalés par La Curne de Sainte-Palaye dans la fameuse Dissertation sur les Chroniques de Saint-Denis qu'il lut à l'Académie des Belles-Lettres le 15 avril 1738. Je décris à la suite les leçons qu'il n'avoit pas vues et dont je me suis également servi.

MANUSCRITS INDIQUÉS PAR SAINTE-PALAYE.

BIBLIOTHÈQUE DU ROI.

No 8298 2.

Un volume in-folio maximo, vélin, 2 colonnes, petites miniatures ; écriture de plus en plus élégante et correcte jusqu'à la fin ; XVe siècle. Relié en maroquin rouge aux armes de Colbert sur les plats.

Il provient de la bibliothèque de Colbert. Les premiers feuillets ont été enlevés jusqu'à la fin du treizième chapitre du premier livre (Voyez notre édition) : « Si se souffry atant quant Tholome ot ce compte et fixe. Le messaige Thierry qui bien et sagement ot entendu lexemple Tholome retourna a son seigneur tout luy compta par ordre ce quil ot oi compter quant Thierry entendi ceste exemple il demoura ne ne voult mie obeir au commandement lempereur en petit de temps apres les princes ditalie le firent roy et seigneur du pays ainsi fu sauve Thierry par son bon amy. »

Miniatures en façon de camayeu assez curieuses : texte définitif que nous avons suivi. — Le passage relatif à l'amour de Thibaut pour Blanche (Vie de Saint-Louis, chap. XVII) forme ici le chapitre XV très abrégé. En somme, c'est l'un des manuscrits dont les variantes ont le plus d'importance. Pour les derniers mots, il donne la bonne leçon : « Et y mourut grant foison de leurs gens et de leurs chevaux. »

No 8298 4.

Un volume in-folio maximo, vélin, 2 col., petites miniatures ; bonne écriture du XVe siècle. Relié en maroquin rouge, aux armes de Colbert sur les plats ; provenant de la bibliothèque de Colbert.

« Cil qui ceste euvre commence a tous ceulx qui ceste histoire liront salut en nostre Seigneur pour que pluseurs grans se doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original lignee il sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commandement de cel homme que il ne pot ne ne dut refuser mais pour ce que sa lecture et la simplesce de son engin, etc. »

Le passage de Thibaut est au chapitre XVII, et d'une façon régulière. Gate brule pour Gaces Brulés. Les derniers mots sont : « Et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de biens. »

Transcription assez incorrecte.

No 8299.

Un vol. in-folio maximo, vélin, deux colonnes, première partie du XIVe siècle ; relié en maroquin citron ; provenant de l'ancienne bibliothèque de Michel Letellier, archevêque de Reims.

Rédaction du temps de Philippe de Valois. Elle s'arrête avec la fin du règne de Philippe-le-Long en 1321, mais elle ne donne la rédaction définitive que jusqu'à la mort de Philippe-Auguste. A la fin du règne de Saint-Louis, j'ai cité les variantes les plus importantes de cette leçon dans laquelle on chercheroit vainement le passage relatif aux amours de Thibaut.

Début : « Ci commence le prologue des croniques de tous les roys de France crestiens et sarasins et toz leur fais. — Cils qui ceste œuvre commence. A tous ceulx qui ceste histoire liront : salut en nostre Seigneur.

» Pour ce que pluseurs gens doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quel lignee il sont descendu emprist-il ceste œuvre a faire par le commandement de tel homme que il ne pot ne ne dut refuser en nule maniere.

» Mais pour ce que sa letreure et simplesse de son enging ne souffist mie a traitier de œuvre de si haute hystoire, etc. »

Fin du règne de Philippe-le-Long : « Et y fu occis li quens de Herefort. Et li quens de Lancloistre pris et pluseurs autres contes et barons. Li quens de Lancloistre ot copee la teste par jugement et tuit li autre pendu. Si que li roys n'avoit plus guerre fors que aus escos. »

On lit à la fin : « Ce livre fist faire le conte Daulphin frere au conte Camus (?). »

Nos 8299 2, 8299 3.

Deux volumes in-folio, vélin, lignes longues ; commencement du XVe siècle ; provenant de la bibliothèque d'Etienne Baluze.

Rédaction définitive. Plusieurs cahiers de cet exemplaire ont été enlevés, et entre autres tous ceux qui comprenoient les deux derniers livres de la vie de Charlemagne et la première partie de celle de Louis-le-Débonnaire. Le deuxième volume s'arrête au 22e chapitre du livre II du règne de Philippe-Auguste.

Début : « Cil qui ceste œuvre commença, a tous ceulx qui ceste histoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs gens se doubtoient de la genealogie des roys de France, de quel original et de quel lignie il sont descendus. Emprist ceste euvre a faire par le commandement de tel homme que il ne pot ne ne dut refuser. Mais pour ce que sa lettreure et la simplete de son engin ne souffist mie a traitier de euvre si haulte hystoire, etc. »

Fin : « Tant dura lassault le paleteiz et le lanceiz des engins que XV jours apres furent les murs fraiz et craventes et le chastel pris. Mais au prendre ot grant pongneiz et fort la furent pris XXXVI chevaliers sans le nombre des sergens et des arbalestiers a ce siege furent mort quatre chevaliers. »

No 8300 3 3.

Un volume in-folio, vélin, à deux colonnes ; fin du XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes de France sur les plats, provenant de l'ancienne bibliothèque de Colbert. Les écus qui entourent la miniature placée au commencement annoncent que le volume a été exécuté pour la librairie du roi de France.

Cette leçon est celle que nous voyons plusieurs fois désignée dans les anciens catalogues sous le nom de Chroniques abrégées. Tout en suivant en général la substance des Chroniques de Saint-Denis, elle en supprime une partie, et quelquefois elle étend le récit ou le modifie. C'est ainsi que pour le douzième siècle et le treizième, elle emprunte beaucoup de circonstances nouvelles au précieux monument historique publié dernièrement par mon frère, Louis Paris, bibliothécaire de la ville de Reims, sous le nom de Chronique de Reims. Il sera donc nécessaire de jeter les yeux sur les Chroniques abrégées quand on voudra comparer tous les témoignages du même fait.

Pour le passage relatif à l'amour de Thibaut, les Chroniques abrégées qui l'ont admis ont même ajouté les lignes de la Chronique de Reims contre lesquelles s'est tant élevé La Ravaillière dans son édition des Chansons du roi de Navarre. Les voici : « Le conte envoya des plus grans hommes de son conseil pour requérir paix et amour. Quant la royne Blanche le sceut, si manda le roy de Navarre qu'il venist parler à elle et elle luy feroit sa paix. Et il y vint sans aucun délai. Et ainsi comme il entra en la salle a Paris, il fu appareillié qui le fery d'un fromage en faisselle, par le conseil au conte d'Artois qui onques ne l'ayma. Et le roy de Navarre s'en ala tous embrouez devant la royne, et lui dist que ainsi avoit esté atornez en son conduit. Quant la royne le vit si lui en pesa et commanda que cils fust pris qui ce avoit fait, etc. »

Je pense que les Chroniques abrégées ont été rédigées avant la fin du règne de Charles V ; on les aura poursuivies à mesure de la continuation de l'ouvrage original.

Début : « Cy commancent les croniques des rois de France. — A tous ceulx qui ces présentes croniques ou histoires liront ou orront. Pourra apparoir la genealogie des roys de France. De quel lignee ils sont descenduz selon les croniques de l'abbaye monseigneur Saint-Denis en France. Si peut chascun savoir que ceste chose est moult honnorable et proufitable pour congnoistre aux roys et aux princes qui ont terres a gouverner, etc. »

Fin : « Et sen alerent aucuns et en emmenerent grant foison de biens. »

No 8301.

Un volume in-folio, vélin, à deux colonnes, jolies miniatures ; milieu du XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes de France.

Bel et bon exemplaire de la rédaction définitive. — Gatebrulle, dans le chapitre du comte de Champagne.

Début : « Celui qui ceste euvre commence. A tous ceulx qui ceste histoire liront. Salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs grans se doubtoient de la genealogie des roys de France, de quel original et de quelle lignie ilz sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commandement de tel homme que il ne pot ne ne dut refuser. Mais pour ce que la lecture et sa simplesce de son engin ne souffist mie a traitier de œuvre de si haulte histoire, etc. »

Fin : « Et y mourut grant foison de leurs gens et de leurs chevaulx et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de. »

No 8303.

Un volume in-folio, vélin, à deux colonnes, très-jolies miniatures, vignettes et initiales ; écriture du milieu du XVe siècle ; relié en veau fauve.

Les écus peints dans les vignettes sont tantôt celui de France, tantôt celui d'une famille que je n'ai pu reconnoître. Il est d'argent à l'hermine, fouine ou belette de sable, accompagnée de trois couronnes de sinople, 2 et 1.

Ce volume contient une seconde leçon des Chroniques abrégées, en tout semblable à celle du n. 8300 3. 3. que nous avons décrite.

No 8303 5.

Un volume in-fol. maximo, vélin, trois colonnes, très-nombreuses miniatures ; XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes et au chiffre de J. Auguste de Thou sur les plats. Provenant de l'ancienne bibliothèque de Colbert.

Il est surprenant que l'immortel de Thou, auquel ce volume a appartenu et qui l'a fait magnifiquement relier, ait laissé subsister sur le dos de la reliure le titre erroné de Hist. de la guerre saincte.

Ce bel exemplaire ne contient que la première partie de la rédaction définitive, jusqu'à la mort de Philippe-Auguste. Le reste, jusqu'à celle de Philippe-le-Hardi, est emprunté à Guillaume de Nangis, et à ses continuations. Le chapitre des amours du comte de Champagne ne s'y trouve pas.

Début : « Cyl qui ceste œvre commence a tous ceulx qui ceste ystoire liront salut a noustre Seigneur. Pour ce que pluseurs doubtoient de la geneologie des roys de France de quel original et de quel lignee ils sont descendus emprist-il ceste œuvre a faire par le commandement de tel home que il ne pot ny ne dut refuser. Mais pour ce que sa lectreure et la simplese de son engin ne souffit mie a traitier de œvre de si haulte ystoire. »

Fin : « Pour ceste chose furent mehues pluseurs questions a Paris entre les maistres de theologie savoir mon si le roy povoit donner ne octroier le cuer de son pere sans la dispensacion du souverain evesque. Ci fault listoire du bon roy Phelippe-le-Hardi. »

Nos 8304, 8305.

Deux volumes in-folio, papier, deux colonnes ; fin du XVe siècle ; reliés en maroquin rouge, aux armes du France sur les plats.

Cette leçon est fort mauvaise. Le copiste était un fripon qui s'est contenté de mettre de l'exactitude dans la transcription des têtes de chapitre, se réservant d'en abréger scandaleusement la substance. On voit qu'il avoit sous les yeux un exemplaire de la rédaction définitive et qu'il ne l'a tronquée que pour rendre sa besogne plus facile. Le récit est continué d'après Juvénal des Ursins jusqu'à l'année 1458. En finissant, il a bien voulu nous faire connoitre son nom dans les lignes suivantes : « Ces chroniques ont esté escriptes de la main de Nahei Reituag (Jehan Gautier) pour maistre Jehan Blondeau, praticien, en la court de parlement. Et contiennent deux voulumes, lequel Blondeau les vendra à qui vouldra bailler argent content paix et accord, ainsi que en tel cas appartient. »

Nos 8305 2, 8305 4.

Deux volumes in-folio, vélin, deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; écriture du commencement du XVe siècle ; reliés en maroquin rouge, aux armes de Colbert sur les plats. Provenant de l'ancienne bibl. de Colbert.

Cet exemplaire offre le texte définitif. Il est d'une bonne écriture et d'une assez rigoureuse correction. Il ne contient pas le dernier chapitre du pillage de la Juiverie.

Début : « Cil qui ceste œuvre commence a toux ceulx qui ceste histoire liront salut en Nostre-Seigneur pour ce que plusieurs gens se doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quel lignie ils sont descendus emprist cette œuvre afaire par le commandement de tel homme que il ne le pot ne ne deut reffuser mais pour ce que sa lecture et la simplesce de son engin ne souffist pas atraittier de une si haulte histoire… »

Fin : « Fut advise pour tenir lesdis ducs en unite, et par censequent le royaume de France, qu'il estoit expedient que le roy qui encore ne avoit accompli son .XII. an si feust sacrez et couronnez et receust ses hommages, et feust tout le royaume gouverne par ly et en son nom lequel advis fut raporte aux dis ducs lesquielx le consentirent et orent agreable. »

Le chapitre du comte de Navarre s'y trouve avec le nom de Gratebrule.

No 8305 5 5.

Je n'ai pu consulter pendant le cours de mon travail ce volume dont Sainte-Palaye a recommandé l'exactitude et la bonne transcription. L'illustre M. Daunou s'en servoit alors pour établir la partie du texte des Chroniques de Saint-Denis qui correspond aux règnes de saint Louis et de Philippe-le-Hardi. Cette partie doit être imprimée dans le XXe volume des historiens de France, actuellement sous presse. On sait que les Académiciens chargés de continuer ce grand ouvrage sont MM. Daunou et Naudet.

Nos 8306, 8307, 8308, 8309, 8310.

Cinq volumes in-folio, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; écrits au milieu du XVe siècle ; reliés en maroquin rouge, aux armes de Béthune sur les plats. Provenant de l'ancienne bibliothèque de Béthune.

Cet exemplaire est d'une belle écriture ; mais la transcription en est peu correcte. Le copiste se soucioit peu de reproduire tous les membres de chaque phrase et de lire ce qu'il copioit.

Début : « Cil qui ceste euvre commence a tous ceuls qui ceste hystoire liront salut en Nostre-Seigneur. Pour ce que plusieurs gens se doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quel lignie ils sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commandement de tel homme qu'il ne le pot ne ne dut refuser. Mais pour ce que sa lectreure et sa simplesce de son engin ne souffist mi a traictier de euvre si haulte hystoire, etc. »

Fin : « Et y morut grant foison de leurs gens et de leurs chevaux. Et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de. »

Le chapitre des amours de Thibaut s'y trouve avec le nom de Gastebrule.

No 8311.

Sainte-Palaye s'est trompé quand il a vu dans ce manuscrit une leçon des Chroniques de Saint-Denis. C'est un volume dépareillé d'un traité adressé au duc Charles-le-Téméraire, et renfermant des exemples de magnanimité.

FONDS DE SAINT-GERMAIN.

No 87. (Anc. nos 142 et 143.)

Deux volumes in-folio, papier, à deux colonnes ; fin du XVe siècle ; reliés en veau sur bois.

Cet exemplaire est assez peu correct et ne poursuit la transcription définitive que jusqu'à la mort de Philippe-Auguste. Le règne de chacun des autres rois est raconté d'une manière très-sommaire et d'ailleurs entièrement étrangère au texte des Chroniques de Saint-Denis. Ce point d'arrêt, le même que dans le no 8299, justifie la conjecture que nous avons émise plusieurs fois sur les différens rédacteurs de l'ouvrage entier. Sous le règne de Philippe-le-Hardi fut achevée la première partie jusqu'à Philippe-Auguste : la continuation, qui embrassoit les règnes de Louis VIII, saint Louis, Philippe III, Philippe IV, Louis X, Philippe-le-Long, Charles-le-Bel et Philippe de Valois, n'a pas été connue ou du moins reproduite dans les volumes que nous mentionnons.

Début : « Cy commancent les Croniques de France faites et extraictes du propre original. Lequel est en leglise de monseigneur Saint-Denis de France lez Paris. Et premier sensuit le prologue.

» Celluy qui ceste œuvre commence a tous ceulx qui ceste ystoire liront salut a nostre Seigneur. Pource que pluseurs gens debveroient desirer de savoir de la genealogie et de quel original et de quelle lignee sont yssus les roys de France enprint il ceste œuvre a faire par le commandement de tel homme qui ne peut ne ne deust refuser. Mais pour ce que sa lectreure et la simplete de son engin ne suffist pas a traictier donneur de si haulte ystoire, etc. »

Fin de la vie de Philippe-Auguste : « Si establit XX moines prestres en labbaie de Saint-Denis en France par dessus le nombre qui devant y estoit qui sont tenus a chanter pour lame de luy mort fut en l'an de lincarnacion de Notre Seigneur Jhesucrist M. CC. XXIII, de son eage LVIII et de son regne XLIII. »

No 91. (Anc. no 151.)

Sainte-Palaye n'auroit pas dû citer ce volume parmi les textes des Chroniques de Saint-Denis. Le récit ne commence que long-temps après le point où elles se sont arrêtées, c'est-à-dire à la vie de Charles VII. Il est vrai que Sainte-Palaye confond avec nos chroniques le travail de Juvenal des Ursins, celui de Jean Chartier et même celui de l'auteur de la Chronique Scandaleuse. Mais Sainte-Palaye s'est trompé.

No 963. (Anc. no 1462.)

Le même savant a recommandé vivement la correction et la beauté de cette leçon. Je n'ai pu la consulter, M. Daunou l'ayant entre les mains dans l'intention de s'en servir pour établir le texte de la vie de saint Louis et de celle de Philippe-le-Hardi.

No 965. (Anc. no 1464.)

Un volume in-4o, papier entremêlé de vélin ; commencement du XVe siècle ; relié en basane blanche sur bois.

Cet exemplaire, qui avoit appartenu à Pierre Pithou, présente un fort bon texte. Il est malheureusement très-incomplet, puisque le volume commence avec les derniers mots du douzième chapitre du 2e livre de Philippe-Auguste.

Début :

« cuer et les occistrent en fuiant.

» Le XIII, comment le roy chaca le roy Richart qui avoit assis arches et comment il vint a lui et lui fist hommaige de la duchie de Normendie.

» En lan de lincarnacion mil C. IIIIXXV ou mois de juillet rompi le roy Richart les trieves que il avoit au roy Phelippe. Si fut lors la guerre recommencee de nouvel. »

Fin : « Et y morut grant foison de leurs gens et de leurs chevaux, et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de prisonniers. »

AUTRES MANUSCRITS CONSULTÉS POUR LE TEXTE DE CETTE ÉDITION.

No 6746 A.

Un volume in-fol. maximo, vélin, à deux colonnes, miniatures et initiales ; commencement du XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes de France sur les plats.

J'ai décrit amplement ce volume dans le tome 1er des Manuscrits François de la Bibliothèque du Roi. Je dois me contenter ici de dire que la transcription est digne pour son exactitude de la beauté de l'exécution. Le texte ne donne pas le dernier chapitre du pillage des Juifs. Au chapitre du comte de Champagne, il porte la leçon de Gatelbrule. Plusieurs feuillets ont été enlevés, entre autres celui qui contenoit la fin du règne de Philippe de Valois.

Début : « Cil qui ceste œuvre commence a tous ceulx qui ceste histoire liront salut en nostre Seigneur pour ce que pluseurs grans se doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quelle lignee ilz sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commandement de cel homme que il ne pot ne ne dut reffuser. Mais pource que sa lecture et la simplesce de son engin ne souffist mie a traittier de si haulte histoire… »

Fin : « Si feust sacrez et couronnez et receut ses hommages et feust tout le royaume gouvernez par lui et en son nom lequel advis fu rapporte aux diz ducs lesquelz le consentirent et orent agreable. »

No 8300.

Un volume in-folio, vélin, deux colonnes, petites miniatures en façon de camayeu ; XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes de France sur les plats.

Bonne leçon du texte définitif. Les amours de Thibaut s'y trouvent correctement, avec le nom de Gatesbrulés.

Début : « Cil qui ceste œuvre commence a tous ceulx qui cette hystoire liront salut en nostre Seigneur pour ce que pluseurs gens se doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quelle lignie ilz sont descendus emprinst ceste œvre a faire par le commandement de tel homme que il ne pot ne ne deubt refuser. Mais pour ce que sa lecture et sa simplece de son engin ne souffist mie de traitier de œuvre de si haulte hystoire, etc. »

Fin : « Et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de leurs biens. »

No 8302.

Un volume in-folio magno, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; fin du XIVe siècle ; relié en maroquin citron, aux armes de France sur les plats.

Exemplaire dont j'ai fréquemment cité les variantes sous la désignation de Manuscrit du duc de Berry. En effet, il porte à la fin la signature de Jean, duc de Berry, prince qui devra sa renommée à la passion qu'il montra toute sa vie pour les beaux livres et pour les objets d'art de tous les genres. Ce volume étoit digne de figurer parmi les meilleurs de la librairie du frère de Charles V, soit pour la perfection de la calligraphie, soit pour l'intelligente exactitude de la transcription. Après le manuscrit de Charles V, no 8395, c'est, à mon avis, le meilleur guide que l'on pourroit suivre.

Début : « Ce sont les Croniques de France selon ce quelles sont composees en leglise Saint-Denis en France.

« Cilz qui ceste œuvre commence a tous ceulx qui ceste histoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs gens doubtoient de la genealogie des rois de France de quel original et de quel lignie ilz sont descendus emprist il ceste œuvre a faire par le commandement de tel homme que il ne pot ne ne dubt refuser. Mais pour ce que sa lettreure et la simplesce de son engin ne souffist pas a traitier de œuvre de si haulte histoire, etc. »

Au chapitre des amours du comte de Champagne, il porte la leçon commune Gatebrule.

Fin : « Et y morut grant foison de leur gens et de leurs chevaulx. Et sen alerent aucuns et en menerent grant foison de biens. »

Anc. fonds, no 8395.

Un volume in-folio parvo, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; fin du XIVe siècle ; relié, sous le règne de Louis XIV, en maroquin rouge, aux armes de France sur les plats, aux fleurs-de-lys sans nombre sur le dos et sur les marges.

Cet exemplaire, sans aucune espèce de contredit, offre de toutes les leçons la plus belle, la plus complète, la plus rigoureusement correcte. Exécuté pour la plus grande partie sous les yeux de Charles V, par son plus habile calligraphe, Jean du Trévoux, et destiné à faire autorité dans toutes les circonstances, augmenté d'un assez grand nombre de pièces officielles et de quelques notes marginales dans lesquelles on peut reconnoître l'écriture du sage roi lui-même, il est malaisé de comprendre comment il a jusqu'à présent échappé à l'attention d'ailleurs si scrupuleuse de tous les illustres critiques qui se sont occupés de l'ancienne langue françoise, de l'ancienne histoire de France et en particulier du monument capital de cette Histoire, les Chroniques de Saint-Denis. Dans la Bibliothèque du roi où sans doute on le conserve depuis le règne de Charles VI, il semble avoir toujours occupé l'une des places les plus apparentes ; le relieur du XVIIe siècle a écrit en beaux caractères sur le dos : Chroniques de Saint-Denis jusque à Charles V : mais tout cela n'avoit pu jusqu'à présent le garantir de l'oubli le plus complet.

C'est principalement sur cette précieuse leçon que j'ai établi le texte de mon édition : c'est elle que j'ai d'abord fait exactement transcrire et dans laquelle je n'ai guères changé que les mots obscurs ou vieillis que d'autres leçons me présentoient plus intelligibles ou plus corrects. J'ai fréquemment cité dans mes notes ses variantes les plus heureuses, sans négliger de tenir compte des différences plausibles que je remarquois dans les autres leçons. Et maintenant, si l'on prend de ces éloges une occasion de me blâmer de n'avoir pas rigoureusement suivi la lettre du Msc. 8395, à l'exclusion de tous les autres, je répondrai que nul manuscrit, tel excellent qu'il soit, n'est exempt de lacunes, de légères bévues, d'erreurs palpables. Quand on a le malheur de n'avoir qu'une leçon d'un texte ancien, il faut bien le livrer à l'impression avec toutes les fautes de cette leçon, sauf à tenter dans les notes des corrections plus ou moins vraisemblables ; mais en présence de quarante leçons des Chroniques de Saint-Denis, à la suite de trois éditions gothiques, devois-je préférer le travail le plus facile, c'est-à-dire la reproduction rigoureuse d'un seul texte? Je ne le crois pas : j'ai cru mieux faire en établissant ma leçon sur la base constante d'une ancienne transcription, mais en préférant toujours le sens qui me paroissoit le mieux autorisé.

Le manuscrit 8395 comprend 493 feuillets écrits, et de plus un grand nombre de feuillets rayés laissés en blanc, sur lesquels on n'auroit pas manqué de transcrire l'histoire du règne de Charles VI, si cette histoire eût pu continuer les Chroniques de Saint-Denis. Mais le second copiste (car le volume révèle deux calligraphes) n'a pas même inséré la fin du règne de Charles V, soit qu'elle ne fût pas encore rédigée, soit plutôt parce que le temps d'achever sa copie lui aura manqué. Il s'est arrêté vers la fin du centième chapitre.

Autrefois, le volume dut en former deux : le premier comprenant toutes les chroniques jusqu'à la mort de Louis VIII ; le second s'arrêtant au point du règne de Charles V que nous venons d'indiquer. Ce qui prouve cette division primitive, c'est d'abord deux feuilles de garde placées immédiatement avant le règne de saint Louis, puis la grande miniature qui précède également le premier prologue et les premières lignes du règne de saint Louis. Un mot sur ces deux ornemens capitaux : le premier représente le sacre d'un jeune prince, suivant toutes les probabilités Charles VI. Il a été joint à notre volume quand il s'est agi de le relier, car le demi-feuillet qui le représente est collé comme carton, au premier feuillet suivant ; ajoutons que le style remarquable de cette miniature diffère beaucoup de celui de toutes les autres.

Le frontispice du second tome contraste moins, il faut l'avouer, avec le style des miniatures suivantes ; mais le point d'écriture de la table commencée sur le verso de ce frontispice, accuse évidemment sinon une autre main du moins une transcription postérieure. C'est donc également un carton, et c'est, pour l'écriture, le premier que j'aie remarqué dans le volume.

Le deuxième carton, quant à l'écriture, comprend les feuillets 290, 291 et 292. Charles V le fit faire pour substituer au texte des leçons précédentes « La teneur de la charte de renonciation au duché de Normendie faite par le roi d'Angleterre. » Dans la miniature placée en tête de cette charte, on voit le roi d'Angleterre fléchissant le genou devant saint Louis, et je ne puis m'empêcher de croire que Charles V tenoit beaucoup au sujet de cette miniature.

Le troisième carton est au fo 353 ; il a été fait pour substituer au récit des leçons ordinaires une autre exposé plus incontestable des droits de Philippe de Valois. J'ai donné dans les additions au règne de ce prince la variante de ces précédentes leçons, et l'on y verra la cause de l'importance que Charles V attachoit ici à un changement de rédaction.

J'ai parlé du quatrième carton, comprenant les fos 357 et 358, dans la première note du septième chapitre de Philippe de Valois. J'ajouterai à ce que j'en ai dit qu'il offre deux miniatures, toutes deux représentant le roi d'Angleterre à genoux devant le roi de France debout.

Avec le fo 385, s'arrête la première transcription qui est certainement de Henry du Trévoux : les comparaisons que j'ai pu faire d'autres manuscrits signés par cet habile calligraphe ne permettent pas d'en douter. Il se pourroit que les folios suivans eussent encore été remplis par lui, mais alors il auroit fait ce travail quelques années plus tard et quand sa main avoit perdu quelque chose de sa fermeté, de son élégance. Au folio 388 finit la vie de Philippe de Valois avec le mot Amen ; mot remarquable qui peut servir à prouver que les Chroniques de Saint-Denis s'arrêtèrent long-temps avec le règne de ce prince. Une seconde induction peut être fournie par le changement d'écriture, à compter du folio 386 de notre manuscrit. Si les trois feuillets suivans ne sont plus de la main ancienne d'Henry de Trévoux, on peut croire que celui-ci avoit mis à la fin de cette vie de Philippe de Valois quelques rubriques qui ne convenoient plus à la continuation ; en conséquence on aura remplacé le cahier de huit feuillets qui contenoit la fin de sa transcription, par un nouveau cahier que l'on termina par la table et les premiers chapitres du règne du roi Jean. Et si l'on en veut une preuve avérée, c'est une lacune qui se trouve dans la dernière colonne du dernier feuillet de ce cahier (fo 393), lacune qui annonce que le nouveau scribe n'a pu retomber juste, comme dans la transcription précédente, avec le texte du cahier suivant. Ainsi, de cette nouvelle écriture avant la fin du règne de Philippe de Valois, on ne conclura pas que cette fin est l'œuvre d'une rédaction moins ancienne ; cette nouvelle rédaction commencera toujours avec le roi Jean.

C'est dans les dissertations sur les Chroniques de Saint-Denis, qu'il conviendra de faire la part qui revient à chacun des rédacteurs. Il doit suffire ici de remarquer que la table placée en tête du règne de Jean se poursuit jusqu'à l'indication du 44e chapitre du règne de Charles V. La matière de cette table appartient donc à un seul et même écrivain ; puis, à compter de là, tout donne à croire que les chapitres furent rédigés à mesure des événemens.

Il me reste à dire un mot de la bande tricolore qui entoure chacune des nombreuses miniatures de ce volume. Elle a déjà donné grande matière à conjectures ; j'ai moi-même exprimé dans l'Histoire des Manuscrits François la surprise que j'éprouvois en la voyant dans un si grand nombre de volumes exécutés pour Charles V. Je pense aujourd'hui que c'est uniquement l'effet arbitraire du goût d'un enlumineur curieux de mieux faire ressortir l'éclat de ses couleurs. J'appuie cette opinion sur l'examen d'un grand nombre de manuscrits dans lesquels on reconnoît l'écu du chancelier Pierre d'Orgemont. Or, cet écu, certainement dessiné et colorié par l'enlumineur de Charles V, est toujours entouré de la même auréole tricolore : ce que l'artiste auroit évité, si l'on avoit attaché quelque sens à ce cadre. Du reste, on ne peut nier que cet artifice ne donne plus d'éclat aux sujets enluminés.

No 8396.

Un volume in-folio mediocri, vélin, à deux colonnes, miniatures ; XIVe siècle ; relié en veau fauve.

Bonne leçon de la première partie des chroniques, s'arrêtant à la mort de Philippe-Auguste.

Début : « Cil qui ceste euvre commence. A tous ceulx qui ceste histoire liront salut en Nostre-Seigneur Jhesu-Crist. Pour ce que pluseurs gens doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quelle lignie ils sont descendus emprist il ceste euvre a faire pour le commandement de tel homme que il ne pot ne ne dot reffuser. Mais pour ce que sa lettreure et la simplece de son engin ne souffist pas a traittier d'euvre de si haulte histoire, etc. »

Fin : « Mort fu en lan de lincarnacion nostre Seigneur M. CC. XXIII de son aage LVIII, et de son regne XLIII. »

Nos 9615 2, 9615 3, 9615 4.

Trois volumes in-4o, papier, à lignes longues ; fin du XVe siècle ; reliés en veau fauve, et provenant de l'ancienne bibliothèque du président du Mesmes.

Exemplaire complet et d'une transcription fort incorrecte. Le premier volume s'arrête avec Louis-le-Débonnaire ; le second à Philippe-le-Bel, et le dernier avec le texte que nous avons suivi. Le chapitre des amours du comte Thibaud porte au lieu de Gaces Brulé le nom ridicule de Jobelibride.

Début : « Le proesme de lauteur qui translate les Croniques de France de latin en françois.

» Celui qui ceste œuvre commence a tous ceulx qui ceste histoire liront salut a nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs grans se doubtoient de la genealogie des roys de France, de quel originel et de quelle lignie ilz sont descendus, emprist ceste œuvre a faire par le commandement de tel homme que il ne pot ne ne dot refuser ; mais pource que sa lecture et sa simplesce de son engin ne souffist mie a traictier de œuvre de si haulte histoire. »

Fin : « Et y mourut grant foison de leurs gens et de leurs chevaulx, et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de prinsonniers. »

No 9615 5.

Un volume in-4o, papier, lignes longues ; fin du XVe siècle ; demi-reliure, au chiffre de Louis-Philippe sur le dos ; provenant de l'ancienne bibliothèque de Baluze.

Premier volume d'un exemplaire incomplet. Le récit est poursuivi jusqu'à la fin du règne de Loys-le-jeune.

Début : « Cy commance le prologue des Croniques de France. Cil qui ceste œuvre commance. A tous ceulx qui ceste histoire lyront salut en nostre Seigneur. Pour ce que plusieurs grans se doubtoient de la genealogie des roys de France, de quel original et de quelle lignée ilz sont descendus, emprist ceste œuvre a faire par le commandement de celuy homme que il ne put ne ne dut refuser. Mais pour ce que sa lecture et la simplesce de son engin ne souffist mie a traictier œuvre de si haulte histoire, etc. »

Fin : « De cestui Phelipe désormais parlera lystoire. Et si nentrelaissera pas lystoire a parler du pere jusques a ce point quil trespassa de ce siecle. Car puis que lenfant Phelipe fu ne regna il longuement… »

Nos 9615 7 7, 9615 8 8.

Deux volumes in-4o, papier vélin ; XVe siècle ; relié en basane blanche ; provenant de la bibliothèque de Colbert.

Cet exemplaire d'une bonne transcription est incomplet. Il faudroit un troisième volume, le deuxième ne poursuivant le récit que jusqu'au quatorzième chapitre de la vie de Charles-le-Bel. Il porte au chapitre du comte de Navarre le nom : Gastebrule.

Début : (Le prologue manque.) « Le premier chappitre parle comment les François sont descendus de Troie la grant.

» Quatre cens et quatre ans avant que Romme fust fondee regna Priant en Troie la grant. Il envoya Paris laisne de ses filz en Grece pour ravir la royne Helaine la femme au roy Menelaux, pour soy vengier dune honte que les Greux lui avoient faitte. Les Grigois etc. »

Fin : « Mais nostre sire qui mue les cuers des hommes si comme il veult et en qui puissance sont non pas seulement les roys mais les royaumes et toutes choses… »

No 9625 2.

Un volume in-4o, papier, à lignes longues ; fin du XVe siècle ; relié en veau racine ; provenant de l'ancienne bibliothèque de Baluze.

Ce manuscrit est l'avant-dernier volume d'un exemplaire dépareillé. Il commence au milieu de la vie de saint Louis et s'arrête après la mort du roi Jean. Il est transcrit avec beaucoup de négligence.

Début : (Voy. chap. LXXIII de Saint Loys dans notre édition.) « Coment le roy amanda lestat de son royaume. Apres ce que le roy fut retournes en France il se contint devotement envers nostre sire et fut droicturier a ses subgies. Si regarda que cestoit bonne chose damender lestat de son royaume, etc. »

Fin : (Voyez dans notre édition la fin du roi Jean.) « Mais le roy de France avoit en sa main pour ce que le roy de Navarre sestoit rendu son ennemi. Et par ce le dit messire Bertran laissa ledit captal au roy de France lequel le fist mener en prison ou marchie de Meaulx. »

No 9628.

Un volume in-4o, papier, à lignes longues ; XVe siècle ; demi-reliure.

Premier volume d'un exemplaire dépareillé. Il finit avec l'histoire de Charlemagne. Transcription très-incorrecte.

Début : « Celluy qui ceste œuvre commence. A tous ceulx qui ceste ystoire lyront. Salut en nostre Seigneur. Pour ce que pleusieurs gens devroyent desirer de savoir de la genealogie et de quel original et de quelle lignie sont yssus les roys de France en prist il ceste œuvre a faire par le commandement de tel homme quil ne peut ne ne dust reffuser. Mais pour ce que la lecteure et la simplesse de son engin ne souffit pas a tractier donneur de si hault ystoire, etc. »

Fin : « Et ceulx qui des paiens le garderont et deffendront desserviront la joye de paradis par les merites monseigneur saint-Jacque. A laquelle nous doint tous parvenir par la priere monseigneur saint Jaque. Le roy de paradis qui vit et regne en Trinité parfaite. Par tous les siècles des siècles. Amen. »

Cet exemplaire a été transcrit en 1460 par Pierre de Taise, qui a mis à la fin sa signature.

No 9629.

Un volume in-4o, papier, à lignes longues ; XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes de France sur les plats.

Volume dépareillé et dépourvu de toute autorité, en raison de la date récente de la transcription. Il commence au règne de Charlemagne et se termine avec celui de Henri I.

No 9630.

Un volume in-4o, papier, lignes longues ; XVe siècle ; couvert en parchemin.

Ce manuscrit renferme une chronique toute différente de celle de Saint-Denis. Il auroit même une grande importance si la bibliothèque du roy ne possédoit pas du même récit deux autres manuscrits plus anciens, savoir le no 98. 22, Supplément françois, et 530 du même fonds que j'ai souvent eu l'occasion de citer, pour les règnes de Jean et de Charles V. Mais le no 9630 est particulièrement recommandable pour le récit du voyage de l'empereur Charles IV en France. Il en donne tous les détails moins correctement, il est vrai, mais aussi longuement que le beau manuscrit 8395. A la suite est également la déposition de Jacques de Rue, mais fort écourtée. Le volume se termine par un morceau étranger à nos chroniques : « l'Avis baillié par l'Université de Paris au roy sur le débat des papes. »

No 9649, 9650, 9651, 9652, 9653.

Cinq volumes in-4o, papier, à lignes longues ; fin du XVe siècle ; reliés en maroquin rouge, aux armes de Béthune sur les plats.

Cet exemplaire ne contient que la seconde partie des Chroniques de Saint-Denis, à partir du règne de Saint-Louis. C'est la rédaction définitive : mais comme le relieur de la bibliothèque de Philippe de Béthune, au lieu de tracer sur le dos le titre général de Chroniques de Saint-Denis, s'est contenté, pour chaque volume, d'un titre spécial ; au premier : Les fais du bon roy Saint-Louys ; au second : Les Chroniques de Philippe-le-Bel ; au troisième : Histoire des roys Philippe-le-Bel, Charles-le-Bel et Philippe de Valois ; au quatrième : Les fais du roy Jean et du roy Philippe de Valois ; au cinquième enfin : Les Chroniques des roys Charles V et de Madame ; il en est résulté chez le père Daniel, Villaret, M. de Sismondi et quelques autres, une erreur qui fait peu d'honneur à la critique de ces arrangeurs d'histoire. Ils ont cru que chacun des quatre derniers volumes contenoit une relation des successeurs de saint Louis, différente de celle des Chroniques de Saint-Denis ; et très-fréquemment il leur est arrivé de citer en marge ou en notes comme deux autorités parfaitement distinctes les Chroniques de Saint-Denis imprimées, et la vie manuscrite de Philippe de Valois, manuscrit 9651 : — Les Chroniques de Saint-Denis imprimées et l'histoire inédite du roi Jean conservée dans le manuscrit 9652, etc. La vérité, c'est que ces volumes n'offrent que le texte consacré des Chroniques de Saint-Denis. Seulement la transcription en est fort inexacte.

Début : « Cy commencent les fais et la vie du bon roy saint Loys. — Nous devons avoir en mémoire les fais et les contenances de nos devanciers et nous devons remirer ces anciennes escriptures qui parlent des preudes hommes et de leurs vies. Si comme fut monseigneur saint Loys qui se contint si honnestement en son royaume, etc.

Fin : « Et y morut grant foison de leurs gens et de leurs chevaulx. Et s'en alerent aucuns et emmenerent grant foison de biens. »

Cette fin est au fol. 77. Les dix-sept derniers feuillets qui suivent contiennent : « Ung petit traittié ou quel est contenue et recitée l'occasion ou couleur par laquelle feu le roy Edouart dAngleterre se disoit avoir droit a la couronne de France. »

FONDS DE NOTRE-DAME.

No 134.

Un volume in-folio parvo, vélin, à deux colonnes ; XVe siècle ; relié en veau fauve.

Premier volume d'un exemplaire dépareillé et assez négligemment transcrit. Le récit se poursuit jusqu'à la mort de Philippe de Valois. Au chapitre du comte de Champagne, on lit Gastebrulles.

Début : Ce sont les grans Croniques de France.

« Cil qui ceste œvre commence a tous ceulx qui ceste hystoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs gens doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quelle lignie il sont descenduz emprist-il ceste œvre a faire par le commandement de tel home que il nen pout ne ne dut refuser. Mez pource que sa lettreure et sa simplece de son engin ne soufist pas a tretier de œvre de si haute hystoyre… »

Fin : « Si puet on veoir par fait comment le bon roy Phelipe fu vray catholique et non pas seulement pour lez .II. causez dessous escriptes mais pour pluseurs autres pourcoy nostre Seigneur voult quil eust painne et tribulacion en ce monde afin quil peust avec luy regner perdurablement apres sa mort. »

FONDS DE SORBONNE.

No 423.

Un volume in-folio mediocri, papier, à deux colonnes ; fin du XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes du cardinal de Richelieu sur les plats.

C'est le premier volume d'un exemplaire dépareillé. Il ne conduit le récit que jusqu'au milieu du quinzième chapitre de la vie de Loys-le-Gros.

Début : « Cils qui ceste œuvre commenca a touls cheulx quy ceste histore liront salut en nostre Seigneur pour che que pluiseurs gens se doubtoient de la genealogie des rois de Franche de quel original et de quelle lignie il sont descendus emprist ceste œuvre a faire par le commandement de tel homme que il ne peust ou deubst refuser. Mais pour che que la lecture et la simplaiche de son enghin ne souffist mie a traitier œuvre de si hault histore. »

Fin : « Et lautre menu peuple qui alloiens aux appostres en pelerinage et les fesoit aller a son pie et encliner aussi comme sil feust droit apostre. Et quant y aloient ains pris… »

Nos 425 et 426.

Deux volumes in-folio maximo, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; commencement du XVe siècle ; reliés en veau fauve.

Très-bel exemplaire de la rédaction définitive. Le chapitre du comte de Champagne porte le nom : Gatebrule.

Début : « Cy commencent les grans croniques et les fais de tous les roys qui ont regne en France. Cy commence la genealogie des deux qui regnerent avant quil y eust oncques roy en France et puis apres des roys ensuivent qui apres eux ont regne.

» Cil qui ceste euvre commence, a tous ceulx qui ceste histoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que plusieurs grans se doubtoient de la genealogie des roys de France quel original et de quel lignie il sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commandement de cel homme que il ne pot ne ne dut refuser ; mais pour ce sa lecture et la simplesce de son engin ne souffist mie a traitier de unne si haulte histoire… »

Fin : « Et y morut grant foison de leur gent et de leur chevaux et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de biens. »

No 430.

Un volume in-4o, papier, à deux colonnes ; fin du XVe siècle ; relié en maroquin rouge, aux armes du cardinal de Richelieu sur les plats.

Troisième et dernier volume d'un exemplaire dépareillé. Il commence au règne de Philippe de Valois, et suit la leçon curieuse que j'ai donnée en variante à la fin de ce règne.

Début : « Apres la mort du roy Charles qui bel estoit appelez lequel avoit lessie la royne Jehanne sa femme grosse furent assemblez les barons et les nobles hommes du pais a traitier du gouvernement du royaulme. Car comme la royne feust grosse et on ne savoit quel enfant elle devroit avoir il ny avoit cellui qui osast a lui appliquer le nom de roy bonnement ne usurper… »

Fin. « Et y morut grant foison de leurs gens et de leurs chevaulx, et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de biens. »

No 1005.

Un volume in-fol. parvo, vélin, lig. long. ; fin du XVe siècle ; relié en parchemin vert.

Dernier volume d'un bel exemplaire dépareillé. Il commence à Philippe de Valois, et continue le récit bien au-delà de la mort de Charles V ; d'après Juvenal des Ursins et Jean Chartier.

Début : « Apres la mort du roy Charles qui bel estoit appelle lequel avoit laissie la royne grosse, furent assemblez les barons et les nobles a traictier du gouvernement du royaume. »

Fin (au fol. 182) : « Et y mourut grant foison de leurs gens et de leurs chevaulx et sen allerent aulcuns et emmenerent grant foison de prisonniers. »

FONDS DES GRANDS AUGUSTINS.

No 79.

Un volume in-4o, papier, lignes longues ; commencement du XVe siècle ; couvert en vieille peau blanche.

Premier volume d'un exemplaire dépareillé qui avoit appartenu à Pithou. La transcription en est belle et assez correcte. Le premier feuillet a été arraché, et le récit n'est poursuivi que jusqu'à la fin du douzième chapitre du deuxième livre de Philippe-Auguste.

Début : (Vers la fin du prologue.) « La soustint et garantist comme sa propre partie qui pour introduire en la foy lui fut livree. La seconde raison si peut estre telle que la fontaine de Clergie par qui sainte eglise est soustenue et enluminee flourist a Paris… »

Fin : « Et les villains que le roy avoit exauciez qui pas ne savoient lus darmes ne navoient pas hardement de combattre tournerent en fuitte leurs ennemis qui les virent fouir prinstrent… »

FONDS DU DUC DE LA VALLIERE.

No 33. (Anc. no 5017.)

Un volume in-folio, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; fin du XIVe siècle ; relié en maroquin rouge.

Ce manuscrit d'après lequel on a gravé le frontispice de notre édition in-fol. a été parfaitement décrit par M. Van Praet, dans le 3e volume du Catalogue des livres de M. le duc de la Valliere. Il est d'une admirable exécution, mais la pureté de son texte n'est pas comparable à l'élégance des ornemens et à la netteté de la calligraphie. Il a cela de remarquable qu'à la fin de Philippe de Valois, fol. 422 vo, il porte : Ci fénissent les Croniques de France. Nouvelle preuve de ce que j'ai déjà avancé sur le changement de rédaction à compter du règne de son successeur.

Au chapitre du comte de Champagne, il porte la leçon de Gatebrulle.

Début : « Ci commencent les Croniques de France et premierement le prologue.

» Cil qui cest euvre commence a tous ceulx qui ceste hystoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs gens doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quelle lignie il sont descendus emprist il celle euvre a faire par le commandement de tel homme que il nen pot ne ne dut refuser. Mais pour ce que sa lectrure et la simplesce de son engin ne souffist pas a traitier de euvre de si haulte hystoire, etc. »

Fin : « Et y mourut grant foyson de leurs gens et de leurs chevaulx. Et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de biens. »

Au dessus du dernier feuillet la rubrique porte : « Du roy Charles VI qui a present regne. Dieu lui doint honneur et bone vie. »

FONDS DU SUPPLÉMENT FRANÇOIS.

No 6.

Un volume in-folio maximo, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; fin du XVe siècle ; relié en veau marbré, à l'aigle françoise sur les plats.

Exemplaire dont les miniatures doivent être mises au nombre des plus belles que l'on ait jamais exécutées. M. le comte Auguste de Bastard, si excellent juge, y reconnoît la main de Jean Fouquet, peintre de Louis XI. Le mérite des ornemens a porté malheur à la première feuille du manuscrit qui a été enlevée avant l'entrée du volume dans la Bibliothèque du roi. Quant au texte, je ne l'ai pas trouvé plus pur que celui des manuscrits les plus ordinaires. La date peu ancienne de l'exécution m'a d'ailleurs rarement permis de donner la préférence aux variantes que j'y remarquois. Au chapitre du comte de Champagne il porte le nom : Gaste Brule.

Le premier feuillet conservé commence avec les dernières lignes du prologue : « Que longuement y soient maintenus a la louenge et a la gloire de son nom qui vit et regne par tous les siecles des siecles. Amen. » — « Premier. Comment François sont descendus des Troyens de Troye la grante, etc. »

Fin : « Et y mourut grant foison de leurs gens et de leurs chevaulx, et s'en alèrent aucuns et emmenèrent grant foison de biens. »

No 7.

Deux volumes in-folio, vélin, à deux colonnes ; XVe siècle ; reliés en veau marbré, à l'aigle françoise sur les plats.

Exemplaire horriblement mutilé. Tous les ornemens en ont été coupés. D'après une note attachée dans le premier volume, on voit que le célèbre antiquaire d'Agincourt l'avoit présenté au mois d'avril 1774 au prince de Soubise : la révolution françoise en fit la propriété de la nation. Mais si d'Agincourt attachoit à son présent quelque prix, c'étoit sans doute en raison des miniatures qui l'ornoient. Les auroit-il lui-même arrachées avant de se défaire des volumes? On aura grand' peine à le croire ; et certes tel qu'il est aujourd'hui, le présent n'étoit plus digne d'un personnage tel que le prince de Soubise. La mutilation aura donc plutôt eu lieu dans l'intervalle écoulé entre la saisie des objets trouvés à l'hôtel de Soubise et le dépôt de ce volume dans la bibliothèque nationale.

La transcription commence par une table générale de toutes les chroniques. Puis à la suite de cette table :

« Cy commence le prologue de lauteur qui a translate les Croniques de France.

» Cils qui ceste euvre commence. A tous ceulx qui ceste histoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs se doubtoient de la genealogie des Roys de France duquel original et de quelle lignee ilz sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commandement de tel homme quil ne povoit ne ne devoit refuser. Mais pour ce que sa lecture et la simplesce de son engin ne souffisoit mie a traictier dune si haulte histoire, etc. »

Fin : « Et y morut grant foison de leur gens et de leur chevaux, et sen alerent aucuns et emmenerent grant foison de biens. »

Le chapitre du comte de Champagne donne la leçon de Gatebrule.

No 218.

Un volume in-4o maximo, vélin, à deux colonnes, miniatures et initiales ; première partie du XIVe siècle ; relié en maroquin rouge.

Cette leçon est, après celle de Sainte-Geneviève, la plus ancienne que je connoisse. Elle poursuit le récit historique jusqu'à l'année 1330, mais il faut distinguer dans la composition générale deux parties : la première s'arrête à la mort de Philippe-Auguste et présente le texte définitif des Chroniques de Saint-Denis ; la seconde n'offre plus que des matériaux historiques empruntés surtout aux continuateurs de Nangis, matériaux employés plus tard avec réflexion par le rédacteur définitif des Chroniques de Saint-Denis, et qu'après lui j'ai pu souvent consulter avec fruit pour compléter ou éclaircir le récit. La solution de continuité que l'on trouve ici après la mort de Philippe-Auguste est d'ailleurs une nouvelle preuve du grand espace de temps écoulé entre la rédaction de ce dernier règne et celui du règne de saint Louis. Il est en effet vraisemblable qu'en l'année 1318, époque de la transcription de presque tout ce volume, la vie de saint Louis n'étoit pas encore rédigée, telle qu'elle a été faite pour les Chroniques de Saint-Denis. Mais comme cette question doit être approfondie dans une dissertation spéciale, il nous suffira de remarquer ici que le no 218 est en général transcrit avec le plus grand soin, et qu'il offre même pour le récit antérieur à Louis VIII un grand nombre de variantes dont j'ai fait mon profit. Les premières lignes du volume sont une longue rubrique que nous allons transcrire :

« Ci commencent les Croniques des roys de France, depuis le temps des premiers roys qui y furent jusques au temps du roy Phelippe qui fu fils Phelippe le Biaux et frere le roy Looys. Lesquelles Pierres Honnorez du Neufchastel en Normendie fist escrire et ordener en la maniere que elles sont selonc l'ordenance des Croniques de Saint-Denis a mestre Thommas de Maubeuge, demorant en rue Nostre-Dame-de-Paris. Lan de grace Nostre Seingneur mil CCC et XVIII. Et contiennent trois generacions. Dont la premiere si est du roy Merove comment que il y eust bien autres roys devant lui. La seconde du roy Pepin. La tierce de Hue Capet. Et pour ce que trop fort chose seroit a trouver briefment les hystoires et les autres choses qui y sont contenues cest livre est ordene selonc les trois generacions par nombre. Et qui voudra lire ci apres il sera enseingnie et avisie de trover par le nombre ce que il demandera qui ou livre sera contenu. »

Suit alors la table jusqu'aux premières années de Phelippe-le-Biau, fol. 127 du Manuscrit. A partir de là, les feuillets ne sont plus nombrés en rouge par le scribe primitif. Cependant comme le point d'écriture ne change pas dans les pages suivantes, il est à croire que le même scribe aura poursuivi la transcription jusqu'au feuillet 148 Ro, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année 1316. Les derniers mots de l'ancienne écriture répondent dans notre édition au 4e alinéa du huitième et dernier chapitre de Louis Hutin. Les voici :

« Et en y cest an aussi el mois de septembre Robert dArtois fiex Phelippe dArtois qui fu fiex Robert le conte dArtois. Qui morut a Courteray en Flandres. Entra a tout grant et noble chevalerie de chevaliers ensemble alies en la cyte dArras. A li usurpant et prenant aussi comme par violence la conte dArtois ou prejudice de la contesse dArtois fille le dessus dit Robert conte dArtois. »

Le reste, jusqu'au folio 161 et dernier, est d'une écriture postérieure à la rubrique du commencement. Le récit se poursuit ainsi jusqu'à l'année 1329, et le dernier alinéa se rapporte au neuvième chapitre de Phelippe de Valois dans notre édition. Le voici :

« En cel temps et un enffant à Pauponne en leveschie de Paris dentour .VII. ans et dirent pluseurs simples gens que come par miracle il garissoit de diverses maladies et disoit aus malades mangies des pocs en non de sante ou metes. 1. pou feluiel sus vostre mal et par ce faire disoient les simples gens que il garissoient. Dont assez tost levesque de Paris envoia querre icel enffant et son pere et sot par verite que ce nestoit que simplesce et ignorance et que du fait quant a miracles riens ni avoit. Et ainssin renvoia lenffant et deffendi par son eveschie que nuls ja plus nalast en tel esperance de garir. Et ainssi celle folle renommee de cel enffant cessa. »

No 632 19.

Un volume in-4o, papier, à lignes longues ; XVe siècle ; relié en vélin blanc.

Volume dépareillé contenant le texte des Chroniques abrégées. Il commence au règne de Philippe-le-Bel et se termine avec le premier chapitre du règne de Charles VI.

No 1541 A et B.

Deux volumes in-folio, vélin, à deux colonnes et miniatures ; XVe siècle ; reliés en maroquin.

Cet exemplaire de la leçon définitive n'a pas été terminé. La copie s'arrête à la fin du chapitre XXe de Charles V, année 1369. Le scribe a montré beaucoup d'intelligence dans cette transcription dont je me suis fréquemment servi. Elle offre la variante précieuse que j'ai placée dans les Addenda, à la fin de la vie de Philippe de Valois. Le chapitre du comte de Champagne donne le nom : Gastebrulles.

Début : « Cil qui cest euvre commence a tous ceulx qui ceste hystoire liront salut en nostre Seigneur. Pour ce que pluseurs gens se doubtoient de la genealogie des roys de France de quel original et de quelle lignie ilz sont descendus emprist ceste euvre a faire par le commendement de tel homme qui ne le pot ne deut refuser. Mais pour ce que sa lettreure et sa simplesce de son engin ne suffist mie a traitier de euvre si haulte hystoire, etc. »

Fin : « Item, que veues et considerees les choses dessus dictes lesquelles sont venues a la cognoissance du roy de France. Et nouvellement il nous appert que le roy dAngleterre et le prince ne doivent user desdictes souverainetes et ressors. Et que tout ce que fait en ont doit estre rappelle et mis au neant. La VIIe… »

BIBLIOTHÈQUE DE SAINTE-GENEVIÈVE. Msc. coté L. F. 2.

Un volume in-folio parvo, vélin, à deux colonnes, miniatures, vignettes et initiales ; fin du XIIIe siècle ; relié en veau fauve.

Cette précieuse leçon est d'une écriture extrêmement belle. Le récit de nos chroniques est poursuivi jusqu'à la mort de Philippe-Auguste. C'est à ce point là que le volume s'arrêtoit originairement, comme la preuve doit s'en tirer des célèbres vers de présentation transcrits à la suite d'une feuille de garde qui sépare le règne de Philippe II de la vie de saint Louis. Comme je l'ai dit à la fin de la vie de Philippe-Auguste, le volume fut exécuté pour Philippe-le-Hardi, et l'abbé de Saint-Denis chargea de ce grand travail l'un de ses moines. Dans la miniature curieuse placée au-dessus des vers de présentation, le moine agenouillé offre le livre au roi, et l'abbé de Saint-Denis étendant la main gauche sur la tête du moine s'exprime ainsi :

Phelippes rois de France qui tant es renommes,
Je te rens le romans qui des rois est romes ;
Tant a cil travaillie qui Primas est nommez
Que il est Dieu merciz parfaiz et consumez, etc.

La vie de saint Louis, ajoutée au volume primitif, doit avoir été transcrite vers le milieu du XIVe siècle. Tandis que le surnom de saint donné partout à Louis IX prouve déjà que cette transcription est postérieure à l'année 1298, le caractère des initiales, surtout celui de la première, me décideroit à la rejeter au règne du roi Jean, quand même certaines modifications palpables de l'ancienne orthographe françoise ne justifieroient pas cette conjecture. Ainsi l'on trouve partout le conte au lieu du nominatif du XIIIe siècle et de la première moitié du XIVe li quens. Quoi qu'il en soit, cette vie de saint Louis n'en a pas moins été le modèle exactement suivi par Henry du Trevoux, copiste du manuscrit de Charles V ; et ce volume lui a seul permis, dans le chapitre des amours de Thibaud, d'écrire correctement le nom de Gace Brulé.

Je ne fais donc pas difficulté de le regarder comme le plus ancien manuscrit des Chroniques françoises proprement dites de Saint-Denis. Et qu'il ait été mis entre les mains de Henry du Trevoux, c'est ce qu'il me sera facile de démontrer par les observations suivantes :

1o La reproduction du manuscrit de sainte Geneviève est exacte dans le no 8395, partout où quelque mot tracé légèrement à la marge du volume modèle n'a pas averti Henry du Trévoux de changer quelque chose à la première transcription. Ainsi au folio 158 ro, Primas avoit réuni les deux chapitres 7 et 8 du IVe livre de Charlemagne ; mais le reviseur de son travail a écrit à la marge, au point où devoit finir le 7e chapitre : Cam. VIII. Et Henry du Trévoux de se soumettre à cette indication et de remettre en place la rubrique du VIIIe chapitre. (Voy. fo 125 vo.) Une autre omission analogue est indiquée dans le texte de Primas, au fo 187 vo, et réparée par Henry du Trévoux au fo 148 ro.

Bien plus : au fo 202 ro de Primas, l'index offre treize chapitres ; mais cette distribution est embarrassée, parce que, entre le septième, où s'arrête la vie de Louis-le-Baube, et le huitième, l'incidence de l'histoire des Normands devient l'occasion de quatre rubriques distinctes de ces treize chapitres. En cet endroit le préparateur a donc écrit : « Henry ne faites ci pas de capitres usque ad signum — car ces capitres ne servent ci de rien. » Henry du Trévoux n'a donc en conséquence énoncé avant la vie de Louis-le-Baube que sept chapitres (fo 160 ro).

Au fo 209 ro de Primas, on lit à la marge d'une miniature : « Henry ne laissies ci point dhystoire. » En effet dans le passage correspondant du manuscrit 8395, fo 165 ro, on ne trouve qu'une petite initiale à la place de la miniature ou histoire du modèle.

Tous ceux qui ont feuilleté des manuscrits anciens à miniatures ont pu souvent remarquer, à l'extrémité des marges extérieures, des piqûres d'épingle ou d'aiguille en nombre égal à celui des lignes de l'écriture. Le volume de Primas va nous apprendre l'usage de ces piqûres. A la marge du fol. 211 vo, je lis : « Faut .I. ystoire de .VI. poins. » Et dans le travail de Henry du Trévoux l'endroit correspondant est rempli par une grande initiale carrée de la longueur de six points ou lignes. — Au fol. 219 ro de Primas, on recommande deux vignettes de huit poins ; et dans la copie de Henry, deux vignettes carrées occupent l'espace de huit lignes dans l'endroit indiqué. — Au fol. 156 vo de Primas, je trouve écrit à la marge : Hystr. double XXVI lignes. Au fol. correspondant du numéro 8395, on a mis une histoire ou miniature double tenant la place de vingt-six des lignes de la copie.

Je dois encore remarquer que ce volume présenté à Philippe-le-Hardi étoit encore la propriété de Charles V, comme l'atteste la signature de ce grand roi, tracée à la fin du volume. Ainsi pour exécuter la leçon du no 8395, Henry du Trévoux n'aura pas eu besoin de quitter la librairie royale du Louvre.

FIN.