The Project Gutenberg eBook of Le Bourdeau des neuf pucelles

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Title: Le Bourdeau des neuf pucelles

Author: Charles-Théophile Féret

Release date: November 21, 2021 [eBook #66781]

Language: French

Credits: René Galluvot (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BOURDEAU DES NEUF PUCELLES ***

Le Bourdeau
des neuf
PUCELLES

Par
Charles-Théophile
FERET

Editions
DES CAHIERS LITTÉRAIRES
2, rue du Panorama
CAUDÉRAN-BORDEAUX

1923

Du même Auteur :

Poésie :
LA NORMANDIE EXALTÉE, deuxième édition, entièrement refondue. Tirage à 400 exempl. sur papier de luxe, chez Rey, 8, boulevard des Italiens, Paris 12 fr.
LE VERGER DES MUSES, tirage à 300 exempl. chez Dumont à Paris Épuisé
L’ARC D’ULYSSE, tirage à 500 exemplaires, à Belles Lettres, 89, boulevard Exelmans, Paris 6 fr. 50
LES COURONNES, tirage à 300 exemplaires, à Belles Lettres 10 fr.
LE BOURDEAU DES NEUF PUCELLES, aux Cahiers Littéraires, 2, rue du Panorama, Caudéran-Bordeaux  
(Tous les autres recueils épuisés)
 
Théâtre :
MAITRE FRANÇOIS VILLON, 5 actes en prose. Épuisé
UN IMPROMPTU CHEZ LE DUC DE CHOISEUL, 1 acte en prose et vers, non mis dans le commerce.  
Roman :
LA RÉINCARNATION DE CLAUDE LE PETIT, à Belles Lettres 6 fr. 75
LE TIROIR AUX POLICHINELLES (sous presse), à Belles Lettres  
Critique :
Tous les ouvrages de critique épuisés, excepté chez Garnier frères, à Paris : l’Anthologie Critique des Poètes Normand de 1900 à 1920, avec collaboration de Raymond Postal 15 fr.

Le Bourdeau des Neuf Pucelles

Pour lire à la lanterne du Bourdeau

Empruntant en partie à Claude Le Petit le titre de ce livre, le moins que je puisse faire c’est de le lui dédier, et de rajeunir la mémoire de sa mésaventure. Il mérita d’être appelé « Théophile le jeune » non seulement parce qu’il fut le successeur de Théophile de Viau dans la littérature libertine, non seulement, comme le dit Frédéric Lachèvre, « parce qu’il a réalisé le type de l’impie et de l’athéiste dépeint 35 ans auparavant par le père Garasse, » mais aussi pour un talent égal à celui de son maître, et certainement il serait aujourd’hui classé parmi les grands poètes du siècle de Louis XIV, s’il n’avait été brûlé à 23 ans. Que resterait-il des meilleurs, si leur carrière avait été interrompue au milieu de leur cinquième lustre ? Les plus belles ballades de Villon datent de « l’an trentième de son âge ». Et l’on peut assurer que, si l’arrêt des juges de Mesmes et du Tillet a, sans pitié mais non sans raisons, sous un gouvernement fort, défendu l’ordre religieux et monarchique, il a privé les lettres françaises d’un grand écrivain, que l’expérience de la vie eût certainement amendé. Il a bâti un « clapier », il eût élevé un temple.

Voici des vers de Claude sur un de ses ouvrages :

A moi-même, sur mon livre de « L’Heure du Berger » :

Quoique l’on me puisse dire
De mon Heure du Berger,
Je n’ai fait que la décrire.
Je n’ai fait que la songer :
Dedans l’Amoureuse Histoire,
Le plaisir plus que la gloire
Flatte mon âme en ce jour,
Et je bénirois ma ruse
Si j’avois trouvé chez l’Amour
Ce que j’ay trouvé chez la Muse.

Dans les vers suivants il a peint un poète crotté avec des traits dignes de Saint-Amant :

Quand vous verrez un homme avecque gravité,
En chapeau de clabaud promener la savate,
Et le col estranglé d’une sale cravate,
Marcher arrogamment dessus la chrestienté,
Barbu comme un sauvage, et jusqu’au cul crotté,
D’un haut-de-chausses noir, sans ceinture et sans patte,
Et de quelques lambeaux d’une vieille buratte
En tout temps constamment couvrir sa nudité,
Envisager chacun d’un œil hagard et louche,
Et mâchant dans ses dents quelque terme farouche,
Se ronger jusqu’au sang la corne de ses doigts,
Quand, dis-je, avec ces traits vous trouverez un homme,
Dites assurément : C’est un poète françois ![1]
Si quelqu’un vous dément, je l’irai dire à Rome.

[1] Poète faisait 2 syllabes dans la prosodie du XVIIe.

Obligé par prudence de s’exiler, Claude se dirigea vers l’Espagne, nous apprend Lachèvre. Tandis qu’il traversait la ville huguenote de La Rochelle, un gueux lui vola son manteau :

A LA VILLE DE LA ROCHELLE

Toy, dont tout le malheur causa toute la gloire,
Qui t’immortalisas en t’osant rebeller,
Ville, qui ne pouvois pas mieux te signaler
Qu’en rendant les Vainqueurs fâchés de leur Victoire :
Rochelle, quand je lis ton siège dans l’histoire,
Dieu ! que ta catastrophe ayde à me consoler,
Et que dedans l’estat où l’on me voit aller,
Ma disgrâce m’est douce, et charme ma mémoire !
Tais-toy donc, désespoir, je ne t’écoute plus ;
Tous tes tristes conseils sont vains et superflus ;
Cesse d’entretenir mon âme désolée.
Si le plus juste Roy qui fut jamais ici
T’a sans nécessité jadis démantelée,
Un gueux me pouvoit bien démanteler aussi.

Voici l’histoire de l’arrestation et du supplice de Claude Le Petit, selon la version de Lefèvre de Saint-Marc que j’ai adoptée dans Le Verger des Muses. Dans ces vers je fais parler le poète selon la vraisembance de ses rancunes ; il n’exprime pas mes sentiments personnels.

A CLAUDE LE PETIT

qui a écrit Le Bordel des Muses ou Les Neuf Pucelles Putains, et en fut puni par le bucher, en place de Grève, le 1er Septembre 1662.

I

Ah ! le vent ! Maudit soit le vent des mers sauvages
Egaré sur mon toit… Ah ! pourquoi sur le mien ?
Dans ce Paris dévot, fief du Roi très chrétien,
Ce soir de si beau rêve et de si beaux nuages.
Que n’allais-tu briser l’innocence des chênes,
Dieu qui gronde ? Irriter sous les ronces le cou
Des vipères ? Emplir de faim rauque le loup ?
Sur le sable effacer les pistes de la haine ?

II

Le lointain bouclier d’une vitre éclatante
Renvoyait au soleil ses feux roses et pers.
J’attendais une femme, et j’écrivais des vers.
L’heure sonna, ma main s’énervait de l’attente.
La femme ne vint pas. Pour un ruban peut être ?
Un autre amant ?… Ah ! fausse, il fallait accourir,
Etre très belle pour me faire mieux souffrir,
Crier ta trahison… j’eusse clos la fenêtre.
Je passais le joujou des rimes à la ponce.
Sur ma table, la brise agrippe des papiers.
Dans la rue, un abbé les ramasse à ses pieds,
Les parcourt, marque ma fenêtre, et me dénonce.
J’étais perdu. J’avais écrit pour des libraires,
Cette espèce qui nous déshonore à bas prix.
Messieurs de la Grand’Chambre, au vu des manuscrits,
Pour lèse-majesté divine m’adjournèrent.
Et je fus convaincu par arrêt, sur la plainte
Du Procureur, après qu’ils m’eurent bien tordu !
D’avoir plongé honteusement au vase indu,
Morgué l’honneur de Dieu, de l’Eglise, et des Saintes ;
Très méchamment blessé par malice aggravante
Le sein sans tache où le Corps-Dieu prit son berceau,
« En l’infâme Sonnet, cy placé sous le sceau,
« Qui fut dans le ressort de la cour mis en vente. »

III

Quand les gitons royaux, que Gomorrhe consume,
N’ont à craindre de la Cabale des Dévots
Que sourires pincés et Lætificat vos !
Il ne faut pas moins d’un bucher contre une plume.
On m’extrait des prisons, puante fosse. Au porche
De Notre-Dame on me conduit en tombereau.
— « Poésie, allons, gueuse ! A genoux ! » Le bourreau
Me met au col la corde, au poing l’ardente torche.
Et, mitré, je demande en chemise soufrée
Pardon à Dieu, pardon au Roi. — Quelle oraison
Pour être à vingt-trois ans ma dernière chanson !
Un sot abbé me prêche en style de l’Astrée.
Puis je vais vers la Grève, encadré d’arquebuses.
On me tranche le poing, et mes vers sont brûlés.
Mais j’ai la grâce, avant d’être ars, d’être étranglé,
Par grand faveur d’un Président ami des Muses.
Me le devait-il pas, étant bibliophile,
Friand de livres qui courent sous le manteau ?
Les miens saisis, il eut mon Ronsard in-4o,
L’Espadon satirique, et mon cher Théophile,
Trésors qu’en maroquin il compte bien défendre.
Il part, tâtant un livre obscène en ses houseaux,
Cependant que le vent se lève sur mes os,
Reconnaît sa victime, et disperse mes cendres.

L’admirable érudit, M. Lachèvre, qui a renouvelé la connaissance que nous avions, ou pensions avoir de l’histoire du libertinage au XVIIe, donne une autre version de l’arrestation, mais tout le monde est d’accord sur les circonstances de la condamnation et du supplice.

Claude, quelques heures avant le fagot, put faire connaître au baron de Schildebek où était caché le manuscrit du Bordel des Muses. Et rassuré sur le sort de son œuvre, que son ami promettait de publier, il marcha au bucher sans défaillance.

Le Sodomite Jacques Chausson, dit des Etangs, l’y avait précédé, et Le Petit lui avait adressé ce cynique adieu :

Amis, on a brûlé le malheureux Chausson,
Ce coquin si fameux, à la tête frisée ;
Sa vertu par sa mort s’est immortalisée :
Jamais on n’expira de plus noble façon.
Il chanta d’un air gai la lugubre chanson,
Et vestit sans pâlir la chemise empesée,
Et du bucher ardent de la pile embrasée,
Il regarda la mort sans crainte et sans frisson.
En vain son confesseur lui prêchait dans la flamme,
Le crucifix en main, de songer à son âme :
Couché sous le poteau, quand le feu l’eut vaincu,
L’infâme vers le ciel tourna sa tête immonde ;
Et pour mourir enfin comme il avoit vécu,
Il montra, le vilain, son c.. à tout le monde.

L’exemple n’avait donc pas servi à cette tête folle. Schildebek tint sa promesse, et fit imprimer à Leyde en 1663 ce qu’il put recouvrer du Bordel des Muses, dont une partie importante avait été dérobée.

Or, de cette Edition de Leyde, s’il nous reste la Table générale des Matières, indiquant un ouvrage composé de 4 parties, et d’environ 78 poèmes, nous n’avons plus que 4 stances, une épigramme, 4 ou 5 sonnets. Le reste a péri.

Mes vers n’ont pas la prétention de remplacer les absents. Le lecteur y trouvera avec moins de génie, moins de crudité. Je ne plonge point aux vases indus[2], les mots orduriers me répugnent. On expliquera ma retenue par l’âge et la prudence qu’enseigne le bucher. Ceux qui croient aux réincarnations penseront que le supplice du feu m’a purifié. Le roman que j’ai publié sous le titre « La Réincarnation de Claude Petit » n’est pas mon autobiographie. Ceux qui me connaissent savent qu’il s’en faut. Aussi ont-ils cherché moins dans le style de ma vie que dans la vie de mon style des rapprochements avec celui qui fut brûlé en 1662.

[2] Rien n’établit, au surplus, la bougrerie de Claude. Le sonnet où Jacques Chausson est traité d’infâme, permet de croire que ce vice odieux répugnait à l’auteur de L’Heure du Berger.

Les autres ont raconté qu’avant d’avoir lu dans Lachèvre certains poèmes de Le Petit, je me les étais récités à moi-même en rêve ; et qu’après leur publication, si je commençais la lecture d’un sonnet, il m’arrivait de l’achever de mémoire. Mais les Normands ne sont pas prompts aux confessions publiques ; un seul pourrait dire si, descendant profondément en lui-même, il y reconnaît quelques signes d’identité ou de parenté avec Claude.

Ce n’est qu’une ressemblance superficielle de constater qu’il était normand comme je le suis. Il s’est déclaré normand à ses juges. Au lieu qu’il indiqua pour celui de sa naissance, vivaient ses parents homonymes, à Beuvron, diocèse, parlement et intendance de Rouen. Là, il avait été comme moi-même, élevé par une tante. Pourtant M. Lachèvre l’a fait parisien, sous prétexte qu’il n’a pas retrouvé aux registres de la paroisse le nom de Claude Le Petit. Mais il pouvait être protestant, comme tant d’autres libertins nés dans cette religion des tristes et qui en sortirent par vocation naturelle pour la joie. Ainsi St-Amant, si Tallemant est à croire. Ainsi Bois Robert et le Cardinal du Perron. M. Lachèvre, qui sent naître l’objection, la réfute d’avance en s’appuyant sur le fait que notre poète fut élève des Jésuites. Mais ceux-ci élevaient de jeunes huguenots, pour les convertir en douceur avant de le faire par dragonnades. Si riche que la Normandie soit en poètes, je la conjure de ne pas renoncer à celui-ci, dont à défaut de naissance constatée, la race n’est contestée par personne.

Si mon prédécesseur fut huguenot et s’il fut bougre, je déteste la bougrerie et suis né dans la religion catholique. A défaut de la foi, je respecte le culte de mes aïeux, et me désolidarise des infâmes sonnets de Claude Le Petit contre la Vierge. J’ai pour elle, sinon la foi de Villon, sa piété.

Mais je n’ai pas les mêmes scrupules pour outrager Calliope et donner le fouet à la Muse Erotique. Qu’elles en rient ou qu’elles en jouissent ! N’a-t-on pas vu des passionnés se plaire à ces punitions ?

Des contemporains de Claude, incapables de pactiser avec ses péchés, l’ont défendu ou expliqué. Schildebeck a écrit :

« Claude composait plus par boutade que par malice. Il faisait moins des vers profanes et satiriques par impiété et profanation que par caprice et fantaisie. »

Le baron ajoute : « Il vaut mieux bien faire du mal que mal faire du bien, et le poète est excusable en cela qu’il était né si fatalement pour la satire et pour les femmes, qu’il lui était aussi impossible de ne point écrire que de ne point chevaucher. »

Voilà qui paraît plus juste que l’arrêt de de Mesmes, en tout cas moins impitoyable.

Les Muses ont trahi ce jeune homme qui avait été leur courtisan, et il peut lui déplaire, aux Champs Elysées, de les entendre toujours nommer « Pucelles » ou « Chastes Sœurs ». Il les a connues chez les Libertins et les dénonce impudiques. N’est-il pas vrai que plus d’Aventuriers se sont baignés nus avec elles dans leurs fontaines, que d’Avaricieux parmi les sablons du Pactole ? Est-il poètereau qui ne se soit réclamé de leur lit ? A tout barde qui prend son luth, elles donnent un baiser. Et la suite. Claude leur fait des reproches moins graves que Baudelaire dans Bénédiction. Et Baudelaire n’est pas mort sur un bucher, lui. Plus que la colère du fils de Pelée, les Muses ont précipité chez Pluton une foule de héros. Ceux qu’elles marquent à leur signe, souvent sont promis aux corbeaux et aux chiens. Phœbus Apollo, chef de chœur, trop souvent s’élance de l’Olympe en fureur ; « les flèches redoutables sonnent à chaque pas sur ses épaules. »[3] Et Villon en fut percé. Et Deubel. Et Chénier, qui pourtant l’avait prié par son arc d’argent sous le nom de Sminthée !

[3] Homère, Iliade.

Combien nous serions excusables de représailles moins joyeuses. Or, pour Cour de justice, nous n’assemblons contre les Neuvaines qu’un Décaméron. Eros peui les exclure de ses fêtes, et la Volupté chanter sans leurs secours.

Jouir comme Rire est le propre de l’homme. J’ai ri et me suis amusé dans ce livre, où je n’ai offensé que des Mythes, mais indestructibles. Parce que l’œuvre de Claude a été réduite en cendres, et parce que les feuilles de son manuscrit ont été dispersées, je lui ai donné la consolation posthume d’en remettre au moins le titre en lumière, le titre que j’ai considéré comme un legs. Mais j’en ai abandonné un peu pour frais d’hoirie. L’archaïsme de Bourdeau est moins voyant que le mot qui finit en del. Et sans craindre les Pères Garasse[4], je fuis le mot scandaleux. Tiré à petit nombre, ce recueil ne mérite que le Purgatoire, indigne de figurer dans l’Enfer de la Bibliothèque Nationale, de Fernand Fleuret et Perceau, s’ils en font une nouvelle édition.

Ch. Th. F.

[4] L’illustre philosophe Jules de Gaultier, interrogé par Maurice Caillard à propos de la croyance aux Réincarnations a répondu : « Théophile Gautier dans l’admirable madrigal Panthéiste des Affinités Secrètes ouvre d’autres perspectives à travers lesquelles les souvenirs hantés du romancier de Claude Le Petit pourraient trouver peut-être à se préciser. L’hypothèse poétique de Gautier suppose une sorte de mémoire atomique qui fait se reconnaître les éléments juxtaposés des formes anciennes, lorsqu’après les dissociations mortelles ils se rencontrent dans des corps nouveaux.

De cette hypothèse poétique dans la matière de laquelle Gautier a ciselé une si délicate et si précieuse orfèvrerie, je ne doute pas que M. Feret ne soit habile, s’il lui plaît, à tirer une application favorable à sa thèse.

Je ne prendrai pas parti… Je m’en tiens à souhaiter, avec beaucoup de force, que les atomes, où s’assemblèrent jadis les formes maléfiques des Juges et des Bourreaux de Claude Le Petit, n’aillent pas se reconstituer de nos jours, tandis que ce poète libertin, dissimulé sous le masque protecteur de Ch. Th. Féret, compose encore pour nous de beaux poèmes et d’ingénieuses fictions. »

Jules de Gaultier.

CALLIOPE
Muse de l’Épopée et de l’Éloquence

LE PUCELAGE DES MUSES

Fatidicae jacent sine laude Camœnae.

I

De tel père filles telles.
Et Jupin, qui sur le dos
Verse Nymphes et mortelles,
Change l’Olympe en bourdeaux.
Lanterne du corridor,
Vénus cligne ses yeux d’or.
Piérides, en pierreuses,
S’ouvrent à tout espadon,
Si pour Jean Racine creuses,
Creuses aussi pour Pradon,
Avec autant de maris
Que les Odes ont d’Iris.
La Volupté, que leurs ruses
Insinuent au fond des os,
Aima les autels des Muses
Près des jaillissantes eaux,
Pour s’y laver à loisir
De l’écume du plaisir.

II

S’excitant à leur histoire,
La Clio prend des soudards
Encor tout sanglants de gloire
Dans son lit fait d’étendards,
Et se colle à ces lurons
Comme la bouche aux clairons.

III

Polymnia, mal coiffée,
Aime rêver à l’écart,
— La paume au menton, — d’Orphée
Qui l’honora d’un bâtard.
L’été, dans les Casinos,
Elle chante aux pianos.

IV

Au danseur qu’elle évalue
Plus touché de ses desseins,
Terpsichore, elle, s’englue,
Et l’imprime sur ses seins,
En lui poussant sous le nez
La touffe aux bras safranés.

V

L’enchargeant des dolosives
Sirènes, Achéloos
Au bord des mers offensives
Le chaste flanc a déclos
De Melpomène, et depuis
Elle a connu d’autres nuits,
Les Aulis, et les Suburres,
L’Œta funeste au héros,
Et le col des vierges pures
Trucidé comme taureaux.
Ah ! l’orgiaque Byblos
A déchiré ce péplos.

VI

En Ménade tu trébuches,
Euterpe, ivre sous le joug
De Bacchus, parmi les cruches
De ton dieu qui monte un bouc ;
Puis t’unis dans le limon
Avec le fleuve Strymon.
Aristote, de ta double
Flûte, nous dit que le son
Pousse à la colère, et trouble
Les sens avec la raison.
Pallas proscrit l’instrument,
De ses traits purs le tourment.

VII

La Muse de l’hyménée
Debout, lève son plectrum.
C’est une passionnée,
Souvent nue, amat virum.
Mais sur le double coteau
Qui mieux m’accueille ? Erato.

VIII

Thalie a fait quelque frasque
Chez les satyres bouquins
Avant de porter le masque
Comique et le brodequin.
Et, sous la table, aux rouliers
Ses pieds se sont mésalliés.

IX

Uranie, en toi ne chôme
Nulle sphère ; un jeu risqué
Gagne ta gorge à la paume,
Tes fesses au bilboquet.
La plèbe des petits dieux
Gratte au compas les Saints-Lieux.

X

Or toutes ces Demoiselles,
Du sourcil jusqu’au talon,
Te les garantit pucelles,
Qui donc ? Madame Apollon,
Et ne te crois pas dupé
Par cette Kalliopé.

XI

Au double mont, si quelqu’une
T’attend, — quelqu’une des Neuf, — Dis
que ta bonne fortune
T’offre un vase sain et neuf.
Ne diffame point ce lis
Le rimant à Syphilis.
Le vainqueur de Cérisole
— Et dame ! il te valait bien ! —
N’a pas perdu la boussole
Pour l’émail italien
Dont Vénus sous le cimier
Couronna François premier.
Si tu fuis ces chambrières,
De Ronsard fais bon marché,
Qui de leurs serre-croupières
Sur son Pégase écorché,
Sue encore aux Phlégétons
Sous le pourpoint à boutons[5].

16-II-23.

[5] Allusion au titre d’un livre célèbre, édité à Lyon, chez François Juste, devant Nostre-Dame-de-Confort en 1539 : LE TRIOMPHE DE DAME VEROLE, Le pourpoint fermant à boutons.

EUTERPE
Muse de la Poésie Lyrique et de la Musique

En Ménade tu trébuches,
Euterpe, ivre sous le joug
De Bacchus, parmi les cruches
De ton dieu qui monte un bouc ;
Puis t’unis dans le limon
Avec le fleuve Strymon.

CHANSON

J’ai vu sur son dodo
Ses quinze ans de brunette,
Qu’Amour croit trop jeunette
Pour porter son fardeau.
Et n’avait la fillette
Que ses mains sur son cœur
Pour cacher son honneur.
Ah ! fi du doigt pâlot
De la fausse nonnette,
Qui dans sa ravinette
Joue, et craint le lolo !
Les mains de la fillette
Qui dormaient sur son cœur
Y serraient sa candeur.
Donc ne laissant Margot
Rien à la devinette,
— Sadinet ! Sadinette ! — [6]
Je l’ai vue à gogo.
Or a fait la fillette
De ses mains sur son cœur
Prisonnier son voleur.

[6] Du Sadinet, fi ! (Villon).

O hyménée ! Io !
Ces pommes de reinette,
Mûres pour la dinette,
Je leur ferai jojo.
J’éveillai la fillette
Et la main sur mon cœur
Lui jurai le bonheur.
Hier, soufflé le flambeau,
La trouvai close et nette ;
Et rompant la chaînette,
Lui fis un peu bobo.
O printemps de fillette,
Ses deux mains sur mon cœur
M’ensemencent de fleur.

ERATO

La Muse de l’Hyménée
Debout, lève son plectrum.
C’est une passionnée,
Souvent nue. Amat virum.
Mais sur le double coteau,
Qui mieux m’accueille ? — Erato.

MA VOISINE

Quand le jour a brûlé sa chair grassette et blonde,
— Poreuse alcarazas dont sue en perles l’onde,
Pulpe que la brunette a d’un grain plus serré, —
A sa fenêtre ma voisine au chef doré,
Se fiant au feuillage, à la nuit ingénue,
Apparaît languissante, et luit pâlement, nue.
Nue ! elle ne sait pas la brèche en ses tilleuls,
Et qu’aux poètes comme aux derniers faunes, seuls,
Les dieux livrent encor la blanche proie hellène,
Nymphe des monts ou de la mer à Mytilène ;
Que du jardin nocturne et de lune trempé
Ils nous font ou l’Hymette ou le val de Tempé ;
Car les yeux bleus du rêve ont des vertus secrètes
Que la Beauté convie à ses plus belles fêtes.
De qui viens-tu parler, jeune femme à la nuit ?
De l’amant qui te lasse ou de cil qui te fuit ?
Sur cette rose est-ce une bouche que tu baises ?
Qui mieux, sous l’éventail de ces branches, s’apaise
De ton cœur frémissant ou de ta gorge en feu ?
Adieu léger, regret moqueur, pudique aveu,
Que murmure ta lèvre à l’ombre confidente ?
L’abîme de la rue et la feuille abondante
Séparent à jamais nos bras et nos destins ;
Ma main seule t’envie à mes yeux clandestins.
D’Amour, jeune ruffian qui bat des cartes fausses,
Peu me chault ; seul dénoue encor mon haut-de-chausses,
Seul débouche pour moi de magiques flacons,
Le Plaisir, sûr valet, qui garnit les balcons…
Il m’a de toi donné la part la plus suave :
Voir, c’est avoir un peu, jouir, sans être esclave.
Et voici que tes bras levés font sur ton dos
De ta nuque crouler les fluides fardeaux,
Que ton aisselle luit d’une touffe de plume.
Mon nez bat ; dans le vent illusoire je hume
En des moiteurs de blonde un âcre sauvagin.
De tes feminités et de leur doux engin,
Puisqu’une rampe me coupe ton ventre au cintre,
Mon vers chaste et déçu ne peut être le peintre.
A ta vaste toison — cette charge de blé
Sur ton dos — ne s’oppose un crin plus crespelé.
Je perds aussi tes longues jambes et leur lustre,
Vague blancheur entre les galbes des balustres.
O toi que je n’aurai jamais, ô toi qui m’eus,
En désarmant de leur acier mes yeux émus,
Reprends tes chastes lins et regagne ta couche,
Maintenant que, cabré de volupté farouche,
Dans une odeur de toile chaude et de couvain
Je cours charger un flanc que raie un noir ravin.
C’est la brunette au grain plus serré, c’est l’épouse.
Quand mon baiser la brûlera de sa ventouse,
Si t’arrivent là-bas des gémissements longs,
Crois qu’un rauque bonheur déchire deux coulombs ;
Et ne jalouse pont celle dont l’habitude
Ravie, et s’étonnant de mon élan plus rude,
Ne saura pas, mêlée au corps de son mari,
Qu’une adultère ardeur la foule et la tarit,
Que sa dévotion conjugale et câline
Sert de traîtres désirs comme une Messaline.
Mais je te dédierai la fougue où je connus
Sur la brune Pallas une claire Vénus.
Et toi-même vas-tu, te coulant sous tes toiles,
Réveiller un amant remué jusqu’aux moelles
Par ta jambe gélive et ton odeur d’été,
Et ces jumeaux compacts de ta rotondité ?
Peut-être projetant ma luxure lointaine
T’ai-je touché le sein d’une invisible antenne ;
Et ton maître, étonné de tes jeux assouplis
Aux rites qu’il n’osait enseigner à tes lits,
Va, dans la bouche et dans la conque autrefois prompte
Aux refus, retrouver deux esclaves sans honte.
Puisqu’Eros doit demain t’asservir, aujourd’hui
Ne crains pas un peu de bassesse devant lui.

LA BELLE VIEILLE

C’est d’avoir tant aimé l’enfance de ses seins
Qu’en son déclin je l’aime encore ;
Et d’avoir vu, des bas de la fillette, éclore
Deux globes d’un noble dessin.
J’avais cet âge, où l’on n’est plus le jeune coq
Qui plonge et retire sa lame,
Où les arômes bus ramènent à la femme,
Où l’amour prolonge le choc ;
Où, las des fards, de lèvre peinte, et de faux blond,
Las des rapides ariettes,
L’on rêve du menton pudique où Juliette
Presse son tendre violon.
Et sous mes yeux l’adolescence pétrissait
Ce très féminin bosselage,
Fanfreluchait de mousse un joli coquillage,
De myrrhe exaltait le gousset.
Je reniflais aux courtes manches de l’été
Le fil emmêlé des aisselles ;
Et j’épiais la jupe aux hautes balancelles
D’où béait sa féminité.
Mon rêve demandait aux nattes d’un noir bleu
Quelque image du tabernacle,
Où frise un crin d’agneau, dont l’attouchement racle
L’éréthisme des chairs en feu.
Par baisers décochés sur ses dents closes, j’eus
Les siens qui ne savaient répondre.
Mais l’imparfait contact dont je me sentais fondre
Prélibait son baume et son jus.
Ma jeunesse barbare oubliait son destin
De servir Mercure ou Minerve,
Tantale du poison âcre et doux, dont s’énerve
La soif, au flot proche et lointain.
O bucher de la Longue Attente ! O noir ruisseau
Des désirs qui coulent en lave !
Bonds cruels du marteau sur le cœur de l’esclave !
Et grésillement sous le sceau !
Ce long souci qui des chairs d’ambre m’a fait serf
Aux brunes chaudes me consacre,
Aux yeux d’or que traverse un reflet de massacre,
Quand le spasme tire le nerf.
Enfin elle mûrit : je conquis des chemins,
Dont mes doigts étaient les couleuvres.
Mais la chambre secrète étant close au grand œuvre,
La clef en brûlait dans mes mains.
— Non ! dit la bouche, mais dans les yeux confesseurs
La chair défaille et s’humilie,
Le jeune sein captif se débat en folie,
Chevreuil lié par les chasseurs.
C’est dans une île de roseaux, de prés herbus,
Sous un vieux saule solitaire,
Qu’un jour elle m’ouvrit le délicat mystère,
Versa la tête, et je la bus.
Cette heure-là, depuis, ne meurt plus. Ce raisin,
J’en suce encor la grappe bleue ;
Ces œillets vers mes dents se haussent sur leur queue ;
Priape les cueille, et me ceint,
Quand au giron, immaculé comme jadis,
Dont Sarah fait Agar jalouse,
En son dixième lustre, à longs traits, je l’épouse
Parmi ses genoux arrondis.
Vos belles comparez ! Conferte puellas ![7]
Tel Paris morgua deux déesses,
Quand Vénus éteignit d’un remûment de fesses
Madame Jupin et Pallas ;

[7] Ovide.

Tel Maynard, pour donner à la mienne le prix,
Infidèle à sa belle Vieille,
De sa stance eût tiré la couronne vermeille
Dédiée à des cheveux gris.
Car l’âge a respecté les siens ; de nul fanon
Il n’injurie un cou d’ivoire,
Ni ses pommes d’amour qu’à peine il mue en poires,
Ni ses bras dignes de Junon.
Et le plaisir ramène en ses yeux d’aujourd’hui
Le trouble émouvant de la gosse
Dont la chair est choyée avant l’âge des noces,
Qui mord et repousse le fruit.
Noces tardives ! qui pendant les plus beaux jours
Laissent la jeune chair en friche !
Aimer, c’est vivre, et dans la saison la plus riche
L’état de grâce, c’est l’amour.

LE VOYAGE

Quel plaisir, le départ vers la mer, vers l’amour,
Avec l’Amie, intacte encor, qu’idéalise
Parmi les grands manteaux et les fauves valises
L’inconnu de la chair, à la chute du jour.
Par un long soir doré partir vers le mystère
Du Manoir dans les bois et du beau corps nouveau.
Mais de doux regarder et de geste dévot
Voiler le désir dur, et la voix qu’il altère.
Songer au fruit suave, énorme et divisé,
Charnellement assis aux rondeurs de la robe ;
Imaginer le branle amoureux du beau globe,
Que le rythme du train fait doucement danser.
Voir se profiler sur les prés en débandade,
Sur la berge qui court à contre-sens de l’eau,
Le visage rayé d’ombre agile, pâlot
Comme la lune sous le nuage nomade.
Puis quand le Pays vert s’atteste en ses maisons
Aux poutres brunes dans le plâtre en colombages,
Si les yeux pérégrins ont loué nos herbages,
Mercier d’un baiser les cils et les frisons.
Enfin quand la Nuit douce, effaçant les collines,
Nous cerne de son mur tout à l’heure infini,
Désarmer la pudeur de son tendre Nenni,
Ouvrir les bras au col qu’un songe dodeline.
Et dès qu’elle acquiesce en un faible gémir,
Poser sur ses genoux, avant qu’elle se garde,
Une main innocente, et comme par mégarde,
Sur les genoux, première étape du plaisir.
Murmurer en des mots frêles, comme d’un songe :
« Votre corps chaud exhale un parfum de fruit mûr.
« Qu’il est doux le baiser du premier soir, et pur !
« Il laisse aux vieux amants la ruse et le mensonge.
« Aide mon chant le Vendosmois mélodieux.
« L’aide ce beau tétin qu’eût jalousé Cassandre :
« Et l’écho des baisers de nos bouches en cendre
« Nouera les couples nus sur les draps radieux. »
Ainsi de bouche active et de main ocieuse,
— Mais dont l’effluve s’insinue au long des os —
Comme aux jeux d’Olympie une vierge de Cos,
Oindre d’une huile d’or la claire voyageuse.
Et savoir que de nous l’aube va faire un dieu,
Qui saisit la dryade au creux buisson, la perce
D’un dard multiplié, heureux du sang qu’il verse,
Lui arrache un long cri, et la cloue au milieu.
Mais attendre le lit, ne forcer que l’enceinte
Des dents, tant qu’au cristal ciselé des flacons
N’a la Nymphe ondoyé le Pinde et l’Hélicon,
N’ont clapoté les lacs de rose et de jacinthe ;
Qu’un peigne de Cypris n’a mordu les cheveux.
Et pour toute la chair, tout le crin dûs au maître,
— Le linge à bas, provocateur qui s’est fait traître, —
N’attendre que du lit l’absolu des aveux.
Du lit, profonde nef, dont les voiles captives
Cinglent joyeuses vers l’infini de la chair.
Pélerin du plaisir, repars sur cette mer,
Pleine aussi de remous et d’oiselles plaintives.

Conseil à une petite Courtisane

Tes dix-sept ans n’ont pu, dévêtus sans chicane,
Ni ton ventre, émouvant de si peu d’ombre au coin
Qu’il semble d’une enfant sous sa houppe de foin,
Le pur émail n’a pu de tes yeux de Persane,
Ni ces pommes qu’à s’infléchir déjà condamne
Le Vice qui trop tôt y planta son groin,
Ni ta cuissette, dépliée avec un soin
De Ghesha, n’auront pu, petite Courtisane,
Sur sa corde roidir le joujou des fillettes.
Et tu dis que les ans m’ont noué l’aiguillette…
Nenni ! mais il y faut pudeur avec mystère.
Pleure, ou résiste un peu. Nomme ta sainte mère,
Et, la joue enflammée, appelle-moi bourreau…
Pour me sentir entrer dans toi comme un taureau.

Réponse de la petite Courtisane

Taureau peu digne encor du beau fessier d’Europe,
Je tâte un serpent mou qui n’a rien d’un Python,
Et je trouve une corde où je cherche un bâton.
Mais je vais t’éveiller de l’indigne syncope.
Je rapproche mes seins, que ma paume enveloppe.
J’en fais saillir la proue, et du double bouton
Laboure au bon endroit ta chair de molleton ;
Et, plus bas, mon genou te racle et te varlope.
Puis je donne à flairer l’aisselle chaude au mâle,
Où le crin d’astrakan me fait plus animale…
Ah ! tu renais, nourri d’effluves opportuns.
Baudelaire savait le ressort poétique :
Comme des autres l’âme erre sur la musique,
Le poète a le cœur gonflé par les parfuns.

A la Fleur de Lis

La Pudeur sous ta coiffe, ô Nonne du Verger,
S’incline, et va prier pour la Rose charnelle.
Mais le pistil tendu branle en toi comme en elle,
Et bat tes pâles chairs de son marteau léger.
Sur son fifre moqueur le merle bocager
Te siffle, car le dard qui rôde en la venelle
Macule de safran ton calice, et son aile
Te froisse comme un lit par l’amour saccagé.
Quand ces stigmates nous révèlent qu’Aphrodite
En ses secrètes lois ne t’est plus inédite,
Sur l’écu losangé des vierges que fais-tu ?
Loin des chastes blasons, sur le sein qui te fane,
Sers d’ironique enseigne à ces froides vertus
Que dévaste en secret un roide manche d’âne.

Réponse de la Fleur de Lis au vieux Poète

Dans le jardin du grand Séminaire

Tu as médit de moi, mais mon arôme épars,
Et ma robe déclose, et Pudeur renoncée,
Suscitent une touffe ardente en ta pensée,
Emmêlent des fils d’or qui brûlent tes regards.
Tes désirs étirés comme des léopards
Font battre ta narine, et de ta force usée
Tu ressurgis Daphnis ! — L’âme aux lèvres sucée,
Sens-tu fondre Chloé, gorgé de ses nectars ?
Donc sur ma chair dorée et ma blessure fraîche
Honore Eros archer, et reconnais sa flèche,
Si ton flanc en gémit autrefois, autrefois !
De l’odeur de l’amour ta narine altérée
Ores ne boira plus qu’en mes calices froids
La proie adolescente et sa mousse sucrée.

S’IL FAUT DE LA MOUSSE AU SILLON

I

Dame ou Soubrette de jadis
Qui s’allait baigner aux étuves,
Avant de se tremper aux cuves,
Se faisait plumer la perdrix,
(J’entends l’oiselle de Cypris),
Pourvu que le nid en fût sec,
Car dans la mousse blonde ou brune
L’oiseau, quand l’ordonne la lune,
Casse un œuf, et mouille son bec
D’eau plus rousse que le Robec.
Sur l’herbe noire ou sur le foin,
Au crû de la dernière tonte,
La chemise trousse la honte
Ou l’orgueil, sous le rire en coin
Du joyeux barbier de maujoinct.
L’huis non troué par le cousin
Ferme à secret ses grosses lèvres,
Tandis que de béantes Bièvres
Etendent jusqu’au trou voisin
L’ourlet d’un rire sarrasin.

II

Dans les couvents un fer cruel
Dévaste la nuque à l’Epouse ;
S’il fauche aussi l’autre pelouse,
C’est qu’on est moins jaloux au ciel
Des mains du barbier que du poil.
Dame ! Il tient chaud ; dans un lit froid
Il sert de manchon à la nonne ;
La main s’égare, et puis s’étonne
Arrêtée au petit endroit
Du grand bien né d’un petit doigt.

III

Au harem, le Mamamouchi
Qui fait aux chats fourrés la guerre
Lève la toile à la moukère,
Et pour le Pacha la blanchit…
Ou bien pour le godemichy.

IV

L’art grec n’a pas, — religieux — ,
D’un sexe béant qui pantelle
Blessé le flanc des immortelles.
Humains, il soustrait à nos yeux
Le sillon creusé pour les dieux.
Des bords du féminin palus
Il élague le beau feuillage ;
Un peu d’algue à son coquillage
A Vénus ne rappelle plus
Qu’elle est née aux flots chevelus.
Maître Gautier en a gémi,
Qui voit sur la touffe embrasée
De Cypris, la tête frisée
D’un Cupidon fauve, parmi
L’or clair de sa mère endormi.

V

Mais Vénus est morte, et Byblis !
Vains regrets d’un flocon de laine
A des hanches, même d’Hélène,
Puisque ne hantent plus nos lits
Berthe au grand pied, Biétrix, Allis.
Ce n’est pas moi qu’on a volé
Sur l’airain, la toile, ou le Pare ;
Mon hamadryade se pare
D’une toison d’or crespelé,
Souvent à ma barbe emmêlé.
Seul fut déçu Pygmalion,
Qui, forant sa Nymphe sculptée,
N’avait pas feutré Galatée.
Mais d’un frottis de vermillon
Il mit de la mousse au sillon.

ENIGME

Ce n’est mont ni coteau, rien qu’éminence mince,
Mais, dessus, l’on se sent gros sire en sa province.
Ce n’est val ni ravin, rien qu’un sillon étroit,
Mais l’on prise un vrai bien qu’on peut toucher du doigt.
On le cultive, mais le semeur — ô démence ! —
S’il croyait récolter, garderait sa semence.
Est-il rose de fleurs qu’aussitôt on le fuit,
C’est un verger qu’on veut sans boutons et sans fruit.
Là n’est rû ni ruissel dont s’humecte une grive,
Mais toujours sous la lèvre y naît la source vive.
Ce n’est ombre où musser un nid de roitelet,
Pourtant sous des fils d’or passe un bec d’oiselet.
L’herbelette plus haut pousse ses petits glaives
Que cet îlot de mousse entre deux blanches grèves.
Ayez bien garde à l’huis et le tenez célé,
Car la serrure tente, et tous en ont la clef.

A UNE DAME ÉTRANGÈRE

La Couronne de Vénus

Des bourdeaux évadée en la Littérature,
De monstrueux morpions t’ont taraudé la pel.
Tu fis — j’en jure le conin de Jézabel ! —
Largesse de poulains aux camps d’Estramadure.
Puisqu’on t’a recousu le ventre et la nature,
Appends en ex-voto le bienfaisant scalpel.
Et qu’on dise : « Autrefois, Nymphe au grec Archipel,
« Apollo la connut sous le nom de Mercure. »
Pour les ruts douloureux ton squelette allongé
Punit son chevaucheur, à chaque ahan, d’un jet ;
Et de tes yeux trop mûrs chavirent les opâles.
Sur ton front, par le suint des mèches fustigé,
— Juste couronne due aux tempes triomphales, —
Vénus Dolorosa saigne en ces roses pâles.

URANIE
Muse des Choses Célestes et des Divinations

TA PLANÈTE
Si tu veux faire une amie

I

Si tu veux faire une amie,
Je t’offre ici ces leçons,
Quand jà Vieillesse ennemie
Me fait vider les arçons,
Et ne laisse que le flanc
De Pégase à mon élan.

II

Fuis les sèches, fuis les plates.
Laisse les mineures chez
Macette, où bave, écarlate,
Et rouant des yeux pochés,
Le barbon qu’aucunes fois
Il faut ranimer du fouet.
Jadis me plut davantage,
Encore un peu verdelet,
Non tout à fait mûr, cet âge
Qui Ronsard ensorcelait.
Je penchai mes voluptés
Vers ces froides puretés.
Tel, ses cheveux à l’épaule,
D’un rû de nacre abusé,
Se penche l’amour d’un saule
Sur le fugace baiser
Qu’aux reflets noue et déclot
L’ombre des Nymphes dans l’eau.
N’agace point à ces proies
Le bout de tes doigts mouillés ;
Le jeu de la petite oie
Sied aux vices écoliers.
Mais fonds ton désir total
Dans la chair comme un métal.

III

Ton amie aura cinq lustres,
Des tétins non étoilés,
Dignes des ciseaux illustres,
Tétins et non pots de lait.
Un sein noblement taillé
Eteint le plus clair collier.
Prends-la grande : un grand domaine
Peut seul te découvrir maints
Beaux sites, où se promène
Ton regard, aussi tes mains.
Des petites te défends
Comme de prendre une enfant.
La blonde, les nuits ardentes,
Répand d’abondantes chairs.
Sa croupe chaude et fondante
Est d’une épouse d’hiver.
Soit ton lit acclimaté
Aux seules brunes, l’été.

IV

Le désir est prompt, et flambe
Parfois avant de savoir
Si le galbe de la jambe
Aura de quoi l’émouvoir,
Quand aux ultimes combats
La pudeur perdra ses bas.
Regarde les doigts : graciles,
Ou bouffis, ronds ou carrés,
Ils sont sculptés sur le style
Dont le corps même est ouvré.
Comme est taillé le sourcil
L’aine est implantée aussi.
Ciboire où le vin de messe
De l’amant va faire un dieu,
La bouche fait la promesse
D’un velours caché aux yeux ;
Et sur la lèvre un léger
Duvet n’est point mensonger.

V

Que la fierté des yeux chastes
Ferme au désir le chemin,
Tandis qu’une croupe vaste
Invite au palper les mains,
Et fait l’ange si fâché
De recéler le péché.
Son chef luise sous la charge
De crins annelés et fins ;
Et soit son buste une large
Table d’harmonie, afin
Que lamente par son col
Puissamment un rossignol.
Et je veux qu’en ses yeux flotte
La tendre pudicité
De l’adorable Charlotte
Dans le roman de Goethe,
Que comme Dorothéa
Patet incessu dea.

VI

Crois-tu qu’un portrait je brode
Des chimères copié ?
Et qu’au seul lit froid de l’Ode
Elle allonge ses beaux pieds ?
La chair t’attend quelque part
Comme elle attendit Ronsard.
Cassandre est belle, il l’obsède,
Et n’en jouit que de l’œil.
L’Hélène qu’il chante est laide.
Mais voici devers Bourgueil
La vachère de quinze ans
Qui va rejeunir ses sens.

TERPSICHORE
Muse de la Danse

A VINCENT MUSELLI

Ton nom, s’il ne m’abuse,
Ami, t’a dédié
Aux Muses,
Pour leurs beaux bras lier.
De flûte traversière
Fais, le front ciselé
De lierre,
Les Camènes baller,
A bonds et à volées,
Et tant que par le chaud
Foulées,
Le souffle ne leur fault.
Dès qu’aux gorges Neuvaines
Des perles sur le bleu
Des veines
Ruissellent, romps le jeu.
Et quand tu les dénoues,
Vois les Nymphes baigner
Leurs joues,
Les Grâces les peigner.
Prends la houppe, le peigne,
Les fards ; qu’heureux témoin
Ne craigne
De leur donner des soins.
D’une main délicate
Tire, au jais du chignon,
L’agate,
Et te fais leur mignon.
Si le col sur la nuque
Baille, regarde aval ;
Reluque
Le dos moite du bal.
Comme chez les modistes
Qui n’ont rien à cacher,
Assiste
A leur petit coucher.
A qui fait la mauvaise,
Et la main sur tes yeux
Te lèse
D’un buisson radieux,
Baise la paume, opprime
Les globes à tâtons ;
Qu’aux cîmes
Grossissent les boutons.
De ta langue la perce,
Et lui dis : « Puella ! »
— Properce
Eût aimé ce nom-là —
« Moi qui les Muses lie,
Les délierai. — Ces lins,
Thalie,
Font mes yeux orphelins.
« Erato, qui les noces
Présides, par Eros !
Ces bosses
Ne me font de Paros.
« Dans mes bras, Calliope,
En belle chair, et non
Par trope,
Fais quinaud Apollon.
« On sait pourquoi la serpe
De Bacchus, bon voisin,
Euterpe,
Te coupe du raisin ;
« Et qu’à Mars sous la tente,
Vivandière Clio,
Contente,
Tu trousses ton bliaud.
« Mais si les cœurs bondissent,
Quand du pouce et du doigt
Indice
Je touche au luth françois,
« N’osez à nos mains pures
Fermer vos peplos d’or,
Ceintures !
Et nous dirons encor
« Que d’argent, de prière,
Nul n’a soumis vos cœurs
De pierre,
Pucelles, Chastes Sœurs,
« Quoiqu’à votre huis, où saigne
Un gros numéro 9
Des duègnes
Aussi vastes qu’un bœuf
« Racolent pour les Muses,
Que Claude Le Petit
Accuse
Du chancre qui le cuit.
« Mais tant pis pour qui cherche
Pégase, et en vilain
Du Perche,
Ne trouve qu’un poulain. »

POLYMNIE
Muse des Hymnes et des Chants, en l’honneur des dieux, des héros et des nymphes.

Polymnia, mal coiffée.
Aime rêver à l’écart,
La paume au menton — d’Orphée
Qui l’honora d’un batard.

EN L’HONNEUR DE PRIAPE

Olim truncus eram ficulnus.

Tronc de figuier, je t’ai fait dieu,
Le dieu jardinier de Catulle
Aux membres grêles, mais Hercule
Par le milieu.
La Nymphe captive dans l’orme,
Dont luit le dos parmi les fûts,
Va presser dans ses bras touffus
L’amant énorme.
L’abeille, abusée au carmin
Dont j’ai peint ta tige charnue,
Voudra de la fleur inconnue
Tenter l’hymen.
La fontaine, qui chante et pleure
D’amour et de ramentevoir,
Croira que, troublant son miroir,
Un dieu la leurre.
Un espoir suspendra sa course ;
Car Eros, jaloux de ses lis,
Déçut, — amante et sœur, — Biblis
Changée en source.
Mais tu verras, blanche Armada,
Fuir les cygnes à belle proue ;
Car, te mesurant, désavoue
L’oiseau — Léda.
Voici, pour armer ton épaule,
Selon que Maro m’enseigna,
(Custos, cum falce salignâ)
La faulx de saule.
Peut-elle effrayer les pinçons,
Le freux, la pillarde alouette ?
Et garder le clos du poète
Des maugarçons ?
Veille, frappe, t’efforce, sue.
Ne me sois qu’un dieu paysan.
Ce joujou des belles, fais-en
Une massue.
Puisque ne trouble plus mes lymphes
Le dieu sauvage, tiens-t’en là :
De toi je n’implore point l’A-
-mitié des nymphes.
A ton autel nul chevrier
Des bucoliques de Sicile
Ne pousse le bouc indocile,
Pour toi lié.
Qu’ait mené ce jeu l’immortelle
Brigade, il ne sied à mon breuil.
Et Colombes n’est point Hercueil,
Ni moi Jodelle.
N’attends point qu’aux roses debout,
— Qui furent peut-être des femmes
Aux Métamorphoses, — mes lames
Coupent le cou.
L’Ode t’a fleuri par jonchée ;
Mais plus avare est mon jardin
Que l’asclépiade latin,
Que le trochée.
Assez j’honorerai ton front
Gros comme une pomme reinette,
Si je te fais une cornette
D’un liseron.
Mais dans mon bois la prima donne
Exalte en lyriques sanglots,
Où revient le nom d’Itylos,
La nuit d’automne.
La feuille a frémi, la voilà,
Favete linguis ! Dieu champêtre,
Cette grande voix c’est peut être
Philomela.

ONDINE

Entre mes bras fond la mollesse de ton torse. —
Quand une peine les métamorphose en source,
Je bois ta jeune vie à tes paupières douces.
Sur ta langue, serpent qui se darde, se love,
Et se rebelle entre tes lèvres, mes esclaves,
Je lape avidement les sucs de ta salive.
Ta féminité, sous tes cils d’aristocrate
Qui battent, mais non pas de pudeur hypocrite,
Me verse ton sang rose en sa coupe secrète.
Et l’ardente sueur dont le plaisir t’embrase,
M’imprègne dans ton lit, pleurs d’aube sur la rose,
Perles chaudes aux seins d’une belle coureuse.
Tes jambes dans le bain luisent comme la faille.
Et tu sembles par tes yeux glauques une fille
Des Eaux, qu’on entrevoit un instant sous les feuilles.
Sans doute tu naquis du flot qui frise et mousse,
Et fus Nymphe chanteuse aux roseaux du Permesse ;
Oublieux d’Aréthuse Alphée eut tes prémices.
C’est pourquoi sur un buis de flûte dolosive
Je fausse ces trois clefs, afin qu’elles déçoivent
Mais charment ton oreille, émue aux jeux suaves.
Ma rime, Ondine dans le vent qui vire et valse,
Fluteau parmi les joncs, clairon sur la mer vaste,
Chuchote en la feuillée, et pleure dans la vasque.
Puis, aux justes accords à son tour contribue
Ta sœur, la Nymphe Echo, dans tes grottes herbues ;
Et telle je te chante après que je t’ai bue.

A LÉDA

Quand te couvrit le vaste oiseau qui se déploie,
N’as-tu pas regretté, Léda, les bras humains ?
Et, nue à nu, la chair sans plumes ? Et la main
Dont le feu sinueux court sur des flancs de soie ?
Plus encor que du jars c’est de la petite oie
Que ton cygne apparaît le frère ou le germain…
Qui donc couva les œufs de l’impossible hymen
D’où sont éclos Pollux et l’Hélène de Troie ?
Europe sent sous le taureau l’emplir un dieu.
Pour toi quelque autre époux dut achever le jeu,
Symbole de la Nuit accouplée à l’Aurore.
Prendre une femme, un cygne ? ah ! le beau conte grec !
Tyndare t’a trouvée intacte et close encore…
— « Pardon, » m’a dit Chloé, « vous oubliez le bec ».

CLIO
Muse de l’Histoire

MADEMOISELLE DE LA VIGNE
A propos de sa correspondance galante avec Fléchier encore abbé

RONDEAU

L’ébat galant de ce petit collet !
Il fait sa roue et dit : « Votre valet ! »
A ma vertu son œil cherche un esclandre :
Mais à sauter le doux ruisseau du Tendre,
Il n’aura fait valoir que son mollet.
S’il me faut rendre à son premier boulet,
Je me renforce aux brèches, pour attendre
Qu’à cet abbé l’on teigne en violet
Les bas.
Les miens sont bleus. Pour en baiser l’ourlet,
Je le ferais à mes genoux de lait
Chanter la Pâque un mercredi des Cendres…
Ces abbés, bons à musquer un poulet ;
Mais au déduit le dernier des Léandres
Les bat !

MADEMOISELLE DE SCUDÉRY

Eh là ! n’esmouvez plus, Sapho,
L’esventail, zéphyr des ruelles.
S’il vous cuit, la glace ne fault
Que mon vers jette à pleine escuelle.
Relevez votre beau séant
Du throsne de la Chambre bleue ;
Assez avez piaffé céans
Dedans vos mots à longue queue.
Vos poulets ne se mangent point,
— Régime bon aux fièvres quartes. —
Du village des Petits Soins
Vous avez dessiné la carte.
Ains en votre privé, ma sœur,
Vous ne vous estes point faict coulpe
De vous régaller pour le seur
D’une plus nourricière poulpe.
L’ambition dont s’enflamma
Vostre bouche, où branle un pieu jaune,
Charge la langue et l’estomac,
Et rote des phrases d’une aune.
L’in-quarto, frais noirci de vers,
Moins que votre peau suinte l’encre.
Estes-vous plus blanche à l’envers,
Où vertu de fille s’eschancre ?
Ores veulx, — poussé le verrou —
Vierge au fusain, mais qui sens l’huile,
Vous esclaircir — je sçais par où —
Le teint, l’oraison et le chyle.
Ces jupes à bas ! Ostez donc
La friponne après la modeste,
Ces liens que l’épingle (oh ! pardon)
La sangsue encor me conteste.
Salut Phœbé ! Dans ce bassin
Mire ta beauté qui se scinde !
L’eau d’Hippocrène est au ricin ;
Voici l’Hélicon et le Pinde.
Qu’entre deux monts il soit congreû
Que coule un ruisseau, je m’affie :
Le Bouillon des deux Sœurs ! Ce rû
Manque à votre géographie.
Si trouvez trop aigu l’outil
Dedans votre honneur, j’y subroge
La pointe de vos concetti…
Et je pousse à val. Loge ! Loge !
Est-ce là ce qu’un rêve pur
Vous promist du premier Sylvandre
Offrant quelque chose de dur
A l’étroite Reine du Tendre ?
Or, jà dans vos flancs caverneux
Cyrus gronde et la Calprenède…
Je fuis le Perse au trait ocreux
Et la balistique du Mède.

A SONNET DE COURVAL
Médecin de Vire

Aux malades Virois, en médecin de Vire,
Au lieu de se borner à tailler des tombeaux,
A lui-même il bastit son monument, plus beau
De ses durables vers que d’un muet porphyre.
Ce Juvénal bourgeois écrivit maint libelle
Contre le féminin, et tança ses humeurs.
Il montre le Dégout épousant la Laideur,
Et ce qu’il croît de corne au mari d’une Belle.
Aucunes fois la Chaude au lit du flegmatique
— Et rage d’os pelvien passe le mal de dents —
Evente à grand meschef de ses soupirs ardents
Le sang trop froidureux des vaisseaux spermatiques.
La Superbe a mari lâche et ladre. — O lésine !
Sans rabats à la Guise, en robe de blanchet,
Moi, noble Damoiselle, où tant d’honneur t’échet,
Ne peux faire le brave autant que la voisine.
La Pauvre te contraint d’endurer les diffames.
L’Infidèle t’encorne en satyre bouquin.
Pour son honneur venger d’injurieux pasquin
La Quinteuse te pousse aux espagnolles lames.
De Laide, Pauvre, Riche, ou de Belle, son livre
Fait cruelle censure et portraits d’Arétin.
Mais sur toutes il hait la secrète putain
Baisant dévotement ses médailles de cuivre.
Ces Circés il purgea d’horrible scammonée,
Vomit au lit nopcier ; puis, bien vidé son pot,
Sans craindre les écueils signés par ses drapeaux,
Cingla délibéré vers le port d’Hyménée.
Il disait : « Le serez ! L’estes ! Ou bien le fustes ! »
Le fut-il ? Mourut-il squammeux, farci de clous,
Le priape écorché des dents de mille loups,
Comme l’avait prédit à bons maris de putes ?
Au moins d’un Récipe[8] sauvait-il la dépense
Contre bouton de Naple ou chancre corallin.
Si toi-mesme as métier[9] de baster un poulain,
Lecteur, dedans ses vers lis au long l’ordonnance.

[8] Ordonnance.

[9] Besoin (en français de ce temps-là).

Vers pour
LES SERVANTES

MARTEAU DE PORTE

Le dos tourné, grassette et ronde, le crin roux,
La petite servante, avec un branle doux
Qui fait rouler sa croupe et danser ses genoux,
Frotte, à l’huis, le marteau dont je me sens jaloux.
C’est un petit serpent en figure de guivre.
Il s’éclaire, amoureux de la main qui délivre
Le rayon endormi dans son âme de cuivre,
Et l’on sent qu’en ces doigts de rose il voudrait vivre.
Symbole du désir qui n’en vient pas au fait,
Cependant qu’il demeure, amant insatisfait,
A heurter comme on dit la porte du buffet,
Je regarde la belle main qui le maltraite
Et le choie ; et, rêvant que je suis de la fête,
Sens un autre serpent qui dégage sa tête.

LES SERVANTES DE PÉNÉLOPE

Fuis la jeunesse des servantes, qui dénoue
Le luxe insolent d’un beau crin.
Il te sied de servir les seules Muses. Crains
Une intendante aux belles joues.
Lorsque tu dors, furtive, elle quitte ta couche,
Et court se vendre à ton voisin,
Qui parmi les baisers grapille sur sa bouche
Tes secrets comme des raisins.
Tel, sur son lit de peaux de brebis et de vaches,
Ulysse, aux corridors obscurs,
Méditant l’Arc sonore et la Joute des Haches,
Surprit les commerces impurs
Des servantes qui rient, en s’échappant des chambres,
Et vont choyer les Prétendants
De viandes, de vins, de leurs corps frottés d’ambre,
Et de mensonge à belles dents.
La nuit, les jeunes bras tannés par les lessives
Se targuent de moire et de fleurs ;
Car où rôde Vénus une fièvre offensive
Emplit les misérables cœurs.
Mais le fort de leurs mois ferait tourner les sauces
Dont l’âge gourmand fait grand cas,
Et tu dois préférer à leurs caresses fausses
L’amitié d’un vin délicat.
Tu fuiras la jeunesse, et prendras Euryclée
Au pas lent, à l’agile main,
Pour que de torches d’or et de sagesse ailée
Minerve éclaire tes chemins.

MEILLEUR AVIS

Dans ta jeune servante admire le contraste
Des beaux flancs, faits pour la luxure, et des yeux chastes,
Et ce balancement sensuel des vaisseaux
Que leur château-d’arrière assied bien sur les eaux.
Je veux que la pudeur redresse un col farouche,
Mais qu’un doux poids de chair s’incline vers ma bouche.
Si près d’un jeune corps comment peux-tu dormir,
Ces chaudes nuits de Juin, sans le faire gémir ?
Sans t’en aller surprendre au lit tiède de baumes
Sa bouchette qui baise en rêvant un fantôme,
Et peut-être te nomme en un parc enchanté ?
L’ombre ardente palpite à ses seins de clarté.
De ses genoux, qu’un mol abattement sépare,
Le nocturne rayon sculpte un marbre de Pare.
Qui pourrait respirer sa fleur chaude et la voir,
Sans trembler, faune, au bord du jardin rose et noir ?
Car le jour elle est serve, et, nue, elle est déesse…
— Que dis-tu ? qu’elle est pure, et tu crains sa sagesse ?
Tu n’as pas deviné au miel de ses regards
Que sera sans refus au jeune maître Agar ?
L’aimes-tu mieux des jeux d’un butor avilie,
Que tu ne cueilles point cet œillet d’Italie ?
Elle apporte l’aiguière… Allons, rends d’une main
Doucement promenée hommage au sang romain.
L’émoi brûle sa joue, et loin qu’elle te boude
Vois l’extase incliner sa tête sur son coude.
Possède sur ses yeux le mystère des pleurs…
Non, elle rit, l’oiselle ayant pris l’oiseleur.

SERVANTE D’AUBERGE

En bonhomme de rat qui joue au hobereau,
S’il faut me retrancher un jour dans un fromage,
— Mon large nez ne craint de tels parfums dommage —
Que ce soit par fortune en un gras Livarot.
Non pas que de ton nimbe et de ton faux douro
Je cherche, ô Gloire ronde et rouge, quelque image.
Bon pour les Muses de frontispice et les Mages.
Je préfère à de secs lauriers un bon porreau,
Du cidre blond pour boire en ma couleur… passée !
Et l’épais Livarot que me sert, haut troussée,
Chauffe-plat, chauffe-lit, la rougeaude Lison.
A ma barbe qui poisse, à ma main fourvoyée,
Très précieusement fouettent à l’unisson
Le fromage onctueux et la femme mouillée.

SERVANTE D’HOTEL

Tu ne sers pas Vénus, mais tu sers ses prêtresses,
Tu regardes monter les sacrificateurs…
Fais le lit du plaisir, mais crains que la froideur
De tes mains de Vestale offense la Déesse.
De ton sang nuptial tu lui dois les prémisses,
O corps nouveau. Veux-tu ? j’affranchirai tes flancs.
Pour ma tempe fanée et pour mes cheveux blancs
Prends-moi, car un vieux maître est plus doux aux novices.
Irrite par feu les nymphes. Dans ce vase
— Tant le jour fut brûlant — lave ton corps laineux,
Et fais l’ampoule éclore en un 8 lumineux,
Qu’on te voie à cheval sur ce petit Pégase.
Ah ! que de jougs avec ta chemise tu ôtes !…
Je t’offre des plaisirs sans amour, goûte-les.
La Passion veut des serments, fait des valets :
La riche Volupté, elle, n’a que des hôtes.
A ceux qui te jetaient une obole il faut prendre
Un tribut, n’épargnant que moi qui t’enseignai.
De ta vertu jamais tu n’auras un denier,
Tu peux tirer bon prix de tes péchés à vendre.

POUR LA GROSSE MARGOT

Ayant tollu d’un muguet
La bourse avecques prestesse,
Villon et les gens du guet
Sont lors en délicatesse.
Ains, quand maigrit son magot,
Aux famines chez Margot
L’Escholier veult se soustraire.
Beaux vers ne sont beaux ducatz ;
Villon vient conter son cas
Marloupeulx et littérayre.
La ribaulde est au taudis,
Jouxte un lict fané, de serge,
Où, sur ses reins rebondis
Jeune après vieulx se goberge.
Un clerc vient de luy bailler
Un rondel pour tout loyer.
Le diable arde l’honoraire !
Margot lave à grand fracas,
A pleine escuelle, son cas
Marloupeulx et littérayre.
— « Poète, maulvais chaland ! »
Villon riposte : «  — Eh ! donzelle,
« Gare, avec moi pour galant,
« Aux oublieux d’escarcelle. »
Adonc pour son chevalier
La garce eslut l’escholier.
Chez la Vénus usuraire
Muse vescut sans tracas.
Ains point n’est rare ce cas
Marloupeulx et littérayre.
Viennent clercs, laïcs, souldards.
Villon, la mine narquoise,
Jauche au gousset les pendards,
Es hanaps verse cervoise.
Et dict : «  — Beaux fils, deux escus !
« Vénus aime moult Bacchus.
« A l’amour soëf est contraire. »
Or mainct béjaune escroquas,
Villon, lui citant ce cas
Marloupeulx et littérayre.
Puis : «  — Seigneurs, nous reviendrez,
Si liesse eurent vos braguettes ».
D’autres temps mauclers madrés
Bourse vuyde font goguettes.
Adextre à férir un coup,
Maistre Eschollier en découd.
— « Livre lu, frustrer libraire !
« Tost réglez, indélicats,
« Paravant d’yssir, ce cas
« Marloupeulx et littérayre. »
Quant sur le tribut prescrit
Aucuns soirs triche la gouge,
Villon lui signe un escript
Sur son nez camus, en rouge.
« Tu me veux réduire à jeun,
« Comme en la geôle de Meung,
« D’où me fit le Roy extraire. »
Margot lave ès vins muscats
Et bande en geignant son cas
Marloupeulx et littérayre.
Ta gloire, inclyte filou,
Porte dans l’histoire prude
La casquette du marlou :
La chose au bourgeois est rude.
Sur ton front injurié
Je ne vois que le laurier.
La gent critique peut braire ;
Peu te chaille des choucas
Qui croassent sur ton cas
Marloupeulx et littérayre.

RONDEL

Je muse souvent à l’entrée
De l’appartement féminin.
Quand Madame fait sa nonnain,
Une chambrière m’agrée.
Je joue en sa robe échancrée ;
Mais j’ai si grand peur du venin !
Je muse souvent à l’entrée
De l’appartement féminin.
Je ne me rue à la curée
Des cœurs fiers et des beaux hennins.
Petit chasseur, petit connin.
Des palais que le rêve crée
Je muse souvent à l’entrée.

JOUR DE MARASME
Du Vieux peintre amant de sa bonne

Les écoliers de cinquante ans, et de soixante !
Toujours en quête, en vain fessés, d’autres leçons,
Rêvant de lac limpide où tremper leurs cuissons,
Se vont noyer aux yeux d’une fausse innocente.
Quand, leurs écus palpés, une main commerçante
Arme le vieux mousquet qui crache à leurs chaussons,
Qu’ont-ils pris ? Un chat maigre et qui sent le poisson.
Ils tiennent gros butin un connin de servante.
Une lourde gothon, sur leur bouche, que tord
Le malfaisant plaisir comme une affre de mort,
Flaire l’eau des vieux puits et la cendre de l’âtre.
Peintre, on voit sur ton lit deux coulombs s’épouser.
Plutôt, d’un ton cruel charge l’aile bleuâtre
D’un corbeau qui te creuse avec son bec rusé.

NUIT DE VICTOIRE
Du Vieux peintre avec son modèle

L’aurore s’étonnait que ruisselle un crin fauve
Près de mon poil chenu sur le même oreiller.
Or, Vénus qui me tint cette nuit éveillé
Au quatorzième lustre a fleuri mon front chauve.
Ma vigueur a goûté, des défaillances sauve,
Aprement cet amour, peut être le dernier !
J’ai bu le sang des dieux sur un corps printanier.
Qui sent la rose et fait un verger de l’alcôve.
Penché sur l’or moussu qui voile un antre frais,
J’ai respiré l’automne et les rouges forêts,
Où de l’aubier vivant s’étire la faunesse…
Ce n’est pas l’heure encor qu’à mes tempes de dieu
Le déclin menaçant ma trop longue jeunesse
Efface l’œillet pâle et cette rose feu !

FIN

TABLE DES MATIÈRES

  Pages
Œuvres de Ch. Th. Féret
2
Pour lire à la lanterne du Bourdeau
5
CALLIOPE.
Le Pucelage des Muses
17
EUTERPE.
Chanson
25
ERATO.
Ma Voisine
29
La Belle Vieille
32
Le Voyage
35
Conseil à une Courtisane
38
Réponse de la Petite Courtisane
39
A la Fleur de Lis
40
Réponse de la Fleur de Lis au vieux Poète
41
S’il faut de la Mousse au Sillon
42
Enigme
45
A une Dame étrangère
46
URANIE.
Ta Planète
49
TERPSICHORE.
A Vincent Muselli
55
POLYMNIE (Bois gravé Priape).
En l’honneur de Priape
61
Ondine
64
A Léda
66
CLIO.
Mademoiselle de la Vigne
69
Mademoiselle de Scudéry
70
Sonnet de Courval
73
VERS POUR LES SERVANTES.
Marteau de porte
77
Les Servantes de Pénélope
78
Meilleur Avis
80
Servante d’Auberge
82
Servante d’Hôtel
83
Pour la grosse Margot
84
Rondel
87
Jour de marasme
88
Nuit de victoire
89

Imprimerie des CAHIERS LITTÉRAIRES