THIERRY SANDRE
FLEURS DU DÉSERT
PARIS
ALBERT MESSEIN, ÉDITEUR
19, QUAI SAINT-MICHEL, 19
1921
DU MÊME AUTEUR
APOLOGIE POUR LES NOUVEAUX RICHES
1 vol. in-8 écu tiré à 500 exemplaires sur papier d’Arches
numérotés. 11 francs.
Car tout n’es eilavau qu’esprovo e long travai !
Mistral.
Car nous rêvons quand il faut vivre, ô mon amie !
Ch. Guérin.
I. — FLEURS DU DÉSERT
à la mémoire
de Paul-René Cousin
tué à l’ennemi
le 27 Mars 1917.
I
Ne vis pas en reclus au milieu de tes livres.
Les livres sont aussi des courtisans mauvais.
La sagesse qu’ils ont, ce vin dont tu t’enivres,
Ne vaut pas l’eau du puits sur la route où je vais.
Viens donc, car la sagesse, ou ce qu’ainsi tu nommes,
Ce n’est point de savoir ce qu’on fera demain,
Mais plutôt de daigner, homme parmi les hommes,
Cueillir toutes les fleurs qu’on rencontre en chemin.
II
N’attends rien du passant qui passe sur la route.
N’espère pas qu’il te regarde ou qu’il t’écoute.
Chacun va dans la vie avec d’autres soucis
Que de s’apitoyer sur ses voisins transis.
Ne te lamente point surtout. La feuille morte
Tourne, vole, et s’abat sous le vent, qui l’emporte.
III
Il n’est pour supporter l’inconstance de l’heure
D’autre refuge à nous que dans le souvenir.
Du feu des anciens jours la cendre nous demeure
Avec ses braises d’or que rien ne peut ternir.
Qu’importe si ta main en y touchant se brûle
Et si quelque douleur se réveille et t’étreint ?
Car le jour n’est jamais si beau qu’au crépuscule
Et le cœur si puissant qu’à son premier chagrin.
IV
Tu mourras. Tu le sais. Demain ou tout-à-l’heure
Tu rentreras au sein de la terre éternelle.
Mais, avant que la mort t’anéantisse en elle,
Il te plaît d’oublier que l’espoir est un leurre,
Et tu vas, ombre pâle à l’ombre condamnée,
Cueillir les fleurs de nuit qui poussent dans le sable,
Comme si tu devais achever ta journée
Et comme si ton œuvre était impérissable.
V
Sache que parmi nous pour conquérir ton rang
Tu porteras ta croix comme un Jésus moins grand.
Le bonheur est avare et la vie est sévère.
Tu tomberas souvent en montant au Calvaire.
N’attends rien de la terre et n’attends rien du ciel.
Tu connaîtras les clous, le vinaigre, et le fiel.
Trop heureux dans la gloire affreuse de ta peine,
Si tu vois à tes pieds pleurer la Madeleine.
VI
Tu te plains du larron persévérant qui rôde
Autour de ton jardin pour y cueillir un fruit
Et, t’affirmant les droits certains de la maraude,
T’abandonne le jour et s’arroge la nuit.
Mais toi-même, toi qui te plains qu’on te chaparde,
Te crois-tu plus intègre et te crois-tu meilleur ?
Et ne vas-tu jamais narguant les chiens de garde
Faire aussi ta maraude au jardin du bonheur ?
VII
Ne cherche pas à pénétrer tous les secrets.
Si tu perdais la foi, tu la regretterais.
Garde jalousement une sage ignorance.
En voulant tout connaître, on connaît la souffrance.
Tremble de découvrir ce qui reste caché !
Rappelle-toi toujours les malheurs de Psyché.
VIII
Lorsqu’un brusque simoun soulève au ciel le sable
Comme un fléau plus fort que l’onde et que le feu,
L’humble caravanier qui se voit périssable
S’arrête, puis se couche et se confie à Dieu.
Fais comme lui. Le fou, seul le fou se révolte
Et résiste au destin plus dur qui l’aveugla.
Si le vent aujourd’hui souffle sur ta récolte,
Attends que le soleil retrouve son éclat.
IX
Aime, aime aveuglément la femme que tu veux,
Qu’elle soit brune ou blonde et charmante ou méchante.
Comble tous ses souhaits, exauce tous ses vœux,
Tolère qu’elle pleure, accepte qu’elle chante.
Laisse-la croire à son triomphe. Mais, demain,
Quand pour fuir ta faiblesse et narguer ta surprise
Elle ouvrira la porte en te tendant la main,
Qu’elle ignore le prix du bonheur qu’elle brise !
X
Tu pleures. Tu sais donc à présent que tu l’aimes,
Car tu connais la crainte et tu connais l’espoir.
Sur des yeux plus ardents tes paupières sont blêmes,
Et tu vois tout en rose et tu vois tout en noir.
Tu portes ton bonheur ainsi qu’une souffrance.
Tu redoutes soudain tout ce que tu voudrais.
Et tu ne pourrais plus marquer la différence
Entre tes chers désirs et tes âpres regrets.
XI
Tout n’est qu’indifférence autour de toi. Tu pleures,
Et le jour qui s’achève étale sa beauté.
C’est le dernier éclat de ces dernières heures
Où le ciel satisfait cède à l’obscurité.
La porte du jardin s’ouvre. L’ombre y pénètre.
Le crépuscule est plein d’une étrange douceur.
Et toi, seule, debout, sans bruit, à ta fenêtre,
Tu pleures lentement, pauvre amante, ma sœur.
XII
Afin que ton désir vainque par ton étreinte
Et pour que le bonheur qui t’appelle soit tien,
Faut-il que sans calcul, sans prudence et sans crainte,
Tu te donnes, mon frère, à l’amour qui te tient ?
Ainsi le papillon qui naît au crépuscule,
Sans redouter l’éclat mortel qui l’éblouit,
Tourne autour de la lampe et s’y jette et s’y brûle
Et tombe en pleine ardeur au gouffre de la nuit.
XIII
Tu t’en vas. Accoudé lourdement à bâbord,
Tu ne peux détacher ton regard du rivage.
Le navire t’emmène et, déjà, loin du port
Il danse. Tu t’en vas. Ne crains-tu pas l’orage ?
Plus que les vents mauvais ne crains-tu pas l’oubli ?
Des pressentiments noirs occupent ta pensée.
Et, lorsque le regret prend ton cœur et l’emplit,
La côte à l’horizon déjà s’est effacée.
XIV
Au désert de la vie où vont les caravanes,
Le bonheur est un puits, Espoir, que tu promets
Et qu’on cherche toujours sans le trouver jamais,
A moins qu’un chamelier qu’à la mort tu condamnes
N’aperçoive ta source enfin, Espoir de sang,
Pour succomber de soif en te réalisant.
XV
Tous les jours ne sont pas de cendre dans la vie.
Porte sans en gémir le poids de tous les jours,
Car la joie a ses jeux, ingrat, et t’y convie,
Et veux-tu les nier parce qu’ils sont trop courts ?
Ainsi, dans le désert où vont les caravanes
Sous l’implacable ciel tendu d’âpres couleurs,
Qui pourrait soupçonner le plaisir que tu glanes
En trouvant sous tes pas, ô prodige, des fleurs ?
II. — FEUILLES AU VENT
à Pierre Louys
I
Les vers que mon orgueil volontaire dénude
Sont un désert où rien ne prend le voyageur.
Pas un oiseau ne chante en cette solitude.
Ce sol dur de cailloux ne donne pas de fleur.
Mais le sable est brûlant sous le pied qui le presse,
Comme un front douloureux sous la main qui l’étreint,
Et, dans la nudité d’une longue détresse,
Quelquefois l’eau d’un puits se montre au pèlerin.
II
Le chasseur du désert qui poursuit la gazelle
Sait qu’il lui faut du temps pour l’atteindre et l’avoir ;
Or, si la chance est rare aussi, la proie est belle,
Et l’obstiné chasseur ne perd jamais l’espoir.
Tel, si tu veux toucher le bonheur qui te tente,
Ne crois pas que ta main peut l’abattre d’abord ;
Mais sois toujours en garde et toujours en attente.
La victoire souvent se réserve à l’effort.
III
Qui se fonde en sagesse affirme qu’il est vain
D’abandonner son cœur aux espérances folles.
Il dit que sitôt né, beau rêve, tu t’envoles
Et que ta volupté, gloire, est un triste vin.
Et, pendant que la nuit se prépare à descendre,
Il te trouve, ô sagesse, un âpre goût de cendre.
IV
Il faut tout supporter sans se plaindre ici-bas.
Le hasard n’est-il point le maître des combats ?
Accepte ta victoire, accepte ta défaite.
Nul ne commande aux dieux et nul n’est leur prophète.
N’as-tu jamais appris que tu n’es rien, vivant,
Sinon l’ombre d’un songe où s’amuse le vent ?
V
Dans la vie où tu vas, ne crains pas d’être seul,
Mais garde intactes tes pensées,
Et couche en ta tristesse ainsi qu’en un linceul
Tes illusions dispersées.
Car, que tu sois plus tendre ou que tu sois plus dur,
Tout méconnaîtra ton génie,
Et vois ! Si tes espoirs sont tenaces, l’azur
Les raille, à moins qu’il ne les nie.
VI
Le vent du nord pousse les blanches caravelles
Aux rivages du sud qui cachent un trésor,
Et les espoirs joyeusement ouvrent leurs ailes
Sur les vaisseaux qui vont chercher la toison d’or.
Chantez, les matelots, vers l’ardente surprise !
Car nul ne sait combien d’entre vous reviendront,
S’ils reviennent, cheveux blanchis et barbe grise,
Des regrets dans le cœur et des rides au front.
VII
Comme les feuilles de l’automne au vent du soir,
Tes espoirs tomberont flétris au gouffre noir.
Comme il ne reste rien sur l’arbre après l’orage,
Ton cœur demeurera dépouillé sous l’outrage.
Quand un espoir nouveau t’offrira son parfum,
Te rappelleras-tu ton vieux rêve défunt ?
Quand viendra le printemps dont ta douleur s’étonne,
Que subsistera-t-il des feuilles de l’automne ?
VIII
Sache que rien ne dure entre les mains de l’homme,
Ni la rose d’été, ni le rêve d’hiver,
Et que tout devant lui passe et s’efface, comme
Un beau mirage au soleil du désert.
Mais ne t’arrête pas sur le bord de la route
Pour accepter enfin l’amer renoncement,
Car notre vanité peut-être pose un doute
Et la raison aussi peut-être ment.
IX
Selon que le beau temps ou l’orage se lève,
Ton âme désespère ou ton cœur se reprend,
Et tantôt l’heure est longue et tantôt l’heure est brève,
Et parfois tout est vil et parfois tout est grand.
Vaine oscillation de l’esprit qui s’afflige
De ne trouver jamais le repos décevant,
Cependant qu’au jardin la rose sur sa tige
Balance un parfum tendre aux caprices du vent !
X
Comme le fier torrent et le ruisseau tranquille
Qui coule dans la plaine ou qui descend des monts
Apportent leur tribut au fleuve de la ville
Et se perdent tous deux au milieu des limons,
Ainsi, que tu sois humble ou que tu sois superbe,
Jette-toi dans la vie et travaille à ton rang
Et, donnant une fleur ou donnant une gerbe,
Livre au trésor commun le meilleur de ton sang.
XI
Lorsqu’un enfant s’amuse, heureux du jeu nouveau,
A jeter des cailloux dans un étang sans ride,
Il s’étonne des ronds qu’il suscite du vide
Et qui vont lentement décroître au bord de l’eau.
Pareil, quand tu connais la première souffrance,
Tu demeures frappé du coup qui t’a saisi,
Mais plus tard tu sauras que la douleur aussi
S’achève au bord du temps dans l’ombre et le silence.
XII
Repousse loin de toi la rancune et la haine,
Car l’une est inutile autant que l’autre est vaine.
L’une te rend mauvais, l’autre te fait méchant.
Pour être heureux, sois humble et cultive ton champ.
La haine mêle au blé sa redoutable ivraie,
Arrache-la. Sois bon. La bonté seule est vraie.
Ne t’occupe de rien, homme, après ta moisson.
Range-la dans ta grange, et reprends ta chanson.
XIII
Si tu meurs sans avoir reçu la récompense
Du bonheur promis à ta faim,
Ne t’en iras-tu pas avec cette espérance
Que pour d’autres il soit moins vain ?
Et ton illusion n’est-elle pas meilleure
Aux portes mêmes du trépas,
Que la triste raison qui m’affirme à toute heure
Que le bonheur n’existe pas ?
XIV
Les sages ne sont pas si sages que tu penses.
Laisse-les blasphémer librement, et fuis-les.
S’ils plaignent tes espoirs cinglant aux mers immenses,
Méprise les tombeaux qu’ils prétendent palais.
Tu sais que le destin n’appartient à personne
Et que par conséquent tu peux marcher vers lui
Pour que, vaincu par toi, si Dieu veut, il te donne
La couronne promise à qui force la nuit.
XV
Marche toujours, ô voyageur, marche sans trêve
A travers le désert de sable où je te suis.
Nous nous arrêterons ce soir auprès d’un puits
Pour repartir demain quand l’aurore se lève.
Tant que tu n’as pas soif, tant que tu n’as pas faim,
Marche toujours, ô voyageur, je suis ta trace,
Si tu veux, cœur ardent qu’aucun espoir ne lasse,
Toucher à l’oasis où l’on peut vivre enfin.
III. — PAGES DU CARNET-NOIR
à André Lebey
I
La vie autour de toi mène sa farandole
Au son des tambourins joyeux et des hautbois,
Mais devant son ardeur tu restes sans parole,
Car tu ne comprends pas les choses que tu vois.
Hélas ! As-tu besoin, pauvre homme, de comprendre ?
Nul ne sait aujourd’hui les souffrances d’hier.
Il faut une âme forte et ton cœur est trop tendre
Pour affronter vivant les affres de l’enfer.
II
La nuit est calme comme un lac un soir d’été.
Pas un souffle n’en vient ternir la pureté.
Quelle tranquillité parfaite nous pénètre !
Toute la paix du ciel entre par la fenêtre.
Hélas ! il passera, ce bonheur trop humain,
Comme une eau que l’on tient dans le creux de la main.
III
Réserve pour toi seul le chagrin qui te ronge,
Car rien ne rend si fort qu’un douloureux secret.
Si l’on voyait tes pleurs, qui te consolerait ?
Plaque sur ta figure un masque de mensonge.
Tiens ferme malgré tout sous le coup qui t’assomme,
Mais toujours reste digne et reste grand toujours,
Car un cri de détresse éclate sans recours
Et souffrir en silence est la vertu de l’homme.
IV
Il faut pour triompher de la vie obstinée
Un cœur plein de sagesse et d’amour et d’espoir.
Il faut mater l’orgueil qui résiste au devoir
Et sous le dur labeur courber sa destinée.
Ne crains pas les travaux que le temps te dénie.
Celui-là seul succombe et glisse vers la mort
Qui redoute la peine et l’envie et l’effort
Et la douleur, cette marâtre du génie.
V
Ne crains pas d’épuiser jamais tes espérances.
Le cœur de l’homme est bien plus grand que tu ne penses.
Quel que soit le fardeau des rêves qu’il soulève,
Le cœur s’ouvre toujours à chaque nouveau rêve.
Lorsque tu crois l’emplir, prends garde, tu le vides.
Le cœur est le tonneau sans fond des Danaïdes.
VI
Vois le cygne posé sur le lac du vieux parc.
Tout fier d’une blancheur qui nargue sa pareille,
Il bande son col comme un arc.
Mais qu’il chante, et son cri te blessera l’oreille.
Et toi, tant se prolonge aisément le motif,
Peux-tu ne pas songer à plus d’un homme illustre
Dont la gloire t’émeut, chétif,
Si tu n’as point percé sous le héros le rustre ?
VII
Les temps peuvent changer, et les heures moroses
Peuvent marquer leur trace en rides sur ton front.
La vie autour de toi peut nourrir ses nécroses.
Tu méprises les dieux qui te résisteront.
Pourvu qu’après l’orage acharné tu demeures,
Tu garderas toujours, en toi toujours vivant,
L’éternel souvenir qui domine les heures
Et qui nargue les dieux, le destin et le vent.
VIII
Les roses de l’été qui s’ouvriront demain
Sauront plaire à tes yeux pour attirer ta main.
Belle à sa ressemblance et jeune à son image,
Tu cueilleras la fleur qui t’offre son hommage.
Et je reconnaîtrai, le soir, d’un air distrait,
La rose sans pétale et ton cœur sans regret.
IX
Sans épargner ma voix, mon temps et mon effort,
Je ne me lasse point de chanter la misère,
Tous les moyens sont bons pour conjurer la mort.
Chaque vers d’un poème est un grain de rosaire.
Car je ne connais pas, homme, de plus beau soin,
Dans le dédale obscur des espoirs et des peines,
Que de dresser au ciel qui ne s’en émeut point
La protestation vaine des strophes vaines.
X
Ne crains pas la tristesse, elle est ta sauvegarde,
Et seul un cœur mesquin la redoute et la fuit.
Accueille-la comme une sœur douce. Regarde,
Elle t’ouvre sa main légère dans la nuit.
Elle veut une place au secret de ton âme
Pour te soutenir mieux aux jours d’adversité.
Elle est ta grande sœur discrète, et ne réclame
De toi qu’un peu d’amour et beaucoup de bonté.
Des présentes FLEURS DU DÉSERT
réunies à Ouargla pendant le printemps de 1919,
IL A ÉTÉ TIRÉ :
dix exemplaires sur papier de Chine numérotés de I à X
et trois cents exemplaires sur papier Vélin numérotés de 1 à 300
Exemplaire No
ACHEVÉ D’IMPRIMER
le 26 Octobre 1921
PAR N. TRÉCULT
A PARIS