Title: Les femmes au gouvernail
Author: Hubertine Auclert
Release date: November 17, 2023 [eBook #72151]
Language: French
Original publication: Paris: Marcel Giard
Credits: Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))
HUBERTINE AUCLERT
Les idées nouvelles sont comme les fruits verts que tout le monde repousse; mais que chacun veut avoir le premier aimé, quand le soleil et le dévouement les ont amenés à maturité.
MARCEL GIARD
LIBRAIRE-ÉDITEUR
16, RUE SOUFFLOT ET 12, RUE TOULLIER
PARIS (5e)
1923
DU MÊME AUTEUR
Les Femmes arabes en Algérie. 1 volume, chez Lamarre, 4, rue Antoine Dubois. Paris.
Le Vote des Femmes. 1 volume, chez Giard, 16, rue Soufflot. Paris.
Le Droit politique des Femmes. 1 brochure (épuisée).
L’Égalité sociale et politique de l’Homme et de la Femme. 1 brochure.
L’Argent de la Femme. 1 brochure, chez A. Pédone, éditeur, 13, rue Soufflot. Paris.
Le Nom de la Femme. 1 brochure. Société du Livre à l’Auteur, 26, rue Brunel. Paris (XVIIe).
III
ERRATA
Page 6.—Lire à la 8e ligne: découler nos droits civils de nos droits politiques.
Page 22.—Lire à la 21e ligne: et l’éligibilité.
Page 34.—Lire à la 20e ligne: Jeanne Voitout.
Page 63.—Lire à la 1re et la 3e ligne: reprocha.
Page 63.—Lire à la 18e ligne: 29 Mai.
Page 72.—Lire à la note ligne 3: Arria Ly à Toulouse.
Page 106.—Lire Note 2: 1897-1905.
Page 115.—Lire à la 7e ligne: Lorsqu’il est exclu.
Page 121.—Lire à la 1re ligne: tremplin.
Page 232.—Lire à la note ligne 1re: ester.
Page 246.—Lire à la 10e ligne: satyres.
Page 300.—Lire à la XIe ligne: de la possession du droit.
Page 313.—Lire à la 13e ligne: Couvade.
Page 348.—Lire à la 13e ligne: leur donner.
Page 396.—Lire à la XIe ligne: 1897-1905.
Page 396.—Lire à la 19e ligne: 1908.
Page 399.—Lire à la 18e ligne: Territoire de Wilna 2083-200.
Dans les Femmes au Gouvernail ceux qui admettent le Féminisme verront avec intérêt Hubertine Auclert continuer à plaider par delà sa tombe, contre l’inégalité qu’a créé au détriment des femmes, les droits que les hommes se sont seuls attribués. Elle voulait les femmes au gouvernail pour qu’elles puissent réparer les injustices qui frappent leur sexe dans les lois, dans la politique et dans les mœurs, en chargeant la femme de supporter seule les conséquences de sa faute avec son complice.
Elle voulait encore les femmes au gouvernail parce que les femmes associées aux hommes apporteront au gouvernement de leur pays les qualités dont la nature les a douées: le bons sens, la raison pratique et l’économie VI qu’elles appliquent à la tenue du ménage. Ainsi les dépenses de la grande guerre qui ont atteint plus de 180 milliards, n’auraient pas dépassé 100 milliards, d’après le rapporteur des économies, si nos élus s’étaient souvenus: «qu’économiser c’est servir.» On peut donc croire que le concours des femmes aurait rendu certaine cette formidable économie.
La situation de la femme travailleuse devenue mère excite tout son intérêt, et toujours prévoyante pour son pays, lorsqu’elle traite de la Maternité rétribuée, elle résout l’angoissant problème de la repopulation par l’indemnité maternelle.
Le chapitre: La cherté de la vie est due à l’exclusion des femmes de l’administration des affaires publiques, fait penser à la vie chère de nos temps, qui faisait dire à un député, que l’Etat était en train de mériter un Conseil judiciaire, tant ses décisions ignoraient les lois économiques.
Le titre de celui: Les intérêts de la France mis en péril par les hommes, n’est-il pas prophétique? «On n’osait penser à la guerre», a dit un de nos meilleurs hommes d’Etat; on ne VII la préparait donc pas! Ses démonstrations sur la nécessité d’accorder aux femmes le suffrage intégral sont encore de saison: les Françaises, presque seules dans le monde, sont encore à le demander.
M. C.
Originaire du Bourbonnais, Hubertine Auclert, était née le 10 avril 1848, à Tilly, commune de Saint-Priest-en-Murat, Allier, une propriété de ses parents: la cinquième de leurs sept enfants.
Dès ses premières années elle fait preuve d’une intelligence précoce; son esprit vif s’intéresse à tout: la cause des faibles la passionne et l’injustice la révolte. On trouve en germe chez l’enfant les généreux sentiments qui devaient inspirer sa vie.
A ce moment déjà, se manifestait chez la petite fille des dons précieux. On admire la façon dont elle habille ses poupées, l’habileté avec laquelle elle sait tirer parti du moindre morceau de moire ou de taffetas pour leur confectionner de belles robes imitant celle des dames. Elle brodait aussi merveilleusement et 2 s’intéressait à tous les détails d’un intérieur. Elle acquiert ainsi toutes les qualités d’une maîtresse de maison accomplie.
A vingt ans, sa fermeté d’âme lui permit de soutenir avantageusement ses intérêts matériels et plus tard, d’orienter le féminisme vers le vote, conviction qu’elle défendit avec une remarquable ténacité.
Si l’on naît féministe, comme on l’a dit, elle avait toutes les qualités pour en devenir l’apôtre.
C’était bien elle la féministe ainsi qu’elle l’a définie: la femme qui a devancé son temps, la femme complète.
Sa sensibilité extrême lui faisait ressentir la souffrance des autres. Elle fut frappée du danger de la soumission légale de la femme à l’homme, qui se rend bien compte du pouvoir que la loi lui donne sur sa femme dans le mariage. Pouvoir qu’il outrepasse, s’il est violent jusqu’à la frapper, puisque la majorité des divorces sont causés par les sévices du mari:
«Je suis presque de naissance une révoltée contre l’écrasement féminin, disait-elle, tant la brutalité de l’homme envers la femme dont 3 mon enfance avait été épouvantée, m’a de bonne heure préparée à revendiquer pour mon sexe l’indépendance et la considération.»
Pendant la guerre de 1870, accompagnée par une femme ayant les mêmes sentiments généreux, elle quêta dans sa petite ville pour apporter un peu de bien-être à nos soldats, comme on l’a fait pendant la Grande Guerre sous tant de formes différentes. Mais alors, on s’étonna de l’initiative de la jeune fille; on n’avait pas encore compris le sentiment délicat de s’occuper de ceux qui souffrent pour la Patrie.
Ne pouvant soigner les blessés—l’organisation de la Croix-Rouge étant peu développée à cette époque, avait peu de sections en province—elle se dévoua auprès des victimes de l’épidémie de variole qui s’ajoutait aux maux de la défaite.
La proclamation de la République au 4 septembre excita son enthousiasme. Elle voyait la France régénérée par ce gouvernement de tous, qui ne devait laisser subsister ni une misère, ni une injustice.
Un 14 juillet elle écrivait:
«Je n’illumine 4 pas, je ne pavoise pas, il faut bien être logique. De par mon sexe assujetti je dois me tenir à l’écart de la joie comme je suis tenue à l’écart du droit. Mais comme je suis privée de m’abstenir de témoigner mon adoration à mes deux idoles: ma patrie et ma république. O ces airs nationaux comme ils me transportent; et ces jolies couleurs de France! que c’est beau. O ma patrie il faut bien que tu sois incomparable pour que je préfère vivre en esclave chez toi que libre ailleurs.»
C’est à ce moment qu’elle lut dans les journaux, le compte rendu des discours prononcés aux banquets qu’organisait Léon Richer fondateur et directeur de l’Avenir des Femmes, où collaborait Maria Deraismes.
«Ce sont les échos des discours prononcés aux banquets périodiques organisés par Léon Richer qui, presque à ma sortie du couvent m’ont fait venir du Bourbonnais à Paris combattre pour la liberté de mon sexe.»
Les idées qui y étaient émises lui semblaient avoir toujours été les siennes: combattre pour la libération de son sexe fut pour elle l’indication de la voie qu’elle devait 5 suivre. Elle était orpheline et indépendante au point de vue économique; elle vint à Paris pour se mêler à ceux qui travaillaient pour que les femmes aient leurs droits. Dès ce temps elle put dire:
«Ma vie est peu importante, tout y est calme et d’une parfaite simplicité; pas d’accident, pas d’aventures, une existence de recluse. Je me suis faite justicière, non par goût mais par devoir. Voyant que personne n’osait entreprendre ce que je veux qui soit tenté, j’ai vaincu ma timidité excessive et je suis partie en guerre sans peur comme le chevalier Bayard, parce que comme lui j’étais sans reproche.»
Très sociable, elle fut bien accueillie dans le milieu qui combattait pour que justice soit faite aux femmes.
«On me nomma secrétaire du journal l’Avenir des Femmes et du Comité Féministe[1] et je me mis à étudier la question de 6 notre émancipation. Après avoir pendant quelques années beaucoup lu, entendu, observé, réfléchi, j’ai compris la nécessité de ressusciter le programme des femmes de la Révolution et d’une partie de celui de celles de 1848, en faisant, contrairement à Léon Richer et à Maria Deraismes, découler nos droits civils de nos droits politiques. Pour pouvoir présenter le programme au public, j’ai fondé en 1876 la société «Le Droit des Femmes», qui compta bientôt dans ses rangs nombre d’intellectuels de l’un et de l’autre sexe.»
La Société avait pour devise: Pas de devoirs sans droits. Pas de droits sans devoirs, et son but final était: l’égalité parfaite des deux sexes devant la loi et devant les mœurs.
En 1883 son titre fut changé en celui de «Suffrage des Femmes» qui exprimait mieux ses idées directrices.
Pour obtenir le concours des femmes, elle lança aux Femmes de France cet éloquent appel:
Femmes de France
Malgré les bienfaits de notre révolution de 7 1789, deux sortes d’individus sont encore asservis: les prolétaires et les femmes. Les femmes prolétaires ont un sort bien plus déplorable encore...
Nous n’avons aucuns droits. Si préoccupées que nous soyons du bonheur de notre pays, nous sommes impitoyablement repoussées de toutes les assemblées, tant électives que législatives. La République veut cependant le concours de tous et de toutes. Nous comptons moins que rien dans l’Etat; l’homme qui joint à la sottise l’ignorance la plus profonde compte plus en France que la femme la plus instruite; il peut nommer ses législateurs; la femme ne le peut pas. Elle est un être à part, qui naît avec beaucoup de devoirs et pas de droits.
Quelle singulière anomalie! La femme est incapable pour les actes de la vie sociale et politique; on l’assimile aux interdits et aux fous, et quand elle s’écarte de la loi, elle est tout aussi sévèrement punie que l’homme en pleine possession de ses capacités.
Toute carrière libérale nous est fermée; nous ne devons nous immiscer dans aucune 8 administration financière; cependant le fisc nous trouve bonnes pour payer les frais que notre sexe n’a pas été admis à discuter.
Au Congrès international des Droits de la Femme en 1878, elle ne put prononcer son discours sur le droit politique des femmes, Léon Richer et Maria Deraismes l’ayant trouvé trop révolutionnaire. Elle le fit imprimer[2].
Dans ce discours, elle établit nettement le but qu’elle poursuit: demander entièrement tous les droits pour les femmes.
«Dans notre revendication du droit des femmes, il importe de ne pas déroger au principe, il importe de ne pas biaiser, d’aller droit au but. Et serions-nous capables d’aider les femmes à s’affranchir, si nous, qui avons pris leur cause en mains, nous leur contestions une partie de leurs droits. C’est contester un droit que de ne pas oser l’affirmer. Que pourraient penser les oppresseurs des femmes, si ceux qui veulent les délivrer du joug se préoccupaient 9 surtout de ne pas froisser leurs oppresseurs et demandaient timidement pour elles un peu plus d’instruction, un peu plus de pain, un peu moins d’humiliations dans le mariage et de difficultés dans la vie.»
Elle a confiance dans les qualités de la femme:
«Dans les réformes sociales que le progrès exige, le concours de la femme serait d’un prix inestimable. Aidée de l’homme, elle saurait mettre assez de bonté, assez d’humanité dans le détail des arrangements sociaux pour prévenir ce que l’excès de la souffrance amène: les révoltes, les révolutions».
En 1879 déléguée au Congrès socialiste de Marseille qui avait à l’ordre du jour de sa première séance, la question de la femme:
«Je fis un discours sur l’égalité sociale et politique de la femme et de l’homme[3], qui obtint un véritable succès; toute la presse me 10 loua de poser la question comme elle devait l’être. Le président de la séance me vota des remerciements, et le lendemain je fus chargée de diriger les travaux du congrès en qualité de présidente. Nommée rapporteur de la commission sur la question de la femme, je parvins à force de ténacité, à faire émettre un vœu en faveur de l’affranchissement complet de la femme, qui depuis lors, figure dans le programme des travailleurs socialistes de France dans la forme suivante: Egalité sociale et politique de la femme.»
Pour montrer que l’égalité politique et civile des femmes pouvait tout naturellement devenir une réalité, Hubertine Auclert et les sociétaires du «Droit des Femmes», tentèrent de se faire inscrire sur les listes électorales. On leur refusa cette inscription. Elles portèrent la question devant le Conseil de Préfecture et Hubertine Auclert alla plaider elle-même la revendication de ce droit devant le Conseil d’Etat. La Cour de cassation s’en référa à la Constitution de 1791 pour refuser.
En 1880 elle refusa de payer ses impôts: «parce que les femmes ne devaient pas payer 11 les contributions, puisqu’elles n’étaient pas admises à contrôler l’emploi de leur argent.» Ce qui lui valut la saisie de ses meubles.
Elle a reproduit dans son volume le Vote des Femmes, page 136, sa demande de dégrèvement d’impôts et les raisons qui la motivait, ainsi que sa défense devant le Conseil de préfecture et le Conseil d’Etat, la logique même qui n’empêcha pas ses juges de lui donner tort.
Un huissier vint mettre les scellés sur ses meubles et lui en laissa la garde; la manifestation ayant eu la publicité suffisante pour faire réfléchir les femmes à la justesse des arguments employés, Hubertine Auclert paya ses impôts.
Alexandre Dumas, dans les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent a raconté son refus de payer l’impôt: Mlle Hubertine Auclert dit:
«Je ne dois pas payer l’impôt puisque je ne le vote pas, ni par moi-même, ni par les délégués nommés par moi. C’est une raison mais ce n’est pas la meilleure. La meilleure de toutes les raisons est qu’il n’y a aucune raison pour que les femmes ne votent pas comme les hommes.»
12
Le changement dans nos lois, qu’Hubertine Auclert s’efforçait d’amener par tous les moyens en son pouvoir, était peu compris par les bénéficiaires qui croyaient, comme du reste tous les hommes, que le fait d’exercer ses droits modifierait la femme au point de lui faire perdre ses gracieuses qualités; qu’elle ne voudrait plus remplir les devoirs de son sexe et qu’elle renoncerait même à la coquetterie pour mieux affirmer son indépendance.
C’est que le Féminisme était ignoré en France, on y voyait surtout, pour la femme, une désertion de la maternité.
Aussi on traitait fort mal la jeune novatrice qui, vers 1876, entreprenait de le faire triompher en demandant pour les femmes le droit électoral. On affectait d’en plaisanter et on traitait de folle et de virago la timide jeune fille, ainsi que ses adeptes, à qui il fallait une grande énergie pour oser émettre ses idées et les soutenir.
Malgré sa foi dans ses justes revendications, sa grande modestie la faisait douter du succès de ses efforts si elle n’était pas secondée:
«Je 13 monte toute seule à l’assaut des préjugés et quand je crois toucher au but, avoir vaincu les plus grandes difficultés, je suis précipitée au delà du point de départ.»
Ces déceptions bien amères pour sa sensibilité lui arrachaient des plaintes mais n’abattaient pas son courage:
«Si désespérante que soit la lutte et l’isolement, j’ai une foi incroyable, une de ces fois de chrétienne aux bûchers et aux bêtes.»
Pour répandre ses idées et amener les femmes à vouloir leur émancipation, elle fit des conférences à Paris, à Bruxelles et dans d’autres grandes villes de France, sous les auspices des municipalités. La jeune revendicatrice à la tribune, que l’on dépeignait d’un visage agréable avec de grands yeux gris expressifs, faisait passer dans ses paroles la conviction qui l’animait, intéressait les journalistes, qui, tout en discutant, ou plaisantant le Féminisme, suivant leur genre d’esprit, lui faisaient en général une bonne presse. L’un d’eux écrivait dans la France:
«Mlle Hubertine 14 Auclert mérite qu’on la discute sérieusement avec son intelligence et son cœur: c’est une convaincue ardente et loyale, une républicaine égalitaire et enthousiaste. Le rôle subalterne de la femme lui fait horreur. Toute jeune fille, elle se met en campagne, bravement, sans crainte des huées et des sourires, et partout se déploie sa bannière! Justice pour les femmes, égalité pour les deux sexes. Elle a environ vingt-sept ans; sans être jolie, ses traits ont une grande expression d’intelligence et d’énergie; son éloquence est naturelle, son geste sobre, elle parle longtemps sans fatigue, le mot arrive facilement toujours coloré et compréhensible.»
Un autre trouvait que:
«Jamais une femme n’a apporté à la tribune parole plus correcte, argumentation plus serrée; elle ne manque pas de talent, sa parole est douce; Son langage correct et souvent imagé possède l’éloquence que donne une ferme conviction.»
Mais ce qui a dû lui plaire davantage c’est cette appréciation:
«Fait admirablement le siège de la Bastille des Droits de l’homme.»
En juin 1880 dans une conférence tenue 15 rue Oberkampf à Paris, elle répondait à la grande objection: vous n’êtes pas militaire, faite aux femmes qui demandent leurs droits:
«Vous, les hommes vous avez fait la Révolution pour pouvoir voter les impôts que vous payez; nous, les femmes, nous voulons comme vous, payer seulement ce que nous avons voté.—Mais vous n’êtes pas soldats?—Etes-vous mères? L’impôt de la maternité, œuvre nécessaire et sublime, ne peut-il pas entrer en ligne de compte avec l’impôt du sang créé en vue d’une œuvre de destruction?».
A Lille en 1880, elle expose l’état de sujétion où se trouve la femme privée de ses droits:
«La République, dit-on, est le gouvernement de l’égalité, et elle n’a sa raison d’être que si elle est appuyée de la tête à la base sur les principes d’égalité.
«Elle n’existera donc réellement que lorsqu’elle aura proclamé l’égalité de tous et je viens ici, audacieusement peut-être, mais résolument lui demander de reconnaître l’égalité 16 civile et politique de l’homme et de la femme.
«Et quand je parle d’égalité, je la veux pleine et entière.
«Je veux que la République prenne la femme dès sa naissance et qu’elle lui donne le même développement physique, moral, intellectuel et professionnel qu’à l’homme. Je veux que les concours soient ouverts aux individus des deux sexes et que la femme comme l’homme puisse arriver aux emplois les plus hauts de l’Etat.
«La République a déjà fait l’égalité entre le pauvre et le riche, je veux qu’elle agisse de même entre l’homme et la femme.
«La France s’occupe elle-même de son organisation sociale. Dans toutes les grandes villes les programmes se discutent, le mouvement s’accentue d’heure en heure. Je constate avec joie cette activité.
«Mais dans ma joie se mêle la tristesse, pourquoi donc, sur aucun programme aussi modéré, aussi radical soit-il, ne voit-on prendre place la grave question de la revendication des droits de la femme? Et pourtant, n’est-ce pas la femme qui souffre le plus?
17
«Républicains, en agissant avec un pareil oubli de vos compagnes, vous violentez les principes d’égalité. En 1793 vous avez fait table rase des privilèges de race et de caste qui existaient alors. Aujourd’hui, je viens vous demander de faire table rase des privilèges de sexe qui existent toujours à la honte de la République.
«Et quand je vous dis que dans la société actuelle, la femme est esclave, ne croyez pas que j’emploie un bien grand mot pour exprimer la situation actuelle.
«Examinons, si vous le voulez, la situation actuelle de la femme dans la société.
«Si, jeune fille et, dans un moment d’abandon et d’amour, elle a oublié tous ses devoirs, confiante dans la parole de celui qu’elle aimait elle a un enfant, elle est abandonnée!»
Elle s’adresse aux tribunaux pour leur demander réparation.
Les juges lui répondront:
—Vous a-t-on volé votre chapeau, votre bourse?
—Non. On m’a volé mon honneur!
18
—Alors, il nous est impossible de rien faire: la loi reconnaît bien les promesses d’achat et de vente, mais elle ne reconnaît pas les promesses de mariage.
«Et plus tard quand l’enfant voudra rechercher son père, la loi le lui interdira encore[4]!
«Et si sa raison, à cette pauvre fille, s’égare, si dans un moment de folie elle tue son enfant.
«Oh! alors la justice s’empare d’elle et les hommes, les pères, la condamnent pour ce crime dont elle n’est pas responsable.
«Quel est donc le coupable dans cette affaire?
«Est-ce la femme? Non, n’est-ce pas?
«Est-ce l’homme? Pas davantage.
«Le coupable c’est le législateur qui, pour conserver son passeport de séducteur, aime mieux conserver l’infanticide, plutôt que de laisser rechercher la paternité.
«C’est à juste titre qu’un philosophe a dit qu’il fallait attribuer quotidiennement, à 19 chaque député, la mort de cent enfants nés ou à naître!
«Moi je le déclare en outre, coupable de la mort ou de l’empoisonnement moral de toutes les filles-mères.
«La situation de la femme mariée n’est pas beaucoup plus enviable.
«Si intelligente qu’elle soit, épousât-elle un idiot. Dès qu’elle a passé sous les fourches caudines du mariage, elle se trouve sous la tutelle de son mari.
«D’après la loi elle doit obéissance à son mari et se trouve obligée d’habiter avec lui partout où il plaira à son seigneur et maître.
«Par son mariage enfin, elle perd son existence propre et devient, pour ainsi dire, l’accessoire de son mari.
«Si pourtant elle s’est trompée: et si croyant choisir un honnête homme, elle est tombée sur un libertin, sur un débauché, sur un paresseux ou sur un ivrogne?
«Que peut-elle faire? Rien, absolument rien.
«L’homme a tous les droits. Il a un droit absolu sur sa femme. Il peut, s’il le veut, 20 vendre le mobilier, les vêtements, et empocher le salaire[5] ou les titres de rentes de sa femme pour payer sa maîtresse à la seule condition que cette femme demeure derrière la cloison de la chambre conjugale ou au delà du mur mitoyen de votre jardin!
«Cette femme ainsi trompée et avilie, rencontrera peut-être sur le chemin de la vie un honnête homme qui compatira à ses peines.
«Qu’elle se garde bien de l’aimer, car alors, elle sera jugée comme adultère, et si le mari la poignarde, il sera excusé par la loi.
«Eh bien! ceci outrage la justice, et c’est une honte pour la République de laisser ainsi la femme écrasée légalement par l’homme.
«On m’objectera que le divorce, appelé à grands cris par tout le monde, sera pour tous ces abus une porte de sortie.
«Que nenni!
«M. Naquet lui-même dans le projet de loi 21 qu’il a présenté ne met pas l’homme et la femme sur le pied d’égalité dans les demandes d’autorisation en divorce. L’homme peut le réclamer dans certains cas où cela est interdit à la femme.
«Et de plus, par qui seront jugées les demandes qui seront soumises aux tribunaux?
«Par les hommes, toujours par les hommes et rien que par les hommes!
«Nous voulons que tout cela change.
«Nous voulons dans la République l’égalité pour tous, pour l’homme comme pour la femme et pour arriver à son but, pour que les lois soient équitables, nous voulons que tous les intéressés soient appelés à les discuter et à les voter.
«Voilà pourquoi nous demandons pour tous hommes ou femmes, le droit d’être électeurs ou d’être élus.
«Certains pays d’ailleurs nous donnent déjà l’exemple; en Amérique, dans certains Etats, les femmes prennent part aux élections municipales[6].
22
«Les affaires publiques n’en marchent que mieux et, malgré toutes les réactions possibles nous arriverons au but que nous poursuivons.
«Deux grandes objections sont opposées aux revendications si légitimes des femmes.
«Tout d’abord on prétend que la maternité et ses exigences y sont un obstacle péremptoire. Est-ce à dire que la femme en état de grossesse ne soit pas capable de porter un bulletin de vote au bureau électoral? Mais alors interdisez-lui toute distraction, toute promenade, tout théâtre, et, si elle est pauvre, défendez-lui tout travail et faites-lui des rentes pendant la durée de sa grossesse.
«Une autre objection des républicains fait de l’immense majorité des femmes des champions ardents du cléricalisme.
«Je proteste contre cette affirmation.
«Et puis, on n’a jamais songé à refuser le vote et l’éligibilité aux hommes cléricaux.»
Elle termine ainsi son discours:
«Lors des 23 prochaines élections accompagnez vos femmes, vos filles, vos mères aux bureaux électoraux et dites-leur de réclamer leurs cartes électorales; sans doute les officiers municipaux ne les leur délivreront pas, mais si toutes les villes agissaient de même, l’impulsion serait donnée et rien ne pourrait plus l’arrêter.
«Quand nous aurons atteint le but que nous nous proposons, oh! alors, nous serons vos ménagères nationales, nous empêcherons la dilapidation de vos deniers et nous saurons faire en sorte que tous les travailleurs, ici-bas, aient le vivre et le coucher comme les enfants d’une même maison.
«Ce seront les femmes qui fermeront l’ère des révolutions sanglantes, car les femmes seules sauront harmoniser la société.»
En octobre 1883, c’est à Nîmes qu’elle va faire connaître les revendications du Féminisme.
«Voulez-vous que les hommes soient vraiment libres? Donnez aussi la liberté aux femmes.
24
«On a aboli les privilèges de castes, seuls les privilèges de sexe sont restés.»
Elle dépeint la situation fausse et pénible que les droits civiques, que possède l’homme, et qui sont refusés à la femme font à celle-ci. Elle réclame pour son sexe les droits politiques afin de le soustraire à l’arbitraire de l’homme. Elle adjure les électeurs de défendre les droits politiques de la femme et de les inscrire dans leurs programmes électoraux:
«Le jour où cette œuvre sera accomplie sera celui de la justice et de l’égalité.»
Elle veut autant d’écoles, autant de science pour les filles que pour les garçons et autant de droits politiques.
En mai 1884, à Bruxelles, elle intéresse très habilement les Belges à la question féministe en mettant en cause l’intérêt national:
«Belges, vous tremblez pour votre sécurité, vous redoutez l’annexion; utilisez tous les éléments d’énergie qui sont en vous, associez les femmes à votre action et vous pourrez tenir 25 tête à vos voisins. Faites intervenir cette toute puissante, la femme, dans vos affaires et votre petit royaume deviendra inexpugnable.
«Chacun de vous a pu remarquer qu’en général les femmes étaient plus aptes que les hommes à bien administrer. Les femmes ont une façon particulière de veiller aux détails, de faire de l’ordre, de réaliser en un mot l’aisance. Oh! je conviens que les femmes ne feraient pas aussi grand que l’homme. Dans tous les pays, les hommes emploient la plus grande partie du budget pour le plaisir des yeux. Les femmes songeraient à conserver la race humaine; après, elles verraient à l’amuser. Enfin, les femmes seraient pour tous les membres de la société comme elles sont pour leurs enfants dans la famille: bonnes et équitables.
«L’intervention de la femme sur la scène du monde inaugurerait une ère de liberté pour l’homme comme pour la femme, car le despotisme au foyer engendre le despotisme dans la cité et tant que la femme sera asservie 26 tout citoyen libre tremblera pour son indépendance.»
En octobre 1881, lors de la Campagne de Tunisie, elle adressa au général Campenon, Ministre de la Guerre, une lettre pour lui demander d’appeler les femmes à faire leur service humanitaire. Pour que nos soldats puissent vaincre les maladies «plus redoutables que le fer de l’ennemi» il faut qu’un sérieux personnel soit attaché à l’armée d’Afrique. Les femmes qui revendiquent l’égalité devant le droit, revendiquent aussi l’égalité devant le devoir. Qu’on les appelle à faire leur service humanitaire—pendant du service militaire des hommes—et l’on aura ce personnel.
Du Ministère on lui fit cette réponse.
«29 novembre 1881.
«Mademoiselle,
«Je serai heureux de vous donner des explications que vous donnerait le Ministre lui-même, 27 sur la demande que votre patriotisme vous a amené à formuler.
«Le Ministre qui, vous n’en doutez pas, rend une entière justice aux sentiments généreux qui vous guident, m’a bien recommandé de vous recevoir si vous vous présentez au ministère.
«Je vous prie...
«Le Lieutenant-Colonel, Sous-chef de Cabinet.
A. Mourlant.»
Pour intéresser les pouvoirs publics à son œuvre de justice, elle adressait des pétitions à tous les pouvoirs. Quelques-unes de ces pétitions eurent l’honneur d’un vote unanime: celle à la Chambre des députés en faveur des femmes électeurs et éligibles obtint l’unanimité des voix de la commission électorale. Une autre pour que les femmes aient leurs droits électoraux fut votée par le Conseil général de la Seine tout entier. Elle les a reproduites dans le Vote des Femmes, ainsi que quelques autres des si nombreuses qu’elle a adressées à nos députés et à nos sénateurs, saisissant toutes les occasions pour les convaincre.
28
Elle ne s’intéressait pas seulement à l’électorat et à l’éligibilité politique des femmes, mais aussi à leur égalité avec les hommes dans les élections de leurs corporations.
Avec les membres de la Société le suffrage des Femmes, elle pétitionna en faveur des Prud’Femmes.
«Novembre 1886.
«Messieurs les Députés,
«Vous allez examiner le projet de loi Lockroy relatif à l’institution des prud’hommes. Si vous êtes des législateurs équitables, vous comprendrez que quelles que soient les améliorations que ce projet comporte, il laisse subsister à l’égard des femmes fabricantes et ouvrières, employeuses et employées, une grande injustice, puisqu’il confie aux hommes seuls, le pouvoir de juger les différends entre les patronnes et leurs ouvriers, les ouvrières et leurs patrons.
«Veuillez considérer, Messieurs, que dans bien des cas, les prud’hommes masculins sont embarrassés: il est, par exemple, bien plus du ressort de la femme que de celui de 29 l’homme d’apprécier si des corsets ou des guimpes sont bien ou mal confectionnés.
«Un tribunal exclusivement composé d’hommes est à cause de son incompétence même—quand il a à juger des femmes—forcément partial.
«Nous vous prions, Messieurs, d’introduire dans le projet Lockroy, un article stipulant que les femmes sont de compte à demi avec les hommes investies du mandat de juger les luttes d’intérêt entre maîtres et travailleurs de l’un et de l’autre sexe et que les Conseils de prud’hommes, dorénavant composés d’hommes et de femmes, sont élus par tous patrons et patronnes, chefs ou cheffesses d’ateliers, ouvriers et ouvrières qui se trouvent dans les conditions requises par la loi pour être électeurs.
«Pour les femmes de France,
Cette pétition déposée par M. Michelin sur le bureau de la Chambre fut chaleureusement appuyée par la presse: «Mlle Hubertine Auclert, 30 mène avec une persistance réellement héroïque, la lutte dans laquelle elle est arrivée à avoir le bon sens pour elle», écrit le Mot d’Ordre. Les pétitions qui demandaient le droit de suffrage et d’éligibilité pour les femmes n’obtenaient en général que des mentions ironiques.
Ce ne fut qu’en 1907 que les femmes obtinrent d’être électrices pour nommer les Conseillers Prud’hommes et en 1908 qu’elles devinrent éligibles à ce Conseil.
En 1884, une commission était nommée pour organiser l’exposition de 1889. La vaillante féministe s’adresse à M. Rouvier ministre du Commerce, pour que les femmes entrent dans cette commission:
«Monsieur le Ministre,
«Dans la commission que vous avez choisie pour organiser l’exposition de 1889, tous les futurs exposants masculins sont représentés: les commerçants sont représentés par le président de la Chambre de commerce de Paris, les fabricants par les présidents des Chambres 31 syndicales patronales, les ouvriers par le président de l’Union des Chambres syndicales ouvrières, l’élément féminin seul est exclu; cependant, les femmes vont exposer comme les hommes leurs produits, et dans ce concours, destiné à décupler l’émulation du génie humain, elles contribueront pour une large part à rehausser notre gloire nationale.
«Si dans certaines branches de l’industrie nous pouvons être imités, dépassés même par nos voisins, pour tout ce qui sort de la main des femmes, nous arrivons les premiers. Nous triomphons grâce aux merveilleuses créations artistiques de ces fées parisiennes, qui savent faire sortir d’un rien, un chef-d’œuvre.
«Je vous prie, Monsieur le Ministre, de bien vouloir considérer que les Françaises qui dictent le bon goût au monde, tiennent dans les joûtes industrielles une place importante, et, tant au point de vue de l’intérêt national que de l’égalité dont on parle beaucoup dans notre société moderne, je vous demande d’appeler des femmes à faire partie de la commission d’organisation de l’exposition.
«Ne pas admettre les femmes à poser avec 32 les hommes les bases de cette vaste entreprise, c’est négliger de s’assurer une partie du succès, en privant des moyens de mieux faire valoir les œuvres qu’elles exposeront, celles dont les étalages excitent en même temps que la convoitise, le ravissement de l’étranger.
J’espère, Monsieur le Ministre, que vous comprendrez qu’en lésant dans cette circonstance les intérêts des femmes, vous porteriez préjudice aux intérêts même de la France, et que vous ferez droit à une juste réclamation.
«Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
«Pour le Cercle du «Suffrage des Femmes».
Cette revendication de l’égalité des sexes devant le travail fut approuvée par la presse sérieuse qui en reconnut la justesse.
En 1898, une pétition pour réclamer «la loi des sièges» fut présentée au nom de la société «Le suffrage des Femmes» à nos représentants.
33
«Messieurs les Députés,
«Messieurs les Sénateurs,
«Nous vous demandons de soustraire les employées de commerce aux maladies des organes abdominaux que la perpétuelle position verticale engendre, en enjoignant aux directeurs des grands magasins de fournir des sièges à leurs vendeuses, et de les laisser s’asseoir, quand elles ne sont pas occupées à la vente, sous peine d’être rendus responsables de la ruine de leur santé.
«Nous espérons, Messieurs, que dans l’intérêt des générations, vous voudrez bien supprimer pour des milliers de futures mères de famille le supplice dangereux de la perpendicularité, et, d’avance nous vous remercions.
Cette pétition couverte de milliers de signatures détermina un courant d’opinion en faveur du droit de s’asseoir pour les employées de commerce. Elle fit déposer en 1900 un projet de loi, imposant aux propriétaires des ateliers, des grands et petits magasins, l’obligation de 34 mettre des sièges à la disposition des vendeuses.
Ce projet de loi fut séance tenante adopté par la Chambre en 1900.
En 1881, elle fonda le journal La Citoyenne qui portait en épigraphe: Est citoyenne la femme qui jouit de l’intégralité de ses droits. Aidée par des collaborateurs dévoués, elle put défendre l’être faible contre lequel les lois avaient multiplié les entraves, et convaincre le scepticisme de ses concitoyens qui ne comprenaient pas que la question du Vote des Femmes pût se poser. Ce droit dont elle a dit:
«Les droits politiques sont l’axe de la question féministe» et qui, seuls dans un gouvernement d’opinion comme le nôtre, pourraient donner aux femmes le pouvoir de réformer les lois et le moyen de faire servir leurs qualités au bien de leur pays.
Signés de son nom ou de son pseudonyme, Jeanne Voitout, ses articles, d’un style si clair qui ne devait rien qu’à elle-même, sont autant de plaidoyers pour libérer la femme.
Un de ses articles qui a pour titre: Une loi stérile, prévoyait l’insuffisance de la loi Camille 35 Sée (1882) sur l’instruction secondaire des filles. Comme toujours lorsque les intérêts féminins se discutent, pas une seule femme n’avait pris part à la discussion:
«Il s’est fait grand bruit à propos de la loi sur l’instruction secondaire des filles votée par les Chambres. Chacun a pensé que le niveau égalitaire passait sur la France, dotait les femmes de la même instruction que les hommes. Erreur profonde: avant comme après la loi promulguée, le statu quo subsiste pour les femmes.
«Nous n’en aurions pas fini, si nous voulions critiquer le programme des écoles secondaires de filles. L’enseignement que les femmes recevront dans ces écoles, les laissera dans la même situation fausse.
«Au sortir des écoles secondaires, les jeunes filles obtiendront un diplôme d’honneur: le diplôme, dit l’article 7 du projet de loi sur l’instruction des jeunes filles, n’aura aucune valeur professionnelle. Il ne tiendra pas lieu de brevet d’institutrice dont il différera essentiellement. Il ne sera pas non plus l’équivalent des baccalauréats ès lettres, ou ès sciences, et 36 par exemple, il ne pourra ouvrir aux jeunes personnes qui le posséderont l’accès des facultés de médecine.
«En voilà assez, je crois, pour édifier les familles sur la valeur de l’instruction qu’on donnera aux jeunes filles dans les établissements d’éducation secondaire. Ne semble-t-il pas que nos législateurs aient pris soin de rendre ce projet inapplicable avant de le voter?
«Comment! dans notre siècle où les infortunes, les revers, les exigences multiples de la vie matérielle assaillent les femmes. Dans notre siècle où chacun a besoin de tripler ses forces pour exister, avoir ce ridicule achevé d’allouer aux femmes qui auront dépensé beaucoup de temps, beaucoup d’efforts, beaucoup d’argent pour acquérir le savoir, un diplôme qu’elles ne pourront utiliser? Mais les parents ne voudront pas de ce diplôme sans valeur. Ceux qui seront riches préféreront donner à leurs filles, au moyen de professeurs particuliers, les connaissances exigées par l’Université pour conférer le titre de bachelier.
«Ceux qui seront peu fortunés ne se soucieront 37 pas de s’imposer des sacrifices, en vue de faire avoir à leur fille cette récompense stérile—un diplôme d’honneur. Les parents se diront que le savoir crée des besoins et que si leur fille n’a pas la possibilité d’utiliser son savoir, elle sera en étant instruite, plus pauvre qu’en étant ignorante.
«Aussi longtemps que l’instruction ne sera pas pour la femme un moyen de ressources pécuniaires, les parents ne songeront pas à faire des sacrifices pour instruire leurs filles. Ils songeront à faire des sacrifices pour les doter. Parce qu’aussi longtemps que les femmes ne pourront acquérir qu’un savoir qui ne s’utilise pas, elles ne vaudront rien par ce savoir, rien par elles-mêmes, elles ne vaudront que par l’argent qu’elles posséderont.
«Si le gouvernement masculin avait sérieusement voulu établir l’instruction secondaire des jeunes filles en France, il l’aurait rendue aussi facilement accessible que véritablement avantageuse.
38
«Au lieu de laisser en grande partie à l’initiative des départements la création des lycées de filles, il aurait voté deux milliards pour leur installation immédiate. Ces milliards, l’Etat eût-il dû les emprunter pour réparer le dommage causé aux femmes, que c’eût été encore une excellente spéculation.
«Mais au point de vue de l’économie budgétaire, la chose la plus logique était d’ouvrir aux jeunes filles les portes des lycées de jeunes gens, et de donner la direction de ces lycées mixtes aux professeurs des deux sexes.
«Les enfants en recevant dès l’enfance le même enseignement substantiel auraient échangé leurs qualités mutuelles. La nature rude de l’homme aurait emprunté quelque chose du caractère doux de la femme, la femme aurait emprunté à l’homme l’énergie qui manque à sa nature.
«Les enfants des deux sexes mis sur les mêmes bancs d’écoles seraient arrivés dans la vie camarades, la main dans la main, s’estimant, se respectant et non plus comme deux ennemis qu’ils sont aujourd’hui. D’une part, l’homme qui se fait un plaisir de tendre des 39 pièges et des embûches à la femme, de l’autre, la femme qui est cuirassée de méfiance vis-à-vis de l’homme. L’enseignement identique aurait donné aux femmes et aux hommes, avec les idées et le savoir, le diplôme identique.
«Les femmes, ayant une fois conquis ce premier échelon, le diplôme de bachelier, auraient pu arriver aux professions libérales. Alors, les familles françaises, qui se préoccupent tant de l’avenir de leurs enfants, se seraient empressées d’envoyer leurs filles dans les lycées acquérir le savoir breveté, qu’elles auraient justement considéré comme un passeport pour traverser la vie, comme une assurance contre la mauvaise fortune, comme un capital inaliénable qui, utilisé, aurait pu leur procurer plus de revenus que les quelques milliers de francs qu’elles auraient pu leur constituer en dot.
«Les députés si désintéressés de tout ce qui regarde les femmes n’ont pas songé à cela, et ainsi la loi sur l’instruction secondaire des jeunes filles sera inefficace parce qu’il n’a pas été permis à une seule femme de prendre 40 la parole dans un débat qui concernait absolument les femmes. Parce qu’il n’a pas été permis à une seule femme de dire cette chose simple: qu’un savoir que les femmes ne pourraient utiliser, ne tenterait ni les efforts des enfants, ni la volonté, ni la bourse des parents».
Hubertine Auclert, avait donc prévu ce qui devait arriver, puisque maintenant on veut réformer l’enseignement secondaire des jeunes filles: Le diplôme qui couronne les études de cet enseignement serait, après avoir été complété par un examen portant sur les sciences et le latin, assimilé à la première partie du baccalauréat. La seconde partie serait passée à la faculté dans les formes accoutumées.
Pour posséder cette seconde partie, les jeunes filles devront s’asseoir sur les bancs des lycées de garçon pour suivre les cours de philosophie ou de mathématiques élémentaires.
Son mariage en 1888 avec Antonin Lévrier l’éloigne de Paris pour aller habiter l’Algérie, où son mari était nommé magistrat.
41
Pendant son séjour dans la colonie, elle étudia la condition de la femme Arabe. Elle a bien vu les maux qui la font souffrir et en propose les remèdes dans le livre qu’elle lui a consacré: Les femmes Arabes[7].
En 1901, elle s’adressa au gouverneur de l’Algérie pour qu’il rétablisse les écoles de filles:
«Monsieur le gouverneur,
«Depuis quarante ans, Alger ne possède pas une seule école Arabe de filles. Comme frustrer les femmes indigènes d’instruction c’est préjudicier à la civilisation de l’Algérie et retarder la fusion des races arabe et française, je vous prie de bien vouloir rétablir au moins une des deux écoles indigènes de femmes créées à Alger en vertu du décret du 14 juillet 1850, qui stipulait que les filles indigènes auraient des écoles où elles recevraient l’instruction primaire.
«J’ai raconté dans les Femmes Arabes comment le Conseil général d’Alger avait en 1861 supprimé les écoles assidûment fréquentées 42 par près de trois cents élèves, promptes à assimiler nos idées et nos mœurs.
«Les musulmanes Algéroises, qui avaient des écoles avant l’annexion et sous l’empire, ne peuvent pas être condamnées à l’ignorance par la République.
«Vous comprendrez, Monsieur le gouverneur général, qu’il y a pour nous Français un intérêt politique à empêcher de dégénérer la race indigène en cultivant le cerveau de ses génératrices, et vous voudrez prouver aux Arabes que vous avez souci de leur évolution, en donnant au plus tôt à leurs jeunes filles, la possibilité de s’instruire dans la capitale de l’Algérie.
«Veuillez agréer, Monsieur le gouverneur général, l’assurance de ma haute considération.»
«Hubertine Auclert.»
Le gouverneur de l’Algérie lui répondit:
«Madame,
«J’ai l’honneur de vous accuser réception de la lettre que vous avez bien voulu m’adresser en vue du rétablissement des écoles indigènes 43 de femmes créées à Alger en 1850 et supprimées en 1861.
«Soyez assurée que je m’associe de tout cœur aux sentiments généreux et patriotiques qui vous inspirent et que je ne tarderai pas à mettre à l’étude la question que vous voulez bien me signaler.
«Veuillez agréer, Madame, mes hommages très respectueux.
«Le gouverneur général: Jonnart.»
En 1901, elle fit déposer une pétition à la Chambre et au Sénat dans le même but.
En 1911, elle fit déposer une pétition à la Chambre et au Sénat, pour appeler l’attention de nos Législateurs sur la situation des femmes Arabes si barbarement traitées par leurs lois.
Dans les «Femmes Arabes», elle intéresse aussi la France conquérante à ce peuple Arabe si intelligent et si brave qu’elle a soumis, et qui est sacrifié à un petit nombre de colons. Elle pensait que le temps était venu pour lui d’être fait citoyen Français.
Pendant son séjour en Algérie, sa collaboratrice 44 qui avait accepté de continuer la publication de La Citoyenne pendant son absence,—absence qu’elle espérait courte, croyant revenir bientôt dans ce Paris qu’elle aimait et qu’elle n’avait quitté que par dévouement à son mari—ne tint pas sa parole. Elle aima mieux fonder un autre journal avec un autre titre.
Ne pouvant continuer La Citoyenne loin des facilités qu’elle trouvait à Paris, sa disparition causa à la courageuse féministe une peine très vive. Elle sentait combien ce propagateur des idées d’émancipation féminine allait manquer à la cause qu’elle soutenait. Cette cause était sa vie. Si bien qu’elle pouvait répondre à un interviewer qui lui demandait, comme à d’autres personnalités; quelle avait été la plus grande joie de sa vie:
«Ma plus grande joie a été d’entendre applaudir à une revendication du pouvoir politique pour les femmes, et de croire que ma force de volonté hâterait l’affranchissement féminin».
Lorsqu’elle revint à Paris en 1892, après la mort de son mari qui lui laissa un vide cruel, comme on lui demandait pourquoi elle s’était 45 logée dans un quartier si triste, près d’un cimetière, elle répondit: Cette tristesse répond à mon état d’âme: mon mari est enterré au Père Lachaise, je ne veux pas le quitter. Il partageait mes idées, il fut l’ami, le camarade, en même temps, le mari affectueux et tendre.
Elle trouva un peu de consolation dans sa solitude à s’occuper de ceux qui souffrent. Elle groupa autour d’elle quelques âmes charitables qui prirent le nom de Tuteurs des Pauvres. Avec leurs cotisations on secourait les pauvres honteux qui sont légions dans notre beau Paris.
On lisait dans le préambule des statuts:
«Il faut que les hommes et les femmes de cœur s’entendent pour sectionner Paris et pour s’imposer la mission de rechercher avec une maternelle sollicitude les désespérés, non seulement dans chaque quartier, dans chaque rue mais dans chaque maison.»
C’était, on le voit, sa conception de décentralisation de l’assistance publique qui permettrait de soulager les misères pressantes et véritables.
A la même époque elle fonda le Secrétariat 46 des Femmes, société d’assistance morale qui a été instituée pour «soutenir les femmes qui défaillent dans les voies douloureuses qui sillonnent la vie, et les aider à reprendre courage et espoir.»
Travailler pour le Féminisme était toujours son plus cher dessein. L’Intransigeant illustré lui ouvrit ses colonnes. Elle y donna des articles littéraires où le féminisme était présenté en action dans une forme attrayante.
En 1896 elle commença sa collaboration au Radical qui devait durer jusqu’en 1909. Presque chaque semaine elle y défendait les Droits des Femmes sous la rubrique: Le Féminisme avec une logique et un bon sens convaincants. La Libre Parole et Le Matin insèrent aussi de ses articles, ainsi que Le Radical Algérien, La Petite République, La Fronde, la Vie Moderne, Moulins-Souvenir, La Cocarde, Le Moniteur Algérien, etc.
Privée de son Journal La Citoyenne comme il a été dit, c’est dans le Radical qu’elle exposera et soutiendra ses idées. Son esprit novateur 47 concevait d’emblée le juste. Aussi ses revendications pour son sexe seront la réalité de demain si elles ne sont déjà passées naturellement dans nos lois.
Celle, pour la retraite de la Corvéable est pleine de raisons irréfutables:
«La législation élaborée sans le concours des femmes s’abstient de tenir compte des intérêts du sexe féminin; la loi sur les retraites ouvrières le prouve encore.
«Si, en effet, en son article premier, cette loi reconnaît le droit à une retraite de vieillesse pour les ouvriers, les ouvrières et les employés des deux sexes, elle omet d’en octroyer une aux corvéables, c’est-à-dire à la majorité des travailleuses.
«Les ménagères qui sans trêve ni repos peinent gratuitement, les génératrices dont la fécondité assure la perpétuation de l’espèce humaine, n’auraient pas droit à la retraite, parce qu’elles œuvrent sans recevoir d’indemnité et que seuls seront pensionnés ceux dont la besogne est payée.
«Sachant désormais que la corvée rebutante faite pour rien, ne donne finalement que 48 droit à l’ingratitude, alors que le travail rétribué procure des titres à la reconnaissance nationale, les femmes voudront-elles continuer à se sacrifier dans la famille et dans la société?
«Les ménagères consentiront-elles à rester les chevilles ouvrières de l’industrie, en libérant des durs travaux de la maison les professionnels, pour n’avoir en leurs vieux jours que la ressource de tendre la main à l’Assistance publique pendant que ceux dont elles auront assuré le gain auront une pension de retraite?
«Si les femmes n’étaient point exclues de la politique, elles pourraient en toute occasion sauvegarder leurs intérêts et, lors du vote définitif de la loi, se faire attribuer, en tant que procréatrices et ménagères, le tribut de reconnaissance qui leur est dû.
«Quelques députés consciencieux ont déjà réclamé pour la corvéable: M. Mirman a dit que c’était insensé de ne reconnaître que les femmes qui travaillent à l’usine et de laisser sans retraite celles qui ayant beaucoup d’enfants ne peuvent aller à l’atelier et travaillent 49 chez elles auprès de leurs enfants, que si on les excluait de la retraite, on détruirait le foyer, la famille, car les ménagères trouveraient qu’il est pour elles bien plus avantageux d’être ouvrières que corvéables. Eh bien, les collègues de M. Mirman lui ont répondu qu’il était un empêcheur de danser en rond.
«M. Allemane n’a pas été plus écouté quand proclamant la valeur du travail ménager l’assimilant au travail industriel, il a demandé pour les deux sexes pouvant justifier de trente ans de travail salarié ou de trente ans de corvée familiale une retraite de 360 francs à soixante ans.
«En s’abstenant de tenir compte du travail ménager, les législateurs pousseront à bout les femmes qui le font et ils dessilleront les yeux des électeurs qui en définitive écopent ici, puisqu’ils sont des époux, des fils, des frères qui seraient plus fiers de voir leurs épouses, leurs mères, leurs sœurs retraitées en leur vieillesse qu’inscrites à l’Assistance publique.»
«Et comme la loi sur les retraites ouvrières 50 va nécessiter la création de fonctions nouvelles, elle demande pour les femmes leur part de ces emplois: «Les femmes seraient bien désignées pour ces services de contrôle et de surveillance».
En 1905 elle prend texte de la création d’une caisse de retraite pour les anciens sénateurs après celle des anciens députés, pour demander la retraite pour les Mères:
«Cette sage prévoyance des élus pour eux-mêmes devrait bien aussi s’exercer en faveur des perpétuatrices de l’espèce humaine, qui, en assurant l’existence de la nation, lui rendent avant députés et sénateurs, service.
«M. Piot inciterait plus au repeuplement en fondant une caisse de retraite pour les Mères qu’en offrant de détaxer les pères.
«Les mères ne recevant pas encore d’indemnités comme les fonctionnaires, elles ne peuvent, ainsi que MM. les Sénateurs et Députés, prendre sur des mensualités qu’elles ne 51 touchent pas, de quoi alimenter leur caisse de retraite.
«Et, comme les mères ont vu s’augmenter, avec le nombre de leurs enfants, leur détresse, elles n’ont naturellement pas le sou pour payer des cotisations, c’est donc l’Etat leur débiteur qui doit assurer le fonctionnement de leur caisse de retraite.»
En 1907 pendant la discussion de la loi des Retraites ouvrières, elle adresse au nom de la Société «Le suffrage des Femmes», la lettre suivante à M. Viviani ministre du Travail.
«Monsieur le Ministre,
«Nous espérons que vous désirez rendre de nouveaux grands services aux parias françaises, et nous vous prions de vouloir bien—quand vous défendrez devant le Sénat les retraites ouvrières—trouver dans votre cœur et dans votre éloquence le moyen de faire assimiler aux ouvrières de l’usine et de l’atelier les travailleuses ménagères mères de famille, forcées d’exercer leur profession auprès de 52 leurs enfants et qui ne doivent point, parce qu’elles assurent l’existence de la nation, être privées de retraite et réduites en leur vieillesse à mendier leurs dernières bouchées de pain.
«Le sexe féminin qui contribuera comme le sexe masculin à l’établissement des retraites ouvrières, doit bénéficier de ces retraites après trente ans de travail familial ou ménager.
«Plusieurs députés, notamment MM. Mirman, Allemane, Coûtant, Fournier, ont relativement à la retraite, proposé d’assimiler le travail ménager et familial au travail industriel.
«Les retraites pour les ménagères mères de famille, ne seront que l’acquittement d’une dette nationale.
«Nous vous supplions, Monsieur le Ministre, de tenter l’impossible pour faire préserver les femmes de la misère en leur vieux jours, et nous vous demandons d’agréer, avec l’expression de notre profonde gratitude, l’assurance de notre haute considération.»
La diminution des naissances qui rend, pour la France, la repopulation une question vitale, 53 avait suggéré à M. Piou député, l’idée de favoriser les parents qui mettraient au monde un certain nombre d’enfants. La Chambre nomma une commission où les femmes ne furent pas appelées, et ces Messieurs ne trouvèrent naturellement que de pauvres dédommagements pour engager l’augmentation de la famille: «Il nous semblait que les deux sexes étaient seuls compétents, écrit Hubertine Auclert, pour décider d’une affaire où le couple est indispensable. Eh bien, cette commission a été nommée et pas un nom de femme n’y figure. Les hommes qui entendent seuls gouverner et administrer la France sont suffisants pour repeupler la France. Ils n’ont, paraît-il, pas besoin du concours des femmes pour augmenter la natalité.»
Elle pensait que l’indemnisation maternelle, serait seule capable de résoudre la question.
Le Congrès qui s’occupe périodiquement de la traite des blanches, et un Congrès tenu à Lyon en 1901 dans le but de réclamer la suppression 54 de la réglementation de la prostitution lui inspiraient ces réflexions:
«Les ordonnances qui régissent la prostitution légale ravalent la femme au-dessous de l’animal. Si encore, ces investigations immorales servaient à autre chose qu’à dégrader les femmes, mais de l’avis des nombreuses sommités médicales elles n’atténuent en rien la contamination. En regard de la rigueur dont on use envers les femmes prostituées, il faut considérer la latitude, la liberté pleine et entière laissée aux hommes prostitués.
«Cette particularité démontre une fois de plus que tous les français ne sont pas égaux devant la loi, tant que les femmes ne contribuent pas à faire cette loi. Le mobile qui dirige la prostituée est cependant plus excusable que celui qui dirige le prostitué. La femme qui s’offre sur le trottoir est une façon de mendiante qui donne une compensation à qui lui fait l’aumône de quelques francs.
«Est-ce sa faute si elle est prostituée? victime de l’incohérence sociale qui l’a préparée pour vivre au foyer entre un mari et des enfants, elle a vu hélas! qu’il n’y avait pour elle, 55 comme pour la moitié des femmes, pas plus de mari que de foyer.
«Si au lieu de patenter la prostitution, la République interdisait à tous la débauche, l’homme trouverait au célibat moins de charme et l’armée du vice serait réduite. Une seule et même morale. Les hommes ramenés à la moralité féminine et non les femmes admises au laisser-aller masculin, car, pour quelques filles qui bénéficient de la dissolution des mœurs, la généralité des femmes en souffre.»
Déjà en 1882, elle s’était occupée de la prostitution.
«Le nombre des prostituées hommes et femmes allant toujours croissant et le gouvernement s’occupant de trouver un moyen d’enrayer la prostitution, nous avons dans la lettre suivante adressée à M. le Ministre de l’intérieur, indiqué une vraie solution pour débarrasser Paris de ce fléau:
«Monsieur le Ministre,
«Puisque vous vous préoccupez de concert avec M. le Préfet de police, d’élaborer un projet de loi contre la prostitution, permettez-moi, 56 à moi, dont la pensée unique est l’affranchissement de la femme, d’apporter mon humble avis dans votre discussion.
«Pour frapper de mort la prostitution publique, il faut cesser de la patenter et être pour les malheureuses, humain et inexorable: Humain en leur fournissant le moyen de ne pas mourir de faim sur le pavé de Paris. Il suffirait pour cela de créer un vaste établissement où les femmes inoccupées trouveraient à titre de prêt, le vivre et le couvert avec les facilités de se procurer du travail. Cet établissement pourrait fonctionner avec quelques millions qu’on trouverait au moyen d’une loterie que vous autoriseriez. Dès lors les prostituées n’ayant pas la faim pour excuse de leur débauche et de leur fainéantise, devraient être impitoyablement traquées et après récidive, être embarquées sur un navire de l’Etat en partance pour une Colonie, qu’elles transformeraient en compagnie des hommes prostitués sous l’œil bienveillant d’un agronome, en exploitation agricole qui en les faisant vivre rapporterait encore de beaux deniers à l’Etat.
57
«Vous voudrez bien remarquer, Monsieur le Ministre, que ma proposition ne coûterait rien au gouvernement et qu’elle assainirait, à la grande satisfaction des honnêtes femmes, la voie publique d’une manière définitive.
«Veuillez agréer Monsieur le Ministre, l’hommage de mon respect.
«Hubertine Auclert.»
En 1904, elle publia sa brochure L’argent de la Femme, où, dans le chapitre: Les femmes sans fortune et le contrat de la séparation de biens. On voit que ce contrat mettrait un terme à une poignante situation.
Qui n’a connu ou entendu parler de ces maris ivrognes ou dépensiers, qui vendent ce que possède le ménage autant de fois que la femme a pu racheter le mobilier et le linge, au nom du droit marital de disposer seul, s’il le veut, des biens de la Communauté.
Pour éviter ces faits révoltants, la séparation de biens légale—sauvegarde des intérêts de la femme riche comme de la femme qui ne possède rien—devrait remplacer le contrat 58 de la communauté de biens, lorsqu’il n’a pas été fait de contrat.
Elle fit signer la pétition suivante en 1904 pour demander cette substitution:
«Messieurs les Législateurs,
«La femme qui apporte dans le ménage sa valeur travail ou son argent, souvent les deux ensemble, ne peut continuer à y être une mendiante tendant la main à son mari.
«Nous vous prions de considérer qu’en l’association conjugale comme en toutes les autres associations, de bons rapports résultent de la considération réciproque et c’est au détriment du bonheur familial, que l’épouse est dépossédée par le mari de son avoir, de son revenu et de son gain.
«Pour préserver la femme et les enfants de la ruine, pour les protéger contre un mari et père parfois dissipateur, nous vous demandons de substituer à la communauté, comme régime légal du mariage, la séparation de biens élargie qui laissera à la femme, avec la propriété de ses meubles (argent, valeurs) celle de ses immeubles et accordera aux deux conjoints 59 qui ont mis en commun leurs ressources et leur activité, le même droit d’administrer les économies réalisées dont chacun aura part égale.
Son autre brochure Le nom de la Femme publiée en 1905, expose les avantages que la femme aurait à garder son nom:
«Lorsque les veuves, les divorcées prennent successivement le nom de plusieurs époux, on ne sait plus comment les nommer. Le nom du premier en titre est souvent celui qui vient d’abord sur les lèvres.
«Quel embarras l’on cause! quelle confusion l’on éprouve soi-même quand, par mégarde on salue, devant un remplaçant, une dame du nom d’un remplacé.
«La coutume pour l’épouse de porter le nom du mari, que les réformateurs du Code veulent rendre légale et que nous nous efforçons de faire disparaître, est relativement 60 récente; les anciens ne la connaissaient pas.
«Les Gaulois, les Celtes, comme tous peuples primitifs de race Arienne n’avaient que des noms individuels.
«Ce ne fut que vers le Xe siècle que s’établit l’hérédité du nom qui fit dès lors partie du patrimoine familial.
En 1908, elle publia «Le Vote des Femmes». Elle donne l’historique du rôle politique des femmes à travers l’histoire et celui des femmes qui se sont dévouées, dans les temps plus près de nous, à l’obtention des droits civils et politiques pour leur sexe. Elle donne toutes les raisons qui doivent faire accorder le vote aux femmes: «Elles, qui seront l’élément moralisateur et économe de nos assemblées.»
Hubertine Auclert fut une fervente de la Vierge guerrière, Jeanne d’Arc, qui a illustré notre sexe, et en laquelle elle voyait la première féministe. Elle aurait voulu que les femmes lui montrassent leur admiration et 61 leur reconnaissance. Dans ce but elle fit à la mairie du XIe, lieu de réunion du «Suffrage des Femmes», ce court résumé de la vie active de l’héroïne:
«Née à Domrémy en 1412, brûlée à Rouen en 1431, Jeanne d’Arc, vécut à une époque où l’intervention du surnaturel servait à tout expliquer.
«Il ne faut donc pas s’étonner que, quand émue par la mise à feu et à sang de la France par les Anglais, Jeanne eut l’idée sublime de chasser de son pays les envahisseurs. Elle attribuait à un appel d’en haut, qu’elle prit pour des voix, les incitations de son âme héroïque.
«Sa volonté obstinée transforma la petite paysanne de 17 ans, qui ne savait ni lire ni écrire, en une guerrière de fière allure, en un chef de guerre expérimenté, poussant des attaques, disposant les pièces d’artillerie comme un grand capitaine, faisant preuve d’un génie militaire. Il eût été loué comme celui de Napoléon, si Jeanne, au lieu d’être femme, avait été un homme.
«La délivrance d’Orléans par Jeanne d’Arc, 62 sa campagne de la Loire, sa marche sur Reims parurent si prodigieuses aux Anglais, qu’ils nommèrent notre surhumaine compatriote, un instrument de Dieu ou du Diable.
«A notre époque un peu de merveilleux s’explique, on sait qu’il y a dans la nature des êtres et des plantes qui sont des phénomènes. En visitant les expositions, on voit parfois un légume, un fruit, une fleur extraordinaires, excitant l’admiration générale autant que la surprise. Jeanne fut un être phénoménal bien supérieur aux êtres de son espèce.
«Jeanne d’Arc fut la personnification du patriotisme; elle créa un courant d’enthousiasme, fit prendre aux Français confiance en eux-mêmes en les assurant qu’ils seraient vainqueurs.
«Jeanne d’Arc fut la personnification du féminisme, en dépit des sarcasmes et des injures; elle marcha sur les vieux usages et sur l’autorité des puissants, afin d’user malgré les hommes, du droit qu’avaient les hommes pour sauver leur pays.
63
«On reprocha à Jeanne d’avoir fait œuvre d’homme au lieu de s’être adonnée aux œuvres de femme. On lui reprocha d’avoir répudié les habits de son sexe et pris des habits d’homme.
«On lui reprocha d’avoir eu l’arrogance impie de prendre empire sur des hommes, de se faire chef de guerre. Tous ces reproches démontrent que Jeanne fut notre ancêtre.
Les Anglais appelaient Jeanne une porte-quenouille, mais ils redoutaient tant cette porte-quenouille, qu’ils la payèrent 61.000 livres aux Bourguignons.
Bien avant que lui aient été élevés des autels, Jeanne reçut l’hommage des féministes. Le 29 mai 1885, la société «Le Suffrage des Femmes», alla déposer sur son monument, place des Pyramides, une couronne de lauriers portant cette inscription: A Jeanne d’Arc, «Le Suffrage des Femmes».
En 1908, la Société est retournée porter une couronne de fleurs à la statue de Jeanne d’Arc, mais Hubertine Auclert aurait voulu 64 que les sociétaires y vinssent chaque année.
Après avoir entendu son discours devant la statue, les membres du Suffrage distribuèrent aux passants ce petit tract qui reproduit quelques phrases du petit résumé de leur secrétaire-générale.
«Jeanne d’Arc fut la personnification du féminisme. Elle ne tint compte ni des usages, ni de l’autorité des puissants, et elle usa, malgré les hommes, des droits des hommes, pour sauver son pays.
«Avec l’énergie de Jeanne d’Arc, les Françaises doivent réclamer le droit de voter, afin de pouvoir affermir la République, en en faisant le gouvernement de tous et de toutes».
Elle croyait nécessaire le Jury mixte:
«Parce qu’un jury exclusivement masculin n’est pas seulement incompétent pour juger des femmes, il est surtout partial étant juge et partie dans sa propre cause.
«Puisque les femmes sont reconnues responsables et comparaissent comme hommes en cours d’assises elles doivent siéger comme eux dans les jurys.
65
«Les hommes juges ne peuvent avoir le même état d’âme que les femmes enfermées par la législation en une condition qui produit des pensées et des mouvements différents des leurs.
«Un jury exclusivement composé d’hommes peut-il, par exemple, pénétrer tous les replis de l’action d’une fille-mère qui tue son enfant? non, attendu qu’il n’est pas donné à l’homme de subir les épreuves physiologiques de la maternité; il n’est pas enfermé dans un réseau de préjugés qui rejette la mère hors mariage, hors de la société; n’est pas apte à apprécier l’acte des vengeresses sur les parjures, car l’amour, passe-temps pour l’homme, est pour la femme l’affaire la plus importante.
«Pour décider de la culpabilité ou de l’innocence des humains la lumière humaine intégrale est nécessaire, toutes les intelligences, tous les cœurs doivent intervenir dans le prétoire quand la collectivité s’improvise juge de l’individu. L’admission des femmes en judicature ne sera pas une innovation en France, il y a eu des femmes juges.
66
«Aux anciens temps de notre histoire, des femmes étaient investies du droit de dire justice; elles rendaient en personne la justice sur leurs terres:
«Puisque les deux sexes sont justiciables les deux sexes doivent être juges. Les verdicts rendus contre les femmes par des tribunaux exclusivement composés d’hommes n’ont pas de sanctions morales».
En 1908 M. Briand alors ministre de la justice, ayant adressé aux procureurs généraux une circulaire pour les inviter à faire figurer dans les jurys des citoyens exerçant des professions manuelles: «Le Jury se recrute ainsi, écrivait M. Briand, non sur l’ensemble des citoyens, mais parmi certaines catégories. Il ne réalise donc pas complètement la justice populaire qu’a voulu instituer la révolution».
La vaillante féministe pensa que le garde des sceaux qui réparait une injustice envers les ouvriers voudrait, sans doute, compléter sa réforme en proposant la composition mixte d’un jury composé d’hommes et de femmes. Elle écrivit à M. Briand:
67
«Monsieur le garde des Sceaux,
«Vous venez d’élargir les bases du Jury: Vous avez remarqué que «le Jury se recrute non sur l’ensemble des citoyens, mais parmi certaines catégories et qu’il ne réalise pas complètement la justice populaire qu’a voulu instituer la révolution».
«Pour ces raisons, vous avez introduit dans le jury l’élément ouvrier qui n’y était pas. Vous en concluez que «les verdicts rendus n’en auront que plus de force et plus d’autorité».
«Ces paroles sont empreintes d’une grande sagesse et l’on ne saurait qu’applaudir à l’esprit d’équité qui vous les dicta.
«Le Jury d’hier était un jury de classe, puisqu’une classe en était bannie; l’ouvrier n’était pas jugé par l’ouvrier. Votre circulaire réalise un progrès politique et moral. Mais c’est un progrès incomplet.
«Le Jury ne sera plus un jury de classe; il restera un jury de sexe.
«Vous qui trouvez nécessaire que l’ouvrier relève aussi de la justice de l’ouvrier: comment ne trouvez-vous pas injuste que la 68 femme ne relève jamais que de la justice de l’homme?
«Nous ne faisons pas plus le procès à l’homme que vous n’avez fait le procès des bourgeois. Nous constatons que la femme se présente devant un jury où la femme n’est point représentée, que l’homme, juge et partie dans sa propre cause, est incapable d’apprécier le mobile qui a dicté certains délits spéciaux aux femmes.
«La loi fait à sa conscience, cette injure de la tenir pour incapable de remplir cette fonction. Il vous appartient de compléter votre œuvre en faisant modifier la loi.
«Le Jury ne sera vraiment l’expression intégrale du sentiment populaire que lorsque la femme y sera assise à côté de l’homme, comme vous venez de faire asseoir l’ouvrier à côté du patron.
«Vous demanderez avec nous au nom de la stricte équité, l’entrée des femmes dans le jury.
«Alors seulement, vous pourrez vous vanter, et nous pourrons vous louer d’avoir fait, non une œuvre politique, mais une œuvre véritablement large, humaine et juste.
69
«Daignez agréer, Monsieur le Garde des Sceaux, l’assurance de mes sentiments de très haute considération.
M. Briand pensa, assurément, que tout était bien ainsi pour les femmes, qui n’avaient pas besoin de représentantes femmes pour être bien jugées. La question est toujours posée. Ce seront les femmes avec leur bulletin de vote qui la résoudront.
Elle croyait à la supériorité du gouvernement direct:
«Le gouvernement direct rallierait à lui les électeurs de plus en plus nombreux qui désertent les salles de vote. Il activerait le développement politique de la nation, en étant une école de sens pratique qui forcerait les français à s’initier à tout ce qui a trait aux affaires publiques.»
«Il serait favorable à nos finances. Les intéressés ne votant les dépenses qu’après examen.
70
«Enfin le gouvernement direct assurerait la paix sociale. Lorsque tout serait fait avec leur assentiment, les contribuables et justiciables, n’auraient rien à réclamer. Aucune catégorie d’individus ne pourrait se révolter, si les décisions publiques exprimaient le vouloir du corps social sans distinction de classe ni de sexe.
«Chaque fois qu’en France la population d’une commune ou d’une ville a été appelée aux urnes, à un jour donné, pour décider du transfert de marchés ou d’édifices publics, du déplacement de voies ferrées, d’installations de régiments, d’augmentations de garnisons, de subventions aux théâtres, de cérémonies publiques, ou de la durée du travail, de la quotité du salaire, des grèves, les femmes ont comme les hommes pris part à ce référendum et leurs voix comptées ont valu celles des hommes.
«Or, le référendum, qui fait les femmes égales des hommes devant l’urne, est l’embryon du gouvernement direct.»
71
Si son esprit précurseur suggérait les idées, il devançait aussi les méthodes. Afin que l’image s’impose à la mémoire par la vision, elle avait fait illustrer les affiches apposées dans tous les quartiers de Paris pendant la période électorale de 1906, où elle résumait les bienfaits que procureraient à la nation et à la commune l’accession des femmes à la vie politique. Le couple humain était représenté se rencontrant devant l’urne pour y déposer chacun son bulletin.
Pendant la grande guerre, la Défense nationale et les œuvres de guerre, se sont servis des mêmes procédés pour leurs demandes au public faites sur des affiches dessinées par des Maîtres.
En 1904, elle suggéra le dessin d’une carte postale esthétique qui représente l’homme et la femme allant de compagnie, déposer dans l’urne le bulletin de vote. Un timbre du même dessin se colle à gauche de la semeuse qui de son geste, paraît semer l’idée du Féminisme.
Cette carte et ce timbre reproduits par les journaux mondiaux furent l’objet d’appréciations 72 flatteuses, ce qui lui faisait dire:
«A mesure que les féministes montent le calvaire, les injures de la rue et de la presse se modifient; maintenant, on leur fait plutôt escorte de sympathie.»
Aux élections du 24 avril 1910, pour mettre en action la revendication du suffrage féminin, des femmes courageuses résolurent de poser leur candidature[8]. Hubertine Auclert fut candidate pour la deuxième circonscription du XIe arrondissement, avec Mme Renée Mortier pour la 3e et Mme Gabrielle Chapuis, pour la première. Leur Programme commun s’exprimait ainsi.
«Les Hommes et les Femmes pareillement justiciables et contribuables, sont égaux devant la Loi et jouissent de leurs droits civils et politiques.
«Le suffrage restreint aux hommes devient réellement universel en s’universalisant aux Femmes.
73
«La nation formée d’hommes et de femmes est intégralement représentée dans les Assemblées administratives et législatives. Les Françaises comme les Français—en attendant qu’ils gèrent directement la commune et l’Etat—chargent des Mandataires de défendre leurs intérêts au Parlement et à l’Hôtel-de-Ville.
«Les seuls électeurs sont comptés pour établir les circonscriptions électorales. Si les Femmes, qui ne sont pas représentées, ne contribuaient point à former des sièges législatifs, il y aurait 310 députés de moins, près de 5 millions d’épargnés.
«Les Hommes et les Femmes reçoivent le même développement physique, moral, intellectuel, professionnel.
«Toutes les carrières, les emplois, les fonctions publiques sont accessibles aux femmes comme aux hommes.
«A production égale, salaire égal, pour les deux sexes.
«L’Etat oppresseur qui nous prend notre argent et qui restreint notre liberté, est remplacé par l’Etat libérateur qui diminue les 74 charges, assure le travail aux français valides, l’assistance aux malades et infirmes.
«Les ménagères qui font gratuitement à la maison le travail d’hommes de peine, de cuisinier, de blanchisseur, ont comme les salariés, droit à la retraite ouvrière.
«Chacun touche la totalité du prix de son labeur. Les syndicats responsables, remplaçant les entrepreneurs, sont seuls aptes à recevoir des patrons le travail et à le répartir aux travailleurs.
«L’Homme et la Femme sont dans le mariage, des associés égaux qui restent maîtres de leur personne et de leur avoir.
«La maternité est la première des fonctions sociales. Les mères dépourvues de moyens d’existence, pendant qu’elles perpétuent la Nation, sont comme les soldats pendant qu’ils défendent le territoire, nourries, logées, vêtues par la société.
«Toutes les denrées alimentaires de première nécessité sont exemptées d’impôts.
«La justice est gratuite. Les tribunaux et les jurys sont composés d’hommes et de femmes.
75
«Les électeurs délèguent leurs pouvoirs pour un an, jusqu’à ce qu’ils gardent en permanence leur souveraineté et exercent directement le gouvernement.
«Electeurs, votez pour ces candidates.
«Imposez l’entrée des femmes dans le droit commun, elles vous aideront à pénétrer le mécanisme de la politique et bientôt, vous serez à même de rester vos maîtres.»
Une de leurs affiches s’adressait aux électeurs:
«Citoyens, qui voulez assurer la représentation de la minorité des Electeurs, vous ne pouvez pas laisser sans Représentants au parlement, la majorité de la nation formée des Femmes.
«Les Françaises et les Français qui subissent les mêmes lois, qui supportent les mêmes charges, sont à titre égal, des ayants-droit à 76 sauvegarder leurs intérêts, en votant et en légiférant.
«C’est au détriment de toute la nation, que les femmes prévoyantes et économes sont exclues du gouvernement du pays; car en supprimant le gaspillage, elles feraient instaurer dans l’Etat, le bien-être qu’elles savent entretenir dans la maison.
«Electeurs, si vous voulez précipiter la marche du progrès, agissez en souverains équitables, donnez vos voix à des Féministes qui luttent pour compléter l’affranchissement humain.
«Pour vous représenter dans la 2e, la 1re, la 3e circonscription du XIe arrondissement, envoyez à la Chambre les candidates:
«Hubertine Auclert, Gabrielle Chapuis, Renée Mortier.
«Vous êtes souverains, votre volonté a force de loi. Assurez l’élection de ces trois candidates en leur donnant vos votes et vous ferez commencer en France l’ère de Justice que tout le monde attend.»
Des électeurs répondirent à l’appel des 77 Femmes. Hubertine Auclert obtint 590 voix, Renée Mortier 200, Mme Gabrielle Chapuis étant tombée malade n’avait pu soutenir sa candidature.
Les élections municipales de 1908 lui permirent de faire une manifestation, qui fut un vrai sacrifice à sa cause, car elle était aussi timide de caractère qu’audacieuse de pensée. «Désespérée, a-t-elle dit, de ne point voir aboutir mes efforts légaux, je pensais que les hommes avaient fait des barricades pour pouvoir voter, et bien que très ennemie de la violence, je culbutai l’urne électorale à la section de la mairie du 4e arrondissement», ce qui lui valut d’être condamnée à 16 francs d’amende avec sursis.
Aux élections municipales de 1912 les femmes ne se présentèrent pas. Elles firent apposer des affiches dans tous les quartiers:
Celles de la Société du «Suffrage des femmes» préconisaient la gestion de la commune par les hommes et les femmes qui 78 apporteraient au bien commun leurs qualités particulières.
«Nous réclamons l’électorat et l’éligibilité pour les femmes, parce que ce ne sera que quand les femmes voteront et seront élues, que le Conseil Municipal sera l’image exacte de Paris où il y a actuellement 173.000 femmes de plus que d’hommes.
«Nous réclamons l’électorat et l’éligibilité pour les femmes parce que la France ne sera bien administrée que quand les hommes et les femmes apporteront dans la gestion de leur bien commun, chacun leurs qualités particulières.
«Le renchérissement rend urgent de faire s’appliquer tout l’effort humain à l’administration publique, les hommes ne pouvant pas plus dans la commune que dans la maison, organiser, sans le concours des femmes, le bien être.
«Les Parisiens et les Parisiennes qui subissent les mêmes lois, qui supportent les mêmes charges sont à titre égal des ayants-droit à sauvegarder leurs intérêts à l’Hôtel-de-Ville. C’est au détriment de tous les habitants 79 que les femmes prévoyantes et économes ne voteront ni ne seront élues le 5 mai.
«Les Conseillers Municipaux qui ont des attributions masculines et féminines, ne peuvent à la fois être hommes et femmes. L’absence de sollicitude maternelle laisse en la capitale du monde des enfants nombreux sans logement.
«Si les femmes participaient à l’administration de la Ville de Paris, les constructeurs seraient obligés de tenir compte des besoins de la population peu fortunée; ils devraient édifier cinq maisons à petits loyers, pour une maison à gros loyer.
«L’administration des hommes et des femmes ferait s’établir la vie à bas prix. En supprimant les octrois, elle épargnerait de l’argent, car l’impôt perçu sur l’estomac des parisiens est plus que dépensé en journées d’hôpital, (l’alimentation insuffisante prédisposant aux maladies).
«Les femmes qui savent augmenter la valeur d’emploi de l’argent amélioreraient immédiatement l’existence matérielle des habitants et elles donneraient à chacun la sécurité du lendemain.
80
«Electeurs, faites adjoindre les femmes aux hommes pour administrer Paris.»
Dans les réunions mensuelles que tenait à la Mairie du XIe arrondissement, la Société «Le suffrage des Femmes», Hubertine Auclert mettait dans ses Causeries les femmes au courant de la politique du jour, examinait ce qui dans les lois en discussion leur était avantageux ou défavorable.
Elle parlait souvent de la puissance du vote pour les femmes:
«Les femmes se soucient peut-être peu du vote, mais toutes désirent certainement ce que le vote peut procurer: le bonheur, la liberté, le bien-être.
«Comme l’homme vous voulez pouvoir utiliser vos facultés, vous voulez que tous les emplois vous soient accessibles, vous voulez quand vous faites le même travail que l’homme recevoir les mêmes appointements que lui.
«Jeunes filles, vous voulez être libres d’aller et de venir à volonté sans être le jouet des larrons d’honneur; épouses, vous voulez 81 cesser d’être la servante et la dupe pour devenir la compagne, l’amie de votre mari; mère, vous voulez avoir, au moins, autant que le père le droit de diriger vos enfants. Femmes trompées et trahies, si vous demandez justice, c’est, n’est-il pas vrai, pour éviter d’être obligées de vous faire justice à vous même. Eh bien, vous aurez justice. Eh bien, vous pourrez réaliser vos souhaits d’une meilleure condition sociale quand vous posséderez le vote. Le vote est ce qu’il y a de plus immédiatement désirable puisqu’il vous investira d’un pouvoir féerique au moyen duquel vous pourrez, pour ainsi dire, réaliser vos désirs par la seule puissance de votre volonté. Pour que tout soit dans la société, dans la famille, dans l’état à votre avantage et à l’avantage de tous il faut que vous femmes, qui êtes des ayants droits, il faut que vous femmes, qui subissez les lois, il faut que vous femmes vous participiez au gouvernement du pays. Pour conquérir leurs droits électoraux il suffit que les femmes aient pour elles-mêmes une heure de ce suprême dévouement dont elles sont pour tous prodigues.
82
«L’antagonisme des sexes a sa source dans la fausse situation faite à la femme dans la société. Légalement inférieure, la femme est déconsidérée par l’homme qui se croit, comme la loi l’établit, supérieur à elle, et en conséquence la traite en sujette et abuse d’elle.
«Toutes preuves scientifiques ont été données que la nature n’a pu faire inégaux deux êtres de la même espèce. Quand cette égalité des sexes proclamée par la loi sera passée dans les mœurs l’entente sera alors possible entre les humains. L’homme mettra de la courtoisie dans ses rapports avec la femme, car on impose, en l’élevant, la considération et le respect pour un individu.
«Les hommes se sont attribués le droit de tout régler dans la société, absolument comme s’il n’y avait pas dans cette société deux facteurs avec leurs qualités propres. Les femmes sont, cependant, considérées comme personnes raisonnables puisqu’on leur attribue la responsabilité de leurs actes. Elles font, à n’en pas douter, partie intégrante de l’association.
«Le suffrage universel doit être l’expression 83 réelle de la volonté de la nation. Or, tant que les femmes ne voteront pas l’opinion exprimée par le suffrage restreint de la moitié de la nation ne sera qu’un mensonge; on ne connaîtra réellement la volonté de la France que quand les hommes comme les femmes voteront. Tous subissent les lois. Tous hommes et femmes doivent concourir à les faire. Tous ayant des intérêts en jeu, tous hommes et femmes doivent intervenir pour les défendre».
Dans une autre causerie elle s’occupait de la dénomination des femmes:
«La femme a deux dénominations. Que l’homme soit jeune ou vieux, qu’il soit célibataire ou marié on lui donne ce même et unique titre: «Monsieur». Tandis que devant toute femme, une énigme se dresse, l’appellera-t-on «Madame», l’appellera-t-on «Mademoiselle».
«Mademoiselle» servait autrefois de dénomination à toute femme mariée non titrée.
Aujourd’hui «Mademoiselle» est le titre donné aux filles non mariées.
«Madame», ancien titre des femmes des 84 chevaliers, s’emploie actuellement en même temps que pour désigner les femmes mariées, les filles de rois.
Comment savoir si une femme est ou «Madame» ou «Mademoiselle». Le porte-t-elle écrit sur son front? A-t-elle son signe particulier pour le faire reconnaître?—Non.
L’âge lui-même n’est pas un indice, attendu qu’il y a des femmes mariées qui ont quinze ans et des femmes non mariées qui ont soixante ans. Comment deviner alors la dénomination à donner aux femmes? N’est-on pas souvent porté à appeler «Madame» celle qui est «Mademoiselle» et «Mademoiselle» celle qui est «Madame»? Elle montrait les erreurs que l’on pouvait commettre par inadvertance, qui sont parfois préjudiciables aux femmes.
Il fallait donc adopter une seule dénomination; elle engageait ses auditrices à qualifier uniformément les femmes du titre de «Madame».
Au moment où Hubertine Auclert se disposait à publier Les Femmes au gouvernail, 85 la cause des femmes semblait entrer dans une phase de réalisation, qu’annonçait déjà la manifestation du Journal, organisant un vote féminin dans ses bureaux, à l’occasion des élections législatives de 1914, qu’elle avait approuvée, quoique ne la tenant pas pour décisive. Elle l’explique dans sa réponse au Journal qui lui avait demandé son opinion:
«Le Journal si bien renseigné, si bien documenté sur tout, a certainement vu dans mon livre Le vote des Femmes, et dans mon journal La Citoyenne, qui parut de 1881 à 1891, que je revendique depuis plus de 40 ans les droits politiques pour les françaises. C’est vous dire si je suis heureuse qu’un important organe parisien stimule mes efforts en accordant sa grande publicité à la propagande en faveur de l’affranchissement politique des femmes. Mais la manifestation qu’il organise, qui excite au plus haut point ma reconnaissance, ne sera pas une expérience décisive permettant de savoir si les femmes veulent voter; attendu, qu’il y aura peu de Françaises qui participeront à cette manifestation. De même que parmi les nombreuses femmes qui 86 désirent coopérer au gouvernement de leur pays, il n’y a qu’un nombre infime qui le demande, il n’y aura parmi les nombreuses femmes qui veulent voter qu’un nombre restreint de femmes, qui enverront leur bulletin au journal.»
Elle disait vrai, puisque pour ce vote fictif 572.000 bulletins seulement parvinrent au journal.
En mars 1914, la maladie est venue lui ôter toute espérance de voir le succès du Féminisme pour lequel aucune peine, tant morale que physique, ne lui avait coûté. Elle s’en plaignait doucement.
La douleur de ceux qui l’on aimée est profonde, en pensant qu’elle n’a pas vu non plus, la révélation que les femmes ont faite de leurs aptitudes, et dont elle avait pressenti le rôle pendant la guerre qui nous menaçait, et qu’avec son esprit sagace elle voyait venir sûrement en lisant les apprêts formidables de l’Allemagne, qui ne trouvaient d’écho chez nous que par des appels au pacifisme!
Ce n’étaient pas seulement les armements 87 toujours plus intensifs de notre ennemie ni son emprunt de guerre qui lui faisaient voir la guerre imminente. Déjà en 1887 elle avait prévu la guerre et son caractère d’extermination. Dans un article de la Citoyenne de mai 1887 elle écrivait:
«M. de Bismarck, las de nous voir mépriser ses provocations, a brutalement fait arrêter, ligoter et emprisonner à Metz un fonctionnaire français, M. Schnœbélé, commissaire spécial à la gare de Pagny-sur-Moselle. Cette scandaleuse violation du droit international a à un tel point indigné l’Europe, que le chancelier de fer a été devant l’unanime réprobation, forcé de crever son ballon d’essai.
«Mais il n’y a pas à s’y méprendre, ces escarmouches Bismarckiennes annoncent la guerre. D’ici peu, nous serons forcément obligés de défendre nos personnes et notre territoire.
«Avec les terribles engins destructeurs existants et les forces imposantes des deux côtés, la guerre qui se prépare ne peut être qu’une guerre d’extermination d’où le vaincu sortira, non pas blessé, mais mort. Sous peine 88 de perdre notre nom de Français, il faut que nous vainquions et nous vaincrons si les femmes suivent les hommes à la frontière.
«En cas de guerre, non seulement les hommes doivent partir, mais toutes les femmes sans enfants doivent partir aussi. On se souvient des services que les femmes ont rendu en 1870. Quelques-unes ont traversé jusqu’à dix fois les lignes prussiennes pour porter des dépêches. Dans les forteresses, sur les champs de bataille, dans les ambulances, elles seront avantageusement employées. Elles pourront remplacer dans beaucoup de fonctions les hommes capables de combattre et ainsi empêcher de distraire nombre de soldats combattants.
«Ce pays qui doit à une femme, Jeanne d’Arc, d’avoir une existence propre doit aux heures désespérées considérer comme une sauvegarde la présence des femmes dans l’armée.
«Si en temps de paix nous réclamons l’égalité avec l’homme devant la loi et devant le 89 droit, en temps de guerre, nous voulons l’égalité avec l’homme devant la défense du territoire. Si par malheur la France est un jour envahie, toute femme valide et sans enfants aura ce jour-là, autant que l’homme, devoir envers la Patrie. Elles s’occuperont des approvisionnements, elles donneront des secours immédiats aux blessés; enfin elles prépareront à nos braves soldats la soupe et le café.
«Dans le corps de fonctionnaires militaires chargés de l’administration et de la comptabilité de la guerre on pourrait, au grand bénéfice de nos effectifs, substituer les femmes aux hommes.
«Il faut que les sauvages Allemands qui veulent nous faire la guerre sachent bien que derrière les hommes de France, ils trouveront à la frontière les femmes prêtes à combattre, prêtes à mourir pour garder à la patrie française sa gloire et son intégralité.»
Son intuition lui avait tout révélé: la guerre d’extermination, notre obligation de vaincre; les femmes employées par milliers au ministère de la guerre pour remplacer des combattants; 90 dans les usines, où elles firent merveille; dans les bureaux; dans les transports, partout, elles donnèrent satisfaction. De même les infirmières qui ont eu un rôle admirable dans les ambulances, et les femmes des pays envahis qui ont supporté si courageusement l’occupation de leur pays par les barbares modernes qui ne leur ont épargné aucune privation, ni aucune injure.
Le 8 avril 1914 elle mourut. Les féministes l’accompagnèrent à sa dernière demeure au Père-Lachaise. Les oratrices rappelèrent sur sa tombe ses luttes pour arriver à implanter dans l’esprit de ses contemporains l’idée que la femme avait les mêmes droits que l’homme à faire les lois de son pays et à le gouverner.
Alfred Capus a évoqué son souvenir dans le Figaro du 13 avril 1914:
«La question du suffrage des Femmes fut posée pour la première fois avec un certain tapage, par Mme Hubertine Auclert-Lévrier dont la mort vient d’évoquer cette lointaine époque. Une jeune personne avec de grands yeux noirs, le teint chaud, de beaux traits un peu durs et, en toute sa physionomie, une 91 sorte d’énergie timide. Tel est le souvenir que je retrouve de celle qui s’appelait alors Hubertine Auclert. Elle avait tout ce qu’il faut pour voter, mais elle ne manquait point cependant de finesse dans son exubérance ni de tact; et quoique atteinte de bonne heure de féminisme intégral, elle ne cherchait pas le scandale et passait pour avoir des mœurs pures».
«Les droits politiques sont l’axe de la question féministe.»
Hubertine Auclert.
A la veille de la révolution du 24 février 1848 qui donna le suffrage à tous les hommes, M. Thiers disait au roi Louis-Philippe: «Il faut de toute nécessité la réforme électorale, le cercle est réellement trop étroit, il permet à un petit nombre d’exploiter tous les avantages administratifs.»
Aujourd’hui, les femmes peuvent tenir aux actuels détenteurs du pouvoir le langage que M. Thiers tenait au roi en 1848. La situation n’est pas changée. Le système d’exclusion qui retranche net du suffrage la moitié et plus de la nation, donne à un petit nombre, aux hommes électeurs, non seulement tous les avantages administratifs, tous les bénéfices 94 sociaux: la considération, les honneurs, les hautes fonctions, les grosses sinécures, mais encore le droit de disposer du budget et de régir dans leur intérêt la société.
Les législateurs tenant leur pouvoir des hommes règlent tout en faveur des hommes contre les femmes non représentées au parlement.
Sont électeurs tous les Français âgés de 21 ans, et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi.
Les femmes comprises dans le terme français pour être contribuables, ne peuvent point ne pas être comprises dans le terme français pour être électeurs.
On interprète différemment, pour les femmes, le terme générique de français employé par la loi et l’on donne à cette loi une traduction contradictoire. La loi ne stipule pas que les femmes ne sont pas électeurs, elle est simplement muette à leur égard. Le mutisme de la loi permet de lui donner une interprétation contradictoire. Les hommes font dire à la loi que les femmes ne doivent pas nommer de représentants, et ils font calculer d’après 95 le nombre des habitants femmes et hommes, le nombre des sièges législatifs.
Ce qu’il y a de plus pressé à réformer dans la loi électorale: c’est le mensonge sur lequel elle repose. Ou bien on doit rendre le suffrage réellement universel en appelant les femmes à l’exercer; ou, si l’on continue à exclure les Françaises du suffrage, on doit prendre pour base de l’élection des députés, non plus les habitants, mais les électeurs.
Les habitants de la France sont 38 millions 961 mille et les électeurs 11 millions 787 mille. Or, tant que les électeurs sont représentés, il est inutile de donner une représentation fictive aux Françaises, qui ne peuvent avoir leurs intérêts défendus par des législateurs auxquels elles n’ont pas conféré de mandats.
Avant le scrutin de liste, avant la représentation proportionnelle, la représentation intégrale de la nation doit d’abord être assurée par le droit octroyé aux françaises de se faire représenter dans les assemblées administratives et législatives.
Les femmes ont dans toutes les sphères de 96 l’activité humaine d’importants intérêts engagés. Eh bien, tous ces intérêts sont laissés à l’abandon, les femmes n’ayant au Parlement personne pour les défendre.
Tant que les femmes ne votent pas, le parlement n’est pas l’image du pays. Il ne représente pas le complet élément national et ne fournit à la France qu’une représentation défigurée.
Pour que la représentation de la France soit la synthèse organique de toutes les forces vives de la Patrie habitée par des hommes et des femmes, il faut qu’elle soit composée de femmes et d’hommes.
Ni l’âme française, ni l’esprit français, ni tous les intérêts français ne sont complètement représentés au parlement tant que les femmes n’ont pas de mandataires à la Chambre et au Sénat.
Toute la volonté, toute l’énergie, toutes les facultés intellectuelles françaises ne fonctionnent pas, n’agissent pas, la représentation nationale est faussée tant que les femmes sont laissées sans représentants.
Entre la représentation restreinte aux 97 hommes et la représentation intégrale des majeurs des deux sexes qui constituent la nation, il n’y a pas à hésiter.
Exempte-t-on des charges et des pénalités les femmes que l’on exclut des droits? Non.
Défalquera-t-on les femmes des hommes lorsqu’il s’agira d’appliquer l’impôt sur le revenu? Non.
Pourquoi, alors, défalque-t-on les femmes des hommes quand il s’agit de conférer des mandats administratifs et législatifs.
Pour procéder ainsi, on ne peut alléguer l’indignité du sexe féminin, car même les hommes incapables de se conduire, qui sont pourvus d’un conseil judiciaire, restent électeurs et éligibles, représentés et représentants. Il y a à la Chambre des interdits, auxquels on a ôté la libre disposition de leurs biens propres, pour leur donner la libre disposition de la fortune publique.
Quand les interdits eux-mêmes peuvent faire la loi en les salles de vote et au Palais-Bourbon, est-il admissible que les femmes de haute valeur morale et intellectuelle, qui se distinguent dans les sciences, les lettres, les 98 arts, le commerce, l’industrie soient tenues hors du droit commun politique?
La loi électorale doit se dégager de l’imposture du mensonge, elle doit universaliser aux femmes le suffrage et ainsi assurer la représentation intégrale de la nation formée d’hommes et de femmes.
Rien n’est moins universel que le suffrage baptisé ainsi puisqu’il exclut avec toutes les femmes, les hommes militaires, les hommes condamnés, les hommes absents de leur domicile ou non résidents depuis six mois.
Pour rendre le suffrage réellement universel il faut faire voter les françaises comme les français.
Les femmes soumises à l’impôt doivent en contrôler l’emploi afin de n’être point lésées. Les femmes soumises aux lois doivent contribuer à les faire afin de ne point en être victimes.
Les hommes qui ne parviennent point à hisser au pouvoir leurs candidats souffrent peu dans leurs intérêts, car par le fait de la solidarité de sexe, les non représentés bénéficient de la loi faite pour tout le sexe masculin; 99 tandis que les femmes sont sacrifiées tant que le sexe féminin n’est pas représenté à la chambre parce que les lois faites par les hommes pour les hommes sont faites contre les femmes.
De même que des ministres ont longtemps empêché de voter la loi sur le divorce en disant que le divorce intéressait peu les hommes puisqu’ils peuvent librement pratiquer l’adultère, des ministres empêchent de voter les droits politiques des femmes en rappelant aux hommes qu’ils sont eux pourvus des droits politiques, que dès lors la réforme n’offre nul intérêt.
Cependant, on ne changera l’orientation du pays, qu’en faisant intervenir les femmes dans les affaires publiques, car quand les femmes voteront, les révolutionnaires ne formeront pas comme maintenant la presque totalité des électeurs, et les riches candidats ne seront pas dans l’obligation d’adopter leur programme pour se faire agréer par eux.
(Pour se faire élire députés, de riches bourgeois se déclarent anarchistes et pour préparer leur candidature, des lycéens 100 distribuent des placards antimilitaristes.)
Si des députés millionnaires disent aux travailleurs qu’ils doivent réserver leurs forces et leurs armes pour la guerre intérieure qui mettra à bas le régime capitaliste, et recourir à l’insurrection, à la grève générale plutôt que de défendre le territoire, c’est parce qu’ils savent que les électeurs sont en majorité révolutionnaires. Que l’on fasse voter les femmes qui ramèneront aux urnes leurs frères, leurs maris et ce fort contingent révolutionnaire avec lequel les députés candidats auront à compter les fera immédiatement changer de langage. Le gouvernement de la France est devenu une affaire commerciale dont chacun des participants veut tirer profit.
Les députés sont seulement préoccupés de se maintenir au pouvoir. Aussi pour eux, les femmes, sont des électeurs indésirables puisque comptés pour créer les sièges législatifs. Spoliées du bulletin de vote, elles n’ont pas de fiefs électoraux à concéder.
Au lieu d’isoler les femmes du corps social dont elles font partie, on grandirait notre pays en utilisant leur énergie et leur force cérébrale.
101
Dans toutes les entreprises, la coopération des femmes est escomptée comme une condition de succès. Pourquoi se prive-t-on du concours féminin quand il s’agit de résoudre les grands problèmes sociaux qui réaliseront les aspirations de l’humanité?
Pendant que les législateurs se disputent à propos d’un mode de vote, personne ne dit aux arrondissementiers et aux proportionnalistes, qu’il ne s’agit pas de savoir comment ils s’y prendront pour recueillir, à leur profit, les voix des électeurs, mais qu’il s’agit de faire représenter la France dont la majorité des habitants est formée des femmes.
A l’heure où les gouvernants devraient pousser ce cri du capitaine qui commande un navire en danger d’être coulé: Tout le monde à la manœuvre, ce ne sera pas trop des français hommes et femmes pour accomplir le remaniement social indispensable. On propose d’annihiler les femmes en les faisant compter comme des pierres pour servir de marchepied aux députés.
Le scrutin de liste réduit aux seuls hommes, comme le scrutin d’arrondissement réduit 102 aux seuls hommes, ne donnera que des résultats stériles et sera désillusionnant pour la population.
Il faut avant tout supprimer la restriction apportée au suffrage comme on a fait disparaître devant l’urne le privilège des riches. Il faut faire disparaître devant l’urne le privilège des hommes en appelant les femmes à exercer, au même titre qu’eux, leurs droits politiques.
Un suffrage restreint ne peut être même un simulacre de suffrage universel.
La majorité de la nation formée des femmes subit le joug de la minorité masculine. C’est cette dérogation à la loi du nombre sur lequel repose l’ordre social, qui cause l’anarchie actuelle.
Les assemblées délibérantes ne peuvent s’occuper sérieusement des réformes sociales tant qu’il sera interdit aux femmes qui sont la majorité des intéressés français de formuler leur desideratum.
On a dit que si la France pouvait entrer dans l’enceinte de la Chambre, les minorités y seraient. Les femmes y seraient encore bien 103 plus visibles que les minorités, puisque le nombre des femmes est supérieur à celui des hommes représentés ou non.
Quand des individus s’associent pour exploiter une industrie, quelque soit le sexe des individus, ils recueillent de l’association les mêmes bénéfices.
Pourquoi dans la société constituée par l’agglomération humaine, les femmes et les hommes qui apportent les mêmes enjeux et qui encourent les mêmes responsabilités n’auraient-ils pas les mêmes avantages et les mêmes droits?
Les femmes intervenant dans les affaires publiques, ce serait, dans l’organisme social, une transfusion du sang neuf qui donnerait à notre nation vieillie la vigueur des peuples jeunes, et lui inculquerait le désir violent de rester libre.
Puisque les hommes seuls n’ont pu instaurer une vraie république, il faut que les femmes secondent, renforcent les hommes, et que le renfort d’une élite femme régénère les pouvoirs publics.
Ce meilleur facteur du bonheur humain, la 104 femme, ne peut être empêchée d’actionner les rouages de la machine gouvernementale.
La prospérité ne régnera en France que quand l’homme dans la salle de vote et dans les assemblées délibérantes sera secondé par la femme dont est si grande la puissance d’intuition et d’utilisation.
Les hommes sont sans les femmes, misérables dans l’état, comme ils sont sans les femmes misérables dans la maison.
«Le suffrage universel ne peut pas signifier perpétuellement l’exclusion du suffrage de la moitié de la nation.»
H. Auclert.
La Constitution de 1791 a distingué la qualité politique du citoyen de la qualité civile du Français. Nous voulons pour la femme et la qualité civile du Français et la qualité politique du citoyen, avec la souveraineté qui découle du vote et de l’éligibilité. Et même—cela paraîtra peut-être audacieux à quelques-uns—l’examen des événements passés et l’observation des événements présents nous font subordonner l’affranchissement civil de la femme à son affranchissement politique. Ceci exige un mot d’explication.
Qu’entend-on par affranchissement civil de la femme?
106
Par affranchissement civil de la femme, on entend l’abrogation d’une foule de lois vexatoires qui mettent la femme hors la justice et hors le droit commun.
C’est la loi sur le mariage qui fait de la femme mariée et de ses biens la chose du mari.
C’est la loi sur la tutelle[9] qui pour exclure les femmes—hormis les mères et les ascendantes—de la tutelle et des conseils de famille, n’hésite pas à les classer avec les repris de justice et les fous.
C’est la loi humiliante qui, pour attestation civile verbale ou écrite, assimile les femmes aux hommes imbéciles et aux hommes déchus de leurs droits. Les femmes ne seront reçues à témoigner, ni dans un acte de naissance, ni dans un acte de mariage, ni dans un acte de vente. Que dis-je? Une femme n’est pas même admise à certifier l’identité d’une autre femme pour la légalisation d’une signature[10].
107
Si les femmes avaient été présentes dans les assemblées législatives, elles ne se seraient pas vu attribuer, en même temps que la qualification de mineures, le plus de charges, le moins de droits.
Par affranchissement civil de la femme, en un mot, on entend l’abrogation de toutes les lois d’exception qui dégagent les hommes des responsabilités et chargent les femmes des plus lourds fardeaux.
Quels sont ceux qui peuvent abroger les lois iniques qui oppriment les femmes dans la vie civile?
Ce sont les électeurs et les législateurs, c’est-à-dire, ceux-là seuls qui font ou qui commandent de faire les lois. Voilà un point bien établi.
Maintenant, qu’est-ce que l’affranchissement politique de la femme?
C’est l’avènement de la femme au droit qui confère le pouvoir de faire les lois, par soi-même si l’on est élu député, par délégation si l’on est électeur.
Donc il est de toute évidence que le droit politique est pour la femme la clef de voûte qui lui donnera tous les autres droits.
108
Quand les femmes pourront intervenir dans les affaires publiques, leur premier soin sera de réprimer l’injuste législation. Leur premier acte sera d’user du droit qu’elles auront de changer leur sort.
Mais tant que la femme n’a pas le pouvoir d’infirmer les lois qui l’oppriment, sur qui compterait-elle pour le faire?
Sur l’homme?
Eh! c’est l’homme qui a établi les lois actuelles et ces lois ne le gênent pas, bien au contraire. Elles lui donnent toutes facilités pour nous gêner. Aussi, au lieu de supprimer ces lois qui rendent la femme esclave, l’homme s’occupe d’en créer qui élargissent encore son horizon. Dans ce pays où l’on compte dix-neuf millions de souverains—les hommes—et dix-neuf millions et plus d’esclaves—les femmes—les réformes que les hommes regardent comme essentielles sont des réformes qui leur octroient de nouveaux privilèges.
Ceci fait, qu’il est hors de doute pour nous, que tant que la femme ne possédera pas cette arme—le vote—elle subira le régime du droit masculin. Tous ses efforts seront 109 vains pour conquérir ses libertés civiles et économiques.
Ce qu’il faut aux femmes pour s’affranchir de la tyrannie masculine—faite loi—c’est la possession de leur part de souveraineté; c’est la qualité de citoyenne française; c’est le bulletin de vote.
La femme citoyenne, c’est-à-dire la femme investie des plus hauts droits sociaux, aura par la liberté, sa dignité rehaussée, par le sentiment de sa responsabilité, son caractère augmenté.
La femme citoyenne se relèvera promptement de sa fâcheuse situation économique. L’Etat et la législation ne l’inférioriseront plus. L’instruction de la femme étant comme celle de l’homme essentiellement utilitaire, toutes les carrières, toutes les professions lui seront accessibles, et, quelque soit son travail, la femme ne le verra plus déprécié sous le prétexte ridicule qu’il émane d’une femme.
La femme investie des plus hauts droits sociaux, la femme citoyenne quintuplera l’efficacité de son influence maternelle; elle aura le pouvoir de doter les générations d’une si 110 grande hauteur de vues morales, que dans les rapports humains, la fraternité se substituera à l’égoïsme, et dans la société—l’harmonie—aux tiraillements actuels.
Tant que la femme n’aura pas le pouvoir d’intervenir partout où ses intérêts sont en jeu pour les défendre, un changement dans la condition politique ou économique de la société ne remédierait pas à son sort. Nous pouvons appuyer cette allégation par des faits. Depuis un siècle, plusieurs révolutions politiques ont eu lieu. Les femmes s’y sont plus ou moins mêlées. Elles ont partagé les dangers de la bataille, mais elles n’ont eu de la victoire ou de la défaite des opinions qui divisent les hommes, aucun avantage.
Un changement de l’ordre social économique n’affranchirait pas la femme, car bien que tous les jours la question économique soit résolue pour un petit nombre de personnes, la condition de la femme est chez les favorisés de la fortune, le lendemain, le même que la veille. Il y a en France des femmes pauvres et des femmes millionnaires. Eh bien! les femmes millionnaires sont soumises aux mêmes lois 111 tyranniques que les femmes pauvres. Toutes les femmes souffrent ou peuvent souffrir de la législation actuelle.
Donc toutes les femmes de quelque opinion et de quelque condition qu’elles soient, toutes les femmes sont intéressées à posséder le pouvoir d’abroger les lois qui les infériorisent et les asservissent.
La puissance du vote
Avant de réfuter les objections qu’on oppose à l’électorat et à l’éligibilité de la femme, il est important de montrer la valeur des droits civiques afin qu’éclairées sur le pouvoir que leur donnerait la possession de ces droits pour s’affranchir, les femmes emploient toute leur énergie à la conquérir.
Démontrons tout d’abord que le petit carré de papier qu’on appelle un bulletin de vote, est bien réellement pour chacun de ceux qui le possèdent, une part de puissance nationale, une part de domination, une part d’autorité qui fait loi.
112
Les législateurs sont pleins de condescendance pour le moindre de leurs électeurs, parce qu’ils savent le nombre de voix qu’il leur faut pour être député et que mécontenter un seul électeur, perdre une seule voix, ce serait diminuer leur chance d’être réélus.
La puissance électorale s’affirme donc dans le désir qu’ont les députés de donner en toutes choses satisfaction à leurs mandants. Même pour leurs affaires privées, les hommes peuvent obtenir des avantages par la simple autorité de leur vote.
La puissance du vote s’affirme dans le pacte contracté entre les mandataires et les mandants influents. Tout le monde a remarqué le nombre énorme de déplacements de fonctionnaires mâles aux lendemains d’élections: c’est l’accomplissement des promesses faites qui se réalisent. Les Députés s’empressent d’obtenir de l’avancement pour les instituteurs qui les ont servis, qui peuvent encore les servir dans les futures élections.
Mais ils ne s’occupent pas de donner de l’avancement aux femmes, aux institutrices, parce que les institutrices ne sont pas électeurs 113 et ne peuvent, par conséquent, jouir d’influences électorales.
Enfin la puissance du vote s’affirme dans la faveur qui est attachée à la carte d’électeur. Un homme peut se présenter n’importe où sur le visa de ce certificat d’honorabilité—la carte d’électeur—il est partout bien accueilli.
Tandis que les femmes n’étant pas électeurs sont convaincues d’indignité et exclues comme des aventurières de toutes les assemblées politiques sérieuses. Quand, pour des réunions, des conférences, des tenues blanches, des banquets, les hommes veulent bien se départir, envers les femmes, de leur système d’exclusion et les honorer du: «Les Dames sont admises», soyez tranquille. Ce n’est pas par intérêt pour elles qu’on les invite; c’est par intérêt pour les recettes.
L’électorat est pour celui qui le possède un véritable droit de souveraineté. Certes, les hommes sont loin d’avoir su utiliser ce droit de souveraineté. Mais, parce que ce levier, ce talisman,—le vote—est resté infructueux dans leurs mains, ils ne sont pas reçus à dire aux femmes que le droit électoral est une non-valeur, 114 une duperie qu’elles ne doivent ni envier ni réclamer parce qu’il ne saurait rien leur procurer.
Les femmes savent d’ordinaire bien mieux que les hommes tirer parti de ce qui leur appartient.
On a tous les jours dans l’ordre social économique cet exemple sous les yeux: Deux individus, un homme et une femme, ont pour le même laps de temps, la même somme d’argent à dépenser. Avec cette somme, invariablement, la femme trouvera le moyen d’être aisée, l’homme le moyen d’être pauvre.
Ce qui existe dans l’ordre économique existera dans l’ordre politique. Le pouvoir souverain, qui a peu de valeur dans la main de l’homme, sera un moteur puissant dans la main de la femme.
Si avec sa souveraineté électorale, l’homme n’a pas su faire une organisation sociale plus harmonique, qu’il ne s’en prenne donc pas au vote. Qu’il s’en prenne à lui-même qui n’a pas su utiliser son vote. Qu’il se dise que le suffrage restreint aux hommes ne pourra jamais 115 produire les résultats d’un suffrage véritablement universel!
Nous sommes fondé à croire que l’homme a conscience de son incapacité utilisatrice du pouvoir qu’il possède. Sans cela, lui qui dénie tant au vote sa valeur, réclamerait-il si haut, quand pour un motif quelconque, il est exclu du corps électoral.
Si le droit électoral était une non-valeur, dans les pays où ce droit n’existe pas, ou existe avec des restrictions, les hommes de toutes les opinions le revendiqueraient-ils?
Si le suffrage était un leurre, les socialistes feraient-ils dans tous les pays où il n’existe pas, l’agitation en faveur du suffrage universel, si le suffrage universel n’était pas l’espoir sur lequel ils fondent toutes les espérances de réformes.
Si le droit de suffrage ne conférait pas un vrai pouvoir, y aurait-il eu un mouvement si considérable chez tant de peuples en faveur du suffrage universel?
Non, non, les hommes de tous ces pays ne se trompent pas; le suffrage est bien réellement pour tous ceux qui le possèdent le droit d’avoir la main au gouvernail.
116
Pourquoi donc conseille-t-on aux femmes—les femmes ont plus besoin que n’importe quel homme d’avoir la main au gouvernail pour infirmer les lois qui les oppriment—pourquoi donc conseille-on aux femmes de se désintéresser du droit de suffrage?
Ce qui est bon pour un sexe serait-il mauvais pour l’autre? Que les femmes se méfient de ces faux conseils.
Les hommes qui sont occupés du seul intérêt des hommes, voudraient que les femmes se préoccupent aussi du seul intérêt masculin—oh! ils couvrent leur égoïsme de fleurs, ils appellent l’intérêt de l’homme, l’intérêt de l’humanité—et les femmes, ces généreuses, se laissent prendre à ce stratagème. Elles se détournent de leur objectif—leurs droits—elles aident aux hommes à s’arroger d’autres privilèges et se font ainsi insoucieusement les instruments de leur propre esclavage. Car il est à remarquer que plus l’homme s’élève, plus il écrase la femme du poids de son despotisme.
Dans cette société tout entière organisée contre elles, les femmes n’ont pas d’autres 117 moyens d’avoir justice que d’obtenir le pouvoir de se faire justice à elles-mêmes en participant à la confection des lois.
Les femmes n’ont pas d’autres moyens que le suffrage pour obtenir leur place au soleil, l’autonomie de leur personne et la libre disposition de ce qui leur appartient.
Cri d’alarme
L’analogie qu’il y a en France, entre la situation économique et politique d’aujourd’hui et celle d’il y a un siècle, frappe les moins clairvoyants.
Les pouvoirs publics n’ont plus ni prestige, ni autorité. Bien qu’on ait fortement escompté la fortune des futures générations, la caisse nationale est dilapidée par l’imprévoyance et le gaspillage masculin, et la France est comme il y a un siècle, acculée à la banqueroute.
Comme en 1789 le peuple qui veut la fin du favoritisme et du désordre, demande à grands cris des réformes; mais pas plus que le roi Louis XVI, les 800 dictateurs qui siègent à la 118 Chambre et au Sénat ne peuvent, ni ne veulent, faire ces réformes. De là, aujourd’hui comme il y a cent ans, l’universel mécontentement de la nation.
Le gouvernement a bien changé d’étiquette. Mais notre République, au lieu d’aider les petits à acquérir leur plus-value, n’est, comme la monarchie d’alors, qu’ouverte aux favorisés de la fortune. Et en leurrant tous et toutes de promesses, elle ne donne rien en définitive qu’à ceux qui n’ont besoin de rien.
Les hommes au pouvoir se querellent, non pas comme ils essaient de le faire croire pour leurs opinions. Ils se querellent pour leurs intérêts. Ce qui le démontre bien, c’est que quand il s’agit de la moindre réforme, la plupart des républicains emboîtent le pas aux réactionnaires.
De même qu’en 1789, il y a aujourd’hui en France, lutte à mort entre le passé et l’avenir, entre les égoïstes qui entendent faire stationner l’humanité devant leurs appétits satisfaits, et l’avant-garde généreuse qui veut arracher au progrès et à la science le moyen d’alléger les maux de la tourbe des déshérités.
119
La France civilisatrice ne peut sortir triomphante de cette période d’enfantement, que si elle utilise toutes les initiatives. De même que dans la mémorable crise de 1789, c’est l’intervention d’un agent nouveau qui a sauvé la situation. Dans la crise identique d’aujourd’hui, l’intervention d’un agent laissé de côté jusque là—la femme—qui a pour ainsi dire exprimé en elle la quintessence du mal être social, forcera la main aux hommes égoïstes et ouvrira l’ère d’une société appropriée aux besoins actuels de l’humanité. Il y a cent ans, les nobles étaient moins opposés aux droits de leurs serfs, que ces serfs émancipés sont aujourd’hui opposés au droit des femmes.
Mais pour que la femme puisse faire succéder au mal-être social causé par l’incurie et la dilapidation masculine, le bien être résultant de son économie et de sa bonne gestion. Pour que la femme puisse mettre en jeu, dans l’état, comme dans la maison, ses inappréciables qualités, il faut qu’elle en ait le pouvoir. Et ce pouvoir, elle ne peut le tenir que du droit pour elle de s’immiscer dans la chose publique.
120
Pour que la civilisation remplace le déchaînement d’appétits des fauves, il faut que la femme apporte sa suprême pitié, pour faire contrepoids à l’égoïsme de l’homme dans la balance du monde.
Les hommes n’ayant pas su réfréner leurs vices pour établir la République véritable, qui ne peut reposer que sur une sorte de puritanisme, qu’on fasse donner les femmes! Les femmes qui ont conservé intacte, à travers les générations, la vertu qui enfante l’héroïsme, régénéreront l’humanité, sauveront le pays.
Quant au plus fort d’une bataille, le général d’une armée voit une aile de ses troupes fléchir sous le feu de l’ennemi, il dépêche un estafette à l’officier qui garde à distance un régiment d’élite avec cet ordre: Faites donner la réserve!
Les troupes fraîches et reposées, tombent comme une avalanche sur le corps des assaillants, elles le surprennent, le tournent, brisent ses lignes, enfin décident de la victoire.
La France se trouve à l’heure actuelle dans le cas périlleux d’une armée qui fléchit. La République saignée aux quatre veines n’est 121 plus qu’un tremplin où les partis joutent de fourberies et d’ambition.
L’idéal, la lutte des idées sont remplacés par la basse cupidité et l’assoiffement des brutales jouissances.
Ces signes manifestes de dégénérescence et d’impuissance des hommes démontre que l’heure psychologique est venue d’appeler au gouvernement, comme on appelle sur les champs de bataille, les armées de renfort: la réserve. Ici la réserve, l’armée de renfort ce sont les femmes.
Mais, pour accomplir ce sauvetage et cette rédemption, il faut aux femmes le pouvoir qu’ont les hommes: le droit de vote.
Si Jeanne d’Arc n’avait pas été armée, harnachée et hissée sur un cheval, elle n’aurait jamais pu vaincre les Anglais. Si les femmes n’étaient pas élevées à la dignité de citoyennes et armées du bulletin de vote, elles ne pourraient vaincre les injustices criantes et les haines féroces qui menacent de faire disparaître l’espèce humaine dans un formidable choc.
Quelques hommes savent bien qu’ils sont impuissants à changer la situation actuelle, 122 mais il veulent, quand même, garder leur position. Périsse, s’écrient-ils, périsse la France plutôt que la domination masculine! Hâtons-nous de dire que cet égoïsme est le fait du petit nombre. Avant peu la majorité des électeurs aura le patriotisme de déclarer, tout haut, ce qu’elle pense tout bas, à savoir:
Que rien ne va dans le monde, si la femme n’y met la main, et que, puisque les hommes ne savent plus comment faire, ils doivent cesser d’exercer, seuls, la maîtrise; laisser agir les femmes, car les femmes sur lesquelles ils se reposent, de tout, dans la maison trouveront certainement le moyen de tirer l’Etat d’embarras.
«Pourquoi les femmes ne seraient-elles pas aussi capables que les hommes de s’occuper de politique! Elles sont tout aussi intelligentes qu’eux.»
M. Thomas.
Au conseil général de la Seine.
J’ai cru qu’il serait intéressant de savoir ce que pensent de l’affranchissement politique des Françaises les sénateurs, les députés, les princes des lettres, et j’ai prié des législateurs distingués, des écrivains aimés du public de vouloir bien donner leur avis sur la représentation des femmes au Parlement.
M. Paul Margueritte, le célèbre écrivain, dont l’art parvient à faire envisager par les cerveaux rétifs les grands problèmes, écrit:
«Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai demandé 124 dans nos campagnes de presse la représentation des femmes au Parlement.
«Je suis assuré qu’elles y feraient prévaloir des lois de préservation sociale excellentes. En tout cas, leur présence au Parlement ne serait que de stricte justice.»
Voici l’opinion qu’exprime M. Paul Gérente, sénateur d’Alger et Aliéniste distingué:
«Votre lettre me demande si j’admets, en somme, que les femmes aient, partout, les mêmes droits que les hommes. J’y réponds: oui.»
M. Maurice Spronch, député de Paris, donne ainsi son avis:
«J’ai perdu quelques-unes de mes illusions sur le suffrage universel et le parlementarisme en constatant l’usage que les hommes en ont fait.
«Je ne suis pas du tout convaincu, je vous l’avoue, que les femmes soient destinées à en faire un usage meilleur.
«En tout cas, je ne vois aucune raison logique de leur refuser le droit qu’elles réclament—étant admis les principes sur lesquels reposent actuellement nos institutions et nos mœurs—et je voterais certainement, une proposition ou un projet de loi tendant 125 à leur accorder l’électorat et l’éligibilité.»
Si M. Maurice Spronch voulait regarder ce qui se passe dans les pays où le sexe féminin est admis au droit commun politique, il verrait que les femmes font généralement un meilleur usage du bulletin, que les hommes, moins immédiatement intéressés qu’elles au bien public.
M. le Docteur Flaissières, sénateur, qui a mis en pratique ses principes républicains socialistes à Marseille, fait en la lettre qui suit connaître sa pensée:
«Je réponds à la question que vous posez dans toute la sincérité, la foi d’une opinion que je me suis faite depuis longtemps par mes réflexions, par mes observations personnelles.
«La femme a été lamentablement piétinée jusqu’à l’heure actuelle, dans tous ses droits naturels; à peine éveillée de la longue torpeur de l’esclavage séculaire elle réclame, encore timidement, son émancipation. Sa cause est celle de la suprême justice. Ceux qui ne la soutiendraient pas, auraient méconnu la loi imprescriptible de la nature de la matière.
126
«La femme ajoute à toutes les qualités intellectuelles de l’homme, qu’elle possède au même degré que lui, les qualités sublimes que seule la maternité peut faire surgir triomphantes pour la conservation des espèces.
«La femme est nécessaire, elle est indispensable dans l’organisation, le fonctionnement d’une société en voie de réel progrès.
«Aussi longtemps que la femme ne sera pas électrice, au même titre que l’homme, et pour toutes les assemblées publiques, aussi longtemps qu’elle ne sera pas éligible à ces mêmes assemblées, la gestion des affaires publiques demeurera imparfaite, faussée.»
M. Charles Humbert qui, en voulant voir assurer la sécurité de la nation, oublie de penser que notre pays est privé de la moitié de son énergie et de ses forces intellectuelles par l’annulement de douze millions de Françaises majeures fait à notre question cette réponse:
«Il est possible—et peut-être cela est-il désirable—que l’influence féminine aujourd’hui officiellement écartée des luttes 127 électorales, y prenne un jour une plus grande part en France.
«Toutefois, je me permets de penser qu’il y a des étapes à parcourir avant d’en venir là. Il y a tout au moins, comme pour les autres réformes, une éducation du public à faire et des précautions législatives à prendre.
«Mais s’il faut dire toute ma pensée, j’estime que les femmes elles-mêmes ne doivent pas désirer leur prompte entrée au parlement. Quand la porte leur en sera ouverte, en effet, elles s’y trouveront longtemps—toujours peut-être—en minorité; tandis que, par une propagande intelligente et calme, sur les différentes questions qui les intéressent, elles peuvent espérer obtenir des votes de majorité, dans des assemblées constituées exclusivement d’hommes.
«Je crois, en un mot, que dans l’état de choses actuel, la vraie chance de succès pour les idées que vous défendez si brillamment, ce n’est pas que vous ayez tout de suite des représentantes dans les Chambres, mais que vous y comptiez beaucoup d’avocats et d’amis.»
128
Les femmes électeurs seront longtemps représentées par des hommes, bien des années passeront avant que soient élues des représentantes. Mais tant que les Françaises ne sont pas électeurs, il leur est impossible de trouver au parlement des avocats et des amis, attendu que les sénateurs et les députés n’ont aucun intérêt à s’occuper des femmes dont leur situation ne dépend pas, puisqu’ils ne tiennent point d’elles leur mandat.
M. Louis Marin, le distingué député de Meurthe-et-Moselle, exprime ainsi son opinion:
«L’égalité des droits entre toutes les personnes humaines est dans la conscience une idée si claire, qu’on s’étonne qu’elle triomphe si lentement dans les esprits et dans les faits et que de nos jours, en France, la plupart encore refusent le droit de vote aux femmes. La justice de cette revendication est renforcée puissamment par les démonstrations de toutes les études sociales. Quel économiste nierait que l’infériorité du salaire payé à la femme pour le même travail bien rétribué à l’homme soit un abus cynique de la force, et que le bulletin de vote doive le 129 faire promptement disparaître? Quel géographe n’a pas été frappé du rôle politique heureux joué par les femmes dans la vie sociale de bien des peuples?
«Tout, la morale, les sciences, oblige à penser que le suffrage politique est non seulement un droit et un arme nécessaire pour les femmes, mais qu’il serait pour les autres, aussi, pour l’enfant en particulier, et pour la société tout entière, le plus grand bienfait.»
M. Louis Marin réfute avec esprit les objections du service, des occupations du foyer, de la grâce féminine, que l’on fait au vote des femmes; ensuite il dit:
«Il faudrait se dépêcher en France; des pays voisins, de grands pays nous dépassent.
«Nous avons déjà les catégories de vote qui partout ont été les antécédents ordinaires du vote politique: prud’hommes, conseils du travail, etc. Il faut faire un pas décisif.»
Le cléricalisme que l’on invoquait pour écarter les femmes de la politique est un épouvantail aujourd’hui démodé.
M. J. L. Breton, député du Cher, qui ne partage 130 pas cette manière de voir répond ainsi à la question:
«Vous me demandez mon avis sur le suffrage des femmes. En principe je n’ai rien à y objecter, mais ce serait actuellement dans la pratique l’innovation la plus dangereuse pour l’œuvre nécessaire et encore incomplète de laïcité.
«Combien d’autres réformes sont d’ailleurs plus intéressantes et plus urgentes que celle concernant le droit de vote des femmes.
«Elle viendra à son heure, mais cette heure est encore très lointaine.»
Si M. J. L. Breton était seulement pendant trois mois déshérité du droit comme le sont les femmes, il parlerait autrement.
M. Ferdinand Buisson, qui jouit, même chez ses adversaires politiques, de tant d’autorité, nous répond ainsi:
«Le droit électoral des femmes ne devrait plus faire question dans un pays de suffrage universel. Le temps n’est pas loin, sans doute, où l’on s’étonnera qu’il ait fallu si longtemps pour reconnaître l’évidence, ou plutôt pour souscrire aux prescriptions élémentaires de la justice. Ne perdons pas patience. Quand on pense que c’est 131 seulement en ces toutes années dernières que nous avons découvert qu’une femme pût être témoin, que l’ouvrière mariée a droit à son salaire, que la commerçante a droit d’être représentée dans les tribunaux qui la jugent et un certain nombre d’autres hardiesses semblables, on comprend qu’il nous faille encore quelque temps pour obtenir que la femme, étant contribuable, soit électrice et éligible aux conseils municipaux, aux conseils généraux, au Parlement. Il est étrange sans doute qu’un pays intelligent ait besoin de tant d’étapes pour arriver à un résultat, qui, aussitôt acquis, sera considéré par tout le monde comme la chose la plus naturelle. Il en est ainsi de toutes les réformes sociales. Elles passent en une minute du rang d’utopie à celui de banalité. Il n’y a pas de milieu.»
M. Jean Jaurès, déclarant que les droits politiques devaient être accordés aux femmes auxquelles incombent les devoirs sociaux, a été approuvé par tous les radicaux socialistes qui comprennent que l’homme ne peut sans 132 se préjudicier, continuer à laisser la femme hors la loi!
Voici l’avis de M. Marcel Sembat:
«J’ai déjà souvent manifesté mon opinion là-dessus, mais je m’empresse puisque vous le désirez, de répondre à votre enquête, en vous assurant que je suis un partisan résolu du vote des femmes. D’une façon générale, il faut effacer toutes les différences légales, toutes les infériorités imposées par nos codes aux femmes. Quant au suffrage, il ne deviendra universel que par le vote des femmes, c’est élémentaire. J’en attends les plus heureux effets pour les réformes sociales.»
Si les femmes nées en France pouvaient être électeurs comme le sont les étrangers naturalisés, elles faciliteraient la solution de la question sociale et rendraient possible entre les humains l’attente pour le bien général.
Conserver dans le pays le plus civilisé du monde la barbare loi salique, qui empêche les femmes justiciables et contribuables de concourir en votant à la formation de la loi, c’est préparer à subir le joug monarchique de la 133 nation, à laquelle les femmes maintenues asservies donnent leur empreinte. C’est mettre en péril la République.
Paul Déroulède[11] déclarait qu’il respectait et aimait trop les femmes pour vouloir les jeter dans la mêlée politique (sic); il pensait que, en France surtout, leur influence vaudra et pourra toujours plus que leurs droits.
Cette révélation fut, pour les femmes, réfrigérante.
Les Françaises trouvèrent bien ironique Paul Déroulède, qui les respectait au point de les mettre, en leur pays, au-dessous des étrangers. Il les assimilait à tous les déchus de la société, dans le seul but de les exclure du droit de défendre leurs intérêts. Elles se dirent qu’assurément il ne les chérissait pas autant que ses ligueurs, pas autant que M. Marcel Habert. Cependant, il se gardait bien d’annoncer qu’il ne voulait pas jeter ceux-ci dans la mêlée politique parce qu’il les aimait trop. Alors elles conclurent qu’elles ne voulaient pas être dupes.
134
Ne peut-on pas en effet prendre pour un dupeur, l’homme, qui, après avoir tant parlé d’intégralité territoriale, et proposé si souvent de reconquérir l’Alsace et la Lorraine, dédaigna d’associer à l’effort national la légion des mères, des filles, des sœurs, des épouses, refusant de faire participer à la souveraineté française les vingt millions de femmes.
Paul Déroulède, qui proposait de régénérer la France en moralisant la politique, excluait de la politique l’élément le plus moral, en déniant aux femmes le droit d’influer par leurs votes sur la destinée du pays.
Le sexe fort aurait cependant beaucoup plus d’avantages à s’associer les femmes qu’à garder ses prérogatives. Mais comment décider les Français à accepter une idée qu’ils n’ont pas depuis un siècle, envisagée?
Il ne faut pas s’étonner si des hommes soutiennent que les femmes n’exerceront jamais leurs droits politiques. Le curieux de l’affaire, c’est que ceux qui dénient aux Françaises l’électorat, cherchent à obtenir les effets que leurs votes produiraient. La lettre ci-dessous de M. Charles Benoist, professeur à l’école des 135 sciences politiques, prouve ce que nous avançons:
«Jusqu’à présent, je vous l’avoue, je ne me suis guère occupé de la question des droits politiques des femmes. Avant qu’elles puissent voter, il faut d’abord qu’elles puissent vivre. Leurs misères m’ont profondément touché.
«Je crois que si le suffrage était un jour organisé, il serait moins difficile de songer (comme en Autriche par exemple, dans la première catégorie d’électeurs) aux conditions d’une sage et équitable représentation des femmes, qui peuvent, cela est certain, avoir des intérêts à défendre et qui sont non défendus.
«Mais la conclusion immédiate, que vous ne m’en voudrez pas d’en tirer, c’est que ce point ne pouvant être abordé que lorsque le suffrage universel aura été organisé, je compte sur vous pour m’aider à obtenir plus vite son organisation.»
Ce ne sera qu’à l’aide du suffrage des Françaises qu’on instaurera le véritable suffrage universel; chercher à l’organiser sans les femmes c’est agir comme un cuisinier qui 136 voudrait faire un civet sans lièvre. De même que le lièvre est l’élément du civet, la majorité nationale formée des femmes est le principe de l’universalité du suffrage.
Il est regrettable que des hommes de haute culture intellectuelle comme M. Charles Benoist se dévouent à accomplir les réformes artificielles, ne rêvent de substituer au suffrage de fantaisie existant qu’un autre suffrage universel de fantaisie, parce que leur esprit hanté de préjugés n’ose reconnaître que l’espèce humaine est, sous ses deux aspects, équivalente.
Ce professeur qui ne songe pas à associer les femmes aux citoyens dans les organisations qui le préoccupent, est généreux pourtant; en son livre: Les ouvrières de l’aiguille à Paris, sous les chiffres impassibles, il fait saigner la martyre sociale. Seulement, aux grands maux qu’il dénonce, il hésite à appliquer le seul remède efficace qui a déjà été expérimenté avec succès pour les hommes.
En comparant la situation économique des hommes d’autrefois, non électeurs, à celle des hommes d’aujourd’hui, électeurs, il est facile 137 de constater que depuis qu’ils sont représentés à la Chambre, les travailleurs louent plus chèrement leurs bras.
Ainsi, il en serait pour les femmes; la souveraineté ennoblirait leur œuvre, ferait évaluer équitablement leur labeur, et de leur élévation sociale résulterait l’augmentation de leurs salaires.
Cette vérité démontrée oblige à conclure qu’il faut que les femmes votent pour pouvoir vivre et non point qu’elles soient en état de se passer du vote pour pouvoir l’obtenir.
L’électorat, en effet, n’est ni un but, ni un titre honorifique, mais un moyen pour arriver à réaliser son desideratum, une arme de défense sociale, un outil d’affranchissement économique en même temps qu’un certificat d’honorabilité.
Tant que la Française n’est pas citoyenne en toute circonstance, si elle donne son avis, les députés sembleront trouver même compromettant d’examiner si elle a raison ou tort. Parce qu’elle n’est point électeur, si imposée, si patentée qu’elle soit, la femme ne paraît être pour eux qu’un objet de plaisir.
138
Avant 1848, les prolétaires étaient exclus du droit pour cause d’indignité de condition; maintenant les femmes en sont déshéritées pour indignité de sexe, et les repoussés d’hier de la salle de vote, oubliant qu’ils furent eux aussi des suspects, nous disent: «Vous ne connaissez pas la femme que vous voulez faire voter.»
Si fait, citoyens, nous connaissons la femme. Nous l’avons interrogée à la campagne comme à la ville. Et c’est parce que nous savons qu’elle s’occupera plus des intérêts publics que beaucoup d’hommes, que nous insistons pour qu’elle soit en France, consultée.
En notre pays, où volontiers l’on rit de l’infaillibilité du pape, il faudrait que les femmes soient infaillibles pour être admises à exister dans la commune et dans l’Etat. Frappe-t-on d’interdiction les hommes parce qu’ils risquent de trébucher en faisant leurs premiers pas politiques? Non, attendu que ce n’est qu’en affrontant les chutes que l’on apprend à marcher.
En préconisant le suffrage des Françaises, Alexandre Dumas fils disait: «Les femmes 139 feront comme nous des bêtises. Elles les paieront comme nous et elles apprendront à les réparer peu à peu comme nous.»
Pour enlever les votes, les hommes politiques ont tellement persuadé chacun qu’il avait le droit de vivre à sa guise, que la société endosserait ses luttes et ses responsabilités, que nul ne veut plus accomplir le devoir et s’en remet aux autres du soin de se dévouer à sa place. Seulement, si la société n’est formée que d’individus qui se dérobent, pourra-t-on longtemps s’appuyer sur elle?
Pour munir d’étais plus solides la République, on ne peut se dispenser d’appeler à exercer le droit les femmes qui forment l’élément moral de la nation. «Jamais à aucun moment de notre histoire, dit M. Doumer, la société n’a eu plus besoin de la collaboration des femmes!»
Les infirmières volontaires qui affirmaient qu’elles étaient moins fatiguées en soignant en Afrique, jour et nuit les blessés, qu’elles ne le sont à Paris par les obligations mondaines, démontrent que les Françaises préfèrent au plaisir aveulissant le devoir qui grandit les êtres.
140
Les femmes seraient encore avec plus d’avantages, utilisées par le ministre de l’intérieur que par le ministre de la guerre. De même qu’elles font triompher les soldats des maux physiques, elles feraient triompher la France des maux moraux, en l’initiant à un idéal qui mettrait un frein au déchaînement des appétits.
«Il faut, disait Gambetta, enseigner dans nos écoles primaires les principes de nos lois et de nos constitutions. Il faut qu’on y apprenne les droits et les devoirs de l’homme et du citoyen.
«Je parle pour les deux sexes, car je ne distingue pas entre l’homme et la femme. Ce sont deux agents dont l’entente est absolument nécessaire dans la société, et, loin de les séparer et de leur donner une éducation différente, donnez-leur les mêmes principes, les mêmes idées, commencez par unir les esprits, si vous voulez rapprocher les cœurs.»
A la question posée par une revue: Les femmes doivent-elles voter? MM. Paul et Victor Marguerite ont répondu:
«Oui, cent fois oui, les femmes doivent voter; plus elles 141 prendront conscience de leur responsabilité sociale et de l’équivalence de leurs droits et de leurs devoirs, mieux elles contribueront à édifier la Cité future.»
En répondant à une enquête sur le suffrage M. Charles Benoist demande:
«Pourquoi faire voter la femme? Elle n’y a pas d’intérêt, elle suit plus son instinct en usant en secret de son influence, qu’en bataillant en plein jour. Songez à ce que pourrait être le foyer de la femme député. Songez à ce que sera la femme au Palais-Bourbon au milieu de tous ses collègues masculins. Encore si elle pouvait témoigner de réelles aptitudes! mais les tendances habituelles de son esprit font qu’elle s’attache aux détails et qu’elle s’élève avec peine aux idées générales.»
Laissons M. Faguet lui répondre à cette dernière objection:
«C’est en vertu d’idées générales que les hommes votent dans leurs comices? C’est en vertu d’idées générales que les députés votent dans leurs Chambres? Mais jamais une idée générale n’a été que la forme d’une passion, tant chez les électeurs que chez les députés! Les femmes ont des 142 idées générales exactement comme les nôtres, c’est-à-dire des passions habillées, plus ou moins élégamment en idées, elles voteront exactement dans les mêmes conditions que nous.» (E. Faguet, Le Féminisme).
Pour M. de Las-Cases le suffrage des femmes supprimerait un mensonge, et ferait de cette fiction le suffrage universel, une réalité; peu lui importe que les femmes se révèlent conservatrices. Il songe à leur action morale bienfaisante dans le domaine des lois économiques. Il est sûr que le bulletin de vote ne saurait les détourner du foyer et des devoirs auxquels elles demeurent instinctivement attachées:
«En donnant le droit de vote aux femmes nous ferons acte de justice.»
M. Jénouvrier dit:
«Il est des femmes qui sont de vrais chefs de famille, qui supportent allègrement une responsabilité qui paraîtrait lourde à certains d’entre nous. Pourquoi les priver du droit qui appartient au jeune homme de 21 ans.»
M. le Dr Flaissières s’affirme de nouveau très partisan du vote des femmes et voterait immédiatement la réforme intégrale.
143
M. Debierre, sénateur, membre de l’Académie de Médecine dit que la femme qui a dans la société les mêmes devoirs à remplir, les mêmes droits à protéger que l’homme, doit être civilement et politiquement l’égale de l’homme.
M. Raspail croit que les femmes électeurs se distribueraient entre tous les partis, c’est-à-dire, que tous les partis profiteraient d’une influence salutaire.
Pour M. Maurice Barrès, le grand point c’est de savoir ce que feraient les femmes de leurs droits politiques. Il croit que pour obtenir leur émancipation, elles n’hésiteraient pas devant un bouleversement qui pourrait faire sombrer la société.
Toute la question, pour M. Paul Boncour, consiste à savoir dans quelle mesure l’accession des femmes aux droits politiques développerait et fortifierait la vie corporative et professionnelle.
Si la réforme était votée, dit M. Denis Cochin, elle aurait pour résultat de faire sortir la femme de son vrai rôle, celui que le christianisme lui a assigné.
144
M. Cruppi:
«En équité il est souverainement injuste de refuser à la femme la qualité de citoyen, mais la femme est-elle préparée pour remplir du jour au lendemain ces devoirs nouveaux pour elle? Nos Françaises, dans leur ensemble, veulent-elles ardemment cette réforme, qui comme toutes les réformes se conquiert par un effort résolu? Je ne sais...»
M. Dejeante est d’avis que dès que les femmes pourront exercer leurs droits, leur éducation sera plus rapidement faite que celle des hommes.
Dès 1884, M. G. Roche présentant un amendement pour faire obtenir aux commerçantes l’électorat consulaire disait:
«Puisque l’électorat consulaire dérive de la qualité de Français, il n’y a aucune raison de ne pas l’étendre à toutes les personnes qui ont cette qualité, à moins qu’on ne veuille établir, en principe, que la femme ne peut voter par cela seul qu’elle est femme.»
«Ce papier-pouvoir, le bulletin de vote, est aussi nécessaire à la femme que le papier monnaie.»
Hubertine Auclert.
L’autorité des électeurs
Pour être écouté des députés il faut avoir pour soi les électeurs. La puissance de ceux qui confèrent des mandats est même pour les mandataires qui n’en tiennent point compte, tellement grande, que les ministres eux-mêmes font consulter, par les préfets, les électeurs sur une réforme avant de vouloir exprimer leur opinion sur cette réforme et de faire adopter ou repousser les projets de loi qui sont, à son sujet, présentés. A l’exemple des maîtres du pouvoir, ces spoliées du droit 146 politique, les femmes, ont voulu demander aux électeurs de recommander aux députés leurs revendications.
Des déléguées de la société «Le Suffrage des Femmes» sont allées à la Bourse du Travail faire appuyer, par une élite électorale, cette pétition réclamant la représentation de la nation:
«Messieurs les législateurs,
«Les Françaises, non représentées, n’ont personne pour défendre leurs intérêts dans les assemblées administratives et législatives.
«Nous vous prions d’assurer la représentation intégrale de la nation, en accordant aux femmes le droit de déléguer des mandataires au Parlement et à l’Hôtel-de-Ville.
«Si vous persistez à exclure l’élément féminin du droit commun politique, vous ne pourrez prendre que le nombre des électeurs pour base de l’élection des députés. Les Françaises point admises à conférer de mandats, ne devant pas logiquement être comptées pour établir les circonscriptions électorales.»
Les suffragistes, aussitôt, ont été comprises 147 par les hommes très avertis qui constituent l’important syndicat des moyens de transports. En dépit du manque de plumes et d’encriers, des centaines de noms et d’adresses furent en peu de temps recueillies. Des citoyens voulaient tous à la fois apposer leur signature sur les feuilles réclamant le vote des femmes.
Les syndiqués qui trouvent tout naturel que les femmes qui luttent, qui peinent, qui mangent aient les mêmes droits que les hommes, ne se sont pas contentés d’appuyer nos revendications; ils nous ont indiqué des voies et moyens pour faire aboutir plus vite notre campagne.
La corporation des ferblantiers a fait aux suffragistes bon accueil; le bureau recommanda notre pétition qui fut de suite signée.
Les Français présents à la réunion des couturières et tailleurs étrangers appuyèrent aussi de leur signature nos réclamations.
Partout on nous encouragea à persévérer, on nous invita à revenir.
Chez les syndiqués, il n’est pas nécessaire que notre cause soit plaidée, elle est gagnée 148 d’avance; car, les laborieux, intelligents, savent qu’ils seront plus forts, quand leurs compagnes posséderont cet instrument émancipateur, le bulletin de vote.
Ce sont seulement ceux que l’égoïsme aveugle qui ne voient pas que l’asservissement de la femme arrête l’évolution des citoyens, attendu qu’à la chaîne de la paria française est rivé le boulet qui empêche l’humanité de s’élever.
Les hommes qui pensent et qui observent, croient qu’en annihilant les femmes, on se prive d’un élément précieux pour la diffusion du progrès.
Les Françaises assureraient à leur pays l’aisance. En restreignant le gaspillage des fonds publics, elles procureraient le moyen d’organiser le travail de manière que plus aucun Français courageux ne puisse manquer de pain.
C’est au détriment général que les gouvernants s’obstinent à tenir hors la loi les femmes. Ils oublient qu’il faut aussi du cœur pour résoudre certaines questions, et qu’en tout on obtiendrait plus de résultats si le sentiment 149 agissant de la femme s’alliait à l’indifférentisme de l’homme.
On trouve qu’il est anormal de ne point faire voter les officiers quand les politiciens votent, n’est-ce pas encore plus anormal de ne pas faire voter les femmes quand les hommes votent?
Tous les êtres, qu’ils soient d’un sexe ou de l’autre, étant en la société également, doivent avoir leur part de souveraineté afin de pouvoir pareillement s’ingénier pour se créer dans un milieu plus harmonique un meilleur sort.
Il y a un fait important qui va, maintenant chez nous, faire envisager le suffrage des femmes d’une tout autre manière par les députés. Jusqu’ici le vote des femmes avait été demandé par les femmes, afin qu’elles puissent au moyen de cet instrument d’émancipation changer leur sort; mais voilà que le vote des femmes est aujourd’hui réclamé... par les hommes!
Le vote des femmes est demandé par des hommes, dans leur propre intérêt...
Des orateurs mâles disent: «Pendant que la femme ne vote pas, elle arrête l’émancipation 150 de l’homme... elle contraint l’homme à se désintéresser... elle l’empêche de se syndiquer... parce que étant écartée de tout, elle ne comprend rien. En votant, la femme s’éclairera, elle apprendra à servir nos communs intérêts».
L’approbation d’électeurs d’élite, la façon sympathique, dont en appuyant de leur signature notre requête électorale, ils disent: «J’en suis!» excite l’allégresse des suffragistes. Les feuilles qu’elles présentent aux Sociétés savantes, à l’Ecole des hautes études, dans les associations, corporations et dans la rue même, comme à Toulouse, où l’éloquente Mlle Arria Ly et sa mère ont recueilli quinze cents signatures.
Sur nos pétitions les noms de savants, d’artistes, de commerçants voisinent avec ceux d’intelligents travailleurs.
Hormis les anarchistes il y a peu d’hommes hostiles au vote des femmes. Pour beaucoup, il ne peut y avoir de masculin ni de féminin lorsqu’il s’agit d’imposer des remaniements sociaux nécessaires. Tous hommes et femmes doivent voter des réformes.
151
L’empressement des antisuffragistes à se muer en suffragistes, décèle autant que le succès de notre pétition, les progrès accomplis dans l’opinion par la question du vote des femmes.
Aussitôt que les députés ont commencé à s’occuper des projets de loi sur la réforme électorale nous avons pensé qu’il était urgent d’attirer leur attention sur les revendications des Françaises mises hors le droit commun politique.
Le 25 octobre 1909 la Société «Le suffrage des Femmes» a envoyé à la Chambre une délégation de cinq de ses membres pour prier M. Louis Marin, le distingué député de Nancy, de déposer sur le bureau de la Chambre la pétition signée par plus de trois mille personnes.
M. Louis Marin accepta de rendre à la société «Le suffrage des Femmes» le service qu’elle demandait; mais en attendant le renouvellement de la commission des pétitions, où il s’efforcerait de faire introduire des députés féministes, il nous engagea à recueillir d’autres signatures.
152
Trois semaines après, nous remettions à M. Louis Marin de nombreuses nouvelles feuilles de notre pétition, qui se trouvait ainsi couverte de plus de quatre mille signatures.
Le député de Meurthe-et-Moselle portant sous le bras, attaché par un ruban vert, notre volumineux dossier qu’il allait déposer sur le bureau de la Chambre, était radieux, disent des journalistes.
RAPPORT de M. Louis Marin, Rapporteur Pétition no 1.945.
Motifs de la commission.
La société «Le suffrage des Femmes» a fait déposer sur le bureau de la Chambre une pétition signée par un nombre considérable de Français et de Françaises réclamant la représentation intégrale de la nation.
En effet, tant que la moitié des adultes sera exclue du droit de vote et qu’on n’aura pas donné celui-ci aux femmes, on ne pourra parler du suffrage vraiment universel.
L’égalité des droits entre toutes les personnes humaines, étant aujourd’hui dans la 153 conscience de tous une idée clairement établie, ne permet de refuser aux femmes, en raison de leur sexe, aucun droit politique et par conséquent le droit de vote.
La justice de cette revendication abstraite est précisément renforcée encore par les démonstrations expérimentales qu’apportent aujourd’hui toutes les études sociales: quel économiste nierait que l’infériorité du salaire payé à la femme pour le même travail ne soit un abus de la force, et que le bulletin de vote ne puisse aider à le faire disparaître? Quel historien méconnaîtrait les résultats donnés autrefois par le rôle politique des femmes, notamment dans la France du Moyen Age? Quel psychologue douterait que dans l’établissement des Lois le tempérament féminin ne doive avec celui de l’homme jouer avec fruit son rôle complémentaire habituel? Quel juriste n’affirmerait que maintes injustices disparaîtraient certainement avec le vote des femmes! etc.
Toutes nos spéculations intellectuelles, morales et scientifiques obligent à penser que le suffrage politique est non seulement un droit 154 nécessaire pour la femme, mais qu’il serait pour tous les citoyens, pour l’enfant en particulier, et pour la société entière, un très grand bienfait.
A l’encontre, en revanche, on n’entend que des objections aujourd’hui reconnues puériles.
Le droit des femmes est si clair que la plupart admettent l’excellence de la réforme comme évidente en théorie, mais la combattent, disent-ils, au point de vue pratique.
Or, aujourd’hui dans de nombreux pays, l’expérience est faite qui peut rassurer les plus inintelligents et les plus timorés. Le suffrage municipal est exercé par les femmes en Angleterre, en Suède, au Danemark, en Norvège, en Hollande, dans divers Etats des Etats-Unis d’Amérique, en Australie, en Nouvelle-Zélande.
Partout le suffrage des femmes a provoqué des réformes salutaires. Partout l’expérience a montré que les femmes tenaient particulièrement aux qualités de caractère des candidats, qu’elles obligeaient à effectuer les élections dans des conditions d’ordre et de calme, 155 de dignité, qu’elles amenaient un plus large développement de la législation protectrice de la maternité, de l’enfance et, en général, de tout ce qui favorise la vie de famille, qu’elles tenaient à améliorer les conditions de travail de l’ouvrière, l’organisation de l’assistance, etc.
La preuve, la meilleure de l’évidence de ces bons résultats est que dans les pays qui ont procédé par étapes, c’est très rapidement, devant les fruits excellents donnés par une application d’abord restreinte du vote des femmes, que les extensions successives du suffrage leur ont été très vite accordées.
Aujourd’hui, en France, les institutrices sont électrices et éligibles aux conseils départementaux; elles peuvent prendre part aux élections et faire partie du Conseil supérieur de l’Instruction publique; les femmes commerçantes sont électrices aux tribunaux de commerce, aux Chambres de commerce et aux Chambres consultatives.
Les ouvrières sont électrices et éligibles aux conseils de prud’hommes, aux conseils de travail et au conseil supérieur de Travail.
156
Conformément à la pétition de la Société «Le suffrage des Femmes» il est utile de proclamer que si la tactique parlementaire la meilleure paraît être celle qui série les réformes et réclame d’abord ce qui peut être immédiatement et facilement réalisable, il faut aussi sur ces questions ne point cacher son idéal et dire clairement ce qu’on ambitionne.
Aussi la 22e commission des pétitions, en présence de la demande des pétitionnaires, c’est-à-dire, le suffrage intégral donné aux femmes, pour réaliser enfin la représentation intégrale de la nation, a jugé nécessaire de se prononcer officiellement. A l’unanimité elle a accepté le bien fondé du principe de la demande des pétitionnaires et reconnu l’importance essentielle que sa réalisation aurait pour le pays.
C’est un succès pour la société «Le suffrage des Femmes» et pour toutes les suffragistes françaises que la question du suffrage des femmes ait fait un pas officiel. Sur le rapport de M. Louis Marin la 22e commission a voté la résolution suivante:
157
«En présence de la demande des pétitionnaires, c’est-à-dire le suffrage intégral donné aux femmes pour réaliser, enfin, la représentation intégrale de la nation; la commission a jugé nécessaire de se prononcer officiellement: à l’unanimité elle a accepté le bien fondé du principe de la demande des pétitionnaires et reconnu l’importance essentielle que sa réalisation aurait pour le pays.»
«Ce ne sera qu’en participant à la politique que les femmes s’y initieront.»
H. Auclert.
Aussitôt que les députés projetèrent de réformer la loi électorale, les Suffragistes Françaises pensèrent qu’elles devaient attirer l’attention sur leurs revendications.
La société «Le Suffrage des Femmes» par son action incessante, ses démarches au parlement, ses requêtes, ses pétitions, les ordres du jour votés dans ses réunions a demandé que la nouvelle loi électorale englobe les femmes, fasse les Françaises électeurs.
159
En octobre 1907 la requête ci-dessous fut adressée au congrès Radical de Nancy.
«Messieurs les membres du congrès, «La société «Le Suffrage des Femmes» vous demande de comprendre dans la réforme électorale que vous désirez réaliser, l’admission des femmes à l’exercice des droits politiques.
«Les Françaises contribuables et justiciables, qui adorent leur pays, n’ont point comme les antipatriotes, de représentants au Parlement. Ce ne seront cependant que leurs bulletins compensateurs qui pourront contrebalancer et annuler les bulletins patricides.
«Nous espérons, messieurs les membres du congrès, que vous voudrez assurer la stabilité du parti radical et radical socialiste en permettant aux femmes évolutionnistes—qui forment la majorité de la nation française—de lui servir de point d’appui.
Pour la société «Le suffrage des Femmes».
Le premier contact des femmes revendiquant le suffrage avec la commission du suffrage 160 universel ont lieu en novembre 1908, alors que l’on parlait à la Chambre de l’abolition de la peine de mort. Des déléguées de la Société «Le Suffrage des Femmes» furent reçues au Palais Bourbon par M. Charles Benoist président de la commission du suffrage universel qui voulut bien se charger de la pétition qui suit:
«Messieurs les Députés,
«Intéressez-vous aux femmes, décapitées devant l’urne, comme aux assassins.
«Nous vous demandons de supprimer la Mort politique qui frappe toutes les femmes, en accordant aux Françaises le Droit électoral.»
Cette pétition fut remise par M. Charles Benoist à la commission de la réforme électorale.
Les journaux ont publié sans commentaires, la pétition si juste de la société «Le Suffrage» demandant aux députés de s’intéresser aux femmes devant l’urne, de supprimer la mort politique qui frappe les femmes, en accordant aux Françaises le droit électoral.
Quand, en France les femmes sont traitées 161 comme des idiotes et des criminelles, ne participant pas à l’élaboration de la loi qui leur sera appliquée; quand les maris peuvent, sans jugement, tuer leurs épouses, en prétextant l’infidélité; quand la puissance maritale, confère à l’homme sur la femme l’autorité d’un négrier sur une esclave, on est stupéfait de voir les humanitaires au Parlement, qui restent indifférents devant les femmes suppliciées et frappées sans motifs de mort politique, s’attendrir sur les assassins.
Les humanitaires qui laissent retrancher les Françaises du droit commun n’entendent pas que l’on retranche de la vie les assassins, qui d’ailleurs ne doivent point porter la responsabilité de leurs crimes; tandis que les femmes doivent porter la responsabilité de leur sexe. C’est parce que les femmes donnent la vie qu’elles sont frappées de mort politique. Le voilà le sceau de la barbarie, qui laissera sur cette législation sa marque indélébile.
Pour l’élément féminin pas de pitié. Les législateurs, doux aux assassins sont durs aux femmes! Les Françaises n’ont point la responsabilité 162 de rejeter les règlements qu’on leur impose, mais les assassins doivent avoir le droit de choisir la peine qui leur sera appliquée.
Je ne suis pas pour la guillotine. J’ai longtemps gardé une impression pénible de l’exécution de Vaillant, qui n’avait tué personne et que j’ai vu aller à l’échafaud avec le visage transfiguré d’un apôtre qui croit imposer sa doctrine en mourant pour elle.
Seulement, avant de s’apitoyer sur les assassins, il convient de s’apitoyer sur les femmes, qui sont en la société, des victimes. Ce ne serait qu’une façade qui ressortirait de la suppression actuelle de la peine de mort, tandis que de l’affranchissement politique des femmes résultera tout de suite cette chose positive, le relèvement moral de la nation, donc, à bref délai, la réduction du nombre des assassins.
On ne peut faire un pas vers l’avenir, on ne peut chercher à réaliser le perfectionnement individuel, sans mettre d’abord la femme au niveau de l’homme; par cette bonne raison que les femmes mettent les enfants au 163 monde et façonnent les grandes personnes...
Il est regrettable que les humanitaires, si tendres aux assassins, ne comprennent pas que donner aux Françaises, avec le droit, la faculté de bien mouler les êtres, ce serait s’épargner la peine de les redresser et de les garantir des chutes.
Les femmes qui n’ont commis aucun crime, ne peuvent être indéfiniment les victimes du droit de la force auquel on veut soustraire les assassins.
En décembre 1910, la société le Suffrage des Femmes en sa réunion à la Mairie du XIe arrondissement, vota l’ordre du jour suivant:
«Considérant que la mise hors du droit commun politique des femmes contribuables et justiciables qui forment la majorité des Français est un sabotage des principes républicains, qui amoindrit la République et la met en péril,
«Nous demandons que la réforme électorale commence par assurer la représentation de toute la nation, en permettant aux femmes non représentées de nommer des députés, des 164 sénateurs, des conseillers généraux et municipaux, pour défendre leurs intérêts dans les assemblées législatives et administratives».
Cet ordre du jour a été envoyé à la commission du Suffrage universel.
En février 1911, ordre du jour voté à la Mairie du XIe arrondissement:
«Considérant que pendant que les femmes ne votent pas, les députés ne sont pas les représentants de la nation française—formée de femmes et d’hommes—mais sont seulement les représentants des hommes, minorité en la nation, nous demandons que jusqu’à ce que les femmes soient électeurs, les députés ne reçoivent que la moitié de l’indemnité parlementaire, c’est-à-dire, 7.500 francs au lieu de 15.000.»
Cet ordre du jour a été envoyé à la commission du suffrage universel et de la réforme électorale. Ordre du jour voté en mars 1911:
«Considérant que c’est un préjudice pour le pays que les femmes douées de qualité d’épargne n’aient pas de représentants au Parlement, nous demandons que le suffrage universel soit substitué au suffrage unisexuel, 165 afin que les Françaises qui sont assimilées aux Français pour payer les impôts soient assimilées aux Français pour jouir des droits politiques.»
Le 29 janvier 1913 une délégation des sociétés féministes, a, en l’absence de M. Marcel Sembat, vu à la Chambre M. Justin Godard et M. Ferdinand Buisson, qui à ma demande d’intervenir dans la discussion sur la réforme électorale, ont répondu que le rapport sur le projet de loi Dussausoy viendrait en discussion après le vote de la loi électorale.
Nous avons été reçues à la Chambre le mercredi 14 février par M. Henry Chéron, ex-sous-secrétaire d’Etat. Nous lui avons rappelé qu’en 1906 il avait proclamé que le suffrage n’est pas universel puisque les femmes n’ont pas le droit de voter et qu’il est urgent que les femmes votent.
Nous avons demandé à M. Henry Chéron de faire englober les femmes dans la nouvelle loi électorale; car si les Français et les Françaises se complètent, c’est justement parce qu’ils diffèrent et qu’ils ont chacun des qualités 166 propres que la société a le plus grand intérêt à utiliser.
Il nous a répondu qu’il était toujours très partisan du vote des femmes, mais que fort occupé par le budget dont il était le rapporteur général il ne pouvait faire la proposition que nous lui demandions; cependant, qu’il trouverait quelqu’un pour faire cette proposition.
Le vendredi 16 février M. Marcel Sembat nous a reçues. Récemment il avait dit à la tribune de la Chambre, qu’on ne réaliserait pas la justice complète en matière électorale tant que le droit de vote serait refusé aux femmes.
Nous lui avons demandé de profiter de l’occasion offerte par la discussion sur la réforme électorale pour amorcer la question.
M. Marcel Sembat nous a répondu que s’il proposait un amendement en notre faveur, les adversaires de la réforme électorale s’empresseraient de le voter pour faire échouer la loi, et que les partisans de la réforme électorale, fussent-ils féministes, voteraient contre cet amendement. Mais, que lorsque le vote de la 167 proportionnelle serait acquis, lui et ses collègues se feraient un plaisir d’intervenir pour le suffrage des Femmes dont ils sont partisans. Il a approuvé nos démarches qui pouvaient nous rendre les députés favorables.
Le 17 juin, c’est M. Bracke qui nous a reçues. Il nous a promis de prendre la parole pour réclamer le suffrage des femmes après le vote de la loi. Puis il nous a dit:
«Le parti socialiste est le parti qui peut le moins pour la femme. C’est un parti dans une situation désespérée et qui n’a rien à perdre, qui peut se dévouer à l’affranchissement des femmes; car il pourrait trouver en cela sa résurrection». Il présentera le suffrage féminin, non dans l’intérêt personnel des femmes, mais dans l’intérêt de la société.
Tenant sa promesse, M. Bracke, le 10 juillet a dit à la Chambre que si le groupe du parti socialiste n’a pas profité de l’œuvre d’organisation du suffrage universel pour y rattacher la question du suffrage des femmes, c’est qu’il a considéré que ce serait apporter soi-même un obstacle de plus à la réalisation d’une réforme qu’il regarde comme utile, 168 mais il tient à dire que, plus que jamais il réclamera l’égalité politique des deux sexes et il rappellera à la Chambre...
M. Jaurès.—Très-bien.
M. Bracke.... que c’est en réalité, mutiler le suffrage universel que d’en exclure la majorité de la population des adultes. (Très-bien! très-bien! à l’extrême gauche et sur divers bancs.) Aussitôt que la Chambre aura organisé cette nouvelle loi nous lui rappellerons qu’il est nécessaire de faire une réalité des droits politiques de la femme...
Le 25 mars 1912 M. Maginot fit décider par la Chambre de substituer la base des électeurs inscrits, à celle des habitants, pour établir les sièges législatifs.
Le 27 mars la société «Le suffrage des Femmes», intéressée à ce que les femmes ne soient plus comptées, exprima à M. Maginot dans une lettre ses joies et ses espérances. Mais le retrait du projet ayant été voté par la Chambre, deux mois après une autre proposition présentée par la commission et le gouvernement faisait créer chaque député par 70.000 habitants, au lieu de le faire créer par 169 22.500 électeurs. Le 2 juillet 1912 M. Maginot rappela que dans sa séance du 25 mars, la Chambre, après un long et consciencieux débat qui ne pouvait laisser place à aucune surprise, décidait par 290 voix contre 256 de substituer la base des électeurs inscrits à celle des habitants pour la détermination du nombre de députés à attribuer à chaque circonscription électorale.
Le lendemain, comme conséquence de ce premier vote, elle adoptait à la presque unanimité, par 536 voix en effet contre 22 le texte transactionnel suivant proposé par votre commission du suffrage universel. Ce texte qui est devenu l’article 3 du projet adopté par la Chambre en première délibération était ainsi conçu:
«Le nombre des sièges attribué à une circonscription est calculé sur le chiffre des électeurs inscrits.
«Ce chiffre est celui des électeurs portés sur les listes électorales de l’année du précédent renouvellement de la Chambre des députés.
«Chaque circonscription élit un député par 170 22.500 électeurs inscrits et par fraction supplémentaire supérieure à 11.250.»
Or, messieurs, que vous propose aujourd’hui votre commission d’accord avec le Gouvernement? Tout simplement de revenir sur le vote que vous avez précédemment émis en toute connaissance de cause. Je dis en toute connaissance de cause, car aucun des arguments qui peuvent être invoqués dans un sens ou dans l’autre ne vous ont été épargnés.
Contre cette tentative j’ai considéré qu’il était de mon devoir, d’élever une protestation, moins en mon nom, vous le pensez bien, qu’au nom de mes collègues, signataires avec moi des amendements qui ont conduit à l’adoption des dispositions dont je demande en ce moment le maintien à la Chambre.
Je me permets également de protester, en tant que membre d’une assemblée qu’on voudrait placer dans cette fausse posture de se mettre en contradiction avec elle-même à deux mois de distance, sur un point où moins que sur tout autre—vous en comprenez parfaitement la raison—il lui est possible, sans 171 laisser quelque chose de sa dignité, de revenir en arrière.
M. le Président du conseil.—On ne saurait comprendre qu’on accordât aux seuls électeurs inscrits le privilège d’être représentés au Parlement.
Nous ne représentons pas seulement ici les électeurs, c’est-à-dire, une catégorie limitée de citoyens, les citoyens âgés de plus de vingt et un an qui ne sont pas officiers, nous représentons la nation tout entière avec ses intérêts complexes...
M. Malaviale.—Alors la représentation est nationale.
M. le Président du Conseil.... et nous ne représentons pas seulement, ceux qui vivent aujourd’hui. Nous représentons aussi ceux qui sont morts et ceux qui doivent naître, c’est-à-dire, le passé et l’avenir de la France.
M. Jules Louis Breton.—Alors donnez le droit de vote à toute la population.
M. le Président du Conseil.—Mais, monsieur Breton, votre observation, permettez-moi de vous le dire, ne peut avoir aucune portée, les électeurs ne sont pas des élus. Les 172 électeurs ne sont pas des représentants, mais les députés, eux, sont des représentants et ils doivent, je le répète, représenter la nation tout entière; ils doivent représenter les femmes aussi bien que les hommes, les mineurs aussi bien que les majeurs, ils doivent représenter les officiers aussi bien que les civils.
Mais la question que soulève l’amendement de l’honorable M. Maginot est tout à fait différente et, en ce qui concerne la base électorale calculée sur le nombre des inscrits, le Gouvernement d’accord avec la Commission vous demande de repousser sa proposition.
En nommant, président de la République, M. le président du Conseil Poincaré, les députés ont dû se souvenir qu’il avait assuré leur réélection basée sur le nombre des habitants.
M. Louis Andrieux, que nous n’avions pas sollicité d’intervenir en notre faveur a éloquemment réclamé le vote des femmes.
M. Louis Andrieux.—Je veux répondre quelques mots seulement, sur un point spécial, à M. le Président du conseil.
M. le Président du conseil veut que les 173 femmes soient représentées, mais il me paraît être un féministe inconséquent. Il ne va pas jusqu’aux conclusions logiques de ses prémices.
M. le Président du conseil nous donne d’excellents conseils pour la représentation des femmes, mais il ne croit pas devoir leur accorder le droit de vote (applaudissements à gauche).
M. Dejeante.—M. Maginot non plus.
M. Louis Andrieux.—Je n’aperçois pas qu’il soit possible, sincèrement, loyalement, de faire représenter les femmes...
M. G. Berry.... par leur mari: c’est la loi.
M. Louis Andrieux—Autrement qu’en leur donnant le droit de vote. (Très bien! Très bien! sur divers bancs).
M. Maginot.—Voulez-vous me permettre, mon cher collègue, d’appuyer votre manière de voir en vous donnant communication d’une lettre, qu’on ne dira pas écrite pour les besoins de la cause puisque je l’ai reçue le 27 mars dernier, au lendemain du jour où j’ai soutenu mon amendement devant la chambre?
M. Louis Andrieux.—Volontiers.
174
M. Maginot.—Société «Le suffrage des Femmes».
«Monsieur le député,
«La société «Le suffrage des Femmes» vous remercie de votre courageuse intervention dans la discussion sur la réforme électorale.
«Le vote de votre amendement qui fait prendre pour base de l’élection des députés, les électeurs au lieu des habitants, empêchera les Françaises—non représentées au Parlement—d’être comptées comme des animaux recensés (on rit) et les fera promptement admettre comme électeurs, pouvant enfin envoyer des représentants à la Chambre.
«Veuillez agréer, etc... (Applaudissements à gauche).
Ne soyons donc pas, messieurs, plus monarchistes que le roi, ni plus féministes que les femmes, qui, vous le voyez par la lettre dont je viens de vous donner lecture, se soucient 175 fort peu de la demi-représentation et du semblant de capacité électorale que certains d’entre nous paraissent si soucieux de leur conserver (Applaudissements à gauche).
M. Pourquery de Boisserin.—Pourquoi n’admettez-vous pas à voter les femmes déjà admises à voter au tribunal de commerce?
M. Charles Benoist.—C’est une autre question (interruptions).
M. Louis Andrieux.—Si vous voulez que les femmes soient représentées, il faut établir dans toute son ampleur, dans toute sa vérité, le suffrage universel et ne pas exclure du droit de suffrage la moitié, la meilleure moitié du genre humain.
M. Paul Aubriot.—Le voteriez-vous le jour où nous le proposerions?
M. Louis Andrieux.—Mon cher collègue, quand vous apporterez cette proposition à la tribune, quand vous aurez le courage d’affronter le ridicule qui s’y attache encore, et bien injustement, aux yeux de quelques-uns, je n’hésiterai pas à le voter avec vous.
M. Paul Aubriot.—Très bien!
M. Louis Andrieux.—Je ne crois pas devoir 176 aujourd’hui présenter un amendement, en ce sens, à la loi électorale. Que nos collègues qui y sont opposés se rassurent. Je ne suis pas ici pour menacer le privilège masculin et l’aristocratie de la barbe... (Rires). Je me borne à protester contre les prétentions de ceux qui, sous prétexte de faire représenter la femme, lui donnent un mode de représentation bien lointain, bien indirect, qui souvent se retournerait contre elle.
M. Georges Berry.—C’est déjà quelque chose.
M. Louis Andrieux.—Je proteste contre le paradoxe de ceux, qui veulent la faire représenter par des députés qu’elle n’a pas députés, par des mandataires qu’elle n’a pas mandatés, et lui imposer des avocats d’office choisis par les hommes, et qui à cette tribune le plus souvent plaideraient la cause masculine contre celle des femmes. Cela, c’est se moquer, en vérité, des femmes qu’on prétend défendre, et ce n’est pas généreux, c’est un acte de dérision, d’ironie auquel pour ma part, je ne veux pas m’associer. (Applaudissements à gauche).
M. Ferdinand Buisson, président de la commission 177 du suffrage universel.—Je demande à nos collègues qui nous proposent de substituer le nombre des électeurs inscrits un chiffre de la population, comme base du régime électoral, de me dire, s’ils connaissent, dans le monde entier une seule législation électorale qui ait fait cette innovation. Si vous ne faites état que du nombre des électeurs inscrits, il est évident que vous favorisez les circonscriptions qui comptent beaucoup de célibataires et peu d’enfants. Quelle raison peut-on invoquer, étant donné la diminution de la natalité, en France en faveur de cette exception...
M. le Président.—Je mets au voix les deux premiers paragraphes de l’amendement présenté par M. Maginot et ses collègues, réservant le troisième sur lequel porte le sous-amendement de M. Jean Durand:
«Le nombre des sièges attribués à une circonspection est calculé sur le chiffre des électeurs inscrits:
«Ce chiffre est celui des électeurs portés sur les listes électorales de l’année du précédent renouvellement de la chambre des députés.»
178
M. le Président.—Voici le résultat du dépouillement du scrutin.
Nombre de votants | 549 |
Majorité absolue | 275 |
Pour | 259 |
Contre | 290 |
La Chambre des députés n’a pas adopté.
Faire représenter la majorité de la nation en permettant aux femmes d’envoyer des représentants à la Chambre est la réforme fondamentale qui doit précéder toutes les autres, le progrès ne pouvant s’accomplir quand plus de la moitié des intéressés sont également inaptes à l’imposer.
Le 10 juillet 1912, M. Louis Andrieux fit adopter un amendement à l’article 6 de la loi électorale, grâce auquel l’enregistrement de la candidature des femmes ne peut plus être refusée par le préfet.
Le 29 juillet 1912, M. Louis Andrieux nous a écrit:
«Madame,
«Quand la loi sur la réforme électorale nous reviendra du Sénat, je me propose de 179 déposer et de défendre l’amendement suivant:
«Ajouter à l’article 1er un paragraphe 2, ainsi conçu:—sont électeurs sans distinction de sexe tous les Français âgés de 21 ans accomplis, et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi.»
«Andrieux.»
«La justice et le bien de l’Etat exigent aujourd’hui que les droits politiques soient étendus aux femmes.»
(Roi de Suède).
L’exclusion électorale des femmes est un obstacle au progrès
Il sera impossible de réaliser en France la justice sociale, tant que l’on fera à l’homme et à la femme, ces agents autant l’un que l’autre indispensables à la marche en avant, une condition si différente.
Les démocrates ne paraissent point comprendre qu’en ajournant l’affranchissement de la femme, ils empêchent de compléter celui de l’homme.
181
Ceux qui soutiennent le plus énergiquement, que du perfectionnement des individus résultera un meilleur état social, mettent cette monitrice, la femme, dans l’impossibilité d’élever l’espèce en s’élevant elle-même.
La Française qui est contrainte à un travestissement physique et moral, la Française qui ne parvient, qu’en mentant à se tirer d’affaire dans la vie, ne peut, tant qu’au lieu d’être citoyenne elle n’est qu’instrument de plaisir, faire s’augmenter la mentalité humaine.
Sur les républicains pèsent lourdement les préjugés des jacobins envers la femme. Beaucoup de ces empressés à imiter leurs ancêtres croient que la dissimulation, la ruse, l’hypocrisie féminine, qu’Amar qualifiait «la retenue» à la tribune de la convention, sont la source des vertus du sexe féminin; alors que cette dissimulation et cette ruse ne suscitent que des vices d’esclaves.
La sincérité est le propre des êtres libres. La femme associée de l’homme dans la commune et dans l’état, manifestera sa franchise.
Si l’on n’arrive à la justice sociale que par l’action politique, les Françaises ne peuvent 182 rester en dehors de cette action politique: elles doivent avoir comme les Français, en la République qui est la propriété de tout le monde, leur part de souveraineté.
Dans les luttes pour la vie ce ne serait qu’en mettant la main à la machine politique que les femmes s’épargneraient d’être affamées.
En France, c’est une anomalie d’empêcher les femmes d’être électeurs et éligibles alors qu’on les admet aux hautes fonctions de membres du Conseil supérieur de l’instruction publique et de membre du conseil supérieur du travail, ces assemblées aux lumières desquelles les députés ont si souvent recours.
Comment la femme siégeant en ces conseils qui a été reconnue apte à inspirer, à diriger les législateurs ne serait-elle pas capable d’émettre un vote lors des élections?
C’est la peur des mots qui fait priver la Française du droit de nommer des représentants au Palais Bourbon. Les hommes sont effrayés par ces expressions rapprochées: femmes et politique.
L’annulement des Françaises contraint les 183 Français à l’immobilité, à la stagnation; mais nul ne se préoccupe de cela. En ce pays, où tout le monde crie que le hasard plus que les volontés confère le pouvoir, crée le gouvernement, que les électeurs votent contrairement à leurs intérêts, personne ne veut comprendre qu’on remédiera à l’incohérence politique, en élevant au niveau de l’homme, la femme qui met au monde et éduque les électeurs.
Le besoin de sécurité ne permet pas d’empêcher plus longtemps de tomber dans la balance électorale, pour faire contrepoids, aux bulletins révolutionnaires, les bulletins pondérateurs des femmes.
Pendant que la femme n’a aucun droit, le dressage moral de la nation lui échappe. Si cette dépourvue de toute autorité publique fait une observation, on lui répond: La politique n’est pas l’affaire des femmes. Et cette bannie de la politique, dont tout découle et ou tout remonte, exclue du droit de donner sur quoi que ce soit son avis, par sa dégradation civique, entraîne l’abaissement national.
Dans l’état comme dans la maison la femme 184 doit compléter l’homme, être pour lui un renfort.
Il est difficile de faire admettre par des gens qui n’ont en vue que leur intérêt particulier, une question d’intérêt général comme la participation de la femme à la politique.
Un décret ministériel ferait facilement des Françaises des citoyennes actives.
Ce ne sera que quand la femme aura dans la main le bulletin de vote, qu’elle sera intéressante et pourra contraindre les détenteurs du pouvoir à s’occuper d’elle.
Chaque fois que les femmes offrent leur concours aux hommes pour transformer en joie la douleur de vivre, ceux-ci les repoussent en disant: Femmes! qu’y a-t-il de commun entre vous et nous?
Lorsque les partisans de l’égalité voulurent changer l’enseigne du gouvernement, substituer le titre monarchie, ils crièrent à leurs mères qui demandaient à les aider: «Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous?»
Les anciens serfs parvenus à la souveraineté, aimèrent mieux faire dans l’état les Françaises, 185 leurs adversaires, que leurs coopératrices.
Après qu’ils ont enlevé aux génératrices écrasées de leur mépris tout espoir de se relever, ils semblent stupéfaits de trouver dans les masses enfantées par elles des résistances au progrès.
Leur manie de la domination les empêchera-t-elle encore de comprendre que ce ne sera qu’en unifiant la condition de l’homme et de la femme que l’on unifiera la manière de voir des Français?
Quand une moitié de la nation opprimée par l’autre moitié, est spoliée de tous ses droits, peut-on se faire prendre au sérieux par les populations lorsqu’on affirme que la France est sous le régime de la liberté et de l’égalité?
Républicains, frappez-vous la poitrine! C’est en maintenant asservies les mères que vous avez rendu inévitable l’atrophiement cérébral que vous déplorez.
Si au lieu de continuer à annihiler les femmes, vous les aviez proclamées vos égales, elles seraient devenues immédiatement vos 186 auxiliaires, elles auraient doté les générations de la faculté de comprendre.
Il est douloureux de constater que si à l’étranger les socialistes s’efforcent de faire reconnaître l’égalité politique de la femme, en France les socialistes s’allient aux réactionnaires pour combattre cette égalité. L’entente chez nous, entre les hommes d’opinions les plus opposées pour alléguer des prétextes contre l’exercice des droits politiques de la femme, démontre que le sexe masculin profite de l’annihilement du sexe féminin.
Si l’on envisage superficiellement les choses, les hommes électeurs ont, en effet, avantage à accaparer, pour eux seuls, les bénéfices électoraux et les députés se trouvent fort bien de tenir leurs sièges de la force du nombre des femmes, sans avoir besoin d’obtenir d’elles un bulletin de vote. Mais cette poursuite égoïste du seul intérêt personnel ne fait point s’imposer la République. Elle rend intenable la position de ceux qui en bénéficient.
Pendant que les femmes, ni ne confèrent de mandats, ni ne sont représentées au Parlement, 187 elles ne peuvent servir à créer des sièges législatifs.
Les politiquement annulées ne doivent pas être comptées en politique. Il est temps de mettre fin à la dispendieuse supercherie qui favorise l’ambition masculine en enfermant les candidats dans ce dilemme: Faire électeurs les femmes, si l’on prend les habitants pour base de l’élection des députés, ou ne prendre que les électeurs pour base de la nomination de leurs représentants, si les femmes restent exclues du droit d’envoyer des députés à la chambre.
Parmi les prôneurs de la marche en avant, combien nombreux sont ceux qui veulent progresser en tout, hormis en féminisme. On peut se demander ce qui incite l’homme à être assez ennemi de lui-même pour retarder l’ascension de celle dont, en son for intérieur il appelle la venue, pour redouter la femme qui pourra le comprendre, l’aider, l’aimer complètement et pour lui-même.
Il est bien évident que c’est faute de s’expliquer, que l’on ne s’entend pas au sujet de l’affranchissement de la femme; sans quoi, au 188 lieu d’y être hostile, l’homme en serait le plus ardent partisan.
Parce que la femme s’élèvera, l’homme ne dérogera pas, au contraire. Il affirmera sa puissance en s’assurant de bien plus hautes destinées que s’il en conservait les mœurs ancestrales du singe des cavernes. Dès que l’on ne peut contester l’irréductibilité du tempérament masculin et du tempérament féminin, les deux sexes doivent se partager l’activité universelle parce que: «Une femme fait autrement la même chose qu’un homme» et que «les femmes ont la puissance d’accomplir dans les fonctions, jusque là remplies par des hommes, ce que les hommes n’y sauraient faire».
N’est-ce pas une amère ironie que de parler pour la femme de dignité, en même temps que de trouver bon, qu’elle soit exclue du pouvoir de se donner à elle-même sa règle et sa loi?
N’est-ce point une dérision que de se poser en défenseurs de la dignité de la femme et de laisser l’homme qui n’a pas la même organisation physiologique, donc qui ne peut voir 189 les choses de la même manière qu’elle, penser et vouloir à sa place? Tenter de rendre l’esclave digne, s’efforcer de relever, en la laissant avilie, la moitié d’humanité! quelle contradiction!
Les demi-féministes ne veulent point voir que l’arrivée de la femme sur la scène politique renouvellerait le vieux monde en rendant presque subitement les humains aptes à comprendre leurs intérêts.
On ne peut, sans la débâillonner, faire prendre, à la muette française, sa place en la société; car elle doit dire comment elle entend penser, travailler et aimer. Malheureusement, beaucoup de ses défenseurs ne désirent lui octroyer le droit d’opiner et de légiférer, que lorsqu’elle n’en aura plus besoin.
En imagination, ils disposent tout pour la femme en la cité de l’égalité, seulement, ils négligent de la munir de la clef qui lui en ouvrirait la porte.
Etant donné que l’affranchissement féminin est subordonné au bon plaisir des législateurs, il n’est pas difficile de comprendre que ce qu’il y a pour la femme de plus pressé à réclamer 190 est le droit de faire directement ou indirectement la loi. Car les seuls hommes amenderaient-ils le Code, que leur œuvre, encore, serait à recommencer. Les lois incomplètes sur l’instruction secondaire des filles et sur le divorce nous le prouvent.
Les députés ne légiféreraient équitablement pour les femmes que si les dispositions qu’ils prennent à leur égard, pouvaient être retournées contre eux, leur être appliquées.
Si, à l’exemple des socialistes, qui, en tous les pays font présentement se porter leurs efforts sur la conquête du pouvoir, les femmes avaient résumé leur question en cette réclamation unique—les droits politiques—elles auraient frappé les esprits et fait s’établir un courant d’opinion, qui eût hâté l’instauration du suffrage féminin. La peur qui n’ose aller droit au but, de crainte de froisser les oppresseurs, ne délivrera pas du joug les femmes.
Beaucoup de lois concernant les femmes se discutent à la Chambre. Les députés devraient bien comprendre que les femmes seraient plus que les hommes capables de régler les affaires les regardant.
191
Les gouvernants qui se croient infaillibles et pensent pouvoir suffire à tout, gardent le sexe féminin asservi, bien qu’ils affirment qu’aucune loi naturelle ne condamne les êtres à rester éternellement mineurs, et que, quand parmi eux des individualités sont aptes au gouvernement, c’est justice de les y appeler.
Des individualités féminines sont assurément aptes au gouvernement. Pourquoi ne les y appelle-t-on pas?
—Parce que l’on veut continuer à spolier les femmes.
Si des femmes étaient en France, députées, comme elles le sont en Finlande, le sexe féminin aurait sa part du budget. Il y aurait, inscrit à ce budget, autant d’argent pour l’instruction des filles que pour l’instruction des garçons. Autant d’argent pour donner des emplois et des sinécures au sexe féminin, que pour en donner au sexe masculin.
Les hommes manient les fonds publics sans subir de contrôle. Ils s’approprient l’argent des femmes contribuables pour s’élever au-dessus d’elles. Et après qu’ils se sont fait un piédestal de l’or des femmes, ils crient qu’ils 192 sont leurs supérieurs: le voleur est-il le supérieur du volé?
Les Françaises, qui en la République luttent et paient, doivent comme les Français voter les budgets, afin de pouvoir s’attribuer leur part des bénéfices sociaux.
Que de problèmes seraient vite solutionnés, si l’on utilisait pour les résoudre tout l’intellect et tout l’effort humain. Malheureusement, les députés qui diffèrent d’opinion, sont d’accord pour refuser le suffrage aux femmes. Les projets de lois déposés à la Chambre en leur faveur, ne viennent jamais en discussion[12], et il n’est plus même fait de rapport sur les pétitions qui le réclament. N’est-ce pas suffisant que les femmes soient comptées pour payer les impôts et pour créer des sièges de députés?
Quelle place énorme prendrait dans l’histoire, un ministère, qui, par un décret assimilerait pour le droit, comme pour les charges, les femmes aux hommes.
193
Sans la sollicitude des femmes, comment pourrait-on faire de l’ordre dans la société?
Les députés, des hommes, ont certainement le désir d’améliorer le sort des masses, mais l’annulement de plus de la moitié de la nation, en leur enlevant le concours de l’humanité intégrale, les mettra dans l’impossibilité de tenir leurs promesses.
Parce que les femmes manquent dans les Comités électoraux, dans les assemblées administratives et législatives, les députés ne pourront donner satisfaction aux hommes; et les électeurs iront augmenter le nombre de ceux qui soutiennent que les grandes transformations sociales seront seulement possible, quand la propriété individuelle sera devenue collective.
Si comme les nobles qui accaparaient autrefois tous les privilèges, le sexe masculin n’accaparait aujourd’hui toutes les cartes électorales, tous les mandats de conseillers et de députés, il ne serait point nécessaire d’adopter le collectivisme, pour faire des Français une grande famille dont chaque membre aurait sa fiche, comme sa cote, et serait suivi, soutenu dans la vie.
194
En industrialisant l’agriculture, on pourrait organiser le travail et l’imposer, ce travail, aux apaches et aux prostitués des deux sexes.
Cette convention sociale qui assurerait à chacun la sécurité du lendemain, n’entraverait pas plus la liberté que les lisières dont les mères se servent pour apprendre à leurs enfants à marcher droit.
Mais pour substituer à l’égoïsme la sollicitude sociale pour la multitude, la prévoyance, l’intuition, l’économie de la femme sont indispensables. Les hommes, sans les femmes, ne parviendront jamais à retrancher du budget les sommes nécessaires pour faire des réformes.
En France, l’argent public appartient surtout aux habiles. Bien plus que le mérite ou le besoin, la ruse parvient à se le faire attribuer, et les détournements commis au préjudice de tous s’accomplissent sans déshonorer ceux qui en bénéficient; les riches n’hésitent pas à prendre ce qui est le propre des dénués.
Les hommes, mêmes économes de leur argent, sont prodigues de la fortune commune 195 que les femmes, scrupuleusement, épargneraient.
Dans la famille on ne pourrait pas plus que dans l’état, équilibrer le budget, si la maîtresse de la maison n’intervenait pour régler les dépenses.
Puisque chacun reconnaît que les femmes sont capables d’augmenter la valeur d’emploi de l’argent, au point de satisfaire avec une somme modique, aux exigences de la maisonnée; pourquoi ne leur laisserait-on pas accomplir dans l’Etat le miracle de la multiplication des deniers qu’elles réalisent dans la maison?
C’est parce que les Françaises ne participent pas à la gestion des affaires publiques que l’argent manque pour activer le progrès.
Tous les partis de gauche même réunis ne pourront, sans la coopération de la femme, satisfaire le besoin de bien-être que le développement intellectuel a suscité. Il est donc surprenant que les républicains ne s’empressent point d’utiliser la puissance que les femmes représentent.
Le parti qui octroiera la plénitude des droits 196 politiques aux femmes, se fera trouver indispensable et sera le maître en France puisque, grâce aux femmes qui décuplent la valeur de l’argent, il aura des ressources suffisantes pour accomplir les réformes désirées.
L’outil pour s’affranchir
Le meilleur serrurier ne peut sans instrument ouvrir une porte fermée. De même les femmes ne peuvent sans avoir en main cet outil, le vote, forcer les portes du droit commun, devenir égales des hommes devant la loi.
Alors que les femmes ne pouvaient encore être avocates, une étudiante en droit à laquelle on présentait une pétition réclamant l’électorat et l’éligibilité pour les femmes, refusait de signer, de crainte, disait-elle, de compromettre sa situation. Or, peu de temps après, précisément, le conseil de l’ordre des avocats, arguait de l’incapacité politique de l’étudiante pour refuser de l’inscrire au tableau. La mesure était inique, inqualifiable; mais quelle leçon donnée aux femmes et en particulier à 197 la plaideuse! Qui ne pouvait ignorer qu’à tout bout de champ on lui demanderait de jouir de ses droits politiques et qu’en n’acceptant pas de les réclamer, lorsqu’on le lui proposait elle refusait d’assurer sa position en voulant trop la ménager.
Les dames diplômées sont heureuses de trouver pour passer, la brèche faite. Seulement aussitôt passées, au lieu de tendre la main aux autres, volontiers, elles lèveraient le pont. L’égoïsme cause leur perte, tandis que la solidarité leur assurerait le succès. Leurs clientes naturelles, les femmes, se font en effet ce raisonnement: «Si l’élite féminine, qui a eu son savoir sanctionné par les diplômes ne dispute pas à l’homme ses privilèges en revendiquant l’égalité politique, c’est qu’elle ne se sent pas à sa hauteur. Or, comme pour le soin de ma santé et de mes affaires juridiques, j’ai intérêt à m’en remettre aux supérieurs plutôt qu’aux inférieurs. Je m’adresse aux hommes médecins et aux hommes avocats». Voilà comment en négligeant de se préoccuper d’exister civiquement, doctoresses et avocates entretiennent le préjuge de sexe 198 qui pousse la clientèle féminine chez leurs concurrents mâles.
A chaque pas dans la vie, la femme se heurte à cet obstacle: la capacité politique. Pour postuler tel emploi, pour choisir telle carrière, il faut jouir de ses droits politiques. Sachant cela, n’est-ce pas étrange que les Françaises ne se mettent pas plus en peine de les conquérir? Attendent-elles donc que ceux qui les leur ont pris, viennent les leur offrir?
Cependant, avec la lutte pour la vie qui va en s’accentuant, il est facile de prévoir que l’homme avancera la barrière qu’il tient devant la femme, pour s’assurer le monopole des places et des sinécures, et que bientôt, pour confier à coudre seulement une chemise de troupier, on exigera la capacité politique.
Dans ce pays où le moteur de tout est la politique, la femme est par le fait d’en être exclue, défrancisée, puisqu’elle ne peut s’immiscer en rien à ce qui se fait en France, ni avoir sa part d’aucun avantage français.
La favorisée, qui seule obtient une situation, est dans de perpétuelles transes, car ce qui est octroyé par le bon plaisir est retiré 199 par le bon plaisir. Les ministres tombent, le vent tourne!
Les femmes ne seront assurées contre l’inconstance du vent, que quand elles auront dans la main le carré de papier nommé carte électorale qui consacre la souveraineté de qui la possède.
Si les hommes électeurs ne sont point garantis contre les variations du vent, c’est parce qu’ils ne savent point se servir de leur vote. Suivant la main qui la tient, une même plume écrit des phrases bien différentes. Ainsi il en est du suffrage qui, limité à une infime minorité d’hommes, ne peut d’ailleurs donner les résultats du suffrage universalisé à tous les hommes et à toutes les femmes.
Parce que les femmes sont tenues hors du droit commun politique, elles risquent de perdre leur situation. En 1897, on a enlevé aux personnes ne jouissant pas de leurs droits politiques, c’est-à-dire aux femmes, le droit de tenir un bureau de placement.
A Paris seulement, plus de soixante placeuses—60 intermédiaires entre les offrant et les demandant de places—veuves, célibataires, 200 abandonnées, divorcées ont été dépossédées de leur commerce lucratif sans recevoir aucune indemnité.
En faisant une loi sur les bureaux de placement, les législateurs avaient éliminé les femmes placeuses, afin qu’elles ne fassent point concurrence aux hommes placeurs auxquels une nouvelle autorisation a été délivrée, ce qui leur a permis d’obtenir une indemnité lors de la suppression de leur bureau.
La dépossession pour cause d’annulement politique des placeuses crée un précédent, qui peut permettre d’empêcher demain les logeuses, les hôtelières, les épicières, les marchandes de vin, les herboristes d’exercer leur profession parce qu’elles ne jouissent pas de leurs droits politiques.
Les députés peuvent tout faire aux femmes. Ils n’ont point de représailles à redouter, puisque les femmes ne votent pas.
L’évincement du sexe féminin d’une position pour cause d’inactivité politique est bien fait pour démontrer qu’il est impossible à la femme de prétendre à l’égalité économique 201 tant qu’elle n’est pas en possession de ce passe-partout, le vote, qui ouvre toutes les portes aux travailleurs.
Vous dites que vous vous souciez peu de la politique. Mais la politique n’attend pas que vous alliez à elle, que vous vous occupiez d’elle. C’est elle qui va vous trouver chez vous pour vous enlever votre commerce, pour vous arracher des mains votre gain parce que vous ne contribuez pas à la diriger.
Les hommes même étrangers, peuvent, en se faisant naturaliser, exploiter leurs bureaux; tandis que les femmes nées en France, de parents français ont été dépossédées des leurs parce qu’elles ne jouissent pas dans leur propre pays des droits que peuvent obtenir les étrangers.
Que l’on aille donc soutenir que la politique n’intéresse pas les femmes, quand, parce qu’elles ne sont point admises à s’en occuper elles se voient retirer le pain de la bouche.
Lorsque l’accession à la politique devient pour la femme une question de vie et de mort, le préjugé de sexe, qui est aujourd’hui ce qu’était le préjugé d’argent avant 1848—l’unique 202 motif d’exclusion—doit disparaître. Puisque les droits politiques sont indispensables pour se retourner dans la vie, puisque même pour commercer, il faut en jouir, l’un et l’autre sexe doivent les posséder.
En voyant les propriétaires de bureaux de placement dépossédées parce qu’elles ne jouissent pas de leurs droits civils et politiques, les femmes comprendront-elles que les commerçantes ont autant que les ménagères, les travailleuses et les institutrices, besoin de voter pour sauvegarder leurs intérêts. Il est même, pour elles, pressant de voter, car nous sommes à un tournant social que les petites commerçantes ne pourront franchir, si elles ne mettent, pour se préserver d’être broyées, la main au gouvernail.
Que l’on soit pour ou contre les coopératives, pour ou contre la monopolisation des industries tendant au ravitaillement de la société, il est difficile de se leurrer sur la durée d’existence du petit commerce.
Les plus optimistes perçoivent que très prochainement les grands bazars absorberont les petits magasins. Or, les boutiquiers détaillants 203 sont généralement du sexe féminin. Que deviendront les infortunées marchandes quand sonnera pour elles le glas commercial?
Si elles n’ont pas dans la main le bulletin qui suscite le dévouement des conseillers municipaux et des députés, elles se verront enlever sans compensation leur gagne-pain, parce qu’elles ne votent pas, et elles seront évincées des emplois créés par la monopolisation, parce qu’elles ne voteront pas.
Avant longtemps, pour l’importante catégorie des femmes du petit et du moyen commerce, la privation ou la possession du bulletin de vote, sera une question de vie ou de mort.
L’annulement politique des femmes ne préjudicie pas seulement au sexe féminin. Il préjudicie à toute l’humanité, car les hommes sont bien plus préoccupés d’exciter l’admiration de leurs contemporains que de garantir leur existence. Ils rendent rapide la locomotion, ils dévorent l’espace et volent dans les airs, mais sans souci de satisfaire les estomacs. Ils abandonnent aux vieux errements coutumiers l’agriculture, l’horticulture, l’aviculture, la pisciculture, la production du bétail petit et grand, et croient que vont leur tomber rôties du ciel, les cailles.
Les masculinistes les plus aveugles sont 205 forcés de constater que, si aujourd’hui tant de Français vivent dans la gêne, c’est parce que la prévoyance féminine exclue des parlements, des conseils généraux et municipaux, n’a pu conjurer la disette alimentaire.
La chaleur torride, la sécheresse ou les pluies que l’on rend responsables de la hausse des aliments, ne font que corser le malaise résultant d’une production qui n’est plus en rapport avec la consommation.
La cherté est sur les denrées qui sont plus demandées qu’offertes et cette cherté s’accentuera, puisque, en même temps que tout le monde fuit le labeur des champs, tout le monde est devenu friand des aliments délicats qui se récoltent à la campagne, aliments qui récemment encore, étaient vendus aux fortunés et non point mangés par la masse.
En développant l’individu, on lui a affiné le goût, on l’a rendu sociable, on a fait s’éveiller en lui le besoin de stabilité et de bien-être.
Or, le travailleur peut-il, présentement, trouver à la campagne les garanties qu’il souhaite?
206
—Non, parce que entre ces périodes de surmenage: le labourage, l’ensemencement des terres, la récolte des foins, la moisson, le battage des blés, etc... il y a des semaines, il y a des mois durant lesquels ses bras étant inutilisés, il doit vivre sans rien gagner.
Pour enrayer la crise alimentaire que les femmes électeurs et élues auraient prévue et détournée, il faut industrialiser l’agriculture, il faut intensifier la production, il faut assurer l’existence des ouvriers agricoles.
L’évolution sociale écrase l’agriculteur de charges sans lui procurer de profits, puisqu’on veut payer son beurre moins cher qu’il ne lui revient.
L’agriculteur est dans l’impossibilité d’instaurer pour ses employés les satisfactions matérielles et morales exigées dans notre société moderne. Aussi, les concours bien que très chèrement payés, lui font souvent défaut.
Des gens croient que, malgré la pénurie de denrées, la taxe mettrait fin à la hausse. Ils demandent au gouvernement—qui nous donne moins bon que les particuliers ce qu’il nous fait payer plus cher qu’eux—d’instaurer 207 des coopératives pour la vente du pain et de la viande.
Ce projet sourit aux maîtres du pouvoir qui, au lieu d’être contraints de restreindre avec les droits d’entrée les récoltes budgétaires, trouveraient, grâce aux coopératives, une mine électorale à exploiter.
Naturellement, la coopération des groupes commerciaux et industriels proteste contre ce projet qui, sans profit pour les victimes de la disette, constituerait une véritable expropriation des boulangers et des bouchers.
Ce que les groupes commerciaux ne disent pas, c’est que les boucheries et boulangeries coopératives, dont pour faire les frais, les villes et les communes devront se mettre en déficit—comme Elbeuf pour l’exploitation du gaz—feront s’augmenter les dépenses publiques, en créant des armées de nouveaux fonctionnaires, clients électoraux des conseillers, députés, sénateurs. Les femmes auraient la charge de payer ces employés nouveaux, mais, elles ne seraient pas admises à ces emplois puisqu’elles ne votent pas.
Les hommes si, satisfaits de la manière 208 dont les femmes pourvoient au ravitaillement de la maison, ne peuvent se décider à les convier à assurer avec eux l’alimentation de la commune et de l’Etat.
Cependant en administrant seuls, ils font couler de nos robinets une eau qu’il est dangereux de boire, et trouvent suffisant que nous mangions la viande frigorifiée. Ils laissent les Allemands, les Autrichiens, les Italiens faire la rafle du bétail sur nos marchés français.
Au congrès de la boucherie qui s’est tenu au tribunal de commerce, un vœu a été émis pour qu’une taxe de 10 francs frappe chaque tête de bétail à destination de l’étranger.
Quand notre troupeau se restreint, quand nos écuries se dépeuplent et que pour ce motif, le lait renchérit et menace de faire défaut, il ne suffit pas de mettre une taxe sur les bœufs et les vaches allant à l’étranger, il faut interdire à ces bœufs et à ces vaches de passer la frontière, avant que la France, éprouvée et dépourvue n’ait reconstitué son cheptel.
Les hommes ne se sentent pas comme les 209 femmes, responsables de vies humaines, dédaignent ces détails qui ont pour résultat de satisfaire, à notre détriment, l’appétit de nos voisins.
Mais ce n’est pas seulement le prix de la viande qui augmente; le sucre qui se vendait au mois de juillet 70 centimes le kilo, vaut aujourd’hui 1 franc le kilo[13].
Pendant que les hommes seuls gouvernent, on raréfie le sucre pour lui conserver son haut cours, c’est-à-dire que l’intérêt de 39 millions de consommateurs français est sacrifié à l’intérêt de 300 producteurs de sucre.
Ceux qui clament que les betteraves sont, cette année, insuffisantes, ne se souviennent pas qu’ils ont eux-mêmes limité la production de ces plantes, en réduisant l’étendue et le nombre des betteraveries, afin de ne pas obtenir un rendement qui avilirait le prix du sucre.
A l’heure où les médecins signalaient la valeur nutritive du sucre et conseillaient de faire 210 entrer beaucoup de sucre dans notre alimentation, les femmes, ménagères de la nation, n’auraient pas, comme les hommes indifférents à ces questions, permis que l’on restreignît l’étendue des betteraveries pour maintenir élevé le prix du sucre.
En enfermant la femme, pour la ravaler, dans ce laboratoire, la cuisine, on ne lui donne point la possibilité de pourvoir au bon fonctionnement de ce département qu’on lui assigne. Cependant cette dernière place dévolue à la femme, se trouve être la première, actuellement. Des savants disent que la médecine ne fait que compléter la cuisine, l’alimentation pouvant augmenter le cerveau et fortifier le corps.
Pourquoi la ville de Paris garde-t-elle des octrois que la ville de Lyon a trouvé moyen de supprimer?
Les producteurs préfèrent expédier leurs volailles, leurs œufs, leurs beurres dans les villes exemptes d’octrois comme Lyon, Londres, Bâle... que de les expédier à Paris où il faut payer de lourds droits d’entrée, des frais de transport énormes!
211
Les denrées alimentaires paient moins pour être transportées en Angleterre que pour être transportées à Paris. Ainsi les coquetiers, pour envoyer les beaux œufs frais de l’ouest de la France à Paris doivent payer 8 fr. 40 pour cent kilos de marchandises ou d’emballage, tandis que pour diriger ces beaux œufs sur l’Angleterre ils n’ont à verser que 5 francs par cent kilos. Aussi, pendant que les Anglais mangent nos gros œufs à la coque, nous devons en France nous contenter des petits œufs frais que la Russie, l’Italie et la Turquie nous envoient.
Des groupes de tous les partis, des ligues de consommateurs se réunissent pour protester contre la cherté des vivres. Mais il ne faut pas oublier que ce sont des femmes, des ménagères, qui ont pris l’initiative de réclamer contre la vie chère.
Les premières manifestations des ménagères ont été approuvées par les pouvoirs publics. Des femmes ont délibéré avec des municipalités, des femmes ont décidé le député Basly à détailler lui-même le beurre aux acheteurs.
En taxant d’autorité le beurre, les ménagères 212 s’offraient pour aider à atténuer la crise alimentaire. Elles semblaient dire aux gouvernants: Pour qu’en la République les Français trouvent l’aisance et puissent se nourrir à bon compte, nous devons prendre place à vos côtés.
L’exclusion des femmes du gouvernail met en péril la barque sociale et conduit ceux qu’elle porte à la famine. Attendu que les hommes seuls au pouvoir ne se préoccupent jamais assez, ni de la sécurité nationale—l’affaire des poudres le prouve—ni de l’alimentation de la population, les femmes qui, avec des ressources minimes pourvoient au besoin de la maisonnée, préserveront l’Etat de la disette quand elles seront électeurs et élues. La prévoyance dont elles sont douées leur fera intensifier la production de manière qu’elle suffise à la consommation et lui ménage des réserves.
«Les Français et les Françaises se complètent parce qu’ils ont chacun des qualités propres, que la nation a le plus grand intérêt à utiliser.»
Hubertine Auclert.
Parce que la femme, économe de la famille, n’a pas le droit d’être l’économe de la cité et de l’Etat, les dépenses publiques s’accroissent extraordinairement. Les députés, pour être élus, ne refusent jamais de voter les dépenses favorables à leur circonscription afin d’assurer leur réélection, en sorte que le déficit s’accroît et rend de plus en plus difficile la tâche de boucler le budget.
Les hommes ménagers de la nation ne 214 peuvent faire s’équilibrer les recettes et les dépenses et sont incapables d’administrer nos affaires sans nous grever d’emprunts et sans nous frapper d’impôts. Qu’ils passent donc la main aux femmes qui ont coutume de proportionner leurs dépenses à leur avoir, et qui, en supprimant le gaspillage, nous préserveraient des emprunts et des impôts nouveaux.
On multiplie les fonctionnaires inutiles, nuisibles, dont la présence complique les rouages administratifs et hérisse de difficultés nos actes les plus simples.
Puisque les hommes ne peuvent y parvenir, les femmes doivent à leur tour essayer d’enrayer le désordre et le gaspillage qui engloutissent les fonds publics.
Le vote des femmes serait pour l’électeur, le fruit de l’arbre de la science politique. Il ferait le mandant apte à être mandataire.
Les femmes prévoyantes et économes, tenues hors la loi, ne sont ni électeurs ni éligibles, alors que des hommes incapables, ne sachant faire leurs propres affaires, qui sont pourvus d’un conseil judiciaire, étant électeurs et éligibles, sont chargés de gérer la fortune 215 publique. A ces interdits redevenus mineurs qui ne peuvent disposer de leurs biens, on laisse le pouvoir de disposer des biens de la France. Interdits ou non, les gouvernants qui dilapident les caisses publiques sont traités en irresponsables.
Les intérêts de la France sont mis en péril par les hommes. On démembre la France sans l’assentiment des femmes:
M. Caillaux a donné le Congo à l’Allemagne, M. Delcassé a donné une partie du Maroc à l’Espagne.
Comment le gouvernement de la France a-t-il pu sanctionner ces dons de ce qui nous appartient, faits par deux hommes momentanément ministres? La Chambre et le Sénat qui discutent des mois pour voter une dépense, ont sanctionné sans discussion notre dépouillement.
Croit-on que les femmes laisseraient se passer ces énormités si elles avaient leur part de pouvoir?
Dans ce pays où le moteur de tout est la politique, 216 la femme est par le fait d’en être exclue défrancisée, puisqu’elle ne peut s’immiscer en rien à ce qui se fait en France, ni avoir sa part d’avantages sociaux. Les femmes se désintéressant de la politique, les affaires du pays vont à vau l’eau.
L’intégrité territoriale, rien moins qu’assurée par l’administration, exclusivement masculine:
On a aliéné, secrètement, sans profit, une partie du Maroc qui allait nous appartenir, et tout le monde, au ministère des Affaires Etrangères ignorait ce qui s’était passé, et la Chambre ne s’occupa pas de ce qui avait été fait.
La Diplomatie Française et le ministère Caillaux laissèrent ignorer à l’Allemagne le traité Delcassé de 1904 qui attribuait à l’Espagne une partie du Maroc, de sorte que l’accord Franco-Allemand fait s’étendre le protectorat de la France sur tout le Maroc.
Les gouvernants français traitant avec l’Allemagne pour tout le Maroc (alors qu’il en avait été concédé une partie) c’était lui faire exiger de la France une plus grande compensation.
217
Les hommes inconscients, qui ne savent ce qu’ils font, nous ont fait donner le Congo à l’Allemagne pour doter l’Espagne de la meilleure partie du Maroc et pour assurer l’internationalisation de Tanger.
De même qu’on fait la loi sans les femmes, on démembre la France sans l’assentiment des femmes. Et les femmes doivent payer les fautes faites par les hommes.
L’ordre et l’économie de la femme faisant défaut dans l’Etat, les gouvernants, pour subvenir au gaspillage masculin, sont réduits à demander des ressources à l’alcool, et ainsi, à faire s’empoisonner la nation.
Les femmes sont plus sobres que les hommes. Elles voteraient mieux que les 76.000 électeurs que la police ramasse chaque année ivres-morts sur la voie publique et que la plupart des autres électeurs et législateurs qui, pour n’être pas tous titubants, ne font pas moins leur principale occupation de boire, quand ils se réunissent pour discuter des affaires publiques.
Voyons, rares hommes sobres, qui suivez 219 comme nous, avec effroi, les progrès de l’alcoolisme. Trouveriez-vous à redire à ce que les femmes apportent un peu de lucidité dans les réunions électorales et dans les assemblées administratives et législatives? Le gouvernement englobant les femmes sobres, vaudrait-il moins que le gouvernement des ivrognes?
Les électeurs inconscients, pour la plupart, de leur puissance souveraine vendent, Esaü modernes, leur vote pour un crédit ouvert au cabaret.
A l’heure qu’il est, ce sont les marchands de vins qui sont les maîtres de la France.
L’exclusion des femmes de la vie publique a pour conséquence l’influence des marchands de vins.
Pendant que la maîtresse de maison ne votera pas, la résidence forcée de la politique sera le cabaret dont les philtres engourdissent les esprits, préparent la servitude.
L’alcoolisme fait se restreindre le nombre des naissances.
L’alcoolisme augmente la mortalité en France. Les départements où l’on meurt le plus de tuberculose sont ceux où l’on boit le plus 220 d’alcool. Nombreux sont les enfants créés dans l’ivresse, qui ne naissent point viables, ou qui, faibles de corps et d’esprit sont impropres au service militaire et restent toute leur vie une charge pour la société.
Les médecins qui proscrivaient le vin et ordonnaient de boire de l’eau, ont prescrit l’alcool. Ils ont ainsi encouragé les humains à s’intoxiquer avec ce tonique-panacée, pour rattraper la vie qui continuellement leur échappe.
Quand des êtres affaiblis ont été une fois ressuscités par leur médecin à l’aide de quinquina et de fine champagne, à toute nouvelle épreuve physique, ils recourent aux cordiaux et bientôt ils abusent des apéritifs.
Les médecins et les politiciens peuvent donc compter au nombre des introducteurs de l’alcoolisme en France. Les premiers parce qu’ils ont employé l’alcool comme spécifique vivifiant et curatif. Les seconds parce qu’ils ont fait, de l’alcool, un agent de corruption électorale. Comment refuser de voter pour un candidat qui fait défoncer les barriques où l’on peut, à volonté, s’abreuver? Avec les femmes peu buveuses, cette manœuvre échouerait.
221
La galanterie n’a pas de pire ennemi que l’alcool qui réduit l’homme à l’impuissance, moralement et physiquement, et l’éloigne de la femme.
Si l’alcool éloigne l’homme de la femme, on peut bien constater aussi que la femme éloigne l’homme de l’alcool. Quand il est soustrait à sa bienfaisante influence, c’est, loin de ses regards, au cabaret, que l’homme s’alcoolise et non en sa maison.
Interrogez les débitants, ils vous répondront qu’on ne boit jamais chez eux autant qu’en période électorale et lors d’agitations politiques. Pourquoi la politique fournit-elle l’occasion de s’intoxiquer?
Parce que les femmes n’y participent pas.
L’avènement des femmes à la politique aurait pour effet immédiat d’enrayer l’alcoolisme, car il ferait se transporter les discussions publiques du cabaret dans le home où des couples humains pourraient, en pleine lucidité, tendre les ressorts de leur esprit vers le mieux-être général.
Si les femmes participaient à la politique avec leur esprit d’ordre et d’économie, elles 222 feraient considérablement diminuer les dépenses publiques; leur concours faciliterait l’allègement de l’impôt. Avec elles on ne tirerait plus l’impôt de sources immorales.
Tant que les Françaises n’auront le droit de rien décider, relativement à l’alcool, dont les députés s’opposent à la suppression, c’est vainement qu’elles se ligueront pour combattre l’intempérance.
Le vrai remède à l’alcoolisation est dans le vote des femmes. C’est en conférant aux femmes le droit de régler la question de l’alcool, c’est-à-dire, le pouvoir de conserver aux hommes la vie qu’elles leur ont donnée, que l’on préserverait la nation d’une imminente déchéance.
La femme électeur serait la plus grande force contre l’alcoolisme.
Comment, en effet, pourrait-on sans la femme triompher de ce fléau? Car, en même temps qu’il faut défendre l’usage de l’alcool, il est nécessaire de mettre l’organisme en état de s’en passer.
Les buveurs sont généralement des êtres débiles qui avalent précipitamment le liquide 223 corrodant, non pour se délecter le palais, mais pour se réconforter le corps.
C’est pour pouvoir jongler plus facilement avec la masse électorale que les habiles de tous les partis éliminent les femmes des salles de vote.
Si la femme participait à la vie publique, avant peu de temps chacun pourrait lire dans la politique comme dans un livre ouvert: voir où tous ses intérêts sont concentrés et se passionner pour ces intérêts, comme le laboureur se passionne pour le champ de blé, dont la récolte lui rapporte moins d’argent que la mauvaise politique ne lui en coûte.
La participation de la femme à la vie publique: mais, ce serait à bref délai le suffrage éclairé, l’émulation des efforts pour le bien public, les décisions politiques mûries dans la saine atmosphère de la famille, remplaçant les étourderies consommées au milieu des vapeurs alcooliques du cabaret.
On n’a pas idée de ce que seraient les délégués au pouvoir, s’ils étaient choisis par les hommes et par les femmes, et de ce que seraient capables de faire ces délégués s’ils se 224 sentaient talonnés par tous, Français et Françaises réunis.
Electeurs! ne sacrifiez donc pas plus longtemps vos intérêts à un vain préjugé de sexe! Sachez bien que tant que les femmes ne voteront pas, toujours hommes indifférents ou naïfs, toujours vous vous laisserez escroquer votre vote. Dans le pouvoir que le vote donne à ceux qui le possèdent de régler les affaires publiques au mieux de leurs intérêts, la question d’opinion n’a rien à faire. Est-ce quand une succession s’ouvre chez un notaire, on s’occupe de la manière de penser de ceux qui héritent?
Eh bien, il en est des droits politiques comme il en est des droits d’héritage. Rien, ni opinion, ni sexe ne peut empêcher les ayants-droit d’entrer en possession de la part de liberté, que les générations qui les ont précédés leur ont laissée en héritage.
Si tout allait si bien dans le monde, qu’un pas en avant pût faire craindre de déranger l’harmonie de la société, on comprendrait l’effroi que certaines gens manifestent à l’idée de voir voter les femmes. Mais alors que nous 225 avons un budget de cinq milliards[14], pénurie de travail et augmentation des vivres, la réduction des naissances, la dépopulation et que l’alcool dissout la France, il n’y a que les bornés ou les hypocrites qui puissent dire que l’intervention des femmes dans les affaires publiques ouvrirait l’ère des cataclysmes.
«Les cerveaux n’ont pas de sexe, l’infériorité de la femme n’est qu’un sophisme.»
Pour assurer leur omnipotence, les hommes ont, par la force brutale, imposé aux femmes une infériorité artificielle qui les fait dépendre de leur bon plaisir.
La femme est un être frappé d’indignité qui démérite, en raison de son sexe. Naître femme, augmente cependant, d’après les savants, la valeur des individus.
Mais peu à peu, grâce à la science, la vérité se fait jour. Le Dr Schenk de Vienne révéla que pour obtenir, de la nature, des filles—êtres soi-disant inférieurs—il faut une alimentation plus nutritive à la mère que pour obtenir 227 des garçons, êtres que l’on prétend supérieurs et que les résultats scientifiques remettent à leur place.
Depuis 30 ans, d’éminents zoologistes ont fait des observations curieuses sur différentes espèces animales. MM. Henneguy et Balbiani, professeurs au collège de France, ont constaté que chez les têtards de grenouilles, une bonne nutrition donnait des femelles et qu’une nutrition défectueuse produisait des mâles.
M. Houssay, professeur à la Sorbonne a constaté que chez les poules une bonne nutrition produisait des poulettes et une mauvaise nutrition des coqs.
M. Dantan a observé que le sexe des huîtres est très variable, un même sujet pouvant alternativement être mâle ou femelle. Seules les huîtres portugaises échappent à cette particularité et possèdent un sexe fixe. De plus, ce sont chez les mâles, que les huîtres semblent en état d’infériorité manifeste. Quand les conditions de nutrition sont défavorables, on voit des femelles évoluer et se transformer en mâles, pour redevenir femelles aussitôt que l’alimentation est devenue normale.
228
On peut dire que chez les mollusques le sexe féminin apparaît comme un épanouissement de l’espèce.
L’espèce humaine subit la même loi naturelle que les espèces animales. Les conjoints qui ont une bonne nutrition donnent le jour à des filles. A mesure que le bien-être se répand, le nombre des filles s’élève, le nombre des garçons diminue. Dans les pays pauvres il naît de 110 à 112 garçons pour 100 filles. En France il naît maintenant 104 garçons pour 100 filles. Pourtant les femmes sont plus nombreuses que les hommes de près d’un million en France.
C’est que le sexe masculin est plus frappé par la mort que le sexe féminin. La mortalité masculine est grande pendant la vie intra-utérine. Et pendant les premiers jours, les premières semaines, les premières années les petits garçons sont beaucoup plus fauchés par la mort que les petites filles. C’est qu’ils sont nés dans de moins bonnes conditions de nutrition que les petites filles et qu’il y a en eux une faiblesse congénitale.
La femme est plus résistante que l’homme; 229 elle supporte mieux la fatigue et la privation.
M. Edmond Perrier, directeur du Muséum, se demandait pourquoi, seules les femelles d’un parasite de l’homme connu sous le nom de filiaire de Médine ou dragonneux, se développait sous la peau en provoquant de graves abcès. Il donne, à défaut d’observation, cette solution qu’il croit possible: Dans les formes peu actives du règne animal, de même que dans la société humaine en décadence, le rôle du sexe masculin s’amoindrit de plus en plus, tandis que le sexe féminin prenant une existence croissante se substitue à lui peu à peu et finit par l’éliminer. Dans le règne animal c’est l’organisme masculin qui s’amoindrit et disparaît. Dans les sociétés humaines, c’est la volonté masculine qui s’amollit, qui «s’efféminise» et laisse une sensibilité maladive prendre la place des fières abnégations de soi-même que comporte le rôle de père de famille. Ce n’est pas la femme qui s’élève dans ces sociétés, c’est l’homme oublieux de sa mission qui se laisse glisser.
La supériorité organique de la femme rend impossible son égalité avec l’homme, suivant 230 le directeur du Muséum, qui vient comme il peut, au secours du masculinisme.
Ce membre de l’Institut, bien qu’imbu de préjugés, déclare que le «sexe féminin» est le sexe de la nutrition intensive, qu’il naît dans l’abondance et s’y maintient par le dépôt dans les tissus d’importantes réserves alimentaires.
«Le sexe masculin est au contraire le sexe de la nutrition imparfaite. Il se caractérise par une dilapidation extraordinaire des substances qui dans le sexe féminin sont mises en réserve.»
Mais, pour M. Edmond Perrier, que la femme soit supérieure ou inférieure à l’homme, c’est une question oiseuse (sic) dès qu’elle ne peut selon lui combiner les devoirs de la maternité avec une existence analogue à celle que l’homme peut mener, en raison de son indépendance vis-à-vis de sa progéniture.
Le directeur du Muséum s’écarte de la réalité, en ne constatant pas que les deux tiers des femmes sont sans progéniture et sans maris pour subvenir à leurs besoins.
Ce n’est pas en faisant de la maternité une 231 cause de dégradation civique, que l’on amènera à s’augmenter, en France, le nombre des naissances. C’est en substituant, comme le demandent les féministes, la citoyenne consciente du devoir, au mannequin qui sert d’instrument de plaisir.
Les grands enfants qui gouvernent ont besoin d’un jouet, et, au détriment de la race, ils sacrifient à leur amusement, les femmes. Mais il va falloir cesser de se contredire pour appliquer les principes républicains, en faisant participer la Française aux affaires publiques.
Puisque le sexe féminin est mieux organisé physiquement et par conséquent intellectuellement et moralement que le sexe masculin, il ne doit pas subir la domination de celui-ci.
M. Bergson dit qu’il y a une source de connaissance indépendante de l’intelligence et aussi essentielle qu’elle. C’est l’intuition.
Si l’on arrive à cultiver, à étendre l’intuition, elle sera capable de donner la clef de tous les grands problèmes de l’univers.
Les femmes sont douées d’intuition, mais leur annulement rend cette qualité, innée en elles, inutile, puisque inutilisée.
«L’homme fait verser tous les droits de son côté, tous les devoirs du côté de la femme. Dans notre législation la femme ne possède pas, elle n’este pas en justice[15], elle ne vote pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent: il faut qu’il cesse.»
Victor Hugo.
Les objections qu’on oppose a priori aux droits des femmes émanent de gens qui, sans discussion dénient absolument l’électorat et l’éligibilité aux femmes. Ils soutiennent cette 233 théorie à savoir, que les femmes n’ayant pas à remplir dans la société le même rôle que les hommes, elles ne doivent pas posséder les mêmes droits qu’eux.
Cela s’accommode à tous les langages et s’exprime selon la franchise et l’hypocrisie de chacun.
Les uns pour refuser à la femme ses droits civiques prétextent son intérêt; ils entament des dissertations philosophiques sur sa nature, sur sa mission. La femme ne peut, disent-ils, quitter le foyer où elle est reine pour se mêler aux agitations de la place publique.
Voyez-vous cette reine qui ne peut qu’obéir, qui ne peut que se soumettre aux injures et aux mauvais traitements? L’ironie est cruelle.
Les autres, lui assignent carrément ce lot: repriser les chaussettes de l’homme.
Bref, la vérité, qu’elle se cache sous des fleurs de rhétorique ou qu’elle se dégage de cette rude franchise, la vérité est que la femme est vouée à servir l’homme, à être esclave et non pas libre. Ceci est criant dans cette France qui a écrit sur ses murailles le mot égalité!
234
La différence de rôle que certains hommes invoquent pour nous refuser nos droits, n’est bien entendu qu’un prétexte, car si dans la société les femmes n’ont pas à remplir les mêmes rôles que les hommes, les hommes ne remplissent pas non plus tous le même rôle. N’y a-t-il pas des hommes qui ont le rôle de construire des maisons, d’autres, le rôle de tailler des habits, ceux-ci d’écrire, d’imprimer, ceux-là de labourer la terre?
Chaque homme a dans la société un rôle spécial et bien déterminé. Eh bien! Que feraient les hommes si on les renfermait dans le cercle étroit de leur profession. Si on leur disait: Vous boulanger, votre rôle est de pétrir du pain! Vous n’aurez pas vos droits politiques. Vous cordonnier, votre rôle est de coudre des souliers, vous n’aurez pas de droits politiques.—Vous avocat, votre rôle est de plaider, vous n’aurez pas de droits politiques.
Ce serait aussi logique que de dire à la femme que parce qu’il est dans son rôle de prendre soin du ménage, des vêtements et des enfants, elle n’aura pas de droits politiques.
235
Quoiqu’ils aient des rôles essentiellement différents dans la société, aucun homme n’est, de par son rôle, si infime ou si supérieur qu’il paraisse, exclu du droit? Pourquoi donc dit-on que le rôle des femmes doit les priver de l’exercice de leurs droits? Est-ce que la femme remplit un rôle inférieur à celui de l’homme?
Les soins donnés aux affaires domestiques sont-ils moins précieux que l’attention apportée à l’exercice d’un métier? Non.
L’aisance relative qui résulte du judicieux emploi de l’argent n’est pas moins précieuse au point de vue social que l’argent qui peut être acquis dans les professions manuelles ou libérales. D’ailleurs, en dépit de la surveillance des affaires de l’intérieur qui lui est attribuée, le plus souvent la femme n’exerce-t-elle pas une profession?
Eh bien! c’est à elle qui se multiplie, c’est à la femme qui meurt à la peine pour exercer son double rôle qu’on ose dire: «Ton rôle te fait déchoir du droit.»
Que les hommes n’envisagent donc pas ce prétexte, la différence de leurs rôles, pour exclure les femmes du droit.
236
Ce n’est pas parce que les femmes et les hommes, parce que les hommes entre eux et les femmes entre elles ont des devoirs différents, qu’il peut s’en suivre qu’ils n’ont pas de droits égaux.
Tout le monde ne peut remplir le même rôle. La diversité des fonctions est au contraire indispensable à la bonne harmonie de la société.
Le devoir imposé à tous est différent pour chacun.
Le droit inhérent à l’individu est égal pour tous.
Ce n’est pas parce que la femme française voterait, qu’elle cesserait d’être dans la maison l’administratrice intelligente et économe, la travailleuse ou l’intendante active qui surveille tout, qui est à tout.
Ce n’est pas parce que la femme voterait, qu’elle cesserait d’être pour la famille ce qu’est le soleil pour la fleur, un astre qui la réchauffe de son amour. Non! les femmes peuvent à la fois jouir de l’intégralité de leurs droits et être irréprochables dans l’accomplissement de leurs devoirs.
237
Voter et légiférer ne constitue pas un rôle, mais bien le droit et le devoir d’administrer la fortune publique; comme de passer un bail, de vendre ou d’acheter des titres de rente constitue le droit et le devoir d’administrer sa fortune privée.
Le femme ne cessera pas plus d’être femme en devenant citoyenne, que l’homme en devenant citoyen ne cesse d’être homme.
En entrant en possession des droits, des titres, des prérogatives, de la part de souveraineté qui lui appartient, la femme conservera toute sa féminité; mais elle acquerra avec la puissance politique, une valeur morale qui la fera cesser d’être méprisée, quand elle a passé l’âge de plaire.
Tant que l’on continuera à dire dans l’Etat: «Qui a la direction de la barque sociale?» et dans le ménage: «Qui a la maîtrise?», on sera bien loin de posséder les mœurs qui font les gouvernements démocratiques.
Qu’est-ce que la liberté? Qu’est-ce que l’égalité 238 dans ce beau pays de France, où un sexe tient l’autre sous le joug?
Une pure fiction.
Dans une vraie République, le gouvernement qui procède de tous, doit être à tous. Il ne doit pas plus y avoir de maîtres dans la maison que de maîtres dans l’Etat. Mais, selon que, quelqu’un a plus ou moins d’aptitude pour remplir telle fonction, il doit dans l’intérêt général être délégué à cette fonction dans l’Etat, ou à cette autre fonction dans le ménage. C’est de cette adaptation aux emplois des facultés de chacun, de la mise en place de tous, de la concordance et de l’acquiescement des volontés et des capacités, que découlera l’ordre véritable: l’harmonie.
Ceux qui placent la femme plus bas que les repris de justice et les rôdeurs de barrière, disent que l’homme est un être supérieur qui doit diriger les affaires extérieures et que la femme qui est un être inférieur doit se consacrer exclusivement à la direction du ménage.
Est-il plus difficile de diriger les affaire extérieures que les affaires intérieures?
Nous serions très désireux de voir comment 239 les habiles politiciens qui ne savent faire face aux exigences sociales avec le gros budget de la France, se tireraient d’affaire dans le ménage, s’ils avaient un très modeste budget pour satisfaire aux besoins d’une famille.
Le sexe n’assigne pas à l’être humain des attributions déterminées. Etre homme ou être femme n’importe pas plus dans la distribution des fonctions sociales, qu’être grand ou petit, brun ou blond, gras ou maigre. Il n’y a que pour procréer des enfants que la question de sexe est de rigueur. Mais pour faire des lois, elle n’est nullement mise en cause. A voir l’obstination de certaines personnes à nous objecter toujours et partout notre sexe, ce serait à croire, en vérité, qu’elles confondent les mots: voter, légiférer et enfanter.
Les qualités morales et intellectuelles sont absolument indépendantes du sexe de l’individu qui les possède. A qui fera-t-on croire qu’être homme étend nécessairement les facultés d’un individu, fût-il idiot, et qu’être femme circonscrit fatalement les facultés d’un individu qui a des capacités multiples pour tout envisager?
240
Des fonctions déterminées ne doivent pas plus être les attributs de l’homme ou de la femme, que des aptitudes déterminées ne sont leurs attributs.
Les femmes peuvent avoir aussi bien que les hommes, de grandes capacités pour diriger les affaires de l’intérieur. Nous ne doutons pas qu’il y ait des ménagères qui feraient de grands hommes d’Etat et des députés qui feraient d’excellents cuisiniers. La pratique est là pour confirmer ce que nous avançons. Combien d’hommes quittent chaque année leurs attributions pour se tailler une situation dans la sphère exclusivement dévolue à la femme.
Eh bien! ce que les hommes font, les femmes doivent aussi pouvoir le faire.
De même que les hommes qui en ont le goût peuvent envahir la cuisine, les femmes qui y sont instinctivement poussées, doivent pouvoir s’occuper de politique, voter, légiférer, peser de toute leur influence favorable sur la destinée humaine.
Quand nous parlons de cette chose rationnelle, le droit, la liberté de choisir la carrière 241 pour laquelle nous avons de l’attrait, tous les hommes s’écrient: Eh quoi! femmes! Vous voulez nous remplacer! Vous voulez être électeurs, députés, ministres, et nous faire, nous tous, balayeurs, cuisiniers, hommes de ménage!
Rassurez-vous, forts en égoïsme! les femmes ne réclament, pas encore votre monopole pour se l’approprier. Ce qu’elles veulent, les femmes, c’est de pouvoir suivre la voie qui leur convient. Ce qu’elles ne veulent plus, les femmes, c’est d’être—parce qu’elles sont femmes—parquées dans un rôle déterminé, au grand préjudice de leur intérêt et du vôtre.
Il n’y aura d’harmonie dans la société, il n’y aura de bonheur pour l’humanité que dans l’égalité des droits pour tous et l’équitable répartition des fonctions entre tous hommes et femmes, indifféremment, suivant leurs aptitudes particulières.
«On interdit que pour un temps les droits politiques aux malfaiteurs, on interdit pour toujours les droits politiques aux femmes.»
H. A.
Lors des élections, à l’extrême limite, il y a des candidats et des électeurs de castes, des candidats et des électeurs de classes. Mais si la plate-forme électorale diffère, les élections sont uniquement des élections de sexe, des élections de ces nobles d’aujourd’hui: les hommes. Ce ne sont que les hommes qui votent, ce ne sont que des hommes qui sont élus. Il n’y a donc pas dans la commune et dans l’Etat une représentation réelle de la 243 population, qui est, en majorité, formée de femmes.
N’est-ce pas incompréhensible que des femmes lucides, à l’esprit pénétrant, ne puissent voter comme les hommes idiots ou rendus inconscients par l’ivresse?
Pour exclure les Françaises de la souveraineté, on allègue que leur éducation ne les rend pas aptes à s’occuper de politique. Ce n’est point l’éducation, c’est le pantalon qui fait l’électeur.
Chaque année, lors de la conscription, des garçons, élevés en filles, voient rectifier leur état civil et leur éducation ne les empêche pas de jouir des droits politiques dès qu’ils ont substitué à la jupe, le pantalon.
Une erreur de sexe a récemment été reconnue en une point banale circonstance. Mlle Renée Gautherot, voulant devenir sage-femme, était, à vingt ans, entrée à l’Ecole départementale d’accouchement de Dijon. Elle passa ses examens et, pendant un an, fut interne à la Maternité. Elle coucha dans le dortoir commun, prodigua ses soins aux accouchées jusqu’à ce qu’un docteur révélât que 244 cette jeune fille... était un jeune homme!...
Renée Gautherot a été éduquée ainsi que l’est une fille, et si l’on n’avait point découvert qu’elle appartient au sexe masculin, elle serait restée toute sa vie exclue de l’électorat comme indigne.
Mais parce que l’on a acquis la certitude que cette femme est un homme, la voilà reconnue apte à exercer ses droits de citoyens. L’insuffisance d’éducation alléguée pour spolier les femmes de leurs droits politiques, ne privera pas de voter ce garçon élevé en fille.
Dans la République, filles et garçons étant pareillement intéressés, doivent pouvoir également donner leur avis.
L’opinion des femmes doit être entendue et respectée comme l’opinion des hommes.
Tout le monde n’est pas partisan du vote des femmes. Mais ne sait-on pas que, si en France, les changements dans le costume féminin sont sans protestation acceptés, le remplacement d’une coutume féminine par une autre, a toujours fait se récrier une légion d’opposants.
245
Quand les parisiennes qui n’avaient le droit d’occuper l’impériale des omnibus furent admises à monter s’y asseoir, beaucoup de gens trouvèrent mauvais qu’on leur octroyât cette liberté. Les uns feignaient de craindre que les femmes accapareraient toutes les places à 15 centimes; d’autres clamaient qu’il était immoral d’autoriser des enjuponnées à grimper sur le dessus des voitures.
Lorsque les femmes devinrent cochères, chauffeuses et conduisirent les voitures, les protestations furent nombreuses. Mais nul n’aurait coupé les guides de leur cheval si les cochères avaient été électeur. Pour avoir la liberté d’agir à leur gré, les femmes doivent tenir, comme les hommes, les rênes de l’Etat.
Les Français s’affaiblissent en n’utilisant pas toute l’intelligence et toute l’énergie de la nation, en ne relevant pas les femmes de la dégradation civique.
La dégradation civique est une déchéance qui fait perdre la qualité de citoyen, et fait exclure du droit de participer au gouvernement.
246
Pour les hommes, la dégradation civique résulte de la condamnation à une peine infamante pour assassinat, vol, ivrognerie, attentat aux mœurs.
Pour les femmes, la dégradation civique ne provient point de condamnations, mais simplement de leur sexe. C’est parce qu’elles sont nées du sexe féminin, que toutes les Françaises sont assimilées aux assassins, aux voleurs, aux satyres et exclues avec eux des droits politiques. Seulement, les hommes condamnés ne sont qu’exclus temporairement des droits politiques. Les femmes en sont des exclues permanentes de ces droits.
Entre hommes et femmes, dont le même sang coule dans les veines, il ne doit avoir ni supérieurs ni inférieurs, mais accord, efforts combinés pour faire, de notre France, un lieu de délices.
Les hommes ont tout à gagner à faire à la femme, cette amie sûre, cette sage conseillère, place à leur côté. Il y a pour eux dans l’affranchissement de leurs compagnes une augmentation de bien-être, et tout ce qui peut résulter d’heureux pour l’humanité de l’utilisation 247 d’intelligences généreuses et primesautières.
La question des femmes est le nœud gordien qui, une fois tranché, rendrait facile la question sociale.
«Plus encore que le Français, la Française représente la plus haute expression du caractère national.»
Elisée Reclus.
Les Françaises qui caractérisent la France n’existent pas socialement, annulées, sans action. Elles restent à perpétuité hors la loi dans leur pays, puisqu’elles sont exclues des droits politiques. Ce ne sera cependant qu’en utilisant toute sa force cérébrale que la France s’assurera la prépondérance morale dans le monde.
On n’admet pas au droit commun les Françaises; mais on admet au droit commun les 249 étrangers naturalisés: près de 14.000 étrangers sont, par an, faits citoyens Français.
Plus de la moitié de la nation française n’est pas représentée au Parlement tant que les femmes ne votent pas. Mais les nations Russe, Allemande, Belge, Anglaise, Italienne, Autrichienne, Espagnole, Américaine, Suisse, Hollandaise, Turque, Grecque, Suédoise, Danoise, Norvégienne, Portugaise, Japonaise, Chinoise, Bulgare, Serbe, sont représentées au Parlement Français. Les natifs de ces pays sont devenus électeurs et éligibles chez nous, exercent une influence sur nos assemblées administratives et législatives au profit de leur véritable et première patrie. Ils peuvent faire prendre des déterminations préjudiciables à nos intérêts nationaux, insinuer une mentalité anti-française, tandis que les femmes Françaises, point citoyennes, sont dans l’impossibilité de défendre la France contre ces étrangers.
L’exclusion des droits politiques des femmes contribuables, justiciables qui forment la majorité des Français, est un sabotage des principes patriotiques et républicains 250 qui amoindrit la France et met en péril la République.
Pendant que les députés refusent de faire électeurs les femmes de France, le gouverneur général de l’Afrique Equatoriale française, demande d’admettre sans discussion—par décret—les nègres du Congo à être citoyens, et cette proposition de faire voter les nègres du Congo est immédiatement prise en considération et mise à l’étude par le ministre des Colonies. C’est que les intérêts des nègres du Congo et les intérêts des députés sont connexes; tandis que les intérêts des femmes et les intérêts des députés sont en opposition.
Les noirs du Congo seront faits électeurs, parce qu’en votant, ils augmenteront le nombre des sièges législatifs.
Les femmes ne sont pas admises à voter parce que les députés ne sont point intéressés à ce qu’elles votent. Comptées déjà, contribuant par leur nombre à créer des sièges législatifs, elles ne procureraient pas une place de plus à la Chambre, et en doublant le nombre des électeurs elles rendraient plus difficile d’être élu.
251
Les noirs des Antilles, de la Guadeloupe, du Sénégal qui ne parlent pas notre langue, qui ne subissent pas nos lois, possèdent depuis longtemps le bulletin de vote.
Les gouvernants élèvent jusqu’à eux, les plus sauvages indigènes de nos colonies parce qu’ils leur assurent des fiefs électoraux. Ils font des étrangers qui contribuent à leur garantir ces fiefs, des égaux politiques. Mais les femmes serves, ne disposant pas des fiefs dont elles ont été spoliées par les hommes, sont laissées au-dessous de tout.
Les Françaises devraient être en France, au moins aussi bien traitées que les étrangers.
C’est anti-français d’accorder aux hommes nés hors de notre territoire des privilèges que les naturelles, que les filles du pays ne possèdent pas.
En la France hospitalière, l’étranger est partout bien accueilli. Il trône dans les salons, il est embauché par les employeurs et par l’Etat. Une grande partie du personnel des établissements dépendant de l’Etat, des départements et des communes est étranger. Le cosmopolitisme pousse les habitants de notre pays à renoncer 252 à toute initiative propre, à accepter les yeux fermés la manière de se vêtir, de se chausser, de se loger, de vivre et de penser de l’étranger.
A l’instigation des étrangers nous cessons d’être nous mêmes. Nous transformons notre langue, nous changeons de manière de voir, nous sommes conquis moralement par les Anglais, les Allemands, les Américains.
Je propose de mettre un impôt sur les anti-patriques qui remplacent les mots de notre langue par des mots étrangers: «L’homme qui aime les autres pays autant que le sien, dit Roosevelt, est un tout aussi nuisible membre de la société, que celui qui aime les autres femmes autant que la sienne.»
La France se montre meilleure pour les hommes nés à l’étranger que pour les femmes sorties de son sein.
L’étranger naturalisé a tous les droits des nationaux mâles. Il est électeur, il est éligible, il est trouvé apte à remplir les bons emplois, les hautes fonctions, cependant que des femmes nées en France de parents français sont comme les repris de justice, des dégradées civiques.
253
Les étrangers ont en France de hautes situations auxquelles les femmes ne peuvent prétendre. Des étrangers sont auditeurs au Conseil d’Etat, mais pas de femmes.
A l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, il y a beaucoup de correspondants et de membres associés Allemands, mais pas de femmes.
L’étranger est en France plus favorisé d’honneurs et de sinécures que les femmes. Il obtient plus facilement qu’elle du travail, et ce travail souvent mal exécuté, est mieux rétribué que celui des femmes.
L’homme étranger peut en France faire concurrence aux ouvriers français, en travaillant au-dessous du tarif des syndicats. Il faut bien qu’il vive le pauvre!... Ne sommes-nous pas tous frères devant les syndiqués?
La femme française, elle, doit mourir de faim ou se prostituer, plutôt que d’accepter de travailler au-dessous du tarif syndical. Si elle se le permet en raison de son infériorité légale, qui fait déprécier son travail, elle est exclue du syndicat, et ses collègues mâles font grève pour obtenir son expulsion 254 de l’imprimerie ou de la fabrique qui emploie.
Or, ces socialistes qui exigent que les femmes infériorisées par la loi soient aussi payées que les hommes qui font la loi, lorsqu’ils deviennent patrons, comme à la verrerie d’Albi, ils donnent aux femmes 1 fr. 25 pendant qu’ils s’attribuent 12 francs par jour[16].
La concurrence étrangère
Les Allemands sont plus chez eux en France que les femmes qui perpétuent la nation française.
Ils nous vendent leur pacotille, des pneumatiques d’automobiles, des échelles de pompiers, des instruments de chirurgie, etc.
Les Allemands auxquels l’abaissement de la France importe tant, ont, dit Edouard Drumont, monopolisé chez nous les industries intéressant la défense nationale. Ils nous fournissent à bon marché l’acétate qui entre dans la composition de la poudre B, cause de tant de catastrophes.
Le congrès du bâtiment tenu à Bordeaux en 255 avril 1912 s’est occupé de la situation faite aux ouvriers français, par les nombreux ouvriers venant de l’étranger et auxquels, même l’état, confie des travaux importants.
En donnant des détails sur ces travaux, les congressistes nous ont appris que le monument de Waldeck-Rousseau du sculpteur Marqueste, érigé à l’aide d’une souscription nationale, a été exécuté à Sarraveza en Italie. Celui du Vengeur commandé pour le Panthéon par l’Etat à M. Ernest Dubois, a été exécuté à Carrare. La fontaine décorative de la place du Carrousel, dont l’auteur est M. Larche a été exécutée dans les ateliers de M. Pelligripi. Le buste de Paul Déroulède par Pallez a été sculpté à Carrare.
Est-ce que l’on ne pourrait pas faire travailler à Paris le marbre de Carrare?
Les artistes qui font exécuter leurs œuvres en Italie, et les grands éditeurs qui font imprimer leurs livres à Londres et à Berlin devraient être frappés d’énormes taxes, car beaucoup de Français pâtissent, pendant que les Italiens, les Anglais et les Allemands mangent notre pain national.
256
Plus d’un million d’étrangers font chez nous concurrence aux travailleurs français.
En voyant préférer, à elles, les étrangers, les femmes françaises se révoltent. Une fabrique de conserves alimentaires qui employait pour écosser les petits pois, des ouvrières Belges, fut dernièrement envahie par des centaines d’ouvrières françaises qui se plaignaient qu’on donnait leur place aux étrangères. Elles pénétrèrent dans l’usine en frappant les gendarmes qui s’opposaient à leur entrée et elles demandèrent que le travail fût attribué aux françaises, au lieu d’être donné aux étrangères: Ces femmes avaient raison.
Les étrangers viennent nous prendre notre clientèle, notre travail, nos gains, nos bénéfices. Ils deviennent médecins avec des diplômes étrangers. Ils sont propriétaires de milliers d’hectares de terre. Ils fondent chez nous des maisons de commerce, des usines. Ils exploitent notre sol et notre sous-sol.
Les espions Allemands se font en France, industriels. Les Anglais aux griffes puissantes ont les mains mises sur tout ce qui leur paraît bon à prendre.
257
Les déchets sociaux de tous les pays font de Paris, un repaire de bandits. Sur sept malfaiteurs il y a six étrangers.
La France installe les espions à son foyer. Les 103.000 allemands qui vivent à Paris, sont des envahisseurs dont la pénétration choque l’esprit national.
L’homme étranger jouit à Paris de tant de considération, qu’il trouve facilement dans le commerce 100.000 francs de crédit. La femme française ne trouve pas crédit pour 20 kilos de pain.
Quand, pour exercer les droits politiques on n’assimile pas les françaises aux français, comment peut-on assimiler les étrangers aux français pour exercer les droits politiques?
La mise du bulletin de vote en la main de l’étranger est une capitulation qui lui livre notre destinée et lui donne le droit de nous imposer sa loi.
En laissant la majorité de ses membres—les femmes—au-dessous des étrangers, la nation française se rend inapte à résister à la déformation que lui imprime l’infiltration étrangère.
258
Des étrangers naturalisés ne peuvent envisager nos affaires et nos intérêts comme des français d’origine. Comment se fait-il donc que ces étrangers naturalisés jouissent des prérogatives que les natives de France ne possèdent pas?
Blanqui demandait: Que serons-nous demain si nous n’avons plus de patrie?
La patrie est comme une maison familiale dont tous les habitants sont censés être de la même famille.
Eh bien, les femmes nées en France de parents français sont des sans-patrie, non à la manière internationaliste qui fait disparaître les frontières sous les fraternelles étreintes des peuples, mais selon la légalité napoléonienne qui traite la femme, en errante sans feu, ni lien, qui n’a d’autre nationalité que celle de ses maris successifs.
On lit dans le code civil article 19: La femme française qui épouse un étranger suit la condition de son mari[17].
259
Ce ne sera qu’en devenant citoyennes que les françaises s’assureront le droit d’avoir une patrie. Actuellement dans leur pays, chez elles, les Françaises sont moins que des Anglais, des Italiens, des Belges, des Allemands naturalisés qui peuvent trancher de tout dans la commune et dans l’Etat.
Pourquoi cette prééminence chez nous des étrangers sur les femmes?
Aux femmes qui les complètent, les français doivent toutes leurs joies.
Aux étrangers qui menacent leur sécurité, qui enlèvent, avec le travail, le pain quotidien, les français ne doivent que des angoisses et de la pauvreté. Cependant, ce n’est pas aux femmes, qui se feraient leurs auxiliaires pour assurer leur bonheur, c’est aux étrangers qu’ils donnent le bulletin de vote qui leur facilitera de prendre leur territoire après avoir pris leur gain.
Est-ce logique: que les étrangers qui trouvent avantageux d’adopter, provisoirement, 260 la France pour patrie, la gouvernent, alors que les femmes sorties des entrailles nationales n’ont le droit d’y décider de rien?
Ceux qui crient: «La France aux Français», aiment mieux que la France soit aux étrangers qu’aux Françaises.
Au lieu d’élever la France, en faisant de cette patrie des hommes, la patrie des hommes et des femmes, en centuplant par la coopération de tous ses habitants, la puissance d’irradiation du pays, flambeau de l’humanité; ceux qui se qualifient patriotes, souffrent que la France soit rapetissée par l’annulement de plus de la moitié de ses enfants. Ils tolèrent que la patrie soit dépouillée du concours moral et intellectuel des vingt millions de femmes. La France amputée des femmes, n’est qu’une demi-France, tandis que la France où les femmes voteraient et légiféreraient conjointement avec les hommes, serait une France et demie.
Quand augmentera-t-on notre patrie, en cessant d’en faire un clan restreint au sexe masculin de l’univers?
Les féministes victorieuses des autres pays, qui ont mis ou qui veulent mettre la main au gouvernail, font des sentiments et des systèmes, une question secondaire. En France au contraire, des revendicatrices prônent leur conception personnelle de l’amour et de la politique. Cette manière d’agir qui divise les femmes, retarde chez nous le triomphe du féminisme.
Les Françaises seraient bien plus libres qu’elles ne sont, si elles n’avaient pas pour but unique dans la vie l’éphémère amour! Elles s’épargneraient souvent d’être dupes de l’homme, si, avant que de lui faire le don d’elles-mêmes, elles s’efforçaient de le connaître. 262 Malheureusement bien des femmes qui ne prêteraient pas vingt francs sans savoir si leur emprunteur est probe, se donnent tout entières avant de s’informer de ce que vaut la moralité de leur amoureux.
Il serait puéril d’exiger que les hommes accomplissent des devoirs dont la loi les dispense. Selon qu’elle est bien ou mal faite, la loi moralise on démoralise l’individu.
Ne vous attendez pas à voir régner la vraie république dans l’Etat tant que la monarchie subsistera légale au foyer.
Les articles du code qui incitent l’homme à mépriser sa mère, l’époux à mépriser sa compagne, le sexe masculin à mépriser le sexe féminin, pervertissent le sens moral de la nation et font qu’aimer et être bon n’est pas la vraie recette pour être heureux. C’est au contraire la recette infaillible pour bien souffrir. Quiconque a une âme noble, un cœur d’élite est tout le long de la vie meurtri. On s’imagine que la force attractive qui pousse les êtres les uns vers les autres, est la garantie du bonheur conjugal.
L’amour rend les humains seulement plus 263 aptes à commettre des erreurs, puisqu’en leur enlevant toute lucidité il les empêche de discerner s’il y a entre eux l’antipathie qui les fera ennemis, ou la concordance de goûts, de pensées, de sentiments d’où résultera leur union morale, la fusion de leur moi.
Combien peu d’êtres sont capables de se comprendre... Ils existent peut-être mais inconnus les uns aux autres. Si ceux qui ont une âme identique se trouvaient face à face, ils ne s’aimeraient pas, car chacun est séduit par le contraste. L’homme grave, le savant sera attiré par l’insouciance d’une enfant. La femme sérieuse, instruite, aimera n’importe quel fou. C’est cette loi éternelle qui cause les déchirements de ceux qui aiment.
Et les hommes trahis trouvent l’apaisement de leurs tourments. Ils ont tous les moyens pour oublier leur peine. Le meilleur est la politique qui leur permet de transporter leur activité cérébrale et affective du «home» solitaire, en la commune et l’Etat où tant d’intérêts passionnants se disputent leur sollicitude.
Aux deux sexes souffrant de l’inconstance, 264 il serait rationnel d’offrir les mêmes remèdes. Pourquoi le moyen de rattacher à l’existence, en se préoccupant d’organiser une vie meilleure aux générations, ne serait-il pas donné aux femmes comme aux hommes désespérés?
Les femmes soumises comme les hommes aux règles légales et aux charges sociales, n’ont pas seulement le droit indéniable de participer à la politique, elles ont besoin d’y participer afin de trouver là un point d’appui, quand, par le fait de la mort ou de l’abandon de leur compagnon, le sol manque sous leurs pieds.
Les hommes, pris par mille occupations diverses, n’apportent pas une attention suffisante à l’amélioration des conditions d’existence des masses, mais les femmes sans rôle ni but, les veuves, les abandonnées, concentrant là leurs énergies accumulées, pourraient aider à résoudre des problèmes qui aujourd’hui semblent insolubles, parce que concernant l’humanité tout entière, les seuls efforts masculins sont impuissants à en donner la clef.
265
Plutôt que de laisser le chagrin miner la vigueur, et l’obsession des regrets troubler les cerveaux, ne vaudrait-il pas mieux faire sortir, de l’excès des tortures individuelles, la rédemption générale?
L’âge et le sexe
La différence d’âge des époux rend souvent aussi impossible le bonheur conjugal. Généralement le mari est beaucoup plus âgé que la femme. Cependant la grande Mademoiselle Louise d’Orléans duchesse de Montpensier, avait six ans de plus que Lauzun. Talma, avait 28 ans quand il se maria et sa femme, Julie Carreau, 37 ans.
Ce sont là des exceptions: d’ordinaire l’époux a de 8 à 12 ans de plus que l’épouse, parce que soit-disant, la femme vieillit plus vite que l’homme.
Le préjugé relatif à l’âge de la femme n’est qu’un moyen de domination. L’homme bedonnant et blanchissant peut, s’il le veut, être amoureux; son cœur à lui ne vieillit pas, tandis que si une femme qui n’est plus jeune 266 laisse deviner son besoin d’aimer, elle paraît ridicule.
Le sexe masculin s’est concédé la jeunesse éternelle, peut-être à tort, car son organisme n’est point aussi résistant que celui du sexe féminin.
Si nous en croyons les statistiques, le sexe-minorité a beaucoup moins de vitalité que le sexe-majorité, puisque trente mille hommes de plus que de femmes meurent chaque année.
Pourquoi l’homme pourvu de moins de force vitale que la femme est-il censé paraître plus jeune qu’elle?—Parce qu’il existe intégralement et que la femme n’existe qu’à moitié, étant annulée en politique.
La politique tient tellement dans sa dépendance la vie sociale et économique, que chacun, selon que son sexe y participe ou non, est estimé en tant qu’être humain ou en tant qu’animal. Ainsi l’homme qui vote, légifère, est apprécié au triple point de vue moral, intellectuel et physique, tandis que la femme qui ne vote pas, l’est seulement en raison de sa valeur physique.
267
La femme qui ne vote pas ne vaut que pour le service, le décor et la reproduction. Si volontairement ou non elle s’est soustraite à son rôle animal, on la cloue au pilori avec cette épithète «vieille fille» en laquelle sont résumés l’égoïsme et l’acariâtreté.
C’est d’une victime du désordre social dont on a fait ce hideux hibou. Regardez la vieille fille, cette cible vivante sur laquelle s’exerce la méchanceté humaine, et vous serez attendri par son abnégation, son sourire navré.
N’est pas qualifiée de vieille fille toute femme qui vieillit dans le célibat. Une cocotte surannée, une religieuse blanchie sous la cornette, ne sont point appelées vieilles filles.
Pour n’être pas vieille fille, il suffit de sacrifier au Dieu qui règne dans le ciel ou au Dieu mâle qui règne sur la terre.
A quel âge la jeune fille s’entend-elle qualifier de vieille?—Dès qu’elle sort de l’adolescence. Si, à vingt-quatre ans, elle n’est pas mariée, elle coiffe Sainte-Catherine et entre en la confrérie des vieilles filles.
Alors même qu’en la vieillesse l’homme ne cesse d’être le jeune premier, se croyant apte 268 à plaire et à exciter l’amour, la fillette en sa croissance est tourmentée par la crainte de laisser passer l’heure de captiver l’homme. Le préjugé qui lui fait se faire un point d’honneur de ne pas attendre vingt-cinq ans pour devenir épouse, force à s’accomplir avec la précipitation du désespoir beaucoup d’unions mal assorties.
Si plus des deux tiers des femmes ne se marient pas en France—vingt neuf à trente trois Françaises pour cent seulement arrivent à se faire épouser—c’est évidemment parce que les hommes restent vieux garçons.
Or, jamais aux vieux garçons ne s’attache le ridicule jeté sur les vieilles filles par les hommes, pour forcer les jouvencelles à s’éprendre d’eux.
On ne fait pas à l’homme, de l’état de vieux garçon, un reproche; au contraire. On l’entoure, on le choie, on se le dispute, le vieux garçon; il est partout le bienvenu ouvrant le champ à tous les espoirs.
La femme qui n’a jamais été sollicitée de contracter une union est autant que celle qui a refusé de se consacrer à l’homme, traitée 269 d’égoïste. Alors que le garçon qui se dispense d’avoir une compagne et se fait aimer de celles des autres, est, même par les maris, appelé galant homme.
Pourquoi, quand on apprécie les hommes qui restent célibataires, bien qu’ayant toutes facilités de cesser de l’être, vilipende-t-on les femmes dont il ne dépend pas de la volonté de sortir du célibat?...—Parce que les hommes sont des êtres humains, des citoyens, et que les femmes sont encore assimilées aux animaux.
Au lieu d’être déconsidérés, les vieux garçons sont honorés. Ils occupent en France les hautes fonctions. Au Parlement, dans l’administration, on ne voit que des célibataires! Le mariage est obligatoire, seulement pour la femme, parce que la femme n’existe que pour le mariage. Elle est encore, ainsi qu’écrivait Napoléon à Sainte-Hélène, «la propriété de l’homme comme l’arbre à fruit est celle du jardinier».
Le nombre des femmes étant supérieur à celui des hommes, tous les Français consentiraient-ils à renoncer au célibat, que toutes 270 les Françaises ne pourraient avoir un époux. Au lieu donc de dépriser l’état de célibataire, qui n’annihile aucunement les facultés intellectuelles, il conviendrait de réagir contre le préjugé du mariage obligatoire pour la femme, et d’utiliser au profit de la collectivité nationale les trésors du cœur féminin laissés en disponibilité.
Les vieilles filles dont se gaudissent les hommes, sans doute par ce qu’elles sont les seules femmes qui gardent sur eux des illusions, ont généralement l’esprit ouvert aux larges pensées humaines. Il en est parmi elles qui se lamentent de voir aussi mal utiliser par le sexe souverain, les moyens d’amélioration sociale dont il dispose.
C’est parce qu’elle est annulée en politique, qu’elle n’est que par sa beauté une valeur sociale, que la femme âgée est annihilée.
Avec la fonction de reproductrice finit le rôle de la femme, c’est-à-dire, au moment précis où le rôle de l’homme ne fait que commencer.
L’homme vieux a la valeur de son mérite. Il il bénéficie du savoir acquis, de l’expérience 271 faite. Il doit à son âge souvent de hautes situations pécuniaires et honorifiques, tandis que la femme vieille, donc plus décorative, fût-elle épouse et mère, est isolée en la famille, congédiée par la société.
Elle n’était là que pour l’ornement et qu’à titre de productrice d’enfants. N’en mettant plus au monde et ayant cessé d’être belle, elle ne compte plus, c’est une morte vivante!
Ce ne sera qu’en élargissant son existence par la conquête des prérogatives politiques de l’homme, que la femme pourra faire apprécier, en même temps que sa fugitive beauté physique, sa durable valeur comme intellectuelle et cesser de seulement compter comme un animal pour exister en être humain.
Travail domestique rétribué
Lentement, mais sûrement, le féminisme progresse. Lorsque nous avions au congrès de Marseille[18], demandé que le travail ménager soit rémunéré, que la mère allaitant ses enfants, que la femme cuisinant, raccommodant, mettant tout en ordre dans la maison, puisse prétendre à l’indépendance économique, notre proposition avait été jugée si hardie qu’on l’avait qualifiée d’inconvenante et même d’immorale.
Pour certains membres de ce congrès, ne plus vouloir que la femme soit corvéable c’était, paraît-il, sous prétexte d’indépendance 273 et de dignité féminine, inciter la femme à haïr son mari, pousser l’homme à considérer sa compagne comme une étrangère, à la payer comme une prostituée.
Eh bien, ce qui épouvantait hier, semble aujourd’hui rationnel. Le congrès de la ligue de l’enseignement qui s’est tenu récemment à Amiens[19], a, en effet, sans qu’il s’éleva de protestations, adopté le vœu ci-dessous:
«Que le travail de la femme dans la famille soit évalué et qu’on prenne pour base de cette évaluation la rémunération qui serait donnée à une salariée pour exécuter le même travail».
Evaluer un travail, c’est évidemment décider de le rétribuer.
La rémunération empêchera le travail du ménage de paraître abject. Elle relèvera, aux yeux de l’homme, la femme qui l’accomplit et elle rapprochera les époux.
En émettant ce vœu, la ligue de l’enseignement ne s’est pas seulement, à l’exemple de son fondateur, Jean Macé, déclarée en faveur de l’égalité des sexes, elle a orienté la femme 274 vers le féminisme. Car en s’affirmant partisans de l’équité envers la femme, les éducateurs ont reconnu la nécessité d’apprendre à être juste à son égard.
Chez nous, ce qui maintient particulièrement la femme dans l’esclavage, c’est la corvée domestique qui, en usant ses forces, en prenant son temps, la laisse dénuée. La ménagère qui ne reçoit point même de l’homme la somme indispensable pour le ravitaillement de la maisonnée, en peinant beaucoup, en accomplissant des miracles d’économie, est obligée de mendier à son mari quand elle a besoin de quelques centimes.
Or, pendant que la malheureuse reste privée d’argent, l’homme qui lui fait faire gratuitement sa part de besogne à la maison, dépense sans compter au cabaret! Ne serait-il pas équitable qu’il remette à sa compagne une part de salaire qu’elle lui a permis d’obtenir en se déchargeant des occupations domestiques?
L’égoïsme est funeste même à l’homme qu’il favorise, et il est urgent de cesser d’exploiter la femme; obliger, en effet, la procréatrice 275 de se surmener, c’est assurer la naissance d’un maximum d’enfants anormaux, donc créer des charges sociales.
Actuellement, de nombreuses femmes, forcées pour vivre d’exercer un métier, doivent, après le travail professionnel achevé, recommencer à se fatiguer en accomplissant la besogne domestique. L’hypocrite loi qui leur interdit la veillée pour exécuter l’ouvrage payé, leur laisse toute liberté de passer la nuit à peiner gratuitement.
L’homme, en sortant du bureau, du magasin, de l’atelier, se repose et se distrait, pendant que son esclave, en quittant son emploi, s’exténue pour lui assurer logement, linge, vêtements propres, repas bien apprêtés.
Aider la femme à échapper à l’exploitation familiale, c’est la rendre apte à mettre au monde des humains, qui, étant moins à redresser, plus aisément se développeront.
Quand le travail de gestation et d’enfantement qui perpétue l’espèce humaine, quand le travail domestique qui la conserve seront appréciés à leur valeur, le préjugé du sexe disparaîtra.
276
Les femmes qui peinent presque sans interruption et, quasi sans rétribution, ont leurs cris de souffrance étouffés en l’enceinte que leur fait l’isolement.
Entre les femmes, nul point de contact; le terrain politique qui permet aux hommes de se connaître, de s’unir pour défendre leurs intérêts corporatifs comme leurs intérêts publics, leur fait à elles, défaut. Aussi, ne sont-elles que quelques-unes de groupées dans des métiers où sont surmenées, exploitées, des milliers et des milliers d’ouvrières.
Malgré que les socialistes, au pouvoir, ne puissent rien pour les femmes tant qu’elles ne votent pas, combien, néanmoins, celles-ci en s’associant, en donnant aux exploiteurs la peur d’un concert de plaintes, pourraient améliorer leur sort!
C’est moins relativement à la limitation des heures de travail de la femme—limiter le travail féminin qui ne s’achève là que pour reprendre ailleurs, est une amère ironie—que, contre la condamnation de la femme à un double labeur: l’un à peine payé, l’autre tout à fait gratuit, que devrait se porter l’effort féministe.
277
Si, dans une usine ou une fabrique, la moitié des employés disait à l’autre moitié en désignant un ouvrage rebutant: «Chargez-vous de cette ingrate besogne qu’il ne nous plaît point de faire. Vous ne recevrez pour cela aucune indemnité, mais nous nous ferons rétribuer le temps que vous emploierez à accomplir à notre place, notre part de ce travail; et, si vous avez soin de bien nous disposer envers vous, aussi longtemps que cela nous sera agréable, sans trop nous faire tirer l’oreille, nous subviendrons à votre entretien. Les dupeurs proposant ce marché, seraient vite remis à leur place par ceux qu’ils voudraient exploiter.
Eh bien, la convention, qu’en aucun cas jamais des hommes ne pourraient faire accepter par d’autres hommes, est subie par les femmes.
Beaucoup de Françaises ont dans leur ménage la position d’un enfant auquel, dans un moment de générosité, on promet un jouet, dans l’occurrence, un objet de toilette; la somme nécessaire à son habillement ne lui étant donnée comme une faveur, que pour chaque objet.
278
Si le pivot de la famille est ainsi humilié, c’est un peu sa faute. Il suffirait que les femmes qui s’usent au travail improductif, se missent en grève pour que l’homme fût contraint ou de les indemniser pour les servir, ou de distraire quelques heures de son temps rétribué, pour se servir lui-même. Si la grève des mineurs en raréfiant le combustible peut arrêter le machinisme, la grève des ménagères forcerait, faute d’être entretenue, huilée, la machine humaine elle-même, à s’arrêter.
Les hommes profitent du travail féminin, sans se donner la peine de penser que l’exploitation de la femme dans le ménage par l’époux, autorise l’exploitation de la femme par l’employeur.
Les maris, qui ont avili la main-d’œuvre féminine, en établissant l’usage de ne point la payer, accusent ensuite les femmes de faire baisser les salaires quand elles apportent, en leurs métiers, l’effort de leurs bras dont, par la coutume de bénéficier de la gratuité, ils ont reconnu l’indignité à être récompensée.
L’Etat admet ces malhonnêtes procédés envers le sexe féminin, qu’il exploite partout 279 où il l’emploie, en lui donnant, pour un travail égal, un salaire moindre qu’au sexe masculin.
Alexandre Dumas écrivit un jour à une actrice qui lui avait fait des confidences:
«Méprisez l’homme, passez-vous de lui: toute la force, toute la valeur de la femme est là!»
En ce conseil est formulé le principe de la liberté féminine. La femme qui peut exister moralement, matériellement, diriger ses affaires, satisfaire à ses besoins sans le secours de l’homme, est en dépit de l’asservissement des lois et des mœurs, son propre maître.
Chose curieuse, les hommes qui, tous se sentent un peu de faiblesse de caractère, poursuivent la conquête des femmes aptes à endosser leurs responsabilités. Ils recherchent les fortes qui peuvent se passer d’eux. En dehors des riches, qui ont toujours été l’objet de leurs convoitises, les pourvues de bonnes professions ou de réelles aptitudes domestiques fixent surtout leurs choix. Certes, ils aiment les coquettes, mais seulement pour flirter!
280
Cependant, les parents ne tiennent point compte de cette indication. Ils admirent leurs enfants et attendent tout pour elles de leurs regards fascinateurs. Les laisseraient-ils dépourvues à la fois, de professions et de dots? Ils développent chez leurs filles un intensif besoin de luxe. De même que la riche, la plus pauvre semble devoir être une décorative. Elle est parée afin de bien affirmer que, seul, un homme très riche pourra l’entretenir. Parée, à crédit souvent, les industriels escomptent le mariage des belles filles, comme les usuriers celui des garçons cultivés.
Les institutrices se joignent aux mères idolâtres pour maintenir en l’erreur, au lieu de les fortifier dans les réalités, les jeunes personnes. Des éducatrices qualifient les soins du ménage de «besogne de femmes de charge devant laquelle reculeront les jeunes filles instruites et bien élevées».
Si, en nos écoles, on éveille de la répugnance pour la première obligation imposée à toute Française, n’ayant point le moyen de se faire servir, il ne faut plus s’étonner que le Café reste, comme l’appellait Théodore de 281 Banville, «Le paradis de la civilisation, l’inviolable refuge de l’homme contre les poussières et les vulgarités du ménage».
L’éducation et l’instruction ne rendent pas inaptes à se servir soi-même. Au contraire, tout développement est propice à émanciper du préjugé qui fait classer le travail en besogne noble ou vile et à le faire accomplir, ce travail, quel qu’il soit, sans penser déroger.
Un américain millionnaire ne se croit pas déchu, en redevenant cireur de bottines; voilà pourquoi il remonte si vite au premier échelon social. Il n’y a guère en France que les juifs qui en tombant de très haut, se retrouvent sur leurs pieds comme les énergiques Américains.
En conjurant les législateurs de supprimer l’esclavage de la femme qui entrave la liberté de l’homme, nous supplions les institutrices et les mères de donner aux Françaises la trempe morale qui les fera libres, parce que décidées à ne reculer devant aucune besogne, parce que aptes à élever, en les accomplissant, tous les travaux.
Les jeunes filles instruites, bien élevées, 282 qui n’ont pas le moyen d’avoir de domestiques ne s’abaissent pas, en se livrant aux soins du ménage, puisque leur entente de ces occupations leur donne une valeur nuptialitaire.
Nous connaissons dans différents milieux, des jeunes gens instruits, distingués, qui, relativement à la dot, ne seront pas exigeants. Seulement ils veulent trouver chez la compagne de leur vie, du savoir-faire; l’aptitude à organiser de ses propres mains le bien-être, chez soi.
Ces futurs époux disent: «Nous nous dévouerons avec joie à gagner entièrement la vie commune, mais à la condition que, pendant que nous travaillerons, notre compagne ne demeurera pas immobile, en proie aux dangereuses suggestions de l’oisiveté.»
La femme n’est plus une charge quand elle devient une aide, et l’union dans l’effort ne saurait déplaire aux jeunes filles fières.
Les jeunes hommes avisés, qui en place d’une dot, demandent à leur épouse de savoir se servir elle-même, sont inconsciemment des émancipateurs. Ils forceront mieux que quiconque les jeunes filles à s’affranchir des besoins 283 fictifs que les préjugés leur ont inculqués et ainsi à se faire libres, avant de voir décréter leur liberté.
Plus la femme s’évertuera à ne compter que sur elle-même et s’ingéniera à se passer de l’homme, plus elle sera en condition d’être recherchée par lui, dans tous les pays parmi toutes les races.
1er mai des Femmes
Quand l’employeur, qui a plus intérêt à rémunérer la besogne accomplie que les heures de présence au chantier, aura diminué la durée du labeur quotidien réclamée par les travailleurs des Deux-Mondes[20], quand l’homme—aristocrate dans l’humanité—sortira à quatre heures de l’atelier, il pourra, à son gré, se croiser les bras ou se promener comme un bourgeois, canne à la main. Alors que la femme ouvrière devra toujours, quelle que soit l’heure à laquelle finisse la journée, entreprendre un travail encore plus pénible que 284 celui qu’elle vient d’accomplir: balayages, nettoyages, approvisionnements, cuisinages, lavages, raccommodages, repassages, soins aux enfants etc., etc.
Les manifestants qui proclament que le 1er mai veut dire: «Plus de travail exténuant, repos normal, loisir...» ont-ils mis dans leur programme d’alléger le fardeau de leur compagne en partageant avec elle le travail, aussi nécessaire qu’improductif, du ménage?
Ce n’est pas, dira-t-on, l’affaire de l’homme de balayer la maison, de nettoyer les ustensiles, de laver, raccommoder les hardes, de préparer le dîner.—C’est bon pour une femme de peiner gratuitement dans ces métiers de femme.
Est-ce qu’il n’y a pas des hommes qui sont valets de chambre, tailleurs, blanchisseurs, cuisiniers, marmitons?
Lorsqu’il s’agit de gagner de l’argent, l’homme dispute très bien à la femme l’office de ménager qu’il trouve indigne de lui quand il s’agit d’en faire la besogne pour rien.
Les mères sont, il faut l’avouer, un peu coupables de leur exténuement. En négligeant 285 d’apprendre à leurs fils à se servir eux-mêmes, elles perpétuent, à travers les générations, la tradition du servage féminin.
Pourquoi l’homme, qui n’a pas au régiment, de domestique pour faire les corvées, se débarrasse-t-il dans la vie civile, sur sa mère, sur ses sœurs, sur son épouse, de tout ce qu’il y a de pénible à accomplir dans la maison?
Astreint, comme la femme, à se nourrir, à user ses vêtements, à salir son linge, sa vaisselle et son logement, déchoirait-il plus qu’elle, en balayant, en lavant, en préparant ses aliments, en recousant ses boutons, comme il le faisait, sans rechigner, à la caserne?—Non! Et avant de posséder, ou après avoir perdu cette servante gratuite qu’on dénomme son épouse, l’homme se trouverait fort bien de s’obliger soi-même.
Le partage entre époux du travail du ménage permettrait à la femme de partager le repos, le loisir de l’homme. Alors en rentrant au logis, le mari trouverait au lieu d’une femme fatiguée, épuisée, qui a parfois la bouche amère, une compagne aimable, gracieuse, avec laquelle il serait fier de se montrer.
286
Quelle entente mettrait dans le ménage ce simple travail fait ensemble! Les époux s’entr’aidant en bons camarades, il n’y aurait plus chez la femme, succombant sous l’effort, la sourde révolte qui se traduit en humeur. Et chez l’homme, ce serait fini du mépris pour celles auxquelles sont dévolues des occupations dites serviles—parce que non rétribuées—puisqu’il partagerait ces occupations.
L’épouse, pas surmenée, conserverait sa gaîté de jeune fille, et, le mari n’ayant plus à redouter les plaintes et les poussières, se trouverait heureux dans le logement où grâce à ses muscles, brillerait ce luxe du pauvre: la propreté.
Quand la Française n’aura plus à supporter que la moitié du fardeau domestique, elle trouvera enfin le temps de penser qu’elle n’est pas une bête de somme, qu’elle doit exercer tous les attributs de personne humaine et s’occuper des intérêts généraux avec lesquels ses intérêts particuliers ont tant de corrélation.
Les femmes qui sont prises aux entrailles, quand elles entendent des humains crier—devant des terres où il suffirait de jeter 287 quelques grains pour que de leurs flancs généreux sorte la nourriture—crier en face de colonies paradisiaques où les récoltes succèdent aux récoltes: «Je n’ai pas de travail! j’ai faim!» voudraient réprimer ce désordre social et assumer avec l’homme la souveraineté publique afin de pouvoir empêcher la nation de pâtir devant ces richesses inexploitées.
Malheureusement, les femmes sont en même temps que des dégradées civiques, des condamnées aux travaux forcés à perpétuité.
Les maris, sauf de rares exceptions, croient qu’une épouse est un petit bœuf donné par la nature et ils usent, ils abusent de son dévouement.
Si la réduction du labeur de l’homme ne devait pas diminuer pour la femme le surmenage improductif qui fait obstacle à son indépendance économique, les travailleuses qui peinent souvent dix-huit heures sur vingt-quatre seraient obligées de se liguer pour faire contre le travail supplémentaire du ménage qui ne leur rapporte rien, elles aussi, leur 1er mai.
288
En se croisant les bras comme eux, devant les travaux domestiques, les femmes imposeraient aux hommes, habitués à être constamment servis, des privations qui amèneraient vite leur égoïsme à accommodement.
Certes, la Française si vive, si active, ne recule pas devant l’ouvrage. Seulement, elle sait que l’amour, le dévouement, les qualités morales d’une femme, sont partout moins appréciés que ses charmes, et que, si elle est enlaidie par d’excessifs labeurs, son mari lui donnera une rivale plus fraîche. Aussi, pour conserver sa gentillesse et sa santé, c’est-à-dire, son bonheur en ménage, l’épouse s’insurgera, s’il le faut, contre l’attribution exclusive qui lui est faite, d’un travail supplémentaire exténuant.
Mais la femme sera-t-elle forcée de faire son 1er mai, pour éviter de perdre en se détériorant le cœur de son mari?
Ne serait-ce pas suffisant que ses conseillers à la Tribune et dans la presse disent à l’homme qui va distraire au cabaret ses heures de chômage, pendant que sa compagne continue la journée en se tuant de travail à la maison: 289 «Puisque tu profites du bien-être domestique, fais ta part de besogne domestique comme au régiment».
Au régiment les hommes sont à tour de rôle astreints à la corvée de nettoyer la chambrée et à préparer «l’ordinaire»: pourquoi n’en serait-il pas de même au foyer?
La corvée amicalement partagée entre mari et femme, obligés à se servir eux-mêmes, semblerait moins pénible. L’effort réciproque pour rendre l’habitation commune agréable, rapprocherait les conjoints.
Bien plus sages que nous, les Américains reconnaissent que les deux sexes étant dans l’obligation de se nourrir et de se vêtir, doivent savoir cuisiner et coudre. Ils font, dans les collèges, suivre en commun par les garçons et par les filles les cours de cuisine et de couture, afin qu’en l’épreuve de la vie hommes et femmes soient pareillement aptes à se rendre, à l’occasion, à eux-mêmes, services.
Quand s’inspirera-t-on dans les écoles de France de ce bon exemple Américain?
290
Qui fera le ménage?
Comme les jeunes filles, les jeunes gens ont besoin d’être initiés aux arts domestiques.
—Qui fera demain le ménage?
—Celui des époux qui sera le plus savant!
«Celui de nous deux, dit Socrate, glorifiant le travail du ménage, qui sera le plus industrieux économe, est celui qui apporte le plus en la société.»
Que l’on ne se hâte point de sourire. Avant de réfuter ces affirmations, il est bon d’examiner si un intérêt supérieur n’exige pas, que soit remonté le courant d’anarchie sociale où tout est bouleversé, déplacé, où nulle chose n’est appréciée selon sa valeur, où nul être n’est, d’après son mérite, coté.
En notre société où un commis de magasin est mieux vu que l’indispensable semeur de blé, où les professions sont d’autant moins rétribuées et considérées qu’elles sont plus utiles, où l’on gagne davantage à amuser les êtres qu’à décupler leur existence, où il y a 291 l’académie de musique et pas l’académie de l’alimentation, il n’est point surprenant que le sexe masculin défende ses positions honorées, parce que lucratives, et ne veuille participer aux travaux, qualifiés de vils, parce que pas rémunérés.
Quand se dissiperont les ténèbres qui voilent aux humains la vérité? Les arts domestiques, dont peut résulter la modification des êtres, seront recherchés, réhabilités. Si l’on ne crée pas comme le proposent des gastronomes, une académie de femmes gardiennes de l’art de bien vivre, on peut être certain que les générations futures se préoccuperont de vivre pleinement, en complète santé et que selon le vœu du baron Brisse, sera installée à Paris une faculté de chimie culinaire, et que la science de l’alimentation enseignée gratuitement fera baisser la mortalité.
Présentement, les humains ont moins que les animaux, l’instinct de la conservation.
Dans les écoles on apprend tout aux enfants, hormis l’art d’augmenter l’énergie vitale.
Mais viendra l’heure où chacun ayant la 292 science de la conservation, s’évertuera à renouveler ses forces pour prolonger son existence. Alors, l’ensemble des travaux qui coopèrent à ce résultat, apparaîtra de premier ordre, sera le plus relevé. Les êtres instruits et intelligents ne se déchargeront plus sur quiconque, à la maison, des soins que le savant se réserve à lui-même dans le laboratoire.
On a déjà, de cela, des signes précurseurs. Lorsque les femmes demandent à contrôler l’emploi de l’argent qu’elles versent, comme contribuables, chez le percepteur; et que les malotrus leur crient:—Votre place est à la cuisine; retournez à vos casseroles! elles ne se sentent point insultées et regardent d’un gentil air de pitié leurs insulteurs. On croirait qu’elles ont compris:—Votre place est au laboratoire! Retournez à vos cornues!
Tout le monde a aujourd’hui l’intuition de cuisines savantes, on pressent que les casseroles méprisées deviendront les philtres, en lesquels on puisera le secret de vie, l’élargissement intellectuel.
L’humain possédant la science de la conservation, 293 substituera à la médication inoffensive ou corrodante, l’alimentation scientifique qui favorisera le libre jeu de tout l’organisme. En ce temps-là, on traitera d’égaux les préparations de bouillons régénérateurs et les confectionneurs de bouillons de culture. Le cuisinier sera un savant comme le savant est un cuisinier.
Bien que les tranches de pain coupées en rond ne doivent plus, comme autrefois, servir d’assiettes, que restera-t-il à ce moment de la vulgarité du ménage?—Pas même les poussières que Banville conseillait de fuir en allant au café.
Hommes et femmes se disputeront les prérogatives qui leur permettront de rendre beaux les laids, vigoureux les faibles, avec un atome de substance ferme et fluide.
Comme en la parant de la couleur seyante on fait s’affirmer la beauté, en adaptant au tempérament de chaque individu les sucs nourriciers appropriés, on décuplera la vigueur physique et intellectuelle, on fera s’affirmer la santé. On peut donc prédire le triomphe des manieurs de casseroles où s’élaboreront les mixtures vivifiantes.
294
Pour le moment, la cuisine est désertée et ce qu’on y fait est qualifié d’œuvre vile, ne méritant pas d’être rémunérée. Un politicien malade n’existant que grâce à sa ménagère, a même, en parlant des salaires, avancé cette énormité qui synthétise les erreurs contemporaines:—Il tombe sous le sens que le travail d’une ménagère a moins de valeur sociale que celui d’un mécanicien, d’un employé.
Mais la ménagère est le premier des mécaniciens, puisqu’elle entretient en un bon état de fonctionnement, la machine de chair humaine autrement précieuse que celle de métaux que la vapeur met en mouvement. Car à quoi serviraient toutes les autres machines, si celle-ci d’abord n’existait?
C’est l’absence du sentiment de sa propre conservation qui fait mépriser par l’homme les travaux dont la prolongation de l’existence peut résulter.
L’aristocratie de sexe qui a succédé à celle de caste ne permet pas aux mâles de se livrer aux occupations ménagères; c’est travail vil, parce que improductif.
Pourtant, bien que l’on ne sache commander 295 que ce que l’on sait exécuter, ces mêmes hommes qui trouvent l’art ménager au-dessous d’eux, se sont réservé le droit d’élaborer le programme du cours ménager voté par le Conseil Municipal, et ils brevèteront aussi le savoir ménager, puisqu’il y aura à faire cela, honneurs et profits pour eux.
L’homme ne veut pas sans être rémunéré, s’utiliser; même celui qui a pour métier de servir les autres, feint en rentrant chez lui, de ne pas savoir se servir lui-même.
C’est l’ignorance et le préjugé qui font considérer comme abjects les travaux de premier ordre. La science de la conservation humaine exhaussera les arts domestiques.
Demain on honorera les inventeurs de mets réparateurs, comme on honore aujourd’hui les inventeurs d’engins meurtriers.
«Le vote est le droit à la considération, le vote est le droit au pain.»
H. A.
La mère doit voter pour préparer un bon avenir à ses enfants. La femme électeur ne peut pas comme le demandait un candidat, être un satellite de l’homme. Elle doit déposer elle-même son bulletin dans l’urne, et non se borner à multiplier la capacité sociale de son mari. Ce candidat voulait qu’on donnât à la famille la prééminence politique à laquelle elle a droit. Il préconisait le vote familial au lieu du vote des femmes.
«Ce que la femme doit vouloir, écrit-il, c’est la reconnaissance légale de son existence 297 sociale au même titre que le mari. La question de savoir ensuite quelle sera la main qui portera dans l’urne le morceau de carton représentant le bulletin familial, n’est qu’accessoire.
«L’essentiel c’est que la femme existe. Et elle comprendra qu’elle ne pourra conquérir ce droit éminent à l’existence qu’en s’appuyant sur ses enfants, dont le nombre donnera autant de voix à la famille. Ce sera là la grande force de la femme, qui ne doit se considérer que pour ce qu’elle est naturellement: la multiplicatrice de la capacité sociale de son mari».
Les hommes qui se moquent de Guillaume II parlant de sa royauté de droit divin, disent aux femmes qu’ils ont sur elles une autorité de droit divin, et que la politique est incompatible avec les fonctions de mères et d’épouses. Mais le travail de mercenaire, de blanchissage, de portefaix n’est pas incompatible avec ces fonctions.
On ne peut opposer la maternité, à l’exercice des droits de cette quantité innombrable de femmes qui ne sont pas mères, qui ne le seront jamais, qui ne l’ont jamais été.
On ne peut pas opposer, davantage, la maternité 298 à l’exercice des droits des femmes qui sont mères, parce qu’en aucun cas, un devoir ne peut destituer d’un droit.
Quand il survient à l’homme des devoirs, les devoirs de la paternité, le prive-t-on de ses droits civiques? Non. Alors pourquoi sous le prétexte qu’elle est mère destituerait-on la femme des siens?
Est-ce que la paternité entraîne moins d’obligations que la maternité? Est-ce que le soin d’élever l’enfant n’incombe pas solidairement aux deux auteurs de sa naissance? Dernièrement, un candidat a enlevé un auditoire d’hommes avec cette phrase: «Si les femmes votaient, vous seriez obligés de garder les enfants.» Cet argument n’est pas heureux. Il exprime avec un trop naïf égoïsme que si l’homme détient le droit de la femme, c’est surtout dans la crainte d’être astreint à faire son devoir. Les républicains excluent les femmes du droit, de crainte que la femme ne leur échappe comme servante.
Qu’on n’allègue pas contre les mères l’impossibilité où elles seraient de quitter leur enfant pour voter. Est-ce que les mères ne 299 pourraient pas se faire remplacer par le père près du berceau de l’enfant pour aller préparer, par leur vote, un avenir heureux aux petits êtres qu’elles adorent?
Est-ce que l’homme serait déshonoré parce qu’à son tour il garderait l’enfant?
La maternité ne s’oppose pas plus à l’exercice des droits civiques, qu’elle ne s’oppose à l’exercice d’un commerce, à l’exercice d’une profession, à l’exercice d’un art.
Les femmes ne manqueraient pas plus à leurs devoirs familiaux en contribuant par leur part d’intelligence au bien de la société, qu’elles n’y manquent en allant à l’Eglise, au théâtre, au cinéma, dans les magasins.
Si la maternité absorbait la femme, au point de l’empêcher de s’occuper de toute vie extérieure, alors il faudrait commencer par faire des rentes à toutes les mères qui n’en ont pas, car l’obligation de gagner le pain quotidien, l’obligation d’aller quérir les provisions du ménage, éloigneront certainement toujours plus les mères de leurs enfants que celle d’aller déposer dans l’urne un bulletin de vote un jour d’élection.
300
D’ailleurs, si la maternité n’était une allégation hypocrite pour refuser le vote aux femmes, celles qui ne sont pas mères devraient pouvoir exercer leurs droits, tandis qu’elles en sont tout aussi bien destituées que celles qui sont mères.
Si nous demandons pour toutes les femmes, pour celles qui sont mères, comme pour celles ne le sont pas, l’intégralité du droit, c’est que nous savons que le sentiment de la responsabilité, qui résulte de la possession du droit, éveille à un haut degré l’idée du devoir.
C’est que nous savons que la femme, une fois en possession de ses droits civiques, marchera avec l’homme dans la voie du progrès, et que ses enfants, après s’être nourris de son lait, s’assimileront ses idées de justice et de liberté.
Si nous demandons pour la femme l’intégralité du droit, c’est que nous savons que l’autorité de la Citoyenne est indispensable à la femme pour être non seulement une mère selon la nature, une mère qui donne à son enfant la santé, la force et la beauté du corps, mais encore, mais surtout, une mère selon 301 l’intelligence, une mère capable de donner à son enfant la santé, la force et la beauté de l’âme, mens sana in corpore sano.
Quelques personnes nous disent: La famille serait désorganisée si l’homme cessait de régner partout en roi absolu, si la femme avait sa part de pouvoir dans la famille et dans l’Etat.
Profonde erreur. Qu’est-ce donc qui peut mieux établir la sympathie entre les hommes que la solidarité des intérêts qui résulte de la communauté du pouvoir?
Qu’est-ce donc qui pourrait mieux qu’une communauté de pouvoir amener entre les époux la concorde, l’union de l’esprit? Union autrement solide, celle-ci, que l’union du cœur!
Qu’est-ce qui pourrait mieux qu’une communauté de pouvoir, amener chez les époux une communion de goûts, d’idées, d’aspirations, une communion de vie intellectuelle?
Aujourd’hui, quand l’union si éphémère du cœur cesse d’exister, un abîme se creuse entre les époux parce qu’ils n’ont pas un seul point de ralliement. Aucun but moral, aucun intérêt 302 élevé ne les réunit. Et dans ces ménages où l’on ne cause, certes, ni de politique ni de sociologie, les enfants sont le plus souvent abandonnés.
Tandis qu’avec cette chose rationnelle, la vie publique ouverte aux femmes, la vie publique commune pour les époux, comme est commune la vie privée, le niveau moral intellectuel s’élèverait bientôt dans chaque ménage.
L’obligation pour les femmes de s’occuper de choses sérieuses qui intéressent les hommes, établirait au grand profit de l’harmonie conjugale entre maris et femmes, une émulation salutaire pour le progrès.
Les intérêts de la société, avant d’être discutés et rendus publics, seraient d’abord discutés et résolus en famille. L’enfant témoin de ces saines préoccupations grandirait heureux. Sa précoce initiation à la vie civique aurait la puissance de l’éloigner des atmosphères vicieuses.
Donc, à ce triple point de vue, le bonheur de l’homme, l’intérêt de l’enfant, l’harmonie de la famille, il est urgent que la femme, que la mère, exerce au plus tôt ses droits civiques.
303
Les Français souverains ne font encore que jouer au progrès. Ils ont badigeonné une façade de république, mais ils n’ont point la virilité nécessaire pour accomplir les transformations fondamentales en changeant la condition de celle qui donne aux mâles et femelles de la nation les muscles et la moëlle. Cependant, si les milieux influent sur les individus, combien plus exercent sur eux, d’action, les molécules d’où ils tirent leur origine.
«Dis-moi d’où tu sors, je te dirai qui tu es!...»
Les Français, qui tous, sortent de serves, ne peuvent pas être naturellement indépendants. L’absence de caractère, la veulerie ne se surmonteront que quand les humains naîtront de mères libres.
La mère donne à l’enfant son empreinte. Le sein maternel fait ce qu’ils sont, les humains.
Les femmes annulées, opprimées font des enfants à la mentalité tordue. Pour que les enfants soient droits cérébralement il faut appeler celles qui les créent à la plénitude de l’existence sociale et politique.
Il faut affranchir la dispensatrice de la vie 304 en proclamant l’égalité des sexes devant la loi.
Les femmes n’ont pas seulement le droit de participer à la politique. Elles ont besoin d’y participer, afin de trouver là un point d’appui quand, par le fait de la disparition de leur compagnon, le sol manque sous leurs pieds.
Les femmes concentreraient sur l’amélioration des conditions d’existence leurs énergies accumulées qui pourraient aider à résoudre des problèmes qui aujourd’hui semblent insolubles, parce qu’ils concernent l’humanité toute entière et que les seuls efforts masculins sont impuissants à en donner la clef.
Le droit qu’ont les femmes de faire valoir leurs droits civiques, se double pour elles du devoir de changer pour les générations qu’elles créent, la vie de privations en vie de satisfaction, de bien-être.
Le droit d’intervenir dans les arrangements sociaux est refusé aux femmes par les hommes qui leur attribuent le plus grand pouvoir occulte. C’est une anomalie de garder les femmes qui tiennent une si grande place dans la position d’inférieures où elles sont.
Si l’instinct de conservation ne contraint les 305 antiféministes à dire à la femme: Tu n’es plus une poupée avec laquelle on joue et dont on se joue. Tu es un important acteur social dont on attend l’effort. Si la dispensatrice de la vie reste annulée, si la femme n’a pas le pouvoir de sauver les individus en transformant, avec les lois, le milieu social, elle sera la vengeresse inconsciente qui poussera l’humanité dégénérée à s’abîmer dans l’anéantissement.
«Parce que la femme est mère, elle ne peut être ni électeur, ni député, mais elle peut être blanchisseuse, femme de peine.»
Hubertine Auclert.
Le sexe masculin est incapable de bien légiférer pour les deux sexes.
Parce que les femmes ne sont ni électeurs, ni éligibles, les lois, mêmes faites pour elles, se tournent contre elles. Ainsi la loi sur la recherche de la paternité fait condamner à l’amende, à la prison, à l’interdiction de séjour, la fille mère qui n’a pas de preuves écrites de la coopération de celui qu’elle poursuit comme cocréateur de son enfant. Pour assurer aux hommes de n’être pas ennuyés par les femmes qu’ils rendent mères, cette loi 307 force les femmes à recourir à l’infanticide: la charge d’un enfant étant au-dessus des ressources d’une fille-mère.
Pendant que des hommes graves clament que le pays se dépeuple, pendant que des politiciens se liguent pour augmenter la natalité, ce ne sont pas seulement celles qui n’ont pu devenir mères selon la formule édictée par le Code, qui risquent la vie pour empêcher un bébé de naître. Tous les jours, des épouses légitimes disent: «je ne peux pas avoir un nouvel enfant, je serais délaissée» et elles vont trouver l’opérateur, de chez lequel elles sortent non point toujours mortes, mais souvent estropiées.
Pourquoi cette rage de destruction d’embryons humains existe-t-elle dans un pays dont on prédit l’effacement pour cause de manque d’habitants?
Parce que les Français, barbares, laissent à la femme qui ne parvient pas à se suffire à elle-même, la charge d’élever les enfants communs.
Femmes mariées comme femmes célibataires ont la terreur de la maternité, parce que la 308 maternité leur inflige, en plus de la souffrance, la gêne, la pauvreté, la noire misère.
Les Françaises n’auraient point cette terreur de la maternité, si elles pouvaient en participant à la législation, se donner des garanties. Les hommes législateurs ne proposent point de procurer la sérénité au sein maternel. On semble n’attacher aucune importance à ce que les Mères de la nation, détériorées par les souffrances physiques et morales, ne soient pas en état à donner le jour à des êtres assez forts pour supporter la vie. Quand on veut fabriquer un objet, on donne au moule qui doit l’exécuter la forme et la solidité nécessaires. Mais lorsqu’il s’agit de fabriquer des humains, on se dispense de prendre cette précaution élémentaire. On aime mieux créer des hôpitaux pour les malades que de donner aux génératrices la possibilité de mettre au monde des enfants robustes, sur lesquels n’aurait point de prise la maladie.
La nature qui ne demande pas à la femme son acquiescement à la maternité, lui impose la charge de l’enfant. La mère n’a qu’une garantie illusoire d’être aidée à élever l’enfant, 309 puisque cette garantie repose sur le seul bon plaisir de l’homme. Chacun sait en effet, que l’amant se dérobe dès qu’apparaît la grossesse de son amie, et que de plus en plus nombreux sont les époux légitimes qui font la fête et se dispensent de remplir le devoir paternel. Dans l’intérêt de la nation et de l’espèce humaine, cet état de choses doit cesser. Il est plus que temps de régler la question relative aux rapports des sexes.
La mère qui assure la perpétuation de l’espèce doit être traitée comme le soldat qui assure la sécurité du territoire: c’est-à-dire, être logée, nourrie durant le temps de son service de mère.
La maternité cessera de terrifier les Françaises quand, au lieu de les déshonorer et de les réduire au dénûment, elle les fera considérer et indemniser comme d’indispensables fonctionnaires.
On se procurera l’argent nécessaire pour rétribuer la maternité en établissant l’impôt paternel que les hommes auront avantage à payer pour s’épargner des coups de revolver, des brûlures de vitriol et se garantir des procès 310 en recherche de paternité, suivis souvent de procès en divorce.
Il suffit de mettre dans la loi cet article: «A partir de 16 ans tout Français paie l’impôt paternel pour indemniser les mères sans ressources et assurer l’existence des enfants.»
Tous ceux qui ont séjourné en Algérie dans les oasis, ont pu voir au printemps des Arabes grimper au faîte de hauts palmiers femelles, pour répandre au-dessus de leur tête du pollen de palmiers mâles. Les fruits du dattier femelle ainsi fécondé, lui appartiennent en propre. Ne devrait-il pas en être ainsi des fruits humains? Pourquoi la femme qui a modelé dans ses flancs et moralement formé l’enfant, peut-elle moins bien le classer socialement que l’homme fécondateur?
Ce ne sera plus en étalant devant les tribunaux une faiblesse, point générale chez son sexe, en exhalant des plaintes au théâtre contre l’homme auteur de son déshonneur, 312 que la mère naturelle parviendra à se faire honorer. C’est en revendiquant virilement la responsabilité de son acte, c’est en demandant d’être, par une rétribution équitable, mise à même d’exercer cette fonction sociale: la maternité.
L’élémentaire justice, faisant proposer de donner un père à l’enfant naturel, qui paraît avantageux pour la femme, règle en réalité à son détriment une situation, en augmentant l’autorité de l’homme.
La mère élevée par son enfant au rang de chef de famille, a une autre situation morale que l’esclave qui reconnaît son indignité, en demandant le patronage de l’homme qui se dérobe.
—Que veut le féminisme?
—Diviser l’autorité familiale et sociale.
Enlever à l’homme la moitié de son pouvoir autocratique pour en doter sa compagne. Or la recherche de la paternité tend à un but tout opposé, puisqu’elle concentre dans une seule main l’autorité, en conférant à l’homme, hors du mariage, comme dans le mariage, la qualité de chef de famille.
313
Emile de Girardin, qui demandait que toute distinction établie par les lois, entre les enfants naturels, adultérins, incestueux, légitimes, fût abolie, voulait que l’enfant porte le nom de sa mère et soit sous son autorité. C’était le matriarcat substitué au patriarcat.
En confondant les mères entre elles, en les reconnaissant également aptes à exercer l’autorité sur leurs enfants et à leur donner leurs noms, le matriarcat empêcherait de distinguer les mères naturelles des autres, et il rendrait les enfants égaux devant l’état-civil.
Bien que la couvade n’existe pas matériellement en France, les Français matricides rendent moralement inexistantes les mères en se substituant à elles, en s’attribuant le mérite de leurs maternités et en retirant honneurs et profits.
La créatrice annulée et écrasée chez nous a exercé ailleurs, en une période de l’évolution humaine, une domination bienfaisante.
Le matriarcat a existé et existe encore dans un certain nombre d’agglomérations humaines.
Dans la Chine antique, avant l’époque de Fohi, disent les anciens livres, les hommes 314 connaissaient leur mère, mais ils ignoraient qui était leur père.
En Asie, les Lyciens prenaient le nom de leur mère et attribuaient l’héritage aux filles.
Dans l’ancienne Egypte, les enfants portaient le nom de leur mère et étaient dirigés par elle. Les femmes d’Egypte, dit Hérodote, vont sur la place publique, se livrent au commerce et à l’industrie pendant que les hommes demeurent à la maison, et y font le travail intérieur. Les femmes, aux portes de l’Egypte, considèrent comme un déshonneur de tisser et de filer.
Les Hurons et les Iroquois prennent le nom de leur mère, et c’est par elle qu’ils comptent leur généalogie. C’est par les femmes que se consiste la nation, la noblesse du sang, l’arbre généalogique, l’ordre des générations et la conservation des familles.
La noblesse utérine exista en France en la période féodale. La mère noble donnait le jour à un fils noble: le père fut-il roturier.
Les Crétois, d’après Platon, nommaient leur patrie d’origine, matrie: combien d’autres peuples primitifs préférant la réalité à la fiction 315 se servaient de ce doux terme, matrie (mère) pour désigner les lieux qu’ils habitaient. Ne serait-il pas plus naturel de dire: la France est ma matrie, ma mère, que: la France est ma patrie, mon père?
Les Touaregs qui habitent le centre du Sahara Africain, ainsi que presque tous les peuples de race berbère, sont régis par le matriarcat. Ils se dénomment en raison de cela Beni-oummia (fils de la mère).
C’est, dit une formule de leur droit traditionnel, «le ventre qui teint l’enfant». Aussi, le fils d’une mère noble et d’un père esclave est noble, le fils d’une mère esclave et d’un père noble, est esclave.
Chez les Beni-oummia la loi salique est renversée. Ce n’est point le fils du chef qui succède à son père, c’est le fils de la sœur de celui-ci.
Même nomade, la femme Targuie est instruite et a partout la première place. Elle discute dans les conseils de la Tribu. Elle a l’administration de l’héritage. Elle seule dispose des tentes, maisons, troupeaux, sources et jardins. Enfin, elle confère, avec la condition 316 sociale, les droits de commandement sur les serfs et les redevances payées par les voyageurs.
On voit que les peuples qui se désintéressent de la paternité, au point de s’appeler «fils de la mère» accordent à la femme, avec l’autorité morale, bien des privilèges et que les Français civilisés auraient beaucoup à apprendre au point de vue féministe, des Touaregs qualifiés de barbares, par ceux qui ne les connaissent pas.
Malgré que les hommes s’efforcent de se le dissimuler, la mère donne à l’enfant son empreinte en dépit de l’école. Nos belles écoles, qui sont à juste titre l’orgueil et l’espoir de la nation, ne cultivent que l’intelligence.
Quand on aura affranchi la dispensatrice de la vie en proclamant l’égalité des sexes devant la loi, les humains ne piétineront plus. Ils courront dans la voie du progrès.
En entendant répéter que les femmes ont pour unique rôle de mettre des enfants au monde, on pouvait penser que le sexe féminin restait dans la mission qui lui est assignée, en demandant de faire partie de la commission extra-parlementaire chargée de combattre la dépopulation.
Il nous semblait que les deux sexes réunis, étaient seuls compétents pour décider d’une affaire où le couple est indispensable. Eh bien, nous étions dans l’erreur. Les hommes seuls suffisent pour repeupler la France, puisque pas une femme n’a été nommée membre de la commission de repeuplement.
Les Français présomptueux croient qu’ils 318 pourront, sans les Françaises, augmenter la natalité, comme sans elles, ils pensent continuer à administrer et à gouverner.
Les messieurs réunis pour remédier à la dépopulation, s’imagineront résoudre la question en récompensant l’homme qui n’a que du plaisir en devenant père, tandis que la femme ruine sa santé, risque sa vie en enfantant.
N’étant point traitée comme la cheville ouvrière du repeuplement, la génératrice continuera, suivant la coutume, à se préserver de la fécondation, à recourir à l’avortement, de sorte que l’homme déçu de ses rêves de paternité, ne pourra percevoir le dédommagement du travail puerpéral qui lui aura été attribué.
Bien que notre orgueil national prenne plaisir à constater que les peuples les plus civilisés sont les moins prolifiques, la disette d’enfants met la France en si mauvaise posture dans le monde, que les législateurs ont songé à proposer de surtaxer les célibataires, les veufs, les divorcés.
Si cet impôt vexatoire ne frappait que les femmes, qui ne votant point, ne sont point à ménager, il serait sûrement adopté par la 319 commission. Mais les célibataires mâles étant électeurs, on ne rééditera pas la loi de 1798 qui, durant quelques années, surimposera les célibataires.
D’ailleurs, un impôt ne contraindrait pas au mariage les célibataires. L’unique moyen d’augmenter la natalité consiste à intéresser les génératrices à cette augmentation. Pendant que les femmes n’auront aucun avantage à procréer beaucoup d’enfants, elles se soustrairont aux nombreuses maternités qui les accablent de souffrances, les surchargent de travail et les enlaidissent!
Certes, les hommes sont en France bien puissants. Pourtant, quoique souverains, ils ne peuvent ni changer les lois naturelles, ni augmenter, sans le concours des femmes, la natalité. Il devient donc, dès lors, indispensable que les femmes fassent connaître à quelles conditions elles consentiront à être plus souvent mères. La solution de la question du dépeuplement est seulement là.
Si les législateurs ne trouvent pas que les procréatrices sont, plus que quiconque, aptes à donner sur cela leur avis, les efforts en vue 320 du repeuplement échoueront: les seules personnes capables de les faire aboutir étant laissées de côté.
On propose de spolier les génératrices, de récompenser les hommes du travail de gestation et de parturition des femmes. La prime donnée au père n’allégerait point le fardeau maternel. Ce ne serait pas, parce que les hommes civilisés empocheraient la récompense de l’enfantement, qu’ils parviendraient plus que les primitifs—simulant les douleurs quand leur femme accouche—à faire croire que ce sont eux qui mettent au monde les enfants.
Pour obtenir de la femme qu’elle dépense ses forces, passe ses nuits en veilles, ruine sa santé et risque sa vie afin d’augmenter la population, c’est employer un singulier moyen que de gratifier le père, parce qu’il vote, du travail accompli par la mère, qui ne vote pas. Est-ce le moyen de déterminer les femmes à appeler à la vie beaucoup d’enfants? Les ouvriers seraient-ils excités à travailler en un chantier où le contre-maître s’attribuerait leur salaire?
321
Les nombreuses maternités déforment, fatiguent, affaiblissent, enlaidissent, non le père, mais la mère. Si, au lieu de lui attacher par un petit intérêt son mari, on spolie la femme souffreteuse de la rente qui lui est due pour la donner à l’homme gaillard, est-ce que ce ne sera pas inciter celui-ci à la dépenser, cette rente, avec une accorte voisine, point productrice d’enfants?
On tourne autour de la question de l’indemnisation maternelle, qu’on ne veut pas proposer parce que la femme qui est en droit de la toucher, est une hors la loi.
Il est facile de comprendre que quiconque a la peine doit toucher un salaire et que les femmes ne se déprimeront ni ne s’useront plus, dans le seul but de procurer des rentes à leur mari qui, après la douzaine d’enfants pourrait les planter là.
La femme est la propriété de l’homme (une propriété de rapport) comme l’arbre à fruit est celle du jardinier, puisqu’on reconnaît seulement à celui-ci le droit de tirer profit des fruits humains.
Que l’on tourne et retourne, en tous sens, 322 la question du repeuplement, on ne parviendra à la résoudre que par l’indemnisation maternelle, qui allégera les charges du père et permettra à la mère de conserver en se soignant, des forces de réserve pour de nouvelles maternités.
A la femme aisée ou riche, qui ne serait, ni par une indemnité, ni par une retraite, encouragée à de successives maternités, on pourrait offrir l’appât des récompenses honorifiques.
Nous trouvons puériles les décorations, mais puisque les hommes en raffolent, les femmes peuvent bien, à leur exemple, les convoiter.
Il ne faudrait pas bien entendu, que la décoration attribuée à la maternité, lui soit spéciale: une croix de la maternité serait de suite appelée Croix de Gigogne.
Mais admettre la femme, six fois mère, à la Légion d’honneur, honorerait la croix en lui faisant récompenser ce qui est utile au pays.
Les infanticides sont si fréquents, que chacun est forcé de se demander s’ils ne sont pas une nécessité sociale, et s’il ne serait pas temps de mettre, relativement à la génération, les conventions et les lois en harmonie avec la nature.
Le public qui traque la coupable d’infanticide et dispute à la police le soin de l’amener devant ses juges, n’est rien moins que disposé à atténuer son crime.
Cependant, cette meurtrière était en état de légitime défense. C’est pour se sauver qu’elle a tué. La société tout entière fonçait sur elle, menaçait de la vomir de son sein, de l’écharper moralement. Affolée par l’horreur de sa situation, elle est devenue horrible. Elle a mis son 324 enfant hors la vie, pour ne pas être mise hors de l’humanité.
Il faudrait voir comment se comporteraient ceux qui déclament contre la fille-mère exterminatrice, s’ils étaient aux prises avec les difficultés inénarrables de son présent et l’épouvantement de l’avenir qui lui est réservé. Sa faute va tendre autour d’elle un cordon sanitaire. On s’éloignera d’elle comme d’une pestiférée, ses amis ne la connaîtront plus. Toutes les portes, tous les cœurs lui seront fermés. Enfin, alors que ses besoins s’augmenteront de ceux d’une autre existence, elle ne trouvera plus d’ouvrage.
La fille-mère a à choisir entre le mépris public, un dénûment sans nom et... le crime! L’instinct de la conservation, le sentiment faux mais très violent de l’honneur, en font une criminelle.
Quel est l’individu, homme ou femme, qui sachant qu’il va être à tout jamais flétri et flétri injustement, est bien certain de ne pas perdre un instant la raison, et de ne pas commettre un crime pour échapper à l’opprobre qui l’attend?
325
A ceux qui soutiennent que la mère infanticide a été impitoyable, on peut demander si elle a été aussi impitoyable et féroce que la société qui contraint toutes les pauvres filles, sous peine de déchéance, à se posséder toujours assez pleinement, pour ne jamais oublier les conventions instaurées par les hommes—au profit des hommes,—les lois écrites par les hommes—à l’avantage des hommes—alors qu’elles sont perpétuellement en proie à l’obsession de la loi burinée par la nature dans leur chair et dans leur sang.
Si l’enfant qui naît en dehors des règles de la «loi de l’homme» n’a fait aucun mal aux vengeurs de sa mort, il a, avant même d’exister, imposé moralement à sa mère plus que le supplice des brodequins de fer et de la poix bouillante. Aussi elle le hait. Il est le fils de Judas, la preuve vivante de son déshonneur.
On dit à la fille passive qui a mis au monde un enfant: Ta faute est irrémissible, et l’on voudrait qu’elle ait l’énergie d’une héroïne donnant, son enfant dans les bras, une leçon de morale à la barbarie contemporaine.
326
A l’homme qui n’épouserait point une fille-mère, de crainte que sa honte ne rejaillisse sur lui, on ne demande point, avant d’en faire un mari, s’il est garçon-père. On le loue d’être père, tandis qu’on soufflette sa coopératrice, du nom de la prostituée:—fille—
«Fille-mère» c’est-à-dire: fille qui joint au vice, la bêtise, puisqu’elle s’est laissée duper.
On voit combien différemment est apprécié le même acte, suivant qu’il est accompli par un sexe ou par l’autre. Les mœurs calquées sur les lois sont défavorables aux femmes parce que les femmes sont exclues des arrangements sociaux.
Les Françaises, qui sont des sacrifiées, de continuelles victimes expiatoires, n’ont qu’un moyen d’avoir justice: c’est de posséder le pouvoir de se faire justice à elles-mêmes, en réformant l’injuste législation.
De tous les enfants qui naissent, ceux qui appartiennent réellement à la mère, sont ceux que leur père a pu désavouer. Ils ont fait leur entrée dans le monde en dehors de toutes les conventions sociales, et ils sont, en raison de ce dédain des bienséances, qualifiés de naturels.
Etant censé n’avoir pas de pères, ces bâtards échappent à la prise et à la poigne masculine. Ils ne portent point le nom de l’homme, ils ne sont pas sous sa domination.
De sorte que, si la mère non mariée est rabaissée par le préjugé, elle est, par le droit public, véritablement élevée au rang de 328 l’homme, puisque parmi toutes les femmes, c’est la seule mère qui transmet son nom à ses enfants et qui exerce sur eux l’autorité paternelle.
Mais, afin que les Françaises n’ambitionnent pas ces avantages et pour les décider toutes à faire abdication de leur liberté, en même temps que le don de leur chef-d’œuvre, non réalisé: l’enfant, on couvre d’opprobre celles qui ont un bébé en dehors du mariage, et l’innocent est traité en coupable.
Relativement à la mère non mariée et à son fils, nous devrions bien être aussi humains que les peuples que nous asservissons et dépouillons sous prétexte de civiliser. Chez la plupart de nos barbares conquis, il n’y a pas d’enfants naturels, donc pas de mères méprisées.
Dans le sud africain, la négresse esclave est affranchie quand elle a avec son maître appelé à la vie un enfant. Son fils hérite comme ses frères légitimes, il est honoré et elle est nommée l’onen-el-Ouled, la mère de l’enfant.
Pour les primitifs, qui sont plus que nous, avec toute notre suffisance, près de la vérité 329 et de la liberté, l’enfant est une valeur. Tandis que pour les civilisés, écrasés par les obligations anciennes et asservis à tant de besoins nouveaux, l’enfant, sujet de dépense, est moins prisé que le poulain et le veau, source de profits immédiats.
Aussi, voyez s’il y a pour les animaux rétifs, comme pour les enfants indociles, des martinets et des cachots. On craindrait de diminuer les bénéfices que l’on escompte, en privant les poulains et les génisses d’air ou de nourriture, mais torturer les petits humains qui ne sont pas marchandise monnayable, cela ne tire pas à conséquence.
Si la nature, en la chargeant de perpétuer l’espèce humaine, a destiné la femme à être choyée dans les sociétés civilisées, qui se préoccuperont de réaliser le perfectionnement physique et intellectuel des générations, en notre temps si barbare, sous son masque progressif, la femme, parce que paria politique, est moins bien traitée que les animaux.
Dans l’étable, on garnit mieux le râtelier des herbivores féconds, on accorde meilleure ration et meilleure place à la jument, à la vache, à la brebis en état de gestation, car on escompte le profit que l’on tirera de leur produit. Tandis que dans la maison, les femmes 331 enceintes ne sont pas exemptes de soucis matériels.
Le surmenage, les privations imposées par la nécessité de satisfaire aux besoins de leurs premiers-nés, alourdissent le fardeau des génératrices; et les accablées par une sixième maternité ne reçoivent point, comme les chevaux d’omnibus dans les rues de Paris, de renfort pour monter la voie douloureuse qui conduit à l’enfantement.
La future mère, débilitée, ne peut procréer que la souffrance. Ses enfants, mal à l’aise dans son sein, porteront toute leur vie la marque de leur misère originelle.
Pourquoi les hôpitaux sont-ils encombrés de scrofuleux et de rachitiques?
—Parce que les mères ne sont point dans les conditions voulues pour pouvoir mettre au monde des enfants normaux.
En indemnisant la maternité, on réduirait le nombre des dégénérés qui absorbent le budget de l’Assistance.
Mais, comment faire comprendre aux pouvoirs publics, en lesquels le seul sexe masculin est représenté, que la suppression des 332 privations maternelles relèverait la race, et qu’il y aurait encore plus d’avantages à obtenir de beaux et robustes humains que de jolis poulains?
La législation élaborée sans le concours des femmes s’abstient de tenir compte des intérêts féminins.
C’est parce qu’elles sont tenues en dehors du droit commun, que les femmes ne bénéficient pas des avantages sociaux.
Eliminées des emplois et du bon travail, les Françaises sont, en toutes occasions, frustrées.
On ne peut obtenir l’accroissement de la population, pendant que la plus appauvrissante de toutes les productions, est la production des humains, qui précipite d’autant plus les femmes dans l’extrême misère, qu’elles enfantent davantage.
Chose curieuse, notre société, si cruelle, si ingrate, à l’égard des productrices d’enfants, a pour les hommes des excès de générosité. Elle se croit quitte envers la mère, qui lui a gratuitement confectionné et bien élevé six ou huit robustes Français. Pourtant, elle pense avoir contracté une dette envers les élus des Assemblées législatives, administratives et tous 334 les employés grassement payés. De sorte que, quand des députés, des conseillers ne sont point réélus et que des fonctionnaires inhabiles sont déplacés, elle s’empresse de leur donner une compensation.
Si la productrice d’enfants qui perd avec son mari, tout moyen d’existence, ne reçoit pas comme les congédiés de la politique et de l’administration de dédommagements, c’est parce que son sexe ne participe, ni à la répartition des deniers publics, ni à la distribution des emplois et des décorations—Et, tant qu’elles seront exclues des assemblées législatives, les femmes n’auront rien et elles ne pourront rien demander.
On dit à la femme:—«Laisse les hommes tout régler, dans la commune et dans l’Etat. Puisque tu es mère, tu n’as pas le temps de sauvegarder tes intérêts en votant!» Mais jamais on ne dit à la veuve:—«Laisse les hommes t’approvisionner de tout. Puisque tu es mère, tu n’as pas le temps de pourvoir aux besoins de tes six enfants!»
Pour se dispenser d’aider la femme qui plie sous le fardeau de la maternité, 335 la collectivité masculine, qui régit l’ordre social actuel, se décharge de tout sur le père même absent ou mort. C’est un moyen commode pour esquiver ses obligations, que d’imaginer que quelqu’un va les remplir. Qui se préoccupe des femmes qui restent, seules, chargées d’une nombreuse famille?
Tous les jours, des pères ayant une pleine maisonnée de petits enfants tombent d’un échafaudage, sont broyés dans un engrenage, tamponnés par un train, ensevelis dans une mine, empoisonnés dans une salle de dissection, ou foudroyés dans un laboratoire. Personne, cependant, ne s’en émeut. Et leurs veuves, pour avoir rempli le devoir social et trop contribué à la conservation de l’espèce, sont, si elles veulent empêcher de mourir de faim leur nichée, forcées de s’humilier à demander l’aumône. La société insouciante et imprévoyante, qui n’accorde qu’aux mâles l’ouvrage rétribué, n’a en aucune façon assuré l’existence de sa perpétuatrice, lorsque l’homme, chargé de pourvoir aux besoins familiaux, fait défaut.
Que le mari soit inexistant ou qu’il ait fui 336 les charges sur ses bras accumulées, en abandonnant les êtres qu’il a appelés à la vie, la femme n’a contre la société, qui s’est faite garante de la responsabilité pécuniaire du père, aucun recours. Et, les philanthropes ne donnent pas à cette victime qui halète, écrasée sous la double obligation maternelle et paternelle, une aide pour gravir son calvaire, comme ils donnent aux chevaux un renfort, pour monter une côte. On plaint une bête, c’est de bon goût; mais ce serait réellement vulgaire de s’apitoyer sur une humaine.
En présence des veuves chargées d’enfants, la nécessité s’impose de ne plus faire dépendre du mari l’existence des siens. La mère doit tenir, non du hasard, qui lui donne un compagnon bon ou mauvais, fort ou faible, mais d’une indemnité certaine, assurée par l’impôt paternel, la possibilité de satisfaire la faim, jamais incertaine de ses petits.
Si au lieu de n’être admises qu’à payer les impôts, les Françaises jouissaient de leurs droits de citoyennes et avaient des mandataires pour défendre leurs intérêts à la Chambre, les accidents du travail de la maternité auraient, d’abord, été appelés à recevoir des dédommagements. Car, que d’accidents mortels, que d’incapacités temporaires ou perpétuelles, le travail de la maternité occasionne! Interrogez les victimes des crises nerveuses, les estropiées, les alitées et tant de femmes qui ont perdu, avec l’agilité, la possibilité de se livrer à l’ouvrage habituel, beaucoup vous répondront: «Mon mal résulte des suites de couches».
338
Or, parce qu’elles ne sont pas représentées au Parlement, ces femmes qui ont subi des endommagements en accomplissant le plus important travail qui soit, puisqu’il assure la perpétuation de la race humaine, ne recevront aucune compensation. Elles vivront en une misère lamentable. Leur fierté devra s’humilier à solliciter le secours, quand elles ont droit à l’indemnité réparatrice.
De nombreuses femmes indifférentes à la politique ne se rendent pas compte que c’est uniquement parce qu’exclues de la politique, qu’elles sont tenues en dehors de la justice sociale. Fussent-elles victimes des plus préjudiciables accidents de la maternité, les femmes n’obtiendront pas de compensation, tant qu’elles n’ont personne à la Chambre pour réclamer ce qui leur est dû.
Les mères devenues infirmes en mettant au monde des humains, ne seront pas dédommagées comme l’ouvrier maçon qui se sera cassé le bras en tombant d’un échafaudage. On n’estime pas les immeubles que le maçon construit, autant que les êtres vivants appelés à la vie par les femmes, et sans l’existence 339 desquels toutes les maisons deviendraient inutiles, puisqu’il n’y aurait personne à loger; seulement, le maçon vote et la femme n’est pas électeur.
Il est urgent de compléter la loi sur les accidents en assimilant les accidents du travail de la maternité aux autres accidents.
Bien que les femmes estropiées par l’enfantement, soient aussi méritantes que les hommes blessés au champ d’honneur du travail, les députés ne s’apitoient pas sur le malheur des non votantes. Leurs électeurs sont cependant, à titre d’époux, de pères, de frères, très intéressés à ce que leurs compagnes, leurs filles, leurs sœurs soient garanties contre les risques de la maternité et ne viennent pas, par une impotence gagnée en augmentant la population, alourdir leurs charges. Faire indemniser la femme des accidents du travail de la maternité, ce serait souvent empêcher l’homme de vainement se débattre entre une mourante et un berceau, lui permettre de soigner sa compagne.
Il y a, en France des maternités, des asiles pour les femmes enceintes; seulement, on se 340 borne à leur faciliter l’accouchement et l’allaitement. Jusqu’ici, ni les pouvoirs publics, ni les philanthropes ne se sont mis en peine des victimes des accidents de la maternité. Les femmes frappées doivent donc être assimilées aux victimes de tous les autres travaux. Comme les blessés au feu et les blessés à l’usine et au chantier, les blessées en donnant le jour aux humains doivent être indemnisées. Mais, qui devra indemniser des accidents du travail de la maternité?
—Hé! tout naturellement celle pour le compte de laquelle ce travail s’accomplit: la société. C’est la femme qui la perpétue et la renouvelle en créant des enfants.
Les femmes qui ne veulent pas s’occuper de politique, désirent ardemment tous les avantages sociaux que la politique procure. Justement, ce ne sera qu’en conquérant l’électorat et l’éligibilité, qu’elles auront le même poids que l’homme dans la balance qui pèse le mérite des victimes, et qu’elles deviendront aptes à recevoir des indemnités.
Les créatrices d’hommes, ne seront garanties 341 contre les risques qu’elles courent, en donnant la vie, que lorsqu’elles auront conquis le droit de voter l’indemnité maternelle.
Aux mâles rapaces qui occupent toutes les sinécures et de plus en plus accaparent les métiers féminins, se font couturières, modistes, corsetières, essayeurs de jupons, détaillants de rubans, il n’est qu’une profession qui demeure inaccessible: c’est celle d’allaiter les enfants; si, à l’étonnement des mères de famille, les hommes remplissent à l’assistance publique, le rôle de nourrices sèches, ils ne parviennent jamais à être des «nourrices» véritables, à donner à téter aux bébés, attendu, que le biberon naturel leur fait défaut.
On pourrait espérer que la profession qui leur est interdite par la nature et qui assure 343 la conservation des nouveau-nés—l’allaitement naturel diminuant les chances de mort, alors que l’allaitement artificiel les augmente—inspirerait aux hommes, inaptes à nourrir les enfants au sein, quelques considérations ou tout au moins la pensée de protéger ce facteur indispensable de peuplement: la nourrice. Eh bien, le sexe masculin ne s’embarrasse pas des détails sociaux essentiels, qui fixeraient d’abord l’attention des femmes, si elles avaient leur part de pouvoir.
La commission chargée de trouver le moyen de diminuer la mortalité infantile est exclusivement composée d’hommes. On ne comprend pas que faire exister l’enfant, après sa vie utérine, soit rôle de femme. Toute la science, renforcée d’expérience de maternité des doctoresses et des sages-femmes, n’a pu déterminer à les faire rivaliser avec les hommes qui se sont sans vergogne attribué les fonctions de nourrice.
Les exproprieurs ensuite clament: Femmes! dédaignez le vain droit de vous occuper des affaires publiques! restez dans votre beau rôle de mère!—Le rôle de mère, ils nous 344 l’ont enlevé dès qu’ils ont vu que le petit humain pouvait être source de profits.
La femme produit l’enfant et c’est l’homme qui tire de lui des avantages. Un homme, l’accoucheur, cueille le fruit de la femme en mesure de bien payer; d’autres hommes gagnent leur vie à immatriculer les nouveau-nés sur le registre de l’état-civil. Si l’enfant est abandonné, il est encore tributaire de tous les fonctionnaires de service des enfants assistés.
En entrant dans la vie, un bébé procure des revenus aux hommes. Le sexe masculin entend nécessairement se réserver le droit de mettre en portefeuille ce petit titre de rente vivant. Aussi a-t-il décidé que, seuls les détenteurs du bulletin pourraient bien vivre de l’enfant. Voilà pourquoi les préfets se sont substitués aux matrones pour inspecter le service des nourrices et des nourrissons.
Les hommes jouent à la mère, surveillent nourrissons et nourrices. La 2e section du 5e bureau de la préfecture de police est chargée de la surveillance des nourrissons, du placement à l’hospice des enfants abandonnés 345 et de l’examen des pièces et des soins des nourrices.
Pourquoi les agences de l’assistance ne sont elles pas dirigées par des femmes? Parce que les femmes ne votent pas, et que seuls les électeurs ont le monopole des emplois français.
Les femmes sont, au détriment général exclues de tout dans la commune et dans l’état, parce qu’elles n’exercent pas leurs droits politiques.
Présentement, peut-on abandonner un enfant à l’assistance?
—Oui: la loi sur les enfants assistés stipule que dans chaque département les enfants peuvent être abandonnés.
«La présentation a lieu dans un local ouvert le jour et la nuit et sans autre témoin, que la personne préposée au service d’admission 14, rue Denfert-Rochereau.
«Art. 9. La personne qui est de service, déclare à celle qui présente l’enfant que la mère, si elle garde l’enfant, peut recevoir les secours prévus à l’article 7, et notamment, un secours de premier besoin qui est alloué immédiatement.
«Elle signale les conséquences de l’abandon, telles qu’elles résultent de l’article 22.
347
«Si l’enfant paraît âgé de moins de sept mois, et si la personne qui le présente refuse de faire connaître le nom, le lieu de la naissance de l’enfant, ou de fournir l’une de ces trois indications: acte est pris de ce refus et l’admission est prononcée. Dans ce cas, aucune enquête administrative ne sera faite.»
Malheureusement, cette loi ne donne pas la garantie que le secret d’une faute sera gardé; et les mères clandestines auront peur d’être vues en allant déposer leur enfant au bureau de l’Assistance. Elles redouteront avec raison, l’indiscrétion de la personne préposée au service d’admission.
On aurait sauvegardé la vie à beaucoup d’enfants, en rétablissant le Tour discret qui, s’il avait des mains pour recevoir, «n’avait, comme disait Lamartine à la tribune du Parlement, pas d’yeux pour voir, pas de bouche pour révéler.»
Les législateurs ont trouvé que le Tour, qui diminuerait le nombre des infanticides, serait dispendieux.
La Loi sur les enfants assistés se ressent d’être l’œuvre d’une partie seulement de ceux 348 qui auraient dû l’élaborer; il lui manque le tour de main des femmes absentes de la législation.
Les hommes seuls, en réglant ce qui concerne les enfants assistés, se sont naturellement attribué les fonctions d’inspecteurs, de sous-inspecteurs[21], de commis d’inspection de ce service.
Le Conseil général pourra bien, dans le cas où il le jugera utile, créer des emplois de visiteuses d’enfant, mais il ne jugera jamais cela nécessaire. Les femmes ne votant pas, quel intérêt aurait-il à leur donner des emplois?
Le rôle des femmes est, dit-on, de s’occuper des enfants. Seulement, aussitôt que les enfants procurent rémunération, les hommes accaparent le rôle dévolu au sexe féminin.
C’est seulement quand les Françaises exerceront leurs droits politiques, qu’elles pourront empêcher les mâles de la nation de se 349 faire couveuses et nourrices, en leur enlevant l’administration du service des enfants assistés.
Les femmes remplaceraient avantageusement les hommes à la 2e section du 5e bureau de la préfecture de police, qui, comme on sait, s’est chargé de la surveillance des nourrissons, du placement, à l’hospice, des enfants abandonnés et de l’examen des pièces et des seins des nourrices.
Si pour contrôler le service des sages-femmes auprès des accouchées, le directeur de l’Assistance publique a pensé qu’il était convenable de nommer une femme, il devra trouver encore bien plus séant de faire surveiller par les femmes les nourrissons et les nourrices; car, c’est au préjudices des pauvres enfants que les hommes jouent à la mère dans son administration.
M. E. G. conte qu’il rencontra, lorsqu’il était inspecteur du service des assistés, une fillette de six ans qui avait été mise en correction par le directeur d’une agence de l’Assistance parce que, en bégayant ses premiers mots, elle avait jeté le trouble et semé la discorde avec sa 350 mauvaise langue, dans les familles nourricières où il l’avait placée. Une telle perversité en un âge aussi tendre surprit l’inspecteur. Il s’informa, et de son enquête résulta la mise en liberté de l’enfant, qui était très gentille et douce.
On voit, par cet exemple, comment l’enfance abandonnée est traitée par les hommes. Pourquoi aussi, les agences de l’Assistance ne sont-elles pas dirigées par des femmes?
On remplacerait, sans doute, les garde-chiourmes si ridicules dans les fonctions de nourrices, par des mamans qui, avec des caresses et de doux mots, bien mieux qu’eux avec leur dureté, redresseraient la petite plante humaine disposée à mal pousser. Mais voilà! les mères ne votent pas...
Il est donc absolument nécessaire que les femmes votent, pour pouvoir se faire attribuer leur part des fonctions administratives et obtenir le droit de bercer les bébés recueillis par la charité publique.
Pas plus que l’on n’enlève, sans péril pour l’œuvre, l’ébauche à l’artiste, on ne peut, sans lui préjudicier, ravir l’enfant à la femme, 351 avant qu’il ne soit modelé, achevé, réussi.
Nul ne devrait être assez audacieux pour disputer aux mères, les enfants, parcelles de leur chair, qu’elles ont animés d’une vie propre, et nul assez téméraire pour chercher à les suppléer dans la surveillance et l’impulsion à donner aux petits abandonnés.
A la maternité de Paris, il existe un service de maternité secrète où les femmes sont reçues sans formalités. Elles placent leur état civil dans une enveloppe cachetée qui leur est rendue à leur sortie.
La ville de Toulouse vient d’instituer, elle aussi, la maternité secrète.
Mais, on diminue moins, en procédant ainsi, le nombre des suppressions d’enfants qu’en rétablissant les tours.
Le jour où l’on aura fait savoir dans le dernier des villages, que le premier venu peut sans formalité, sans dire son nom, sans montrer son visage, déposer en tel endroit convenu, 353 un enfant, ce jour-là l’infanticide sera supprimé en France et la population s’augmentera; car nul n’ignore qu’indépendamment des bâtards, on tue les «bouches de trop» et les «partageurs».
Mais, clameront les contribuables: «Il faudra élever tous ces abandonnés!» Ce serait moins coûteux que de rechercher, de condamner et d’entretenir en prison les mères qui les tuent.
Le Tour sauverait la vie à un grand nombre de petits Français que la recherche de la paternité sera impuissante à préserver de la strangulation.
—Qu’est-ce qui invite à l’infanticide?
—D’abord, le préjugé faisant de la maternité, en dehors du mariage, une honte. Ensuite, l’effroi de la charge de l’enfant à assumer. L’abrogation de l’article 340 du Code civil ne supprime pas le premier de ces motifs d’infanticide, attendu que l’autorisation donnée à une demoiselle devenue mère, d’appeler, devant les tribunaux son coopérateur et de divulguer ce qu’elle cache, ne lui fera pas trouver—si elle ne l’a point—le 354 courage moral de s’avouer mère en une société indulgente aux actes sans conséquence, impitoyable pour ceux qui ont des résultats vivants. La recherche de la paternité ne fera pas, non plus toujours, disparaître le second motif d’infanticide; car l’engendreur rattrapé quand il s’esquivait, subviendra rarement aux besoins de son enfant. Lorsque tant de pères légitimes se soustraient au devoir paternel, peut-on espérer que les pères naturels se montreront plus qu’eux, empressés à le remplir? D’ailleurs, où il n’y a rien à prendre, le diable lui-même perd ses droits. La recherche de la paternité, qui est permise dans la plupart des pays d’Europe, existait en France sous l’ancien régime.
En 1556, Henri II rendit un édit qui obligeait toute femme enceinte, non mariée, à déclarer sa grossesse. Le séducteur désigné devait épouser sa victime. Plus tard, on se contenta d’obliger le séducteur à payer des dommages-intérêts à la mère et à subvenir à l’entretien de l’enfant.
La recherche de la paternité qui a été votée en 1912, n’est qu’une loi contre la séduction 355 prouvée et l’abandon notoire. Elle ne permet pas d’engager une action en reconnaissance de paternité, sans preuve écrite, et menace la fille trompée de 5 ans de prison, et de 5.000 fr. d’amende et de dix ans d’interdiction de séjour si elle engage, sans cette preuve écrite un procès contre le séducteur.
Les femmes mères n’useront guère de la faculté de rechercher le père de leur enfant, et les procès, que feront les demoiselles ayant beaucoup de toupet, ne leur procureront souvent ni dédommagement moral, ni secours matériels. Il est vrai qu’il permettra au fils naturel de prendre le nom de son auteur, mais on ne voit pas bien quel avantage il y aura pour lui à porter le nom d’un monsieur, qu’Alexandre Dumas a appelé: «un malfaiteur qu’il faut classer entre les voleurs et les assassins».
Cependant, lorsque l’enfant peut rechercher sa mère, il doit, aussi, pouvoir rechercher son père. Seulement, il ne faut pas se dissimuler, que sa légitimation compliquera les difficultés sociales et activera la désagrégation de la famille en augmentant le nombre des 356 divorces. L’épouse qui souffre d’être secrètement trompée, ne voudra pas supporter les infidélités de son mari, démontrées au grand jour par un tribunal.
Les paternités pourront, sans inconvénient, être attribuées aux célibataires. Malheureusement, plus de soixante pour cent des pères naturels, seront des hommes mariés. Alors surgira en même temps que l’intérêt de l’enfant, l’intérêt de l’épouse.
La société peut-elle, sans être certaine de faire le bonheur d’une fille-mère, anéantir le bonheur d’une épouse? ne serait-ce pas une contradiction que d’interdire la bigamie et d’autoriser les nichées simultanées? Les procès en recherche de paternités, transformeront les épouses, en victimes expiatoires de la débauche maritale.
Arrangera-t-on les choses, en faisant résulter des dérèglements d’un homme, trois victimes au lieu de deux? Assurément non.
Puisque les enfants sont rares, n’en perdons aucun, ouvrons l’armoire tournante à ceux que l’on étoufferait, rétablissons les Tours.
357
En rétablissant les Tours, il faudrait récompenser la maternité clandestine qui s’avoue, c’est-à-dire faire la fille-mère indemnitaire.
Bien mieux qu’un procès au père qui se dérobe, cette solution réhabiliterait la fille-mère et lui permettrait en même temps que de s’élever, de classer socialement son enfant, de lui donner son nom.
La mère naturelle, chef de famille, a une autre situation morale que celle qui se reconnaissant indigne de faire immatriculer dans le registre public l’être auquel elle a donné la vie, s’humilierait à solliciter un patronage masculin. Au moment où il semble si nécessaire d’affranchir la femme de l’homme, de lui donner sa part d’autorité familiale et sociale, il vaudrait mieux attribuer les enfants à la mère, indemniser la maternité que de rechercher la paternité qui renforcera encore l’autocratie masculine, en conférant exclusivement à l’homme—fût-il indigne—les droits de chef de famille hors du mariage comme dans le mariage.
On assurerait facilement l’indemnité maternelle à la fille-mère, en prélevant sur les 358 hommes, une légère contribution qu’ils auraient grand avantage à payer, puisque cet impôt paternel les garantirait des procès en recherche de paternité, suivis souvent, de procès en divorce.
«Si les riches sont les monopoleurs du capital, les hommes sont les monopoleurs du droit et de la souveraineté.»
H. A.
L’affranchissement économique de l’homme n’aurait pas pour résultat l’affranchissement politique, civil, économique de la femme. Les comptes fussent-ils réglés entre hommes, que tout serait à recommencer pour que l’équité règne, puisque la moitié de la nation, les femmes, pour lesquelles, l’oppression des détenteurs de la richesse se double de l’oppression des détenteurs du droit, auraient été oubliées.
360
La fortune, même, est impuissante à soustraire à l’oppression, celles qui la possèdent. La femme riche est dans le mariage moins libre que la femme pauvre. Elle ne peut pas disposer de sa dot, tandis que l’ouvrière dispose de son salaire. Ni la femme riche, ni la femme pauvre, n’a le droit de participer au gouvernement de son pays, en votant et en légiférant. Aussi toutes les femmes sont dupes dans l’association humaine.
Si la question sociale se résolvait pendant que les femmes sont au point de vue politique bâillonnées, la transformation économique s’opérerait au seul profit des hommes.
Pour que toute la nation bénéficie de cette transformation, il faut que la femme mise au niveau de l’homme aide à l’accomplir, participe avec lui aux arrangements de la société.
Les hommes de la révolution ont commis une faute en ne voulant point entendre parler de l’immixtion des ouvriers dans la politique. Eh bien, les républicains d’aujourd’hui qui ne veulent point entendre parler de l’immixtion des femmes dans la politique, commettent une faute bien plus grande, puisqu’ils rendent la 361 république impuissante à inaugurer l’ère de justice que tout le monde attend.
Les collectivistes nous apprennent par la bouche de M. Jules Guesde[22] que, quand tout aura été socialisé, on verra ce que l’on pourra faire pour la femme, sans nuire à l’espèce, ni gêner l’homme. C’est assez dire que, si le capital et la propriété étaient socialisés avant que les femmes soient électeurs, elles ne récupéreraient point en la société nouvelle ce qui leur aurait été pris et seraient encore, plus que maintenant, êtres de peine, bêtes de somme et bêtes à plaisir.
Les femmes qui croient que la question féministe sera résolue avec la question économique, apprennent si elles gagnent un gros lot, que leur condition légale, est après que la question économique a été pour elle résolue, identique à ce qu’elle était auparavant. Dernièrement, en m’abordant une dame s’écria:
«La révolution vient de s’accomplir pour moi. De pauvre que j’étais, un lot de loterie m’a 362 faite riche; eh bien! je suis obligée d’avouer que j’ai perdu, avec l’habitude d’avoir faim, mes illusions politiques.
«J’avais entendu beaucoup d’orateurs affirmer que la femme sera affranchie aussitôt que la question sociale aura été réalisée, et je m’efforçais de persuader, de cela, mes camarades. Or, après que la question sociale eut été pour moi, résolue, je me suis aperçue que je restais esclave comme avant.
«Le billet de loterie gagnant avait été acheté par moi, avec mon propre argent. Cependant, je ne puis toucher le gros lot, dont j’étais gratifiée, sans le concours de mon mari.
«Si j’avais volé la fortune que j’ai gagnée—j’aurais—sans qu’il soit besoin de l’autorisation de mon mari—été poursuivie en police correctionnelle ou en cour d’assises; mais il me faut le consentement marital pour pouvoir accepter un don, ou encaisser ce que m’a procuré le hasard.»
Les articles 217 et 934 du code, que cette dame signale, donnent aux hommes, la garantie de ne point être frustrés de la jouissance 363 de la fortune qui échoit à leurs épouses.
Les maris, eux, peuvent accepter des donations, toucher les gros lots, sans que leur compagne en soit informée. La personne et l’avoir de la femme sont la chose de l’époux, mais la personne et l’avoir de l’époux ne sont pas la chose de l’épouse.
Les législateurs, tenant leur pouvoir des hommes, règlent tout en faveur des hommes contre les femmes, non représentées au parlement.
Les députés socialistes reconnaissent que le suffrage est l’instrument de l’émancipation politique et économique de l’homme; s’ils ne s’efforcent point de mettre la femme en possession de cet instrument, c’est qu’ils ne veulent point qu’elle s’émancipe.
Quand on établira l’impôt sur le revenu, si les femmes ne votent pas, ce seront ces annulées, en politique, qui paieront pour les agents électoraux et les gros électeurs.
Ce qui vient de se passer à Saint-Genest-Lerpt (Loire) prouve ce que nous avançons: Le Conseil municipal de Saint-Genest-Lerpt, pour témoigner sa reconnaissance à ceux 364 qui l’avaient élu, a, en effet, pris une délibération exemptant de la contribution mobilière comme indigents, 819 contribuables sur 1185 contribuables, que comprend la Commune. De sorte que les 365 personnes qui ne furent pas exemptées d’impôts durent payer pour les autres et leur cote mobilière fut notablement augmentée.
On trouve, parmi les prétendus indigents exemptés d’impôts, des instituteurs agents électoraux, de nombreux propriétaires fonciers. Mais, détail caractéristique, les femmes ne votant pas, aucune n’a été exemptée d’impôts.
Elles durent, les femmes de Saint-Genest-Lerpt, parce que non électeurs, assumer les charges des hommes de la Commune qui avaient fait élire le Conseil municipal.
«La République cessera seulement pour les Françaises d’être un bluff, quand elle leur facilitera le combat pour la vie en les armant du bulletin de vote.»
Hubertine Auclert.
Coulée en bronze ou taillée dans la pierre, la République est représentée sous les traits du sexe féminin. La liberté emprunte la figure de l’esclave. La femme asservie symbolise l’autorité.
En ce pays où le sexe féminin ne jouit pas de ses droits politiques, on a choisi une femme pour personnifier le pouvoir suprême, la forme gouvernementale. Si, en même temps qu’ils 366 annulent leurs compagnes, les Français leur font figurer l’idéale autorité devant laquelle ils s’inclinent, nous n’avons pas à nous plaindre de cette contradiction, car la statue d’une femme, érigée sur la place publique, est bien moins que le buste d’un roi, ou la silhouette d’un empereur propre à perpétuer le règne de la mâlo-manie.
Ces hommages extérieurs qui masquent mal l’outrageante oppression, l’illégal annulement du sexe féminin, prouvent en définitive que la Française n’a qu’une indignité de convention.
La République honorée, sous la figure de la femme, vilipendée, dégradée civiquement dans la société a l’air attristé d’une idole qu’on soufflette. Elle semble se pencher pour dire aux hommes, qui lui rendent des hommages extérieurs et refusent d’appliquer ses principes: «l’encens des tyrans est indigne de moi; avant de venir me louer, affranchissez les femmes. Je veux que chacun ait sous mon règne, la possibilité d’améliorer son sort en édictant de bons enseignements sociaux.
«La meilleure manière de m’honorer, moi la 367 République, c’est de faire des vingt millions de serves françaises, vingt millions de citoyennes.»
L’origine de la République
La République, que la femme personnifie, a eu pour initiateurs, avec Camille Desmoulins et Condorcet, Mme Kéralio-Robert.
C’est à Mme Kéralio-Robert, femme de Lettres et journaliste, qui avait déjà appelé les Françaises à l’action publique, que l’acte originel de la République, la pétition audacieuse pour ne reconnaître aucun roi, est attribuée. Michelet affirme que Mme Kéralio dicta à son mari, M. Robert, qui écrivit cette pièce remarquable dont le style trahit l’auteur.
Malgré les représailles que l’on pouvait prévoir, un grand nombre de femmes et de jeunes filles signèrent avec leurs époux et leurs pères, la pétition républicaine, ainsi que l’attestent les feuilles conservées aux archives du Département de la Seine.
«Démilitariser la France, c’est augmenter les chances de guerre.»
Bebel.
Les femmes pourraient mieux que quiconque régler les différends entre peuples et mettre fin aux querelles intestines entre Français. Cependant, on ne les appelle pas aux conférences, ou au bruit du canon qui tonne. Ici et là, est enterrée la question du désarmement. On craint qu’à chaque séance elles ne s’écrient: «Etablissez la paix, en substituant le droit à la force».
Ce ne sera qu’en supprimant les sources de conflits particuliers, en interdisant les prises 369 masculines, que l’on pourra mettre fin aux empiétements territoriaux et assurer aux peuples la sécurité de leurs frontières.
Il est juste de reconnaître, que, si le sexe masculin n’est pas disposé à anéantir le vieux levain de discorde humaine, en plaçant le sexe féminin à son niveau, de leur côté, les femmes qui ont la volonté d’imposer la paix, ne se mettent guère en peine d’ajouter, à leur vouloir, le pouvoir de la rendre certaine.
Pour assurer la paix qu’elles souhaitent, il est indispensable que les femmes aient le droit de régler les affaires extérieures, parce que tant qu’elles sont dépourvues d’autorité politique elles ne peuvent avoir d’influence sur les esprits et le dressage moral de la nation leur échappe. Mais dès qu’elles collaboreront à l’œuvre sociale, en votant et légiférant, leur volonté pacificatrice s’emploiera à supprimer les causes de querelles nationales et internationales, dont le sexe masculin est l’instigateur.
Les femmes étant les plus précieux auxiliaires pour réaliser l’entente humaine, on ne devrait pas plus pouvoir usurper le droit 370 du sexe féminin que pouvoir s’approprier le pays des autres.
Les Françaises sont très patriotes, mais elles n’ont point de patrie. Les femmes nées en France de parents français, sont des sans-patrie, non à la manière internationaliste faisant disparaître les frontières sous les fraternelles étreintes des peuples. C’est légalement que les femmes sont des sans-patrie.
Dans leur pays, chez elles, les Françaises sont moins que des Anglais ou des Allemands naturalisés.
Les Hervéistes[23] sont électeurs et éligibles. Ils peuvent enlever à la France le moyen de se défendre. Mais les femmes patriotes ne sont pas admises à jeter dans l’urne des bulletins de vote qui contrebalanceraient, annuleraient ceux des patricides.
Ce ne sera qu’en devenant citoyennes que les Françaises s’assureront le droit d’avoir une patrie.
371
En ne votant pas, en restant des impotentes et des muettes aussi incapables d’aider les autres que de s’aider elles-mêmes, les femmes empêchent d’accroître, avec l’autorité de la France, le bien-être de ses habitants.
Pendant que les Françaises n’exercent pas leurs droits politiques, les déchus de tous les pays passent par-dessus leur tête, acquièrent le titre et la qualité de citoyen qu’en raison d’une législation baroque les natives de France ne sont pas admises à posséder.
Ceux qui crient la France aux Français n’entendent pas que la France soit aux Françaises.
Au lieu de chercher à exhausser la France, en faisant de cette patrie des hommes, la patrie des hommes et des femmes, en centuplant par la collaboration de tous ses habitants la puissance d’irradiation du pays flambeau de l’humanité, ceux qui se qualifient patriotes souffrent que la France soit rapetissée par l’annulement féminin et dépouillée du concours intellectuel de vingt millions de femmes.
La France amputée des femmes n’est qu’une demi-France. Quand augmentera-t-on la 372 patrie en la faisant cesser d’être un clan restreint au sexe masculin? Est-il logique que l’étranger qui adopte la France pour patrie la gouverne, alors que ses filles n’ont le droit d’y décider de rien?
«Parmi les progrès de l’esprit humain les plus importants pour le bonheur général, nous devons compter, l’entière destruction des préjugés, qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu’elle favorisera.
«Cette inégalité n’a eu d’autre origine que l’abus de la force.»
Condorcet
La cruauté qui porte la multitude à s’entre-dévorer, la délectation que chacun éprouve à se mutuellement nuire, calomnier, trahir a pour cause la rage humaine, décèle l’exacerbation 374 du malaise domestique, révèle ce que nous crions depuis des années: c’est que, si la dissension est en la société, c’est qu’elle existe au foyer. Si la guerre est entre les individus et les nations, c’est parce qu’elle existe entre les sexes. Que l’on désarme l’homme en élevant la femme victime, au niveau de son persécuteur et avec les motifs de discorde, les querelles disparaîtront, les humains s’adouciront. Le foyer domestique est le creuset où l’on peut, à son gré, couler en miel ou en fiel les individus.
L’enfant de la tourmente et de l’animosité naît haineux. Il a dans le sang des ferments mauvais et, dès que ses oreilles entendent, c’est pour ouïr les rugissements des fauves bipèdes; dès que ses yeux s’ouvrent, c’est pour voir les luttes du milieu familial!
L’atavisme et l’imitation le poussent à user à son tour de brutalité. De sorte que l’animosité ne s’isole pas au foyer, elle se répand à l’extérieur, on la respire dans la rue; c’est comme une grippe morale que tout le monde attrape. Cette haine permanente est devenue si inquiétante que les esprits les plus opposés 375 se rencontrent pour proposer le désarmement primordial, le démantèlement de la place de guerre maritale.
En même temps que les uns conseillent de rendre la maison habitable, d’y faire entrer de l’air et du jour parce que «la femme opprimée, humiliée, dégradée, étouffe dans la prison morne et que le mariage ne doit pas être une cellule de forçats, un cabanon de fous furieux», les autres prophétisent que, quand la haine aura disparu du foyer domestique par l’émancipation totale de la femme, elle disparaîtra bien vite du milieu des nations. Entre hommes et femmes il n’y a que des relations de maîtres à esclaves. L’idée n’est pas encore venue à l’homme de trouver dans le mariage «l’âme loyale» dont, toute sa vie, il poursuit la recherche en dehors du mariage.
Mais, l’épouse-servante que le mari s’obstine à regarder de l’œil méprisant du maître à vie, a des retours offensifs de bête blessée et de terribles chocs, où sont utilisés le fer et le poison, résultant du contact des enchaînés antipathiques. C’est l’incessant combat en 376 l’enfer conjugal, qui engendre les guerres, civiles et étrangères.
Toutes tentatives de conciliation entre les individus et les nations échoueront tant que ne sera pas réglée la condition des sexes, dont les dissensions étayent la discorde universelle.
Et il faut que cette situation de sexes soit légalement établie, pour devenir coutumière, car, bien mieux que l’invitation, la force de la loi opère la transformation des esprits, le redressement des mœurs.
Comment obtenir une loi équitable, différente de celle d’aujourd’hui, où les hommes courtois se sont dégagés des responsabilités et se sont assurés toutes sortes de garanties contre de faibles petites femmes écrasées par le poids des fautes masculines?
On obtiendra une loi équitable, en chargeant les deux parties qui sont assujetties à cette loi—les hommes et les femmes—de la faire.
Actuellement, c’est parce que la législation est exclusivement masculine que les intérêts de la femme ne sont pas sauvegardés et que l’homme use envers celle-ci de tant de mauvais procédés.
377
Le mari croit que son rôle comporte la brutalité. Il s’imagine qu’il est dans ses attributions de crier, de menacer, de frapper. Son parti pris de trouver répréhensibles les actes les plus simples, épouvante la sincérité et fait se dissimuler, ainsi que l’oiseau durant l’orage, la franchise féminine pendant les scènes.
C’est en s’exerçant sur les femmes que la barbarie s’est perpétuée, en notre siècle civilisé.
Les cruautés commises envers elles, sont si fréquentes, qu’on les note en faits-divers, où tous les jours, en frissonnant, on peut lire: qu’un mari a ouvert le crâne de sa femme en lui cassant un balai sur la tête, qu’un autre a éventré la sienne à coups de canne à épée, que celui-ci, après une discussion futile, a frappé sa compagne de coups de poing et de pied, lui a enlevé un œil, arraché le nez.
En faisant l’autopsie des femmes victimes de brutalités maritales, on trouve parfois des tessons de bouteilles et d’assiettes, dans leurs plaies. Cela prouve que tous les objets 378 que les maris assassins ont sous la main leur servent de projectiles.
Sur le simple soupçon d’être trompé, un homme se fait un point d’honneur d’exterminer son épouse. Tout le monde l’approuve, et, s’il va devant les juges, ce n’est qu’afin d’être absous.
Cette tolérance de tuer la femme donnée au mari par l’article 324 du Code pénal s’est tout naturellement propagée hors du mariage. Les amants croient qu’ils ont le droit d’agir ainsi que les maris. Aussitôt que leur compagne, qu’ils se font un jeu d’abandonner, parle de cesser la vie commune, ils courent sur elle le couteau à la main.
On décore du nom de crime passionnel, leur sauvage agression, et il leur suffit de dire «J’étais jaloux!» pour être acquittés.
Les peines dérisoires infligées aux amants et aux maris assassins permettent aux hommes de penser qu’ils ont le droit de vie et de mort sur les femmes.
Le sexe féminin ne serait point autant victime de violences, s’il ne se laissait pas tout de suite terroriser pas le sexe masculin.
379
Un jour un gros propriétaire, point méchant, mais qui, élevé à l’école de la brutalité, se croyait obligé de continuer son père, menaça sa femme de la battre. Déjà il avait sur elle la main levée quand, au lieu de s’effrayer, celle-ci saisit courageusement une forte canne et en donna de violents coups à son mari stupéfait. La leçon fut bonne; plus jamais le battu ne parla de battre.
On croit généralement que la brutalité masculine ne s’exerce que parmi les ouvriers. C’est une erreur. Des comtes, des marquis, des ministres autant que des charretiers injurient et frappent leurs femmes. Ils leur enfoncent à coup de talons de bottes, comme à la vicomtesse de T... leurs peignes dans la tête. Ils tirent dessus ainsi que sur des chiens enragés. Les divorces des riches ont très souvent pour cause les sévices du mari.
Quiconque n’a point pour les brutalisées de suprêmes apitoiements, n’a pas entendu, dans le silence de la nuit, les hurlements féroces d’un homme que la colère a rendu fou et, en même temps que les plaintes étranglées et les 380 râlements de sa victime, les coups sourds semblables à ceux d’une porte que l’on brise, produits par un mari qui casse les reins à sa femme.
Les suppliciées qui ne succombent pas cachent leurs blessures. Elles étanchent loin des regards le sang de leurs plaies, attribuant à la maladie, l’obligation où elles sont de garder trois semaines le lit, après chaque accès de fureur maritale. Si le chirurgien vient réparer leurs membres brisés, elles affirment qu’elles ont été victimes d’un accident.
Quand on est trop chargée d’enfants, pour pouvoir divorcer, à quoi bon se plaindre?
Le nombre est grand des malheureuses mariées, ou non, qui vivent avec la pointe d’un couteau sur le sein gauche ou le canon d’un revolver sur le front. Tôt ou tard le couteau s’enfonce, l’arme part. Il n’est point de jours, où en France, un homme ne poignarde ou n’abatte à coups de pistolet une femme.
On conçoit les transes de ces condamnées qui se meuvent dans la vie en éprouvant toutes les affres de la mort. Valides, elles ne 381 peuvent se soustraire à leur agonie, car, si elles essayent d’y échapper, elles avancent leur dernière heure. D’ailleurs, où iraient-elles? Elles portent avec elles la terreur qui fait se refroidir les cœurs et se fermer les portes. On ne veut point, pour les protéger, être sujet à représailles. La peur qui rend lâche, laisse les martyres à la merci de leurs bourreaux.
La férocité envers les femmes stimule en l’humanité les instincts sanguinaires et rend sauvages les foules.
Pour les motifs les plus futiles, les humains finiraient par mutuellement s’exterminer, si l’on ne mettait un frein à la cruauté envers la femme, qui engendre toutes les autres cruautés et fait de l’homme un fauve pour ses semblables.
Puisque les députés ne se préoccupent point d’assurer la sécurité des femmes, qu’ils leur donnent le pouvoir de se protéger elles-mêmes en faisant des lois qui leur permettent d’opposer le droit à la force brutale, de frapper sans pitié ceux qui se font un jeu de les tuer. La loi équitable ramènera l’homme, qui sait 382 avoir quand il le veut tant de circonspection, à être après le mariage, pour l’associée qu’il a intérêt à conserver, ce qu’il était avant les noces pour la fiancée qu’il s’agissait de conquérir.
Devant son égale, l’homme réprimera la férocité que la loi a développée en lui et du loyer pacifié sortiront des êtres doux qui feront succéder à la discorde l’entente et l’harmonie.
La passion des hommes pour les querelles et les batailles ne sera maîtrisée que par la femme ayant le pouvoir d’opposer à l’emportement masculin sa douceur native, sa volonté pacificatrice.
Puisque la justice envers les femmes procurera l’apaisement entre les individus et entre les peuples, pourquoi les Français sont-ils assez ennemis d’eux-mêmes pour en ajourner l’avènement? Et pour pouvoir se conserver, le mariage devra faire s’asseoir égaux l’époux et l’épouse au foyer conjugal.
Au moment où la loi a consacré l’autorité maritale, tout découlait du principe d’autorité, tout y remontait; tandis qu’aujourd’hui ce principe 383 a été partout culbuté. Dans l’Etat, il n’y a plus qu’une autorité temporaire, que le peuple à son gré octroie. Dans la famille, le petit enfant a plus d’autorité que l’ancêtre.
Sur l’amoncellement des sceptres brisés, le mari ne peut cependant pas avoir la prétention de tenir haut le sien et ainsi d’échapper à l’universelle destruction des choses usées.
Avant qu’on ne l’ait éloquemment proclamé, tous ceux qui connaissent la femme, savaient qu’elle était dans ses différentes conditions sociales, malheureuse. Personne n’ignore que l’hétaïre a des nausées, que l’épouse, souvent, de s’être mariée, se mord les doigts, que la célibataire, morte-vivante, aspire à l’anéantissement libérateur.
Toutefois, il faut reconnaître, que, si la femme est malheureuse, l’homme ne trouve guère, lui non plus, le bonheur sur la terre où, chacun étant comme muré, il est impossible à l’être humain de satisfaire le plus impérieux de ses instincts, celui de la sociabilité.
Avant que Guy de Maupassant n’ait jeté ce cri désespéré: «L’être moral de chacun de nous, reste éternellement seul par la vie!» 384 Flaubert avait constaté qu’on ne se rencontre qu’en se heurtant et que chacun portant dans ses mains ses entrailles déchirées «accuse l’autre qui ramasse les siennes!»
La souffrance morale qui nous enveloppe tous, résulte surtout de malentendus. Elle pourrait être supprimée. Mais, quand les Français, qui s’efforcent en tant de choses vaines, s’occuperont-ils de substituer dans les relations humaines la franchise à l’hypocrisie, la liberté à la compression, en changeant avec une législation anti-naturelle, des mœurs qui oppriment les faibles, et empêchent les femmes instigatrices de tout bien-être, d’édifier le bonheur dans la société?
La civilisation, ce grattage de la rugosité barbare qui a pour résultat la mise à vif de l’épiderme moral, rend les rapports humains déjà difficiles.
Plus les êtres sont délicats et sensibles, plus ils ont besoin de s’adapter au milieu social ne les meurtrissant pas, et de prévenir les heurts individuels.
Or, après avoir élevé l’homme et la femme très différemment et armé légalement, celui-ci 385 contre celle-là, on les unit ou plutôt on les projette l’un contre l’autre. Le choc est violent, la lutte est courte. D’un tour de main l’homme terrasse la femme et lui dit: «Maintenant, obéis!»
Les individus les plus ignares, en venant de se marier, sont «de mauvaises bêtes dressées à terroriser les autres»; dressées non par l’éducation, par la loi qui leur dit: «Tu es tout, la femme n’est rien. Elle a le devoir de t’obéir comme à un maître, tu as le droit de la tuer comme un chien!»
Comment veut-on, que le mari ainsi stylé ait de bons procédés envers sa compagne! Ne serait-ce pas bien plus naturel que la loi dise à l’homme: «Ton épouse et toi, vous êtes devant moi, égaux. Votre devoir est de vous aimer, mutuellement, beaucoup et de vous rendre heureux le plus possible».
Le mariage est un coupe-gorge où très légalement l’homme dépouille sa femme de son argent et de sa part de bonheur.
Pour que la loi soit équitable et impartiale pour toute l’espèce humaine, il faut qu’elle soit faite par toute l’espèce humaine, par la 386 femme comme par l’homme; alors, au lieu d’être impitoyable elle aura la douceur des lisières dont les mères se servent pour prévenir les faux pas des enfants.
Amérique du Nord (105.000.000 habitants, 44.639.189 femmes).
Depuis 1869, les femmes jouissent de leurs droits politiques dans l’Etat de Wyoming. «Relativement au suffrage féminin, dit un gouverneur de cet Etat, une once d’expérience vaut une tonne de conjectures. Or l’application par notre constitution de notre système de suffrage égal accordé aux deux sexes est un succès incontestable. Sous l’empire de cette disposition, nous avons de meilleures lois, de meilleurs magistrats, de meilleures institutions et le niveau de notre condition sociale est plus élevé que partout ailleurs.
«Aucun des maux que l’on nous annonçait, tels que la perte de la délicatesse féminine et 388 le trouble de nos relations domestiques ne s’est montré».
Dans l’Utah les femmes ont leurs droits politiques. Comme elles les ont dans le Colorado depuis 1893. Dans l’Idaho depuis 1911. Le gouverneur de l’Idaho écrit: «Politiquement, l’effet du suffrage des femmes a été considérable, relevant et profitable. L’administration des affaires gouvernementales a été confiée à des mains plus honnêtes et les affaires de la République en ont bénéficié».
Dans l’Etat de Washington en 1911. Arizona, Kansas, New-York, Michigan, Orégon 1911-1912. La Californie 1912. L’Illinois, le Territoire de l’Alaska 1913, les femmes ont leurs droits politiques.
En 1916, l’Etat de Montana a élu une femme comme députée au Congrès. C’est la première femme siégeant au Parlement.
12 janvier 1918, adoption du nouvel article de la Constitution qui accorde le droit de vote aux femmes.
1920. Cet article est adopté par les Etats dont la majorité des trois quarts était nécessaire pour rendre la mesure applicable à tout le pays.
389
Canada
En 1916, l’Etat de Manitoba donna le suffrage universel et l’éligibilité aux femmes par un vote unanime de son Parlement de province, ce qui leur donna des droits également dans le Parlement de tout le Canada, à Montréal.
En 1919, la Chambre des communes d’Ottawa a accordé aux femmes le droit de voter et de siéger au Parlement.
Amérique du Sud
République de l’Equateur, 1.272.000 habitants. Depuis 1861, les femmes jouissent de leurs droits politiques.
République de Costa-Rica, 400.000 habitants. Les femmes jouissent de leurs droits civils.
Asie
Inde (315.156.000 habitants, 119.393.851 femmes).
Diverses provinces des Indes ont accordé le droit de suffrage politique aux Femmes.
390
Canton (Chine) (900.000 habitants).
Dans la province de Canton, les Femmes ont le droit de suffrage politique.
Europe
Angleterre (41.074.090 habitants).
Comme en France avant 1789, en Angleterre avant 1832, des catégories de femmes avaient le droit de vote.
Le terme usité dans la législation anglaise désignait comme devant voter «les personnes».
Le statut de 1832 fit ajouter au mot «personnes» l’adjectif mâles.
L’agitation en faveur du libre échange favorisa le mouvement féministe en Angleterre et fit comprendre aux femmes, combien la politique avait de répercussion dans leur vie.
Stuart Mill, premier défenseur du vote des femmes en Angleterre, comprit l’immense portée du mal que se fait la société en frappant les femmes d’exclusion politique.
En 1865, dans sa profession de foi, Stuart Mill réclama pour les femmes le droit d’être 391 représentées au Parlement. Elu représentant de Westminster à la Chambre des Communes, il présenta en 1865 la première pétition des femmes couverte de 1499 signatures. En 1868, Stuart Mill ne fut pas réélu.
La chambre des communes avait remplacé «personnes mâles» par «Man» «homme» pris dans le sens «d’individu».
5.347 femmes se firent inscrire sur les listes électorales de Manchester. Leur cause fut soutenue par D. Pankhurst. Les juges leur donnèrent tort.
Joseph Bright fit obtenir par un projet de loi le suffrage municipal aux femmes en 1869.
Les femmes votaient encore dans 78 agglomérations, non érigées en municipe, où chaque contribuable vote.
En 1870, Joseph Bright présenta un bill pour l’affranchissement politique des femmes. En 1871-1872-1873 Jacob Bright présenta son bill pour le suffrage parlementaire des femmes, qui fut repoussé par des majorités variant de 67 à 79 voix.
En 1876-1877-1879, M. Forsyth fit à la chambre des communes, des propositions en 392 faveur du vote des femmes, sans résultats.
C’est avec une ardeur infatigable que tous les ans fut défendue au Parlement la cause des femmes.
En 1888, les femmes Anglaises obtinrent l’électorat aux Conseils de Comté (analogues à nos Conseils généraux).
En 1907, les femmes devinrent éligibles aux County Councils, comme conseillères, alderman, présidentes ou maires.
Ces efforts de propagande au Parlement ont formé des générations de féministes anglaises qui ont réussi à placer la question du vote parlementaire, au premier plan des préoccupations nationales.
Un groupe, le Women Social and Political Union a recouru à l’action directe. Sous le nom de suffragettes, ses membres ont fait entrer le conflit dans une période aiguë.
Les socialistes anglais sont divisés sur la question du suffrage des femmes. Keir Hardie est le leader des suffragettes.
En février 1908, proposition de M. Stanger à la chambre des communes, en faveur du 393 vote des femmes. Il combat éloquemment les objections faites.
En 1914, les obligations de la Grande guerre ayant fait voter la Conscription, obligea les femmes à remplacer les hommes dans leurs divers métiers ou fonctions: «Leur effort, dit le premier ministre Lloyd Georges, a permis de libérer plus d’hommes pour renforcer nos armées que celles-ci n’en comportaient au début de la guerre.»
Le 14 novembre 1918, la chambre des lords a adopté, sans discussion, le projet de loi permettant aux femmes contribuables à partir de l’âge de 30 ans, de siéger à la Chambre des Communes.
La Chambre des Communes avait voté sans discussion ce projet qui accordait le droit de vote à six millions de femmes, parce que les femmes avaient prouvé par leur conduite pendant la guerre qu’elles étaient dignes de voter et de légiférer.
394
Finlande (3.329.146 habitants).
En Finlande depuis 1906 les femmes jouissent de leurs droits politiques.
En 1907, 19 finlandaises ont été élues députées à la Diète. En 1908, 25 finlandaises furent élues à la Diète. En 1909, 21 femmes furent élues à la Diète qui compte 200 députés.
En Finlande, depuis que les femmes sont membres du Parlement, la police des mœurs a été supprimée. La situation des ouvrières a été améliorée et relevée. Toutes les carrières sont ouvertes aux femmes, et quand elles perpétuent l’espèce, des garanties leur sont données par l’assurance d’accouchement et l’assurance en cas de maladie.
Les femmes firent diminuer l’alcoolisme. L’ivrognerie était en Finlande un vice national. Les femmes, par leur influence dans les assemblées locales firent dès 1896 prohiber la vente de l’alcool dans les campagnes et dans les villes et restreindre cette vente aux seuls établissements qui débitent des aliments chauds.
395
Quand les femmes entrèrent à la Diète, elles firent voter, que la fabrication et la vente de l’alcool, autorisée seulement dans un but médical, industriel ou scientifique, constituerait un monopole pour l’Etat et serait rigoureusement interdit aux particuliers pour la consommation publique.
Les protestations des producteurs n’ont pas empêché d’appliquer ce remède énergique qui a fait disparaître à peu près l’alcoolisme.
Danemark (3.289.195 habitants).
En 1908, les droits municipaux ont été accordés aux femmes. En 1915, elles ont obtenu les droits politiques pour les femmes âgées de plus de 25 ans.
Tchéco-Slovaquie (13.914.336 habitants).
Les femmes ont le droit de vote et d’éligibilité à la Diète depuis 1920.
Islande (85.183 habitants, 44.078 femmes).
Les femmes ont les droits politiques.
396
Irlande (4.390.219 habitants, 2.198.171 femmes).
La Constitution Républicaine a accordé le droit de vote politique aux femmes et l’éligibilité.
Ile de Man (52.000 habitants, 28.000 femmes).
Petite île Anglaise de la mer d’Irlande. Les femmes jouissent de leurs droits politiques depuis 1881. La grandeur de l’île est de 2.781.000 kilomètres carrés.
France (41.475.523 habitants).
En 1900, les femmes peuvent ester en justice et servir de témoins.
En 1907, les femmes ont obtenu de rester maîtresses de leur salaire par la loi du 13 juillet 1907. Les femmes ayant les conditions requises sont électrices aux Conseils des prud’hommes.
En 1908, elles sont éligibles à ce même Conseil.
1917, le 22 février, les femmes sont admises aux fonctions de tutrices, avec l’autorisation de leur mari, si elles sont mariées. 397 Le mari sera co-tuteur de sa femme et responsable solidairement avec elle.
La femme peut être membre d’un Conseil de famille. La femme mariée ne pourra siéger dans le même Conseil que son mari.
République de Tavolera
Côté Nord-Ouest de la Sardaigne à l’entrée du golfe de Terranova, baignée par la mer Tyrrhénienne, peuplée de quelques centaines d’habitants. Les femmes jouissent du droit électoral comme les hommes.
Russie (182.000.000 habitants).
La République des Soviets proclamée en 1916 accorde le droit de vote et d’éligibilité aux Russes des deux sexes ayant atteint l’âge de vingt ans.
Allemagne (55.000.000 habitants).
Les Allemands, après leur défaite écrasante de 1918 et la fuite de Guillaume II en Hollande, élurent un Directoire pour préparer l’élection d’une Assemblée Nationale qui serait chargée de faire la Constitution. La loi électorale donne les droits politiques à tous les 398 Allemands des deux sexes au-dessus de vingt ans. L’éligibilité au-dessus de 25 ans.
Autriche (6.067.430 habitants).
En 1919, un décret confère le droit de vote à tous les citoyens hommes et femmes ayant vingt-quatre ans, ainsi que l’éligibilité.
Hongrie (15.541.000 habitants).
31 août 1919. Décret conférant le droit de vote à tous les hommes et femmes ayant 24 ans et l’éligibilité.
Jusqu’à cette date les femmes de la caste des grands propriétaires avaient le droit de vote en Autriche-Hongrie, mais elles ne pouvaient l’exercer que par procuration.
Hollande (6.279.000 habitants).
Novembre 1916. La Chambre des députés adopte un article décrétant l’éligibilité des femmes aux Etats-généraux. Avril 1921. Le vote obligatoire municipal.
Luxembourg (263.800 habitants, 133.310 femmes).
Depuis 1919, les hommes et les femmes 399 ont les droits politiques lorsqu’ils sont âgés d’au moins 21 ans.
Belgique (7.555.596 habitants, 3.835.837 femmes).
1919. Le droit de vote est accordé aux femmes de soldats tués au front ou de civils victimes de l’ennemi, ou à leur défaut, aux mères, pour l’élection de la Constituante chargée de réviser la Constitution. Le suffrage direct a été également accordé aux femmes condamnées ou emprisonnées par les Allemands pour faits patriotiques.
1920. Le droit de vote communal est accordé aux femmes. Il est obligatoire.
1921 (2 août). Les femmes peuvent exercer les fonctions de Bourgmestre, d’échevin, de receveur ou de secrétaire communal.
Territoire de Wilna (732.000 habitants).
1922 (8 janvier). Les habitants, sans distinction de sexe, qui habitent le pays depuis trois ans, ont reçu les droits politiques.
400
Roumanie (17.393.149 habitants, 8.631.057 femmes).
1921 (2 juillet). Une loi établit le suffrage obligatoire des femmes aux élections municipales.
Ukraine (46.000.000 habitants).
Les Femmes ont les droits politiques.
Norvège (2.240.000 habitants, 1.236.109 femmes).
Les Norvégiennes ont depuis 1909 le droit de vote et l’éligibilité parlementaire, à base censitaire.
Le 12 juin 1913, le Storting a voté un projet de loi, accordant aux femmes le droit de vote pour les élections générales aux mêmes conditions qu’aux hommes.
En 1917, les femmes purent être nommées ministres.
Suède (5.222.000 habitants, 2.964.645 femmes).
En 1916. Le suffrage parlementaire est accordé aux femmes dans les mêmes conditions qu’aux hommes.
401
Nation Polonaise (30.000.000 habitants).
1921. Les femmes ont le vote et l’éligibilité dans la Constitution nouvelle, à partir de 21 ans, au Sénat à 30 ans.
Lithuanie (4.651.000 habitants).
1918. Les femmes ont le droit de vote et l’éligibilité dans la Constitution nouvelle, à partir de 24 ans.
Esthonie (1.750.000 habitants).
Les femmes, dans la nouvelle Constitution ont le droit de vote, à partir de 24 ans et l’éligibilité.
Lettonie (2.500.000 habitants).
Les femmes ont les Droits politiques.
Océanie
Nouvelle-Zélande (1.099.449 habitants, 547.974 femmes).
Les femmes ont les droits politiques depuis 1895.
Le vote des femmes a eu pour effet d’augmenter l’activité politique et d’empêcher les 402 hommes de s’abstenir d’exercer leurs droits électoraux.
Australie (4.400.000 habitants, 2.147.790 femmes).
Depuis 1899 les femmes jouissent de leurs droits politiques.
En Australie les droits politiques exercés par les femmes ont eu une influence considérable sur la moralité des élus. Les partis ont dû abandonner les candidats de moralité insuffisante, pour les électrices.
Partout le bien individuel et public profite de la coopération politique de l’homme et de la femme.
Les hommes et les femmes étant solidaires doivent en collaboration diriger la société.
Dans les pays où les femmes votent, en effet, de quoi se plaint-on? Est-ce des opinions contradictoires existant entre électeurs et électrices? Non!
En même temps que l’on se loue de la moralisation politique due à l’élément féminin, on se plaint de la trop grande communion 403 d’idées entre conjoints. On dit que les deux époux en votant de même ne font que se doubler, ne font qu’augmenter l’autorité de leur parti.
Les femmes votent comme leurs maris, ou les maris comme leurs femmes. La communauté des intérêts réalise l’entente politique. Or, qu’est-ce qui serait actuellement plus désirable en France que l’entente politique?
Il est d’ailleurs un nombre considérable de femmes, les célibataires et les veuves, que l’on ne peut redouter de voir briguer la candidature en même temps que leur mari, attendu qu’elles n’en ont point.
[1] Le mot Féministe—adhérent du Féminisme, qui est une doctrine qui fait la femme l’égale de l’homme et lui accorde les mêmes droits—est ici par anticipation, car il ne fut employé par Hubertine Auclert qu’en 1882 dans une lettre au préfet de la Seine. Voir le Vote des femmes, page 64.
[2] Le Droit politique des femmes, 1 brochure.
[3] Egalité sociale et politique de la femme et de l’homme, 1 brochure.
[4] La loi de la recherche de la paternité de 1912, exige une preuve écrite.
[5] La loi de 1907 (13 juillet) qui attribue à la femme la possession de son salaire, y met la restriction, qu’en cas d’abus par la femme des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 1 dans l’intérêt du ménage, le mari pourra en faire prononcer le retrait, soit en tout, soit en partie.
[6] Ecrit en 1880. Depuis 1893 plusieurs Etats ont donné aux femmes le droit de vote politique. En 1920, l’article de la Constitution qui accorde le droit de vote aux femmes de l’Amérique a été voté.
[7] Volume Lamarre, 4, rue Antoine Dubois.
[8] Mesdames Elisabeth Renaud dans l’Isère, Marguerite Durand dans le 9e arrondissement, Madeleine Pelletier le 8e, de Maguerie le 6e, Caroline Kauffmann Arria Ly à Toulouse.
[9] Par la loi de 1917, la femme peut être tutrice et faire partie des conseils de famille.
[10] Depuis 1901, la femme peut témoigner en justice et servir de témoin.
[11] Mort en janvier 1914.
[12] Ecrit avant 1914. En 1919, 7 octobre. La Chambre a voté une proposition de loi instaurant le vote et l’éligibilité des Femmes par 340 voix contre 95.
[13] Se rappeler que ce livre a été écrit avant la grande guerre.
[14] Écrit avant 1914.
[15] Les femmes peuvent ester en justice par la loi de 1900.
[16] Ecrit avant la grande guerre.
[17] La loi nouvelle portera que: «La femme française qui épouse un étranger conserve sa nationalité, à moins qu’elle ne déclare expressément dans l’acte de mariage, vouloir acquérir la nationalité de son mari.»
[18] En 1879.
[19] En 1904.
[20] 1919. Loi des 8 heures de travail par jour. 2 août 1919 dans la Marine marchande. 24 juin 1919. Loi réduisant les 8 heures pour les Mineurs.
[21] Projet de loi tendant à modifier l’article 30 de la loi du 27 juin 1914, pour l’Admission des femmes aux emplois de sous-inspectrices départementales de l’Assistance publique.
[22] En 1920, Jules Guesde a déposé à la Chambre une loi tendant à faire proclamer l’égalité civile et politique entre tous les français.
[23] Leur chef a depuis reconnu son erreur et a fait une campagne patriotique ardente; ses adeptes, éclairés eux aussi, sont morts en héros sur nos champs de bataille.
TABLE DES MATIERES | ||
Pages. | ||
Au lecteur. | I | |
Hubertine Auclert. | 1 | |
I.— | La Réforme électorale. | 93 |
II.— | Le vote et l’éligibilité pour les femmes. | 105 |
III.— | Enquête sur la représentation des femmes au Parlement. | 123 |
IV.— | Pétition réclamant la représentation intégrale de la nation. | 145 |
V.— | Les réformateurs de la loi électorale. Premier contact avec la Commission de la réforme électorale. | 158 |
VI.— | L’annulement politique des femmes est un obstacle au progrès. | 180 |
VII.— | La cherté de la vie est due à l’exclusion des femmes de l’administration des affaires publiques. | 204 |
VIII.— | Les intérêts de la France mis en péril par les hommes. | 213 |
IX.— | La France menacée par ses multiples cabarets. | 218 |
X.— | Psychologie féminine. | 226 |
XI.— | Le rôle des femmes et leur devoir dans la société. | 232 |
406XII.— | Les femmes sont moins en France que les roulures de Bagne. | 242 |
XIII.— | La femme en France est moins que l’étranger. | 248 |
XIV.— | Sentiments et systèmes. L’âge et le sexe. | 261 |
XV.— | La besogne ménagère. Travail domestique rétribué. | 272 |
XVI.— | Les Mères doivent voter. | 296 |
XVII.— | La fonction maternelle rétribuée. | 306 |
XVIII.— | L’enfant doit-il porter le nom de la mère? Matriarcat. | 311 |
XIX.— | Les Mères et la dépopulation. | 317 |
XX.— | La femme en état de légitime défense. | 323 |
XXI.— | Pour les primitifs l’enfant est une valeur. Pour les civilisés l’enfant est une charge. | 327 |
XXII.— | Les mères plus mal traitées que les animaux reproducteurs. | 330 |
XXIII.— | La société n’assure pas l’existence de sa perpétuatrice. | 333 |
XXIV.— | Les risques de la maternité. | 337 |
XXV.— | L’enfant source de profits pour l’homme. | 342 |
XXVI.— | L’abandon de l’enfant. | 346 |
XXVII.— | Rétablissons l’armoire tournante. Le tour discret. | 352 |
XXVIII.— | Le Socialisme n’aurait pas pour résultat l’affranchissement de la femme. | 359 |
XXIX.— | La République personnifiée par la femme. | 365 |
XXX.— | La Patrie et les Femmes. | 368 |
407XXXI.— | Le désarmement des hommes amènera le désarmement des peuples. | 373 |
XXXII.— | Le vote des Femmes à l’étranger. | 387 |
Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version originale. Les erreurs manifestes de typographie ont été corrigées.
La couverture est illustrée par une peinture de Jean Béraud. Elle appartient au domaine public.
Saint-Amand (Cher).—Imprimerie Bussière.