The Project Gutenberg eBook of Observations sur l'orthographe ou ortografie française

This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.

Title: Observations sur l'orthographe ou ortografie française

Author: Ambroise Firmin-Didot

Release date: June 25, 2024 [eBook #73912]

Language: French

Original publication: Paris: Ambroise Firmin-Didot, 1868

Credits: Laurent Vogel, Hugo Voisard, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) and from scanned images of public domain material from the Google Books project.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK OBSERVATIONS SUR L'ORTHOGRAPHE OU ORTOGRAFIE FRANÇAISE ***

Au lecteur

Table des matières

Index

OBSERVATIONS
SUR
L’ORTHOGRAPHE
OU ORTOGRAFIE
FRANÇAISE

SUIVIES D’UNE
HISTOIRE DE LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE
DEPUIS LE XVe SIÈCLE JUSQU’A NOS JOURS
PAR
AMBROISE FIRMIN DIDOT


DEUXIÈME ÉDITION
REVUE ET CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE

filet

PARIS
TYPOGRAPHIE DE AMBROISE FIRMIN DIDOT
IMPRIMEUR-LIBRAIRE DE L’INSTITUT DE FRANCE
RUE JACOB, 56


1868

A MESSIEURS
DE
L’ACADÉMIE FRANÇAISE

HOMMAGE RESPECTUEUX
OFFERT

PAR AMBROISE FIRMIN DIDOT
IMPRIMEUR-LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

OBSERVATIONS
SUR
L’ORTHOGRAPHE
OU ORTOGRAFIE
FRANÇAISE.


Remédier aux imperfections encore si nombreuses de notre orthographe, imperfections qui démentent la logique et la netteté de l’esprit français, serait chose bien désirable à un double point de vue: le bon et rapide enseignement de la jeunesse, la propagation de notre langue et de ses chefs-d’œuvre. Mais cette tâche est bien plus difficile que ne le supposent ceux qui, frappés des abus, ne se sont pas rendu compte de la nature des obstacles, ainsi que des efforts divers tentés depuis trois siècles pour la solution d’un problème aussi compliqué.

C’est à l’Académie française, à cause même de sa légitime influence sur la langue et de l’autorité de son Dictionnaire, devenu depuis longtemps le Code du langage, qu’il convient d’examiner, en vue de la nouvelle édition qu’elle prépare, les modifications à introduire dans l’orthographe, pour satisfaire, dans une juste mesure et conformément à ses propres précédents, aux vœux le plus généralement manifestés.

Fidèle à son institution et à sa devise, l’Académie, tout en 2 tenant compte des nécessités du présent, jette au loin ses regards sur l’avenir pour conduire, de degré en degré, la langue française à sa perfection.

Grâce aux améliorations successivement introduites par l’Académie dans les six éditions de son Dictionnaire, améliorations attestées par la comparaison de celle de 1835 avec la première de 1694, ce qui reste à faire dans notre orthographe est peu considérable, et pourrait même être admis en une seule fois, si l’Académie se montrait aussi hardie qu’elle l’a été dans sa troisième édition.

Jusqu’au commencement de ce siècle, son Dictionnaire, moins répandu, n’avait pas acquis l’autorité dont il jouit universellement; de sorte qu’il restait à chacun quelque liberté pour modifier l’orthographe, soit dans le manuscrit, soit dans l’impression[1]. C’est ainsi qu’avaient pu et que pouvaient encore se faire jour les préférences en matière d’écriture de ceux qu’on nommait alors «les honnêtes gens» et dont la manière était désignée sous ce nom: l’Usage.

[1] Ainsi mon père et mon oncle, dès 1798, s’écartant de l’orthographe traditionnelle, avaient remplacé, dans leurs éditions, l’o par l’a, et imprimé français et non françois, je reconnais et non je reconnois, modification importante qui fut admise par l’Académie dans la dernière édition de son Dictionnaire de 1835.

Maintenant toute rectification, quelque faible qu’elle soit, serait imprudente et même impossible. M. Sainte-Beuve est, je crois, le seul qui exige de ses imprimeurs de rétablir l’accent grave aux mots terminés en ége.

Mais il résulte de l’inadvertance des compositeurs et même des correcteurs une série incessante d’hésitations d’où proviennent des fautes et des corrections très-coûteuses qui rendraient presque impossibles des impressions où chacun voudrait qu’on suivît les caprices de son orthographe. Le Dictionnaire de l’Académie est donc la seule loi.

Mais l’Usage, que l’Académie invoquait jusqu’en 1835 comme sa règle, n’a plus aujourd’hui de raison d’être; le Dictionnaire est là qui s’oppose à tout changement: chaque écrivain, chaque imprimerie, s’est soumis à la loi: elle y est gravée; les journaux, par leur immense publicité, l’ont propagée partout; personne n’oserait la braver. Ainsi tout progrès deviendrait impossible, si l’Académie, forte de l’autorité 3 qu’elle a justement acquise, ne venait elle-même au-devant du vœu public en faisant un nouveau pas dans son système de réforme, afin de rendre notre langue plus facile à apprendre, à lire et à prononcer, surtout pour les étrangers.

Que d’efforts et de fatigues quelques réformes pourraient encore épargner aux mères et aux professeurs! que de larmes à l’enfance! que de découragement aux populations rurales! Tout ce qui peut économiser la peine et le temps perdus à écrire des lettres inutiles, à consulter sa mémoire, souvent en défaut, profiterait à chacun. Car, avouons-le, personne d’entre nous ne saurait s’exempter d’avoir recours au Dictionnaire pour s’assurer s’il faut soit l’y soit l’i dans tel ou tel mot; soit un ou deux l, ou n ou p dans tel autre; soit un ph ou un th; un accent grave ou un accent circonflexe, un tréma ou un accent aigu, un trait d’union ou même la marque du pluriel, l’s ou le x, dans certains mots.

Il serait trop long d’énumérer ici les tentatives plus ou moins sensées, plus ou moins téméraires, proposées depuis le commencement du seizième siècle pour la simplification de l’orthographe: les unes, trop absolues dans leur ensemble, dénaturaient le caractère et les traditions de notre idiome; d’autres déroutaient et offensaient la vue en altérant la simplicité de notre alphabet; d’autres, enfin, n’avaient peut-être que le tort d’être prématurées et de contrarier des habitudes contractées dès l’enfance, et d’autant plus tenaces qu’elles avaient coûté plus de peine à acquérir. (Voy. l’Appendice D.) L’Académie seule, quelquefois avec une grande hardiesse, a pu introduire et sanctionner de sages modifications; toutes ont été accueillies avec reconnaissance en France et dans les pays étrangers. C’est donc à sa sagesse de juger dans quelles limites on devra céder au vœu manifesté par tant de bons esprits durant plus de trois siècles. Les concessions qu’elle croira devoir faire ne seront même que la conséquence de l’opinion émise par elle en 1718 dans la préface de la deuxième 4 édition de son Dictionnaire: «Comme il ne faut point se presser de rejeter l’ancienne orthographe, on ne doit pas non plus, dit-elle, faire de trop grands efforts pour la retenir.»

Ces modifications seraient d’autant plus utiles et opportunes qu’elles hâteraient le développement et la propagation de l’instruction primaire dans nos campagnes, et l’enseignement de la langue française aux Arabes, moyen le plus sûr de nous les assimiler[2]. Ce bienfait s’étendrait même à tout l’Orient, où on se livre à de sérieux efforts pour indiquer par des signes la prononciation des mots de notre langue à ces populations aussi nombreuses que diverses[3]. Faciliter l’écriture et la lecture de la langue nationale, c’est contribuer à la répandre et à la maintenir.

[2] M. le général Daumas a mis en pratique, et avec succès, le système de simplification d’orthographe dont on est redevable à M. Féline.

[3] En ce moment, M. Pauthier me montre plusieurs Dictionnaires polyglottes imprimés à Yeddo. Dans celui qui est intitulé San-gio-ben-ran, les Trois Langues synoptiques, Yeddo, 1854, les mots japonais sont traduits en français, en anglais et en hollandais, et la prononciation y est figurée par des signes. Je vois donc au mot ortographier la notation du son phi figurée par le même signe qui est appliqué à pi dans le mot opiner qui précède. Ainsi donc les Japonais, au lieu de prononcer ortographier, prononceront ortograpier, ou bien ils devront prononcer ofiner au lieu d’opiner.

Avant même que François Ier, par son édit de Villers-Cotterets, du 10 août 1539, eût rendu officielle la langue française, en bannissant le latin de tout acte public, beaucoup de grammairiens et de savants imprimeurs s’étaient occupés de régulariser notre orthographe. Le désordre dans l’écriture du français était alors à son comble: chacun, loin de la rapprocher de sa simplicité antérieure, croyait faire montre de savoir en la compliquant par la multiplicité des consonnes.

Ronsard, après s’être plaint dans la préface de sa première édition de la Franciade, en 1572, de l’impossibilité de se reconnaître dans la «corruption de l’orthographe», écrivait dans sa seconde édition:

«Quant à nostre escriture, elle est fort vicieuse et corrompuë, 5 et me semble qu’elle a grand besoin de reformation: et de remettre en son premier honneur le K et le Z, et faire charactères nouueaux pour la double N, à la mode des Espagnols, ñ, pour escrire monseigneur, et une L double pour escrire orgueilleux[4]

[4] «Tu éviteras toute ORTHOGRAPHIE superflue et ne mettras aucunes lettres en tels mots, si tu ne les prononces en lisant.» (Abrégé de l’Art poétique, par Ronsard, édit. de 1561.)

Plus tard, en tête de son Abrégé de l’Art poétique, il développe plus énergiquement encore son opinion sur la réforme de l’orthographe française. Et le grand Corneille, trente ans avant le Dictionnaire de l’Académie, proposait et appliquait lui-même une écriture plus conforme à la prononciation, devancé même en cela par l’un de ses prédécesseurs à l’Académie, d’Ablancourt, et surpassé en hardiesse par son collègue Dangeau. (Voir les Appendices B et C.)

Cependant, dès l’année 1660, trente-quatre ans avant l’apparition du Dictionnaire de l’Académie, la Grammaire de Port-Royal avait posé les bases de l’accord de l’écriture et de la prononciation; elle voulait:

Pourquoi donc, après de telles prémisses, tant de contradictions qu’on ne saurait justifier et auxquelles l’esprit logique de l’enfance ne se soumet qu’en faisant abandon de cette rectitude de raisonnement qui nous étonne si souvent et nous force d’avouer qu’en fait de langue la raison n’est pas du côté de l’âge mûr?

6 Pour quiconque veut approfondir l’étude de la langue française, rien de plus intéressant que d’en suivre les progrès dans les modifications apportées par l’Académie dans les éditions successives de son Dictionnaire. Dans chacune d’elles, en effet, sont enregistrés les changements résultant soit de la suppression de mots surannés, soit de l’introduction de ceux qu’elle jugeait admissibles, soit de modifications apportées dans l’acception des mots et des locutions. Mais pour ne parler ici que de l’orthographe, c’est dans ses variations successives qu’on peut apprécier cette tendance à la simplification dans la forme des mots qui répond au besoin toujours croissant de mieux conformer l’écriture à la rapidité de la pensée. Par ce qui est fait on jugera mieux de ce qui reste à faire.

PREMIÈRE ÉDITION DU DICTIONNAIRE.

A l’époque où l’Académie résolut de rédiger son Dictionnaire, deux courants opposés portaient le trouble dans les imprimeries: les unes, sous l’influence des Estienne, modelaient leur orthographe sur la langue latine, les autres sur celle de nos vieux poëtes et chroniqueurs. Antérieurement à l’apparition, en 1540, du Dictionnaire de Robert Estienne, on remarque dans nos plus anciens lexiques une orthographe plus simple. Ainsi, dans les glossaires imprimés de 1506 à 1524[5] je vois les mots lait, laitue, extrait, fait, point, hatif, soudain, etc., écrits comme ils le sont aujourd’hui, tandis qu’Estienne les écrit laict, laictue, extraict, faict, poinct, hastif, soubdain, etc. Son système se propagea dans les Dictionnaires. Cependant, en 1630, se produit un retour vers les principes de «notre ancienne et nayve écriture»: Philibert Monet 7 publie dans son Invantaire des deus langues françoise et latine[6] le dictionnaire de la réforme orthographique, auquel cinquante ans plus tard, Richelet, avec plus de faveur, donne une forme plus complète et plus régulière[7]. Tel était l’état des choses, lorsque, après soixante ans de discussion, d’hésitation et d’examen, l’Académie fit paraître son grand travail.

[5] Catholicon abbreviatum. Iean Lambert, 1506.—Vocabularium Nebrissense. 1524.—Vocabularium latinum, gallicum et theutonicum. Strasbourg, Mathis Humpffuff, 1515. On trouve dans ce petit ouvrage les mots ainsi écrits: emorroïdes, idropisie, sansue, otruche, masson, aguille, aguillon, etc.

[6] P. Monet, de la compagnie de Jésus. Invantaire des deus langues françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez de l’un et l’autre Idiome. Lyon, 1635, in-fol. de 6 ff. et 990 pages à 2 colonnes en petit caractère.

[7] Richelet, Dictionnaire françois, etc. Genève, Hermann Widerhold, 1680, 2 tom. petit in-4o. Dans l’Avertissement, Richelet dit que c’est à l’imitation de monsieur d’Ablancourt et de quelques autres auteurs célèbres, qu’on a changé presque toujours l’y grec en i simple; qu’on a supprimé la plupart des lettres doubles et inutiles qui ne défigurent pas les mots lorsqu’elles en sont retranchées, comme dans afaire, ataquer, ateindre, dificile, et non pas affaire, attaquer, atteindre, difficile, etc. Et en effet, dès le début, on trouve dans son Dictionnaire: abesse, abaïe, abatial, abatre, abé, acabler, acablement.

L’apparition du PREMIER Dictionnaire de l’Académie, publié en 1694, fut donc un événement, et on ne saurait être trop reconnaissant du service qu’il rendit alors. Frappée du désordre de l’écriture et des impressions[8], l’Académie, pour y remédier, préféra rapprocher l’orthographe française de la forme du latin littéraire, et cela, malgré l’opposition du vieil esprit français, dont, cent ans plus tôt, Ronsard et d’autres membres de sa pléiade s’étaient montrés les représentants. Elle crut, en s’appuyant sur une langue désormais fixée, donner plus de stabilité à notre orthographe; d’ailleurs on était alors sous l’influence encore toute-puissante de la latinité.

[8] Un seul exemple suffira pour donner une idée des bizarreries et des anomalies de l’orthographe des manuscrits et des impressions: dans une des meilleures éditions du Gargantua de Rabelais (Lyon, François Juste, 1542, in-16), je lis dans le prologue le mot huile écrit en huit lignes de trois manières différentes.

Cependant ce ne fut pas sans luttes et sans opposition au sein même de l’Académie que prévalut l’écriture dite étymologique. M. Sainte-Beuve, dans son article sur Vaugelas, nous en offre une vive image:

8

«Chapelain, nous dit-il, parmi les oracles d’alors, est le plus remarquable exemple de cet abus du grécisme et du latinisme en français; il avait pour contre-poids, à l’Académie, Conrart qui ne savait que le français, mais qui le savait dans toute sa pureté parisienne. Chapelain aurait voulu, par respect pour l’étymologie, qu’on gardât la vieille orthographe de charactère, cholère, avec ch, et qu’on laissât l’écriture hérissée de ces lettres capables de dérouter à tout moment et d’égarer en ce qui est de la prononciation courante. Il trouvait mauvais qu’on simplifiât l’orthographe de ces mots dérivés du grec, par égard pour les ignorants et les idiots, car c’est ainsi qu’il appelait poliment, et d’après le grec, ceux qui ne savaient que leur langue. Vaugelas faisait le plus grand cas, au contraire, de ces idiots, c’est-à-dire de ceux qui étaient nourris de nos idiotismes, des courtisans polis et des femmelettes de son siècle, comme les appelait Courier; il imitait en cela Cicéron qui, dans ses doutes sur la langue, consultait sa femme et sa fille, de préférence à Hortensius et aux autres savants. Moins on a étudié, et plus on va droit dans ces choses de l’usage: on se laisse aller, sans se roidir, au fil du courant.

«Pour moi, disait Vaugelas, je révère la vénérable antiquité et les sentiments des doctes; mais, d’autre part, je ne puis que je ne me rende à cette raison invincible, qui veut que chaque langue soit maîtresse chez soi, surtout dans un empire florissant et une monarchie prédominante et auguste comme est celle de la France[9]

[9] Nouveaux Lundis, t. VI, p. 372.

Et en effet, si l’on examine l’écriture des mots qui figurent dans cette première édition, en la comparant à celle des Cahiers de Remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de l’Académie[10], on voit que la compagnie, en les écrivant plus simplement, montrait déjà plus de réserve et de discernement dans l’emploi des formes étymologiques que ne l’avait fait le secrétaire perpétuel Regnier 9 des Marais dans les Cahiers préparatoires dont il fut l’un des principaux rédacteurs.

[10] Tels que appast, charactere, chameleon, espleuré, écrit ensuite par l’Académie espleuré et esploré, puis éploré, estester (étêter), despourveüe, desgaisner, despescher, desvoyement, phanatique, pyrate, allité, desboesté, que l’Académie écrivit d’abord déboisté, puis déboîté dans la troisième édition.

L’influence de Regnier des Marais «qui avoit employé à cet édifice (la grammaire ordonnée par la compagnie) cinquante ans de reflexions sur nôtre langue, la connoissance des langues voisines et trente quatre ans d’assiduité dans les assemblées de l’Académie, où il avoit presque toûjours tenu la plume»[11], devait naturellement prédominer dans la rédaction du Dictionnaire. Une volonté aussi persévérante, le service réel qu’il rendait en se chargeant de la rédaction difficile de la grammaire dont la société lui avait confié le soin, finirent par l’emporter sur les opinions contraires et les scrupules de ses illustres confrères, parmi lesquels nous voyons Dangeau et d’Ablancourt protester par leurs écrits en adoptant un système entièrement opposé. D’autres membres de l’Académie, tels que Corneille, Bossuet, montrent aussi par leur écriture conservée dans leurs manuscrits qu’ils auraient préféré une orthographe plus simple et plus rapprochée de la forme française. (Voir l’Appendice E.)

[11] Le P. Buffier, dans les Mémoires de Trévoux, t. XXI, p. 1642.

Le courant de la latinité prédomina donc, et l’Académie, pour élever son grand monument littéraire, crut même devoir se conformer à l’exemple donné par les érudits, en adoptant, pour le classement des mots du Dictionnaire, l’ordre savant mais peu pratique dont Robert et Henri Estienne offraient le modèle dans leurs Trésors de la langue latine et de la langue grecque. Les mots rangés, non selon l’ordre alphabétique, mais par familles, furent groupés autour de la racine[12].

[12] A cette édition en deux volumes datée de 1694 se trouvent joints deux autres volumes, même format et même caractère, portant la même date 1694, sous ce titre:

Le Dictionnaire des arts et des sciences, par M. D. C. de l’Académie françoise; tome troisième et tome quatrième, chez la veuve Coignard et Baptiste Coignard.

Le privilége, daté du 7 septembre 1694, est concédé au sieur D. C. de l’Académie française (et rétrocédé par lui à la veuve Coignard et à son fils J.-Baptiste Coignard). On lit au bas: le Dictionnaire a été achevé d’imprimer le 11 septembre 1694. Quant à l’orthographe, c’est la même que celle du Dictionnaire de l’Académie françoise. Elle est encore plus étymologique. Ainsi on y lit phrénésie, phthisie.

La rédaction principale est attribuée à Thomas Corneille. Mais pourquoi le titre porte-t-il par M. D. C. de l’Académie françoise? Je ne vois aucun de ses membres à qui cette indication puisse convenir parmi les noms de ceux qui figurent dans la liste des académiciens placés au commencement du Dictionnaire de l’Académie de 1694. On y lit: «Thomas Corneille receu en 1635 à la place de Pierre Corneille son frère, qui avoit succédé à François Maynard.» D’où peut donc provenir ce D. placé avant l’initiale C. et qui figure aussi au privilége?

10 DEUXIÈME ÉDITION.

Mais bientôt l’Académie, reconnaissant que l’utilité pratique était préférable, renonça, dans sa SECONDE édition, en 1718, à ce classement pour revenir à l’ordre alphabétique, moins rationnel sans doute, mais plus pratique. C’est ce qu’elle annonçait ainsi dans sa préface:

«La forme en fut si différente, que l’Académie donna plutôt un Dictionnaire nouveau qu’une nouvelle édition de l’ancien. L’ordre étymologique, qui dans la spéculation avoit paru le plus convenable, s’étant trouvé très-incommode, dut être remplacé par l’ordre alphabétique, en sorte qu’il n’y eût plus aucun mot que, dans cette seconde édition, on ne pût trouver d’abord et sans peine.»

L’Académie, sans se borner à ce grand changement, matériel, il est vrai, mais si utile, donna à cette seconde édition un caractère tout particulier en l’enrichissant d’un grand nombre de termes d’art et de sciences dont l’usage avait pénétré dans la société. Elle s’appliqua aussi à rectifier et éclaircir les définitions et compléter les acceptions et significations diverses des mots. Le simple mot bon, par exemple, reçut soixante-quatorze significations toutes différentes.

«On ne doit donc pas s’estonner, dit la préface, que ce travail, qui a changé toute la forme du Dictionnaire, ait occupé durant tant d’années les séances de l’Académie, et quant à l’orthographe, l’Académie, dans cette nouvelle édition, comme 11 dans la précédente, a suivi en beaucoup de mots l’ancienne maniere d’escrire, mais sans prendre aucun parti dans la dispute qui dure depuis si longtemps sur cette matière.»

Elle autorisa même, en quelque sorte, la liberté du choix entre l’ancienne et la nouvelle.

Si elle ne supprima pas l’s dans la foule de mots où cette lettre ne se prononce pas, du moins elle prit soin d’indiquer le cas où le son s’en est conservé. Cette différence se trouve donc indiquée dans hospice, hospitalité, où s se prononce, et hoste, hostel, où l’s ne se prononce pas, et également dans christianisme et chrestienté. Elle modifia l’écriture de quelques mots, tels que éploré, au lieu de esploré et espleuré; elle écrivit noircissure et non noircisseure, et sirop, au lieu de syrop, etc., et, en écrivant encore yvroye, elle nota que quelques-uns prononçaient yvraye. Mais déjà bien des tentatives avaient été faites ailleurs, même par des académiciens, en vue d’une réforme, et leur influence ne devait pas tarder à se faire sentir dans le Dictionnaire même.

TROISIÈME ÉDITION.

C’est dans sa TROISIÈME édition, en 1740, que l’Académie, cédant aux vœux manifestés dès le XVIe siècle par tant de philologues, de savants, d’académiciens même, et répétés par des voix autorisées, supprima des milliers de lettres devenues parasites, sans craindre d’effacer ainsi leur origine étymologique: les s, les d disparurent dans la plupart des mots dérivés du latin. Elle n’écrivit plus accroistre, advocat, albastre, apostre, aspre, tousjours, non plus que bast, bastard, bestise, chrestien, chasteau, connoistre, giste, isle[13]. Les y non étymologiques furent remplacés par des i; elle n’écrivit plus cecy, celuy-cy, toy, moy, gay, gayeté, joye, derniers vestiges de l’écriture et des 12 impressions des XVe et XVIe siècles, mais ceci, celui-ci, toi, moi, gai, gaieté, joie, etc. L’y et l’s du radical grec et latin furent même supprimés; ainsi abysme (ἄβυσσος, abyssus) fut écrit abyme, et plus tard abîme; eschole, escholier, écrits dans la première édition escole, escolier, devinrent dans celle-ci école, écolier, yvroye devient ivroye, ensuite ivroie, puis ivraie; de même que subject devint successivement subjet, puis dans sa forme définitive sujet, et Françoys, François, puis Français.

[13] Il nous reste encore, échappés à la réforme de 1740, les mots baptême, Baptiste, dompter, condamner. Bossuet écrit toujours condanner, domter.

Elle supprima aussi le c d’origine latine dans bienfaicteur et bienfaictrice, et le ç dans sçavoir, sçavant, l’e dans le mot insceu[14], impreveu, indeu, salisseure, souilleure, alleure, beuveur, creu, deu, et grand nombre d’autres; vuide, nopce, nud, furent abrégés; le c et l’e disparurent dans picqueure (piqûre); enfin l’Académie remplaça un grand nombre de th et de ph par t et par f, et, contrairement à la première et à la seconde édition, elle retrancha le t final au pluriel des substantifs se terminant par t au singulier; elle écrivit donc les parens, les élémens, les enfans, etc., au lieu de les parents, les éléments, les enfants, etc. On ne voit pas pourquoi elle écrivit flatterie par deux t contrairement aux deux premières éditions et à la manière d’écrire de Bossuet et de Fénelon et même aux Cahiers pour l’Académie.

[14] Voici les variations d’orthographe de ce mot: 1re édition, insçeu, 2e édit., insceu, 3e édit., insçu, 4e édit., insçu, 6e édit., insu.

L’abbé d’Olivet, à qui l’Académie confia ce travail, l’exécuta conformément à ce qu’elle avait déclaré dans la préface: «qu’on travailleroit à ôter toutes les superfluités qui pourroient être retranchées sans conséquence», et il remarque «qu’en cela, le public étoit allé plus vite et plus loin qu’elle.»

J’ai fait le relevé comparatif de ces suppressions de lettres: sur les 18,000 mots[15] que contenait la première édition du 13 Dictionnaire de l’Académie, près de 5,000 furent modifiés par ces changements.

[15] La table de l’édition de 1694 contient 20,000 mots; mais 2,000 mots se composent de participes ou de locutions adverbiales.

Malgré l’importance de ces réformes, on regrette que l’Académie n’ait pas fait encore plus, puisqu’elle constate qu’en cela le public était allé plus loin et plus vite qu’elle[16]; mais d’Olivet, qui reconnaît «n’avoir pu établir partout l’uniformité qu’il aurait désirée,» fut sans doute retenu par la crainte de contrarier trop subitement les habitudes. Il suffisait pour cette fois d’ouvrir la voie dans laquelle l’Académie continue d’âge en âge à perfectionner l’orthographe.

[16] Histoire de l’Académie françoise, par d’Olivet. C’est dans la Correspondance inédite, adressée au président Bouhier (Lettre du 1er janvier 1736), qu’on trouve ces curieux détails:

«A propos de l’Académie, il y a six mois que l’on délibère sur l’orthographe; car la volonté de la compagnie est de renoncer, dans la nouvelle édition de son Dictionnaire, à l’orthographe suivie dans les éditions précédentes, la première et la deuxième; mais le moyen de parvenir à quelque espèce d’uniformité? Nos délibérations, depuis six mois, n’ont servi qu’à faire voir qu’il étoit impossible que rien de systématique partît d’une compagnie. Enfin, comme il est temps de se mettre à imprimer, l’Académie se détermina hier à me nommer seul plénipotenciaire à cet égard. Je n’aime point cette besogne, mais il faut bien s’y résoudre, car, sans cela, nous aurions vu arriver, non pas les calendes de janvier 1736, mais celles de 1836, avant que la compagnie eût pu se trouver d’accord.»

Dans sa lettre du 8 avril 1736 il écrit: «Coignard a, depuis six semaines, la lettre A, mais ce qui fait qu’il n’a pas encore commencé à imprimer, c’est qu’il n’avoit pas pris la précaution de faire fondre des É accentués, et il en faudra beaucoup, parce qu’en beaucoup de mots nous avons supprimé les S de l’ancienne orthographe, comme dans despescher, que nous allons écrire dépêcher, tête, mâle, etc.»

QUATRIÈME ÉDITION.

Cette édition, qui parut en 1762, se distingue particulièrement par l’addition d’un grand nombre de termes élémentaires consacrés aux sciences et aux arts; par la séparation de l’I voyelle de la consonne J et celle de la voyelle U de la consonne V, d’après l’exemple qu’en avait donné la Hollande; par la simplification de l’orthographe d’un grand nombre de mots 14 au moyen de la suppression de lettres inutiles, et par diverses rectifications.

L’Académie expose ainsi ce qu’elle a fait:

«Les sciences et les arts ayant été cultivés et plus répandus depuis un siècle qu’ils ne l’étoient auparavant, il est ordinaire d’écrire en françois sur ces matières. En conséquence, plusieurs termes qui leur sont propres, et qui n’étoient autrefois connus que d’un petit nombre de personnes, ont passé dans la langue commune. Auroit-il été raisonnable de refuser place dans notre Dictionnaire à des mots qui sont aujourd’hui d’un usage presque général? Nous avons donc cru devoir admettre dans cette édition les termes élémentaires des sciences, des arts, et même ceux des métiers, qu’un homme de lettres est dans le cas de trouver dans des ouvrages où l’on ne traite pas expressément des matières auxquelles ces termes appartiennent.

..... «L’Académie a fait dans cette édition un changement assez considérable, que les gens de lettres demandent depuis long-temps. On a séparé la voyelle I de la consonne J, la voyelle U de la consonne V, en donnant à ces consonnes leur véritable appellation; de manière que ces quatre lettres, qui ne formoient que deux classes dans les éditions précédentes, en forment quatre dans celle-ci; et que le nombre des lettres de l’alphabet, qui étoit de vingt-trois, est aujourd’hui de vingt-cinq. Si le même ordre n’a pas été suivi dans l’orthographe particulière de chaque mot, c’est qu’une régularité plus scrupuleuse auroit pu embarrasser quelques lecteurs, qui, ne trouvant pas les mots où l’habitude les auroit fait chercher, auroient supposé des omissions. On est obligé de faire avec ménagement les réformes les plus raisonnables.

..... «Nous avons supprimé dans plusieurs mots les lettres doubles qui ne se prononcent point. Nous avons ôté les lettres, b, d, h, s, qui étoient inutiles. Dans les mots où la lettre s marquoit l’allongement de la syllabe, nous l’avons remplacée par un accent circonflexe. Nous avons encore mis, comme dans l’édition précédente, un i simple à la place de l’y partout où il ne tient pas la place d’un double i, ou ne sert pas à conserver la trace de l’étymologie. Ainsi nous écrivons foi, loi, roi, etc., avec un i simple; royaume, moyen, voyez, etc., avec un y, qui tient la place du double i; physique, synode, etc., avec un y qui ne sert qu’à marquer l’étymologie. Si l’on ne trouve pas une entière uniformité dans ces 15 retranchemens, si nous avons laissé dans quelques mots la lettre superflue que nous avons ôtée dans d’autres, c’est que l’usage le plus commun ne nous permettoit pas de la supprimer.»

L’Académie crut cependant devoir abandonner dans quelques mots usuels l’y étymologique qu’elle remplaça par l’i, et, comme elle l’avait fait dès sa première édition pour cristal, cristalliser, cristallin, etc., elle supprima l’y à chimie, chimique, chimiste, alchimie, alchimiste, qui, dans la précédente, étaient écrits chymie, chymique, chymiste, alchymie, alchymiste; l’y dans absinthe et yvroie fut avec toute raison remplacé par l’i. L’Académie supprima aussi, dans un grand nombre de mots, les th, les ph, les ch, et adopta détrôner, scolarité, scolastique, scolie, scrofule et scrofuleux, pascal[17], patriarcal, patriarcat, flegme, flegmatique, que la troisième édition écrivait encore déthrôner, scholarité, scholastique, scholie, paschal, partriarchal, patriarchat, phlegme, phlegmatique.

[17] On a donc lieu de s’étonner de voir l’h conservé dans anachorète, catéchumène (bien qu’à toutes les éditions antérieures de l’Académie prévienne, de même qu’elle le faisait pour paschal et patriarchal, que l’h ne se prononce pas).

Ces mots flegme, flegmatique, écrits sans ph, furent donc ajoutés dans cette quatrième édition à ceux de fantôme, frénétique, etc., ainsi écrits dans la troisième édition, après avoir d’abord figuré avec ph, dans la première édition. L’Académie supprima quelques lettres doubles, comme dans les mots agrafe, agrafer, argile, éclore, poupe, etc., au lieu d’agraffe, agraffer, argille, éclorre, pouppe; et, parmi quelques autres changements, je remarque qu’au lieu de coeffe, coeffer, coeffeur, elle écrit coiffe, coiffer, coiffeur; genou, au lieu de genouil; anicroche, au lieu de hanicroche; rez de chaussée, au lieu de raiz de chaussée; spatule, au lieu de espatule, qu’elle aurait même dû écrire spathule, puisque ce mot vient de σπάθη; mais alors on tenait moins compte de l’étymologie.

16 Profitant un peu tard des réflexions de Messieurs de Port-Royal (Arnauld et Lancelot), qui, dans leur Grammaire, avaient condamné avec raison la vicieuse épellation:

, , , é, effe, , ache, ji, elle, emme, enne, erre, esse, , ixe, zedde,

l’Académie, après avoir suivi dans cette quatrième édition cet ancien mode d’épellation pour les premières lettres, se ravisant ensuite, l’indique ainsi:

fe, ge, he, je, le, me, ne, re, se, ve, xe, ze.

Cette méthode, qui n’est mise en pratique que depuis peu de temps, rend l’épellation un peu moins difficile; et, en effet, bien que nous ayons, et avec tant de peine! appris à lire, prononcerions-nous sans hésiter les mots qu’on nous a fait ainsi épeler:

erre   e   pé   u   té   a   té   i   o   enne réputation
a   i   elle   elle   e   u   erre   esse ailleurs
dé   a   u   pé   ache   i   enne dauphin
qu   u   i   cé   o   enne   qu   u   e quiconque
pé   ache   a   esse   e phase

Dans cette quatrième édition, la suppression du t final au pluriel des mots (substantifs ou adjectifs) terminés en ant et ent fut maintenue, et l’Académie continua à écrire, contrairement aux deux premières éditions: les enfans, les passans, les élémens, les parens.

C’est aussi dans cette édition que l’Académie indiqua, d’une manière bien plus complète qu’elle ne l’avait fait dans la précédente, l’orthographe des temps des verbes dont elle donna le modèle de conjugaison; ainsi au mot voir on lit: je VOI ou je VOIS, il voit, nous voyons, vous voyez, ils voyent; je voyois, etc. Il est regrettable que l’indication de cette double forme de la première personne du présent de l’indicatif ne se trouve pas reproduite dans le Dictionnaire aux autres mots, tenir, venir, vaincre, connaître, etc., ce qui aurait laissé aux 17 poëtes la liberté d’employer l’une ou l’autre forme, comme l’a fait si souvent Corneille pour je tien, je vien, je voi, je vinc, je cognoi[18]. Cette orthographe, conforme à la conjugaison latine, video, -es, -et, permet de distinguer la première personne de la deuxième du présent de l’indicatif, je vien, tu viens, il vient, et cela d’accord avec le vieux français et les anciennes grammaires françaises, celles des Estienne entre autres, où l’s n’existe pas à la première personne du singulier du présent de l’indicatif de nos verbes.

[18] On en trouve des exemples dans La Fontaine, Racine, Molière et même dans Voltaire:

La mort a respecté ces jours que je te doi,
Pour me donner le temps de m’acquitter vers toi.
(Alzire, II, 2.)

Je trouve aussi quelquefois dans sa correspondance pui-je.

CINQUIÈME ÉDITION.

Publiée en dehors du concours de l’Académie, l’édition citée quelquefois comme la cinquième n’a point été cependant reconnue officiellement. Et, en effet, bien que le titre porte: Dictionnaire de l’Académie françoise, revu, corrigé et augmenté par l’Académie elle-même, cette CINQUIÈME édition ne fut point donnée par l’Académie; elle ne parut qu’en vertu d’une LOI datée du premier jour complémentaire de l’an III de la République françoise (1795), portant que: l’Exemplaire du Dictionnaire de l’Académie françoise, chargé de notes marginales, sera publié par les libraires Smith, Maradan et compagnie.

Et l’article III porte: «Lesdits libraires prendront avec les Gens-de-Lettres de leur choix les arrangements nécessaires pour que le travail soit continué et achevé sans délai[19]

[19] Garat, dans la préface dont il fut le rédacteur, dit: «Il y avoit trois Académies à Paris: l’une consacrée aux Sciences; l’autre aux recherches sur l’Antiquité; la troisième à la Langue Françoise et au Goût. Toutes les trois ont été accusées d’aristocratie, et détruites comme des institutions royales nécessairement dévouées à la puissance de leurs fondateurs.»

18 Dans quelle proportion les notes marginales, œuvre de l’Académie, figuraient-elles dans cette révision, on l’ignore; l’exemplaire original n’a pas été conservé, mais la majeure partie des additions sont dues à Selis et à l’abbé de Vauxelles, auxquels fut adjoint un correcteur habile, Gence.

Cette édition parut en 1795: elle fut donc revue et imprimée en trois ans.

On aurait pu croire qu’à cette époque, où l’Académie par son absence laissait toute liberté aux améliorations orthographiques, les concessionnaires en auraient largement profité en vue de faciliter l’éducation publique; mais, par ces changements trop apparents, le prestige attaché au nom de Dictionnaire de l’Académie eût été amoindri; et comme cette entreprise faite sans son aveu avait en vue plutôt un but commercial que littéraire, les éditeurs, pour mieux lui conserver son caractère, crurent devoir ne rien innover, et rejetèrent à la fin en appendice «les mots ajoutés à la langue par la Révolution et la République». Je ne vois donc, quant à l’orthographe, que quelques mots, tels qu’analise, analiser, analitique, où l’y ait été remplacé par l’i, et dès lors l’imprimerie adopta cette orthographe; mais du moment où l’y fut rétabli par l’Académie dans sa sixième édition, il reparut dans toutes les impressions, de même qu’il disparaîtra, si l’Académie croit devoir lui substituer l’i dans l’édition qu’elle prépare.

SIXIÈME ÉDITION.

Dans sa SIXIÈME édition, publiée en 1835, l’Académie, se déjugeant elle-même, ne sanctionna plus la suppression du t final au pluriel des mots dont le singulier se terminait en ant et en ent, et, après une discussion approfondie, elle crut devoir rétablir au pluriel le t à tous les mots d’où elle l’avait fait disparaître dans les deux précédentes éditions. En écrivant 19 dès lors amants, éléments, parents, passants, et non amans, élémens, parens, passans, toute confusion avec l’écriture des mots dont le singulier est en an, comme artisans, charlatans, paysans, passans, etc., cessait, et l’orthographe des féminins pluriels paysannes et amantes ne pouvait offrir d’équivoque. Tronquer ainsi au pluriel la finale du singulier, c’était contrevenir à la règle grammaticale qui forme le pluriel par l’addition de l’s.

Malgré le besoin de simplifier l’écriture, ce retour à un ancien principe, qui nécessitait cependant une addition considérable de lettres, fut accepté, bien qu’il contrariât les habitudes déjà prises: il était logique. Toutefois je dois dire que quelques auteurs et imprimeurs maintiennent encore la suppression du t; tant on a de peine à ajouter des lettres, tant la tendance à les supprimer est caractéristique.

C’est dans cette sixième édition qu’une innovation importante fut enfin admise par l’Académie: la substitution de l’a à l’o dans tous les mots où l’o se prononçait a. L’Académie suivit en cela l’exemple donné par Voltaire[20]. Cette modification, qui s’étendit sur un grand nombre de mots, fut accueillie du public avec reconnaissance, malgré l’opposition opiniâtre de Chateaubriand, de Nodier et de quelques académiciens. Maintenant que cette orthographe a prévalu, oserait-on écrire ou même regretter j’aimois, il étoit, qu’il paroisse?

[20] Corneille faisait rimer cognoistre, connoître, reconnoistre, reconnoître, avec naître, renaître, traître, et paroistre avec estre. Vingt-six ans avant l’apparition du Dictionnaire de l’Académie, on lit dans la première édition de l’Andromaque de Racine, acte III, sc. I, ces vers:

M’en croirez-vous? lassé de ses trompeurs attraits,
Au lieu de l’enlever, Seigneur, ie la fuirais,

où l’o est remplacé par l’a dans fuirais, innovation à laquelle Racine crut devoir renoncer, puisque, sept ans plus tard (en 1675), il corrigeait ainsi ce vers, pour se conformer à l’usage:

Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais.

20 Les améliorations dans cette édition ne se bornèrent pas à ces deux grands changements dans l’orthographe; l’uniformité de la prononciation depuis un siècle permit de régulariser en grande partie l’emploi des accents et de supprimer beaucoup de lettres effacées dans la prononciation; l’écriture des dérivés devint plus conforme à celle de leurs simples[21]; enfin l’Académie, en réunissant, par l’introduction des tirets ou traits d’union, les mots ou locutions adverbiales, tenta de remédier à l’inconvénient de laisser séparés des mots qui, lorsqu’ils sont isolés, offrent un sens tout autre que celui qu’ils acquièrent par leur union.

[21] Psaume au lieu de pseaume, incongrûment au lieu d’incongruement, dégrafer au lieu de dégraffer, et souvent et par une fâcheuse rectification, charriage, charrier et charrette, qui, dans les précédentes éditions, s’écrivaient chariage et charier, comme chariot, etc.

Mais, durant les soixante-treize années d’intervalle entre la quatrième et la sixième édition, que de changements opérés en France! Un nouvel ordre de choses était né, et, pour refléter les passions de la tribune et de la presse, le langage avait vu son domaine s’accroître de locutions inconnues aux grands auteurs du XVIIe siècle, à Rousseau, à Voltaire lui-même. En législation, en économie sociale, en administration, tout était transformé, et, dans l’ordre matériel, de grands progrès s’étaient accomplis. Chaque mot concernant la jurisprudence, la politique, les sciences et les arts, exigeait une révision scrupuleuse ou un examen attentif. L’Académie ne devait donc admettre qu’avec prudence et après de longues discussions des néologismes qui pouvaient n’être qu’éphémères. Sous la direction successive des secrétaires perpétuels, MM. Raynouard, Auger, Andrieux, Arnault, Villemain, fut accompli ce grand travail, qui ne dura pas moins de quinze années.

On ne s’en étonnera pas, si l’on songe aux difficultés que présentait la définition de certains mots, tels que Liberté, 21 Droit, Constitution, qui chacun ont occupé quelquefois toute une séance de l’Académie entière, devant laquelle chaque mot, rédigé d’abord par une commission nommée dans son sein, était discuté ensuite, entre MM. de Pastoret, Dupin, Royer-Collard, de Ségur, Daru, etc., pour tout ce qui concerne la jurisprudence ou la législation, l’administration ou la diplomatie;

Andrieux, Villemain, de Féletz, Campenon, Lacretelle, Étienne, Arnault, etc., pour tout ce qui tient à la grammaire et à la délicatesse de la langue;

Cuvier, Raynouard, de Tracy, Cousin, Droz, etc., pour toutes les matières de science, d’érudition et de philosophie.

Indépendamment des ressources que lui offrait la variété des connaissances de tant d’hommes supérieurs, l’Académie eut souvent recours aux membres les plus distingués des autres Académies, tels que Biot, Fourier, Thenard, Arago, pour la révision d’articles qui sortaient de ses attributions spéciales.

Mais ce mouvement général des esprits eut une influence très-marquée et, on peut le dire, regrettable sur l’orthographe et l’intégrité même du français. Dans les sciences d’observation, physique, chimie, botanique, zoologie, nosologie, tout était renouvelé; leur classification et leur nombreuse nomenclature exigeaient un accroissement et une création de termes nouveaux, pour lesquels la littérature grecque offrait, dans son vaste domaine scientifique, une mine inépuisable. Ce fut donc à la langue grecque, dont la flexibilité et la richesse se prêtaient si bien à la composition des mots destinés à exprimer ces nouveaux besoins, que l’on dut naturellement recourir pour forger et souder cette multitude de termes spéciaux. Par ce moyen, une définition qui eût exigé en français une longue périphrase trouvait concentrée en un seul mot; mais, comme ces composés n’étaient intelligibles qu’à ceux qui savaient le grec, ils défrancisaient notre langue.

Sous l’impression de cet envahissement archéologique, l’Académie, dans sa sixième édition, eut un moment d’hésitation, 22 et tenta même, pour trois ou quatre mots d’origine grecque, déjà surchargé de consonnes, d’y ajouter encore une h: rythme devint rhythme, aphte devint aphthe, phtisie devint phthisie, et diphtongue (que Corneille et l’Académie elle-même écrivaient toujours ainsi) devint diphthongue; synecdoque, ainsi écrit dans la quatrième édition, devint synecdoche. Cet essai malheureux, qui partait d’un principe contraire au génie de notre langue, fut généralement réprouvé, et ne servit qu’à mieux démontrer la tendance de l’écriture française, du moins pour les mots usuels, à se rapprocher des formes de notre ancienne langue, antipathique à l’appareil scientifique des ph et des th.

Une distinction devrait donc s’établir entre les termes d’un ordre purement scientifique, qui, par leur nature même, conviennent à des ouvrages spéciaux[22], et les mots qui, quoique savants, sont indispensables à la langue usuelle dont ils font partie. Tout en éloignant l’idée de rien changer à la nomenclature purement scientifique (excepté le ph qui serait si bien remplacé par notre f), et en reconnaissant l’utilité des composés grecs où se complaisent les adeptes, on désirerait que, du moment où un mot a servi comme une monnaie nationale à la circulation journalière, il n’apparût au Dictionnaire de l’Académie que revêtu de notre costume: l’Usage, en lui donnant le droit de cité, l’a rendu français.

[22] Tel est le Dictionnaire de Nysten, continué par MM. Littré et Robin. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les mots qui le composent pour reconnaître qu’ils n’ont rien de français.

Après avoir successivement supprimé dans un si grand nombre de mots les lettres étymologiques et introduit d’importantes modifications dans les signes orthographiques, l’Académie jugera peut-être le moment venu d’imiter (et sa tâche serait bien moindre) l’exemple que ses prédécesseurs lui ont donné, surtout dans leur troisième édition. La liste des mots où pourraient s’opérer ces modifications n’est 23 point aussi considérable qu’on serait tenté de le croire.

L’usage si fréquent que j’ai dû faire, et que j’ai vu faire sous mes yeux, dans ma longue carrière typographique, du Dictionnaire de l’Académie, m’a permis d’apprécier quels sont les points qui peuvent offrir le plus de difficultés. J’ai cru de mon devoir de les signaler.

L’Académie rendrait donc un grand service, aussi bien au public lettré qu’à la multitude et aux étrangers, en continuant en 1868 l’œuvre si hardiment commencée par elle en 1740 et qu’elle a poursuivie en 1762 et en 1835. Il suffirait, d’après le même système et dans les proportions que l’Académie jugera convenables:

Parmi ces principales modifications généralement réclamées, 24 l’Académie adoptera celles qu’elle jugera le plus importantes et le plus opportunes. Quant à celles qu’elle croira devoir ajourner, il suffirait, ainsi qu’elle l’a fait quelquefois dans la sixième édition, et conformément à l’avis de ses Cahiers de 1694[23], d’ouvrir la voie à leur adoption future au moyen de la formule: Quelques-uns écrivent...; ou en se servant de cette autre locution: On pourrait écrire... Par cette simple indication, chacun ne se croirait pas irrévocablement enchaîné, et pourrait tenter quelques modifications dans l’écriture et dans l’impression des livres.

[23] Voyez l’Appendice A.

Voici ce qui est dit en tête même des Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de Messieurs de l’Académie:

«La premiere observation que la Compagnie a creu devoir faire, est que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres, l’orthographe n’est pas tellement fixe et determinée qu’il n’y ait plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux differentes manieres, qui sont toutes deux esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en a une des deux qui n’est pas si usitée que l’autre, mais qui ne doit pas estre condamnée[24].»

[24] Soit donc que l’Académie écrive orthographe et même ortografie, ortographe ou ortografe, elle pourrait ajouter: [On a écrit aussi ortographie.] Dans le Dictionnaire de Nicod (Paris, 1614, in-4o), on ne trouve point orthographe, mais ortographie, conformément à Du Bellay, qu’il cite pour autorité.

Les changements, lorsqu’ils s’introduisent successivement dans l’orthographe, ne sauraient causer un grave préjudice aux éditions récentes. Ces modifications passent inaperçues d’une partie du public et se perdent dans la masse. On peut d’ailleurs en juger par la comparaison de l’orthographe des textes originaux de nos écrivains dits classiques avec celle de leurs éditions récentes: modifiée du vivant même de l’auteur et plus tard par les progrès successifs de l’écriture académique, 25 elle diffère sensiblement de l’impression primitive. Aucun trouble cependant n’en est résulté dans les habitudes, et nous lisons sans difficulté nos grands écrivains du dix-septième siècle dans leurs éditions originales. Leur antiquité leur prête même un charme de plus.

Toute innovation, sans doute, surprend et paraît même chocante au premier abord; mais, une fois introduite, elle devient aussitôt familière. C’est une véritable conquête qui, dès lors et d’un consentement unanime, fait partie du domaine public.

Et, en effet, qui voudrait aujourd’hui écrire, conformément au Dictionnaire de 1694: adveu, advoué, abysmer, aisné, autheur, bienfacteur, connoistre[25], chresme, desgoustant, escrousté, feslé, horsmis, yvroye, phantosme, phlegme, etc.; ou bien encore: costeau, deschaisnement, déthroner, entesté, eschole, espy, gayeté, giste, mechanique, monachal, noircisseure, ostage, ptisanne, saoul, thresorier, stomachal[26], je sçay, vuide, vuider, etc.?

[25]

congnoistre, Manuscrits de l’Hospital et autres.
cognoistre, Dict. de Robert Estienne, 1540.
connoistre, 1re édit. du Dict. 1694.
connoistre, 2e édit. du Dict. 1718.
connoître, 3e édit. du Dict. 1740.
connoître, 4e édit. du Dict. 1762.
connaître, 6e édit. du Dict. 1835.

On propose d’écrire, dans la nouvelle édition, conformément à la prononciation, conaître avec un seul n, et l’on devrait même écrire conètre, ce qui distinguerait, d’accord avec l’étymologie, naître, venant de nasci (nascerunt ou nascêre) de conètre qui vient de noscere. Ainsi, sur dix lettres, trois, auraient successivement disparu sans le moindre inconvénient. Dans un manuscrit inédit du chancelier Michel de l’Hospital, que je possède, je lis même ce mot, écrit partout avec un n de plus, congnoissance. C’est ainsi que d’eschole on a fait définitivement école, en supprimant deux lettres en ce mot seul qui en avait sept. Il en est de même de espy, desgoustant, estesté, qui sont devenus épi, dégoûtant, étêté, etc. On pourrait même quelquefois, en se rapprochant de l’origine latine, simplifier l’orthographe de certains mots. Ainsi, pourquoi écrire, vaincre, vainqueur, les mots vincere, victor, irrégulièrement transportés du latin? Puisque nous écrivons victorieux et invincible, écrivons vincre et vinqueur, ne fût-ce que pour conserver l’uniformité d’orthographe dans ce vers:

Ton bras est invaincu, mais non pas invincible.

[26] L’Académie écrivait, dans sa première édition, stomachal; dans la seconde, stomacal; dans la troisième, stomachal; dans la quatrième et la sixième, stomacal, qui est sa forme définitive.

26 Avec la deuxième édition, celle de 1718: abbatre, abestir, adjouster, advis, advoué, asne, bestise, beveue, creu, dépost, desdain, estain, estincelle, espatule, estuy, inthroniser, leveure, obmettre, pluye, pourveu, quarrure, relieure, vraysemblance, etc.?

Avec la troisième édition, celle de 1740: chymie, alchymie, chymiste, etc., frére, mére, naviger, quanquam (pour cancan), patriarchal, paschal, pseaume, quadre, quadrer, des qualitez, des airs affectez, etc.?

Avec la quatrième édition: foible, foiblesse, enfans, parens, qu’il paroisse, écrit comme la paroisse, pseaume, reconnoissance, je voulois, ils étoient (écrit auparavant estoient, puis enfin étaient)?

Dès à présent on s’étonne d’écrire avec la sixième: cuiller, roideur, roide, aphthe, phthisie, rhythme, diphthongue. Quatre consonnes de suite! l’orthographe du quinzième siècle n’en admettait que deux et écrivait diptongue, spère (sphère ou plutôt sfère), σφαίρα.

Si l’orthographe étymologique a l’avantage, bien faible à mon avis, de mettre sur la trace des racines, et d’aider parfois à deviner la signification du mot quand on possède à fond les langues anciennes, ce système qui, pour être rationnel, ne saurait admettre ni transaction ni demi-parti, sans mettre souvent en échec le savoir philologique, n’est plus, depuis 1740, un système, c’est le désordre. D’ailleurs l’étymologie n’est souvent qu’un guide peu sûr pour découvrir le sens actuel des vocables dont la signification s’est modifiée dans le cours des âges, au point de devenir méconnaissable, ainsi que M. Villemain l’a si bien démontré dans la préface du Dictionnaire de 1835.

Il ajoute même, et avec plus de force encore, cette réflexion: «La science étymologique n’est pas nécessaire pour la parfaite intelligence d’une langue arrivée à son état de perfection. 27 L’analogie et l’étymologie peuvent bien fournir matière à quelques observations curieuses et plus souvent encore à des disputes inutiles, mais elles ne déterminent pas toujours la véritable signification d’un mot, parce qu’il ne dépend que de l’usage. Rien, en effet, n’est plus commun que de voir des mots qui passent tout entiers d’une langue dans une autre, sans rien conserver de leur première signification.»

En effet, quel avantage peut offrir à l’esprit, même pour qui sait le grec, la présence du ph ou th dans les mots de la langue usuelle, surtout quand, effacés dans certains mots, on les voit reparaître dans d’autres dérivés également du grec? La mémoire, quelque présente qu’elle soit, vient-elle jamais assez tôt aider l’intelligence pour lui indiquer le sens en français du mot primitivement grec? Prenons pour exemples les mots strophe et apostrophe: l’un et l’autre viennent de τρέπω, στρέφω], qui signifie tourner; mais, pour trouver quel rapport relie ce mot avec strophe, il faut se représenter le mouvement demi-circulaire de choristes chantant ensemble des pièces lyriques, auxquels d’autres choristes exécutant un mouvement contraire répondent par un autre chant, ce que strofe représente aussi bien que strophe. Quant à apostropher, qui dérive aussi du verbe τρέπω ou στρέφω, il faut savoir que, par cette figure de rhétorique, on doit voir le geste et l’animation de l’orateur se tournant vers la partie adverse pour l’apostropher.

Et quant à la figure de grammaire, l’apostrophe, qui dérive aussi du même verbe, je suis assez embarrassé de l’expliquer. A en juger par l’aspect qu’offre la forme demi-circulaire de ce signe (’), dont l’emploi indique l’élision, j’aimerais à y voir l’influence du verbe τρέπω, tourner, mais les savants ne sont pas d’accord à ce sujet.

Obtient-on plus de lumières quand on sait que thèse (Voltaire écrivait tèse) vient de τίθημι, placer? Par quel effort de mémoire se rappeler les détours qui rattachent ce verbe avec la thèse que soutient un candidat!

28 Ces curiosités offrent quelque intérêt au très-petit nombre de ceux qui se livrent à ce genre d’études, mais ces mots, qu’ils soient écrits avec ou sans th et ph, seront tout aussi bien présents à leur esprit que l’est notre vieux mot frairie, quoique écrit avec notre f et qui rappelle tout aussi bien phratria des Latins, et φράτρια des Grecs, que si on l’écrivait phrairie. Que rhétorique vienne de ρέω, couler comme de l’eau, et flegme de φλέγμα, qui signifie inflammation et pituite, c’est par des déductions bien éloignées que l’on peut s’y reconnaître. Je ne vois point quel avantage il y aurait à écrire phrénésie au lieu de frénésie, puisque l’esprit n’est en rien soulagé lorsqu’en lisant ce mot il doit se rappeler que φρήν, d’où il dérive, signifie esprit, jugement, ce qui est précisément le contraire de frénésie, frénétique[27].

[27] Φρενιτιάω, qui dérive également de φρήν, a, il est vrai, le sens que nous donnons à frénésie; mais, pour recourir même à cette origine, il faudrait écrire ce mot frénisie ou frénite, frénitique, et non frénésie, frénétique; en grec Φρενῗτις, φρενιτικός.

Ces minutieuses distinctions, du domaine de la philologie, et sujettes à des discussions interminables, maintenant surtout que les origines sanscrites sont invoquées en étymologie, doivent-elles prendre place dans l’enseignement de l’orthographe? est-ce, d’ailleurs, dans un Dictionnaire de la langue usuelle qu’elles doivent s’offrir?

La conclusion logique de tout ceci, c’est qu’il n’y a pas lieu de tenir rigoureusement compte de ce genre d’étymologie dans l’écriture, et qu’on ne doit la conserver qu’aux mots spécialement consacrés à la science et de récente formation.

Un helléniste, d’ailleurs, reconnaîtra tout aussi bien dans une orthographe française simplifiée les vestiges grecs ou latins que le fait dans sa langue un Italien ou un Espagnol. Qu’on écrive phénomène ou fénomène, fantôme ou phantôme, orthographe ou ortographe ou plutôt ortografe (et mieux encore ortografie), diphthongue ou diftongue, métempsychose ou métempsycose, 29 ce sont toujours des mots grecs pour celui qui sait le grec: mais il s’étonnera de voir certains mots ainsi accoutrés, tandis que d’autres de même provenance ne le sont pas. Cette manière d’écrire, agréable à certains humanistes, satisfait-elle toujours un goût délicat? Molière eût-il vu avec plaisir son Misantrope et sa Psiché écrits autrement qu’il ne l’a fait dans toutes ses éditions[28]? Quant aux personnes, en si grand nombre, qui ne savent pas le grec, l’orthographe étymologique ne peut leur être d’aucun secours. Doit-on faire apprendre le grec dans les écoles primaires? Il faudrait même alors que cette étude, aussi bien que celle du latin précédât l’enseignement du français. D’ailleurs, ces mots que nous écrivons tantôt par th et ph et tantôt par t ou f, bien que tous dérivés du grec, avaient primitivement un son dès longtemps perdu et que n’a jamais connu la basse latinité d’où procède notre langue. Ainsi fameux, dérivé de φήμη, en éolien φάμα, transformé par les Latins en fama, d’où famosus, n’a pas été écrit par eux avec ph, parce que, disent les grammairiens, les mots écrits par ph se prononçaient avec une différence marquée, pour distinguer le f et le ph. Quintilien nous apprend que les Latins, en prononçant fordeum (pour hordeum) et fœdus, faisaient entendre un son doucement aspiré, mais qu’au contraire les Grecs donnaient à leur Φ une aspiration très-forte, au point que Cicéron se moquait d’un témoin qui, ayant à prononcer le nom de Fundanius, ne pouvait en proférer la première lettre[29]. Puisque nous savons qu’il a plu aux 30 Latins d’écrire certains mots dérivés du grec les uns par ph, les autres par f (bien qu’en grec la lettre φ soit toujours la seule et la même pour tous) afin de les prononcer à leur guise, prononçons alors différemment les mots où l’on voudrait encore conserver le ph. Distinguons donc la prononciation phénomène, φαινόμενον, traduit par les Latins phænomenon, de celle de frairie, φρατρία, revêtu d’un f par les Latins (fratria), et tâchons de retrouver ce je ne sais quel pulsus palati, linguæ et labrorum dont parle Quintilien. Mais déjà nous prononçons le son f de deux manières, faible avec l’f simple dans afin et facile, forte avec la double f dans affliger et affreux. Pour être conséquents, nous devrions prononcer philosophie avec un troisième son encore plus rude. L’Académie qui, dans le cours de ses éditions, a déjà remplacé par notre f français le ph des Latins dans un si grand nombre de mots, ne devrait plus tolérer de tels contrastes.

[28] La première édition du Misantrope est de 1667; celle de Psiché, de 1671. Dans les diverses éditions des œuvres jusqu’à celle de 1739, 8 vol. in-12, donnée soixante-six ans après la mort de l’auteur, je vois ces deux comédies exactement imprimées sous ce titre, et le Théâtre-Français avait si bien conservé l’ancienne tradition que l’un de nos plus célèbres académiciens se rappelle avoir vu dans sa jeunesse, sur les affiches du Théâtre-Français, le nom du Misantrope écrit sans h. On n’a plus, malheureusement, aucun manuscrit de la main de Molière, mais on peut être assuré qu’il écrivait selon l’orthographe française.

[29] «Quin fordeum fœdusque pro aspiratione vel simili littera utentes: nam contra Græci aspirare solent, ut pro Fundanio Cicero testem, qui primam ejus litteram dicere non posset, irridet.» Instit. orat., I, 4, 14. Terentianus Maurus dit que la lettre f en latin avait un son doux et faible: «Cujus (literæ f) a græca (litera φ) recedit lenis atque hebes sonus,» p. 2401, éd. Putsch.

Priscien, p. 542, dit que dans beaucoup de mots le φ a été remplacé par le f: fama, fuga, fur (φώρ), fero, etc., et que dans d’autres on garde ph: «Hoc tamen scire debemus quod non tam fixis labris pronuntianda f, quomodo ph, atque hoc solum interest inter f et ph.» Ailleurs, p. 548, il ajoute: «Est aliqua in pronuntiatione literæ f differentia (d’avec le φ), ut ostendit ipsius palati pulsus et linguæ et labrorum.»

Pourquoi les Grecs écrivaient-ils certains mots par θ et d’autres par τ? Parce que la prononciation du θ différait sensiblement de celle du τ, et cette prononciation du θ, th, qui se conserve encore chez les Grecs, se retrouve et avec le même son dans la langue anglaise. Un Anglais prononcera donc autrement que nous authentique, épithète, mythologie, théâtre. Mais puisqu’en français le th et le t n’ont qu’un seul et même son parfaitement identique, nous devons, ainsi qu’on l’a fait pour trésor, trône, etc., écrire par un seul et même signe tous les mots qui, par un long usage, sont devenus français. En suivant cette voie, on rendra notre orthographe logique et conséquente.

31 La bizarrerie de notre écriture est le premier objet qui frappe les yeux aussi bien des nationaux que des étrangers; elle contredit l’esprit net, clair et logique du français que l’Académie maintient dans sa pureté par l’exactitude de ses définitions et la précision de ses exemples. L’illustre compagnie doit donc apporter le même soin à l’orthographe, qui est l’empreinte visible de notre langue transmise par tant de chefs-d’œuvre jusque dans des contrées dont nous ignorons même le nom.

Puisque pour les mots que nous empruntons aux langues vivantes, nous cherchons à franciser leur orthographe plutôt que de conserver leur figure originaire, pourquoi ne pas agir de même à l’égard des langues mortes? On s’est accordé à écrire, à la satisfaction de tous, vagon et non waggon, valse et non walse, chèque et non check, cipaye et non cipahi, contredanse et non country dance, gigue et non gig, loustic et non lustig, arpége et non arpeggio, roupie et non rupee, stuc et non stucco. De riding coat on a fait redingote, de beefstake, bifteck, qu’il serait mieux d’écrire biftec, de roast beef, rosbif; de packet boat, paquebot; de toast, tost et toster; de sauer kraut, choucroute, etc. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les mots où les th, les ph figurent aussi désagréablement dans notre système orthographique que les w et les k des Saxons et des Germains, tandis que nos mots dérivés du grec reprendraient si bien leur figure française avec des f et des t?

L’Académie, d’ailleurs, par un moyen simple et adopté aujourd’hui dans tous les dictionnaires, peut maintenir la tradition étymologique, bien plus efficacement que par la conservation accidentelle de quelques lettres qui troublent la simplicité de notre orthographe: il suffirait dans la prochaine édition de placer en regard du mot français le mot grec d’où il dérive immédiatement. Si, dans la première édition de son Dictionnaire et même dans les suivantes, l’Académie fit acte de 32 haute sagesse en n’y faisant pas figurer les étymologies grecques et latines, attendu que la science, alors incertaine, faisait souvent fausse route, aujourd’hui les bases des étymologies sont trop assurées pour que l’addition des mots racines puisse être un sujet de controverse, étant surtout limitée aux seuls mots qui dans le Dictionnaire avaient des th et des ph.

Renchérir sur le premier Dictionnaire de l’Académie et réintégrer dans la langue française l’orthographe étymologique grecque et latine dans des milliers de mots d’où l’usage et l’Académie l’ont bannie est une impossibilité, tandis que la modification qui atteindrait les th et ph des mots de la langue usuelle qui les conservent encore ne porterait pas sur plus de deux cents mots[30].

[30] Les mots de la langue usuelle ayant un th sont au nombre d’environ soixante-dix: ceux, un peu plus nombreux, ayant un ph sont du nombre d’une centaine. Les autres, pour la plupart, sont des termes de médecine, de chirurgie ou des arts, qui s’écrivent rarement, et sont consacrés à des professions spéciales; les personnes qui les exercent en connaissent l’origine et la signification, ce qui pourrait exempter ces mots d’être revêtus d’une forme bizarre que les Grecs, amis du simple et du beau, ne reconnaîtraient pas. Les mots ichthyographie, triphthongue, apophthegme, contiennent chacun deux ou trois consonnes déplaisantes qu’ils n’ont pas en grec: ἰχθυογραφία, τρίφθογγος, ἀπόφθεγμα, etc. Toutefois, comme ces mots ne sont pas de la langue usuelle, on pourrait leur conserver leur appareil scientifique.

Je lis dans un des écrits les plus sages sur la réforme de l’orthographe le passage suivant[31]:

«Si l’on veut conserver l’étimologie, il faut remètre des consones sans valeur dans plus de dis mile mots d’où on les a banies depuis long-temps. Quelque sistême qu’on veuille adopter, il faut tâcher d’être conséquent. L’usage actuel et le sistême des étimologies sont trop souvent en contradiction pour qu’on puisse alier ensemble les principes de l’un et de l’autre. Ainsi, puisque la prononciation nous a fait abandonner l’étimologie dans une partie de nos mots, la même raison nous invite à l’abandonner dans les létres étimologiques ne se prononçant point.»

[31] De l’Orthographe, ou des moyens simples et raisonnés de diminuer les imperfections de notre orthographe, de la rendre beaucoup plus aisée, pour servir de supplément aux différentes éditions de la grammaire française de M. de Wailly (membre de l’Académie française). Paris, Barbou, 1771, in-8.

33 Parmi les notes que mon père avait écrites en 1820, lorsque, avec MM. Raynouard, Andrieux et quelque autres de ses amis, on discutait les principes que l’Académie croirait devoir adopter pour l’orthographe, je transcris celle-ci:

«Je crois qu’on doit chercher à mettre le plus de simplicité possible dans l’orthographe. Je sais qu’on a de la peine à abandonner la méthode qu’on a longtemps suivie et, comme le dit Horace:

....... quæ
Imberbi didicere, senes perdenda fateri;

mais l’expérience me démontre que la simplicité dans l’orthographe est nécessaire. Je suis déjà avancé en âge. Après avoir fait une étude constante de la langue française, au moment de quitter la carrière typographique, je suis las de feuilleter sans cesse des dictionnaires qui se contredisent entre eux et se contredisent eux-mêmes. J’oserai le dire, bien qu’en hésitant encore: je voudrais qu’on écrivît le mot philosophe non-seulement avec un f à la dernière syllabe, comme le proposait de Wailly, mais je mettrais ce f même à la première syllabe, comme font les Italiens et les Espagnols. Mais, dira-t-on, l’Académie française sera accusée d’ignorance. Ce ne sont point les érudits, au moins, qui l’en accuseront. Ils savent bien que ce f est le DIGAMMA ÉOLIQUE dont faisaient usage non-seulement les Éoliens et les anciens Grecs, mais les inscriptions latines et les bons écrivains latins comme Catulle, Térence, etc.[32]

«On a crié beaucoup la première fois qu’on a écrit le mot phantôme avec un digamma éolique ou f. Alors les dictionnaires modernes ont commencé à insérer ce mot fantôme à la lettre F, mais en renvoyant au mot phantôme par un ph pour la définition et les exemples; ensuite on a écrit le mot fantôme avec la définition et les exemples à la lettre F, et on a seulement inscrit le mot phantôme avec le ph en renvoyant au mot fantôme par un f; et maintenant on ne trouve plus le mot phantôme par ph dans le Dictionnaire de l’Académie.»

[32] Seulement cette lettre paraît avoir été chez les anciens le signe d’une aspiration, tandis que chez nous elle est douce et euphonique, et convient ainsi parfaitement à l’emploi qu’on lui destine.

34 Voltaire dans sa correspondance écrivait philosofe ou filosofe, philosofie ou filosophie, et dans son Dictionnaire philosophique faisait ranger à la lettre F l’article Philosophie; on lit en tête de cet article:

«Écrivez filosofie ou philosophie comme il vous plaira[33]

[33] C’est à la lettre F que Voltaire avait fait placer l’article Philosophe, sous ce titre: Filosofe ou PHILOSOPHE.

Les améliorations introduites dans la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie n’eurent plus un seul contradicteur, du moment qu’elles y furent admises. Il en sera de même de toutes celles que l’Académie croira devoir approuver. Sans rien violenter, elles auront l’avantage d’épargner du temps et de la fatigue d’esprit, de rapprocher du beau et du simple les formes de notre langue, d’en rendre l’étude plus facile, enfin de se conformer aux tendances marquées par l’Académie elle-même dans les éditions successives de son Dictionnaire, tendances qui sont celles de l’esprit humain et qui datent de loin, puisque, nous dit M. Villemain, «Auguste, homme de goût, écrivain précis, et de plus empereur, ce qui donne toujours une certaine influence, jugeait que l’orthographe devait être l’image fidèle de la prononciation: Orthographiam, id est formulam rationemque scribendi, a grammaticis institutam, non adeo custodiit; ac videtur eorum potius sequi opinionem, qui perinde scribendum, ac loquamur, existiment[34]

[34] Suétone, Vie d’Auguste, LXXXVIII. Ce mot Augustus est un exemple frappant de la tendance irrésistible à l’abréviation des mots par la prononciation, puis par l’écriture: Auguste, aoust, août, est prononcé oût, et Baïf, dans son système phonétique, recourt à la ligature grecque ȣ[‡], pour figurer notre son ou.

[‡] Ligature d'un omicron ο et d'un upsilon υ. On la retrouve à la p. 200.


I
ORTHOGRAPHE ÉTYMOLOGIQUE

DE LA LETTRE χ.

Mots de la langue française où la lettre χ est figurée par C, K ou QU, et par CH.

Par c, k ou qu, l’h ayant disparu: Par ch, quoique prononcé k:
╭────────────────╮
Par ch prononcé à la manière française:
  • acariâtre
  • caméléon
  • caractère
  • Caron
  • carte
  • cartulaire
  • colère
  • colérique
  • colique
  • corde
  • cristal
  • cristalliser
  • cristallisation
  • école
  • estomac
  • estomaquer
  • exarque
  • hérésiarque
  • kilo
  • kilogramme
  • kilomètre
  • mécanique
  • mélancolie
  • mélancolique
  • métempsycose
  • 36 monacal
  • monarque
  • monocorde
  • pancarte
  • pascal
  • patriarcal
  • patriarcat
  • Plutarque
  • scolastique
  • scoliaste
  • sépulcre
  • sépulcral
  • stomacal
  • achromatique*
  • anachorète *
  • anachronisme *
  • antechrist
  • archaïsme *
  • archange *
  • archéologie
  • archéologue
  • archétype **
  • archiépiscopal **
  • archonte *
  • autochthone *
  • bacchanale *
  • brachial *
  • catachrèse *
  • catéchumène *
  • chalcographie *
  • Chaldée
  • chaos *
  • Charybde
  • chélidoine **
  • Chersonèse
  • chirographaire **
  • chirographe **
  • chirologie **
  • chiromancie **
  • chlamyde *
  • chlore *
  • chlorure *
  • chœur
  • choléra-morbus *
  • chorée *
  • chorége *
  • choriambe *
  • choriste *
  • chorographe *
  • chorus *
  • chrême
  • chrestomathie *
  • chrétien
  • Christ
  • chromatique *
  • chrôme *
  • chronique *
  • chronologie *
  • chronomètre *
  • chrysalide *
  • chrysanthème
  • chrysocale *[35]
  • cochléaria *
  • conchyliologie **
  • drachme *
  • ecchymose
  • écho *
  • eucharistie *
  • exarchat *
  • hypochondre *
  • ichneumon *
  • ichthyologie *
  • [lichen] **
  • lithochromie *
  • malachite
  • mnémotechnie *
  • ochlocratie *
  • orchestre
  • philotechnie *
  • polytechnie *
  • psychologie *
  • pyrotechnie *
  • saccharin *
  • strychnine *
  • synchronisme *
  • synecdoche *
  • technique *
  • Achéron
  • Achille
  • alchimiste
  • anarchie
  • archée
  • archidiacre
  • archiduc
  • archimandrite
  • archipel
  • architecte
  • archives
  • archiviste
  • archivolte
  • bachique
  • béchique
  • bronchite
  • cacochyme
  • catéchisme
  • charité
  • charme
  • charte
  • chimère
  • chimie
  • chimiste
  • chirurgie
  • chirurgien
  • chyle
  • chyme
  • exarchie
  • machiner
  • monarchie
  • pachyderme
  • Psyché
  • rachitisme
  • schène
  • schisme
  • schiste
  • trochée

[35] Mot dont la formation est absurde; il eût fallu chrysoïde, χρύσου είδος, ayant l’apparence de l’or. Chrysocale qui veut dire bel or, est donc un mensonge; le vrai mot était similor, mais il indiquait trop bien la chose.

Ainsi, dans tous ces mots dérivés du grec, et qui pour la plupart sont de formation récente, on voit figurer à la première colonne: 1o ceux qui, écrits d’abord par ch, tels que charactère, charte, chorde, mélancholie, méchanique, etc., au nombre de 38, ont successivement perdu l’h et s’écrivent caractère, carte, corde, mélancolie, mécanique, etc., avec le c dur ou ses représentants alphabétiques.

2o Dans les colonnes du milieu sont rangés 72 mots écrits avec ch, dont le Dictionnaire indique, du moins pour la plupart, que ce ch doit être prononcé k.

3o Dans la quatrième colonne, qui contient 36 mots, ce même signe binaire ch se prononce pour tous à la française, CHE: alchimie, architecte, archidiacre, charité, etc.

J’ai donc marqué, à la seconde et troisième colonne, avec un * les mots qui devraient être écrits par un c, afin de les faire rentrer dans la première série; ils sont au nombre de 51, et j’ai marqué de deux ** ceux qui pourraient rentrer dans la troisième série en conservant le ch et qui dès lors se prononceraient à la française: ils sont au nombre de neuf.

En effet, à côté des mots qui, à la première colonne, ont perdu successivement le ch pour être écrits par le simple c dur: caractère, carte, colique, colère, mécanique, mélancolie, patriarcal, scolastique, sépulcre, et exarque, monarque, etc., 37 on peut ranger sans inconvénient acromatique, anacronisme, arcaïsme, catécumène, clore, clorure, crôme, cronologie[36], psycologie, comme Victor Cousin voulut qu’on imprimât ce mot dans ses ouvrages, et non psychologie. Pourquoi écrire exarcat et asiarchat, lorsqu’on écrit exarque et patriarcat?

[36] Chronologie est souvent écrit et même imprimé sans h: cronologie, Voltaire écrit catécumène.

Et l’on peut ranger, sans le moindre inconvénient, à la troisième colonne, archétype, archiépiscopal, chélidoine, chirographaire, chirographe, chirologie, chiromancie, lichen, puisqu’on écrit et prononce alchimiste, archidiacre, archiduc, charité, catéchisme, chirurgie, chirurgien.

Il ne resterait de difficulté que pour neuf mots, antechrist, archéologue, archéologie, chœur, chrême, chrétien, ecchymose, malachite, orchestre, auxquels on peut conserver le ch en indiquant au Dictionnaire qu’il se prononce k.

Il est fâcheux que la prononciation du c étant celle de l’s devant e et i, ne permette pas d’écrire arcéologue, arcéologie, eccymose, malacite, orcestre. Mais pourquoi ne pas prononcer ARCHÉologie comme monARCHIE, ou bien écrire et prononcer ARQUÉologue, comme on écrit et prononce monARQUE, et ne pas s’en tenir à synecdoque que l’Académie elle-même autorise? On pourrait aussi employer le k, d’un si grand usage chez nos anciens poëtes et si regretté par Ronsard. Théodore de Bèze l’indiquait, pour écrire rekeil, rekeillir, etc., au lieu de recueil, recueillir, et nous l’avons admis dans l’usage ordinaire pour kilo, kilogramme, kilomètre, kyste, ankylose, enkysté, kyrielle, mots également dérivés du grec où le χ et le κ sont représentés par k.

Le tableau des mots dérivés du grec où figure le χ montre combien, excepté neuf mots, la régularisation devient facile.

Quant aux noms propres, presque tous dérivés du grec, ils s’écrivent en général avec ch et se prononcent k. Quelques-uns cependant se sont modifiés et ont perdu l’h, tels que Caron, 38 Plutarque, Andromaque, Télémaque. On devrait donc écrire Calkas on Calcas et non Calchas. Mais, comme les noms propres ne figurent pas au Dictionnaire de l’Académie, il est inutile de s’en occuper ici.

Pour des mots scientifiques, tels que cholédoque, cholédologie, il importe fort peu, à qui sait le grec, qu’ils soient écrits d’une manière ou d’une autre. La science du grec ne saurait d’ailleurs être toujours un guide infaillible. Ainsi, de ce qu’on sait le grec, on croira devoir écrire scholie et scholiaste; cependant l’Académie écrit scolie et scoliaste, tandis que, par amour du grec, on aurait dû distinguer le «commentaire, σχολιόν», de la «chanson de table, σκόλιον», et pour se conformer à l’étymologie, écrire avec un h le commentaire, scholie, et sans h la chanson de table, scolie.

D’autres mots signifient même, pour qui sait le grec, précisément le contraire de ce qu’ils veulent exprimer; tels sont oxygène, hydrogène: c’était oxygone, hydrogone qu’il fallait. On ne s’est trompé que du fils au père: au lieu de l’engendreur l’engendré.

Si le doute est permis, même à des hellénistes, quel ne doit pas être l’embarras des artisans, et du nombre immense de ceux qui ne savent ni le grec ni latin? En 1694, quand l’Académie composa son Dictionnaire, savoir lire et écrire était un privilége réservé à une classe restreinte de la société. Aujourd’hui c’est le droit et le devoir de tous[37].

[37] M. B. Jullien, dans son Traité des Principales étymologies de la langue française, après avoir cité un grand nombre de mots qui ne sont que des barbarismes prétentieux, insignifiants, et inintelligibles pour les Grecs, s’exprime ainsi: «C’est payer un peu cher la manie de puiser dans les langues savantes que d’en tirer des barbarismes pour aboutir à des contre-sens.» (P. 59-68.)

DE L’ESPRIT RUDE ET DE LA LETTRE H.

L’Académie semble vouloir renoncer à figurer dans l’orthographe l’esprit rude du ῥ grec, qui indique une aspiration étrangère 39 à l’harmonie de notre langue, et qui ne se fait pas sentir. En effet, l’h, qui était censée représenter cet esprit rude, a disparu de rapsode, rapsodie, rabdologie, rabdomancie, rétine, erpétologie, cataracte (qui serait selon l’étymologie, catarrhacte); pourquoi donc maintenir ce signe h dans les mots arrhes, myrrhe, rhagade, rhapontic, rhinocéros, rhomboïde, rhubarbe, rhume, rhumatisme, rhythme, squirrhe? L’Académie écrit eurythmie qu’elle aurait dû écrire eurhythmie (avec les cinq consonnes), puisqu’elle écrit rhythme. Elle a supprimé la marque de l’esprit rude dans olographe, mais l’a conservée dans holocauste[38].

[38] On écrit rose et rosier, contrairement à l’orthographe grecque, mais conformément à celle des Latins, qui cependant écrivent Rhodos, l’île de Rhodes. C’est donc à tort que de ῥόδον, la rose, nous avons formé rhododendron, l’arbre-rose et rhodium, vu la couleur rose de ce métal; cette anomalie ferait croire cet arbuste et ce métal originaires de Rhodes.

Cette h, depuis longtemps abandonnée dans la seconde partie de hémorragie, hémorroïdes, et dans squirre, mais qui reparaît dans catarrhe, diarrhée, gonorrhée, formés comme hémorroïdes sur le radical ῥέω, devrait disparaître aussi de réteur, rétorique, comme aussi de rume et rumatisme, qu’on écrivait autrefois reume et reumatisme et plus anciennement rume, ainsi qu’on le voit figurer (gallice) en 1420, dans le Dictionnaire de Le Ver. Tous ces mots, malgré leurs significations diverses, découlent également de ῥέω[39].

[39] Dans les Cahiers de l’Académie pour l’édition de 1694, on fait observer que les monts Riphées s’écrivent sans h (Riphées au lieu de Rhiphées).

L’Académie de Madrid, dans son désir de simplifier encore plus l’orthographe[*] a décidé, en 1859, que tous les mots commençant par h se prononceraient sans aspiration, excepté un seul cas. Elle a cependant respecté l’emploi de cette lettre, en partie à cause de l’origine des mots et en partie pour éviter la confusion qui résulterait de la similitude des sons de mots se prononçant de même, soit ayant l’h, soit ne l’ayant pas. Nous ne saurions faire de même, puisque la versification se trouverait altérée si certaines lettres perdaient leur aspiration. Il est regrettable, toutefois, que, contrairement à l’étymologie, on écrive hache, huile (on écrit olive et olivâtre), huis, huit, huître, qui proviennent de oscia, oleum, oliva, ostium, octo, ostreum. On a eu raison de supprimer récemment l’h dans hermite, puisque l’origine est eremita.

[*] Prontuario de ortografía de la lengua castellana despuesto de real órden para el uso de las escuelas públicas, por la real Academia española. Madrid, imprenta nacional, 1866.

40 Dans ce même Dictionnaire de Le Ver le mot halitus est traduit en français par aleine.

Corneille écrit sans h le mot orizon, où l’h est muette, et même le mot halte, bien que l’Académie y indique l’h comme aspirée.

Rien n’étonne: on fait alte, et toute la surprise
N’obtient de ces grands cœurs qu’un moment de remise.
(Poésies diverses, 313 et 274.)

J’ai donc eu raison de dire que ces contradictions requièrent une solution, et que pour se prononcer en matière d’orthographe il ne suffit pas d’être érudit, car bien souvent les savants mêmes, par cela même qu’ils sont savants, hésitent et sont forcés de recourir au Dictionnaire pour se guider à travers ces bizarres anomalies.

DES LETTRES Θ ET Φ
REPRÉSENTÉES EN LATIN PAR th ET ph.

Déjà Ronsard, mort en 1585, s’exprimait ainsi, dans la préface de son Abrégé de l’art poétique:

«Quant aux autres diphtongues (les lettres doubles ch, ph, th), je les ay laissées en leur vieille corruption, avecques insupportable entassement de lettres, signe de nostre ignorance et peu de jugement en ce qui est si manifeste et certain.» (Voy. l’Appendice B.)

Il est regrettable que l’Académie, dans la première édition de son Dictionnaire, en 1694, et plus tard, lorsque, en 1740, elle supprima en grande partie les traces de l’orthographe latine, n’ait pas complétement réalisé le vœu de Ronsard, et que par l’emploi des th et des ph elle ait introduit ou laissé 41 subsister dans notre écriture «le faste pédantesque» qu’elle condamnait dans le poëte.

Malgré tout le respect que je dois aux Estienne, c’est surtout à eux qu’est due l’introduction des ph, ch, th dans notre écriture, où la grande et juste autorité de leur savoir les a maintenus et longtemps perpétués. Cependant, sur certains points, Robert Estienne, dans son Dictionnaire français de 1540, s’est montré moins zélé partisan de l’étymologie que ses imitateurs: il écrit caractere, escole, il autorise tesme, yver sans l’h; et sans ph les mots orfelin, flegme, fantastique, frenetique, faisan.

Avant l’apparition du Dictionnaire de Robert Estienne, l’emploi de ces doubles lettres se rencontrait fort rarement dans les manuscrits, puisque parmi les quatre à cinq cents mots dont je donne la liste, et où figurent des th, des ph et des ch, à peine une vingtaine de mots étaient ainsi écrits dans la langue française en l’an 1440. C’est ce que constate le grand Dictionnaire rédigé dans la première moitié du quinzième siècle par le prieur des Chartreux, Firmin Le Ver. Ce vaste répertoire, qui contient plus de trente-cinq mille mots, peut être comparé, en quelque sorte, au Dictionnaire de l’Académie, puisqu’il nous offre l’inventaire complet de notre langue de 1420 à 1440 (voir Appendice C). Mais, pour ne parler ici que de l’orthographe, on y voit combien l’écriture était alors celle qu’on aurait dû respecter, puisqu’on y est revenu après s’en être écarté. On y lit, ainsi écrits: antecrist, caractere, cirographe, colere, saint crême, melencolie, sepulcre;—apoticaire, autentique, auteur, autorizier, pantere, diptongue;—blasfeme, filosophe, fisique, frenesie, frenetique, orfelin, spere;—cripte, cristal, himne, idropisie, iver, ivernal, martir, mistere, tiran. Enfin, par l’écriture des mots diptongue et spere, on voit combien est antipathique à notre langue l’emploi de trois consonnes. Ce qui n’est pas moins remarquable c’est que dans ce vaste répertoire un grand nombre de mots latins sont déjà en 42 quelque sorte francisés dans leur orthographe, et ont perdu les signes de la latinité classique. Ainsi on lit à leur ordre alphabétique:

Antitesis et non antithesis
Antrax et non anthrax
Antropofagi et non anthropophagi, etc.

Enfin, quant au mot même qui fait le sujet de cet écrit, voici ce qu’on y lit: «Ortographia, bon ortografiemens; Ortographus, bon ortografieur; Ortographo, bien ortografier, bien espeler.»

Du Bellay et Ronsard ont écrit ortographie, le Dictionnaire de Nicot l’écrit de même, et je le vois ainsi figuré dans quelques grammaires modernes. En effet, la forme donnée au mot orthographe fait dire à ce mot tout autre chose que le sens qui lui est affecté. Géographie, uranographie, orographie, télégraphie, lithographie, typographie, orthodoxie, sont des mots formés régulièrement du grec; calligraphie, c’est l’art de la belle écriture, et calligraphe, l’homme qui écrit bien; orthodoxie est la conformité à l’opinion régulière, et orthodoxe, celui dont la foi est régulière; orthograPHIE signifie donc l’art d’écrire correctement, et orthographe désigne celui qui possède ou exerce cet art. Il est fâcheux que ce mot orthographe soit à la fois un barbarisme et une difformité, d’autant que l’Académie, dès 1694, écrit orthographier, au lieu d’ortographer, comme l’écrivait Corneille, en cela plus logique que nous[40].

[40] Dans sa Grammaire comparée, p. 24, M. Egger regrette que l’on n’écrive pas, comme au XVIe siècle, ortographie, et il emploie ce mot ainsi écrit dans son Histoire sur les théories grammaticales dans l’antiquité. Je le vois aussi écrit de même dans plusieurs livres de grammaire où l’on s’indigne contre ce barbarisme.

Si l’anarchie orthographique qui régnait dans l’écriture et dans les imprimeries, lorsque l’Académie publia la première édition de son Dictionnaire, fut le motif qui l’engagea à se rapprocher du latin, maintenant que l’usage, invoqué par 43 l’Académie comme sa loi suprême, lui a fait réduire à chaque édition l’emploi des th et des ph dans les mots le plus ordinairement employés, elle jugera peut-être opportun de mettre un terme au désordre, en donnant à des mots depuis longtemps devenus français par l’usage, la physionomie qui leur convient.

Quant aux mots forgés par les médecins, les naturalistes et les chimistes, avec leur parure obligée de ch, de ph, et de th, ils sont heureusement d’un emploi rare. J’ai donc cru devoir séparer en deux listes les mots qui figurent au Dictionnaire de l’Académie: ceux de la langue usuelle, et ceux de la langue technique et par conséquent peu usités.

Il résulte de ces listes que les mots de la langue usuelle ayant le th et figurant au Dictionnaire sont au nombre de 77.

Ceux d’un usage exceptionnel, admis néanmoins par l’Académie et où figure le th, sont au nombre de 68.

Mots d’un usage ordinaire ayant conservé le TH.

  • absinthe
  • améthyste
  • anathème
  • anthologie
  • antipathie
  • antithèse
  • apathie
  • apothéose
  • apothicaire
  • arithmétique
  • asthme
  • athée
  • athéisme
  • athénée
  • athlète
  • athlétique
  • authentique
  • bibliothèque
  • cantharide
  • cathédrale
  • catholique
  • corinthien
  • cothurne
  • dithyrambe
  • enthousiasme
  • épithète
  • esthétique
  • éther
  • homœopathie
  • hypothèque
  • hypothèse
  • isthme
  • jacinthe
  • labyrinthe
  • léthargie
  • logarithme
  • luth
  • luthier
  • mathématique
  • menthe
  • méthode
  • misanthrope
  • mythe
  • mythologie
  • orthodoxe
  • orthopédie
  • panthéisme
  • panthéon
  • panthère
  • parenthèse
  • pathétique
  • pathologie
  • pathos
  • plinthe
  • polythéisme
  • posthume
  • pythagoricien
  • pythie
  • rhythme
  • sympathie
  • synthèse
  • théâtral
  • théâtre
  • thème[41]
  • Thémis
  • théocratie
  • théologie
  • théorème
  • théorie
  • thermal
  • thermes
  • thermomètre
  • thésauriser
  • thèse[42]
  • thuriféraire
  • thym
  • thyrse

[41] On écrit abstème, d’après une étymologie bien incertaine. Comment se rappeler cette distinction? Le Dictionnaire écrit Ostrogot: pourquoi écrire gothique?

[42] Robert Estienne, lui-même, écrit ce mot sans h.

44 Mots avec TH d’un usage exceptionnel.

  • acanthe
  • aérolithe
  • allopathie
  • anacoluthe
  • anesthésie
  • anthère
  • anthracite
  • anthrax
  • anthropologie
  • athlothète
  • autochthone
  • bismuth
  • carthame
  • cathédrant
  • cathérétique
  • cathéter
  • chrysanthème
  • cithare
  • enthymème
  • épithalame
  • épithème
  • éréthisme
  • esthétique
  • éthique
  • eurythmie
  • exanthème
  • lagophthalmie
  • léthifère
  • litharge
  • lithiasie
  • lithocolle
  • lithologie
  • lithontriptique[43]
  • lithotomie
  • lithotritie
  • luthéranisme
  • lycanthropie
  • monolithe
  • ornithologie
  • orthodromie
  • orthogonal
  • orthopédie
  • orthopnée
  • oryctographie
  • ostéolithe
  • panathénées
  • pentathle
  • pléthore
  • plinthe
  • pyrèthre
  • pythique
  • stéthoscope
  • térébinthe
  • théatin
  • théisme
  • théodicée
  • théogonie
  • théologal
  • thérapeutes
  • thérapeutique
  • thériacal
  • thériaque
  • thermidor
  • théurgie
  • thoracique
  • thorax
  • thuia
  • tithymale

[43] Cette forme, qui déroge à celle des autres composés de λίθος, lithotritie, lithotomie, lithologie, et à toute la série des mots composés du grec, ne saurait être admise, à moins de vouloir, en français, écrire grec et latin. Si l’on transformait ainsi dans notre langue les désinences des génitifs grecs, il faudrait écrire odontônalgie et non odontalgie, typougraphie, physéologie ou plus exactement physéoslogie, etc. Quant à la forme assez barbare de la désinence triptique dans ce mot lithontriptique, elle dérive ici de τρίβω, je frotte, d’où τρίπτης; mais pour quiconque sait le grec, l’explication donnée au Dictionnaire: médicaments lithontriptiques, signifiera des médicaments qui frottent la pierre (dans la vessie). Litholytiques (de λύω) eût mieux exprimé ce qu’on voulait indiquer: des médicaments dissolvant la pierre.

L’Académie, ayant fait disparaître l’h des mots thrésor, thrésorier, thrésorerie, thrône, déthrôner, autheur, authoriser, inthronisation, inthroniser, croira peut-être le moment venu de supprimer, en tout ou en partie, l’h dans les soixante-dix-sept mots de la langue usuelle qui figurent en tête de la liste précédente, et cela conformément à l’exemple donné par ses prédécesseurs.

DU Φ qui devrait toujours être représenté par F.

L’Académie, après avoir écrit, dans sa première édition, par ph les mots phlegme, phlegmatique, phantosme, 45 phantastique, phiole, scrophuleux, les a écrits plus tard par un f: flegme, flegmatique, flegmon (on devrait écrire flegmasie et non phlegmasie), fantôme, fantastique, frénésie, frénétique, fiole, scrofuleux, etc., de même qu’elle figure par f les mots d’origine grecque, faisan, fantaisie, fanatique, fantasmagorie, faséole, fenestre, greffier, siffler et soufre du latin sulphur. Il n’est personne assurément qui voudrait voir rétabli le ph dans ces mots. Notre f est une lettre de naturalisation, à laquelle a droit tout mot devenu français. Les ph devraient même être bannis de cette foule de mots scientifiques qui hérissent notre écriture de consonnes inutiles et la défigurent[44].

[44] Voici d’autres mots grecs, que les Latins ont écrits par un f et non un ph: fagus, φηγός; fallo, σφάλλω; fax, de φάω; fero, de φέρω; ferus, de φήρ ou θήρ; fuo, fio, φύω; fiscus, de φίσκος; fistula, de φυσᾶν; folium, de φύλλον; forma, μορφή; frons, φροντίς ou ὀφρύς; fuga, φυγή; fulgeo, φλέγω; fucus, φύκος; fungus, σφόγγος; funus, φόνος; fur, φώρ; feretrum, φέρετρον; fortax, φόρταξ; frigo, φρύγω ou φρύττω.

Mots avec PH d’un usage ordinaire.

  • alphabet
  • amphibie
  • amphibologique
  • amphore
  • aphorisme
  • apocryphe
  • apostrophe
  • asphalte
  • asphyxie
  • atmosphère
  • atmosphérique
  • autographe
  • bibliographe
  • bibliophile
  • biographe
  • blasphème
  • cacophonie
  • calligraphe
  • camphre
  • catastrophe
  • cénotaphe
  • colophane
  • coryphée
  • cosmographie
  • dauphin[45]
  • diaphane
  • éléphant
  • emphase
  • emphatique
  • éphémère
  • épigraphe
  • épiphanie
  • épitaphe
  • euphonie
  • géographie
  • hémisphère
  • hiéroglyphe
  • historiographe
  • hydrophobe
  • hydrophobie
  • limitrophe
  • logogriphe
  • lymphatique
  • métamorphose
  • métaphore
  • métaphysique
  • monographie
  • mythologie
  • néophyte
  • nymphe
  • œsophage
  • orphelin
  • orphique
  • pamphlet
  • paragraphe
  • paraphrase
  • périphrase
  • phaéton
  • phalange
  • phare
  • pharisien
  • pharmacie
  • pharmacien
  • pharynx
  • phase
  • phénix
  • phénomène
  • philippique
  • philologie
  • philologue
  • philtre
  • phoque
  • phrase
  • phthisie
  • phthisique
  • physicien
  • 46 physiologie
  • physionomie
  • physique
  • polygraphe
  • porphyre
  • prophète
  • saphir
  • sarcophage
  • sémaphore
  • séraphin
  • siphon
  • sophisme
  • sophiste
  • sphère
  • sphinx
  • sténographe
  • strophe
  • sylphe[46]
  • symphonie
  • syphilis
  • télégraphe
  • télégraphie
  • triomphe
  • typographie
  • typhus
  • zéphyre
  • zoophyte

[45] Dans les cahiers de l’Académie, on proposait d’écrire Daufin, Daufiné.

[46] Pourquoi écrire par ph sylphide et syphilis, et même séraphin? Sans doute ce dernier mot vient de l’hébreu; mais, de même qu’on a supprimé le dernier h au mot alphabeth, on pourrait aussi remplacer le ph par f.

Ces mots où le ph figure sont au nombre de cent quatre-vingts à deux cents. Le parti le plus logique serait sans doute d’imiter les Italiens et de substituer partout le f au ph qui, en français, n’a pas et ne peut pas avoir d’autre son que l’f qui reproduit si bien le φ. Si pourtant l’Académie hésitait à compléter la réforme dont ses prédécesseurs lui ont tracé la voie, au moins pourrait-elle l’étendre à certains mots d’un usage ordinaire: alfabet, ainsi écrit par Volney et autres, apostrofe, atmosfère, atmosférique, blasfème, catastrofe, éléfant, enfase, épitafe, géografie (et ses similaires), hémisfère, métamorfose, néofyte, paragrafe (on écrit agrafe), fénomène, filosofie, frase, profète, sofiste, télégrafe, zoofyte, etc., etc. Blasfème, orfelin, sont même ainsi écrits par Robert Estienne.

C’est surtout dans les mots où le th et le ph sont réunis et dans ceux où l’on trouve deux ph ou th: aphthe, apophthegme, diphthongue, ichthyophage, ophthalmie, ichthyolithe, que la réforme serait urgente. On ne saurait imaginer rien de plus barbare en français que ces groupes de quatre consonnes. L’Académie, qui dans ses précédentes éditions écrivait aphte, phtisie, diphtongue, ortographe, serait unanimement approuvée si, n’osant faire plus, elle revenait du moins à cette orthographe plus simple. Phtisie vaut mieux que phthisie; ophtalmie que ophthalmie; aphte que aphthe; mais on devrait faire encore plus.

47 Voici la liste des autres mots dérivés du grec par le latin, ou formés directement du grec, auxquels est appliqué le ph au lieu de f:

Mots avec PH d’un usage exceptionnel.

  • acéphale
  • amorphe
  • amphictyon
  • amphigouri
  • amphitryon
  • antiphonaire
  • antiphrase
  • antistrophe
  • aphélie
  • aphérèse
  • aphonie
  • aphrodisiaque
  • apophyse
  • asphodèle
  • atrophie
  • autocéphale
  • callographe
  • caryophyllée
  • chirographaire
  • chorégraphie
  • chorographie
  • cosmographie
  • diaphragme
  • électrophore
  • encéphale
  • éphores
  • épistolographie
  • euphémisme
  • hagiographe
  • hermaphrodite
  • hiérophante
  • hydrocéphale
  • hydrographie
  • iconographie
  • lexicographie
  • méphitique
  • monophylle
  • morphine
  • myographe
  • naphte
  • néographe
  • nosographie
  • olographe
  • ophicléide
  • oryctographie
  • pantographe
  • paranymphe
  • paraphernal
  • paraphimosis
  • phagédénique
  • phalène
  • phaleuce
  • phallus
  • phanérogame
  • pharmacopée
  • phébus
  • phénicoptère
  • philharmonie
  • philhellène
  • philomathique
  • philotechnique
  • phimosis
  • phlébotomie
  • phlegmon
  • phlogistique
  • rphlogose
  • phlyctène
  • phœnicure[47]
  • pholade
  • phonique
  • phosphate
  • phraséologie
  • phrénique
  • phylactère
  • phylarque
  • physiognomonie
  • physiographe
  • phytologie
  • planisphère
  • polyadelphie
  • porphyrogénète
  • prophylactique
  • sphacèle
  • sphénoïdal
  • sphénoïde
  • sphériste
  • sphéristère
  • sphéristique
  • sphéroïde
  • sphéromètre
  • sphincter
  • staphylôme
  • sycophante
  • symphyse
  • synalèphe
  • tachygraphie
  • topographe
  • uranographie
  • zoographie
  • zoophyte

[47] Qu’on devrait écrire phénicure, comme phénix.

Mots avec TH et PH réunis.

  • amphithéâtre
  • anthropophage
  • aphthe
  • apophthegme
  • diphthongue[48]
  • ichthyophage
  • ichthyographie
  • lagophthalmie
  • lithographe
  • lithophyte
  • orthographe
  • philanthrope
  • phyllithe
  • phytolithe
  • phthisie
  • triphthongue

[48] L’Académie dans sa première édition écrivait diphtongue; Corneille, dans sa grande édition, l’écrivait de même, ainsi qu’ortographe.

Mots avec deux PH ou deux TH.

  • philosophie
  • photographie
  • phosphate
  • phosphore
  • ichthyolithe
  • théophilanthrope

48 II
DOUBLES LETTRES.

L’usage général, qui, dans la prononciation, tend de plus en plus à atténuer la forte accentuation de certaines syllabes, a fait, en grande partie, disparaître pour l’oreille la double consonne, qui devait retracer à la vue l’étymologie dans les mots calqués sur le latin. Déjà l’Académie, conformément au désir manifesté par Corneille, par les Précieuses et par un grand nombre de bons esprits, a successivement supprimé dans un très-grand nombre de mots l’une des deux consonnes, dont l’emploi d’ailleurs n’avait rien de régulier. Car si, comme dans le latin, la double consonne avait souvent pour but de faire élever la voix sur la syllabe qu’elle termine[49], molle, folle, chatte, sotte, etc., quelquefois, par un effet différent, elle la rendait brève dans flamme, manne, femme; tandis que d’autres fois c’était la consonne simple qui rendait brève la syllabe qui la précédait, matin, dame, etc.

[49] Voir, à l’Appendice D, l’analyse de la Grammaire de Regnier des Marais.

Cette irrégularité manifeste et l’exemple donné par l’Académie offrent donc une grande latitude à l’égard de ce qui reste encore de ces doubles lettres inutiles, qui doivent disparaître partout où leur présence n’indique pas le but auquel elles sont destinées: l’élévation du ton sur la syllabe qu’elles terminent; mais elles doivent être conservées partout où leur présence peut encore se faire sentir à l’oreille, même contrairement à l’orthographe latine, comme dans pomme, homme, personne, et aussi dans lettre, bien que le latin pomum, homo, 49 persona, litera, exigerait, conformément à l’étymologie, qu’on écrivît pome, home, persone[50]. On devra donc dans la série des mots se terminant en lle ou mme ou nne, etc., maintenir la double consonne qui précède l’e muet final, et qui, ainsi que es au pluriel et ent à la troisième personne du pluriel des verbes, constituent la rime féminine. D’après ce principe, il faudrait écrire il s’abonne et un aboné, ils s’abonnent et ils s’aboneront; il couronne et il courona, ils couronnent et ils couroneront, il pardonne et il pardona, comme on écrit il jette et il jetait. C’est ainsi que l’Académie écrit battre et bataille, batailler; combattre et abatage, ficelle et ficeler, et cela conformément au précepte donné par Régnier des Marais: «Il est de regle, dit-il, p. 108, et de l’usage fondé par la regle, d’escrire chapelle et chandelle par deux ll et chapelain, chandelier par une l seule parceque dans les deux premiers mots chapelle et chandelle l’e qui précède l’l est un e ouvert, et que dans les deux autres, chapelier, chandelier, il est muet.» Et ailleurs, p. 102, il fait la même observation pour d’autres mots terminés en e muet, femme et féminin; donne et donateur; homme et homicide.

[50] Conformément à l’orthographe latine, l’Académie écrit bonhomie, prud’homie, homicide, se rapprochant ainsi de notre ancienne orthographe, home, homs, hom, om et enfin on. Le Dictionnaire de l’Académie de 1694, conformément aux instructions des Cahiers, écrit consone.

Dans quelques mots la double lettre a été remplacée par un accent grave: ainsi on écrit clientèle, fidèle, infidèle, stratagème, deuxième, diadème, hétérogène, arbalète, achète, secrète, diamètre, etc., mais le nombre de mots figurés ainsi est très-restreint. Boileau écrivait lètre au lieu de lettre, et à son exemple on aurait pu remplacer la double consonne par l’accent grave, en écrivant chandèle, chapèle, ficèle, il apèle, etc.; cependant, pour ne pas changer les habitudes, je crois préférable de conserver, du moins quant à présent, la double consonne précédant l’e muet final ou la syllabe dans laquelle l’e muet constitue la rime féminine (e, es, ent).

50 L’emploi de la double lettre doit toujours être conservé au milieu des mots quand la prononciation l’exige, comme dans ce vers:

Mortellement atteint d’une flèche empennée.

Au contraire, pourquoi la conserver lorsque ni la prononciation ni même l’analogie ne la réclament, et qu’elle ne peut qu’induire en erreur ceux qui apprennent le français?

Ainsi, lorsqu’on ne met qu’un g dans agression, agressif, agrandir, agréer, agréger, etc., pourquoi en mettre deux dans aggraver, agglomérer, agglutiner, et faire une règle avec exception pour ces trois seuls mots? Si pour abbaye, abbé, abbesse, gibbeux, rabbin, sabbat, seuls mots écrits avec deux b, l’Académie adoptait un seul b, ce serait encore une règle d’exception à supprimer de la grammaire[51].

[51] Voici comment notre ancienne langue française écrivait ces mots:

En la vile out une abeie
Durement riche e garnie;
Mun escient (moine savant), nuneins y ot (eut),
E abeesse kis (qui se) gardot.
Marie de France. Lai del Freisne.

On pourrait peut-être conserver les deux b à abbé, par respect pour l’usage et la brièveté du mot. La prononciation y autoriserait même: il y a une nuance de son entre abbé et abaye, abesse.

Dans son Dictionnaire de 1740, l’Académie a supprimé le d étymologique de la préposition latine ad dans les mots advocat, advertir, adveu, advoué, advertissement, advis, advisé, et plusieurs centaines d’autres. Elle rendrait un grand service en effaçant le double c dans la plupart des mots où cette duplication n’influe en rien sur la prononciation et où l’un de ces doubles c est censé représenter le d de la préposition ad. On pourrait ainsi, sans inconvénient, supprimer un c dans les mots accompagner, accoster, accablement, acclimater, accointer, accouchement, accoutumer, accuser, etc., et déjà il a disparu dans acoquiner, acagnarder, acenser, acensement.

Dans les Cahiers de l’Académie de 1694, on écrit deffaillir, 51 deffaire, deffendre, etc.; la double f a disparu dans ces mots et il devrait en être de même pour plusieurs autres: tels que difficulté, différence, puisque le son de la double f n’a pas disparu entièrement dans la prononciation.

La double l devrait aussi être conservée dans alliage, alliance, allusion, alluvion, collision, collusion; mais on pourrait supprimer une l dans allonger, allongement, vallée, etc.

Ainsi l’Académie écrit, tantôt avec un n, et tantôt avec deux, les dérivés des mots suivants terminés en on:

Avec un seul n: Avec deux n:
  • Bon: bonace, bonifier, bonhomie, bonheur.
  • Colon: colonial, colonie, coloniser, colonisation.
  • Don: donation, donataire, donateur.
  • Démon: démoniaque, démonographie.
  • Félon: félonie.
  • Limon (citron): limonade, limonier, limonadier.
  • Limon (boue): limoneux.
  • Limon (de voiture): limonier, limonière.
  • Poumon: pulmonaire.
  • Saumon: saumoné, saumoneau.
  • Savon: saponaire.
  • Timon: timonier.
  • Violon: violoniste.
  • Abandon: abandonner, abandonnement.
  • Anon: ânonner, ânonnement.
  • Baillon: bâillonner.
  • Baron: baronnet, baronnie, baronnage.
  • Baton: bâtonner, bâtonnier, bastonnade.
  • Chiffon: chiffonner, chiffonnier.
  • Citron: citronnier, citronnelle.
  • Échelon: échelonner.
  • Éperon: éperonner.
  • Fredon: fredonner.
  • Gascon: gasconnade, gasconner.
  • Jalon: jalonner, jalonneur.
  • Melon: melonnière.
  • Mission: missionnaire.
  • Pardon: pardonner, pardonnable.
  • Raison: raisonner, raisonnable, raisonnement, raisonneur.
  • Rayon: rayonner.
  • Sermon: sermonnaire, sermonner, sermonneur.
  • Canon: canonial, canonicat, canonique, canoniser.
  • Canon: canonnade, canonnage, canonner, canonnier, canonnière.
  • Canton: cantonade, cantonal.
  • Canton: cantonné, cantonnement, cantonner, cantonnier, cantonnière.
  • Ordo: ordination, ordinal, ordinaire, ordinant.
  • Ordo: ordonnance, ordonnateur, etc.
  • Patron: patronage, patronal, patronymique.
  • Patron: patronner.
  • Ratio: rational.
  • Ratio: rationnel, rationnellement.
  • 52 Son: dissonance, dissonant, dissoner, sonore, sonorité, sonate.
  • Son: consonnance, consonnant, consonne, sonnant, sonner, sonnette, sonnerie, sonneur.
  • Ton: intonation, monotone, tonalité, tonique.
  • Ton: détonner, entonner.
  • Tonner: détonation, détoner.
  • Tonner: tonnerre, tonnant.

Aucun de ces dérivés de mots terminés en on ne devrait être écrit avec double n; on n’en met pas à ceux qui dérivent de noms terminés en in: dessin, dessiner, destin et destiner; non plus à ceux qui se terminent en un: importun, importuner; ni à ceux qui se terminent en an: plan, planer, esplanade.

Quant aux mots terminés en ion, excepté nation et confession, septentrion, qui ne doublent pas le n dans leurs dérivés, national, nationalité, confessional, septentrional, les autres doublent la consonne dans leurs composés, et cela sans aucun motif. Tels sont les mots suivants, au nombre de 39:

Action, addition, affection, caution, cession, collation, commission, concussion, condition, confession, constitution, convention, correction, démission, diction, division, espion, fraction, friction, intention, légion, mention, million, mission, occasion, pardon, pension, perfection, pétition, proportion, question, ration, religion, sanction, soumission, station, subvention, tradition, vision.

Pourquoi, en effet, écrire actionner, actionnaire, concessionnaire, constitutionnel, constitutionnalité, constitutionnellement, dictionnaire, etc.? ces mots ne sont-ils pas déjà assez longs à écrire sans y mettre le double n qui ne se prononce pas?

Il est aussi d’autres mots où le double n devrait être supprimé, et même conformément à l’étymologie, comme dans: honneur (honor, puisqu’on écrit honorer), donner (donare: on écrit donation), monnaie (moneta), sonner, résonner 53 (sonare, resonare), légionnaire (legionarius), rationnel (rationalis), couronne (corona), personne (persona)[52].

[52] Dans tous ces mots l’orthographe française est en perpétuelle contradiction avec la quantité latine:

honneur hŏnŏr personne pērsōna
donner dōnāre légionnaire lĕgĭōnāriŭs
ennemi ĭnĭmīcūs rationnel rătĭōnālis
monnaie mŏnēta couronne cŏrōna
sonner sŏnāre résonnant rĕsŏnāns

L’Académie figure avec raison la désinence ame tantôt avec un m et tantôt avec deux m, lorsque la prononciation l’exige. Mais flamme (que Corneille écrivait flame) ne devrait conserver qu’un seul m; et puisque l’Académie écrit affame[53], entame, réclame, diffame, elle ne saurait écrire enflamme; flame et enflame exigeraient même un â circonflexe comme infâme, blâme, et j’ai vu flâme ainsi écrit par Racine.

[53] Les seuls mots où le m est doublé et doit l’être, puisque la désinence est en e muet sont: anagramme, épigramme, femme, flamme, homme, gramme, et les composés avec ce mot, programme; mais les verbes assommer, consommer, nommer, dénommer, surnommer, renommer ne doivent prendre qu’un m de même qu’on écrit consumer.

Dans évidemment, prudemment, le double m ne se prononce pas; cependant il faut le conserver, ne fût-ce que pour éviter la confusion avec évidement (de évider)[54], et prudement (de prude).

[54] Il serait préférable d’écrire évidament, de même que Bossuet écrit contantement.

Tous les mots terminés en ime et ume sont écrits avec un seul m.

Le double r devrait être conservé partout où il se fait sentir: correcteur, correction, correct, terreur, horreur. Mais il doit être supprimé dans charrue, puisqu’on écrit chariot, dans nourrice, nourriture, nourrir, pourrir, puisqu’on écrit mourir et courir (bien qu’en latin currere ait deux r)[55], et c’est à tort que l’on écrit par deux r je pourrai.

[55] Ces deux verbes par exception prennent deux r au futur et au conditionnel, je courrai, je mourrai, par la contraction de l’i, puisqu’on n’écrit pas ces mots comme on écrit je pourrirai, je nourrirai.

54 L’Académie adopte coreligionnaire et codonataire; elle devrait écrire de même corespondant.

Le lierre devrait n’être écrit qu’avec un seul r, comme l’ont fait Henri Estienne et Ronsard, et suivant l’étymologie, l’hière (hedera)[56].

[56] Par une semblable bizarrerie, on écrit le loisir, au lieu de l’oisir, de otium, d’où nous viennent aussi oisif, oisiveté; le loriot au lieu de l’oriot, et le lendemain, au lieu de l’endemain. On commet la même faute lorsqu’on écrit l’Alcoran au lieu de le Coran, l’alchimie, l’alcôve; et c’est à tort qu’on a admis dorer, dorure, au lieu de orer, orure, comme on écrit orfèvre, orfévrerie.

On ne devrait pas écrire dyssenterie par deux s, puisque l’étymologie grecque ne nous en donne qu’une, et que, dans le Cahier de remarques, on rapproche avec raison dysenterie de dysurie. Il faudrait même écrire dysentérie avec l’accent aigu.

Quant au double t, l’Académie écrit abatage, abatée, abatis; elle pourrait écrire abatoir, et même supprimer le double t dans abattement, abattu. Corneille et Bossuet écrivent abatre, batu et rabatu; et H. Estienne, dans son traité de la Précellence du langage françois, écrit combatre, combatu, débatre, débatu, rabatre, rabatu; Fénelon et Bossuet écrivent: flater et froter, atandre, atantif, atantions, ataque et non attendre, attentif, attentions, attaque, etc. Les imprimeurs ont eu grand tort de ne pas suivre l’orthographe des auteurs et de la transformer (pour ne pas dire défigurer) en la réduisant à l’uniformité d’après l’orthographe du Dictionnaire de l’Académie alors en vigueur. (Voir Appendice E.)

On pourrait aussi supprimer le double t dans attabler, attacher, attendre, atténuer, attribuer, attrouper, puisqu’on écrit atermoyer, atermoiement, atrophier, atourner.

Il y a contradiction à écrire:

démailloter et emmaillotter radoter et ballotter
sangloter et marmotter coqueter et regretter
jeter et flotter tricoter et trotter
concomitant et intermittent tripoter et gigotter
feuilleter et frotter comploter et grelotter
projeter et guetter il épèle et il appelle
55 cacheter et égoutter souhaiter et guetter
caqueter et fouetter souffleter et acquitter
raboter et garrotter j’époussète et je rejette
exploiter et regretter    

Pourquoi un double p dans apparaître, appartenir, appesantir, appliquer, apposer, apprêter, apprivoiser, approcher, approbation, approximativement, puisque l’Académie écrit apaiser, apercevoir, aplanir, apetisser, apitoyer, aplatir, aposter, apostiller, apurer, et ne pas écrire, conformément à la prononciation, apauvrir, apesantir, aplaudir, aposer, aporter, aparaître, apareiller, apartenir, apartement, aprentissage, aprêter, apointer, aprécier, apréhender, aprendre, aprofondir, aproprier, aprouver, apuyer?

Pourquoi, lorsqu’on écrit avec un seul p: occuper, attraper, grouper, dissiper, mettre deux p à développer, envelopper (Bossuet écrit enveloper), échapper, agripper?

On verrait aussi avec plaisir la suppression du double p à appeler: la nuance de la prononciation dans certains temps de ce verbe est si faible qu’elle peut être omise, à l’exemple de tant d’autres plus sensibles en certains mots. Par là on éviterait la difficulté de l’emploi tantôt du double p et du double l, tantôt du seul p ou l. Le Dictionnaire de l’Académie écrit il appelait et Perrot d’Ablancourt apelloit; dans les anciens manuscrits, apele est écrit avec un seul p, et dans d’autres on lit appelloit.

Puisque l’on écrit déprimer, on devrait écrire suprimer et non supprimer; l’affixe su est la contraction de sus et non de super. Il en est de même de supporter, qui ne devrait prendre qu’un seul p.

Quelques autres anomalies pourraient disparaître, et puisque l’Académie écrit charretier, gazetier, noisetier, tabletier, desquamation, elle devrait supprimer le double t dans aiguillettier et le double m dans squammeux, enflammer.

Dans la première édition, elle a écrit domter. C’est ainsi 56 qu’écrit toujours Bossuet, et cela conformément au Cahier de remarques, qui, au chap. IV, art. 3, dit: «On met un p à compter et à compte, quand ils signifient supputer, supputation, mais à domter, il n’en faut point.» On devrait donc écrire ainsi et de même exemter, au lieu de exempter.

Une manière d’écrire contradictoire à la prononciation aurait à la longue une fâcheuse influence sur le langage. A force de voir les mots ainsi écrits et imprimés, la voix s’habitue à prononcer, surtout dans les provinces et dans les pays étrangers, toutes les lettres dont le son pour l’habitant de Paris s’annule par l’usage d’une prononciation journalière. On peut donc craindre que des mots tels que sculpture, promptitude, doigtier, dompter ne finissent par être prononcés sculpeture, prompetitude, doiguetier, dompeter, au lieu de prononcer sculture, prontitude, doitier, domter.

Les lettres doubles n’ont pas toujours fait partie du système orthographique de notre langue; elles sont en général une imitation des procédés grammaticaux du latin classique, dont l’influence se développe à partir du quinzième siècle, comme on peut le voir par le tableau suivant que j’ai dressé d’après trois monuments littéraires très-réguliers pour leur temps et dont je parlerai plus loin:

Les quatre livres des Rois et saint Bernard (XIIe siècle). Dictionnaire de Le Ver,
1420-1440.
Dictionnaire de Rob. Estienne, 1549.
abandoner S. Bern. » abandonner
acumplir acomplir accomplir
afaire » affaire
alaiter alaitier allaicter
aler aler aller
aliance alianche alliance
alure alure allure
ancienement anchiennement anciennement
apeler appeler appeler
aprester » apprester
ariere ariere arrière
asembler assambler assembler
asez asses assez
atendre attendre attendre
57 comandement S. B. et cumandement quemandement (il écrit comander) commandement
cele celle icelle
coment S. B. et cument comment comment ou quoment
cumbatre combatre combatre
corone S. B. courone couronne
cruelment cruelment cruellement
deriere deriere derrière
deservir deservir desservir
duner (donner) donner donner
enemi anemis ennemi
home homme homme
humage hommage hommage
nule nulle nulle
nuvele nouvelle nouvelle
obeisant obeissans obeissant
moyene S. B. moyenne moyenne
ocis ochis occis
pardoner S. B. pardonner pardonner
pousiere S. B. [pourre] poussière
resembler ressambler ressembler
resusciter resusciter resusciter
sale (salle) sale salle
sele (selle) selle et seelle selle
sumet (sommet) summet sommet
valée valée vallée

On voit donc par ce tableau que la suppression des doubles consonnes parasites est conforme au génie naturel de notre langue.

58 III
DES TIRETS OU TRAITS D’UNION.

Les Grecs et les Latins ne divisent pas les mots qui, composés de plusieurs, n’en forment réellement qu’un seul, tels que, en grec, αντιπέραν, vis à vis; παράπαν, tout à fait; παραμηρίδια, haut-de-chausses; παράλογος, contre-sens; παραχρῆμα, sur-le-champ; σύμπαν, tout à la fois; ἐξαίφνης, tout aussitôt; περιῤῥρρδην, tout à l’entour. Et de même en latin: adhuc, jusqu’à présent, jusqu’à ce jour; hucusque, jusqu’ici; alteruter, l’un ou l’autre; propemodum, à peu près; propediem, jusqu’à ce jour; ejusmodi, de cette façon; quoadusque, jusqu’à ce que; quantuluscumque, quelque petit qu’il soit; nihilominus, néanmoins; verumenimvero, à la vérité.

Les Grecs, dans la formation des mots composés, avaient souvent recours à la contraction et même à la suppression de la lettre finale: de ὄψον, ὀψοφαγία, ὀψοπώλης; de νόμος, νομοθέτης; dans κορυθαίολος, dans ποδάρκης, dans μονάρχης, il y a même suppression de deux lettres. Quelquefois, pour adoucir la prononciation, le ν se change en γ, παγχάλεπος. De même les Latins, de postero die, ont fait postridie. Usant du même procédé, nous avons fait de bas bord, bâbord; de bec jaune, béjaune; de contre escarpe, contrescarpe; de contre trouver, controuver; de corps, corsage, corset; de il n’y a guères, naguère; de tous jours, toujours; de la plus part[57], plupart; de passe avant, passavant; de néant moins, néanmoins; de plat 59 fond, plafond; de plus tôt, plutôt; de vaut rien, vaurien; de sous rire, sourire; de sous coupe, soucoupe, etc.; de ores en avant, est devenu dorénavant[58]; à l’entour, alentour, etc.

[57] L’Académie, dans son Dictionnaire de 1694, écrit tousjours, pluspart.

[58] Ce composé s’est écrit d’abord de ores en avant, puis d’ores en avant, doresenavant, puis doresnavant, dorenavant, et enfin dorénavant.

Dans les autres langues, les mots composés ne forment qu’un seul mot, ou, si les traits d’union sont quelquefois admis, ils sont employés de manière à n’offrir aucune difficulté grammaticale.

La langue italienne, qui de toutes se rapproche le plus de la nôtre, de plusieurs mots n’en forme qu’un seul[59]: acquavita, eau-de-vie[60]; affatto, tout à fait; capodopera, chef-d’œuvre; nulladimeno, néanmoins; contuttociò, avec tout cela; conciosiacosachè, conciofossecosachè, puisque, bien que; perlaqualcosa, c’est pourquoi; et en espagnol: guardacostas, garde-côte; contraprueba, contre-épreuve; guardasellos, garde des sceaux, etc.

[59] Je me rappelle avoir lu dans Boccace contuttosiacosachè.

[60] Les Espagnols en ont fait aussi un seul mot: aguardiente, contracté de agua ardiente.

Palsgrave, dans son Esclarcissement de la langue françoyse, en 1530, écrivait aulcunefoys, souventesfoys; autravers, paradventure, jusqu’adix, jusqu’aumourir.

Dans nos anciens manuscrits, on ne voit aucun trait d’union[61], non plus que dans les dictionnaires de Robert Estienne. C’est dans le Dictionnaire de Nicot que je le vois apparaître pour la première fois, en 1573.

[61] «Quant à l’accent enclitique[‡] (sorte de trait d’union), disait Dolet en 1540, il n’est point recevable en la langue françoyse, combien qu’aulcuns soient d’aultre opinion. Lesquelz disent qu’il eschet en ces dictions, ie, tu, vous, nous, on, ton. La forme de cest accent est telle, ′: par ainsi ilz vouldroient estre escript en la sorte qui s’ensuyt: M’attenderai′ ie à vous? Feras′ tu cela? Quand aurons′ nous paix? Dict′ on tel cas de moy? Voirra′ lon iamais ces meschants puniz? Derechef ie t’aduise que cela est superflu en la langue françoyse et toutes aultres: car telz pronoms demeurent en leur vigueur, encores qu’ilz soient postposés à leurs verbes. Et qui plus est, l’accent enclitique ne conuient qu’en dictions indeclinables, comme sont en latin, ne, ve, q′, nam. Qu’ainsi soit, on n’escript point en latin en ceste forme: Feram′ ego id iniuriæ? Eris′ tu semper tam nullius consilij? Tiens donc pour seur que tel accent n’est propre aulcunement à nostre langue.»

[‡]L'accent enclitique est représenté ici par le signe prime.

60 Le grand nombre de mots connus sous la dénomination de mots composés, parce qu’ils n’expriment qu’une seule idée ou qu’un seul objet avec le concours de plusieurs mots, sont maintenant tantôt réunis par un tiret ou trait d’union, tantôt séparés, sans tirets, et tantôt groupés en un mot unique.

Isolés, ces mots offrent souvent un sens tout différent de celui qu’ils auraient s’ils étaient réunis: belle-mère, belle-sœur, beau-père, blanc-bec, belle-de-jour, ont un sens général tout autre que le sens spécial de leurs composants. Il convient donc de les grouper le plus possible en un seul mot qui représentera bien mieux l’idée particulière qu’ils veulent exprimer. Par là serait évitée la difficulté, souvent si grande, de l’orthographe du pluriel, car, dans une foule de cas, on ne sait si la marque s ou x doit s’appliquer au premier ou au second des composants, ou bien à tous deux. Les mots composés, une fois agglutinés, rentrent dans la règle générale de formation du pluriel des substantifs. Ainsi, en écrivant des femmes, des paroles aigredouces, des discours aigredoux, des rougegorges, des cassecous, des cocalânes, des choufleurs, on n’a plus à hésiter pour savoir où mettre l’s, et s’il faut écrire discours aigres-doux ou aigre-doux, des femmes aigres-douces ou aigre-douces, des rouges-gorges, des casse-cous, des coq-à-l’ânes ou des coqs-à-l’âne[62], des choux-fleurs, etc. Si l’on permettait d’écrire chefdœuvre, ou plutôt chédœuvre au singulier et chédœuvres au pluriel, et non chefs-d’œuvre, comme on le fait maintenant, les poëtes n’auraient plus à regretter de ne pouvoir dire: chédœuvres éternels, les chédœuvres humains, ce que ne permet pas l’orthographe admise, chefs-d’œuvre[63].

[62] Ces vers de Regnard en sont la preuve:

Pour être un bel esprit,
Il faut avec dédain écouter ce qu’on dit;
Rêver dans un fauteuil, répondre en coq-à-l’ânes
Et voir tous les mortels ainsi que des profanes.
Le Distrait, act. IV, sc. 7.

[63] L’Académie, pour éviter les controverses grammaticales, a souvent omis d’indiquer les pluriels, laissant indécis si l’on doit écrire des clair-obscurs ou des clairs-obscurs, maître-autels ou maîtres-autels, brèche-dent ou brèche-dents. En formant un seul mot des deux, on trancherait la difficulté: un clairobscur, des clairobscurs; un maîtrautel, des maîtrautels.

Un grammairien d’un vrai mérite explique ainsi l’orthographe académique d’un gobe-mouches et un chasse-mouche. «Un gobe-mouches ne prendrait pas ce nom s’il n’en avalait qu’une et on écrit sans s un chasse-mouche parce qu’il suffit d’une mouche pour en être importuné.» En écrivant un gobemouche, des gobemouches, un chassemouche et des chassemouches, on soulagerait la grammaire de ces subtiles distinctions.

L’Académie écrit eau-forte et eau seconde, eau régale. Comment se rendre compte de la distinction subtile qui nécessite le trait d’union mis par l’Académie au premier seul de ces composés, tandis qu’elle écrit séparément les deux autres? On devrait les écrire en un seul mot, et de même eaudevie, belledejour, belledenuit.

Le mot garde-malade peut s’écrire de cinq manières différentes, selon l’analyse qu’on fera des composants: une garde-malade, garde de malade; une garde-malades, qui garde les malades, des garde-malade, qui gardent le malade ou un malade; des gardes-malade, comme gardes-marine, gardiens de malade; des garde-malades, qui gardent les malades; et enfin des gardes-malades. Ce pluriel, qui semble le plus généralement adopté, est le moins logique de tous. La forme gardemalade supprime ces puériles difficultés.

61 L’Académie écrivant: aussitôt, aujourd’hui, auparavant, auprès, aplomb, embonpoint (qu’il serait mieux d’écrire enbonpoint, puisqu’on a mal-en-point), pourrait écrire sans tiret, acompte, audevant, apropos, aprésent. Pour trouver ces quatre mots au Dictionnaire, il faut aller les chercher à Compte, à Devant, à Propos, à Présent.

L’Académie écrivant: plutôt, plupart (où le s est retranché)[64], bienheureux, bienséant, biendisant, médisant, pourrait écrire sans tiret: bienaimé, bienêtre, plusvalue ou pluvalue, et, en un seul mot plusqueparfait, comme elle écrit imparfait. Puisqu’elle écrit betterave, pourquoi chou-rave?

[64] Quant au genre des lettres, selon l’Académie, on doit écrire tantôt une s, tantôt le s. Il en est de même pour d’autres lettres f, l, m, n, r; à cet égard, il faut aussi prendre un parti.

L’Académie, écrivant comme on prononce bâbord, terme de mer, et non bas-bord, pourrait écrire sans tiret bassetaille, bassecour, ce qui éviterait ce pluriel: des basses-cours, des basses-tailles.

Elle écrit avec raison bientôt: elle devrait faire de même 62 pour sans doute, dont les composants ne sont pas même réunis par un trait d’union. Cependant, sans doute exprime très-souvent le doute, au lieu d’un sens affirmatif: il viendra sans doute signifie il viendra probablement, peut-être. On devrait donc écrire sansdoute ou mieux sandoute, comme plutôt, souvenir, plafond, etc.

Elle écrit sans tiret clairvoyant, et avec tiret clair-semé, à claire-voie.

Elle écrit en un seul mot: contrebande, contrecarrer, contredanse, contredire, contrefaçon, contrescarpe, etc., et devrait écrire aussi sans tiret: contr’épreuve ou contrépreuve, contrecoup, contrecœur, contremarque, contretemps, contresens, contrepoids, contrepied, contrelettre, contrefort, contrordre.

Contre-poison, contre-taille, sont ainsi écrits à leur ordre alphabétique; mais, dans le cours de son Dictionnaire, l’Académie écrit contrepoison, contretaille.

L’Académie écrit: entrecouper, entrelacer, entrelacs, entremettre, entrelarder, auxquels elle devrait ajouter sans tiret: entredonner, entredéchirer, entredeux, entrepont, entresol et soussol ou mieux sousol[65].

[65] Dans les quatre éditions précédentes, l’Académie écrit entresol d’un seul mot, de même qu’elle écrit en un seul mot tournesol, parasol, préséance, présupposer, vraisemblance, et qu’on devrait écrire havresac, bouteselle (et non havre-sac, boute-selle), en prononçant l’s comme il devrait toujours être prononcé et non comme z. M. J. Quicherat observe avec raison (Traité de versification française, p. 3) que «l’Académie a tort d’écrire dissyllabe et qu’on doit écrire disyllabe, comme dimètre, dilemme: la particule dis n’ayant rien à faire dans cette composition.»

Il serait désirable que partout où l’s se prononce z, cette dernière lettre pût un jour la remplacer.

On écrivait autrefois hazard, hazarder, nazillard, magazin. Corneille écrivait cizeaux; on devrait donc écrire de même bizeau, nazeau, puisqu’on écrit nez. Bossuet, dans les manuscrits de ses Sermons, p. 59, écrit: vous oziez.

La lettre z est simple, euphonique et gracieuse. Il est regrettable qu’on ait cru en devoir restreindre l’emploi aux seuls mots suivants: alezan, alèze, alize, alizier, amazone, apozème, azerole, azerolier, azimut, azote, azur, azyme, balzan, bazar, benzine, bézoard, bizarrerie, bonze, bronze, Byzance, canezou, colza, coryza, czar, dizain, dizaine, dizenier, donzelle, douzaine, douze, épizootie, gaz, gaze, gazelle, gazer, gazetier, gazette, gazeux, gazomètre, gazon, gazouiller, gazouillement, gazouillis, horizon, lazaret, lazuli (lapis), lézard, lézarde, luzerne, mazette, mélèze, mozarabe, Nazareth, nez, onzième, osmazôme, quartz, quatorze, quinze, recez, rez-de-chaussée, riz, rizière, seize, sizain, sizaine, suzeraineté, syzygie, topaze, trapèze, treize, vizir, vizirat, auxquels il faut ajouter les 41 mots commençant par cette lettre au Dictionnaire.

Si le z pouvait remplacer l’s dans les mots où il en a pris le son, on éviterait des difficultés orthographiques et une règle de grammaire à apprendre avec les exceptions. L’s reprendrait sa fonction naturelle dans ces mots composés: asymptote, désuétude, entresol, havresac, monosyllabe, parasol, préséance, présupposer, soubresaut, tournesol, vraisemblable, etc., que des étrangers croient devoir prononcer comme aisément, avec le son du z.

63 L’Académie écrit: gendarme, gentilhomme, lieutenant, mainmorte, malhonnête, malintentionné, malpropre, malsain; elle pourrait écrire de même sans tiret: faufuyant, gagnepain, gardefeu, gardemeuble, mainforte.

L’Académie écrit: hautbois (qui serait mieux sous cette forme: haubois, en italien oboè); pourquoi ne pas écrire: hautecontre et contrebasse? et puisqu’on écrit justaucorps, on pourrait admettre haudechausse.

L’Académie écrit sans tiret: nonpareille, parterre, partout, passavant, porteballe, portechape, portechoux, portecrayon, portefaix, portefeuille, portemanteau, postface; et avec tiret: nonsens, passedebout, passeport, passetemps, peutêtre, portecrosse, portedrapeau, portemontre, portevoix. La régularisation de ces derniers mots supprimerait l’embarras du pluriel. On verra par le Tableau des mots composés la difficulté de le former.

L’Académie écrit: outrecuidant, outremer, sauvegarde, soucoupe, soussigné, souterrain, soutirer, surbaisser, surenchère; elle pourrait écrire sans tiret: outrepasser, saufconduit, souslouer (ou mieux soulouer), sousentendu, sousordre, souspréfet ou soupréfet, et devrait écrire soulocataire, sousol, comme elle écrit soucoupe, soutirer, sourire, soubassement, soumission, soulier, mieux écrit autrefois soulié.

L’Académie écrivant surenchérir, surlendemain, surnaturel, pourrait écrire surlechamp, au lieu de sur-le-champ, et le 64 placer à son rang à côté de surlendemain, tandis qu’il faut chercher cet adverbe ou locution adverbiale à Champ; surlechamp est un adverbe comme sitôt et aussitôt, lequel est également composé de trois mots: au-si-tôt.

L’Académie écrit: becfigue, pourboire, quintefeuille, quintessence, tournebride, tournebroche, tournemain, vaurien. Elle pourrait écrire sans tiret: chaussetrape, coupegorge, couvrepied, curedent, quatretemps, quatrevingts, songecreux, et, puisque tapecu est ainsi écrit, torchecul ou torchecu devrait l’être de même.

Bien que l’Académie écrive des contrevents et des abat-vent, des brise-vent et des paravents, des casse-tête et des serre-tête, des tire-têtes et des hausse-cols, des passe-poils et des passeroses, des passerages et des passe-ports, un gobe-mouches et un chasse-mouche, ces mots, de même formation, devraient tous prendre une figure orthographique uniforme.

Comment fixer les pluriels des mots suivants, que chacun forme à sa manière:

Des ayants cause, des bateaux-poste, des boute-selles, des chasse-marée, des tête-à-tête, des souffre-douleur, des contre-vérité, des coq-à-l’âne, des dames-jeannes, des croc-en-jambe, des rouges-gorges, des rouge-queue, des rouges-trognes, des rouges-bords, des garde-forêt, des garde-robes, des cure-dent, des cure-oreilles, des chausse-pied, des entre-côtes, des essuie-main, des appui-main, des fesse-cahier, des porte-hache, des pieds-d’alouette, des passe-volants, des hautes-contres, des culs-de-sac, des guets-apens, des pince-maille, des après-dînées, des après-midi, des garde-fous, des gardes-marine, des perce-oreille, des trouble-fête, des ponts-neufs, des messire-Jean, des bains-Marie, des colin-maillard, des revenant-bon, des porte-étendard, des serre-tête, des tire-têtes, des serre-file, etc.?

Pour lever toute difficulté, ne pourrait-on pas, dès à présent, ramener comme suit à une orthographe uniforme ces mots composés:

Abajour, abavant, appuimain, avancoureur, avanmain, avanscène, bassecour, boutefeu, brèchedent, brisecou, brûletout, cassenoisette, chapechute, chassemarée, chassemouche, cervolant, chaufepied, 65 chaussepied, chaussetrape, choufleur, contrecoup, coupegorge, couvrefeu, crèvecœur, curedent, damejeanne, entracte, entrecôte, entreligne, essuimain, gagnepain, gardechasse, gardecôte, gardemagasin, gardemanger, gardemine, garderobe, gâtemétier, gorgechaude, haussecol, haubois, hautecontre, messirejean, millepied, mouillebouche, ouïdire, passedebout, passedroit, passepartout, passepasse, perceneige, portemontre, portecrosse, reineclaude, reinemarguerite, réveillematin, saufconduit, serrefile, serrepapier, serretête, tailledouce, terreplein, tirebotte, troublefête, vatout, viceroi, et enfin un vanupied, etc. (Voir Appendice F.)

On place entre deux tirets la lettre euphonique t, et c’est avec raison qu’on écrit: y a-t-il, ira-t-il; mais pourquoi ne pas en faire autant pour l’s qui a le même emploi? On ne devrait pas écrire, comme on le fait, donnes-en, poses-y, cueilles-en, donnes-y, manges-en, ce qui donne lieu à l’erreur fréquente que l’on commet en s’imaginant que, dans toutes les conjugaisons, la seconde personne de l’impératif doit avoir une s. Il faut donc de toute nécessité écrire donne-s-en, porte-s-y, va-s-en chercher, va-s-y, cueille-s-en, mange-s-en; ou mieux en mettant un z euphonique à la place de l’s, puisque l’Académie écrit maintenant quatre-z-yeux qu’elle écrivait auparavant quatre-zyeux.


Doit-on, pour la division des mots au bout des lignes, se conformer à l’étymologie ou bien à l’épellation, qui favorise mieux la lecture à haute voix? L’Académie, dans son Dictionnaire, n’a adopté aucune règle fixe à cet égard: il conviendrait de faire cesser cette incertitude qui embarrasse les correcteurs d’imprimerie. Ainsi, dans la même page, on trouve écrit: sou-scrire conformément à l’étymologie, et sous-crire, conformément à l’épellation. Il en est de même pour sou-scripteur et sous-cripteur, atmo-sphère et atmos-phère, hémi-sphère et horos-cope, cata-strophe et cho-révêque, mono-ptère et coléop-tère.

66 L’Académie ayant admis la division i-nadmissibilité, i-négalité, su-ranné, pros-terner, pros-tituer, semblerait autoriser cette division conforme à l’épellation pour des-truction, des-titution, dés-union, pres-cription; cependant elle écrit aussi in-specter, in-spirer, ob-struction, pro-scrire, conformément à l’étymologie.

Cette question, futile en apparence, a une application incessante dans la pratique. Peut-être doit-on préférer la division adoptée pour les langues grecque et latine, où l’on sépare, en fin de ligne, les mots par un tiret d’après leurs racines.

67 IV
DE L’ORTHOGRAPHE ET DE LA PRONONCIATION
DES MOTS TERMINÉS EN ANT OU ENT.

ADJECTIFS ET SUBSTANTIFS VERBAUX PROVENANT DU PARTICIPE PRÉSENT.

Selon les grammaires, nous avons d’abord dans la catégorie des mots en ANT:

1o Tous les participes présents, terminés sans aucune exception en ANT, et invariables quand ils expriment une action. Quand ils expriment un état, ils peuvent se transformer en adjectifs verbaux et s’accorder en genre et en nombre avec leur sujet. L’adjectif verbal, extension d’emploi du participe présent, conserve au singulier masculin la forme ant du participe présent dont il dérive. Il devient même quelquefois un substantif, que j’appellerai alors substantif verbal; tels sont: les étudiants, les complaisants, les opposants, les gérants, les correspondants, etc.

2o Sont aussi terminés en ANT les adjectifs et les substantifs des verbes formés sur la première conjugaison latine, tels que amant, chantant, mendiant, suppliant, dont le nombre est considérable. Tous, sans exception, sont, comme le participe présent et le gérondif, terminés en ant.

3o Sont terminés aussi en ANT tous les adjectifs et substantifs de ce genre provenant d’une autre source que le latin. 68 Tels sont ces mots français formés d’un verbe ne provenant pas du latin:

agaçant éblouissant glapissant pantelant
attachant éclatant glissant passant
blanchissant écrasant grimaçant penchant
bondissant écumant grimpant perçant
bouffant effrayant grinçant piquant
brisant engageant grisonnant plongeant
brunissant étiolant guerroyant rafraîchissant
bruyant étouffant intrigant regardant
brûlant étourdissant jaillissant ronflant
calmant frappant jappant salissant
choquant fringant jaunissant tannant
criant gagnant marquant tombant
croupissant galant massacrant tranchant
déchirant garant navrant trébuchant

Ainsi donc, je le répète, les mots terminés en ant comprennent: 1o tous les participes présents, sans aucune exception; 2o tous les adjectifs et substantifs verbaux dérivés de verbes français formés sur la première conjugaison latine et qui sont en si grand nombre; 3o tous les substantifs et adjectifs verbaux qui ne viennent pas du latin.

Pour ces trois classes de mots, il n’y a pas d’embarras, pas de changements à proposer.

Mais il n’en est pas de même des adjectifs et des substantifs formés sur les trois autres conjugaisons latines: sans aucun motif apparent, les uns sont terminés en ant, les autres en ent. Il en résulte donc une grande incertitude orthographique, car la prononciation ne peut servir de guide, puisque les uns comme les autres, soit qu’ils s’écrivent par ant, soit par ent, se prononcent également par notre an nasal, en sorte que l’étymologie nous induirait en erreur, tous possédant un primitif latin en ENS.

On doit faire remarquer que, même dans cette catégorie, la forme ant est beaucoup plus nombreuse que la forme ent.

Voici le tableau des mots français terminés en ant et celui des mots terminés en ent, provenant les uns et les autres d’une 69 conjugaison latine autre que la première (laquelle, on le répète, forme toutes ses terminaisons en ant).

Liste des adjectifs et substantifs verbaux formés de participes latins en ENS (haute, moyenne et basse latinité), provenant de la 2e, 3e ou 4e conjugaison
Et qui en français se terminent en ANT.

abrutissant convaincant impuissant raréfiant
absorbant convenant inconstant ravissant
adoucissant copartageant inconvenant reconnaissant
affligeant correspondant indépendant réfrigérant
agissant courant insignifiant réjouissant
agonisant croissant insuffisant reluisant
amollissant croyant intendant renaissant
ascendant cuisant intervenant repentant
assaillant décevant languissant répercutant
assistant défaillant luisant répondant
assortissant défiant malfaisant repoussant
assourdissant délinquant méconnaissant resplendissant
assujettissant dépendant mécréant ressortissant
attenant déplaisant médisant revenant
attendrissant déposant méfiant riant
attrayant descendant mordant rugissant
avenant désobéissant mordicant saillant
avilissant desservant mourant saisissant
belligérant dirigeant mouvant satisfaisant
bienfaisant dissolvant naissant savant
bienséant divertissant nourrissant séant
bienveillant endurant obéissant séduisant
cédant ensuivant odoriférant servant
clairvoyant entreprenant offensant sortant
combattant étourdissant opposant souffrant
commettant étudiant outrageant souriant
compatissant excédant pâlissant suant
complaisant exécutant partageant suffisant
composant exigeant pendant suivant
compromettant existant perdant surintendant
concertant exposant persistant surprenant
concluant extravagant pesant survenant
confiant fatigant plaisant survivant
conquérant flagellant poursuivant tenant
consentant fleurissant prenant tendant
consistant florissant pressant transcendant
constituant fondant prétendant vaillant
consultant fuyant prévenant venant
contenant gémissant prévoyant versant
contendant gérant puissant vivant
contredisant imposant ramollissant voyant

70 Parmi les participes en ant les grammairiens en indiquent quinze qui changent d’orthographe en cessant d’être employés comme participes présents, et qui prennent alors ent au lieu de ant.

Mais pourquoi établir une exception pour ces seuls mots dans le nombre si considérable de participes en ant qui, lorsqu’ils deviennent substantifs ou adjectifs verbaux, conservent dans les deux cas la désinence ant comme en combattant et un combattant; en conquérant et un conquérant, en étudiant et un étudiant[66]? Si donc dans ces quinze mots qui se rencontrent dans les trois dernières conjugaisons latines les participes se sont ainsi modifiés:

(Participe.)     (Participe.)    
adhérant subst. adhérent excellant adj. excellent
affluant subst. affluent expédiant subst. expédient
coïncidant adj. coïncident négligeant subst. négligent
convergeant adj. convergent précédant subst. précédent
différant adj. différent[67] présidant subst. président
divergeant adj. divergent résidant subst. résident
émergeant adj. émergent violant adj. violent
équivalant subst. équivalent      

tandis qu’on écrit de cette manière:

(Participe.)     (Participe.)    
assistant et un assistant excédant et un excédant
agonisant et un agonisant complaisant et un complaisant
descendant et un descendant répondant et un répondant
desservant et un desservant prétendant et un prétendant
dissolvant et un dissolvant revenant et un revenant
plaisant et un plaisant vivant et un vivant
médisant et un médisant      

ne doit-on pas donner à ces quinze mots adhérent, 71 affluent, etc., une désinence uniforme, celle en ant? Par là cesserait toute difficulté, et les règles exceptionnelles qui surchargent nos grammaires seraient diminuées d’autant.

[66] Si l’on voulait alléguer que le substantif verbal un étudiant devait être ainsi écrit, attendu que, étant tiré du participe présent de la première conjugaison française (étudier, en étudiant), sa forme régulière est en ant et non en ent, sans qu’on ait à tenir compte de la deuxième conjugaison latine (studere, studens), on demande pourquoi les substantifs verbaux adhérent, affluent, etc., et les adjectifs verbaux coïncident et convergent qui appartiennent aussi à la première conjugaison française sont écrits en ent et non en ant.

[67] On pourrait faire une exception pour le substantif différend.

Liste des adjectifs et substantifs verbaux provenant des
trois dernières conjugaisons latines

Et qui se terminent en ENT.

Les quinze mots exceptionnels sont marqués d’un *, et les trois adjectifs non verbaux d’une †.

absent continent expédient * jacent
abstinent contingent fervent latent
accident convalescent fréquent mécontent
adhérent * convergent * imminent négligent *
adjacent corpulent † impatient occident
adolescent décent impertinent opulent
afférent déliquescent impotent orient
affluent * déponent imprudent patent
agent différent * impudent patient
antécédent diligent incident pénitent
apparent dissident incohérent permanent
ardent divergent * incompétent précédent *
astringent dolent inconscient prééminent
clément † effervescent inconséquent président *
client efficient incontinent prudent
coefficient éloquent inconvénient récipient
coïncident * émergent * indécent réfringent
compétent éminent indigent régent
concurrent émollient indulgent résident *
confident équipollent inhérent subséquent
confluent équivalent * innocent succulent †
conscient escient insolent suréminent
conséquent évident intelligent urgent
content excellent * intermittent violent *

Ainsi donc, contrairement à la série considérable des mots en ant provenant 1o de la première conjugaison latine, qui ne figurent pas ici et qui tous se terminent en ant; 2o de la liste des mots en ant qui ne dérivent pas de verbes latins; 3o de la liste des mots de la seconde, troisième et quatrième conjugaisons latines qui se terminent en ant, bien que formés sur les désinences latines en ens, on voit que le nombre des mots qui se terminent en ent (une centaine au plus) est relativement très-faible comparé à ceux dont la désinence est en 72 ant, et que d’ailleurs aucune règle fixe n’a présidé à leur formation. Bornons-nous à ces exemples:

2e Conjugaison: plaisant, répondant et abstinent, permanent
contenant, attenant et continent, éminent
vaillant, voyant et équivalent, évident
3e Conjugaison: confiant, suivant et confident, conséquent
belligérant, ascendant et antécédent, intelligent
affligeant et négligent
suffisant et efficient
déposant et déponent
cédant et précédent
suivant et conséquent
4e Conjugaison: avenant, inconvenant et inconvénient, expédient
amollissant et émollient, etc.

Que d’hésitations et d’efforts de mémoire pour ne pas errer dans ce labyrinthe!

Bien plus, il est quelques-uns de ces mots, au nombre de 17, qui, au masculin singulier, présentent une homographie complète avec la troisième personne du pluriel du présent de l’indicatif, également terminée en ent, et dont la prononciation diffère, exemple: un affluent, ils affluent; un expédient, ils expédient.

Mots en ENT prononcés différemment, bien qu’écrits de même.

  affluent, adj. ils affluent un résident ils résident
un expédient ils expédient   violent, adj. ils violent
  content, adj. ils content un couvent elles couvent
  convergent, adj. ils convergent un confluent ils confluent
un équivalent ils équivalent   évident, adj. ils évident
  excellent, adj. ils excellent   divergent, adj. ils divergent
  négligent, adj. ils négligent un parent ils parent
  émergent, adj. ils émergent   coïncident, adj. ils coïncident
un président ils président  

En adoptant la désinence ANT pour tous les adjectifs et substantifs verbaux on éviterait donc cette homographie qui vient encore accroître le trouble déjà signalé; or, du moment où la terminaison ant l’emporte de beaucoup en nombre sur ent et que la prononciation est identiquement la même dans l’un et 73 l’autre cas, on propose de ramener tous les substantifs et adjectifs verbaux à un seul et même type en ant.

Bossuet, lors des discussions préliminaires pour le Dictionnaire de l’année 1694 (voir App. C), frappé déjà de l’incohérence de l’orthographe des adjectifs et des substantifs terminés les uns en ant, les autres en ent, cherchait le moyen de parvenir à une sorte de régularité, et, comme il lui semblait que, dans l’ensemble des mots français formés par le participe latin en ens, la terminaison en ent était plus nombreuse que celle en ant, il proposait à cet effet, tout en maintenant au participe présent, ainsi qu’au gérondif, la forme exclusive ant[68], de donner à tous les autres la forme ent.

[68] Dans les manuscrits autographes des sermons de Bossuet, 2 vol. in-fol., que j’ai examinés à la Bibliothèque impériale, on remarque, au contraire, une tendance naturelle à remplacer l’e par l’a, conformément à la prononciation. Il écrit donc constamant, contant, contanter, contantement, atantion, atantif, atantivement, atantats, cepandant, commancer, etc. Il écrit commancement et assambler, et presque toujours, si ce n’est toujours, il écrit, comme Corneille, vanger, vangeance.

Ainsi on trouve écrit par Perrot d’Ablancourt retrencher, garentie, qui sont devenus garantie et retrancher conformément à la tendance de substituer l’a à l’e, et il écrit restraindre comme nous écrivons contraindre; mais aujourd’hui on écrit restreindre avec un e.

Fénelon, à toutes ses éditions, écrit les Avantures de Télémaque, et Racine écrit aussi avanture, vanger, vangeance. L’Académie cependant écrivait aventure dès sa première édition de 1694. Fénelon ne publia sa première édition: Suite du quatrième livre de l’Odyssée d’Homère ou Avantures de Télémaque, qu’en 1699, et toutes les éditions postérieures, y compris celle de Étienne Delaulne, 1717, portent le titre d’Avantures. Fénelon persistait donc, malgré l’Académie, à écrire et faire imprimer son livre avec le titre courant d’Avantures, et c’est ainsi que sont imprimées les Avantures de M. d’Assoucy, les Avantures du baron de Fœneste.

Mais, contrairement au sage avis de Bossuet, qui voulait l’uniformité, l’Académie inscrivait dans son Dictionnaire près de la moitié des adjectifs et des substantifs verbaux (voir le tableau page 69) avec la désinence ant, bien que formés tous sur la désinence ens du latin, tels que: affligeant, ascendant, assistant, assujettissant, attenant, attrayant, avenant, bien-disant, bienfaisant, bienséant, cédant, etc., entraînée en cela par le grand nombre d’adjectifs et substantifs verbaux provenant de mots forgés sur la première conjugaison latine, arrivant, aimant, amant, allant, appelant, etc., et sur les mots 74 étrangers au latin, agaçant, attachant, brisant, gagnant, passant, tranchant, etc.

Ainsi, dès cette époque, la formation en ent, que j’appellerai latine, avait cessé de fonctionner, et dès lors l’adjectif et le substantif verbal se formant à fur et à mesure des besoins sur le participe présent français toujours en ant, il en résulte que le nombre des mots de ce genre l’a emporté de beaucoup par un usage constant sur ceux dont la désinence est en ent.

Maintenant, en présence des faits, on peut être assuré que Bossuet, avec la supériorité de son esprit et la rigueur de sa logique, n’aurait pas hésité à adopter pour règle l’uniformité de la désinence en ant. Et, en effet, puisque la prononciation est la même pour tous, pourquoi retarder plus longtemps une réforme si facile, qui épargnerait l’obligation, très-pénible, souvent même impossible, d’établir une distinction dans l’orthographe des participes présents et celle des adjectifs et substantifs verbaux, dédale où la connaissance du latin et des étymologies, loin de nous guider, nous entraîne, comme on vient de le voir, dans de perpétuelles contradictions?

Si ce principe était adopté, on pourrait conserver la désinence ent au petit nombre de mots formés directement du latin, comme gent de gens; aux mots calqués sur la désinence latine du neutre en entum, comme testament, monument, de testamentum, monumentum, et enfin à tous nos adverbes en ment, tous par e, à cause de la racine mente. Ces trois classes de mots feraient seules exception à la règle de l’a remplaçant e dans les mots terminés en ant.

75 DE L’ORTHOGRAPHE ET DE LA PRONONCIATION DES MOTS EN ANCE ET ENCE.

Enfin l’Académie examinera s’il ne conviendrait pas de ramener à une seule et même orthographe les mots ayant leur désinence en ance et ence.

Tous les substantifs dérivés des verbes de la PREMIÈRE conjugaison latine se terminent par ance: abondance, assonance, consonance, extravagance, substance, etc.

Pour les mots dérivés des verbes de la DEUXIÈME conjugaison, le plus grand nombre se terminent en ence: cependant l’Académie écrit: appartenance et abstinence, allégeance et agence, bienséance et équipollence, dépendance et éminence, complaisance et dissidence, condoléance et déshérence, déchéance et décadence, déplaisance et permanence, engeance et exigence, intendance et incidence, malveillance et pénitence, naissance et innocence, plaisance et indulgence, surséance et présidence, prévoyance et providence, réjouissance et résidence, redevance et impertinence; enfin elle écrit diversement les dérivés d’un même verbe: (de tenere, tenens), contenance et continence, (de videre, videns), clairvoyance et évidence, etc.

Pour les mots dérivés de la TROISIÈME conjugaison, la moitié s’écrivent par ance ou par ence, sans motif apparent: assistance et adolescence, bienfaisance et magnificence, concomitance et concupiscence, confiance et confidence (de confidere), consistance et conséquence, descendance et convalescence, croyance, crédence et créance (de credere), croissance et conférence, déchéance et décadence (de cadere), défiance et désinence, gérance et agence, médisance et confidence, méfiance et mésintelligence, insuffisance et éloquence, intendance et intelligence, concomitance et intermittence (l’un avec un t, l’autre avec deux t), naissance et affluence, oubliance et négligence, subsistance et existence.

76 Pour les mots dérivés de la QUATRIÈME conjugaison, ils se bornent à 6 ou 8 et présentent la même anomalie: convenance et audience, disconvenance et conscience, souvenance, prévenance et expérience, obéissance et obédience, insouciance et science.

Ainsi, par ces modifications ou plutôt ces rectifications, la grammaire, débarrassée de ce grand nombre d’exceptions et de fatigantes minuties, deviendra plus facile à apprendre, et allégera pour l’Académie l’obligation d’en rédiger une. C’est peut-être aux fastidieux détails qui surchargent encore cette œuvre, confiée d’abord à Regnier des Marais, qu’on doit, du moins en partie, attribuer son ajournement.

Et, en effet, qui a le courage aujourd’hui de lire la Grammaire de des Marais, si ce n’est comme étude historique?

Le conflit entre l’orthographe propre au français et celle du latin ne date pas, il est vrai, de l’époque du savant secrétaire de l’Académie de 1694. Si nous nous reportons au temps des Estienne (1540), nous le trouverons aussi marqué qu’à présent, mais cependant en sens inverse. Ce sont les mots en ence qui paraissent alors l’emporter numériquement sur les mots en ance. Mais il n’en est plus de même si l’on remonte à 1420-40, au moment où Firmin Le Ver rédigeait son dictionnaire. Une couche très-riche de mots français d’ancienne formation subsistait encore, et, dans ce fonds antérieur à la Renaissance, les vocables latins en entia sont traduits par des mots français en ance que Le Ver, en sa qualité de Picard, écrit souvent par anche. Par exemple:

COMPLACENTIA donne complaisance
COGNOSCENTIA congnissance
CONFIDENTIA confianche
CONVENIENTIA convenanche
CRESCENTIA croissance
DECENTIA avenanche, contenanche
DEPENDENTIA dependanche
DESPLICENTIA desplaisanche
DISSIDENTIA desseanche, discordanche
EXIGENTIA juste requeranche
EXISTENTIA estanche, demouranche
77 IMPOTENTIA non puissanche
MALIVOLENTIA male veullanche
NASCENTIA naissanche
PENITENTIA penanche, penitanche, repentanche
PERTINENTIA appartenanche
PROVIDENTIA pourveanche
RESISTENTIA resistanche
SUFFICENTIA souffisanche

Par un phénomène curieux et qui caractérise très-bien le sens, au point de vue orthographique, et la coexistence des deux courants qui ont formé notre langue telle qu’elle existe aujourd’hui, dans quelques cas le mot français d’ancienne formation en ance se trouve dans le même endroit en présence du calque latin de nouvelle formation en ence. Exemples:

ABSENTIA = défaillance, absence
CONSEQUENTIA = ensievance, consequence
CONSIDENTIA = seanche, considence, consistence
OBEDIENTIA = obeissanche, obedience
RESIDENTIA = demourance, residence

D’autres mots, tirés également des trois dernières conjugaisons latines, alors récents et reproduisant le latin lettre à lettre, sont écrits par ence. Tels sont concupiscence, diligence, eloquence, innocence, presidence, science. D’autres substantifs de ce genre, qui figurent également sous forme d’adjectifs dans les tableaux précédents, ne sont pas encore usités au commencement du quinzième siècle, car ils n’existent pas sous leur forme actuelle dans Le Ver. Tels sont: adolescence, allégeance, agence, bienséance, clémence, compétence, correspondance, décadence, éminence, décence, impuissance, inconstance, indépendance, indulgence, insolence, réjouissance, répugnance, etc.

J’ai voulu pousser plus loin la constatation de cette loi de la francisation orthographique des mots directement formés sur le latin, car, en me bornant au dictionnaire de Le Ver et au quinzième siècle, je m’exposais à l’objection que je n’avais embrassé qu’un dialecte et une époque de l’histoire 78 de la langue. J’ai cherché cette vérification dans les plus anciens monuments littéraires du français au douzième siècle, je veux dire les Quatre livres des Rois de la Bibliothèque Mazarine et les Choix de sermons de saint Bernard, publiés par M. Le Roux de Lincy en 1841. J’ai fait dépouiller dans les uns et les autres tous les mots en ance et en ence. Ils sont en bien petit nombre dans un volume de plus de cinq cents pages, ce qui prouve que la tendance à calquer les terminaisons du français sur le latin n’était pas encore très-prononcée. Les voici tous, sans acception de conjugaison cette fois:

Mots en ANCE.

abundance R. et habondance S. Bern. hunurance et onurance (honneur)
aliance lance
apurtenance mescréance
atemprance (arrangement) penance (pœnitentia)
conissance S. B. pesance
conixance S. B. recunuissance
cuvenance remanance
demustrance remembrance
dessevrance (mérite) S. B. repentance et respentance
dutance sachance S. B.
enfance R. et S. B. semblance R. et S. B.
enurance (splendeur) signefiance
esperance sustance R. et sostance S. B.
fiance sustenance
grevance venjance

Les mots en ence ne sont qu’au nombre de treize et sont marqués d’un caractère théologique tout spécial. Ce sont:

Mots en ENCE.

abstinence reverence
frequence S. B. sapience
impatience et impascience S. B. semence S. B.
negligence S. B. science
obedience sentence S. B.
penitence silence S. B.
pestilence  

On voit que plusieurs d’entre eux ont leurs correspondants dans la liste ci-dessus en ance: tels sont penance et penitence, 79 sachance et sapience, science. Il résulte de ce qui précède que même dans les mots tirés de substantifs en entia la forme française en ance domine partout sur la forme latine en ence qui figurait peut-être la prononciation ince. En tout cas il est incontestable qu’en empruntant des mots au latin, le français d’alors ne s’attachait pas à en copier servilement l’orthographe.

80 V
SYLLABES TI, TION.

Au moyen d’un simple signe adapté à la lettre t, comme Geofroy Tory l’a fait le premier pour la lettre c, lui donnant, par l’apposition de la cédille, le son exceptionnel du s, bien des difficultés de prononciation seraient épargnées aux étrangers ainsi qu’aux enfants; et l’Académie ne serait plus obligée, dans son Dictionnaire, de répéter continuellement: «Dans ce mot, t suivi de i se prononce comme c dans ci,» indication fréquemment reproduite, mais qu’on lui reproche d’avoir oubliée dans plus de cent endroits.

Cette syllabe ti, qu’on doit prononcer ci, est une cause de telles difficultés pour la lecture et l’écriture, qu’il semble indispensable d’adopter un système régulier, soit en remplaçant le t par c ou s, comme l’a fait l’Académie dans certains mots, soit en plaçant une cédille sous le t, ainsi qu’on le fait depuis le milieu du seizième siècle pour le c. En sorte que, de même qu’on écrit flacon et façon, gascon et garçon, on écrirait: nous acceptions et les accepţions, pitié et inerţie, inimitié et facéţie, amitié et primaţie, chrétien et Capéţiens, etc.

Déjà l’Académie a substitué quelquefois le c au t; elle écrit négociation, qui, conformément à l’étymologie, aurait dû être écrit négotiation, puisqu’elle écrit initiation, pétition, propitiation[69]. Ailleurs elle écrit sans motif il différencie et il balbutie, chiromancie et démocratie, circonstanciel et pestilentiel.

[69] Elle se trompe même en indiquant ainsi la prononciation de ce mot: «On prononce propiciation

81 L’Académie, qui a écrit par un t les dix adjectifs suivants: ambitieux, captieux, contentieux, dévotieux, factieux, facétieux, minutieux, prétentieux, séditieux, superstitieux, écrit par un c les treize autres que voici: avaricieux, consciencieux, disgracieux, gracieux, licencieux, malgracieux, malicieux, précieux, révérencieux, sentencieux, silencieux, spacieux, vicieux: les uns et les autres, indistinctement, ont en latin un t, vitiosus, pretiosus[70], etc. Pourquoi cette distinction? En modifiant l’orthographe des dix premiers, tous les adjectifs de cette catégorie terminés en IEUX seraient écrits et prononcés uniformément, comme avaricieux, capricieux, délicieux.

[70] Le mot prétieuses est ainsi écrit dans le Dictionnaire de Somaize (1661), mais l’Académie, en 1694, remplaçant le t par un c, écrit précieuses, et déjà en 1420, le Dictionnaire de Le Ver, où souvent les mots latins sont orthographiés conformément à la prononciation française, écrivait avec un c les mots preciosus, preciolus, preciose, preciositas, qu’il traduit par precieusement, precieusetes.

Peut-être conviendrait-il, pour treize substantifs ayant tie pour désinence: argutie, calvitie, diplomatie, facétie, impéritie, ineptie, inertie, minutie, onirocritie, primatie, prophétie, suprématie, et pour les quatre mots terminés par cratie: aristocratie, bureaucratie, démocratie, ochlocratie, de les écrire avec la désinence CIE, comme l’a fait l’Académie pour chiromancie, rabdomancie. Alors il n’y aurait plus d’exception pour l’ensemble des mots se terminant en CIE, comme pharmacie, superficie, alopécie et esquinancie, que Henri Estienne, à sa table des mots dérivés du grec, renvoie avec raison à squinancie.

Il en est de même de circonstanciel, que l’Académie écrit par un c; mais elle écrit confidentiel, différentiel, pestilentiel, substantiel, obédientiel, et cependant ces mots dérivent de confiance, différence, pestilence, substance, obédience, comme circonstanciel dérive de circonstance. Par la même raison, essentiel devrait s’écrire essenciel. On pourrait donc écrire uniformément les mots dont la désinence est en CIEL.

82 Ainsi, pour ces diverses séries de mots prononcés en cion, en cieux, en cie et en ciel, le c ayant déjà été employé quelquefois par l’Académie à la place du t, on pourrait adopter uniformément la lettre c. Par là bien des difficultés et des règles de grammaire seraient supprimées.

Quant aux autres séries de mots où ti figure, peut-être conviendrait-il de préférer le ţ au c: tels sont les mots écrits exactement de même, mais qui changent de signification et de prononciation, du moment où ils ne sont plus des verbes à la première personne du pluriel de l’imparfait de l’indicatif.

nous acceptions — les acceptions nous inspections — les inspections
nous adoptions — les adoptions nous interceptions — les interceptions
nous affections — les affections nous inventions — les inventions
nous attentions — les attentions nous intentions — les intentions
nous contentions — les contentions nous mentions — les mentions
nous contractions — les contractions nous notions — les notions
nous dations — les dations nous objections — les objections
nous désertions — les désertions nous options — les options
nous dictions — les dictions nous persécutions — les persécutions
nous exceptions — les exceptions nous portions — les portions
nous éditions — les éditions nous rations — les rations
nous exemptions — les exemptions nous relations — les relations
nous exécutions — les exécutions nous réfractions — les réfractions
nous infections — les infections nous rétractions — les rétractions
nous injections — les injections nous sécrétions — les sécrétions

La cédille, placée sous le t comme on le fait pour le c lorsqu’il prend le son de s, ferait cesser cette confusion injustifiable. Il deviendrait aussi facile de distinguer les accepţions de nous acceptions, les adopţions de nous adoptions, et de discerner et de prononcer les deux ti, soit ti et ţi (ci), qu’il l’est de ne pas confondre les deux sons du c dans commerçant et traficant, dans reçu et recueillir.

Les deux verbes initier et balbutier seraient aussi écrits par ţ.

Quelle difficulté, je ne dirai pas de distinguer (il n’y a pas de distinction possible), dans la foule des mots où se trouvent les deux lettres ti, ceux où il faut les prononcer soit ti, soit ci: 83 amitié, pitié, inimitié, chrétien, moitié, épizootie[71], et: initié, inertie, imitation, Capétiens, facétie, primatie! Pourquoi supportions et action, argentier et différentier, abricotier et balbutier? Qui d’entre nous sait comment il faut prononcer antienne?

[71] L’Académie n’indique pas la prononciation de ce mot.

Resteraient les autres mots terminés en TION: dentition, partition, pétition[72], où le premier ti doit se prononcer ti et le second ci; On écrirait donc: dentiţion, partiţion, pétiţion, propitiaţion, et de même tous les mots dérivés de la première conjugaison latine, abdicare, abdicaţio, abdicaţion, et ceux de la quatrième conjugaison latine, audire, audiţio, audiţion (le nombre en est minime). Ceux, en si grand nombre, appartenant aux deux autres conjugaisons latines ont leur désinence en ţion, sion, ssion et cion.

[72] Contrairement aux règles de la grammaire, le premier ti dans ce mot, et dans les cinq autres, épizootie, étiage, étier, étiolement, étioler, se prononce ti, bien que placé entre deux voyelles.

Si l’on pouvait adopter une forme, la même pour tous, sion, ce serait préférable, car, pour pouvoir distinguer ces désinences diverses, il faut savoir le latin. Cet emploi du ţ ferait cesser de nombreuses incertitudes.

abdicare abdicatio abdication abstergere abstersio abstersion
abjurare abjuratio abjuration extorquere extorsio extorsion
retinere retentio rétention infundere infusio infusion
jubere jussio jussion incurrere incursio incursion
miscere [mixtus] mixtion demittere demissio démission
prætendere prætentio prétention[73] opprimere oppressio oppression
attendere attentio attention suspicere suspicio suspicion
convertere conversio conversion sugere suxio succion
adspergere adspersio aspersion audire auditio audition

[73] Racine, ainsi qu’on peut le voir au manuscrit autographe de la Bibliothèque impériale, écrivait avec raison pretension (en latin prætensio), et, en effet, nous écrivons tension. Nous devrions donc écrire de même attension que Bossuet écrit atantion. On trouve néanmoins dans Du Cange un exemple de prætentio. De tous ces mots de la troisième conjugaison latine, prétention est le seul auquel l’Académie ait conservé le t, parce que les Latins l’ont employé exceptionnellement dans ce mot. Mais puisqu’ils écrivent infusio et nous infusion, quelle différence y a-t-il entre prætendere et infundere qui puisse justifier cette contradiction?

84 Je croyais avoir émis le premier cette idée fort simple de l’emploi du t cédille, ţ, mais j’étais devancé par Port-Royal, qui propose dans le même but de placer un point sous le . La cédille sous le ţ se trouve même mise en pratique à Amsterdam en 1663 par Simon Moinet, le correcteur des Elzeviers[74], ce qui prouve que l’idée en est bonne et très-praticable.

[74] La Rome ridicule du sieur de Saint Amant travêstië a la nouvelle ortografe; pure invanţion de Simon Moinêt, Parisiïn, Amsterdam, aus dêpans é de l’imprimerië de Simon Moinêt, 1663, in-12.

85 VI
DE L’Y GREC.

Cette lettre, dont l’emploi abusif foisonne dans les manuscrits français et les impressions gothiques de la fin du quinzième siècle et du commencement du seizième, et jusque dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie, devrait être ramenée exclusivement à son véritable emploi, le remplacement du double i, exemples: atermoyer, ayons, citoyen, crayon, moyen, octroyer, pays, voyez.

Dès ses premières éditions, l’Académie fit disparaître un grand nombre d’y faisant fonction d’i simples, au grand déplaisir des scribes qui se complaisaient à l’employer comme un ornement calligraphique, et aussi pour remédier à la confusion que l’i, simple jambage, laissait dans l’ancienne écriture lorsque, à côté des autres jambages des m, n, ou u, il n’était pas surmonté du point, confusion que l’on remarque dans la plupart des diplômes et des manuscrits antérieurs à l’époque de la Renaissance.

Elle élimina même successivement l’y dans un certain nombre de mots où l’étymologie l’eût réclamé. Tels sont abyme, alchymie, amydon, anévrysme, chymie, cyme, colysée, crystal, gyratoire, satyrique (écrit), et tant d’autres, qu’on écrit aujourd’hui abîme, amidon, anévrisme, chimie, cime, colisée, cristal, giratoire, satirique, etc. Dans sa cinquième édition, analise, analiser, analitique, ayant été ainsi écrits dans les ouvrages imprimés alors, ces mots se produisirent sans y; mais l’Académie dans la sixième édition ayant rétabli analyse 86 et analyser, les imprimeries durent se conformer à ce retour à l’ancienne orthographe, de même qu’elles rétabliront l’i si l’Académie en donne de nouveau l’exemple dans la nouvelle édition qu’elle prépare.

Puisque les Latins n’ont pas conservé dans silva le ὑ ou y grec de ὕλη, pourquoi écrivons-nous encore sylvain, sylvestre, tandis que nous avons saint Silvestre? Pourquoi hyémal, lorsqu’on écrit hivernal et hiver, également dérivés de hiems? Dans l’ancien français on écrivait même iver et iverner.

Ne pourrait-on pas adopter l’i au lieu de l’y dans certains mots d’un usage assez général, comme anonyme, apocryphe, asphyxie, cacochyme, cataclysme, chyle, chyme (à cause de chimie), clysoir, clystère, collyre, cycle, cygne, cynisme, cyprès, gymnase, mystère (Bossuet écrit mistère et mistique), oxyde, oxygène, style[75], syllabe, symétrie, symphonie, syndicat, syncope, syphilis, système, type, tyran (Bossuet écrit tiran)[76], etc.?

[75] Les Latins écrivent stilus par un i; il est vrai que ce mot dérive de στύλος, qui en grec signifie colonne, d’où le bâton, puis le stylus, poinçon dont la tige est arrondie et pointue à l’un des bouts pour écrire sur la cire, et au figuré le style. Mais y a-t-il motif de se glorifier de ces curiosités scientifiques? Ce sont des jeux d’esprit et de mémoire qui portent le trouble dans l’orthographe bien inutilement. L’Académie écrit mirmidon, en indiquant que quelques-uns écrivent myrmidon, et cariatides, bien que l’orthographe grecque et latine eût exigé caryatides.

[76] Dans le Dictionnaire de Le Ver, composé en 1420, mistere, tiran, sont aussi écrits sans y.

Ce serait un pas de plus vers une réforme plus complète, telle que celle que l’Académie de Madrid vient d’accomplir en 1859, en repoussant l’y pour le remplacer partout par l’i simple[77].

[77] Promptuario de ortografía de la lingua española despuesto de real órden para del uso de las escuelas públicas, por la real Academia española, 1866.

La présence simultanée de l’y et de l’i dans un certain nombre de mots de notre langue offre parfois de l’embarras à des personnes instruites, à des savants même, qui craignent, avec quelque raison, qu’un lapsus momentané de mémoire ne 87 les fasse accuser d’ignorance par des personnes peu bienveillantes.

Il suffira de citer les mots suivants dans lesquels la ressemblance des syllabes est loin d’être un secours:

acolyte[78] et ichthyolithe hiéroglyphe et hyperbole
amphitryon et emphytéose Hippolyte et stylite
amphictyon et Amphitrite histrion et hypothèque
apocryphe et logogriphe hypotypose et prophylactique
azimut et byzantin, hyalin hypocrisie et chrysalide
adipocire et adynamie hyémal et hiérarchie
borborygme et énigme lithographie et lymphatique
bronchite et prosélyte lycanthropie et liturgie
dionysiaque et dyspepsie péristyle et crocodile
diachylon et conchyliologie phthisie et psychologie
diptyque et crypte polytechnique et poliorcétique
dithyrambe et dynamique rhythme et eurythmie
éclipse et apocalypse schiste et néophyte
épididyme et épicycloïde Scythie et Bithynie
épiphyse et symphise sibylle et pythie
érysipèle et paradigme stigmatiser et Styx
étymologie et esthétique syzygie et triglyphe
glyptique et triptyque xiphoïde et xylographie

[78] Ce mot devrait pour satisfaire à l’étymologie être écrit acoluthe, puisque nous avons anacoluthe.

Quelques mots où l’y ne provient ni du français ni du grec pourraient être ramenés aux règles de notre orthographe, tels sont: jockey, jury, tilbury, yacht, yatagan, yeuse, qui paraîtraient avec avantage écrits par un i à la manière française; ce qui se fait déjà pour quelques-uns d’entre eux, juri, jockei. Une longue prescription peut seule faire tolérer le pluriel de œil, écrit autrefois plus régulièrement ieux.

88 VII
DE LA LETTRE g pointé[‡].

[‡] L’original utilise dans cette section la forme moderne g et le point est au-dessus de la branche verticale, comme pour la lettre j: g pointé. Dans certaines fontes ces lettres sont représentées de façon différente, ce qui peut rendre ce texte difficile à comprendre. Pour éviter la confusion, dans plusieurs cas nous avons représenté la lettre par une image encadrée telle que g classique.

texte original
Fragment de la page 88 originale

Puisque l’on a adopté, dans la typographie moderne, la forme g[79] à laquelle l’œil est aussi habitué qu’à celle du g classique romain et à la forme du g italique, on devrait l’utiliser pour figurer le g dur, comme dans figure, envergure, en la distinguant par un point sur la branche j pour indiquer que le g pointé ainsi marqué prend le son doux dans les mots gaġure, manġure, verġure, charġure, égruġure, ainsi que l’avait déjà proposé de Wailly, et dès lors on écrirait ces mots sans la lettre parasite e, puisque l’on ne prononce pas eu dans gageure, comme dans demeure, effleure, pleure.

[79] Dans ce chapitre et le précédent on a fait emploi du g moderne conformément à plusieurs éditions imprimées avec cette forme du g par Pierre et Jules Didot, et employée dans notre imprimerie pour la belle édition en douze vol. de Corneille, éditée par Lefèvre. Du moment où le g classique a été remplacé généralement dans les caractères italiques par la forme plus simple du g moderne, ce même changement doit s’opérer pour les caractères romains; on évitera ainsi deux formes différentes pour la même lettre.

Cette forme du g, g moderne pointé, pour rendre le son du g moderne pointé doux, serait d’autant mieux appropriée à cet office qu’elle contient comme élément la lettre j. On écrirait donc avec le g moderne pointé doux gaġure, manġure, verġure, affliġant, exiġant, rouġatre, oranġade, et, conformément à la prononciation, le g dur serait employé pour les mots figure, envergure, gaġe, gorġer.

Par cette légère modification, on aurait le double avantage de ne présenter à l’œil rien de choquant et d’inusité, et d’épargner l’emploi de l’e, si fâcheusement mis en usage 89 pour rendre au g dur, devant les voyelles a, o, u, le son du j. A moins qu’on ne préférât remplacer le ġ doux par le j, comme on l’a souvent proposé, et comme il l’a été dans le mot donjon, écrit dongeon et dongon dans le Procès de la Pucelle. On écrit, en effet, jumeaux et gémeaux, jambe et gigue, enjamber et dégingandé, jambon et regimber; de même que du latin gaudere, gaudium, on a fait joie, joyeux, réjouir; de gena, joue; de magis, majeur, majesté, bien qu’on écrive magistrat, et par contre de juniperus on a fait genévrier. En 1240, ego s’écrivait ge que nous avons remplacé par je[80]. D’après ces exemples, on pourrait donc écrire jujer, gajure, verjure, gaje.

[80] Cette orthographe ge domine encore dans les manuscrits du Roman de la Rose, ainsi que j’ai pu le constater dans les manuscrits que je possède; plus tard, surtout en Picardie, le j a remplacé le g.

Pourquoi traduire jacens et hic jacet par gissant et ci-gît, au lieu de jissant et ci-jit, et écrire genièvre au lieu de jenièvre, en latin juniperus? On écrivait autrefois avec raison jesier, du latin jecur; pourquoi gésier?

Il est fâcheux de voir ainsi écrits les mots:

abstergent et affligeant
astringent et assiégeant
contingent et dérogeant
convergent et changeant
diligent et désobligeant
négligent et obligeant
indulgent et outrageant
indigent et partageant

En écrivant affliġant, exiġant, naġant, partaġant, diriġant, au lieu de affligeant, exigeant, nageant, partageant, dirigeant, on simplifierait l’orthographe déjà si compliquée des mots terminés en ANT, et l’on pourrait écrire obliġance, comme on devrait écrire négliġance.

Avant l’emploi de la cédille placée sous le ç, on était forcé, pour éviter qu’on prononçât commencons, d’écrire nous commenceons, comme nous écrivons gageure en ajoutant un e. La cédille ayant rendu inutile cette addition de l’e à la suite du c, l’e dans commenceons fut supprimé[81].

[81] Si cette distinction du g dur et du ġ doux était admise, l’usage bien distinct des deux g et ġ permettrait PLUS TARD de supprimer l’u introduit après le g pour le rendre dur lorsqu’il est suivi d’un e ou d’un i (exemples: langue, languir), de même que, par une raison contraire, on ajoute l’e à gaġeure. On écrirait alors lange, langir, en conservant gu pour les mots tels que anguille, aiguille, etc. et ġe pour gaġe, gaġure, etc.; par là, trois prononciations seraient bien distinctement figurées.

90 Si cette forme du ġ ayant le son du j avait eu cours, on aurait écrit aġant comme on écrit gérant, et négliġant et obliġant, tandis que pour donner le son doux au g il fallait mettre un e au lieu d’un a à négligent et même ajouter un e devant ant comme dans obligeant, nageant. Cette légère modification lèverait bien des difficultés et l’Académie en appréciera les avantages.

DE LA LETTRE X.

Il y aurait peut-être quelques observations fondées à présenter touchant l’emploi de la lettre x comme marque du pluriel. Elle a disparu déjà des mots loix et cloux.

Plusieurs néographes, tels que Duclos, de Wailly, etc., voulaient même la remplacer par l’s dans les pluriels des mots terminés en al et en eu, et qu’on écrivît des chevaus, des vœus, etc., et aussi au singulier des adjectifs formés sur un primitif latin en osus, ex.: vicieus, précieus, pour conserver la régularité dans la formation du féminin et des dérivés. Par la même raison, il proposait d’écrire la crois, le chois, etc.

Mais, pour ne pas rompre d’anciennes habitudes, on pourrait n’adopter ce changement que dans les sept pluriels suivants: cailloux, choux, genoux, glougloux, hiboux, joujoux, poux, pour être conforme avec les bambous, les clous, coucous, filous, fous, mous, trous, verrous. Cette correction offrirait l’avantage d’éliminer l’une des trop nombreuses règles de la formation du pluriel.

91 CONCLUSION.

Les modifications orthographiques que l’on soumet à la décision de l’Académie sont toutes fondées sur la logique et l’analogie, toutes justifiées par les précédents. En les discutant, l’Académie montrera qu’elle tient compte de la disposition des esprits à notre époque, où les traditions de notre ancienne langue et l’étude de ses monuments littéraires prennent de plus en plus d’importance; dans sa sagesse elle adoptera celles qui lui sembleront le plus nécessaires.

Les modifications proposées sont-elles, à proprement parler, des innovations? Ne sont-elles pas plutôt un retour aux règles qui ont présidé à la formation littéraire de notre langue? Les quelques retranchements à opérer portent en général sur des interpolations de lettres d’une date relativement récente, et l’Académie les a déjà en partie condamnées.

Je crois d’ailleurs utile de rappeler que, tout importantes et nombreuses que soient ces modifications, elles n’apporteraient pas dans l’écriture un trouble comparable au grand changement introduit dans la troisième édition de son Dictionnaire en 1740. Réparties sur les vingt-six mille mots du vocabulaire de notre langue[82], elles seraient bien moins sensibles, et facilement adoptées; la logique et l’analogie y conduisent naturellement; la plupart d’entre elles passeraient même inaperçues. D’ailleurs quelques inconvénients passagers seront bien faibles 92 en comparaison des avantages réels et durables qui en résulteront.

[82] Le nombre des mots admis dans la sixième édition est de 25,786.

La rectification de ces irrégularités orthographiques, la suppression de quelques marques étymologiques latines ou grecques, qui avaient échappé aux radiations précédentes, ne causeront aucune hésitation à ceux qui savent le grec et le latin. L’étymologie des mots ne saurait être douteuse pour eux; l’œil ne sera pas plus déçu que ne l’est l’oreille. Que l’on écrive filosofie comme frénésie, tésoriser comme trésor, cronologie comme crème, analise comme cristal; que l’on écrive impotant comme impuissant, évidant comme prévoyant, inconvéniant comme inconvenant; que l’on écrive préférance comme espérance, irrévérance comme remontrance, compétance comme complaisance, ces mots, quelle qu’en soit l’orthographe, n’en conserveront pas moins leur origine évidente, et l’esprit sera soulagé de minuties pénibles qui fatiguent la mémoire et déconcertent l’intelligence.

Lorsque l’on compare la complication de l’orthographe française avec la simplicité de celle des autres langues néo-latines, l’italien, l’espagnol, le portugais, et qu’on voit dans nos anciens manuscrits notre orthographe se rapprocher par sa simplicité de celle de ses sœurs, on est porté à rechercher la cause de cette anomalie.

Jusqu’à l’époque du renouvellement des études, il n’existait pas de grammaire de la langue nationale et par suite d’enseignement de l’orthographe. Les scribes conformaient capricieusement la leur à la prononciation qui variait d’ailleurs selon les différentes contrées. Un même son, en outre, pouvait être représenté par des assemblages divers de lettres, surtout s’il n’existait pas dans le latin. Des manuscrits de même temps présentent souvent de notables différences, et parfois l’écriture n’est pas identique dans la même page. Toutefois, au milieu de ces irrégularités, de ces formes orthographiques indécises et flottantes, règne 93 une grande simplicité. L’écriture essaie de figurer la prononciation.

A partir de la Renaissance, il n’en est plus ainsi. L’imitation du latin se fait de plus en plus sentir, et dans nos grammaires, modelées exclusivement sur celles de la langue latine, et dans nos dictionnaires, presque toujours accompagnés du latin dont l’orthographe réagissait sur la nôtre. L’enseignement du grec, confié aux doctes lecteurs du roi au collége de France, contribua aussi à enrichir notre littérature d’expressions nouvelles transcrites du latin classique, même du grec, et généralisa le travail de refonte dans le moule antique d’une partie des vocables du vieux français. Cette influence de l’érudition sur l’écriture persista jusqu’à l’époque où l’Académie, cherchant un point d’appui pour son orthographe, crut devoir, tout en se rapprochant de celle des Latins, suivre, mais avec plus de modération, l’exemple des Estienne. En 1694, l’Académie rendit sous ce rapport un vrai service en établissant dans son premier Dictionnaire un ordre qui, sans s’écarter notablement du latin, montrait cependant une tendance à revenir à notre ancienne orthographe. Mais, à mesure que l’écriture se généralisait de plus en plus, l’inconvénient du lourd bagage de lettres parasites se manifestait plus vivement, et, dès sa troisième édition, l’Académie, qui avait déjà renoncé au classement scientifique par racines pour rendre plus pratique l’emploi de son Dictionnaire, ne se montra pas moins logique en ce qui touche l’orthographe. Dans cette édition, confiée aux soins de d’Olivet, elle simplifia considérablement l’écriture qu’elle dégagea en grande partie de son vêtement latin. La hardiesse avec laquelle l’Académie réforma tant de lettres conservées par le fétichisme de l’étymologie fait même regretter qu’elle n’ait pas osé davantage. Jusqu’alors, l’écriture, calquée, pour ainsi dire, sur le latin, était une sorte de monopole pour le clergé, la magistrature, les hommes de cour et pour un cercle restreint de la société, initié alors au grec et au latin, mais elle devenait 94 incompatible avec les besoins des classes nombreuses pour qui la lecture et l’écriture sont pourtant indispensables.

Le français, en effet, n’est plus, de nos jours, écrit seulement par des hommes initiés au latin et au grec; il est écrit correctement ou du moins doit-il l’être par quiconque a reçu les éléments de l’instruction primaire, et par les femmes à qui l’on n’enseigne point les langues classiques.

C’est cependant aux Précieuses, ces femmes célèbres qui formaient l’élite de la société au commencement du dix-septième siècle, que l’on doit l’initiative des réformes que l’Académie a successivement accomplies. En se posant en adversaires du pédantisme en fait d’écriture, elles faisaient preuve de bon sens et de bon goût. Par elles l’orthographe fut ramenée aux principes du vrai et du beau, à la logique et à la clarté, et, peut-être à leur insu, elles se trouvaient d’accord avec le génie même de notre langue et la tradition de notre ancienne écriture. Honneur donc à ces femmes distinguées qui ont eu le courage de s’affranchir du joug des habitudes et de braver l’opinion du moment! On voulut les en punir en leur infligeant le nom de Précieuses, mais c’est un titre dont elles peuvent se faire gloire: il renferme l’idée de ce qu’il y a de plus exquis et de plus rare.

En présence des efforts, aussi persévérants que nombreux, tentés durant plusieurs siècles par des hommes éminents qui, frappés des inconvénients de notre orthographe, voulaient lui substituer un système néographique ou phonographique, on aurait pu craindre de voir, comme aux anciens temps de l’Égypte et de l’Inde, l’écriture des savants délaissée en faveur d’une autre plus simple, telle que l’ont souhaitée et la souhaitent encore aujourd’hui les phonographes, pour la rendre accessible à tous.

En persévérant dans son système de simplifier notre orthographe, sans la défigurer, et de l’améliorer successivement dans chacune de ses éditions, pour faciliter l’écriture et la 95 lecture de notre langue, l’Académie fera renoncer à jamais aux utopies, quelque séduisantes qu’elles soient, qui se multiplient même de jour en jour.

Lorsqu’on songe que, par l’écriture phonographique, en trois jours, un enfant peut sans peine apprendre à lire sa langue maternelle, et qu’il faut peut-être quatre ou cinq ans pour apprendre à lire et à écrire d’après notre système orthographique, bien qu’amélioré, on ne peut s’empêcher de reconnaître que ce temps pourrait être bien mieux employé et suffirait pour apprendre deux ou trois langues modernes, ou MÊME LE GREC, dont l’étude remplacerait si avantageusement les puérilités de l’orthographe non moins longues à apprendre[83].

[83] Le programme universitaire pour l’enseignement du français répartit en six années l’étude de l’orthographe et de la grammaire, et l’on redoute de voir rendue facultative l’étude du grec.

L’économie du temps, cette impérieuse nécessité de notre époque, autoriserait jusqu’à un certain point les tentatives des phonographes, si leur système n’était pas fatalement entraîné, par la logique même, à mettre en péril notre langue et par suite la raison et l’intelligence elle-même.

L’habitude d’abréger les mots en les contractant, qui est la tendance constante de notre esprit vif et prompt[84], a réduit en monosyllabes des mots qui en latin et en d’autres 96 langues néo-latines sont composés d’éléments doubles ou même triples. Tel est cet exemple:

Français. Latin. Italien. Espagnol. Portugais.
saint sanctus santo santo sancto
sein sinus seno seno seio
sain sanus sano sano são
ceint cinctus cinto ceñido cinto
cinq quinque cinque cinco cinco
seing signum segno seña ou
signo
signal ou
signo

[84] Voltaire n’a pas eu raison de dire que «notre langue s’est formée du latin en abrégeant les mots, parce que c’est le propre des barbares que d’abréger tous les mots.» Si notre langue n’a pas la plénitude de la poésie d’Homère et de l’éloquence cicéronienne, cette abréviation des mots, que la langue anglaise ne contracte pas moins, est une grande qualité, puisqu’elle répond au besoin d’exprimer vivement et énergiquement la pensée que saisit vivement l’intelligence toujours impatiente de l’auditeur. La poésie surtout s’accommode difficilement de mots qui ne sont pas monosyllabes ou dissyllabes, et ce vers de Racine:

Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur,

perdrait tout son effet, traduit en italien. Quoi de plus vif que ces monosyllabes:

. . . . . Qu’a-t-il fait? A quel titre?
Qui te l’a dit?

Que de mots et d’idées en peu de lettres!

Si la prononciation parfaitement identique de ces mots, au nombre de six, saint, sein, sain, ceint, cinq, seing, est parfois une cause d’équivoques dans la conversation, du moins, à défaut de l’oreille, l’écriture variée de ces monosyllabes à l’avantage de rappeler et même de représenter aux yeux les objets eux-mêmes, ce que ne saurait faire l’écriture phonétique qui nous les offrirait sous une seule et même forme. Il en est de même de sot, saut, seau, sceau, et de vin, vain, vint, vingt, vinc, etc. Ce sont, on peut le dire, autant de figures hiéroglyphiques. Lorsque nous voyons écrits les mots os, eau[85], au, haut, ô, oh, l’emploi du signe o, auquel certains phonographes voudraient ramener leur configuration, serait une véritable barbarie. Conservons donc précieusement ces distinctions qui aident l’intelligence, donnent à l’écriture une vie qui réjouit l’œil et l’esprit, et compensant les avantages que la parole a sur elle par l’animation du geste et les inflexions de la voix.

[85] Cette forme, si éloignée de son radical latin aqua, se retrouve et se résume dans toutes celles qui nous en ont conservé la racine: aquatique, aigues, aiguière, évier, et dans les anciennes formes du mot: iève, ieau, ève, eau, etc.

Dans l’écriture hiéroglyphique, l’eau est ainsi représentée symbole de l'eau[‡] et, par ces ondulations, on voit l’objet même qu’elles figurent; le groupe de lettres eau produit sur notre esprit un effet de ce genre. Il en est de même des os; on croit voir des ossements.

[‡] Dans l'original, trois lignes ondulées horizontales représentant le hiéroglyphe N35B de la classification de Gardiner, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_totale_des_hiéroglyphes_selon_la_classification_Gardiner.

Notre vieil alphabet latin peut suffire encore, à l’aide de légers artifices, à transcrire les sons de notre langue; l’Italie, 97 l’Espagne, le Portugal, n’en ont pas d’autre, et il suffit à la prononciation de leurs langues, romanes comme la nôtre. Tout en gardant notre physionomie naturelle, rapprochons donc, à leur exemple, du simple et du beau notre écriture que les traces d’une érudition surannée compliquent aussi inutilement pour les lettrés que pour les ignorants. Malgré ces modifications, elle différera encore beaucoup de la simplicité de celle des langues italienne, espagnole et portugaise.

Dante, le Tasse, Cervantes, Lopez de Vega, Camoens, n’ont rien perdu à être écrits avec une orthographe plus simple, et le grand Corneille s’en réjouirait.

Notre écriture nationale, graduellement modifiée par la sagesse de l’Académie, rendra la lecture et l’écriture de plus en plus accessibles à tous, et pourra peut-être, en facilitant l’étude de notre bel idiome, ajourner l’avénement de cette langue universelle, préoccupation généreuse des penseurs les plus profonds.

L’Académie pourra donc, avec le concours du temps, et sans apporter aucun trouble, satisfaire aux vœux des Français et des étrangers, qui lui en témoigneront leur reconnaissance. Elle réaliserait ainsi pour la langue française ce que fit pour la langue grecque le célèbre Musée d’Alexandrie où de savants grammairiens et à leur tête celui dont le nom représente la critique elle-même, Aristarque, fixèrent, au moyen d’accents et de légères modifications graphiques, pour la conformer à celle d’Athènes, la prononciation de la langue grecque en Égypte, en Asie et en Europe.

Puisque les vocables sont indispensables pour formuler nos pensées et même pour penser, et que l’Académie française, à laquelle on se plaît à rendre cet hommage, s’est efforcée, par l’exactitude des définitions, d’apporter la clarté et la simplicité dans l’esprit, pourquoi la forme, cette enveloppe des mots, reste-t-elle encore si souvent inexacte ou anomale? On ne saurait admettre qu’on ait voulu par ces difficultés interdire 98 au vulgaire l’accès du temple en l’entourant de tant de ronces et d’épines.

Supprimer avec prudence ces barrières qui s’opposent à l’extension du savoir le plus élémentaire, serait une œuvre digne de l’Académie, digne des hommes d’État qui figurent dans son sein, digne de l’esprit de son illustre fondateur.

Je ne pouvais présenter autrement que dans leur ensemble les réformes depuis si longtemps souhaitées pour régulariser et simplifier notre orthographe, mais il ne m’appartenait pas de pressentir à leur égard les décisions de l’Académie et de marquer à l’avance celles qu’elle devait croire le plus opportunes. Lors même qu’elle n’en adopterait qu’une partie, indiquant par là dans quelles voies le progrès et les améliorations peuvent s’opérer, elle n’en aura pas moins rendu un immense service. On saura le but vers lequel on doit se diriger.

Par là seront reléguées à jamais les utopies d’une écriture plus ou moins phonétique qui blesse nos habitudes, contrarie même la raison, et priverait l’écriture de son principal avantage:

De peindre la parole et de parler aux yeux.

EXPOSÉ
DES
OPINIONS ET SYSTÈMES
CONCERNANT
L’ORTHOGRAPHE FRANÇAISE
DEPUIS 1527 JUSQU’A NOS JOURS.

A la suite de mes remarques personnelles, je crois devoir donner ici un exposé succinct des diverses tentatives et des appels incessants faits depuis trois siècles par des esprits distingués, et je dirai même par des amis du bien public, en faveur d’une réforme orthographique. J’espère que ce travail offrira de l’intérêt, ne fût-ce que sous le rapport de l’histoire de notre langue, et qu’il aura quelque utilité.

Chacun appréciera ce qu’il y a de vrai, de pratique, d’opportun ou bien de prématuré et même de malencontreux dans tant de systèmes. On verra que des idées rejetées d’abord se sont successivement introduites, et qu’ensuite elles ont été favorablement accueillies et sanctionnées par l’usage.

Il en sera de même de celles que l’Académie, éclairée par l’expérience de ses précédents, et par la nécessité de rendre notre langue de plus en plus accessible à tous, croira devoir concéder aux désirs le plus généralement manifestés: tant d’efforts lui donneront la preuve des besoins et la mesure du possible. Ils démontreront même l’impossibilité d’adhérer à des systèmes trop absolus.

Du haut de la position qu’elle occupe, l’Académie, à qui l’avenir appartient, peut ne céder que dans une juste mesure 100 aux désirs impatients des novateurs. Elle considérera donc, dans le calme de sa sagesse, les besoins du temps, non moins exigeants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient autrefois, et, par des concessions successives, qui rectifieront l’orthographe française, elle assurera de plus en plus à notre langue son universalité.

APPENDICE A.

LES DICTIONNAIRES FRANÇAIS ANTÉRIEURS A CELUI DE L’ACADÉMIE DE 1694.

Depuis l’origine de l’Académie on ne cesse de parler de l’usage en fait d’orthographe, et d’invoquer son autorité devant laquelle tout s’incline. Mais quel est-il, cet usage? à quelle époque doit-on le faire remonter? à quel instant le reconnaître et le sanctionner? L’usage, pris à un moment donné, est-il identique d’un siècle à l’autre? L’usage de Vaugelas est-il le même que celui de Robert Estienne, et celui de Robert est-il le même que celui de Clément Marot et, si l’on veut remonter plus haut, d’Alain Chartier ou de Christine de Pisan? Enfin l’usage de d’Olivet est-il celui de Regnier des Marais, et l’Académie en 1835 s’est-elle conformée à l’usage de 1740?

Non sans doute. Ce n’est pas à tel moment précis que l’usage doit être recherché, mais dans l’ensemble du développement de la langue, en suivant autant que possible un même mot depuis le moment où la lexicographie en a consacré l’emploi. C’est dans les glossaires, les dictionnaires surtout, que l’on doit en recueillir les formes, car si le copiste, l’écrivain lui-même, se livre dans son manuscrit à son caprice ou à sa manière habituelle d’écrire, il n’en est pas de même du rédacteur ou de l’éditeur d’un lexique, qui doit enregistrer l’usage le plus généralement adopté et le plus autorisé par les érudits contemporains.

Mais un obstacle se rencontrait tout d’abord dans l’exécution de cette recherche: les lexiques français anciens sont aujourd’hui tellement rares qu’il serait bien difficile d’en former la série complète depuis leur naissance jusqu’à la fin du XVIIe siècle.

L’ouvrage le plus ancien et le plus important pour l’histoire de la 101 langue française et les origines de son orthographe, est le Dictionnaire latin-français, encore inédit, commencé en 1420 et terminé en 1440 par Firmin Le Ver (Firminus Verris), prieur des Chartreux de Saint-Honoré lez Abbeville, et écrit tout entier de sa main. Ce manuscrit, inconnu à Du Cange et qui lui eût été si utile, est un in-folio sur vélin, de 942 pages à deux colonnes et de 86 lignes à la page, contenant environ 30,000 mots latins en usage au commencement du XVe siècle, avec leurs correspondants français, leur synonymie, leur interprétation soit en latin, soit en français.

Ce grand travail, auquel toute la communauté de Saint-Honoré a dû collaborer avec son prieur, commence ainsi:

«Incipit Dictionarius a Catholicon et Hugutione atque a Papia et Britone extractus atque a pluribus aliis libris gramaticalibus compilatus et hoc secundum ordinem alphabeti.»

A la fin avant la grammaire: «Explicit liber iste qui proprie nomininari debet dictionarius, quia omnes dictiones, seu significationes, quas in Catholicon et Vgutione, atque in Papia, et Britone, et eciam in pluribus aliis libris gramaticalibus repperire potui ego, Firminus Verris, de villa Abbatisuille, in Pontiuo, Ambianensis diocesis oriundus, religiosus professus ac huius domus Beati Honorati prope dictam villam Abbatisuille, Cartusiensis ordinis, prior indignus, per viginti annorum curricula et amplius, cum maxima pena et labore insimul congregaui, compilaui et conscripsi.

«Vnde infinitas Deo patri jam refero gratias qui per coëternum filium suum, in spiritus sancti gratia, nostrum librum sic compilatum cum maximo labore et pena ad finem tamen usque compleuit.

«Qui dictus dictionarius anno dñi millesimo CCCCo quadragesimo (1440) mensis aprilis die ultimo completus fuit et finitus.

«Pro quibus laboribus ego supradictus hujus operis compilator vos obsecro omnes in visceribus caritatis quicumque in libro isto studere volueritis ad Christi laudem et gloriam michi ex diuina gratia rependatis.

«Quatinus pro salute anime mee Salutationem beate Marie semper virginis dicere vos velitis. Quatinus vestris oracionibus et precibus adjutus omniumque meorum percepta venia peccatorum una vobiscum ad eterna valeam peruenire gaudia. Ubi jam reuelata facie illa vera et coeterna perfruamur sapientia cum patre et spiritu sancto per infinita secula. Amen. Amen.

102 «Cest liure est et appartient [aux chartreux pres dabbeuille[86]] en pontieu de leuesquiet damiens. Qui lara le rende. Explicit.»

[86] Ce passage a été gratté dans le XVIe siècle.

Je n’insisterai pas sur l’intérêt que ce beau manuscrit, d’une écriture soignée et très-lisible, présente pour l’histoire de notre langue, dont il offre le tableau complet à une époque bien déterminée, et non cette promiscuité des temps et des lieux inévitable dans les glossaires actuels du vieux français. Il est facile, en le parcourant, d’apprécier quel était l’état de l’idiome «gaulois» sous le règne de Charles VII, pendant la période de l’invasion étrangère, si funeste aux études et aux lettres. Le soin apporté par l’auteur au classement des mots, soin que je n’ai pu constater dans aucun des glossaires manuscrits que j’ai vus, la justesse des synonymies et des définitions, en font une œuvre à part, un corpus général de notre vieux langage en même temps que du latin, à l’époque qui précède immédiatement celle où les érudits de la Renaissance allaient, non plus seulement introduire dans le français une couche nouvelle de mots de forme latine, mais le replonger vivant dans le moule du latin littéraire de Cicéron et de Virgile, en substituant un calque romain à la forme propre au vieux langage français et conforme à ses procédés phoniques.

Sous plusieurs rapports le Dictionnaire latin-français de Le Ver jette un nouveau jour sur l’état de l’écriture et de la prononciation au commencement du XVe siècle. On y voit combien l’orthographe des mots latins s’était déjà simplifiée et se rapprochait de la simplicité de forme figurative de la prononciation. On y lit ainsi écrite cette série de mots: antitesis, antrax, antropofagi, antropoformita, antropos sans ph; tous ces mots sont expliqués en latin, le mot français pour le traduire ne faisant pas encore partie de notre langue; mais on voit ainsi écrits et traduits les mots: IDRA, idre; IDROPICIA, idropisie, IDROPICUS, idropiques; IDROMANCIA, devinemens par les eaux; IPOTECA, ipoteque; IPOTECARIUS ou APOTECARIUS, apoticaire; ANTECRISTUS, antecrist; TIRANNUS, tirans; LIRA, lire; MISTERIUM, mistere; MARTIRIUM, martire, etc.

Ces explications des mots latins encore privés de correspondants français sont quelquefois curieuses et instructives pour nous refléter les idées de l’auteur et de son temps. Je lis aux mots Theatrum, Comedia, Tragedia

«Theatrum. A theoro, ras, quod est videre: dicitur hoc

103 «Theatrum, tri, pe(nultima) cor(ripitur). I. Spectaculum ubicumque fiat. s(eu) locus in quo omnis populus aspiciat ludos. scilicet locus in civitatibus ubi exercentur joca et ludi. Id. Ubi decollabantur rei. Id. Plache commune où on fait les jeux ou quarrefour[87].

[87] Je lis dans l’article si remarquable de M. Sainte-Beuve sur Joach. du Bellay (p. 210 du Journal des Savants, avril 1867): «On doit rendre justice aux efforts de quelques poëtes de la Pléiade pour instituer une comédie qui ne fût pas celle des carrefours

«Theatrum, atri, etiam dicitur Prostibulum. siue Lupanar quo post ludos exactos meretrices ibi prostituerentur. Id. bordel. Unde

«Theatralis, is, trale, ad theatrum pertinens. Id. de quarrefour ou de bordel.

«Theatricus, ca, cum. Idem. I. de bordel. Ut dicitur mulier theatrica. I. Bordeliere

—«Comédia, die. I. Villanus cantus. s(eu) villana laus. quia tractat de rebus rusticanis. comme chansons de Jeus de personnages[88].

[88] Li Jeu de Marion; le Jeu de la Sainte Hostie; le Jeu du Prince des Sotz, par Gringore. Tel était le nom donné aux comédies d’alors.

«Comédus, da, um. pe(nultima) pdr (producitur). qui comediam describit. seu facit seu dicit comediam.

«Comédicus, ca, cum. I. ad comediam seu ad comedendum pertinens. Seu delectabilis.

«Comédice. Adv. I. delectabiliter.»

—«Tragedía. Oda quod est cantus. seu laus. componitur cum tragos quod est hircus. Et dicitur hec

«Tragedía, díe. pen. prod. I. Carmen luctuosum quod incipit a leticia et finit in tristicia. Cui contraria est comedia. quia incipit a tristicia et finit in leticia. Unde

«Tragedía. dicitur de crudelissimis rebus. sicut qui patrem seu matrem occidit. seu comedit filium et e converso s. hujus modi. Unde et tragedo dabatur hircus animal fetidum. Ad fetorem materie designandum.

«Tragédus, da, dum. ad tragediam pertinens.

«Tragedus, di. tragedie scriptor. seu cantor.

«Tragédicus, ca. cum. I. luctuosus. Funestus.»

Il est remarquable que la plupart de ces mots relatifs au théâtre, si usités au siècle suivant, manquent complètement au français en 1440.

104 Une autre instruction ressort encore de l’examen des mots français contenus dans ce vaste répertoire. La trace des cas figurés conformément à la grammaire romane se rencontre à chaque instant, bien qu’à l’époque où il a été commencé (1420), ils eussent disparu de la plupart des manuscrits depuis près d’un siècle. Le Ver écrit premiertes de PRIMITAS, commenchemens au singulier, PRINCEPS est traduit par prinches. Prioratus devient prioreit, priorte: dignetes ou offiche de prieur. Prioritas, premiertes. Il en est de même pour le participé passé: ratificatus donne acceptes. Inutilis donne nient profitables; ABSTINENS, abstinens, sobres; ABSTINENTIA, abstinence, sobriétés; ABRENUNTIATIO, renoiemens; ADEMPLETUS, accomplis, parfait. Il y a cependant des incertitudes: REBELLIS fournit rebelle et rebelles. La plupart des mots très-usités, comme roy, fil (filius), foy (fides), ne prennent pas l’s caractéristique du nominatif latin ou subjectif roman[89].

[89] On sait que la langue d’oïl conserva à l’origine le système des cas de la déclinaison latine: seulement elle le simplifia en réduisant à deux seulement les six cas du latin. Le premier fut le signe du sujet: on l’a appelé en conséquence cas-suject, ou mieux subjectif. Le second servit pour les compléments de toute espèce, d’où vient le nom de cas-régime ou complétif. J’expliquerai, à l’appendice D, en donnant l’analyse des travaux récents sur la grammaire du vieux français dans leur rapport avec notre orthographe, le mécanisme de ces deux cas: je me bornerai à noter ici que généralement le subjectif roman au singulier conservait l’s finale là où il y avait s ou x dans le primitif latin au singulier.

J’ai fait pour les huit premières colonnes du B le relevé des mots latins du Dictionnaire de Le Ver qui manquent complétement aux glossaires latins et à Du Cange lui-même: sur 210 mots, 32 sont inconnus aux lexicographes, c’est-à-dire que près d’un sixième de ce dictionnaire est nouveau ou inédit.

Voici ces trente-deux mots:

balans brebis  ballanga banlieue
balatro jougleur (sic)  balsamatus enbasmes, oins de basme
balbere besguier  baptismaliter par baptême
balbescere idem.  bapterium baton
balbiter besguement  baratro lecherres
balbultia besguerie  barbarius barbier
balbutiens besgans  barbarizare faire cruelment
balbuties besguetes, baubetes, parlers de petis enfans.  barcarius qui fait barges, nefs ou qui les gouverne
balearius getteur à la tandesle ou abalestrier  baronissa baronneresse
baleator getteur à la tandesle ou abalestrier  basilisca gencienne
balestrum abalestre, a Balin (gr.) dicitur  batillum enchensoir
balestrare traire aucune chose dabalestre ou ferir de balestre  beatificencia eureusetes (felicitas)
105balestratus gettes, trais ou ferus de trait d’abalestre  bellacitas bataille
balneatio baignemens  bellaciter bateilleusement
ballare peser à balanche, balanchier  bellicator bateilleur, combateur
balluga balanche  bellificare faire bataille, bateiller, combatre

Je dois à l’obligeance de MM. les Conservateurs de la Bibliothèque impériale la communication de deux anciens glossaires manuscrits, l’un français-latin (no 7684 f. 1.); l’autre latin-français (no 7679), dont Du Cange s’était servi pour son beau Glossarium mediæ et infimæ latinitatis; leur nomenclature, très-sèche, est moitié moins considérable que celle du ms. Le Ver. J’ai essayé de comparer l’orthographe et le mode de composition de certains mots, la plupart de formation récente, dans la première moitié du XVe siècle, à leurs formes respectives dans la seconde moitié et à la fin de ce même siècle ou au commencement du suivant.

Mots latins avec le français actuel. Firmin Le Ver, Dictionarius latino-gallicus, 1420-1440. Glossarium gallico-lat., script. XVesæc. Il est de la 2e moitié du s. (Bibl. Imp. Ms. 7684.) Gloss. lat.-gall, XVe s., script. XVIe s. Cod. Bigotianus. (B. Imp. Ms. 7679.)
bivium (carrefour) quarrefour carfourt (double voie)
ager (champ) champ champt champs
candelabrum (chandelier) chandelier chandellier chandelier
bubo (chat-huant) chuette, cahuhan (oisel) chouen (certain oisel)
biga (charrette) charette a ii roues et a ii chevaus charrete charette
cruca, curculio (chenille) chatepeleuse, catepeleuse chatepelouse »
calidus (chaud) chaut chault, chaut »
vespertilio (chauve-souris) chauvesoris chauvesouris chauve souris
captivitas (captivité) chetivetes ou prison cheitivité chetivité
comosus (chevelu) qui ha grans cheveus cheveleulx, grans cheveux de fames »
capsa (coffre) casse, coffre, escrin cofre casse
106 convalescentia (convalescence) convalescence, sanité, forche, poissance, vaillanche » »
columba
columna
} (colombe) { femelle de coulon,
coulombe
} coulumbe, colombe »
convenientia (convenance) convenabletes convenablete, convenance »
bufo (crapaud) crapaut crapaust crapoult
crux (croix) crois » croais
mandibula (mâchoire) machoire machouere machoere
infelicitas (malheur) mal eurtes malourete »
infaustus (malheureux) mal eureux mal eureux mallereux
malefactum (méfait) maufait (malefactio-malefaisson) maufait »
malefaciens
malefactor
} (malfaiteur) mal faisans { maufaisant,
maufaitteur
} mal faisant
malivolus (malveillant) mal veullans mal veillant malvelant
melancolia (mélancolie) melencolie, une des iiij humeurs melencolie »
tabanus (taon) tahon taan, taon thaon

Il régnait encore une grande simplicité orthographique dans le cours du XVe siècle et au commencement du XVIe. Le latin lui-même, dans les mots qu’il avait empruntés au grec, obéissait à cette répugnance, j’allais dire à cette horreur, naturelle au génie français, pour les doubles, les triples et les quadruples consonnes. L’introduction, non plus partielle mais générale, dans notre langue de lettres parasites signale le milieu du XVIe siècle; elle est due aux tendances gréco-latines mal dirigées que nous allons voir se développer successivement dans les glossaires publiés au premier siècle de l’imprimerie.

J’arrive maintenant à la série des glossaires imprimés. Il m’a été impossible de me procurer le titre exact du Dictionnaire latin-français, imprimé à Genève, en 1487, par Loys Garbin, et cité par M. Diez.

La table étendue que Génin a jointe à la grande Grammaire de Palsgrave pourrait, jusqu’à un certain point, tenir lieu d’un de ces recueils alphabétiques ou vocabulaires, si écourtés, qu’on publiait en latin avec le mot français correspondant, au commencement 107 du XVIe siècle. Bien que le travail original de Palsgrave n’ait paru à Londres qu’en 1531, on reconnaît, par voie de comparaison, que son orthographe est bien plus gauloise que celle des grammairiens et des lexicographes du continent au début du règne de François Ier, et que le docte professeur de Henri VIII a dû travailler en Angleterre sur des documents de la fin du XVe siècle ou des premières années du suivant[90]. Malgré sa date plus récente on peut donc le placer au premier rang parmi les livres imprimés contenant un recueil de mots français.

[90] Il signale, comme ayant contribué à l’aider dans son travail, l’ouvrage intitulé: Here begynneth the introductory to write and to pronounce frenche, compyled by Alexander Barcley compendiously at the commandement of the ... prynce Thomas duke of Northfolke.

Je possède les trois autres glossaires:

1o Le Catholicon abbreuitatum, pet. in-4 goth., imprimé à Paris, en 1506, par Jehan Lambert, sans nom d’auteur. Il ne contient que 3,500 mots; c’est un livre très-intéressant, puisqu’il nous représente l’état de la langue avant l’introduction de cette multitude de vocables savants, tirés du latin et même du grec à l’époque de la Renaissance.

L’orthographe y est simple, naturelle, assez logique, bien que souvent irrégulière et entachée de l’influence que j’appellerais volontiers calligraphique.

On y rencontre peu de lettres dites étymologiques, et, quand les consonnes sont redoublées, c’est probablement qu’elles se prononçaient ainsi. Il écrit abbe, abesse, abaye..... alumer, flateur..... acolite, fiole, doy (digitus), vayne (vena), autentique, blon, painture, acoutumer, acompagner, acroistre et solicitude; mais il double la consonne l lorsqu’elle termine un mot dont la désinence est en e féminin; ainsi, il écrit: argille, cautelle, huille, et l’on y voit ces mots ainsi figurés, deffendre, celluy, couraige, secret, enhardy, oyseaulx, poyson, pulpitre, haultesse, etc.

2o Vocabularius latinis, gallicis et theutonicis verbis scriptum (sic). Il parut à Strasbourg, en 1515, chez Mathis Humpffuff; il est composé de 36 ff. in-4. J’en extrais, comme curiosité orthographique, quelques-uns des noms relatifs aux oiseaux:

«Avis, oyseau. Auceps, oyseleur. Nidus, nid. Aquila, aigle. Falco, faulcon. Accipiter, tiercelet. Nisus, espervier. Ventilanus, vannete. Milvus, huan. Ardea, hairon. Ciconia, sigoigne. Cignus, cigne. Griphus, griffon. Pellicanus, pelican. Strucius, ostruche. 108 Grus, grue. Nicticorax, chuette. Vultur, voultour. Ossifragus, freynol. Ritersculus, roytellet. Philomena, rossignol. Canapelus, chardoneret. Citradula, cerin. Ficedula, grive. Figellus, pinson. Sturnus, estourneau. Parix, mesange. Passer, moyneau. Psiacus, papegay. Turtur, turierelle. Palumbus, colombier. Pavus, paon. Quastulla, caille. Arundo, arondelle. Pica, pie ou agasse. Cornix, corneille. Vespertilio, chauvesouris. Anas, anette ou cane. Auca, oye. Monedula, corneille. Gallus, coq. Gallina, gelline. Pullus, poussin. Capo, chappon. Pullinarium, poullalier. Papilio, papillon. Vespa, mousche gueppe. Apes, mousche a myel. Cuculus, cocul. Lucinia, hoche cul. Upupa, hupe.»

3o Le Vocabularius nebrissensis[91] de 1524 est un travail beaucoup plus ample que le précédent. Il contient près de 30,000 mots latins avec leurs correspondants ou leur interprétation en français. L’influence de la Renaissance y est encore bien peu sensible. Son système orthographique, un peu plus régulier, ressemble à celui du Catholicon abbreviatum. Il n’est pas plus étymologique que son prédécesseur en ce qui concerne les mots tirés du grec, et en général il se borne à les interpréter sans les retranscrire sous la forme française. Il ne s’asservit pas non plus trop à l’orthographe latine: il écrit cicorée, cengle (cingula), saincture, estraines (étrennes). Les l qui ne se prononcent pas figurent cependant dans bien des endroits: poulpitre, avantureulx, chault (calidus).

[91] Publié à Lyon par Frère Gabriel Busa, de l’ordre des Augustins, d’après le Dictionnaire latin-espagnol de Antoine de Lebrixa.

Quant aux doubles lettres, il peint la prononciation: resembler et assembler, netoyer, alumer, acoustumer et accorder, accepter, appeller, amonceler, etc. Ce précieux Dictionnaire constate un état très-intéressant de notre langue, celui où elle va subir l’influence, qui sera trop longtemps dominante, du latin classique et même quelquefois du grec.

Robert Estienne eut le premier, en 1540, l’honneur de publier non plus un simple Vocabulaire, mais un Dictionnaire français-latin, dans les conditions d’érudition et de critique qu’exigeait un tel travail. Son œuvre, accrue et perfectionnée dans l’édition de 1549, fit autorité et exerça pendant deux siècles une grande influence sur l’orthographe. Elle contient près de 20,000 mots français suivis de leurs diverses acceptions et de leur interprétation latine.

109 Cette belle édition, où Robert Estienne introduisit une riche moisson de termes nouvellement imités du latin et même du grec, servira donc de point de comparaison avec la manière d’écrire qui a précédé et celle qui a suivi.

Le docte imprimeur écrit, on le comprend, conformément à l’étymologie des mots savants de nouvelle formation, mais de plus, il a réintégré des lettres dites caractéristiques dans une grande partie des mots d’une époque antérieure. Il corrige cylindre au lieu de cilindre, cymaise au lieu de cimaise, cymbale au lieu de cimbale, cyprès au lieu de ciprès, phiole au lieu de fiole; il écrit chauchemare (cauchemar), chaulx (calx), cheueul (capillus), cichorée; il redresse hermite en ermite; il réclame chifre et non chiffre, à cause de l’hébreu sephira. Il respecte cependant les formes consacrées par l’usage, soulfre, thriacle (thériaque), et il écrit sans th tesme (thema), et sans ph orfelin. Sa manière d’agglutiner les mots composés est conforme à celle que je propose: il réunit tous les mots composés avec la préposition contre[92]; il écrit chaussetrape, chauuesouri, chathuant (qui serait mieux écrit chahuant), des chaufecires. On peut regretter toutefois de rencontrer partout dans ses colonnes des mots défigurés par l’addition de lettres latines déjà représentées dans le français, comme chaircuictier, poulpitre, poulser, poulsif, poulsin.

[92] La marque du superlatif très est toujours réunie au mot qu’il modifie: tresaccoutumé, tresaise (très-aise), tresuite (très-vite). Cette série forme plus de trois cents mots dans son Dictionnaire.

L’autorité dont jouit le Dictionnaire français de Robert Estienne se perpétua longtemps. En 1586 Guillaume de Laimarie, imprimeur de Genève, donna une édition très-correcte du Dictionarium puerorum que Robert avait publié en dernier lieu, en 1557, postérieurement au Dictionnaire français-latin[93]. Cette édition de Laimarie renchérit dans plusieurs cas sur le Dictionnaire de 1549, pour l’emploi des lettres étymologiques surérogatoires; mais on lui doit quelques bonnes leçons, comme sansue par exemple (écrit sanssue dans le ms. Le Ver).

[93] Laimarie remania l’ordre des mots de la partie française pour remédier à la confusion qui résultait du groupement des mots dérivés sous leur simple, et il adopta l’ordre alphabétique absolu.

Le Dictionnaire françois-latin connu sous le nom de Jean Nicot, qui parut pour la première fois en 1564, le Thrésor de la langue françoyse du même, dans lequel il a mis à profit les recherches 110 laissées par le président Ranconnet; le Grand Dictionnaire françois-latin du même Nicot, dont le succès se continua d’édition en édition jusqu’en 1618, nous reproduisent également l’orthographe de Robert Estienne, dont les éditeurs déclarent reprendre en grande partie le travail. Voici comment s’exprime à ce sujet Jacques du Puys dans la préface de l’édition de 1614: «Il ne peut que la France ne celebre grandement la memoire, comme elle se sent auoir été ornée par son industrie, de deffunct Robert Estienne, lequel peut estre dict auoir esté le premier qui a faict que la France, pour ce regard, ne cede à aucune autre nation, tant pour les graces qu’il a eu propres pour l’ornement de cet art d’imprimerie que pour l’amour infini qu’il a porté à l’vtilité publique et le grand labeur et peine qu’il a pris, sans y espargner rien qui ne fust en sa puissance, pour l’aduancer et mener à sa parfection: de quoy font foi tant de beaux et excellens liures et latins et grecs et hébrieux, plus encores recherchez auiourd’huy que du vivant de l’imprimeur.....» La perfection du Dictionnaire français «estant de soy tant recommandable et profitable qu’un chascun sçait, m’a principalement incité à r’imprimer le dict liure, duquel il y a quelque temps que i’ay recouuré l’exemplaire laissé par deça par le dict Robert Estienne, auant que de partir de France.»

L’édition de 1614 contient environ 26,000 mots avec toutes leurs acceptions alors connues.

Le P. Philibert Monet, de la Compagnie de Jésus, très-habile professeur de langue latine, rompit, dès 1624, avec la tradition léguée aux dictionnaristes par l’autorité jusque-là incontestée de Robert Estienne. Il fit paraître à cette époque un Parallele des deus langues latine et françoise, complétement perdu aujourd’hui, et que nous ne connaissons que par la préface de son Invantaire des deus langues françoise et latine, publiée à Lyon chez Claude Rigaud en 1635, in-folio. Ce dernier ouvrage, que j’ai eu le bonheur de me procurer récemment, est précieux pour l’histoire de la réforme orthographique modérée, car il en est le code. Il contient 23,000 mots au moins. Le système orthographique de l’auteur est simple et bien conçu: il ne s’attache pas uniquement, comme les phonographes, à figurer la prononciation, et ne fait pas disparaître toutes les lettres dites caractéristiques, mais il ne figure jamais, autant que possible, un même son par deux signes différents. Il écrit, par exemple, dysanterie, diseine, doit (digitus), 111 contanter, contantement, contampler, continance, deus (duo), cheveus, barreaus, chevaus, et leurs similaires.

Nathaniel Duez, grammairien polyglotte, fit paraître en 1669 un Dictionnaire françois-italien, fort bien imprimé à Leyde chez Jean Elsevier. Son orthographe, conforme en général à celle de Robert Estienne et de ses continuateurs, renchérit même en certains cas sur ceux-ci par une nouvelle intrusion de lettres destinées à figurer de plus près l’orthographe latine et grecque. Ce glossaire contient 20,000 mots environ.

César Oudin, secrétaire interprète du roi pour les langues étrangères, publia en 1660 à Bruxelles le Trésor des deux langues francoise et espagnolle. Ce lexique est encore un calque, au point de vue de l’orthographe, de celui qu’Estienne avait publié 120 ans plus tôt.

César-Pierre Richelet, auteur d’un Dictionnaire françois publié à Genève en 1680, était aussi versé dans les langues anciennes que dans les langues modernes, l’italien et l’espagnol entre autres. Son dictionnaire, dont les premières éditions sont devenues rares et précieuses, est du plus haut intérêt. L’auteur s’exprime ainsi dans son avertissement: «Touchant l’orthographe, on a gardé un milieu entre l’ancienne et celle qui est tout à fait moderne et qui défigure la langue. On a seulement retranché de plusieurs mots les lettres qui ne rendent pas les mots méconnoissables quand elles en sont otées, et qui, ne se prononçant pas, embarrassent les étrangers et la plupart des provinciaux.

«On a écrit avocat, batistère, batême, colère, mélancolie, plu, reçu, revue, tisanne, trésor, et non pas advocat, baptistère, baptême, cholère, mélancholie, pleu, receu, reveuë, ptisane, thrésor.

«Dans la même vuë on retranche l’s qui se trouve après un e clair, et qui ne se prononce point, et on met un accent aigu sur l’e clair qui accompagnait cette s; si bien que présentement on écrit dédain, détruire, répondre, et non pas desdain, destruire, respondre.

«On retranche aussi l’s qui fait la silabe longue, et qui ne se prononce pas, soit que cette s se rencontre avec un e ouvert, ou avec quelque autre lettre, et on marque cet e ou cette autre lettre d’un circonflexe qui montre que la silabe est longue. On écrit apôtre, jeûne, tempête, et non pas apostre, jeusne, tempeste. Cette dernière façon d’orthographier est contestée. Néanmoins, parce qu’elle empêche qu’on ne se trompe à la prononciation et 112 qu’elle est autorisée par d’habiles gens, j’ai jugé à propos de la suivre, si ce n’est à l’égard de certains mots qui sont si nuds lorsqu’on en a oté quelque lettre qu’on ne les reconnoît pas.

«A l’imitation de l’illustre monsieur d’Ablancourt, Préface de Tucidide, Apophtegmes des anciens, Marmol[94], etc., et de quelques auteurs célèbres, on change presque toujours l’y en i simple. On retranche la plu-part des lettres doubles et inutiles qui ne défigurent pas les mots lorsqu’elles en sont retranchées. On écrit afaire, ataquer, ateindre, dificulté, et non pas affaire, attaquer, difficulté

[94] 3 vol. in-4, 1667, revu par Richelet.

On voit combien cette orthographe est conforme à celle que Firmin Le Ver a consignée dans son dictionnaire rédigé deux siècles et demi auparavant. On doit moins s’étonner si l’ouvrage de Richelet, sous le rapport de l’orthographe, est si fort en avance sur le premier Dictionnaire de l’Académie de 1694. Lors de l’apparition, en 1680, de l’œuvre de Richelet, la copie des premières lettres du travail académique devait être déjà entre les mains de Coignard, imprimeur de l’Académie françoise (le privilége donné à l’Académie pour son Dictionnaire est de 1674). Or, d’après le témoignage même du privilége, la rédaction en était commencée dès 1635: elle devait donc représenter l’état de la langue, et de l’écriture en particulier, non pas en 1694, date de l’achèvement du dictionnaire, mais tel qu’il pouvait être vers 1660, époque de la mise sous presse de la première édition des cahiers. (On s’en convaincra en jetant les yeux sur le Tableau comparatif qui suit.) Or le travail d’analyse et de coordination accompli par de savants académiciens pendant la longue période comprise entre 1635 et 1680, époque de l’apparition du Dictionnaire de Richelet, ainsi que toutes les propositions acceptables des grammairiens réformateurs étaient, pour ainsi dire, non avenues: l’Académie se croyait engagée par les décisions grammaticales et orthographiques adoptées dans les Cahiers, puis dans les premières lettres du Dictionnaire.

Il est résulté de cette lenteur du travail, très-explicable en pareille matière, qu’au point de vue de l’usage, même en fait d’écriture, l’œuvre académique s’est trouvée arriérée en naissant, et que l’orthographe du Dictionnaire de Richelet de 1680, si raisonnable en bien des points, n’a pu être sanctionnée en partie par l’Académie 113 qu’en 1740, en partie qu’en 1835, et qu’il en reste même une certaine part en instance devant l’Académie de 1868.

En 1685 parut à Lyon chez Pierre Guillemin, en 1 vol. in-folio, un Dictionnaire général et curieux, contenant les principaux mots et les plus usitez en la langue françoise, leurs définitions, divisions et étymologies par César de Rochefort. L’ouvrage eut peu de succès, et partant peu d’influence. Son orthographe ne se distingue par rien de particulier de celle des dictionnaristes de son temps.

Antoine Furetière, chassé de l’Académie française en 1685 et mort en 1688, a laissé un Dictionnaire universel qui ne parut qu’en 1690, à Roterdam. Bien qu’il soit antérieur comme date de publication à la première édition de l’Académie, il est facile de s’assurer qu’il a beaucoup profité des discussions et des travaux de la compagnie auxquels il avait eu part lui-même. Son orthographe, loin d’être, comme celle de Richelet, en progrès marqué sur celle du Dictionnaire de l’illustre Société, est plus inconséquente et moins régulière.

Tableau synoptique du changement d’orthographe depuis le XVe siècle dans les mots difficiles

Il m’a paru utile de résumer en un tableau synoptique les détails des vicissitudes orthographiques de quelques-uns des mots difficiles quant à l’écriture depuis 1420 jusqu’à nos jours, en extrayant la forme de chacun d’eux des anciens lexiques, soit manuscrits, soit imprimés, que je possède. Cette comparaison fait apparaître mieux qu’une longue dissertation la nature des causes qui ont agi, la persistance de certaines influences, et la raison du retour aux formes simplifiées.

Tableau 1ere partie
Tableau 112bis 1ère partie
Tableau 2eme partie
Tableau 112bis 2ème partie

Note. Ce tableau a dû être divisé verticalement en trois à la transcription. Pour faciliter la lecture les entrées ont été numérotées.

PRIMITIFS LATINS. FIRMIN LE VER
Dictionarius Lat.-Gal.,
1420-1440
PALSGRAVE
publ. en 1530, mais antér.
CATHOLICON Abbreviatum
de 1506
   Suite →
Le ch (χ) étymologique.      
1. character caracter (caracter)[95] » »
2. cholera colere (colera) » »
3. corda
v. fr. corde
corde (corda) » »
4. schola
v. fr. escole
escole id. »
5. chelidonia » » celidoine
6. stomachus estomac estomach estoumac
7. chirurgus
v. fr. cirurgien
surgien (cirurgicus) cirurgien id.
8. chiromantia (ciromantia) » »
9. chresma
v. fr. creisme
cremme (chrisma) cresme »
   Suite →
Le th (θ) étym.      
10. catholicus catholique » catolique
11. theatrum (Le Ver en donne la définition. V. au texte.) » »
12. thema theume » »
13. thesaurus
v. fr. thesaur
tresor » tresor
   Suite →
th et ph      
14. orthographo ortografier (ortographo) » »
15. orthographia ortographiemens (ortographia) » orthographie
16. orthographus ortografieur (ortographus) » »
   Suite →
Le ph (φ) étymologique.      
17. orphanus
v. fr. orphenin
orfelin » orphelin
18. physicus
v. fr. fisicien
fisicien (fisicus) » phisicien
19. phthisicus » » »
20. phantasticus
v. fr. fantastic
fantasieux (fantasticus) phantasticq »
21. phlegmaticus
v. fr. fleumatique
fleumatique (flegmaticus) » fleumatique
22. phreneticus
v. fr. frenasieux
frenetique (freneticus) » frenetique
23. phasianus
v. fr. phaisan
» » »
24. sulphur soufre » souffre
25. cophinus
v. fr. coffin et coffe
cofin (cofinus) » cophin
   Suite →
L’y étymologique.      
26. hybernum
v. fr. iveir, iver, yver
iuer yuer iuer
27. abyssus abisme (abissus) id. id.
28. tyrannus tirans, tirannie (tyrannus) tyran tiran
29. mysterium
v. fr. mistère
mistere (misterium) » mistere
   Suite →
30. septimana
v. fr. sepmaine-septaine
semaine » sepmaine
31. nepótem
v. fr. neps-nieps-niez
nepueu neueu nepueu
32. subtrahere soubtraire substrayre »
33. auscultare escouter escolter »
34. póllicem
v. fr. poulce
pauch poulce »
35. subridere
v. fr. souzrire
soubsrire (surridere) soubzrire »
36. suspicio
v. fr. souspesson, soupeson, souppechon, souspeçon, sopecon
souspechon (suspicatio) souspecionner soupeconner
37. aurifaber
v. fr. orfebvre
orfeure id. id.
38. sponsus
v. fr. espous
espeux » espoux
PRIMITIFS LATINS. FIRMIN LE VER Dictionarius Lat.-Gal., 1420-1440 PALSGRAVE
publ. en 1530, mais antér.
CATHOLICON Abbreviatum
de 1506
   Suite →
39. ptisana tisenne (tipsana)[96] tisanne tisane
40. ætas (ætaticum)
v. fr. aé, eage
aage (de etas) aage id.
41. ostrea
v. fr. oistre
oistre oystre id.
42. cochlear cuillier (coclear) cuillier cueillier
43. paienor, paganus
v. fr. payen
paien » payen
44. bovem, bóvem
v. fr. boef
beuf » beuf
45. poma
v. fr. pome ou pomme
pomme (pomum) pomme id.
46. bona bonne » »
47. ratioratiocinium
v. fr. reson—resnable
raison, raisonnable resonnable raisonnement
48. honórem
v. fr. honour
honneur honnieur honneur
49. abandonare
v. fr. abandoner
» abandonner »
50. fidelis fidele » »
   Suite →
51. filiolus
v. fr. filleux
fillœul filliol fileul
52. auricula
v. fr. oreille
oreille oraille oreille
53. patrinus parrin pairrayn patrain
54. matrina marrine » marrine
55. quadratum quarre, quarement » quarre
56. scala
v. fr. eschiele
esquielle eschiel ou eschelle eschiale
57. lacteo
v. fr. alaiter
alaitier (lactare) alaicter alaiter
58. carruca carette » charrete et charrette
59. stella
v. fr. estelle
estoile estoille id.
60. batuere (v. fr. abattre) » » »
61. abreviare » » »
62. condemnare (condempnation) condampner »
   Suite →
63. damnare
v. fr. damner
(dampnable) dampner damner
64. domare » » dompter
65. sollennitas ou solemnitas
v. fr. sollempniteit
(solennel, solennelment) solempite (sic) solennite
66. columna
v. fr. columbe
columne colomppe, columpne colonne
67. (v. fr. contrerolleur) » » »
68. cognoscere
v. fr. congnoistre
congnoistre cognoistre id.
69. parere
v. fr. parrer et paroir
apparoir » »
70. insimul
v. fr. ensemble
ensamble ensemble »
71. plenus
v. fr. plain
plain, plainement plain id.
72. hedera
v. fr. hieres, hierre
erre hierre »
73. aqua
v. fr. aage, aaige, aau, aigue, eaige, eauve, eeue, effve, iaue, yaue, eau
yaue eaue et eau eau
74. luscinia
v. fr. roxignous, roxingnous, rossignous
lonseignol (de lucinia) » »

[95] Les mots latins de cette colonne qui sont en italique reproduisent exactement l’orthographe du manuscrit de Le Ver. Dans les autres colonnes, l’italique indique l’identité de l’orthographe des mots français avec celle de l’Académie en 1835. Le guillemet (») indique l’absence du mot.

[96] Tipsana, ne, tisenne, id est succus ordei decoctus. Catholicon dicit ptisana. Prima producitur. Vide in p.

ANTONIO
DE LEBRIXA
1524
ROBERT ESTIENNE
1549
LAIMARIE
1586
NICOT
1613
PH. MONET
1630
N. DUEZ
1659
← Retour    Suite →
Le ch (χ) étymologique.          
1.» caractere » id. id. charactere
2.» cholere id. cholére cholere colere
3. chorde corde id. id. id. id.
4. escole id. eschole escole id. id.
5. chelydoyne chelidoine id. id. id. id.
6. estomach id. id. id. estomac id.
7. cirurgien chirurgien id. chirugien chirurgien id.
8.» chiromantie id. id. » chiromantie
9. cresme cresme et mieux chresme id. cresme creme chresme (lit.) et creme (cuisine)
← Retour    Suite →
Le th (θ) étym.          
10.» catholique id. id. id. id.
11.» theatre id. id. id. id.
12.» tesme ou thesme thesme tesme theme id.
13. tresor thresor id. id. tresor thresor
← Retour    Suite →
th et ph          
14.» » » » » »
15. orthographie » » ortographie » ortographie
16. » » » » » »
← Retour    Suite →
Le ph (φ) étymologique.          
17. orphelin orfelin id. id. id. orphelin
18.» physicien id. id. id. id.
19. ptisique » » » phthisique phtisique
20. phantastique fantastique id. id. id. id.
21. fleumatique flegmatique phlegmatique id. id. flegmatique
22.» frenatique frenetique et frenaisie frenatique et frenaisie id. phrenetique et phrenesie
23.» faisant faisan id. id. phaisan
24. souffre soulfre id. id. soufre soulphre
25.» coffre id. id. cofre coffre
← Retour    Suite →
L’y étymologique.          
26. yuer yuer ou hyuer id. id. hiuer hyuer
27.» abysme id. id. abyme abysme
28. tyrant id. tyran id. id. tiran
29.» mystere id. id. id. id.
← Retour    Suite →
30.» » septmaine » semaine id.
31. nepueu id. id. id. neueu nepueu
32. soustraire soubtraire id. id. soutraire soustraire
33. escouter id. id. id. ecouter escouter
34. poux ou poulce poulce id. id. pouce poulce
35.» soubrire id. id. sourire sousrire
36.» souspecon id. soupçon id. id.
37. orfeure orfebure orfeure id. id. id.
38. espoux id. id. id. espous et epous espoux
ANTONIO
DE LEBRIXA
1524
ROBERT ESTIENNE
1549
LAIMARIE
1586
NICOT
1613
PH. MONET
1630
N. DUEZ
1659
← Retour    Suite →
39. tisane tisanne tisane tisanne tisane id.
40. eage aage id. id. id. id.
41. oistre huystre ouystre ou huistre huitre id. huistre
42. coulliere cuilier cueillier cuilier cueillier cuillier
43.» payen » payen paien payen
44. beuf id. id. id. id. bœuf
45. pomme id. id. id. id. id.
46. bonne id. id. id. id. id.
47. raisonnable raisonnement raisonner id. id. id.
48. honneur id. id. id. id. id.
49.» abandonner (de bandon) abandonner id. id. id.
50.» fidele id. fidele et fidelle fidele id.
← Retour    Suite →
51. fillol filleul » id. » id.
52. oureille oreille id. id. id. id.
53. parrin id. id. id. id. parrain
54. marraine marrine id. id. marreine marraine
55. quarre id. id. id. quarré id.
56. eschelle eschele id. id. eschele et echele eschelle
57.» allaicter id. id. allaiter allaicter
58. charete charette charrette id. charrete charette
59. estoille id. id. id. estoile ou etoile estoille
60.» abbatre id. abatre id. abbatre
61.» abbreger id. abreger abbreger id.
62.» condamner id. id. id. id.
← Retour    Suite →
63. damner id. id. id. id. id.
64.» donter id. id. domter dompter
65. solennite solennité id. id. sollamnité solennité
66. colonne colomne id. id. id. id.
67.» contrerolleur » id. contreroleur controlleur
68. congnoistre cognoistre id. id. cognoitre, connoitre connoistre
69. apparoir apparoir ou apparoistre » apparoir ou apparoistre apparoir apparoir et apparoistre
70.» ensemble id. ou ensemblement id. ansemble et ensemble ensemble
71. plain plein id. id. id. et pleinemant plein
72.» hierre id. id. hierre et lierre id.
73. eaue eaue et eau id. eage ou eau eau id.
74.» rossignol id. id. id. id.
ANT. OUDIN 1660 RICHELET 1680 FURETIÈRE 1690 ACADÉMIE 1694 ACADÉMIE 1740 ACADÉMIE 1835
← Retour     
Le ch (χ) étymologique.          
1. charactere caractêre caractere id. caractére caractère
2. cholere et colere colére colere id. colère id.
3. corde id. id. id. id. id.
4. escole école escole id. école id.
5. chelidoine chélidoine chelidoine » » chélidoine
6. estomac et estomach estomac id. id. id. id.
7. chirurgien id. id. id. id. id.
8. chiromantie id. chiromance id. id. chiromancie
9. chresme (lit.) et creme (cuisine) chrême et crême chresme et cresme chresme et créme chrême et crême chrême et crème
← Retour     
Le th (θ) étym.          
10. catholique catolique catholique id. id. id.
11. theatre téâtre theatre id. théatre théâtre
12. theme téme ou théme theme id. thème id.
13. thresor tresor id. thresor trésor id.
← Retour     
th et ph          
14.» » » orthographier id. id.
15. ortographie id. orthographe orthographe id. id.
16. » » » » » »
← Retour     
Le ph (φ) étymologique.          
17. orphelin id. orfelin orphelin id. id.
18. physicien phisicien physicien id. id. id.
19. phtisique id. id. id. phthisique id.
20. fantastique id. id. id. id. id.
21. phlegmatique flegmatique phlegmatique id. id. flegmatique
22. phrenetique et phrenesie phrénetique et phrénesie frenetique et frenesie id. frénétique et frénésie id.
23. phaisan faisan id. id. id. id.
24. soulphre soufre soulfre soufre id. id.
25. coffre cofre coffre id. id. id.
← Retour     
L’y étymologique.          
26. hyver hiver id. id. id. id.
27. abysme abîme abyme abysme abyme abîme
28. tiran et tyran tiran tyran id. id. id.
29. mistere et mystere mistere mystere id. mystère id.
← Retour     
30. semaine id. id. id. id. id.
31. neveu id. id. id. id. id.
32. soustraire id. id. id. id. id.
33. escouter écouter escouter id. id. écouter
34. poulce pouce poulce pouce id. id.
35. sousrire sourire sousrire id. sourire id.
36. soupçon id. id. id. id. id.
37. orfebvre orfèvre orfevre orfévre id. id.
38. espoux époux espoux id. époux id.
ANT. OUDIN 1660 RICHELET 1680 FURETIÈRE 1690 ACADÉMIE 1694 ACADÉMIE 1740 ACADÉMIE 1835
← Retour     
39. ptisanne tisanne tisane ptisanne id. tisane
40. aage âge id. id. id. id.
41. huistre huître huistre id. huitre id.
42. cuiller cuilier cuiller ou cuilliere cuillier ou cuiller id. cuiller
43. payen païen payen id. id. païen
44. bœuf beuf bœuf id. id. id.
45. pomme id. id. id. id. id.
46. bonne id. id. id. id. id.
47. raisonner id. id. id. id. id.
48. honneur id. id. id. id. id.
49. abandonner id. id. id. id. id.
50. fidelle fidéle fidelle id. fidèle id.
← Retour     
51. filleul id. id. id. id. id.
52. oreille id. id. id. id. id.
53. parrain parrein et parrain id. parrain id. id.
54. marraine marreine et marraine marreine marraine id. id.
55. quarré id. id. quarré ou carré carré id.
56. eschelle échelle eschelle id. échelle id.
57. allaicter alaiter id. allaicter allaiter id.
58. charette id. charrette id. id. id.
59. estoille étoile estoile id. étoile id.
60. abbatre abatre id. abbatre abattre id.
61. abbreger abreger id. abbréger abréger id.
62. condamner condanner ou condâner condamner id. id. id.
← Retour     
63. damner dâner damner id. id. id.
64. dompter domter id. id. id. dompter
65. solemnité ou solennité solennité solemnité solemnité ou solennité solennité id.
66. colomne colonne colomne id. colonne id.
67. contrerolleur et controolleur contrôleur controlleur contrôleur id. id.
68. connoistre connoître connoistre id. connoître connaître
69. apparoir et apparoistre aparoitre apparoistre, apparoître, apparoir, t. d. pal. apparoistre, apparoir apparoître, apparoir apparaître
70. ensemble id. id. id. id. id.
71. plain id. id. id. id. id.
72. lierre id. id. id. id. id.
73. eau id. id. id. id. id.
74. rossignol id. id. id. id. id.

ORTHOGRAPHE DE L’ACADÉMIE EN 1694, DATE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DU DICTIONNAIRE.

Il n’est peut-être pas sans intérêt de rechercher quels principes ont dirigé l’Académie française dans l’établissement des règles d’orthographe adoptées dans la première édition de son Dictionnaire en 1694. Ces règles sont, pour la plupart, tombées en désuétude sous l’action du temps, mais il en reste encore des traces nombreuses dans presque toutes les parties de la sixième édition.

Pour déterminer ces principes, je m’attacherai à trois documents officiels:

114 La Préface du Dictionnaire même;

Les Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de messieurs de l’Académie, sorte de mémento particulier destiné à assurer une certaine unité dans la discussion académique et à préparer la solution des difficultés grammaticales;

La Grammaire de Regnier des Marais, secrétaire perpétuel de la Compagnie, et chargé par elle de rédiger la Grammaire mentionnée dans les statuts de sa fondation.

1o Préface du Dictionnaire de l’Académie.

En 1694, l’Académie s’exprimait ainsi dans sa préface:

«L’Académie s’est attachée à l’ancienne orthographe receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu’elle ayde à faire connoistre l’origine des mots. C’est pourquoy elle a creu ne devoir pas authoriser le retranchement que des particuliers, et principalement les imprimeurs, ont fait de quelques lettres, à la place desquelles ils ont introduit certaines figures qu’ils ont inventées[97], parce que ce retranchement oste tous les vestiges de l’analogie et des rapports qui sont entre les mots qui viennent du latin ou de quelque autre langue. Ainsi elle a écrit les mots corps, temps avec un p et les mots teste, honneste avec une s pour faire voir qu’ils viennent du latin tempus, corpus, testa, honestus... Il est vray qu’il y a aussi quelques mots dans lesquels elle n’a pas conservé certaines lettres caracteristiques qui en marquent l’origine, comme dans les mots devoir, fevrier, qu’on escrivoit autrefois debvoir et febvrier pour marquer le rapport entre le latin debere et februarius. Mais l’usage l’a decidé au contraire; car il faut reconnoistre l’usage pour le maistre de l’orthographe aussi bien que du choix des mots. C’est l’usage qui nous mene insensiblement d’une maniere d’escrire à l’autre, et qui seul a le pouvoir de le faire. C’est ce qui a rendu inutiles les diverses tentatives qui ont esté faites pour la reformation de l’orthographe depuis plus de cent cinquante ans par plusieurs particuliers qui ont fait des regles que personne n’a 115 voulu observer[98]. Ce n’est pas qu’ils ayent manqué de raisons apparentes pour deffendre leurs opinions qui sont toutes fondées sur ce principe, qu’il faut que l’escriture represente la prononciation; mais cette maxime n’est pas absolument veritable; car si elle avoit lieu, il faudroit retrancher l’r finale des verbes aymer, ceder, partir, sortir[99], et autres de pareille nature dans les occasions où on ne les prononce point, quoy qu’on ne laisse pas de les escrire. Il en estoit de mesme dans la langue latine où l’on escrivoit souvent des lettres qui ne se prononçoient point. Je ne veux pas, dit Ciceron, qu’en prononçant on fasse sonner toutes les lettres avec une affectation desgoustante: Nolo exprimi litteras putidius (3, de Orat.). Ainsi on prononçoit multimodis et tectifractis quoy qu’on écrivist multis modis et tectis fractis, ce qui fait voir que l’escriture ne represente pas tousjours parfaitement la prononciation; car comme la peinture qui represente les corps ne peut pas peindre le mouvement des corps, de mesme l’escriture qui peint à sa maniere le corps de la parole, ne sçauroit peindre entierement la prononciation qui est le mouvement de la parole. L’Académie seroit donc entrée dans un détail tres-long et tres-inutile, si elle avoit voulu s’engager en faveur des estrangers à donner des regles de la prononciation. Quiconque veut sçavoir la veritable prononciation d’une langue qui luy est estrangere, doit l’apprendre dans le commerce des naturels du pays; toute autre methode est trompeuse, et pretendre donner à quelqu’un l’idée d’un son qu’il n’a jamais entendu, c’est vouloir donner à un aveugle l’idée des couleurs qu’il n’a jamais veuës. Cependant l’Académie n’a pas negligé de marquer la prononciation de certains mots lors qu’elle est trop esloignée de la maniere dont ils sont escrits et l’s en fournit plusieurs exemples; c’est une des lettres qui varient le plus dans la prononciation lors qu’elle precede une autre consone, parce que tantost elle se prononce fortement, comme dans les mots peste, veste, funeste, tantost elle ne sert qu’à allonger la prononciation de la syllabe, comme dans ces mots teste, 116 tempeste; quelquefois elle ne produit aucun effet dans la prononciation, comme en ces mots, espée, esternuer; c’est pourquoy on a eu soin d’avertir le lecteur quand elle doit estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son d’un z, et c’est quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces mots aisé, desir, peser. Mais elle n’est pas la seule lettre qui soit sujette à ces changemens. Le c se prononce quelquefois comme un g, ainsi on prononce segret et non pas secret, segond et non pas second, Glaude et non pas Claude, quoy que dans l’escriture on doive absolument retenir le c. Ainsi les Romains prononçoient Gaius, quoy qu’ils escrivissent Caius, Amurga quoy qu’ils escrivissent Amurca, selon l’observation de Servius sur le premier livre des Georgiques; ce qui acheve de confirmer ce qu’on vient de dire que la prononciation et l’orthographe ne s’accordent pas tousjours et que c’est de la vive voix seule qu’on peut attendre une parfaite connoissance de la prononciation des langues vivantes et qu’on n’appelle vivantes que parce qu’elles sont encore animées du son et de la voix des peuples qui les parlent naturellement; au lieu que les autres langues sont appellées mortes, parce qu’elles ne sont plus parlées par aucune nation, et n’ont plus par consequent que des prononciations arbitraires au deffaut de la naturelle et de la veritable qui est totalement ignorée[100]

[97] Les accents.

[98] Moins de cent ans après, l’Académie devait, conformément aux propositions de la plupart des novateurs, simplifier l’écriture de près de cinq mille mots et introduire les accents dans le corps d’une grande partie d’entre eux.

[99] Par cet exemple, on voit que dans partir, sortir, on ne prononçait pas le r, de même que nous ne le faisons pas sentir dans aimer, céder non suivis d’une voyelle.

[100] La préface du premier Dictionnaire de l’Académie, en 1694, a été écrite par Regnier des Marais, et l’epître dédicatoire au Roi, par Perrault. On croit que les observations sur cette dédicace publiées par d’Olivet, à la fin de ses Remarques sur les tragédies de Racine (Paris, Gandouin, 1738, in-12), sont dues à Racine et à Regnier des Marais.

Dans cette préface comme dans les autres citations, j’ai suivi scrupuleusement l’orthographe même des textes. Quant à la ponctuation qui, n’étant soumise à aucune règle fixe, nuit parfois à l’intelligence du sens, j’ai dû la rétablir d’après l’usage des bonnes imprimeries. Le grand nombre des majuscules, employées souvent d’une façon arbitraire, est modifié selon habitudes actuelles.

On doit cependant signaler dans cette préface l’emploi du (;) suivi d’une majuscule qui remplit la fonction d’une ponctuation intermédiaire entre le point-virgule (;) et le point. (Les deux points (:) remplissent une autre fonction.) Il est regrettable qu’on ait abandonné un secours utile quelquefois et qui, du reste, avait un précédent, ainsi qu’on en peut juger par les textes grecs de ma Bibliothèque des auteurs grecs. Cette ponctuation intermédiaire s’y trouve remplacée par l’emploi de la minuscule simple après le point, pour indiquer une suspension moins forte que lorsque le point est suivi de la majuscule.

La comparaison de notre orthographe académique, d’après la dernière édition du Dictionnaire de 1835, avec celle du Dictionnaire de 1694, prête une grande force aux instances de ceux qui veulent améliorer l’état de choses actuel.

117 2o Cahiers de remarques rédigés pour le Dictionnaire de 1694.

Dans les Cahiers dressés par l’Académie pour éclairer la discussion des mots du Dictionnaire de 1694, se trouvent des règles de détermination orthographique qu’elle n’a formulées nulle part ailleurs. Ces Cahiers étaient tirés strictement à quarante exemplaires au nom de chacun des membres. Il en existe deux éditions[101]. C’est sur l’exemplaire de Racine de la première édition, conservé à la Bibliothèque impériale, que j’ai transcrit ce qui suit. On y voit établie la règle du doublement de la consonne avec ses nombreuses exceptions, celle de la composition de nos mots avec les prépositions latines. La loi de la configuration étymologique paraît déjà subir de notables restrictions, faites au nom de l’usage. Voici l’analyse de quelques-unes des principales remarques:

[101] M. Ch. Marty-Laveaux a réédité en 1863, chez le libraire J. Gay, à trois cents exemplaires, ces deux éditions en les faisant précéder d’une intéressante introduction.

«La premiere observation que la Compagnie a creu devoir faire est que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres, l’orthographe n’est pas tellement fixe et determinée qu’il n’y ait plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux differentes manieres, qui sont toutes deux esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en a une des deux qui n’est pas si usitée que l’autre, mais qui ne doit pas estre condamnée.

«Generalement parlant, la Compagnie prefere l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorans, et est d’avis de l’observer par tout, hormis dans les mots où un long et constant usage en a établi une differente.

«L’ancienne orthographe peche quelquefois en lettres superfluës; mais il ne faut pas les appeller ainsi quand elles servent à marquer l’origine, comme en ce mot vingt, qui s’escrit de la sorte, encore que le g ne se prononce point, parce qu’il vient du latin viginti. Il n’en est pas de mesme quand l’usage a depuis long-temps reglé le contraire: ainsi on n’orthographie plus le mot escripre avec un p ni escripture

118 Suivent quelques règles sur la permutation des consonnes ou le maintien des consonnes caractéristiques, règles que l’usage a consacrées ou que l’Académie a abrogées elle-même en 1740.

Cependant, le passage suivant est à noter particulièrement: il explique et justifie l’abandon des caractères étymologiques dans les mots tirés du grec et devenus d’un usage vulgaire: «Plusieurs aussi escrivent: fantaisie, fantastique, fantasque, fantosme, mais d’autres veulent un ph à phantaisie, qui signifie cette faculté de l’ame que les Latins appellent imagination; mais fantaisie que signifie caprice, bizarrerie, s’escrit avec f. Ce n’est pas que les deux mots n’ayent la mesme origine, mais le dernier, à force d’estre usité et de passer dans les mains de tout le monde, a changé son PH grec en un F françois

C’est ce dernier précepte qui aurait dû être appliqué plus rigoureusement dans les éditions successives du Dictionnaire.

«On doit garder, ajoute le Cahier, les doubles consones aux mots où il y en avoit dans le latin, par example, deux bb, deux cc, deux dd, etc. D’autre costé, pour l’ordinaire la consone n’est pas double dans le françois quand elle ne l’estoit point dans le latin.»

Le Cahier, pour être conséquent avec l’exemple qu’il donne en écrivant partout consone avec un seul n, aurait dû supprimer la double lettre à persone, à sonette, à pome, etc., etc.

«Les composez et les derivez suivent l’orthographe de leurs simples.»

Le Cahier passe ensuite en revue les prépositions latines qui entrent dans la composition des mots français. «Quand la preposition a est suivie d’un g ou d’une m, ces consones ne se doublent pas, excepté pour le g les mots où il est déja double en latin. Exemples: aggreger, aggresseur, aggraver, exaggerer. Toute autre consone que g ou m se double: abbatre, abbonner, abbreuver, abbreger, abbrutir.» Il y a un certain nombre d’exceptions indiquées.

«Avec la préposition ad il y a à distinguer; quelques-uns enlèvent le d, mais la meilleure orthographe le conserve. Exemples: addonner, adjoint, adjourner, adjouster, adjuger, adjuster, admettre, admirable, admiral[102], admis, admodier, admonester, 119 addresser, advis, advocat. Quelques-uns neantmoins escrivent ENCORE[103] avis, avertissement, avertir et avocat sans d

[102] On a reconnu plus tard que le mot amiral vient de l’arabe émir. La préposition ad des Latins n’avait rien à faire ici.

[103] L’habitude d’écrire simplement et d’essayer de figurer la prononciation plutôt que l’étymologie est plus ancienne en France que l’Académie de 1694 ne paraît le supposer, car cet usage remonte à l’époque même de nos plus anciens monuments écrits du XIe, du XIIe et du XIIIe siècle (Lois de Guillaume, Apocalypse, Quatre Livres des rois, etc.). Le mot appellata, que l’Académie de 1694 écrit appellée, est figuré ainsi, apeled et apelee; le tesmoignage (testimonium) est alors testimoine ou tesmoigne; les yeux, comme écrivait R. Estienne, sont des oils, etc. Il est vrai que, depuis le XIVe siècle, les clercs, fort épris du latin, se sont donné carrière pour saupoudrer de plus en plus leurs transcriptions de lettres étymologiques et souvent de lettres qui ne le sont pas; mais c’est à partir de la Renaissance de l’antiquité que cette fièvre d’érudition a pris son plus grand développement. Voir plus haut, p. 112.

«Preposition e. Devant un mot simple commençant par f, cette consone se double. Exemples: effaroucher, effeminer. Devant toute autre consone que f, on met aprés la preposition latine un s. Exemples: esbattre, esmouvoir, espleurer, espris, esrailler, estester, etc.

«La preposition sous garde son s. Exemples: sousbarbe, souschantre, souslever, souspeser, souspir, soustenir, soustraire. Quelques-uns neantmoins escrivent soupir et soutenir

Mais l’Académie, en 1740, a décidé contrairememt à la plupart des règles des Cahiers de 1694. Il suffit d’indiquer quelques mots extraits des séries complètes du Cahier qu’elle a rectifiés dès sa troisième édition: appanage, appaiser, appercevoir, etc.; desboetter, desbotter, desborder, desbourser, esbattre, esbranler, escarter, qu’elle écrit les uns par un seul p et les autres sans s.

Dans le Cahier on autorise cependant d’écrire deffaillir et defleurir, deffaire et defricher, et l’on remarque que quelques mots qui n’avaient pas d’h en latin en ont pris en français: «ululare, hurler; altus, haut; exaltare, exhausser; ostreum, huistre; oleum, huile; ostium, huis; octo, huit.»

Voici ce qui est dit à l’article du Circonflexe:

«Le circonflexe mis sur une syllabe marque bien qu’elle est longue; mais ce n’est pas pour cela qu’on l’y met, c’est pour montrer qu’on y a retranché une voyelle, comme on fait en grec aux verbes et aux noms contractes[104]. Par exemple, on le met en bâiller, 120 râiller, contractes de beailler et de riailler; à âge, blessûre, j’ay pû, ingenûment, assidûment, etc. Les novateurs de l’orthographe le veulent substituer à la place de l’s muette, et escrivent tempête, bête, ôter, etc.»

[104] Cet accent circonflexe joue encore dans notre orthographe le double rôle, de marquer la suppression d’une lettre, comme dans affût, affûtage, aîné, vous arrivâtes, nous crûmes, etc., et de rendre la syllabe longue, comme dans bâche, bêche, bellâtre, câlin, etc. Il y a là une source de nombreuses difficultés pour les étrangers.

L’opinion des novateurs a prévalu, et l’Académie a même retranché l’accent circonflexe à la plupart des mots qui ont subi une contraction: railler, blessure, pu, ingénument. Elle l’a conservé à assidûment.

On lit à l’article de la DIVISION:

«La division se met entre deux mots qui, en effet, ne font qu’un, mais qui ne sont pas entierement joincts; comme eux-mesmes, re-saler, re-sumer, francs-fiefs, cordon-bleu, grand-croix, ciel-de-lict, entre-post, etc. On la met aussi entre la troisieme personne singuliere tant du present de l’indicatif que du futur, et le pronom personnel il et elle, et l’impersonnel on. Exemples: parle-il, mange-elle, disne-on ceans, ira-il, dira-elle, sonnera-on. C’estoit l’ancienne orthographe, dont la raison est assez connüe à ceux qui connoissent la langue françoise du quatorziesme et quinziesme siecle. Mais depuis quelques années on s’est advisé de mettre entre ces mots deux tirets et un t au milieu, de cette sorte, dira-t-il, ira-t-on. Ie voy grand nombre de gents qui s’opposent à cet usage, et disent qu’il n’y en a aucune raison, ny aucun exemple chez nos anciens. Messieurs jugeront si leur opposition est bien fondée; et chacun marquera, s’il luy plaist, ce qu’il voudroit changer, corriger, retrancher et adjouster à tout ce Traitté, tant pour le gros et pour l’ordre, que pour le détail et pour les exemples.»

3o Grammaire de Regnier des Marais.

Dans sa Grammaire, publiée en 1706, Regnier des Marais, qu’on peut supposer avoir été le rédacteur des Cahiers, expose les mêmes principes avec plus de développements. (Voir plus loin l’analyse de cette Grammaire, p. 136.)

Ainsi donc, l’Académie de 1694 procédait en matière d’orthographe, sous l’influence gréco-latine, en vue d’une conformité aussi intime que possible avec l’écriture du latin littéraire. Bien 121 qu’elle tienne peu de compte des concessions que le latin vulgaire, la basse latinité et les écrivains français du XIIe au XVIe siècle avaient faites à la prononciation, on remarque une tendance à s’écarter de l’orthographe des Cahiers de remarques rédigés par Regnier des Marais; elle fait quelques sacrifices à la nécessité de simplifier, qui est propre au génie de notre langue et à sa prosodie. Aussi la lecture, d’après ces principes mixtes de 1694, devait être fort difficile, par suite de la multiplicité de ces consonnes ramenées du latin du siècle d’Auguste, consonnes qui tantôt se prononçaient et tantôt ne se prononçaient point. Ronsard, ainsi que le grand Corneille, tous deux véritablement Français, avec des idées et des sentiments antiques, avaient mieux compris l’organisme de notre langue. C’est un grand honneur pour l’Académie d’avoir osé, dès 1740, se déjuger elle-même en renonçant aux règles et aux idées théoriques qu’elle avait adoptées en 1694, et d’avoir su rentrer dans la voie de la tradition et de la vérité pratique.

APPENDICE B.
OPINION DE RONSARD SUR L’ORTHOGRAPHE ÉTYMOLOGIQUE.

Ronsard, par l’ampleur et la hardiesse de son esprit, devançant son siècle et ceux qui l’ont suivi, a découvert en partie les différences qui distinguent certaines de nos lettres de leurs correspondantes chez les anciens, et affirmé les droits de notre langue à une orthographe qui lui soit propre. Il se rencontre ainsi, à cent ans de distance, avec Corneille, pour ouvrir la voie dans laquelle l’Académie devait successivement entrer. Sans l’opposition de ses amis, il eût accepté volontiers en grande partie les réformes de Meigret[105]; mais il se borne pour le moment à l’expulsion de l’y étymologique, à la suppression des consonnes superflues, telles que le double cc au mot accorder (qu’il écrit acorder), à l’adoption de l’accent aigu dans nombre de cas, et au remplacement du ph par un f. Il réclame de nouveaux signes pour i et u consonnes (j et v), pour ll mouillé, gn et ch, et la restitution de k et z, qu’il demande de remettre en leur premier honneur[106].

[105] Joachim du Bellay témoigne le même regret (voir plus loin, App. D), et l’exprime avec une naïve énergie.

[106] Préface de la Franciade.

122 Il s’exprime ainsi dans l’avertissement au lecteur placé en tête de son Abrégé de l’art poëtique (édit. de 1623, t. II, page 1616):

«I’avois deliberé, lecteur, suiure en l’orthographe de mon liure la plus grand’part des raisons de Louys Meigret, homme de sain et parfait iugement (qui a le premier osé desiller les yeux, pour voir l’abus de notre escriture), sans l’aduertissement de mes amis, plus studieux de mon renom que de la verité; me peignant au deuant des yeux le vulgaire, l’antiquité, et l’opiniastre aduis des plus celebres ignorans de nostre temps; laquelle remonstrance ne m’a tant sceu espouuanter, que tu n’y voyes encore quelques marques de ses raisons (de Meigret). Et bien qu’il n’ait totalement raclé la lettre grecque Υ, comme il deuoit, ie me suis hazardé de l’effacer, ne la laissant seruir sinon aux propres noms grecs, comme en Tethys, Thyeste, Hippolyte, Vlysse, à fin qu’en les voyant, de prime face, on cognoisse quels ils sont et de quel païs nouuellement venus vers nous: non pas en ces vocables, abisme, cigne, Nimphe, lire, sire (qui vient comme l’on dit de κύριος, changeant la lettre κ en σ[107]), lesquels sont desia receus entre nous pour françois, sans les marquer de cet espouuantable crochet de y, ne sonnant non plus en eux que nostre i en ire, simple, lice, lime. Bref, ie suis d’opinion (si ma raison a quelque valeur), lors que tels mots grecs auront long-temps demeuré en France, les receuoir en nostre megnie[108], puis les marquer de l’i françois pour monstrer qu’ils sont nostres, et non plus incogneus estrangers; car qui est celuy qui ne iugera incontinent que Sibille, Cibelle, Cipris, Ciclope, Nimphe, lire, ne soient naturellement grecs, ou pour le moins estrangers, puis adoptez en la famille des François, sans les marquer de tel espouuantail de Pythagore? Tu dois sçauoir 123 qu’un peu devant le siecle d’Auguste, la lettre grecque Υ estoit incogneuë aux Romains, comme l’on peut voir par toutes les comedies de Plaute, où totalement tu le verras osté, ne se seruant point d’vn charactere estranger dans les noms adoptez, comme Amphitruon, pour Amphitryon: et si tu me dis qu’anciennement la lettre y se prononçoit comme auiourd’huy nous faisons sonner nostre u latin, il faut donc que tu le prononces encores ainsi, disant Cubelle pour Cybelle; mais ie te veux dire dauantage, que l’y n’a pas esté tant affecté des Latins (ainsi qu’asseurent nos docteurs) pour le retenir comme enseigne en tous les vocables des Grecs tournez par eux en leur langue, mais ils l’ont ordinairement transformé, ores en u, comme μῦς, mus, ores en a, κύων, canis, ores en o, ὕπνος, somnus, tournant l’esprit aspre noté sur ὑ en s, comme estoit presque leur vieille coustume, auant que l’aspiration h fust trouuée. Ie t’ay bien voulu admonester de cecy, pour te monstrer que tant s’enfaut qu’il faille escrire nos mots françois par l’y grec, que nous le pouvons bien oster, suivant ce que i’ay dit, hors du nom naturel, pourueu qu’il soit vsité en nostre langue. Et si les Latins le retiennent en quelques lieux, c’est plus pour monstrer l’origine de leur quantité, que pour besoin qu’ils en ayent. S’il aduient que nos modernes sçauants se vueillent trauailler d’inuenter des dactyles et spondées en nos vers vulgaires, lors à l’imitation des Latins, nous le pourrons retenir dans les noms venus des Grecs, pour monstrer la mesme quantité de leur origine. Et si tu le vois encore en ce mot, yeux, seulement, sçache que pour les raisons dessus mentionnées, obeïssant à mes amis, ie l’ay laissé maugré moy, pour remedier à l’erreur auquel pourroient tomber nos scrupuleux vieillars, ayant perdu leur marque en la lecture des yeux et des jeux (sic): te suppliant, lecteur, vouloir laisser en mon liure la lettre i, en sa naïue signification, ne la deprauant point, soit qu’elle commence la diction, ou qu’elle soit au milieu de deux voyelles, ou à la fin du vocable, sinon en quelques mots, comme en ie, en i’eus, iugement, ieunesse, et autres, où abusant de la voyelle I, tu le liras pour I consonne inuenté par Meigret, attendant que tu receuras cette marque d’I consonne, pour restituer l’I voyelle en sa premiere liberté. Quant aux autres diphthongues[109], ie les ay laissées en leur vieille corruption, avecques insupportables entassemens de lettres, signe de nostre 124 ignorance et de peu de iugement, en ce qui est si manifeste et certain: estant satisfait d’avoir deschargé mon liure, pour cette heure, d’vne partie de tel faix: attendant que nouueaux characteres seront forgez pour les syllabes ll, gn, ch et autres. Quant à la syllabe ph, il ne nous faut autre note que nostre F, qui sonne autant entre nous que φ entre les Grecs, comme manifestement tu peux voir par ce mot φίλη, feille[110]. Et si tu m’accuses d’estre trop inconstant en l’orthographe de ce liure, escriuant maintenant, espée, épée, accorder, acorder, vestu, vétu, espandre, épandre, blasmer, blâmer, tu t’en dois colerer contre toy mesmes, qui me fais estre ainsi, cherchant tous les moyens que je puis de seruir aux oreilles du sçauant, et aussi pour accoustumer le vulgaire à ne regimber contre l’éguillon, lors qu’on le piquera plus rudement, monstrant par cette inconstance, que si i’estois receu en toutes les saines opinions de l’orthographe, tu ne trouuerois en mon liure presque vne seule forme de l’escriture que sans raison tu admires tant.»

[107] On a reconnu depuis la véritable origine, le latin senior, de ce mot sire. Il a été d’abord senre ou sendre (sendra dans le serment de 842), puis sires, et enfin sire, quand l’s du cas-sujet eut disparu. L’accusatif seniorem a donné le cas-régime seignur, signor, seigneur. Identiques à l’origine, comme moindre et mineur, mes sire et mon seigneur, ces deux cas d’un même mot ont été conservés dans la langue, avec des acceptions différentes. Mais, jusqu’au XIIIe siècle, ils étaient employés l’un comme sujet, l’autre comme régime. «Je me chevauchoie d’Amiens à Corbie; s’encontrai le roi et sa maisnie (maison, de mansio).—A cui es tu? dit-il.—Sire, je suis à mon signor.—Qui est tes sires?—Li barons me dame (le mari de ma dame).—Qui est ta dame?—La fame de mon signor.» (La Riote del monde, dans Nouv. rec. de contes, t. I, p. 473.)

[108] Voir la note précédente.

[109] Doubles consonnes, selon l’acception d’autrefois.

[110] Peut-être faut-il lire φύλλον, feuille.

APPENDICE C.
OPINIONS DE PLUSIEURS MEMBRES DE L’ACADEMIE FRANÇAISE ET DE L’ACADÉMIE DES BELLES-LETTRES SUR L’ORTHOGRAPHE ET LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE.

(On trouvera plus loin, dans l’Appendice D, l’analyse des méthodes orthographiques proposées par plusieurs d’entre eux.)

Nicolas Perrot d’Ablancourt, membre de l’Académie en 1637. Partisan, ainsi que Bossuet et Corneille, de la simplification de l’orthographe, il s’exprime ainsi dans la préface de sa traduction de Thucydide (Paris, 1622, in-fol.):

«Avant que de finir il sera bon de mettre icy quelques remarques touchant l’Ortografe et la Grammaire..... Je suy l’ortografe moderne qui retranche les lettres superfluës et je ne mets qu’un T à ataquer, à atendre, pour empescher qu’on ne s’abuse 125 à la prononciation. Et ceux qui soustiennent l’opinion contraire ne sçauroient nier que l’Ortografe ne se soit purifiée peu à peu puisque les langues ne sont jamais si parfaite que lorsqu’elles s’eloignent le plus de leur origine, et qu’elles ont perdu, s’il faut ainsi dire, les marques de l’enfance.»

Dans l’avertissement, qui n’a que six feuillets, j’ai recueilli des mots ainsi écrits:

Acuser, afaire, afection, alumer, aparence, aparent, apeler, aprendre, aquerir, atacher, atribuer, avanture, condanner, le diférent, embaras, exemter, faloir (il a falu), flater, flote, frase, lute, metempsycose, moquer, ocasion, ofrir, raport, raporter, soufrir, stile; il écrit modelle, fidelle, infidelle; je voy, je suy; il supprime le d à je prens, je vens; le p à tems; il écrit qu’ils vinsent et omet le d et le t dans les pluriels: les grans hommes, les defaus, etc. Il écrit aussi: Philipe, Peloponese, Quersonese, Carès, Kios (l’île de Chio).

Pierre Corneille, membre de l’Académie française en 1647, s’est beaucoup préoccupé de l’orthographe. Il désirait sinon une réforme complète, du moins plus qu’une régularisation. Trente ans avant la première édition du Dictionnaire de l’Académie, en tête de l’édition de luxe donnée par lui-même en 1664 (le Théâtre de P. Corneille, reveu et corrigé par l’autheur, impr. à Rouen, 2 vol. in-fol.), il s’exprime ainsi dans un Avis au lecteur:

«Vous trouuerez quelque chose d’étrange aux innouations en l’Ortographe que j’ay hazardées icy, et ie veux bien vous en rendre raison. L’vsage de nostre langue est à present si épandu par toute l’Europe, principalement vers le Nord, qu’on y voit peu d’Estats où elle ne soit connuë; c’est ce qui m’a fait croire qu’il ne seroit pas mal à propos d’en faciliter la prononciation aux estrangers, qui s’y trouuent souuent embarrassez par les diuers sons qu’elle donne quelquefois aux mesmes lettres. Les Hollandois m’ont frayé le chemin, et donné ouuerture à y mettre distinction par de differents caracteres, que jusqu’icy nos imprimeurs ont employé indifferemment. Ils ont séparé les i et les u 126 consones d’auec les i et les u voyelles, en se seruant tousiours de l’j et de l’v pour les premieres, et laissant l’i et l’u pour les autres, qui jusqu’à ces derniers temps auoient esté confondus..... Leur exemple m’a enhardy à passer plus auant. I’ay veu quatre prononciations differentes dans nos ſ et trois dans nos e, et j’ay cherché les moyens d’en oster toutes ambiguïtez, ou par des caracteres differens, ou par des régles generales, auec quelques exceptions. Ie ne sçay si j’y auray reüssi, mais si cette ébauche ne déplaist pas, elle pourra donner iour à faire vn trauail plus acheué sur cette matiere, et peut-estre que ce ne sera pas rendre vn petit seruice à nostre langue et au public.

«Nous prononçons l’s de quatre diuerses manieres: tantost nous l’aspirons, comme en ces mots, peſte, chaſte; tantost elle allonge la syllabe, comme en ceux-cy, paſte, teſte; tantost elle ne fait aucun son, comme à eſblouïr, eſbranler, il eſtoit; et tantost elle se prononce comme vn z, comme à preſider, preſumer. Nous n’auons que deux differens caracteres, ſ et s, pour ces quatre differentes prononciations: il faut donc establir quelques maximes generales pour faire les distinctions entieres. Cette lettre se rencontre au commencement des mots, ou au milieu, ou à la fin. Au commencement elle aspire toujours: ſoy, ſien, ſauuer, ſuborner; à la fin, elle n’a presque point de son, et ne fait qu’allonger tant soit peu la syllabe, quand le mot qui suit se commence par vne consone, et quand il commence par vne voyelle, elle se détache de celuy qu’elle finit pour se joindre auec elle, et se prononce toûjours comme vn z, soit qu’elle soit précedée par vne consone ou par vne voyelle.

«Dans le milieu du mot, elle est, ou entre deux voyelles, ou aprés vne consone, ou auant vne consone. Entre deux voyelles elle passe tousiours pour z, et aprés vne consone elle aspire tousiours, et cette difference se remarque entre les verbes composez qui viennent de la mesme racine. On prononce prezumer, rezister, mais on ne prononce pas conzumer, n’y perzister. Ces régles n’ont aucune exception, et j’ay abandonné en ces rencontres le choix des caracteres à l’imprimeur, pour se seruir du grand ou du petit, selon qu’ils se sont le mieux accommodez auec les lettres qui les joignent. Mais ie n’en ay pas fait de mesme, quand l’ſ est auant vne consone dans le milieu du mot, et ie n’ay pû souffrir que ces trois mots, reſte, tempeſte, vous eſtes, fussent escrits l’vn comme l’autre, ayant des prononciations si differentes. I’ay 127 reserué la petite s pour celle où la syllabe est aspirée, la grande pour celle où elle est simplement allongée, et l’ay supprimée entierement au troisiéme mot où elle ne fait point de son, la marquant seulement par vn accent sur la lettre qui la précede. I’ay donc fait ortographer ainsi les mots suiuants et leurs semblables, peste, funeste, chaste, reſiste, espoir; tempeſte, haſte, teſte; vous étes, il étoit, ébloüir, écouter, épargner, arréter. Ce dernier verbe ne laisse pas d’auoir quelques temps dans sa conjugaison où il faut lui rendre l’ſ, parce qu’elle allonge la syllabe, comme à l’impératif arreſte, qui rime bien auec teſte, mais à l’infinitif et en quelques autres où elle ne fait pas cet effet, il est bon de la supprimer et escrire, j’arrétois, j’ay arrété, j’arréteray, nous arrétons, etc.

«Quant à l’e, nous en auons de trois sortes. L’e feminin qui se rencontre tousiours ou seul, ou en diphtongue dans toutes les dernieres syllabes de nos mots qui ont la terminaison feminine, et qui fait si peu de son, que cette syllabe n’est iamais contée à rien à la fin de nos vers feminins, qui en ont tousiours vne plus que les autres. L’e masculin qui se prononce comme dans la langue latine, et vn troisième e qui ne va iamais sans l’s, qui luy donne vn son esleué qui se prononce à bouche ouuerte, en ces mots, ſucces, acces, expres. Or comme ce seroit vne grande confusion que ces trois e en ces trois mots, aſpres, verite et apres, qui ont vne prononciation si differente, eussent vn caractère pareil, il est aisé d’y remedier, par ces trois sortes d’e que nous donne l’imprimerie, e, é, è, qu’on peut nommer l’e simple, l’e aigu et l’e graue[111]. Le premier seruira pour nos terminaisons feminines, le second pour les latines, et le troisième pour les esleuées, et nous escrirons ainsi ces trois mots et leurs pareils, aſpres, verité après, ce que nous estendrons à ſuccès, excès, procès, qu’on auoit jusqu’icy escrits auec l’e aigu, comme les terminaisons latines, quoy que le son en soit fort different. Il est vray que les imprimeurs y auoient mis quelque difference, en ce que cette terminaison n’estant iamais sans ſ, quand il s’en rencontroit vne aprés vn é latin, ils la changeoient en z et ne la faisoient préceder que par vn e simple. Ils impriment veritez, deïtez, dignitez et non verités, deïtés, dignités, et j’ay conserué cette ortographe: mais 128 pour éuiter toute sorte de confusion entre le son des mots qui ont l’e latin sans ſ, comme verité, et ceux qui ont la prononciation éleuée comme succès, j’ay crû à propos de nous seruir de differents caracteres, puisque nous en auons, et donner l’è grave à ceux de cette derniere espece. Nos deux articles pluriels, les et des ont le mesme son, quoy qu’écrits avec l’e simple: il est si mal-aisé de les prononcer autrement, que ie n’ay pas crû qu’il fust besoin d’y rien changer. Ie dy la mesme chose de l’e deuant deux ll, qui prend le son aussi esleué en ces mots belle, fidelle, rebelle, etc., qu’en ceux-cy, succès, excès; mais comme cela arriue tousiours quand il se rencontre auant ces deux ll, il suffit d’en faire cette remarque sans changement de caractere. Le mesme arriue deuant le simple l, à la fin du mot mortel, appel, criminel et non pas au milieu, comme en ces mots celer, chanceler, où l’e auant cette l garde le son de l’e feminin.

[111] Il est regrettable que, dans cette excellente réforme, Corneille n’ait pas, tout au contraire, nommé grave l’e que nous appelons aigu, et aigu celui que nous nommons grave; cela eût été plus logique, puisque la voix s’abaisse en pesant sur le premier et s’élève sur le second.

«Il est bon aussi de remarquer qu’on ne se sert d’ordinaire de l’é aigu qu’à la fin du mot, ou quand on supprime l’ſ qui le suit, comme à établir, étonner: cependant il se rencontre souuent au milieu des mots auec le mesme son, bien qu’on ne l’escriue qu’avec vn e simple, comme en ce mot seuerité qu’il faudroit escrire séuérité, pour le faire prononcer exactement, et peut-estre le feray-je obseruer en la premiere impression qui se pourra faire de ces recueils.

«La double ll dont ie viens de parler à l’occasion de l’e a aussi deux prononciations en nostre langue, l’vne seche et simple, qui suit l’ortographe, l’autre molle qui semble y joindre vne h. Nous n’auons point de differents caracteres à les distinguer, mais on en peut donner cette régle infaillible. Toutes les fois qu’il n’y a point d’i auant les deux ll, la prononciation ne prend point cette mollesse: en voicy des exemples dans les quatre autres voyelles, baller, rebeller, coller, annuller. Toutes les fois qu’il y a vn i auant les deux ll, soit seul, soit en diphtongue, la prononciation y adjouste vne h. On escrit bailler, éueiller, briller, chatoüiller, cueillir et on prononce baillher, éueillher, brillher, chatouillher, cueillhir. Il faut excepter de cette régle tous les mots qui viennent du latin et qui ont deux ll dans cette langue, comme ville, mille, tranquille, imbecille, distille, illustre, illegitime, illicite, etc. Ie dis qui ont deux ll en latin, parce que les mots de fille et famille en viennent et se prononcent auec cette mollesse des autres, qui ont l’i deuant les deux ll et n’en viennent pas; mais ce qui fait 129 cette difference, c’est qu’ils ne tiennent pas les deux ll des mots latins filia et familia qui n’en ont qu’vne, mais purement de nostre langue. Cette régle et cette exception sont generales et asseurées. Quelques modernes, pour oster toute l’ambiguïté de cette prononciation, ont escrit les mots qui se prononcent sans la mollesse de l’h auec vne l simple, en cette maniere, tranquile, imbecile, distile, et cette ortographe pourroit s’accommoder dans les trois voyelles a, o, u, pour escrire simplement baler, affoler, annuler, mais elle ne s’accommoderoit point du tout auec l’e et on auroit de la peine à prononcer fidelle et belle si on escriuoit fidele et bele; l’i mesme sur lequel ils ont pris ce droit ne le pourroit pas souffrir tousiours et particulierement en ces mots ville, mille, dont le premier, si on le reduisoit à vne l simple, se confondroit auec vile, qui a vne signification toute autre.

«Il y auroit encor quantité de remarques à faire sur les differentes manieres que nous auons de prononcer quelques lettres en nostre langue; mais ie n’entreprends pas de faire vn traité entier de l’ortographe et de la prononciation, et me contente de vous auoir donné ce mot d’auis touchant ce que i’ay innoué icy. Comme les imprimeurs ont eu de la peine à s’y accoustumer, ils n’auront pas suiuy ce nouuel ordre si punctuellement qu’il ne s’y soit coulé bien des fautes: vous me ferez la grace d’y suppléer.»

On peut, en effet, juger du désordre orthographique qui s’était introduit dans les imprimeries d’alors par la longue citation textuelle que je viens de reproduire. Ce n’est donc point un faible service que rendit la publication du Dictionnaire de l’Académie en apportant quelque remède à cette anarchie.

C’est un grand mérite à Corneille d’avoir proposé, comme nous venons de le voir, une accentuation régulière de l’e plus de cent ans avant que l’Académie l’introduisît complétement dans le Dictionnaire. Quant à la distinction qu’il suggère de l’ſ longue et de la petite s, elle devint inutile dès 1740 par l’emploi de l’é aigu et de l’ê circonflexe, ces deux accents ayant remplacé l’s.

Il est regrettable que Corneille, sans doute à cause de son âge, n’ait pu assister aux premières délibérations des Cahiers; son autorité, secondée par celle de Bossuet, eût sans doute fait prévaloir beaucoup d’améliorations dont quelques-unes ne sont pas encore réalisées.

130 Jacques-Bénigne Bossuet, membre de l’Académie vers 1670, prit une part active à la rédaction du Dictionnaire. Ses idées en matière d’orthographe, dont on trouve quelques traces dans le manuscrit existant à la Bibliothèque impériale des Résolutions de l’Académie françoise touchant l’orthographe[112], sont aussi libérales que progressives. On en jugera par les quelques passages suivants que j’extrais de l’introduction des Cahiers dans l’édition donnée par M. Marty-Laveaux:

[112] C’est le titre primitif des Cahiers sur l’orthographe.

«Parmi les lettres qui ne se prononcent pas et que l’Académie a dessein de retenir, il y en a qui ne seruent guere a faire connoistre l’origine; de plus il faut marquer de quelle origine on ueut parler, car l’ancienne orthographe retient des lettres qui marquent l’origine a l’egard des langues etrangeres, latine, italienne, alemande, et d’autres qui font connoistre l’ancienne prononciation de la France mesme. Il faut demesler tout cela. Autrement des le premier pas on confondra toutes les idées.»

«On ueut suivre, dit-on, l’ancienne orthographe (art. Ier des Cahiers) et cependant on la condamne ici et ailleurs une infinité de fois. Ueut on ecrire recebuoir, deub, nuict, etc.? On les reiette. Ce n’est donc pas l’ancienne orthographe qu’on ueut suiure, mais on ueut suiure l’usage constant et retenir les restes de l’origine et les uestiges de l’antiquité autant que l’usage le permettra.»

On avait proposé de dire dans les Résolutions: «C’est une vilaine et ridicule orthographe d’escrire par un a ces syllabes qu’on a touiours escrites en et ent, par exemple d’orthographier antreprandre, commancemant, anfant, sansemant, etc.» Bossuet, plus grammairien en cette circonstance que Regnier des Marais, qui voulait qu’on passât à l’ordre du jour, s’exprime en ces termes:

«Il y a pourtant ici quelques regles a donner pour l’instruction. La regle la plus generale c’est de retenir en par tout ou il y a en ou in en latin, comme dans in, intra et leurs composez. Cependant dans les participes qui ont ens en latin on ne laisse pas de dire en francois lisant, peignant, oyant, feignant, etc., et de mesme pour les gerondifs legendo, patiendo, en lisant, en pâtissant, etc. Les mesmes participes deuenant adiectifs reprennent l’e 131 comme intelligens, intelligent, patiens, patient, negligens, negligent, et ainsi des autres. On pourroit donc donner pour regle que tous les participes et gerondifs ont ant, que tous les adverbes et noms en mant s’escriuent ment, parce que les noms semblent uenir de quelques latins terminez en mentum, et les adverbes semblent uenir: fortement de forti mente.....

«Au reste, je ne uoudrois pas faire de remarques contre l’orthographe impertinente de Ramus, mais on peut faire uoir par cet excez l’equité de la regle que la Compagnie propose comme je dis a la fin.....

«Le principal est de se fonder en bons principes et de bien faire connoistre l’intention de la Compaignie: qu’elle ne peut souffrir une fausse regle qu’on a uoulu introduire d’escrire comme on prononce, parce qu’en uoulant instruire les estrangers et leur faciliter la prononciation de nostre langue, on la fait mesconnoistre aux François mesmes. Si on ecrivoit tans, chan, cham, emais ou émês, anterreman, connaissais[113], faisaient, qui reconnoistroit ces mots? On ne lit point lettre à lettre, mais la figure entiere du mot fait son impression tout ensemble sur l’œil et sur l’esprit, de sorte que quand cette figure est considerablement changée tout à coup, les mots ont perdu les traits qui les rendent reconnoissables a la ueüe et les yeux ne sont point contents[114]. Il y a aussi une autre ortographe qui s’attache scrupuleusement a toutes les lettres tirées des langues dont la nostre a pris ses mots, et qui ueut escrire nuict, escripture, etc. Celle la blesse les yeux d’une autre sorte en leur remettant en ueüe des lettres dont ils sont desaccoutumez et que l’oreille n’a iamais connus (sic)[115]. 132 C’est la ce qui s’appelle l’ancienne orthographe uicieuse. La Compaignie paroistra conduite par un iugement bien reglé quand apres auoir marqué ces deux extremitez si manifestement uitieuses, elle dira qu’elle ueut tenir un juste milieu. Qu’elle se propose:

[113] C’est pourtant ainsi que l’on écrit ce mot aujourd’hui.

[114] Je n’ai pu vérifier sur l’original la manière dont ce mot est écrit par Bossuet, et cependant son esprit logique le conduisait à écrire comme on prononce: CONTANT. Ainsi, dans le manuscrit original de Bossuet du troisième sermon tout entier que j’ai examiné, il écrit, p. 37, contanter; p. 38, contant; p. 39, contantement; p. 45, pourvu que je sois contant. Ce n’est donc pas un lapsus calami, puisque jamais dans ces mots l’a n’est remplacé par l’e. Il en est de même pour le mot atantif; ainsi on lit, p. 39 (recto), atantions et (verso) atantifs; p. 40, atantifs et atantion; p. 46, atantif; à la page 48 (verso), la raison touiours atantive et touiours constante. Ailleurs, il écrit avec un seul t: ataque, flate, frote, et sans y les mots tiran, mistere, misterieux. Dans un autre sermon, p. 17, je lis: n’est-ce pas lui qui les a assamblés. Voir App. E.

[115] On peut aujourd’hui, grâce au progrès des études philologiques, reconnaître tout ce que cette remarque ingénieuse de Bossuet a de profond et de juste. Le ct des Latins s’était changé en français en it et non en ct; exemple: nuit, fait, trait, étroit, réduit, conduit; allaicter, nuict, faict, étroict, etc., ne sont que de malencontreuses corrections des grammairiens du XVIe siècle.

«Qu’elle a dessein pour cela de retenir les lettres qui marquent l’origine de nos mots, sur tout celles qui se uoyent dans les mots latins, si ce n’est que l’usage constant s’y oppose; que comme la langue latine ne change plus, cela servira à fixer nostre orthographe; que ces lettres ne sont pas superflües parce qu’outre qu’elles marquent l’origine, ce qui sert mesme a mieux apprendre la langue latine, elles ont diuers autres usages, comme de marquer les longues et les breues, les lettres fermées et ouuertes, la difference de certains mots que la prononciation ne distingue pas, etc. Que la Compaignie pretend retenir non seulement les lettres qui marquent l’origine, mais encore les autres que l’usage a conseruées, par ce qu’oultre qu’elle ne ueut point blesser les yeux qui y sont accoustumez, elle desire autant qu’il se peut que l’usage deuienne stable, ioint qu’elles ont leur utilité qu’il faudra marquer, etc.»

Ce juste milieu que Bossuet proposait à l’illustre Compagnie de tenir entre l’orthographe ancienne, surchargée de lettres prétendues étymologiques qui ne se prononçaient pas, et l’écriture des novateurs, purement figurative de la prononciation, est encore aujourd’hui le parti de la sagesse. L’Académie de 1694 ne s’en tint pas à ces idées; elle se jeta alors, à la suite de Regnier des Marais et des latinistes, et contrairement aux principes de Corneille et de Bossuet, dans une voie hérissée de difficultés en voulant concilier à la fois la tradition de la prononciation du français, l’usage qui tend sans cesse à simplifier, et la conformité au latin, où, à défaut d’une accentuation écrite, la duplication de la consonne semble avoir eu pour but de rendre longue la syllabe qui la précède. En transportant ainsi au français les règles de la quantité 133 du latin, on s’exposerait à méconnaître profondément le génie de notre langue.

Bossuet avait pressenti cet écueil, car on trouve encore cette note de sa main:

«Il faudroit expliquer a fond la quantité françoise en quelque endroit du Dictionnaire aussi bien que l’orthographe. La principale remarque à faire sur cela, c’est que la poesie françoise n’a aucun egard à la quantité que pour la rime et nullement pour le nombre et pour la mesure; ce qui fait soupçonner que nostre langue ne marque pas tant les longues a beaucoup pres que la grecque et la latine.»

Les travaux les plus récents ont encore une fois donné raison à Bossuet en établissant qu’il n’existe pas en français de quantité métrique, c’est-à-dire mesurable, mais bien un accent tonique, placé en général sur la même syllabe qui le portait dans le mot du latin rustique dont est sorti notre idiome.

L’abbé de Dangeau, membre de l’Académie française en 1682.

«Il y aurait, dit M. Gabriel Henry (Hist. de la langue française), de l’ingratitude à passer sous silence les services essentiels que l’abbé de Dangeau rendit à la langue en nous donnant une idée claire de ses sons originaires, en fixant irrévocablement la nature du son nasal, confondu si souvent avec les consonnes par nos anciens grammairiens, en examinant la nature des temps du verbe et en nous en faisant connaître les différentes propriétés. On regrette, pourtant, qu’il ne nous ait pas développé ses idées dans toute la suite d’un système grammatical; mais le peu qu’il nous a laissé lui assure une place distinguée parmi nos grammairiens. Ses successeurs n’ont eu qu’à le copier dans les articles qu’il a rendus publics.»

Dangeau reconnaît dans la langue française quinze voyelles ou sons simples qu’il classe ainsi:

Cinq voyelles latines: a, é, i, o, u;

Cinq voyelles françaises: ou, eu, au, è ouvert (comme dans cyprès), e muet (comme dans juste);

Cinq voyelles sourdes ou esclavones, ou nasales: an, en, in, on, un.

134

«Chez les Latins, dit-il, des mots dérivés du grec sont écrits tantôt par ph et tantôt par f. Preuve certaine qu’ils ne prononçoient pas le ph comme l’f. Quand il leur est arrivé d’adoucir l’aspiration du φ grec, ils ne se sont plus servis du ph. Pourquoi donc ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n’ont pas crû être obligez à garder l’ortographe latine dans les mots venus du grec, et qui écrivent teologo sans h, filosofo et Filippo par des f, etc.?»

Tout le travail de l’abbé Dangeau, qui occupe les pages 1 à 231 des Opuscules de d’Olivet, cités au bas de cette page, mérite d’être lu avec attention: non-seulement on y trouve les vues les plus originales, les plus justes et les plus profondes sur la classification des sons du français, mais de curieux détails sur la prononciation de la fin du dix-septième siècle. Voir à l’Appendice D l’analyse de la réforme de Dangeau.

L’abbé de Choisy, membre de l’Académie française en 1687.

En tête de son Journal de l’Académie françoise[116], il donne les explications suivantes:

[116] Ce journal, dont l’Académie ne voulut point permettre la publication, parce que cette société trouvait qu’il était d’un style trop libre et ressemblait trop à celui du Journal de Siam, du même auteur, a paru dans le volume publié en 1754 (par d’Olivet) sous le titre d’Opuscules sur la langue françoise, par divers académiciens, Paris, Brunet, in-12.

«Au commencement de l’année 1696, l’Académie résolut, à la pluralité des voix, qu’on travailleroit en deux Bureaux; que, dans le premier, on reverroit le Dictionnaire, et que, dans le second, on proposeroit des doutes sur la langue, qui, dans la suite, pourroient servir de fondement à une Grammaire. Messieurs Charpentier, Perrault, Corneille (T.), et MM. les abbez de Dangeau et de Choisy promirent assiduité au second Bureau; c’est le dernier nommé (de ces membres) qui se chargea de tenir la plume pendant le reste du quartier.»

Suivent les questions rangées par chapitres, où l’abbé de Choisy expose les diverses opinions de chacun pour et contre; il s’occupe plutôt des difficultés grammaticales proprement dites, cependant il déclare «que les caractères sont faits pour peindre les sons, et 135 que, par conséquent, l’orthographe la moins imparfaite est celle qui nous expose le moins à prononcer mal.»

Voici au XIXe chapitre, relatif à l’Orthographe, un récit curieux des difficultés qu’offrait ce genre de discussion dans l’Académie pour le Dictionnaire de 1694, difficultés qui se reproduisirent pour l’édition de 1740 et dont l’abbé d’Olivet nous a donné le récit.

«Un de Messieurs, rapporte de Choisy, sur la fin de la séance précédente, avoit proposé de faire quelques changemens à l’orthographe de l’Académie, et, par exemple, de mettre une s, pour plus grande uniformité, à tous les pluriels (ce que Corneille avait proposé dès 1666). Un autre, qui abhorre les changemens, a commencé aujourd’hui par nous mettre devant les yeux ces deux vers d’Athalie:

Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez?
Les jours d’Éliacin seroient-ils menacez?

«Vous prétendez, nous a-t-il dit, qu’il est à propos que l’écriture fasse distinguer le verbe d’avec les substantifs, adjectifs et participes, ce qui sera très-aisé, lorsqu’on réservera l’s pour les pluriels de tous ceux-ci, et le z pour le verbe seul. Ainsi, selon vous, il faudra écrire:

Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez?
Les jours d’Éliacin seroient-ils menacés?

«Mais cette imagination n’est pas nouvelle, puisqu’il y a deux siècles qu’elle à été proposée, sans néanmoins que le public ait paru en faire cas. Il n’y a qu’à ouvrir les Grammaires de Ramus, de Pelletier et de bien d’autres qui s’érigèrent en réformateurs d’orthographe peu de temps après la mort de François Ier. On s’est moqué d’eux. Hé! depuis quand l’orthographe auroit-elle pour but de spécifier et de faire distinguer les parties d’oraison? Assurément, sur cent femmes qui parlent très-bien, et qui même écrivent correctement, il n’y en a pas dix qui sachent ce que c’est que participe. Versez est un verbe, menacez est un participe: donc il faut les écrire différemment? Pour moi, je ne vois ici qu’un principe qui soit également avoué, tant par ceux qui se plaisent à 136 introduire des nouveautez, que par ceux qui tiennent pour l’usage ancien. Quel est ce principe? Que les caractères sont faits pour peindre les sons, et que, par conséquent, l’orthographe la moins imparfaite est celle qui nous expose le moins à prononcer mal. Or il est clair que ce mot, menacez, se prononce absolument de même, et sans la plus légère différence, soit qu’on le fasse verbe, comme quand je dis, vous menacez, soit qu’on le fasse participe, comme dans le vers de M. Racine, seroient-ils menacez. Pourquoi donc, où il ne s’agit que d’un seul et même son, employer deux signes différens? Une règle d’orthographe qui suppose qu’on sait toujours distinguer le verbe d’avec un nom, n’est bonne que pour ceux qui ont étudié; au lieu que celle qui fut adoptée par nos pères est à la portée de tout le monde. Personne, en effet, ne manque assez d’oreille pour confondre l’è ouvert comme dans procès, succès, avec l’é fermé, comme dans aimé, bonté. Voilà le cas où il est utile d’avoir deux signes, puisqu’il y a deux sons. Aussi prenons-nous l’s pour le signe de l’è ouvert, procès, succès; et le z pour le signe de l’é fermé, quand le mot est au pluriel, vous aimez, vous êtes aimez. Règle qui ne souffre aucune exception, qui se conçoit sans étude, qui se retient sans effort. On accentue l’è quand il est ouvert, procès, de peur qu’on ne le prenne pour un e muet, comme dans frivoles, paroles, où l’s n’a lieu que pour marquer le pluriel. Ajoutons que le z a cela de commode, qu’il nous dispense de lever la main pour former un accent. On écrit tout de suite bontez; au lieu que pour écrire bontés, il faut que j’aie l’attention et la patience d’aller chercher la lettre qui doit recevoir l’accent, et que je risque encore de mettre un grave pour un aigu. Quoi qu’il en soit, l’Académie ne s’est jamais départie du z, et cette raison en vaudra toujours mille autres pour moi. Je ne dis point que pour observer cette belle uniformité dans tous les pluriels, il faudroit donc écrire, les travaus, les gens heureus, nos vœus. O! que nos livres en deviendroient bien plus beaus

«Après avoir entendu ce que je viens de rapporter, et qui avoit été dit avec un peu de chaleur, tout le monde jugea que le mieux étoit d’abandonner la matière, parce qu’on a toujours vu que les disputes sur l’orthographe ne finissoient point, et que d’ailleurs elles n’ont jamais converti personne.»

On traita ensuite cette question d’orthographe: «Chapitre XX. 137 J’ai été payé des sommes qu’on m’avoit données, ou, donné à recevoir d’un tel[117].

[117] Après deux siècles, des questions quelque peu analogues sont encore en litige. Et adhuc sub judice lis est.

«Le premier opinant a dit qu’il falloit dire, j’ai été payé des sommes qu’on m’avoit données à recevoir, parce que, les sommes étant au pluriel, données y devoit être aussi.

«Pour moi, a dit le second opinant, je suis d’un avis contraire. Les sommes sont reçues, et non pas données. Ce qu’on donne, c’est à recevoir: on reçoit les sommes. Ainsi il faut dire, donné à recevoir.

«Un troisième, se rangeant du côté du second, a dit que, si l’on pouvoit renverser la phrase et dire, à lesquelles recevoir on m’a donné, on verroit bien que recevoir régit les sommes, et que donné régit recevoir. On m’a donné à faire quelque chose; l’action qu’on m’a donnée à faire, c’est de recevoir. Au lieu de donner, mettons le mot de prier; et au lieu de dire, les sommes qu’on m’a donné à recevoir, disons, qu’on m’a prié de recevoir; vous verrez que vous ne sauriez dire, les sommes qu’on m’a priées de recevoir, mais qu’il faut dire, qu’on m’a prié de recevoir.

«Le quatrième opinant a été de même avis: que ce qu’on donnoit n’étoit pas les sommes, mais une action à faire. On me donne à recevoir ces sommes-là et l’on ne me donne pas ces sommes-là.

«Ceux qui ont suivi ont dit qu’ils avoient bien vû d’abord qu’il falloit dire donné à recevoir, ne consultant que l’usage; et que ce qu’avoient dit les derniers opinans, les confirmoit dans un avis dont ils n’avoient pas examiné jusques-là toutes les raisons grammaticales.

«Mais, Monsieur, a repris quelqu’un, si pour juger de la bonté d’une phrase, il est nécessaire d’examiner, comme viennent de faire ces Messieurs, et les verbes et leurs régimes, si c’est un participe, ou un gérondif, où en serons-nous? J’ai bien peur que ces Messieurs qui raisonnent tant, ne trouvent moyen de nous fournir aujourd’hui des raisons pour une opinion, et demain d’autres raisons aussi bonnes, peut-être meilleures, pour le sentiment contraire. Je me souviens d’avoir vû faire quelque chose de semblable à feu Monsieur de Marca dans nos assemblées du clergé: il soutenoit tantôt un avis, et tantôt un autre, selon les occasions; 138 et il avoit toujours à nous alléguer quelque canon, qui paroissoit fait exprès pour lui. Ainsi, Messieurs, tous vos raisonnemens me paroissent fort suspects.

«Hé bien, Monsieur, trouvons un moyen de nous accommoder, a dit un[118] de ceux qui est le plus accusé d’aimer à raisonner. Quand on vous présente une phrase, le grand usage que vous avez du beau monde, du monde poli, fait que vous prenez aisément le bon parti. C’est peut-être par un usage qui en approche, que nous nous déterminons aussi, ces autres Messieurs et moi. Mais après avoir porté notre premier jugement, et avoir dit, Cette manière de parler me plaît, ou me déplaît, nous rentrons un peu en nous-mêmes, et nous nous disons: Voyons un peu ce qui rend cette manière de parler vicieuse; voyons ce qui la rend bonne. Alors ayant recours à nos participes, à nos régimes, à nos gérondifs, et à tout cet attirail, que vous avez peur qui ne vienne du pays latin, nous tâchons de découvrir les raisons de notre premier goût, et nous sommes quelquefois assez hardis pour faire quelques petites règles générales, à l’occasion d’un sentiment particulier. Un homme voit un bâtiment: du premier coup d’œil il dit: Cela me plaît, cela me déplaît. Il y a tel homme de bon goût, qui par le grand usage qu’il a d’avoir vû des maisons, d’avoir connu celles qui plaisent et celles qui déplaisent aux connoisseurs, dit fort à propos: Cela me plaît, cela me déplaît. Demandez-lui-en la raison, il ne sauroit vous la dire. Mais faites venir M. Perrault: aussi-tôt Vitruve en campagne, les cinq ordres d’architecture, et tout ce qu’il sait par sa méditation, jointe à un grand usage des bâtimens.

[118] M. l’abbé de Dangeau.

«Voyons, avec vos règles, a dit l’homme[119] de Monsieur de Marca, que direz-vous de cette phrase: Elle s’est laissée emporter à la colère? Faut-il dire: elle s’est laissé emporter, etc.

[119] M. l’abbé Testu, abbé de Belval.

«Je ne blâmerois peut-être ni l’un ni l’autre, a-t-il répondu. Mais de grâce, lui a-t-on répliqué, rentrez un peu en vous-même, comme vous nous avez tout à l’heure si bien dit qu’il falloit faire quelquefois; et faites-nous voir sur quoi vous fondez votre indulgence, et pourquoi vous souffrez qu’on dise, elle s’est laissée emporter à la colère, et que vous ne voulez pas dire, les sommes qu’on m’a données à recevoir.

139 «En vérité, Monsieur, a-t-il répondu froidement, je suis las de raisonner. Permettez-moi de m’abandonner de temps en temps à mon instinct et à un peu de paresse, et de laisser en repos toutes mes règles de grammaire. Je vois ici tant d’honnêtes gens qui font la même chose, et qui ne font peut-être pas mal.

«Hé bien, Monsieur, a dit celui qui avait cité Monsieur de Marca, je crois qu’il faut dire, elle s’est laissée emporter à la colère; et puisque vous ne voulez pas nous en dire la raison, je m’en vais me mettre à votre place, et peut-être vous l’apprendre. Elle s’est laissée emporter se dit, parce qu’il est plus doux à la prononciation. La voyelle qui commence le mot d’emporter mange la dernière du mot laissée, et empêche la rencontre de ces deux e, qui auroit quelque chose de trop languissant.

«Mais, Monsieur, a dit un troisième, s’il y avoit surprendre au lieu d’emporter, croiriez-vous qu’il fallût dire, elle s’est laissée surprendre? Pour moi, je ne le crois pas; et moins indulgent que Monsieur qui a parlé avant vous, je veux qu’on dise, elle s’est laissé emporter à la colère, comme on dit, les sommes qu’on m’a donné à recevoir

L’abbé Girard, membre de l’Académie française en 1744, publia, au commencement du dix-huitième siècle, plusieurs ouvrages importants sur la langue, et entre autres ses Synonymes françois, leurs différentes significations et le choix qu’il faut en faire pour parler avec justesse. C’était le premier ouvrage sur cette matière: son succès fut très-grand et s’est perpétué jusqu’à nos jours, grâce aux éditions qu’en ont données Beauzée et M. Guizot. Deux ans avant la première édition, qui parut sous le titre de Justesse de la langue françoise, il fit paraître un projet de réforme orthographique sous ce titre: L’ortografe française sáns équivoques et dàns sés principes naturels, ou l’art d’écrire notre langue selon lés loix de la raison et de l’usage, d’une manière aisée pour lés dames, comode pour lés étrangérs, instructive pour lés provinciaux, et nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion, Paris, Pierre Giffart, 1716, in-12. Je crois devoir reproduire ici en partie l’introduction, en supprimant 140 les exemples, pour me borner à l’argumentation pour et contre la réforme:

«Tout le monde convient assez que l’ortografe est la manière de représanter fidèlemànt à la vue par lés caractères qui sont en usage le son dés paroles que la voix fait entandre à l’oreille. Mais tout le monde, ce me samble, ne convient pàs égalemànt de ce qui doit régler la manière de le faire. Lés uns veulent que le seul usage en décide: ils nomment Usage ce qui est observé par le plus grand nombre, et par ceux qui, n’osant se doner aucune liberté raisonable, se font un scrupule de suivre tout ce qui a l’air de nouvauté. Lés autres prétandent corriger l’Usage par la Raison: ils nomment Raison tout ce que la netteté et la facilité leur inspirent d’observer dàns l’ortografe, indépandammànt de la pratique la plus générale et la plus universellemànt suivie par le commun dés écrivains. Cés deux partis ont doné la naissance à un troisième, qui, craignant de contredire la Raison et n’osant contrarier l’Usage, tantôt se done à celui-ci et quelquefois se prête à celle-là.

«Les défanseurs de l’Usage ne sont pàs si fort lés antagonistes de la Raison, qu’ils ne prétandent aussi la mettre de leur côté. Ils disent que puisque lés mots et la prononciacion dépandent du seul Usage, la manière de lés écrire, qui ne parait qu’accessoire, doit entièremànt en dépandre. Que c’est, en effet, obéir à la Raison que de suivre l’Usage en cés sortes de matières. Qu’après tout il n’est pàs si contraire au bon sans qu’on voudrait le faire croire. Que s’il y a dés lettres inutiles pour la prononciacion, elles ne le sont pàs pour la distinction dés mots et pour la siance de l’Étimologie..... Enfin, ils ajoutent que l’Usage est tellemànt le maitre de la manière d’écrire qu’on ne peut l’abandoner et se faire une ortografe particulière, sàns s’attirer dés reproches d’ignorance ou de bizarre ridicule. Qu’écrire autremànt que lés autres, c’est vouloir n’être point lû. Que ce seroit même gâter l’écriture et la langue que d’ôter toutes les lettres inutiles à la prononciacion dés mots; il faudroit par cete raison bannir toutes lés s finales, lés r de la plu-part dés infinitifs, confondre lés singuliérs avec lés pluriels et faire un cahos de tout.

«Lés partisans de la Raison disent à leur tour, que l’écriture n’étant faite que pour copier la parole, il y a une espèce de ridicule à écrire autremànt qu’on ne parle. Que tous lés diférans caractères dont on se sert n’ont été ou ne doivent avoir été invantés 141 que pour marquer lés diférantes prononciacions dés mots et représanter sans équivoque par la diversité de leurs combinaisons celle dés sons de la voix. Qu’ainsi, c’est aller contre leur institucion et leur véritable usage que de lés confondre, en se servant dés mêmes caractères pour dés prononciacions diférantes, surtout y aïant d’autres caractères établis pour marquer cete diférance. S’il y a, disent-ils, une autre manière d’écrire que celle qui est conforme à la prononciacion, quelque commune et générale qu’elle soit, elle ne peut être bonne; ne la pàs suivre, c’est tout au plus pécher contre un mauvais usage, pour prandre le parti de la Raison, qui est toujours préférable à celui de la multitude. On avouera qu’on n’écrit pàs comme les autres; mais on écrit comme on doit écrire et lés autres écrivent mal. N’est-il pàs tout-à-fait déraisonable de marquer le son de l’a par un e, qui est établi pour exprimer un son tout diférant? de prononcer un c et d’écrire un t? d’ajouter jusqu’à trois et quatre lettres inutiles à la fin dés mots? d’en inserer dàns le milieu qu’il faille quelquefois exprimer dàns la prononciacion et d’autrefois supprimer, sàns aucune règle certaine? Doner à un caractère tantôt le son qui lui est propre, tantôt celui d’un autre, et cela seulement pour suivre le caprice d’une mauvaise coutume, dont on s’est randu l’esclave? Cette bizarre ortografe, disent-ils encore, empèche que lés étrangers qui ont quelque commancemant de notre langue ne puissent en aquerir une parfaite conaissance par la seule lecture de nos livres, parce qu’ils ne sauroient lés lire sàns savoir le français presqu’aussi bien que ceux à qui il est naturel. Car enfin ce n’est que par un long usage qu’on peut aprandre qu’une lettre prononcée dàns de certains mots ne l’est point en d’autres, ou qu’une même voyelle change souvànt de son... Enfin pour conaitre toutes cés étranges bizarreries, un étranger n’a d’autre secours que sa mémoire. S’il trouve dàns un livre un mot nouvau, qu’il n’ait point encore ouï prononcer, il hésite, il cherche, il ne sait à quoi s’en tenir: lés règles n’étant point certaines, rien ne le détermine.

«De là vient encore, ajoutent lés partisans de la Raison, la peine que lés enfans ont pour aprandre à lire le français; qu’on leur fait ordinairemànt commancer par le latin comme le plus aisé, quoiqu’ils devroient avoir plus de facilité à lire leur langue naturelle, qu’ils savent et qu’ils parlent à tout momant, que celle qui leur est étrangère et qu’ils n’entandent point. Que non seulemànt lés enfans, mais encore lés persones raisonables sont extrèmemànt fatiguées 142 de cette bizarre manière d’écrire. Qu’il y a peu de Français qui sachent bien lire leur propre langue. Que de très-habiles gens soufrent tous lés jours le reproche honteux de ne savoir pàs lire. Que lés provinciaux qui viènent à Paris avec dés prononciacions qui, pour être communes dàns leur province, n’en sont pàs moins contraires au bon usage, ont une peine infinie à se corriger, n’étant point aidés par une ortografe nette et juste, qui marque le propre son et la vraie prononciacion dés mots. Que quelques Parisiens même près de la cour, au çantre du bau langage, parlent quelquefois en provinciaux. Que le sèxe le plus poli qui entand le mieux à placer un mot dàns un discours, est celui qui sait le moins placer une lettre dàns un écrit.....

«Telles sont lés principales raisons que chacun dés deux partis allègue en sa faveur. Pour lés troisièmes, il y a bien de l’aparance qu’ils n’en ont point eû d’autres qu’un panchant naturel, mais faible, pour randre justice à la Raison, et baucoup de timidité pour combattre l’Usage. Il étoit en effet bien dificile de ranverser l’un pour faire triompher l’autre. Commànt attaquer l’Usage! son pouvoir est tirannique, tout le monde l’avoue, lés plus indépandans le santent. Quel dangér de se déclarer son ênemi! Quelque injuste et ridicule qu’on le suppose, ne l’est-il pàs davantage de s’en séparer? Et n’est-ce pas une espèce de folie que de vouloir être sage parmi lés fous? A quoi ne s’expose-t-on pàs lorsqu’on s’en prand à ce qui se dit et à ce qui se fait? Il y a bien moins à craindre contre la Raison: c’est l’ênemi qu’on a toujours attaqué le plus inpunémànt quoiqu’avec moins de succès. Mais d’honêtes gens peuvent-ils l’abandoner? Sés attraits ne se font-ils pàs santir malgré toute la tirannie de l’Usage? Et ne doit-elle pàs triompher dàns lés siances, lorsqu’elle brïlle à la tête de l’État?

«.....N’est-il pàs juste que puisque notre langue a secoué le joug de la latinité, nous en délivrions aussi notre ortografe? Si elle n’est qu’accessoire à la prononciacion, ne doit-elle pàs suivre tous lés changemans de celle-ci? Pourquoi l’Usage si inconstant de sa nature en toutes choses sera-t-il fixé pour la seule ortografe? Ne semble-t-il pàs qu’à force de vouloir la maintenir par l’autorité de l’Usage, au lieu de la soumettre à sés loix, on ne fait que l’en éxamter et conserver par là dàns nos écrits toute la barbarie gauloise?... Prolongez, de grace, vos jours de quelques siècles, placez-vous dàns ces tams reculés où le français, étint par tout ailleurs, ne vivra que dàns lés colèges, où Déspreaux, la Fontaine et 143 Molière, qui divertissent aujourdui si agréablemànt les plus honêtes gens, ne seront peut-être que l’occupacion ennuyeuse des écoliers et le sujet fatiguant dés veilles de leurs maitres, où la langue française, ranfermée dàns lés ouvrages que la bauté sauvera de la fureur de l’oubli et de la voracité dés tams, ne pourra plus être aprise que par la lecture de nos auteurs. Alors point de cour, point d’académie, point d’oreille pour décider du bel usage: lés livres seuls présanteront aux yeux toute la pureté de la langue. Si nous n’écrivons pàs aujourdui comme on parle, alors on parlera comme nous aurons écrit: on cherchera dàns l’arrangement dés lettres celui dés sons de la voix; et ce sera dàns l’ortografe qu’on étudiera la prononciacion dés mots. Mais, hélàs! quelle horrible confusion ne me samble-t-il pàs voir! Ne vous figurez-vous pas ce cahos affreux et ce bouleversemant general de langage causé par cés lettres inutiles en mille endroits et necessaires en mille autres, par ce protéisme continuel dés caractères, par cés ambiguïtés et cés équivoques perpétuelles dàns le son et dàns la valeur dés lettres? Car cete langue si belle, si noble et si polie dàns la bouche n’est plus sur le papiér qu’un barbare langage, qui choque lés yeux, et que l’oreille ne pourroit soufrir si la langue prononçoit tout ce que la plume a dessiné.....»

On peut juger, par cette citation textuelle, du système orthographique adopté par l’abbé Girard. Le contraste qu’il offrit, lors de son apparition, dut être encore plus choquant qu’il ne l’est aujourd’hui pour nous, puisque l’Académie, dans ses réformes successives, a adopté quelques-unes de celles qu’il indique; elle aurait même dû en admettre quelques autres, ne fût-ce qu’en raison de l’étymologie: etint de extinctus, honète de honestus, etc. Toutefois, si l’on supprimait cette forêt d’accents, fort inutiles pour la plupart, comme sur le mot extrèmemànt, ce système, sauf quelques altérations inadmissibles, telles que le monosyllabe temps écrit tams, et d’autres corrections prématurées, aurait pu obtenir l’assentiment de Voltaire, et il me semble préférable à celui de Duclos. Je donne dans l’Appendice D l’analyse de la réforme du savant auteur des Synonymes.

Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, nommé membre de l’Académie française en 1695, est un des hommes dont on prononce le nom avec le plus de reconnaissance et de respect. 144 Au commencement du dix-huitième siècle, il se montra l’un des premiers animé de cet amour profond de l’humanité dont l’expression de philanthropie donnait l’image et s’alliait si bien avec ce mot bienfaisance, dont il est le créateur. Exclu de l’Académie dès 1718, à cause des hardiesses politiques contenues dans son Discours sur la polysynodie, il consacra sa longue carrière à l’étude des améliorations pédagogiques, économiques, sociales, gouvernementales que lui paraissait comporter l’état de la société sous le règne de Louis XV.

On trouvera plus loin à l’Appendice D une analyse de son Projet pour perfectioner l’ortografe des langues d’Europe, qu’il fit paraître en 1730, à l’âge de soixante-douze ans, et des procédés imaginés par lui pour figurer les différents sons qu’il croit avoir reconnus dans les langues de l’Europe et particulièrement dans la langue française. Je me contenterai de reproduire ici quelques-unes de ses idées sur le droit de néologisme. En réfléchissant avec lui aux procédés par lesquels s’enrichissent nos lexiques, on s’expliquera la source de bien des contradictions orthographiques et la nécessité de régulariser l’orthographe des mots récemment introduits, pour la faire concorder avec celle des similaires déjà existants.

«Le Dictionaire de Nicod, dit-il (p. 250), parut il y a environ cent cinquante ans; c’étoit le plus ample et le plus parfait de son tems: il comprend non-seulement lèz termes de l’uzaje comun de la conversation, de la chaire, dèz spéctacles et du bareau, mais encore lèz termes dèz arts et dèz siences. Or comparéz le avec le dictionaire de Trevoux, qui a suivi sajement le mème plan de metre en un mème dictionaire géneralement tous lèz mots fransois tanceux de l’uzaje comun que ceux dèz arts et dèz siences. Examinéz en quelques pages et vous trouverèz qu’en cent cinquante ans la langue est devenue au moins trois fois plus riche qu’elle n’étoit en nombre de mots sans compter qu’elle s’est aussi enrichie en nombre de frazes: le dictionaire de Nicod n’est pas la sixième partie du dictionaire de Trevoux imprimé en 1721 en cinq volumes, dont chaque volume a plus de 1900 pages.

«J’ai eu la curiosité de compter lèz mots depuis le mot BÉANT 145 jusqu’au mot BEZOLE, poisson de Geneve, et au mot BEZOARD; j’en ai trouvé environ 110 dans Nicod et pres de 330 dans le dictionaire de Trevoux. Voilà une preuve du nombre prodigieux de mots qui étoient alors inuzitéz et qui se sont établis depuis cent cinquante ans dans notre langue, et la seule comparaison dèz dictionaires de divers siécles forme sur cela une demonstration complète que lèz langues peuvent s’enrichir trez-considerablement chaque siècle par la création et par l’uzaje de termes nouveaux...

«N’est-il pas vrai que si lèz persones qui, dans la conversation, dans la chaire, dans lèz plaidoyers, sur lèz teatres et dans lèz livres ont uzé lèz premiers de çèz termes qui étoient inuzitéz du tems de Nicod n’avoient ozé rien hazarder, nous serions privéz encore aujourdui de plus de la moitié de notre langue? Je conviens que, dans la conversation et dans l’impression, ils ont hazardé quelques mots qui n’ont pas été adoptéz, mais ne leur devons-nous pas au moins ceux que lèz auditeurs et lèz lecteurs ont adoptés, et qui par cette adoption sont venus jusqu’à nous?

«Nous leur devons même la hardièsse qu’ils ont eue d’en hazarder plusieurs qui ont été rejetéz et dont on s’est moqué. Or, n’est-il pas utile à notre nation et même aux autres nations qui étudient le fransois, que notre langue s’enrichisse, d’un coté, par dez mots qui signifient dez choses particulières, tandis qu’elle s’abrege de l’autre, par certains termes généraux qui embrassent plusieurs termes particuliers? Or, cela se peut-il faire autrement que par lez petites hardièsses de quelques persones et par lez adoptions insensibles dez autres?

«...Tout le monde sait que lèz Anglois, soit dans la conversation, soit dans lèz livres, ne font nule dificulté de faire et de prézenter dez mots nouveaux, qui enrichissent tous lez jours leur langue; et hureuzement pour la langue angloize les auteurs anglois n’ont point eu jusqu’ici chez eux certains esprits mediocres qui ont sotement pris pour maximes que tout mot nouveau est mauvais et ne doit jamais être adopté quoique nècessaire. Un de nos écrivains dit que, pour avoir quelque place dans la literature, ils se sont faits suisses du Dictionaire de l’Academie; ils empêchent lez mots qu’ils ne conoissent point d’entrer dans le dictionaire.

«...J’ai vu il y a quarante-cinq ans le mot renversement frondé par un de çéz suisses du Dictionaire. Ce mot s’est trouvé comode et dans l’analogie de la langue et je le vois prezentement avec plaizir tout établi malgré sa malhureuze note de nouveauté... 146

«De ce que toute nouveauté n’est pas bone et adoptée dans le langaje, s’ensuit-il qu’aucune nouveauté ne puisse être trèz-raizonable et trèz-adoptable?...

«Si le publiq en avoit cru lèz ridicules railleries dèz suisses du dictionaire, qui écrivoient il i a cinquante ans, nous n’aurions pas mème dans le stile familier quantité de mots qui étoient alors inuzitéz, et qui sont prèzentement d’un aussi grand uzaje dans la langue que lez plus anciens. En voici quelques-uns:

«Elle est encore dans l’enivrement de la cour.—C’est une afaire infaizable dans lèz conjonctures prézentes.—S’il a manqué à ce devoir, c’est pure inatention.—On l’a fort desservi auprèz du ministre.—Il est à prezent fort dezocupé.—Il le reçut d’un air gracieux.—Il le grazieuza fort durant le diner.—Cette nouvelle l’a fort tranquilizé...

«Je ne raporte que huit ou neuf de çèz mots nouveaux, mais si l’on vouloit comparer le Dictionaire de ce tems-là avec notre dernier Dictionaire, je ne doute pas que l’on n’en trouvât cent autres que lèz courtizans, lèz dames, lèz savans et les autres hommes de toutes lèz professions ont établis depuis cinquante ans dans le stile de la conversation, d’où ils passent tous lèz jours dans lèz autres stiles et dans lèz livres...

«Quelques persones croient que nous perdons peu-à-peu autant de vieux mots que nous en aquerons de nouveaux et que la moitié dèz mots d’Amiot, qui étoit contemporain de Nicod, ne sont plus uzitéz. Mais j’ai compté lèz mots dèz vint premieres lignes de la Vie de Thezée, in folio, de la traduction d’Amiot: il y en a environ 240, et je n’en ai trouvé que 6 qui ne sont plus uzitéz. Or sur ce pied là ce n’est que la quarantiéme partie de mots perdus et encore çèz 6 mots perdus sont-ils tous remplacéz par d’autres équivalens. Verisimilitude est remplacé par vraisemblance. Reale par réelle. Trouve l’on par trouve-t-on. Controuvé par faussement inventé. Certaineté est remplacé par certitude. Si ai pensé est remplacé par et j’ai pensé ou par j’ai même pensé.

«La langue n’a donq rien perdu depuis cent cinquante ans qu’elle n’ait reparé; elle a au contraire gagné la moitié et mème lèz deux tiers plus de termes qu’elle n’en avoit. Or çèz termes pouvoient-ils jamais servir à enrichir notre langue, s’ils n’avoient comencé d’y entrer comme nouveaux et comme inuzitéz?»

Si l’on remarque dans le passage qui précède certaines contradictions 147 orthographiques, cela tient à un système adopté par l’auteur et qui consiste à varier de temps à autre l’écriture des mêmes mots pour déshabituer l’œil du lecteur des formes graphiques consacrées par l’usage et le préparer ainsi à l’adoption de son système.

Duclos, membre de l’Académie française en 1747 et secrétaire perpétuel en 1755, joignant l’exemple au précepte orthographique, juge ainsi le système de l’écriture étymologique (en 1754):

«Le préjugé des étimologies est bien fort, puisqu’il fait regarder come un avantage ce qui est un véritable défaut; car enfin les caractères n’ont été inventés que pour représenter les sons. C’étoit l’usage qu’en faisoient nos anciens: quand le respect pour eus nous fait croire que nous les imitons, nous faisons précisément le contraire de ce qu’ils faisoient. Ils peignoient leurs sons: si un mot ut alors été composé d’autres sons qu’il ne l’étoit, ils auroient employé d’autres caractères.

«Ne conservons donc pas les mêmes caractères pour des sons qui sont devenus diférens. Si l’on emploie quelquefois les mêmes sons dans la langue parlée, pour exprimer des idées diférentes (champ, chant), le sens et la suite des mots sufisent pour ôter l’équivoque des homonimes. L’intelligence ne feroit-èle pas pour la langue écrite ce qu’èle fait pour la langue parlée? Par exemple, si l’on écrivoit champ de campus, come chant de cantus, en confondroit-on plutôt la signification dans un écrit que dans le discours? L’esprit serait-il là-dessus en défaut? N’avons-nous pas même des homonimes dont l’ortografe est pareille? Cependant on n’en confond pas le sens. Tels sont les mots son (sonus), son (furfur), son (suus), et plusieurs autres.

«L’usage, dit-on, est le maître de la langue, ainsi il doit décider également de la parole et de l’écriture. Je ferai ici une distinction. Dans les choses purement arbitraires, on doit suivre l’usage, qui équivaut alors à la raison: ainsi l’usage est le maître de la langue parlée. Il peut se faire que ce qui s’apèle aujourd’hui un livre s’apèle dans la suite un arbre; que vert signifie un jour la couleur rouge, et rouge la couleur verte, parce qu’il n’y a rien dans la nature ni dans la raison qui détermine un objet a être désigné par un son plutôt que par un autre: l’usage, qui varie la-dessus, n’est point vicieus, puisqu’il n’est point inconséquent, quoiqu’il soit 148 inconstant. Mais il n’en est pas ainsi de l’écriture: tant qu’une convention subsiste, èle doit s’observer. L’usage doit être conséquent dans l’emploi d’un signe dont l’établissement étoit arbitraire; il est inconséquent et en contradiction, quand il done a des caractères assemblés une valeur diférente de cèle qu’il leur a donée et qu’il leur conserve dans leur dénomination, a moins que ce ne soit une combinaison nécessaire de caractères pour en représenter un dont on manque.

«Le corps d’une nation a seul droit sur la langue parlée et les écrivains ont droit sur la langue écrite. Le peuple, disoit Varron, n’est pas le maître de l’écriture come de la parole.

«En effet, les écrivains ont le droit, ou plutôt sont dans l’obligation de coriger ce qu’ils ont corompu. C’est une vaine ostentation d’érudition qui a gâté l’ortografe: ce sont des savans et non des filosofes qui l’ont altérée: le peuple n’y a u aucune part. L’ortografe des fames, que les savans trouvent si ridicule, est plus raisonable que la leur. Quelques-unes veulent aprendre l’ortografe des savans; il vaudroit bien mieus que les savans adoptassent cèle des fames, en y corigeant ce qu’une demi éducation y a mis de défectueus, c’est-à-dire de savant. Pour conoître qui doit décider d’un usage, il faut voir qui en est l’auteur.» (Pages 44-46.)

(Voir à l’Appendice D, à la date de 1756, pour l’exposition de sa réforme.)

Nicolas Beauzée, membre de l’Académie française depuis 1772, mort en 1789, s’était d’abord prononcé contre la réforme de l’orthographe. Dans l’Encyclopédie méthodique, publiée chez Panckoucke, en 1789, revenant sur ses premières opinions, il termine ainsi l’article Néographisme:

«Il faut compter à l’excès sur l’aveugle docilité de ses lecteurs pour oser défendre les abus de notre orthographe actuelle par l’autorité des grands écrivains que l’on cite: comme s’ils avoient spécialement aprofondi et aprouvé formellement les principes d’orthographe qu’ils ont suivis dans leur temps, comme si celle que l’on suit et que l’on défend aujourd’hui étoit encore la même que la leur en tout point, et comme s’il suffisoit d’opposer des autorités à des raisons dans une matière qui doit ressortir nûment au tribunal de la raison.

149 «Ces raffinements, dit-on, s’ils pouvoient jamais être adoptés, en produiroient d’autres; on perdroit toutes les étymologies; on obscurciroit le génie de la langue et l’histoire de ses variations; on défigureroit toutes les éditions qui ont paru jusqu’à nos jours; les auteurs et les lecteurs, accoutumés à l’ancienne orthographe, seroient réduits à se placer avec les enfants pour aprendre à lire et à écrire; la nouvelle méthode, pour être peut-être plus conforme à la prononciation du moment, n’en auroit pas moins combattu l’impression d’un long usage qui a subjugué l’imagination et les ieux... La lecture de cette orthographe est impossible à tout homme qui n’est pas disposé à changer de tête et d’ieux en sa faveur.» Ce sont les propres termes d’un journaliste dans les annonces qu’il a faites des deux premières éditions de ma traduction des Histoires de Salluste, où j’avois suivi quelques-uns seulement de mes principes de réforme.

«Ces changements, dit-il, en produiroient d’autres. Oui, j’en conviens; l’art de lire, réduit à un nombre déterminé d’éléments précis, seroit mis par sa facilité à la portée des plus stupides, et s’aprendroit en peu de temps; l’orthographe, simplifiée et réduite à des principes clairs et généraux, n’embarrasseroit plus que ceux qui ne voudroient pas s’en occuper quelques semaines. Oh! voilà, je l’avoue, d’affreux bouleversements!

«On perdroit toutes les étymologies. Oui, on perdroit les traces incommodes des étymologies; mais les savants, que cet objet regarde uniquement, sauroient bien les retrouver. La langue appartient à la nation; la multitude n’a nul besoin de remonter aux étymologies, qui sont même perdues pour elle, malgré les caractères étymologiques dont on l’embarrasse dans les livres destinés à son instruction.

«Mais passons à ce qui choque réellement le plus les défenseurs de l’ancienne orthographe; c’est qu’ils seroient réduits à se placer avec les enfants pour aprendre à lire et à écrire, et qu’il leur faudroit changer de tête et d’ieux. Eh! messieurs, n’en changez pas; gardez votre ancienne orthographe, puisqu’elle vous plaît: mais permettez aux générations suivantes d’en adopter une autre, qui leur coutera moins que la vôtre ne vous a couté, qui leur sera plus utile, qui servira, au contraire de ce que vous dites, à fixer notre langue, à la répandre, à la faire adopter par les étrangers.» (Voyez à l’Appendice D, p. 295, l’analyse de la réforme proposée par Beauzée.)

150 Noel-François de Wailly, membre de l’Institut dès sa création, en 1795. Esprit sage et modéré, il s’oppose aux systèmes des novateurs trop hardis et propose une reforme néographique ayant la prononciation pour base. Ses idées, analogues à celles de d’Olivet, de Girard et de Duclos, sont développées dans deux ouvrages, De l’Orthographe, Paris, 1771, in-12; L’Orthographe des dames, ou l’Orthographe fondée sur la bonne prononciation, démontrée la seule raisonnable, Paris, 1782, in-12. (Voir à l’Appendice D l’exposition de sa méthode orthographique.)

Je crois devoir transcrire ici, malgré leur étendue, les passages les plus importants d’une sorte de philippique en faveur de la réforme que le savant académicien adresse, par la bouche des dames, aux corps savants qui ont autorité sur la langue (Orth. des dames, p.35-44):

«Nous vous prions, Messieurs, de nous donner un plan d’orthographe, raisonné, simple, uniforme; de conformer l’orthographe à la bonne prononciation. Plus vous examinerez cette matiere, plus vous verrez, comme nous, que la bonne prononciation est le seul guide raisonnable. N’est-il pas ridicule qu’ayant adouci notre prononciation, vous conserviez encore dans l’écriture les lettres qui ne se prononcent plus, et que nos peres n’ont employées que parce qu’ils les prononçoient? Vous prononcez à la moderne, et vous orthographiez à l’antique. La langue écrite suppose nécessairement la langue parlée. La perfection, l’essence même de la premiere, consiste sans doute à représenter la seconde avec toute l’intégrité et la précision possible. Or, quelle est l’orthographe qui représente au naturel les traits de la parole? C’est sans contredit celle qui prend pour guide la bonne prononciation. Comme peintres de la pensée et de la parole, ne devez-vous pas, Messieurs, faire dans la langue écrite les changements qu’exige la langue parlée, afin de représenter au naturel les traits de cette dernière?

«L’Académie, dans la dernière édition de son Dictionnaire, sans avoir égard à l’étymologie, a retranché d’un fort grand nombre de mots des lettres qu’on n’y prononçoit pas; mais, d’un autre côté, elle a laissé dans une autre foule de mots des lettres 151 tout aussi inutiles que celles qu’elle a supprimées en de pareilles occasions. Nous avons fait voir les inconvénients de ces défauts d’uniformité: nous prions l’Académie de les faire disparoître dans la première édition qu’elle donnera. Particulièrement consacrée à l’étude, à la perfection de notre langue et de notre orthographe, cette savante compagnie rendroit un service important à la nation, si, par ses réflexions sur la langue et l’orthographe, elle éclairoit l’usage, le dirigeoit, le perfectionnoit. Ce travail nous paroit vraiment digne des philosophes et des grammairiens qui composent cette illustre société.

«Quelques personnes à qui nous avons lu cet article, nous ont dit: «Messieurs les Académiciens savent bien que notre orthographe est fort difficile, pleine de bisarreries et d’inconséquences; mais ils savent aussi qu’ils se rendroient ridicules de vouloir la changer.»

«Cette réflexion est-elle vraie? C’est ce que nous allons examiner. «Oui, nous répond un savant: Il faut pour l’orthographe, comme pour la prononciation, reconnoître l’autorité de l’usage; et il est aussi ridicule de vouloir changer l’orthographe, qu’il le seroit de vouloir changer la prononciation.»

«Voici, Messieurs, notre réponse à cette assertion.

«Il y a une grande différence entre ces deux objets. A la vérité, ceux qui ignorent les langues savantes doivent, comme les savants, se conformer aux lois du bon usage pour la prononciation, et ils se rendroient ridicules dans les sociétés polies, s’ils ne le faisoient pas. Par exemple, vous nous blâmeriez avec raison de prononcer comme faisoient nos pères, em, en, avec le son de l’e fermé nasal, dans empressement, entendement, ardemment, emportement, etc. Vous ririez si vous nous entendiez prononcer oi dans l’Anglois, le François, le Polonois, je paroissois, qu’il paroisse, etc., comme ces lettres se prononçoient autrefois, et comme elles se prononcent encore aujourd’hui dans le Danois, S. François, la paroisse, etc. Pourquoi cela? C’est que les lois de l’usage pour la prononciation sont à notre portée. En effet, nous avons, comme les savants, des organes pour entendre et pour rendre les sons. Il n’en est pas de même de l’orthographe actuelle: fondée sur la connoissance de plusieurs langues qu’on ne nous a pas apprises, ses lois sont au dessus de notre portée; et, comme vous l’avez assuré, il nous est moralement impossible de les observer. Voilà pourquoi nous vous en demandons la réforme. Ne demanderiez-vous 152 pas à un législateur la réforme de ses lois, s’il vous étoit moralement impossible de les suivre? Qui pourroit en ce cas blâmer votre demande? Qui oseroit la traiter de ridicule? Il est sans contredit louable en fait d’orthographe, comme en autre chose, de quitter une mauvaise habitude pour en contracter une bonne. Un usage qui n’est pas à la portée du plus grand nombre de ceux qui doivent l’observer, est contraire à la raison. C’est une erreur, un abus qui doit être corrigé avec empressement. L’erreur, quelque invéterée qu’elle soit, demeure toujours erreur: la multitude de ses sectateurs ne sauroit lui donner le glorieux titre de la vérité, qui mérite seule les respects et les hommages des vrais philosophes.

«Ce qui nous fait croire, Messieurs, que notre demande n’est pas ridicule, c’est qu’elle est conforme aux désirs des auteurs qui méritent le plus de considération sur cet objet; nous voulons dire de ceux qui, ayant écrit sur la langue, l’ont étudiée plus à fond. Or, presque tous les grammairiens ont désiré la réforme de votre orthographe. Sans parler de ceux qui ont vécu avant le siècle de Louis-le-Grand, tels sont, dans le dernier siècle et dans le nôtre, Messieurs de Vaugelas, Thomas Corneille, Richelet, La Touche, de Dangeau, de Saint-Pierre, Buffier, Dumas, Girard, Dumarsais, Boindin, Restaut, Douchet, Valart, Duclos, Cherrier, Mannori, Voltaire, Beauzée, de Wailly, etc. Ce vœu presque unanime est un grand préjugé en notre faveur. Ces Messieurs sont des juges très-compétents en cette matière, et leurs suffrages doivent être du plus grand poids. Vous savez, Messieurs, que dans chaque matière on doit sur-tout s’en rapporter aux maîtres de l’art, qui, sur cet objet, sont les grammairiens: au lieu que les auteurs les plus estimables, quelque nombreux qu’ils soient, ne doivent pas emporter la balance, quand les matières qu’ils traitent n’ont pas de rapport à la langue, quand la grammaire n’a pas été l’objet de leurs études. Pourquoi cela? C’est qu’ils n’ont guère qu’une orthographe d’habitude et de simple copie; c’est qu’ils ne doivent pas plus se piquer de connoître les principes et les défauts de l’orthographe, qu’ils ne se piquent d’être géomètres et architectes, s’ils ne se sont appliqués ni à la géométrie, ni à l’architecture. D’après ces raisons et ces autorités, ne pouvons-nous pas conclure qu’il n’est pas ridicule de demander la réforme de l’orthographe actuelle?

«N’est-il pas ridicule, au contraire, de prescrire des lois que 153 le plus grand nombre ne sauroit observer? La raison ne veut-elle pas qu’on les réforme avec empressement? Nous l’avons déjà dit, les auteurs sont les vrais législateurs en cette matière. Usez de vos droits, Messieurs; travaillez à éclairer de plus en plus la nation, à lui faciliter l’acquisition des connoissances. Loin de vous rendre ridicules en mettant à la portée de tout le monde une connoissance aussi utile que celle de l’orthographe, vous rendrez par cette réforme un service signalé à la nation. Quel est l’homme raisonnable qui taxera de ridicules les savants grammairiens que nous venons de citer? Qui osera faire un pareil reproche aux Académies d’Italie et d’Espagne, qui ont fait pour leurs langues la réforme que nous désirons pour la nôtre? Pourquoi l’Académie françoise et les autres sociétés littéraires seroient-elles blâmables de suivre de pareils exemples? Ne seroit-ce pas suivre la raison, dont les droits sont imprescriptibles? Les Académies ne doivent-elles pas sur l’orthographe, comme sur les autres objets, se servir de son flambeau pour faciliter une connoissance vraiment utile, et qui est, pour ainsi dire, la clef de toutes les autres? Ceux qui prétendent qu’on doit suivre sans examen l’orthographe actuelle veulent donc que l’Académie et les autres sociétés littéraires obéissent aveuglément à un usage bisarre qui varie continuellement, à un tyran déraisonnable et injuste dont les lois ne sont pas à la portée du plus grand nombre des François? Messieurs les académiciens doivent donc s’interdire l’usage de la raison, et constater servilement une orthographe remplie de contradictions? Qui osera soutenir un pareil paradoxe? Seroit-il possible, dit très-bien sur cet objet M. Duclos, qu’une nation reconnue pour éclairée, et accusée de légèreté, ne fût constante que dans les choses déraisonnables?

«Qui est-ce qui forme l’usage actuel? Ce sont surtout les compositeurs et les protes (lisez les correcteurs) dans les imprimeries. Nos bons livres se réimpriment souvent. Lorsqu’un libraire veut donner une nouvelle édition d’un livre, il l’envoie à l’imprimerie: les compositeurs et les protes y mettent l’orthographe à laquelle ils sont habitués. Ainsi ce sont eux sur-tout qui forment l’usage actuel. Parmi ces personnes, il y en a sûrement plusieurs qui sont instruites, témoin Le Roi, prote à Poitiers, qui fut le premier auteur du Dictionnaire d’Orthographe, etc. Mais les protes n’ont pas assez de temps pour se former un systême suivi et bien raisonné. L’orthographe qu’ils ont adoptée est souvent dérangée par 154 celle des différents auteurs; ce qui les fait varier dans la leur, et les oblige ensuite à des corrections dans les épreuves. Cet inconvénient et cette perte de temps n’auroient pas lieu, si les auteurs, les protes et les compositeurs suivoient une orthographe raisonnée et conforme à la bonne prononciation. Les compositeurs feroient moins de fautes en arrangeant les lettres; les protes et les auteurs auroient moins de peine à lire leurs épreuves; ils y feroient moins de corrections; et le compositeur attentif ne seroit plus obligé de passer beaucoup de temps à supprimer des lettres en différents endroits, à en ajouter dans plusieurs autres, etc. Ainsi l’auteur, le prote et le compositeur trouveroient également leur avantage dans cette orthographe.

«L’Académie, jusqu’à présent, nous le savons, s’est contentée d’être le témoin de l’usage, et de le consigner dans son Dictionnaire. Mais n’est-ce pas renverser l’ordre, que de prétendre que cette illustre et savante société ne doit rien faire autre chose?»

Les maîtres imprimeurs, les protes, les correcteurs, les ouvriers compositeurs, ont dû se conformer à une règle uniforme, car ils ne pouvaient s’astreindre aux caprices orthographiques de chacun des auteurs écrivant diversement les mêmes mots, d’où résultaient des hésitations, des pertes de temps considérables en corrections, soit de la part des auteurs, soit des correcteurs. Cette règle fut donc, et avec raison, le Dictionnaire de l’Académie, tel que l’illustre Compagnie le modifiait à chaque édition.

La responsabilité incombe donc tout entière à l’Académie, et l’usage en fait d’orthographe, devenu un non-sens, ne peut désormais être invoqué par elle.

Voltaire, membre de l’Académie française depuis le 9 mai 1746, revient sans cesse sur la critique du vicieux système de notre orthographe. Il dit, entre autres observations, dans le Dictionnaire philosophique, article Orthographe:

«L’orthographe de la plupart des livres français est ridicule. Presque tous les imprimeurs ignorants impriment Wisigoths, Westphalie, Wittemberg, Wétéravie, etc.

«Ils ne savent pas que le double V allemand qu’on écrit ainsi W est notre V consonne et qu’en Allemagne on prononce Vétéravie, Virtemberg, Vestphalie, Visigoths.

155 «Pour l’orthographe purement française, l’habitude seule peut en supporter l’incongruité. Emploi-e-roient, octroi-e-roient, qu’on prononce emploiraient, octroiraient; paon, qu’on prononce pan; Laon, qu’on prononce Lan, et cent autres barbaries pareilles font dire:

Hodieque manent vestigia ruris.

«Les Anglais sont bien plus inconséquents; ils ont perverti toutes les voyelles; ils les prononcent autrement que toutes les autres nations. C’est en orthographe qu’on peut dire avec Virgile:

Et penitùs toto divisos orbe Britannos.

«Cependant ils ont changé leur orthographe depuis cent ans: ils n’écrivent plus: loveth, speaketh, maketh, mais loves, speaks, makes.

«Les Italiens ont supprimé toutes les h. Ils ont fait plusieurs innovations en faveur de la douceur de leur langue.

«L’écriture est la peinture de la voix; plus elle est ressemblante, meilleure elle est.»

Me trouvant en possession d’un grand nombre de lettres autographes de Voltaire, et particulièrement de sa correspondance, en partie inédite, avec d’Alembert, j’ai été curieux de confronter son orthographe avec celle de l’Académie de 1740. C’est surtout à partir de 1752 que devient plus sensible la modification apportée sous ce rapport par Voltaire dans sa correspondance, surtout alors qu’il s’occupait de la rédaction des articles qu’il envoyait à d’Alembert pour le Dictionnaire philosophique. Il supprime le plus souvent les lettres doubles qui ne se prononcent pas. Il écrit pardonait, et d’un autre côté guai, il éguaiera. Il affecte le plus profond dédain peur l’étymologie. On voit alors s’échapper de sa plume tantôt le mot philosophe et tantôt philosofe, ce dernier plus fréquemment que l’autre; il écrit même quelquefois filosofe, et veut que ce mot soit rangé à la lettre F, au Dictionnaire philosophique. Dans sa lettre datée des Délices, le 2 décembre 1755, que j’ai sous les yeux, il écrit: «ennemi de la philosofie» et «persécuteur des philosofes.» Il met partout ainsi: enciclopédie, dictionaire. Dans une lettre datée du 24, il écrit: «Je voudrais que votre tipografe Briasson pensast un peu à moy.»... «Vous avez des articles de téologie e de métaphisique.» Dans d’autres, il écrit plusieurs fois: Athène, autentique, entousiasme, têse, historiografe, bibliotèque, téologien, 156 crétien et cristianisme, s’écartant ainsi, avec une intention évidente, de l’orthographe de l’Académie, dont il était membre depuis 1746. (Voir le texte de ces lettres avec leur orthographe à l’Appendice E.)

En comparant les lettres de Voltaire avec les éditions imprimées, on voit que l’habitude typographique de tout ramener à l’orthographe du Dictionnaire de l’Académie a fait supprimer celle que Voltaire préférait[120]. Il eût pourtant été intéressant de suivre, dans ses nombreux écrits, aussi bien les modifications de son orthographe que celles de sa pensée. Peut-être, à un certain moment, la popularité immense dont il jouissait eût-elle pu faciliter quelques-unes des réformes déjà proposées.

[120] Dans la grande édition de Beuchot, que nous avons imprimée en 1834, on n’a conservé de l’orthographe de Voltaire que ses a au lieu des o, et je fesais, nous fesons, du verbe faire. Et en effet, puisqu’on écrit je ferai, la prononciation demande que l’on écrive aussi fesons.

Le service rendu par Voltaire, de faire accepter généralement la réforme des imparfaits en oi et de ce même digramme dans le corps du mot, comme dans connoître, a obtenu le suffrage de tous, et cette réforme, que l’abbé Girard avait inutilement préconisée dès 1716, a été un acheminement à d’autres régularisations.

François de Neufchateau, membre de l’Institut national, ministre de l’intérieur, après s’être préoccupé pendant une partie de sa vie des moyens d’apprendre à lire au peuple des campagnes, émettait, en 1799, une opinion qui impliquerait de notables simplifications dans notre orthographe:

«Au premier coup d’œil, on croirait que rien n’est plus simple, plus trivial, plus vulgaire que ce que l’on nomme l’ABC, mais les meilleurs esprits en jugent bien différemment. Non sunt contemnenda quasi parva, sine quibus magna constare non possunt, a dit saint Jérôme. Le célèbre Rollin, dans son Traité des études (ch. Ier, § II), avoue qu’il serait bien embarrassé s’il se trouvait dans le cas d’apprendre à lire à des enfants. En effet, les auteurs de méthodes n’ont eu en vue que des éducations privées, celles des enfants des classes privilégiées. Locke se propose de former un jeune gentilhomme, Télémaque est composé pour un prince, l’Émile lui-même encourt en grande partie le même reproche.

157 «Je pose deux principes, ajoute ce ministre ami des lettres, qui me semblent démontrés: le premier, que jamais on n’apprendra à lire aux enfants des pauvres, surtout dans les campagnes, s’il faut consacrer des années entières à cette seule partie de l’instruction; et le second, qu’il importe beaucoup de n’astreindre les enfants à se procurer aucun de ces livres d’école dont on les embarrasse et que la plupart perdent ou déchirent.....»

C’est pourquoi ce sage ministre, si dévoué aux lettres, se faisait rendre compte des méthodes de simplification de la lecture par le perfectionnement de l’alphabet, et les expérimentait lui-même, afin qu’en France on pût arriver au même degré d’instruction primaire que la plupart des nations du continent. (Voyez Dieudonné Thiébault, Principes de lecture et de prononciation à l’usage des écoles primaires. Paris, 1802, in-8.)

Urbain Domergue, membre de l’Institut de France (classe de la langue et de la littérature françaises), est l’auteur d’une réforme plus absolue que celles qu’on a proposées de nos jours.

Après avoir énoncé les deux obstacles qui s’opposent à ce que notre belle langue devienne familière aux étrangers: la détermination du genre des substantifs et l’écart entre l’orthographe et la prononciation, l’académicien de 1803, plus novateur que Meigret, ajoute:

«Le second obstacle est de nature à être levé; l’orthographe d’une langue n’est pas de son essence, comme la syntaxe. Faite pour réfléchir les sons, elle est une glace fidèle, lorsque les écrivains d’une nation se sont abandonnés à la nature; infidèle, lorsque, ébloui par le faux éclat d’un savoir déplacé, détournant les signes de leur véritable institution, on a modelé l’écriture de la langue dérivée sur la prononciation de la langue primitive.

«Le retour aux principes est désiré par tous les bons esprits. Mais quelle autorité fera triompher la raison? Quel pouvoir fera rentrer dans ses limites l’érudition, toujours prête à les franchir? Quelle voix imposera silence au préjugé? Cette heureuse révolution peut être opérée par le concert de la force, à qui rien ne 158 résiste, et des lumières, à qui rien n’échappe. Que le gouvernement dise à la classe de l’institut national chargée du dépôt de la langue française:

«Je demande que les sons de la langue soient tous appréciés et reconnus; que chaque son simple ait un signe simple qui lui soit exclusivement affecté; en un mot, que la langue écrite soit l’image fidèle de la langue parlée.

«Et je promets que l’orthographe sanctionnée par l’Académie française sera sur-le-champ adoptée:

«Dans tous les actes émanés des autorités constituées;—dans tous les journaux soumis à l’inspection de la police;—dans toutes les écoles nationales;—dans tous les établissements payés des deniers publics.»

«La raison et l’exemple auroient bientôt achevé une révolution commencée sous des auspices aussi imposants.»

Puis dans une prosopopée adressée à celui qui semblait personnifier le génie de la France, il s’écrie:

«O Bonaparte[121], jette un regard sur ces lignes, elles t’appellent à la gloire, non à celle du guerrier, tes exploits ont lassé la renommée; non à celle de l’homme d’État, la France te bénit et l’univers t’admire..... La gloire que je t’offre est pure et n’appartiendra qu’à toi seul. Ose ordonner la réforme de notre orthographe; et le mensonge abécédaire, qui prépare à tous les mensonges, ne déformera plus les jeunes esprits, et l’immense famille dont tu es le chef parlera partout le même langage, et les monuments immortels du génie et du goût de nos écrivains se présenteront d’eux-mêmes à l’étranger reconnaissant. Élevé au faîte du pouvoir par ta valeur, ta sagesse et notre amour, déploie ta force pour la propagation des idées justes, mets ta gloire dans le triomphe de la vérité.»

(Voir plus loin, pour son plan de réforme, Appendice D, à la date de 1806.)

[121] Domergue écrivait ceci en 1803, sous le Consulat.

Volney, de l’Académie française, qui s’est livré à une étude toute spéciale des langues et de l’orthographe, formule ainsi son opinion sur notre manière de représenter les sons, dans 159 son ouvrage intitulé: L’Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques (p. 21):

«On peut dire que depuis l’adoption, et en même temps la modification de l’alphabet phénicien par les Grecs, aucune amélioration, aucun progrès n’a été fait dans la chose. Les Romains, vainqueurs des Grecs, ne furent à cet égard, comme à bien d’autres, que leurs imitateurs. Les Européens modernes, vainqueurs des Romains, arrivés bruts sur la scène, trouvant l’alfabet tout organisé, l’ont endossé comme une dépouille du vaincu, sans examiner s’il allait à leur taille. Aussi les méthodes alfabétiques de notre Europe sont-elles de vraies caricatures: une foule d’irrégularités, d’incohérences, d’équivoques, de doubles emplois se montrent dans l’alfabet même italien ou espagnol, dans l’allemand, le polonais, le hollandais. Quant au français et à l’anglais, c’est le comble du désordre: pour l’apprécier, il faut apprendre ces deux langues par principes grammaticaux; il faut étudier leur orthographe par la dissection de leurs mots.»

(Voir Appendice D, à la date de 1821.)

Fortia d’Urban, membre de l’Institut, Académie des inscriptions et belles-lettres, s’exprime ainsi dans son Nouveau Système de bibliographie alphabétique, 2e édit., 1822, p. 9:

«Un principe, dont je crois que tout le monde reconnaîtra l’évidence, doit sans doute diriger ceux qui voudront raisonner sur notre orthographe et sur les innovations que l’on peut y apporter. Cet axiome, c’est qu’il faut écrire comme on parle. En effet, l’écriture n’étant que le signe du langage, plus l’image est fidèle, mieux elle atteint son but. C’est un avantage que la langue allemande, l’espagnole et l’italienne ont sur les langues anglaise et française; nous devons nous efforcer de le partager.»

Destutt de Tracy, de l’Académie française, émet sur ce grave sujet un jugement remarquable par sa netteté:

«Nos alphabets, vu leurs difficultés et le mauvais usage que nous en faisons, c’est-à-dire nos vicieuses orthographes, méritent encore à peine le nom d’écriture. Ce ne sont que de maladroites 160 tachygraphies qui figurent tant bien que mal ce qu’il y a de plus frappant dans le discours, et en laissent la plus grande partie à deviner, quoique souvent elles multiplient les signes sans utilité comme sans motif.

«Que se passe-t-il avec l’alphabet actuel? On enseigne d’abord à connaître les lettres, et la facilité qu’y apportent les plus jeunes et les plus inappliqués des élèves prouve que l’obstacle n’est pas là. Il faut ensuite apprendre à épeler, c’est-à-dire à les réunir. Ici commencent des difficultés sans nombre. Elles sont véritablement infinies avec l’alphabet français, puisque personne ne peut deviner l’orthographe d’un mot nouveau ou d’un nom propre. C’est par ce motif que beaucoup de personnes renoncent à faire épeler les enfants, et préfèrent leur apprendre les mots entiers, écrits sur des cartes, comme avec l’écriture idéologique des Chinois. C’est assurément là une preuve irrécusable des vices et des difficultés que présente notre alphabet irrationel.»

«La mémoire seule peut servir à l’étude de l’orthographe; aucun raisonnement ne peut guider; au contraire, il faut à tout moment faire le sacrifice de son bon sens, renoncer à toute analogie, à toute déduction, pour suivre aveuglément l’usage établi, qui vous surprend continuellement par son inconséquence, si, malheureusement pour vous, vous avez la puissance et l’habitude de réfléchir.

«Et j’en appelle à tous ceux qui ont un peu médité sur nos facultés intellectuelles: y a-t-il rien au monde de plus funeste qu’un ordre de choses qui fait que la première et la plus longue étude de l’enfance est incompatible avec l’exercice du jugement? Et peut-on calculer le nombre prodigieux d’esprits faux que peut produire une si pernicieuse habitude, qui devance toutes les autres?»

Destutt de Tracy fut un des partisans les plus convaincus de la proposition faite par Volney d’appliquer à l’écriture des langues orientales l’alphabet latin complété.

Jouy, membre de l’Académie française, en 1829, acceptait l’idée fondamentale de la réforme dans sa réponse à l’Appel aux Français de M. Marle:

«J’ai moi-même, écrit-il, exprimé plusieurs fois le désir de voir opérer dans l’orthographe de la langue française une foule de 161 changements que le plus simple bon sens réclame. L’emploi des voyelles inutiles et des doubles consonnes dans les mots où la prononciation n’en fait sentir qu’une seule est un reste de barbarie que l’étymologie n’excuse pas même toujours.»

Charles Nodier, de l’Académie française en 1833, l’un des hommes les plus compétents dans la question, n’hésite pas dans l’expression de son sentiment:

«Je place au premier rang des plus honorables ouvriers de la littérature les grammairiens, les lexicographes, les dictionnaristes. Si leurs dictionnaires sont mauvais, ce n’est presque jamais leur faute. C’est d’abord celle de la langue, qui n’est pas bien faite; celle de l’alphabet, qui est détestable; celle de l’orthographe, qui est une des plus mauvaises et des plus arbitraires de l’Europe. C’est ensuite celle de la routine qui est une loi en France. C’est peut-être enfin celle des institutions littéraires préposées à la conservation de la langue, et qui ont fait de cette routine un fatal monopole.»

Malgré ces aveux significatifs contenus dans la préface de l’Examen critique des dictionnaires de la langue françoise, publié en 1829, on doit convenir que Nodier, devenu membre de l’Académie française, fut un des adversaires les plus redoutables du néographisme absolu, contre lequel il épuisait les traits les plus acérés de sa verve spirituelle. (Voir plus loin, Appendice D, à l’article d’Honorat Rambaud, p. 200.)

Andrieux, secrétaire perpétuel de l’Académie française, esprit judicieux, bon grammairien et littérateur de premier ordre, s’exprimait ainsi de son côté en 1829, dans sa lettre à M. Marle:

«Il est d’un bon esprit de désirer la réforme de l’orthographe française actuelle, de vouloir la rendre conforme, autant que possible, à la prononciation; il est d’un bon grammairien, et même d’un bon citoyen, de s’occuper de cette réforme; mais il est difficile d’y réussir. Voltaire, après soixante et dix ans de travaux, 162 est à peine parvenu à nous faire écrire français comme paix et non pas comme François et poix. On trouve encore des gens qui répugnent à ces changements si raisonnables et si simples. Les routines sont tenaces; le succès vous en sera plus glorieux, si vous l’obtenez. Vous vous proposez de marcher lentement et avec précaution dans cette carrière assez dangereuse: c’est le moyen d’arriver au but. Puissiez-vous l’atteindre!»

(Voir plus loin, Appendice D, à la date de 1829, la réclamation de M. Andrieux contre M. Marle.)

Le professeur Laromiguière, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, écrivait à M. Marle à propos de son système:

«Je pense, après Molière, Montesquieu, Du Marsais, que rien n’est plus désirable que l’exécution de votre projet. En rapprochant l’orthographe de la prononciation, vous nous apprendrez en même temps à lire, à parler et à écrire la langue française; ce sera un service signalé rendu à tous les Français et aux nombreux étrangers qui aiment notre littérature.»

Daunou, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, membre du Comité d’instruction publique de l’Assemblée nationale, s’exprimait ainsi à propos des moyens de faciliter la lecture aux enfants:

«... J’invoque donc une réforme d’un plus grand caractère que celles qui ont été introduites jusqu’ici dans l’enseignement de la lecture. Je réclame, comme un moyen de raison publique, le changement de l’orthographe nationale, et je ne crois pas cette proposition indigne d’être adressée à des législateurs qui compteront pour quelque chose le progrès, ou plutôt, si je puis m’exprimer ainsi, la santé de l’esprit humain. Il n’est point question ici de quelques corrections partielles, semblables à celles que l’on a tentées, et qui ne sont bien souvent que de nouvelles manières de contrarier la nature. Je demande la restauration de tout le système orthographique, et que, d’après l’analyse exacte des sons 163 divers dont notre idiome se compose, l’on institue entre ces sons et les caractères de l’écriture une corrélation si précise et si constante que, les uns et les autres étant égaux en nombre, jamais un même son ne soit désigné par deux différens caractères, ni un même caractère applicable à deux sons différens. Cette analyse des sons de notre langue, la philosophie l’a déjà faite, ou l’a du moins fort avancée. Cette correspondance invariable entre la langue parlée et la langue écrite, il ne faut plus que la vouloir pour l’établir avec succès. Nous ne pouvons pas désirer pour cette réforme importante une plus favorable époque que celle où les préjugés se taisent, où les habitudes s’ébranlent, où l’on travaille enfin à régénérer l’instruction.

«On suppose qu’un tel changement dans l’orthographe doit entraver ou abolir l’usage des livres écrits selon la méthode ordinaire, ou du moins que la lecture de ces livres deviendrait presque inaccessible aux enfans accoutumés à un autre système graphique. Il ne s’agit, pour dissiper cette objection, que de bien expliquer ce que je propose. Assurément, je ne demande point que l’on n’imprime plus aucun livre avec notre orthographe actuelle, ni même que les lois soient écrites avec l’orthographe philosophique que j’ai indiquée. Les livres classiques que les enfans auront entre les mains, dans les écoles nationales, sont les seuls que j’aie ici en vue. A l’égard de tous les autres, il faut laisser agir le temps, la liberté et la raison.»

M. Littré, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et juge si compétent en cette matière, s’exprime ainsi dans son Histoire de la langue française, tome Ier, p. 327:

«L’habitude commune dans les anciens textes de ne pas écrire les consonnes doublées qui ne se prononcent pas et de mettre arester, doner, apeler, etc., mériterait d’être transportée dans notre orthographe. On écrit dans les anciens textes au pluriel sans t les mots enfans, puissans, etc.: cette orthographe, depuis longtemps proposée par Voltaire, est un archaïsme bon à renouveler. Ceux qui s’effrayeraient du changement d’orthographe ne doivent pas se faire illusion sur l’apparente fixité de celle dont ils se servent. On n’a qu’à comparer l’orthographe d’un temps bien peu éloigné, le dix-septième siècle, avec celle du nôtre, pour reconnaître 164 combien elle a subi de modifications. Il importe donc, ces modifications étant inévitables, qu’elles se fassent avec système et jugement. Manifestement, le jugement veut que l’orthographe aille en se simplifiant, et le système doit être de combiner les simplifications de manière qu’elles soient graduelles et qu’elles s’accordent le mieux possible avec la tradition et l’étymologie...»

Dans un autre passage, le savant philologue constate ainsi l’influence de l’orthographe sur le langage parlé et par suite l’importance d’une écriture régulière pour le maintien même de la langue.

«Notre langue fourmille de mots où l’écriture a fini par tuer la prononciation, c’est-à-dire que des lettres écrites, il est vrai, mais non prononcées, ont fini par triompher de la tradition et se faire entendre à l’oreille comme elles se montrent à l’œil.»

M. Max Müller, correspondant de l’Institut de France et l’un des linguistes les plus éminents de l’Europe, écrivait, en 1863[122], à propos de la réforme orthographique de la langue anglaise, les lignes suivantes, qui s’appliquent, sous plus d’un rapport, à diverses tentatives faites chez nous dans ces derniers temps:

[122] Nouvelles leçons sur la science du langage, cours professé à l’Institution royale de la Grande-Bretagne en l’année 1863, par M. Max Müller, et trad. de l’anglais par MM. Georges Harris et Georges Perrot. Paris, A. Durand, 1867, in-8, t. Ier.

«Je ne dois pas manquer ici à appeler l’attention sur les importants services qu’ont rendus ceux qui, pendant près de vingt ans, ont travaillé en Angleterre à faire passer dans la pratique les résultats de la recherche scientifique, en composant et en cherchant à propager un nouveau système «d’écriture abrégée et d’orthographe rationnelle», plus connu sous le nom de Réforme phonétique. Je suis loin de me dissimuler les difficultés qui s’opposent au prompt succès d’une pareille réforme, et je ne me flatte pas de l’espoir qu’elle sera réalisée par quelqu’une des trois ou quatre générations qui nous suivront immédiatement. Mais je me sens convaincu du caractère de vérité et de raison que présentent les principes 165 sur lesquels repose cette réforme: or le respect que nous inspirent naturellement la raison et la vérité, quoiqu’il puisse être endormi ou intimidé par instants, a toujours fini par avoir le dernier mot, et par peser dans la balance d’un poids irrésistible. Il a rendu les hommes capables de renoncer à leurs préjugés les plus chers, et à leurs cultes les plus sacrés, qu’il s’agît des lois sur les céréales, de la dynastie des Stuarts ou des idoles du paganisme; et je ne doute pas que notre orthographe irrationnelle n’ait le même sort que toutes les superstitions dont les hommes ont fini par se débarrasser. Il est déjà arrivé que des nations ont changé leurs signes de numération, leurs lettres, leur chronologie, leurs poids et leurs mesures. Peut-être M. Pitman ne vivra-t-il pas assez longtemps pour voir le résultat de ses efforts persévérants et désintéressés; mais on n’a pas besoin d’être prophète pour assurer que ce qui maintenant est hué par la foule devra l’emporter un jour ou l’autre, à moins que l’on ne trouve, pour combattre ce système, autre chose que quelques mauvaises plaisanteries déjà usées. Il y a, parmi les objections que l’on fait à ces projets de réforme orthographique, un argument qui devrait, à ce qu’il semble, avoir grand poids aux yeux du linguiste: cette réforme, dit-on, ferait, dans un grand nombre de cas, disparaître des lettres qui témoignent de l’étymologie des mots. Je ne puis pourtant prendre cet argument très au sérieux. Dans les langues, la prononciation change d’après des lois déterminées, tandis que, dans les idiomes modernes, pour ne parler que de ceux-ci en ce moment, l’orthographe a changé de la manière la plus arbitraire, de sorte que si notre orthographe suivait la prononciation des mots, elle serait en réalité plus utile à celui qui étudie le langage au point de vue critique que notre système actuel d’orthographe, avec ce qu’il y a d’incertain, d’arbitraire, d’étranger à toute méthode scientifique.»

M. L. Quicherat, membre de l’Académie des inscriptions, accepterait volontiers une régularisation et quelques réformes de détail dans le sens étymologique. Il s’exprime ainsi dans la préface de son Dictionnaire français-latin, 1864:

«J’ai suivi constamment pour guide le Dictionnaire de l’Académie, dont une longue pratique m’a fait de plus en plus apprécier le mérite. Il est facile de réunir contre un ouvrage si étendu un certain nombre de critiques de détail: ces petites imperfections 166 ne sauraient déformer l’ensemble: Ubi plura nitent, non ego paucis offendar maculis.....

«J’ai suivi presque toujours son autorité sous le rapport de la grammaire et de l’orthographe, bien que parfois je ne fusse pas satisfait de ses solutions. Ainsi je faisais tout bas mes réserves quand j’indiquais comme étant du masculin le mot quadrige, et du féminin le mot exemple (d’écriture). Je trouvais assez singulier qu’on écrivît dyssenterie, quand on écrit tout de suite après dysurie. Je ne m’explique point par quelle subtilité on a établi entre Zéphire et zéphyr une distinction que l’étymologie condamne et dont les poëtes ne tiennent aucun compte. Je ne comprends rien à la bizarrerie qui conserve l’adjectif invariable dans cette locution: Ils se faisaient fort de, elle se fait fort de.

«Pour l’orthographe, je n’entrerai point dans une foule de petites discussions que je laisse aux grammairiens. Seulement j’oserai blâmer l’Académie quand elle a la faiblesse d’abandonner un principe général pour se conformer à une erreur vulgaire. En somme, elle oublie trop qu’elle a le droit et le devoir de dicter la loi. Par exemple, je ne vois pas pourquoi, infidèle à ses propres traditions, elle a fini par accepter la nouvelle manière d’écrire le mot terrain, que certains étymologistes dérivent sans doute de terra ou de je ne sais quel adjectif terraneus, faisant pendant à subterraneus. Mais l’Académie de 1694 écrivait terrein, comme l’exige la racine terrenum. Si l’on prétend établir une règle nouvelle, il faut au moins décréter que plenus donnera le mot français plain, serenus, serain, etc. De même, l’esprit rude sur la voyelle initiale se représente en français par une h. La logique réclame une application universelle d’un principe aussi simple. Or, si l’on écrit holocauste, pourquoi olographe? pourquoi encore erpétologie?

«Néanmoins, je me suis incliné devant toutes ces anomalies, et je n’ai fait cause à part que deux ou trois fois. Les mots roide, roideur, roidir, ont été omis, je ne sais pourquoi, dans la réforme voltairienne qui a conformé l’écriture à la prononciation. Dans la septième édition du Dictionnaire de l’Académie, je ne fais pas de doute que cela sera réformé. J’ai maintenu l’orthographe disyllabe, au lieu de dissyllabe, que j’avais déjà introduite dans d’autres ouvrages. Cela m’a paru nécessaire pour conserver la brève de l’adjectif latin, et pour qu’on ne crût pas voir dans ce mot un composé de dissos. Je puis dire que le savant et regrettable Boissonade avait applaudi à cette petite révolte contre l’autorité.»

167 M. Charles-Auguste Sainte-Beuve, membre de l’Académie française depuis 1845, a bien voulu consacrer dans le Moniteur du 2 mars dernier à la première édition du présent ouvrage un de ces articles où une science profonde quoique toujours aimable se cache sous la forme la plus séduisante. Je ne puis résister au désir de citer l’analyse historique que le savant académicien a faite de la question, à propos de mon travail, tout en passant sous silence les encouragements si bienveillants qu’il veut bien donner à mes efforts.

«Notre langue française, dit-il, vient en très-grande partie du latin. C’est un fait reconnu et que les philologues et critiques qui se sont occupés de l’histoire de la langue et qui ont étudié la naissance de la romane, d’où la nôtre est dérivée, ont mis de plus en plus en lumière. L’un de ces derniers historiens et qui s’est dirigé d’après la méthode et par les conseils des vrais maîtres, M. Auguste Brachet, a parfaitement exposé[123] cette formation de notre idiome. Mais ce n’est pas du latin savant, du latin cicéronien, c’est du latin vulgaire parlé par le peuple et graduellement altéré, que sont sortis, après des siècles de tâtonnement, les différents dialectes provinciaux dont était celui de l’Ile-de-France, lequel a fini par se subordonner et par supplanter les autres; lui seul est devenu la langue, les autres sont restés ou redevenus des patois.

[123] Grammaire historique de la langue française, par M. Auguste Brachet; 1 vol. in-18, à la librairie Hetzel, 18, rue Jacob.

«Quand je dis que cette langue romane des onzième et douzième siècles est sortie du latin vulgaire et populaire graduellement altéré, j’ai peur de me faire des querelles; car, d’après les modernes historiens philologues, les transformations du latin vulgaire ne seraient point, à proprement parler, des altérations: ce seraient plutôt des développements, des métamorphoses, des états successifs soumis à des lois naturelles, et qui devinrent décidément progressifs à partir d’un certain moment: il en naquit comme par voie de végétation, vers le dixième siècle, une langue heureuse, assez riche déjà, bien formée, toute une flore vivante que ceux qui l’ont vue poindre, éclore et s’épanouir, sont presque tentés de préférer à la langue plus savante et plus forte, mais plus 168 compliquée et moins naïve, des âges suivants. Je n’ai point à entrer dans cette discussion, ni à chicaner sur cette préférence; ce que je voulais seulement remarquer, c’est que, sous cette première forme lentement progressive et naturelle, tous les mots français qui viennent du latin et par le latin du grec ont été adoucis, préparés, mûris et fondus, façonnés à nos gosiers, par des siècles entiers de prononciation et d’usage: ils sont le contraire de ce qui est calqué et copié artificiellement, directement. Ils n’ont pas été transportés d’un jour à l’autre et faits de toute pièce, tout raides et tout neufs, d’après une langue savante et morte, que l’on ne comprend que par les yeux et plus du tout par l’oreille.

«A ce vieux fonds de la langue française il y a peu à réformer pour l’orthographe. Les mots en ayant été prononcés et parlés par le peuple, des siècles durant, avant d’être notés et écrits, toutes ou presque toutes les lettres inutiles ont eu tout le temps de tomber et de disparaître. Quand ils ont été écrits pour la première fois, ils ne l’ont pas été par les savants. L’usage a donc amené et produit pour ce vieux fonds domestique la forme qui, ce me semble, est définitive. La difficulté est surtout pour les mots savants et d’origine plus récente, importés à partir du seizième siècle, depuis l’époque de la Renaissance, et la plupart tirés du grec avec grand renfort de lettres doubles et de syllabes hérissées. Ces mêmes historiens de la langue et qui l’admirent surtout aux douzième et treizième siècles, dans sa première fleur de jeunesse et sa simplicité, sont portés à proscrire, à juger sévèrement toute l’œuvre de la Renaissance, comme si elle n’était pas légitime à son moment et comme si elle ne formait pas, elle aussi, un des âges, une des saisons de la langue. M. Auguste Brachet, qui n’est nullement favorable aux néologismes du seizième siècle, déclare en même temps absurde la tentative qui consisterait aujourd’hui à réduire et à simplifier, en les écrivant, bon nombre des doctes mots introduits alors. «Puisque l’orthographe du mot, dit-il, résulte de son étymologie, la changer, ce serait lui enlever ses titres de noblesse.» Telle cependant n’a pas été et n’est point l’opinion de beaucoup d’hommes instruits et d’esprits philosophiques depuis le seizième siècle jusqu’à nos jours.

«Sans doute l’introduction de la plupart de ces mots s’étant faite par les savants et d’autorité pour ainsi dire, non insensiblement et par le peuple, ce ne saurait être à la manière du peuple et comme cela s’est passé pour le premier fonds ancien de mots 169 latins, par une usure lente et continuelle, que la simplification peut s’opérer. Mais la même autorité qui a importé les mots et vocables scientifiques peut intervenir pour les modifier. Ainsi rien n’oblige d’user perpétuellement de cette orthographe grecque si repoussante, dans les mots rhythme, phthisie, catarrhe, etc.; et il y a longtemps que Ronsard et son école, tout érudits qu’ils étaient, avaient désiré affranchir et alléger l’écriture courante de cet «insupportable entassement de lettres». Ils n’y étaient point parvenus.

«L’histoire des tentatives faites depuis le seizième siècle pour la simplification de l’orthographe nous est présentée fort au complet par M. Didot en son intéressante brochure, et il en ressort que pour réussir à obtenir quelque chose en telle matière et pour triompher de l’habitude ou de la routine, même lorsque celle-ci est gênante et fatigante, il ne faut pas trop demander, ni demander tout à la fois.

«Joachim Du Bellay le savait bien, lui qui dans son Illustration et Défense de la Langue, où il proposait en 1549 tant d’innovations littéraires, n’a pas voulu les compliquer de l’emploi de l’orthographe nouvelle de Louis Meigret qu’il approuvait en principe, mais qu’il savait trop dure à accepter des récalcitrants.

«Ces projets de réforme radicale dans l’orthographe, mis en avant par Meigret et par Ramus, ont échoué; Ronsard lui-même recula devant l’emploi de cette écriture en tout conforme à la prononciation: il se contenta en quelques cas d’adoucir les aspérités, d’émonder quelques superfétations, d’enlever ou, comme il disait, de râcler l’y grec: il avait d’ailleurs ce principe excellent que «lorsque tels mots grecs auront assez longtemps demeuré en France, il convient de les recevoir en notre mesnie et de les marquer de l’i français, pour montrer qu’ils sont nôtres et non plus inconnus et étrangers.»—Et pour le dire en passant, cette règle est celle qui se pratique encore et qui devrait prévaloir pour tout mot ou toute expression d’origine étrangère. Ainsi pour à parte: un a-parte, des a-parte; on l’écrivait d’abord en deux mots, et le pluriel ne prenait pas d’s; mais l’expression ayant fait assez longtemps quarantaine et ayant mérité la naturalisation, on en a soudé les deux parties, on en a fait un seul mot qui se comporte comme tout autre substantif de la langue, et l’on écrit: un aparté, des apartés.—C’est ainsi encore qu’il est venu un 170 moment où les quanquam sont devenus les cancans. Mais les errata, bien que si fort en usage et qui devraient être acclimatés, ce me semble, n’ont pu encore devenir des erratas, comme on dit des opéras[124].

[124] «Chose bizarre! errata employé au singulier est devenu un mot français puisqu’on dit un errata; et au pluriel, il est resté un mot étranger et latin, puisqu’il ne prend pas d’s et qu’on écrit des errata et non des erratas. C’est à des irrégularités de ce genre que les décisions de l’Académie peuvent porter remède.»

«Corneille, après Ronsard, apporte à son tour son autorité en cette question de la réforme de l’orthographe. Dans l’édition qu’il donna en 1664 de son Théâtre revu et corrigé, il mit en tête un Avertissement où il exposait ses raisons à l’appui de certaines innovations qu’il avait cru devoir hasarder, afin surtout, disait-il, de faciliter la prononciation de notre langue aux étrangers. Ces idées et vues de Corneille, excellentes en principe, me paraissent avoir été un peu compliquées et confuses dans l’exécution. Le grand poëte n’était pas un esprit pratique.

«Ce qui est certain, c’est qu’une extrême irrégularité orthographique, une véritable anarchie s’était introduite dans les imprimeries pour les textes d’auteurs français au dix-septième siècle: il était temps que le Dictionnaire de l’Académie, si longtemps promis et attendu, vînt y mettre ordre.

«Dans la préparation de ce premier Dictionnaire, et dans les cahiers qui en ont été conservés, on a les idées de Bossuet qui sont fort sages et fort saines. Il est pour une réforme modérée. Il est d’avis de ne pas s’arrêter sans doute à l’orthographe impertinente de Ramus, mais aussi de ne pas s’asservir à l’ancienne orthographe «qui s’attache superstitieusement à toutes les lettres tirées des langues dont la nôtre a pris ses mots»; il propose un juste milieu: ne pas revenir à cette ancienne orthographe surchargée de lettres qui ne se prononcent pas, mais suivre l’usage constant et retenir les restes de l’origine et les vestiges de l’antiquité autant que l’usage le permettra.

«Le premier Dictionnaire de l’Académie, qui parut en 1694, ne se contint point tout à fait, à ce qu’il semble, dans les termes où l’aurait voulu Bossuet, et l’autorité de Regnier des Marais, qui accordait beaucoup à l’archaïsme, l’emporta.

«Ce ne fut qu’à la troisième édition de son Dictionnaire, celle qui parut en 1740, que l’Académie se fit décidément moderne et 171 accomplit des réformes décisives dans l’orthographe. Il y avait eu Fontenelle et La Motte, avec leur influence, dans l’intervalle. Si l’on compare cette troisième édition à la première, elle offre, nous dit M. Didot, qui y a regardé de près, des modifications orthographiques dans cinq mille mots, c’est-à-dire dans le quart au moins du vocabulaire entier. Il se fit un grand abatis de superfluités de tout genre: «des milliers de lettres parasites disparurent.» C’est à cette troisième édition, où pénétra l’esprit du dix-huitième siècle, qu’on dut de ne plus écrire accroistre, advocat, albastre, apostre, bienfaicteur, abysme, etc.; toutes ces formes surannées et gothiques firent place à une orthographe plus svelte et dégagée. L’abbé d’Olivet eut la principale part dans ce travail; il fut en réalité le secrétaire et la plume de l’Académie; elle avait fini, de guerre lasse, par lui donner pleins pouvoirs.»

«..... Le seizième siècle avait été hardi; le dix-septième était redevenu timide et soumis en bien des choses; le dix-huitième reprit de la hardiesse, et l’orthographe, comme tout le reste, s’en ressentit: elle perdit ou rabattit quelque peu, dès l’abord, de l’ample perruque dont on l’avait affublée. L’abbé de Saint-Pierre, qui fut le premier à réagir contre la mémoire de Louis XIV, faisait imprimer ses écrits dans une orthographe simplifiée qui lui était propre; mais le bon abbé tenait trop peu de compte, en tout, de la tradition, et on ne le suivit pas. D’autres esprits plus précis et plus fermes étaient écoutés: Du Marsais, Duclos,—n’oublions pas un de leurs prédécesseurs, le père Buffier, un jésuite doué de l’esprit philosophique,—l’abbé Girard,—mais Voltaire surtout, Voltaire le grand simplificateur, qui allait en tout au plus pressé, et qui, en matière d’orthographe, sut se borner à ne demander qu’une réforme sur un point essentiel, une seule: en la réclamant sans cesse et en prêchant d’exemple, il finit par l’obtenir et par l’imposer.

«Cette réforme, toutefois, qui consistait à substituer l’a à l’o dans tous les mots où l’o se prononçait a, ne passa point tout d’une voix de son vivant: elle n’était point admise encore dans la quatrième édition du Dictionnaire de l’Académie qui parut en 1762. Ce ne fut que dans la sixième édition, publiée de nos jours, en 1835, que l’innovation importante, déjà admise par la généralité des auteurs modernes, trouva grâce aux yeux de l’Académie, et que la réforme prêchée par Voltaire fut consacrée.

«Il y eut des protestations individuelles remarquables. Charles 172 Nodier, par inimitié contre Voltaire d’abord, par l’effet d’un retour ultraromantique vers le passé, par plusieurs raisons ou fantaisies rétrospectives, continua de maintenir et de pratiquer l’o. Lamennais aussi, radical sur tant de points, était rétrograde et réactionnaire sur l’o: il affectait de le maintenir. Chateaubriand de même; c’était un coin de cocarde, un lien de plus avec le passé. Au reste, notre dix-neuvième siècle a présenté sur cette question de l’orthographe, et comme dans un miroir abrégé, le spectacle des dispositions diverses qui l’ont animé en d’autres matières plus sérieuses: il a eu des exemples d’audace et de radicalisme absolu, témoin M. Marle; une opposition ou résistance soi-disant traditionnelle, témoin Nodier et son école; un éclectisme progressif, éclairé et assez large, témoin le Dictionnaire de l’Académie de 1835; mais, depuis lors, il faut le dire, le siècle ne paraît point s’être enhardi: il y aura de l’effort à faire pour introduire dans l’édition qui se prépare toutes les modifications réclamées par la raison, et qui fassent de cette publication nouvelle une date et une étape de la langue. C’est à quoi cependant il faut viser.

«Ne nous le dissimulons pas: il s’est fait depuis quelques années, et pour bien des causes, une sorte d’intimidation générale de l’esprit humain sur toute la ligne. La réforme de l’orthographe elle-même y est comprise et s’en ressent; on est tenté de s’en effrayer, de reculer à cette seule idée comme devant une périlleuse audace. Tout le terrain gagné en théorie depuis Port-Royal jusqu’à Daunou semble perdu. Nous avons à prendre sur nous pour redevenir aussi osés en matière de mots et de syllabes que l’était l’abbé d’Olivet.

«On objecte toujours l’usage; mais il y a une distinction à faire et que Du Marsais dès le principe a établie: c’est la prononciation qui est un usage, mais l’écriture est un art, et tout art est de nature à se perfectionner. «L’écriture, a dit Voltaire, est la peinture de la voix: plus elle est ressemblante, meilleure elle est.» Il importe sans doute, parmi tous les changements et les retouches que réclamerait la raison, de savoir se borner et choisir, afin de ne point introduire d’un seul coup trop de différences entre les textes déjà imprimés et ceux qu’on réimprimerait à nouveau; il faut les réformer, non les travestir. J’ai sous les yeux les deux premiers livres du Télémaque, un texte classique imprimé selon les modifications que M. Didot propose à l’Académie. On peut différer d’avis sur tel ou tel point; mais mon œil 173 n’est nullement choqué de l’ensemble. Il y a, d’ailleurs, quantité de corrections à introduire dans le nouveau Dictionnaire et qui ne sauraient faire doute un moment. Pourquoi, dans le verbe asseoir, l’Académie ne met-elle l’e qu’à l’infinitif, et pourquoi, dans le verbe surseoir, met-elle l’e à l’infinitif et de plus au futur et au conditionnel?—Pourquoi écrit-elle abattement, abattoir, avec deux t, et abatis avec un seul?—Pourquoi charrette, charretier, avec deux r, et chariot avec une seule?—Pourquoi courrier encore avec deux r, et coureur avec une seule?—Pourquoi banderole avec une seule l et barcarolle avec deux?—Pourquoi douceâtre et non douçâtre, comme si l’on n’avait pas le c avec cédille, etc., etc.[125]? Le Dictionnaire écrit ostrogot: pourquoi alors écrire gothique? Ce sont là des inconséquences ou des distractions qu’il suffit de signaler et qui sont à réparer sans aucun doute.

[125] «Il y a un fort bon écrit d’un grammairien estimable, feu M. Pautex, Errata du Dictionnaire de l’Académie (1862). Ce travail, fait sans aucune malveillance, est un des instruments les plus utiles à avoir sous la main pour l’édition nouvelle.»

«L’introduction de l’f au lieu de ph dans quelques mots compliqués est plus capable de faire question. Il est bien vrai qu’autrefois, dans sa première édition, l’Académie avait écrit phantosme, phantastique, phrenesie, et que depuis elle a osé écrire fantôme, fantastique, frénésie, etc. Osera-t-elle bien maintenant appliquer la même réforme à d’autres mots et faire une économie de tous ces h peu commodes et peu élégants, écrire nimfes, ftisie, diftongue.....? Je vois d’ici l’étonnement sur les visages. Et l’étymologie? va-t-on s’écrier. Mais, cette étymologie, on s’en est bien écarté dans les exemples cités tout à l’heure. Et puis cette raison qu’il faut garder aux mots tout leur appareil afin de maintenir leur étymologie est parfaitement vaine; car, pour une lettre de plus ou de moins, les ignorants ne sauront pas mieux reconnaître l’origine du mot, et les hommes instruits la reconnaîtront toujours. Ce sont là toutefois des questions de tact et de convenance où il importe d’avoir raison avec sobriété.

«Je ne puis tout dire et je ne prétends en ce moment que signaler l’estimable et utile travail, depuis longtemps réclamé, que l’Académie vient d’entreprendre, en l’exhortant (sous la réserve du goût) à oser le plus possible; car ses décisions, qui seront suivies et feront loi, peuvent abréger bien des difficultés, et, notre 174 génération récalcitrante une fois disparue, les jeunes générations nouvelles n’auront qu’à en profiter couramment.

«Une innovation toute typographique que M. Didot propose et qui est aussi ingénieuse que simple, c’est que de même qu’on met une cédille sous le c pour avertir quand il doit se prononcer avec douceur, on en mette une aussi sous le t dans les cas où il est doux et où il doit se prononcer comme le c: nation, patience, plénipotentiaire, etc. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir d’objection contre cette heureuse idée toute pratique et qui parle aux yeux.»

M. Sainte-Beuve émet ensuite une opinion aussi judicieuse qu’éloquemment exposée sur l’admission d’un certain nombre de néologismes dans l’édition du Dictionnaire que l’Académie prépare. Je regrette de ne pouvoir reproduire ici ce passage qui sort de mon sujet et qu’il faudra lire en entier dans le Moniteur. L’éminent critique conclut ainsi:

«Je ne fais que poser des questions sans prétendre le moins du monde les résoudre. Il y aura de quoi occuper, on le voit, et passionner innocemment bien des séances de l’Académie. Car, selon la remarque de l’abbé de Choisy, ces disputes sur la langue et l’orthographe ne finissent point; et il ajoute «qu’elles n’ont jamais converti personne». Ici pourtant il convient qu’elles aboutissent et que l’on conclue: la moindre partie des réformes proposées sera déjà un progrès, si on l’accepte.

«M. Didot, pour revenir à lui, le sait bien: il demande le plus pour obtenir le moins. Sans doute il a raison et mille fois raison. Mais depuis quand a-t-il suffi dans les choses humaines, et même dans les choses littéraires, d’avoir cent mille fois raison? C’est déjà beaucoup si l’on ne vous donne pas tout à fait tort. Il en est de l’orthographe comme de la société: on ne la réformera jamais entièrement; on peut du moins la rendre moins vicieuse. Parmi les regrets de M. Didot et dont il faut qu’il fasse son deuil, l’un des plus vifs est sur ce mot même d’orthographe: en effet, il n’y eut jamais de mot plus mal formé. Il fallait dire orthographie, comme on dit philosophie, biographie, télégraphie, photographie, etc. Que dirait-on si le nomenclateur de ces derniers arts avait imaginé de les intituler la photographe, la télégraphe? Mais commettre cette ânerie pour le mot même qui répond juste à bien écrire, convenez que c’est jouer de malheur. L’ironie est piquante. Qu’y faire? Tous les décrets académiques ou autres n’y peuvent 175 rien. Tirons-en une leçon. Cette espèce d’accident et d’affront qui a défiguré tout d’abord d’une manière irréparable le mot même exprimant l’art d’écrire avec rectitude nous est un avertissement qu’en telle matière il ne faut pas ambitionner une réforme trop complète, que la perfection est interdite, qu’il faut savoir se contenter, à chaque reprise, du possible et de l’à-peu-près.»

APPENDICE D.
HISTORIQUE DES RÉFORMES ORTHOGRAPHIQUES PROPOSÉES OU ACCOMPLIES.

Après avoir fait connaître, dans un rapide exposé, l’opinion des membres de L’Académie française et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, je vais essayer, dans l’historique qui va suivre, de donner une juste idée des changements et des progrès tentés et parfois réalisés, dans la voie du perfectionnement de notre orthographe, sous l’influence des hommes les plus instruits depuis la renaissance des lettres. En constatant l’étendue des services déjà rendus à la langue par les novateurs, on ne saurait, sous prétexte que plusieurs auraient, dans leur amour de la perfection, dépassé les bornes du possible et encouru la qualification d’utopistes, dédaigner complétement les opinions et les vœux émis pendant quatre cents ans par des hommes zélés pour le bien public, et des esprits éminents.

Frappés, au premier abord, de l’aspect inusité d’une page écrite dans le système des néographes absolus (système qui depuis longtemps toutefois sert de base à la sténographie), nous repoussons avec un répugnance instinctive un résultat qui nous semble donner aux productions de l’intelligence moderne le vêtement d’un idiome enfantin et barbare. Dans l’état actuel de notre civilisation, on ne saurait concevoir la pensée de remplacer ou même de métamorphoser notre antique alphabet, 176 quels que soient d’ailleurs, dans bien des cas, son insuffisance et ses vices. L’étude de la néographie, néanmoins, n’est point à dédaigner de la part des esprits sérieux. Nous ne sommes point parvenus, sous le rapport des méthodes d’enseignement, et spécialement de la lecture et de la grammaire, à l’idéal de la perfection: il y a peu de nations du continent qui ne soient en avance sur nous de ce côté. Il est donc utile de se rendre compte des critiques dont notre langage, et surtout notre orthographe, sont passibles, afin de reconnaître la voie dans laquelle on doit s’avancer pour distinguer, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, le bon du mauvais usage, et découvrir quelquefois la raison même de l’usage.

A n’envisager maintenant que les critiques de détail, que les réformes partielles, que les compromis entre l’étymologie et la prononciation, que la mise en ordre de l’accentuation, qui composent en majorité les travaux entrepris sur l’orthographe, il y a beaucoup à profiter dans l’étude des contradictions et des irrégularités de notre écriture, ainsi que dans celle des moyens proposés pour en diminuer le nombre. Cet examen nous force à réfléchir sur la constitution de notre idiome, sur son histoire, sur la validité de certains préceptes de la grammaire et sur les solutions qui doivent prévaloir. La persistance des réclamations depuis le seizième siècle, malgré le peu de succès du plus grand nombre d’entre elles, semblerait montrer qu’en matière d’écriture, comme en tout autre art ou toute autre science, l’ordre et la logique sont un besoin fondamental de l’esprit. En tout état de cause, notre langue ne saurait que gagner à s’individualiser davantage, en se dégageant de plus en plus de ses langes originaires, d’additions de lettres inutilement scientifiques et de date récente, enfin en se préservant de la funeste influence du néologisme chimique ou médical[126], non moins que de l’invasion des locutions étrangères.

[126] Il suffira d’un simple coup d’œil sur les dernières éditions du nouveau Dictionnaire de médecine de Nysten, si savamment complété par MM. Littré et Ch. Robin, pour se rendre compte de la destruction imminente dont notre langue est menacée de ce côté. Le lexicographe enregistre, bien malgré lui, des mots inutiles ou mal formés. Les savants, en effet, forgent sur le type grec des mots français qu’ils croient appropriés à l’énoncé de leurs systèmes, sans trop s’inquiéter si dans notre langue n’existent pas déjà des expressions capables de rendre leur idée. D’autres, pour faire parade d’une érudition qui leur manque, nous apportent des barbarismes ou des solécismes, comme œnophile, bibliophile, lithontriptiques, orthopnée, apyre, hydroscope, etc. Voyez B. Jullien: Les principales étymologies de la langue française, Paris, Hachette, 1862, in-12.

177 Je crois donc rendre un véritable service à l’étude de notre idiome par l’esquisse de la réforme depuis son origine, esquisse qui pourra plus tard être étendue et transformée en une véritable histoire.

J’ai marqué d’un astérisque, au commencement des titres, les ouvrages que je n’ai pu voir et que j’ai seulement trouvés cités dans les auteurs.

AU SEIZIÈME SIÈCLE.

Geofroy Tory. Champ fleury, etc. Acheue dimprimer le xxviij Iour du mois Dapuril Lan mil cincq cens XXIX pour maistre Geofroy Tory de Bourges, autheur dudict liure. Paris, in-4.

Dans cet ouvrage, dont le privilége est du 5 septembre 1526, Tory réclame (fol. 52 recto, 56 verso) l’emploi des accents et de l’apostrophe. Dès qu’il fut imprimeur, il ne tarda pas à introduire dans ses éditions plusieurs de nos signes orthographiques. Dans l’Adolescence clementine de Clément Marot, imprimée le 7 juin 1533, Tory annonce ainsi cette réforme: «Auec certains accens notez, cest assauoir sur le é masculin different du feminin, sur les dictions ioinctes ensemble par sinalephes, et soubz le ç quand il tient de la prononciation de le s, ce qui par cy deuant par faulte daduis n’a este faict au langaige françoys, combien qu’il y fust et soyt tres necessaire.»

* Jean Salomon s’est, dans le cours de la même année 1533, servi du ç dans une dissertation intitulée: Briefue doctrine pour 178 deuement escripre selon la propriete du langage francoys, reliée dans l’exemplaire de la Bibl. imp. du Miroir de l’ame pecheresse de Marguerite de Navarre, édition sans lieu, sans date et sans nom d’imprimeur. Voir Geofroy Tory, par M. Auguste Bernard, 2e édition, Paris, Tross, 1865, in-8o, p. 374.

* Tresvtile. Et. cõ | pendieulx Traicte de lart et science dorto | graphie Gallicane | dedans lequel sont com | prinses plusieurs choses necessaires | curieuses | nouvelles | et dignes de scauoir | non veues au | parauant. Auec une petite introdouction pour | congnoistre a lire le chiffre. (A la fin:) Imprime a Paris pour Jehã Saĩt denis | libraire demourãt a Paris, etc. (s. d.), pet. in-8, goth. de 18 ff. (Cet opuscule commence par une épître à Jacques Daoust, bailly d’Abbeuille, pièce datée de cette ville, le XXII de septembre. Mil cinq centz vingt neuf.)

Il m’a été impossible de me procurer ce livre introuvable, qui est le premier traité de l’orthographe, ou plutôt, comme dit logiquement l’auteur lui-même, de l’Ortographie française, écrit en français. Le seul exemplaire connu a figuré à la vente Veinant.

Gilles du Wès (ou Dewes, ou du Guez). An Introductorie for to lerne, to rede, to pronounce and to speke french trewly, compyled for the right high, exellent and most vertuous lady the lady Mary of Englande, doughter to our most gracious soverayn lorde kyng Henry the eight. (A la fin:) Printed at London by Thomas Godfray (vers 1527), in-4, goth.

Les deux premiers ouvrages de quelque importance sur notre orthographe sont sortis de la cour des rois d’Angleterre, qui déjà, trois siècles et demi auparavant, avaient été les mécènes des auteurs des premiers poëmes de la Table ronde rédigés en français.

L’auteur de cette grammaire, qui s’est nommé dans un acrostiche, rédigea son ouvrage vers 1527, et il l’a dédié à la princesse Marie, fille de Henri VIII, alors âgée de douze ans et devenue plus tard Marie la Sanglante. Il emploie quelques accents pour faciliter la prononciation, et il les marque sous les voyelles et non au-dessus. Voici un spécimen de son orthographe, tiré d’une pièce 179 de vers adressée à sa royale élève pour s’excuser de ne pouvoir continuer ses leçons à cause de la goutte qui le tourmente:

«A uous, tressouueraine maistresse,
jenvoy ces uerse, uoullant sinifiér
ma grand doulleur et que plus mopresse
ne uous pouoir seruir et enseygnér
que de souffrir maladie et dangiér;
pourquoy, sil plaist tant faire a uostre grace
les uoulloir lire quelque petitte espace
mon espoir est que mieulz uous en vauldrés
et par ce point aussi mescuserés.
«Entre les mois qui accomplissent lan
deux en y a espéciallement
qui mont fait deul, grant ennuy et ahan,
estre ne peult que je die aultrement;
souvent ay ueu leur maniere et comment
ilz mont traicte, sans lauoir deseruy
pour ce quilz sont de courage asseruy,
naimant jamais les œuures de printemps
ains sans cessér leur font mal en tous temps.
«Le principal duquel plus je me plains
en son blason se fait nommér Décembre;
par luy ay fait pleurs et soupirs mains
ja ne sera que ne men remembre;
luy et Januiér mont tollu ung membre
qui me fera que tant que je uiuray
en grant doulleur doresnauant iray
pourquoy je crains quen grant merencolie
en fin fauldra que jen perde la uie.»

On voit que l’orthographe de du Guez, venu trop tôt pour s’inspirer de l’exubérance de lettres qui, à partir de la Renaissance jusqu’à la fin du XVIIe siècle, s’est montrée dans l’écriture, est demeurée presque aussi sobre que l’est devenue aujourd’hui la nôtre.

Fr. Génin croit que le livre de du Guez n’a été publié qu’après l’ouvrage de Palsgrave qui suit.

Jehan Palsgrave. Lesclarcissement de la langue francoyse, compose par maistre Iehan Palsgrave Angloys, natyf de Londres et gradue de Paris. Neque luna per noctem. Anno 180 uerbi incarnati M.D.xxx (avec privilége de 1531). (A la fin:) The imprintyng fynysshed by Iohann Haukyns the XVIII daye of Iuly. The yere of our lorde God. Mccccc and XXX. In-fol. goth.

Ce second ouvrage, bien plus important, est dédié à Henri VIII. Dans sa préface l’auteur dit s’être conformé pour le plan de son livre à celui de la Grammaire grecque de Théodore de Gaza. Par les exemples qu’il donne et par l’accent tonique qu’il place sur les voyelles, on voit que sa prononciation différait notablement de la nôtre et qu’elle était parfois beaucoup moins douce. Voici comment il marque pour un lecteur anglais la prononciation des vers qui commencent le Roman de la Rose:

Maintes gentes dient que en songes
Máinto jan díet kan sóungos
Ne sont que fábles et mensonges
Ne soun ko fábles e mansongos
Mais on peult telz songes songier
Mays oun peut tez sóungo soungiér
Que ne sont mye mensongier.
Ke ne soun myo mansoungiér.

Il place l’accent tonique de la façon la plus correcte. Il formule ainsi son précepte: «Règle unique. Les mots dans la langue française ont leur accent sur la dernière syllabe (masculine).» Ex.: honorablemént, paróy, cordelíer, ils áyment, ils aymérent, vous parlástez (parlâtes), cest ung terríble cás. Les enclitiques n’ont jamais l’accent. Il écrit sans division et ainsi accentués: souventesfóys, aulcunefóys, plusieursfóys, dixfóys, troysfóys, quattrefóys, entredeúx, paradventúre, à lencóntre, jusquadíx, jusquaumourír.

On voit par ces exemples combien l’ouvrage de Palsgrave est précieux pour nous faire connaître les véritables traditions de la prononciation du français, mieux conservées au commencement du seizième siècle qu’après le mouvement littéraire de la Renaissance.

Fr. Génin a donné, dans les Documents inédits pour servir à l’histoire de France, une bonne réimpression des ouvrages de Palsgrave et de du Guez.

181 Jacques Sylvius (Dubois). In linguam gallicam Isagωge. Parisiis, ex officina Roberti Stephani, 1531, in-4 de VIII ff. et 159 pp.

Voir l'Errata (Note de transcription).

Dans ce traité, Jacques Sylvius, un des hommes les plus érudits de son temps, a présenté, pour la première fois, des artifices très-ingénieux mais peu pratiques, pour bien faire comprendre aux latinistes, c’est-à-dire à tous les étrangers instruits, auxquels il se propose d’apprendre le français, le mécanisme de la prononciation. Avec un certain nombre d’accents ^, ̄ , ̑ , ´, `, il détermine la valeur phonique des voyelles digrammes, mal dénommées sous le nom de diphthongues, ai, ei, oi, au, eu, ou. Il écrit ĉeu-al[‡] de caballus, čeûr, meũrt, limac͌on. Nous avons vu Geofroy Tory, aussi habile artiste que savant typographe, remplacer ce dernier signe par l’emploi de la cédille, qui, placée sous le c, ne défigure en rien l’aspect de nos impressions.

[‡] ĉ représente ici le signe c surmonté d’un petit h
  č représente le signe c surmonté d’un petit u
  ũ représente le signe u surmonté d’un macron et d’une brève inversée
  c͌ représente le signe c surmonté de deux petits s

Sylvius distingue le j consonne de l’i voyelle, et le v de l’u, ce qui n’est pas un faible mérite, puisque cette confusion a duré près de deux siècles après lui, et n’a cessé qu’après avoir été adoptée par les Hollandais[127].

[127] Voyez la Préface de Corneille, dans la grande édition qu’il a donnée de ses œuvres en 1664, et reproduite ci-dessus, p. 125.

Dubois fut un des précurseurs de la philologie moderne. Son chapitre de l’étymologie contient une foule d’excellentes observations sur les mutations des lettres latines en lettres françaises et sur la dérivation de nos vocables. On comprend que, par suite de ces recherches, son orthographe soit plus étymologique que celle d’une grande partie des auteurs de son époque. L’usage judicieux qu’il a fait du patois picard donne à sa méthode un grand intérêt historique.

Étienne Dolet. La maniere de bien traduire d’une langue en aultre, de la ponctuation françoyse, des accens d’ycelle, s. l. n. d. (1540), in-8 de 20 ff. (Souvent réimprimé.)

Les imprimeurs ont été de tout temps émus plus que d’autres des vices de l’écriture française et désireux d’y apporter remède. Étienne Dolet, imprimeur de Lyon, helléniste et latiniste 182 consommé, préparait depuis plusieurs années, sous le titre de l’Orateur, un traité complet de la langue, de l’orthographe et de la poésie françaises. Sa fin déplorable l’empêcha de le mettre au jour. Dans plusieurs de ses éditions, et notamment dans l’opuscule que je cite, il put du moins compléter en partie les perfectionnements apportés quelque temps auparavant par Geofroy Tory.

Nous devons à Dolet d’avoir inauguré l’usage de l’accent grave sur à préposition, adverbe. L’apocope ^ qu’il propose, particulièrement en poésie, dans les mots mani^ment pour maniement, lai^rra, pai^rra, vrai^ment, hardi^ment, est le premier germe de notre accent circonflexe, dont l’emploi, tardif en grammaire, pourrait être étendu avec tant d’avantages.

Il a enseigné l’usage du tréma: païs, poëte, sans en faire précisément la même application que de nos jours.

Il ne veut pas, devançant ainsi une réforme qui ne s’est généralisée que deux siècles plus tard, qu’on écrive des dignitez, des voluptez, mais bien dignités, voluptés, réservant la lettre z pour la terminaison de la seconde personne du pluriel des verbes. Il rétablit le t au pluriel des mots terminés en ant, et complète cette judicieuse réforme en écrivant touts (omnes).

Bien qu’étymologiste en matière d’orthographe, comme les Estienne, il admet comme eux d’indispensables simplifications. Son orthographe est malheureusement un peu irrégulière, comme celle de tous les écrivains qui ont précédé l’Académie française. Tandis qu’il écrit aureilles, quelcque, maling, soubdain, rhithme (pour rime), il corrige ainsi: cinqiesme, alaine (halitus), haren, j’exepte, r’imprimer, r’ouvrir, et quelquefois home.

Un de ses principaux titres à l’estime des grammairiens sera peut-être de s’être prononcé, d’après l’exemple des Grecs et des Latins, contre l’emploi de l’accent qu’il appelle enclitique, et que nous représentons aujourd’hui par le trait d’union. (Voir plus haut, p. 58, la Notice sur ce sujet.)

Robert Estienne. Dictionaire francois latin, autrement dict les mots francois, auec les manieres dvser diceulx, tournez en latin, corrigé et augmenté. Paris, de l’imprimerie de Robert Estienne, 1549, pet. in-fol. de 676 pp. (La première édition est de 1539.)—Traicté de la grammaire francoise. 183 L’Oliuier de Rob. Estienne (1557), pet. in-8 de 110 pp.; ibid., 1569, in-8 de 128 pp.

Les services que ce savant imprimeur a rendus à la langue sont immenses. J’ai montré plus haut, p. 108, l’importance du premier dictionnaire complet français-latin qu’il a publié. Ses presses multiplièrent à l’infini ces traités de grammaire, ces lexiques qui fixaient et vulgarisaient les principes de la langue. Pendant ses veilles laborieuses, il rédigeait, sous toutes les formes, des livres élémentaires que ses ouvriers imprimaient aussitôt. Pour en rendre l’utilité plus générale, il publiait en latin et en français des grammaires et de petits écrits, dont il donnait des éditions séparées. Écrivant sous l’influence latine, et voulant vulgariser l’étude du français dans une population naguère demi-latine, on conçoit qu’il employa de préférence l’orthographe la plus généralement répandue parmi les savants. Toutefois la sienne est meilleure et plus logique que celle de la plupart des écrivains de son temps.

En voici un spécimen, tiré de l’avis au lecteur placé en tête de la première édition de sa Grammaire:

«Pourtant que plusieurs desirans auoir ample cognoissance de nostre langue francoise, se sont plains a nous de ce qu’ils ne pouoyent aiseement saider de la Grammaire francoise de maistre Lois Maigret (a cause des grans changements qu’ils y voyoyent, fort contraires a ce qu’ils en auoyent ia apprins, principalement quant a la droicte escripture), ne de l’introduction a la langue francoise composee par M. Iaques Syluius medecin (pourtant que souuent il a meslé des mots de Picardie dont il estoit), nous ayans diligemment leu les deus susdicts autheurs (qui pour certain ont traicté doctement pour la plus part, ce qu’ils auoyent entrepris), auons faict ung recueil, principalement de ce que nous auons veu accorder a ce que nous auions le temps passé apprins des plus scauans en nostre langue, etc.....»

On doit regretter qu’il n’ait pas, non plus que son fils, pris de Sylvius la distinction du v d’avec l’u, du j d’avec l’i; de Dolet l’accent sur a préposition; de Tory l’apostrophe dans tous les cas et la cédille. Ces derniers perfectionnements ne se rencontrent que dans la seconde édition de sa Grammaire. En fait d’écriture et d’orthographe, il n’y a pas de minimes économies de temps à négliger: l’utilité pratique qui résulte de la 184 moindre amélioration profite aux générations qui se succèdent, et ces changements épargnent des peines inutiles à des millions de personnes.

Étymologiste comme Dolet, il a fait peu de chose pour la simplification, et n’a guère innové en fait d’orthographe. Il écrit roole, aage, aiseement. Il propose un instant de distinguer le son du g doux par un autre caractère, et d’employer le I majuscule à cette fonction. C’est ainsi qu’il écrit paIe (pagina), simIe (simia), vendemIe (vendemia), que nous écrivons aujourd’hui page, singe, vendange. Le signe i figurait alors indistinctement le son j ou le son i. En remplaçant par un I capital le g (ayant le son de j), R. Estienne assignait à cet I le son du j; et il est probable que si cette lettre j eût alors été connue, son adoption eût prévalu sur celle du g doux, ce qui nous aurait évité l’obligation d’ajouter un e parasite à la suite du g, lorsque nous voulons lui donner le son du j, comme dans vendangeons; mais ensuite, abandonnant cet emploi insolite de l’I, il écrivit dans son Dictionnaire page, singe, vendenge et vendengeons. Cette grande lettre pour remplacer le g, placée d’une manière si bizarre au milieu des mots, avait, en effet, un aspect déplaisant qui dut lui en faire abandonner l’emploi.

Robert Estienne se montre par moments quelque peu esclave de la routine: «Nos anciens ont escript,» dit-il dans sa Grammaire (page 6-7), «vng auec g en la fin, de peur qu’en escriuant vn, ne semblast estre le nombre VII; toutesfois cela ne plaist a plusieurs. Nous scauons que g en ce lieu ne sert de rien, sinon pour ceste cause: si ailleurs ils l’admettent ou il y a moins de cause, qu’ils l’admettent aussi en ce petit et court mot: s’il ne leur plaist, ie ne veulx estre contentieux, qu’ils escriuent vn et moy vng. Ils ont qui les suyuent, et ie m’arreste aux ancien scauans qui en scauoyent plus que nous[128]

[128] Dans l’édition de 1569, Robert Estienne, tout en conservant ce passage, écrit un sans g final.

On voit par cette citation que Robert, laudator temporis acti, et chez qui l’usage de la langue grecque et latine se confondait avec celui du français, n’éprouvait pas plus que la plupart de ses contemporains le besoin de l’uniformité orthographique.

Louis Meigret. Traité touchant le commun usage de l’escriture francoise; auquel est debattu des faultes et abus en la 185 vraye et ancienne puissance des letres. Auecq priuilege de la court (de 1542). Paris, Jeanne de Marnef, 1545, in-8 de 64 ff. non chiff.—Le Trette de la Grammaire françoeze. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 144 ff.—Guillaume des Autels. Traité touchant l’ancien ortographe françois et écriture de la langue françoise, contre l’ortographe des Meygretistes, par Glaumalis de Vezelet. Lyon, 1548, in-8 et 1549, in-16.—Defenses de Louis Meigret, touchant son livre de l’ortographe françoise, contre les censures et calomnies de Glaumalis de Vezelet (Guillaume des Autels) et ses adherans. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 18 ff.; Lyon, 1550, in-8.—Replique de Guillaume des Autelz aux furieuses defenses de Louis Meigret. Lyon, Iean de Tournes et Guill. Gazeau, 1551, pet. in-8 de 127 pp. (La Replique finit à la p. 74.)—Réponse à la dézesperée replique de Glaumalis de Vezelet, transformé en Gyllaome des Aotels. Paris, 1551, in-4 de 95 pp.

Meigret est un de ces esprits rigides qui n’admettent pas de compromis entre la configuration étymologique et la configuration de la prolation, comme on disait de son temps. Contrairement à l’école toute-puissante des érudits de la Renaissance, il annonce qu’il a travaillé pour le commun peuple.

«Ie ne voy point, dit-il, de moyen suffisant ny raisonnable excuse pour conseruer la façon que nous auons d’escrire en la langue françoyse... Notre écriture, pour la confusion et commun abus des letres, ne quadre point entierement à la prononciation.

«Les voix, ajoute-t-il, sont les elemens de la prononciation, et les letres les marques ou notes des elemens..... Puisque les letres ne sont qu’images de voix, l’escriture deura estre d’autant de letres que la prononciation requiert de voix; si elle se trouve autre, elle est faulse, abusiue et damnable.»

Meigret a proposé d’excellentes simplifications que l’usage a sanctionées pour quelques-unes, comme l’emploi de ç qu’il emprunte, dit-il, aux Espagnols[129], la suppression du g dans les mots 186 où il n’est pas prononcé, tels que cognoistre, ung, besoing, etc., où il n’était qu’un signe orthographique usité au siècle précédent pour indiquer la nasalité. Il biffe le d de advenir, advisé. Il veut qu’on écrive dit, fait, et non dict, faict; bete, fete et non beste, feste.

[129] Voir plus haut, p. 177, l’article de Geofroy Tory.

D’autres modifications qu’il a proposées n’ont pas prévalu, ce qui est regrettable pour quelques-unes, telles que dixion ou diccion, au lieu de diction; manifestacion, annonciacion, etc.; le n à jambage pour gn mouillé.

Il ne se fait pas illusion sur les chances de succès de sa réforme:

«La plus part de nous, François, usent de cette superfluité de letres plus POUR PARER LEUR ESCRITURE que pour opinion qu’ilz ayent qu’elles y soient necesseres... sans avoir égard si la lecture, pour laquelle elle est principallement inuentée, en sera facile et aisée. I’ose bien d’auantage asseurer que c’est bien l’vne des principales causes pour laquelle ie n’espère pas iamès, ou pour le moins il sera bien dificile, que la superfluité de letres soit quelquefois corrigée, quoy qu’il s’ensuyue espargne de papier, de plume et de temps, et finablement facilité et aisance de lecture à toutes nations.»

Meigret eut l’honneur de faire école. Pendant plusieurs années on parla beaucoup des meigreitistes et l’on rompit des lances, dont le fer n’était pas toujours émoulu, contre eux ou en leur honneur[130]. Ronsard, du Bellay et Baïf se déclarèrent partisans du système. Mais ce mouvement dut bientôt s’assoupir.

[130] Voir Replique de Guillaume des Autelz.

Tout novateur en fait d’orthographe échouera s’il porte un trouble trop grand dans les habitudes, et s’il veut atteindre sur-le-champ un but dont on ne peut approcher qu’avec l’aide du temps. En effet, Meigret fut forcé plus tard d’abandonner son propre système dans sa traduction du livre des Proportions du corps humain, d’Albert Dürer, et il ne fut repris complétement par personne.

Quel qu’ait été le sort de ces systèmes, aujourd’hui tombés dans l’oubli ou dépassés, ils ne méritent ni la dérision ni le blâme. Les luttes ardentes qu’ils ont provoquées ont servi à l’élucidation et à l’affermissement des principes qui ont porté si haut l’éclat de notre littérature. Plusieurs modifications de détail longtemps dédaignées ont été d’ailleurs reprises dans des temps plus favorables.

187 Joachim du Bellay. La Defense et illustration de la langue françoise, par I. D. B. A. Paris, A. L’Angelier, 1549 et 1557 pet. in-8; ibid, F. Morel, 1561, in-4, et autres. (Réimprimée aussi sous le titre d’Apologie pour la langue françoise.)

Dans ce célèbre plaidoyer, où du Bellay revendique pour notre langue la supériorité que lui assurerait surtout son «recours à ses origines nationales», tout ce qu’il dit pour faciliter l’étude du français s’applique naturellement à l’orthographe, et dans son Avis au lecteur il s’exprime ainsi:

«Quant à l’orthographe, j’ai plus suivy le commun et antique usage que la raison, d’autant que cette nouvelle (mais légitime à mon jugement) façon d’escrire est si mal reçüe en beaucoup de lieux, que la nouveauté d’icelle eust pu rendre l’œuvre, non gueres de soy recommandable, mal plaisant, voire contemptible aux lecteurs.»

Et ailleurs il dit:

«J’entends bien que sur ce qui reste à faire, les professeurs des langues ne seront pas de mon opinion, encore moins les vénérables Druydes, qui, pour l’ambitieux désir qu’ilz ont d’estre entre nous ce qu’estoit le philosophe Anacharsis entre les Scythes, ne craignent rien tant que le secret de leurs mystères, qu’il faut apprendre d’eux, soit descouvert au vulgaire.» Dans un autre endroit, en parlant «de la similitude de son et de la dissemblance d’orthographe des ei et oi (écrits maintenant ai) et des mots maistre et preste, de Athenes et fonteines (maintenant écrit fontaines), cognoistre et naistre», il dit «qu’il doit suffire aux poëtes que les deux dernières syllabes soient uniformes; ce qui arriveroit en la plus grande part, tant en voix qu’en escripture, si l’orthographe françoise n’eût point esté dépravée par les praticiens. Et pour ce que Meigret, non moins amplement que doctement, a traité ceste partie, lecteur, je te renvoye à son livre.»

Ainsi on voit que s’il osait le faire, il suivrait Meigret dans son système, qui a le défaut d’être trop hardi, et, cette opinion, il la confirme de nouveau dans sa postface avec une naïveté toute gauloise:

188

«I’approuve et loue grandement les raisons de ceux qui ont voulu reformer l’orthographie. Mais voyant que telle nouueauté desplaist aux doctes comme aux indoctes, i’aime beaucoup mieux louer leur inuention que de la suyure, pource que ie ne fay pas imprimer mes œuures en intention qu’ilz seruent de cornetz aux apothiquaires ou qu’on les employe à quelque autre plus vil mestier.»

Jacques Pelletier, du Mans. Dialoguę[131] dȩ l’Ortografę e Prononciation Franço̱esę, departì an deus liuręs. A Poitiers, par Ian e Enguilbert dę Marnef, a l’anseignę du Pelican, 1550 (privil. de 1547), pet. in-8 de VIII ff. et 216 pp.[132]; Lyon, Iean de Tournes, 1555, pet. in-8 de IV et 136 ff.—L’Art poëtiquę, departì an deus liuręs. Lyon, Iean de Tournes, 1555, in-8, de 118 pp.

[131] L’e muet, que nous figurons ici avec une cédille, est représenté dans ce volume par un e barré.

[132] Les 37 premières pages sont consacrées à une Apologie à Louis Meigret Lionnoes, datée de Poitiers le 5 janvier 1549. Pelletier, sans partager en tout l’opinion de Meigret, se montre très-favorable à sa réforme. Cet opuscule lui a valu la Reponse de L. Meigret à l’apologie de Iacques Pelletier. Paris, Wechel, 1550, in-4 de 10 ff.

Le petit volume de Pelletier est intéressant et instructif. La forme d’entretiens, qu’il a adoptée, où chacun de ses interlocuteurs, Jean Martin, Denys Sauvage, Théodore de Bèze, le seigneur Dauron, combat ou défend, avec clarté et une parfaite bonne foi, la réforme orthographique de l’auteur, nous permet de juger quelles étaient, à l’époque de la Renaissance, les idées des hommes instruits sur l’écriture française et ses principes; et, bien que les systèmes plus ou moins absolus de Sylvius, de Meigret, de Pelletier, de Baïf, n’aient point été adoptés, on se félicite de voir tout le chemin que depuis le seizième siècle l’écriture a fait pour se rapprocher de la prononciation.

On écrivait par exemple, comme nous le voyons dans l’ouvrage de Pelletier, soubcontrerolleur, que nous écrivons aujourd’hui sous-contrôleur, et que nous pourrions écrire soucontrôleur, comme nous écrivons soutenement, soucoupe, etc. On prononçait sou, mou, cou, pou, et l’on écrivait sol, mol, col, pol. Bien qu’on prononçât 189 dîne ti, ira ti, on écrivait dîne il, ira il. Nous avons fait depuis ce temps un commencement de retour à la forme primitive du présent de l’indicatif en écrivant dîne-t-il, ira-t-il.

Pelletier supprimait les lettres étymologiques de provenance grecque et écrivait teologie, teze, filosofie, cretien, etc.

L’écriture figurative de la parole proposée par Pelletier ayant, comme celle des autres réformateurs de son époque, l’inconvénient de donner un aspect étrange et désagréable à l’impression, ne fut accueillie ni par les gens de cour ni par les imprimeurs.

Joachimi Perionii benedictini cormœriaceni Dialogorum de linguæ gallicæ origine, eiusque cum græca cognatione, libri quatuor. Parisiis, apud Sebastianum Niuellium, 1555, in-8, de XXXVI et 149 ff.

Périon a écrit en latin un ouvrage dont le plan a beaucoup d’analogie avec la Conformité du language françois avec le grec de Henri Estienne. La recherche des étymologies et d’une parenté chimérique avec le grec l’a beaucoup plus occupé que le perfectionnement de l’écriture de son temps, surchargée, comme on sait, d’une si grande quantité de lettres superflues. Étranger, aussi bien que ses contemporains, à l’exception de Sylvius, à toute critique philologique, il admet, au milieu de judicieuses découvertes, des explications qui feraient sourire à bon droit les linguistes de nos jours.

Ainsi il est plus latiniste et helléniste en orthographe française qu’aucun de ses émules. Il écrit achapter (acheter), acouter (ἀκούειν), præteur (prætor), pœne (peine, de pœna), sœur (soror), pour distinguer ce mot de seur (sûr, securus), aglanthier (églantier, de ἄκανθα), basme (baume, de balsamum), contendents, coulteau (cultellus), droëct (jus), hostruche (autruche, de ὁ στρουθός). Il recommande même onnyon (oignon, de κρομμυών), egraphigner (égratigner), grephyer (greffier), thuer (occire, de θύειν ), etc.

La direction exclusivement hellénique de son travail, qui l’entraîne à ne tenir aucun compte de la provenance germanique ou celtique, ou même de la basse latinité, l’amène à écrire buthyner (de βουθυνεῖν), au lieu de butiner, de l’ancien allemand büte, büten; mokker, de μωκκάσθαι, tandis qu’on a découvert en gallois le radical celtique moc, d’où moquerie; gambe et gambon (jambe, jambon) 190 de καμπή, au lieu du celtique (en écossais, gamban, en irlandais, gambun); Ianthil homme, dont l’étymologie gentilis était pourtant si claire; enfin non cheillant (de νωχελής), au lieu de l’ancien verbe chaloir, qui nous a laissé cette locution: Il ne m’en chaut.

Périon nous offre un curieux exemple des inconvénients de la méthode étymologique poursuivie inconsidérément et à outrance en matière d’orthographe.

Il propose de supprimer l’s dans hoste, et voudrait que la lettre a remplaçât la lettre e partout où e se prononce a, attendu, dit-il, qu’il n’y a que les sapientes qui sachent qu’il faut écrire science ce qui se prononce sciance. Il voit avec peine les savants écrire escrivents, oïents et proueoents (scribentes, audientes, providentes), tandis que certains participes sont écrits par a.

Il admet les accents sur les voyelles, mais il en fait un emploi différent de celui auquel l’usage s’est fixé. Il se sert de l’accent circonflexe, avec d’autres savants du seizième siècle que je cite, devançant ainsi les grammairiens de près d’un siècle et demi. Il écrit aîse, boúrgois (civis) et bourgoîse, françoîse (française), croîstre et cognoîstre.

Jehan Garnier. Institutio gallicæ linguæ ad usum juventutis germanicæ, ad illustrissimos juniores principes landtgravios Hæssiæ conscripta. Authore Ioan. Garnerio. Marpurgi Hæssorum, ap. Io. Crispinum, 1558, pet. in-8.

M. Ch.-L. Livet a donné une analyse très-étendue de ce livre dans son ouvrage intitulé: La Grammaire française et les Grammairiens au XVIe siècle[133]. Garnier, dans ce traité très-utile pour l’histoire des variations de l’orthographe, se plaint amèrement des lettres étymologiques inutiles et du contraste de l’écriture avec la prononciation, ce qui répugne aux étrangers et à tout lecteur: «Quod tædiosum valde molestumque fuit lectoribus; atque linguam ipsam odiosam et difficilem omnibus peregrinis reddidit. Siquidem merito omnes conquerentur, et ab ejus lectione abhorrent quod aliter scribamus, aliter vero pronuntiemus.»

[133] Paris, Auguste Durand, 1859, in-8.

Jean Pillot. Gallicæ linguæ institutio, latino sermone conscripta, per Ioannem Pilotum, barrensem. Parisiis, apud 191 A. Wechelum, seu Steph. Groulleau, 1561 (privil. de 1557), pet. in-8, de 268 pp. et 2 ff. (Souvent réimprimé.)

L’ouvrage de Pillot, analysé avec soin par M. Livet, p. 270 de son livre cité page 190, n’est utile que pour la constatation de l’écriture et de l’orthographe à la fin du XVIe siècle. L’abus des lettres majuscules était devenu tel que Pillot, voulant régler leur emploi, l’étend au point qu’il aurait mieux fait d’énumérer les mots qui devraient n’en pas prendre.

Abel Mathieu, natif de Chartres. Devis de la langue françoyse, à Jehanne d’Albret, royne de Navarre, duchesse de Vendosme, etc. Paris, imprimerie de Richard Breton, 1559-60, 2 part. en 1 vol. pet. in-8 de 44 et 39 ff. (en caractères de civilité).—Devis de la langue francoise....., par A. M., Sieur des Moystardières. Paris, veufue Richard Breton (et Jean de Bordeaux), 1572, pet. in-8, de IV ff. prél. et 64 ff. (Le Devis de la langue finit au f. 35 verso.)

L’auteur n’est point un grammairien, mais un gentilhomme devisant de la langue pour le plaisir des dames. Sans être réformateur, il est indépendant. «Notre langue est à nous, dit-il; les Grecs et les Latins n’ont rien à y voir.»

Il n’approuve l’emploi du s long, du h et de l’y que parce que «ces lettres, par leur forme, servent d’ornement et d’ampliation à l’escripture et lui donnent de la grace suivant la similitude dont il a usé de l’œil à la peinture[134]

[134] Et en effet, si l’on jette les yeux sur les spécimens de calligraphie du XVIe siècle et même sur les chefs-d’œuvre d’écriture de Jarry au XVIIe, on voit que les artistes se complaisaient dans la belle forme qu’ils donnaient aux lettres longues, et particulièrement à l’y.

Pierre Ramus (la Ramée). Gramerę. Paris, André Wechel, 1562, pet. in-8, de 126 pp. et 1 f. d’errata. (1re édit. anonyme.)—Grammaire de P. de la Ramee, lecteur du roy, etc. Paris, A. Wechel, 1572, pet, in-8, de 9 ff. prél. et 211 pp.; ib., Denys du Val, 1587, pet. in-8, de 223 pp.

La Ramée, plus connu sous le nom de Ramus, lecteur du roi 192 en l’Université de Paris, savant latiniste, helléniste et hébraïsant, auteur d’ouvrages fort appréciés de son temps sur la dialectique, les mathématiques, la langue latine et la langue grecque, est peut-être le plus érudit des auteurs de réformes de l’écriture française. Son système a pour but de représenter avec une fidélité absolue la prononciation par l’écriture, et l’on peut dire qu’il y réussit presque aussi bien peut-être que ses représentants de nos jours, M. Marle et M. Féline. Grâce à son petit livre, nous sommes en mesure de prononcer le français comme un orateur au temps de Henri III. Ce n’est pas un faible service rendu à la philologie, et nous serions heureux qu’il y eût eu un Ramus dans Athènes au temps de Périclès, et dans Rome sous Auguste.

A l’exception de l’e muet, qu’il représente par un e à boucle inférieure et que je représenterai par ε; de l et ll mouillé, qu’il écrit par l à boucle et que je figurerai par λ; du ch, qu’il figure par c avec boucle et que je remplace par ξ; de gn, par η, et de nt, qu’il écrit par n à boucle dans les mots en ant final, Ramus n’introduit dans son écriture aucun caractère nouveau, ni étranger au français. Il met ainsi un signe simple à la place des signes binaires ou digrammes, et il donne à toutes ses lettres une prononciation constante et unique. Le c se prononce comme le cappa, le g comme le gamma des Grecs. Le s, si embarrassant pour les étrangers, n’a qu’une seule valeur, celle du sigma. Toute lettre nulle dans la prononciation disparaît de son écriture, et il se passe même d’accents, simplification qui n’est pas à dédaigner pour l’écriture cursive. Il résulte de cette méthode une grande économie dans l’écriture et l’impression, comme on va en juger:

«Apres avoer rεconu (ami lecteur) sε cε j’avoe publie dε la Gramerε tan’ grecε cε latinε, j’e prin’ plezir a considerer selε dε ma patriε: dε lacelε (comε jε puis estimer par le’ livrε’ publies environ dεpui’ trent’ ans ensa) lε premier auteur a ete Jacε’ du Boes (Sylvius), exelen’ profeseur dε medεsinε, ci entr’ autre’ ξozεs a taξe a reformer notr’ ecriturε e la ferε cadrer a la parolε. Etienε Dolet a fet celcε trete, comε de’ poins et apostrofε: mes lε batiment dε set’ euvrε plu’ haut e plu’ maηificε, e dε plu’ riξε e divers’ etofε, e’ proprε a Loui’ Megret: Toutεfoes il n’a pas persuade a un ξacun sε c’il pretendoet touξan’ l’ortografε: Jacε Pelεtier a dεbatu sε point en deu’ dialogεs subtilεment e doctεment: Giλaumε des Autes (Autels) l’a fort combatu pour defendrε e meintεnir 193 l’ansien’ ecriturε. Le’ plu’ nouveaus ont evite setε controversε, e on’ fet celcε formε dε doctrinε ξacun a sa fantaziε, Jan Pilot en latin, com’ avoe’ fet Jacε’ du Boes au paravant, Robert Etienε en fransoes, le’celz tous jε louε et prizε ξacun pour son meritε, en sε c’ilz sε sont eforse dε nou’ doner sε pourcoe nous maηifion’ la langε grecε e latinε, s’et a dirε la loe dε bien parler.»

On jugera, par cette citation, des avantages et des vices du système de Ramus. Toute méthode phonétique doit être absolue comme son principe, pour remplir complétement son objet: la certitude de la prononciation, la facilité et la rapidité de l’écriture. Celle de Ramus ne l’est pas. Il eût fallu se décider, dans cette voie, à écrire prεmie, batiman, subtilεman, et non premier, batiment, subtilεment, comme le fait l’auteur; mintεnir, et non meintεnir. Autrement on laissé subsister, en même temps que le doute dans la lecture, toute la subtilité des distinctions d’origine et d’étymologie. L’écriture, d’un autre côté, comme l’ont si bien remarqué les sténographes, ne peut être facile et prompte qu’à condition de supprimer les levées de la main nécessitées par toutes ces apostrophes prodiguées par Ramus, plus longues à former que les lettres muettes dont elles tiennent la place. A ce point de vue, tout trait nouveau ajouté à une lettre entraîne un retard équivalant au bénéfice de la suppression d’une lettre ou d’un accent. Les réformateurs phonographes, y compris Ramus (excepté Domergue et Marle), ont reculé devant cette nécessité, inhérente à leur méthode, qui forcerait d’abandonner la marque du pluriel quand elle ne se fait pas sentir à l’oreille, et le public, avec son bon sens pratique, a dédaigné des systèmes entachés d’inconséquence, qui mutilaient la grammaire sans grand profit comme économie de temps et comme simplicité.

Pierre Ramus a le mérite d’avoir, deux siècles avant nos grammairiens et nos dictionnaires, distingué le v de l’u, le j de l’i, et ces deux consonnes ont porté longtemps le nom de consonnes ramistes, en souvenir de leur célèbre patron.

Dans l’édition de 1572, l’auteur, pour remédier sans doute à la difficulté que les gens du monde avaient éprouvée à lire son écriture, a placé dans une colonne en regard son texte orthographié selon la manière ordinaire.

194 Étienne Pasquier[135], dans une de ses «Lettres à M. Ramus, professeur du Roy en la philosophie et les mathématiques», combat avec raison l’excès dans lequel ce savant, renchérissant sur Meigret et Peletier, était tombé, en bouleversant notre orthographe, et, par suite de cet excès même, Pasquier se prononce encore plus fermement pour le maintien des anciens usages. Tel est l’effet ordinaire de toute exagération en matière de réformes.

[135] Les Œuvres d’Estienne Pasquier, 2 vol. in-fol., Amsterdam, 1723, t. II, p. 55.

On lira avec intérêt cette longue Lettre, où, après avoir réfuté le système de Ramus, il traite particulièrement des diphthongues. Malheureusement, nous ne possédons plus le texte original de Pasquier; mais dans l’impression, qui est de près de cent soixante-quinze ans postérieure à l’époque où il écrivait, on paraît s’être attaché en grande partie à suivre celle de l’ancienne édition. On en pourra juger par ce que je transcris ici de cette lettre, où d’ailleurs Pasquier consent que, «s’il se trouve dans notre orthographe quelques choses aigres, on y puisse apporter quelque douceur et attrempance».

«Or sus, je vous veux denoncer une forte guerre, et ne m’y veux pas presenter que bien empoint. Car je sçay combien il y a de braves capitaines qui sont de vostre party. Le premier qui de nostre temps prit ceste querelle en main contre la commune, fut Louys Meigret, et aprés luy Jacques Peletier, grand poëte, arithmeticien, et bon medecin, que je puis presque dire avoir esté le premier qui mit nos poëtes françois hors de page. A la suitte desquels vint Jean Antoine de Baïf, amy commun de nous deux, lequel apporta encores des regles et propositions plus estroites. Et finalement vous[136], pour clorre le pas, avez fraischement 195 mis en lumière une grammaire françoise, en laquelle avez encores adjousté une infinité de choses du vostre, plus estranges que les trois autres. Je dy nommément plus estranges; car plus vous fourvoyez de nostre ancienne ortographe (sic) et moins je vous puis lire. Autant m’en est-il advenu voulant donner quelques heures à la lecture de vos partisans. Je sçay que vostre proposition est trés-précieuse, de prime rencontre; car si l’escriture est la vraye image du parler, à quoy nous pouvons nous plus estudier que de representer par icelle en son naïf, ce pourquoy elle est inventée? Belles paroles vrayement. Mais je vous dy que quelque diligence que vous y apportiez, il vous est impossible à tous de parvenir au dessus de vostre intention. Je le cognois par vos escrits: car combien que vous décochiez toutes vos fleches à un mesme blanc, toutes fois nul de vous n’y a sçeu attaindre (sic): ayant chacun son orthographe particuliere, au lieu de celle qui est commune à la France. Comme de faict nous le voyons par l’Apologie que Peletier a escrit encontre Meigret, où il le reprend de plusieurs traits de son orthographe. Et vous mesmes ne vous rapportez presque en rien par la vostre à celle, ny de Meigret, ny de Peletier, ny de Baïf. Qui me faict dire que pensant y apporter quelque ordre, vous y apportez le desordre: parce que chacun se donnant la mesme liberté que vous, se forgera une orthographe particuliere. Ceux qui mettent la main à la plume prennent leur origine de divers païs de la France, et est mal-aisé qu’en nostre prononciation il ne demeure tousjours en nous je ne sçay quoy du ramage de nostre païs. Je le voy par effect en vous, auquel, quelque longue demeure qu’ayez faite dans la ville de Paris, je recognois de jour à autre plusieurs traits de vostre picard, tout ainsi que Pollion recognoissoit en Tite-Live je ne sçay quoy de son padouan. J’adjouste que soudain que chacun en son particulier se faict accroire estre quelque chose entre nous, aussi nous veut-il servir de mots non meilleurs, ains qu’il nous debite, par une faulse persuasion, 196 pour tels. Le courtisan aux mots douillets nous couchera de ces paroles, reyne, allét, tenét, venét, menét: comme nous vismes un des Essars, qui, pour s’estre acquis quelque reputation par les huit premiers livres du roman d’Amadis de Gaule, en ses dernieres traductions de Josephe et de Dom Flores de Gaule, nous servit de ces mots, amonester, contenner, sutil, calonnier, aministration. Ni vous ni moy (je m’asseure) ne prononcerons, et moins encores escrirons ces mots de reyne, allét, tenét, venét, et menét, ains demeurerons en nos anciens qui sont forts, royne, alloit, venoit, tenoit, menoit. Et quant à mon particulier, des à present, je proteste d’estre resolu et ferme en mon ancienne prononciation, d’admonnester, contemner, subtil, calomnier, administrer. En quoy mon orthographe sera autre que celle de des Essars, puis que ma prononciation ne se conforme pas à la sienne. Peletier, en son dernier livre de l’Orthographe et prononciation françoise, commande d’oster la lettre G des paroles esquelles elle ne se prononce, comme en ces dictions, signifier, regner, digne; quant à moy je ne les prononçay jamais qu’avecques le G. En cas semblable Meigret, en sa Grammaire françoise, escrit, pouvre et sarions; d’autant que vray-semblablement sa prononciation estoit telle, et je croy que celuy qui a la langue françoise naïfve en main, prononcera, et par consequent escrira pauvre et sçaurions. A tant puis que nos prononciations sont diverses, chacun de nous sera partial en son escriture. La volubilité de la langue est telle, qu’elle s’estudie d’addoucir, ou pour mieux dire, racourcir ce que la plume se donne loy de coucher tout au long par escrit. Et de fait, n’estimez pas que les Romains en ayent usé autrement que nous: car quand je ly dans Suetone qu’Auguste fust du nombre de ceux qui pensoient qu’il falloit escrire comme on prononçoit, je recueille que l’escriture ne symbolizoit (sic) en tout au parler, ains qu’Auguste, par une opinion particuliere, telle que la vostre, estoit d’un advis contraire à la commune, toutesfois si ne le peut-il gaigner: d’autant que du temps mesmes de Neron, Quintilian nous enseigne que l’on escrivoit autrement qu’on ne prononçoit.....»

[136] Il paraîtrait par ce passage que Pasquier n’avait pas connaissance de la première édition de la Gramère de la Ramée, publiée en 1562 chez Wechel, sans nom d’auteur: autrement il n’eût pas été assez injuste pour donner la priorité à la tentative faite par Jean-Antoine de Baïf dans les Etrennes de poezie françoise, dont le privilége est de 1571 et l’édition datée de 1574. L’antériorité de Ramus, appuyée sur le rapprochement des dates, ne saurait être un moment douteuse. D’ailleurs, dans l’énumération que ce savant fait, dans l’édition de 1562, de tous ses prédécesseurs dans la carrière de la réforme, énumération que j’ai transcrite plus haut (p. 192), il n’est nullement question de Baïf. Toutefois, dans sa seconde édition, datée de 1572, Ramus ajoute, après l’énoncé des écrivains indifférents ou même hostiles à ses idées, ce passage:

«Naguère I. A. de Baif a doctement et vertueusement entreprins le poinct de la droicte escripture, et la fort esbranlé par ses viues et pregnantes persuasions.»

Comme il ne peut être ici question de l’édition des Etrennes datée de 1574, c’est-à-dire mise au jour deux ans après la deuxième édition de la Gramère de la Ramée, il est à croire que le poëte Baïf aura publié quelque chose sur ce sujet dans l’intervalle compris entre 1562 et 1572, ou bien qu’il existe une édition des Étrennes publiée l’année même du privilége (1571) et complétement inconnue aux bibliographes.

La lettre de Pasquier se termine ainsi: «..... A quel propos donc tout cela? Non certes pour autre raison, sinon pour vous monstrer qu’il ne faut pas estimer que nos ancestres ayent temerairement orthographié, de la façon qu’ils ont faict, ny par 197 consequent qu’il falle (sic) aisément rien remuer de l’ancienneté, laquelle nous devons estimer l’un des plus beaux simulachres qui se puisse presenter devant nous, et qu’avant que de rien attenter au prejudice d’icelle, il nous faut presenter la corde au col, comme en la republique des Locriens: et à peu dire que tout ainsi qu’anciennement en la ville de Marseille ils executoyent leur haute justice avec un vieux glaive enroüillié, aymans mieux user de celuy-là que d’en rechercher un autre qui fust franchement esmoulu, aussi que nous devons demeurer en nostre vieille plume. Je ne dy pas que s’il se trouve quelques choses aigres, l’on n’y puisse apporter quelque douceur et attrempance, mais de bouleverser en tout et par tout sens dessus dessous nostre orthographe, c’est, à mon jugement, gaster tout. Les longues et anciennes coustumes se doivent petit à petit desnoüer, et suis de l’opinion de ceux qui estiment qu’il vaut mieux conserver une loy en laquelle on est de longue main habitué et nourry, ores qu’il y ait quelque defaut, que, sous un pretexte de vouloir pourchasser un plus grand bien, en introduire une nouvelle, pour les inconveniens qui en adviennent auparavant qu’elle ait pris son ply entre les hommes. Chose que je vous prie prendre de bonne part, comme de celuy, lequel, combien qu’il ne condescende à vostre opinion, si vous respecte-t-il et honore pour le bon vouloir qu’il voit que vous portez aux bonnes lettres. A Dieu.»

Henri Estienne. Traicté de la conformité du language françois auec le grec (sans lieu ni date, mais Genève, 1565), pet. in-8 de 16 ff. prél. et 159 pp.; Paris, Rob. Estienne, 1569, pet. in-8 de 18 ff. prél. et de 171 pp.; nouvelle édit., accomp. de notes, et précéd. d’une étude sur cet auteur, par L. Feugère. Paris, Delalain, 1853, in-8 de CCXXXVI et 223 pp.—Deux dialogues du nouveau langage francois italianizé, et autrement desguizé, principalement entre les courtisans de ce temps (Genève, 1578), pet. in-8 de 16 ff. prél. et 623 pp.; Anvers, Guill. Niergue, 1579 et 1583, in-16.—Proiet du liure intitulé de la Precellence du langage françois. Paris, Mamert Patisson, 1579, pet. in-8 de 16 ff. et 295 pp.; nouvelle édit. accomp. d’une étude sur cet 198 auteur et de notes, par L. Feugère. Paris, Delalain, 1850, in-8 de XLIV et 400 pp.—Hypomneses de gallica lingua peregrinis eam discentibus necessariæ; quædam vero ipsis Gallis multum profuturæ. (Genevæ), 1582, pet. in-8 de 6 ff. prél., 215 et 11 pp.

Quoique Henri Estienne, fils de Robert, par la disposition hellénique de son esprit[137] et sous l’influence de ses études, ait en général rapproché l’orthographe française de l’orthographe grecque, il reconnaît la nécessité de simplifier notre écriture. Dans son Traité de la conformité du language françois avec le grec, p. 159, il termine ainsi l’avis au lecteur:

[137] Son père lui fit apprendre le grec avant le latin.

«I’ay aussi vn mot à dire touchant l’orthographe de ce liure: c’est que ie ne l’approuue pas du tout comme elle est: ains que ma deliberation estoit de faire tailler quelques poinçons expres pour les lettres superflues quant à la prononciation, et toutesfois characteristiques. Mais ayant eu le temps trop court pour ce faire, i’ay remis telle entreprise iusques à l’autre liure françois promis ci-dessus: lequel surpassera ma promesse... s’il plaist à Dieu me prester la vie encores quelques mois.»

La multiplicité des travaux de Henri lui aura fait ajourner ce projet, car toute trace de ce passage a disparu dans les réimpressions de ce livre. Je le regrette, car je ne doute pas qu’il ne s’agisse ici de modifier le ch, ph, th, st helléniques, qu’il eût ramenés à des formes simples comme χ, φ, θ, ς.

Ce docte imprimeur a compris, mieux qu’on ne l’a fait de son temps, le mode de formation des mots que le français emprunte aux langues anciennes. Il a bien vu que blâmer et blasphémer sont un même mot βλασφημεῖν, l’un sous sa forme française, l’autre sous la forme grecque.

Bien qu’il ait fixé l’origine des mots suivants, il admet par renvoi seulement l’orthographe rigoureusement étymologique ainsi indiquée par lui dans la troisième colonne:

caresser de  χαρίζεσθαι charesser
cédule σχέδη schédule
199 cerfeuil χαιρέφυλλον cherfueil
chicorée κιχώριον cichorée
esquinancie συνάγκη squinancie
dyssenterie δυσεντερία dysentérie[138]
migraine haêmikrania hémicranie
orthographe ὀρθογραφία orthographie
fiole φιάλη phiole
seringue σύριγξ syringue
rime ῥύθμος{ rhythme
qu’il écrit rythme
autruche[139] ὁ στρουθός ostruche
sciatique[140] ἰσχιάς ischiatique

[138] C’est ainsi que ce mot devrait être écrit.

[139] Il écrit avec raison ostruche, ὁ στρουθός. Il écrit troter, raptasser, qu’il fait venir de ῥάπτειν; utilisant le z, il écrit gargarizer, ozeille, pezer, pindarizer, riz; il écrit mistère sans y, et sifler, que l’étymologie erronée qu’il invoque, σιφλοῦν aurait dû lui faire écrire avec ph.

[140] Il blâme dans cette orthographe la suppression, à contre-sens, de l’i.

Dans les mots dérivés du latin, il propose la suppression de certaines lettres muettes, abusivement employées de son temps sous couleur d’étymologie. Telles sont l dans chevaulx, animaulx, aulcun, maulx. «Notre au, dit-il, tient lieu du al primitif. Mais il faut conserver cet l dans coulpe (culpa), poulpe (aujourd’hui pulpe, de pulpa).» Comme Ronsard et autres, il écrit aureilles.

On voit par ces exemples quel esprit de sage critique et de fine observation philologique avait su déployer déjà le savant helléniste typographe qui nous a laissé, dans ses Dialogues du nouveau langage françois italianizé, un document si curieux pour l’histoire du français et un si brillant témoignage d’une érudition spirituelle et de bon aloi.

Jean-Antoine de Baïf. Etrénes de poézie fransoęze an vęrs mezurés. Paris, Denys du Val, 1574, pet. in-4, de 16 ff. non chiff. et 20 ff. chiff.

L’insuccès de ses devanciers ne rebuta pas ce poëte. Dans son système de l’orthographe il est plus novateur que Ramus, auquel il n’emprunte que ses lettres avec cédille (c, l, n). Il distingue trois e: bref (muet), long (ouvert), qu’il figure par un e avec cédille[141], 200 et commun (fermé) représenté par un e avec une apostrophe. Partant du principe que chaque son devrait être représenté par un signe particulier, il substitue aux diphthongues ou triphthongues œu ou eu, ou et au et eau, de nouveaux caractères inventés par lui. Le premier est un e dont le trait se prolonge de manière à former un v; le second ressemble au ȣ grec[142]; le troisième n’est que la lettre a modifiée de la même façon que l’e dans le cas précédent. Le c dur est remplacé par le k, et les consonnes h muet, q et x sont proscrites comme inutiles. Il est supérieur à Ramus en ce qu’il remplace partout em, en, par an. Il supprime comme lui les lettres doubles qui ne se prononcent pas; mais, pour les syllabes finales, il est moins phonographe que Ramus, et, sans faire, comme lui, disparaître la marque du pluriel, il se borne à remplacer l’e muet final par une apostrophe, lorsque le mot suivant commence par une voyelle. Ce qu’il y a de curieux dans son système, c’est qu’il écrit d’un seul mot les adverbes composés de plusieurs membres, mais exprimant une seule idée, comme ojȣrdui (aujourd’hui), tȣdemème (tout de même), tȣtalantȣr (tout à l’entour), sansèsse (sans cesse).

[141] Notre diphthongue ai est considérée par lui comme e long.

[142] Dans les idées phonographiques c’est une heureuse innovation. La voyelle que nous faisons figurer par le double signe ou, et qui n’est qu’un son simple, est représentée dans toutes les langues de l’Europe, excepté le grec, par un seul signe.

Il écrit duk d’Alanson, egzakte ekriture, élémans, anploiér, komansant.

A la fin de sa préface, il promet au lecteur un Avęrtisemant tant sur la prononsiasion fransoęze[143] ke sur l’art métrik, qui n’a point paru.

[143] A son époque l’oi se prononçait comme .

Honorat Rambaud, maistre d’eschole à Marseille. La declaration des abus que l’on commet en escriuant, et le moyen de les euiter et representer nayuement les paroles: ce que iamais homme n’a faict. Lyon, Iean de Tournes, 1578, pet. in-8, de 351 pp.

L’auteur de cet ouvrage, en créant, au grand étonnement de l’œil et sans grand profit pour la lecture, un alphabet de sa façon, où toutes les lettres sont changées, s’est efforcé de donner une 201 image d’une fidélité absolue de la prononciation. Voici comment il expose lui-même ses principes (p. 6):

«Vous sçauez bien, lecteurs, que l’escriture est le double et coppie de la parolle, et que le double doit estre du tout semblable à l’original. Tellement que tout ce qui se treuue en l’original se doit trouuer en la coppie, et rien plus: autrement la coppie est fausse. Par quoy faut conclurre que l’escriture doit estre totalement semblable à la parolle, et qu’en l’escriture se doit trouuer tout ce que la bouche a prononcé, et rien plus: autrement est fausse, et trompe les lecteurs et auditeurs, comme disent fort bien Quintilien, Nebrisse, et plusieurs autres, lesquels se faschent, et non sans cause, de ce que ne representons pas les parolles comme les prononçons, et semble que le facions par despit et tout expres, pour mettre en peine tous hommes, femmes et enfans, presens et aduenir. Les susnommés nous ont laissé par escrit plusieurs remonstrances qu’ils en ont faict, par lesquelles leur sommes obligés, et mesmes à Nebrisse, lequel nous donne esperance, disant, Quod ratio persuaserit, aliquando fiet. C’est à dire que: Ce que raison approuuera, en quelque saison se fera. Et pource que raison, dame et princesse des hommes, approuue et nous commande de representer les parolles tresnayuement et tout ainsi que la bouche les prononce, luy voulant obeïr, comme humble et tresobeïssant seruiteur, me suis efforcé, selon mon petit pouuoir, d’accomplir son commandement, comme verrez presentement, pourueu qu’il vous plaise lire et bien entendre mon dire.»

Il ajoute, p. 26: «Escrire est faire un chemin, par et moyennant lequel voulons conduire et guider nous mesmes, et les autres aussi. Et puis qu’il est necessaire que tous hommes, femmes et enfans, presents et advenir, y passent, il est tresnecessaire qu’il soit bien aisé. Et l’on a faict tout au rebours: tellement que peu de gents y peuuent passer: et quasi tous ceux qui y passent le font par contrainte et à force de coups. Et ie n’en parle pas par ouïr dire: car il y ia trentehuict ans que je contrains les enfans à passer par ledit chemin; durant lesquels ayant eu loisir de contempler les tourmens qu’ils endurent, et endureront, si l’on ne repare ledit chemin.....»

Dans l’extrait du privilége donné le 18 mai 1577 par le roi Henri III, on lit: «Notre cher et bien amé Honoré Rambaud... 202 ayant, pour la commodité d’un chacun qui voudra apprendre de luy et pour la sienne aussi, composé un alphabet de quelques charactères qui pourront seruir grandement à soulager les personnes, mesmes les petits enfans, de lire et escrire. L’inuention duquel Alphabet il luy a esté ja permis de faire imprimer et mettre en lumiere, tant à Tholouze qu’à Lyon...»

Ce qui dut contribuer surtout au peu de succès de l’écriture phonétique de Rambaud, c’est que dans son ouvrage elle représente, du moins je suis fondé à le croire, la prononciation française au seizième siècle dans le midi de la France.

Charles Nodier, oubliant qu’un art très-important, la sténographie, est fondé sur le perfectionnement de l’écriture phonétique, et qu’il a quelques chances de pénétrer dans l’éducation de la jeunesse, s’exprimait ainsi en 1840, à propos du livre de Honorat Rambaud:

«Le maître d’école de Marseille n’étoit pas un de ces révolutionnaires circonspects qui marchent à pas mesurés dans la réforme et qui soumettent le désordre et la destruction à une apparence de loi. Radical en néographie, il débute modestement par la suppression de l’alphabet, et lui en substitue un nouveau, composé tout d’une pièce pour cet usage. Cette manière de procéder prouve du moins que Rambaud avoit la conscience de son entreprise, et qu’il savoit apprécier à leur juste valeur les ridicules tentatives de ses prédécesseurs et de ses émules. Aussi n’hésiterai-je pas à le regarder comme l’homme de génie de la bande, et le seul qui offre dans son fatras quelques vues ingénieuses et fortes. La question de savoir si l’alphabet usuel est bon ou mauvais n’étoit pas difficile à résoudre; le fait est qu’il est détestable dans la figure des signes, dans leurs attributions et dans leur ordre, et qu’il en est de même de tous les alphabets anciens et modernes. Mais la difficulté n’est pas là. La difficulté n’est pas même de créer un alphabet meilleur que le nôtre, et besoin n’étoit pour cela des doctes labeurs d’un maître d’école. Le moindre de ses écoliers y auroit suffi de reste. Ce qu’il y a d’embarrassant, ce n’est pas de faire, tant bien que mal, une espèce d’alphabet rationnel et philosophique, propre à faciliter l’enseignement de la lecture et à rendre peu sensibles et même tout à fait nulles les équivoques et les ambiguïtés de l’orthographe. C’est d’appliquer cet alphabet à une langue écrite, sans altérer, sans détruire peut-être son esprit et son caractère. 203 C’est surtout de le faire accepter par le peuple auquel on le destine, comme la forme d’un chapeau ou la coupe d’un habit. Voilà ce qui n’arriva jamais, et ce qui jamais n’arrivera. La religion en sait, je crois, la raison. Si la philosophie en sait une autre, qu’elle la dise.» (Description raisonnée d’une jolie collection de livres, p. 83.)

Nodier, un peu injuste dans ses dédains irréfléchis, a oublié de dire que le digne maître d’école est le premier qui ait proposé et développé la nouvelle épellation: be, ce, de, fe, ge, le, me, etc.

Laurent Joubert, médecin ordinaire du Roi de France et du Roi de Navarre, premier docteur, régent, chancelier et juge de l’Université en médecine de Montpellier. Dialogue sur la cacographie fransaise, avec des annotacions sur l’ortographie de M. Joubert (par Christophe de Beauchatel) (à la suite de son Traité du ris. Paris, Nicolas Chesneau, 1579, pet. in-8 de 15 ff. prél., 407 pp. et 8 pp.)

On sait que le docte chancelier de l’Université de Montpellier, médecin ordinaire du roi Henri III, a pratiqué une orthographe réformée dans la plupart de ses ouvrages, dont plusieurs renfermaient des doctrines très-remarquables pour son temps. Homme d’esprit et de grand savoir, vir acuti ingenii, comme le qualifie Haller, il a combattu et détruit plus d’un préjugé scientifique, consacré par les siècles. La routine qu’il appelle cacographique présentait plus de résistance et a surmonté ses efforts.

A la suite de son Traité du ris, p. 376, Laurent Joubert a inséré un Dialogue sur la cacographie fransaize expliquant la cause de sa corruption. Les deux antre-parleurs (sic) sont Fransais et Wolffgang. Voici un spécimen de leurs propos qui donnera une idée de l’orthographe du savant docteur:

«Fransais..... Il y a ha defaut à ne pouvoir, ou ne savoir represanter par ecrit ce qu’on prononce; il y a ha du dommage bien grand, pour ceus qui veulet apprandre ce langage: d’autant qu’il leur faut à chaque mot une observacion, de savoir dissimuler quelques lettres an prononsant, lèquelles on ne veut toutesfois permettre ætre omises de l’ecrivain.

204 «Wolffgang. J’an ay eté an fort grand’peine, l’espace de sis ans, durant lequel tams j’ay merveilleusemant travalhé à comprandre la droite prolacion de ce langage, pour ansegner par apres les miens avec plus grande facilité. Car il y a ha plusieurs Alemans qui vienet an France expressemant pour apprandre sa langue: lèquels voyans l’ecriture si repugnante au parler, s’an degoutet, & perdet courage d’y proufiter, sinon par trop long tams. Car ils voyet qu’il faut oblier l’ecriture pour la bien prononcer, & la prolacion pour ecrire à la mode des Fransais. A cause dequoy certains princes d’Alemagne m’ont donné charge d’essayer à comprandre exactemant ce langage, pour le savoir par apres communiquer aus leurs, & an parlant, & an ecrivant, ainsi qu’il le faut prononcer. Et pource j’ay meprisé tous livres ecris an fransais, & me suis contraint d’apprandre le langage, an conversant familieremant avec ceus qui parlet mieus, observant træ-sogneusemant la vraye prolacion. De laquelle m’etant bien assuré, j’ay commancé d’exprimer par ecrit le naïf parler du fransais: de sorte que (à mon avis) le plus nouveau & etrangier, qui sache lire an latin, ou an autre langage de ceus qui uset de semblables lettres, il le prononcera dans peu de jours, aussi bien que moy. Ainsi j’espere de contanter ceus de ma nacion, qui attandet ce bien de moy: & par mæme moyen feray satisfaccion à la Fransaise, laquelle se peut plaindre que l’Alemande a causé la corrupcion de son ecriture.»

A la page 390 de ce volume, Christophe de Beauchatel, neveu et disciple de Joubert, a résumé ainsi «l’orthographie» de son maître:

«Premieremant il tient cette maxime qu’il faut ecrire tout ainsi que l’on parle et prononce, comme il èt trè-bien remontré an l’Apologie de son orthographie par Isaac, son fils ainé.

«..... M. Ioubert difere de ses predecesseurs, an ce principalemant qu’il ne change pas de lettres, qu’il ne tranche les siennes, ne les charge d’acsans, ne les marque de crocs, autremant que fait le commun: dont sa lettre èt fort courante et ne retarde point le lecteur.»

Claudii Sancto a Vinculo de Pronuntiatione linguæ gallicæ libri II, ad illustrissimam simulque doctissimam Elizabetham,205Anglorum Reginam. Londini, excud. Th. Vautrollerius, 1580, in-8, de 199 pp.

L’auteur de cette grammaire, Claude de Saint-Lien (a Vinculo), professeur de latin et de français à Londres, raconte qu’ayant été admis auprès d’Élisabeth, à Lewsham (cum tu nuper Lewshamiæ rusticareris), il l’entendit dans la conversation qu’il eut avec elle parler très-bien français. Il croit donc devoir lui dédier son Traité de l’orthographe, et prie la reine d’excuser sa hardiesse, en lui rappelant des souvenirs tirés de l’histoire ancienne.

Parmi les difficultés de l’orthographe, il cite surtout celle qui résulte de l’emploi du s au milieu des mots, difficulté que l’Académie fit cesser cent soixante ans après dans la troisième édition en supprimant les s parasites. Voici comment il s’exprime à ce sujet: «Quam crucem hæc litera fixerit auditorum animis, noverunt qui nostræ linguæ operam dederint.» Tels sont, comme exemple: désastre et folastre, etc.

Il signale surtout le grand nombre de lettres inutiles qui surchargent les mots et qui ne se prononcent pas. Aussi, pour faciliter la lecture et la prononciation, il place sous toute lettre inutile un point qui signale cette superfluité. Il écrit donc ainsi:

«Ceuḷx qụi m’entendeṇṭ sç̇aveṇṭ[‡] bien si je menṭs.»

[‡] ç̇: Dans l'original le point est placé sous le ç.

Quant à remplacer par un a l’e dans entendent, et écrire antandent, il s’y oppose, attendu que le son de l’e suivi de l’n est (ou du moins était) intermédiaire entre a et e.

̣

Il admet le ç et distingue les j des i et les v des u, et voudrait qu’on écrivît diccion et imposicion, et non diction et imposition.

Il désirerait que le k remplaçât le qu qu’il voudrait «voir exilé à jamais». Ses dialogues, placés sur six colonnes, sont curieux et pour l’orthographe et aussi pour les locutions qui sont encore usitées en Normandie. En voici un exemple:

Latine.D. Ut vales hoc mane?R. Non ita quidem ut vellem.

Antiqua orthographia.D. Comment vous portez-vous à ce matin?—R. Non pas si bien comme je voudrois.

Neotericorum.D. Comman’ vou’ porte’ vous à ce matin?—R. Non pa’ si bien comme je voudroé.

Authoris.D. Comment vous portez-vous à ce matin?—R. Non pas si bien comme je vouldroye.

Modus loquendi.D. Comman vou porté vouz à ce matin?—R. Non pas si bien comme je voudroé.

206 * Claude Mermet. La Pratique de l’orthographe françoise, avec la manière de tenir livre de raison... composé par Cl. Mermet, escrivain de S. Rambert en Savoie. Lyon, Basile Bouquet, 1583, in-16, de 315 pp.

Je n’ai pu prendre connaissance du contenu de cet ouvrage, qui paraît d’une assez grande rareté.

Montaigne, au verso du frontispice d’un exemplaire (appartenant à la bibliothèque de Bordeaux) de la cinquième édition de ses Essais, in-4, Paris, l’Angelier, 1588, a écrit quelques instructions pour l’impression d’une nouvelle édition.

Ces instructions ont été reproduites dans l’édition des Essais donnée par Naigeon (Paris, 1802, 4 vol. in-8). J’en extrais un passage relatif à l’orthographe:

«Montre, montrer, etc., escrives les sans s a la differance de monstre, monstrueus.

«Cet home, cette fame, escrives le sans s a la differance de c’est, c’estoit.

«Ainsi, mettes le sans n quand une consonante suit et aueq n si c’est une uoyelle; ainsi marcha, ainsin alla[144].

«Campaigne, Espaigne, Gascouigne, etc.; mettez un i devant le g comme a Montaigne[145].

«Mettez regles, regler, non pas reigles, reigler

[144] C’est ainsi que les Grecs font emploi du ν euphonique ἐστὶ, ἐστὶν.

[145] Cette prononciation devait être celle de la Gascogne.

Dans la suite de cet avis à l’imprimeur, Montaigne donne des instructions pour la ponctuation, pour l’emploi des lettres majuscules, qu’il réserve seulement aux noms propres; pour les dates, à mettre en toutes lettres et sans chiffres, et pour l’espacement des mots, etc.

Montaigne écrit ainsi les mots: come, differant (adj.), comancemans (au pluriel), lexamplere, lorthografe, imprimur, aus (aux), stile, deus (deux), paranthese, aueq. Dans beaucoup de mots il a devancé son époque, où l’on écrivait escript.

207 Par la manière dont il orthographie ces mots: come, home et fame, differant (adjectif), comancemans, paranthese, on voit qu’il voulait qu’on imprimât son livre d’une manière plus conforme à la prononciation;

Qu’il remplaçait dans les pluriels l’x par le s: aus, deus;

Qu’il simplifiait l’orthographe dans examplere, stile, ortographe;

Enfin que pour les mots monstre, monstrer, cest, pronom démonstratif, reigle, la correction qu’il indiquait a été adoptée par l’Académie.

Le manuscrit original déposé à la bibliothèque de Bordeaux, qu’un de mes amis vient d’y consulter, est écrit dans le même système: la suppression des doubles lettres inutiles, et l’emploi de l’a substitué à l’e, pour conformer l’écriture à la prononciation. (Voir App. E.)

De Palliot, secrétaire ordinaire de la chambre du Roy. Le vray Orthographe françois, contenant les reigles et preceptes infaillibles pour se rendre certain, correct et parfaict à bien parler françois. Paris, Nicolas Rousset, 1608 (priv. du 24 avril 1600), in-4 oblong de 35 ff. chiff. et 1 f. pour le privil.

Palliot, qui prend le titre de secrétaire ordinaire de la chambre du roi, est un ennemi acharné de toute innovation orthographique. Son argumentation reproduit, sauf la modération de la forme et l’élégance du style, celle de Pasquier dans sa lettre à Ramus (voir p. 194). Abandonnant ce que son émule appelle «la vraye nayveté de nostre langue», il tombe dans l’affectation et le langage pédantesque, dangereux écueil sur lequel était en péril de sombrer le génie de la Renaissance dans l’excès de son zèle de restauration archaïque, si Rabelais n’eût montré le ridicule de la verbocination latiale en la plaçant, d’une façon si comique, au VIe livre de son Pantagruel, dans la bouche de l’écolier limousin. On jugera la manière de raisonner de Palliot et son orthographe par la citation suivante:

«J’inféreray de là que, quelque confusion qu’il y ayt aux dictions proférées, la distinction s’en recognoist à l’orthographe bien reglé, dont le jugement et r’apport s’en fera (affin que ce ne soit 208 point une regula Lesbia, qui se conforme à la diversité de ses applications) sur la déduction de ses motz les uns des autres, par leurs conjugaisons et déclinaisons: ou sur la dérivation du grec et du latin, d’où nous tenons la plus-part de nos termes; voire que nous en tenons des lettres mesmes qui servent de toute notoire distinction en l’escriture, qui est néantmoins toute confuse en sa prolation. Ainsi le z que nous tenons des Grecz parmy nos lettres faict différer noz de nos: l’vn qui sera françois avec ce z, l’aultre qui sera latin avec son s. Ainsi que l’y adverbe de lieu en nostre langue vas-y fera la différence de l’i simple qui sera en latin impératif d’ire: i tu. Ainsi tenans et noz lettres mesmes et noz accentz et noz distinctions et punctuations, comme la plus-part de nos dictions, de ces langues certaines et reglées, la vraye pierre de touche, qui servira à faire recognoistre nostre orthographe plus reglé, sera à ces dérivations, et nous arrester en cela à ce qui en a esté suyvy jusques icy par toute l’antiquité, sans vaciller à l’inconstance et incertitude des nouvelles préscriptions de ces innovateurs, d’un tas de caractêres nouveaux, de nouvelles escrivacheries et telles autres broüilleries modernes, qu’ilz veulent mesmement fonder sur un pilotis si mal asseûré que seroit le commun langage, qui peut estre perverty et corrompu d’ailleurs, soit par l’asnerie des vns, soit par l’insolence des aultres, s’il n’est retenu en bride et en son entier par ceste antienneté d’escriture, sans laquelle nostre langage seroit mesmement desja autant dépravé que noz mœurs.

«..... Ainsi, l’vn de ces desordres provenant de l’aultre, je me serois indifféremment laissé porter de la compassion que j’avois de celuy de nostre orthographe, à la passion de veoir regner ces excês parmi nous, qui m’auroit faict ainsi transporter à les attacquer tout d’vne mesme escarmouche, jusques à charger aussi bien sur le mal-faire et mal-vivre comme sur le mal-dire et mal-escrire. Leur insolence m’ayant poussé à m’en stomacquer si insolemment que de n’avoir pas à moindre contre-cœur l’vn que l’aultre, dont les excez ne cesseront pas plus tost, que je cesseray incontinênt d’estre plus si excessif en telles criticques censures. Esquelles je suppli’ray que l’on ayt plustost esgard à ces recherches et galanteries des motz où je me suis donné libre carrière jusques au bout que non pas aux recharges et contre-battries des maulx, etc.....»

209 On voit par cette citation, qui eût été inintelligible si je n’avais pris le soin de la ponctuer à la manière actuelle, que l’orthographe de Palliot est aussi lourde et hérissée que son raisonnement et qu’ils sont l’un et l’autre entachés d’une affection aveugle pour les usages surannés.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

Robert Poisson. Alfabet nouveau de la vrée et pure ortografe fransoize et modèle sus iselui en forme de Dixionére. Dedié au roi de Franse et de Navarre Henri IIII, par Robert Poisson équier (Auvile) de Valonnes, en Normandie. Prezenté au roi par l’auteur, se 25 jour d’Aut l’an de Grase 1609. A Paris chez Jérémie Perier, livrère és petis degrez du Palæs, 1609, avec privileje du Roi, pet. in-8.

Parmi les pièces de vers en tête de cet ancien traité d’orthographe, où sont indiquées la plupart des modifications adoptées par l’auteur, on lit ce quatrain:

Vantez tant que voudrez de Ronsard les éqris,
De Ramus, Péletier, Baif, Robert Etiene,
Leurs réformassions d’ortografe ansiene,
Poisson en a l’onneur, le profit et le pris.
Apointons noise.

Plusieurs des changements qu’il indique ont été adoptés plus tard: telle est la suppression des s, des d, des p, etc. L’introduction qu’il propose du t surmonté d’un accent ^ pour indiquer la suppression de l’s, comme dans baston, dut être sans objet, puisque cet s est maintenant supprimé. Le seul signe nouveau qu’il introduit est un ch peu gracieux (nous le représentons par cꜧ[‡]), pour distinguer la prononciation du ch dans cher, qu’il écrit cꜧer, de écho, cꜧose de chœur.

[‡]ꜧ représente un h avec un crochet: h avec crochet

Au-dessous de chaque lettre de l’alphabet, il indique dans un quatrain sa valeur et l’emploi qu’il en fait, justifié, à la suite de chacun d’eux, par une longue liste d’exemples. Voici quelques-uns de ces quatrains:

210
Bé qi vaut le béta des Grez, et beth ébrieuze,
Je ne poze en tez mos qe sont les ensuivans,
Devoir, féve, février, car superstisieuze
I seroit comme à lævre, livrere & ovians[146].

[146] Dans ces trois mots, en latin labra, librarius et obviare, l’auteur prononçait donc le b comme v (comme le β en grec). Nous ne prononçons plus livraire, mais libraire, quoique nous écrivions et que nous prononcions livre; nous ne prononçons plus ovier, mais obvier.

Cꜧé
Cꜧé, nouvelle inventée æt propre et nésésére
Pour fére cꜧer, cꜧoisir, cꜧarité, cꜧicꜧe, cꜧois,
Car ch a un son totalement contrére.
Preuve: écho, cheur, et chorde, écholier, échosois.
Dé jamés ne se doit prononser ni écrire
En ses mos: avocat, ajourner, ni avis,
Avouer, avenu: car leur son il empire,
Més admettre, admirable, avec lui bien écris.
Fé vaut la fi des Grez, et bien ne se peut prendre
Pour les ph, ainsi comme font les Latins,
Et des nôtres seus là, qi deus se veulent rendre
Les vrez imitateurs, se faizant mal aprins.
Si bien et^oient écris ainsi philozophie,
Phosion, nimphe, phlegme, et phare, et phrijien,
Aussi bien le seroient phransois, philh’e, pholie,
Qe jamés on ne vit écris par se moien.
Hé pour lettre æt^[‡] isi non aspirassion
& ou n’en æt^ bezoin jamés je ne l’apliqe,
Jécri ’ommaje, ’onneur, ’omme, en sete façon,
Non homme, non honneur, comme on fet à l’antiqe.
211
Apres l, je la més pour bien écrire filh’e,
Pilh’ard, perilh’eus: qi n’auroient autrement
Qe le propre son q’a vile, indosile, abile.
D’autant que la double ll ni fet le beg’ement.

[‡]t^ représente un t avec un accent circonflexe dessus.

Ka, Qé ou Cu
Ké æt^ réprézenté desous triple figure
Q’on prenoit si devant pour trois lettres formal (sic),
Car elles n’ont q’un son, q’un ton, q’une mezure,
Leur pourtret seulement se rencontre in-égal.
Més pour ofenser moins la vieille uzaje mæme
Et ne poin égarer les lizeurs mal instruis,
Par sete , jécri keur, kalendrier, karæme,
Ainsi contre, couleur: ainsi qiqonqe et qis.
Lé ou el
Lé ou el, je n’i més jamés superflüment
Cõme en ses mos suivans: sieus (cieux), mieus, fourmile, vile,
Poudre, outre, moudre, veut, peut, et pareillemẽt
Pélétier, apelant; la double æt^ inutile.
Mé ou em
Mé ou em, nous trouvons æt^re mieus jéminëe
En ses mos: Romme, somme, ’omme, pommier, sommier,
Car la prolassion en æt^ mieus ordonnëe,
Nous écrivons à tard (sic): ’ome, some, pomier.

Selon lui, l’n et le p ne doivent pas être doublés dans certains mots, comme dans aviéne, miéne, tiéne; et dans apointer, apelant, aparant; selon lui aussi on doit écrire rétorique, réteur.

Sé ou es
Sé ou es ne si met jamés isi pour zedde
Comme en ses mos: dézert, dezir, maizon, raizon,
Tout de mæme la ké (le c) jamés ne lui fet edde,
Comme en seus-si: Fransois, léson, ranson, fason.
212
Té ne si voit jamés pour le son de fére,
Comme à devotieus, gratieus, otieus,
Pronontiation, pétition: me tére,
D’ortografe si fause, en se lieu je ne peus.

Pierre le Gaygnard. L’Apprenmolire françois, pour apprendre les ieunes enfans et les estrangers a lire en peu de temps les mots des escritures françoizes, avec la vraye ortographe françoize. Paris, Jean Berjon, 1609, in-8.

L’auteur réforme à sa manière l’orthographe sans introduire de nouveaux signes. Son ouvrage, écrit de la façon la plus confuse et d’un style boursouflé et pédantesque, se refuse à toute analyse.

Étienne Simon, docteur-médecin. La vraye et ancienne orthographe françoise restauree. Tellement que desormais l’on aprandra parfetement à lire et à escrire et encor auec tant de facilité et breueté que ce sera en moins de mois que l’on ne faisoit d’années. Paris, Jean Gesselin, 1609, in-4 de 14 ff., 680 pp. et 7 ff. de table.

Simon est un réformateur hardi; mais, voulant éviter de créer de nouveaux signes ou d’employer les accents déjà connus de son temps, il s’est jeté, pour figurer la prononciation, dans une voie plus mauvaise qu’aucun de ses devanciers; il redouble les voyelles et les consonnes de la façon la plus fastidieuse, sans parvenir à distinguer la valeur phonique des syllabes.

Voici un exemple tiré des poésies de du Bartas:

Profane qi t’anqieers qeel important afeere
Peut l’esprit et lees meins de sse Dieu ssoliteere
Occupeer ssi long tans? Qeel ssoussi l’eexerssa
Durant l’eeternite qi sse tout deuanssa?
Veu q’à ssi grand puissansse, à ssi grande ssajeesse,
Rien ne ssied point ssi mal, q’une morne pareesse,
Ssache, o blasfeemateur, q’avant sseet univeers
Dieu baatissoeet anfeer, pour punir les peerueers
Dont le ssans orgeilheus an jugemant apeele
Pour ssanssureer sees fees la ssajeesse eetérneelle.

213 Malgré les vices évidents d’un tel système, il faut reconnaître une bonne inspiration dans la simplification du double signe qu en q, et dans la permutation du signe binaire ge en j.

* Claude Expilly, président au parlement de Grenoble. L’Ortographe françoise selon la prononciation de notre langue. Lyon, 1618, in-fol.

Malgré toute l’obligeance qu’ont mise dans leurs recherches MM. les conservateurs de notre Bibliothèque impériale, de celle de Sainte-Geneviève, de la Mazarine, de l’Arsenal, de l’Institut de France et autres grandes bibliothèques de Paris, il m’a été impossible de me procurer cet ouvrage. J’ai eu recours alors à M. Monfalcon, conservateur de la bibliothèque de Lyon, espérant que le livre imprimé en cette ville s’y trouvait; les recherches ne se sont pas bornées à la bibliothèque de Lyon, et se sont étendues à deux autres grandes bibliothèques, mais inutilement. Ce livre in-folio d’un savant distingué, et que M. Brunet déclarait être devenu rare, serait-il devenu introuvable?

Jean Godard. L’H françoise. Lyon, 1618, in-12 (et aussi à la fin de sa Nouvelle Muse, Lyon, Cl. Morillon, 1618, pet. in-8).—La Langue françoise de Iean Godard Parisien: ci-devant lieutenant General au Bailliage de Ribemont. Lyon, Nicolas Jvllieron, 1620, in-8.

Jean Godard, à la fois érudit et d’un esprit enjoué, dédie à du Vair, garde des sceaux de France, un traité de la langue française plus particulièrement consacré à l’orthographe et qui contient des détails instructifs. Sans qu’on puisse le déclarer novateur, puisque alors une grande liberté orthographique était admise, on jugera de celle qu’il adopte dans son livre et de l’esprit dans lequel il est écrit. Je me bornerai à reproduire le chap. VI, consacré à l’A, p. 61, et le ch. IX, p. 91, consacré à l’F françoise. Mais, comme entrée en matière, voici ce qu’il dit au chapitre de l’S:

«Ce ne m’êt pas vn petit contentemãt que Pollio ait bien daigné faire en la langue latine deuant moi, ce que ie fais en la langue françoise aprés luy, ecriuant des traitez sur nos lettres, 214 comme il fit sur les lettres latines. Mais ancore, mon contantemant redouble quand ie viens à considerer que Messala, grand au barreau, grand à la guerre, homme de langue et de main, avocat et capitaine, se contanta bien de laisser par ecrit[147] vn liure de l’S latine sans toucher aux autres lettres. Car il samble par là que c’êt vne jantille et genereuse[148] entreprise, de traiter la plus grande part de nos lettres, puisque vn si grand personnage a creu qu’vne seule lettre peut seruir de carriere à un bel esprit, pour y faire sa course, et pour amporter la bague que les Muses donnent à leur cavalier, qui court le mieux dans leurs lices. Mais cette ioye êt suyuie de la tristesse que j’ay de ce que nous n’auons pas ces deux ouurages de ces deux grãs Romains. Ie n’aurois point de peur de m’egarer, ie ne crandrois ni vãt ni vague, si ie les voyois marcher deuant moi ou tenir derriere moi le timon desus la poupe. N’estoit que nos Muses francoises cherissent leurs bonnes seurs, ie les accuserois volontiers de neglijance, et d’auoir permis au Tans par leur mausoin d’anlever de leur cabinet deux ioyaux si precieux et deux pieces si belles. Il ne nous reste de leur nom que la seule souuenance, et du desir de les voir que le regret de leur perte.»

[147] Dans beaucoup de mots, Godard a devancé son époque, où l’on conservait cette forme: escript.

[148] Puisqu’il écrit jantille, jans, neglijance, il aurait dû remplacer partout le g doux par j.

LA françois.

«Nous auons assez demeuré deuant le logis; il êt bien tans que nous antrions dans la maison, où nôtre langue françoise nous attand de pié ferme. Voici l’vn de ses jans qu’elle anuoye au deuant de nous. C’êt son A qui nous ouure la porte, et qui vient pour nous receuoir. Car c’êt luy qui a la charge d’accueillir les amis et les etrangers qui veulent venir visiter sa maitresse. Saluons-le: mais plutôt ecoutons comme il nous salue luy même d’vne voix claire, argentine, eclatante. C’êt le capitaine de tous les caracteres de la langue Françoise, et certes meritoiremãt. D’autant qu’il tient cette charge plus par merite que par faueur, passant en grace de beauté et en vigueur de force naturelle tous les autres caracteres, qui sont assez honnorez de suyure son etandard. Car autant que les voyelles passent les 215 consonnes, l’A passe autant les voyelles: à cause que sa pronontiation êt plus mâle, plus franche, plus haute, et plus aigue, que celle de toutes les autres voyelles. Il veut son passage libre et que la bouche luy fasse place à leures ouuertes, quand il luy plait de sortir. Il êt fort, il êt valeureux, il êt bruyant. C’êt luy qui fait nos chamades, nos chariuaris, nos tintamarres. Comme prince et capitaine il a de la majesté sur les siens, et de l’espouuante sur les autres. Anciennement, à cause de cela, quand il faisoit sa demeurance en Grèce, il etoit fort cheri et fort honnoré des Lacedemoniens, les plus guerriers de tous les Grecz. Car il batoit leurs annemis par l’oreille de la seule pronontiation de leur nom, qu’il armoit et randoit epouuantable, par la pointe de son seul son. C’êtoit sur cet estoc que brilloit l’émeri des Antalcidas, des Brasidas, des Isadas. Mais ce sont plutôt effetz de valeur que d’affection de carnage. Car au reste il êt plein d’vne grande courtoisie et d’vne grande bonté. On ne doute point que ce ne fût luy qui sauuoit les criminelz à Rome plus souuant que les vestales. Aussi ces pauures criminelz cherissoient et benissoient autant cette lettre-là, qu’ilz redoutoient et detestoient le C, lettre de condamnation, de malheur et de malle heure. La langue françoise, reconnoissant son merite ancore mieux que la gréque et la latine, l’amploye en beaucoup de charges. Car outre ce qu’elle l’a fait la première de ses lettres, elle l’a fait ancore article, verbe, et preposition. Premieremant, di-ie, il êt article, voire article si general, qu’il a lieu au singulier et au pluriel, et autant au genre feminin qu’au masculin. Car nous disons, il êt à Pierre, il êt à Perrette. J’en ai parlé à quelques-vns; j’en ai parlé à quelques-vnes. Mais il ne sert pas seulemant en cette façon-là d’article à nôtre langue, pour ses noms, pronoms et participes; il sert ancore d’article à l’infinitif de nos verbes, et prand lors le lieu et la signification de l’article de: comme en ces examples, ie commence à lire, ie commance à comprandre, c’êt à dire, ie commance de lire, ie commance de comprandre. Ainsi nous disons, Nicolas tâche à paruenir, c’êt à dire, de paruenir. Il êt preposition et tient en nôtre langue la place de la preposition latine ad, en plusieurs façons de parler comme aux suyuantes: Le roi a enuoyé des ambassadeurs à l’ampereur. Rex misit legatos ad imperatorem. Ad quem finem, à quelle fin. Je retourne à mon propos, ad propositum redeo. Aucune fois il tient le lieu de la preposition latine in, comme ici: Manet in nostris ædibus, il demeure à nôtre maison. Je ne veux pas nier qu’on ne puisse pas 216 bien dire aussi: il demeure en nostre maison. Mais neammoins la premiere façon parler me samble plus nayue et plus douce, comme il se pourra peut-être montrer en vn autre androit. Mais outre cela il se prand aussi quelquefois pour cette dictiõ françoise pour. Car quand nous disons, à dire vrai, à prandre l’affaire de bon biais, c’êt à dire, pour dire vrai, pour prandre l’affaire de bon biais. Nous le mettons ancore bien souuant au lieu de la preposition auec, comme quand nous disons: c’êt un fruit qu’il faut cueillir à la main, on le court à toute force, c’êt à dire, cueillir auec la main, on le court auec toute force. Sa derniere signification, c’êt qu’il êt verbe comme j’ai dit. Car il signifie cette troisiéme personne habet, comme en cet example: Pierre a le liure que vous cherchez. Mais au reste il suit la premiere personne au singulier, et la troisième personne au pluriel du preterit indefini de nos verbes, que nous pouuons appeller aoriste, à la façon des Grecz, empruntant ce terme-là d’eux. Je parle des verbes qui font leur infinitif en er; car il faut dire, j’aimé, tu aimas, il aima, nous aimâmes, vous aimâtes, ilz aimerent, et non pas, j’aima, ilz aimarêt. Neammoins qui voudra pourra bien aussi, ce me samble, ecrire, j’aimai. Quant à ces autres voix, nous aimissions, vous aimissiez, qui sont du même verbe, c’êt ainsi qu’il faut dire, à mon auis, plutôt que, aimassions, aimassiés[149], qui au hasard pourroient être tolerables. Toutefois ne les condannãt pas, ie ne veux pas aussi les absoudre.»

[149] Cette observation ne manque pas de justesse. Quoi de plus fâcheux que l’existence de ces imparfaits du subjonctif en assions, assiez, que nos grammairiens nous enjoignent d’employer, et dont personne n’ose se servir, ni dans le discours, ni dans les livres, afin de ne pas blesser les oreilles délicates.

LF françoise.

«Voici la pauure déualisée, qui se plaind, et qui a iuste cause de se plaindre du tort qu’on luy fait, de lui ôter ce qui luy appartient. Mais ce qui la fâche ancore dauantage, c’êt que ce tort là, qu’on luy fait, viẽt d’un autre tort precedant, qu’elle souffre auec impatiance, pource que il touche à sa reputation. Et tout ce mal luy viẽt, à cause qu’on lui impute la faute d’autruy, ayãt êté condamnee sans être ouye. Mais le bon droit de sa cause luy conseille d’être appellante de la sentance que l’vsage a randue contre elle et de releuer son appel au siege de la Raison, où sans doute les griefs que luy 217 fait l’vsage luy doiuent être reparez. C’êt un tort manifeste qu’on luy fait de la priuer de ses droitz, et de luy ôter ce qui luy appartient, sous couleur qu’on luy veut faire accroire qu’elle n’êt pas capable d’en iouyr, la chassant de chez elle, et mettant des etrangers en sa maison. Car à toute heure l’vsage la chasse de sa place, et met un P et vne H en son lieu, par toutes les dictions gréques, desquelles nous nous seruons. C’êt un abus en nôtre langue, qui proviẽt de l’example et de l’imitation des Latins, qui en ce voyage-là nous seruent de mauuais guides, et nous détournent du grand chemin. Quelque artifice que la langue latine puisse auoir iamais eu par l’industrie de ses orateurs et bien disans, si êt-ce pourtant que la nôtre en cet androit la passe beaucoup par sa douceur naturelle. Car les Romains n’ont iamais eu, comme nous auons, aucune lettre qui ait peu exprimer seule la nayueté et la douceur du Φ des Grecz. Cette difficulté là les a long tans tenus en peine de chercher le moyen d’y paruenir. Mais ilz n’en sont iamais venus à bout. Car ce seroit bien se tromper, de croire que l’F latine ait le son du Φ. Si cela eût été, les Romains n’eussent pas manqué d’amployer et de mettre en besogne leur F, laquelle êt de son naturel si rude et si âpre, qu’il n’y a point de lettre qui le puisse être dauantage. Quintilian s’en plaind bien fort[150]: d’autant que ce n’êt pas vne voix, mais plutôt vn sifflemant qu’on pousse et met dehors à trauers les dantz, que les Romains tenoient serrées en faisant ce soufflemant ou ce sifflemant, comme des serpans ou des oyes. Voilà pourquoi, a mon auis, Ciceron dit que c’êt vne lettre fort deplaisante. Cette F romaine, dont le son êt si desagreable et si sifflant, êtant toute éloignée de la douce voix du Φ, et n’ayant rien de commun ni de samblable auec luy, n’a iamais osé se presanter pour le represanter. Les anciens Latins voyant cela, et qu’il n’y auoit aucune correspondance de l’vne à l’autre, ne peurent trouuer aucune lettre chez eux, plus approchante du Φ que leur P: occasion qu’ilz l’amployerent au commancemant au lieu 218 du Φ, et disoient, tropæum, triompus. Mais il êt vrai que c’etoit cette lettre latine qui approchoit le plus du Φ: neanmoins elle en êtoit toûiours si loing qu’elle ne pouuoit pas l’approcher. Cela fut cause que, l’oreille s’offansant d’une telle pronontiation, qui n’auoit aucune iuste proportion ni conuenance auec la gréque, les Romains furent contraintz d’ajoûter une H à leur P, pour represanter par ce moyen, le mieux qu’ilz pouuoient, la force et la pronontiation du Φ; ce que Ciceron fut luy-même forcé de faire, comme les autres, se laissant amporter à l’vsage, qui êtoit appuyé sur la douceur de la pronontiation et sur le iugemant de l’oreille. Nôtre vulgaire suyuãt cette façon romaine s’êt fouruoyé, prenant vn long détour, au lieu du grand chemin plus court et plus assuré. Car puisque nôtre F êt toute douce, qu’elle a le son du Φ des Grecz, et rien de l’âpreté de l’F latine, nous deuons nous en seruir aux mots grecz, et non pas du P et de l’H, à l’example des Romains, duquel nous n’auons que faire. On ne doit iamais mandier d’autruy ce qu’on a dans la maison. C’êt manque de iugemant ou pure moquerie aux sains de chercher guerison et aux riches d’amprunter. Quant à moi, c’êt bien mon auis que l’F françoise soit reintegree dans tous les lieux et dans toutes les places gréques desquelles le P et l’H l’ont chassee par voye de fait, sous la faueur de l’vsage, qui, pour ce faire, leur a preté main forte. Ce sera chose plus gratieuse que nôtre ortografe soit françoise; il nous sera plus commode d’écrire vne lettre que deux; et sera plus raisonnable de randre à nôtre P ce qui luy appartient. Voila pourquoy nous la deuons remettre et rétablir en ses droitz, puisque la bienseance le requiert, la commodité le persuade et la raison l’ordonne. Ie croi qu’ainsi le prononceroit l’equité, même par la bouche des peuples les plus etrangers. Car qui a l’eil capable de iuger du blanc et du noir, il a l’esprit capable de prandre connoissance et de iuger du tort qu’on fait à nôtre F, tant il êt manifeste et palpable. A plus forte raison doit-elle obtenir sa reintegrande, par le iugemant de la France, puisque la raison y êt, et puisque la France êt si obligee à cette F-ci, qu’antre toutes les lettres qui luy ont donné un nom si glorieux, c’êt sa principale marraine. Sa douce nayueté, qu’elle prete à l’F latine, lorsque nous prononçons le latin, en adoucit beaucoup ce langage-là, qui n’a pas de luy-même vne pronontiation si douce, pour le regard de cette lettre-ci, ni en tout et par tout vne voix si douce que le nôtre, pour le regard 219 du general. C’êt bien vne mauuaise fortune à nôtre F, qu’elle adoucit celle des Latins, et cepandant son malheur vient de l’F latine: tandis qu’on pratique en la nôtre iniustemant, ce qui êt raisonnable en l’autre, et tandis que la nôtre luy tandant du bien auec la main droite, l’autre luy rand du mal avec la main gauche. Mais au moins la pauurette a cette consolation en son infortune, que l’F latine, qui êt cause qu’à tous coûs elle êt mise hors de sa maison, êt elle-même à toute heure bannie de son pays. Car son apreté la rand si odieuse à ceux de sa langue même, aussi bien qu’aux autres peuples, qu’ilz la chassent et bannissent à tout propos. Car les Romains les premiers, annuyez de sa dureté farouche, l’ont chassée de plusieurs motz, comme de ceux-ci fordeum et fœdus; car au bout d’un tans ilz aimerent mieux dire, hordæum et hœdus. Autant en ont fait les Espagnols et les Gascons, qui presque en toutes les dictions qu’ilz tiennent des Latins ont chassé l’F dehors, et mis l’H en son lieu, comme fait aussi quelquefois la langue françoise, même en ce mot hors, qui vient de foris; étant iugé par la voix commune de tous les peuples, que l’aspiration êt beaucoup plus douce que l’F latine. Mais ayant fait elle seule toute la faute, elle fait pourtant souffrir à la nôtre grand’part de sa punition.»

[150] Quintilien, après avoir regretté l’absence en latin des lettres grecques φ et υ, s’exprime ainsi: «Quæ si nostris literis (f et u) scribantur, surdum quiddam et barbarum efficient, et velut in locum earum succedent tristes et horridæ quibus Græcia caret. Nam et illa quæ est sexta nostratium (f) pœne non humana voce, vel omnino non voce potius, inter discrimina dentium efflanda est; quæ etiam cum vocalem proxima accipit, quassa quodammodo, utique quoties aliquam consonantem frangit, ut in hoc ipso frangit, multo fit horridior.» (Inst. orat., XII, 10, 28, 29.)

Charles Sorel, auteur de la Bibliothèque françoise, semble s’être prononcé pour la réforme dans le passage suivant du livre V de l’Histoire comique de Francion, Paris, 1622, in-8.

La scène se passe chez un libraire de la rue Saint-Jacques, où se réunissent quelques poëtes du temps pour lire leurs vers et discuter sur les principes de la langue poétique.

«Ils vinrent à dire beaucoup de mots anciens, qui leur sembloient fort bons et très-utiles en notre langue, et dont ils n’osoient pourtant se servir, parce que l’un d’entre eux, qui étoit leur coryphée (Malherbe), en avoit défendu l’usage. Tout de même en disoient-ils beaucoup de choses louables, nous renvoyant encore ce maître ignare dont ils prenoient aussi les œuvres à garant, lorsqu’ils vouloient autoriser quelqu’une de leurs fantaisies. Enfin il y en eut un plus hardi que tous, qui conclut qu’il falloit mettre en règne, tous ensemble, des mots anciens que l’on renouvelleroit, ou d’autres que l’on inventeroit, selon que l’on connoîtroit qu’ils 220 seroient nécessaires; et puis, qu’il falloit aussi retrancher de notre orthographe les lettres superflues, et en mettre en quelques lieux de certaines mieux convenantes que celles dont on se servoit; car, disoit-il, sur ce point, il est certain que l’on a parlé avant que de sçavoir écrire, et que, par conséquent, l’on a formé son écriture sur sa parole, et cherché des lettres qui, liées ensemble, eussent le son des mots. Il m’est donc avis que nous devrions faire ainsi, et n’en point mettre d’inutiles; car à quel sujet le faisons-nous? Me direz-vous que c’est à cause que la plupart de nos mots viennent du latin? Je vous répondrai que c’est là une occasion de ne le suivre pas: il faut montrer la richesse de notre langue et qu’elle n’a rien d’étranger. Si l’on vous faisoit des gants qui eussent six doigts, vous ne les porteriez qu’avec peine et cela vous sembleroit ridicule. Il faudroit que la nature vous fît à la main un doigt nouveau ou que l’ouvrier ôtât le fourreau inutile; regardez si l’on ne feroit pas ce qui est le plus aisé. Aussi, parce qu’il n’est pas si facile de prononcer de telle sorte les mots que toutes leurs lettres servent, que d’ôter ces mêmes lettres inutiles, il est expédient de les retrancher. En pas une langue vous ne voyez de semblable licence, et, quand il y en auroit, les mauvais exemples ne doivent pas être suivis plus que la raison. Considérez que la langue latine même, dont, à la vérité, la plupart de la nôtre a tiré son origine, n’a pas une lettre qui ne lui serve.»

De l’Orthographe françoise, à la fin de l’ouvrage intitulé: Le Grand Dictionnaire des rimes françoises selon l’ordre alphabetique (dissertation attribuée à Pierre de la Noue, Angevin). Geneve, Matthieu Berjon, 1623, pet. in-8.

L’auteur est un néographe modéré. «Ie sçay, dit-il, qu’il semblera à beaucoup trop audacieuse entreprise de blasmer ce que la plus part trouuent bon.» Il n’a pas l’intention de condamner purement et simplement notre orthographe, mais de «l’étaler à la vue» en en notant les défauts, de façon que chacun en soit juge. Il ne doute pas que, si l’on se décidait à une réforme aussitôt qu’on aurait reconnu le besoin que nôtre écriture en a, en peu de temps nous écririons «plus proprement et plus brièvement». Ce serait au grand bénéfice de nos voisins, qui, apprenant notre langue artificiellement, la parleraient comme nous la parlons et 221 non comme nous l’écrivons. En effet, bien que notre commerce leur fasse corriger beaucoup de mots, il leur en reste tant de vicieux qu’il semble souvent qu’ils parlent un autre langage, bien qu’ils aient appris ce que nous leur enseignons. Il ne faudrait pas dire qu’un tel inconvénient résulte d’une mauvaise prononciation locale, «car l’escriture est une image de la parole, comme la peinture des corps visibles. Or est-il que celuy qui a bonne veuë voyant un asne peint en un tableau seroit bien asne luy mesme s’il le prenoit pour un cheual: aussi ceux qui donnent aux lettres la mesme vertu que nous leur attribuons en nostre alphabeth (chose qui tient semblable rang pour l’intelligence de ce qui est escrit, que fait la veuë pour les pourtraits), s’ils lisoyent un mot pour l’autre, ils seroyent à bon droit reprehensibles: mais si nous mesmes leur escrivons ou par maniere de dire leur peignons un asne pour leur faire accroire apres que c’est un cheual, ie ne sçay comment nous pouuons excuser nostre tort.»

Antoine Oudin, secrétaire interprète du roi. Grammaire françoise, rapportée au langage du temps. Paris, 1633, in-12; nouvelle édition, revue et augmentée. Douay, veuve Marc Wion, 1648, in-12, de 4 ff. prélimin. et 288 pag.

Oudin, qui suit l’orthographe de Robert Estienne dans ses dictionnaires, est un adversaire déclaré de la réforme phonographique. Voici l’avis à ce sujet qu’il a placé à la fin de sa Grammaire:

«Ie m’estonne de quelques modernes qui, sans aucune consideration, se sont meslez de reformer, mais plustost de renuerser nostre orthographe; et, bien que leurs escrits, dignes d’admiration, tesmoignent vn grand iugement, ce defaut, qui en rabbat une bonne partie, nous descouure de la presomption ou de la broüillerie.

«Ie ne m’attache pas à vn seul: Il y en a trop qui pechent maintenant en cela. Mais je rougis pour des pedants, qui, sortis des frontieres où le parler n’a point de raison establie, nous donnent à connoistre qu’ils sont plus habiles en latin qu’en leur propre langue.

«Qui sera-ce d’entre-eux qui, bannissant les lettres radicales, vray fondement de l’origine de nos dictions, nous tirera des 222 confusions où nous iette leur impertinente façon d’escrire qu’ils accommodent à la prononciation? Comment discernera-on an (annus) d’auec en (in), preposition; amande (amigdala) et amende (mulcta); accord (contractus) et accort (prudens); ambler, aller à l’amble (tollutim incedere), et embler (furari); autel (altare) et hostel (domicilium); aulx, pluriel d’ail (allium), et os (ossa).—Balet (genus choreæ) et balay (scopæ).—Chaisne (catena) et chesne (quercus); cents (centum) et sens (sensus); clerc (clericus) et clair (clarus); chœur (chorus) et cœur (cor); comte (comes), compte (computatio) et conte (narratio); ceps (compedes), seps (vites).

«..... Fraiz (sumptus), frais (recens); lacer (ligare), lasser (fatigare); lys (lilium) el licts (lecti); MEURS (maturi) et mœurs (mores); nœud (nodus) et NEUF (nouus ou nouem); or (aurum) et ORD (sordidus); quoy (quid) et coy (quietus); rets (retia), rais (radius), rez (rasus).

«Seur (securus), sœur (soror) et sur (super); SIX (sex) et sis (iacens); souris (mus) et sousris (subrisus). Teint (color vultus) et thim (thymus). Vœu (votum), VEU du verbe voir (visus).

«Et vne infinité d’autres, qui, s’escriuans d’vne mesme sorte, nous embroüilleroient estrangement.

«Il est bien vray que les habiles qui sont ennemis des nouueautez et de telles ignorances, escriuent indifféremment plusieurs paroles françoises, comme connoistre et cognoistre, proufit et profit, souscrire et soubscrire, debuoir et deuoir. Encore voudrois ie qu’on obseruast en ces derniers vne différence, car deuoir sans b se rapporte à officium et l’autre à debere; distiller et distiler, porreaux et pourreaux, etc.

«D’auantage on retrenche maintenant beaucoup de lettres qu’on escriuoit autresfois sans aucune raison, comme le b de prestre, le g d’un, et plusieurs autres que la memoire ne me peut fournir à cette heure. Ne vous arrestez donc pas aux nouuelles escritures: car ie vous asseure que les plus renommez du temps n’ont point d’autre opinion que celle que ie vous mets ici.»

Il est à croire, dans l’ordre d’idées, saines sous plusieurs rapports, où se place le docte interprète du roi pour l’italien et l’espagnol, que l’orthographe devait être tout aussi difficile à apprendre par sa méthode et dans ses grammaires qu’elle l’est de nos jours dans les nôtres.

223 * Le P. Antoine Dobert, Dauphinois, religieux minime. Récréations littérales et mystérieuses, où sont curieusement estalez les principes et l’importance de la nouvelle orthographe, avec un acheminement à la connoissance de la poësie et des anagrammes. Lyon, de Masso, 1650, in-8.

Je n’ai pas pu voir cet ouvrage. L’abbé Goujet déclare qu’il ne connaît rien de plus ridicule et de plus burlesque.

Du Tertre. Méthode universelle pour apprandre facilemant les langues, pour parler puremant et escrire nettemant en françois, recueillie par le S. Du Tertre. Paris, Iean Iost, 1651 et 1652, in-12.

Ouvrage sans valeur, sans intérêt, et qui dénote, de la part de son auteur, une complète ignorance des données de son sujet.

Le P. Laur. Chiflet. Essay d’une parfaite grammaire de la langue françoise: où le lecteur trouvera en bel ordre tout ce qui est de plus necessaire, de plus curieux et de plus elegant en la pureté, en l’orthographe et en la prononciation de cette langue (première édition). Anvers, 1659, in-12; Paris, Maugé, 1668, in-12; sixième édition, Cologne, chez Pierre le Grand, 1680, in-12 de 4 ff. prél., 295 pp. plus 3 ff. de table; réimprimée sous le titre de Nouvelle et parfaite Grammaire, etc. Paris, 1680, et Jean Pohier, 1687, in-12 de 8 ff. prél. et 295 pp.; ibid., 1722, in-12.

L’ouvrage du savant jésuite a dû jouir d’une grande célébrité, si l’on doit en juger par les nombreuses éditions qu’on en a faites depuis 1659 jusqu’en 1722. C’est pourquoi il n’est pas étonnant de retrouver en partie l’application des principes de ce grammairien, en fait d’orthographe, dans la première édition du dictionnaire de l’Académie. Cette conformité d’opinions ne se rencontre cependant que dans les questions où Chifflet ne fait qu’enregistrer les règles consacrées par l’usage.

Chifflet cependant est loin dans ses principes d’être conservateur 224 absolu. Ennemi de l’innovation en matière de prononciation, il professe, d’un autre côté, que c’est cette dernière qui doit régler l’écriture, sans qu’on doive trop se soucier des questions purement étymologiques.

Il est à regretter que l’Académie, dans son premier travail lexicographique, n’ait pas suivi de plus près les propositions de Chifflet; les changements apportés dans les éditions suivantes du dictionnaire en ont montré la justesse.

Je vais exposer rapidement celles de ses règles qui n’ont pas été admises dans la première édition du dictionnaire de l’Académie et celles où ce grammairien peut être considéré comme novateur, même aujourd’hui.

«En écrivant, dit-il (p. 257), certains mots françois, qui naissent des langues étrangères, l’hébraïque, la grecque et la latine, et où le cha, cho, chu se prononcent comme ka, ko, ku, il est meilleur de n’y point mettre d’h, comme: arcange, escole, colere, Baccus, ecô, caractère, pascal, cicorée, estomac. Excepté chœur, que l’on est contraint d’écrire avec un h pour le distinguer de cœur

«Aux noms terminez en ect, le c ne se prononce pas, comme effect, respect, etc. Lisez, et, pour mieux faire, écrivez aussi effet, respet, suspet, etc. Ecrivez aussi saint, instint, distint, défaut (p. 239).»

«N’écrivez pas subjection, ny sujettion, mais sujetion, comme il se prononce. Et généralement où le c ne se prononce pas devant le t, les sçavans, pour la plûpart, ne l’écrivent plus (p. 258).»

«On écrit mieux soûmettre, que soubmettre ou sousmettre[151]. L’on dit et l’on écrit maintenant omettre et omission, et non pas obmettre[152], ny obmission[153]. Cette mauvaise prononciation de quelques-uns estoit venuë de l’ignorance de ceux qui n’entendoient pas l’étymologie latine de ce mot, qui vient du verbe omitto, où la première syllabe est briève et non pas obmitto qui ne fut jamais latin. Mais les sçavans ayant tenu bon, cet obmettre a perdu son crédit (p. 256).»

[151] [152] [153] Orthographe adoptée dans la 1re édition du Dictionnaire de l’Académie.

«Voicy les mots où le d ne se prononce pas et les plus sçavans ne l’y écrivent plus: ajourner, ajournement, ajouter, ajuster,

225 amodier, avancer, avantage, avenir, aventurier, avertir, avis, avouër, aveu, avocat, etc. Il faut dire et écrire amiral et non pas admiral (p. 239).»

Pour les mots terminés en ent il est contraire à leur changement en ant, «car il y a, dit-il, grande différence entre les ant ou ent briefs et les longs, comme entre parent et par an ou parant de parer, entre contant son argent et content de son argent. Et l’on voit pour cela que quelques grammairiens, même des plus nouveaux, qui ont voulu reformer l’orthographe, n’ont pas bien rencontré, en conseillant d’écrire tous ces ent par un a, par exemple puremant et nettemant, comme ils l’ont pratiqué eux-mêmes dans le titre de leurs grammaires. Que n’ont-ils considéré que cela causeroit mille fausses prononciations, puisque tous les ant, écrits par a, sont longs, sans aucune exception? En un mot, leur zèle est bon, mais certes il est peu judicieux, et il seroit à désirer que quelqu’un de ces messieurs de l’Académie en prononçast un bel arrest, qui auroit, sans doute, une grande authorité sur tous les gens d’esprit (p. 211).»

Je n’ai pas besoin d’insister sur l’inanité d’une objection qui, fondée sur la quantité latine, n’est point applicable au français.

«C’est maintenant, dit-il encore plus loin (p. 274), une bonne coûtume de plusieurs sçavans de ne point écrire l’s en beaucoup de mots où elle ne se prononce pas. On n’écrit plus deuxiesme, escrire, mais deuxieme[154], écrire: mais, à dire vray, tout cela n’estant qu’un trop petit remede à la bizarrie (sic) qu’il y a en nostre orthographe. Au sujet de l’s, s’il la faut prononcer ou non, je ne vois autre moyen d’en faire une parfaite distinction, que d’écrire une double s, au lieu d’une simple, quand elle se doit prononcer devant les consones (sic). Par exemple: déscrire une seule s, puisqu’elle est muette, desscription avec deux s pour signifier que l’s y doit estre prononcée. Ce seroit un remede 226 infaillible, mais je n’oserois commencer le premier un si grand changement en nostre orthographe.»

[154] Plus loin cependant il abandonne même cette dernière orthographe, et se prononce pour le remplacement de l’x par le z. «Les mieux entendus n’écrivent plus deuxiéme, sixiéme, dixiéme, mais comme il se prononce (sic) deuziéme, siziéme, diziéme.» Il est à regretter qu’on n’ait pas adopté cette orthographe qui aurait fait disparaître la bizarrerie dans l’écriture de ces quelques adjectifs ordinaux, comme deuxième, troisième, douzième, dont la prononciation est identique malgré leur triple forme.

La proposition du bon père ne devait pas être acceptée. On ne revient jamais, heureusement, sur une amélioration accomplie.

Il dit qu’il est beaucoup de mots où le ti devrait plutôt s’écrire ci, comme il se prononce. «Ce sont les mots qui naissent de ceux qui se terminent en ce. Par exemple: de vice, vicieux, par un c plûtost que par un t.» L’Académie a partagé à cet égard l’opinion du savant grammairien, sauf pour les mots essentiel, pestilentiel, substantiel, qui attendent encore la réforme.

Enfin, en ce qui concerne les doubles lettres, il paraît favorable au retranchement de la consonne muette pour rendre l’écriture conforme à la prononciation, car il écrit flame, consone, etc. Cependant à cet égard il ne suit aucune règle fixe et les exemples qu’on pourrait citer ne sont que des exceptions.

Grammaire générale et raisonnée contenant les fondemens de l’art de parler, expliqués d’une maniere claire et naturelle (par MM. de Port-Royal). Paris, Pierre Petit, 1660, in-12; Bruxelles, Fricx, 1676, pet. in-12.

Il serait à désirer, selon les savants auteurs:

Voir plus loin l’analyse de l’édition de 1756, annotée par Duclos.

Antoine Bodeau de Somaize. Le grand Dictionnaire des Prétieuses, historique, poétique, géographique, cosmographique, chronologique et armoirique, où l’on verra leur 227 antiquité, costume, devise, etc. Paris, Jean Ribou, 1661, 2 vol. petit in-8.

M. Francis Wey, dans son ouvrage intitulé Remarques sur la langue française, a épuisé toutes les formules de l’indignation contre les «mutilations» que la «coterie» des Précieuses a fait éprouver à l’orthographe traditionnelle. Je ne saurais, sans de nombreuses et très-importantes restrictions, me ranger à son sentiment; le temps, d’ailleurs, a donné raison aux Précieuses sur bien des points. Voici ce qu’il dit à ce sujet (page 38 et suiv.):

«Ce n’est pas ici le lieu de débattre la valeur littéraire de cette coterie célèbre des Précieuses; nous devons nous borner à constater leur influence énorme sur l’orthographe, à raconter ce qu’elles firent, et comment les choses se sont passées. L’aventure est narrée par Somaize[155]. Les conséquences de l’incident qu’il rapporte ont été si extraordinaires, l’incident lui-même est si peu connu, que nous le reproduirons en entier.

[155] M. Wey n’indique pas de quel ouvrage il tire la citation suivante, mais on la trouve au mot Ortographe du célèbre dictionnaire satirique devenu aujourd’hui si rare et si recherché des bibliophiles. Il a été réédité par M. Ch.-L. Livet dans la Bibliothèque elzévirienne de M. P. Jannet.

«L’on ne sçauroit parler de l’ortographe des pretieuses sans rapporter son origine, et dire de quelle maniere elles l’inventerent, qui ce fut et qui les poussa à le faire. C’estoit au commencement que les pretieuses, par le droit que la nouveauté a sur les Grecs[156], faisoient l’entretien de tous ceux d’Athenes[157], que l’on ne parloit que de la beauté de leur langage, que chacun en disoit son sentiment et qu’il faloit necessairement en dire du bien ou en dire du mal, ou ne point parler du tout, puisque l’on ne s’entretenoit plus d’autre chose dans toutes les compagnies, L’éclat qu’elles faisoient en tous lieux les encourageoit toutes aux plus hardies entreprises, et celles dont je vais parler, voyant que chacune d’elles inventoient de jour en jour des mots nouveaux et des phrases extraordinaires, voulurent aussi faire quelque chose digne de les mettre en estime parmy leurs semblables, et enfin, s’estant trouvées ensemble avec Claristene[158], elles se mirent à dire qu’il faloit faire une nouvelle ortographe, afin que les femmes peussent écrire aussi asseurement et aussi corectement 228 que les hommes. Roxalie[159], qui fut celle qui trouva cette invention, avoit à peine achevé de la proposer que Silenie[160] s’écria que la chose estoit faisable. Didamie[161] adjoûta que cela estoit mesme facile, et que, pour peu que Claristene leur voulut aider, elles en viendroient bien-tost à bout. Il estoit trop civil pour ne pas repondre à leur priere en galand homme; ainsi la question ne fut plus que de voir comment on se prendroit à l’execution d’une si belle entreprise. Roxalie dit qu’il faloit faire en sorte que l’on pût écrire de mesme que l’on parloit, et, pour executer ce dessein, Didamie prit un livre, Claristene prit une plume, et Roxalie et Silenie se preparerent à decider ce qu’il faloit adjouster ou diminuer dans les mots pour en rendre l’usage plus facile et l’ortographe plus commode. Toutes ces choses faites, voicy à peu près ce qui fut decidé entre ces quatre personnes: que l’on diminueroit tous les mots et que l’on en osteroit toutes les lettres superflues. Je vous donne icy une partie de ceux qu’elles corrigerent, et, vous mettant celuy qui se dit et s’écrit communement dessus celuy qu’elles ont corrigé, il vous sera aisé d’en voir la difference et de connoistre leur ortographe:

[156] Les Français.

[157] De Paris.

[158] M. Le Clerc.

[159] Mme Le Roy.

[160] Mlle Saint-Maurice.

[161] Mlle de la Durandière.

  • teste
  • téte
  • prosne
  • prône *[162]
  • autheur
  • auteur *
  • hostel
  • hôtel *
  • raisonne
  • résonne?
  • supresme
  • suprême *
  • meschant
  • méchant *
  • troisiesme
  • troisiéme
  • deffunct
  • défunt *
  • 229 patenostre
  • patenôtre *
  • dis-je
  • dî-je
  • pressentiment
  • présentiment
  • esclairée
  • éclairée *
  • extraordinaire
  • extr’ordinaire
  • efficace
  • éficace
  • respondre
  • répondre *
  • extresme
  • extréme
  • s’esleve
  • s’éleve
  • esloigner
  • éloigner *
  • seureté
  • seûrté
  • resjouissances
  • réjouissances *
  • escloses
  • écloses *
  • s’esvertue
  • s’évertue *
  • flustes
  • flûtes *
  • tousjours
  • toûjours
  • goust
  • goût *
  • d’esclat
  • d’éclat *
  • escrits
  • écrits *
  • solemnité
  • solennité *
  • estale
  • étale *
  • establir
  • établir *
  • eschantillon
  • échantillon *
  • l’aisné
  • l’aîné *
  • effarez
  • éfarez
  • plust
  • plût *
  • s’esriger
  • s’ériger *
  • nôtre *
  • mareschal
  • maréchal *
  • des-ja
  • dé-ja
  • estrange
  • étrange *
  • espanouir
  • épanouir *
  • aussi-tost
  • aussi-tôt
  • tesmoigner
  • témoigner *
  • esclaircissement
  • éclaircissement *
  • treize
  • tréze
  • esvaporez
  • évaporez
  • sixiesme
  • sixiéme
  • desbauchez
  • debauchez
  • taist
  • taît
  • diadesme
  • diadéme
  • estoit
  • étoit
  • masles
  • mâles *
  • adjouste
  • adjoûte
  • lasches
  • lâches *
  • esblouis
  • éblouis *
  • veu
  • chrestien
  • chrétien *
  • paroist
  • parêt
  • accommode
  • acomode
  • grands
  • grans
  • defferat
  • déferat
  • thresors
  • trésors
  • entousiasme
  • entousiâme
  • huictiesme
  • huictiéme
  • escuelle
  • écuelle *
  • jeusner
  • jûner
  • blesmir
  • blémir
  • effroy
  • éfroy
  • empesche
  • empéche
  • aage
  • âge *
  • plaist
  • plaît *
  • crespules
  • crépules
  • coustoit
  • coûtoit
  • mesler
  • méler
  • chaisne
  • chaîne *
  • mesconnoissante
  • méconnoissante
  • paroistre
  • parêtre
  • eslargir
  • élargir *
  • espoux
  • epoux *
  • vostre
  • vôtre *
  • mesme
  • méme
  • apostre
  • apôtre *
  • estre
  • étre
  • fleschir
  • fléchir *
  • mettre
  • métre
  • tantost
  • tantôt *
  • unziesme
  • unziéme
  • menast
  • menât *
  • chasteau
  • château *
  • laschement
  • lâchement *
  • reconnoistre
  • reconnétre
  • maistre
  • maître *
  • tasche
  • tâche *
  • caresme
  • caréme
  • despit
  • dépit *
  • catéchisme
  • catechîme
  • descouvre
  • découvre *
  • folastre
  • folâtre *
  • advis
  • avis *
  • naistre
  • naître *
  • brusle
  • brûle *
  • doutast
  • doutât *
  • connoist
  • conaît
  • souffert
  • soûfert
  • gastoit
  • gâtait *
  • vouste
  • voûte *
  • bastit
  • bâtit *
  • quester
  • quéter
  • roideur
  • rédeur
  • nopces
  • nôces
  • faicts
  • faits *
  • l’esté
  • l’été *
  • dosme
  • dôme *
  • opiniastreté
  • opiniâtreté *
  • qualité
  • calité
  • froideur
  • frédeur
  • vieux
  • vieu
  • effects
  • éfets
  • desplust
  • déplût *
  • coustume
  • coûtume
  • fantosmes
  • fantômes *
  • avecque
  • avéque
  • indomptable
  • indontable
  • attend
  • atten
  • sçait
  • sait *
  • aisles
  • aîles
  • aspre
  • âpre *
  • vistres
  • vîtres
  • triomphans
  • trionfans
  • advocat
  • avocat *
  • pied
  • pié
  • reprend
  • repren
  • sçavoir
  • savoir *

[162] Je marque d’un astérisque les mots dont l’usage et l’Académie ont complétement ratifié la correction. Certaines simplifications, comme entousiame, catéchîme, frédeur, constatent une prononciation exceptionnelle alors, et restreinte peut-être au cercle des Prétieuses. Elle n’a pas prévalu.

230 Il ressort du curieux document de Somaize que la prononciation tendait, vers la seconde moitié du dix-septième siècle, à s’amollir par suite de l’influence de la cour et des cercles de la haute société. L’Académie, dans sa sixième édition seulement, a commencé à inscrire raideur, conformément à la prononciation des Prétieuses, qui prévaut aujourd’hui pour ce mot et non pas pour frédeur.

Ainsi qu’on le voit, une grande partie des réformes opérées par les Précieuses ont été sanctionnées par l’Académie, et un plus grand nombre encore l’eussent été, si l’on avait dès cette époque su faire un emploi judicieux de l’accent grave et de l’accent circonflexe. A ce titre, malgré l’affectation d’un langage prétentieux et quintessencié, la coterie présidée par Voiture et Sarasin a rendu de véritables services à la langue française.

Simon Moinet, principal correcteur pour le français dans l’imprimerie des Elseviers, voulant faciliter aux étrangers la lecture des livres en cette langue, eut en 1663 l’idée d’imprimer à ses frais un petit poëme: La Rome ridicule du sieur de Saint-Amant, travêstië à la nouvêle ortografe, pure invanţiön de Simon Moinêt, Parisiïn. A Amstredan, aus dêpans ê de l’inprimerië de Simon Moinêt, 1663, in-12, de 40 pag.

Les lignes qui commencent sa dédicace à Guillaume III peuvent donner une idée de sa méthode phonétique:

Ce que pêrsone n’a ancore su, ni ouï, ni vu,
L’ORTOGRAFE FRANÇOISE,
ou la siänce de lire é d’êcrire françois.

«Monsêgneur, si ce qui se dit êt vêritable, qu’à gran sêgneur, peu de paroles, il sera aussi vrai de dire à gran sêgneur peu d’êcriture, puisque l’êcriture reprêsante la parole, é toutes deus sont l’image de la panséë. Mais je ne croi pas que pêrsone, depuis que l’on parle françois, l’ait faite si courte que moi, qui l’abrêge an sorte que je le fai touchér à l’eull é au doit.»

Simon Moinet propose le ll mouillé des Espagnols dans les mots mail, bail, le t à cédille pour le t adouci et sifflant: suprémaƫie. 231 Malheureusement son écriture est hérissée d’accents, comme c’est le cas de tous ceux qui veulent déterminer exactement le son des voyelles sans introduire de nouveaux caractères alphabétiques.

* Jacques d’Argent, gramairien. Traité de l’ortographe françoise dans sa perfection, dédié à M. Colbert fils, seigneur de Seignelai. Paris, 1666, in-12.

Il ne m’a pas été possible de me procurer cet ouvrage.

De Bleigny, maître écriuain iuré de Paris. L’Ortografe francoise ou l’unique metode contenant les regles qu’il est necessaire de sauoir pour écrire correctement. Paris, Gilles André, 1667, in-12, de 6 ff. et 155 pp.

Bleigny n’arbore le drapeau de la réforme orthographique que dans son titre. Son petit livre est une grammaire pour les enfants, sans aucune velléité de critique ni d’amélioration de la mauvaise écriture de son temps.

* Jacques de Gevry, seigneur de Launay. Les Principes du déchifrement de la langue françoise, ou l’art de déchifrer toutes sortes de lettres en cette langue, en quelques figures et caracteres qu’on les puisse composer. Dedié à monseigneur messire Pierre de Cambout de Coeslin, evesque d’Orléans. Paris, Denis Pellé, 1667, in-8.

Je ne suis pas certain que cet ouvrage ait directement trait à la réforme.

Louis de l’Esclache. Les véritables Règles de l’ortografe francéze, ou l’Art d’aprandre en peu de tams à écrire côrectemant. Paris, l’auteur, 1668, in-12.

Le travail de l’Esclache a fait beaucoup de bruit au moment de sa publication. J’en connais trois ou quatre réfutations sorties des presses parisiennes en l’espace de peu d’années. De son temps on ne s’aperçut pas qu’il s’était inspiré en grande partie des 232 réformes proposées un siècle auparavant par Meigret, Pelletier et Ramus. Bien qu’il n’ait introduit aucune lettre ni aucun signe nouveau dans l’écriture, il a prêté le flanc à la critique par la profusion d’accents dont il a surchargé ses lignes. Voici un échantillon de ses idées et de son orthographe:

«Les opinions des hommes sont trés-diferantes, touchant l’ortôgrafe francéze. Les uns pansent qu’éle doit étre conforme à la parole; et les autres âsûrent qu’éle doit marquer l’origine des mos que nous emploïons pour exprimer nos pansées. Ceus qui ne savent pas la langue latine et qui ont de l’esprit dizent que nous devons écrire comme nous parlons; mais quelques savans soûtiénent que céte metôde, nous faizant perdre l’origine des paroles, nous ampécherét d’an conétre la propre significacion.

«Il samble que les premiers, qui n’ont pas âsés de force pour bien établir leur opinion, n’aient pas âsés d’autorité pour nous oblijer à la suivre. Comme les autres ne peuvent soûfrir que l’on face injure à la langue latine, ni à la grèque, ils s’atachent à leurs santimans avec beaucoup d’opiniâtreté. Je ne veus pas condamner ces deus langues, puîqu’éles ont leur beauté, aûsi bien que leur üzaje, mais je puis dire (sans m’élogner de la vérité) que ceus qui ont un atachemant particulier pour éles ne sont pas ordinairemant les plus éclairés dans la langue francéze. Ils sont semblables à ceus qui parlent continuélement de ce qui regarde les autres sans panser à leurs propres âfaires et il ârive souvant que dans le chois des chozes qui sont utiles pour le bien public, le jujement de ceus qui ont beaucoup de lumière sans étude doit étre préféré à l’opinion de ceus qui ont une bibliotéque antière dans leur tête.»

Louis de l’Esclache écrit: peis, sajese, ajant, dilijant, relijion, vanjance, nonse, prononse, consevoir, acses, acsant, filozofie, fizique, axion, dixion, choze, uzaje, nacion, cieus, dieus, deus, dis (dix), moien, voiant, calité, etc.

(Sieur de Mauconduit.) Traité de l’orthographe; dans lequel on établit, par une methode claire et facile, fondée sur l’usage et sur la raison, les regles certaines d’écrire correctement. Et où l’on examine par occasion les regles qu’a données 233 M. de Lesclache (par le sieur de Mauconduit). Paris, Jacques Talon, 1669, in-12, de 4 ff. et 232 pp.

Ce petit traité, remarquable par son exécution typographique, ne s’occupe pas de la régularisation de l’écriture française. L’auteur s’élève même avec beaucoup de force contre le système d’écriture semi-phonétique proposé par de l’Esclache. Il nous sert simplement à constater l’état de la question au moment où l’Académie française allait s’en emparer.

Lartigaut. Les progrês de la véritable ortografe, ou l’ortografe francêze fondée sur ses principes, confirmée par démonstracions. Ouvrage particuliër et nécésêr à toute sorte de persones qui veulent LIRE, PRONONCER ou ÉCRIRE parfêtemant par rêgles. Paris, Laurent Ravenau et Jean d’Ouri, 1669, in-12.—Principes infaillibles et regles assurées de la juste prononciation de la langue françoise. Paris, 1670, in-12.

Le premier ouvrage de Lartigaut offre un grand intérêt. Contemporain de Corneille, de la Fontaine, de Molière, de Racine, il possède à fond la langue élégante et correcte de son temps, et nous indique aussi exactement que possible la prononciation de la cour de Louis XIV. L’accentuation forte qui y est figurée me confirme dans l’idée que je m’étais formée de la prononciation du Théâtre-Français au temps de Corneille et de Racine, et dont Larive avait conservé la tradition[163].

[163] Je l’ai souvent entendu réciter des vers chez mon père, et je l’ai vu au Théâtre-Français jouer le rôle de Philoctète dans l’Œdipe de Voltaire avec une accentuation bien plus chantée, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’elle ne l’a été après lui, surtout par Talma qui a changé, sous le rapport de la déclamation, la manière de scander les vers.

Voici une page de l’avis important placé en tête du livre. Je souligne les différences de la lecture avec celle de nos jours:

«Cête matière et pluz délicate[164] qu’èle ne parêt: il faut être antièrement détaché, et avoir un dezir sincer de recevoir ce qui 234 peut persuader an quéque part qu’il se treuve. Car pour peu que l’on se plêze à contredire, on se rant incapable d’en juger; dautant qu’il y a pluzieurs chozes qui ne dépendent que de la délicatêse de l’orêlle, où l’opiniatreté et le dezir de s’opozer à tout peuvent treuver de coi flater un esprit de contradixion. Ne lire un livre que danz le dêsein d’y treuver à redire, ce n’et paz être tout à fêt sage; et c’et fêre le critic à contretams: il faut être du moinz indiférant, et ne rien condaner sanz avoir sur le cham des rêzons contrêres à ce que l’on reprant. Je condane moi-même les fautes que je puis avoir lêsé couler (ou l’inprimeur) contre les principes qu’il faut suivre: et je puis dire san vanité que je suis le seul qui n’établis rien qui leur sét[165] opozé, et qui ne me contredis paz; qui et asurément le pluz grant point que l’on puise et que l’on doive garder, mês que persone n’a pu ancor observer sur ce sujêt: et voici come une persone qui ne cherche sinplemant que l’utilité danz toute choze peut rêzoner.

[164] Dans ces mots délicate, èle, antièrement, etc., l’auteur emploie l’e moyen avec accent droit. Mon père et mon oncle en avaient reconnu l’utilité dans beaucoup de mots, tels que collége, séve, entièrement, etc., et plusieurs livres ont été imprimés ainsi; mais on dut en abandonner l’usage, par suite de la confusion et de l’embarras qui en résultaient dans la composition et la distribution typographique. Les lettres se brouillaient dans les cases, surtout les petits caractères. On dut donc, à regret, renoncer à un système si simple, lequel, sans apporter aucun trouble à la vue, guidait la prononciation.

[165] J’ai entendu, dans ma jeunesse, M. de Tracy prononcer il crait (il croit, credit), et endreit.

«Je conês que l’ortografe vulguêre et ambarasante pour la lecture, contrêre à la véritable prononciacion qu’èle doit exprimer et prèque inposible à savoir sanz la conêsance du grec et du latin; ancor y-an a-t-il trez peu qui la sachent parfêtemant avec tout cela. Je ne doute paz que si l’on pouvêt treuver le moyen de randre l’écriture conforme à la parole avec une tèle modéracion qu’on pùt suivre des principes asurés et des rêgles constantes, sanz tomber dans aucune absurdité, et sanz rien changer inutilemant, il faudrêt sanz doute le prandre pour pluzieurs rêzons: 1o afin de savoir l’ortografe avec plus de facilité, et avec plus de certitude; 2o afin de ne paz être obligé d’aprandre le grec et le latin pour seulemant ortografier; 3o parce que c’et une choze indubitable que tout le monde an lira mieuz, et que l’on ne poura prononcer mal; 4o pour randre la Langue francêze pluz universèle par la facilité que tous les étrangers treuveront dans la lecture de nos livres, et plus recomandable par la douceur 235 prèque divine de son élocance, qui se comuniquera par tout.»

Convenons-en, on ne saurait, dans la thèse de l’auteur, plus simplement ni mieux dire. La prononciation, telle qu’il est parvenu à nous la figurer en n’introduisant qu’un seul signe nouveau (l’e médiocre, qu’il figure, comme je l’ai dit, par l’accent droit), est presque la nôtre, et nous donne occasion de constater sa fixité depuis le grand siècle. Il supprime la lettre k, comme étrangère au français, le ç cédille comme inutile en présence de l’s ramenée à une seule valeur, celle qu’elle a dans salon, silence.

Il fait en passant quelques remarques sur l’orthographe des mots où figure le χ grec. Achaïe, saint Roch, Zacharie, chronique, archange. Il propose de les écrire Acaïe, saint Roc, Zacarie, cronique, arcange.

A propos de la lettre q (ou plutôt des deux lettres qu, puisqu’on représente par ce signe binaire le son du c dur ou du k), il s’exprime ainsi: «Ecrivez par la même rêzon: quécun aussi bien qu’aucun. Pourêt-on bien doner rézon pourcoi l’on doit ècrire aucun, chacun par un c et quelquun par un qu? Je voudrês avoir cette obligation à QUELQUUN

Pour lui, l’œ, déjà supprimé dans œconomie, est une lettre parasite: il écrit eil (prononcé aujourd’hui euil), euvre, beuf, seur, et en effet, dans le français, le son et le signe eu représentent régulièrement l’o des mots latins, exemple: dolor, douleur, flos, fleur; la vicieuse prononciation du c rend quelquefois l’emploi de l’œ nécessaire, comme dans cœur, qui ne peut être écrit ceur, à moins, comme dans cueillir, de faire précéder eu d’un u.

Il critique l’emploi de l’x dans les mots deuxième, sixain, dixième. Il y met le z, d’accord en cela avec la prononciation.

Il chasse du dictionnaire cette «diftongue» ao, qui n’est pas «francêze», et au lieu de paon, Laon, faon, taon, il écrit pan, Lan, fan[166], tan.

[166] Ronsard l’écrit ainsi:

..... ravit le fan d’une biche legère.

(Édit. de 1623, t. I, col. 2.)

Dans le glossaire ms. de la Bibl. imp. no 7684, taon est écrit taan; peut-être devrait-on écrire tân et fân, de sorte qu’il n’y aurait d’exception que pour le mot Laon qu’on écrirait Lâon.

236 On jugera, par ces quelques citations, que l’auteur est un observateur délicat et en même temps un bon esprit, défenseur intrépide des prérogatives du français, qu’il voudrait voir vivre par lui-même sans qu’on dût l’affubler d’une enveloppe grecque et latine.

Gilles Ménage. Observations sur la langue françoise. Paris, 1673, in-12; Cologne, P. Du Marteau, 1673, pet. in-12. Seconde édition. Paris, Claude Barbin, 1675-1676, 2 vol. in-12; 1re part. de 16 ff. prél., 609 pp. plus 21 ff. pour la table, les errata et le privilége; 2e part. de 18 ff. prél., 502 pp. plus 11 ff. pour la table, etc.

Le célèbre érudit a rendu des services incontestables à la langue française. Une pièce de vers, intitulée la Requête des Dictionnaires, écrit satirique dirigé contre les académiciens à propos du choix des mots du dictionnaire, le fit échouer dans sa candidature au fauteuil d’académicien, malgré le conseil de Hubert de Montmor qui insistait pour qu’on l’adoptât, «comme on force un homme qui a déshonoré une fille à l’épouser.»

L’orthographe que Ménage adopte dans ses Observations a eu des partisans et des imitateurs, en tout ou en partie. D’un côté, elle se rapproche autant que possible de la prononciation, sans chercher à être phonétique; d’un autre, elle tend à la simplification de quelques règles de grammaire, comme la formation du féminin et du pluriel, et, pour y parvenir, il remplace presque toujours l’x final par l’s. Exemples: religieus, ceus, aus, je veus, injurieus. Il remplace aussi le z dans les mots assés, nés (nez).

Il supprime un grand nombre de doubles lettres et de lettres étymologiques, et il écrit: ataquer, pouroient, courous, aquise, cors (corps), il faloit, la goute, etc.

Le son nasal an, em, en est le plus souvent représenté par an. Par exemple: il a commancé, long-tans, de tans en tans.

Il remplace l’y par l’i dans les mots stile, païs; il écrit je fesois, chemin fesant, etc.

En ce qui concerne l’h, il se guide dans son emploi par l’étymologie et il conseille d’écrire Antoine, Maturin, ermite, intimé, postume, amarante, ebreu, mots dont les primitifs n’ont pas d’h. Il paraît favorable à la suppression de cette lettre aux mots: huis, 237 huile et huitre, où elle ne fut mise, suivant l’opinion de Théodore de Bèze[167], que pour empêcher qu’on ne lût vis, vile et vitre, à l’époque où le v et l’u étaient représentés par le même signe.

[167] Aspiratio quiescit in his dictionibus: huis, ostium, cum derivatis; huile, oleum, cum derivatis; huit, octo; huistre, ostrea, quoniam alioqui legi sic possent hæ dictiones quasi v esset digamma, non vocalis, nempe pro huis, vis: sic etiam pro huile, vile, etc. (De francicæ linguæ recta pronunciatione tractatus.)

Mais ce qu’il y a de plus curieux dans son système, c’est la suppression fort rationnelle de la lettre e dans le participe eu et dans les temps qui en dérivent, et l’agglutination des expressions prépositives ou adverbiales, exprimant des idées simples.

Il écrit donc: il a u, ç’ust esté, si je l’usse su, la vénération que j’ai ue; et acause, alaverité, apeine, apeuprês, aprêsdemain, aucontraire, aulieu, aureste, avanthier, demesme, desorte, malapropos, toutafait.

François Charpentier, de l’Académie française. De l’Excellence de la langue françoise. Paris, Vve Bilaine, 1683, 2 t. en 1 vol. in-12 de 9 ff. et 1110 pp.

Ce docte académicien, qui partage en matière d’orthographe les idées de Regnier des Marais, appliquées plus tard dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie, est, comme Henri Estienne, un défenseur de la précellence du langage français, non plus sur l’italien, mais sur le latin lui-même.

Il établit dans le cours de son livre que notre langue n’est nullement inférieure au latin sous le rapport de l’euphonie et de l’harmonie imitative, qu’elle a produit non moins de chefs-d’œuvre, et qu’elle est parvenue de son temps à une perfection égale à celle du langage des Romains au siècle d’Auguste.

Il cite un certain nombre de vocables français plus doux, plus brefs que leurs correspondants en latin. S’il eût poussé plus loin ses investigations, il fût sans doute arrivé à reconnaître la supériorité, sous le rapport de la rapidité et même de l’euphonie, des mots du latin vulgaire transformés par le peuple avant la Renaissance, sur ceux forgés depuis par les savants sur le type primitif. Voici quelques points de comparaison:

238

Primitif latin. Mots du vieux français. Mots de latin francisé.
quadragesima caresme, carême quadragésime
claudicare clocher, clochement claudication
capillus cheveu, chevelu capillarité
carcer chartre incarcération
coctus cuit, cuisson coction
dulcis doux, adoucir édulcoré
fructus fruit, fruitaison fructification
fluctus flot, flottaison fluctuation
hirundo aronde hirondelle
macer maigre, maigreur émaciation
maturus mûr, mûrir maturation
scandalum esclandre scandale
separare sevrer, sevrage séparation
species espèce et épice spécification
siccitas sécheresse siccité
strictus étroit strict
cubare couver incubation
redemptio rançon rédemption
sacramentum serment sacrement
acceptare acheter accepter
captivus chétif captif
fragilis frêle fragile
nativus naïf natif
rhythmus rime rhythme
sarcophagus cercueil sarcophage
porticus porche portique
organum orgue organe
mobilis meuble mobile
alumine alun alumine
debitum dette débit
examen essaim examen

Si donc le français a son individualité, s’il est riche de sa beauté propre, si ses vocables surpassent souvent pour la simplicité, la rapidité, l’euphonie, leurs correspondants latins, pourquoi s’attacher, comme on le voulait au temps de Charpentier, et comme il n’en reste que trop de vestiges, à défigurer notre orthographe, dont on fait un pastiche de celle du latin et du grec, en y introduisant tant de consonnes doubles inutiles et même incompatibles avec le génie simple de notre ancienne langue[168]?

[168] Voir sur la comparaison des mots du vieux français avec ceux forgés depuis le XVIe siècle: Étude sur le rôle de l’accent latin dans la langue française, par M. Gaston Paris. Paris, Franck, 1862, in-8.—Notions élémentaires de grammaire comparée, par E. Egger. Paris, Durand, 1865, in-12.—Grammaire historique de la langue française, par M. Auguste Brachet. Paris, Hetzel, 1867, in-12.—Et plus haut (p. 167) l’article de M. Sainte-Beuve.

239 J.-B. Bossuet, membre de l’Académie française. Voir plus haut, aux Opinions des académiciens, p. 130.

Je dois faire figurer Bossuet parmi les novateurs, puisque son esprit logique voulait la régularisation et non le désordre. On a vu son opinion au sujet d’un parti à prendre pour les mots dont la désinence est écrite sans motif tantôt en ant et tantôt en ent bien qu’ils dérivent également de participes latins en ens. (Voir p. 130.)

Les exemples extraits des manuscrits de ses sermons attestent sa propension à conformer l’orthographe à la prononciation sans se soucier de l’étymologie. Pour donner une meilleure idée de son orthographe, je donne à l’Appendice E quelques passages de ses sermons tirés de ses manuscrits déposés à la Bibliothèque impériale.

(Jean Hindret.) L’Art de bien prononcer et de bien parler la langue françoise, dédié à Monseigneur le duc de Bourgogne, par le sieur J. H. Paris, Ve Cl. Thiboust, 1686, in-12; ibid., 1696, 2 vol. in-12.

Quoique ce petit traité de grammaire ne contienne aucune innovation orthographique (mot qu’il écrit ortographique), et qu’il ait pour but uniquement d’enseigner la prononciation reçue, il manifeste le désir du perfectionnement.

L’auteur s’y plaint de notre écriture, qu’il déclare défectueuse. «Ce n’est pas sans raison, dit-il, que les étrangers nous reprochent tous les jours le peu de soin que nous avons de bien prononcer notre langue, comme une chose qui l’empêche d’être aujourd’hui la plus parfaite de toutes celles de l’Europe.»

«On apprend, ajoute-t-il, avec beaucoup de soin aux enfants les principes des langues mortes ou étrangères, et, pour ce qui regarde leur langue naturelle, on l’abandonne au hazard de l’usage.»

* Jerome-Ambroise Langen-Mantel. L’Ortographe de la langue françoise. In-12.

L’abbé Goujet considère comme inutile ce livre rare, que je n’ai pu rencontrer.

240 * De Soule. Traité de l’ortographe françoise, ou l’Ortographe en sa pureté. Paris, 1692, in-12.

Goujet porte à peu près le même jugement sur ce traité que sur le précédent.

* René Milleran (de Saumur), professeur des langues françoise, allemande et angloise. Nouvelle Grammaire françoise. Marseille, 1692, in-12.—Les deux gramaires fransaizes, l’ordinaire d’aprezant et la plus nouvelle qu’on puise faire sans alterer ni changer les mots, par le moyen d’une nouvelle ortografe si juste et si facile qu’on peut aprandre la bõté et la pureté de la prononciation en moins de tans qu’il ne fôt pour lire cet ouvrage, par la diférance des karacteres qui sont osi bien dans le cors des regles que dans leurs exanples, ce qui est d’otant plus particulier qu’elles sont tres faciles et incontestables, la prononciation etant la partie la plus esancielle de toutes les langues. Marseille, Brebion, 1694, 2 parties en un vol. in-12.

Je n’ai pu me procurer ni même voir ce volume, que je ne trouve indiqué que dans le Catalogue de Ch. Nodier de 1844. Ce spirituel académicien reproche à l’auteur d’avoir proposé la réforme de l’oi, préconisée un siècle plus tard par Voltaire. La manière dont Nodier a figuré le titre et que je reproduis ne donne qu’une idée trop imparfaite de la méthode de Milleran. Les lettres romaines sont celles qui ne se prononcent pas. Par cet exemple, on peut se figurer toutes celles qui peuvent ainsi être indiquées.

(Rodilard.) Doutes sur l’ortographe franceze. Paris, 1693, in-12; et s. l. n. d. (vers 1750), in-12, de 192 pp.

L’auteur, qui se cache sous l’anagramme de Trilodrad, peut être classé parmi les novateurs, bien que la plupart des réformes qu’il demande aient été accomplies dans les éditions successives du Dictionnaire de l’Académie. On en jugera par ce début:

Aus Maitres Imprimeurs.

«Messieurs, il y a longtèms que je suis dans plusieurs doutes sur l’ortographe desquels je souhaiterois pouvoir être éclairci... J’ai 241 cru qu’il étoit plus à propos de m’adresser aus maitres imprimeurs... Car je puis dire qu’autant qu’il y a d’imprimeries en France, ou peu s’èn faut, autant il y a de diférèntes ortographes.

«Ce sens seul est peu favorable au savoir des maitres imprimeurs qui (dit-il) ne savent pas l’ortographe et moins encore la ponctuation! et s’ils raisonent de l’imprimerie et de l’ortographe, ce n’est que comme les aveugles font des couleurs.

«C’est une chose honteuse à nous de voir que les étrangers nous aprenent à écrire nôtre langue naturele: car on ne peut pas disconvenir que les Holandez (ou du moins des Francez qui se sont retirés en Holand) ne nous ayent apris a metre les v ronds et les j longs, puisque pour marque de cela on les apèle dans l’imprimerie des v et j à la Holandeze: ce sont èncore eux qui nous ont ènseigné à retrancher les letres superflûes de nôtre langue: enfin ils nous ènseignent ce que nous leur devrions ènseigner et à toute la terre, puisqu’on n’aprend l’ortographe que par le moyen des impressions et à quoi tout le monde se raporte, et non pas aus manuscrits; cela étant, pourquoi n’a-t-on pas soin de bien ortographer, et de ne rien faire paroître au public qui ne soit dans sa perfection? Il faut que ce soit, non seulement les etrangers, mais tout le monde, jusques à un chétif ecrivain, qui à grand peine sait-il lire, nous ènseigne l’ortographe..... Il est vrai que j’ai été longtèms à me pouvoir persuader qu’il fut permis de retrancher aucune letre dans le francez lorsqu’elle venoit du latin, que les s; mais pour les doubles bb, les doubles cc, les doubles dd, doubles ff, doubles mm, doubles nn, doubles pp et autres letres qui sont dans le latin, je ne pouvois me resoudre; mais aprez y avoir fait reflexion et consideré qu’on estranchoit partout les s inutiles à la prononciation, aussi bien que d’autres letres, quoiqu’elles vinssent du latin, j’ai cru qu’on pouvoit aussi ôter les letres doubles, et toutes celles qui sont parèllement superflûes et inutiles à la prononciation aussi bien qu’on fait le s

Louis de Courcillon, abbé de Dangeau. Lètre sur l’ortografe à Monsieur de Pontchartrain, conseiller au Parlement (1694), in-12 (sans nom d’auteur, avec privilége du Roi de 1693).—Essais de granmaire (1694-1722), comprenant les discours suivants: Prèmier discours qui traite des voyèles.—Discours II, qui traite des consones.Discours III. Suplèmant 242 aus deus prèmiers discours.Discours IV. Lètre sur l’ortografe écrite en 1694 (réimpression avec changements de la lettre qui précède).—Discours V. Suplèmant a la lètre prècèdante.Discours VI. Sur l’ortografe fransoise.Discours VII. Sur la comparaison de la langue fransoise avec les autres langues. (Les discours VIII à XIV n’ont trait qu’à la grammaire.) Ces opuscules ont été imprimés en partie et avec une orthographe moderne dans Opuscules sur la langue françoise par divers académiciens (publiés par l’abbé d’Olivet). Paris, Bernard Brunet, 1754, et réédités plus fidèlement en 1849 par M. B. Jullien aux frais de la Société des méthodes d’enseignement.

Saint-Simon, dans ses Mémoires, dit en parlant de l’abbé de Dangeau: «Les bagatelles de l’orthographe et de ce qu’on entend par la matière des rudiments et du Despautère furent l’occupation et le travail sérieux de toute sa vie.» Saint-Simon parle de ces bagatelles en homme qui ne s’y entendait guère: autrement il eût compris que c’est du studieux abbé que datent les progrès sérieux dans l’étude des sons de notre langue, dont il a donné le premier une classification satisfaisante.

Les modifications introduites par Dangeau ont pour but de peindre exactement la prononciation, en supprimant toutes les lettres qui ne s’entendent pas ou ne sont pas nécessaires; de changer toutes celles qui n’ont pas dans le lieu où elles se trouvent leur son naturel, n’exceptant de cette règle que les consonnes finales et les lettres caractéristiques des nombres, des genres, des personnes.

Il supprime l’h à théorie, et écrit filosofe, attendu, dit-il qu’il a «cru devoir laisser aux lettres françoises le son qu’elles ont naturellement, pensant que si les Latins ont écrit certains mots dérivés du grec, c’est qu’elles gardoient une aspiration differente et qu’ils prononsoient les premieres silabes de philosophia et de character autrement que celles de figura et de caput. Aparemment, s’ils les avoient prononcées de la même manière, ils les auroient exprimées aussi par les mêmes letres, etc... Pourquoi ne pas imiter les Italiens et les Espagnols, qui n’ont pas cru être obligés a garder l’ortografe latine dans les mots venus du grec? Si on 243 en avoit toujours usé de cette sorte, Madame de.... n’auroit pas été si scandalisée contre Eliogabale. «O que ces empereurs Romains ètoient cruels! s’écria-t-elle un jour en bonne compagnie, ils faisoient prendre des paysans et leur faisoient aracher la langue pour s’en nourrir.» Elle venoit de voir un livre qui disoit que cet empereur mangeoit des pâtés de langues de phaisans, et s’imaginant qu’un p se prononçoit toujours p elle avoit lu des langues de paysans au lieu de langues de faisans

Voici l’extrait d’un passage dans lequel le savant abbé expose et pratique en partie son système. On remarquera l’emploi de l’accent grave dans une foule de cas où on ne l’admettrait pas aujourd’hui, ce qui semblerait indiquer sinon de sensibles différences dans la prononciation, du moins un emploi peu judicieux des signes d’accentuation:

«Remèdes aus dèfauts de la vieille ortografe. On poûroit avoir un alfabet fait exprès, et qui donât a chaque son simple un caractère simple; et l’on en poûroit venir a bout sans avoir besoin de recourir a des caractères absolumant nouveaus. Peut-être même que le public n’auroit pas beaucoup de peine a recevoir ces changemans: on a bien introduit dans le siècle passé l’j consone difèrant de l’i voyelle, et l’v consone difèrant de l’u voyèle.

«Mais en atandant qu’on puisse introduire cet alfabet rèformé, il faut tâcher a coriger les dèfauts les plus sansibles. C’est ce que j’ai tâché a faire jusqu’ici. On poûroit aler ancore plus loin que je n’ai èté, sans être obligé a introduire des caractères absolumant nouveaus.

«On demande un alfabet qui fournisse un caractère particulier pour chacun des trente-trois sons simples ausquels on peut rèduire tous ceus que nous avons dans notre langue; et qui s’éloigne le moins qu’il se poûra des caractères dont nous nous servons aujourd’hui.

«Pour satisfaire a cète demande, j’ai dressé le mèmoire suivant, ou j’ai marqué de quèle manière on pouvoit exprimer les trente-trois sons de notre langue, sans se servir de caractères absolumant nouveaus.

«J’ai mis au comancemant de chaque ligne les sons simples qu’il s’agit de signifier; j’ai ajouté pour èxample a chacun de ces sons simples un mot fransois ou se trouve le son simple; et a la 244 fin de la ligne j’ai mis le caractère dont on peut se servir pour l’exprimer.

«L’ordre dans lequel j’ai mis ces sons simples est conforme au système que j’ai tâché à ètablir dans mes Essais de Granmaire, et dans la suite que j’y ai ajoutée: a come dans paroître, a; o come dans colère, o; u come dans batu, u; ou come dans poulet, ou; si l’on vouloit, on prandroit de l’alfabet grec le caractère ȣ.

«Les imprimeurs poûront avoir des caractères ou ces deus lètres seront acolées; et pour l’ècriture on ne doit craindre aucune èquivoque, parce que ces deus lètres ne se prononcent sèparèmant que dans quelques noms propres venus du grec ou du latin, come Piritoüs; et l’on se prescrira une règle gènèrale, de mètre toujours deus points sur cèle des deux voyèles qui comance une nouvèle silabe.

«Eu come dans feu, dans bonheur, eu; si l’on vouloit, on prandroit des Grecs le caractère ευ. Les imprimeurs poûront avoir des caractères ou ces deux lètres seront acolées; et pour l’ècriture, quand il se trouvera des mots ou e et u garderont chacun leur son, on mètra deus points sur l’u, de cète manière, rèüssir, rèünir.

«J’ai remarqué dans mes autres discours que cète voyèle (eu) a quelquefois un son ouvert, comme dans bonheur, dans peur; alors on poûra se servir de l’accent grave sur l’e, en cète sorte bonhèur.

«E fèminin, come dans porte, e; è ouvert come dans après, è; é fermé come dans bonté, é; ces trois e sont distingués l’un de l’autre en ce que le e féminin n’a point d’accent, è ouvert a un accent grave, et é fermé a un accent aigu.

«I come dans lire, i.

«Pour les voyèles nazales, ou esclavones, on les distinguera des voyèles simples dont èles aprochent le plus, ou par une petite ligne au dessus come on en voit en quelques anciens livres, ou par une petite ligne qui les tranchera a la manière de l’alfabet polonois, de la manière suivante: an come dans le mot danser, ã; en come dans bien, ̃e; in come dans ingrat, ̃i: on come dans bonté, õ; un come dans comun, ̃u.

«Pour prononcer chacun des sons des simples consones, il n’y a qu’a joindre la prononciation d’un e féminin a la consone ou aus consones que j’ai marquées en lètres capitales. Ainsi le nom du prèmier son consone qui est marqué ici se trouvera come la 245 dernière silabe de tombe, et celui du second son se prononcera come la seconde silabe de trompe, et ainsi du reste: be come dans tomber, b; pe come dans tromper, p; ve come dans venir, v; fe come dans finir, f; me come dans mourir, m; de come dans dire, d; te come dans tirer, t; gue ou g dur come dans galant, g; ke come dans capable, k; ne come dans nier, n; ze come dans zèle, z; se come dans salut, s; je come dans jalous, j.

«Che come dans chariot, c; le c ne s’amployant plus, selon ce projet-ci, ni pour faire le son ke, comme il fait a prèsant devant un a, un o, un u dans cavalier, dans colère, dans curieus; ni pour faire le son se, come il fait aujourd’hui devant un e, ou devant un i, dans cèrèmonie, dans cièl, ne servira plus que pour le son du che que nous lui donons ici. Le son de ke et le son de se ont dans la table prècèdante chacun son caractère propre, et le caractère c ne servira plus qu’a marquer la lètre siflante que nous exprimons prèsantemant par ch, come dans chariot, cherté.

«Le come dans lire, l; re come dans rire, r; lle ou l mouillée come dans vaillant, dans fille; gne ou n mouillée come dans vigne, dans soigneus; je marque ces deus consones mouillées par de petites lignes qui les traversent.

«Si l’on ne veut pas se servir de ces deus lètres qui sont traversées par de petites lignes, on poûra se servir pour l’l mouillée de deus ll acolées; et quand on ècrira des mots ou l’on prononce deus l, come Pallas, on aura soin de sèparer les deus l et de ne les pas acoler.

«Pour exprimer le son de l’n mouillée, on poûra se servir de l’ñ avec un trait dessus, comme s’en servent les Espagnols qui la noment n con tilde: que s’il se trouvoit quelques mots ou l’on prononsât sèparèment le g et l’n, come on les prononce en latin, on se serviroit du g et de l’n.

«He aspiration come dans hazard, h.

«On aura soin de n’amployer jamais aucun caractère pour un son difèrant de celui auquel nous le destinons ici.

«Il reste deus choses a marquer pour randre l’ècriture plus conforme a la prononciation:

«1o La longueur des voyèles. Come je ne crois pas qu’il soit nècessaire de marquer quand la voyèle est brève, on marquera seulement cèles qui sont longues, par les chevrons () ausquels on est acoutumé.

«Il y a un inconvéniant auquel il est aisé de remèdier. Cet 246 inconvéniant est que le chevron qu’on met sur l’e long, come dans èvêque, prêtre, marque en même tams qu’il est ouvert. Mais nous avons des e fermés qui sont longs come dans ils alérent, ils marchérent. Si pour marquer cète longueur, on se servoit d’un chevron, il seroit a craindre qu’on ne donât a ces e le son de è ouvert. Il est aisé de remèdier a cet inconveniant. Ces é fermé (sic) dont la prononciation est longue ne se trouvent que dans quelques troisièmes persones du pluriel des verbes, come ils alérent, ils trouvérent, et dans quelques adverbes en mant, come comunémant, aveuglémant, et l’on poûra dans ces ocasions marquer la longueur de l’é fermé par des accents aigus un peu plus longs que les accents aigus ordinaires.

«2o La seconde chose que l’ècriture doit marquer pour faciliter la lecture consiste en ceci: il y a des lètres qu’on ècrit et qui ne se prononcent jamais, come le b dans plomb: il y en a d’autres qui varient selon les ocasions: dans quelques ocasions èles se prononcent, dans d’autres èles ne se prononcent point. Par èxample le t final; car il y a des ocasions ou il se prononce, et d’autres ou il ne se prononce pas, come je l’expliquerai en parlant des consones finales.

«On poûroit règler que les lètres qui ne se prononcent jamais come le b de plomb ne s’ècrivissent jamais; et pour cèles qui varient, on poûroit règler qu’on mètroit un point sous la lètre qui ne se prononce pas, par èxample: Je lui ai parlé come iḷ faut.

«Moyènant ces prècautions, on ècrira en notre langue de manière que ceus qui liront ne poûront jamais se tromper. Ceus qui savent lire prèsantemant trouveront peu de changemant dans nos caractères; et ceus qui ne savent pas lire poûront en moins d’un mois aprandre la valeur de tous nos caractères et lire sans faire de fautes.

«A l’ègard des livres qui sont dèja imprimés, quand on saura l’ècriture nouvèle et règuliêre que je propose, on aprandra bientôt a lire ce qui est imprimé selon l’ècriture irrègulière et dèraisonable dont on se sert prèsantemant.

«Quelques gens qui ont vu mon projet tel que je viens de l’expliquer l’ont trouvé fort raisonable, et conviènent qu’il seroit utile; et la dificulté qu’il y a a le faire recevoir par tout le monde, leur fait dire que le succès est plus a souhaiter qu’a espèrer. Mais il faut que les gens charitables et bien intantionés pour les intérêts du public prènent courage. Il faut du tams, je l’avouë, pour faire 247 rèüssir ce projet dans toute sa perfection: mais ne peut-on pas au moins l’acheminer tout doucemant en atandant quelque secours inespèré?

«Il ne faut pas croire que le public soit ènemi de tous les changemans. N’a-t-on pas reçu come d’un consantemant unanime dans la plus grande partie de l’Europe, lesJ consones et les V consones? N’y a-t-il pas un grand nombre de gens èclairés qui ont retranché les S qui ne se prononcent pas, et qui ont admis les accents (^) pour marquer la longueur des silabes?

«L’Acadèmie èle-même, si atachée aus anciens usages, n’a t èle pas amployé ces chevrons en quelques ocasions? N’a t èle pas admis les accens sur les e qui ne sont pas fèminins? Les plus atachés à la conservation des lètres caractèristiques ne les ont ils pas retranchées de plusieurs mots? Pandant ce siècle et pandant la fin du siècle prècèdant, combien a t on imprimé de livres ou l’on suit en partie notre ortografe rèformée?

«Il faut que ceus qui conviènent qu’une antière rèformation, selon mon projet, seroit utile, la suivent dans les choses les plus faciles. On parviendra peu a peu a la faire recevoir par le grand nombre, et alors nous aurons pour nous l’usage qu’on nous objecte si souvant. Si nous avons raison, espèrons tout du bon esprit de gens qui ne sont pas prévenus; faisons de notre côté ce que nous poûrons, et laissons faire au tams; il fera le reste.»

On voit par ce qui précède que Dangeau est un néographe très-prononcé et qu’il a tracé la voie à Wailly, Beauzée, etc. J’aurai occasion de discuter son système à propos de ces derniers.

* Alphabet ingénieux pour le françois. Bourdeaux, 1694, in-12.

Je n’ai pu encore prendre connaissance de cet opuscule, cité par Goujet.

* André Renaud, prêtre, docteur en théologie. Traité de l’Ortographe et de la prononciation françoise. (A la suite de sa Maniere de parler la langue françoise selon ses différens styles. Lyon, 1694, in-12.)

Je n’ai pu savoir si cet ouvrage intéresse l’histoire de la réforme.

248 César-Pierre Richelet. Dictionnaire françois contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, etc. Genève, Jean Herman Wiederhold, 1680, 2 vol. in-4. (Réimprimé plusieurs fois.)—La connoissance des genres françois tirée de l’usage et des meilleurs auteurs de la langue. S. l. ni date (achevé d’imprimer le 10 mai 1695), in-12.

Richelet est un des réformateurs les plus prudents et les plus logiques. Il s’est beaucoup plus occupé d’étymologies que la plupart des auteurs contemporains. Il fut un des premiers à développer la réforme proposée par Le Clerc et les Précieuses. (Voir plus haut, p. 111, l’examen de son Dictionnaire.)

Projet d’un Esei de granmére francéze de laqele on ôte toutes lés letres inutiles, é où l’on ficse la prononsiasion de celes qi sont néceséres: par le moyen de qoi l’on aprendra le francéz pluz facilement, é an moins de tans qe par l’ortografe ordinére.Remarques sur ce projet, en forme de lettre.Réponse de l’Auteur du projet à cette lettre. (Le projet parut d’abord à Genève en 1704, et ensuite avec les deux pièces suivantes dans le Mercure de Trévoux, Novembre et Décembre 1708, p. 165.)

Ce titre seul suffit pour indiquer que le système de l’auteur se rapproche de celui des novateurs le plus avancés. Voici comment il entre en matière:

«Le publiq doit être bien rasazié dés Granmères q’on fét depuis qeqe tans, cepandant an voici ancore une dont on veut le surcharjer, mes on souëte de savoir avant cela son santimant sur celeci, dans laqel’ on prand une route bien diferante de celes que les autres fezeuz de granmères ont tenu. Si qeq’un montre qe le sisteme n’an soit pas bien lié, on promet par avanse de le corijer ou de le suprimer.

«El’ aura deuz parties, la premiere dés qeles ne tretera que de l’uzage q’on devrét fere des letres de nôtre alfabét, de qele maniere il faut se servir des trois acsans, é de qeqes autres marques 249 qon observe dans la lecture é dans l’écriture, come sont les poins de separasion q’on apele aussi diéreze. Cete partie aura six diâloges. La derniere partie contiendra aussi six diâloges, dans les qels on egspliquera, a-peu-prés come dans les autres granmères, les neuf parties du discours. Je dis a-peu-prés, parcqu’il y aura qeqes chanjemans q’on croit necesères pour randre les regles de notre langue plus asurées.»

On voit que ce système se rapproche de celui préconisé plus tard par M. Marle; l’auteur termine par cette maxime:

Temporibus errata latent et tempore patent.
Le tans cache é decouvre tout.

Ce projet de réforme, qui, tout en ayant des inconvénients, n’en a pas moins quelques mérites, n’a eu aucun succès, bien qu’il ne manquât pas d’être favorisé, comme on peut s’en rendre compte par quelques passages tels que celui-ci, tiré des Remarques, etc.

«Il y auroit de la temerité, Monsieur, a vous assûrer que vôtre nouveau projet de grammère sera generalement approuvé. Il n’est pas aisé de faire revenir de leur entêtement certains gens, a qui une prevention chimerique fait rejeter tout ce qui a un air de nouveauté, le bon come le mauvais. Cependant pour ce qui regarde l’ortografe, on ne voit pas grand risque à vous prometre le sufrage de la plus belle moitié du monde françois; dautres oseront peut être en dire davantage, persuadés que les Dames, dont jentens ici parler, ont le discernement très-juste. Eles vous aplaudiront sans doute, èles qui conformement à vôtre dessein ecrivent come èles parlent, et èles parlent bien.

«Vous devez encore avoir les étrangers dans vôtre parti, car ils trouveront plus de facilité à lire et à écrire en nôtre langue. Pour les savants la nation n’en est pas si traitable: mais ils ne seront peut-être pas tous si infatués du pedantisme, qu’ils ne renoncent a ce fatras d’étymologies, de multiplicité inutile de letres, etc., qui jusquici n’a servi qu’à ambarasser et l’ecrivain et le lecteur, et ils voudront bien enfin reconoître que l’ecriture ne servant qu’à exprimer et peindre la parole, c’est une injustice de la vouloir plus parfaite que son original.»

L’auteur de cet article, dont l’orthographe est moins téméraire, 250 nous dit avoir parlé sur ce même sujet dans le Journal de Trévoux de mai 1705.

Il regrette le double emploi du c et du q, et celui de l’s et du z; il écrit au singulier nagét, avec accent aigu, et nagêt, avec l’accent circonflexe pour le pluriel. «Quatre lettres retranchées tout d’un coup, oien (nageoient). Quel abatis! s’écrie-t-il, mais il est bien comode.» Et il observe que la prononciation de geoient au pluriel étant plus longue que celle du singulier geoit, se trouve convenablement indiquée par la différence seule des accents. Il termine ainsi:

«Si vous n’êtes pas plus heureux quant à votre ortografe que ceux qui ont tenté la chose avant vous, dumoins aurés-vous d’illustres compagnons de vôtre infortune. Mais seroit-il possible qu’on s’opiniatrât a vouloir faire passer des huit ou dix ans dans la poussière d’un college, pour aprendre a écrire ce que l’on sait bien prononcer, et que la raison parlât tant de fois a ceux qui font profession d’être ses eleves, sans s’en faire entendre?»

Viennent ensuite des additions à ces Remarques, p. 201, où, entre autres choses, on regrette l’emploi de l’h inutile dans certains mots.

«Il n’y a pas long-temps qu’on avoit une regle assez sûre des mots ou ele faisoit quelque fonction, mais a present on ne sait plus a quoi s’en tenir: come ele oblige a parler un peu du gosier et qu’on fait plus a présent la petite bouche que jamais, on voudroit l’exclure des endroits ou son empire est le mieux établi, et dernièrement j’entendis dire a un doucereux qui se pique de bel esprit: donés moi de l’achis, il est en aut, pour donés moi du hachis, il est en haut.

«On retranche tant que l’on peut et avec raison les lètres doubles, on ne laisse que les deux ss, aparenment jusqu’a ce qu’une seule entre deux voyelles retiene son usage naturel, et dans certains cas les deux mm, encore change-t-on le premier m en n; ainsi au lieu d’emmener on écrit enmener. Il semble qu’on devroit en faire autant de l’m qui se prononce come n: jambe, janbe, pompe, ponpe, etc., l’épargne n’est pas grande, mais au temps où nous somes les petits profits ne sont pas à négliger.»

Il se récrie aussi sur la prononciation de t come s en certains cas. 251

Ces observations sont suivies de la réponse de l’auteur du Projet de l’Esei.

DIX-HUITIÈME SIÈCLE

L’abbé Regnier des Marais, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Traité de la Grammaire françoise. Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1706, in-4 et in-8 de 4 ff., 711 pp. et 11 ff. de table.—Remarques sur l’article CXXXVII des Mémoires de Trévoux, touchant le Traité de la grammaire françoise de M. l’abbé Regnier. Paris, J.-B. Coignard, 1706, in-4.

L’Académie, dans les travaux préparatoires de son Dictionnaire, qui ne parut qu’en 1694, avait adopté la méthode du travail en commun; mais elle crut devoir remettre le soin de rédiger une Grammaire conforme à ses principes à son secrétaire l’abbé Regnier des Marais. Il publia son ouvrage en deux volumes in-12 dès 1676, et en donna une édition infiniment supérieure dans l’in-4 de 1706. De 1694 jusqu’à la seconde édition du Dictionnaire, qui ne parut qu’en 1718, l’Académie eut quelque temps de repos. Elle recueillit alors les doutes sur la langue et se donna la tâche de les résoudre. Cette société préparait ainsi des matériaux pour la Grammaire qu’elle méditait et que du reste les statuts de sa fondation l’obligeaient de rédiger. «Mais elle ne tarda pas à reconnaître qu’un ouvrage de système et de méthode ne pouvait être conduit que par une personne seule; qu’au lieu de travailler en corps à une Grammaire, il fallait en donner le soin à un académicien qui, communiquant son travail à la compagnie, profitât si bien des avis qu’il en recevrait, que, par ce moyen, son ouvrage pût avoir dans le public l’autorité de tout le corps.» Regnier avait une parfaite connaissance de notre langue et de quelques autres; il s’était fait un nom par sa traduction de la Pratique de la perfection chretienne de Rodriguez. Son assiduité aux conférences du Dictionnaire, dont il était chargé de rédiger les résultats, l’avait mis mieux que tout autre en état d’en exposer les principes dans une grammaire.

L’ouvrage cependant ne fut pas publié sous le nom de l’Académie. Il encourut plusieurs critiques, entre autres celle d’un grammairien très-estimé, le P. Buffier. L’abbé Regnier, on le conçoit, se prononce contre l’écriture phonétique, qui exposerait à «cet 252 attentat» d’écrire des crétiens comme des Crétois et Jésu-Cri qu’on prononce ainsi, tandis qu’on doit prononcer le Christ. Dans son livre, les explications sur les difficultés de la prononciation des lettres ont employé près d’une centaine de pages. En examinant avec l’attention qu’elle mérite l’œuvre de docte secrétaire perpétuel de 1706, œuvre d’autant plus importante qu’elle doit nous refléter les principes qui avaient prévalu dans le sein de l’Académie, on ne tarde pas à se convaincre que le but que l’auteur se proposait est manqué. Toutefois, on doit le reconnaître, le livre le plus utile à une nation éclairée comme la France, c’est-à-dire une grammaire, était alors impossible.

Pour ce qui concerne l’orthographe, Regnier constate, pour la réduplication des consonnes dans le corps des mots, des règles fondées la plupart sur la quantité (pp. 101 à 125 de l’édit. in-12).

«Le redoublement des lettres en plusieurs mots de la langue se fait uniquement des consonnes, et peut se rapporter à deux causes: l’une prise du latin, d’où ces mots là nous viennent; l’autre tirée du fonds mesme de nostre langue... Ce redoublement n’est point toujours pris du latin: il se fait quelquefois contre l’orthographe des mots latins d’où les mots françois dérivent. Il se fait principalement des lettres l, m, n, p et t, aprés a, e, o, mais il suffira de parler icy de celuy des lettres l, m, n, après e et o, pour donner quelque idée de la cause de ce redoublement dans les mots où la prononciation toute seule n’en avertit pas: car, pour ceux où elle le fait sentir, ce n’est pas de quoy il est icy question, non plus que de ceux où nostre langue n’a fait que suivre l’exemple de la langue latine.

«Il y a deux choses à considerer dans ce redoublement: le lieu où il se fait et l’effet qu’il produit. Le lieu où il se fait, c’est d’ordinaire immédiatement aprés la voyelle sur laquelle est le siége de l’accent. Mais comme nostre langue n’a proprement d’accent que sur la derniere syllabe, dans les mots dont la terminaison est masculine, et sur la penultiéme dans ceux dont la terminaison est feminine, et que les dernieres syllabes ne sont pas susceptibles du redoublement des consonnes, ce redoublement, à le regler par le siege de l’accent, n’appartient proprement qu’aux penultiémes syllabes des mots qui ont une terminaison feminine.

«Ainsi chapelle, chandelle, fidelle, folle, colle, molle, femme, homme, somme, bonne, donne, consonne et patronne, qui ont 253 l’accent sur la penultiéme, s’escrivent par deux l, deux m et deux n. Que si cet accent passe de la penultiéme sur la derniere, alors en quelques mots derivez des précédents, comme dans chapelain, chandelier, fidélité, feminin, homicide, bonace, donateur, consonance, patronage, il ne se fait plus de redoublement de consonne et l’usage est en cela entierement fondé sur la raison et sur la regle. Mais en d’autres mots de mesme ou de pareille dérivation, comme fidellement, nouvellement, follement, donner, sonner, tonner, le redoublement, qui ne devroit se faire qu’aprés la voyelle du siege de l’accent, se fait devant[169]: et l’usage en cela, comme en beaucoup d’autres choses, s’est mis au-dessus des regles, qu’il observe pourtant d’ordinaire dans la conjugaison des verbes. Car on escrit ils prennent, ils tiennent, ils viennent, par deux n, parce que le siege de l’accent est sur l’e de la penultiéme syllabe; et on escrit par une n seule, nous prenons, nous tenons, nous venons, vous prenez, vous tenez, vous venez, parce que l’accent qui estoit sur la penultiéme est passé sur la derniere.

[169] Ce passage me semble tout à fait inintelligible.

«Quant à l’effet que ce redoublement de consonnes produit, il est different, suivant les voyelles aprés lesquelles il se fait: aprés l’e, comme dans chandelle, fidelle[170], fidellement, il donne à cet e la prononciation d’un e ouvert et il donne celle d’un e fermé à prennent, tiennent, viennent, etc.[171].

[170] On a mis depuis l’accent grave, au lieu de la consonne double, à beaucoup de ces mots en elle: il épèle, fidèle, il gèle. Mais on n’a pas simplifié la difficulté, car il nous en reste autant en elle: il appelle, belle, chandelle, etc.

[171] Il semble résulter de ce passage que le docte secrétaire perpétuel prononçait ils prénent, ils tiénent, ils viénent.

«A l’égard de l’o, cet effet est tout different; car, au contraire, le redoublement de la consonne aprés un o sert à le presser de telle sorte, que comme alors il a moins d’estenduë et de liberté que quand il n’est suivi que d’une consonne, il reçoit une prononciation plus breve et plus serrée. Ainsi au lieu que dans mole, role, dome, throne[172], où l’o n’est suivi que d’une seule consonne et se trouve, pour ainsi dire, plus au large; l’o est long et extrémement ouvert, il est bref dans molle, folle, homme, somme, bonne et donne, où les deux consonnes qui suivent le pressent et le 254 resserrent. Mais tout ce qu’on vient de marquer icy est sujet à tant d’exceptions, que pour donner des regles plus seures, il faut necessairement passer aux exemples particuliers du redoublement de chaque consonne.

[172] On met aujourd’hui avec raison l’accent circonflexe sur ces mots, où il suffit à exprimer l’allongement de la syllabe. Pourquoi écrire, contrairement au latin, les mots homme, bonne, donne par une double consonne? L’absence de l’accent circonflexe suffirait pour indiquer que l’o est bref.

«La regle generale que l’Académie françoise a suivie dans l’orthographe de son Dictionnaire, est de garder les consonnes doubles dans les mots françois, lors qu’elles sont doubles dans les mots latins d’où ils viennent; et cette regle peut suffire pour la plus part des mots de la langue, à l’égard des personnes qui entendent le latin; mais comme on escrit icy pour tout le monde, il faut essayer de donner là-dessus ou des préceptes, ou des exemples, qui puissent estre entendus de tout le monde.»

Suivent 27 pages très-compactes de préceptes, d’exemples et d’exceptions pour le redoublement ou le non-redoublement de chacune des lettres de l’alphabet.

Malgré le désir qu’on éprouve de saisir quelques lueurs de principes au milieu de cet amalgame de règles contradictoires, il est impossible d’en rien conclure, sinon l’impuissance des grammairiens d’alors à débrouiller le chaos orthographique. Qu’est-ce, en effet, que de constater, d’un côté, que la prosodie française est complétement différente de la prosodie latine, et d’exiger, de l’autre, que l’on redouble la consonne en français là où les Latins l’ont doublée? Comment expliquer, en outre, cette bizarrerie dans le rôle de la consonne redoublée, de rendre la syllabe qui précède longue dans chandelle et brève dans molle? Bossuet, avec son esprit lucide et pratique, avait bien raison de demander que l’Académie s’expliquât en tête du Dictionnaire sur les règles de la prosodie française: toutes ces inconséquences eussent alors forcément disparu, comme l’ont fait la plupart d’entre elles, grâce à l’introduction des accents et à la suppression d’une partie des lettres doubles inutiles, opérées par l’Académie lors de la réforme de 1740. Mais en parcourant les listes données par Regnier, page 111 particulièrement, on voit qu’il nous reste encore un nombre assez grand de mots où la double consonne qui ne se prononce pas s’est maintenue dans le seul but de figurer cette copie servile du latin, répudiée par l’Académie elle-même, et à laquelle tout le monde paraît avoir renoncé[173].

[173] Nous avons encore collerette, mollesse, assommant, inaccommodable, consommation, pommade, bannière, carrosse, garrotter, etc., comme au temps de Regnier.

255 Après s’être convaincu de l’inanité des principes orthographiques de Regnier, on s’explique difficilement la sévérité qu’il montre contre les novateurs tant du siècle précédent que de son temps. La fin de non-recevoir qu’il oppose à toute réforme, si elle eût été prise au sérieux, nous condamnerait encore à l’écriture vicieuse de 1706.

«Que si, dit Regnier, dans la societé civile, il n’est pas permis aux particuliers de rien changer dans l’escriture[174] de leur nom, sans des lettres du prince, il doit encore moins leur estre permis d’alterer, de leur propre authorité, la pluspart des mots d’une langue et la pluspart des noms de baptesme et des noms des peuples, des provinces, des familles, des societez publiques et des choses de la Religion.

[174] Les lettres italiques indiquent les changements ultérieurement apportés par l’Académie à l’orthographe de Regnier.

«Cependant ceux qui en usent de la sorte n’ont pas seulement tort, en ce qu’ils s’attribuënt une jurisdiction qui ne leur appartient pas; ils ont tort encore d’ailleurs, en ce qu’ils abusent du principe sur lequel ils se fondent, que les lettres estant instituées pour representer les sons, l’escriture doit se conformer à la prononciation.

«Cette regle generale a ses exceptions, comme toutes les autres regles; et vouloir reformer tout ce qui en est excepté, c’est comme si un Grammairien, se fondant sur les principes generaux de la Grammaire, vouloit y reduire toutes les conjugaisons des verbes irreguliers d’une langue et toutes les façons de parler qu’un long et constant usage a délivrées de la servitude de la syntaxe.

«De toutes les langues dont on a connoissance, il n’y en a aucune dont toutes les lettres se prononcent tousjours d’une mesme sorte et où le son des voyelles et des consonnes ne varie souvent, selon les differents mots qu’elles forment, parce qu’il est impossible que les differentes combinaisons des lettres n’apportent de la difference dans le son propre de chaque caractere.

«..... Ce qu’on ne peut trop dire et trop repeter à ceux qui, sur des principes specieux, mais mal entendus, veulent de leur authorité privée reformer l’orthographe françoise, c’est que l’usage n’a pas moins de droit et de jurisdiction sur la prononciation des 256 mots que sur les mots mesmes; et que comme la prononciation de plusieurs mots vient à varier de temps en temps, selon le caprice de l’usage, il faudroit aussi de temps en temps varier l’orthographe des mesmes mots, pour en representer la prononciation courante. Ainsi la reforme qu’on feroit aujourd’huy pour adjuster l’orthographe à la prononciation ne tarderoit gueres peut-estre à avoir besoin d’une autre reforme, de mesme que celle que Sylvius, Meigret, Pelletier et Ramus vouloient introduire.»

Ce dernier paragraphe est parfaitement juste, et les lettres italiques que j’ai placées aux endroits du texte de Regnier que l’Académie a dû corriger par la suite montrent que l’écriture suit la loi du progrès comme toutes les sciences et que, par suite, il est du droit et du devoir des enfants d’améliorer l’héritage de leurs pères.

«..... Où en seroit-on dans chaque langue, continue Regnier, s’il en falloit reformer les élements sur la difficulté que les enfants auroient à bien retenir la valeur et, comme parlent les Grammairiens, la puissance de chaque caractere et les differentes variations qu’un long usage y a introduites?..... C’est aux enfants à apprendre à lire comme leurs peres et leurs grands-peres ont appris.

«Quant aux estrangers, pourquoy veut-on que la langue françoise fasse à leur égard ce que nulle langue ne fait ni ne doit faire à l’égard de ceux à qui elle est estrangere?... Comme c’est à ceux qui sont estrangers dans un pays à se conformer aux loix et aux coustumes du pays, c’est aussi à ceux qui veulent apprendre une langue qui leur est estrangere à s’assujettir à ses regles et à ses irregularitez. Pourquoy donc changerions-nous en cela nos usages pour les estrangers, qui ne changent les leurs pour personne? et pourquoy ne feront-ils pas à l’égard de nostre langue ce qu’ils font à l’égard des autres et ce que nous essayons tous les jours de faire à l’égard de celles qui nous sont estrangeres?»

En proclamant, dans le domaine intellectuel, cette maxime du chacun pour soi, l’abbé Regnier ne pouvait pas pressentir les nécessités d’un nouvel état de la société européenne, où une certaine instruction est indispensable à tous ses membres, où les relations de peuple à peuple sont incessantes, où les langues modernes constituent une partie importante de l’éducation de la jeunesse et où le temps a besoin d’être économisé pour tant de choses à apprendre.

257 Nicolas de Frémont d’Ablancourt. Dialogue des lettres de l’Alphabet, où l’usage et la grammaire parlent, fait à l’imitation du dialogue de Lucien, intitulé, le Jugement des voyelles. (A la suite de la traduction françoise de Lucien, par Nicolas Perrot d’Ablancourt, tome III, édition de 1706, in-12, p. 424.)

L’abbé Goujet, dans sa Bibliothèque françoise, fait un grand éloge de ce dialogue.

Les interlocuteurs sont l’Usage et la Grammaire.

La Grammaire demande à l’Usage si elle doit produire ses lettres habillées à l’arabesque, ou à la grecque et l’italienne, ou à la gothique, ou bien simples et ramassées, et accommodées à la française.

L’Usage répond: «A quoy bon tant de mystères? Puisque nous sommes en France et qu’il s’agit d’un différend entre les lettres françoises, il faut qu’elles se présentent habillées à la mode du pays.»

Chaque Lettre prend successivement la parole pour se plaindre de son sort, et de l’empiétement des unes sur les autres; mais, tout en signalant le désordre qui règne entre elles, le neveu de Perrot d’Ablancourt se montre plus résigné que son oncle. Il fait ainsi parler l’F: «Come je suis la première en fidelité, je trouve fort étrange qu’on m’ôste les clefs et qu’on me veuille couper les nerfs; car après cela comment pourrois-je atteindre les cerfs à la course? Cela est bien éloigné de la promesse qu’on m’avoit faite de bannir le Ph, afin d’étendre les bornes de mon empire. Jusqu’ici il m’a toujours défendu l’abord des Prophetes et des Philosophes, et il ne veut pas même que j’aspire à Philis. Si j’avois esté aussi sévère, jamais le v ne se seroit mis en possession de toutes les veuves[175], tant recréatives que rebarbatives; cependant, comme j’ay veû qu’elles l’aimoient plus que moy, je lui ay cedé tout ce que j’y pouvois prétendre.»

[175] On écrivait vefve; c’est sous ce titre qu’est publiée la pièce de Rotrou. Mais l’f a disparu au singulier féminin, et l’u n’a pu être introduit que lors de la distinction du v et de l’u, autrement on eût écrit la ueuue. L’f a été conservé au singulier masculin.

Le P prend la parole: «Quand une longue possession ne seroit pas un juste titre, après nous avoir fait traverser tant de Terres et de 258 Mers, débité tant d’Apophthegmes, et enrichy ce païs de tant de Phrases et de Paraphrases, il semble qu’il y auroit de l’inhumanité à nous separer de la compagnie de Philis et de Philomèle, puisque nous sommes de même contrée, et que nous avons jusqu’icy couru les mêmes avantures.

«L’Usage. J’ordonne que l’on conserve le Ph, le plus qu’on pourra; mais du reste, quand on veut s’établir en un païs, il en faut prendre l’habit et les mœurs.»

Le Père Claude Buffier, de la Compagnie de Jésus. Grammaire françoise sur un plan nouveau, avec un traité sur la prononciation des E, etc. Paris, 1709, in-12; ibid., 1723, in-8.

Buffier, un de ces jésuites à la raison hardie et profonde, dont l’ordre célèbre auquel il appartenait a fourni tant d’exemples, après avoir constaté qu’une orthographe réformée est suivie par la moitié au moins des auteurs, cite une centaine d’ouvrages importants où elle est observée. Lui-même embrasse la réforme non pas avec enthousiasme, mais avec la conviction calme qu’elle est «le parti le plus commode, et conséquemment le plus sage.» «On peut, ajoute-t-il, et l’on doit dire que certaines langues ont une ortographe beaucoup plus embarassée et plus dificile que d’autres langues. En éfet, si une langue avoit précisément autant de caractères divers dans l’écriture que de sons diférens dans la prononciation, en sorte que chaque caractère particulier désignât toujours le même son particulier, ce seroit l’orthographe la plus commode, et, ce semble, la plus naturèle qu’on puisse imaginer. Ainsi, plus une langue s’éloigne de cette pratique, plus son ortographe est incommode et bizare.» «Le françois, dit-il plus loin, a une ortographe des plus bizares et des plus malaisées... Une même figure de lètre désigne quelquefois cinq ou six sons divers, et un même son est désigné de sept ou huit manières différentes[176]... Il ne s’agit pas de mettre de l’étymologie dans un portrait, mais de le rendre le plus fidèle qu’il est possible.» Il s’oppose, du reste, aux réformateurs trop absolus, «attendu, dit-il, que si l’ortographe n’étoit pas conforme à l’usage, on ne connoîtroit rien aux figures ou caractéres de létres qui seroient nouveaux. 259 C’est ce qui est arrivé à ceux qui ont voulu introduire une ortographe toute nouvèle; les autres n’y ont rien conçu, n’en ayant pas l’usage. Ainsi, quand même cette ortographe seroit au fond plus parfaite que l’ortographe établie, il seroit ridicule de s’en servir préférablement à la dernière, puisque c’est comme si l’on vouloit parler à un homme une langue qu’il n’entend pas, sous prétexte qu’elle est plus parfaite que celle qu’il entend.»

[176] Voir plus loin l’analyse de l’ouvrage de M. Raoux, à la date de 1865.

Il propose, pour apprendre à lire plus promptement et plus exactement, de prêter aux consonnes françaises d’autres noms que ceux qui leur sont donnés par l’usage et qui soient plus conformes aux sons qu’elles expriment dans leur liaison avec les voyelles. «Ainsi, au lieu de dire éfe, éme, ixe, etc., on feroit mieux de les appeler simplement fe, me, xe, dont l’e seroit muet,» etc.

Il analyse les diverses modifications que prend le son e. Il voudrait que l ou ll mouillé fût figuré par un signe particulier, le λ. Il remplace les signes binaires eu, ou, ch, gn, par ω, ö, χ, ñ.

L’y lui paraît une forme introduite par les copistes pour figurer ij ou le double i. L’y, dit-il, n’est presque plus d’usage en notre langue que dans les trois ou quatre occasions suivantes: yeux, yvoire, yvre[177].

[177] On écrit ivre, ivoire, et on a maintenu seulement l’y dans yeux.

Voici dans quelle mesure il se montre réformateur: il écrit ortographe, atacher, létre (de litera), suposé, indiférent, dificulté, netement, ofrir, oposé, voyéle, néte, comode, naturéle, prométre, sience, soufrir, nouvèle, anciéne, etimologie, afirme, consone, nazal, bizare; il écrit même silabe.

* Pierre Panel. Le Tableau de l’Ortographe françoise. Hambourg, 1710, in-8.

Je n’ai pas vu cet ouvrage, cité par Goujet comme ayant trait à la réforme.

De Grimarest. Éclaircissemens sur les principes de la langue françoise. Paris, 1712, in-12.

«Je tiens, nous dit-il, à l’égard de l’orthographe, entre les anciens et les modernes.» Aussi les modifications qu’il propose 260 sont-elle modérées. Il répond ainsi à ceux qui voudraient conserver les s étymologiques: «Tous les mots où l’on peut supprimer l’s viennent-ils du latin? Et d’ailleurs, ou l’on sait le latin ou on ne le sait pas. S’ils le savent, sera-ce cette lettre supprimée qui les empêchera de reconnoître que répondre vient de respondere, hôte de hospes? Si le lecteur ignore la langue latine, que lui importe?....» Il se plaint avec toute raison de ceux qui, de son temps, mettaient des y partout.

Le désordre et l’incertitude de l’orthographe offraient jusqu’au commencement du dix-huitième siècle de graves inconvénients pour la détermination si importante des noms propres. Ainsi, malgré de patientes investigations, nous ignorons encore la véritable prononciation du nom de famille d’un des plus célèbres imprimeurs de Lyon, écrit tantôt Rouille, Rouillé, Roville. Grimarest cite un écrivain, Touville, inscrivant son nom sur trois écriteaux aux faces de sa maison, tous trois orthographiés différemment: Touuille, Toville, Tovville.

Le P. Gilles Vaudelin, augustin réformé. Nouvelle Maniere d’ecrire comme on parle en France. Paris, Jean Cot et Jean-Baptiste Lamesle, 1713, in-12.—Instruction chrétienne mise en ortografe naturelle, pour faciliter au peuple la lecture de la science du salut. Paris, 1715, in-12.

Le bon père augustin, frappé de l’utilité de rendre la langue française accessible aux classes qui n’ont pas de loisirs, a cru résoudre le problème en créant un alphabet phonétique, composé de 13 voyelles et de 16 consonnes. Un trait, nommé aujourd’hui diacritique, distingue les valeurs différentes d’une même lettre. Il a ainsi un système de représentation nouveau et plus logique pour les sons a, an, ai, é, in, i, e, o, on, eu, un, ou, u. Les consonnes c, g, h, j, n, l, r, z, s, d, t, v, f, p, b, m, n’ont subi aucune modification quant à la forme, sauf que h a changé de valeur et représente ch. S’il n’est pas arrivé à la classification organique des consonnes, qui est une des conquêtes de la philologie moderne, on voit qu’il y tend. Son écriture occupe notablement moins d’espace que la nôtre, et elle figure mieux les sons.

Mais son système a le même défaut que ceux de ses devanciers, c’est-à-dire d’être impraticable, particulièrement à ceux 261 mêmes auxquels il le destine, les femmes, les enfants, les pauvres. Cette addition de traits diacritiques est trop compliquée pour eux et retarde l’essor de l’écriture des personnes instruites, écriture qui doit toujours pouvoir être cursive pour satisfaire aux besoins qui lui ont donné naissance.

* Nicolas Dupont, avocat au parlement, bailli du duché de Châtillon-sur-Loing. Examen critique du traité d’Ortographe de M. l’abbé Regnier Desmarais, Secrétaire perpétuel de l’Académie françoise, avec les principes fondamentaux de l’art d’ecrire. Paris, 1713, in-12.

«Il y a dans ce livre, dit l’abbé Goujet(t. I, p. 113), des remarques et des réflexions dont on peut profiter, et que M. l’abbé Regnier n’auroit peut-être pas dû négliger. On ne pourroit pas cependant conseiller d’adopter son systême: il ne differe en rien pour le fond de celui du pere Vaudelin. Je crois aussi qu’il eût été bien embarrassé de prouver ce qu’il avance, que les Grecs et les Latins avoient une ortographe réguliere, telle qu’il se l’imagine. Étoit-il à portée d’en juger, puisqu’actuellement nous ne savons nullement quelle étoit la véritable prononciation du grec et du latin dans le bel usage de ces deux langues?»

L’abbé G. (Girard, de l’Académie française en 1744). L’Ortografe française sàns équivoques et dàns sés principes naturels: ou l’art d’écrire notre langue selon lés loix de la raison et de l’usage, d’une manière aisée pour lés dames, comode pour lés étrangérs, instructive pour lés provinciaux et nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés diférances de la prononciacion. Paris, Pierre Giffart, 1716, in-12.

L’abbé Girard, comme nous l’avons vu plus haut, p. 139, est un réformateur modéré et un esprit raisonnable. Malheureusement il n’a pas vu que son système d’accentuation ajoute aux difficultés et aux lenteurs de l’écriture au lieu de les écarter.

«On pourrait bien se tromper, dit-il (p. 23), en croyant que ç’a toujours été par dés raisons d’étimologie qu’on a introduit dàns le 262 français tant de lettres inutiles et équivoques. Non, il ne faut pas croire que nos pères aient été d’assez mauvais gout que de mettre à plaisir toutes cés lettres oiseuses et embarassantes dàns leur ortografe; ni qu’ils aient poussé la bizarrerie jusqu’à vouloir écrire leur propre langue tout diférammànt qu’ils ne la parloient, précisémànt pour conserver la mémoire dés emprunts qu’ils faisoient dans une autre langue pour enrichir la leur; ni qu’ils aient pansé comme quelques grammairiens, qui sont ravis de trouver et de conserver dàns le français toutes lés lettres qui sont dàns le latin, sàns se mettre en peine de l’incomodité qu’elles y causent, ni de la mauvaise grace dont elles y figurent. Nos pères n’ont assurémànt point pansé à tous cés petits raisonemans: ils se sont servis dés lettres pour le besoin, et si leur ortografe aproche plus du latin, c’est que leur manière de parler n’en étoit pàs si éloignée qu’en est la nôtre. Ainsi, je suis persuadé que ce n’a point été l’étimologie, mais la prononciacion de cés tams là qui a introduit toutes cés lettres, qui sont devenues inutiles, lorsqu’on s’est avisé de faire dés changemans dans la prononciacion, car une grande partie de nos mots se prononçoient autrefois comme ils s’écrivent aujourdui. Desorte que ce seroit toujours écrire comme on écrivoit que d’écrire comme on prononce.»

Après avoir ainsi donné un exemple de l’écriture du P. Girard, il me reste à en expliquer les détails. L’auteur reconnaît trois sortes d’a: l’a bref ou ordinaire, comme dans parure, amour, canon; l’a long, marqué de l’accent circonflexe, comme dans pâté, pâques, mâtin, et l’a adverbe, marqué par un accent grave, comme dans ces mots à Rome, , au delà, promptemànt. Il est regrettable que le docte jésuite n’ait pas admis la distinction des voyelles nasales de l’abbé Dangeau, qui lui eût fourni une simplification orthographique plus rationnelle que l’accent grave placé sur cet àn. Il écrit complimant, contant, agrémant, parant, acçant, tams, example, tample, réservant la forme ent pour la troisième personne du pluriel des verbes: ils chantent.

Il écrit Anglais, Hollandais, Français, au lieu de Anglois, Hollandois, François; connaitre, paraitre, au lieu de connoître, paroître. S’il conserve oi aux imparfaits, c’est par pur amour de la paix et parce que «ce seroit plûtot témérité que courage de vouloir l’en déloger.»

Il n’admet la simplification du double c que dans quelques mots, 263 comme acorder, acoucher, mais il restitue à cette lettre sa place phonétique dans les mots où t se prononce c. Il écrit donc: caucion, créacion, prononciacion, Gracien, quocien, inicier, primacie. Mais, par esprit d’accommodement, il conserve le t dans ces mots: action, distinction, perfection, examption, exception, où il est précédé d’une c ou d’un p. Il bannit un c dans les mots sçavoir, sçavant, sciance, scène, contract, sainct.

Pour remédier à l’incertitude de prononciation du ch, il le conserve seulement dans les mots charité, cheminée, chose, etc., et le remplace par le k dans ceux où il est dur au lieu d’être aspiré. Il écrit donc kiromancie et arkiépiscopal.

Il serait trop long d’analyser ici le chapitre que l’auteur consacre à la lettre e et les articles de plusieurs autres lettres. Je noterai cependant son opinion sur la lettre f et le ph. Il conserve le ph dans les noms propres transcrits du grec: Phaéton, Philippe, Phocas, Céphale; il l’admet également au mot philosophe, où il croit qu’il sied à merveille, «par le respect que nous devons avoir pour les sages de la Grèce,» ainsi que dans les mots où il est précédé d’un m, comme triompher, nimphe, simphonie. Partout ailleurs l’f lui suffit: exempl.: fantaisie, fanatique, ortografe, profane.

Il regrette qu’on n’ait pas inventé encore une cédille pour distinguer le g doux dans agir, généreux, obligeant, geolier, gageure, du g dur, dans les mots languir, guéridon, Goliath, guide.

Quant à l’h, il ne lui reconnaît pas d’utilité dans les mots crétien, cronique, rétorique, rûme, auteur, téatre, téologie, aujourdui. Il la maintient au commencement des syllabes où elle est d’usage, comme dans homme, honête, hureux (sic)[178], dehors, souhait, haine, «avec cependant une petite marque de distinction dans lés occasions où elle est fortemànt aspirée. Cette marque sera un point placé dans le çantre de cette lettre.»

[178] Telle était la prononciation de la triphthongue eur dans quelques parties de la France, et particulièrement en Normandie. Voltaire se l’est permise dans ces vers:

Il voit les murs d’Anet bâtis aux bords de l’Eure,
Lui-même en ordonna la superbe structure.

Lorsque la voyelle i est suivie d’un l mouillé, il l’écrit avec un tréma, ex.: coquïlle, fïlle, sïllon, pérïl, babïl, gentïl, ce qui nous indique, par parenthèse, que ces trois derniers mots, surtout le dernier, se prononçaient en 1716 autrement qu’aujourd’hui.

264 Il supprime l’œ dans ces mots sœur, bœuf, vœux, qu’il écrit par un e simple: seur, beuf, veux.

Il enlève le p dans temps, baptême, ptisane, corps, niepce, qu’il orthographie tams, batême, tisane, corps, nièce; mais il le garde dans le nombre sept.

Il conserve à la lettre q son u, qu’il appelle servile, mais il distingue par un point supérieur[‡] cet u lorsqu’il se fait entendre, comme ou devant a: aqūatique, éqūateur, qūadrature et comme u devant e et i, dans qūesteur, Qūintilien, Qūinquagésime.

[‡] Point supérieur représenté ici comme dans l'original: ū.

Quand le r ne se prononce pas à la fin des mots, il marque d’un accent aigu l’e qui le précède: singuliér, milliér, particuliér.

La suppression de l’s dans les mots connoistre, maistre, naistre, gouster, lui fournit l’occasion d’une observation assez ingénieuse. Le digramme ou signe binaire ai (qu’il appelle diftongue), étant long de sa nature, il est inutile d’employer l’accent circonflexe, et l’on doit écrire simplement conaitre, maitre, naitre, gouter.

Il réclame une cédille sous le x dans les mots éxamen, éxil, éxample, où cette lettre se prononce comme gz.

Il exclut l’emploi de l’y dans les mots mistique, sistème, hipotèque, sintaxe, sinode, piramide, hipocrite, et même dans ceux-ci: Baïeux, Maïence.

Le petit traité de l’abbé Girard fournit matière à une foule d’autres remarques intéressantes.

Plan d’une ortographe suivie, pour les imprimeurs. (Dans les Mémoires de Trévoux, août 1719.)

«L’ortographe françoise étant fort incertaine, à cause de l’usage différent des auteurs, qui en ce point se contrarient les uns les autres et souvent se contrarient eux-mêmes, il est bon, pour tirer les imprimeurs d’embarras, de leur fournir, comme ils l’ont souvent demandé, des régles auxquelles ils puissent s’attacher, pour garder dans l’ortographe la commodité et l’uniformité convenable et dont ils puissent rendre raison, quand ils ne seront pas obligez par les auteurs d’en user autrement. Ces reflexions ne seront point d’un moindre usage pour les etrangers qui sont encore plus embarrassez sur ce point que nos imprimeurs.»

Ces réformes, très-sages, ont presque toutes été acceptées. Elles consistent:

On voit que, dès l’année qui suivait la publication de la seconde édition du Dictionnaire de l’Académie, on introduisait dans les imprimeries l’usage qui a prévalu en grande partie vingt-un ans plus tard dans la troisième.

* Méthode du sieur Pierre Py-Poulain de Launay, ou l’Art d’apprendre à lire le François et le Latin, et l’Ortographe, par un nouveau systême si aisé qu’on y fait plus de progrès en trois mois qu’en trois ans par la maniere ordinaire. Paris, 1719, in-12.—Pierre Py-Poulain de Launay, fils du précédent. Le même ouvrage corrigé, perfectionné, et 266 augmenté considerablement: avec des réflexions sur le systême du bureau Typographique, et un nouveau systême d’ortographe. Paris, 1741, in-12.

Je n’ai pu encore voir ce petit ouvrage. Goujet en parle ainsi:

«Ceux qui en ont profité sont loüables. Il est certain qu’en réformant quelques idées de cet auteur et en en perfectionnant quelques autres, son ouvrage ne pourroit être que très-utile aux commençans, pour la prononciation surtout et pour l’ortographe. Quand il présenta sa méthode en 1713 à M. l’abbé Bignon, ce savant, après l’avoir examinée, y trouva de fort grands avantages et applaudit au zéle et aux vûës de l’auteur..... L’abbé d’Orsanne, chanoine de l’église de Paris et directeur des petites écoles de cette ville, lui donna aussi son suffrage, et l’expérience a montré depuis que l’on pouvoit s’en servir avec beaucoup d’utilité.

«Je ne sçai, au reste, sur quoi le sieur Py-Poulain s’est fondé, lorsqu’il a dit que le célèbre Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, avoit eu sur ce sujet les mêmes idées que lui, et lorsqu’il fait entendre que ce ne sont proprement que les idées de cet abbé qu’il développe. Je ne connois aucun ouvrage de M. de Saint-Cyran sur la grammaire. Je sçai seulement qu’il avoit toujours eu d’excellentes vûës pour l’éducation de la jeunesse et qu’il les communiqua à ceux qui se chargerent de son tems de la conduite des écoles qui ont été connuës sous le nom d’écoles de Port-Royal.»

L. Pierre de Longue. Principes de l’ortographe françoise, ou réflexions utiles à toutes les personnes qui aiment à écrire correctement. Paris, 1725, in-12.

Dans ce traité, très-estimable, où sont discutés les principes de l’orthographe française, l’auteur donne l’exemple des améliorations qu’on y peut apporter. La manière dont son texte est écrit peut en faire juger dès le début.

«Les homes ne peuvent se contenter dans leurs recherches. Ils voudroient trouver la perfection dans tous les arts, la vérité dans toutes les siences, le souverain bien partout, dans les vertus, les vices même; cette agitation continuelle de l’ame ne prouve-t-elle pas l’immortalité?

267 «L’ortographe est donc l’art d’écrire correctement et conformément aux lois que l’usage établit. Suivant cette définition générale, cette sience s’étendroit plus loin qu’on ne le croit. Elle comprendroit la LOGIQUE, la RÉTORIQUE, toutes les connoissances qui contribuënt à nous faire bien parler, et conséquemment à nous faire bien écrire.»

Il écrit silabe, persone, tiran, rebeles, raisonement, stile, pouroient, Egiptien, hieroglifes, atentifs, amphase, voyèle, ocasion, atention[179], soufert, dificulté, batu, consone, bibliotèque, acoutumer, suputer, chifre, honète, etc.

[179] Bossuet, plus logique, écrivait atantion, atantat, atantif, atantivement.

Ch. Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, membre de l’Académie française. Discours pour perfectioner l’Ortografe. (Dans les Mémoires de Trévoux, février 1724, et dans le Journal des Savans, avril 1725.)—Projet pour perfectionner l’ortografe des langues d’Europe. Paris, Briasson, 1730, in-8 de 266 pp. et 1 f.

Dans son ardent amour de l’humanité, dans son zèle pour le rapprochement intellectuel des peuples de notre continent, le bon abbé de Saint-Pierre conçut, près d’un siècle avant Volney, le plan d’une écriture et d’une orthographe applicables à divers peuples de l’Europe. Il ne lui fut pas donné comme à son successeur de trouver le moyen d’approprier l’alphabet latin aux langues de l’Asie dites sémitiques. L’étude comparée des idiomes était à peine ébauchée au commencement du siècle passé. L’ouvrage d’Irénée Castel, faible dans la conception des moyens de représentation phonétique, n’en renferme pas moins des vues ingénieuses et des aperçus qui révèlent la sagacité de l’observateur. Il m’est impossible de figurer ici son orthographe, parce que, pour déshabituer l’œil de son lecteur des formes traditionnelles, il écrit alternativement les mots par les différentes lettres qui peuvent en figurer le son. Ce procédé, qu’il considère comme un acheminement à la réforme, est chez lui un système.

«Quel est le but de l’art de l’ortografe, se demande-t-il, de cet art si beau et si précieux, avec lequel nous pouvons faire 268 entendre nos sons articulés, c’est-à-dire nos paroles, et par conséquent nos pensées à ceux qui vivent ou qui vivront et à qui nous ne pouvons parler? Quelle est la fin de cet art avec le secours duquel nos yeux nous servent d’oreilles et notre main nous sert de langue, de voix, d’articulation, en un mot de prononciation? Quel est le but de cet art qu’un de nos poëtes nous peint si élégamment en deux vers:

C’est de Tyr[180] que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux.

[180] La science moderne a démontré, contrairement au témoignage de la plupart des historiens de l’antiquité, et à l’aide de monuments irrécusables, que l’alphabet n’avait pas été inventé par les Phéniciens, et que ceux-ci l’avaient reçu de Babylone ou de Ninive. (Voir Noël des Vergers, l’Étrurie et les Étrusques, t. III, Appendice sur l’histoire de l’écriture.)

«Le but de cet art, c’est certainement d’exprimer exactement et sans laisser aucun doute, par un petit nombre de figures simples, faciles à former et à distinguer, tous les mots dont les hommes se servent en parlant.»

Partant de cette juste définition, l’auteur remarque avec beaucoup de raison qu’il y a un grand inconvénient à conserver dans les langues des lettres qui ne se prononcent pas: si l’enfant, par exemple, s’est accoutumé à prononcer abbé comme s’il n’y avait qu’un seul b, arrivé à l’étude du latin, il prononcera, en vertu de la logique naturelle de l’esprit, abas, au lieu de abbas, en italien abate au lieu de abbate; en même temps, en français, s’il s’est habitué à lire effet comme s’il y avait éfet, il lira effrayé, comme s’il y avait éfrayé.

Cette observation est très-judicieuse, et j’ai signalé plus haut, ainsi que l’a si bien fait M. Littré (voir p. 164), l’action de l’écriture sur la prononciation, qu’elle altère à la longue.

Dans son Discours pour perfectioner l’ortografe l’auteur envisage historiquement les vicissitudes de l’écriture française: «Si dans l’origine, dit-il, on a prononcé le mot sentir comme on prononce en latin sentire, on a dû écrire ce mot comme on le prononçoit, par e, mais nous devons aujourd’hui l’écrire comme nous le prononçons.»

Il croit que la langue était beaucoup moins riche trois ou quatre cents ans auparavant, mais que l’orthographe de cette époque 269 était beaucoup meilleure que la nôtre, c’est-à-dire qu’elle ressemblait beaucoup plus à la manière de prononcer alors en usage.

Il recherche les causes des dissidences orthographiques: «Si dans notre ortographe les François avoient suivi peu à peu et exactement les changemens qui arrivoient peu à peu dans la prononciation de quelques mots, notre ortografe d’aujourd’hui seroit bien moins imparfaite; mais, sans y faire de réflexion, nous avons continué à écrire les mêmes mots de la même manière que nos aïeux, sans songer qu’ils les prononçoient d’une manière très différente de celle dont nous les prononçons.»

Il a connu, dit-il, des vieillards qui prononçaient je courois comme une couroye. La prononciation a changé, ne serait-il pas raisonnable de changer également l’écriture? Mais on ne peut le faire que par degrés. L’auteur développe cette dernière proposition avec beaucoup de force et de raison.

Il y a cinquante ou soixante ans, ajoute-t-il, on a commencé à changer quelque chose dans l’écriture de peur qu’elle ne ressemblât presque plus à la fin à celle d’aujourd’hui. Plusieurs ont même ôté depuis quelques lettres que l’on avait gardées uniquement pour faire connaître les origines: ils ont écrit sience, aprendre, filosofe, saint et non sainct; ils ont ainsi en diverses occasions retranché certaines lettres qui ne se prononçaient plus ou ne s’étaient jamais prononcées.

«Dès que l’on veut bien écouter la raison contre la mauvaise coûtume, on sent que ces premiers novateurs sur l’ortografe ont déjà rendu un grand service à notre langue d’écriture en tâchant de la faire insensiblement ressembler davantage à notre langue de prononciation.

«Rien ne se perfectione sans nouveauté, et il est de la nature des ouvrages humains de pouvoir toûjours se perfectionner.»

Il résume ainsi les cinq sources de la corruption présente et de la corruption future de l’orthographe et les cinq inconvénients auxquels il se propose de remédier:

«1o Négligence à suivre dans l’orthografe les changemens qui arrivent dans la prononciation;

270 «2o Négligence à inventer autant de figures qu’il y a de sons et d’articulations connues;

«3o Négligence à donner quelques marques aux lettres quand on les employait à quelque autre fonction qu’à leur fonction ordinaire;

«4o Négligence à marquer dans chaque mot les lettres qui ne s’y prononcent plus;

«5o Négligence à marquer les voyelles longues.»

Malheureusement, l’abbé de Saint-Pierre, n’ayant pas réfléchi aux nécessités de l’écriture courante et de la typographie, a eu recours pour fixer la valeur des lettres, et comme moyen transitoire, à un système de petits traits placés au-dessus ou au-dessous de la ligne et dont la complication devait rendre sa réforme impraticable.

Maurice Jacquier. Méthode très-facile pour apprendre l’ortographe à ceux ou celles qui n’ont pas étudié le latin, et utile aux personnes qui ont la connoissance des belles lettres. Paris, 1725, in-8. La quatrième et la cinquième édition de cet ouvrage parurent sous ce titre: La méthode pour étudier et pour enseigner l’ortographe et la langue françoise, mise à la portée de toutes sortes de personnes de l’un et de l’autre sexe. Paris, 1740, pet. in-8; La Haye et Francfort, Jean van Duren, 1742, pet. in-8 de 400 pp. (Elles diffèrent des précédentes par la méthode d’enseignement et ont été augmentées d’une table en forme de dictionnaire.) Une autre cinquième édition sensiblement modifiée parut sous ce titre: Méthode pour aprendre l’ortographe et la langue françoise par principes. Cinquième édition, la seule dont on puisse se servir utilement. Paris, 1751, in-8 de 2 ff. et 332 pp.

La méthode de l’auteur, établie sur le son, sur les principes et sur l’usage, échappe à toute analyse. Il se prononce fortement contre le maintien des lettres étymologiques dans les mots dérivés du grec. Ce n’est du reste qu’un livre d’enseignement de l’orthographe d’usage.

271 Cheneau, sieur Du Marsais. Des Tropes ou des diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Troisième édition. Paris, Prault, 1775, in-12 de XXII-362 pp. et 4 ff. (La première édition est de 1730.)

Le célèbre auteur des Tropes s’exprime ainsi:

«La prononciation, c’est un usage; l’écriture, c’est un art. Tout art a sa fin et ses principes, et nous sommes en droit de représenter, à propos de l’écriture, qu’on ne suit pas les principes de l’art, qu’on n’en remplit pas la fin, et qu’on ne prend pas les moyens propres pour arriver à cette fin.

«Il est évident que notre alphabet est défectueux, en ce qu’il n’a pas autant de caractères que nous avons de sons dans notre prononciation. Ainsi, ce que nos pères firent autrefois, quand ils voulurent établir l’art d’écrire, nous sommes en droit de le faire aujourd’hui pour perfectionner ce même art, et nous pouvons inventer un alphabet qui rectifie tout ce que l’ancien a de défectueux.

«L’écriture n’a été inventée que pour indiquer la prononciation; elle ne doit que peindre la parole, qui est son original; elle ne doit pas en doubler les traits, ni lui en donner qu’elle n’a pas, ni s’obstiner à la peindre à présent telle qu’elle était il y a plusieurs siècles.»

D’Alembert énonce ainsi son opinion sur l’ouvrage de Du Marsais: «Tout mérite d’être lu dans le Traité des tropes, jusqu’à l’errata; il contient des réflexions sur notre orthographe, sur ses bizarreries, ses inconséquences et ses variations. On voit dans ces réflexions un écrivain judicieux, également éloigné de respecter superstitieusement l’usage et de le heurter en tout par une réforme impraticable.» (Éloge de Du Marsais, dans le t. VII de l’Encyclopédie.)

Voici cet errata dont parle d’Alembert[181]:

[181] Je crois que l’errata dont il est question ne se trouve que dans cette édition que je possède. On a eu grand tort de la supprimer dans les éditions postérieures.

«Je ne crois pas qu’il y ait de fautes typographiques dans cet ouvrage par l’atention des imprimeurs, ou, s’il y en a, elles ne sont pas bien considérables. Cependant, come il n’y a point encore en France de manière uniforme d’orthographier, je ne doute 272 pas que chacun, selon ses préjugés, ne trouve ici un grand nombre de fautes.

«Mais, 1o mon cher lecteur, avez-vous jamais médité sur l’orthographe? Si vous n’avez point fait de réflexions sérieuses sur cette partie de la Grammaire, si vous n’avez qu’une orthographe de hazard et d’habitude, permettez-moi de vous prier de ne point vous arêter à la manière dont ce livre est orthographié, vous vous y acoutumerez insensiblement.

«2o Êtes-vous partisan de ce qu’on apèle anciène orthographe? Prenez donc la peine de mettre des lettres doubles qui ne se prononcent point, dans tous les mots que vous trouverez écrits sans ces doubles lettres. Ainsi, quoique selon vos principes il faille avoir égard à l’étymologie en écrivant, et que tous nos anciens auteurs, tels que Villehardouin, plus proches des sources que nous, écrivissent home de homo, persone de persona, honeur de honor, doner de donare, naturèle de naturalis, etc., cependant ajoutez un m à home et doublez les autres consones, malgré l’étymologie et la prononciation, et donez le nom de novateurs à ceux qui suivent l’anciène pratique.

«Ils vous diront peut-être que les lettres sont des signes, que tout signe doit signifier quelque chose, qu’ainsi une lettre double qui ne marque ni l’étymologie ni la prononciation d’un mot est un signe qui ne signifie rien, n’importe: ajoutez-les toujours, satisfaites vos yeux, je ne veux rien qui vous blesse, et pourvu que vous vous doniez la peine d’entrer dans le sens de mes paroles, vous pouvez faire tout ce qu’il vous plaira des signes qui servent à l’exprimer.

«Vous me direz peut-être que je me suis écarté de l’usage présent: mais je vous suplie d’observer:

«1. Que je n’ai aucune manière d’écrire qui me soit particulière et qui ne soit autorisée par l’exemple de plusieurs auteurs de réputation.

«2. Le P. Bufier prétend même que le grand nombre des auteurs suit aujourd’hui la nouvèle orthographe, c’est-à-dire qu’on ne suit plus exactement l’anciène. J’ai trouvé la nouvèle orthographe, dit-il (Grammaire françoise, p. 388), dans plus des deux tiers des livres qui s’impriment depuis dix ans. Le P. Bufier nome les auteurs de ces livres. Le P. Sanadon ajoute que depuis la suputation du P. Bufier le nombre des partisans de la nouvèle orthographe s’est beaucoup augmenté et s’augmente encore tous les 273 jours [Poësies d’Horace, préface, p. XVII[182]]. Ainsi, mon cher lecteur, je conviens que je m’éloigne de votre usage; mais, selon le P. Bufier et le P. Sanadon, je me conforme à l’usage le plus suivi.

[182] Le P. Sanadon a suivi une orthographe simplifiée dans l’édition qu’il a donnée de sa traduction d’Horace, et j’ai le droit de le faire figurer parmi les réformateurs.

«3. Êtes-vous partisan de la nouvèle orthographe? vous trouverez ici à réformer.

«Le parti de l’anciène orthographe et celui de la nouvèle se subdivisent en bien des branches: de quelque côté que vous soyez, retranchez ou ajoutez toutes les lettres qu’il vous plaira, et ne me condânez qu’après que vous aurez vu mes raisons dans mon Traité de l’ortographe (sic).»

La Bibliotèque des enfans, ou les premiers elemens des letres, contenant le sistême du Bureau tipografique, etc., à l’usage de Mgr le Dauphin et des augustes enfans de France. Paris, Pierre Simon, 1733, 4 vol. in-4.

Dans cet important ouvrage, la pratique est unie à la théorie, puisqu’il est entièrement imprimé dans le système d’écriture très-simplifié mis au jour par le Bureau typographique. L’alphabet n’y est en rien altéré. On voit que le succès obtenu dans l’enseignement de la jeunesse fut remarquable, car il est consigné dans les actes déposés au greffe de la juridiction de M. le chantre de l’Église de Paris, où on lit:

«Nous, après avoir entendu l’auteur et vu les enfants travailler audit bureau, aïant examiné le tout avec exactitude, avons jugé ledit système très ingénieus, fort propre à avancer la jeunesse sans la dégouter et très capable d’oter les epines qui se trouvent, surtout en aprenant aux enfans les premiers elemens. C’est pourquoi nous estimons et croyons que monsieur le chantre peut permettre la pratique de ce sistème et l’exercice du Bureau tipographique dans les écoles de sa juridiction et exhorter les maistres à le pratiquer, etc.»

On peut juger de ce système d’orthographe dès le début du livre, que je crois rédigé par Dumas, fondateur du Bureau typographique:

«Bien des gens s’imaginent que de comancer deus ou trois 274 ans plus tot ou plus tard, cela ne sauroit guere influer ni en bien ni en mal dans le reste de la vie, et qu’enfin l’education tardive peut mener également à la perfection. C’est là un préjugé que l’ignorance ét la coutume paroissent n’avoir déjà que trop autorizé; car le dégout de la plupart des écoliers ne vient peut être pas moins d’une education tardive que d’un défaut de disposition aus lètres. Je pense donc qu’il seroit utile que l’enfant pût lire presque aussitot qu’il sait parlér: cela lui doneroit plus de facilité dans tous ses exercices. La diference d’un enfant qui lit à trois ans ét de celui qui à peine lit à sèt doit être contée pour beaucoup dans la suite des études. Il y a tant de choses à aprendre qu’on ne sauroit comancer trop tôt.» L’auteur cite à ce propos l’exemple du Tasse: il apprenait la grammaire à trois ans, et avec un tel succès que son père l’envoya au collége des jésuites à quatre ans.

L’auteur donne des exemples de la multiplicité des manières dont l’enfant est contraint de figurer un même son:

Son AN.
an (annus) ean Jean
anc franc em empire
and quand emp exempte
ang rang emps temps
ham Ham empt exempt
han hanter en ennui
ans dans end il rend
ant tant ens sens
ants enfants ent dent
aen Caen han Rohan
aon Laon hen Henri
Son IN.
en rien in vin
ens biens inct instinct
ent il vient ingt vingt
ein sein ingts quatre-vingts
eing seing inq cinq
eint feint ins tu vins
aim faim int il prévint
ain vain ym lymphe
ainc il vainc yn lynx
aint saint eim Reims
ains bains ain craindre
im guimpe    

Ce précieux ouvrage contient le germe de nombreuses améliorations des méthodes d’enseignement de la langue.

Le Précepteur, c’est-à-dire huit traités, savoir une grammaire francèse, une ortografe francèse, etc., 1750, in-4 (pp. 1-132).

L’auteur de ce livre destiné à l’instruction de la jeunesse se prononce pour l’orthographe conforme à la prononciation, et il 275 conseille de s’avancer progressivement dans cette voie par des réformes partielles.

«Autrefois, dit-il (p. 33), la prononciation des mots et l’ortografe étoient conformes; la prononciation a changé, elle est devenuë plus douce et plus polie: l’ortografe est presque demeurée dans le même état; il faut donc l’ajuster à la prononciation peu à peu autant qu’il sera possible.»

Et plus loin (p. 55):

«On perfectionne tous les jours les sciences et les ars: pourquoi s’obstine-t-on à ne vouloir pas perfectionner l’ortografe francèse, qui est si nécessaire, si utile et si en usage? Tout le monde reçoit avidement toutes les modes nouvelles de s’abiller, de se meubler, de bâtir, d’agir, quoique mauvaises et embarassantes: pourquoi refuse-t-on de recevoir une nouvelle manière d’écrire plus raisonable et plus avantageuse que la vielle?»

Dans les Règles particulières de l’ortografe francèse, il s’attache au système proposé par Richelet, qu’il appelle le chef des réformateurs de l’ortografe, qui consulte plutôt la prononciation que l’étimologie.

A ce propos, il dit:

«Quant une coutume est mauvaise, pernicieuse, il faut la quitter, quoique cela soit difficile, parce que cette coutume est un abus; c’est là une maxime reçue de tous les omes.»

Il supprime les lettres doubles qu’on ne prononce pas; p. ex.: acabler, épé, aler, arèt.

Les consonnes finales muettes; p. ex.: blan, canar.

Il omet l’e devant l’a; p. ex.: bau, Jan, et o devant eu; p. ex.: euf, euvre.

Il retranche l’r final de tous les noms terminés en er et ier, sauf les verbes et les mots dont l’r final se lie au mot suivant commençant par une voyelle; p. ex.: charbonié, premier ome.

Il supprime à tort le s devant le c; p. ex.: acendant; il abandonne aussi le h étymologique et le trait d’union.

276 De Wailly. Principes généraux et particuliers de la langue française, avèc les moyéns de simplifier notre orthographe, des remarques sur les lètres, la prononciation, la prosodie, la ponctùation, l’orthographe et un abrégé de la versification française. Paris, 1754, in-12; 7e édit., ibid., J. Barbou, 1773, in-12 de 600 pp. (Souvent réimprimé.)—De l’Orthographe. Paris, 1771, in-12.—L’Orthographe des dames, ou l’orthographe fondée sur la bonne prononciation, démontrée la seule raisonnable, par une société de dames (sans nom d’auteur). Paris, Mérigot le jeune, 1782, in-12 de VIII et 360 pp.

Dans le petit traité anonyme de l’Orthographe des dames, de Wailly embrasse de la manière la plus nette toutes les parties de la réforme. Voici l’analyse de quelques-unes des critiques qu’il adresse à l’écriture de son temps.

«II. Dans un grand nombre de mots, dit-il, on double les consonnes contre l’étymologie et la prononciation

Ex. Candela, chandelle; (scala, échelle; (tutela, tutelle; (particula, parcelle; (crudelis, cruelle; (mortalis, mortelle; (donare, donner, donneur, s’adonner; (nominare, nommer, surnommer, dénommer; (butyrum, beurre; (batuere, battre.

Au contraire, à cause de l’étymologie, on écrit: égale d’(æqualis, capitale de (capitalis, vile de (vilis, subtile de (subtilis, puérile de (puerilis, crédule de (credulus, érysipèle d’(erysipelas, parallèle de (parallelus.

«III. Dans les dérivés de ces mots, on se conforme à l’étymologie et à la prononciation.»

«IV. Le sentiment des grammairiens qui disent que si l’on redouble la consonne, c’est pour avertir que la voyelle précédente est brève, nous paroît faux, inutile, déraisonnable.»

«1o Cette opinion est fausse, puisque nous avons beaucoup de syllabes longues, quoique la voyelle soit suivie d’une double consonne: ex., flamme, manne, condamne, barre, terre, squirre (sic), bataille, raille, baillon (sic), basse, que je donnasse, que je promisse, que je lusse, il cesse, etc.

«2o Elle est inutile, puisque nous avons un très-grand nombre de syllabes brèves, quoique la voyelle ne soit pas suivie d’une 277 consonne redoublée: arabe, syllabe, robe, préface, audace, façade, carafe, rigole, ridicule, capitaine, phénomene, Rome, pape, etc.

«3o Elle est déraisonnable. La réduplication des consonnes auroit dû plutôt servir à allonger les syllabes. C’est ainsi que la réduplication des voyelles étoit autrefois un signe de longueur. On écrivoit aage, beeler, roole; on employoit aussi l’s pour le même usage: asne, feste, épistre, apostre, fluste. On écrit avec l’accent long âge, bêler, rôle, âne, fête, épître, apôtre, flûte. Nous espérons, Messieurs (ajoutent les dames), qu’en faveur de la prononciation et de l’uniformité, vous supprimerez de même une des deux consonnes, puisque la règle qui prescrivoit la réduplication est fausse, inutile, déraisonnable.

«Dans le latin, toute voyelle suivie d’une consonne redoublée est longue: ainsi la syllabe fe, qui est brève dans fero, aufero, devient longue dans ferre, auferre, etc.»

Wailly demande que l’on emploie exclusivement l’accent circonflexe à marquer la longueur des syllabes. On écrirait donc la tête et il tète, la pâte et la pate, occasionel, il occasione, la prune, il débute, il plaît, il paît. Toute voyelle non accentuée du circonflexe serait réputée brève. Il faut lire tout cet excellent chapitre dans l’ouvrage même.

«V. Dans une grande quantité d’autres mots, l’étymologie, OU VRAIE OU PRÉTENDUE, fait employer les lettres en dépit de la prononciation

«VI. La prononciation, à son tour, fait supprimer, malgré l’étymologie, plusieurs lettres d’une autre foule de mots.

«Pour plaire à l’étymologie, on écrivoit autrefois: saoul, saouler, saoulard, abbaisser, abboyer, abbréger; conflict, contract, sainct, défunct; adjouster, advocat, aggrandir, aggréger; eschole, méchanique, patriarchal, paschal, cognoistre, prognostiquer, aultre, aulne, faulcon, poulmon, soulphre, mammelle, convent, asnon, chastiment, espier, estre, chrestien, apostre, etc. On écrivoit aussi aage, beeler, roole, campaigne, gaigner, reigle, vuide, vuider, etc. Aujourd’hui l’Académie et les meilleurs auteurs suivent pour ces mots et une infinité d’autres les lois de la prononciation; ils en ôtent les voyelles et les consonnes qui ne s’y prononcent plus... En un mot, il n’y a pas une lettre dans l’alphabet que l’on n’ait supprimée d’un très-grand nombre de mots, parce qu’on ne les y prononce plus.»

278 «VII. Dans les mêmes mots, l’étymologie fait conserver une lettre malgré la prononciation, et à son tour la prononciation en fait retrancher une ou plusieurs autres, malgré l’étymologie.»

L’auteur, après avoir établi sa proposition par de nombreuses preuves, demande qu’on écrive d’une manière uniforme: apeler, j’apèle, tu apèles, il apèle, nous apelons, vous apelez, ils apèlent; je jète, etc.; nous prenons, vous prenez, ils prènent; nous tenons, ils tiènent; étincèlemant, chancèlemant, renouvèlemant, démantèlemant, décèlemant, chancelier, chancèlerie, gabeleur, gabèle, etc.

«Pourquoi, après avoir écrit avec une seule r courir, coureur, coureuse, chariage, charier, chariot, etc., en met-on deux dans courrier, courriere, charretée, charrette, charroi, charron, etc.?

«VIII. Après avoir écrit un grand nombre de mots d’une maniere conforme à l’étymologie et à la prononciation, vous en écrivez une très-grande quantité d’autres analogues à ceux-ci d’une maniere contraire à l’étymologie, à la prononciation ou à l’analogie.»

L’auteur appuie cette assertion d’un grand nombre d’exemples et il demande que, selon la raison et l’uniformité, on écrive: èle est cruèle, la dentèle, la voyèle, come, home ou ome, courone, couroner, persone, actioner ou accioner, diccionêre, abandoner, personel, sérure, il poura, alouète, amulète, barète, sote, sotise, etc.

«IX. Sans que la prononciation l’exige, vous écrivez d’une maniere différente des mots dérivés les uns des autres.»

Suivent les exemples: d’un côté, abatage, abatis, abatant; de l’autre, abattement, abatteur, abattre, abattures, etc.

«X. Vous orthographiez d’autres mots de la même façon, quoique la prononciation exige qu’ils soient écrits différemment.»

Je citerai entre autres exemples: août, aoûté, femme et femmelette, innocent et innover, année et annuité, solennel, solennité.

«XIV. Votre orthographe actuelle n’a presque point de regle qui n’ait ses exceptions, exceptions qui ont elles-mêmes les leurs.

«Une regle de votre orthographe dit que pour former du masculin le féminin dans les adjectifs qui se terminent par une consonne, on ajoûte au féminin un e muet.»

279 Exception. Les adjectifs en el, ol, ul, eil, an, ien, on, at, et, ot, etc., doublent la consonne finale. Ex.: cruel, cruelle, mortel, mortelle (malgré le latin crudelis, mortalis), fol, folle (quoique l’Académie écrive folie, folichon, folâtre); nul, nulle; paysan, paysanne (malgré le latin paganus); parisien, parisienne (malgré parisinus); bon, bonne (malgré bonus et bonifier); net, nette (malgré nitidus); sujet, sujette (malgré subjectus et sujétion).

Exception de l’exception. Océan fait océane; mahométan, mahométane; espagnol, espagnole; délicat, délicate; nacarat, nacarate; complet, complète; discret, discrète; bigot, bigote; dévot, dévote; brut, brute, etc. Quel inconvénient y auroit-il, ajoutent les dames, d’écrire, sans doubler la consonne, cruèle, mortèle, fidèle, fole, mole, nule, péisane, anciène, parisiène, bone, barone, boufone, nète, nèteté, nètemant, nétoiier, nètoîmant, cadète, sujète, etc.[183]?

[183] Il eût été plus simple de remplacer par l’è la double consonne dans les mots cruelle, mortelle, comme on le fait dans fidèle, mais c’est pour ne pas choquer trop subitement les habitudes que je n’ai pas cru devoir proposer ce changement.

Autre règle. «Les adjectifs en aux, en eux, et en oux, changent au féminin x en se ou en sse ou en ce: faux, fausse; généreux, généreuse; jaloux, jalouse; roux, rousse; doux, douce. Ne seroit-il pas plus naturel, plus conforme à la prononciation et à l’analogie, de terminer ces adjectifs par un s: FAUS, fausse, faussemant, faussêre, fausser, fausseté; GÉNÉREUS, généreuse, etc.; JALOUS, jalouse, jalousie, jalouser; ROUS, rousse, roussâtre, rousseur, roussir; DOUS, dousse, dousseur, doussemant, adoussi, etc.? Ces derniers mots ainsi écrits suivroient l’analogie des autres.

«Par la même raison, la CROIS donneroit croiser, croisète, croisillon, croisade; la POIS, poisser, empoisser; la PAIS, paisible, etc., ou la PÊS, pêsible, etc.»

L’auteur étudie ensuite les substantifs terminés au singulier en au, eau, eu, œu, ieu et ou, et conclut à ce qu’on introduise partout au pluriel l’s au lieu de l’x. Ex.: les maus, les feus, les caillous, les chevaus sont égaus, aus travaus.

Il aborde ensuite l’anomalie dont M. Léger Noel faisait de nos jours le sujet de ses recherches: les substantifs ou adjectifs masculins en al, el, il, ol, ul, comparés aux autres également masculins 280 en ale, ele, ile, ole, ule, ou alle, ille, olle, ulle. «Comment se tirer, disent à ce propos les dames qu’il met en cause, d’un pareil labyrinthe? Comment pouvoir se rappeler qu’ici il ne faut point d’e muet, que là il en faut un, que dans tel mot il faut deux l et que dans d’autres il n’en faut qu’une? Se trouve-t-il bien des François qui puissent dire véritablement: je connois les noms masculins terminés en al, ale, alle; el, ele, elle; il, ile, ille; ol, ole, olle; ul, ule, ulle

Suit un ample travail sur l’accentuation orthographique dans lequel Wailly émet des idées et préconise des procédés semblables à ceux de Beauzée. (Voir plus loin, p. 296).

Le docte académicien se prononce (p. 113) pour la simplification orthographique des mots tirés du grec. Il propose: anbroisie, anfigouri, ancolie, anquiloglosse, anquilose, antelmintique, antologie, arcaïsme.

Il cite comme exemples de la difficulté de la prononciation à la lecture par suite de la bizarrerie orthographique les phrases suivantes:

«La citrouille étoit bien aoûtée; on l’a donnée aux aoûterons à la fin du mois d’août; ils l’ont mangée dans une encoignure avec des oisons, des poissons et des oignons qu’ils ont pris dans un coin de l’oignoniere.

«Un anachorete vint avec un catéchumène chercher M. l’archevêque ou son archidiacre au palais archiépiscopal.»

«La biche a faonné auprès de la Saône; nous avons pris son faon qui avoit été mordu d’un taon, pendant que nous jouïons au pharaon.»

«Tranquille avec sa béquille, il entra dans la ville avec sa fille, qui perça une anguille avec son aiguille.»

Heureusement pour les lecteurs, de Wailly a pris la peine de figurer à l’aide de son orthographe la prononciation de tous ces mots, sans quoi plus d’un détracteur de sa réforme eût pu, je le crains, hésiter pour quelques-uns d’entre eux en les lisant à haute voix.

Dans la seconde partie de ce traité si précieux et si rare, de Wailly a placé, à l’imitation de Godard, un discours des lettres sur les difficultés et les imperfections de l’orthographe actuelle. Chacune de nos lettres y prend tour à tour la parole pour exposer, avec autant de clarté que de raison, les vices d’emploi auxquels on l’a assujettie. Les phonographes postérieurs, Domergue, Marle, 281 Féline, M. Raoux, s’ils eussent connu cette mine si riche de matériaux, n’auraient eu qu’à copier. Wailly me semble même plus complet qu’aucun d’eux.

texte original
Fragment de la page 281 originale

Je m’aperçois au discours de la lettre G que Wailly a remarqué avant moi l’utilité que l’on pourrait tirer de l’emploi du g surmonté d’un point; seulement, il veut le faire servir au remplacement du j et du g doux, tandis que je propose seulement de s’en servir au lieu du ge ou g doux. Il écrit donc ġaloux, ġardin, gouġon, gaġure, ġôlier, ġustice[184]. Il distingue deux formes de l’s, l’s longue pour celle qui a le son ordinaire et l’s courte dans les mots où elle peut avoir le son du z.

[184] La nouvelle forme du g, g, accueillie maintenant par la typographie moderne, rend l’application plus facile qu’elle ne l’était du temps de de Vailly. Cette forme se rapproche en effet beaucoup plus du j que celle du g.

[‡] Nous utilisons ici le ġ pour représenter le g pointé italique de l'original.

La troisième et dernière partie est la mise en application de la réforme ainsi préconisée au nom du sexe féminin. Je crois devoir en reproduire ici l’exposition fac-simile:

«Pratique de l’Ortografe fondée ſur la bone prononciation.

«Juſqu’ici, Méſieurs, nous nous ſomes fet èder pour nous conformer à l’Ortografe actúele; mês, come nous avons, à ce qu’il nous ſanble, démontré de la maniere la plus ſanſible, qu’èle êt plène de bisâreries é de contradiccions; qu’èle chanġe continuèlemant ſans principes é ſans uniformité; que les Diccionnêres é les Auteurs ne ſont d’acord preſque ſur aucun point; qu’èle êt dépourvue de regles fixes; que, de votre propre aveu, il nous êt moralement impoſſible de la ſuivre; nous alons désormês ortografier ſuivant la réforme que nous desirons. Nous ſuivrons ſurtout les lois de la bone prononciacion, comme le ſeul guide rêsonable an cete matiere, ou, ce qui reviént au même, come le seul qui ſoit véritablemant à la portée de tout le monde. Inſi nous ſuprimerons les lètres qui ne se prononcent ġamês. Par-tout où nous antandrons le ſon de l’a, nous anploîrons un a. Par-tout où l’oreille nous indiquera le son de l’e, nous ferons usage de l’e, au lieu des æ, œ, ai, eai, ei, oi, eoi qu’on anploie ſouvant pour l’e.

Nous subſtitûrons l’i francês à l’y grec; le f au ph; le ci au ſi qui sone come çi; le ġ ponctué au j; les ġa, ġo, ġu aus gea, geo, geu. Nous anploîrons le qu avant l’e et l’i seulemant; avant les autres lètres nous ferons usaġe du c. (Voyez au diſcours de la lètre 282 Q une excepcion pour les terminêsons des verbes an quer.) La longue ſ aura toujours le ſon siflant, antre deux voiıelles: paraſol, préſéance, reſantir, préſantir, etc. On anploîra l’s courte dans les mots où èle a ou peut avoir le ſon du z. Le z ne ſ’anploîra qu’au comancemant des mots, à la fin d’aſſez, chez, nez, rez de chauſée, é des segondes perſones dans les verbes, vous portez, lisez, estimez. Nous ne ponctûrons point l’i qui, précédé d’une voiıele, marque un mouıllé fort avec la lètre l, le travaıl, le conseıl, le senouıl; ou un mouıllé fèble, párén, camàıeu, péiıons, voiıons. Nous substitûrons l’s à l’x qui a le son de l’s, aus animaus; le chois étet douteus. Vous aurez, Mésieurs, la bonté de vous rapeler que dans touts ces chanġemants nous ne fesons guère que suivre vos traces, ou les exanples que vous nous avez donés, é garder par-tout une marche uniforme.

«Remarque. Come, dans l’usage actúel, le c a toujours le ſon de ce ou de l’s ſiflante, avant l’e ou l’i, on poûra continuer d’écrire Cicéron, ceci, etc., sans cédiller le c. On n’anploîra le ç cédillé avant e ou i, que dans les livres deſtinés pour aprandre à lire. On n’anploîra de même, si l’on veut, le ġ ponctué que dans les mots où, avant a, o, u, il doit avoir le son de j: on écrira gaġer, gaġa, gaġant, gaġons, gaġure, etc. Dans l’usage actuel, l’s courte a toujours le son siflant au commancemant du mot; insi on poûra, come à l’ordinêre, fêre usage indifféramant de l’s courte ou de l’ſ longue au comancement des mots. On voit par là que nos changemants dans quelques lètres de l’Alfabet, se réduisent presque à rien.

«Nous ſavons bién qu’on ſe révolte au ſeul mot d’innovacion; mês notre proġet, nous pouvons le dire, êt le fruit d’un long travail é d’une expériance réfléchie. Nous vous l’adrèſons, Méſieurs; éıez la bonté de l’examiner é d’an peser ſans préġuġé les avantaġes é les inconvéniants. Ne nous ġuġez qu’aprês un mûr examèn.

«S’il êt des chanġemants qui ne ſoient pas actuèlemant admiſſibles, vous ne les ferez pas encor; mês vous poûrez an trouver d’autres qu’il ſera fort util d’adopter.

«Nous eſpérons, par exanple, que l’utilité é votre zêle à faciliter l’aquisicion des conêsances, vous porteront à fêre, come nous, usage du ġ ponctúé, de l’ı ſans point; à diſtinguer l’s forte de l’s adoucie. C’êt insi qu’on a mis en usaġe le ç cédillé, le j é le v, au lieu de l’i é de l’u; l’i francês, au lieu de l’y grèc, dans lui, moi, loi, Roi, é une infinité d’autres mots. C’êt inſi qu’on 283 anploie les lètres maġuſcules au comancement des frases, des noms propres, etc. C’êt inſi qu’on a invanté les acçants, le tréma, l’apoſtrofe, le tret d’union, les guillemets, les diférantes marques de ponctúacion, etc.

«Nous atandons bién, Méſieurs, que votre vue ſera d’abord un peu choquée de notre ortografe: nous vous demandons pour èle la même paciance que vous avez en lisant des livres ortografiés ſuivant l’anciène ortografe. A peine an avez-vous lu vint pages, que vos ieux ſ’i abituent. La même chose vous arivera par raport à la nôtre; dégnez an fêre l’éſè. Vous voudrez bién vous souvenir que notre but êt de faciliter an même tans l’ortagrafe é la prononciacion.

«Notre réforme vous parêtra, Méſieurs, fort étandue; vous an adopterez ce que vous ġuġerez à propos. Nous aurions pu nous contanter des remarques que nous avions fètes dans les deus premieres parties; mês des perſones dont nous reſpectons baucoup les lumieres nous ont représanté que ce ſeroit lêſer notre ouvrage inparfet, que de n’i pas aġouter la pratique. Vous avez, nous ont dit ces perſones, exposé d’une maniere três-sansible les défauts inonbrables de l’ortografe actúele; vous avez fet voir le peu d’acord, les inutilités, les contradiccions même qui regnent dans les diférantes parties de cet édifice: il faut actuèlemant faire voir comant, avèc les mêmes matériaus, on pouret le reconſtruire à moins de frês, é d’une manière auſſi comode que ſolide.»

Grammaire générale et raisonnée, contenant les fondemens de l’art de parler, expliqués d’une maniere claire et naturelle; les raisons de ce qui est commun à toutes les langues, et des principales différences qui s’y rencontrent; et plusieurs remarques nouvelles sur la langue françoise. Nouvelle édition.Réflexions sur les fondemens de l’art de parler pour servir d’éclaircissemens et de supplément à la Grammaire générale, recueillies par M. l’abbé Fromant. Paris, Prault fils, 1756, 2 vol. pet. in-8 de 6 ff., 224 pp. et 2 ff., et de XLVIII et 291 pp. (Réimprimée plusieurs fois depuis.)

Ce traité, connu sous le nom de Grammaire de Port-Royal, et 284 dont il est déjà parlé page 226, est enrichi dans cette édition des excellentes remarques de Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française[185].

[185] Duclos avait déjà donné une édition de cette grammaire en 1754, in-12.

Ce livre si remarquable, et dont le temps n’a pas encore altéré la valeur, contient dans son texte quelques idées de réforme justes bien qu’un peu timides. Après avoir constaté l’utilité, dans certains cas, d’une orthographe fondée sur l’étymologie, MM. de Port-Royal ajoutent: «Voilà ce qu’on peut apporter pour excuser la diversité qui se trouve entre la prononciation et l’écriture; mais cela n’empêche pas qu’il n’y en ait plusieurs qui se sont faites sans raison et par la seule corruption qui s’est glissée dans les langues. Car c’est un abus d’avoir donné, par exemple, au c la prononciation de l’s avant l’e et l’i; d’avoir prononcé autrement le g devant ces deux mêmes voyelles que devant les autres; d’avoir adouci l’s entre deux voyelles; d’avoir donné aussi au t le son de l’s avant l’i suivi d’une autre voyelle, comme gratia, actio, action.....

«Tout ce que l’on pourroit faire de plus raisonnable seroit de retrancher les lettres qui ne servent de rien ni à la prononciation, ni au sens, ni à l’analogie des langues, comme on a déjà commencé de faire; et conservant celles qui sont utiles, y mettre des petites marques qui fissent voir qu’elles ne se prononcent point, ou qui fissent connoître les diverses prononciations d’une même lettre. Un point au-dedans ou au-dessous de la lettre pourroit servir pour le premier usage, comme temps. Le c a déjà sa cédille, dont on pourroit se servir devant l’e et devant l’i, aussi bien que devant les autres voyelles. Le g dont la queue ne seroit pas toute formée pourroit marquer le son qu’il a devant l’e et devant l’i. Ce qui ne soit dit que pour exemple.»

Duclos, aussi bon grammairien que Du Marsais, et philosophe comme lui, mais encore plus hardi, a inauguré sa réforme orthographique dans ses remarques jointes en petit caractère à cette édition de la grammaire. Voici le passage où il explique lui-même ses idées:

«Je croi devoir a cète ocasion rendre conte au lecteur de la diférence qu’il a pu remarquer entre l’ortografe du texte et cèle des remarques. J’ai suivi l’usage dans le texte, parce que je n’ai 285 pas le droit d’y rien changer; mais dans les remarques j’ai un peu anticipé la réforme vers laquèle l’usage même tend de jour en jour. Je me suis borné au retranchement des lètres doubles qui ne se prononcent point. J’ai substitué des f et des t simples aus ph et aus th: l’usage le fera sans doute un jour par-tout, comme il a déjà fait dans fantaisie, fantôme, frénésie, trône, trésor et dans quantité d’autres mots.

«Si je fais quelques autres légers changemens, c’est toujours pour raprocher les lètres de leur destination et de leur valeur.

«Je n’ai pas cru devoir toucher aux fausses combinaisons de voyèles, tèles que les ai, ei, oi, etc., pour ne pas trop éfaroucher les ieus. Je n’ai donc pas écrit conêtre au lieu de conoître, francès au lieu de françois, jamès au lieu de jamais, frèn au lieu de frein, pène au lieu de peine, ce qui seroit pourtant plus naturel. Je n’ai rien changé a la manière d’écrire les nasales, quelque déraisonable que notre ortografe soit sur cet article. En éfet, les nasales n’ayant point de caractères simples qui en soient les signes, on a u recours a la combinaison d’une voyèle avec m ou n; mais on auroit au moins du employer pour chaque nasale la voyèle avec laquèle èle a le plus de raport; se servir, par exemple, de l’an pour l’a nasal, de l’en pour l’e nasal. Cète nasale se trouve trois fois dans entendement, sans qu’il y en ait une seule écrite avec l’a et quoiqu’il fut plus simple d’écrire antandemant. L’e nasal est presque toujours écrit par i, ai, ei: fin, pain, frein, etc., au lieu d’y employer un e. Je ne manquerois pas de bonnes raisons pour autoriser les changemens que j’ai faits et que je ferois encore, mais le préjugé n’admet pas la raison.»

Il ajoute ailleurs: «On peut entreprendre de corriger l’usage de l’orthographe, du moins par degrés et non pas en le heurtant de front, quoique la raison en eut le droit; mais la raison même s’en interdit l’exercice trop éclatant, parce qu’en matière d’usage, ce n’est que par des ménagemens qu’on parvient au succès.»

Douchet, avocat au Parlement et ancien professeur royal en langue latine. Principes généraux et raisonnés de l’orthographe françoise, avec des remarques sur la prononciation. Paris, P.-F. Didot, 1762, in-8 de XVI et 176 pp.

Douchet est un écrivain de mérite. Après la mort de Du Marsais, 286 il fut chargé, de concert avec Beauzée, de la continuation des articles de la partie grammaticale de l’Encyclopédie.

Ses remarques, nouvelles à l’époque où il les écrivait, sont pour la plupart acquises aujourd’hui à la grammaire. Tel est son chapitre sur les caractères prosodiques. J’en extrairai cependant un passage dans lequel il propose une solution à l’imperfection qu’offre notre orthographe dans le redoublement des consonnes.

«L’e muet n’indique, dit-il, qu’une certaine quantité de nos voyelles longues (ex. j’emploierai); l’accent circonflexe ne fait connoître que celles qui étoient autrefois suivies d’un s, ou que l’on redoubloit pour en marquer la longueur (tempête, au lieu de tempeste, rôle au lieu de roole); il en reste encore un grand nombre, ou qui sont sans marque distinctive (vase, bise, rose, ruse), ou qui sont suivies d’une consonne redoublée, qui est la marque des voyelles brèves, autre vice encore plus considérable, comme dans les mots tasse, manne, flamme, fosse, professe, etc. C’est une autre espèce d’imperfection dans notre orthographe. Il seroit aisé de parer à ces inconvénients: ce seroit, ou de marquer ces voyelles longues par un trait horizontal, ou d’étendre encore ici l’usage de l’accent circonflexe. Par ce moyen, toutes les équivoques seroient levées, toutes les voyelles longues seroient fixées et déterminées, et la quantité, cette partie si importante de la prosodie, seroit indiquée d’une manière simple, précise, et régulière: on pourroit même alors la trouver et l’apprendre par l’écriture.

«Un autre avantage qui en résulteroit encore, c’est que la réduplication des consonnes, ce système si vague, si forcé, si rempli d’exceptions, que l’on prétend que nos pères ont imaginé pour indiquer les voyelles brèves[186], deviendroit absolument inutile, parce que toutes les voyelles longues étant décidées, on n’auroit plus besoin d’un autre signe pour désigner les brèves: elles seroient suffisamment distinguées par la raison qu’elles n’auroient point la marque des longues. A l’égard des communes, c’est-à dire des voyelles qui sont longues ou brèves à volonté, ou elles n’auroient point de signe distinctif, ou on leur appliqueroit la marque usitée en grec et en latin. On pourroit ainsi supprimer la consonne que l’on n’a introduite que pour avertir que la voyelle précédente est brève. On ne la laisseroit subsister que dans les mots où elle 287 est nécessaire, quand il faut la redoubler dans la prononciation, comme dans inné, erreur, illustre, immense, etc.»

[186] Voir plus haut l’analyse de la Grammaire de Regnier Des Marais, p. 251, et celle de l’Orthographe des dames, de de Wailly, p. 276.

Douchet propose, après Port-Royal et d’autres grammairiens, l’emploi du t cédille dans les substantifs portions, rations, etc., comme signe de distinction d’avec les verbes portions, rations.

Dans le chapitre III, des Caractères étymologiques, l’auteur s’occupe des variations du ph, du ch et de l’esprit rude (h) en français. «Ces variations sont une nouvelle source de difficultés pour notre orthographe. De ces doubles caractères, le ch est celui qui cause le plus d’embarras dans notre langue: non-seulement il varie dans l’écriture, il varie encore dans la prononciation. On le prononce à la françoise dans chérubin, chirurgien, Archimède, et il a la valeur du k dans orchestre, chiromancie, Archélaüs. De là ces incertitudes sur la prononciation de certains mots, tels que Chersonese, Acheron, où les uns prononcent le ch comme dans chérubin et les autres comme dans orchestre. On pourroit encore aisément obvier à ces difficultés. On laisseroit subsister le c dans tous les mots où l’usage l’a introduit à la place du ch, comme dans carte, corde, colere, etc., on supprimeroit le ch dans les autres mots où il s’articule comme le k, et on le remplacerait par cette figure. Ainsi l’on écriroit orkestre, Arkélaüs, kiromancie, kirographaire

(L’abbé Cherrier). Equivoques et bizareries de l’orthographe françoise, avec les moiiens d’y remédier. Paris, Gueffier fils, 1766, in-12 de 3 ff., XVIII et 155 pp.

L’auteur, après avoir exposé les raisons qui militent en faveur d’une réforme et les causes qui ont fait échouer les tentatives antérieures à la sienne, établit ainsi les changements qu’il croit devoir opérer:

«Plusieurs ont estimé qu’il falloit entendre ces marques proposées dans la Grammaire de P. R. de celles qui sont déjà usitées sur certaines lettres, ensorte qu’il ne s’agiroit que de les adapter à d’autres: et c’est le sentiment que j’ai cru devoir suivre. C’est-pourquoi je propose, par exemple, d’après un habile académicien (le P. Girard), de mettre une cédille, ou petite c renversé, sous le t ramoli, come on en a mis une avec succès sous le c pour le 288 radoucir. J’ai emprunté des bons grammairiens toutes les idées qu’ils ont fournies dans ce gout. Je les ai etendues ou j’y ai ajouté les miènes, et quoique ces petites marques soient purement arbitraires dans leur origine, j’ai observé qu’une fois etablies, elles doivent ordinairement, et autant qu’il est possible, avoir un même effet partout où on les applique. Par exemple, l’accent grave sert à distinguer les è ouverts: aussi l’ai-je mis sur la voiièle composée ou fausse diphthongue ai quand elle se prononce en ouvrant fort la bouche. Au contraire, l’accent aigu sert à faire conoître les é fermés; aussi l’ai-je emploiié sur cette voiièle-composée ai, lorsqu’elle se prononce en fermant un peu la bouche. Le point accompagne toujours l’i et je l’ai placé sur les i et sous les l qui sonent presque come des i. J’ai eté plus embarassé pour l’x, parce qu’il n’est pas facile de rendre ses marques surajoutées analogues à toutes les différentes articulations de cette consone: c’est-pourquoi j’ai pris le parti de la borner à son ancien usage, savoir de ne l’emploiier que quand elle s’articule come cs ou gz, en y mettant néanmoins encore quelque différence.»

L’auteur met un point au-dessous de l’h aspiré: un ḥéros, un point au ch qu’il appelle gras: un arcḥiduc. L’s radoucie est marquée par une cédille: batişer. L’l mouillée par un point: fiḷḷe. Il supprime la consonne finale muette à baril, chenil, coutil, fusil, outil, persil, saoul, sourcil.

Ortografe des dames pour aprandre a ècrire et a lire corectemant en tres peu de tems. A Nancy, chez Hæner, 1766, in-12 de 72 pp.

L’auteur anonyme de cet opuscule, qu’il ne faut pas confondre avec l’intéressant travail de Wailly, publié en 1782 sous le même titre (voir plus haut, p. 276), ne me paraît pas avoir apporté de solutions nouvelles au difficile problème de l’écriture phonétique. Son orthographe se rapproche sur beaucoup de points de celle qu’a préconisée soixante ans plus tard M. Marle.

Manière d’étudier les langues. Paris, Saillant, 1768, in-12.

L’auteur de cet ouvrage est un esprit sage, et les méthodes qu’il indique se rapprochent de celles de Locke.

289 Quant à l’orthographe, il s’exprime ainsi:

«Nous avons des regles générales pour l’orthographe; mais la plupart sont si obscures, si compliquées, et modifiées par tant d’exceptions, qu’il est difficile aux jeunes gens de les retenir. D’ailleurs, il ne suffit pas, pour l’orthographe usuelle dont nous parlons, de pouvoir en examiner les regles, mais bien de trouver la manière d’écrire les mots correctement: la rapidité de l’écriture ne donne pas le loisir de faire cet examen. Il faut qu’avec le mot la manière de l’écrire se présente sur-le-champ à l’esprit, sans aucune réflexion.

«On emploie communément une méthode meilleure; on fait copier des livres imprimés, et l’attention qu’on donne, en copiant, à chacune des lettres dont le mot est composé le grave plus profondément à l’esprit.....

«Les mots, tels qu’on les a lus, restent gravés dans la mémoire; lorsque dans la suite on les emploie en écrivant, on les copie sur cette image.»

L’exposition de ce système, que d’autres ont également proposé, prouve que les difficultés de l’orthographe sont telles qu’il faut apprendre à connaître les mots par leur configuration, comme pour la LANGUE CHINOISE.

De l’orthographe, ou des moyens simples et raisonnés de diminuer les imperfections de notre orthographe, de la rendre beaucoup plus aisée, etc., pour servir de supplément aus différentes éditions de la Grammaire française de M. de Wailly. Paris, Barbou, 1771, in-12.

Dans cet écrit fort sage, l’auteur constate la nécessité d’améliorer successivement l’orthographe et de la simplifier. Il se refuse à l’introduction de lettres nouvelles, comme l’ont fait des réformateurs trop hardis, qu’il traite de ridicules. Mais nous ne tirons pas, selon lui, de nos accents tout l’usage que nous pourrions en obtenir. Il désire surtout le retranchement de toute lettre double sans valeur phonique. «Les personnes, dit-il, qui voient ces lètres sans valeur sont arêtées dans leur lecture, parce que dans certains mots on les prononce, tandis que dans d’autres semblables, èles n’ont aucun son. Cète bisarerie de notre orthographe 290 est cause qu’il n’y a peut-être pas deux ouvrages qui soient par-tout orthographiés de même. Cette variété fait perdre beaucoup de tems aux compositeurs dans les imprimeries, aux gens de lètres qui font imprimer leurs ouvrages; en un mot, à tous ceux qui veulent orthographier et prononcer correctement la langue française.

«Cette orthographe que nous apelons nouvèle était,» selon une judicieuse remarque de l’auteur, «celle de nos plus anciens écrivains, de presque tous les auteurs des XIe et XIIe siècles.»

Le grand vocabulaire françois, par une Société de gens de lettres. Paris, Panckoucke, 1772, 30 volumes in-4.

Ce dictionnaire contient un grand article sur l’ORTHOGRAPHE, où est exposé «l’emploi vicieux que l’on fait de chaque signe en le comparant avec celui que la raison voudrait qu’on en fît pour que l’écriture cessât d’être une image équivoque ou ridicule de la parole.»

Mais comme les modifications indiquées sont pareilles à celles que Girard, Duclos, Wailly, Beauzée et autres réformateurs modérés avaient déjà proposées, et que les raisons pour rapprocher l’écriture de la prononciation, bien qu’exposées avec conviction et énergie, sont similaires, je me borne à ce passage:

«C’est certainement une opiniâtreté bizarre que de s’obstiner à écrire un mot selon son étimologie pour avertir ensuite qu’on doit le prononcer autrement qu’il ne s’écrit[187]

[187] «Au reste nous indiquons partout dans le cours du Grand Vocabulaire, l’orthographe avec laquelle on a coutume d’écrire aujourd’hui les mots, et celle qu’on devroit y substituer.»

Viard. Les vrais principes de la lecture, de l’orthographe et de la prononciation françoises, de feu M. Viard, revus et augmentés par M. Luneau de Boisgermain. Paris, Delalain, 1773, 2 part. en 1 vol. in-8 de VI et 104 pp. et de 111 pp. (Il y eut des éditions antérieures à celle-ci, puisque Luneau se plaint, dans un avis au lecteur, des contrefaçons de ce 291 livre faites à Bordeaux, Avignon, etc., et il cite une édition des Principes faite à Bouillon en 1764, chez Foissy.)

Cet ouvrage n’est point un traité d’orthographe, mais une réforme de l’enseignement de la lecture fondée sur la nouvelle épellation des lettres, be, ce, de, fe, etc., et sur l’épellation des consonnes qui se suivent.

J.-B. Roche. Entretiens sur l’orthographe françoise et autres objets analogues. Nantes, veuve Brun, 1777, in-8 de 8 ff. prél., 732 pp. et 19 ff. de table.

Dans ce gros volume, l’auteur, sous une forme agréable, celle d’un dialogue, traite de toutes les questions qui concernent l’orthographe et la grammaire. La lecture en est moins pénible que celle des traités ordinaires sur le même sujet. On voit partout que l’auteur est partisan d’une réforme modérée; et ses vœux ont été réalisés sur certains points.

Après que les interlocuteurs, Sophie, la marquise, un abbé, un comte et un lord, ont constaté l’incohérence de ce qu’on appelle l’usage, l’auteur fait dire à l’un des interlocuteurs:

«Le respect pour l’usage établi est souvent un préservatif contre une foule d’erreurs; mais il faut avouer qu’il s’oppose quelquefois aux progrès de nos connaissances. Il est à croire que dans le principe, les mots ne renfermoient que les lettres nécessaires à la prononciation. L’oreille, choquée par la dureté de plusieurs sons, exigea bientôt qu’on les adoucît ou même qu’on les supprimât. Les savants, après s’être vainement récriés contre ces innovations, furent contraints de les adopter et de leur donner force de loi. Mais comme ils étoient les maîtres de la langue écrite, ils voulurent conserver les traces d’une prononciation qui n’existoit plus: ce fut l’époque des inconséquences qui rendent notre langue si difficile aux étrangers, et qui mettent les François mêmes dans le cas de ne la savoir presque jamais qu’imparfaitement.»

L’auteur entre ainsi dans le détail des difficultés de l’orthographe:

«Sophie. C’est une science que je voudrois bien connoître et à laquelle je n’entends rien du tout. Je suis si ignorante, que, pour 292 exprimer les choses les plus ordinaires, j’écris presque au hasard. A peine puis-je retrouver moi-même ce que j’ai voulu dire. Souvent, faute de pouvoir orthographier les mots qui se présentent à mon esprit, je suis forcée d’en employer d’autres qui défigurent toutes mes pensées.

«Le Comte. Ceux qui n’ont point étudié les langues anciennes n’ont pas de meilleur moyen pour apprendre l’orthographe, que de choisir un livre bien écrit, et de le copier infatigablement: on se forme quelquefois, par le travail, une habitude qui tient lieu des meilleurs principes.

«La Marquise. C’est comme celà que j’ai appris, et on trouve que j’orthographie passablement.

«Sophie. Vous êtes heureuse, Madame, d’apprendre avec tant de facilité. J’ai sûrement copié autant que vous, et je n’en suis pas plus habile. Je ne puis cependant me reprocher aucune négligence: je copie fidèlement toutes les lettres qui composent chaque mot; j’y mets les accents, les points, les virgules. Mais jamais ce que j’ai écrit ne m’a servi pour ce que j’avois à écrire: ce sont toujours quelques nouveaux arrangements de lettres que je n’avois point prévus; et quand je crois avoir rencontré les mêmes mots, je vois avec étonnement qu’ils n’ont presque rien de commun pour l’orthographe[188].

[188] Quand à l’Hôtel de Ville je préside les examens des aspirantes au brevet de capacité, je suis témoin de l’embarras des jeunes filles pour résoudre des difficultés qui le seraient même pour des savants. L’une d’elles pour avoir mal écrit le mot apophthegme perdit le bon point qui lui fallait pour compléter les vingt-cinq exigés par le règlement. (Mai 1868.)

«Le Lord. Plusieurs savants voudroient que les règles de l’orthographe fussent réduites à celles de la prononciation.

«Sophie. Cela seroit bien plus commode que cette orthographe obscure et entortillée, qui coûte de si grands efforts de mémoire. Pourquoi ne pas retrancher toutes les lettres superflues et ne pas employer précisément celles que l’oreille exige? Les pensées en deviendroient-elles moins belles et moins brillantes pour être lues et écrites avec moins de peine?

«La Marquise. Il me sembloit qu’on ne se servoit plus de l’y, et qu’on le remplaçoit toujours par un i simple.

«Le Comte. Pardonnez-moi, Madame, il y a beaucoup de mots dans lesquels cette lettre est indispensable.

«Le Lord. Les savants veulent qu’elle soit conservée dans les 293 mots dérivés du grec, tels que style, physique, symphonie, etc., mais beaucoup de personnes, qui d’ailleurs orthographient fort bien, ne font pas difficulté d’écrire ces mots par un i: phisique, stile, simphonie, etc.

«La Marquise. Je suis fâchée que les y soient passés de mode à la fin des mots (foy, loy, luy, essay): celà faisoit à merveille dans les exemples d’écriture.

«Le Comte. Aussi les personnes qui ont une écriture brillante renoncent avec peine à cet usage, parce que la queue de cette lettre, qu’elles peuvent orner tant qu’il leur plaît, les met à portée de déployer toute la légèreté de leur main.

«L’Abbé. En bannissant l’y des mots où il est inutile, on s’est fait une loi pendant long-temps de la conserver dans les mots yvrogne, yvraie et autres. Aujourd’hui on s’accorde presque généralement à écrire ces mots par un i: ivrogne, ivraie, s’enivrer, etc. Le mot yeux est le seul qui commence encore par un y: de beaux yeux, de grands yeux, sans qu’on en puisse donner aucune raison. (Voir p. 123.)

«Le Comte. Il faut avouer qu’en matière d’orthographe, l’habitude tient souvent lieu de raison. Après avoir vu écrire tels mots par tels caractères, la vue est choquée du moindre changement. On s’habitueroit très-difficilement à voir écrire par un i simple: de beaux ieux, de grands ieux, nous i allons, vous i viendrez, uniquement parce que, de temps immémorial, on a lu avec un y: de beaux yeux, de grands yeux, nous y allons, vous y viendrez, etc.

«Le Lord. On en peut dire autant de tous les changements qu’on a faits jusqu’ici, cependant ils sont passés en usage, et à peine soupçonne-t-on qu’on ait jamais écrit autrement. Ainsi, dans l’orthographe comme dans toute autre science, l’habitude n’est pas une raison suffisante pour s’interdire des innovations dont on peut tirer quelque avantage.

«La Marquise. De toutes les consonnes, celle qui m’embarrasse le plus, c’est le composé ph. Puisque ces deux lettres se prononcent exactement comme l’f, et qu’on lit philosophie, orthographe, comme s’il y avoit filosofie, ortografe, si l’usage vouloit le permettre, il seroit bien plus commode de substituer l’f à ce ph, comme on se permet de substituer l’i simple à l’y. Mais ne pouvant réformer l’usage, il faut s’y conformer. Quelles règles pourrois-je suivre pour savoir quand il faudra écrire par l’f simple ou par ph?

294 «Le Comte. On se sert du ph pour marquer l’étymologie des mots tirés de la langue grecque.

«Sophie. Est-ce que les Grecs n’avoient point d’f dans leur alphabet?

«Le Comte. Non, Mademoiselle, l’f est une invention des Romains[189]. Voilà pourquoi les anciens noms grecs s’écrivoient tous par ph au lieu d’un f. On écrit Philippe, Phébus, Ascalaphe, Phaëton, et non Filippe, Febus, Ascalafe, Faëton.

[189] Il y a là quelques erreurs. Les anciens Grecs avaient eu l’F ou digamma éolique (voir p. 33), d’où les peuples du Latium, ancêtres des Romains, l’avaient emprunté. Les Grecs n’écrivaient pas par une double lettre les mots cités, mais par une seule et même lettre, correspondant à notre f. Φίλιππος, Φοῖβος, Ἀσκάλαφος, Φαέτων, et de même tous les autres mots, φιλοσοφία, φάντασμα.

«L’Abbé. Suivant les mêmes règles d’étymologie, il faudroit écrire par ph, phanal, phantôme, phantaisie, phlegme, phlegmatique, puisque ces mots sont pareillement dérivés du grec: c’étoit l’ancienne orthographe; mais présentement il faut écrire ces mots par f: fanal, fantôme, fantaisie, flegme, flegmatique, etc., quoiqu’il ne soit pas permis de faire les mêmes changements dans philosophie, physique, amphibie, etc. Ceux qui connoissent à fond les langues anciennes commettroient bien des fautes dans la nôtre, s’ils ne s’étoient pas attachés à en examiner le génie particulier. Tantôt l’usage veut que les étymologies soient scrupuleusement conservées, tantôt il exige qu’on s’en écarte sans ménagement.»

Journal de Paris, 1781.

Dans le numéro du 13 décembre 1781, M. de G*** blâme la manière d’écrire fallait, pourra, nourrir, etc., contrairement à la vraie prononciation qui ne fait sentir qu’une l et une r dans ces mots, en sorte que les étrangers, trompés par la manière d’écrire, les font sonner aussi fortement que dans ville et dans terreur. Il se récrie aussi «sur le barbarisme le plus bizarre et le plus énorme qui subsiste encore dans la peinture de quelques mots de notre langue, particulièrement l’emploi de l’o que l’on conserve au lieu de l’a dans foiblesse, connoistre, françois, etc.» Puis il ajoute: «Si l’on voulait (sic) donner un conseil aux imprimeurs de la capitale, on leur diroit (sic): Messieurs les Trente-six, qui tous ensemble tenez la clé de la langue française à Paris, réunissez-vous 295 aujourd’hui en grand’chambre, et tous d’un commun accord, rendez un arrêt souverain contre cette vieille syllabe qui depuis cent ans crie et gémit sous vos presses en vous demandant quartier.»

Le 18 décembre, M. l’abbé L. M., après avoir répondu à une critique de M. G*** au sujet des accents sur les adverbes , , etc., termine ainsi son article: «J’avoue pourtant que M. de G*** m’apprend une chose que j’ignorois parfaitement, savoir que les imprimeurs de Paris tiennent la clef de la langue françoise dans la capitale. J’avois jusqu’ici soupçonné que si quelque compagnie à Paris tenoit cette clef, ce pouvoit être l’Académie françoise.»

Il est, en effet, préférable, sous tous les rapports, que ce soit de l’Académie française que viennent les réformes. L’empressement avec lequel on s’est aussitôt conformé à toutes celles qu’elle a bien voulu concéder aux désirs généralement manifestés, et qui toujours ont été adoptées avec reconnaissance par les Français et les étrangers, cet accueil est la plus forte garantie de ce que l’Académie voudra bien faire dans la nouvelle édition qu’elle prépare.

Après avoir signalé les modifications apportées à l’orthographe, l’auteur fait dire à l’un de ses interlocuteurs:

«Il faut espérer que de semblables réformes deviendront générales et qu’on écrira abé, abesse, abaye, abatial, atendre, aler, enveloper, aquérir, raquiter, au lieu de abbé, abbesse, abbaye, abbatial, attendre, aller, envelopper, acquérir, racquitter

* Brambilla. Nouveaux principes de la langue françoise, ou nouvelle méthode très-breve pour aprendre la langue françoise. Bruxelles, 1783, in-8.

M. Brunet, dans son Manuel, dit que cet ouvrage a trait à la réforme orthographique.

* Boulliette. Traité des sons de la langue française et des caractères qui les représentent. Paris, 1788, 2 vol. in-12.

Beauzée, de l’Académie française. Articles Orthographe et surtout Néographisme dans l’Encyclopédie méthodique de 296 Panckoucke, Grammaire et littérature, t. II, Paris, 1789, in-4.

Beauzée, après avoir donné, dans l’article Orthographe, le résumé de l’argumentation en faveur de l’écriture étymologique, qu’il devait si fortement ébranler lui-même, a défendu avec une grande supériorité de raison et d’éloquence la nécessité d’une réforme modérée, en avouant en toute bonne foi sa récente conversion au principe de la néographie, conversion que je crois due au travail approfondi de Wailly, analysé plus haut, p. 276.

Voici un extrait de ce que Beauzée avait dit en faveur de l’étymologie:

«Si l’orthographe est moins sujette que la voix à subir des changements de forme, elle devient par là même dépositaire et témoin de l’ancienne prononciation des mots; elle facilite ainsi la connaissance des étymologies.

«Ainsi, dit le président de Brosses, lors même qu’on ne retrouve plus rien dans le son, on retrouve tout dans la figure avec un peu d’examen..... Exemple. Si je dis que le mot françois sceau vient du latin sigillum, l’identité de signification me porte d’abord à croire que je dis vrai; l’oreille, au contraire, me doit faire juger que je dis faux, n’y ayant aucune ressemblance entre le son so que nous prononçons et le latin sigillum. Entre ces deux juges qui sont d’opinion contraire, je sais que le premier est le meilleur que je puisse avoir en pareille matière, pourvu qu’il soit appuyé d’ailleurs; car il ne prouveroit rien seul. Consultons donc la figure, et, sachant que l’ancienne terminaison françoise en el a été récemment changée en eau dans plusieurs termes, que l’on disoit scel au lieu de sceau et que cette terminaison ancienne s’est même conservée dans les composés du mot que j’examine, puisque l’on dit contrescel et non pas contresceau, je retrouve alors dans le latin et le françois la même suite de consonnes ou d’articulations: sgl en latin, scl en françois, prouvent que les mêmes organes ont agi dans le même ordre en formant les deux mots: par où je vois que j’ai eu raison de déférer à l’identité du sens, plus tôt qu’à la contrariété des sons.»

«Ce raisonnement étymologique me paroît d’autant mieux fondé, reprend Beauzée, et d’autant plus propre à devenir universel, que l’on doit regarder les articulations comme la partie essencielle 297 des langues, et les consonnes comme la partie essencielle de leur orthographe.»

Après avoir ainsi exposé les motifs en faveur de l’écriture étymologique, motifs qui ne sauraient d’ailleurs convenir à un dictionnaire de la langue usuelle, le savant académicien prend la défense du néographisme auquel il s’était montré d’abord opposé:

«On peut aisément abuser, dit-on, du principe que les lettres étant instituées pour représenter les éléments de la voix, l’écriture doit se conformer à la prononciation.

«Oui, sans doute, on peut en abuser; car de quoi n’abuse-t-on pas? N’a-t-on pas abusé à l’excès de cette déférence même que l’on prétend due à l’usage sans restriction? et cet abus énorme n’est-il pas la source de toutes les bizarreries qui rendent notre orthographe et l’art même de lire notre langue si difficiles, que les deux tiers de la nation ignorent l’un et l’autre? On peut donc abuser, j’en conviens, du principe que Quintilien lui-même approuvoit, et qu’il a énoncé d’une manière si précise (Inst. orat., I, liv. vij): Ego sic scribendum quidque judico, quomodo sonat; hic enim usus est litterarum, ut custodiant voces et velut depositum reddant legentibus; mais il est possible aussi d’en user avec sagesse, avec discrétion et surtout avec avantage; il est possible d’adopter, d’après les caractères autorisés légitimement par l’usage, un système d’orthographe plus simple, mieux lié, plus conséquent..... J’oserai donc ici, sur l’autorité du sage Quintilien, proposer l’esquisse d’un systême d’orthographe, dans lequel je crois avoir réuni toutes les qualités exigibles, sans y laisser les défauts qui déshonorent notre orthographe actuelle.»

Voici l’analyse de ce système:

1o Beauzée supprime la consonne redoublée dans l’écriture quand elle ne se fait pas sentir dans la prononciation: il écrit abé, acord, adoné, afaire, agresseur, tranquile, home, persone, suplice, nouriture, atentif.

2o Il marque, dans les terminaisons des mots, l’e d’un signe différent selon les cas: quand la lettre qui suit se prononce, par è; quand l’n qui suit est nasal, par é; et d’un accent circonflexe pour en faire un a nasal, laissant l’e nu s’il est muet. Exemples: Jérusalèm, abdomèn, Pémbroc, Agén, il conviént, il pressênt, êmpire, êncore, ils aimoient, ils convient, ils pressent.

298 3o Il distingue ainsi par l’accentuation les mots suivants:

Sans accent grave. Avec accent grave. Sans accent grave. Avec accent grave.
plomb radoùb drap càp
les échêcs un échèc aimer mèr
nid Davìd se fier fièr (adj.)
sang joùg vertus Brutùs
fusil fìl réparés Cérès
cul recùl il subit subìt (adj.)
nom Jérusalèm complot la dòt
ancién abdomèn Jésus-Christ le Chrìst

Si le mot était, comme abcès, procès, terminé par è et s qui ne se prononce pas, il remplace l’è par l’ê. Ex: congrês, décês.

4o Il propose pour le même motif d’écrire àmmonite, Èmmanuèl, ìmmobile, ànnuìté, triènnal, ìnné, àmnistie, sòmnambule, àllusion, ìllégal, còllateur.

5o On pourrait écrire, à la manière espagnole, émall au lieu de émail, vermêll au lieu de vermeil, périll au lieu de péril, seull au lieu de seuil, fenoull au lieu de fenouil, etc.

Si l’on ne prononce qu’un l et qu’il ne soit pas mouillé, on n’en écrira qu’un: tranquile, mortèle, rebèle, une vile, vilage, etc.

6o Les monosyllabes ces, des, les, mes, ses, tes porteraient l’accent aigu (sic) pour qu’on pût les distinguer de la dernière syllabe des mots actrices, mondes, mâles, victimes, chaises, dévotes.

On écrirait de même: bléd, cléf, pluriél, piéd.

7o Il propose l’accent grave dans les cas suivants: Ècbatane, pèctoral, hèptagone, cèrveau, èscroc, èspace, etc. Et de même: cèle, musète, anciène, qu’ils viènent.

Le même accent s’appliquerait aux mots èxact, èxécuter, èxorde, èxquis, etc.

8o L’accent circonflexe qui sert à allonger la syllabe dans prêtre, extrême, ne doit pas être reproduit dans les composés, prétrise, extrémité[190].

[190] Ce principe excellent devrait être observé dans tous les cas semblables. On écrit grêle, mais on devrait écrire grélon, etc. Ainsi le veut la prosodie française.

9o On devrait écrire àgnat, àgnation, àgnatique, ìgné, ìgnicole, ìgnition, cògnat, cògnation, stàgnation, stàgnant, en écrivant comme à l’ordinaire les mots agneau, cognée, ognon, rognure.

10o Il propose aussi d’employer l’accent grave dans les mots 299 suivants: lingùal, le Gùide, le duc de Gùise, aigùiser, aigùille, aigùe, contigùe, éqùateur, liqùéfaction, éqùestre, quinqùagésime, pour distinguer le son spécial de gu et qu de celui qu’il a dans anguille, liquéfier. Il propose aussi argüér, ambiguïté, contiguïté.

L’auteur fait une excellente observation sur l’anomalie qui consiste à prononcer comme s et non comme z, ainsi que le voudrait la règle grammaticale, les mots désuétude, préséance, présupposer, monosyllabe. Il remédie à cette difficulté en écrivant déssuétude, présseance, préssupposer, monossillabe.

Il donne ensuite des préceptes pour l’emploi du tréma; la plupart n’ont pas prévalu.

«On prononce ai comme e muet dans faisant, nous faisons, je faisois, vous faisiez, bienfaisant, contrefaisant, et autres dérivés pareils du verbe faire. Mais puisqu’il est déja reçu d’écrire par un e simple je ferai, je ferois, etc., sans égard pour l’ai de faire, pourquoi n’écriroit-on pas de même fesant, nous fesons, je fesois, vous fesiez, biénfesant, biénfesance, contrefesant? M. Rollin et d’autres bons écrivains[191] nous ont donné l’exemple, et la raison prononce qu’il est bon à suivre.

[191] Voltaire écrit toujours ainsi, et cette orthographe a été maintenue dans l’impression de ses œuvres.

Note: les Nos 11, 12 et 13 ne sont pas reproduits dans l'original.

«14o Les deux caractères ch se prononcent quelquefois en sifflant comme dans méchant, et quelquefois à la manière du k comme dans archange. Il étoit si aisé de lever l’équivoque qu’il est surprenant qu’on n’y ait point pensé: la cédille étant faite pour marquer le sifflement, il n’y avoit qu’à écrire çh pour marquer le sifflement, et ch pour le son guttural: méçhant, monarçhie, arçhevêque, marçhons, çherçheur, en sifflant; archange, archiépiscopat, archonte, chœur, avec le son dur[192].

[192] Le nombre des mots dérivés du grec écrits encore par ch prononcé comme k étant très-minime, puisque la plupart ont déjà perdu l’h, la combinaison ingénieuse de Beauzée devient inutile du moment que l’on accepterait ce que j’ai proposé. (Voyez ci-dessus, p. 36.)

«Grâce à cette légère correction, on pourrait rétablir l’analogie entre monarçhie et monarche

15o En vertu du même principe, Beauzée propose l’h avec cédille quand cette lettre est aspirée. «Cela ne feroit pas un grand embarras dans l’écriture, et les imprimeurs seroient sans 300 doute assez honnêtes pour faire fondre des h cédillées en faveur de l’amélioration de notre orthographe: plus on facilitera l’art de lire, plus aussi on multipliera les lecteurs et par conséquent les aquéreurs de livres.»

16o «J’en dirois autant des t cédillés pour le cas où cette lettre représente un sifflement. N’est-il pas ridicule d’écrire avec les mêmes lettres, nous portions et nos portions, nous dictions et les dictions, et une infinité d’autres? Cette simple cédille, en fesant disparoître l’équivoque dans la lecture, laisseroit subsister les traces de l’étymologie et seroit bien préférable au changement qu’on a proposé du t en c ou en s.

17o «L’analogie, si propre à fixer les langues, à les éclairer, à en faciliter l’intelligence et l’étude, conseille encore quelques autres changements très-utiles dans notre orthographe, parce qu’ils sont fondés en raison, que l’usage contraire est une source féconde d’inconséquences et d’embarras, et qu’il ne peut résulter de ces corrections aucun inconvénient réel.

«Le premier changement seroit de retrancher des mots radicaux la consonne finale muette, si elle ne se retrouve dans aucun des dérivés: pourquoi, en effet, ne pas écrire rampar sans t et nœu sans d, puisqu’on ne forme du premier que remparer et du second nouer, dénouer, dénoûment, renouer, renoueur, renoûment, où ne paroissent point les consonnes finales des radicaux[193]?

[193] L’Académie a depuis adopté les mots nodus et nodosité. Ce dernier ne figure qu’à la sixième édition.

«Le second, de changer cette consonne ou dans le radical ou dans les dérivés, si elle n’est pas la même de part et d’autre, et que la prononciation reçue ne s’oppose point à ce changement. L’usage, par exemple, a autorisé absous, dissous, résous au masculin, et absoute, dissoute, résoute au féminin: inconséquence choquante, mais dont la correction ne dépend pas d’un choix libre; le t se prononce au féminin et la lettre s est muette au masculin. Écrivons donc absout, dissout, résout. Au lieu d’écrire faix, faux, heureux, roux, écrivons avec l’s: fais, faus, heureus, rous, à cause des dérivés affaissement, affaisser, fausse, faussement, fausseté, fausser, heureuse, heureusement, rousse, rousseur, roussir. Une analogie plus générale demande même que l’on change x partout où cette lettre ne se prononce pas comme cs ou gz et qu’on écrive 301 Aussère (ville), Brussèles (ville), soissante, sizième, sizain, dizième, comme on écrit déjà dizain et dizaine. Il faut écrire aussi les lois, de la pois, la vois, des pous, les fous, ceus, les vœus, etc., et ne laisser à la fin des mots que les x qui s’y prononcent comme dans borax, Stix.

«Il est d’usage d’écrire dépôt, entrepôt, impôt, supôt, avec un t inutile et un accent que réclame, dit-on, une s supprimée: eh! supprimons, au contraire, ce t inutile et rétablissons l’s réclamée d’ailleurs avec justice par les dérivés déposant, etc., entreposeur, etc., imposant, etc., suposition, supositoire, etc., et nous écrirons dépos, entrepos, impos, supos, comme nous avons déja par la même analogie dispos, propos et repos... Il est d’usage d’écrire nez avec un z et les dérivés avec s, nasal, nasalite, nasard, nasarde, nasarder, naseau, nasillard, nasiller: il faut choisir et mettre z dans les dérivés comme dans le radical, ou s dans le radical comme dans les dérivés. Ce dernier parti est le plus sûr.

«... Nous avons courtisan, courtisane, courtiser, courtois, etc., qui viennent de cour. Reprenons l’usage de nos pères, qui écrivoient court du latin cors, cortis (basse-court), d’où viennent le corte des Espagnols, le corteggio des Italiens et notre mot cortége. En restituant ce caractère d’étymologie, objet si précieux pour les amateurs, nous rétablirons les droits raisonnables et bien plus utiles de l’analogie.

«Un quatrième principe d’analogie est de ne jamais supprimer la consonne finale du radical dans les dérivés quoiqu’elle y soit muette, à moins que sa position dans le dérivé n’induise à la prononcer; c’est ainsi qu’on écrit sans p les mots corsage, corselet, corset, corsé, quoiqu’ils viennent de corps, parce que le p embarrasseroit la prononciation et la rendroit douteuse. Je crois que par analogie on doit de même écrire sans p les mots batême, batiser, Jean Batiste, batistère, parce qu’on seroit tenté d’y prononcer le p, comme il faut le prononcer et conséquemment l’écrire dans baptismal.

«Il est contraire au bon sens de restreindre, par des exceptions inutiles, bizarres, embarrassantes et contradictoires, la règle de la formation de nos pluriels, qui fait ajouter s à la fin des noms et adjectifs singuliers non terminés par s, x ou z.» Il faut donc écrire ses gents, touts les hommes.

«Les adjectifs terminés en ant ou ent forment leurs adverbes, 302 de manière que l’oreille les entend finir par ament; cependant les uns s’écrivent par amment et les autres par emment: les étrangers et les nationaux peu instruits sont en danger de prononcer ces deux syllabes comme les deux premières du mot emmancher ou de prononcer la première des deux comme la première des mots Àmmonite, Èmmanuel. Supprimons donc la première m, puisqu’elle ne se prononce plus, et les adverbes venus des adjectifs en ANT s’écriront simplement et analogiquement par AMENT. De savant, instant, puissant, on formera savament, instament, puissament. Quant aux adverbes venus des adjectifs en ENT, outre la suppression de la première m, qui y est également nécessaire, il faut y introduire un a, puisqu’on l’y entend. Cet a doit même entrer dans l’orthographe de l’adjectif pour caractériser l’analogie. Ainsi, écrivons diligeant et diligeament, négligeant et négligeament, prudant et prudament, violant et violament. Je conserve l’e dans diligeant et négligeant, parce qu’il y est nécessaire pour faire siffler le g et l’empêcher d’être guttural, et je supprime l’e dans prudant et violant, parce qu’il y seroit absolument inutile.»

Beauzée, poursuivant le cours de ses délicates et ingénieuses observations, énonce ensuite quelques règles qui se recommandent à l’attention des partisans de la néographie phonétique: «Il faut, dit-il, écrire le son o par au dans les mots dont les analogues ont a ou al en même place, et par eau dans ceux dont les analogues ont e ou el dans la syllabe correspondante, comme:

chaud, chaufer à cause de chaleur
faus, faussaire falsifier
haut, hausser exalter
maudire malédiction
naufrage navire
psaume, psautier psalmiste
agneau agnelér
beau bél
chapeau chapeliér
grumeau grumelér
manteau mante
rouleau roulér.

«Si l’on entend dans quelques mots un o simple ou la voyelle composée ou, l’analogie exige que dans tous les mots de la même famille où au lieu de o ou de ou on entendra eu, on écrive œu; ainsi écrivons-nous:

bœuf à cause de bouvier
cœur cordial
chœur choriste
mœurs moral
nœu nouer
œuf ovaire et oval
œuvre ouvriér
sœur sororal
vœu vouér ou voter

303 «D’après ce principe, combiné avec la manière dont je propose d’écrire l mouillée, il faut écrire œll au lieu de œil. Puisqu’il est reçu d’écrire vœu à cause de vouer, pourquoi n’écriroit-on pas avœu, tant par analogie avec vœu qu’à cause d’avouer? Nous écrivons cueillir et nous y prononçons eu qui n’y est point écrit: les mots colècte, colècteur, colèctif, colèction, qui sont de la même famille, nous indiquent œ et nous avertissent d’écrire cœullir, acœullir, recœullir, de là acœull, recœull, même cercœull, et par l’analogie des sons orgœull où l’on prononce œu, puis orgoélleus, parce qu’on n’y prononce que é

18o L’auteur demande que l’on écrive:

à fin au lieu de afin } à cause de   à cette fin, à cause
en fin enfin
au près auprès     de près, de loin
aussi tôt aussitôt } { plus tôt, bien tôt, aussi tard,
bien tard
bien tôt bientôt
en suite ensuite     par suite, à la suite
autre fois autrefois }   une fois, plusieurs fois
quelque fois quelquefois
toute fois toutefois
par ce que parce que     par la raison que
lors que lorsque     tandis que, etc.
pour quoi pourquoi     pour qui

19o Il réunit, au contraire, les mots suivants: un acompte, des acomptes, des apropos, des apeuprès.

En terminant, Beauzée défend ainsi son système du reproche d’attenter à l’étymologie et à la prosodie:

«Pour ce qui concerne les droits de l’étymologie, je le demande, est-il raisonnable que nous allions chercher dans une langue étrangère et morte, qui est ignorée des dix-neuf vingtièmes de la nation, les raisons de notre orthographe, que toute notre nation doit savoir? N’est-ce pas condanner gratuïtement à l’ignorance d’une chose essencielle tous ceux qui n’auront pas fait les frais superflus d’étudier le latin et le grec? N’est-ce pas mettre des entraves ridicules à la perfection d’une langue qui, après tout, doit nous être plus précieuse que toute autre? L’orthographe est pour toute la nation; la connoissance des étymologies n’est que pour un très-petit nombre d’hommes, qui même n’en tirent pas grand avantage, ni pour eux-mêmes ni pour l’utilité publique: faut-il donc 304 sacrifier l’avantage de vingt millions d’ames aux vûes pédantesques de deux-cents personnages, qui n’en sont ni plus savants ni plus utiles? L’injustice et le ridicule de cette prétention ont été sentis par l’Académie della Crusca, pour la langue italienne, et par l’Académie royale de Madrid, pour la langue castillane: l’orthographe de ces deux langues est réduite à peindre juste la prononciation, sans égard pour des étymologies qui la défigureroient; et les savants d’Italie et d’Espagne n’en seront pas moins bons étymologistes. Mais chez nous même, d’où vient qu’il n’a pas plu à l’usage de redoubler la consonne dans quelques mots, où toutefois la raison servile d’imitation à cause de l’étymologie militoit autant que dans les autres mots où l’on a consacré ce redoublement? C’est que quelquefois la raison l’a emporté sur l’aveugle et imbécile routine et que l’on a quelquefois obéi au principe invariable qui veut que l’écriture soit l’image fidèle de la parole.

«Ce qu’on allègue en faveur des droits de la prosodie est-il mieux fondé? Il faut, dit-on, redoubler la consonne pour marquer la brièveté de la voyelle précédente. Ce prétendu principe est absolument faux, de l’aveu même de l’usage: car 1o nous trouvons la consonne redoublée après des voyelles longues: flāmme, mānne, abbēsse, que je fīsse, grōsse, que je pūsse, que je poūsse, paīssez, etc.; 2o on trouve de même des voyelles brèves avant une consonne simple: dămier, interprĕter, docĭlité, dévŏte, fortŭné, boŭle, jeŭnesse, retraĭte, etc. Quand ce principe seroit admis sans exception dans la pratique, peut-être faudroit-il encore y renoncer, parce qu’il seroit au moins inutile: ne suffiroit-il pas de marquer de l’accent circonflexe les voyelles longues et d’écrire les brèves sans accent? N’avons-nous pas déjà tâche et tache, mâtin et matin, châsse et chasse, bête et bète (racine), gîte et il agite, le nôtre et notre avis, etc.? A ces deux vices, déja considérables, de fausseté et d’inutilité, ajoutons que ce principe est encore opposé à l’effet naturel du redoublement de la consonne, qui est d’alonger la voyelle précédente.»

Beauzée a, comme on le voit, étudié dans ses détails et avec beaucoup d’érudition et de sagacité le mécanisme de l’orthographe étymologique. Quelques-unes de ses modifications pourraient être acceptées; d’autres, celles qui entraînent l’augmentation du nombre des accents, sont ingénieuses, mais tout à fait impraticables. Pour se disculper du reproche qu’on lui a fait de cette 305 complication, Beauzée cite un passage de l’Enchiridion d’Épictète, où, dans le texte grec, se trouvent 41 accents pour 37 mots, tandis que la traduction littérale, orthographiée selon son système, ne montre que 23 accents sur 55 mots. Voici cette traduction:

«Cés gênts veulent aussi être philosophes. Home, aye d’abord apris ce que c’est que la çhose que tu veus être; aye étudié tés forces et le fardeau; aye vu si tu peus l’avoir porté; aye considéré tés bras et tés cuisses, aye éprouvé tés reins, si tu veus être qùinqùèrcion ou luteur.»

Dans la langue grecque, tous les mots ayant une accentuation tonique très-fortement accusée, ces marques devenaient bien plus nécessaires qu’elles ne le sont dans la nôtre, pour fixer la diction. L’accentuation grecque (l’aigu, le grave, le circonflexe), qui a servi de modèle à la nôtre, ne fut introduite qu’au deuxième siècle avant J.-C., et c’est à Alexandrie qu’elle fut d’abord mise en usage par son inventeur, Aristophane de Byzance, pour fixer la prononciation et la préserver d’être altérée par tant de populations étrangères qui parlaient le grec. On ne trouve, d’ailleurs, aucun texte manuscrit, sauf des grammaires, accentué au complet avant le XIe siècle de notre ère.

DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

Jean-Étienne-Judith Forestier Boinvilliers-Desjardins, membre correspondant de L’Institut de France. Grammaire raisonée ou cours théorique et pratique de la langue française. Paris, 1802, in-8 de 526 pp.

Ce savant grammairien figure au nombre des réformateurs les plus modérés. Il n’admet pas de séparation entre la langue française et le latin dont l’étude lui paraît indispensable pour la connaissance du système de l’orthographe française. Fidèle sur tous les points à l’étymologie, il n’adopte que les changements qui s’y conforment, de sorte que sa réforme porte presque exclusivement sur les doubles consonnes, qu’il remplace par les simples là seulement où elles sont d’accord avec les primitifs latins. Cette 306 amélioration constitue déjà un pas en avant, mais reste imparfaite puisque dans certains mots elle se conforme à l’étymologie latine, contrairement à la prononciation. Boinvilliers a fait un code d’orthographe à l’usage des lettrés, et par conséquent ne se soucie pas de la régularité qui doit être l’âme de tout système d’écriture rationnelle.

Il écrit donc: nourir, étoner, doner, conaître, apartenir, quiter, atendre, ariver, honeur, home, persone, acord, someil, etc., et d’un autre côté: différer et différence, commettre et commission, approuver et approbation, etc.

Dans les mots où la pénultième se trouve être un e muet suivi immédiatement de la double consonne, il le remplace par un è après la suppression de la consonne. Exemples: tèle, bèle, cète, anciène, cruèle, qu’il viène. Il écrit énemi avec un e aigu. Il remplace par l’s l’x final des substantifs et des adjectifs pour les conformer à la règle générale de la formation du féminin, ex.: épous, épouse, heureus, heureuse.

Il écrit avec un c tous les adjectifs dont le substantif correspondant possède le c à la désinence, comme confidenciel (confidence), substanciel (substance), essenciel (essence), pénitenciel (pénitence), et avec un t ceux où cette consonne existe dans le primitif, comme séditieus (sédition), factieus (faction), ou qui ne dérivent pas d’un substantif, comme captieus (capter).

Il écrit avec Voltaire nous fesons, bienfesant, malfesant.

Il remplace l’y par l’i partout où il ne représente pas deux i, et il écrit avec beaucoup de raison: les ieux, venez i (i venant de ibi).

Il est inutile d’ajouter qu’il conserve partout les ph et th étymologiques.

Urbain Domergue, de l’Institut. La prononciation françoise, déterminée par des signes invariables, avec application à divers morceaux, en prose et en vers, contenant tout ce qu’il faut savoir pour lire avec correction et avec goût; suivie de notions orthographiques et de la nomenclature des mots à difficultés. Paris, F. Barret, l’an V, in-8 de 302 pp.—La prononciation françoise, où l’auteur a prosodié, avec des caractères dont il est l’inventeur, sa traduction en vers 307 des dix églogues de Virgile et quelques autres morceaux de sa composition; augmentée d’un tableau des désinences françoises, pour faciliter l’étude des genres. Manuel indispensable pour les étrangers, amateurs de cette langue, infiniment utile aux François eux-mêmes. Seconde édition. Paris, librairie économique, 1806, in-8 de 3 ff. 540 pp., plus 3 ff.

Les travaux de Domergue sur la langue française remontent à 1778. C’est à cette époque qu’il fit paraître sa Grammaire française simplifiée (in-12), réimprimée en 1792. En 1784, il fonda à Lyon le Journal de la langue française, qui fut continué jusqu’en 1791. En 1790, il publia le Mémorial du jeune orthographiste (in-12). Revenu à Paris, il forma la Société des amateurs et régénérateurs de la langue française, dont sortit plus tard le Conseil grammatical, tribunal officieux dont le rôle était de donner des solutions aux questions grammaticales offrant des difficultés. Ces solutions furent publiées en 1 vol., en 1808. On a encore de cet académicien deux opuscules sur l’orthographe: Exercice orthographique (Paris, 1810, in-12), et les Notions orthographiques. Bien que je n’aie pu me procurer ces ouvrages, j’ai cru utile de les mentionner bibliographiquement.

La partie critique dans le travail de cet académicien n’a pas l’importance que les autres novateurs ont cru devoir lui donner à l’appui de leur système.

«Si notre alphabet étoit bien fait, dit Domergue, p. 177, si chaque son étoit exprimé par un signe qui lui convînt toujours, qui ne convînt qu’à lui, la connoissance de l’alphabet seroit la clé de la prononciation. Mais notre langue parlée a 40 éléments (voir plus loin, p. 359), et nous n’avons que 24 lettres. Encore, ces lettres trompent-elles sans cesse l’œil par des sons contraires aux signes, l’oreille par des signes contraires aux sons. Tâchons de mettre d’accord les deux sens particulièrement consacrés à la parole, la vue et l’ouïe. Que dans l’alphabet que je destine à réfléchir la prononciation, comme une glace fidèle réfléchit les objets, ces deux principes soient invariablement suivis: 1o autant de signes simples que de sons simples; 2o application constamment exclusive du signe au son.»

308 TABLEAU DES VOYELLES DE DOMERGUE.

a, comme dans ami, baril a aigu.
a, comme dans câble, raser a grave.
a, comme dans banc, temps a nasal.
o, comme dans domino, loto o aigu.
ℴ, comme dans grossir, rosier o grave.
ơ, comme dans bonté, ombre o nasal.
é, comme dans thé, café e aigu bref.
ē, comme dans lésion, fée e aigu long.
ē, comme dans succès, caisse e grave.
e, comme dans modèle, foible e moyen.
e tilde, comme dans lien, vin e nasal.
i, comme dans colibri, biribi i bref.
ī, comme dans cerise, gîte i long.
u, comme dans vertu, tube u bref.
û, comme dans ruse, flûte u long.
ə, comme dans joujou, bijou ou bref.
ɔ, comme dans pelouse, croûte ou long.
c, comme dans bonne, jeton eu faible.
c macron, comme dans feu, peuplier eu bref.
c breve, comme dans creuse, beurre eu long.
ƈ, comme dans un, à jeûn eu nasal.

CONSONNES:

  Prononcez
m, comme dans maman me.
b, comme dans battre be.
p, comme dans papa pe.
v, comme dans vivacité ve.
f, comme dans force fe.
d, comme dans devoir de.
t, comme dans tutoyer, et jamais comme dans portion te.
n, comme dans Nanine, et jamais comme dans bon ne.
309 l, comme dans lunatique le.
ł, comme dans famille le mouillé.
ŋ, comme dans ignorant, et jamais comme dans gnome gn mouillé.
z, comme dans azur ze.
s, comme dans salut, et jamais comme dans ruse se.
r, comme dans rire re.
ȷ, comme dans jujube je.
ℐ, comme dans chercher ch doux.
g, comme dans guérir, et jamais comme dans pigeon ghe.
q, comme dans camisole, colère que.
ɋ, comme dans cœur, requête q adouci.
‛, comme dans les héros aspiration.

On voit que, dans l’écriture inventée par Domergue, le caractère c a changé de fonction et représente eu faible que l’auteur croit entendre dans notre e muet ou e féminin, bonne, jeton. L’y a également disparu, et avec lui toute trace de l’origine grecque d’une partie des mots de la langue. Pas d’œ; pas d’accents. Dans les consonnes le c est remplacé dans ses fonctions par q dans camisole, par ɋ dans cœur, par s dans ceux-ci; f figure les sons f et ph; h est éliminée là où il n’y a pas aspiration; et dans héros, etc., elle est figurée par l’esprit rude des Grecs; k, lettre inutile en présence des deux coppa (q et ɋ), disparaît également; deux signes nouveaux, l’un pour le gn mouillé, montagne, l’autre pour ll mouillé, économisent chacun une lettre; t n’a plus qu’une fonction, x a disparu ainsi que le w.

Domergue reconnaît vingt et une voix ou voyelles distinctes qu’il représente par vingt et un signes; dix-neuf articulations qu’il exprime par dix-neuf consonnes, dont chacune, comme chaque voyelle, a un emploi fixe et incommunicable.

Si le système de cet académicien était logique et bien conçu sous plusieurs rapports, en pratique il était inexécutable. Son écriture, hérissée de signes nouveaux et peu distincts les uns des autres, blesse toutes les habitudes de l’œil, supprime les accords du singulier et du pluriel dans les substantifs et dans les verbes, et, violant ainsi les lois premières de la grammaire, nous ramènerait à une sorte de barbarie.

310 Girault-Duvivier. Grammaire des grammaires, ou Analyse raisonnée des meilleurs travaux sur la langue française. Quatrième édition. Paris, 1819, 2 vol. in-8. (La première édition est de 1811.)

Ce volumineux travail a joui pendant longtemps d’une grande réputation. Le public, partant de cette idée que la meilleure grammaire devait être la plus complète, c’est-à-dire celle dans laquelle se trouveraient entassées en plus grand nombre, sous forme de règles, d’exceptions et d’exceptions de l’exception, les irrégularités et les contradictions de notre langue, a pendant trente ans accordé sa faveur à cette vaste compilation des traités de grammaire alors connus.

Pour donner une idée de la critique de son auteur, je me bornerai à remarquer que, loin de s’être enquis par un examen attentif et personnel de la valeur des travaux des novateurs qui l’avaient précédé, il s’est contenté, au chapitre Orthographe, t. II, p. 895, de reproduire sans citer, mais en la paraphrasant de temps à autre, la condamnation qu’en 1706, c’est-à-dire cent ans plus tôt, Regnier des Marais avait portée contre eux dans sa Grammaire.

Girault-Duvivier conclut ainsi: «Au surplus, ce qui répond plus victorieusement encore que tout ce qu’on vient de lire, aux divers projets tendant à la réforme de l’orthographe ordinaire, c’est que Regnier des Marais, le P. Buffier, le P. Bouhours, MM. de Port-Royal, Beauzée, Condillac, Girard, d’Olivet et le plus grand nombre de grammairiens modernes, se sont constamment opposés à leur adoption; c’est que les écrivains du siècle de Louis XIV et enfin l’Académie, juge auquel doit se soumettre tout auteur, quelque célèbre, quelque éclairé qu’il soit, les ont rejetés.»

Cette citation textuelle, dans laquelle il y a presque autant d’erreurs que de mots, ainsi qu’on peut s’en assurer par l’analyse qu’on trouve ici des travaux de Buffier, de Port-Royal, de Beauzée, de Girard, de d’Olivet et les spécimens de l’orthographe des grands écrivains (Appendice E), montre suffisamment avec quelle légèreté les grammairiens les plus accrédités avaient, jusqu’à nos jours, traité la question de la réforme orthographique. Je serais heureux si le présent ouvrage parvenait à déblayer le terrain de la discussion de tant d’arguments faux répétés à satiété!

311 C.-F. Volney. L’Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques, ouvrage élémentaire, utile à tout voyageur en Asie (tome VIII des Œuvres complètes). Paris, Bossange frères, 1821, in-8.

Note de transcription: cet ouvrage est disponible dans la collection Gutenberg sous https://www.gutenberg.org/ebooks/56545.

Quoique cet ouvrage, aussi bien que celui de M. Féline, concerne plus particulièrement la réforme dite phonographique, j’ai cru devoir les mentionner, puisqu’ils ont indirectement rapport à l’orthographe, par la classification des sons de la langue, et sont le résultat de longs efforts et de consciencieuses études. La tentative de dresser un alphabet unique et commun aux langues de l’Europe et de l’Asie est une idée aussi grande que généreuse[194]. Volney lui-même a fondé un prix annuel de 1,200 francs pour la réalisation de cette entreprise à laquelle il a consacré tant de voyages et de si longues études.

[194] L’Angleterre poursuit depuis une trentaine d’années un problème encore plus vaste et non moins important, celui d’un alphabet typographique latin perfectionné et complété, qui soit propre à la transcription de toutes les langues des tribus de l’Afrique, de l’Asie, de l’Amérique, de l’Océanie, de la Polynésie, explorées par ses missionnaires. (Voir Max Müller, Nouvelles Leçons de la science du langage, p. 199.)

Le savant académicien a puisé dans la comparaison des idiomes, nécessaire à la préparation de son œuvre, des moyens de perfectionner le mécanisme de notre orthographe. Doué d’un vrai talent d’observation et d’une sagacité égale à sa persévérance, il doit à l’analyse minutieuse qu’il a faite des sons propres aux diverses langues qu’il a comparées une connaissance profonde des vices de notre écriture.

L’étude à laquelle Volney s’est livré au sujet des voyelles européennes et particulièrement des voyelles françaises (p. 25 à 61) depuis cinquante ans n’a guère été dépassée. Voici comment il résume les idées de ses prédécesseurs sur la détermination du nombre de nos voyelles:

«Avant Beauzée, l’abbé Dangeau (en 1693) avait compté aussi treize voyelles, mais il y comprenait aussi les quatre nasales: par conséquent il les bornait à neuf. Ce fut déjà une grande hardiesse à lui de les proposer au corps académique, qui, selon l’habitude des corporations et la pesanteur des masses, se tenait stationnaire dans le vieil usage de ne reconnaître que les cinq 312 voyelles figurées par A, E, I, O, U. L’abbé Dangeau eut le mérite d’établir si clairement ce qui constitue la voyelle, que la majorité des académiciens ne put se refuser à reconnaître pour telles les prétendues diphtongues OU, EU, qui réellement ne sont pas diphtongues, mais digrammes, c’est-à-dire doubles lettres[195]. Du reste, Dangeau ne distingua pas bien les deux A, les deux O, ni les deux EU.

[195] L’auteur explique très-bien, dans plusieurs endroits, le mécanisme de la formation de ces digrammes, qui s’est produite en Europe comme en Asie. Ayant à figurer des sons nouveaux avec un alphabet restreint, on a, plutôt que d’introduire un signe nouveau, réuni les signes des sons qui isolément paraissent se faire entendre dans la nouvelle voyelle.

«Après Dangeau (en 1706), l’abbé Regnier des Marais, chargé par l’Académie d’établir une grammaire officielle comme le Dictionnaire, n’osa que faiblement suivre la route ouverte par Dangeau: en établissant d’abord six voyelles il commit la faute de présenter y et i comme différens, lorsque de fait leur son est le même[196]; et dans l’exposé confus, embarrassé qu’il fit de toute sa doctrine, il décela l’hésitation et le peu de profondeur de la doctrine alors dominante. A ce sujet, je ne puis m’empêcher de remarquer que les innovations ne sont jamais le fruit des lumières ou de la sagesse des corporations, mais au contraire celui de la hardiesse des individus, qui, libres dans leur marche, donnent l’essor à leur imagination et vont à la découverte en tirailleurs: leurs rapports au corps de l’armée donnent matière à délibération: elle serait prompte dans le militaire, elle est plus longue chez les gens de robe. Toute innovation court risque d’y causer un schisme, d’y être une hérésie, et ce n’est qu’avec le temps, qu’entraînée par une minorité croissante, la majorité entre et défile dans le sentier de la vérité.»

[196] Volney a raison en ce qui concerne l’y étymologique, mais l’y français, dans pays, moyen, est une véritable voyelle diphthongue.

Voici le tableau des voyelles de Volney en ce qui regarde le français:

1.   a clair ou bref, petit a Ex.: Paris, patte, mal;
2.   a profond ou long, grand â   âme, âge, pâte, mâle;
3.   o clair ou bref, petit o odorat, hotte, molle, sol;
4.   o profond ou long, grand ô hôte, haute, môle, saule, pôle;
5.   bref, petit ou chou, sou, trou;
6.   profond, grand voûte, croûte, roue, houe;
313 7.   clair, guttural Ex.: cœur, peur, bonheur;
8.   eu profond, creux eux, deux, ceux;
9. { e muet, féminin borne, ronde, grande;
. . . . . . . . . . . . e gothique que je me repente;
10.   ê ouvert fête, faîte, mer, fer;
11.   ée e (sans nom), æ, ē née, nez;
12.   é masculin né, répété;
13.   i bref, petit i midi, imité, ici;
14.   î long, grand î île (en mer), la bîle;
15.   u français hutte, chute, nud;
  Nasales:
16.   an pan (de mur);
17.   on son (de voix);
18.   in brin, pain, pin, peint;
19.   un un, chacun.

La réalisation du projet de Volney serait un puissant auxiliaire pour la diffusion des lumières et de la civilisation en Europe. Voici comment M. Féline s’exprimait à ce sujet dans l’introduction de son Dictionnaire phonétique:

«La création d’un tel alphabet intéresse au plus haut degré la politique intérieure de tous les grands États. Les sujets de la France parlent allemand, italien, breton, basque, arabe, et nombre de patois qui diffèrent beaucoup du français. Ceux de l’empire britannique parlent gallois, irlandais, écossais et font usage d’une multitude d’idiomes dans de nombreuses colonies. La Russie, disent les géographes, compte plus de cent langues différentes, dont vingt-sept principales; l’Autriche en compte également une quantité considérable dans ses divers États, animés chacun d’une nationalité jalouse. Les États-Unis sont peuplés en partie d’émigrants venus de toutes les contrées du monde. Il n’est pas jusqu’à la Suisse où règnent trois idiomes bien distincts. Certes, si la confusion des langues a arrêté l’édification de la tour de Babel, l’administration de chacun de ces États doit souffrir de la difficulté qu’éprouve l’autorité à se faire comprendre de tous les sujets soumis à sa loi. Toutes ces nations doivent donc appliquer leurs efforts à se faciliter réciproquement l’étude de ces nombreux idiomes, surtout de celui qui est adopté par le gouvernement dans chaque pays. Elles atteindraient assurément ce but en apportant à l’alphabet toutes les simplifications dont il est susceptible et en le rendant commun à toutes les langues.»

On verra plus loin, à l’article consacré à l’ouvrage de M. Raoux, 314 les moyens récemment proposés pour parvenir à ce but, et qui font l’objet d’un art que ses adeptes appellent phonographie.

P.-R.-Fr. Butet, directeur de l’école polymathique. Mémoire historique et critique dans lequel l’S se plaint des irruptions orthographiques de l’X, qui l’a supplantée dans plusieurs cas, sans aucune autorisation ni étymologique ni analogique; à messieurs les membres de l’Académie française et de celle des inscriptions et belles-lettres. Paris, imprimerie d’Éverat, 1821, in-8 de 19 pp.

Dans les doléances que la lettre S adresse à l’Académie, elle s’élève d’abord contre le trouble apporté dans son emploi régulier par ces impératifs de la première conjugaison à la seconde personne du singulier, manges-en, goûtes-y, vas-y; elle se contenterait modestement de la configuration mange-s-en, goûte-s-y, va-s-y, qui préciserait son rôle de lettre euphonique.

Par suite de l’extension toujours croissante d’emploi qu’elle a reçue des Grammairiens, par exemple, à la fin de ces mots je croi, je tien, je vien, etc., elle se croit en droit de défendre sa position comme lettre euphonique et comme marque du pluriel contre les empiétements de l’x.

Notre x nous vient des Latins. Mais quel rôle cette lettre double a-t-elle joué chez eux?

Les nominatifs en is de la troisième déclinaison, canis, classis, fortis, dulcis, sont identiques avec la forme du génitif: tel était le type primitif. Mais, en raison de la fréquence de leur emploi, certaines formes du nominatif se sont altérées. Ces altérations se sont faites de plusieurs manières, et entre autres par contraction: trabs, urbs, ops, hyems, etc., sont des contractions de trabis, urbis, opis, hyemis, qu’on retrouve au nominatif dans les anciens auteurs. Par suite de la même contraction, audacis et regis sont devenus audacs et regs: l’x est alors intervenu pour figurer ces deux finales et ces deux sons par une seule lettre.

Les prétérits latins ont éprouvé des modifications non moins importantes, où l’x est venu jouer son rôle. Luceo, frigo, dico, duco, au lieu de luci, frigi, dici, duci, ont donné luxi, frixi, dixi, duxi.

Flectum, plectum, fluctum, n’ont pu devenir flecsum, plecsum, 315 flucsum que sous la forme orthographique flexum, plexum, fluxum. Telle est l’origine des supins en xum.

Il résulte de ces observations que l’x, sauf le cas de préexistence dans un radical, ne peut s’introduire secondairement en orthographe que dans trois cas généraux en latin: 1o comme finale de substantifs et adjectifs de la troisième déclinaison; 2o comme faisant partie de la terminaison des prétérits en xi; et 3o dans les supins en xum; par conséquent, on peut, par droit d’hérédité, conserver sa présence dans tous les mots français qui émanent de ces trois sources et, comme cela a eu lieu en latin, dans tous leurs dérivés.

On peut admettre que, comme monument ancien, x reste dans appendix, hélix, index (que beaucoup de personnes écrivent déjà appendice, hélice, indice), dans chaux, de calx, dans choix, de collexus, altération de collectus, dans croix, de crux, dans crucifix, de crucifixus, dans faux, de falx, dans flux, de fluxus. De même pour larynx, pharynx, sphinx, voix, paix, poix, perdrix; dans taux, à cause de taxe, dans six, à cause de sex.

Il n’en est pas de même dans la terminaison des mots faux, toux, houx, époux, pour lesquels il n’existe aucune raison étymologique de la présence de l’x, et où l’s seule apparaît dans les dérivés. Comment justifier l’intrusion de l’x dans la terminaison des adjectifs en eux, tels que précieux, généreux, etc., provenus pour la plupart de correspondants latins en osus?

La lettre S demande en terminant à l’Académie que puisque la docte Compagnie l’a déjà rétablie dans ses droits pour les mots rois et lois, clous, filous, fous, toutous, trous et verrous, elle lui fasse la même grâce pour les mots bijoux, cailloux, choux, genoux, hiboux, joujoux et poux.

Elle réclamerait aussi sa place dans les pluriels des mots terminés en eux dérivés de latins en osus, ainsi que dans les quatre formes verbales, je peux, je veux, je vaux, je faux.

La prononciation, en vers comme en prose, n’a rien à perdre à ces corrections. L’étymologie et l’analogie y recouvreront leurs droits, et la grammaire, affranchie d’exceptions, y gagnera par la simplification et la généralisation de ses règles.

Il y a, comme on voit, d’excellentes idées dans ce petit travail, et une analyse de ce genre pourrait être accomplie fructueusement pour chacune des lettres de l’alphabet latin.

316 Solvique et phonique, c’est-à-dire: le mécanisme de la parole dévoilé et écriture universelle au moyen de quarante-huit phonins ou lettres, qui, à l’aide de quelques signes, accens et marques, désignent tous les sons de la parole avec leurs qualités prosodiques; précédées d’une esquisse de l’histoire de l’écriture, et suivies d’une méthode de noter la déclamation, moyennant douze chiffres duodécimaux, qui se trouvent également appliqués à l’arithmétique, ainsi qu’à un système de poids et mesures. Par Ch.-L. B. D. M. G. Paris, Firmin Didot, octobre 1829, in-12, de VIII et 172 pp., plus 1 f. de modèle et un tableau.

C’est une réforme complète de l’écriture, établie sur une étude minutieuse du fonctionnement des organes de la parole. L’auteur a inventé de nouveaux signes qui diffèrent totalement des lettres de l’alphabet.

Marle. Dans le Journal de la langue française, didactique et littéraire, années 1827-1829, 4 vol. in-8. (Orthographe. Plan de réforme.)—Appel aux Français.Réforme orthographique. Quatrième édition. Paris, I. Corréard jeune, 1829, in-32, de 144 pp., plus 2 tableaux. (A la fin on trouve: Réponse de M. Marle à la lettre de M. Andrieux, de 11 pp.)

«La langue française, dit M. Marle, a vingt-deux sons et treize articulations; pour représenter ce petit nombre de sons et d’articulations, on fait usage de CINQ CENT QUARANTE SIGNES (ils sont rangés dans le tableau ci-dessous), c’est-à-dire que nous employons cinq cents caractères de plus que n’en exigent le besoin de la langue, la raison, le bon sens; c’est-à-dire que nous consumons dans l’étude DOUZE FOIS PLUS DE TEMPS qu’il n’en faut.

«L’enfant qui doit retenir cinq cent quarante signes différents avant de savoir lire et orthographier n’en aura plus que quarante à apprendre pour arriver à la même connaissance. Ainsi, au lieu d’employer douze mois, je suppose, il ne lui en faudra qu’un seul pour apprendre à lire.»

317 Voici le tableau abrégé de la réforme de 1827:

La langue française a 22 sons et 18 articulations. 40 signes suffisent donc pour tout représenter.

[197] Ce mot a été corrigé par l’Académie en 1835.

[198] Tout e qui n’a pas d’accent est muet, et ne se prononce plus ni é, ni è, mais toujours e comme dans je, me, te, etc.

[199] Ainsi corrigé en 1835 par l’Académie.

«Domergue, dit-il, renverse tout pour tout reconstruire sur de nouvèles bazes. Du Marsais se borne à retrancher les doubles consonnes.»

L’auteur déclare adopter une marche qui réunisse les avantages des deux méthodes.

«Il ne faut, dit-il, renvoyer persone à l’école; il faut que celui qui savait lire avant la réforme sache lire après la réforme à quelque degré qu’elle soit arrivée; il faut, en un mot, que les changements propozés ou à propozer soient toujours tellement combinés, que les persones qui vèront pour la première fois l’écriture qui en est le fruit puissent la lire sans héziter et sans avoir bezoin d’explication préalable.....» «Homes de lètres favorables à la réforme, professeurs qui voulez la propager, gardez-vous de franchir les limites tracées par ce principe, ce serait tout compromettre, ce serait grossir les rangs de nos adversaires d’une foule de persones qui n’adoptent l’utile qu’autant qu’il est agréable, qu’autant qu’il n’exige de leur part aucun travail nouveau, aucune étude nouvèle.»

319 Marle retranche donc, en vertu de ce système: a dans Saône, saouler, poulain;—e dans asseoir, surseoir, beaucoup, etc.;—i dans coignassier, poignard, oignon;—o dans bœuf, désœuvrement, nœud, etc.;—un b dans abbaye, rabbin, sabbat;—c dans acquérir, obscénité, scélérat;—un f dans affront, chauffer, etc.;—g dans doigtier, Magdelaine, vingtaine, aggraver, agglomération, etc.;—h dans adhérer, cathédrale, exhorter;—l dans allégorique, alliance, bulletin;—m dans automne, condamner, nommer;—n dans cannibale, connivence, donner;—un p dans appartement, apprendre;—un r dans arrière, carrosse, courrier;—un t dans attachement, flatterie, gratter.—Il remplace le s qui se prononce comme le z par cette dernière lettre: nous reprézentons, poizon. Il fait disparaître les y étymologiques dans sinonime. Il écrit filosofe, ortografe. Il voudrait en outre quelques autres modifications légères.

Dans un remarquable passage relatif à l’abolition des accents locaux et des patois, à laquelle seules une grammaire et une orthographe très-simplifiées pourront conduire, M. Marle s’exprime ainsi:

«Pourquoi telle personne prononce-t-elle mois d’aoûte au lieu de mois d’? C’est parce que cet a et ce t sont écrits; parce que l’œil les voit, parce que le bon sens, d’accord avec la vérité historique, répète sans cesse que les lettres n’ont été inventées que pour être prononcées.

«Écrivez ou, tout le monde prononcera ou.

«Écrivez ardament, solanel, taba, sculture, etc., et il deviendra impossible de prononcer ardemment, solennel, tabak, sculpeture, etc.

«Écrivez ainsi tous les livres nouveaux, toutes les feuilles publiques, tous les almanachs populaires, et les sons purs de l’atticisme français, révélés à tous les yeux, seront rendus par toutes les bouches, et retentiront enfin les mêmes sur les rives de la Garonne, de la Seine et du Rhin.»

A l’appui de ce qu’avance M. Marle, il cite ce passage de Béranger, dans son épître à son patron, M. Lainé, imprimeur à Péronne: «C’est dans son imprimerie que je fus mis en apprentissage: n’ayant pu parvenir à m’enseigner l’orthographe, il me fit prendre goût à la poésie, me donna des leçons de versification, et corrigea mes premiers essais.»

Et M. Marle ajoute: «Si Béranger n’a pas pu parvenir à apprendre l’orthographe actuelle, comment trente millions de Français qui 320 n’ont pas son génie y parviendraient-ils? Aussi nous soutenons que personne ne la sait, et nous proposons un pari de trois cents francs à quiconque prétendra écrire sans faute, sous notre dictée, vingt lignes de mots usuels. Ces trois cents francs sont déposés chez M. Bertinot, notaire, rue de Richelieu, no 28.

«Signé Marle, rédacteur en chef du Journal de la langue française, rue Richelieu, no 21.»

Ce pari a-t-il été tenu? Je l’ignore. Il semble cependant que plus d’un a dû être tenté de concourir; ce qu’il y a de sûr, c’est que M. Marle ne fut pas ruiné par le nombre des concurrents.

Par ce qui précède, on voit que le système orthographique de M. Marle n’excédait pas les bornes indiquées par plusieurs grammairiens, tels que Girard, Duclos, Beauzée et autres. Cependant, dans l’Appel aux Français, M. Marle, dépassant ces limites déjà si larges, se permit de traduire dans une orthographe bien autrement téméraire quelques-unes des lettres que lui avaient écrites plusieurs académiciens. Ces lettres, où la bienveillance semblait un encouragement, ainsi travesties, suscitèrent une tempête funeste à M. Marle, et le ridicule qui s’attacha à leur transcription fit tomber dans un complet discrédit ses tentatives, qui d’abord avaient été favorablement accueillies.

Voici comment est transcrite dans l’Appel aux Français la lettre de M. Andrieux, p. 161:

«Mosieu,

«Il è d’un bon èspri de déziré la réforme de l’ortografe francèze aqtuèle, de vouloir la randre qonforme, ôtan qe posible, à la prononsiasion; il è d’un bon grammèriin é même d’un bon sitoiiin de s’oqupé de sète réforme; mez il è difisile d’i réusir. Voltaire, aprè soisante é diz an de travô, èt à pène parvenu à nou fère éqrire français qome paix, è non pâ qome françois è poix; on trouve anqore dè jan qi répuñet a se chanjeman si rèzonable é si sinple: lè routine son tenase, le suqsè vouz an sera plu glorieu si vou l’obtené; vou vou propozé de marché lantemant é avèq préqôsion, dan sète qarière asé danjereuze: s’è le moiiin d’arivèr ô but; puisié-vous l’atindre!

«Andrieux, manbre de l’Aqadémie fransèze.»

Cette audace, aussi blessante pour les convenances que pour 321 les habitudes consacrées, nuisit aux progrès raisonnables que l’Académie paraissait disposée à admettre, et les effets s’en firent sentir longtemps.

Dans le Journal des Débats parut l’article suivant (il est de M. de Feletz):

«Un nouveau grammairien, M. Marle, prétend réformer l’orthographe, et il donne un échantillon de ses principes et de sa réforme dans un petit écrit intitulé: Apel o Fransé, Réforme ortografiqe.

«Ne jugé q’aprèz avoir lu.
«Prix: 60 santimes.

«Il ne doute point du suqsè; il prétend qu’il a déjà pour lui un profèseur de rétoriqe, un qolonel, le directeur de la Revu Ansiclopédiqe. Il s’est battu contre ses adversaires dans la Qotidiène, le Qourié fransè, et se battra contre qiqonqe n’adoptera pas sa réforme. Il a formé une société ortografiqe qui a son prézidan, etc.

«M. Marle s’était attiré une lettre raisonnable et polie de M. Andrieux, secrétaire perpétuel de l’Académie française. Il a fait imprimer cette lettre en l’affublant de sa nouvelle orthographe. Les vers de Racine paraîtraient ridicules ainsi imprimés; la prose de M. Andrieux ne pouvait résister à une pareille épreuve, et c’est contre ce travestissement qu’on lui a fait subir qu’il réclame dans les pièces suivantes qu’il nous a adressées:

«AU RÉDACTEUR.

«Monsieur,

«Je n’ose plus écrire à M. Marle: cela ne m’est arrivé qu’une fois, après bien des sollicitations de sa part, et je n’ai pas sujet de me féliciter de ma complaisance; je n’y serai plus pris.

«Vous avez peut-être entendu dire qu’il s’occupe d’une prétendue réforme orthographique; qu’il cherche à répandre une espèce de cacographie bizarre, qu’il propose pour modèle.

«Son zèle de réformateur l’a emporté au point de publier une lettre, travestie de manière à faire croire que j’adopte, moi, sa méthode, si c’en est une, et que j’en ferai journellement usage pour mon compte.

«Je dois donc déclarer nettement que M. Marle, en faisant imprimer sans ma participation la lettre que j’avais eu l’honneur de lui écrire, a substitué à mon orthographe, qui est celle de tout le 322 monde, une manière d’écrire qui lui est particulière, en sorte qu’il n’a point publié ma lettre telle que je la lui avais adressée, mais qu’il l’a défigurée et rendue méconnaissable. Il me semble qu’il a eu en cela le double tort d’induire le public en erreur et de mésuser de ma signature.

«A présent, monsieur le rédacteur, accordez-moi un peu de place pour quelques mots que j’adresserai à M. Marle lui-même, par votre intermédiaire.

«A M. MARLE:

«Vous n’avez pas voulu, Monsieur, comprendre le sens de ma lettre. Je vous y disais qu’une réforme de l’orthographe était difficile; que vous vous proposiez de marcher lentement et avec précaution dans cette carrière assez dangereuse; que c’était là le moyen d’arriver au but; ces avis, à ce qu’il me semble, étaient clairs et raisonnables. Non-seulement vous ne les avez pas suivis; à cet égard vous étiez bien le maître; mais vous avez voulu faire croire que je ne les suivais pas moi-même, et vous avez essayé de me mettre en contradiction avec mon propre sentiment.

«Vous savez aussi bien que moi que toutes ces idées de réforme de l’orthographe ne sont pas nouvelles, il s’en faut de beaucoup; on s’en occupait dès avant Bacon, puisque ce grand homme, dans son livre: De augmentis scientiarum, lib. VI, cap. I, dit expressément qu’elles sont du genre des subtilités inutiles, ex genere subtilitatum inutilium.

«Il est vrai aussi que de très-bons esprits, MM. de Port-Royal, Du Marsais, Duclos, ont désiré que la manière d’écrire se rapprochât de la manière de prononcer.

«Mais, ce qui est pour vous d’un fâcheux présage, des hommes d’un grand mérite, d’habiles grammairiens, Gédoyn[200], Girard, Adanson[201], Domergue, et autres, ont échoué complétement dans des essais semblables aux vôtres.

[200] [201] Il ne m’a pas été possible de découvrir d’autre trace des réformes de Gédoyn et d’Adanson que l’affirmation du docte secrétaire de l’Académie, répétée de confiance par les adversaires de la réforme depuis cette époque.

Il en est des habits ainsi que du langage;
Toujours au plus grand nombre il faut s’accommoder,
Et jamais on ne doit se faire regarder.

323 «Reprenez donc, Monsieur, le déguisement dont il vous a plu de m’affubler; il ne me va pas du tout; c’est un habit de fantaisie dont vous êtes libre de vous revêtir. J’ai peine à croire que vous en fassiez venir la mode.

«J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

«Andrieux.

«Ce 18 avril 1829.»

Dix ans plus tard, en 1839, M. Marle, ne se bornant pas à ce système inadmissible, voulut introduire une écriture purement phonétique, qu’il nomme diagraphie[202]. Au moyen de 36 signes figurés par des lignes droites ou courbes, faibles ou renforcées, il parvient à reproduire les sons prononcés; en sorte qu’en moins d’une journée, on connaît ce système et on peut l’appliquer à l’écriture et à la lecture. Ce fait est constaté par un grand nombre de rapports d’inspecteurs de l’Académie, d’inspecteurs de l’instruction primaire et de commissions nommées à cet effet. Voici l’extrait de leurs décisions:

«Trois jours suffisent pour connaître et exercer la diagraphie. Elle est un guide incessant de la bonne prononciation.—Elle met l’élève dans la même situation que si un maître lui dictait un bon livre.—Elle économise le temps consacré aux dictées.—Elle réunit, sans en avoir les inconvénients, tous les avantages de la cacographie et des autres genres de devoirs d’orthographe.—Elle fait réfléchir les enfants; elle exerce leur jugement et féconde leur intelligence.»

[202] Grammaire théorique, pratique et didactique, ou texte primitif de la grammaire diagraphique. Paris, Dupont, 1839, in-8.—Manuel de la diagraphie. Découverte qui simplifie l’étude de la langue. Paris, Dupont, 1839, in-8.

Lors de leur apparition, les doctrines néographiques de M. Marle eurent beaucoup de retentissement. Il eut bientôt acquis de nombreux prosélytes, même parmi les grammairiens. Il reçut, dit-on, trente-trois mille lettres d’adhésion formelle; une quarantaine de brochures pour ou contre furent publiées, et des sociétés de propagation se formèrent dans plusieurs villes[203]. Enhardi par ce succès, 324 il franchit les limites qu’il avait posées lui-même (voir p. 318). Son audace le perdit et rendit même l’Académie plus méticuleuse dans les concessions qu’elle fit dans la cinquième édition de son Dictionnaire en 1835.

[203] A Paris, une société de la réforme, composée d’hommes distingués, de littérateurs, de grammairiens, était en pleine activité. Je citerai parmi ses membres M. M.-A. Peigné, qui, dans plusieurs de ses publications ultérieures, est resté fidèle à quelques-unes des idées qu’il avait puisées à l’école de M. Marle. Cette société se sépara brusquement dans les circonstances suivantes. Il s’agissait d’une grande publication faite à ses frais pour propager l’entreprise commune. La moitié de la société se prononça pour une réforme modérée ou néographique; l’autre pour une réforme radicale ou phonographique; on ne put se mettre d’accord et l’œuvre fut abandonnée.

Quant à cette espèce d’écriture que M. Marle nomme diagraphie, on peut affirmer que, nécessitant des pesées de la plume et autant de levées de la main qu’il y a de lettres, elle ne saurait s’appliquer à l’écriture courante, ni même à la sténographie.

V.-A. Vanier. La réforme orthographique aux prises avec le peuple, ou le pour et le contre. Paris, Garnier, 1829, in-12 de 96 pp.

L’auteur, habile grammairien, est partisan d’une réforme néographique modérée. Après quarante ans écoulés depuis l’apparition de cet opuscule, il semble, en certains points, une œuvre de circonstance, puisqu’il fait valoir avec beaucoup de raison les motifs qui s’opposent à l’admission d’une réforme phonographique, telle que l’avait conçue M. Marle, telle que MM. Féline, Henricy, l’ont préconisée de nos jours, et que M. Raoux l’enseigne à Lausanne.

M. Vanier a fait un compte rendu moitié sérieux, moitié plaisant des conférences sur la réforme orthographique qui eurent lieu en avril 1829. Après avoir reproché à M. Marle l’abandon du plan primitif auquel tant de personnes éminentes et même d’académiciens avaient donné leur approbation, il rapporte les propositions contenues dans les cahiers des divers bureaux. La plupart de ces réformes de détail se rapprochent de celles déjà mises en avant par de Wailly et Beauzée. (Voir plus haut p. 276.)

«Un membre, dit le rapporteur du premier bureau, a fait la remarque que les verbes en eler et eter, en déviant de la règle générale, présentent de grandes difficultés pour notre orthographe, tant aux nationaux qu’aux étrangers. La règle prescrit, pour tous les verbes qui ont un e muet ou un é fermé dans le radical, de le 325 convertir en è grave quand après lui vient un e muet, comme semer, je sème; promener, je promène; peser, je pèse; lever, je lève; pénétrer, je pénètre; répéter, je répète; céder, je cède; révérer, je révère; révéler, je révèle. Pourquoi donc n’écririons-nous pas, conformément à la même règle, appeler, j’appèle, jeter, je jète? Plusieurs membres trouvent que depuis la suppression de la double consonne de l’infinitif, admise par l’usage et sanctionnée par l’Académie, il est contre tout principe de voir, dans un système régulier de conjugaison, cette même consonne reparaître alternativement double et simple, comme dans j’appelle, nous appelons, je jette, nous jetons. Cet alternat de la consonne double et simple dénature le radical et expose bien des personnes à écrire: nous appellons, nous jettons.

«Par suite du principe reconnu qu’il faut respecter l’orthographe des radicaux, les mêmes membres vous proposent d’écrire les verbes en enir par è grave chaque fois que l’inflexion iène se rencontre, comme dans ils viènent, que je viène, etc., attendu que la consonne est simple dans les radicaux venir, venant, venu, tenir, tenant, tenu, etc.

«Pourquoi les mots en on, qui doublent la consonne en formant les dérivés, comme pardon, pardonner, action, actionner, ne la doublent-ils pas dans national, etc.? Il serait à désirer qu’aucun composé ne la doublât. On objecte que la voyelle serait longue avec une consonne simple; nous ne croyons pas cette objection fondée. A quoi donc servirait l’accent circonflexe? Trône, et autres mots ainsi accentués ne se confondraient pas avec l’o devenu bref, n’étant pas affecté de l’accent, Latone.

«Il en est de même de hotte et de hôte. Est-ce que la suppression du double t dans les noms en otte, comme cotte, marcotte, botte, etc., apporterait du changement à la prononciation? Pas plus que dans redingote, dévote, compote, etc., qu’on n’a jamais prononcés redingôte, etc., quoiqu’ils n’aient qu’un t.

«Même désir de voir supprimer le double t dans les mots en atte, dont plusieurs n’en ont qu’un et se prononcent aussi bref que s’ils en avaient deux, témoin batte, natte; cravate, écarlate, etc. On mettrait l’accent sur l’â long, comme dans hâte, il bâte, pâte, etc., et jamais sur l’a bref. La distinction semble suffisamment établie.

«Par le même motif de prosodie, on propose d’écrire flâme, j’enflâme, âme, et de continuer d’écrire inflammable, inflammation 326 avec la consonne double, tant qu’on la fera sentir dans la prononciation.

«Le premier bureau est d’avis unanime que les présentes observations méritent d’être prises en considération.»

Voici maintenant le passage de ce travail qui a trait à la critique de la réforme phonographique. La Réforme est aux prises en assemblée générale avec les orateurs de la gauche qui représentent l’opposition.

«Un Grammairien. L’un des inconvénients de votre méthode est cette homonymie qu’elle introduit dans la langue. Quoi! vous osez écrire comme le nom du fleuve (le Pô), une de mouton, un de bière, et la ville de ? Cela n’est pas soutenable. Voyez un peu l’effet de ces quatre , , , . Comment voulez-vous qu’à chaque signe graphique, identiquement le même, on attache une idée différente?

«La Réforme. Vous vous faites illusion. Ne savez-vous pas que c’est un inconvénient attaché aux homonymes? Mais chaque mot employé dans la phrase ne laisse plus le moindre doute sur son sens. Que je vous dise: Pô est la capitale du Béarn; ou, l’armée a passé le Pô; ou, voilà vingt pô de mouton, ou enfin, donnez-moi un pô de bière, vous y trompez-vous? Les mots parlés ne se composent que de sons et non de lettres. En avez-vous vu sortir une seule de ma bouche? Non. Comment voulez-vous que votre œil s’y trompe quand vos oreilles ne s’y sont pas trompées? (Elle a ma foi raison, dit le côté droit. Attendez, attendez, dit le côté gauche.)

«L’Orateur de gauche. Vous ne répondez pas à la question. L’homonymie est un inconvénient, point de doute, mais nous avons bien peu d’homonymes qui soient en même temps oculaires et auriculaires, et il est avantageux, selon moi, quand on est entre deux écueils, d’en éviter au moins un. Lisez, et comparez,

«Un beau temps.—Un beau tan.

«Il m’entend.—Il m’en tend (des piéges).

«Serre-m’en.—Serment.

«Mais à quoi bon chercher à multiplier les exemples? Qui ne sait que cette homonymie n’a lieu qu’à l’oreille, et s’efface sur-le-champ aux yeux? Tel est le propre d’une langue écrite régulière, que la clarté n’y laisse rien à désirer. Mais quand on voit votre 327 homonyme sin changer malgré vous de finale, comme dans sin Françoâ, sint Ustache, les sins anaqorète, sinq ome, sin mouton, sin dou, selon l’euphonie qui exige la prononciation de telle consonne que vous mettez ou changez au besoin, vous conviendrez que vous vous retirez d’un embarras pour jeter le peuple dans mille autres. Qui l’avertira de mettre un t final à celui-ci, un q à tel autre, une s à tel autre, et rien à celui-là?

«L’Orateur de droite. La langue parlée n’est, et ne peut être que la peinture des sons, et c’est à la rendre à son primitif emploi que doivent tendre tous nos efforts.

«L’Orateur de gauche. Voilà ce que je nie formellement. Toutes les langues ont des signes graphiques employés comme peintures d’idées.

«Dans les langues à désinences, et où les consonnes s’articulent, vous ne pouvez les retrancher; mais dans la nôtre, où il n’en est pas de même, regarder comme parasites les lettres qui ne se prononcent pas, ou qui ne se prononcent qu’accidentellement, étant suivies d’une voyelle, est détruire l’harmonie qui existe entre les langues soumises à des règles grammaticales qui leur sont communes. Écoutez, je m’explique.

«Vous écrivez « chevaux, bestiaux» en retranchant l’s, signe caractéristique de pluralité, et cela parce qu’elle est nulle dans ce cas pour la prononciation. Le peuple, qui ignore la grammaire, est par là exposé à écrire et à prononcer habitans, humanités, comme nous prononçons les hameaux, les haricots, et, par une conséquence toute juste, il écrira lê zannetons, pour les hannetons, car c’est ainsi qu’il prononce. Vous allez trop loin, vous dis-je, et c’est avoir une confiance trop aveugle en vos propres moyens que de vous en fier à l’oreille du peuple; elle est trop faussée pour qu’il en fasse son juge. Encore une fois il faudrait supposer qu’il parle bien. Je ne vois sortir de votre système que chaos, que confusion.

«Je vais plus loin, comment osez-vous faire disparaître de votre conjugaison ces finales idéologiques qui réveillent en nous les idées de nombre et de personnes? Sont-ce là des lettres parasites? Nous viendron, nous parleron seront homonymes de ils viendron, ils parleron! Qui indiquera au peuple qu’il devra mettre ici un t et là une s euphoniques quand chaque verbe sera suivi d’un mot dont l’initiale est une voyelle, lorsque vous retranchez la consonne hors ce cas? Qui lui indiquera les lettres que vous supprimez dans 328 gran, ègzan, peti, permi, pour former le féminin grande, exempte, petite, permise? Réfléchissez-y, Messieurs, fouler aux pieds la conjugaison et la déclinaison d’un peuple, c’est étouffer en lui toute idée de grammaire, sans laquelle il n’y a point de langue; c’est le ravaler à l’état de barbarie.»

L’auteur suppose un billet phonographique ainsi conçu: O savan qe répondré-vou? S’agira-t-il d’entendre: Au savant que répondrez-vous? Aux savants que répondrez-vous? ô savants, que répondrez-vous? ô savant, que répondrez-vous? L’esprit du lecteur est dans le doute, car les signes déterminatifs du sens sont perdus.

Je crois cette partie de la critique de M. Vanier à l’abri de toute réfutation.

S. Faure. Essai sur la composition d’un nouvel alphabet pour servir à représenter les sons de la voix humaine avec plus de fidélité que par tous les alphabets connus. Paris, Firmin Didot, 1831, in-8, de 226 pp. et 3 pl.

Frappé des inconvénients de notre écriture orthographique, M. Faure témoigne ainsi ses vœux pour sa réforme:

«Perfectionner l’alphabet serait une entreprise digne du dix-neuvième siècle et du règne d’un roi populaire et national. La réforme des poids et mesures s’est opérée dans les temps les plus affreux de la révolution. Le système métrique, après avoir lutté contre les plus grands obstacles, est reconnu aujourd’hui comme très-avantageux.

«..... Une écriture exacte présenterait encore plus d’avantages dans ses résultats que le système métrique; mais, comme nous n’avons pas la présomption de croire qu’elle puisse un jour renverser l’écriture en usage, qu’il nous soit permis du moins d’espérer qu’une nouvelle écriture perfectionnée pourra, comme la sténographie, mais dans un but différent, marcher à côté de l’écriture d’usage et servir efficacement: 1o à rendre les principes de lecture avec les caractères et l’orthographe usités bien plus accessibles à l’enfance; 2o à noter dans un dictionnaire la vraie prononciation des mots beaucoup plus exactement qu’on ne l’a fait jusqu’ici; 3o à nous être d’un merveilleux secours pour la composition d’un alphabet universel, etc.»

Je ne puis donner ici une idée de la méthode de M. Faure. Il 329 faudrait étudier, apprendre et comparer les divers systèmes phonographiques représentés au moyen de signes figurés par des lignes plus ou moins contournées, pour apprécier le mérite de chacun d’eux.

«Quoique nos caractères, dit M. Faure, soient bizarres et très-différents de ceux de l’écriture ordinaire, ils sont si simples, si distincts, et dérivent si naturellement les uns des autres, que nous sommes persuadé qu’une personne qui ne saurait pas lire parviendrait à apprendre, au moyen de ces nouveaux caractères, en dix fois moins de temps que par l’écriture et l’orthographe en usage, qui font, ainsi que l’a dit d’Olivet, de la lecture l’art le plus difficile.»

Chaque amélioration apportée par l’Académie à notre orthographe rend de moins en moins opportune la création de ces systèmes absolus.

Joseph de Malvin Cazal. Prononciation de la langue française au dix-neuvième siècle, tant dans le langage soutenu que dans la conversation, d’après les règles de la prosodie, celles du Dictionnaire de l’Académie, les lois grammaticales et celles de l’usage et du goût. Paris, Imprimerie royale, 1847 in-8.

L’étude de la bonne prononciation paraît devoir jouer un grand rôle dans les réformes futures de notre orthographe. L’Académie des inscriptions se préoccupe légitimement de la fixation de la prononciation et de ses rapports avec l’histoire de notre langue. C’est à ce titre que l’auteur de ce gros volume a obtenu le prix Volney. Il reconnaît et étudie deux sortes de prononciations distinctes: la prononciation oratoire, raffinée, délicate et savante, et la prononciation courante, celle de la conversation. Une semblable doctrine ne me semble pas de nature à diminuer la complication de nos grammaires et de notre orthographe. En tout cas, elle ne simplifiera pas la tâche de la néographie phonétique, qui aura à se prononcer entre les deux prononciations qu’elle devra figurer.

Ces savantes études sur la prononciation, si minutieuses, si controversables, si arides même, pourrai-je ajouter, ne seront jamais à la portée de tous ceux qui ont besoin d’apprendre à lire et à parler. 330 Maintenant que nous sommes en possession des travaux de M. Féline, de M. Casal, de M. Quicherat, de M. Colin, de M. Géhant, etc., notre prononciation devrait être suffisamment fixée pour être consignée dans un Dictionnaire spécial dont l’utilité est évidente.

Adrien Féline. Mémoire sur la réforme de l’alphabet, à l’exemple de celle des poids et mesures. Paris, Guillaumin, 1848, in-8 de 32 pp.—Dictionnaire de la prononciation de la langue française, indiquée au moyen de caractères phonétiques, précédé d’un Mémoire sur la réforme de l’alphabet. Paris, Firmin Didot, 1851, in-8, de 383 pp.—Méthode pour apprendre à lire par le système phonétique. Paris, Firmin Didot, 1854, 2 parties in-8.

L’œuvre projetée avant 1830 par M. Marle a été reprise depuis 1848 avec de nouvelles forces. M. Féline, dont nous déplorons la perte récente, a été l’un des plus persévérants et des plus courageux apôtres du système phonétique ou autrement de la phonographie. Il a consacré une part considérable de son temps et de sa fortune à la vulgarisation de sa doctrine, et n’a pas vécu assez pour la voir fructifier sur le sol de notre colonie algérienne.

M. Féline, dont les idées procèdent en partie de celles de Volney, est un réformateur plus intrépide que ne l’était M. Marle, dans le système de l’Appel aux Français de 1829. Son alphabet, qu’il a cru à tort complet, suffit dans sa simplicité à l’enseignement rapide de la lecture aux habitants pauvres et complétement illettrés de nos campagnes, ainsi qu’aux Arabes. D’ailleurs M. Féline lui-même a dû être convaincu, après l’insuccès de sa méthode comme écriture usuelle, qu’elle ne pourrait être considérée que comme un système pédagogique, destiné, à l’exemple de la mnémonique, à rendre moins aride et moins longue l’étude de la langue française. C’est pourquoi, dans la seconde partie de sa Méthode pour apprendre à lire, il passe, dans une série d’exercices habilement gradués, de l’écriture purement phonétique à une orthographe de plus en plus compliquée, pour arriver enfin à celle qui a été adoptée par l’Académie.

A cet égard M. Féline a droit à la reconnaissance de tous les 331 gens de bien qui s’intéressent au sort de nos populations rurales au point de vue intellectuel, car la pratique a parfaitement démontré l’utilité de sa méthode.

Voici cet alphabet, avec lequel il espérait représenter tous les sons du français:

VOYELLES.
{
CONSONNES.
{
Signes. Valeurs. Signes. Valeurs.
a a p p
â â b b
a an, en m m
e é t t
ê è, ê, ai, et d d
ε e n n
ε+circonflexe eu k k, q, c
i i, y g g, gu
i in gn
o o l l
ô ô, au l ill, il
o on y y
u u f f, ph
û ou v v
u un w w
  s s, c, t
  z z, s
  h ch
  j j, g
  r r

On voit au premier coup d’œil la grande supériorité de cet alphabet sur celui de Domergue. Son auteur supprime le c, dont le son est ambigu, le q, qu’on est habitué à voir escorté de son u servile, l’x, et l’y devant les consonnes. Par contre, il y a huit lettres nouvelles, ε (e muet), ε+circonflexe (eu), a (an), i (in), o (on), u (un), (gn), l (l mouillé). S’il eût mieux approfondi l’ouvrage de Volney et qu’il eût étudié l’alphabet polonais, il eût reconnu que, pour les voyelles nasales, la cédille est un signe plus commode que le trait inférieur, puisque dans l’écriture elle n’exige pas une levée de la main. Ce n’est point non plus le g qu’il fallait tilder, mais le n, comme le font les Espagnols. L’adoption de la lettre k à la place de c donne à son ekritur kû d’εl sôvaj (un coup d’œil sauvage) qu’il eût pu facilement éviter, et qui a prêté le flanc aux plaisanteries du journalisme, plus enclin à rechercher le côté plaisant que le côté utile de toute chose nouvelle.

Quoi qu’il en soit de ces imperfections de détail du système, 332 faciles d’ailleurs à corriger, beaucoup d’instituteurs primaires sont convaincus que son adoption dans les salles d’asile et les écoles de village serait un grand bienfait. Un adolescent apprendrait à lire et à écrire en trois mois au lieu de trois ans. Il serait toujours à même de passer plus tard à l’écriture savante et difficile des lettrés, pour laquelle l’auteur a d’ailleurs préparé des exercices gradués très-bien conçus.

Le Dictionnaire de la prononciation de M. Féline était destiné à répondre à une objection souvent faite aux réformateurs phonographes: «Vous prétendez écrire suivant la prononciation; mais quelle prononciation? Il y a la prononciation gasconne, la prononciation marseillaise, la prononciation normande, la prononciation parisienne. Dans votre système, n’y aura-t-il pas autant d’orthographes diverses qu’il y a d’accents étrangers dans l’idiome national?»

Il est manifeste, répondent les réformateurs, qu’il doit y avoir une prononciation modèle, un dictionnaire de la vraie prononciation, qui rappelle à l’ordre les prononciations vicieuses, lesquelles engendrent des orthographes également vicieuses. Cette prononciation modèle ramènerait peu à peu les accents et les patois à un type normal et unique.

Le Dictionnaire de M. Féline, précieux déjà pour les étrangers, pourrait, à l’aide de quelques corrections, rendre de très-grands services. On devrait s’inspirer, pour le perfectionner, du beau travail de Volney sur les voyelles européennes; car M. Féline, dans l’intérêt de la multitude, sans doute, a négligé certaines nuances de prononciation qui constituent la délicatesse de notre langue. Il me paraît avoir confondu des valeurs distinctes de l’e dit muet (voir plus haut, p. 313), et mal représenter la diphthongue oi par les signes ûa (oua). Pour les consonnes, M. Féline aurait dû distinguer le w anglais, véritable voyelle, du w allemand, qui doit être représenté par notre v simple.

Le Mémoire qui précède son Dictionnaire, et qui relate les travaux d’une commission de savants formée pour déterminer la valeur et le signe de tous nos sons, est un travail plein d’intérêt. Dans cet écrit, M. Féline développe les avantages de la simplification de notre orthographe et aussi de notre alphabet.

«Pourquoi, dit-il, ne pas perfectionner l’alphabet, l’instrument le plus usité du travail, comme on perfectionne les autres? Pourquoi ne le soumettrait-on pas à ce rationalisme auquel la civilisation 333 moderne doit ses succès? Il existe sans doute une différence: c’est que chaque fabricant, chaque ouvrier, est libre de modifier comme il l’entend une machine ou un outil, et qu’il n’en est pas de même de l’alphabet; mais pourquoi le gouvernement, les académies, les administrations, refuseraient-ils de perfectionner l’instrument de travail de toute la nation, ainsi que le ferait le dernier des ouvriers, ainsi que l’exigerait tout fabricant, ainsi que l’a fait la Convention pour les poids et mesures?

«Le gouvernement, qui fait plus d’efforts que jamais pour étendre l’instruction du peuple; les philanthropes de toutes les opinions qui le secondent; ceux qui veulent son bien-être, son amélioration matérielle et morale, tous doivent désirer une réforme qui peut seule généraliser l’instruction primaire. Jamais on n’aura fait autant de bien à si peu de frais.

«Les économistes qui savent que le temps est la richesse de l’homme, les administrateurs qui veulent l’uniformité du langage, les hommes politiques qui veulent rapprocher les nations, enfin, tous les amis de l’humanité, tous les hommes de progrès, doivent appuyer cette réforme.

«Plusieurs exemples doivent nous servir de guide et nous encourager. N’a-t-on pas, dans un siècle de barbarie, remplacé les chiffres romains par la numération arabe, l’une des plus simples inventions de l’esprit humain, puisqu’elle ne consiste qu’en deux points: avoir un signe pour chaque nombre jusqu’à neuf et décupler la valeur du chiffre en le reculant d’un rang? Cette idée n’en est pas moins sublime; car, sur des milliards d’individus qui avaient passé sur la terre, un seul l’a conçue; car elle a eu les conséquences les plus heureuses pour la civilisation.

«De ce qu’une innovation a été mal présentée, de ce qu’elle l’a été dans un but purement scientifique, s’ensuit-il que toute innovation de ce genre soit impossible à réaliser?»

Charles La Loy. Balance orthographique et grammaticale de la langue française: ou cours de philologie grammaticale, ouvrage au moyen duquel disparaissent toutes les incertitudes, sources de difficultés, relatives à nos règles grammaticales et à nos formes orthographiques. Deuxième édition. Paris, Maire-Nyon, 1853, 2 vol. grand in-8, contenant:

334

«1o Des règles d’accentuation qui dispensent d’avoir recours au Dictionnaire;—2o La liste complète des homonymes français;—3o La liste, si utile dans l’enseignement, des dérivations inexactes;—4o Des principes d’orthographe étymologique;—5o Des principes de francisation des mots;—6o Des principes de néologie;—7o Des règles sur la formation des noms et adverbes en ment;—8o Des principes sur l’orthographe et la prononciation des noms propres et des noms de baptême, avec la signification des plus connus;—9o L’indication du pluriel des adjectifs en al;—10o L’indication du pluriel de tous les noms composés et des noms pris des langues étrangères ou des langues anciennes, partie orthographique restée douteuse jusqu’à ce jour;—11o Des règles sur l’orthographe des mots réduplicatifs;—12o Un moyen de reconnaître désormais l’h aspiré de l’h muet, et le ch dur du ch français;—13o De nouveaux signes de ponctuation qui n’exigent aucune nouvelle étude;—14o Des règles sur l’emploi des doubles consonnes, partie si importante de notre orthographe, etc., etc.»

Ce long titre, que j’ai copié presque in extenso, donne une idée du vaste ensemble de questions que l’auteur a embrassées dans le cadre de ses deux volumes.

Il rapporte sur chaque mot embarrassant du Dictionnaire les diverses leçons fournies par les lexicographes et recherche ce qu’il appelle une balance, c’est-à-dire une solution tirée de l’essence même des principes qu’il a posés en commençant. On conçoit qu’en face d’un nombre aussi immense de questions délicates à résoudre, l’auteur ait pu souvent s’arrêter à un parti qui ne satisfasse pas une critique sévère. Néanmoins son ouvrage sera consulté avec fruit de ceux qui, par position, sont aux prises avec les difficultés de notre orthographe. Ce vaste travail, fruit de longs efforts et d’une patience vraiment méritoire, est à lui seul une démonstration suffisante de l’absolue nécessité de perfectionner notre orthographe et de soumettre la grammaire, avec ses contradictions et ses exceptions innombrables, à une analyse, à une discussion, à une révision sérieuse et approfondie.

Alexandre Erdan (Al.-André Jacob). Congrès linguistique. Les révolutionnaires de l’A-B-C. Paris, Coulon-Pineau, 1854, in-8 de 282 pp.

Dans cet opuscule, M. Erdan a parlé de beaucoup de choses à propos de la réforme orthographique. Il a introduit dans une 335 semblable polémique plus de passion que la question ne me semble en comporter. Je ne le suivrai donc pas dans les parties de sa discussion qui s’écartent du sujet, et je renverrai à l’analyse de l’ouvrage de M. Raoux l’exposition des motifs proposés en faveur de l’écriture phonétique.

Voici ce que dit M. Erdan (p. 72) contre le respect de l’étymologie dans l’écriture française. Après avoir rappelé les arguments de Domergue et de Voltaire, il continue ainsi:

«Mais, d’ailleurs, à quoi bon ces raisonnements? La question étymologique n’en est réellement pas une. Les étymologistes croient défendre un principe et, en réalité, ce qu’ils défendent, ce n’est qu’un accident dans la langue.

«Si à chaque mot de notre langue était attachée l’étiquette de son origine, certainement celui qui proposerait d’enlever à la fois toutes ces étiquettes, toutes ces marques caractéristiques, proposerait une révolution difficile; mais cela n’est pas.

«Nous avons, cela est démontré et admis par les grammairiens[204]:

Mots dont l’étymologie est tout à fait inconnue 3,000
Mots dont l’étymologie est douteuse 1,500
Mots qui n’ont plus leurs lettres étymologiques, dont ils se sont dépouillés successivement 10,000
Mots dont l’orthographe est contraire à l’étymologie 500
Total 15,000

«Ainsi, en proposant d’abandonner l’orthographe étymologique, on ne propose point, à proprement parler, une révolution de principe dans l’idiome national. On ne fait que régulariser une langue en désordre qui écrit tantôt suivant l’étymologie, tantôt selon le caprice.»

[204] Ce calcul est emprunté par M. Erdan à M. Marle dans l’Appel aux Français.

Tout en adhérant au principe de la phonographie absolue, l’auteur désire qu’on avance par degrés.

«Il faut donc tout simplement, dit-il, pour commencer, pour établir un premier jalon, revenir aux modifications prudentes, faciles, commodément vulgarisables, qu’adoptèrent et pratiquèrent les Du Marsais, les Duclos, les Beauzée, etc.

336 «Il faut accepter, suivant la théorie de Port-Royal, quelques petits signes très-simples pour faire disparaître certaines anomalies du genre des suivantes: fusil, où l’l ne se prononce pas, et fil, où il se prononce; nid, où d ne se prononce pas, et David, où il se prononce; répugnance, où gn est doux, et stagnation, où gn est très-dur, etc.

«Il est très-facile pour ces différents cas, et pour d’autres analogues, de convenir d’un petit signe, d’un tiret, d’un accent, tout ce qu’on voudra, qui indique la prononciation.»

«Voici donc une série d’applications actuelles que je proposerais volontiers, d’une manière formelle, à tous les amis de la réforme: 1o Retranchement de l’h muet (Omère).—2o Retranchement des lettres doubles (abé, tranquile, éfet, etc.).—3o Emploi d’une seule consonne où il y en a deux inutilement (alfabet, ortografe, téâtre, etc.).—4o Expulsion de l’m où l’on ne prononce que n (anfibie, etc.).—5o Expulsion de l’x comme marquant le pluriel (eus, veus, ceus, etc.).—6o Abandon de l’usage absurde et sans prétexte étymologique, qui double la consonne dans les mots homme, venant de homo, donner, de donare, honneur, de honor (ome, doner, oneur).—7o Expulsion du t ayant le son de l’s (atension, etc.).»

Dans un ouvrage en 2 vol. in-8, intitulé la France mistique, publié un an plus tard, M. Erdan a mis en pratique sa réforme. Ces deux volumes sont imprimés en entier d’après son système. Voici comme il en explique le fonctionnement:

«Règles suivies dans la grafie de ce livre. Nous n’avons point visé à la fonografie absolue, c’est-à-dire à l’écriture exactement conforme à la parole. Il est trop évident à nos yeuz que, si nous devons obtenir des réformes ortografiques (et nous en obtiendrons), nous ne les obtiendrons que par une série de modifications et de simplifications lentes et successives. D’ailleurs, des expériences célèbres sont là pour montrer jusqu’à quel point est impraticable et impossible une transformation subite.

«Nous avons donc fait uniquement de la néografie; nous avons simplifié les choses facilement simplifiables; nous avons modifié ce qui pouvait l’être sans choquer et éfaroucher les lecteurs; nous avons même, autant que possible, tenu à ne pas sortir des limites que s’étaient tracées les néografes modérés du dis-huitième siècle. Nous en somes sortis néanmoins par la substitution de l’s 337 au t dans les mots où ce t sonait s, et était précédé d’une consone; dans les cas où le t est entre deuz voyèles, nous avons cru devoir le laisser, au moins quant à présent. Mais cela même a été pratiqué, avec des choses bien plus hardies, par l’abé de Saint-Pierre et par quelques autres.

«Nous avons aussi préféré le z à l’s dans les pluriels académiques terminés par x. La prononciation réèle, en éfet, est z, non s, quand èle a lieu: le vrai signe du pluriel est donc z, non s.

«Nous n’avons pas toujours été rigoureuz et logique. Ainsi nous avons écrit mettre et permètre, pour éviter, par ecsès de précaution, les homografies—qui n’auraient pas nui sans doute à la clarté—mais qui auraient prêté à une ataque contre notre réforme, sous le prétexte que mètre (verbe) aurait pu se confondre avec mètre (substantif). Nous avons donc momentanément sacrifié la logique.»

P. Poitevin. Grammaire générale et historique de la langue française. Paris, 1856, 2 vol. in-8.

Au chapitre de l’Orthographe, M. Poitevin, après avoir cité l’opinion sur la simplification de l’orthographe que j’avais émise en 1855, dans mon Rapport sur l’Exposition universelle de Londres, s’exprime ainsi:

«Ces observations sont fort justes, et il est fâcheux que M. Ambroise Firmin Didot se soit borné à exprimer un vœu; il lui appartenait de donner l’exemple des réformes raisonnables et d’ouvrir la voie dans laquelle l’Académie ne peut entrer la première; rien ne lui eût été plus facile assurément que de faire sortir de ses nombreuses publications tout un système nouveau d’orthographe; c’était une œuvre digne de lui, et nous regrettons qu’il ne l’ait pas accomplie.»

Mais le respect que l’on doit aux décisions de l’Académie, et qui m’est plus particulièrement imposé, comme ayant l’honneur d’être son imprimeur, m’interdisait plus qu’à tout autre de songer à rien innover. C’est à l’Académie, en raison même de l’autorité suprême qu’on lui reconnaît, de répondre, dans la limite qu’elle jugera convenable, au vœu général.

M. Poitevin fait ensuite une rapide énumération des tentatives de réforme depuis le seizième siècle, puis il ajoute:

338 «Disons en terminant qu’il est impossible qu’on ne voie point, dans un temps très-prochain, se produire les réformes suivantes:

[205] Ce programme est celui de Port-Royal (voir p. 226), adopté depuis deux siècles par presque tous ceux qui ont fait une étude approfondie de notre langue.

Dans cette Grammaire, plus complète et plus détaillée que toutes celles qui avaient paru jusqu’alors, l’auteur fait connaître quelques-unes des raisons historiques de nos formes orthographiques actuelles; il donne à l’occasion le tableau des pronoms et de la conjugaison des verbes dans le vieux français. Ses listes de substantifs dont le genre est douteux, des homonymes, des pluriels des noms composés, etc., ajoutent à son travail beaucoup d’intérêt et une utilité incontestable pour la fixation future de l’orthographe française.

Léger Noel. Les anomalies de la langue française, ou la nécessité démontrée d’une révolution grammaticale. Paris, Ferdinand Sartorius, 1857, in-8 de 240 pp.

Cet ouvrage est le résultat d’un travail très-pénible et vraiment consciencieux. Mais la disposition typographique tout allemande, l’absence de table et d’index, en rendent l’étude très-pénible, et la méthode d’exposition adoptée par l’auteur ne contribue pas à la clarté. M. Noel a consacré deux cent vingt pages d’une impression très-fine aux détails de l’orthographe du substantif et du genre; c’est assez dire que son œuvre se refuse à une analyse complète.

L’auteur a été amené à reconnaître et à classer les anomalies, malheureusement très-nombreuses, dans la formation du genre de nos substantifs.

La première loi, c’est que le féminin se distingue par la présence de l’e muet à la fin du nom; exemple: le dieu, la déesse; le lion, la lionne; le mulet, la mule, etc.

Mais les cas d’exception sont presque aussi nombreux que ceux qui sont conformes à la règle: tantôt le féminin s’applique aux deux sexes: la girafe, la gazelle, la chouette, la tortue, etc.—Tantôt 339 des noms masculins conservent l’e muet final, signe du féminin: ex. amulette, arbuste, chêne, hêtre, doute, incendie, angle, antimoine, antipode, centime, inventaire, etc.—D’autres fois un même mot est tantôt masculin, tantôt féminin, selon le sens qu’on y applique; ex.: aide, barbe, barde, basque, carpe, crêpe, décime, enseigne, faune, garde, orge, etc.

Déjà La Bruyère, membre de l’Académie française, mort en 1696, dans son chapitre intitulé De quelques usages, proteste à ce sujet contre ce qu’on appelle l’usage:

«... Le même usage fait, selon l’occasion, d’habile, d’utile, de docile, de mobile et de fertile, sans y rien changer, des genres différents: au contraire, de vil, vile, de subtil, subtile, selon leur terminaison, masculins ou féminins[206]. Il a altéré les terminaisons anciennes: de scel il a fait sceau; de mantel, manteau; de capel, chapeau, etc., et cela sans que l’on voie guère ce que la langue françoise gagne à ces différences et à ces changements. Est-ce donc vouloir le progrès d’une langue que de déférer à l’usage?»

[206] Le poison a remplacé la poison; et, par contre, on a fait masculin la navire, tandis que nef est resté féminin.

M. Léger Noel constate en passant quelques irrégularités qui ont échappé à la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie: ex.: hydrocèle, pneumatocèle, varicocèle, féminins; sarcocèle, masculin; univalve, bivalve du féminin; multivalve, du masculin; aggrave, métopes, palestre, du féminin, et réaggrave, opes, orchestre, du masculin. Il aurait pu ajouter ode, ce mot introduit en français par Ronsard, du féminin, et épisode du masculin.

S’appuyant sur le principe de l’analogie, M. Léger Noel propose que:

à cause de:   on écrive: au lieu de:
sac, bissac, bivouac, cornac, estomac, havresac, lac, ressac, sac, sumac, tabac, trictrac { un abac un abaque
un tombac un tombaque
un zodiac un zodiaque
agaric, alambic, arsenic, aspic, basilic, cric { un critic un critique
le tropic le tropique
trois cents adjectifs ou substantifs en if { un hippogrif un hippogriffe
un calif un calife
un pontif un pontife
340 avril, babil, béril, péril, grésil { un reptil un reptile
un volatil un volatile
un hil un hile
un crocodil un crocodile
cerfeuil, accueil, bouvreuil, cercueil, deuil, écureuil, treuil, fauteuil, œil, orgueil, recueil, écueil, seuil { un chèvrefeuil
un portefeuil
un chèvrefeuille
un portefeuille
bazar, car, caviar, char, coquemar, nénuphar, par, czar, escobar, nectar } un phar
un tartar
un phare
un tartare
amer, cancer, cher, enfer, éther, fier, frater, gaster, hier, hiver, mâchefer, magister, mer, outremer, stathouder, ver } un belveder un belvédère
un calorifer un calorifère
un caracter un caractère
un adversair un adversaire
un exemplair un exemplaire
trois cents mots environ terminés en al { le chrysocal le chrysocale
le final le finale
un oval un ovale
soixante mots environ terminés en el { un polichinel un polichinelle
un violoncel un violoncelle
le vermicel le vermicelle
accul, archiconsul, calcul, consul, cul, nul, proconsul, recul { un capitul un capitule
un versicul un versicule
un préambul un préambule
un globul un globule
quatre cents mots environ terminés en ir { un cachemir un cachemire
un empir un empire
le zéphyr le zéphire
butor, castor, condor, cor, corrégidor, essor, for, major, or, similor, thermidor, trésor, Labrador { un éphor
tricolor (drapeau)
un éphore
tricolore
azur, dur, futur, impur, mûr, obscur, pur, sûr, sur { un carbur un carbure
un sulfur un sulfure
un murmur un murmure
quarante mots environ en our   un pandour un pandoure
deux cent cinquante mots environ terminés en oir { un auditoir un auditoire
le conservatoir le conservatoire
un promontoir un promontoire
le vomitoir le vomitoire

On écrira de même, dit l’auteur, au masculin les adjectifs:

agil servil barbar inodor
aquatil fidel ignar sonor
débil 341infidel ovipar élégiac
facil parallel vivipar hypocondriac
docil rebel éphémer opac
fertil bénévol lanifer critic
fluviatil frivol prosper pacific
fossil crédul pir magnific
fragil avar bicolor ventriloc

Il est inutile de développer davantage ces tableaux, qui font connaître le genre de régularisation auquel l’auteur s’est plus spécialement attaché. Lorsque les lois de la prosodie française s’opposent à ce que l’on modifie l’orthographe de la désinence, il propose de changer le genre; exemple: une squelette, une satellite, une aérolithe, une phytolithe, une ostéolithe.

Les changements de cette nature, qui intéressent l’oreille, sont plus difficiles à introduire que des modifications dans l’écriture. D’ailleurs un certain nombre d’entre eux altèrent sensiblement l’euphonie de la prononciation en faisant porter l’accent tonique non plus uniquement sur la voyelle de la syllabe pénultième des mots à terminaison féminine, mais en même temps sur la consonne qui suit. Exemple: dans le système de M. Noel, nous ne dirions plus un homme crédUle, servIle, mais crédUL, servIL, bref. C’est donc méconnaître le rôle de l’e muet, cette bulle d’air sonore, comme dit l’auteur, qui communique à notre langue tant de charme, de légèreté et de douceur.

M. Noel veut aussi qu’on écrive la foie (fides) et le foi (hepar), le nef ou la nève (navis), le soif et une cuillère au lieu de cuiller. La rectification de ce dernier mot est unanimement réclamée.

Le mot voix (vox) devrait, selon lui, être écrit voye pour lui donner une terminaison féminine, tout en le distinguant de voie (via), attendu que «cette forme le rapprocherait de son dérivé voyelle et lui donnerait bien plus d’ampleur et d’harmonie.»

«Les grammairiens, ajoute-t-il, en portant le marteau sur l’y, si sonore dans des mots tels que paye, payement, etc., pour le remplacer par cet i fêlé, qui est en si grande faveur auprès d’eux, ont-ils rendu service à la langue? Doit-on prononcer égaye, bégaye et faire rimer ces mots avec baie; il faudrait alors écrire égaie, bégaie. C’est donc un peu comme s’il y avait -éïe, résonnance vraiment féminine, qu’il faut que l’on prononce, et non pas é, son sec et bref, désinence toute masculine.»

Les 240 pages de M. Noel présentent le même intérêt, la même 342 originalité dans un sujet qu’on aurait pu croire épuisé, et c’est à lui qu’on devait (page 205 et suivantes) le travail le plus étendu sur le pluriel des noms composés.

Casimir Henricy. Traité de la réforme de l’orthographe, comprenant les origines et les transformations de la langue française, dans la Tribune des linguistes, 1re année, 1858-1859. Paris, gr. in-8.—Gramère fransèze d’après la réforme ortografiqe. 11 livraisons, faisant suite au Dictionnaire français illustré de Maurice La Châtre. Paris, in-4.

M. Henricy s’est livré à de grandes et consciencieuses recherches sur l’histoire de l’orthographe, et présente sur la réforme des idées fort sages:

«Il y aurait folie, dit-il[207], à penser que ma Gramère fransèze d’après la réforme ortografiqe puisse servir de règle à la génération actuelle. Ce qu’on peut suivre comme un guide sûr aujourd’hui, c’est ma Grammaire française d’après l’orthographe académique. Le Traité de la réforme de l’orthographe est à l’adresse des gens qui veulent s’éclairer sur cette importante question et qui pensent qu’une réforme serait utile. Ils trouveront là un plan complet de réforme divisée en cinq degrés; et je ne leur propose que l’adoption du premier degré, réforme bien simple, déjà pratiquée par les écrivains les plus éminents des deux derniers siècles, notamment par Du Marsais, dans son Traité des tropes, réimprimé en 1804 avec cette même orthographe.»

[207] Tribune des linguistes, p. 60.

«La conséquence de la constitution vicieuse de notre écriture, ajoute-t-il plus loin (p. 126), est que pas un homme ne peut à bon droit se flatter de connaître parfaitement l’orthographe, de ne jamais broncher dans ses sentiers tortueux. Les gens qui la connaissent le mieux ne rougissent pas de l’avouer. En fît-on la seule étude de sa vie, on ne parviendrait pas à l’apprendre, même à l’aide d’une intelligence exceptionnelle. On ne parviendrait qu’à s’abrutir. L’écriture ne constitue en effet qu’un instrument, mais c’est l’instrument indispensable pour arriver à la connaissance des sciences..... Or l’intelligence de l’homme le mieux doué a des bornes, et il est évident que, s’il l’emploie toute à apprendre ou à 343 retenir l’orthographe, il ne lui en reste plus pour l’étude des sciences. Celui qui, grâce à de longs et pénibles travaux et à une attention soutenue, parvient à écrire correctement quelques pages, sans le secours d’un dictionnaire, n’a donc pas lieu d’être si fier! Du reste, les plus experts en pareille matière ont toujours reculé devant le défi de subir victorieusement une épreuve.» (Voir p. 320.)

Il résulte du travail très-étendu et très-approfondi de M. Henricy qu’il reconnaît la nécessité de ne procéder à la réforme qu’avec mesure et successivement. Il fixe même cinq degrés, séparés par deux ans d’intervalle, pour atteindre une réforme telle qu’il la conçoit possible. Mais, d’une part, les catégories qu’il propose feraient l’objet de longues discussions, et, d’autre part, dix années sont un terme insuffisant pour permettre d’espérer un pareil résultat.

B. Legoarant. Nouveau Dictionnaire critique de la langue française, ou examen raisonné et projet d’amélioration de la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie, de son complément, du Dictionnaire national et d’autres principaux lexiques, y compris le nouveau Dictionnaire universel de la langue française par M. Poitevin. Paris, Berger-Levrault, 1858, in-4 à 3 col. de XIV et 667 pp.

B. Pautex. Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie. Paris, 1856, in-12 de 116 pp. Considérablement augmentées et réimprimées sous ce titre: Errata du Dictionnaire de l’Académie française, ou Remarques critiques sur les irrégularités qu’il présente avec l’indication de certaines règles à établir. Paris, Cherbuliez, 1862, in-8 de XXXII et 352 pp.

F.-P. Terzuolo, ancien imprimeur, correcteur d’imprimerie. Études sur le Dictionnaire de l’Académie. Deuxième édition (la première est de 1858), accompagnée de quelques remarques sur les six premières livraisons du Dictionnaire de M. Littré. Paris, Mesnel, 1864, in-12 de 142 pp.

Le Dictionnaire d’une langue est son livre par excellence. 344 Non-seulement il la maintient, il la conserve, mais il ouvre les voies et indique les sens dans lesquels elle peut s’épurer, s’enrichir et accomplir de nouveaux progrès. Nul ne s’étonnera donc de l’importance que le public attache à chacune des éditions du Dictionnaire de l’Académie, ni de la longueur du temps et des soins minutieux que la compagnie consacre à cette œuvre capitale. Mais cette tâche est compliquée de tant de difficultés de toute nature, dont la principale est l’incertitude qu’offre pour la coordination l’absence complète d’une véritable grammaire de la langue française, qu’on ne s’étonnera pas qu’on ait pu reconnaître dans la dernière édition de ce Dictionnaire, aussi bien que dans les ouvrages du même genre, des fautes matérielles, des contradictions, des lacunes, des définitions hasardées ou insuffisantes. La partie orthographique, dont l’irrégularité s’explique, comme on l’a vu dans tout ce qui précède, par l’action du double courant où s’est formé notre vocabulaire et l’influence des idées dominantes en grammaire au moment où de nouvelles couches de mots ont été successivement admises, cette partie n’est pas celle qui laissait le moins à désirer.

Heureusement, pour assurer la perfection à l’édition que l’Académie prépare, des ressources précieuses lui sont réservées. En dehors des matériaux importants que plusieurs de ses membres ont pu réunir, de ceux qu’elle saura puiser dans les travaux des membres les plus distingués des autres classes de l’Institut, il s’est rencontré des hommes d’une persévérance admirable qui ont fait de la dernière édition du Dictionnaire l’objet d’une critique minutieuse et de l’examen le plus approfondi.

Tels sont MM. Legoarant, Pautex et Terzuolo, qui ont consacré à ce travail un peu aride de la confrontation et de la discussion des mots, de leur forme et de leurs définitions, la plus grande partie de leur longue carrière. Les trois ouvrages que j’ai cités en tête de cet article sont rédigés sous forme de dictionnaire, c’est assez dire qu’ils échappent à toute espèce d’analyse. Je puis seulement constater ici qu’ils ne font nullement double emploi. M. Legoarant a envisagé son vaste sujet plutôt en lexicographe et en savant, M. Pautex en grammairien et en typographe consommé; M. Terzuolo a suivi l’exemple de ce dernier.

M. Pautex a réuni aux mots Accent, Conjugaison, Majuscule, Mentor, Terminaison, Tiret, et dans un chapitre de la Prononciation et des Doubles lettres placé à la fin, des dissertations 345 spéciales sur les questions de l’orthographe typographique, les plus délicates et les plus négligées par les grammairiens. A ce titre, son livre restera d’une utilité incontestable, même après la nouvelle édition du Dictionnaire, pour tous ceux qui se préoccupent de la bonne exécution des livres et particulièrement pour les imprimeurs.

Le travail de M. Terzuolo contient des remarques en général très-judicieuses sur les questions grammaticales et philologiques. Il ne s’occupe de l’orthographe que pour signaler quelques contradictions qui se trouvent dans le Dictionnaire de l’Académie, comme dans les mots assonance et consonnance, persiflage et siffler, etc. Il est d’avis d’écrire baronet avec un seul n, chevauléger en un seul mot, et chelin (scheling) à la manière française avec un ch, comme on écrit châle dérivé de shall. Pour les mots paiement, dévouement, et autres substantifs terminés en ment, il demande qu’on leur conserve les voyelles caractéristiques de l’infinitif dont ils dérivent en changeant l’r en ment; ex.: emporter, emportement, fourvoyer, fourvoyement, payer, payement, dénuer, dénuement, etc.

Tell. Exposé général de la langue française, avec les idées, les systèmes et les principes de l’ancienne et de la nouvèle école, les projets de réforme, la codification et la langue universèle. Paris, 1863, in-18 de 109 pp.

Dans ce petit écrit, que l’auteur aurait voulu réduire à une feuille d’impression, les questions énoncées sur le titre sont abordées avec clarté et d’une manière piquante, tant celles de la grammaire que celles de l’orthographe, à laquelle l’auteur s’attache principalement; ce qui lui fait dire dès le début de son exposé «que l’enfant qui l’a apprise n’est nullement préparé pour recevoir les leçons des professeurs de logique, de rhétorique et de philosophie.»

C’est ainsi qu’il commence son livre, et c’est ainsi qu’il le termine: «Toutes les sciences doivent avoir une science élémentaire pour base; cette base est naturèlement le langage, et il serait difficile d’en établir une autre qui s’accorde mieux avec l’enfance. L’enfant fait des progrès considérables jusqu’à quatre ans, parce qu’il n’est distrait par aucun préjugé; si son intelligence s’affaiblit alors, il faut attribuer cette cause aux préjugés, et surtout à l’enseignement faux du langage, tandis que, si cet enseignement 346 était logique, son intelligence de quatre ans, au lieu de s’affaiblir, grandirait toujours; il vaudrait à dix ans ce que nos jeunes gens ne sont qu’à vingt ans et plus. Si l’on veut bien examiner un enfant de quatre à cinq ans, on verra plus de perspicacité chez lui que dans un enfant de huit à dix ans. Ce phénomène doit avoir une cause (p. 103).»

M. Tell n’en reconnaît pas moins la supériorité de la langue française sur les autres, et les modifications qu’il propose à l’orthographe, pour la simplicité et la régularité, n’ont rien d’exagéré; il réunit en un seul les mots composés toutafait, apeuprès, aucontraire. Les réformateurs modérés peuvent donc se trouver d’accord avec lui sur la plupart des points, sauf la question des participes, qu’il voudrait rendre invariables.

Son opinion sur la réforme de l’orthographe par des améliorations et simplifications successives est ainsi motivée par ce qu’il fait dire à un interlocuteur.

«L’Académie française paraît indifférente aux progrès de la langue, parce qu’elle craint la précipitation et l’engouement; et cependant elle enregistre tous les trente ou quarante ans les progrès réels, sanctionné(s) par l’expérience. C’est ainsi que son Dictionnaire se modifie de quart de siècle en quart de siècle. Sa marche est lente, mais elle est assuré(e), elle va toujours en avant.

«Que fait l’Université? Elle exécute et fait exécuter le progrès positif du Dictionnaire de l’Académie. C’est par ce parfait accord entre le gouvernement, l’Académie et l’Université que la langue française a beaucoup gagné depuis deux cents ans. Il est bien vrai que l’Université est toujours de trente ans en arrière sur les bons grammairiens, et que, dans ce qu’on enseigne aujourd’hui, il y a cent ou deux cents erreurs, préjugés ou absurdités, constatés depuis dix ou vingt ans; mais cet inconvénient est malheureusement indestructible dans l’état des choses établies.

«On a dit que l’Académie n’a point fait de grammaire et que l’Université n’a point publié un seul volume sur la langue; ce fait prouve le respect de l’autorité pour la volonté nationale. En effet, si l’Académie eût fait une grammaire, chacun se serait cru contraint à suivre le code grammatical du corps savant. Si l’Université eût publié un ouvrage quelconque sur la langue, on aurait pu considérer ce livre comme étant obligatoire dans l’enseignement.

«Voilà les motifs qui ont retenu l’Académie et l’Université; 347 elles n’ont publié aucun ouvrage sur la langue que pour mieux faire comprendre que chacun, en France, est libre de parler et d’écrire comme il l’entend. Je termine en disant que l’autorité dans l’enseignement s’est toujours conduit(e) avec sagesse et dignité.»

Ces réflexions sont fort justes et méritent d’être prises en grande considération. En effet, bien que Richelieu eût imposé à l’Académie l’obligation de publier une Grammaire et un Dictionnaire de la langue, et qu’on puisse considérer la Grammaire de Regnier des Marais comme une tentative de l’Académie pour se conformer à cet ordre, on voit combien cette grammaire, malgré tout le respect qui lui est dû, est devenue presque inintelligible et surannée dans ses complications. Cependant il eût été désirable qu’à l’apparition de chaque édition d’un de ses Dictionnaires, l’Académie l’eût accompagné d’une grammaire qui naturellement eût été modifiée selon le progrès des temps. La vue seule de tant de règles et d’exceptions eût engagé l’Académie à la simplifier[208].

[208] M. Tell signale les inconvénients de la multitude des grammaires, qui va toujours croissant, et rappelle que déjà, en 1806, dans un rapport fait par Van Praet à Napoléon Ier, il est dit «qu’il existe un tel monceau de grammaires que seize chevaux attelés pourraient à peine le traîner.» Il est probable que le rapporteur a compris sous le titre de grammaire les dictionnaires, les traités, les critiques, les manuels, rudiments, méthodes, journaux pédagogiques, etc.

L’intérêt que Napoléon Ier apportait à tout ce qui touche à l’éducation est signalé par M. Tell, qui le place au nombre de ceux qui ont voulu établir une langue universelle, moyenne, comme voulut aussi Rivarol que fût la langue française[209]. Dans un ordre du jour Napoléon s’exprime ainsi:

[209] «La langue française, dit Rivarol, est une géométrie formée avec une ligne droite, tandis que le latin et le grec sont formés avec des courbes.»

Il aurait pu ajouter l’allemand, et jusqu’à un certain point les autres langues.—Suivons donc cette ligne, du moins pour l’orthographe, p. 27.

Paris, janvier 1811.

«Les conquêtes des langues suivent les conquêtes des armes; mais si les idiomes, les usages et les mœurs des peuples réunis de nos jours à la France, peuvent enrichir notre langue, ces causes diverses peuvent aussi en altérer la pureté. Jamais il ne fut donc plus nécessaire d’y veiller que dans notre siècle.»

Et c’est dans ce but que Napoléon Ier a fait de grands efforts 348 pour susciter le zèle général en faveur d’études sur la langue dont son génie appréciait l’importance.

E.-A. C. Esai de sinplificacion du français, en vue de le fair accepter come langue internacionale. Lyon, 1863, in-8 de X et 292 pp.

Ce volume contient l’exposé très-développé d’une réforme beaucoup trop radicale pour être acceptée du public actuel, et je renvoie pour sa critique à ce qui a été dit à propos de M. Marle et à l’analyse du travail de M. Raoux.

Frédéric Dübner. Examen du programme officiel des humanités, année scolaire 1863-64. Paris, Paul Dupont, 1863, in-8.

Notre orthographe semble, sans doute, chose bien pénible et bien difficile au conseil impérial de l’instruction publique, puisqu’il établissait ainsi le programme de l’enseignement du français pour l’année scolaire 1863-64:

En relatant cette classification, le savant philologue M. Dübner s’écriait: «Pour la langue maternelle et dans les lycées impériaux, six années d’exercices de grammaire et d’orthographe avant de pouvoir être admis, dans une septième année d’étude, à composer des lettres d’un genre simple

349 Émile Negrin. Grammaire française des gens du monde. Édition princeps. Nice, 1864, in-8 de 116 pp.—De la fixation de la langue française à propos de l’instruction primaire rendue obligatoire. Nice, Caisson et Mignon, mars 1865, in-16 de 39 pp.

«La France a 36 millions d’habitants. Sur ce nombre, 35 millions 500 mille ne soupçonnent pas même l’existence du grec; les autres, dans leur jeune âge, à force de fatiguer les dictionnaires, sont parvenus à comprendre tout le contraire de ce qu’ont dit Démosthènes et Platon; dix à douze savants lisent le grec à livre ouvert. Eh bien! c’est pour faire plaisir à cette douzaine de citoyens que notre langue est grevée du rh, du th et du ph.

«Aussi, c’est ordinairement à ces trois signes composés que s’en prennent les détracteurs du français.

«Certes, je suis loin de blâmer ces derniers. Il est évident que les personnes lettrées d’Italie, d’Espagne, de Portugal et de tant d’autres pays, savent comme nous que philosophie vient de φιλοσοφία et cependant elles ont le bon esprit d’écrire filosofo; nous-mêmes, en dépit du φ originaire, nous avons déjà commencé à écrire, flegme, flegmon, flegmatique, etc.; et je battrai des pieds et des mains le jour où l’Académie agira partout avec le même «flegme».

«Cependant le mal n’est pas si grand, car il suffit de prévenir les étrangers que rh vaut r, th vaut t, et ph vaut f; c’est une fausse richesse, voilà tout.

«Deux signes pour le même son ne sont que superflus; deux sons avec le même signe sont un véritable malheur.

«La dernière lettre h sert à empêcher les liaisons en tête des mots:

le héros, les haricots, le homar.

«On a toujours eu tort de dire qu’elle marque l’aspiration. L’aspiration n’existe pas dans notre langue.

«On la met aussi par pure déférence pour l’étymologie, en tête de certains autres mots où elle est inutile: l’histoire, l’homme, l’hôtel. Il serait à désirer qu’on pointât le hache répulsif pour le distinguer de ce hache inutile ou muet: le ·héros, les ·haricots, le ·homar, ou mieux qu’on l’accentuât d’un esprit, comme les Grecs, les ‛héros, les ‛haricots

350 Le projet conçu en 1865 par M. Duruy, ministre de l’instruction publique, projet non réalisé, de rendre l’enseignement primaire obligatoire, a inspiré à M. Negrin une boutade humoristique sur la nécessité de la réforme de l’orthographe. Je crois devoir en transcrire un passage pour donner une idée du système orthographique de son auteur:

«Ma proposition est, pour ainsi dire, le complément de la grande mesure qui se prépare. On forcera les prolétaires à fréquenter pendant deux années une école, mais les amènera-t-on en deux ans à déchiffrer des hiérogliphes sans logique? J’en doute. C’est ce qui m’enhardit à prendre la plume.

«Nous sommes actuellement spectateurs de deux scènes qui se déroulent sur le théâtre de l’humanité: la vulgarisation et la décadence du français.

«La vulgarisation se constate chez tous les peuples; elle augmente chaque jour avec l’amendement social, dont elle est un des agents providentiels; nul ne songe à la nier; je ne songe donc pas à la démontrer. Elle est du reste une conséquence tout rationnelle de la nature claire et sistématique de notre idiome, de la multiplicité des chefs d’œuvre qu’il a contribué à éterniser, de la valeur légendaire de nos soldats qui, sous la République et sous l’Empire, l’ont parlé à travers toutes les métropoles de l’Europe.

«La décadence ne se manifeste pas moins..... Je ne veux parler que de la décadence de la forme. Elle s’engendre partout, elle se montre partout, elle menace partout; les esprits observateurs la remarquent; les esprits spéculatifs s’en affligent et les esprits policés la redoutent. Jetons en effet les ieux autour de nous. On compose les feuilletons avec la phraséologie des coulisses, on dialogue les vaudevilles avec le glossaire des boulevards; on rédige les bulletins de la presse avec des mots anglais, des mots allemands, des mots grotesques. Est-ce là du français? Qui de nous peut se vanter de comprendre d’un bout à l’autre la dissertation la meilleure de la meilleure des gazettes? Est-ce là notre langue?

«Je sais bien les causes du mal, et chacun les sait comme moi... Mais que nous font les causes, quand la blessure saigne?

«Néanmoins, à ce torrent de mauvais goût une digue peut être opposée: c’est la FIXATION DE LA LANGUE.

..... «C’est au sein d’une commission spéciale présidée par 351 Napoléon III, en tant que littérateur, ou par vous, Monsieur le Ministre, en tant qu’historien, que pourraient être vérifiées les critiques déjà publiées, que pourraient être discutées les méthodes, les définitions et les règles; que pourraient être déterminés l’emploi des majuscules et celui des signes; que pourrait être fixé le pluriel des noms composés et des noms d’origine étrangère; qu’enfin pourraient être tranchés tant de différends qui divisent les précepteurs et embarrassent les élèves.....

«Nous aurions ainsi une espèce de constitution orthographique.»

Édouard Raoux, professeur à l’Académie de Lausanne. Orthographe rationnelle, ou écriture phonétique, moyen d’universaliser rapidement la lecture, l’écriture, la bonne prononciation et l’orthographe, et de réduire considérablement le prix des journaux et des livres. Paris, à la librairie de la Suisse romande, 1865, gr. in-16.—Supplément à l’orthographe rationnelle, ou réforme graphique sans nouveaux signes. Id., ib., 1866, p. 279-316.

Ce petit traité (278 pages seulement) est fort intéressant, et, ce qui est rare dans les ouvrages de ce genre, se laisse lire d’un bout à l’autre sans fatigue et sans ennui. Il est le catéchisme de la réforme radicale en matière d’orthographe.

M. Raoux, venu le dernier parmi les phonographes, a su habilement profiter des travaux de ses nombreux devanciers. J’ai donc cru devoir, comme je l’ai fait pour Beauzée, le représentant le plus important de l’autre école, celle des néographes, lui consacrer une attention plus particulière. Les reproches qu’encourra son système s’appliqueront naturellement, pour une grande part, à tous les autres.

L’ouvrage se compose d’une partie critique et d’une partie dogmatique. Je ne reproduirai pas, parmi les critiques que l’auteur adresse à l’ancien système orthographique, celles qui ont été déjà faites par ses devanciers, bien qu’il ait su leur donner un tour nouveau, les accentuer et les développer davantage. Je dois me borner à la part d’idées neuves, et elles sont assez nombreuses, que M. Raoux a présentées dans son livre.

Comme Louis Meigret, son devancier, le professeur de Lausanne 352 travaille pour le commun peuple: son livre est dédié aux travailleurs de tous les pays. La réforme orthographique aura pour conséquence, selon lui, d’élever le niveau intellectuel des masses; de mettre à la portée de tous le prix des journaux et des livres; de multiplier le nombre des esprits supérieurs; de faciliter les relations internationales par la préparation ou la création d’une langue universelle; de placer des habitudes logiques à la base de la première éducation; de faire monter vers les plaisirs intellectuels des millions d’hommes qui descendent chaque jour plus bas dans les jouissances de la matière.

L’auteur expose ainsi ses principes:

«De toutes les merveilles dues au génie de l’homme, les deux plus fécondes, en même temps que les plus méconnues, sont assurément le langage et l’écriture. Traduire, en déplaçant un peu d’air, tout le monde invisible du sentiment et de la pensée; fixer, en traçant quelques signes, tous les sons fugitifs de la parole; saisir au vol ces ondes sonores et les emprisonner pour toujours dans quelques caractères alphabétiques: voilà deux miracles qui ne lasseront jamais l’admiration des siècles. L’écriture surtout, qui permet d’entendre une voix parlant à deux mille lieues, ou éteinte depuis trois mille ans; l’écriture, qui permet d’accumuler toutes les conquêtes de l’esprit humain dans ces temples lumineux qu’on appelle des bibliothèques; l’écriture, enfantement laborieux des génies de cent générations, a des droits particuliers à cette admiration et à notre reconnaissance.

«L’écriture est, en effet, l’immense et merveilleux réservoir de la pensée humaine. C’est là que viennent s’accumuler, une à une et de siècle en siècle, les découvertes du savant, les méditations du philosophe, le monde idéal de l’artiste et du poëte, le monde réel des vulgarisateurs de la science pratique. Chez les peuples où l’écriture n’existe pas encore, tous ces trésors disparaissent presque à mesure qu’ils se produisent. Toutes ces brillantes manifestations du talent et du génie s’envolent avec la voix, et il ne reste, pour les générations suivantes, que des fragments défigurés par les infidélités de la mémoire, les fantaisies de l’imagination ou les aberrations de l’ignorance. Dans les pays où l’écriture apparaît, l’aurore commence, et, à mesure que les systèmes graphiques se perfectionnent, le niveau de l’intelligence publique s’élève, le jour fait reculer la nuit.

353 «...L’abîme qui existe aujourd’hui entre la langue parlée et la langue écrite n’existait pas à l’origine. Les lettres servaient alors à représenter des sons, et non à favoriser le fastueux étalage de l’érudition linguistique. On écrivait pour exprimer sa pensée et non pour faire savoir à l’univers que l’on avait appris les langues mortes et les idiomes septentrionaux[210].

«On trouve la preuve de cette écriture presque entièrement phonétique dans tous les documents de la langue gallo-ligurienne ou provençale et des patois romans qu’on parlait au nord de la Loire, sous le nom de langue d’oïl. Cette première phase s’étend du neuvième au treizième siècle.

«Mais, à partir de cette dernière époque, l’ennemi commença à pénétrer dans la place. Les alphabets grec, latin et septentrionaux s’insinuèrent sournoisement dans l’écriture française. Les lettres inutiles ou muettes vinrent peu à peu étaler leur vaniteuse oisiveté au milieu des lettres actives ou phonétiques.»

[210] Cette proposition, juste en principe, ne saurait s’appliquer d’une façon absolue à la langue française, qui est d’origine presque exclusivement latine. Dans le Cantique de sainte Eulalie, du dixième siècle, dans les Lois de Guillaume le Conquérant, du onzième, dans la Chanson de Roland, du douzième, on trouve nombre de lettres étymologiques qui certes ne se prononçaient pas. Les scribes, affiliés en général au clergé ou à l’Université, ont bien rarement fait abstraction du latin; mais leur orthographe, variable et indécise, était beaucoup plus simple et plus rapprochée de la prononciation que la nôtre. Cette prononciation et cette orthographe variaient, au quatorzième siècle, selon les dialectes: «... Et pour ceu que nulz ne tient en son parleir ne rigle certenne, mesure ne raison, est laingue romance si corrompue, qua poinne li uns entent laultre; et a poinne puet-on trouveir a jourdieu persone qui saiche escrire, anteir, ne prononcieir en une meismes semblant menieire, mais escript, ante et prononce li uns en une guise et li aultre en une autre.» (Préface des Psaumes de David en langue romane de Lorraine, citée par M. Le Roux de Lincy, introduction des Quatre livres des rois, p. XLII. Ce texte est de la fin du XIVe siècle.)

M. Raoux attribue à Joinville, qui vivait à la fin du treizième siècle[211], à Froissart, à la fin du quatorzième, et surtout à Philippe de Comines, au quinzième siècle, le tort d’avoir ainsi surchargé 354 l’orthographe de lettres inutiles. Au seizième, Marot, Despériers, Rabelais, Montaigne, suivirent plus ou moins la même route. «Alors commença le fatal divorce entre le son et le signe, entre la langue parlée et la langue écrite. Alors aussi commença la célèbre croisade de la réforme orthographique, qui devait se continuer jusqu’à ce jour.»

[211] On n’a point le texte original de Joinville; le plus ancien manuscrit de ses Mémoires que l’on connaisse est celui que possède notre Bibliothèque impériale. Cette copie, cependant, ne saurait être postérieure au XIVe siècle. Mais elle ne reproduit pas, très-probablement, l’orthographe de l’original. On la croit généralement écrite vers 1350, c’est-à-dire environ trente ans après la mort de Joinville, qui écrivit (ou du moins fit écrire) ses Mémoires en 1309, ainsi qu’il l’indique lui-même à la fin de son texte: «Ce fut escript en lan de grace Mcccix ou moys doctoure.»

Je citerai en passant un curieux calcul de M. Féline (Dict. de la prononciation, p. 13), cité par M. Raoux, mais que je crois un peu exagéré, sur les résultats économiques de la réforme phonétique.

«J’ai cherché, dans plusieurs phrases, quelle serait la diminution des lettres employées, et celle que j’ai trouvée est de près d’un tiers; supposons seulement un quart. Si l’on admet que sur 35 millions de Français, un million, en terme moyen, consacrent leur journée à écrire; si l’on évalue le prix moyen de ces journées à 3 francs seulement, on trouve un milliard, sur lequel on économiserait 250 millions par année.

«La librairie dépense bien une centaine de millions en papier, composition, tirage, port, etc., sur lesquels on gagnerait encore 25 millions.

«Mais le nombre des gens sachant lire et écrire décuplerait; les livres coûtant un quart moins cher, il s’en vendrait, par cela seul, le double, et le double encore parce que tout le monde lirait. De sorte que ce profit de 275 millions serait doublé ou quadruplé, et l’économie imperceptible d’une lettre par mot donnerait un bien plus grand bénéfice que les plus sublimes progrès de la mécanique..... On s’inquiétera pour les chefs-d’œuvre de notre littérature. Mais il ne s’agit pas de supprimer l’alphabet actuel; il continuerait encore pendant longtemps d’être employé par les lettrés, comme la langue latine a été pendant tant de siècles la langue savante et seule écrite, comme les chiffres romains dont on fait encore usage. Il s’agit seulement, pour ceux qui ne peuvent recevoir une éducation complète et suivre les écoles secondaires, d’acquérir par l’étude la plus sommaire une seconde manière d’écrire qui les mette en rapport avec la masse du peuple et leur fasse gagner une heure de travail sur quatre.»

La deuxième partie de l’ouvrage de M. Raoux, intitulée: Critique du système graphique actuel, est un travail solide et vraiment 355 remarquable. L’auteur signale d’abord les vices suivants: lettres à double et à triple emploi;—lettres surérogatoires;—voyelles s’écrivant chacune de dix, vingt, trente et cinquante manières différentes (ch. III, § 1);—voyelles et consonnes changeant arbitrairement de valeur phonétique suivant leur entourage;—réunion de lettres identiques se prononçant différemment et de lettres différentes se prononçant d’une manière identique;—sons simples ou monophones s’écrivant avec deux, trois et même six lettres;—mots dans lesquels on ne prononce pas une seule lettre avec le son que lui assigne l’alphabet;—sons qu’on ne prononce pas et qu’on écrit avec le même scrupule que les signes non muets;—quatre signes différents pour indiquer le pluriel;—les mêmes signes pour représenter le singulier et le pluriel;—un enchevêtrement inextricable de règles, d’exceptions, de sous-exceptions, de subtilités scolastiques, d’abstractions inintelligibles.

Voilà, dit M. Raoux, cette célèbre écriture, vaniteusement baptisée correcte et orthodoxe (orthographe); voilà le haut et savant grimoire qui nous a été légué par les fétichistes gréco-latins, par ceux qui ont voulu repétrir une langue vivante avec les détritus de deux langues mortes. Merveilleux labyrinthe, en effet, où l’on se perd encore après vingt ans d’étude; admirable système qu’on emploie un quart de siècle à ne pas apprendre! C’est un peu moins mal, pourtant qu’en Chine, où l’on passe sa vie à n’apprendre que cela.»

Passant à l’étude de l’alphabet, l’auteur annonce que la critique qu’il en va faire n’a pas pour but de rejeter toutes les lettres de l’alphabet français et d’en couler d’autres dans des moules entièrement nouveaux, comme le fait la sténographie, mais seulement de les ramener à des principes rationnels, quant à leur nombre, à leur nature, à leur valeur phonétique et à leur forme.

«Personne ne contestera cet axiome: que le nombre des signes d’un alphabet rationnel ne doit être ni supérieur ni inférieur au nombre des sons fondamentaux de la langue à laquelle il appartient.» Il suffit de rapprocher, à cet égard, les principes posés, dès 1660, par Port-Royal. Voy. ci-dessus, p. 226.

«Or l’alphabet français est en pleine révolte contre cet axiome, car il possède six lettres entièrement superflues, et manque d’une douzaine de signes simples pour représenter des sons élémentaires.

356 «1o Il possède six lettres superflues, parce qu’au lieu de représenter chaque son élémentaire par un seul signe, il a commis la faute d’en employer plusieurs.

«Ainsi, au lieu de traduire le son simple QE par un seul signe ou par une seule lettre, notre alphabet ne lui en assigne pas moins de quatre, savoir: C, K, Q, CH (col, kilo, queue et choral). N’est-il pas évident qu’il y en a trois de trop?

«Le son I est actuellement représenté par trois lettres I, ï, Y (image, haïr, yeux). Ne devrait-on pas en retrancher deux?

«L’articulation S est aujourd’hui gratifiée de trois signes, savoir: C doux, Ç cédille et S (Cécile, reçu, son). Un seul ne suffirait-il pas à l’écriture ordinaire, quand il suffit aux écritures sténographique, italienne et espagnole[212]?

[212] M. Raoux aurait pu ajouter que l’s usurpe trop souvent la place du z, ce qui est fort regrettable.

«La lettre H représente un son qui n’existe pas, puisqu’il n’y a pas d’aspiration dans la langue française: pourquoi donc embarrasser notre alphabet de cette lettre parasite, surtout lorsqu’il lui en manque une douzaine?

«La lettre X fait double emploi avec S, Z, GZ et QS (dix, deuxième, examen, index). Pourquoi occupe-t-elle inutilement la place qui serait si convenablement remplie par l’une des douze lettres qui attendent à la porte?

«Enfin, le double W, signe intrus, maladroitement emprunté aux alphabets septentrionaux, se permet aussi de jouer sur le clavier des variations phonétiques, et se prononce tantôt V, tantôt OU, tantôt EU (Wolga, William, New-York).

«Voici donc six plantes parasites sur le vieux tronc de l’alphabet, six lettres parfaitement superflues, C, K, H, X, Y, W, dont il serait grand temps de faire l’amputation.

«Après s’être donné le luxe de six lettres superflues, le vieil alphabet nous présente le spectacle d’une indigence dont le chiffre est double. Douze lettres lui font défaut lorsqu’il veut traduire les douze sons simples, ou les douze notes nouvelles de la gamme alphabétique. Aussi est-il obligé de recourir, pour combler cette lacune, au stratagème des accents et des signes binaires, qui viennent jeter d’innombrables complications dans l’orthographe et de nouvelles ténèbres dans la lecture, l’écriture et la prononciation.

«L’accent aigu et l’accent grave jetés sur l’e muet devront le 357 transformer en e fermé et en e ouvert (É, È), et les paires de lettres (digrammes) EU, AU, OU, CH, GN, LL, AN, EN, IN, ON, UN, seront chargées de représenter des voyelles, et des articulations simples.

«Si, du moins, chacune de ces lettres et chacun de ces couples, ou digrammes, n’avait qu’une seule valeur phonétique! Mais non. La lettre C traduit les quatre sons QE, SE, GUE et CH [cocarde, Cécile, second, vermicelle[213]];—G, les quatre articulations GUE, JE, NIEU et QE (digue, gerbe, agneau, sang, rang élevé); X, les articulations QS, GZ, S, Z, CHE [index, examen, Aix, deuxième, Ximenès[214]];—la voyelle U représente les trois sons U, O et OU (urne, punch, minimum, équateur, aquatique);—la consonne D, les deux articulations D et T (don, profond abîme);—la lettre F, celles-ci: F et V (fier, dix-neuf ans); Z correspond à Z, S, DZ, TS (zéphir, Rodez, mezzo, piazza)[215]

«Les différences de valeur des digrammes eu (j’ai u, un peu), ch (charité, archange, almanach), gn (stagnation, agneau), etc., ne sont pas moins nombreuses que celles des lettres simples.»

[213] On prononce maintenant, conformément à l’écriture, vermicelle et violoncelle.

[214] Dans ce mot, du xérès, c’est-à-dire du vin récolté à Xérès, on prononce l’x d’une quatrième manière, comme s’il y avait kérès, par un k.

[215] M. Raoux aurait pu ajouter la lettre Y, qui représente les sons suivants: I, Î, ÉI, IJ, IJI (la Haye, style, abbaye, paysan, citoyen).

Tout ce travail du professeur de Lausanne est intéressant, et il serait bon de s’y reporter, si l’on voulait constituer un alphabet normal pour la transcription de nos patois, ou des langues orientales, ou même simplement pour fixer un type uniforme de figuration de la prononciation dans nos dictionnaires, soit français, soit bilingues.

Toutefois l’auteur aurait dû citer les savants académiciens qui l’ont précédé, Beauzée, Domergue, et surtout Volney, qui, l’un, en 1767, l’autre, en 1806, le dernier, en 1820, ont traité à fond cette matière. Le troisième surtout a placé, dans son ouvrage intitulé: L’Alfabet européen appliqué aux langues asiatiques, une discussion excellente et approfondie de la valeur et de la distinction de nos voyelles et de nos consonnes. Après un si docte travail, il ne restait plus guère qu’à glaner et à perfectionner[216].

[216] Il aurait dû aussi mentionner MM. Marle et Féline.

358 Dans le chapitre suivant, intitulé: Vices des combinaisons binaires et ternaires des lettres, ou des bases de l’écriture, l’auteur étudie les effets de la combinaison des lettres de notre alphabet deux à deux et trois à trois pour former les éléments de l’écriture. On ne peut donner ici que quelques exemples du singulier effet de ces unions.

IA garde le son naturel de ses composants[217], mais AI devient E, È (j’ai, naître).—UA donne le son OUA ou A (équateur, quadrille); AU donne le son O (autre).—IO ne produit pas de son nouveau, mais OI donne un son voisin de OA (roi).—YO est stérile; mais OY offre trois sons: OU, A, I (voyelle, royaume, moyen);—EU a la même valeur que UE (peur, cueillir)[218];—S entre deux voyelles se transforme en Z (trésor, aisance); mais il y a des exceptions: vraisemblance, préséance.

[217] La diphthongue ia ne se prononce pas de même dans diable, dont la première syllabe est monosyllabique, et diamant, où elle est dissyllabe.

[218] Et en outre le son u: j’eus, gageure.

L’auteur a réuni d’autres exemples, en assez grand nombre, de vices analogues de nos combinaisons alphabétiques. Le son A s’écrit, d’après M. Marle, de 25 manières; le son AN, de 52; le son O, de 30; le son ON, de 26; le son OU, de 28; le son OI, de 25; le son È, de 55; le son É, de 25; le son EU, de 20; le son I, de 29; le son IN, de 34, etc., etc. En tout, 540 manières d’écrire 31 sons. M. Dégardin, qui a refait ce compte, trouve 568 variantes.

Dans les articles suivants, M. Raoux passe en revue les sons différents s’écrivant de la même manière. Ex.: jeu et gageure; diagnostic et agneau; altier et balbutier; fier verbe et fier adjectif; fille et ville; il est, de l’est; dans un même mot, le digramme en figurant deux sons différents: chiendent;—puis les sons identiques s’écrivant avec des signes différents. Ex.: vingt, vin, vain, vint; cène, saine, Seine, scène;—les sons nuls s’écrivant avec des annexes ou signes muets; ex.: bah, choral, honneur, plomb, chaud, froid, clefs, œufs, bourg, fusil, baril, etc.

Dans les derniers chapitres de la deuxième partie, l’auteur s’occupe des vices de l’écriture dite orthographe de principes. Nous avons six marques différentes du pluriel: S, Z, X, T, NT, ENT (les gens, vous aimez, les cieux, ils vont, ils ouvrent, ils aimaient). Sur ces six marques, cinq sont en même temps des signes employés au singulier: bras, nez, doux, vent, pont[219]. Certains mots 359 tirés des langues étrangères prennent notre marque du pluriel (altos, erratas, opéras, pianos, quatuors, villas, zéros, etc.); d’autres ne la prennent pas (des alibi, les criterium, les choléra, les crescendo, etc.). Il passe en revue ensuite les différentes irrégularités que l’on peut signaler dans l’orthographe des verbes, de leurs temps et des participes.

[219] Il est regrettable que pour le mot fils le singulier ne puisse se distinguer du pluriel comme dans le latin, filius, filii, comme en italien, figlio, figli, en espagnol hijo, hijos. Ainsi, dans le cas de la raison sociale d’une maison de commerce, comment savoir lorsqu’on lit Firmin Didot frères et fils, par exemple, s’il y a un ou plusieurs fils? Il serait désirable qu’on pût, au pluriel, recourir à l’emploi de la lettre s longue (ſ) pour le distinguer du singulier.

L’auteur termine cette seconde partie par un tableau très-animé des inconvénients, pour la nation tout entière, qui résultent de l’impossibilité (qu’il s’est efforcé d’établir) d’apprendre la grammaire et l’orthographe.

La troisième partie est consacrée à l’exposition du système phonétique, que je ne saurais dire être celui de M. Raoux, car la part de ses devanciers, depuis Meigret et Ramus jusqu’à Domergue, Volney, Marle et Féline, est si grande, dans l’édification des diverses parties de la méthode, qu’elle devient de jour en jour une œuvre impersonnelle à laquelle chacun se contente d’apporter une assise, soit même une simple pierre.

«Tous les éléments phonétiques, dit-il, dont se composent les 150,000 ou 200,000 mots de la langue française et les autres milliers de mots appartenant aux idiomes méridionaux se réduisent au chiffre de 43, dont 25 primitifs ou fondamentaux (voyelles), et 18 modifications (consonnes, articulations).»

Voici son alphabet phonétique (alphabet des sons) complet pour les langues du nord et du midi de la France:

[220] M. Raoux néglige deux voyelles distinctes reconnues par Volney (voir p. 313): , clair, guttural: cœur, peur, bonheur, différent de eu profond, creux: eux, deux, ceux; et l’e que le savant académicien appelle e gothique, sensible dans ces mots: que je me repente, tandis que l’e muet ou féminin se rencontre dans borne, ronde, grande. L’auteur a modifié, dans un supplément publié en 1866, son alphabet de 1865: je ne connaissais pas cet opuscule lors de ma précédente édition. J’en donne l’analyse plus loin.

360

«La linguistique comparée dira ce qui manque à cet alphabet pour exprimer fidèlement les sons de tous les idiomes anciens et modernes, c’est-à-dire pour être réellement universel. Ce qui est certain, c’est que, malgré sa richesse, le languedocien actuel ou le gallo-provençal contient trois sons de moins, l’e muet, l’amplification eu et la nasale eun. La langue française a rejeté ou laissé perdre les trois nasales èn, oun, un[221] et l’e double aigu, qu’elle confond avec l’i. Et comme l’ê et l’è ne sont pas pour elle deux sons réellement distincts, puisque ces deux accents se substituent fréquemment l’un à l’autre[222], il en résulte que le nombre des éléments phonétiques du français se réduit à 37, savoir, 26 proprement dits (dont 8 voyelles et 18 consonnes), plus 5 modifications nasales et 6 orales.»

[221] Il ne s’agit pas ici de notre son un dans chacun. M. Raoux l’appelle eun ou e nasal, et le représente par en. Un exemple éclaircira ce passage, un peu obscur dans son livre: dans charmant, tourment, coefficient, ennuyer, c’est l’a nasal (an de M. Raoux); dans jardin, il tient, c’est l’è nasal (èn de M. Raoux); dans immortel, c’est l’i nasal (in de M. Raoux); dans chacun, c’est l’e muet nasal (en de M. Raoux). Nous n’avons pas, dit-il, dans notre langue l’u nasal qui apparaît dans les patois du Midi.

J’avoue que, n’étant pas familier avec les patois du Midi, je ne puis me rendre compte de la valeur de cet u nasal, distinct, selon le professeur de Lausanne, de notre son un dans quelqu’un, chacun. Mais je suis fondé à penser que, puisque M. Raoux interprète ce dernier son par e nasal, et qu’il le nomme eun, c’est qu’il prononce e muet comme eu, ce qui est chez nous une prononciation vicieuse.

[222] Exemple de l’è dit ouvert: succès, caisse, fer, mer, fête, faîte.

Pour former son alphabet phonographique, destiné à représenter dans l’écriture l’alphabet des sons, ou phonétique, qu’il vient d’établir, l’auteur a recours à deux principes qui servent de base à la sténographie: un seul signe simple pour chaque son simple, et réciproquement, des signes modifiés pour des sons modifiés, ou des modifications de signe pour des modifications de son. Ces principes, qui sont ceux de Port-Royal, ont été admis par presque tous les réformateurs précédents.

Après avoir éliminé de l’alphabet nouveau les six lettres: c, k, h, x, y, w, dont les unes représentent chacune plusieurs sons, dont les autres sont affectées à un même son, et dont l’autre n’en représente aucun (voir p. 356), l’auteur conserve de l’ancien alphabet les 20 signes suivants: a, b, d, e, f, g, i, j, l, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, z. Les six autres sons simples sont représentés, dans l’ancien alphabet, par quatre signes binaires: ou, ch, gn, ll, et 361 par deux signes modifiés é et è. L’auteur adopte pour le son ou le signe proposé par Ramus et par Volney: ω. Le ch, articulation forte du j, est figuré par cette même lettre sans boucle et sans point supérieur, ȷ, le ℐ avec boucle conservant sa valeur ancienne de j.

La distinction entre les deux signes ȷ pour ch et ℐ pour j est bien légère, surtout dans l’écriture: l’auteur aurait dû, ce me semble, conserver au moins le point supérieur à ce dernier.

M. Raoux repousse pour gn le signe n tildé (ñ) adopté par Buffier, Volney, Marle, Féline et Henricy. Il propose ce signe ŋ, qui rappelle également la lettre n, et rentre dans la règle de symétrie qu’il préconise, c’est-à-dire l’emploi de boucles pour représenter les sons doux[223]. Il repousse également le λ proposé par le P. Buffier pour l ou ll mouillé, et, en vertu du principe ci-dessus, adopte le ℓ à boucle, réservant le l sans boucle pour le l ordinaire.

[223] M. Raoux aurait pu dire que cette règle est empruntée de Ramus, qui dès 1562 (voir p. 192), l’avait mise en pratique, et que son n à jambage a été inventé par Meigret.

Ce système des boucles me paraît ingénieux en théorie, mais sujet à inconvénients dans la pratique. L’alphabet réformé ne doit pas seulement être appliqué dans l’impression; il doit aussi servir à l’écriture cursive, et les boucles n’y constituent pas une notation suffisamment distincte.

L’auteur a reculé devant l’introduction de nouveaux signes pour é, è, et pour ses voyelles nasales an, èn, in, on, en. Il donne au signe ê la valeur phonétique de eu, au groupe in la valeur de im, et au groupe en l’ancienne valeur de eun.

Ces changements d’emploi de signes anciens paraissent une transaction malheureuse: il fallait, dans un système qui aspire à une complète rénovation graphique, éviter toute capitulation, toute équivoque avec l’ancienne écriture passée en habitude et que les novateurs voudraient proscrire. Et quant aux voyelles nasales, qui se rencontrent de 8 à 10 fois en 30 mots, il n’aurait pas dû leur conserver le signe binaire qui a encouru toutes ses sévérités. En les remplaçant par un signe simple, il eût obtenu une économie notable dans l’écriture et l’impression, et eût restitué à ces voyelles, encore méconnues de nos grammairiens, le caractère de voyelle simple. Domergue et Féline n’avaient pas ainsi sacrifié sur l’autel des anciens dieux. Il est vrai que la suppression 362 de ces n parasites, leur remplacement par un trait diacritique, donnait à leurs pages une apparence hétéroclite devant laquelle M. Raoux aura sans doute reculé. Cependant, durant trois siècles, l’œil des lecteurs du latin et du français était accoutumé à voir ainsi écrits ou imprimés: bõte, tẽps, chãgemẽt, cõditiõ, amãt, veniũt, les mots que nous figurons par: bonté, temps, changement, condition, amant, veniunt. Reprendre cette forme archaïque de la voyelle nasale eût mieux valu, ce me semble, que toute autre combinaison, et ce système ancien, si simple et si rationnel, mérite d’être pris en grande considération.

«En résumé, dit l’auteur, l’alphabet phonographique conserve: 20 lettres de l’alphabet actuel;—2 lettres modifiées par des accents (é, è);—2 signes modificateurs de sons (accent circonflexe et n nasal).

«Il élimine: 6 lettres proprement dites (c, h, k, x, w, y);—6 signes binaires (eu, ou, au, ch, gn, ll);—2 signes modificateurs (cédille et tréma).

«Il dédouble les formes du j et du l pour représenter leurs deux sons similaires;—il rectifie trois signes binaires (èn, in, en).

«Enfin, il ajoute deux signes nouveaux pour ll mouillé et le son ou

Voici le nouvel alphabet complet, avec l’indication des valeurs nouvelles:

a ℐ (j) p î
b ȷ (ch) q ê (eu)
d l r ô
e ℓ (mouillé) s û
è m t an
é n u èn (in)
f ŋ (gn) v in (im)
g o z on
i ω (ou) â en (eun)

Dans le nouveau système, les 26 caractères de l’alphabet ne changent jamais de valeur phonétique, quels que soient les signes qui les précèdent ou les suivent dans la composition des mots. Exemple:

habit abi ôter oté agneau aŋô
anneau ano chapeau ȷapô heureux êrê
363 boule bωle anguille angiℓe sexagénaire seqsagénère
homme ome chiquenaude ȷiqenode construction qonstruqsion
femme fame pré aux clercs pré ô qler strictement striqteman
chacun ȷaqen chocolatier ȷoqolatié strychnine striqnine
oiseau ωazo perplexité perpléqsité emprunteuse anprentêze

L’auteur pose (p. 194) ce principe, sur lequel je crois devoir appeler toute l’attention des novateurs en orthographie: Maintien de tous les signes utiles pour l’intelligence des mots et des phrases et pour l’euphonie de la langue parlée; élimination de tous les autres signes.

«On écrira donc, continue M. Raoux, toutes les lettres grammaticales qui servent à éclaircir le sens des mots et des phrases, à lever des doutes, à faire disparaître des équivoques ou à prévenir des hiatus et des consonnances désagréables. Toutefois, on distinguera les lettres actives ou phonétiques des lettres passives ou muettes, en les séparant par un tiret indiquant que ces dernières n’ont pas droit aux honneurs de la prononciation, et ne sont que des signes additionnels dont la destinée est de disparaître lorsque la langue parlée aura comblé ses fâcheuses lacunes et réduit le nombre exorbitant de ses homophones.

«Ainsi l’on écrira le r de l’infinitif et le z de l’impératif (en les séparant par un tiret) toutes les fois que le sens de la phrase ne permettra pas de les distinguer l’un de l’autre, ainsi que du participe passé, c’est-à-dire lorsqu’on hésitera entre les trois homophones é, er, ez des verbes de la première conjugaison: aimé, aime-r, aime-z, travaillé, travaille-r, travaille-z. On écrira encore: montéZ à cheval; il boiT et mange bien; je voudrais qu’il allâT avec vous, etc., afin d’éviter des hiatus et des consonnances peu agréables pour l’oreille, mais on ne séparera pas ces lettres euphoniques par un tiret, comme les signes affectés de mutisme.»

Cette citation suffit pour faire écrouler tout le système de M. Raoux, et il prononce lui-même, sans s’en apercevoir, la condamnation de la phonographie comme écriture usuelle de la langue française, comme méthode même d’enseignement dans les classes élémentaires.

En effet, l’auteur reconnaît, avec une bonne foi parfaite, la nécessité de fixer le sens des mots ainsi que des phrases, de lever tous les doutes, de faire disparaître les équivoques, de prévenir les hiatus et les consonnances désagréables. N’est-ce pas là, je le 364 demande, une tâche impossible à quiconque n’a pas préalablement acquis la connaissance la plus approfondie, la plus minutieuse de la langue française? Nous voici ramenés, avant d’aborder l’étude de la nouvelle écriture, à cette grammaire si complexe, avec ses milliers d’exceptions et de sous-exceptions, objet de tant de malédictions de la part des novateurs. Bien plus, pour accorder ces temps de verbes, ces participes, ces substantifs, ces adjectifs; pour leur conserver sur le papier ces marques euphoniques exigées par notre oreille; pour figurer en phonographie les nombreux homonymes avec l’orthographe étymologique qui les distingue[224], l’étude de la grammaire française ne suffit plus: la connaissance complète du latin et de la basse latinité est indispensable, ainsi qu’une teinture du grec. Quel trouble pour les adeptes de cette nouvelle tachygraphie, auxquels on prescrit de figurer uniquement le son, s’il leur faut combiner les deux systèmes, l’ancien et le nouveau, et s’arrêter avant d’écrire une phrase pour tenir compte des difficultés de l’étymologie et des exigences de la syntaxe!

[224] Voir ce que j’ai dit plus haut, p. 96, de l’orthographe des homonymes, saint, sein, etc., et la discussion de M. Vanier sur le même sujet, p. 326. J’ajouterai que dans tout système phonographique on devra conserver l’ancienne orthographe pour les noms propres, les noms de lieux, etc.

Que deviennent alors les 50 millions d’artisans, de pauvres enfants, de manouvriers des villes et des campagnes qui, en France, en Belgique, en Suisse, dans tous les pays de langue française, devaient être émancipés de l’ignorance en une ou deux saisons d’école? Les voilà ramenés aux difficultés de la grammaire et aux études grecques et latines dont on prétendait les dispenser.

Quant à ceux qui ont reçu cette instruction si pénible à conquérir, peut-on espérer qu’ils adoptent jamais une nouvelle manière d’écrire, même simplifiée, si elle ne les dispense pas de se rappeler continuellement l’ancienne, pour la solution des cas litigieux? L’étranger instruit, mais peu exercé à la prononciation, le savant, le législateur, ne croiront jamais parvenir à être bien compris dans cette écriture figurative des sons. Chacun des mots anciens, par sa configuration devenue familière, par les radicaux si souvent transparents sous l’enveloppe graphique, réveille pour nous le souvenir de ses congénères et de sa signification[225].

[225] Voir aussi p. 96 et 374.

Sans doute, s’il s’agissait uniquement de former un peuple 365 ignorant, sans passé littéraire, à une rapide connaissance de la lecture et de l’écriture française, la méthode phonétique aurait de grands avantages; mais pour une nation riche d’une littérature qui date de huit siècles, ses vocables, ses syllabes même, font, pour ainsi dire, partie intégrante de son histoire intellectuelle; les transformer de fond en comble, c’est rompre la chaîne non interrompue des traditions où s’est formé son génie.

Dans les chapitres, suivants, M. Raoux applique son système de phonographie à plusieurs langues de l’Europe. En ajoutant à son alphabet des signes de l’e double aigu (ë), l’i mouillé (ï), et les trois nasales én, ωn, un, il possède, d’après l’auteur, la gamme complète des sons du bel idiome des troubadours. Quant à la transcription de l’italien, je n’en vois pas trop l’utilité pour nous, surtout quand on renonce à figurer l’accent tonique.

J’en dirai autant de l’espagnol et du latin, à l’écriture phonographique desquels l’auteur consacre quelques pages. Sa transcription de l’allemand, pour être fidèle, nécessiterait l’addition de nouveaux signes pour le h et le ch fortement aspirés. Mais c’est pour nous transcrire fidèlement la prononciation de l’anglais que la nouvelle méthode serait inappréciable. Elle remplacerait avec une supériorité incontestable le système de voyelles chiffrées usité dans les meilleurs dictionnaires anglais-français.

Il serait donc désirable qu’en tête des dictionnaires anglais, arabes, turcs, aussi bien que de ceux des patois des langues de l’Europe, on représentât la prononciation dans un système phonographique perfectionné et convenu entre les linguistes. Une page, placée en tête de chacun de ces lexiques, suffirait pour tracer toutes les règles de lecture de cet alphabet véritablement phonétique. Avec l’aide du temps, les personnes studieuses en prendraient l’habitude, et le pas, difficile à franchir, pour la constitution d’un alphabet européen et d’une écriture européenne serait plus tôt accompli. Je m’unis donc, pour cette application importante, aux vues de l’auteur, si bien développées dans ses dernières pages, que je dois renoncer à analyser. Cet art nouveau, auquel il s’est voué, n’a pas encore dit son dernier mot; il est en instance devant les corps savants, les universités et les académies. Loin de faire reculer la philologie comparée et la science rationnelle du langage, il ne peut que leur procurer de nouveaux moyens d’analyse.

366 Dans le Supplément à l’ouvrage précédent, publié un an plus tard, et dont je n’avais pas connaissance lors de ma première édition, M. Raoux reprend la question de la constitution de l’alphabet phonographique d’après les observations qui lui ont été transmises par les différents comités fondés en Suisse, en Belgique et en France, pour la réforme orthographique. La majorité des phonographes qui les composent s’étant prononcée pour l’adoption d’un alphabet sans signes nouveaux[226], il a cru devoir acquiescer à ce vœu, tout en réservant son alphabet primitif pour une phase ultérieure de la reforme.

[226] M. Raoux explique ainsi le recul de la phonographie, du moins quant à la théorie, qui s’est produit à Lausanne après la publication de son livre: «Peu de temps après la publication du prospectus de cet ouvrage, des lettres d’encouragement et des témoignages d’adhésion nous parvinrent en grand nombre et plusieurs organes de la presse libérale nous offrirent spontanément leur concours. Depuis l’impression de l’Orthographe rationnelle (décembre 1865), la question se posa plus nettement et les phonographes se mirent à l’œuvre en Suisse et au dehors. Des comités s’organisèrent dans les cantons de Vaud, de Neufchâtel, de Berne et de Genève et dans le département de l’Ardèche, pour étudier cette importante réforme, au double point de vue de la théorie et de la pratique.

«Dès le début de ces travaux collectifs, deux opinions se trouvèrent en présence, celle des partisans, et celle des adversaires des signes nouveaux. Après bien des lettres, des circulaires et des explications échangées, pendant plusieurs mois, ce fut la dernière opinion qui obtint la majorité.»

Voici les motifs sur lesquels s’appuie cette majorité: «1o La réforme alphabétique est beaucoup moins importante et beaucoup moins pressante que la réforme des deux orthographes lexicologique et grammaticale, dans lesquelles se concentrent presque tous les vices et tous les inconvénients du système graphique actuel. 2o La création et l’emploi de nouveaux signes pouvaient présenter des difficultés de nature à compromettre ou retarder le succès de la réforme, sous trois points de vue: accord des phonographes;—habitudes graphiques de la génération présente;—moyens pratiques d’exécution en typographie.»

Je forme le vœu sincère que M. Raoux, dont le lecteur a pu apprécier la fermeté d’intelligence et la sagacité critique, revienne à des principes moins absolus, en abandonnant une voie dans laquelle le succès me semble impossible.

Il rétablit d’abord un signe distinctif de è et ê (arène et tête, hère et hêtre, herbette et air bête, pelle et bêler); de eu et (jeune et jeûne, les deux syllabes de jeûneur); le signe de h aspiré (halte, haro, hue, hardi, hé! ho!). Voici donc son nouvel alphabet phonétique pour le français seulement:

VOYELLES
╭────────────────────────╮
MÈRES DÉRIVÉES
╭──────────────╮
ou primitives. amplifiées. nasales.
a â an
è ê èin
é
i î in
e eu eû eun
o ô on
ou  
u û  

367 CONSONNES
╭────────────────╮
 COLLATÉRALES
╭────────╮
DÉRIVÉES
╭────────╮
dures. douces. dures. mouillées.
p b l ll
f v n gn
t d  
q g ISOLÉES.
ch j m
s z r
  h

Les lettres doivent être prononcées suivant la nouvelle épellation, pe, be, te, etc., et les petites lettres indiquent des modifications faites aux sons radicaux ou primitifs.

Voici maintenant le nouvel alphabet phonographique de l’auteur:

VOYELLES
╭──────────────────╮
CONSONNES
╭──────────────────╮
a   â an p b l
è   ê èn f v n gn
é     t d m  
i   î in q g r  
e eu un ch j h  
o   ô on s z  
ou        
u   û      

«Total: 22 lettres différentes et 5 signes modificateurs (u, n, g, , .). On devra, pour l’impression, faire fondre des lettres à liaison continue pour an, èn, in, eu, , un, on, ou, , gn, ch, afin de leur restituer l’apparence de signes uniques.

«Les lettres éliminées c, k, x, y, w, devront être maintenues pendant un certain temps pour l’écriture des noms propres.

«Le signe gn, ayant aujourd’hui deux valeurs phonétiques (nieu et guene, dont la dernière n’appartient pas à l’alphabet en sa qualité de diphthongue), sera uniquement affecté au son de n mouillé 368 (campagne), ce qui le distinguera clairement du double son guene, qui s’écrira gen (Agnès, Agnès; gnomon, genomon).

Le signe binaire ll se trouvant dans le même cas, et la juxtaposition de l’i ne suffisant pas à distinguer ses deux valeurs phonétiques, représentera uniquement le l redoublé dur (illicite, illimité, ville). Le l mouillé (dans fille, bille) qui, en sa qualité de monophone, fait réellement partie de l’alphabet, sera représenté par un l pointé en-dessous, afin que la typographie n’ait point de signe nouveau à créer, puisqu’un j renversé remplira parfaitement le but.

L’auteur termine ce supplément par quelques exemples de la nouvelle orthographe, que les phonographes intitulent réforme scripturale

Orthographe actuelle. Phonographie. Orthographe actuelle. Phonographie.
physique fiziqe hennir anir
philosophie filozofie prompt pron
rhythme ritme fille fiḷe
chronique qroniqe illettré illétré
chrétien qrétièn homme ome
ichthyologie iqtiolojie femme fame
harangue arange catarrhe qatare
théophilanthropie téofilantropie Jeanne jane
accueillir aqeuḷir hasard azar
quand qan quincaillier qènqaḷé
heureux eureu hygiène ijiène
temps tan agneau agnô
oiseau ouazô gnomon genomon
quiproquo qiproqo hareng aran
haïr air  

«L’ignoranse du vouazèn è t un danjé q’on devrè qonȷuré, ne fuse qe par égoizme, qome on va ô seqour de sa mèzon qan t èle brule.» (Jules Macé.)

«Lè jeune z èntelliȷanse son qome dè bouton de fleur qe lon orè plonjé dan lô boụlante; èle z on perdu leur forse vitale dan le chôdron fuman de la moderne éduqasion.» (A. de Humboldt.)

«Tan qe l’iȷiène publiqe é la morale universèle ne seron pa sérieuzeman t anségnée dan toute lè z éqole primère, le flô du mal montera toujour.» (Raoux.)

Cette écriture, ainsi dépouillée des signes nouveaux que l’auteur avait proposés dans le corps de son livre, ressemble beaucoup à celle que M. Marle avait adoptée en 1829 dans son Appel aux 369 Français. Elle offre les mêmes avantages et encourt les mêmes reproches, sur lesquels il me semble inutile de revenir.

Albert Hetrel, correcteur d’imprimerie. Code orthographique, monographique et grammatical. Nouvelle méthode donnant immédiatement la solution de toutes les difficultés de la langue française. Deuxième édition. Paris, Larousse et Boyer, 1867, in-12 de XXIII et 276 pp.

M. Émile de Girardin a accepté la dédicace de cet intéressant ouvrage. De la lettre qu’il adresse à l’auteur à ce sujet, je crois devoir extraire les passages suivants:

«Je n’accepte pas l’expression de votre reconnaissance, mais j’accepte la dédicace de votre livre. Il est curieux, ce qui le rendra instructif. Du désir qu’il donne de le parcourir naîtra bientôt l’habitude de le consulter.

«Que d’innombrables fautes journellement commises il relève! Que d’inexplicables contradictions, passant généralement inaperçues, il signale!

«Mais ce qu’il révèle surtout, c’est à quel point l’arbitraire règne encore, en France, dans le langage. Où les exceptions à la règle sont si nombreuses, ne peut-on pas dire de la règle qu’elle n’est qu’une exception à l’exception et qu’il n’y a pas de règle? Le langage est un art; il n’est pas encore une science. Ce qu’il faudrait, c’est qu’il en devînt une. L’art vaut ce que vaut l’artiste; la science vaut par elle-même. Ce qui caractérise l’art, c’est la personnalité, c’est la diversité; ce qui caractérise la science, c’est l’universalité, c’est l’unité. Ce qui la caractérise encore, c’est d’être essentiellement progressive, c’est de tendre constamment à convertir les obstacles en moyens et les problèmes en solutions. Si, au lieu d’être un art, le langage était une science, il n’épargnerait rien pour devenir de plus en plus simple, de plus en plus précis, de plus en plus facilement correct. La règle ne fléchirait plus sous l’exception; ce serait l’exception qui disparaîtrait sous la règle. Si la science du langage était moins imparfaite, croit-on que l’art du langage y perdît? Je ne le crois pas.

«Partout, en Europe, les peuples abaissent maintenant les barrières qu’ils s’appliquaient autrefois à rendre infranchissables... Une barrière qui ne s’est pas abaissée, c’est celle que met entre 370 les nations la différence des langues. Arrivera-t-on, un siècle ou l’autre, à l’adoption d’une langue universelle? Je n’en doute point... Chemins de fer et télégraphes électriques, ces inventions d’hier, mènent chacune des grandes parties du monde à l’unité d’usages et de lois, de mœurs et de modes, de mesures et de monnaies. A son tour, cette unité mènera à l’unité de langue, comme une conséquence mène à une autre conséquence. Cette langue commencera par n’être qu’une langue auxiliaire, deviendra la langue internationale, et finira par être la langue définitive. De cette langue, que la nécessité s’appliquera à rendre aussi simple que possible, disparaîtront tous les mots qui n’ont plus de sens, tous les mots qui n’ont pas de sens, tous les mots qui ont plusieurs sens. Il y aura un mot pour chaque chose, mais pour chaque chose il n’y aura plus qu’un seul mot. Formation, déclinaison, genre, orthographe et prononciation des mots, conjugaison des verbes, seront assujettis à des règles invariables, faciles à apprendre, faciles à retenir.

«Il fut un temps où généralement le paysan français ne savait parler que le patois de sa province. Il est rare maintenant, et il devient chaque jour plus rare, que ce paysan ne sache pas à la fois et le patois de «son pays» et la langue de sa patrie. On peut même ajouter que, depuis que le paysan apprend l’une, il désapprend l’autre. Les patois s’en vont; je me trompe, il faut dire: ils se succèdent; car un temps viendra où, l’Europe ayant sa langue commune, parler allemand, parler anglais, parler espagnol, parler français, parler italien, ce sera parler patois. Mais jusqu’à ce que ce temps arrive, temps qui peut être proche, mais temps aussi qui peut être loin, tout ce qui aura pour but et pour effet de dévoiler les difficultés et les irrégularités dont les langues actuelles sont hérissées méritera d’être hautement et chaudement encouragé.»

L’auteur du Code orthographique ne s’est pas donné pour but de redresser les contradictions et les vices de notre écriture, mais seulement de présenter en bon ordre et d’une façon claire et facilement saisissable la solution de toutes les difficultés qui se rencontrent dans l’emploi de nos meilleurs lexiques. Il s’exprime ainsi à ce sujet: «Pendant sa longue carrière de correcteur d’imprimerie, l’auteur n’a pas manqué de se convaincre qu’il y a dans la langue un grand nombre de points douteux, au sujet desquels 371 les écrivains les plus habiles sont exposés à faire des fautes. Nécessairement ces fautes ont dû passer des milliers de fois sous ses yeux, comme sans doute le prêtre, pendant la durée de son sacerdoce, entend chaque jour, au tribunal de la pénitence, confesser à peu près les mêmes péchés. Il arrive parfois aux littérateurs d’employer des expressions condamnées par l’Académie ou de s’écarter des règles qu’elle a exposées et consacrées. Les dictionnaires sont si incomplets, si fatigants à consulter, que le plus souvent les gens de lettres hésitent à entreprendre des recherches PRESQUE TOUJOURS INUTILES, et préfèrent s’en rapporter au correcteur, qui, par profession, est obligé de connaître imperturbablement toutes les espèces de difficultés.

«Et pourquoi la plupart des recherches sont-elles infructueuses? C’est qu’un grand nombre de solutions manquent dans ces livres, et que celles qui s’y trouvent sont rarement classées à l’endroit même où l’écrivain qui en a besoin pourrait être tenté de les chercher. On les a semées au hasard, un peu partout, et comme personne n’a le temps de lire en entier un volumineux dictionnaire, personne ne les connaît, et chacun se fait à soi-même sa langue, selon son caprice ou selon son goût.»

M. Hetrel s’est proposé d’apporter un remède efficace à ce grave inconvénient. Pendant une vingtaine d’années passées à corriger des épreuves, il a soigneusement pris note des cas douteux, à mesure qu’ils se présentaient dans ses lectures. Étudiant sans cesse les dictionnaires et les grammaires, cherchant des exemples dans les écrivains les plus célèbres et comparant entre elles les diverses autorités en matière d’orthographe et de langage, il s’est enfin arrêté aux solutions qu’il publie aujourd’hui.

Le Code orthographique est divisé en six catégories:

I. Difficultés grammaticales et syntaxiques. Singulier et pluriel. Conjugaison des verbes irréguliers et de certains autres. Prononciation. Participes. Adjectifs verbaux. Inversions. Médecine. Chimie. Botanique. Principales omissions de l’Académie. Cacologie, ou omnibus de l’écriture et du langage.

II. Singulier et pluriel de tous les substantifs qui prennent le trait d’union,—l’apostrophe,—de ceux qui s’écrivent en un seul mot;—des mots autrefois unis par le tiret qui maintenant doivent être séparés par une espace.

III. Accentuation. Accent aigu. Accent grave. Accent circonflexe. 372 Tréma. Élision. Résumé. Mots qui ne prennent point d’accent. Mots accentués.

IV. Doubles et simples. Adverbes terminés par mment et ment. Certains mots qui se prononcent de même, ou à peu près, dont l’orthographe est différente. Ch se prononçant k. Mots qui prennent deux h. H intérieure. H aspirée. Place que l’h doit occuper dans plusieurs mots. I après deux l. L mouillées ou non. Leur prononciation. Verbes en eler et eter. Mots en otte et ote. Verbes en otter et oter. Mots prenant l’y. Place de l’y et de l’i dans certains mots.

V. Genre embarrassant. Mots étrangers ou francisés.

VI. Majuscules et minuscules.

On voit par ce sommaire de quel intérêt doit être cet ouvrage pour les personnes qui s’occupent, comme les écrivains soigneux et les imprimeurs, des détails de l’orthographe. Il pourra servir utilement à perfectionner les dictionnaires et les grammaires.

Bernard Jullien, docteur ès lettres, licencié ès sciences, secrétaire de la Société des méthodes d’enseignement. De l’Orthographe et des systèmes néographiques. (Cours supérieur de grammaire. Paris, Hachette, 2 vol. gr. in-8, t. I, p. 44-52.)—Thèses de Grammaire. Paris, Hachette, 1855, in-8 de VIII-508 pp. (pages 107-141).—Les Principales étymologies de la langue française. Paris, Hachette, 1862, in-12 de VIII-323 pp.—De la Nécessité de quelques réformes dans l’orthographe française. (Revue de l’instruction publique, 5 mai 1864, p. 83.)

M. Jullien est auteur d’un grand nombre d’ouvrages et d’écrits sur la grammaire justement estimés. En ce qui concerne l’orthographe, il se montre sage partisan d’une réforme modérée et progressive.

Au début de son premier article sur l’orthographe, cité ci-dessus, il revendique pour la science d’écrire correctement son vrai nom: orthographie. Cette demande, réitérée presque par tous ceux qui ont écrit sur la langue française, prouve suffisamment l’opportunité du changement en question, réclamé par la logique et l’accord avec d’autres termes scientifiques de la même catégorie, 373 géographie, calligraphie, typographie. Dans plusieurs traités de grammaire on voit déjà apparaître les mots graphie et orthographie.

M. Jullien, sans partager sur tous les points les opinions des néographes, ne méconnaît pas ce qu’il y a de bon dans leurs systèmes, et s’élève avec force contre tous ceux qui, à l’exemple de Charles Nodier, jugent ces questions avec prévention et légèreté.

«Nous nous rappellerons, pour nous, dit-il, que la langue française et son orthographe intéressent quarante millions de personnes, et nous ne croirons jamais que des changements qui s’opèrent graduellement depuis trois siècles puissent être combattus par des épigrammes ou condamnés comme de pures folies.»

Mais, dans ce travail, M. Jullien se borne à donner un résumé très-succinct des systèmes de Regnier des Marais, de Dangeau, de Buffier, de Du Marsais, de l’abbé Girard, de Duclos, de Beauzée, dont il est fervent admirateur, de Domergue et de Marle; et comme conclusion de ce chapitre, il exprime son opinion sur l’ensemble des propositions de ces néographes. Il approuve le retranchement d’une des doubles lettres non étymologiques (Du Marsais), et même étymologiques (Duclos); la substitution des f et des t aux ph et th (Duclos) et le remplacement des x et des z comme marque du pluriel par le signe caractéristique et uniforme: la lettre s.

Ses idées personnelles sur la réforme de l’orthographe se trouvent plus développées dans un article spécial, faisant partie de ses Thèses de grammaire. Cet article est sous forme de dialogue et porte pour titre: La Partie de dominos. A cet égard nous prenons la liberté d’exprimer notre regret que le récit principal soit entrecoupé de dialogues relatifs au jeu, qui troublent l’attention et ne peuvent intéresser personne.

Dans ce travail on remarque un passage où l’auteur oppose une objection fort grave aux idées purement phonographiques. Le lecteur va en juger:

«Vous voyez par là que, chez nous, c’est réellement l’écriture qui est le principe de la prononciation correcte dans la bonne compagnie; et cela seul vous montre combien sont réellement ignorants du français ceux qui posent le principe contraire, qui 374 croient bonnement que les langues en sont encore au point où elles étaient avant l’invention de l’alphabet. C’est vraiment leur faire trop d’honneur que de discuter sérieusement leurs propositions. Mais ce qu’il y a de curieux, c’est qu’eux-mêmes ne savent pas du tout où leur principe les mène; que, tout en niant l’action de l’écriture, non-seulement ils ôtent ou remettent les lettres que l’écriture seule nous fait prononcer dans quelques circonstances, mais qu’encore ils séparent les uns des autres des mots ou groupes de sons qui n’ont d’existence individuelle qu’en vertu de nos habitudes d’écrire. Pour l’oreille, les articles ne se séparent jamais de leurs substantifs, ni les compléments placés avant le verbe, du verbe qui les régit, ni le pronom du verbe dont il est le sujet, ni la préposition de son complément. Il est donc ridicule, dans ce système, de faire deux ou plusieurs mots de je dors, nous aimons, jusqu’à lui, qu’est-ce à dire; il faut écrire en un seul jedor, nouzémon, juskalui, kèsadir, etc.

«Tout le monde connaît l’extrême mobilité de notre accent[227], et, qu’en se portant toujours sur la dernière syllabe sonore des sections de nos phrases, il coupe celles-ci en un certain nombre de petites prolations dont notre oreille est uniquement frappée, et dans lesquelles elle ne distingue aucunement ces divisions artificielles que nous appelons des mots, que la plume seule nous fait sur le papier détacher les uns des autres. Cette horrible écriture sanscrite, où tous les sons d’un discours sont écrits exactement à la suite sans aucun intervalle, est donc le type de perfection que nous offrait enfin de compte l’Appel aux Français, quoique les autres n’aient pas osé le dire, ou que plutôt ils ne l’aient pas compris: et, en admettant, si vous le voulez, l’accentuation finale des sections de phrase comme des points naturels de séparation dans le langage et l’écriture, les premiers vers de l’Art poétique, par exemple, devraient être représentés ainsi:

[227] L’accent oratoire. L’accent tonique dans les vers cités porte aussi sur les mots c’est et art compris dans les groupes.

Sètanvin qôparna suntèmèrè rôteur
Pan sedelardèver zatin drelaôteur;

et non pas comme l’auraient donné nos réformateurs (Appel aux Français, p. 13 à 48):

S’et an vin q’ô parnasse un tèmèrère ôteur
Panse de l’ar dè vers ateindre la hôteur.

375 En le divisant ainsi, ils ont certes rendu plus facile la lecture et l’intelligence de leur transcription, mais ils ont par cela même menti à leur principe, puisqu’ils ont introduit des divisions, exigées par le dictionnaire, que la voix ni l’oreille ne reconnaissent aucunement.»

Je donnerai plus loin l’analyse du système de M. Jullien, qu’il a reproduit dans d’autres écrits. Je ne toucherai ici qu’une particularité que l’auteur a eu raison d’abandonner ensuite.

M. Jullien dit «que la réforme de l’orthographe, pour être raisonnable, doit comprendre deux mouvements: l’un de retour ou de recul, l’autre d’allée ou de progrès.» Ce mouvement de retour consisterait à rétablir les lettres caractéristiques, radicales, d’abord ajoutées à tort par les savants, et ensuite supprimées dans un certain nombre de mots de la même famille.

En émettant cette proposition M. Jullien a pour but de conserver aux mots d’une origine commune le signe caractéristique de leur parenté. D’après ce système, il faudrait rétablir la lettre étymologique s dans les verbes écrire, décrire, récrire et dans les dérivés (écriture, écrivain, etc.), pour les mettre d’accord avec inscrire, description, etc.; il faudrait écrire respondre, à cause de responsable, correspondre, etc.; destruire, à cause de destruction; souspçon, souspçonner, à cause de suspect; coulpable, à cause de inculper, etc.

Il faut savoir gré à M. Jullien d’avoir abandonné plus tard cette idée. Autrement il aurait fallu renchérir sur l’orthographe de la première édition du Dictionnaire de l’Académie et écrire: eschelle, à cause de escalier, escalader; arrest, à cause de arrestation; escole, à cause de scolaire, scolastique; contract, à cause de contracter, etc. Il serait difficile de démontrer les avantages de ce recul, tandis que les désavantages en sont évidents. Le perfectionnement d’une orthographe doit avoir pour but la représentation fidèle de la bonne prononciation, consacrée par l’usage, tout en tenant compte des terminaisons grammaticales et des signes de grammaire; par conséquent son rôle est de supprimer les lettres inutiles, muettes, si toutefois leur retranchement n’apporte pas une confusion nuisible, en empêchant de reconnaître la véritable signification des mots, comme si, par exemple, on écrivait les cors au lieu de les corps. M. Jullien, qui dit que notre orthographe intéresse quarante millions de personnes, paraît oublier que les 376 lettrés n’en composent qu’une faible partie, et pourtant il est évident qu’il faudrait avoir étudié l’histoire de notre langue et être latiniste consommé pour savoir écrire d’après ce système, heureusement tombé en désuétude depuis 1740. Nos paysans, nos ouvriers, connaissent le mot école, mais il y en a qui ignorent même l’existence des mots scolaire et scolastique; il en est de même pour écrire et proscrire, prescrire, etc.; la multitude serait donc exposée à écrire mal, et pourtant l’écriture correcte ne doit pas être le monopole d’une minorité. Pour ceux qui se soucient de la parenté des mots, je ne vois pas de difficulté, et ils ne seront pas embarrassés pour reconnaître que décrire et description ont une origine commune, bien que formés dans des conditions différentes.

Mais outre le trouble dans la mémoire qui résulterait de cette introduction de lettres inutiles, il y a une autre question plus grave encore: c’est celle de la prononciation. M. Jullien ne se dissimule pas que cette orthographe amènerait avec le temps à prononcer ces lettres radicales; on prononcerait donc escrire, coulpable, contract, etc. Or, la formation des mots obéit à une autre loi que celle de la conservation servile des lettres caractéristiques; elle est soumise aux exigences de l’euphonie, à l’harmonie de sons propre à chaque langue. Ainsi l’on peut constater que l’ou ne souffre pas la lettre l suivie d’une ou plusieurs consonnes, tandis que cette agglomération peut avoir lieu après l’u; c’est pourquoi on a coupable et inculper, soufre et sulfureux, voûte et évolution, etc. Le ct sonnerait mal à la fin du mot contract, mais la voyelle suivante en facilite la prononciation dans le verbe contracter. Il serait peu harmonieux de prononcer à la lettre le mot souspçon où se heurtent trois consonnes de suite. Dans le vieux français on écrivait et sans doute on prononçait souspeçon (voir le tableau, page 112), mais dès l’instant qu’obéissant au génie abréviatif de notre langue la voyelle e tomba, elle entraîna forcément dans sa chute la lettre s pour rendre la prononciation douce. Notre langue actuelle se compose, comme on sait, de deux couches de mots dont la démarcation est très-sensible; il serait téméraire de vouloir ramener les mots éclos sous l’influence du génie national, comme écrire, soupçon, à revêtir l’uniforme des mots calqués par les savants sur le latin, tels que scribe, proscription, suspect, suspicion. Or l’introduction des radicales muettes ne suffirait même pas, il faudrait encore changer très-souvent les 377 voyelles qui les précèdent, et par conséquent dénaturer les vocables. Il faudrait donc, sacrifiant les mots vraiment français aux mots forgés par les savants, accueillir: culpable, suspçon, sulfre, etc. Cette unification arbitraire dénaturerait à la fin l’essence même de la langue.

Son traité des Principales étymologies de la langue française est un dictionnaire des racines qui entrent dans la composition des mots de notre langue, précédé d’une étude de la formation des vocables. Ce travail intéressant, devenu utile depuis que l’on a renoncé aux dictionnaires disposés par racines, jette quelque lumière sur plus d’une question orthographique. Nous en extrayons un passage relatif aux doubles consonnes, du moins à celles qui n’ont aucune raison de subsister dorénavant dans notre langue:

«Les consonnes ont été doublées, surtout quand il s’est agi des nasales ou des dentales, par des raisons tout à fait étrangères à l’étymologie proprement dite, et qui n’ont pas moins contribué à rendre la formation des mots irrégulière en apparence. Ainsi homme, femme, avec deux m, viennent de homo et de femina, qui n’en ont qu’une; bona a formé bonne, donare, donner, et christiana, chrétienne, si l’on n’aime mieux tirer ce dernier du masculin chrétien. La raison de tout cela, c’est que les syllabes dont il s’agit étaient nasales en latin ou du moins ont été prononcées nasales chez nous pendant la formation de notre langue; et c’est pour conserver dans l’écriture la nasalité entendue qu’on a écrit homme, femme, donner, chrétienne. C’est qu’alors on prononçait un hon-me, une fan-me, don-né, chrétiain-ne, etc. Aujourd’hui que nous prononçons avec les voyelles orales et ouvertes ho-me, fa-me, do-né, crétiè-ne, etc., nous nous étonnons à bon droit d’une orthographe qui contrarie également l’étymologie et notre prononciation.

«D’autres consonnes ont été doublées ou dédoublées par des raisons qu’on peut nommer d’épellation, parce que les règles données à cet égard viennent de la manière dont nous épelons les lettres pour les assembler dans les syllabes. Je prends pour exemple le verbe appeler, tiré du latin appellare; il n’a qu’une seule l, tandis que le latin en a deux; au présent de l’indicatif il reprend les deux ll, j’appelle, comme l’indique le latin appello; mais il en perd une de nouveau au pluriel, nous appelons. Tout le monde comprend d’où vient cette marche singulière. 378 Quand la dernière syllabe est sonore, la pénultième est muette; et alors l’e ne doit être suivi que d’une consonne. Au contraire, quand la dernière est muette, la pénultième est sonore; et l’on sait qu’un moyen fort ancien chez nous de marquer l’e ouvert, a été de doubler la consonne suivante, surtout à l’époque où les accents étaient inusités, c’est-à-dire jusqu’à la fin du dix-septième siècle. C’est pour cela qu’on écrit j’appelle, et j’appellerai, et d’un autre côté appelant et j’appelais. L’orthographe latine n’a eu sur ce changement qu’une très-faible influence, puisque nous avons quelquefois mis deux consonnes où il n’y en avait qu’une en latin, comme dans cruelle, venu de crudelis, muette venu de muta, fidèle même, qu’on écrivait fidelle au temps de Louis XIV, quoiqu’il fût venu directement de fidelis, où il n’y a jamais eu qu’une seule l[228]

[228] Voir p. 403, la manière dont la Bruyère orthographie ce mot.

Les considérations émises par M. Jullien dans la Revue de l’Instruction publique ont trop d’importance pour ne pas être reproduites intégralement.

Questions universitaires.—De la nécessité de quelques réformes dans l’orthographe française.

«Par un arrêté royal en date du 25 janvier dernier, le roi des Belges a nommé une commission qui doit s’occuper de ramener à l’uniformité l’orthographe de la langue flamande. Cet arrêté, pris en lui-même, n’intéresse que ceux qui parlent ou écrivent le flamand; il ne nous occuperait donc pas s’il n’était précédé d’un rapport du ministre de l’intérieur, dont quelques considérants s’appliquent d’une manière toute spéciale à la langue française et méritent ainsi l’attention des hommes sérieux de tous les pays.

«Je transcris ces lignes importantes:

«En vous faisant cette proposition, Sire, mon intention n’est nullement d’imposer une orthographe officielle, mais il importe qu’il y ait accord entre le système orthographique enseigné dans les établissements de l’État, et le système adopté par les philologues et les hommes de lettres qui sont les seuls juges compétents de la matière. La commission dont j’ai l’honneur de proposer l’institution aura donc à continuer l’œuvre commencée en 1835 et à rechercher les moyens d’arriver à l’unité désirable. Le gouvernement, après avoir pris connaissance de son travail, et tout en respectant la liberté individuelle, 379 pourra adopter et préconiser, dans les limites de ces attributions, les règles établies par la commission. L’autorité morale de cette commission suffira, j’en ai la conviction, pour rallier les opinions les plus divergentes et ramener à un système uniforme tous ceux qui s’occupent de la culture des lettres flamandes.»

«Mettez françaises à la place de ce dernier mot, et les principes qui ne touchent dans la proposition belge qu’à un petit peuple et à un petit coin de terre, vont s’adresser au monde entier. Ils intéresseront surtout les Français, dont l’écriture est tellement irrégulière qu’il n’y a pas de règle pour un tiers peut-être de leurs mots; ou que les règles, si l’on consent à prendre pour régulateur le Dictionnaire de l’Académie, sont tellement capricieuses qu’il n’y a pas un homme au monde qui les puisse posséder.

«Ajoutez qu’à l’entrée de toutes les carrières, et surtout des carrières administratives, des devoirs sont dictés aux aspirants pour s’assurer de la connaissance qu’ils ont de l’orthographe de leur langue; qu’il n’y a pas pour eux d’autre moyen de se tirer d’affaire que de connaître par l’usage ou de savoir par cœur les mots qui leur sont donnés; et que si quelqu’un s’amusait à faire entrer dans la dictée des mots choisis exprès parmi les inusités, les juges ne seraient pas plus capables de corriger les copies que les concurrents de les écrire sans faute.

«Cette assertion peut sembler exagérée à ceux qui n’ont pas étudié de près la question. Elle n’est que rigoureusement vraie. On connaît l’ouvrage intitulé: Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie, où feu Pautex relevait les contradictions et erreurs matérielles qui fourmillent dans cet ouvrage. M. Littré, dans son Dictionnaire de la langue française, signale à tout moment à l’Académie des contradictions formelles dans l’écriture des mots dérivés ou composés des mêmes éléments. On peut surtout reconnaître l’étendue du mal dans le volume de M. Blanc intitulé: Enseignement méthodique de l’orthographe d’usage sans le secours du grec et du latin. Cet auteur prend pour base de son travail le Dictionnaire de l’Académie; il n’a aucun désir de le critiquer; mais à propos des diverses catégories de mots qu’il établit pour en favoriser l’étude mnémonique, il cite les exceptions; et celles-ci sont si nombreuses qu’on ne saurait quelquefois dire où est la règle. J’en citerai deux ou trois exemples, car cela vaut mieux pour convaincre les lecteurs que des assertions générales comme celles que je viens d’écrire. Parmi les substantifs en ment tirés des verbes en ier ou 380 yer (p. 102), il y en a seize qu’on peut écrire avec ou sans e intérieur: aboiement et aboîment, etc.; il y en a vingt et un où l’e reste toujours: balbutiement, etc.; il y en a quatre où l’e reste, mais précédé de l’y: délayement, etc.; il y en a trois enfin où l’e ne doit pas paraître: châtiment, dénûment, éternument. Remarquez même que, de ces trois, le second prend l’accent circonflexe que les deux autres rejettent. Parmi les verbes en oter, qui sont au nombre de quatre-vingt-quatre, soixante et un seulement ont un t simple; les vingt-trois autres le doublent sans qu’aucun changement dans le son ni aucune raison étymologique justifient ce changement d’orthographe.

«Je voudrais trouver une liste des verbes en eter et eler[229]. Je ne sais pas précisément combien nous en avons, mais il y en aurait deux ou trois cents que je n’en serais pas surpris. Or ces verbes présentent cette particularité, que partout où la dernière syllabe est muette, l’e qui la précède doit devenir ouvert. Cet è ouvert se marque soit par un accent grave comme dans geler, je gèle, acheter, j’achète; soit en doublant la consonne intermédiaire: appeler, j’appelle, jeter, je jette; et chacun voit déjà combien il est difficile de se rappeler, sans aucune raison déterminante, le choix qu’il faut faire entre ces deux orthographes. Mais il y a plus; pour un grand nombre de ces verbes, l’Académie ne donne pas d’exemple où le dernier e soit muet, de sorte que l’écrivain restant libre de choisir entre les deux méthodes, le juge, à son tour, est libre de le condamner, quelque voie qu’il ait suivie.

[229] Voir le Code orthographique de M. Hetrel, p. 219 et 224.

«Sans doute, selon l’expression du ministre belge: «il n’est pas du tout ici question d’imposer une orthographe officielle,» chacun reste libre d’écrire comme il lui plaira, à la seule condition de passer pour un ignorant si son écriture s’écarte trop des habitudes reçues: mais, dans un pays comme la France, où l’administration étend ses branches jusqu’aux plus extrêmes limites, où les écritures jouent un rôle si étendu, selon quelques-uns même si exagéré, au moins serait-il bon que notre orthographe courante fût soumise à un système régulier, et ne dépendît pas uniquement du caprice de quelques académiciens, si ce n’est plutôt, comme on l’a dit avec raison, de celui des correcteurs de l’imprimerie où le dictionnaire est mis sous presse.

«Notez que ce dont il s’agit ici s’est déjà fait ailleurs. L’Italie 381 a un système d’orthographe qui ne laisse à peu près aucune hésitation à qui entend prononcer un mot; l’Académie espagnole a fait le même travail sur sa langue. Tout le monde reconnaît aujourd’hui l’immense avantage de ce changement à l’ancienne coutume: en a-t-on pu montrer un seul inconvénient, si petit qu’il fût? Non, il en serait d’un système régulier d’orthographe comme de notre système métrique, comme des billets de banque de cent francs et des coupures inférieures qu’on va nous donner. Avant l’essai, il se trouve quantité de gens pour s’effrayer des malheurs que ces créations vont amener; et l’on s’étonne quand elles sont accomplies qu’elles n’aient fait que du bien et que personne n’ait songé à s’en plaindre.

«Je sais que chez nous toutes les fois qu’il est question d’une réforme orthographique, on se figure une tentative comme celle qui fut faite en 1829, sous la direction de M. Marle, par une fraction de la Société grammaticale de Paris. Cette écriture, dont les modèles se trouvent dans le petit volume intitulé Appel aux Français, fut reproduite alors dans tous les journaux, et la proposition succomba bientôt et justement sous le ridicule, parce que c’était, non pas une réforme, mais un renversement total de notre manière d’écrire.

«Une réforme est tout autre chose. Elle se compose de modifications, fort peu sensibles quand on les prend une à une, et qui toutes ensemble produisent pourtant une différence notable. J’ouvre la grammaire de Regnier des Marais, imprimée en 1706, mais qui représente l’orthographe du dix-septième siècle: je trouve en quelques lignes auroit, que nous écrivons aujourd’hui aurait; celuy, et nous mettons celui; receu où nous mettons reçu; desja, où nous mettons déjà; esté, pour été; cy-dessus, pour ci-dessus, etc.[230]. Tous ces mots ont subi la réforme: y a-t-il quelqu’un qui le regrette aujourd’hui? Et qu’on se garde bien de croire que cette réforme se soit arrêtée depuis; elle a continué sa marche insensible, mais constante. Au commencement de ce siècle, on écrivait appercevoir, aggréger, les enfans; nous écrivons apercevoir, agréger, les enfants, etc. Et dans vingt ans, sans doute, on écrira beaucoup de mots autrement que nous ne le faisons.

[230] Voir plus haut, p. 256.

«Il ne faut donc pas croire qu’une réforme soit toujours une révolution, ni la condamner par cela seul. Cette façon de se jeter 382 dans les extrêmes empêche d’apprécier avec équité les propositions nouvelles et de comprendre ce qu’elles ont d’avantageux. En fait, ceux qui ont voulu maintenir envers et contre tous l’écriture ancienne comme le faisait Regnier des Marais à la fin du dix-septième siècle, et ceux qui ont voulu la sacrifier entièrement à la prononciation, comme au seizième siècle Ramus, Meigret, Pelletier, comme Domergue en 1805 dans son Manuel des étrangers amateurs de la langue française, ou en 1829 les auteurs de l’Appel aux Français, ne devaient avoir et n’ont eu aucun succès. Ces derniers faisaient rire à leurs dépens, et avec raison, parce qu’ils écrivaient un jargon qu’on ne pouvait comprendre; ceux-là dans le temps même qu’ils soutenaient le z comme marque du pluriel après les e fermés, les beautez, les trepassez, ou la distinction nominale de l’i voyelle et de l’i consonne, de l’u voyelle et de l’u consonne, voyaient s’introduire d’une part le j et le v qui supprimaient leur distinction, de l’autre les accents qui permettaient d’écrire avec une s les beautés, les trépassés.

«Mais si les uns et les autres se perdaient dans des propositions insensées et impraticables, les grammairiens philosophes demandaient tout simplement que les changements inévitables de notre orthographe fussent dirigés par des règles fondées sur la raison, au lieu d’être abandonnés aux caprices de l’usage. Du Marsais proposait de dédoubler les consonnes doubles quand elles ne se prononçaient pas et qu’elles contrariaient l’étymologie. Il écrivait home, de homo, doner, de donare, persone, de persona, et de même anciène, naturèle, d’après les masculins.

«Duclos allait un peu plus loin que Du Marsais. Il retranchait une des consonnes doublées quand elle ne se prononçait pas, quelle que fût l’étymologie. Il écrivait donc ocasion, comun, coriger, malgré le latin occasio, communis, corrigere; et cette suppression n’a rien qui doive effrayer: car l’étymologie est suffisamment indiquée par une seule consonne, d’autant plus que, dans les composés surtout, la première n’est pas une lettre radicale, mais une lettre changée le plus souvent par euphonie. Dans occasio, oc est pour ob; dans corrigere, cor est pour cum; et ainsi le double c, le double r, nous représentent non pas une étymologie réelle, mais une habitude reçue chez les Latins, qui n’a jamais existé chez nous, et que, par conséquent, nous n’avons aucune raison de maintenir.

«Il en est de même des nasales doublées au féminin de nos 383 adjectifs ou dans nos verbes, comme bon, bonne, ancien, ancienne, don, donner, qui représentaient autrefois une prononciation nasale, laquelle subsiste encore chez quelques vieillards, chez ceux surtout qui ont vécu longtemps dans la province. Bonne, ancienne et tous les autres féminins analogues, se prononçaient comme le masculin suivi de la négation ne, bon ne, ancien ne; et c’était pour peindre ce son nasal qu’on avait doublé l’n. Donner se prononçait de même don né; homme, on me; femme, fan me. Dans nos adverbes en mment, savamment, prudemment, le son du masculin était aussi conservé; on entendait savant ment, prudent ment, comme grammaire se prononçait grand’mère, ainsi que le montre le mot de Martine dans les Femmes savantes. Dans ces conditions, le doublement de l’n ou de l’m était rationnel; il est déraisonnable aujourd’hui que nous avons renoncé à cette prononciation nasale si multipliée dans notre ancienne langue; et puisque nous disons bone, anciène, savament, prudament, ne serait-il pas convenable de supprimer le signe d’une nasalité qui existait autrefois, qui n’est plus aujourd’hui et ne se rattache d’ailleurs à rien du tout?

«Duclos substituait encore des f et des t simples aux ph et th. Il écrivait fantaisie, fantôme, frénésie, trône, trésor, au lieu de phantaisie, phantôme, phrénésie, thrône, thrésor. Ces changements sont maintenant adoptés partout; et il faut bien reconnaître que personne ne s’en plaint. L’usage a résisté pour philosophie, physique, diphthongue et beaucoup d’autres. Mais les exemples précédents font facilement prévoir un temps où l’on étendra l’emploi des mêmes signes à toutes les choses semblables.

«Les terminaisons en ant et ent sont très-communes chez nous; elles ont avec le même son la même signification. Aussi Dangeau avait-il pris le parti de les écrire sans exception par ant; et j’avoue que quand l’e n’est pas une lettre radicale, je ne vois aucune raison pour le préférer à l’a. Ainsi tous nos participes présents s’écrivent par a, qu’ils viennent de participes latins en ans ou en ens. Scribens nous a donné écrivant, comme amans nous a donné aimant, et præsidens, présidant. Mais pour ce dernier et une quarantaine d’autres, il faut bien distinguer: le mot est-il participe? est-il substantif? est-il simple adjectif? Le sens fondamental est toujours le même; l’orthographe diffère. Dans le premier cas seulement on met un a, dans les autres c’est un e. Ainsi un sénateur présidant une assemblée en est par cela même le président: mais il faut 384 écrire ce même mot de deux manières; comme des ruisseaux affluant dans une rivière, et qui en sont les affluents. Je serais bien obligé à qui me donnerait une bonne raison de cette irrégularité gratuite. Du moins, dira-t-on, absurde ou sensée, cette règle est générale. Non pas du tout: gérant est le participe de gérer; répondant celui de répondre; et quand vous prenez ces mots substantivement, vous les écrivez de même, un gérant, un répondant, etc., quoiqu’ils se rattachent comme les précédents à des participes latins en ens, gerens, respondens. Rien n’y manque donc; la règle en elle-même est insensée comme celle qui nous fait indiquer certains pluriels par l’x au lieu de l’s; quelle qu’elle soit, on a trouvé le moyen d’y mettre des exceptions, sans autre résultat que d’augmenter la difficulté de l’étude.

«Beauzée, qui fut comme Duclos de l’Académie française et qui voulait aussi introduire dans notre orthographe des réformes utiles, mettait au premier rang pour cet objet le juste emploi des signes orthographiques, c’est-à-dire des accents, de l’apostrophe, du tréma, de la cédille, du trait d’union. Il ne s’agissait pour lui que d’en étendre et d’en régulariser l’usage; et il a donné un exemple aussi utile qu’ingénieux de l’emploi qu’on en pouvait faire, quand il a proposé de mettre une cédille sous le t, prononcé comme l’s, dans minutie, portion, ambitieux, etc. N’est-il pas, en effet, un peu honteux pour notre écriture que nous ayons tant de mots qui s’écrivent de même et se prononcent différemment? des inventions et nous inventions; un négligent et ils négligent; tu as et un as; arguer, tirer un argument, et arguer, terme de tireur d’or, faire passer l’or et l’argent dans l’argue. Et chose curieuse! nous n’avons par-devers nous aucun moyen de les faire distinguer. Un signe orthographique mis à propos suffirait souvent à dissiper toute indécision; et il était impossible d’en trouver un plus convenable pour indiquer le son sifflant dans le t, que celui qui indique le même son dans le c.

«Beauzée, à l’aide du même signe, résolvait une autre difficulté de notre orthographe. Le son chuintant de chat, cher, chien, etc., s’exprime chez nous par le digramme ch. Ce digramme, à son tour, représente-t-il toujours le son chuintant fort? Hélas! non: archange, Chersonnèse, chirographaire, archiépiscopat, chrétien, chlamide, Baruch, Munich, etc., doivent être prononcés comme s’il y avait un k: arkange, Kersonnèse, kirographaire, etc. Beauzée proposait donc de conserver le ch ordinaire pour ce dernier cas; et puisque le son 385 chuintant est une espèce de son sifflant, de le marquer avec un c cédille: çhat, çher, çhien.

«Quoi qu’il en soit, les règles de Du Marsais et de Duclos et le bon emploi des signes orthographiques recommandé par Beauzée seront nécessairement la base de toute réforme rationnelle, c’est-à-dire où l’on voudra conserver dans l’écriture les analogies d’idées indiquées par les lettres semblables dans les familles des mots, et en même temps se rapprocher de la prononciation, comme on a toujours cherché à le faire.

«Il serait bien à désirer que l’Académie française se fût dès longtemps occupée de cette partie importante de ses attributions. Malheureusement elle s’est bornée à recueillir les faits ou, comme elle le dit, à constater l’usage, sans même examiner toujours si cet usage était bon. D’un autre côté, quoiqu’elle ait eu dans son sein la plupart de nos bons grammairiens, Regnier des Marais, Dangeau, Girard, Duclos, Condillac, Beauzée, de Tracy, Silvestre de Sacy et même Domergue, si on peut le compter, les questions purement grammaticales l’ont fort peu intéressée; et c’est à cela qu’on doit en partie les fautes considérables qu’elle a laissé subsister dans son livre, et que M. Littré, dans le sien, a trop souvent l’occasion de relever.

«Pour en citer quelques exemples (car les lecteurs de cette Revue savent combien je déteste les lieux communs et les accusations générales sans preuves à l’appui), si l’Académie eût obéi aux inspirations de la science, aurait-elle toléré des mots aussi mal écrits que dessiller, qui vient de cil et devait, par conséquent, s’écrire déciller? que forcené, qui semble ici venir de force, tandis qu’il est fait de fors et de sens (hors de sens), et devait, par conséquent, s’écrire forsené[231]? que contraindre, qui comme astreindre, étreindre, restreindre, vient du latin stringere ou de son composé, et devait, comme tous les autres mots de la même famille, s’écrire par un e et non par un a? qu’enfreindre qui devait au contraire s’écrire par un a, puisqu’il se rattache à frangere et que dans toute sa famille on voit cet a reparaître, fraction, infraction, effraction, diffraction, réfraction, frange, réfrangible?

[231] En 1420 Firmin le Ver écrit dans son Dictionnaire aux mots Amentia: Forsenerie; Amens: Hors de sens; Furialiter: Forseneement.

«L’Académie française, prise en corps, n’offre donc aucune garantie quant à la bonne écriture des mots; mais une commission 386 dans le genre de celle qu’a établie le roi des Belges, dans laquelle entreraient naturellement d’ailleurs tous les académiciens qui s’occupent du Dictionnaire, en compagnie avec d’autres savants qui, comme M. Le Clerc, M. Littré, M. Ampère, aujourd’hui si regretté, se sont profondément occupés de la langue française, proposerait certainement un système rationnel, dont le résultat immédiat serait de faire écrire correctement tous ceux qui sauraient la grammaire, et subsidiairement de maintenir la langue dans sa pureté par l’influence réciproque de l’écriture et de la prononciation.

«J’ai entre les mains des ouvrages d’hommes qui enseignent le français à l’étranger: il est facile de voir que leur prononciation n’est pas du tout celle du français de notre époque; et comment le serait-elle? ils n’ont pour se guider, en dehors de l’usage et de la conversation qui leur manquent, qu’une écriture fautive, chargée de lettres parasites qu’ils croient devoir être prononcées et qui sont en effet muettes. C’est là le défaut qu’un bon système d’orthographe devrait faire disparaître. Sans doute il ne donnerait pas, soit aux étrangers, soit aux provinciaux, la prononciation si délicate et si douce de la bonne compagnie française; mais en conservant soigneusement toutes les lettres caractéristiques de l’étymologie ou des familles des mots et celles qui indiquent leurs relations grammaticales, il écarterait les signes qui ne signifient rien ou signifient le contraire de ce qu’ils devraient indiquer. De là ce double avantage, que la prononciation serait représentée exactement sinon dans ses finesses, au moins dans son ensemble, et que les changements que le temps y introduit sans cesse et qui altèrent la langue malgré nous, seraient sensiblement ralentis une fois qu’on aurait dans les livres imprimés un type partout accepté de la prononciation normale.»

En rendant compte de mon premier écrit sur l’orthographe[232], M. Jullien a résumé les idées qu’il a développées dans ses divers écrits. Voici article par article les points qu’il a touchés:

[232] Revue de l’Instruction publique, 12 et 19 mars 1868, nos 50 et 51.

I. Il déclare en principe qu’il est impossible de figurer exactement la prononciation avec notre alphabet incomplet et que, du reste, il faut respecter l’étymologie.

Je ne crois pas possible de rien changer à notre système alphabétique; il faut se borner à tirer le meilleur parti de ce que nous avons.

387 II. M. Jullien ne partage pas l’avis des néographes d’écrire de la manière suivante les mots pindre, pintre, pinture, astrindre, restrindre, findre[233], etc., à cause des participes présents et leurs dérivés, où le son in se change en ei. Cependant, les partisans de l’écriture étymologique devraient désirer cette modification qui rapprocherait davantage ces mots de leurs primitifs latins. Je crois qu’il n’y aurait pas d’inconvénient d’adopter l’orthographe conforme à la prononciation, d’autant qu’elle s’accorderait avec l’étymologie et les dérivés, comme astriction, astringent, restriction, fiction, fictif, etc. Cette raison me paraît préférable au désir de maintenir la concordance avec quelques formes parfois irrégulières dans leurs terminaisons, comme les adjectifs verbaux comparés aux participes présents et aux temps des verbes. Or, on sait que la permutation des sons se présente assez fréquemment. On écrit faire et je ferai, voir et je verrai, boire et buvons, venir et viendrons, je crois et nous croyons, joindre et jonction[234], et on emploie pour chaque son le signe qui lui est propre: on pourrait donc écrire je pins, et nous peignons, je fins et nous feignons. Du reste, ce n’est qu’une affaire de convention. Si l’on persistait à conserver partout la voyelle e, on devrait la mettre alors dans les adjectifs et les substantifs correspondants et écrire exteinction, astreingent, exteinguible. D’un autre côté, puisqu’on écrit contraindre, craindre, plaindre (il faudrait y ajouter encore enfraindre, venu de frangere), on pourrait aussi régler l’orthographe de ces verbes en substituant partout ain à ein et in et écrire uniformément paindre, painture, astraindre, faindre, joaindre, adjoaindre comme le fait Firmin Le Ver dans son Dictionnaire latin-français, sans aucune exception.

[233] C’est l’orthographe qu’a régulièrement suivie Jacques Dubois (Sylvius).

[234] Pourquoi donc, en vue d’une régularité chimérique, n’écrit-on pas joinction, où l’i resterait muet comme il l’est dans poignard, empoigner, oignon?

III. M. Jullien juge trop sévèrement ma proposition relative à la distinction du g dur d’avec le g devant les voyelles e et i. Il en avait émis une, moins pratique, à mon avis. Il propose de supprimer la boucle supérieure du g romain (g classique) chaque fois que cette consonne doit conserver le son dur. Or, cette boucle est trop peu apparente pour bien distinguer l’une des formes du g, et comme elle se casse facilement sous presse, il en résulterait de fréquentes confusions.

M. Jullien a exprimé le désir de voir étendre l’emploi de la 388 cédille sous le c à tous les cas où cette dernière a le son chuintant, et par conséquent devant les voyelles e, i, y; mais, par une singulière contradiction, il trouve que la présence de l’e muet après le g indique suffisamment que cette consonne s’écarte de la prononciation ordinaire, sans tenir compte que cet e muet joue le même rôle après le c. Pourquoi donc a-t-on préféré d’écrire commençons, au lieu de commenceons, si ce n’est pour simplifier l’orthographe, et, par conséquent, pourquoi ne chercherait-on pas à éliminer le même e euphonique après le g? La cédille ne pouvant pas être appliquée à une lettre à jambage inférieur, il faut recourir à un autre moyen, et je pense que le g italique, proposé par moi dans la première édition de cet ouvrage n’est pas une nouvelle figure, comme le qualifie M. Jullien, et qu’il serait toujours préférable à son g sans boucle. D’ailleurs, pour établir une distinction plus apparente encore, surtout pour le manuscrit, je me range définitivement à l’opinion de de Wailly et je propose le g ordinaire surmonté d’un point, g pointé dont l’aspect rappelle le j.

IV et XVII. Je ne saurais approuver la proposition de M. Jullien de mettre une cédille sous le c dans le digramme ch pour distinguer ainsi le son français du ch, c’est-à-dire le son chuintant dans les mots çheval, çhariot, au lieu de cheval, chariot en opposition aux mots archiépiscopal, chronologie, etc.

Pour remédier à ces irrégularités, j’ai indiqué (p. 35 à 38) un système très-simple, appuyé sur les modifications déjà accomplies. Il consiste à ranger le petit nombre de ces mots les uns dans la série des mots comme caractère, carte, écrits autrefois charactère et charte, les autres dans la série ch, en adoptant pour ce digramme la prononciation française: on continuerait donc à écrire archiépiscopal, mais on le prononcerait comme archidiacre. De cette manière toute difficulté disparaîtrait.

La préoccupation constante de M. Jullien est de conserver l’identité graphique avec le radical à tous les mots de la même famille; c’est pourquoi il trouve qu’il vaudrait mieux écrire monarçhie, monarche, au lieu de monarchie, monarque. Il soutient avec raison que l’écriture concourt à fixer la prononciation, mais il ne faut pas entendre, par ce mot fixer, la consécration d’une prononciation vicieuse qui n’est pas justifiée par les lois de l’euphonie française. Rien ne s’opposerait à prononcer chirographe, archétype, comme on prononce chirurgien, archiduc, d’autant plus que les mots de cette catégorie sont d’un usage restreint, et que quelques-uns 389 d’entre eux sont déjà prononcés à la française. Si, d’un autre côté, le changement de la prononciation était contraire à l’euphonie, comme celle de monarquique au lieu de monarchique, tactiquien au lieu de tacticien, pourquoi alors ne pas conformer l’écriture à la prononciation? Pourquoi, en vue d’une régularité superficielle, compliquer les difficultés inévitables de la lexicographie? Et remarquons encore que cette soi-disant régularité ne pourrait pas s’étendre à toutes les familles de notre langue; elle ne serait donc que partielle. La permutation des consonnes est commune à toutes les langues, et elle est très-logique. Nous prononçons mécanique et mécanicien, car mécaniquien est impossible; devrions-nous pourtant écrire mécaniche pour conserver le c radical? La complète identité du dérivé avec le radical étant souvent impossible dans la prononciation, il ne semble pas rationnel de la désirer dans l’écriture.

V. L’opinion de M. Jullien sur l’emploi du tréma est très-juste, mais seulement pour un nombre restreint de cas, comme dans les mots argüer pour le distinguer de arguer; Guïse en opposition à guise, etc. Quant aux mots équitation, équestre, quiétude en opposition à inquiétude, anguille en opposition à aiguille, c’est leur prononciation plutôt que leur orthographe qui devrait être régularisée, et je crois qu’avec le temps l’usage en fera justice, d’autant que la tendance de prononcer qu comme k et ui comme i se manifeste de plus en plus. La présence du tréma ne serait qu’un obstacle à une régularisation progressive.

Il en est de même pour les noms propres venus de l’hébreu et terminés en am, comme Adam, Abraham, Balaam, etc., dont la finale est, par une singulière bizarrerie, nasale dans Adam et sonore dans Abraham. L’usage en rendra la prononciation uniforme.

VI. M. Jullien propose d’introduire le trait d’union dans les mots de-sus, de-sous, di-syllabe, dys-entérie. Cette opinion, tout en étant logique et conforme à la prononciation, me paraît difficile à être mise en pratique, vu la tendance générale de toutes les langues à réunir en un seul les mots composés, ce qui évite la difficulté de les écrire au pluriel.

VII. La différence qu’il établit dans la prononciation de la diphthongue oi dans je bois et du bois, etc., me paraît trop faible pour nécessiter l’accent dans je boìs et autres mots semblables.

VIII. La substitution de l’accent grave à l’accent circonflexe dans les mots extrème, thème, suprème ne me semble pas indispensable. 390 L’accent circonflexe suffit très-bien à la fonction de marquer les voyelles à la fois longues et toniques.

IX. L’addition d’une apostrophe placée devant l’h quand elle n’est pas aspirée serait une innovation utile, mais il serait préférable de supprimer cette h du moment où elle n’indique aucune aspiration: c’est ainsi que Corneille écrit alte, où nous avons aujourd’hui une forte aspiration, et que le mot aleine, du latin halitus, est écrit dans le manuscrit de Le Ver.

X et XI. Il blâme avec raison les phonographes qui voudraient voir les mots bateau, chapeau, écrits comme zéro, et il fait observer que l’écriture correcte de dessiller et forcené est déciller, forsené (fors ou hors de sens).

XII. M. Jullien pense comme moi que la difficulté de distinguer les désinences en ant et en ent devrait engager à adopter la forme ant pour tous les participes, adjectifs et substantifs verbaux. «C’est, dit-il, un labyrinthe perpétuel où il est impossible de trouver un fil pour se guider.»

XIII. Il voudrait qu’on écrivît tous les pluriels par s et qu’on supprimât les x qui ont usurpé la place de l’s. On écrivait autrefois beautez, dignitez; on écrit aujourd’hui beautés, dignités; il faudrait généraliser ce progrès et écrire heureus, animaus, etc.

XIV. Il préfère l’accent grave à la réduplication des consonnes, et voudrait qu’on écrivît j’appèle, je jète, comme on le fait pour je gèle, j’achète.

Je suis aussi de cet avis, mais bien qu’un certain nombre de mots soient ainsi écrits, et qu’il conviendrait d’en augmenter le nombre jusqu’au moment où tous seront écrits uniformément, cependant ce serait apporter, quant à présent, un trouble trop grand aux habitudes.

XV. Il approuve le retranchement des doubles lettres dans l’intérieur des mots, lorsqu’elles ne sont pas nécessaires pour indiquer la prononciation.

XVI. M. Jullien appuie ma proposition de remplacer les ph et les th par les f et les t. «M. Didot, dit-il, propose d’adopter cette notation qui n’aurait, en effet, aucun inconvénient. Pourquoi ne pas écrire, téorie, téologie, quand on écrit trône, trésor, au lieu de thrône, thrésor? Pourquoi ne pas écrire fysique quand on écrit fantaisie, fantôme? Voltaire dans son Dictionnaire encyclopédique commence son article philosophie par ces mots: «Écrivez filosofie ou philosophie comme il vous plaira.»

391

«Il a bien raison; le français doit avoir son orthographe à lui, indépendante des langues auxquelles il emprunte quelques mots. Il est déraisonnable, si l’on écrit fantôme et fantaisie, par des f, de ne pas écrire de même diafane et Épifanie qui dérivent également de φαίνω... Il ne s’agit pas ici des mots grecs d’où les mots français sont tirés, il s’agit des mots français entre lesquels se trouve l’analogie représentée par la syllabe fan qu’il faut conserver partout la même, puisque c’est elle qui exprime l’idée principale.

«De même si vous écrivez frénétique, frénésie, écrivez frénologie, Eufrosine: mettez, en un mot, partout des ph ou partout des f. Rien n’est plus important pour la régularité des langues et la satisfaction de l’esprit que des règles générales.»

Pour terminer cet article, dont l’étendue permet de mieux apprécier le mérite des travaux de M. Jullien, je transcris un passage important tiré de ses Principales étymologies de la langue française. Il se rapporte à la double formation de nos mots: l’une, originale, nationale; l’autre, imitative, scolastique.

«La raison de l’irrégularité de la plupart de nos racines, c’est que nos mots français ont été tirés du latin selon deux systèmes fort différents. Pour bien comprendre cette difficulté, il faut se rappeler que, quand on prononce des mots isolés, il y a toujours dans ces mots une syllabe prononcée plus fortement que les autres. On dit que cette syllabe porte l’accent, ou qu’elle est accentuée. Chez nous rien de plus simple que la théorie de l’accent: il tombe toujours sur la dernière syllabe sonore du mot; et par conséquent, lorsque la dernière syllabe est muette, il recule sur la pénultième qui devient aussi la dernière sonore. Dans aimé, venir, opportun, les syllabes fortes sont , nir, tun, les dernières du mot, parce qu’elles sont sonores. Dans aimable, atteindre, ils importunent, les syllabes accentués sont ma, tein, tu, pénultièmes dans les mots donnés, parce que les dernières sont muettes.

«La règle latine n’était pas tout à fait aussi simple que chez nous. L’accent portait en général sur la pénultième syllabe, comme dans rosa, lupus; et si cette pénultième était brève, dans les mots de plus de deux syllabes, l’accent reculait sur l’antépénultième: dominus, concipere; do et ci étaient ces syllabes fortes.

«Personne n’ignore que, quand une langue est prononcée, c’est 392 la syllabe accentuée des mots qui est la plus apparente, et celle qui se conserve le mieux dans les divers changements que le mot éprouve. Il s’ensuit que, quand notre ancienne langue s’est formée du latin, c’est-à-dire pendant les dix ou douze premiers siècles de notre ère, c’est l’accent, ou, si on l’aime mieux, c’est la syllabe accentuée qui a joué le principal rôle dans ce passage. Soient, par exemple, les mots latins tabula qui signifie table, fabula qui veut dire fable, templum qui veut dire temple, etc., etc. Si nous lisons ces mots à la française, nous appuyons sur les dernières syllabes, la ou plum; mais les Latins appuyaient sur les premières, ta, fa, tem: celles qui les suivaient ne s’entendaient presque pas, et nous les avons en effet remplacées par des e muets, table, fable, temple.

«La même chose se verra mieux encore sur le verbe dire venu du latin dicere, sur faire venu de facere, et sur mille autres que je pourrais citer ici. On ne reconnaît pas facilement cette dérivation quand on prononce ces mots latins à la française: di-cè-ré, fa-cè-ré. Mais c’est là une prononciation tout à fait fausse. Les Romains appuyaient sur di et sur fa; les deux syllabes suivantes sonnaient très-peu, à peu près comme cre dans sacre, ocre, sucre. Il a donc suffi d’adoucir cette forme cre en re pour avoir les verbes dire et faire, au lieu de dicre et facre; c’est de même que findere nous a donné fendre; legere, lire; solvere, soudre; conficere, confire, etc.

«Tant que le français s’est formé sur le latin par l’usage et la parole, c’est ainsi qu’on a opéré. Les mots étaient prononcés, l’oreille seule en jugeait. La syllabe accentuée dominait tout le reste; et l’écriture n’était à peu près rien, puisque ce n’était pas sur des mots écrits, mais bien sur les mots prononcés que se faisaient les changements.

«Mais à partir du quatorzième siècle, et surtout vers le quinzième et le seizième, les livres intervinrent. Le latin n’était plus parlé du tout: on l’étudiait comme une langue morte sur des textes écrits. La syllabe accentuée, n’étant plus entendue, perdit toute sa supériorité sur les autres, et les lettres qui n’avaient eu que peu de valeur auparavant, en prirent une plus grande qu’on ne l’aurait jamais pensé, c’est-à-dire que l’on tira alors du latin une foule de mots français, où l’on conservait aussi fidèlement que possible l’orthographe latine, bien entendu aux dépens de la prononciation, puisqu’on y déplaçait l’accent et qu’on le portait à la française sur les dernières syllabes des mots où il n’était pas 393 naturellement. Je prends pour exemple le mot, d’ailleurs très-peu usité, adminicule, qui s’est formé du latin adminiculum. On voit qu’en français la syllabe forte est l’avant-dernière cu, tandis que chez les Latins c’était l’antépénultième ni. Si ce mot se fût formé d’après la langue parlée, il eût été adminicle, comme nous avons eu spectacle de spectaculum, obstacle de obstaculum, oracle de oraculum, etc. Comme il s’est formé de la langue écrite, on n’a tenu compte que des lettres, et on nous a donné adminicule. C’est ainsi que exprimere et imprimere qui, par l’accent, nous avaient donné épreindre et empreindre, nous ont, par les lettres, fourni exprimer et imprimer.

«Je ne donne cet exemple que pour montrer comment cette double origine de notre langue a pu augmenter les difficultés qu’il y avait déjà à passer d’un idiome à un autre. On conçoit en effet qu’ainsi le même primitif a pu produire des dérivés différents; que, de plus, des mots admis pendant les premiers siècles ont pu disparaître plus tard et laisser cependant des traces de leur existence première. J’en trouve un exemple frappant dans la famille de concevoir, décevoir, recevoir, etc. Recevoir était autrefois reçoivre, et ce mot était très-bien formé de recipere, qui avait l’accent sur l’i. Reçoivre a disparu, mais le présent je reçois, le prétérit je reçus et le participe reçu se déduisent mieux de la première forme que de la forme allongée recevoir. Voilà donc des conjugaisons tout entières qui, rapportées à leur infinitif actuel, semblent donner la preuve d’une irrégularité, laquelle n’existait pourtant pas dans la première forme du langage.

«N’est-ce pas là un exemple bien remarquable des difficultés que le cours des siècles a successivement ajoutées à l’étude étymologique de notre langue?»

Egger, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Notions élémentaires de grammaire comparée. Paris, Aug. Durand, 1865, sixième édition, in-12.

Ce savant écrit joint au mérite de la clarté celui de la sobriété et donne avec précision l’exposé des faits qui constituent les rapports existant entre la langue grecque, la langue latine et la langue française. Je me bornerai à citer ici ce qui concerne l’orthographie, car M. Egger regrette que ce mot ait été défiguré contre toute analogie par le barbarisme orthographe.

394

«Comme la langue française, formée d’éléments assez divers, n’a pas eu de grammairiens proprement dits avant le XVIe siècle, et que l’orthographe en fut, jusqu’à cette époque, abandonnée à tous les caprices de l’usage, on comprend que cette partie de notre grammaire soit aujourd’hui une des plus irrégulières et en même temps une des plus épineuses à réformer. Plusieurs auteurs ont cherché à rapprocher l’orthographe française de la prononciation, tantôt par des essais partiels, tantôt par des innovations générales et systématiques. Les premières réformes, qui sont les plus modestes, ont eu aussi plus de succès; les autres, pour lesquelles on a inventé le nom de néographie, ou néographisme, ont toujours échoué; elles échoueront toujours contre la force invincible de l’habitude et contre quelque chose de plus respectable encore que l’habitude, je veux dire la tradition même de la langue française et la loi de ses étymologies. Aussi Voltaire a réussi à faire consacrer l’usage de la diphthongue ai pour oi dans les noms, comme français, et dans les verbes, comme avait, pour exprimer le son d’un e ouvert; changement dont, au reste, il n’avait pas eu la première idée. Mais ni Ramus au XVIe siècle, ni Expilly au XVIIe, ni l’abbé Dangeau au XVIIIe, ni Domergue et Marle au XIXe, n’ont réussi à faire admettre leurs systèmes de réforme absolue, et l’on prédira facilement le même échec à tous ceux qui les imiteront.»

M. Egger, lorsqu’il écrivait ce passage, n’avait pas connaissance des transformations successives que les mots ont reçues dans les différentes éditions du Dictionnaire de l’Académie. Il aurait vu que ce qui reste à opérer est peu de chose comparé à ce qui a été fait, et que ce qu’il appelle «la tradition de la langue française et la loi de ses étymologies» est en opposition avec la vraie et nationale tradition de notre vieille langue. Quant à l’adoption d’un système de réforme absolue, j’en suis aussi éloigné que lui, mais pour tout ce qui est conforme à la raison, au génie de notre langue et aux analogies, je suis sûr qu’il partagera mes opinions, qui d’ailleurs sont celles de tant hommes éminents dont j’ai voulu m’appuyer pour donner plus d’autorité à ma faible voix.

395 APPENDICE E.

J’ai cru devoir entrer dans ces détails historiques pour montrer quels sont les points sur lesquels se sont concentrés les efforts tentés pour la rectification de l’orthographe et quels sont ceux qui méritent d’être pris en considération. On a pu voir aussi combien il serait difficile de concilier la réforme dite phonographique avec le système orthographique des langues néo-latines, particulièrement avec notre langue. De cet examen il résulte que notre alphabet, tout incomplet qu’il est, peut, avec de légères modifications, suffire à l’expression de tous les sons de notre langue.

Abréger et simplifier sont des besoins impérieux de notre époque: le système métrique a remplacé l’ancien système, si compliqué et si irrégulier, de même que la numération des Arabes a remplacé la pénible numération des Romains. Déjà même lorsque l’on compare l’orthographe du Dictionnaire de l’Académie de 1694 avec celle d’aujourd’hui, on voit qu’il reste peu de chose à faire pour compléter l’œuvre de 1740.

S’il est regrettable qu’en 1740, l’Académie française ne se soit pas montrée aussi hardie que le furent l’Académie de la Crusca en 1612, l’Académie de Madrid en 1726, et le grand Vocabulario portuguez de Coïmbre en 1712, qui ont rapproché l’orthographe de la prononciation autant qu’il était possible de le faire avec notre alphabet, et que, dans son Dictionnaire, elle se soit arrêtée à moitié chemin, du moins, en ouvrant la voie aux améliorations qu’elle-même y a introduites à chaque nouvelle édition, elle l’a débarrassée des entraves d’un grand nombre de lettres inutiles et d’anomalies qui fatiguent la mémoire, rebutent l’enfance et surchargent la grammaire de règles et d’exceptions.

Toute modification qui ne touche en rien à la langue et 396 ne porte aucune atteinte à nos chefs-d’œuvre, même poétiques, contribuera, bien plus qu’on ne saurait le croire, à maintenir et prolonger la vie de notre idiome, qui n’est que la simplification du latin; par là nos chefs-d’œuvre deviendront de plus en plus accessibles à tous.

Quelques autres petites régularisations de détail, qui ne dérangeraient en rien l’ensemble de notre système orthographique, lui donneraient successivement le degré de perfection désirable.

Je veux cependant aller au-devant de cette objection, tant de fois répétée à propos de toute tentative de réforme, si peu grave qu’elle soit: toucher à notre écriture actuelle, c’est poser une main profane sur les œuvres de nos grands écrivains et les trahir en altérant la forme extérieure qu’ils ont prétendu donner à leurs pensées.

Nos plus grands écrivains ont abandonné la plupart du temps à leurs imprimeurs le soin d’orthographier leurs œuvres, contrairement même à l’écriture de leurs manuscrits; ceux de Bossuet et d’autres en sont la preuve; mais les imprimeurs trouvèrent plus commode d’appliquer à tous uniformément l’orthographe consignée dans les éditions successives du Dictionnaire de l’Académie. Les exemples suivants prouveront que les manuscrits de nos grands auteurs du seizième et du dix-septième siècle sont écrits d’une tout autre manière qu’ils ont été imprimés de nos jours. Il est donc regrettable, sous bien des rapports, qu’on ne se soit pas conformé aux originaux: les réformateurs les plus hardis y trouveraient souvent de nombreux arguments en leur faveur:

Montaigne, dans son manuscrit autographe des Essais conservé à la bibliothèque de Bordeaux, adopte l’orthographe suivante:

«Nous devons la subjection et l’obeissance esgalement à tous roys, car elle regarde leur office; mais l’estimation non plus que 397 l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. Donons à l’ordre politique de les souffrir patiammant indignes, de celer leurs vices, d’aider de notre recomandation leurs actions indifferentes, pendant que leur autorité a besoing de nostre appuy; mais nostre commerce fini, ce n’est pas raison de refuser à la justice et à nostre liberté l’expression de nos vrays ressentimans; et nommeemant de refuser aus bons subjets la gloire d’avoir reverrammant et fidelemant servi un maistre, les imperfections duquel leur estoint si bien conues.

«J’honore le plus ceux que j’honore le moins; et, où mon âme marche d’une grande aleigresse, j’oublie les pas de la contenance.

«A bienveigner, à prandre congé, à remercier, à saluer, à presanter mon service et tels complimants verbeus des lois ceremonieuses de nostre civilité, je ne conois persone si sottement sterile de lengage que moi; et n’ai jamais esté emploié à faire des lettres de faveur et recomandation, que celuy pour qui c’estoit n’aye trouvées seches et lasches.» (Essais, l. I, ch. III, manuscrit de Bordeaux.)

Voir plus haut, p. 206, les indications orthographiques qu’il adresse à son imprimeur.

La Fontaine.

Voici, d’après l’exemplaire que je possède et que je crois unique, la reproduction de la belle et noble supplique adressée au roi par la Fontaine en faveur de Fouquet. Elle contient des variantes non reproduites dans aucune édition.

Cette épître forme trois pages petit in-folio fort bien imprimées en gros caractères italiques. Sur la marge de cet exemplaire est écrit Fouquet[235].

[235] D’après quelques autographes de la Fontaine que je possède, je ne crois pas que ce mot soit écrit de sa main.

Dans cette pièce, antérieure d’une trentaine d’années à l’apparition du premier Dictionnaire de l’Académie, l’orthographe est remarquable, et probablement nous représente celle même de la Fontaine que l’imprimeur (il n’est pas nommé) aura suivie fidèlement.

Mais ce que cette édition princeps offre de plus remarquable, c’est la répétition de la qualification de Grand donnée deux fois à 398 Henri IV et qui a été remplacée dans toutes les éditions par magnanime, épithète faible comparativement à cette réduplication du mot Grand; ce qui me porte à croire que lorsque cette supplique fut lue à Louis XIV, ces vers

Du Grand, du Grand Henry qu’il contemple la vie;
Dès qu’il pût se vanger, il en perdit l’envie:

un froncement de sourcil avertit que Louis le Grand s’en trouvait offensé.

ÉLÉGIE
Remplissés l’Air de cris, et vos Grotes profondes[236],
Pleurés Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes;
Et que l’Anqueüil enflé ravage les trézors
Dont les regars de Flore ont embelly ses bors.
On ne blâmera point vos larmes innocentes;
Vous pouvés donner cours à vos douleurs pressantes;
Chacun atend de vous ce devoir généreux:
Les Destins sont contens, Oronte est malhûreux.
Vous l’avez vû n’aguére au bord de vos Fontaines,
Qui, sans craindre du Sort les faveurs incertaines,
Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des Mortels,
Recevoit des honneurs qu’on ne doit qu’aux Autels.
Hélas qu’il est déchû de ce bon-heur suprême!
Que vous le trouveriés diférent de luy-mesme!
Pour luy les plus beaux jours sont de secondes nuits;
Les soucis dévorans, les regrets, les ennuis,
Hostes infortunés de sa triste demeure,
En des goufres de maux le plongent à toute heure.
Voila le précipice où l’ont enfin jetté
Les atraits enchanteurs de la prospérité!
Dans les palais des Roys cette plainte est commune;
On n’y conoît que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuzes faveurs, ses apas inconstans:
Mais on ne les conoît que quand il n’est plus temps.
Lors-que sur cette Mer on vogue à pleines voiles,
Qu’on croit avoir pour soy les Vens et les Estoiles,
Il est bien mal-aizé de régler ses dézirs;
Le plus Sage s’endort sur la foy des Zéphirs.
Jamais un Favory ne borne sa carière;
Il ne regarde point ce qu’il laisse en arière:
Et tout ce vain amour des Grandeurs et du bruit,
Ne le sçauroit quiter qu’après l’avoir détruit.
399 Tant d’exemples fameux, que l’Histoire en raconte,
Ne sufizoient-ils pas sans la perte d’Oronte?
Hâ si ce faux éclat n’ût point fait ses plaizirs!
Si le séjour de Vaux eut borné ses dézirs!
Qu’il pouvoit doucement laisser couler son âge!
Vous n’avés pas chés-vous ce brillant équipage,
Cette foule de Gens qui s’en vont chaque jour
Salüer à lons flots le Soleil de la Cour:
Mais la faveur du Cièl tous donne en récompence,
Du repos, du loizir, de l’ombre et du silence,
Un tranquile sommeil, d’innocens entretiens,
Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens.
Mais quitons ces pensers, Oronte nous apelle:
Vous, dont il a rendu la demeure si belle,
Nymphes, qui lui devez vos plus charmans apas,
Si le long de vos bors Louys porte ses pas,
Tâchez de l’adoucir, fléchissez son courage;
Il aime ses sujets, il est juste, il est sage;
Du titre de clément rendez-le ambitieux:
C’est par-là que les Roys sont semblables aux Dieux.
Du Grand, du Grand Henry qu’il contemple la vie;
Dés qu’il pût se vanger, il en perdit l’envie:
Inspirés à Louis cette mesme douceur;
La plus belle victoire est de vaincre son Cœur.
Oronte est à prézent un objet de clémence;
S’il a crû les conseils d’une aveugle puissance,
Il est assés puny par son sort rigoureux,
Et c’est étre innocent que d’étre malhûreux[237].

[236] Toutes les éditions portent, «en vos grottes profondes.»

[237] Fouquet fut arrêté en 1661. L’élégie ne parut dans les Recueils publiés par la Fontaine qu’en 1671. Cependant on la trouve imprimée dans le Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes, tant en prose qu’en vers, in-18, Cologne, 1667, t. II, p. 195, sous le titre d’Élégie pour le malheureux Oronte. Mais, ajoute Walckenaer, «il est probable que la Fontaine fit d’abord imprimer cette pièce séparément et sur une feuille volante comme il a fait pour beaucoup d’autres de ses ouvrages.» (Histoire de la vie et des ouvrages de J. de la Fontaine, t. I, p. 100.) Ce que présumait Walckenaer se trouve donc réalisé par la présence de cet exemplaire.

Bossuet, dans son manuscrit des Sermons (t. II, p. 261, Bibl. Imp.), écrit de sa main:

«Sa vangeance nous poursuiura a la vie et a la mort et ny en ce monde ny en l’autre iamais elle ne nous laissera aucun repos. Ainsi n’atandons pas lheure de la mort pour pardonner à nos ennemis, mais plustost pratiquons ce que dit l’apostre, que le soleil 400 ne se couche pas sur vostre colere (ce cœur tandre, ce cœur paternel), l’apostre ne peut comprendre qu’un chrestien, enfant de paix, puisse dormir d’un sommeil tranquille ayant le cœur ulcéré et aigri contre son frère, ni qu’il puisse gouster du repos uoulant du mal a son prochain dont Dieu prend en main la querelle et les interests. Mes frères, le iour decline, le soleil est sur son panchant, lapostre ne nous donne guere de loisir et uous nauez plus guere de tems pour lui obéir; ne differons pas dauantage une œuvre si necessaire, hastons-nous de donner a Dieu nos ressentimens: le iour de la mort sur lequel on reiette toutes les affaires du salut n’en aura que trop de pressées; commancons de bonne heure a nous preparer les graces qui nous seront necessaires en ce dernier iour et en pardonnant sans delai asseurons-nous leternelle misericorde du Père, du Fils et du Saint-Esprit.»

J’ajouterai ici aux exemples cités précédemment p. 54, p. 55 et 73, les caractères suivants de son écriture. Souvent il supprime les doubles lettres; ainsi, dans le début du Sermon de la Pénitence au temps du Jubilé, on lit dans son manuscrit: «Quelle merveilleuse nouvelle nous aprenons aujourd’hui,» et p. 4 et 5, aprenons, et aprendre, p. 92. Il écrit aussi atendre, abatre, atantif, flater, froter. Ailleurs il écrit une tandre éducation, p. 99; il écrit aussi sepulcre sans h, p. 27 des Sermons. Voyez pour son opinion au sujet de l’orthographe, plus haut p. 130 et suiv.

Racine et Boileau.

A Mgr le maréchal de Luxembourg.—Félicitations sur la victoire de Fleurus.

«Au milieu des louanges et des complimens que vous receués de tous costés pour le grand seruice que vous venés de rendre à la France, trouués bon, Monseigneur, qu’on vous remercie aussi du grand bien que vous aués faict à l’Histoire, et du soin que vous prenés de l’enrichir. Personne jusqu’ici n’y a trauaillé avec plus de succez que vous, et la bataille que vous venés de gagner fera sans doute un de ses plus magnifiques ornemens. Jamais il n’y en eut de si propre à estre racontée, et tout s’y rencontre à la fois, la grandeur de la querele, l’animosité des deux partis, l’audace et la multitude des combattans, une résistance de plus de six heures, un carnage horrible, et enfin une déroute entière des 401 ennemis. Jugés donc quel agrément c’est pour des historiens d’avoir de telles choses à escrire, surtout quand ces historiens peuuent esperer d’en apprendre de vostre bouche mesme le detail. C’est de quoi nous osons nous flatter. Mais, laissant là l’Histoire à part, serieusement, Monseigneur, il n’y a point de gens qui soient si veritablement touchés que nous de l’heureuse victoire que vous aués remportée; car, sans conter l’interest general que nous y prenons avec tout le royaume, figurés vous quelle est notre joie d’entendre publier partout que nos affaires sont restablies, toutes les mesures des ennemis rompues, la France, pour ainsi dire, sauuée, et de songer que le heros qui a faict tous ces miracles est ce mesme homme d’un commerce si agréable, qui nous honore de son amitié, et qui nous donna à disner le jour que le Roi lui donna le commandement de ses armées.

«Nous sommes avec un profond respect, Monseigneur,
«Vos très-humbles et très-obéissant serviteurs,

Racine, Despréaux.

«A Paris, 8e de juillet 1690.»

Parmi les notes que j’ai prises en parcourant les manuscrits de Racine déposés à la Bibliothèque impériale, j’ai remarqué ce passage dans sa lettre à l’abbé Levasseur, 1661:

«Je lis des vers, je tasche d’en faire, je lis les avantures de l’Arioste; je ne suis pas moi-même sans avanture..... Mais voilà les massons qui arrivent.»

Et ailleurs, dans sa correspondance avec Boileau:

«Je vas au cabaret deux fois par jour; je commande à des massons.»

Mme de Sévigné.

Dans une de ses lettres à Mme de Grignan, je vois écrits de sa main le mot tandresse quatre fois, et aussi par un a les mots commancement, entandre, contante. Voici cette lettre:

A Angers, mercredy 29 septembre.

«I’arive hier à cinq heures au pont de Se, après auoir veu le matin a Saumur ma niece de Busy, et entandu la messe a la bonne Nostre Dame, ie trouue sur le bort de ce pont vn carosse 402 a six cheuaux qui me parut estre mon fils. Cestoit son carosse et labé Charyer quil a enuoyé me receuoir, parcequil est vn peu malade aux Rochers. Cet abé me fut agreable, il a vne petite impression de Grignan par son pere et par vous auoir veue, qui luy donne un pris au dessus de tout ce qui pouuoit venir audeuant de moy. Il me donna vostre lettre ecritte de Versailles, et ie ne me contraignis point deuant luy de repandre quelques larmes tellement ameres que ie serois etoufée sil auoit falu me contraindre. Ha ma bonne et tres aymable, que le comancement a esté bien vangé. Vous affectes de paroistre vne véritable Dulcinee, ha que vous lestes peu, et que iay veu au travers de la peine que vous prenes a vous contraindre cette mesme douleur et cette mesme tandresse qui nous fit repandre tant de larmes en nous separant. Ha ma bonne, que mon cœur est penetré de vostre amitié, que ien suis bien parfaitement persuadée, et que vous me faches quand, mesme en badinant, vous dittes que ie deurois auoir vne fille come Mlle Daleral et que vous estes imparfaite. Cette Aleral est aymable de me regretter come elle fait, mais ne me souhaittes iamais rien que vous. Vous estes pour moy toutes choses, et iamais on a esté aymee sy parfaitement dvne fille bien aymee que je le suis de vous. Ha quels tresors infinis mauez vous quelquefois cachés, ie vous assure pourtant, ma tres chere bonne, que ie nay iamais douté du fons, mais vous me combles presentemant de toutes ces richesses, et ie nen suis digne que par la tres parfaite tandresse que iay pour vous, qui passe au dela de tout ce que pourois vous en dire. Vous me paroisses asses mal contante de vostre voyage et du dos de M. de Brancas, vous aues trouué bien des portes fermées, vous aues, ce me semble, fort bien fait denvoyer vostre lettre. On mande icy que le voyage de la cour est retardé, peut estre poures vous reuoir M. de Lerme. Enfin Dieu conduira cela come tout le reste. Vous saves bien come ie suis pour ce qui vous touche, ma chere bonne, vous aures soin de me mander la suitte. Ie viens denvoyer la lettre que vous ecriues a mon fils; quelle tandresse vous y faites voir pour moy, quels soins, que ne vous dois ie point, ma chere bonne. Ie consens que vous luy fassies valoir mon depart dans cette saison; mais Dieu scait sy l’impossibilité et la crainte dvn desordre honteux dans mes affaires nen a pas esté la seule raison. Seuigné[238]

[238] Extrait de l’Isographie des hommes célèbres publiée par Delarue, t. IV.

403 La Bruyère.

La Bruyère, parlant des progrès de la langue, remarque «que depuis vingt ans que l’on écrit régulièrement, on a secoué le joug du latinisme et réduit le style à la phrase purement française....., et qu’on a mis enfin dans le discours tout l’ordre et toute la netteté dont il est capable, ce qui conduit insensiblement à y mettre de l’esprit.»

Sans être novateur en fait d’orthographe La Bruyère cependant donna l’exemple de quelques améliorations, contrairement au Dictionnaire de l’Académie qui venait de paraître quand il publia sa dernière édition (la huitième, en 1694).

Comme Corneille, Fénelon, Bossuet, il écrit donc toujours vanger[239], avanture, avanturier, restraindre; il écrit soupante, paranthèse, paitrie (ame paitrie de boue).

[239] Cependant il écrit vengeance. «C’est par faiblesse que l’on hait un ennemi et que l’on songe à s’en vanger et c’est par elle que l’on s’appaise et que l’on ne se venge point.» (P. 179.)

Peut-être la Bruyère aurait-il désiré simplifier l’orthographe des participes; car je trouve dans toutes ses éditions ce passage ainsi écrit: «Il leur envoya tous les éloges qu’il n’a pas cherché par le travail et par ses veilles.» (P. 79.)

Conformément à l’orthographe du temps il écrit je sçay, sçû, vuide, prosneur, nous sommes seurs (sûrs), beautez, loüez, extremitez, les mieux flattez, les mieux entourez et les mieux caressez, convents (et non couvents), bien-seance, la vûë, fauteüil.

Il supprime la double lettre dans sifler, aranger, flater, échaper, regreter, chaufer.

Il supprime l’y dans stile, peristille, hiperbole, patetique, tim, onix, phisionomie, synonime. Mais il en met à parmy, employ, ennemy, pourquoy, luy, soy, celuy, aujourdhuy, etc.

Il emploie le z dans magazin, carrouzel, embrazement, cizelé.

Il écrit avec raison un homme pratic, un homme fidele, une femme fidelle, et comme Racine prétension et masson. Il écrit avec la double consonne les mots terminés par e muet, duppe, secrette, platte, diette.

Comme ce système d’orthographe se reproduit dans toutes les éditions qu’il a publiées et qu’il revoyait avec le plus grand soin, on doit admettre que ces mots ainsi écrits l’ont été par sa volonté.

404 Voltaire, dans sa Correspondance (1752-55), a employé une orthographe qui varie souvent, mais qui prouve son désir de voir prédominer une orthographe plus simple, conformément aux opinions de ses prédécesseurs, Dangeau, d’Olivet, Duclos, Beauzée, de Wailly et autres académiciens, et conformément aux tendances des collaborateurs de l’Encyclopédie, d’Alembert et Diderot.

Dans les lettres inédites de Voltaire publiées par M. Hénin en 1825 et par M. Th. Foisset en 1836, son orthographe est figurée conformément à ses manuscrits. Les variations, les erreurs mêmes prouvent combien son esprit supérieur attachait peu d’importance à ces règles fastidieuses et incohérentes qui fatiguent l’attention et la mémoire et qui arrêtent la plume au détriment de la pensée, entravée sans cesse dans sa liberté et sa rapidité. Ainsi lorsqu’on lui voit écrire (Lettres au Président de Brosse et au Président Ruffey) dix fois chatAU et sept fois chatEAU, d’autres fois teatre et theatre, parentese, autentique, il sait bien d’où dérivent ces mots et qu’ils sont écrits en grec avec θ; mais soit désir d’abréger le temps qui arrête sa plume, soit de simplifier l’écriture, il supprime les h inutiles: bien plus, si deux fois le mot hippotequés et celui d’hippotèse s’offrent dans ses lettres[240], il sait fort bien que leurs radicaux sont ὑπό et τίθημι, mais, préoccupé qu’il est de son idée, la réflexion lui fait défaut et il commet deux barbarismes qui l’eussent fait exclure de tout concours littéraire et empêché même de devenir instituteur primaire. Qu’importe après tout? le temps perdu à de telles minuties l’eût été aussi pour la postérité. Si, mieux inspiré, il eût écrit ipotequés et ipotèse, il n’eût pas hésité et il eût économisé quatre lettres. Ne sommes-nous pas arrêtés aussi quand il nous faut écrire Hippolyte, hyperbole, hippiatrique, hypogée, esthétique, apathique, etc.?

[240] Lettre à M. Liebault, 12 novembre 1761. Lettre à M. de La Marche, 18 décembre 1762. Si l’on trouve prophane dans une lettre sans date adressée à M. Ruffey, c’est par la même inadvertance causée par l’irréflexion: il sait bien que ce mot provient de la préfixe pro pour pros et de fanum, le temple.

Il écrit sans exception avantures, bien qu’il sache, comme Fénelon et Racine, que le mot dérive d’advenire, mais tous l’ont ainsi écrit. Les doubles lettres, il les supprime dans sotise, reconu, chaufer, 405 efrayer, raporter, nourir, aprobation, acorder, suplier, embelissement, échaper, afaire, il poura, il a falu; il écrit même quelquefois le tems. Il supprime l’y dans sindic, sindicat, enciclopedie, stile, et de même qu’il écrit chatau, il écrit potau, tonnau[241], fardau. Le z remplace aussi le s dans mazure, écrazer, lézé, lézine, scandalizé, eau roze, aprez, procez, délabréz, etc. Enfin, on remarque souvent le mot masson, celui de sausse et le mot érecsion ainsi écrits.

[241] Quatre fois tonnau et une fois tonneau.

Voici la transcription exacte de quatre de ses lettres à d’Alembert, toutes d’après les originaux que je possède; la dernière est inédite:

«A Potsdam, 5 septembre 1752.

«Vraiment, monsieur, c’est a vous a dire, «je rendray grace au ciel et resterai dans Rome.» Quand je parle de rendre grace au ciel, ce n’est pas du bien qu’on vous a fait dans votre patrie, mais de celuy que vous luy faittes. Vous et Mr Didrot vous faites un ouvrage qui sera la gloire de la France, et la honte de ceux qui vous ont traversez. Paris abonde de barbouilleurs de papier. Mais de philosophes éloquents je ne connais que vous et luy. Il est vrai qu’un tel ouvrage devait être fait loin des sots et des fanatiques sous les yeux d’un roy aussi philosofe que vous. Mais les secours manquent icy totalement. Il y a prodigieusement de bayonetes et fort peu de livres. Le roy a fort embelli Sparte, mais il n’a transporté Athene que dans son cabinet, et il faut avouer que ce n’est qu’a Paris que vous pouvez achever cette grande entreprise: j’ay assez bonne opinion du ministere pour esperer que vous ne serez pas reduit a ne trouver que dans vous même la recompense dun travail si utile. Jay le bonheur d’avoir chez moy monsieur labbé de Prades, et jespere que le Roy a son retour de la Silesie luy aportera les provisions d’un bon benefice. Il ne s’attendait pas que sa tèse dut le faire vivre du bien de l’eglise, quand elle luy attirait de si violentes persecutions. Vous voyez que cette eglise est comme la lance d’Achille qui guérissait les blessures qu’elle avait faittes. Heureusement les benefices ne sont point en Silesie a la nomination de Boyer ny de Couturier. Je ne scai pas si labbé de Prade est heretique, mais il me parait honnete homme, aimable et guai. Comme je suis toujours tres malade, il poura bien 406 mexhorter a mon agonie, il l’eguaiera et ne me demandera point de billet de confession. Adieu, monsieur, s’il y a peu de Socrates en France, il y a trop d’Anitus et trop de Melitus, et surtout trop de sots, mais je veux faire comme Dieu qui pardonait à Sodome en faveur de cinq justes. Je vous embrasse de tout mon cœur.»

V.

Aux Délices, 18 avril.

«Ce ne sont pas aujourdui des liturgies que je vous envoie, mon cher philosofe, ce sont trois brochures de la relligion vangée, comme elle doit l’être par Bertier et consorts. Je vous prie instament de vouloir bien faire rendre à Briasson ce libelle dont je n’ay a me reprocher que d’auoir lu la première page.

«Vos articles de l’Enciclopedie seront l’ecole de la posterité. Tout ce qui est de philosofie nouvelle dans ce dictionaire est admirable, du moins tout ce que jen ai lu.»V.

Au Chene, par Lausane, 1er septembre.

«Manne me parait assez bon quoy qu’un peu rabiniste. Je crois que les philosofes et les curieux pouront etre contants de l’article. Cependant un bon apoticaire en eut dit davantage, et aurait demontré apoticairement la superiorité de manne grasse sur manne maigre.

«Mon tres-cher philosofe, je suis fort faché d’être à Lausane au milieu des platras quand votre teologal est à Geneve. On dit que vous pouriez bien revoir le lac cet hiver, vous savez si je le souhaitte; nous vous donnerions la comédie à Lausane. Amenes M. Didrot et nous luy jouerons son Fils naturel.

«Pouriez-vous, si jamais vous aviez du temps, me dire si vous voiez Mme du Deffant, pouriez-vous luy dire que je pense toujourz a elle quoyque je ne luy écrive point? Pouriez-vous faire mes compliments au P. Henaut?»

Interim vale. V.

Aux Délices, 15 décembre (1756-60).

«Mon cher maitre, vous ne m’avez point acusé la reception de mon petit tribut. Je ne reçois ny mon article Histoire, ny ordre de vous. J’ay peur davoir parlé trop librement des Femmes, mais la franchise doit plaire aux philosofes. J’ay encor peur de ne vous 407 avoir envoyé que des sottises. Une autre peur, c’est de traitter fort mal Idées. Il y a grande aparence que l’un de vous deux s’est chargé de cet article important ou que M. labbé de Condillac le fera.

«J’ay oublié de vous dire que je ne pouvais traitter l’article de littérature grecque: 1ment parceque je scais tres peu de grec, 2ment parceque je suis sans livres grecs, 3ment parceque je suis ignorant surtout en cette partie.

«Employez moy a boucher des trous, a faire les articles dont vos amis de Paris se seront dispensez, et qui pouront être de ma compétence. Je suis a vos ordres. Mme Denis vous fait mille compliments. Nous souhaittons, mon cher philosofe, que toutes vos pensions soient toujours payées. Souvenez vous des deux hermites qui vous aiment.»

V.

Parmi les autres lettres de la correspondance de Voltaire avec d’Alembert, dont je possède les autographes, je remarque ces mots écrits ainsi:

[242] On voit par cet exemple que le mot avanture, ainsi écrit et imprimé dans les œuvres de Corneille, de Fénelon, de la Bruyère, de Racine et autres, était encore ainsi écrit avec a au temps de Voltaire; et en effet, si l’on voulait se conformer à l’étymologie on devrait aussi écrire aventage qui dérive également d’advenire.

408 Je n’ai cru devoir citer ici que l’orthographe personnelle d’un petit nombre de nos auteurs classiques les plus éminents; mais j’ai pu m’assurer que l’écriture de la majorité des écrivains distingués du dix-septième et du dix-huitième siècle est non moins hétérodoxe au point de vue académique.

Si nous ne possédons aucun autographe de Molière pour nous édifier en ce qui le concerne, on peut croire qu’il partageait le sentiment si spirituellement exprimé par Henriette dans les Femmes savantes.

On voit, en effet, par la correspondance de Mme de Sévigné que les femmes les plus spirituelles et les plus élégantes de cette époque ne se piquaient nullement de purisme orthographique. Leur négligence, sous ce rapport, semblait une grâce de plus.

APPENDICE F.
DES MOTS COMPOSÉS.

J’ai signalé rapidement, dans mes Observations sur l’orthographe française, page 58, le mode de composition des mots susceptibles d’union adopté par les Grecs et les Latins, et les régularisations qu’on pourrait opérer, dès à présent, dans notre système de figuration de ce genre de locutions. Je crois devoir revenir ici sur ce sujet pour exposer les différentes théories des grammairiens sur la matière, et, d’abord, les principes mis en usage par les étrangers dans les autres langues.

Tandis qu’en France l’orthographe des mots composés avec ou sans trait d’union réclamerait presque une étude de plusieurs années, elle est d’une simplicité merveilleuse et souvent d’un emploi très-ingénieux dans toutes les langues de l’Europe.

Les Italiens et les Espagnols ne connaissent l’emploi du trait d’union que dans le troisième cas ci-dessous des Allemands. Ainsi les Italiens écrivent: Dizionario italiano-francese; politico-sociale; mais ils emploient la séparation, ou plus souvent l’agglutination, dans tous les autres cas: après-soupée, il dopocena; après-demain, posdomani; contre-poids, contrappeso; arc-en-ciel, arcobaleno, etc. En espagnol, on emploie les mêmes procédés: Diccionario frances-español; un entr’acte, entreacto; un 409 bas-relief, bajo relieve; un arc-en-ciel, arco íris; un porte-drapeau, portaestandarte, etc. Donc, dans ces deux langues néo-latines, point de difficulté orthographique.

En ALLEMAND: 1er cas. Sprachkunst, art du langage, grammaire; Sprachlehre, étude du langage, grammaire; Springzeit, le temps de l’accouplement des bêtes.

Ainsi, deux substantifs joints, sans tiret: point de difficulté pour le pluriel.

De même, s’il y a trois mots: Sprachwissenschaft, mot à mot, création de la connaissance des langues, la philologie.

2e cas. Haus- und Familien-Lexikon, dictionnaire de la maison et de la famille. Le trait d’union après Haus tient lieu du mot Lexikon et en épargne le double emploi, en dispensant également de l’article.

3e cas. Theoretisch-praktische Grammatik, grammaire théorique et pratique. Les deux adjectifs sont unis pour éviter l’emploi de la conjonction und, et le premier demeure invariable.

Le HOLLANDAIS s’est modelé sur l’allemand.

Le POLONAIS écrit: Grammatyka teoretyczno-praktyczna, grammaire théorique et pratique. Kolor perlowo-szary, couleur gris-perle. Le premier composant est un mot invariable.

Le RUSSE: Русско-французкая Грамматика, grammaire russe-française. Магазинъ-вахтеръ, un garde-magasin; Магазинъ-вахтеры, des gardes-magasin: le premier composant est toujours invariable; donc, pas de difficulté.

L’ANGLAIS possède le trait d’union, dont il fait un emploi aussi simple qu’ingénieux:

North-wind, vent du Nord; herring-woman, femme au hareng, harengère; eye-service, service qu’on rend sous les yeux du maître; jew-like, mot à mot, à la manière juive; Jews-ears, oreille de Judas. L’invariabilité du premier mot ne permet jamais d’embarras pour l’orthographe du pluriel.

En résumé: aucune hésitation pour l’emploi du trait d’union et l’orthographe des mots composés dans les diverses langues de l’Europe.

Nous sommes moins heureux en FRANÇAIS:

Au lieu de la simplicité des procédés de composition de l’ancien 410 français qui agglutinait les mots, en les fondant au besoin, ou les laissait séparés, mais ne connaissait pas le trait d’union, voici DIX règles, accompagnées d’exceptions, règles sur lesquelles on n’est pas d’accord, et dont quelques-unes contredisent l’orthographe académique. Je les extrais de la Grammaire générale de la langue française de M. Poitevin, tome Ier, p. 74 et suivantes.

Tout cela est fort ingénieux et très-bien dit; mais, je le demande aux hommes pratiques, aux instituteurs de la jeunesse, lorsqu’on dictera une phrase dans laquelle se présente un de ces singuliers à accord controversé, un de ces pluriels si épineux, accordera-t-on à l’élève dix minutes de réflexion, et doit-on surcharger sa mémoire d’aussi puériles minuties? D’ailleurs, ce trait d’union, si multiplié dans nos dictionnaires et cause de tant d’embarras pour le pluriel, est-il aussi utile que nos grammairiens semblent le croire? Dans le discours parlé, on n’en tient jamais compte, et personne, sans doute, ne s’est aperçu qu’il en résultât la moindre obscurité.

M. Léger Noël, dans l’ouvrage dont nous avons parlé, p. 187, a 412 émis sur l’emploi du trait d’union des idées toutes différentes de celles de nos grammairiens. En voici l’analyse:

«Il faut bien distinguer, dit-il, p. 184, les noms composés, c’est-à-dire les noms qui, quoique formés de plusieurs mots, ne désignent pourtant qu’un seul objet, comme arc-en-ciel, cul-de-sac, qui équivalent à iris, impasse, d’avec certaines locutions analogues, certains assemblages de mots qui gardent chacun leur sens direct et présentent à l’esprit deux idées successives, comme robe de chambre, billet de logement, billet d’hôpital, aide de camp, maréchal de camp, garde du corps, pied de mouton, ver à soie, etc.

«Le trait d’union n’est ainsi nommé que parce qu’il sert à marquer l’union des parties intégrantes d’un nom composé, lorsqu’elles sont de nature à ne pouvoir être mises en contact immédiat. Or, partout où il n’y a pas fusion complète des parties, le trait d’union est plus qu’inutile, il est nuisible.

«Des locutions telles que: barbe-de-bouc, dent-de-loup, etc., lorsqu’elles sont détournées de leur signification directe, et appliquées, par analogie, à certaines plantes, à certains instruments, etc., sont des noms composés, ne présentant qu’une idée unique sous plusieurs mots, et prennent en conséquence le trait d’union. Il ne s’agit ici, en effet, ni de barbe, ni de bouc, ni de dent, ni de loup; il ne s’agit que de la plante appelée autrement salsifis sauvage, et d’une espèce de cheville de fer qui a quelque analogie avec une dent de loup. Dans le sens direct et propre, on voit qu’il faut écrire sans trait d’union.

«D’après ce principe, l’Académie a tort d’écrire eau-de-vie, esprit-de-vin, belle-de-jour, écuelle-d’eau, coq-des-jardins, etc.[243]. En effet, quelle différence y a-t-il, au point de vue de la grammaire, entre eau-de-vie et eau de rose, eau de Cologne, eau de senteur? entre esprit-de-vin et esprit de soufre, esprit de sel, esprit de vitriol? Si vous ne considérez eau-de-vie que comme un seul mot, si vous y attachez un autre sens que celui d’une eau, d’une liqueur qui donne de la vie, c’est-à-dire qui excite les esprits vitaux, qui ranime, alors pourquoi, dans la formation du pluriel, en isolez-vous les termes? Pourquoi n’écrivez-vous pas des eau-de-vies, sans égard au sens particulier de chaque mot?

[243] Je ne partage pas sur ce point l’avis de M. L. Noel. Tous ces composés, étant détournés de leur sens naturel et direct, doivent, selon moi, garder le trait d’union, ou mieux être agglutinés en un seul mot. Voyez mon observation à ce sujet, p. 415.

«Les mots de vie, de vin, dans eau-de-vie, esprit-de-vin, comme de senteur, de soufre, dans eau de senteur, esprit de soufre, ne sont 413 pas autre chose que le complément déterminatif des mots eau et esprit. Ces locutions ne sont donc pas plus des noms composés que cul d’artichaut, ciel de lit, bouton d’or, arc de triomphe, etc., parce que chacun des termes qui les composent est employé, sinon dans le sens propre, au moins dans un sens naturel et direct.

«Écrivez donc sans trait d’union tout assemblage de mots naturellement construits, qui ne s’absorbent pas complètement l’un dans l’autre, de manière à n’en faire absolument qu’un; qui ne présentent pas dans leur ensemble un sens tout autre que celui qui paraît devoir résulter de leurs divers sens particuliers.

«Mais, si les expressions sont détournées de leur sens naturel, de leur sens direct; si le verbe, si l’adverbe est pris substantivement; si les adjectifs ne se rapportent plus que d’une manière indirecte au substantif qui les accompagne; surtout s’il y a renversement, transposition forcée, contraction, etc., alors, à défaut d’une intimité plus grande entre les parties, le trait d’union est indispensable. Exemples: un haut-le-pied, un pied-plat[244], un tout-ou-rien, etc.

[244] On devrait écrire piéplat, comme on écrit piédestal au lieu de pied d’estal.

«Dans le cas où la réunion des composant semble indiquée, il ne faut pas oublier que les consonnes ont entre elles plus ou moins d’affinité et qu’elles ne s’accolent pas indistinctement l’une à l’autre; qu’il n’est pas dans la nature des organes de la parole de pouvoir prononcer rapidement une faible avec une forte, comme d, par exemple, avec t, b avec p. Toute consonne immédiatement précédée d’une autre consonne la veut du même degré qu’elle: acquérir, apside, somptueux, etc. De là la nécessité du trait d’union, dans certains noms composés, pour tenir à distance respectueuse certaines consonnes antipathiques.

«Pourquoi l’Académie écrit-elle en un seul mot sangsue, hautbois, longtemps, contrairement à tous les principes? puisque alors il faudrait prononcer sankeçu, hautebois, lonketan, attendu que toutes les consonnes se prononcent dans le corps des mots (Acad.). La simplification de ces mots ne pourrait s’opérer qu’en supprimant la consonne finale du premier mot composant, ainsi qu’il suit: sansue, lontemps, haubois, etc.; ce qui est du reste tout à fait 414 conforme au génie de notre langue, comme le prouvent les simplifications suivantes, tout à fait analogues: voici, soutenir, soulever, souligner, soumettre, soupeser, soutirer, souterrain, soucoupe, béjaune, chafouin, puîné, etc.

«Mais il faut éviter avec le plus grand soin de mettre en contact les parties intégrantes d’un nom composé, quand on prévoit que de leur choc il pourra résulter quelque perturbation sensible dans le système de la prononciation ou de l’orthographe, déjà compliqué d’assez de difficultés. N’écrivez donc pas bouteselle, entresol, tournesol, havresac, contreseing, parasol[245], etc., parce qu’on serait induit à prononcer le s, entre deux voyelles, comme z, et que d’ailleurs il est impossible de doubler le s sans rendre fermé l’é final du premier mot, lequel nécessairement doit rester muet.

[245] Dans ces mots, la lettre s conserve toujours son véritable son. On ne saurait écrire autrement parasol, qui ne peut être divisé en deux mots, l’un grec, l’autre français; et l’on doit écrire de même entresol, sousol.

«Quand, des deux mots composants, le premier finit par un e muet et que le second commence par une voyelle, le rapprochement ne peut avoir lieu, à cause de l’élision nécessaire de l’e muet, qui de porte, par exemple, ferait port, et changerait ainsi la physionomie propre du nom entier, de manière à le rendre méconnaissable. Il faut donc écrire morte-eau, porte-aiguille, etc.

«Mais, chaque fois que rien ne s’oppose au rapprochement des parties intégrantes d’un nom composé, rien de mieux que d’opérer ce rapprochement, comme l’a fait l’Académie dans hochequeue, hochepot, tournebride, tournebroche, entremets, entretaille, entrelacer, entremêler, porteballe, portecollet, portecrayon, portefeuille, portemanteau, parterre, atout, trictrac, flonflon, etc. Pourquoi donc écrit-elle encore: chausse-pied, couvre-pied, couvre-chef, chausse-trape, coupe-cul, coupe-gorge, entre-luire, entre-ligne, entre-nœud, passe-droit, passe-port, porte-voix, à-compte, cric-crac, etc., mots parfaitement analogues aux premiers?»

J’ai encore présente à mon souvenir la discussion qui eut lieu en 1825 au sujet de l’orthographe qu’il conviendrait d’adopter dans le Dictionnaire de l’Académie pour les mots 415 composés. On reconnaissait que les mots au nombre de deux, de trois et même de quatre, dont l’ensemble ne représente qu’un seul objet, qu’une seule idée, ne devaient pas être laissés écrits séparés les uns des autres, puisque le sens de chaque mot, pris isolément, offrait une idée tout autre que celle qu’exprimait leur ensemble. Les grouper en un seul aurait fait cesser cet inconvénient; mais quoiqu’en eût déjà l’exemple de plusieurs mots composés ainsi agglutinés, on crut devoir se borner à les réunir par un tiret plutôt que de les laisser séparés. C’était un acheminement pour n’en faire plus tard qu’un seul mot, système que je crois le meilleur. Il est, en effet, le plus logique, et l’Académie, dans ses diverses éditions, paraît avoir voulu s’y conformer.

Je donne ici, d’après le Dictionnaire de l’Académie, la liste générale des mots, avec ou sans trait d’union, qui jouent le rôle de mots composés ou qui méritent véritablement cette dénomination. On jugera des difficultés qu’offre cette question si compliquée, par l’examen des contradictions qui ressortent de la comparaison des cas analogues. Il semble, en y réfléchissant, qu’il soit impossible de sortir d’un pareil dédale, sans avoir préalablement ramené la théorie de la composition des mots à des principes simples tirés des lois mêmes qui ont présidé à la formation de notre langue.

La première colonne de ces tableaux se compose du singulier des noms composés ou pseudo-composés. Les mots marqués d’un astérisque ne figurent pas au Dictionnaire de l’Académie. D’après les lexiques récents, on aurait pu facilement en doubler le nombre.

La seconde colonne contient les pluriels sur lesquels l’Académie s’est prononcée dans sa dernière édition de 1835.

La troisième colonne renferme les pluriels donnés par M. Poitevin dans sa Grammaire générale, édition de 1856, tome Ier, p. 80. Je les ai marqués du signe P. Ceux donnés par M. Littré, dans son grand Dictionnaire historique en cours de 416 publication, sont marqués de l’abréviation L. Enfin ceux que j’ai fait suivre de la lettre H. sont tirés du Code orthographique de M. Albert Hétrel, qui a fait de cette question une recherche approfondie.

La date 1659, que j’ai fait figurer dans quelques cas, se réfère au Dictionnaire français-italien, de Nath. Duez, imprimé à Leyde, chez Jean Elsevier, cette même année, ouvrage exécuté avec beaucoup de soin et qui représente fidèlement l’état de l’orthographe française avant que l’Académie se saisît de cette question.

La quatrième colonne contient les rectifications qu’on pourrait, peut-être, introduire dès à présent et quelques remarques historiques.


417 LISTE GÉNÉRALE
DES
MOTS COMPOSÉS OU PSEUDO-COMPOSÉS
ADMIS AU DICTIONNAIRE DE L’ACADÉMIE.

Les mots marqués d’un * ne figurent pas au Dictionnaire de l’Académie. Le ? indique les mots inutiles.


A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES ET OBSERVATIONS.
abandon     écrit autrefois à bandon.
*abat-faim (un)   abat-faim (des), P.  
*abat-foin (un)   abat-foin (des), P.  
abat-jour (un) abat-jour (des)    
abat-vent (un) abat-vent (des)    
abat-voix (un)   abat-voix (des), P.  
à-compte (un) à-compte (des)   acompte, L.
à-coup (un) à-coup (des)   acoup
acquit-à-caution (un)   acquits-à-caution (des) acquit à caution.
acquit-patent   acquits-patents  
adjudant général (un) adjudants généraux (des)    
adjudant-major (un)   adjudants-majors (des), L.  
adjudant s.-officier (un)   adjudants s.-officiers (des)  
agnus-castus (un)   agnus-castus (des) agnus castus
aide-chirurgien (un)   aides-chirurgien (des) aide-chirurgiens (des)
aide de camp (un) aides de camp (des) aides-de-camp (des), P.  
aide-maçon (un)   aides-maçon (des), aide-maçons (des)
aide-major (un) aides-majors (des)    
aigre-doux, ouce aigres-doux, ouces   aigredoux, aigredouces
aigrefin (un) aigrefins (des)    
aigue-marine (une), pierre   aigues-marines (des), P. aigue marine
alentour (d’) alentours (les)    
amour-propre (l’) amours-propres (les)    
*annonce-omnibus (une)   annonces-omnibus (des)  
antechrist (un)   antechrists (des) antichrist
Anti-Liban (l’)      
antipape antipapes (des)    
*Anti-Taurus (l’)      
[418] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
arrache-pied (d’)     arrachepied (d’)
arrête-bœuf (un)   arrête-bœuf (des), H. arrêtebœuf
arrière-ban (l’)   arrière-ban (les), P. arrière-bans, au pluriel, L.
arrière-bec (un)   arrière-becs (des), L.  
arrière bouche (une)   arrière-bouches (des), L.H. arrière-bouche (des)
arrière-boutique (une)   arrière-boutiques (des), P.  
arrière-corps (un)   arrière-corps (des), P.  
arrière-cour (une)   arrière-cours (des), L.  
arrière-faix (un)   arrière-faix (des), L.  
arrière-fief (un) arrière-fiefs (des)    
arrière-garant (un)   arrière-garants (des), L.  
arrière-garde (une)   arrière-gardes (des), P.  
arrière-goût (un)   arrière-goûts (des), P.  
arrière-ligne (une)   arrière-lignes (des), P.  
arrière-main (un et une)   arrière-mains (des), P.  
arrière-neveu (un) arrière-neveux (des)    
arrière-pensée (une) arrière-pensées (des)    
arrière-petit-fils (un)   arrière-petits-fils (des), P.  
arrière-point (un) arrière-points (des)    
arrière-saison (une)   arrière-saisons (des), P.  
arrière-train (l’)   arrière-trains (des)  
arrière-vassal (un)   arrière-vassaux (des), P.  
arrière-voussure (une)   arrière-voussures (des)  
atout (un) atouts (des)    
attrape-lourdaud (un)   attrape-lourdaud (des)  
attrape-mouche (un)   attrape-mouche (des)  
attrape-nigaud (un)   attrape-nigaud (des), H.  
au deçà     audeça
au dedans     audedans
au dehors     audehors
au delà     audelà
au-dessous     audessous
au-dessus     audessus
au-devant     audevant
aujourd’hui      
auparavant      
auprès      
auto-da-fé (un) auto-da-fé (des)   autodafé
autrefois      
autre fois (une) autres fois (les)    
auvent (un) auvents (des)    
avant-bec (un)   avant-becs (des), P.  
avant-bras (un)   avant-bras (les), P.  
avant-corps (un)   avant-corps (les), P.  
avant-cour (une) avant-cours (les)    
avant-coureur (un), rrière avant-coureurs (les), rrières   avant-courière
avant-dernier, ière   av.-derniers, ières, P.  
*avant-duc (un)   avant-ducs (des), P.  
avant faire droit (un)   avant-faire-droit (des), P. avant-faire-droit (un)
*avant-fosse (une)   avant-fosses (des), P.  
avant-garde (une) avant-gardes (des)    
[419] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
avant-goût (un) avant-goûts (des)    
avant-hier      
avant-main (un)   avant-mains (des), P.  
avant-mur (un)   avant-murs (des), P.  
avant-pêche (une) avant-pêches (des)    
*avant-pied (l’)   avant-pieds (les), P.  
avant-port (un)   avant-ports (des), L.  
avant-poste (un) avant-postes (des)    
avant-propos (un)   avant-propos (des), P.  
avant-quart (un)   avant-quarts (des), P.  
avant-scène (une)   avant-scènes (des), P.  
avant-toit (un)   avant-toits (des), P.  
avant-train (un)   avant-trains (des), P.  
avant-veille (une)   avant-veilles (des), P.  
à vau-l’eau     avauleau, à cause de aval et amont.
Avé Maria (un) Avé Maria (des)    
à verse     Il pleut à verse.
aveugle-né, née   aveugles-nés, ées (des), L. pl. aveugle-nés, comme mort-nés, nouveau-nés
ayant cause (un) ayants cause (des)    
ayant droit (un) ayants droit (des)    
bâbord (à)      
bain-marie (un)   bains-marie (des), P. L. H. bainmarie
baisemain (le) baisemains (des), m. et fém.    
banvin (le) banvins (les)    
barbe-de-bouc, plante   barbes-de-bouc (des), P. Comme l’Acad. En 1659, barbe de bouc.
barbe-de-capucin, plante   barbes-de-capucin (des), P.  
barbe-de-chèvre, plante   barbes-de-chèvre (des), P.  
barbe-de-Jupiter, plante   barbes-de-Jupiter (des)  
barbe-de-moine, plante   barbes-de-moine (des), P.  
barbe-de-renard, plante   barbes-de-renard (des), P.  
bas bleu (un) bas bleus (des)    
bas Breton bas Bretons (des)    
bas-dessus (un)   bas-dessus (des)  
Bas-Empire (le)     Pas de pl.
bas-fond (un) bas-fonds (des)    
bas officier (un) bas officiers (des)    
bas-relief (un) bas-reliefs (des)    
basse-contre (une)   basses-contre (des), P. bassecontre
basse-cour (une)   basse-cours (des), P. bassecour
basse-fosse (une) basses-fosses (des)   bassefosse
basse lisse   basses-lisses (des), P. L. basselisse
  Basses-Alpes (départ. des)    
basse-taille (une)   basses-tailles (des), P. L. bassetaille
*basseterre (une)   basses terres (des) M. P. écrit basse-terre.
*basse voile (une)   basses voiles (des) basse voile. MM. L. et P. écrivent basse-voile.
bas-ventre (le)   bas-ventre (des), P. Pl. bas-ventres.
bateau-porte (un)   bateaux-portes (des), H.  
bateau-poste (un)   bateaux-poste (des) Voir timbres-poste.
[420] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
battant-l’œil (un)?   battant-l’œil (des), L. battanlœil
beau-dire (être sur son)      
beau-fils (le) beaux-fils (des)   beaufils
beau-frère (un) beaux-frères (des)   beaufrère
beau-père (un) beaux-pères (des)   beaupère
beaupré (le) beauprés (les)    
  beaux-arts (les)    
bec-de-cane (un), instr.   becs-de-cane (des), P.  
bec-à-corbin (un), instr.   becs-à-corbin (des)  
bec-de-corbin (un) becs-de-corbin (des)    
bec-de-cygne (un)   becs-de-cygne (des)  
bec-de-grue (un), plante   becs-de-grue (des), P.  
bec-de-lièvre (un)   becs-de-lièvre (des), L.  
bec-de-vautour, instr.   becs-de-vautour (des), L.  
becfigue (un) becfigues (des)    
béjaune (un), ou bec jaune béjaunes (des)    
bel esprit (un) beaux esprits (de)    
belladone (une), plante belladones (des)    
bella-donna (la), plante   bella-donna (des) belladonna
belle-dame, plante   belles-dames (des), P. belledame
belle-de-jour (une), pl.   belles-de-jour (des), P. belledejour
belle-de-nuit (une), pl.   belles-de-nuit (des), P. belledenuit
belle-d’un-jour (la), pl.   belles-d’un-jour (des), L. belledunjour
belle-fille (une)   belles-filles (des), P. bellefille
belle-mère (une)   belles-mères (des), P. bellemère
belle-sœur (une) belles-sœurs (des)   bellesœur. En 1659, belle sœur.
  belles-lettres (les)    
betterave (une) betteraves (des)    
b-fa-si (en)      
bien-aimé, ée bien-aimés, ées   bienaimé
bien aise bien aises   bienaise
bien-dire (le)   bien-dire (des), P. L’Académie écrit: Le bien faire vaut mieux que le bien dire (sans trait d’union).
  bien-disants, antes   biendisant, à cause de bienfaisant, bienséant.
bien-être (le)   bien-être, P. bienêtre
bienfaisant, ante bienfaisants, tes    
bienfait (un) bienfaits (des)    
bien-fonds (un) biens-fonds (des)   bienfond
bienheureux, se bienheureux, ses   Mais on écrit: il est bien heureux d'en sortir.
  bienséants, antes    
bien-tenant, ante bien-tenants, antes   bientenant, à cause de bienfaisant.
bientôt     Mais on écrit: Vous arrivez bien tôt, bien tard.
  bienveillants, antes    
*bien-vivre (le)     bienvivre.
bigame (un), etc. bigames (des), etc.    
bis-blanc (pain)   bis-blancs (pains) bis blanc, L.
[421] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
bissac (un) bissacs (des)   De même en un mot tous les composés avec le préfixe latin bis.
blanc-bec (un)   blancs-becs (des), L. blanbec
blanc de baleine (le) blancs de baleine (les)    
blanc-manger   blanc-manger (des), P.  
blanc seing (un) blancs seings (des) blanc-seings (des), P. blancs-seings, au pl. L.
blanc signé (un)   blancs signés (des), 1659.  
blé-froment (le)     blé froment
blé-mouture (le)     blé mouture
blé-seigle (le)     blé seigle
bœuf gras (le) bœufs gras (les)    
bois gentil (le), arbre   bois gentils (des)  
bon-chrétien (du), poire   bons-chrétiens (des), P. L. bonchrétien
bonduc (un), arbre bonducs (des)    
bon-Henri (le), plante   bons-henris (les), P. bonhenri, à cause du pluriel inadmissible autrement.
bonhomme (un)     L’Académie ne nous fixe pas pour le pluriel. Je ne crois pas qu’on puisse dire comme M. Th. Barrière: les faux bonshommes; mais les faux bonhomes (à cause de bonhomie), et les enfants s’expriment selon la loi de composition des mots en disant: Faites-moi des bonhommes.
bon homme (un) (V. prud’homme et gentilhomme.)      
bonjour (le) bonjours (les)    
bonne aventure (dire la)   bonnes-aventures, P.  
bonne-dame (la), plante   bonnes-dames (des), L. bonnedame
bonne fortune (en) bonnes fortunes (de) bonnes-fortunes, P.  
bonnet-de-prêtre, fortific.   bonnets-de-prêtre (des) M. L. écrit bonnet à prêtre.
bonne-voglie (un)?     Prononcez voille. Ce mot n’est plus utile dans un dictionnaire de la littérature.
borne-fontaine (une) bornes-fontaines (des)    
bouche-trou (un)   bouche-trous (des), P. L. bouchetrou
bouillon-blanc (le), plante   bouillons-blancs (des)  
boule-de-neige (la), plante   boules-de-neige (des) M. L. écrit boule de neige.
bouledogue (un) bouledogues (des)    
boule vue (à la)      
bourgmestre (un) bourgmestres (les)    
bout-dehors ou boute-hors (un)   boute-hors (des) boutehors
boute-en-train (un)   boute-en-train (des), P. L.  
boute-feu (un) boute-feux (des)   boutefeu
boute-selle (le)   boute-selles (des), L. bouteselle
bouton-d’argent (un), pl.   boutons-d’argent (des), L.  
bouton-d’or (un), plante   boutons-d’or (des), L. bouton d’or
bout-rimé (un) bouts-rimés (des)   bouts rimés
branche-ursine (la)   branches-ursines (des), P.  
brandevin (du) brandevins (des)    
branle-bas (un)   branle-bas (des), L. branlebas
bras-le-corps (à)      
brèche-dent (un ou une)   brèche-dents (des), P. brèchedent. M. L. écrit au pl. brèche-dents.
[422] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
bredi-breda?     bredibreda
bric-à-brac (du)   bric-à-brac (des), L. bricabrac, pour éviter le pl. brics-à-bracs.
*brise-cou (un)   brise-cou (des), P. L. H. brisecou
brise-glace (un) brise-glace (des)   briseglace
brise-raison (un) brise-raison (des)   briseraison
brise-scellé (un)   brise-scellés (des), P. H. brisescellé
brise-tout (un)   brise-tout (des), P. brisetout
brise-vent (un) brise-vent (des)   brisevent
brûle-pourpoint (à)      
brûle-tout (un) brûle-tout (des)   brûletout
çà et là      
cache-cache (à)     cache cache (à)
*café-concert (un)   cafés-concerts (des), H.  
cahin-caha     cahincaha
caillebotte (une) caillebottes (des)    
caille-lait (le), plante   caille-lait (des), P.  
caillot-rosat (du)   caillots-rosats (des), P.  
cardinal-évêque (un)   cardinaux-évêques (des) cardinal évêque
carême-prenant (à)   carême-prenant (les), P. H. M. Littré écrit au pluriel des carêmes-prenants. — Caresme prenant, 1659.
casse-cou (un)   casse-cou (des), P. H. cassecou. M. L. écrit au pl. casse-cou ou casse-cous.
*casse-cul (un)?   casse-cul (des), P. cassecu comme tapecu. Au pl. M. L. écrit casse-cul ou casse-culs.
*casse-motte (un)   casse-motte (des), P. cassemotte, 1659. M. L. écrit au pl. casse-motte ou casse-mottes.
casse-noisette (un)   casse-noisettes (des), P. H. cassenoisette. Quelques-uns écrivent, contrairement à l’Acad., un casse-noisettes.
casse-noix (un)   casse-noix (des), P. cassenoix
casse-tête (un) casse-tête (des)   cassetête. L’Académie écrit: Ce problème est un casse tête, sans trait d’union.
ceci      
cela      
celui-ci, celle-ci ceux-ci, celles-ci    
celui-là, celle-là ceux-là, celles-là    
*cent-gardes (un)   cent-gardes (les)  
  Cent-jours (les)    
Cent-Suisse (un) Cent-Suisses (des)    
cerf dix cors (un) cerfs dix cors (des)    
cerf-volant (un)   cerfs-volants (des), P. cervolant
c’est-à-dire      
champ clos (en)   champs clos (les)  
champ de mai (un) champs de mai (des)    
champ de Mars (le)     Champ de Mars, à Paris.
champ de mars (un) champs de mars (des)   assemblée tenue en mars
  champs Élysées (les), myth.    
[423] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
    Champs-Élysées (les) à Paris  
chape-chute (chercher)     chapechute
char à bancs (un)   chars-à-bancs (des), P. L. chars à bancs (des), H. charaban. Au pl. on prononce, dit M. Littré, charaban.
*chasse-chien (un)   chasse-chien (des), P. chassechien
*chasse-coquin (un)   chasse-coquin (des), P. chassecoquin
chasse-cousin (un)   chasse-cousin (des), P.
chasse-cousins (des), H.
chassecousin
chassé croisé (un) chassés croisés (des)    
chasse-marée (un) chasse-marées (des) chasse-marée (des), P. chassemarée
chasse-mouche (un)   chasse-mouches (des), P. chassemouche. M. Poitevin écrit, contrairement à l’Acad., un chasse-mouches.
château fort (un) châteaux forts (des)    
chat-huant (un) chats-huants (les)   chahuant, 1659.
chauffe-cire (un)   chauffe-cire (des), P. chauffecire
*chauffe-linge (un)   chauffe-linge (des), H. chauffelinge
*chauffe-lit (un)   chauffe-lit (des), P., chauffe-lits (des), H. chauffelit
*chauffe-pieds (un)   chauffe-pieds (des), P. chauffepied.—Chauffe-pied, 1659.
chausse-pied (un)   chausse-pieds (des), P. chaussepied
chausse-trape (une) chausse-trapes (des)   chaussetrape.—Chaussetrape, 1659.
chauve-souris (une) chauves-souris (des)   chauvesouris, 1659.
chef-d’œuvre (un) chefs-d’œuvre (des)   chefdœuvre ou chêdeuvre
chef-lieu (un) chefs-lieux (des)   cheflieu
*chêne-liége (un)   chênes-liéges (des) chêne liége
*cheval de frise (un) chevaux de frise (des)    
chevau-léger (un) chevau-légers (les) chevaux-légers (les), P. chevauléger.—Chevaux légers, 1659
chèvrefeuille (un) chèvrefeuilles (des) chèvres-feuilles (des), P. Heureusement l’Académie a réuni les parties de ce composé, car le pluriel proposé par M. Poitevin est inadmissible.
chèvre-pied, adj. m. chèvre-pieds (dieux)   chèvrepied. Chèvre-pied, 1659.
*chie-en-lit (un)   chie en lit (des) chienlit
chiendent (du) chiendents (des)    
*chien-loup (un)   chiens-loups (des), P. chien loup
*chien-marin (un)   chiens-marins (des), P. chien marin
choléra-morbus (le)   choléra-morbus (des) coléra
choucroute (la) choucroutes (les)    
chou-fleur (le) choux-fleurs (les)   choufleur.—Choux fleurs, 1659
chou-navet (la)   choux-navets (les), P. L. chou navet, ou plutôt chounavet.
chou-pille (un)   choux-pille (des) choupille, chien de chasse.
chou-rave (le)   choux-raves (les), P. chou rave, ou chourave comme betterave.
christe marine (une) christes marines (des)   M. L. écrit à tort christe-marine avec trait d’union.
[424] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
ci-après, ci-contre, ci-devant, ci-dessus, ci-inclus, ci-joint, etc.     cicontre, cidessus, etc., mais ci inclus, ci joint.
ci-devant (un)   ci-devant (des) cidevant
ciel de lit (un) ciels de lit (des) ciels-de-lit (des), P. cieldelit, à cause du pluriel. Ciel de lit, 1659.
ci-git, verbe ci-gisent    
  Cinq-cents (conseil des)    
*clair-brun, brune clair-bruns, brunes    
claire-voie (à)   claires-voies (des), P. L. clairevoie
clair-obscur (le)   clairs-obscurs (les) clairobscur
clair-semé, ée clair-semés, ées   clairsemé.—Clair semé, 1659.
*claque-bois (un) claque-bois (des)   claquebois
claquedent (un) claquedents (des)    
claquemurer      
*claque-oreilles (un)   claque-oreilles (des), P. L.  
cligne-musette (à la)      
clin d’œil (un) clins d’œil (des) clins-d’œil (des), P. C’est à tort que M. Poitevin met un trait d’union, puisque le sens est naturel.
cloche-pied (à)     clochepied
clopin-clopant (aller)     clopin clopant
*clos-vougeot (boire du)      
coassocié, ée, etc. coassociés, ées   Il n’y a pas d’exception pour la juxtaposition des mots avec le préfixe co. C’est à tort que M. Poitevin fait trois ou quatre distinctions: co-associé, co-état, co-évêque, co-religionnaire.
cœur joie (à)     cœur-joie (à)
coffre-fort (un)   coffres-forts (des) coffrefort
cogne-fétu (un)   cogne-fétu ou fétus (des) cognefétu
colin-maillard (un)   colins-maillards (des), P. colinmaillard, car ce pluriel est un des cas les plus épineux de la syntaxe des noms composés.—Colin maillard, 1659.
*colin-tampon      
colle forte (la) colles fortes (les)    
collet monté, adj.      
commissaire-priseur (un)   commissaires-priseurs (des) commissaire priseur
commis voyageur (un) commis voyageurs (des)    
compte courant (un) comptes courants (des)    
compte rendu (un) comtes rendus (des)   M. Arage a fait adopter à l’Académie des sciences cette forme: compte-rendu.
comté-pairie (un)   comtés-pairies (des)  
contrapontiste (un) contrapontistes (des)   Jamais de disjonction avec le préfixe latin contra.
contre-allée (une) contre-allées (des)   contrallés. (De même tous les composés formés avec la préposition contre.)
contre-amiral (un) contre-amiraux (des)   contramiral
*contre-appel (un)   contre-appels (des), P. contrappel
[425] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
  contre-approches (des)   contrapproches
contre-balancer     contrebalancer, 1659.
contrebande (la) contrebandes (les)    
contre-bas (en)     contrebas (en)
contre-basse (une) contre-basses (des)   contrebasse, 1659.
contre-batterie (une)   contre-batteries (des) contrebatterie, 1659.
contre-boutant (un)   contre-boutants (des), L. contreboutant, 1659.
contre-calquer     contrecalquer
contrecarrer      
*contre-charge (une)   contre-charges (des), P. contrecharge, 1659.
contre-charme (un)?   contre-charmes (des), L. contrecharme
contre-châssis (un)   contre-châssis (des), L. contrechâssis
contre-clef (une)   contre-clefs (des), P. contreclef
contre-cœur (un), serr.   contre-cœurs (des), P. contrecœur
contre-cœur (à)     contrecœur (à), 1659.
contre-coup (un)   contre-coups (des), P. contrecoup
contre-courant (un) contre-courants (des)   contrecourant
contredanse (une) contredanses (des)    
contredire      
contredisant, ante contredisants, antes    
contredit (un) contredits (des)    
contre-échange (un)   contre-échanges (des), P. contréchange.—Contreschange, 1659.
contre-enquête (une)   contre-enquêtes (des), P. contrenquête
contre-épreuve (une)   contre-épreuves (des), P. contrépreuve
contre-espalier (un)   contre-espaliers (des) contrespalier, comme contrescarpe.
contrefaçon (la) contrefaçons (des)    
contrefacteur (un) contrefacteurs (des)    
contrefaiseur (un) contrefaiseurs (des)    
*contre-fenêtre (une)   contre-fenêtres (des), P. contrefenêtre.—Contrefenestre, 1659.
*contre-fente(une)   contre-fentes (des), P. contrefente
contre-fiche (une) contre-fiches (des)   contrefiche
contre-finesse (une)   contre-finesses (des), P. contrefinesse, 1659.
contre-fort (un) contre-forts (des)   contrefort, 1659.
contre-fugue (une)   contre-fugues (des), P. contrefugue
contre-garde (une)   contre-gardes (des), L. contregarde, 1659.
contre-hachure (une)   contre-hachures (des), L. contrehachure
contre-hâtier (un)   contre-hâtiers (des), L. contrehâtier
contre-indication (une)   contre-indications (des), L. contrindication
contre-jour (un)   contre-jour (des), P. contrejour
contre-latte (une)   contre-lattes (des), L. contrelatte
contre-lettre (une)   contre-lettres (des), P. contrelettre, 1659.
contre-maître (un)   contre-maîtres (des), P. contremaître, pour éviter le pluriel illogique: contre-maîtres.
contremander      
contre-marche (une)   contre-marches (des), P. contremarche, 1659.
contre-marée (une)   contre-marées (des), P. contremarée
contre-marque (une)   contre-marques (des), P. contremarque
contre-mine (une)   contre-mines (des), P. contremine, 1659.
[426] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
contre-mont, loc. adv.     contremont, 1659.
contre-mur (un)   contre-murs (des), P. contremur
contre-opposition (une)   contre-oppositions (des), L. contropposition
contre-ordre (un)   contre-ordres (des), P. contrordre
*contre-ouverture (une)   contre-ouvertures (des), H. controuverture
*contre-pal (un)   contre-pals (des), P. contrepal
contre-partie (une)   contre-parties (des), P. contrepartie
contre-peser     contrepeser
contre-pied (le)     contrepied, 1659. L’idée de pied a disparu; pas de pl.
contre-platine (une)   contre-platines (des) contreplatine
contre-poids (un)   contre-poids (des) On écrit généralement contrepoids.—Contrepois, 1659.
contre-poil (à)     contrepoil (à), 1659.
*contre-poinçon (un)   contre-poinçons (les) contrepoinçon
contre-point (le)   contre-points (les), P. contrepoint, 1659.
*contre-pointe (la)     contrepointe
contre-pointer     contrepointer, 1659.
contre-poison (un)   contre-poisons (des), P. contrepoison, 1659.
contre-porte (une)   contre-portes (des), P. contreporte, 1659.
contre-révolution (une)   contre-révolutions (des), P. contrerévolution
*contre-ronde (une)   contre-rondes (des), P. contreronde, 1659.
contre-ruse (une)   contre-ruses (des), P. contreruse, 1659.
*contre-saison (une)   contre-saisons (des) contresaison
contre-sanglon (un)   contre-sanglons (des), L. contresanglon
contrescarpe (une) contrescarpes (des)    
contre-scel (un)   contre-scels (des), P. contrescel, pour qu’on ne soit pas tenté par analogie avec ce qui précède de former le pluriel contre-sceaux.—Contrescel, 1659.
contre-seing (un)   contre-seings (des), L. contreseing, 1659.
contre-sens (un) contre-sens (des)   contresens
contre-signer     contresigner
*contretaille (une)   contretailles (des)  
contre-temps (un) contre-temps (des)   contretemps, 1659.
contre-terrasse (une)   contre-terrasses (des), L. contreterrasse
contre-tirer     contretirer, 1659.
contrevallation (une) contrevallations (des)    
contrevenir      
contrevent (un) contrevents (des)    
contre-vérité (une) contre-vérités (des)   contrevérité
copartageant (un) copartageants (des)    
copropriétaire (un) copropriétaires (des)   C’est à tort que M. Poitevin met ici le trait d’union.
coq-à-l’âne (un) coq-à-l’âne (des)   cocalâne
coq en pâte (un) coqs en pâte (des)    
cordon bleu (un) cordons bleus (des) cordons-bleus (des), P. C’est à tort que M. Poitevin introduit le trait d’union.
cordon bleu (un), cuisin. cordons bleus (des)   cordonbleu
coreligionnaire (un) coreligionnaires (des)    
corps de garde (un) corps de garde (des)    
corps de logis (un) corps de logis (des)    
[427] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
corps franc (un) corps francs (des)    
corps-saint (un) corps-saints (des)   corps saint, sans trait d’union: le sens est direct.
couci-couci     couci couci, comme flic flac.
cou-de-pied (un)   cou-de-pied (des), P., cous-de-pied coudepied, à cause du pluriel litigieux.
coup d’œil (un) coups d’œil (des)    
coupe-cul (un)   coupe-cul (des), P. coupecu, comme tapecu.
coupe-gorge (un)   coupe-gorge (des), P. coupegorge
coupe-jarret (un) coupe-jarrets (des)   coupejarret. M. Poitevin écrit: un coupe-jarrets. Coupe jarret, 1659.
*coupe-pâte (un)   coupe-pâte (des), P. coupepâte
coupe-tête (un)   coupe-tête (des), P., H. coupetête
court-bouillon (un)   courts-bouillons (des), P., L. court bouillon, 1659.
courte-botte (un)?   courtes-bottes (des), P.  
courte paille (la)   courtes-pailles (des), P. Pas de trait d’union, pas de pluriel.
courte-pointe (une)   courtes-pointes (des), P. courtepointe, en latin: culcitra puncta.
courtier marron (un) courtiers marrons (des)    
court-jointé, ée court-jointés, ées    
court vêtu, ue, adj. court vêtus, ues    
couvre-chef (un)   couvre-chef (des), P. couvrechef.
couvre-feu (le)   couvre-feu (des), P. couvrefeu.
couvre-pied (un)   couvre-pieds (des), P. M. Poitevin écrit avec raison un couvre-pieds; mais couvrepied d'un seul mot est plus simple.
crête-de-coq (la), plante   crêtes-de-coq (des), L.  
crève-cœur (un)   crève-cœur (des), P. un crèvecœur, des crèvecœurs.
cric crac     MM. P. et L. mettent ici un trait d’union: je le crois inutile.
crincrin (un) crincrins (des)    
croc-en-jambe (un)   crocs-en-jambes (des), P. Pluriel litigieux. M. Poitevin a croc-en-jambes, puisque le croc n’opère que sur une seule jambe, et personne ne consentira à prononcer avec lui: des crozenjambes. Ce mot serait mieux écrit crocanjambe.
croix-pile (à)     croix ou pile (à)
croque-mort (un)   croque-morts (des), L. croquemort: le pluriel est embarrassant, et il y a évidemment métaphore.
croque-note (un)   croque-notes (des), P. croquenote. M. Poitevin écrit au singulier croque-notes.
cul-blanc (un), oiseau   culs-blancs (des), L. cublanc
cul de basse-fosse (un) culs de basse-fosse (des)   basse fosse
cul-de-jatte (un)   culs-de-jatte (des), P. cudejatte est plus convenable, et le pluriel cudejattes sans difficulté.—Cul de jatte, 1659.
[428] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
cul-de-lampe (un) culs-de-lampe (des)   On écrirait mieux cudelampe et cudelampes au pluriel: l’idée représentée par le premier mot du composé n’étant pas exacte.
cul de plomb (un) culs de plomb (des)   cudeplomb
cul de poule (un), serrur. culs de poule (des) culs-de-poule (des), L. cudepoule
cul-de-sac (un)   culs-de-sac (des), P. De même pour cudesac.
cure-dent (un) cure-dents (des)   curedent, 1659. M. Poitevin écrit un cure-dents.
cure-môle (un)   cure-môles (des), L.  
cure-oreille (un)   cure-oreilles (des), P. L. M. Poitevin écrit un cure-oreilles.
custodi-nos (un)? custodi-nos (des)   custodi-nos
dame-jeanne (une)   dames-jeannes (des), P. L. H. damejeanne, pour la simplicité et la logique.
*danse de Saint-Guy     On pourrait peut-être écrire danse de saint Gui.
de ci, de là, au delà, en delà, par delà     On écrit deçà et delà.
déjà     Contraction de dès jà.
demi-aune (une), etc.   demi-aunes (des)  
demi-bain (un) demi-bains (des)    
*demi-fortune (une), carr.   demi-fortunes (des) demifortune
demi grand aigle (papier)      
dent-de-lion (une), plante   dents-de-lion (des) dandelion, comme Pissenlit. Voir Compl. de l’Acad.
dent-de-loup (une), instr.   dents-de-loup (des)  
derechef      
dès-là     dès là, comme dès lors
dès lors      
désormais     Contr. de: dès ore mais (mais, de magis).
deux-centième (un)     On écrit: les deux centièmes, la deux centième partie.
deux-points (un)   deux-points (les)  
dissyllabe dissyllabes   disyllabe
docteur ès sciences (un) docteurs ès sciences (des)    
docteur-médecin (un)   docteurs-médecins (des)  
doit et avoir (par)     M. Poitevin met ici abusivement des traits d’union.
  dommages et intérêts (des)
dommages-intérêts (des)
   
dorénavant     Contraction de de ore en avant.
double-as (le), domino      
*double-blanc (le), dom.   doubles-blancs (les)  
double croche (une) doubles croches (des)    
double feuille (une)     M. Poitevin met ici abusivement un trait d’union.
double-quarte (fièvre)   double-quartes  
douce-amère (la)   douces-amères (des), L. Quel sera la pluriel? Douces-amères, sans doute. Puisqu’il s’agit de traduire le latin dulcamara, et non dulcis amara, que n’écrivons-nous douçamère?
[429] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
duché-pairie (un)   duchés-pairies (des)  
dure-mère (la), anat.   dures-mères (les)  
eau-de-vie (une)   eaux-de-vie (des), P. eau de vie, 1659 ou même eaudevie.
eau-forte (une) eaux-fortes (des)   eauforte. Eau forte, 1659.
eau mère (une) eaux mères (des)    
  eaux et forêts (les)    
ecce homo (un)   ecce homo (des), P. ecce homo
écoute s’il pleut (un)   écoute-s’il-pleut (des) M. Poitevin met le trait d’union, contrairement à l’Académie.
*électro-aimant (un)   électro-aimants (des)  
*électro-chimique, adj.   électro-chimiques électrochimique
électrophore (un) électrophores (des)    
*électrotypie (l’)     Pas de pl.
*encaisse (l’)   encaisses (les)  
*en cas (un)   encas (des), H. encas
en deçà, en delà, en dedans, en dehors, en dessus, en dessous      
*entête (un)   entêtes (des)  
entr’accorder (s’)     entracorder (s’)
entr’accuser (s’)     entraccuser (s’)
entr’acte (un) entr’actes (des)   entracte. M. Poitevin écrit un entr’actes.
entr’admirer (s’)     entradmirer (s’)
entr’aider (s’)     entraider (s’)
entr’aimer (s’)     entraimer (s’)
entr’appeler (s’)     entrappeler (s’)
entr’avertir (s’)     entravertir (s’)
entre autres      
entre-bâiller     entrebâiller.—Entrebasiller, 1659.
entre-baiser (s’)     entrebaiser (s’), 1659.
entrechat (un) entrechats (des)    
entre-choquer (s’)     entrechoquer (s’)—Entrechocquer, 1659.
entre-colonne (un) entre-colonnes (des)   entrecolonne (une). M. Poitevin écrit un entre-colonnes.
entre-côte (un)   entre-côtes (des), L. entrecôte, fém. M. Poitevin écrit une entre-côtes.
entrecouper      
entre-croiser (s’)     entrecroiser (s’), 1659.
entre-déchirer (s’)     entredéchirer (s’)
entre-détruire (s’)     entredétruire (s’)
entre-deux (un)   entre-deux (des), L. entredeux, 1659. L’Académie écrit aussi: entre-deux, dans l’acception d’entre les deux.
entre-dévorer (s’)     entredévorer (s’)
entre-donner (s’)     entredonner (s’), 1659.
entre eux      
  entrefaites (les)    
[430] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
*entre-filets (un)   entre-filets (des), H. entrefilet
entre-frapper     entrefrapper
entregent (un)      
entr’égorger (s’)     entrégorger (s’)
entrelacer      
  entrelacs (des)    
entrelarder      
entre-ligne (un) entre-lignes (des)   entreligne. M. P. écrit un entre-lignes.
entre-luire     entreluire, 1659.
entre-manger (s’)     entremanger (s’), 1659.
entremêler      
entremets (un) entremets (des)    
entremise (une) entremises (des)    
entre-nœud (un) entre-nœuds (les)   entrenœud
entre-nuire (s’)     entrenuire (s’)
entrepas (un)? entrepas (des)    
entre-percer (s’)     entrepercer (s’)
entre-pont (un) entre-ponts (les)   entrepont
entreposer      
entre-pousser (s’)     entrepousser (s’), 1659.
entreprendre (et ses dérivés)      
entre-quereller (s’)     entrequereller (s’)
entre-répondre (s’)     entrerépondre (s’)
entre-secourir (s’)     entresecourir (s’)
entre-sol (un)   entre-sol (des), P., entre-sols (des), L. entresol. On l’écrit ainsi partout, sans qu’on hésite sur la prononciation.
entre-suivre (s’)     entresuivre (s’)
entretaille (une) entretailles (des)    
entre-tailler (s’)     entretailler (s’), 1659, à cause de entretaille.
entretaillure (une) entretaillures (des)    
entre-temps (un) entre-temps (des)   entretemps, comme contretemps, 1659.
entretenir et ses dérivés      
entretoile (une) entretoiles (des)    
entretoise (une) entretoises (des)    
entre-vifs (donation)     entre vifs
*entrevoie (une)   entrevoies (des), H.  
entrevoir et ses dérivés      
entr’ouïr     entrouïr
entr’ouverture (une) entr’ouvertures (des)   entrouverture
entr’ouvrir     entrouvrir, en 1659.
épine-vinette (une)   épines-vinettes (des), P. épine vinette.—Espine vinette, 1659.
e-si-mi?      
ès arts, ès sciences, etc.      
esprit de bois (l’) esprits de bois (des)    
esprit-de-vin (l’) esprits-de-vin (des)   esprit de vin
esprit de vitriol esprits de vitriol (des)    
esprit fort (un) esprits forts (des)    
essuie-main (un)   essuie-mains (des), P. H., ou essuie-main ou mains, L. essuie-mains, au singulier, selon M. P. Ne pourrait-on pas écrire essuimain et appuimain?—Essuy-main, 1659.
[431] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
état-major (un)   états-majors (des), P. état major
état civil (un) états civils (des)    
  états généraux (les)    
  États-Unis (les)    
excommunication (une) excommunications (des)   Les composés avec ex, comme ceux avec co, extra, intra, etc., se réunissent: excroissance, exhausser, exposé, extension; il n’y a pas lieu de faire exception pour ex-député, etc.
ex-député (un) ex-députés (des)  
expert juré (un) experts jurés (des)  
ex professo    
extrajudiciaire, etc. extrajudiciaires, etc.  
extrême-onction (l’)     extrême onction, car le sens n’est pas détourné de l’acception première.
ex-voto (un) ex-voto (des)   ex voto (un)
fac-simile (un)   fac-simile (des), L. facsimilé, le mot étant devenu français.
faim-valle (la)?     faimvalle
faire part (lettre de)      
*faits-divers (un)   faits divers (des)  
faubourg (un) faubourgs (des)   Primitivement fors bourg, puis forbourg, puis faux bourg.
faufiler (se)      
fausse clef (une) fausses clefs (des)   fausse clé
faux bond (faire)      
faux-bourdon (en)     faux bourdon
faux-fuyant (un)   faux-fuyants (des), P. L. faufuyant
faux-marcher (le)     faux marcher
faux-monnayeur (un) faux-monnayeurs (des)   faux monnayeur
faux-saunier (un)   faux-sauniers (des) faux saunier
faux semblant (un) faux semblants (des)    
faux titre (un) faux titres (des)    
*feld-maréchal (un) feld-maréchaux (des)    
feldspath (le) feldspaths (les)    
fer-blanc (du)   fers-blancs (des) ferblanc, à cause de ferblantier.
ferblantier (un) ferblantiers (des)    
fesse-cahier (un)   fesse-cahier (des), P. L., ou fesse-cahiers, L. fessecahier.—Fesse-cayer, 1659
fesse-mathieu (un) fesse-mathieux (des) fesse-mathieu (des), P. En écrivant fessemathieu, on éviterait ce pluriel et l’embarras qui nait de la suppression de la majuscule.—Fesse-matthieu, 1659.
fête-Dieu (la)   fêtes-Dieu (les), P. Voy. Hôtel-Dieu.
feuille-morte (couleur)     couleur de feuille morte sans trait d’union.
fier-à-bras (un)   fiers-à-bras (des), P.
fier-à-bras (des), L. H.
fierabras, d’après un héros de roman nommé Ferabras ou Fierabras. Le pluriel de fier est inadmissible.
fil à plomb (un) fils à plomb (des)    
fleurdelisé, ée fleurdelisés, ées    
flic flac (faire)      
flicflac (un) flicflacs (des)    
flint-glass (du)     flintglace, comme biftec.
flonflon (un) flonflons (des)    
[432] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
folle enchère (une) folles enchères (des)   M. Poitevin ajoute un trait d’union inutile.
forte-piano (un)   forte-piano (des) fortepiano
fort-vêtu (un)     M. L. écrit forvêtu, de fors vêtu, un homme vêtu hors de sa condition.
fouille-au-pot (un)   fouille-au-pot (des), P.  
fourmi-lion (un)   fourmis-lions (des), P. fourmilion (le), comme écrivent les naturalistes.
franc-alleu (un) francs-alleux (des) francs-alleus (des), L. franc alleu.—Franc aleu, 1659.
franc archer (un) francs archers (des)    
franc-bord (un)   francs-bords (des), L. franc bord
Franc-Comtois (un) Francs-Comtois (des)    
Franc-Comtoise (une) Franc-Comtoises (des)    
franc-fief (un) francs-fiefs (des)   franc fief
franc-maçon (un) francs-maçons (des)   Pl. franc-maçons, à cause de franc-maçonnerie.
franc-maçonnerie (une)   franc-maçonnerie (des), P. Ce pluriel est inadmissible.
franc parler (le)      
franc-quartier (un), blason   francs-quartiers (des) franc quartier
franc-réal (un)   francs-réals (des), P. L.  
franc-salé (un)   francs-salés (des), L.  
fripe-sauce (un)   fripe-sauce (des), P. fripesauce
*fulmicoton (le)   fulmicotons (les), H.  
gagne-denier (un) gagne-deniers (des) gagne-denier (des), P.
gagne-deniers (des), L. H.
gagnedenier
gagne-pain (un)   gagne-pain (des), P. L. gagnepain
gagne-petit (un)   gagne-petit (des), L. gagnepetit
garçon-major (un)   garçons-majors (des), L.  
garde-bois (un) gardes-bois (des) garde-bois (des), L. gardebois
garde-bourgeoise (la)   gardes-bourgeoises (des), L. garde bourgeoise. Écrit ainsi au mot Bourgeois du Dict.
garde-boutique (un) garde-boutique (des) garde-boutiques (des), L. gardeboutique, 1659.
garde champêtre (un) gardes champêtres (des)   M. P. introduit ici à tort le trait d’union.
garde-chasse (un)   gardes-chasse (des), P. H.
garde-chasse ou chasses (des), L.
gardechasse, à cause du pluriel.
*garde-chiourme (un)   garde-chiourme (des), L. gardechiourme
garde-corps (un)   garde-corps (des), L. gardecorps
garde-côte, adj. gardes-côtes garde-côtes (des), L. H. gardecôte
garde du corps (un) gardes du corps (des)    
garde-étalon (un) gardes-étalon (des) garde-étalon ou étalons (des), L.  
garde-feu (un)   garde-feu (des), L. gardefeu
garde forestier (un) gardes forestiers (des)   M. P. place ici à tort le trait d’union.
garde-fou (un) garde-fous (des)   gardefou, 1659.
garde-française (un) gardes françaises (les)   M. L. écrit un garde française sans tiret.
[433] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
garde-magasin (un)   gardes-magasin (des), P., garde-magasin ou magasins (des), L., ou gardes-magasins (gardiens), H. gardemagasin, à cause de ce pluriel équivoque des mots composés avec garde substantif et garde verbe.
garde-malade (une)   garde-malade ou malades (des), L. gardemalade. M. P. écrit abusivement des gardes-malades.—Garde de malades, 1659.
garde-manche (un)   garde-manches (des) gardemanche
garde-manger (un) garde-manger (des)   gardemanger
garde-marine (un) gardes-marine (des) gardes-marine (des), L. H. gardemarine
garde-marteau (un) gardes-marteau (des) garde-marteau, ou marteaux (des), L. gardemarteau
garde-meuble (un) garde-meubles (des) garde-meuble ou meubles (des), L. gardemeuble
garde national (un) gardes nationaux (des)   Le trait d’union, placé ici par M. Poitevin, est inutile.
garde nationale (la)     idem.
garde-noble (la)   gardes-nobles (des), L. garde noble
garde-note (un) gardes-notes (des) garde-note ou notes (des), L. gardenote
garde-pêche (un) gardes-pêche (des) garde-pêche ou pêches (des), L. gardepêche
garde-robe (une) garde-robes (des)   garderobe.—Garderobbe, 1659.
garde-rôle (un) gardes-rôle (des) garde-rôle ou rôles (des), L. garderôle.
garde royal (un) gardes royaux (les)    
garde-sacs (un) gardes-sacs (des) garde-sacs (des), L. gardesac
garde-scel (un) gardes-scel (des) garde-scel (des), L. gardescel, à cause du pluriel, qui sans cela serait garde-sceaux.
garde-vaisselle (un) gardes-vaisselle (des) garde-vaisselle (des), L. gardevaisselle
garde-vente (un) gardes-vente (des) garde-vente ou ventes (des), L. gardevente
garde-vue (un)   garde-vue (des), L. gardevue
gâte-enfant (un)   gâte-enfant ou enfants (des), L. gâtenfant
gâte-métier (un)   gâte-métier, H. ou métiers (des), P. gâtemetier
gâte-pâte (un)   gâte-pâte (des), L. H. gâtepâte
*gâte-sauce(un)   gâte-sauce (des), P. L. H. ou gâte-sauces, L. gâtesauce
gendarme (un) gendarmes (des)   Au XVe s. gens d’armes.
gentilhomme (un) gentilshommes (des)   Comp. anormale rem. à 1659.
gobe-mouches (un) gobe-mouches (des)   gobemouche
gomme copal (la)   gommes copal (les)  
gomme-gutte (la)   gommes-guttes (les) gomme gutte, sans trait d’union.
gomme laque (la) gommes laques (les)    
gomme-résine (la) gommes-résines (les)   gomme résine.
[434] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
gorge-de-pigeon (couleur)   gorge-de-pigeon gorge de pigeon, sans trait d’union.
goutte-crampe (la)   gouttes-crampes (les), L. goutte crampe.
grand aigle (papier)   grand aigle (papiers) voir le plur. de grand raisin.
grand aumônier, grand maréchal, grand officier, grand veneur, etc. grands aumôniers (des), etc.    
grand’chambre, grand’chère, grand’chose, grand’fête, grand’garde, grand’messe, grand’pitié, grand’tante grand’chambres, grand’tantes, etc. L’apostrophe, dans ces mots, constitue une orthographe vicieuse. Dans l’ancien langage, d’où nous viennent ces locutions, grand représentait les deux genres; on disait Rome la grant, grand faim, grand honte, grand ville, etc. Il en était de même de tous les adjectifs formés sur la troisième déclinaison latine. Il n’y avait donc pas élision de l’e muet. On dit aujourd’hui grande chère, grande-tante; grand’mère devrait seul s’écrire grandmère.
grand cordon (le) grands cordons (les)    
grand-cordon (un)   grands-cordons (les) La personne décorée du grand cordon.
grand’croix (la)   grand’croix (les)  
grand-croix (un) grands-croix (les)   grandcroix, pour éviter ce pluriel illogique.
grand-duc (le), etc.   grands-ducs (les)  
*grand-duc (le), oiseau   grands-ducs (les)  
grand’faim (avoir)     une grande faim
grand-livre (le)     Grand Livre
grand merci (un)   grands mercis (des)  
grand raisin (du), papier grands raisins (des)   grand raisin (papiers)
grand vizir (le) grands vizirs (les)    
gras-cuit (pain)   gras-cuits (pains)  
gras-double (du)   gras-double (des), H.
gras-doubles (des), P. L.
gradouble
gras-fondu (le), vétér.   grafondu, grafondure  
gratte-cul (un) gratte-culs (des) gratte-cul (des), P. L. grattecu, comme tapecu.
gratte-papier (un)   gratte-papier ou papiers, L. grattepapier
grippe-sou (un)   grippe-sou (des), P., grippe-sous (des), H. grippesou
gros-bec (un)   gros-becs (les), H.  
guet-apens (un)   guets-apens (des), P. L. H. guétapens. Étymologie: de guet apensé.—De guet à pens, 1659.
guide-âne (un)   guide-âne ou ânes (des), L. guidâne
hache-paille   hache-paille (des), L. hachepaille
hausse-col (un) hausse-cols (des) hausse-col (des), P. haussecol. M. L. écrit des hausse-col ou cols.
haut-à-bas (un)   haut-à-bas (des), L.
haut-à-bras (des), P.
 
haut-à-haut (un)?      
haut bord (vaisseau de)   hauts-bords (des), P.  
[435] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
haut-de-chausse (un) hauts-de-chausse ou hauts-de-chausses   haudechausse, comme justaucorps. M. P. écrit un haut-de-chausses. Avec cette orthographe, les vers de Molière:
..... Que sa vertu se hausse
A connaître un pourpoint
d’avec un haut-de-chausse,
ne seraient plus exacts.—Haut de chausse, 1659.
haute-contre (une) hautes-contre (des)   hautecontre
haute cour (la) hautes cours (les) hautes-cours (les), P. Ce trait d’union ajouté par M. P. est tout à fait inutile.
haute futaie (une) hautes futaies (des)    
haute justice hautes justices (les) hautes-justices (les), P. Idem.
haute lisse (de)   hautes-lices (des), P. Cette orthographe de M. P. est archaïque.—De haute lice, 1659.
*haute-lissier (un)   haute-liciers (des), P. hautelissier
haut-fond (un) hauts-fonds (des)   haufond, comme plafond, bâbord.
haut-le-corps (un) haut-le-corps (des)   Beaucoup de gens disent haut-de-cœur pour haut-le-cœur.
haut-le-pied (un)?   haut-le-pied (des)  
haut mal (le)   haut-mal (des), P. Pas de pluriel.
haute paye (une) hautes payes (des) hautes-payes (des), P. hautepaye
haute-taille (une)   hautes-tailles (des), L. hautetaille
  hautes œuvres (les)    
havre-sac (un) havre-sacs (des)   havresac, comme bissac.
hémicycle (un), etc. hémicycles (des), etc.    
héraut d’armes (un) hérauts d’armes (des)    
héroï-comique, adj. héroï-comiques    
hochepied (un) hochepieds (des)    
hochepot (un) hochepots (des)    
hochequeue (un) hochequeues (des)    
hormis     Contr. de hors mis.
hors-d’œuvre (un), cuisine hors-d’œuvre (des)   hordeuvre. Hors d’œuvre, terme d’architecture.
hôtel de ville (un) hôtels de ville (des)   Mais écrivez l’Hôtel de ville à Paris.
hôtel-Dieu (un) hôtels-Dieu (des)   Idem. Au XIIIe s. li ostel Dieu; ostel, cas suj.; Dieu, cas rég.
huis clos (le)      
huissier-priseur (un)   huissiers-priseurs (des), L. huissier priseur
ici-bas     icibas
in-douze (un) in-douze (des)   indouze
in-folio (un) in-folio (des)   infolio, pour éviter ce pluriel équivoque et contradictoire avec les autres composés de in.
interrègne (un), etc. interrègnes (des), etc.    
*intra-utérin, ine, adj.   intra-utérins, ines  
in-trente-deux (un) in-trente-deux (des)   intrentedeux
ivre mort, e, adj. ivres morts, tes    
jardinier-fleuriste (un)   jardiniers-fleuristes (des) jardinier fleuriste
[436] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
jet d’eau (un) jets d’eau (des)   M. P. met à tort le trait d’union.
joli cœur (faire le)      
juge-commissaire (un)   juges-commissaires (des) juge commissaire
jusqu’alors     jusque alors
jusqu’à présent      
jusqu’aujourd’hui     jusqu’à aujourd’hui ou jusques aujourd’hui.
jusque-là     jusque là
jusques à quand      
jusqu’ici, jusqu’où      
justaucorps (un) justaucorps (des)   En 1659, justecorps.
juxtaposition (la), etc. juxtapositions (les), etc.    
kirsch-wasser (le)     kirschvasser, des kirschvassers, ou mieux des kirschs.
là-bas, là-dessus, là-haut, là dedans, là dehors, là auprès, là contre, etc.     Supprimer le trait aux trois premiers, comme aux suivants.
laisser-aller (du)      
laisser-courre (le)   laisser-courre (des)  
laisser-passer (un)   laisser-passer (des)  
lait de poule (un) laits de poule (des)   lait-de-poule
langue mère (une) langues mères (des)    
lapis-lazuli (du)   lapis-lazuli (des), H. lapis lazuli
laurier-cerise (le)   lauriers-cerises (les)  
laurier-rose (un)   lauriers-roses (des), P.  
laurier-tin (un)   lauriers-tins (des)  
lèche-doigt (à)     lèchedoigt, comme lèchefrite.
lèchefrite (une) lèchefrites (des)    
légat-né (un)   légats-nés (des)  
lèse-majesté (de)     lèsemajesté. Lèse majesté, 1659.
lèse-nation (de)     lèsenation
lettre de change (une) lettres de change (des)    
  lettres patentes (des)    
lever Dieu (le)      
lez Paris     Cette vieille préposition (du lat. latus) pourrait s’écrire auj. les.
lieutenant-colonel (un) lieutenants-colonels (des)   lieutenant colonel
lieutenant général (un) lieutenants généraux (des)    
  lieux d’aisances (les)    
long-jointé, adj. long-jointés, ées   lonjointé
longue main (de)     longuemain. On disait autrefois: de longuement.
longue-vue (une)   longues-vues (des) longuevue
loup-cervier(un)   loups-cerviers (des), P. loup cervier
loup-garou (un)   loups-garous (des), P.  
loup marin (un)   loups-marins (des), P. M. P. place ici un tiret inutile.
luni-solaire, adj.   luni-solaires lunisolaire
437 MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
mâchefer (du) mâchefers (des)    
main basse (faire)     mainbasse
main chaude (jouer à la)      
main courante (une) mains courantes (des)   maincourante
main-d’œuvre (la)   mains-d’œuvre (les) maindeuvre, pour résoudre le pluriel. Les différentes mains-d’œuvre, cela me paraît choquant.
main-forte     mainforte, pas de pluriel.—Main forte, 1659.
mainlevée (une) mainlevées (des)   M. P. rétablit à tort le trait d’union.
mainmise (une) mainmises (des)    
mainmorte (la) mainmortes (les)    
main morte (aller de)      
mainte fois maintes fois   maintefois, comme quelquefois, toutefois, parfois.
maintenue (la) maintenues (les)    
maire adjoint (un) maires adjoints (des)    
maître-autel (le)   maîtres-autels (des) maître autel ou maîtrautel
maître ès arts (un) maîtres ès arts (des)    
maître d’hôtel (un) maîtres d’hôtel (des)    
maîtresse femme (une) maîtresses femmes (des)    
malaise (un) malaises (des)    
mal-appris (un)   mal-appris (des) malappris.
malavisé (un) malavisés (des)    
malbâti, tie, adj. malbâtis, ties    
malcontent, ente malcontents, entes    
maldisant, ante maldisants, antes    
malebête (une) malebêtes (des)    
malefaim (une) malefaims (des)    
malemort (une) malemorts (des)    
malencontre (une) malencontres (des)    
mal-en-point, adv.     malenpoint, comme embonpoint.
malentendu (un) malentendus (des)    
malepeste, interj.      
mal-être (un)   mal-être (des), P. malêtre ainsi que bienêtre.
malfaçon (une) malfaçons (des)    
malfaire, verbe      
malfamé, ée malfamés, ées    
malgracieux, euse malgracieux, euses    
malgré     Cependant on écrit: bon gré, mal gré.
malhabile, adj. malhabiles    
malheureux, euse malheureux, euses    
malhonnête, adj. malhonnêtes    
malintentionné, ée malintentionnés, ées    
mal-jugé (le)   mal-jugés (les) maljugé
malle-poste (la)   malles-poste (les) V. bateaux-poste, paquebots-poste, timbres-poste.
malmené      
malpeigné (un) malpeignés (des)    
malplaisant, ante malplaisants, antes    
438 MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
malpropre, adj. malpropres    
malsain, e, adj. malsains, nes    
malséant, te malséants, tes    
malsonnant, ante malsonnants, antes    
maltraiter      
malvoulu, ue, adj. malvoulus, ues    
mange-tout (un)   mange-tout (des) mangetout
mappemonde (une) mappemondes (des)    
marchepied (un) marchepieds (des)    
maréchal de camp (un) maréchaux de camp (des)    
maréchal des logis (un) maréchaux des logis (des)    
marie salope (une), t. de navig.   maries-salopes (des), H.  
martin-pêcheur (un)   martins-pêcheurs (des) martin pêcheur
*martin-sec (poire de)   martins-secs (des), P. martinsec. Plus d’embarras au pluriel.—Martin sec, 1659.
massepain (un) massepains (des)    
  Menus Plaisirs (les)    
mère nourrice (une) mères nourrices (des)    
mère patrie (la) mères patries (les)    
messire Jean (poire de)   messire-jean (des), P. Un messirejean, des messirejeans.
*meurt-de-faim (un)   meurt-de-faim (des), P. meurdefaim
mezzo-termine (un) mezzo-termine (des) mezzo-termine (des), P. Nous avons en fr. moyen terme.
mezzo-tinto (un)   mezzo-tinto (des) Nous avons: demi-teinte.
mi-août (la)   mi-août (aux), P. Prononcez mi-oût.
mi-carême (la)   mi-carême (les), P.  
mi-corps (à), etc.     Tous les subst. composés avec mi, sauf minuit, prennent le trait d’union.
mille-feuille (une)   mille-feuilles (des), P. H. millefeuille. M. P. écrit la mille-feuilles. En 1659, millefueille.
  mille-fleurs (eau de)    
mille-pertuis (le)   mille-pertuis (les) millepertuis, 1659.
mille-pieds (un) mille-pieds (des)   millepied.—En 1659, millepieds.
mi-parti, ie, adj. mi-partis, ies   miparti
moins-value (la)     moinvalue
mont-de-piété (un) monts-de-piété (des)    
montjoie     monjoie.—En 1659, monjoye.
mort aux rats (la) morts au rat (des)    
mort-bois (le)   morts-bois (les) mort bois, 1659.
morte-eau (en)     L’Ac., au mot Mourir, l’indique sans trait d’union.
morte-paye (?)   mortes-payes (des) morte paye. En 1659, morte-paye.
morte-saison (une) mortes-saisons (des)   morte saison, 1659.
mort-gage (un)   morts-gages (des) mort gage
mort-né, ée, adj. mort-nés, ées    
mouille-bouche (la)   mouille-bouche (des), P.  
    mouille-bouches (des), H. mouillebouche
moyen âge (le)     Pas de pluriel.
439 MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
nec plus ultrà (le)     Au mot Non-plus-ultra, le Dict. donne le composé nec-plus-ultra avec tirets.
*néo-chrétien (un)   néo-chrétiens (des) néochrétien, comme néologisme.
*néo-latin, e   néo-latins, es novolatin
nerf-férure (la)   nerf-férure (des), P., nerfs férures (des), H. nerférure
noli me tangere      
non-activité (la)      
nonchalant, ante nonchalants, antes    
non-conformiste, adj. non-conformistes (des)   nonconformiste
non-jouissance (la)   non-jouissances (les) nonjouissance
*non-lieu (ordonnance de)     nonlieu
nonobstant, prép.      
non-pair, e, adj. non-pairs, es   nonpair
nonpareil, eille nonpareils, eilles    
non-payement (un)   non-payements (des), P. nonpayement
non-plus-ultrà (le)     non plus ultra (le)
non-prix (à)     nonprix
non-recevoir (fin de)     nonrecevoir
non-résidence (la)   non-résidences (les) nonrésidence
non-sens (un) non-sens (des)   nonsens
non-seulement     nonseulement
non-usage (le)     nonusage
non-valeur (une) non-valeurs (des)   nonvaleur
non-vue, t. de mar.   non-vues (les) nonvue
nord-est (le)     nordest
nouveau monde (le)      
nouveau-né, ée nouveau-nés, ées   nouveauné, comme puîné.
nouveau venu (un) nouveaux venus (des)    
nue propriété (la)   nues propriétés (les)  
nu-jambes, loc. inv.      
nu-propriétaire (un)   nu-propriétaires (des)  
nu-tête (aller)   nu-tête (des enfants), P.  
œil-de-bœuf (un) œils-de-bœuf (des)   œil-de-bœuf, en 1659.
œil-de-bouc (un), coquillage   œils-de-bouc (des)  
œil-de-chat (un), pierre   œils-de-chat (des)  
œil-de-chèvre (un), plante   œils-de-chèvre (des)  
œil de dôme (un) œils de dôme (des)    
œil-de-perdrix (un)   œils-de-perdrix (des)  
œil-de-serpent (un), pierre   œils-de-serpent (des)  
oiseau-mouche (un)   oiseaux-mouches (des)  
on-dit (un) on-dit (des)    
opéra-comique (un) opéras-comiques (des)   On écrit le théâtre de l’Opéra-Comique.
orang-outang (un)   orangs-outangs (des) Quelques-uns écrivent orang-outan.
oreille-d’ours (une), plante   oreilles-d’ours (des) oreilledours
[440] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
ortie-grièche (une)   orties-grièches (des), P.  
oui-da     ouida
ouï-dire (un) ouï-dire (des)   ouidire
outrecuidance (une) outrecuidances (des)    
outremer (un), couleur outremers (des)    
outre-mer (voyage d’)     outre mer
outre-passe (une) outre-passes (des)   outrepasse, 1659.
paille-en-cul (un), oiseau   paille-en-cul (des) paillencu
paille-en-queue (un), idem   paille-en-queue (des) paillenqueue
Palais-Royal (le), à Paris.      
palma-christi (un)   palma-Christi (des)  
papier-arabesque (un)   papiers-arabesques (des)  
papier-damas (un)   papiers-damas (des)  
papier-granit (un)   papiers-granit (des)  
papier-journal (un)   papiers-journal (des)  
papier-lambris (un)   papiers-lambris (des)  
papier-marbre (un)   papiers-marbre (des)  
papier-monnaie (un)   papiers-monnaie (des)  
papier-tenture (un)   papiers-tenture (des)  
papier-tontisse (un)   papiers-tontisse (des)  
*paquebot-poste (un)   paquebots-poste (des) voir malle-poste.
parachute (un) parachutes (des)    
parapluie (un) parapluies (des)    
parasol (un) parasols (des)    
paravent (un) paravents (des)    
par-ci, par-là     par ci, par là
par deçà, par delà, par dehors     pardeçà, etc.
par dedans     pardedans
par derrière     parderrière
par-dessous     pardessous
par-dessus     pardessus
*pardessus (un), vêtem. pardessus (des)    
par devant     pardevant
par-devant notaire     pardevant
par-devers     pardevers
parfois      
par ici, par là (passer)      
par le Roi (de)     de part le Roi, v. fr.
parterre (un) parterres (des)    
par terre (tomber)      
partout      
pas-d’âne (un), plante   pas-d’âne (des)  
passavant (un) passavants (des)    
passe-carreau (un)   passe-carreau (des), passe-carreaux (des), H. passecarreau
passe-cheval (un)   passe-cheval (des) passecheval
passe-debout (un)   passe-debout (des), P. passedebout
passe-dix (un)   passe-dix (des), P. passedix
[441] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
passe-droit (un) passe-droits (des) passe-droit (des) passedroit
passe-fleur (une)   passe-fleur (des), passe-fleurs (des), H. passefleur, 1659.
*passe-lacet (un)   passe-lacet (des), passe-lacets (des), H. passelacet
passe-méteil (un)   passe-méteil (des) passeméteil
passe-parole (un)   passe-parole (des), P. passeparole
passe-partout (un) passe-partout (des)   passepartout. Passe-par-tout, en 1659.
passe-passe (un)   passe-passe (des), P. passepasse
passe-pied (un)   passe-pied (des) passepied, 1659.
passe-pierre (une)   passe-pierre (des) passepierre
passe-poil (un) passe-poils (des) passe-poil (des), P., H. passepoil
passe-port (un) passe-ports (des)   passeport, comme on l’écrit géneralement.
passerage (une) passerages (des)    
passerose (une) passeroses (des)    
passe-temps (un) passe-temps (des)   passetemps
passe-velours (un)   passe-velours (des) passevelours
passe-volant (un) passe-volants (des)   passevolant
patte-d’oie (une) pattes-d’oie (des)   En 1659, patte d’oye.
patte-pelu (un), patte-pelue (une)   patte-pelus (des), pattes-pelues (des) pattepelu
paulò-post-futur (un)?     On s’étonne de trouver ce mot au Dict. de l’Ac.
  Pays-Bas (les)    
pêle-mêle     pêlemêle. Autref. peslemesle.
perce-bois (un)   perce-bois (des) percebois
perce-feuille (un)   perce-feuille (des) percefeuille
perce-forêt (un)   perce-forêt (des) perceforêt
perce-neige (une)   perce-neige (des), P. perceneige. M. Lamartine a dit:
... Mes bourgeons en pleurs
Ont de mes perceneige épanoui les fleurs.»
perce-oreille (un)   perce-oreille (des), perce-oreilles (des), H. M. P. écrit un perce-oreilles, des perce-oreilles.
perce-pierre (une)   perce-pierre (des) percepierre
pèse-lait (un)   pèse-lait (des) pèselait
pèse-liqueur (un)   pèse-liqueur (des), pèse-liqueurs (des), H. M. Poitevin écrit un pèse-liqueurs.
pet-en-l’air (un)   pets-en-l’air (des) ou pet-en-l’air (des), H. pétenlair. Pl. imp. autrem.
petite-maîtresse (une)   petites-maîtresses (des), P.  
petite maison (une)      
Voy. Acad. petites maisons    
  Petites-Maisons (les), hôpital.    
petite-oie (la)     En 1659, petite oye.
petite vérole (la) petites véroles (des)    
petit-fils (un) petits-fils (des)    
*petit-four (un)   petits-fours (des), H.  
petit-gris (le)   petits-gris (les) En 1659, petit gris.
[442] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
petit-lait (un)   petits-laits (des)  
petit-maître (un)   petits-maîtres (des), P.  
petit-neveu (un)   petits-neveux (des), P.  
petit pâté (un) petits pâtés (les)    
  petits pieds (des), cuisine   Écrit à tort petits-pieds au mot Petit du Dict.
petit-texte (le), imprimerie petits-textes (des) petits-textes (des), H.  
peu à peu      
peuple-roi (le)      
peut-être     peutêtre
*pick-pocket (un)   pick-pocket (des) Donne en français, pique-poquet.
pied-à-terre (un)   pied-à-terre (des), P., H.  
pied bot (un) pieds-bots (des)   M. P. indique un trait d’union. En 1659, piedbot.
pied-d’alouette (un)   pieds-d’alouette (des) En 1659, pied d’alouette.
pied-de-biche (un)   pieds-de-biches (des), P.  
pied de bœuf (jouer au)     M. P. met le trait d’union et indique un pluriel: pieds-de-bœuf.
pied-de-chat (un), plante   pieds-de-chat (des), P. En 1659, pied de chat.
pied-de-cheval (un)   pieds-de-cheval (des)  
pied-de-chèvre (un), instr.   pieds-de-chèvre (des)  
pied-de-griffon (un)   pieds-de-griffon (des)  
pied-de-lion (un), plante   pieds-de-lion (des) En 1659, pied de lion.
pied-de-mouche (un), typ.   pieds-de-mouche (des), P.  
  pieds de mouche (des), écriture.   Mieux patte de mouche.
pied-de-veau (un), plante   pieds-de-veau (des) pied de veau, en 1659.
*pied de roi (un), mesure   pieds-de-roi (des), P. M. P. indique à tort le trait d’union.
pied-d’œuvre (à)      
pied-droit (un)   pieds-droits (des) piédroit. En 1659, pied droit.
piédestal (un) piédestaux (des)    
pied-fort (un), monnayage pieds-forts (des)   piéfort
pied plat (un) pieds plats (des)   piéplat. En 1659, piedplat.
pied poudreux (un) pieds poudreux (des)    
pie-grièche (une)   pies-grièches (des), P. piegrièche
pie-mère (la), anatomie      
pierre ponce (la) pierres ponces (les)    
pince-maille (un)   pince-maille (des), P., pince-mailles (des), H. pincemaille
*pince-sans-rire (un)   pince-sans-rire (des)  
pinne marine (une) pinnes marines (des)    
pique-assiette (un)   pique-assiette (des), pique-assiettes (des), H. piquassiette
pique-nique (un) pique-niques (des)   piquenique. M. P. écrit des pique-nique.
pis aller (le) pis aller (des)   pis-aller (un)
pissenlit (un) pissenlits (des)    
plafond (un) plafonds (des)   En 1659, platfond.
plain-chant (le)   plains-chants (des), P. plainchant
plain-pied (de) plain-pied (des)   plainpied
[443] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
plat-bord (un)   plats-bords (des), P.  
*plat-de-côte (un)   plats-de-côte (des), H.  
plate-bande (une) plates-bandes (des)   platebande. En 1659, platte bande.
plate-forme (une) plates-formes (des)   plateforme, 1659.
plate-longe (une)   plates-longes (des) platelonge.
plat-pied (un) plats-pieds (des)   plapied
pleure-misère (un) pleure-misère (des)   pleuremisère
pleure-pain (un)   pleure-pain (des) pleurepain
plupart (la)      
plus-pétition (une)   plus-pétitions (des) pluspétition
plus-que-parfait (un)   plus-que-parfaits (des) plusqueparfait
plus tôt, plus tard, plutôt mourir      
plus-value (une)   plus-values (des) pluvalue, comme plupart, plutôt
poix-résine (la)   poix-résines (les) poix résine
pont-levis (un) ponts-levis (des)    
pont-neuf (un) ponts-neufs (des)    
  ponts et chaussées    
porc-épic (un)   porcs-épics (des) M. P. adopte un porc-épics, des porcs-épics.
porte-aiguille (un)   porte-aiguille (des)  
porte-arquebuse (un)   porte-arquebuse (des)  
porte-baguette (un)   porte-baguette (des) portebaguette
porteballe (un) porteballes (des)    
porte-barres (un)   porte-barres (des) portebarre
porte-bougie (un)   porte-bougie (des) portebougie, comme porteballe et portechape.
porte-carabine (un)   porte-carabine (des) portecarabine
*porte-caustique (un)   porte-caustique (des) portecaustique
portechape (un) portechapes (des)    
portechoux (un) portechoux (des)    
*porte-cigare (un), instr.  
porte-cigare (des)

porte-cigares (des)
{
M. Hetrel a recueilli cet ingénieux ex. de la subtilité de l’emploi des mots composés.
*porte-cigare (un), étui  
porte-clefs (un)   porte-clefs (des) porteclé
portecollet (un) portecollets (des)    
portecrayon (un) portecrayons (des)    
porte-croix (un)   porte-croix (des) portecroix
porte-crosse (un)   porte-crosse (des) portecrosse
porte-Dieu (le)     Pas de pluriel.
porte-drapeau (un)   porte-drapeau (des) portedrapeau
porte-enseigne (un)   porte-enseigne (des) portenseigne, 1659.
porte-épée (un)   porte-épée (des) portépée. En 1659, portespée.
porte-étendard (un)   porte-étendard (des) portétendard
porte-étriers (un)   porte-étriers (des) portétrier
porte-étrivières (un)   porte-étrivières (des) portétrivière
portefaix (un) portefaix (des)    
*porte-fenêtre (une)   portes-fenêtres (des), H.  
porte-fer (un)   porte-fer (des) portefer
portefeuille (un) portefeuilles (des)    
porte-hache (un)   porte-hache (des) portehache
[444] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
*porte-huiller (un)   porte-huilier (des) portehuilier
porte-malheur (un)   porte-malheur (des) portemalheur
portemanteau (un) portemanteaux (des)    
*porte-monnaie (un)   porte-monnaie (des)  
porte-montre (un) porte-montres (des) porte-montre (des) portemontre
porte-mors (un)   porte-mors (des) portemors
porte-mouchettes (un)   porte-mouchettes (des) portemouchette
porte-mousqueton (un)   porte-mousqueton (des) portemousqueton
porte-page (un) porte-page (des)   portepage
porte-pierre (un)   porte-pierre (des) portepierre
*porteplume (un)   porteplumes (des)  
porte-respect (un)   porte-respect (des) porterespect
porte-tapisserie (un)   porte-tapisserie (des) portetapisserie
porte-trait (un)   porte-trait (des), porte-traits (des), H. portetrait
porte-vent (un)   porte-vent (des) portevent
porte-verge (un)   porte-verge (des) porteverge
porte-vis (un)   porte-vis (des) portevis
porte-voix (un)   porte-voix (des) portevoix
postface (une) postfaces (des)    
postscénium (un) postscéniums (des)    
post-scriptum (un) post-scriptum (des)   postscriptum
pot à fleurs (un) pots à fleurs (des)   M. P. écrit à tort un pot-à-fleur, des pots-à-fleurs.
pot-au-feu (un) pot-au-feu (des)   potaufeu. M. P. écrit des pots-au-feu. L’Académie écrit mettre le pot au feu, sans tiret.
pot de chambre pots de chambre (des)    
pot-de-vin (un) pots-de-vin (des)   podevin. Pot de vin, 1659.
pot pourri (un) pots pourris (des)   popourri
potron-jaquet     Pas de pl.
potron-minet     Idem.
pou-de-soie (le)   pous-de-soie (les), pou-de-soie (des), H. poudesoie. En 1659, pou de soye.
pourboire (un) pourboires (des)    
pourparler (un) pourparlers (des)    
pourtant      
pousse-cul (un) pousse-culs (des)   poussecu, comme tapecu. M. P. écrit des pousse-cul.
pousse-pieds (un)   pousse-pieds (des) poussepied
premier-né (un) premiers-nés (les)   premierné, comme puîné.
*premier-Paris (un)   premier-Paris (des)  
premier pris (un) premiers pris (des)   Indiqué avec tiret au mot Premier.
presqu’île (une) presqu’îles (des)   presquîle
prête-nom (un) prête-noms (des)   prêtenom
prie-Dieu (un) prie-Dieu (des)    
prime abord (de)     Pas de pluriel.
prime saut (de)     primesaut
prime-sautier, ière prime-sautiers, ières   primesautier
primevère (une) primevères (les)    
[445] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
*prince-époux (le)   princes-époux (les)  
prix courant (un) prix courants (des)    
procès-verbal (un) procès-verbaux (des)   procès verbal
prud’homie (la)     prudhomie
prud’homme (un) prud’hommes (des)   Prudus, en v. fr. prude, donnerait prudehomme ou prudhomme de prudhomus, bas lat.
pseudo-acacia (un)   pseudo-acacias (des), H.  
pseudo-prophète (un)   pseudo-prophètes (des)  
puisque alors      
puisqu’il, puisqu’un      
quant-à-soi (son)     Pas de pluriel.—Quant à soy, 1659.
quartier-maître (un)   quartier-maîtres (des),  
    quartiers-maîtres (des), H.  
quartier-mestre (un)   quartier-mestres (des)  
quasi-délit (un), etc.   quasi-délits (des), P.  
  quatre-saisons (marchand des)   quatre saisons (march. des)
  Quatre-Temps (les)    
  quatre-vingts   Mais on écrit: quatre-vingt-six.
quelquefois      
quelqu’un, une quelqu’uns, unes    
qu’en dira-t-on (le)   qu’en dira-t-on (des), P.  
queue-d’aronde (une)   queues-d’aronde (des) En 1659, queue d’arondelle.
queue-de-cheval (une), pl.   queues-de-cheval (des)  
queue-de-cochon (une), outil   queues-de-cochon (des)  
queue-de-lion (une), plante   queues-de-lion (des)  
queue-de-pourceau (une)   queues-de-pourceau (des)  
queue-de-rat (une), outil   queues-de-rat (des)  
queue-de-renard (une)   queues-de-renard (des) En 1659, queuë de renard.
queue-de-souris (une), plante   queues-de-souris (des)  
*queue-du-chat (la), t. de danse.      
queue leu leu (à la)      
queussi-queumi?      
Quinze-Vingt (un) Quinze-Vingts (les)   M. P. écrit un quinze-vingts. En 1659, les quinze vingts.
quiproquo (un) quiproquo (des)    
qui-va-là      
qui-vive (le)   qui-vive (les)  
quote-part (une)   quotes-parts (des)  
quoique ici      
quoiqu’il      
quoi qu’il arrive      
rabat-joie (un)   rabat-joie (des) rabajoie. En 1659, rabbat-joye.
[446] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
*railway (un)   railways (des)  
rat de cave (un) rats de cave (des)    
rebrousse-poil (à)      
reine-Claude (une) reines-Claude (des)   reineclaude, pour sauver l’anomalie du pluriel.—M. P. écrit une reine-claude, des reines-claudes.
reine marguerite (une) reines marguerites (des)    
relève-quartier (un)   relève-quartier (des) relèvequartier
remue-ménage (un)   remue-ménage (des) remueménage. En 1659, remuë-ménage.
rendez-vous (un) rendez-vous (des)    
réveille-matin (un)   réveille-matin (des) réveillematin
revenant-bon (un) revenants-bons (des)   revenantbon, ou revenanbon, comme plafond.
rez-de-chaussée (un) rez-de-chaussée (des)    
rez terre     rès. Antr. res ou rez de rasum.
ric-à-ric     ric à ric. Ric, terre inculte.
rogne-pied (un), instrum.   rogne-pieds (des) rognepied
ronde bosse (la) rondes bosses (les)    
ronde-major (une)   rondes-major (des) rondemajor
rond-point (un)   ronds-points (des)  
rose-croix (un) rose-croix (les)   rosecroix
rose pompon (une) roses pompons (des)    
rosée-du-soleil (la), plante   rosées-du-soleil (des) En 1659, rosée du soleil.
rouge bord (un) rouges bords (des)    
*rouge-cerise, adj. rouge-cerise (fers)    
rouge-gorge (un) rouges-gorges (des)   rougegorge
rouge-queue (un)   rouges-queues (des) rougequeue. En 1659, rougecul ou rougequeuë.
Royaume-Uni (le), l’Angleterre      
Royaume-uni de la Grande-Bretagne      
rue du faubourg Saint-Jacques     rue du faubourg saint Jacques
rubis balais (un) rubis balais (des)    
sage-femme (une) sages-femmes (des)   sagefemme
saint-augustin (corps)   saint-augustins (des), H.  
sainte-barbe (la)   saintes-barbes (les) saintebarbe
Saint-Barthélemy (la)   saint-barthélemys (des) M. Hetzel l’écrit par y, mais il me semble que cette forme archaïque doit disparaître.
sainte nitouche (une) saintes nitouches (des)    
saint-esprit d’or (un) saint-esprit (des)    
Saint-Germain en Laye     Saint Germain en Laye
saint-germain (un), poire   saint-germains (des), H. saingermain
Saint-Lazare (ordre de)     saint Lazare (ordre de)
saint-office     L’Académie l’écrit de deux manières différentes. Voir Office et Saint.
saint-père (le)      
saint sacrement (le)      
[447] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
saint sépulcre (le)      
saint-siége (le)     saint siége
*saint-simonien (un)   saint-simoniens (des) saintsimonien, ou sainsimonien.
saisie-arrêt (une)   saisies-arrêts (des)  
salvanos (un)     salvanos
san-benito (un)   san-benito (des) sanbenito
sang-de-dragon   sang-de-dragon (des) sang de dragon, ou mieux sandragon.
sang-froid (le)   sangs-froids (des), H.  
sangsue (une) sangsues (des)   sansue. En 1659, sangsuë ou sansuë.
*sans-culotte (un)   sans-culottes (des) sanculotte.
sans-dent (une) sans-dents (des)    
*sans-façon (le)      
sans-fleur (une), fruit   sans-fleur (des) sanfleur
*sans-gêne (le)      
sans-peau (une), fruit   sans-peau (des) sanpeau
sans-souci (un)   sans-souci (des) sansouci, comme soucoupe, souterrain.
sapeur-pompier (un) sapeurs-pompiers (des)   sapeur pompier
sauf-conduit (un) sauf-conduits (des)   saufconduit
saute-ruisseau (un)   saute-ruisseau (des) sauteruisseau
sauvegarde (une) sauvegardes (des)    
sauve qui peut (un) sauve qui peut (des)    
sauve-vie (la), plante.   sauve-vie (des), H. sauvevie
savoir-faire (le)     savoirfaire. Pas de pl.
savoir-vivre (le)     savoirvivre. Pas de pl.
semaine sainte (la) semaines saintes (des)   semaine-sainte, livre de prières.
semen-contra (du)   semen-contra (des) semencontra
*semi-authentique, adj. semi-authentiques    
semi-double, adj. semi-doubles   semidouble, comme hémisphère
semi-pension (une)   semi-pensions (des) semipension
semi-preuve (une)   semi-preuves (des) semipreuve
semi-ton (un)   semi-tons (des) semiton, en 1659.
semper virens, adj.   semper virens sempervirens
sénatus-consulte (un) sénatus-consultes (des)    
sens devant derrière     On écrivait primitivement ce en devant derrière, ou c’en devant derrière, 1659.
sergent de ville (un) sergents de ville (des)    
sergent-fourrier (un)   sergents-fourriers (des)  
sergent-major (un)   sergents-majors (des) sergent major, 1659.
serre-file (un)   serre-file (des) serrefile
serre-papiers (un) serre-papiers (des)   serrepapier
*serre-point   serre-point (des) serrepoint
serre-tête (un) serre-tête (des)   serretête
servante-maîtresse (une)   servantes-maîtresses (des)  
soi-disant soi-disant   soidisant
soixante et un     L’Ac. écrit aussi soixante-un.
songe-creux (un)   songe-creux (des) songecreux
songe-malice (un)   songe-malice (des) songemalice
sot-l’y-laisse (un)?   sot-l’y-laisse (des)  
[448] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
soucoupe (une) soucoupes (des)    
souffre-douleur (un)   souffre-douleur (des) souffredouleur
soulever      
souligner      
soumettre      
soupente (une) soupentes (des)    
sourd-muet (un) sourds-muets (des)   On imprime, contr. à l’Ac., l’Institution des Sourds-Muets. H.
sourire (un) sourires (des)    
sous-affermer      
sous-aide (un) sous-aides (des)    
sous-amender      
sous-arbrisseau (un)   sous-arbrisseaux (des), P.  
sous-bail (un) sous-baux (des)   soubail, comme soucoupe, soupente, soupeser, sourire, soutenir, souterrain, etc.
sous-barbe (une)   sous-barbes (des) soubarbe. En 1659, sousbarbe.
sous-chef (un)   sous-chefs (des), P. souchef
sous-clavier, ière sous-claviers, ères   souclavier. En 1659, sousclavière.
sous-délégué, ée sous-délégués, ées   soudélégué
sous-diacre (un)   sous-diacres (des), P. soudiacre. En 1659, sousdiacre.
sous-dominante (la)   sous-dominantes (les) soudominante
sous-double, adj. sous-doubles   soudouble
sous-entendu (un) sous-entendus (des)    
sous-faite (un)   sous-faites (des) soufaite
sous-ferme (une) sous-fermes (des)   souferme
sous-garde (une)   sous-gardes (des) sougarde
sous-gorge (une)   sous-gorges (des) sougorge. En 1659, sousgorge.
sous-lieutenant (un) sous-lieutenants (des)    
sous-locataire (un)   sous-locataires (des) soulocataire
*sous-main (un)   sous-main (des), H. soumain
sous-maître (un), esse   sous-maîtres (des), esses soumaître, soumaîtresse
sous-marin, ine sous-marins, ines   soumarin
sous-multiple sous-multiples   soumultiple
sous-officier (un) sous-officiers (des)    
sous-ordre (un) sous-ordres (des)    
sous-pied (un) sous-pieds (des) sous-pieds (des), H. soupied. M. P. fait invariable ce mot composé. En 1659, souspied.
sous-préfet (un)   sous-préfets (des) soupréfet
*sous-secrétaire (un)   sous-secrétaires (des) sousecrétaire. En 1659, soussecrétaire.
*sous-seing (un)   sous-seings (des), P. sousseing.
sous seing privé      
soussigné, ée soussignés, ées    
sous-sol (un)   sous-sols (des) sousol
sous-tangente (une)   sous-tangentes (des) soutangente
sous-tendante (une)   sous-tendantes (des) soutendante
sous-traitant (un)   sous-traitants (des) soutraitant
soustylaire (une) soustylaires (des)    
sous-ventrière (une)   sous-ventrières (des), P. souventrière
[449] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
soutenir      
souterrain (un) souterrains (des)    
soutirer      
spina-ventosa (le)     spina ventosa, sans tiret et sans plur.
sud-sud-est      
sur-aller, vén.     suraller, comme surajouter.
sur-andouiller (un)   sur-andouillers (des) surandouiller
sur-arbitre   sur-arbitres (des), P. surabitre, comme les autres composés avec sur.
sur-le-champ     surlechamp, comme surtout.—Sur le champ, 1659.
surtaxe (une) surtaxes (des)    
surtout, adv.      
surtout (un) surtouts (des)    
susdit, ite susdits, dites    
*sus-dominante, adj.   sus-dominantes, P. susdominante
sus-énoncé, ée sus-énoncés, ées   susénoncé, comme susdit.
*sus-mentionné, ée   sus-mentionnés, ées susmentionné
*sus-nommé, ée   sus-nommés, ées susnommé
*sus-visé, ée   sus-visés, ées susvisé
taille-douce (une)   tailles-douces (des), P. tailledouce. En 1659, tailledouce.
*taille-doucier   taille-douciers (des) tailledoucier
taille-mer (un)   taille-mer (des) taillemer, à cause du pluriel.
tambour-maître (un) tambours-maîtres (des)    
tambour-major (un) tambours-majors (des)    
tam-tam (un)   tam-tams (des), ou tam-tam tamtam, à cause de crincrin, flicflac, flonflon.
tantôt      
tapecu (un) tapecus (des)    
tâte-vin (un)   tâte-vin (des) tâtevin
taupe-grillon (un)   taupes-grillons (des) Il fallait grillon taupe.
Te Deum (un)   Te-Deum (des), P.  
*tente-abri (une)   tentes-abris (des), H. tente abri
terre à terre (le)      
terre ferme (la) terres fermes (les)    
terre-neuvier (un)   terre-neuviers (des), P. terreneuvier
terre-noix (une)   terre-noix (des) terrenoix
terre-plein (un)   terre-pleins (des) terreplein
terre sainte (la)     Pas de pl.
tête à tête, loc. adv.      
tête-à-tête (un) tête-à-tête (des)    
théâtre français (le), en général.      
Théâtre-Français (le), rue Richelieu.      
tic tac   tic-tac (des), P. tictac. Voir tam-tam.
tiers arbitre (un) tiers arbitres (des)    
tiers état (le) tiers états (les)    
tiers ordre (le)     Pas de pl.
[450] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
tiers-point (un)   tiers-points (des), P.  
*timbre-poste (un)   timbres-poste (des) Voir malles-poste.
tire-balle (un) tire-balles (des)   tireballe
tire-botte (un)   tire-bottes (des), P. tirebotte, 1659, comme tirelire.
tire-bouchon (un)   tire-bouchon (des), P.
tire-bouchons (des), H.
tirebouchon (coiffure en)
tire-bourre (un)   tire-bourre (des), P.
tire-bourres (des), H.
tirebourre
tire-bouton (un)   tire-bouton (des)
tire-boutons (des), H.
tirebouton. M. P. écrit un tire-boutons.
tire-d’aile (un) tire-d’aile (des)    
tire-fond (un)   tire-fond (des), P. tirefond, 1659.
tirelaine (un)   tirelaines (des) tirelaine, 1659.
tire-laisse (un)   tire-laisse (des), P. tirelaisse
tire-larigot (à)   tire-larigot (des), P. tirelarigot, 1659. Cette expression ne comporte peut-être pas le pluriel proposé par M. P.
tire-liard (un)   tire-liard (des)  
tire-ligne (un)   tire-ligne (des), P., tire-lignes (des), H. tireligne, et aussi entreligne, comme interligne.
tirelire (une) tirelires (des)    
tire-moelle (un)   tire-moelle (des), P. tiremoelle
tire-pied (un)   tire-pied (des), P., tire-pieds, (des), H. tirepied, 1659.
tire-tête (un) tire-têtes (des)   tiretête
*tohu-bohu   tohu-bohu (des) tohubohu
torche-cul (un)   torche-cul (des) torchecu (un), à cause de tapecu.
torche-nez (un)   torche-nez (des) torchenez
tour à tour      
tournebride (un) tournebrides (des)    
tournebroche (un) tournebroches (des)    
tournemain (en un)      
tournesol (un) tournesols (des)    
tournevis (un) tournevis (des)    
Toussaint (la)     On écrivait autrefois la Toussaints.
tout à coup      
tout à fait      
tout à l’heure      
tout-courant, adv.     toutcourant. L’Ac. donne ce composé au mot Courant.
toute-bonne (la), plante   toute-bonnes (des), P. toutebonne
toute-épice (une)   toute-épice (des), P. toutépice
toutefois, adv.     Id., mais on écrit toutes fois et quantes.
toute-saine (une), arbre   toute-saines (des), P.
toutes-saines (des), H.
 
tout-ou-rien (un)      
tou-tou (un)   tou-tou (des), tou-tous (des), H. toutou
tout-puissant, toute-puissante tout-puissants, toutes-puissantes   On devrait dire tout-puissante.
[451] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
trachée-artère (la)   trachées-artères (des)  
tragi-comédie (une) tragi-comédies (des)    
tranchefile (une) tranchefiles (des)    
tranchelard (un) tranchelards (des) tranche-lard (des), P.  
tranche-montagne (un)   tranche-montagne (des)
tranche-montagnes (des), H.
tranchemontagne, comme tranchelard.
transsubstantiation (la)      
tréfonds (le)     Écrit autrefois très-fonds.
trente et quarante (le)   trente et quarante (les)  
*trente et un (le)   trente-et-un (des), P. trente et un (jeu de), comme trente et quarante.
très-bon, etc.     très bon, etc.
tré-sept (un)   tré-sept (des) trésept (jouer au), comme trictrac.
trictrac (le) trictracs (des)    
trique-bale (une)   trique-bales (des) triquebale
trique-madame (une)   trique-madame (des) triquemadame, 1659.
trois-mâts (un)   trois-mâts (des)  
trois-quart (un), ou trocart   trois-quarts (des) On écrit portrait de trois quarts.
trompe-l’œil (un) trompe-l’œil (des)    
trop-plein (le)   trop-plein (les)  
trouble-fête (un)   trouble-fête (des), P.  
trou-madame (un)   trous-madame (des), P. troumadame
trousse-étriers (un)   trousse-étriers (des)  
trousse-galant (un)   trousse-galant (des)  
trousse-pète (une)   trousse-pète (des) troussepète
trousse-queue (un)   trousse-queue (des) troussequeue (une)
tu-autem (le)   tu-autem (des), P. tu autem
tue-chien (le)   tue-chien (des)  
tue-tête (à)      
*ultra-royaliste (un)   ultra-royalistes (des) L’Acad. écrit par abréviation des ultra; ultras vaut mieux, H.
vade-mecum (un)   vade-mecum (des), P.  
va-et-vient (mouv. de)   va-et-vient (des), P.  
valet-à-patin (un)   valets-à-patin (des)
valets-à-patins (des), H.
 
va-nu-pieds (un)   va-nu-pieds (des), P. vanupied
va-t’en, vas-y     va-s-y
va-tout (le)   va-tout (des) vatout
vau-de-route (à)      
vau-l’eau (à)      
veine cave (la) veines caves (les)    
veine porte (la) veines portes (les)    
veni-mecum (un)   veni-mecum (des) veni mecum
ver à soie (un) vers à soie (des)    
ver-coquin (un)   vers-coquins (des), P. vercoquin, comme dans l’ancien français.
[452] MOTS
DU DICTIONNAIRE
DE L’ACADÉMIE.
PLURIELS
DONNÉS PAR L’ACADÉMIE.
PLURIELS
SELON QUELQUES
GRAMMAIRIENS.
CORRECTIONS
PROPOSÉES
ET OBSERVATIONS.
ver luisant (un) vers luisants (des) vers-luisants (des), P.  
vert-de-gris (un)   verts-de-gris (des), P. verderis[246]
*vert-dragon, adj.     invariable.
vert-pomme, adj.     invariable.
vert-pré, adj.     invariable.
vesse-de-loup (la), plante.   vesses-de-loup (des)  
vice-amiral (un) vice-amiraux (des)   viçamiral
vice-bailli (un) vice-baillis (des)   vicebailli, etc.
vice-chancelier (un) vice-chanceliers (des)   id.
vice-consul (un) vice-consuls (des)   id.
vice-gérant (un) vice-gérants (des)   id.
vice-gérent (un) vice-gérents (des)   id.
vice-légat (un) vice-légats (des)   id.
vice-président (un) vice-présidents (des)   id.
vice-reine (une) vice-reines (des)   id.
vice-roi (un) vice-rois (des)   id.
vice-sénéchal (un) vice-sénéchaux (des)   id.
vice versâ      
vide-bouteille (un)   vide-bouteille (des), vide-bouteilles (des), H. videbouteille. M. P. écrit un vide-bouteilles.
*vide-poche (un)   vide-poche (des), vide-poches (des), H. videpoche
vif-argent (le)   vifs-argents (les) vifargent
virevolte (une) virevoltes (des)    
virevousse ou virevouste (une) virevousses (des)    
vis-à-vis (un)   vis-à-vis (des)  
vive voix (de)      
vol-au-vent (un) vol-au-vent (des)   M. P. écrit vole-au-vent. On pourrait adopter volauvent.
volte-face (faire)   volte-face (des), P. volteface

[246] Ce mot devrait être écrit verderis comme dans le dictionnaire de Nat. Duez, où on lit: «Verderis ou verd de gris, en italien verderameRame en italien, abrégé de æramen, signifie le cuivre; vert-de-gris, corruption de verderis, est donc le vert de cuivre.

453 APPENDICE G.

Je terminerai cette longue revue des systèmes proposés, des idées et des opinions émises depuis l’origine de la critique littéraire pour ou contre la réforme orthographique, par la citation de quelques articles que ma première édition du présent ouvrage a provoqués de la part d’écrivains distingués dans des journaux ou des recueils importants. L’article si remarquable de M. Sainte-Beuve a déjà été inséré en partie, p. 165-175. M. Victor Fournel a publié, dans la Gazette de France du 28 janvier 1867, un compte rendu dont j’extrais les passages les plus importants:

«L’orthographe française jouit d’une renommée redoutable, légitimement acquise par ses anomalies, ses complications et ses incohérences. Elle est assurément la plus puissante barrière qui subsiste aujourd’hui contre la diffusion universelle de notre langue, et c’est la langue elle-même qui l’a élevée, comme pour racheter ainsi sa clarté proverbiale et faire payer sa conquête au prix qu’elle vaut.

«Cette orthographe n’est pas seulement bizarre, elle est irrégulière dans ses bizarreries et contradictoire dans ses irrégularités. Sa logique est entachée d’arbitraire: nous l’allons montrer tout à l’heure. Il en est du code grammatical comme de l’autre, où l’avocat général Servan se plaignait jadis qu’on ne pût se reconnaître à travers ce dédale de lois sur des lois, de lois contre des lois, de lois sans objet, de lois inutiles, insuffisantes, redondantes, oubliées, dangereuses, opposées, impossibles, et qu’on n’a cessé de compliquer soigneusement depuis, jusque dans les moindres recoins de la jurisprudence, par des arrêts sur des arrêts, contre des arrêts, autour des arrêts, pour les expliquer, pour les appuyer, pour les casser, pour les élargir, pour les restreindre, pour les éclaircir et pour les embrouiller.

«Les causes de ces variations ne tiennent pas exclusivement à l’origine mixte de notre langue: elles seraient trop longues à expliquer en détail, et il suffit d’en constater le résultat. S’il est vrai, comme on l’a dit, que l’orthographe est une de ces sciences qu’il n’y a aucune gloire à connaître, mais qu’il y a honte à ignorer, avouons franchement que chacun de nous porte sa part de cette honte. Qui n’a été obligé de recourir cent fois au Dictionnaire pour vérifier tel mot composé, pour savoir si contre-coup ne prend point de trait d’union, comme contrebande, ou en prend un comme contre-temps; s’il faut bien deux n à confessionnal, tandis qu’il n’en faut qu’une à national; comment s’écrit consonnance et comment s’écrit dissonance; et si le substantif clou, au pluriel, a l’s, comme filou, ou l’x, comme hibou, etc., etc.? Ces cas sont innombrables, et déconcertent à chaque pas les esprits les plus exacts comme les mémoires les plus tenaces.

«On assure que Chateaubriand ne savait pas l’orthographe; il lui suffisait de savoir sa langue; pour le reste, il s’en remettait à son secrétaire ou à son imprimeur. 454 Béranger a avoué lui-même que pendant longtemps il n’avait pu l’apprendre. Tout le monde n’a point les priviléges de Béranger ou de Chateaubriand, et, à les imiter, on risquerait beaucoup plus de se faire accuser d’ignorance que de se faire soupçonner de génie. Le temps n’est plus où l’orthographe était considérée comme une science mesquine, faite pour les maîtres d’école et les professeurs d’écriture, et où un hobereau pouvait dire fièrement:

«Je n’aime point la pédanterie. Pour moi, je mets l’orthographe en gentilhomme, et non en académicien.»

«Il orthographiait en gentilhomme, bien qu’il fût académicien, cet illustre maréchal de Richelieu, dont on conserve le discours de réception écrit de sa propre main, et plus criblé de fautes que ne le fut jamais la dictée d’un écolier de huitième. Et aussi ce glorieux maréchal de Saxe, qui eut du moins l’esprit de ne point se laisser ranger au nombre des immortels, et dont on a une lettre toute pleine de couleur locale et portant sa démonstration en elle-même, où se lit le passage suivant: «Ils veule me fere de la Cadémie; cela miret come une bage a un chas.» Louis XIV avait l’orthographe du premier gentilhomme de France, et Napoléon celle d’un homme de génie. Orthographier correctement, c’était l’exception jadis, et, pour ainsi dire, le privilége des seuls savants. Rien n’était plus rare dans le meilleur monde, quelquefois parmi les personnes les plus instruites, les plus spirituelles et les plus lettrées: les amateurs d’autographes le savent bien. Qui n’a, par exemple, péniblement déchiffré, à travers le charmant fouillis de leurs griffes de chat, quelques-uns de ces jolis billets écrits par les grandes dames du dix-huitième siècle, souvent avec la grâce, la finesse et la verve d’une Sévigné, mais presque toujours aussi avec l’orthographe du maréchal de Saxe?

«Il n’y a plus guère aujourd’hui que les cuisinières qui aient gardé sur ce point les traditions des duchesses du temps passé. Cette différence ne tient pas seulement au progrès de l’instruction, mais au progrès de l’orthographe elle-même, jadis flottante, maintenant fixée, simplifiée, rapprochée du type unique et de la logique, vers laquelle il lui reste un dernier et assez large pas à faire encore, si elle veut y toucher pleinement.

«L’enseignement de l’orthographe est l’une des parties les plus laborieuses de l’éducation enfantine. On a recours à tous les expédients pour graver dans les jeunes têtes ces règles souvent sans règle, et ces principes incohérents, violés par de continuelles exceptions. On a même essayé de la réduire en jeux. En 1509, Ringmann publiait à Saint-Dié une Grammaire figurée, où toutes les parties du discours sont symbolisées par autant de figures vivantes: le nom par un curé, le verbe par un roi, le participe par un moine, la préposition par un marguillier et l’interjection par un fou. Cela valait bien ces ballets scolaires des Jésuites où l’on voyait le Supin en u danser avec le Gérondif en do. A la fin du siècle suivant, on inventa une façon d’apprendre l’orthographe «en jouant avec un dé ou avec un rotin». Barthélemy publia en 1787 la Cantatrice grammairienne, ou méthode pour arriver au même résultat par le moyen de chansons, sans le secours d’aucun maître. Je lisais encore dernièrement, dans une revue destinée à l’adolescence, une espèce de petit roman grammatical où le Substantif vient causer sur la scène avec son remplaçant le Pronom, comme un héros de tragédie avec son confident, précédé de l’Article qui lui sert de hérault, et escorté de l’Adjectif en guise de suivant.

«Mais ce qui, mieux que ces enfantillages, prouve la réalité du mal, c’est le nombre et la vigueur des tentatives de réformation essayées depuis plus de trois 455 siècles chez nous. Dans aucun autre pays, il ne s’en est produit autant. M. Firmin Didot les a passées en revue dans un curieux et savant appendice du livre qui nous a inspiré cette rapide excursion à travers les steppes grammaticales, rarement visitées par la critique. La première qu’il signale date de 1527, et la dernière de 1865. Entre ces deux dates se déroule une chaîne ininterrompue de noms, où les plus obscurs se mêlent aux plus illustres, les mathématiciens aux poëtes, les bohêmes littéraires aux académiciens, et les esprits les plus aventureux aux réformateurs les plus sages et les plus modérés. Les uns veulent bouleverser entièrement l’orthographe et changer jusqu’à l’alphabet; les autres,—des écrivains comme Corneille, Bossuet et Voltaire, des philosophes ou des grammairiens autorisés comme Richelet, l’abbé de Dangeau, les auteurs de Port-Royal, Beauzée, le père Buffier, Duclos, Du Marsais et Wailly,—essaient simplement d’en bannir les bizarreries et les incongruités les plus flagrantes.»

M. Fournel analyse ensuite les systèmes de réforme proposés depuis Meigret jusqu’à nos jours, puis il constate l’importance des pas que l’Académie a faits depuis sa première édition dans les voies de la réforme.

«L’usage, dit-il, qu’elle reconnaissait, après Horace et Vaugelas, comme le maître et l’arbitre suprême de la langue, lui avait imposé ces changements. Mais M. Firmin Didot fait très-justement observer qu’elle ne peut plus attendre aujourd’hui les décisions de l’usage pour les suivre, et qu’au lieu de se borner à lui obéir, il lui appartient de le déterminer. Les conditions ne sont plus les mêmes qu’autrefois: tout écrivain s’est soumis à la loi du Dictionnaire, et les imprimeries le prennent pour règle absolue. Ce serait se condamner à l’immobilité perpétuelle, et tourner sans fin dans un cercle vicieux, que d’attendre le mot d’ordre d’un monarque déchu; et pour se refuser aux sages et légitimes réformes qui lui sont réclamées, elle ne peut arguer de ce que l’usage ne les a point admises, puisque l’usage, en ce qui concerne l’orthographe, a abdiqué entre ses mains.

«En principe, le projet proposé par M. Didot, sous forme de respectueuse requête à l’Académie, se justifie donc pleinement. Il sait qu’en fait de réformes dans les règles consacrées par une longue prescription, tout ce qui n’est pas nécessaire est condamné d’avance, et tout ce qui est superflu revêt une apparence tyrannique. Les meilleures même et les plus indispensables ont besoin de se produire avec ménagement, par respect pour une tradition qui a pris force de loi, et afin de ne pas introduire le trouble et la confusion sur le terrain qu’elles prétendent débrouiller. M. Didot se distingue des Meigret, des Ramus, des Rambaud, des Marle, de M. Erdan et de M. Féline, en ce qu’il n’est pas un révolutionnaire, mais un simple réformateur. Il se borne, du moins dans son plan général, au strict nécessaire, en s’enfermant dans les limites déterminées par les précédents de l’Académie elle-même. Il intervient au moment opportun, et, ce semble, dans les meilleures conditions de succès, grâce à l’influence que lui assurent la juste autorité de son nom, de ses travaux, etc.»

«Quels sont les principaux inconvénients de l’orthographe française, et les reproches sérieux qu’on est en droit de lui adresser? Elle emploie beaucoup de lettres surérogatoires, qui embarrassent et encombrent sa marche, des lettres qui pourraient se remplacer par d’autres, des lettres à double et triple emploi, changeant 456 arbitrairement de valeur suivant leur entourage, des lettres identiques se prononçant différemment, et des lettres différentes se prononçant d’une façon identique, des caractères dont elle n’a pas les sons, et des sons dont elle n’a pas le caractère, une complication de lettres, accumulées parfois comme à plaisir pour traduire les émissions les plus simples, la confusion du singulier avec le pluriel dans beaucoup de cas, et, en une foule d’autres, la différence des signes employés pour exprimer le pluriel dans les mêmes catégories de mots, enfin un inextricable enchevêtrement, un chaos de règles détruites, aussitôt qu’elles sont posées, par des listes d’exceptions souvent aussi nombreuses que les cas d’application régulière.

«On ne peut pas espérer de porter remède d’un seul coup à toutes ces anomalies; il y faudrait une véritable révolution. Les réformes proposées par M. Didot se bornent aux points essentiels et s’attaquent aux incohérences les plus criantes. Je commence toutefois par éliminer celle qui occupe le dernier rang dans son cahier de doléances; la distinction des deux g (g et ɡ) employés à l’avenir, l’une pour les sons durs comme dans fiɡure, l’autre pour les sons doux, comme dans gageure, que l’on écrirait alors ɡagure, en supprimant la lettre parasite e, qui a le tort de donner à ce terme la même physionomie, sans lui donner le même son, qu’au mot demeure. L’introduction de ce g doux serait quelque chose d’analogue à la création de la cédille pour le c, et, comme elle, pourrait amener la suppression d’un grand nombre d’e surérogatoires, placés après le g actuel pour l’adoucir. Mais, sous prétexte de simplification, c’est là une complication véritable, toute de fantaisie, dont les avantages assez minces ne me paraissent pas suffisamment compensés par les inconvénients, et qui charge l’alphabet d’une lettre de plus, ou du moins d’une nouvelle forme de lettre, d’ailleurs absolument inutile, puisque son emploi se confondrait avec celui du j[247].

[247] J’ai fait droit à cette juste critique dans cette seconde édition.

«Sur les autres points, les réclamations de M. Didot sont d’une incontestable justesse, et ses réformes les unes nécessaires, les autres très-logiques et presque toujours très-souhaitables. Il est évident, par exemple, qu’il y a toute une révision à accomplir dans les mots composés, labyrinthe plus embrouillé que celui de Dédale, et où il est impossible de trouver un fil conducteur. On ne comprendra jamais pourquoi l’Académie écrit clairvoyant, tandis qu’elle écrit clair-semé; pourquoi, d’une part, contrebande et, de l’autre, contre-coup. Elle a déjà supprimé beaucoup de ces traits d’union, pour fondre en un seul les deux termes, quelquefois en élidant ou en contractant le premier: qu’elle poursuive cette tâche, qui, en effaçant une contradiction perpétuelle, fera disparaître en même temps la difficulté insoluble de la formation du pluriel dans certains mots composés! Il n’est pas moins évident que rien n’est plus arbitraire et plus irrégulier que l’emploi des doubles lettres. Comment, lorsqu’on ne met qu’un g dans agression, agrandir, agréer, etc., en laisser subsister deux dans agglomérer, agglutiner, aggraver, et faire une exception pour ces trois mots seuls? Les mêmes variations existent dans les dérivés des mots terminés en on et en ion (timonier et canonnier, violoniste et bâtonniste, donateur et ordonnateur); dans l’emploi du double t à la finale des mots (démailloter et emmaillotter, contradiction vraiment intolérable), et le redoublement de certaines lettres, telles que le p dans appauvrir, applaudir..., lorsqu’on écrit aplanir, apercevoir, etc. Les tableaux dressés par M. Didot, avec une conscience et un soin scrupuleux, mettent 457 ces anomalies dans tout leur jour, et les rendent plus choquantes encore par le rapprochement.

«Qui n’a entendu conter dix fois une charmante anecdote dont Nodier est le héros? Lisant à l’Académie des remarques sur la langue française, il disait que le t entre deux i a d’ordinaire, et sauf quelques exceptions, le son de l’s:

«Vous vous trompez, Nodier; la règle est sans exception, lui cria Emmanuel Dupaty.—Mon cher confrère, répliqua le malicieux grammairien avec une humilité sarcastique, prenez picié de mon ignorance, et faites-moi l’amicié de me répéter seulement la moicié de ce que vous venez de dire.»

«L’Académie rit, et Dupaty resta convaincu qu’il y avait des exceptions. Au fond, la réplique de Nodier était une épigramme contre le Dictionnaire. Qui dira en vertu de quel principe le t suivi d’un i se prononce tantôt ti et tantôt ci? M. Didot propose de remédier à cette confusion soit par la substitution du c au t,—car rien n’empêcherait d’écrire ambicieux comme on écrit précieux,—soit par l’emploi du t avec une cédille, particulièrement dans les substantifs d’une forme absolument identique à celle de verbes dont la prononciation n’est point la même (nous éditions, les éditions; nous inspections, les inspections, etc.). Cette dernière anomalie se retrouve, et appelle un remède analogue, dans les substantifs en ent qui présentent une homographie complète, malgré la différence du son, avec la troisième personne plurielle du présent de l’indicatif (un affluent, ils affluent; un équivalent, ils équivalent).

«Le chapitre sur la régularisation de l’orthographe étymologique est l’un des plus intéressants du livre. Nulle part les contradictions ne fourmillent pareillement. Ainsi, dans les mots tirés du grec, le χ est représenté tantôt par le c, ou le k, ou le qu (acariâtre, kilo, monarque), tantôt par le ch dur (archéologue), tantôt par le ch doux (anarchie). Le th est censé représenter le θ grec, mais c’est dans notre langue un signe sans aucun son correspondant, comme le ph, qui répond au φ, mais qui se prononce f, et ne sert qu’à surcharger certains mots, en leur donnant une physionomie barbare. Qu’est-ce donc quand le th et le ph se trouvent réunis, quelquefois en double exemplaire (diphthongue, apophthegme, ichthyophage)? Assurément, il faut tenir grand compte de l’étymologie dans l’orthographe, et c’est pour l’avoir méprisée que les révolutionnaires qui veulent qu’on écrive comme on prononce ont échoué dans le ridicule. Mais l’Académie elle-même a porté les premiers et les plus rudes coups à l’orthographe étymologique. Sur les 20,000 mots environ dont se compose le dictionnaire, il y en a, d’après les calculs de Marle, 3,000 d’étymologie inconnue, 1,500 d’étymologie douteuse, 10,000 qui se sont dépouillés successivement de leurs lettres étymologiques, et 500 dont l’orthographe est absolument contraire à l’étymologie. Pourquoi paragraphe et agrafe, philosophe et fantaisie, rhythme et eurythmie? La logique la plus élémentaire exigerait qu’on écrivît fénomène comme fantôme, ou qu’on revînt à l’ancienne orthographe, qui disait phantôme, comme phénomène. Ce qu’on demande à l’Académie française, ce n’est pas d’effacer l’étiquette étymologique des mots, c’est de se montrer conséquente avec elle-même, de mettre de l’unité dans l’œuvre qu’elle a commencée, et de rayer de perpétuelles contradictions qui déconcertent l’esprit.

«Puisqu’on a supprimé l’h étymologique dans trône, trésor (jadis throsne, thrésor), il serait aussi logique de la supprimer dans anathème, athlète, etc. Cependant je suis le premier à convenir qu’il ne faut pas pousser toujours la logique à l’extrême, et j’avoue que j’aurais la faiblesse de reculer devant quelques-unes 458 de ces simplifications, auxquelles il est pourtant impossible de faire, en théorie, la moindre objection sérieuse. Dans la pratique, il est des réformes qui me paraissent plus urgentes que cette dernière, par exemple, la régularisation de la marque du pluriel dans les mots en ou, dont je m’étonne que M. Didot n’ait pas fait l’objet d’une proposition formelle.

«Je suis obligé de tourner court: le sujet m’a déjà entraîné bien au-delà de mes limites habituelles; mais j’espère que le lecteur me pardonnera cette petite conférence grammaticale, frugale orgie d’eau claire et de racines grecques. La conclusion se déduit d’elle-même. Il y a évidemment quelque chose, il y a même beaucoup à faire, de l’aveu unanime des grammairiens et des lexicographes. L’occasion est propice: elle ne se retrouvera peut-être pas avant un siècle, car les nouvelles éditions du Dictionnaire de l’Académie sont rares. M. Didot a déblayé la route et tracé la marche: il ne reste plus qu’à suivre ce guide expérimenté, en tenant compte de tous les intérêts et de tous les besoins, en appliquant les réformes dans les limites où elles peuvent se concilier avec le respect des meilleures traditions, et améliorer le mécanisme de la langue sans trop bouleverser les habitudes jusqu’à présent consacrées par la loi.»

M. Auguste Bernard, dans le journal l’Imprimerie, de janvier 1868, a inséré une lettre qu’il a bien voulu m’adresser et dont j’extrais les passages qui ont trait à la doctrine.

«Cher et honoré maître,

«Rien ne pouvait m’être plus agréable que votre intéressant travail, car il y a longtemps que ce sujet me préoccupe. J’annonçais, en effet, il y a bientôt trente ans, dans ma préface des Procès-verbaux des États généraux de 1593 (vol. in-4o de la Collection des documents inédits relatifs à l’histoire de France), un livre sur l’histoire de l’orthographe française depuis l’invention de l’imprimerie.

«Je me félicite aujourd’hui d’avoir été détourné par d’autres occupations de la réalisation de ce projet; car votre nouveau travail aurait probablement rendu mes peines inutiles. Personne ne pouvait aborder ce sujet avec plus d’autorité que vous, qui réunissez à l’érudition d’un académicien toutes les connaissances du typographe.

«Au reste, c’est chez vous-même, et en travaillant au Dictionnaire de l’Académie de 1835, dont j’étais la cheville ouvrière, que cette idée m’était venue. J’avais été souvent choqué des irrégularités qui se glissaient dans ce livre, faute d’un praticien pour les relever, et si je n’avais pas été si jeune alors, j’aurais peut-être hasardé quelques observations; mais, n’osant pas le faire, je me mis dès lors à étudier les progrès de l’orthographe depuis le commencement du seizième siècle, progrès opérés par les imprimeurs, qui ont plus fait pour cela, à mon avis, que les grammairiens et les académiciens ensemble. Et cela se conçoit facilement. Avant les travaux de l’Académie, l’orthographe était incertaine: l’écrivain ne s’inquiétait pas, en poursuivant sa pensée, de la forme plus ou moins régulière des mots qu’il employait, pourvu qu’ils fussent compris. Mais le compositeur, ou pour mieux dire le correcteur, est obligé d’adopter un système. Il ne pourrait laisser passer dans un livre soumis à son contrôle un mot écrit de cinq manières différentes, comme cela se voit dans le Livre des Métiers 459 d’Estienne Boileau, que vous citez p. 195. Il faut qu’il adopte l’une ou l’autre. Or, avant d’adopter, il compare, il raisonne: de là la régularisation et l’amélioration de l’orthographe.

«Voilà ce que fait un correcteur. Mais il faut s’entendre sur la valeur de ce mot. Le véritable correcteur doit être à la fois érudit et typographe. Si ce n’est qu’un érudit, un déclassé, qui fait ce métier parce qu’il n’en trouve pas de meilleur, il ne remplira que la moitié de sa tâche.....

«En parcourant l’analyse des livres des législateurs de l’orthographe, que vous avez donnée dans la seconde partie de votre ouvrage, j’ai vu avec joie qu’aucun ne pouvait être comparé à mon cher Tory pour l’importance de sa réforme. En effet, lorsqu’il parut, le français était encore dans ses langes latins, ne possédant aucun signe particulier pour représenter les sons qui lui étaient propres. La création de l’accent aigu à elle seule fut toute une révolution dans la langue. On a depuis inventé les accents grave et circonflexe, mais ces derniers, tout euphoniques, n’ont pas l’importance grammaticale de l’accent aigu, qui, en distinguant, par exemple, le participe passé du présent de l’indicatif, dans certains verbes, a permis au lecteur de se soustraire à une confusion déplorable.

«Je citais naguère cette phrase qui, dans l’ancienne orthographe, pouvait avoir deux sens opposés: «Un homme mange des vers.» Cet homme mangeait-il des vers ou au contraire était-il mangé par eux? Une simple virgule placée sur la lettre e nous a tiré d’embarras, en distinguant l’e féminin de l’e masculin, comme on disait alors, et en permettant de lire sans hésitation l’un ou l’autre. Quelques auteurs avaient déjà signalé la nécessité de cette réforme; mais aucun ne l’avait réalisée; et Tory ne l’a faite (de même que celle de la cédille et de l’apostrophe) que parce qu’il était, comme vous le dites, «aussi habile artiste que savant typographe».

«Je ne regrette qu’une chose pour Tory, c’est qu’il n’ait pas la gloire d’avoir distingué l’i et l’u consonnes (j et v) de l’i et de l’u voyelles. Cette amélioration était bien facile, puisqu’il ne s’agissait que d’appliquer à un usage spécial deux lettres qui existaient déjà dans la typographie, l’u initial (v), et l’i final (j); elle ne fut pourtant réalisée qu’un siècle après lui, et par les imprimeurs de Hollande encore. Toutefois, il est juste de dire que les imprimeurs français avaient déjà en partie paré à cet inconvénient en mettant un tréma sur l’u consonne. Ainsi le mot boue était imprimé boüe, pour empêcher de lire bove. De même nous mettons aujourd’hui un tréma sur l’e final des mots aiguë, et contiguë, etc., pour qu’on ne lise pas gue. Cette innovation du tréma sur l’u voyelle fut adoptée par toutes les personnes intelligentes du seizième siècle.

«C’est ce que n’a pas compris l’académicien Berger de Xivrey, qui, dans la collection des Lettres de Henri IV, a conservé cet u tréma partout où il l’a trouvé, sans se douter que cette forme orthographique jurait dans son livre, où il a mis les v à la place des u consonnes, comme aujourd’hui. Cela rappelle un peu ces braves gens qui, ayant vu le mot univers, par exemple, écrit jadis Vniuers, c’est-à-dire avec un u initial au commencement (v), et un u médial (u) au milieu, se figurent que nos pères mettaient toujours le v pour l’u, et réciproquement, et ils ne manquent pas de suivre cette règle dans leurs essais d’archaïsme. Cela se voit journellement dans les catalogues de librairie, et je ne jurerais pas qu’on n’en puisse trouver des exemples dans le Manuel de Brunet

460 M. Maurice Meyer, Inspecteur de l’instruction primaire du département de la Seine, a publié dans la Revue nationale et étrangère du 28 mars 1868, un article dont j’extrais le passage suivant:

«Que de dictionnaires, combien de grammaires surtout, depuis quelques années, se sont multipliés, pour faire à notre langue une sorte de rempart et pour rappeler aux saines doctrines les insurgés de la parole et les fauteurs du désordre, je ne pourrais le calculer exactement. Malgré tout, il faut bien le confesser, le but n’a été qu’imparfaitement atteint: on a plus écrit que sagement écrit, et il y a eu plus de bonnes intentions que de bonnes grammaires.

«C’est que la composition d’une bonne grammaire française n’est pas d’une médiocre difficulté. Outre qu’il lui faut l’appui et l’autorité d’un bon Dictionnaire académique, le talent d’y mettre tout ce qu’il faut, et rien que ce qu’il faut, est tout simplement un art véritable. Elle exige un don d’expérience, une méthode rares. L’esprit de l’auteur, sa finesse peut s’y faire sentir, jamais voir. Il faut qu’il comprenne la langue par le côté métaphysique et la fasse comprendre par le côté vulgaire. Point de raisonnements quintessenciés, point d’ambages abstraits. Tout cela peut se concentrer dans le démonstrateur, mais non se répandre dans la démonstration, s’il veut qu’elle pénètre et se grave. Chercher le simple, éviter le compliqué, voilà le secret; parce que le simple, en matière aussi abstraite, annonce le plus souvent une vérité acquise, et le compliqué une vérité qui se voile ou qu’on cherche. Le simple porte avec lui cette clarté rapide, sans laquelle l’esprit français refuse d’avancer, tandis que le compliqué produit le trouble qui le met en défiance ou le rebute.

«La simplicité d’ailleurs n’est-ce pas la qualité maîtresse du parler français? Notre langue n’est si simple, si ennemie des inversions, que parce qu’elle place la raison avant l’imagination. Dans la grande famille des langues, elle est un des instruments de précision les mieux trempés pour la pensée, et elle ne dit si parfaitement ce qu’elle veut dire que parce qu’elle est affamée de justesse. Malheureusement la fantaisie et le chimérique menacent de la corrompre depuis longtemps, et il est pressant, pour l’Académie, de les écarter au moyen d’un bon Dictionnaire.

«Je cherche, par exemple, dans quelle catégorie elle classera le mot train express. Si express est un adjectif, pourquoi ne peut-il prendre ni la forme du féminin, ni celle du pluriel? S’il est un substantif, avec sa finale sifflante et bizarre, comment l’écrirai-je au pluriel, et à quelle famille de mots le rattacher? De plus, chacun sait-il bien la signification de ce mot express, qu’il ne faut pas confondre avec exprès? Même remarque pour timbres-poste, dont la deuxième partie est invariable. Pourquoi n’avoir pas dit timbres de poste, comme on dit voitures de poste, train de poste? pourquoi avoir accru, au grand dommage de la clarté, cette race de noms composés et bâtards qui inquiètent notre orthographe et troublent notre logique?

«M. Didot a, là-dessus, tout un chapitre bien curieux et une nomenclature finale des mots composés, qui se dresse comme une liste d’accusation contre les complaisances de notre Académie. Il en est qu’elle a enregistrés quand ils avaient pris rang, au lieu de les écarter d’autorité, avant leur intrusion définitive, oubliant que les mots qui sont de mode finissent par devenir d’usage, et que l’usage à son tour, même quand il a bravé la règle, ne tarde pas à en devenir une. 461 M. Didot adopte ces mots mal venus, mais il propose d’effacer le trait d’union qui les sépare, pour qu’on n’hésite plus sur leur orthographe. Il lui est facile de prouver que, l’Académie l’ayant effacé pour beaucoup d’entre eux, il y aurait justice et harmonie à le faire pour tous. Mais peut-être demande-t-il trop.

«Bien d’autres désordres d’orthographe, signalés dans cet excellent Mémoire, appellent toute l’attention de l’Académie pour la publication de sa septième édition. M. Sainte-Beuve, avec son érudition piquante, en a relevé finement un grand nombre. Mais il n’a pu tout dire: c’eût été trop long, même sous sa plume charmante. Je voudrais plus encore que ce que demandent M. Sainte-Beuve et M. Didot: je désirerais que les mots, les locutions vicieuses fussent aussi corrigés dans cette dernière édition.

«Tous ces vœux seront-ils écoutés par les académiciens qui sont à l’œuvre? Je ne sais, car je me souviens des résistances séculaires que les dictionnaires antérieurs ont opposées aux nouveautés les plus légitimes. Toutefois, j’ai bon espoir que l’Académie, mieux informée et plus juste cette fois, fera comme nous et accueillera favorablement la plupart des Observations si sensées de M. Didot.»

Je signalerai aussi l’article de M. Léger Noel, dans le Journal de Rouen du 3 mars 1868, celui de M. Louis Lievin dans la Liberté du 5 avril et ceux de plusieurs autres littérateurs distingués qui ont donné, avec une extrême bienveillance, leur assentiment à mes recherches.

L’imprimerie parisienne s’est associée à ce mouvement des littérateurs et des érudits en faveur de la Réforme orthographique. Il me suffira de signaler ici la Lettre de la Société des correcteurs à l’Académie française, dans laquelle, à la suite d’un vote unanime (le 19 avril), la société supplie la docte compagnie de vouloir bien admettre le principe de l’uniformité orthographique dans sa prochaine édition.

Le mouvement d’adhésion s’est étendu jusqu’au-delà du détroit. Un typographe instruit en même temps que linguiste distingué, M. Théodore Küster, a publié à Londres dans le Printer’s Register du 6 janvier 1868, un article dont je traduis les passages où l’auteur, après avoir analysé mes propositions, émet ses vues propres.

A propos des mots du Dictionnaire de l’Académie empruntés de l’anglais ou de l’allemand, comme vagon, cipaye, valse, paquebot, railway, choucroute, etc., dont l’orthographe a été francisée, il s’exprime ainsi:

«Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les mots où les th et les ph figurent aussi désagréablement que les w et k des Saxons?

462 «A notre point de vue, dans toute réforme orthographique, soit en France, soit en Angleterre ou dans tout autre pays, notre seul désir est de voir concilier, par une sorte de compromis entre eux, les deux systèmes basés l’un sur l’étymologie seule, l’autre sur la prononciation seule. M. Didot, dans ses observations, suggère quelque chose de fort juste à cet égard. Il fait deux listes de mots qu’il range sous deux titres: «mots d’un usage ordinaire» et «mots d’un usage exceptionnel», et il propose de simplifier les premiers, lorsqu’ils sont entrés dans le langage usuel, et de laisser aux savants leurs termes scolastiques tels qu’ils les ont formés. L’école grecque peut, si elle veut, forger des expressions techniques et les écrire comme elle veut, mais elle n’a pas le droit d’embarrasser le simple artisan avec des difficultés; car une grande partie du public et même du public liseur ne sait ni grec ni latin, et sera par conséquent incapable de distinguer les étymologies provenant de ces langues.

«Les remarques sur les doubles lettres sont très-justes, et on maintiendrait la double consonne dans le cas où elle se fait entendre, comme dans correcteur; mais il est utile de supprimer l’une des consonnes dans des mots tels que nourrir et de les écrire comme mourir.

«Les mots composés, en français, sont une source de grande perplexité, non-seulement pour les étrangers, mais même pour les indigènes; car il existe une grande diversité d’opinion relativement à la forme du pluriel dans les mots qui s’écrivent avec un trait d’union. Si le trait d’union était omis (comme le propose M. Didot), cette difficulté serait grandement diminuée; au lieu de chefs-d’œuvre, on écrirait chefdœuvres ou probablement chédœuvres. Nous mentionnerons à ce propos que l’introduction d’une branche de l’industrie britannique en France a doté ce pays d’un nouveau mot, pickpocket, qui, d’après la réforme orthographique, s’écrirait piquepoquet.

«En anglais l’emploi du trait d’union dans les mots composés est un peu incertain. Malheureusement nous n’avons pas, pour décider les questions d’orthographe, l’autorité d’un corps analogue à l’Académie française. Ce serait le devoir de la société philologique, mais elle ne s’en acquitte pas.

«Le caractère distinctif de l’esprit français est une fine perception de l’ordre et une tendance à introduire en tout une règle et une méthode. Les tendances des nations saxonnes et teutoniques sont tout autres: là c’est l’action individuelle. Nous, Anglais, nous sommes intolérants pour la centralisation, comme ne pouvant s’accorder avec ce droit individuel. Nous laissons les choses suivre leur cours, tandis que nos voisins d’outre-mer assignent aux choses le cours qu’elles auront à suivre. Il est aisé de voir de quel côté est l’avantage dans l’emploi des anomalies de la grammaire ou du dictionnaire. Dans cinquante ans ils auront fait de leur langue une armée bien réglée et bien disciplinée, tandis que la nôtre ressemblera à une foule énergique et indisciplinée, qui se pressant dans les rues d’une grande ville, y cause de la confusion.»

M. Küster critique ensuite ma proposition du t cédille:

«Nous ne pouvons admettre, dit-il, cette innovation, par la raison que nous avons plusieurs fois donnée dans le «Printer’s register» que l’ensemble des caractères restera toujours uniforme avec lui-même, attendu que pour se procurer de nouveaux caractères, soit g, soit t, les imprimeurs seraient entraînés à des dépenses qu’ils ne voudront pas plus faire pour ces lettres qu’ils ne l’ont fait pour l’À. 463 ils sont forcés d’adopter le proverbe: «Il faut travailler avec les outils que l’on a[248]

[248] Quand on voit avec quel empressement on introduit dans les livres des caractères si variés de forme et d’aspect, uniquement par caprice et pour satisfaire au désir de nouveauté aussi général en Angleterre qu’en France, on ne conçoit pas ce motif d’une économie sordide; et l’on s’étonne qu’en Angleterre on réimprime encore des ouvrages ou passages de notre langue sans employer l’à, sous prétexte que l’usage en est étranger à la langue.

«Nous sommes persuadé que beaucoup de personnes tenteront de s’opposer aux changements proposés dans l’ouvrage que nous avons sous les yeux. Elles ont appris le français d’après la méthode actuelle, et considéreront ces modifications comme une félonie à leur égard; mais, quand nous mettons en balance les plus grands inconvénients qui peuvent résulter de ces changements et l’énorme perte de temps qu’entraîne, pour ceux qui étudient le français, le système actuel, il nous semble que toute personne impartiale décidera en faveur de la réforme.

«Nous avons consacré à cette analyse plus de place que nos colonnes ne nous le permettraient à la rigueur; mais ce travail sera probablement d’un tel poids dans l’amélioration de l’orthographe française qu’il ne peut manquer d’avoir de l’influence même sur notre orthographe. Il suffira de dire, pour conclure, que l’auteur a déployé, dans ce volume, une vaste érudition, et il prouve ses propositions avec tant de clarté et de force, que nous souhaitons sincèrement de voir l’Académie adopter les changements qui lui sont proposés. Elle facilitera ainsi aux étrangers l’étude de l’une des langues les plus belles et les plus utiles du monde entier.»

La Patrie, gazette suisse, dans son numéro du 17 janvier, conclut ainsi l’article qu’elle a consacré à ma première édition:

«Si l’orthographe phonétique, conforme, comme on l’a vu, aux origines et à l’esprit de la langue française, présente d’incontestables avantages comme méthode de lecture et d’écriture, comme orthographe de ceux qui n’ont pas le temps d’apprendre celle des lettrés, et comme moyen de figurer exactement la prononciation de la langue française et de plusieurs langues étrangères, cette écriture ne doit pas encore avoir ses entrées dans le Dictionnaire de l’Académie, d’après M. Didot. Le peuple fera le sien quand il le jugera bon. Le savant imprimeur-libraire de l’Institut de France ne pouvait évidemment parler à l’Académie française que de l’orthographe des lettrés, et on doit lui savoir un gré infini d’avoir si nettement posé la question, et pris si courageusement l’initiative des importantes réformes indiquées dans son volume.

«Si l’on ajoute à cette publication du savant éditeur parisien les Rapports qui viennent d’être faits à l’Institut genevois par deux de ses membres, rapports très-favorables à la réforme orthographique, on verra que cette question mérite d’attirer partout l’attention des lettrés aussi bien que celle des amis de l’instruction populaire.»

M. O. Havard, dans la Revue du monde catholique du 25 mai dernier, adhère, avec de grandes réserves, au principe de la réforme:

«Comme conclusion pratique, dit-il, M. Didot voudrait, avec M. Raoux, voir 464 les lexicographes représenter la prononciation, en tête des dictionnaires anglais, arabes et turcs, dans un système phonographique perfectionné et convenu entre les linguistes.

«Mais, avant d’en arriver à ce développement, la méthode phonétique a besoin de mûrir; jusque-là il faut se défier des innovations désordonnées, imprudentes, et ne pas éliminer une difficulté pour nous gratifier aussitôt d’une autre. Plus tard alors pourra-t-on voir l’Académie française se montrer aussi hardie que l’Académie de la Crusca en 1612, l’Académie de Madrid en 1726, le grand Vocabulario portuguez de Coïmbre en 1712, et concilier, dans la mesure légitime, le système phonographique avec le système orthographique des langues néo-latines. Mais l’anarchie qui règne en France dans la prononciation de la langue rendra toujours difficile, et peut-être d’ici longtemps impraticable, le projet des phonographes. Non-seulement entre les provinces du Nord et du Midi, mais dans la même contrée, on se trouvera en présence de dialectes et d’idiomes qui modifient singulièrement la prononciation littéraire. Il faudrait donc adopter une méthode conventionnelle: mais avec l’éducation insuffisante des classes inférieures, pourra-t-on la populariser?»


TABLE DES MATIÈRES.

Pages.
Introduction 1
Dictionnaire de l’Académie et son orthographe:  
Première édition 6
Deuxième édition 10
Troisième édition 11
Quatrième édition 13
Cinquième édition 17
Sixième édition 18
I. Orthographe étymologique:
De la lettre χ.
Mots de la langue française où la lettre χ est figurée par c, k ou qu et par ch 35
De l’esprit rude et de la lettre h 38
Des lettres Θ et Φ représentées en latin par th et ph 40
Mots d’un usage ordinaire ayant conservé le th 43
Mots avec th d’un usage exceptionnel 44
Du Φ qui devrait toujours être représenté par f Ibid.
Mots avec ph d’un usage ordinaire 45
Mots avec ph d’un usage exceptionnel 47
Mots avec th et ph réunis Ibid.
Mots avec deux ph ou deux th Ibid.
II. Doubles lettres 48
III. Des tirets ou traits d’union 58
IV. De l’orthographe et de la prononciation des mots terminés en ANT ou ENT.
Adjectifs et substantifs verbaux provenant du participe présent 67
Liste des adjectifs et substantifs verbaux formés de participes latins en ens (haute, moyenne et basse latinité) provenant de la 2e, 3e ou 4e conjugaison, et qui en français se terminent en ant 69
Liste des adjectifs et substantifs verbaux provenant des trois dernières conjugaisons latines et qui se terminent en ent 71
Mots en ent prononcés différemment, bien qu’écrits de même 72
De l’orthographe et de la prononciation des mots en ance et ence 75
Mots en ance 78
Mots en ence Ibid.
V. Syllabes ti, tion 80
466 VI. De l’Y grec 85
VII. De la lettre ġ 88
De la lettre X 90
Conclusion 91
Exposé des opinions et systèmes concernant l’orthographe française depuis 1527 jusqu’a nos jours 99
APPENDICE A.
Les dictionnaires français antérieurs à celui de l’Académie de 1694:
Firmin Le Ver (Dictionnaire manuscrit de 1420) 101
Catholicon abbreviatum 107
Vocabularius nebrissensis 108
Robert Estienne Ibid.
Guillaume de Laimarie 109
Jean Nicot Ibid.
Philibert Monet 110
Nathaniel Duez 111
César Oudin Ibid.
Pierre Richelet Ibid.
Tableau synoptique du changement d’orthographe depuis le XVe siècle dans les mots difficiles 112b
Orthographe de l’Académie en 1694, date de la première édition du dictionnaire 113
Préface du dictionnaire de l’Académie 114
Cahiers de remarques rédigés pour le Dictionnaire de 1694 117
Grammaire de Regnier des Marais 120
APPENDICE B.
Opinion de Ronsard sur l’orthographe étymologique 121
APPENDICE C.
Opinion de plusieurs membres de l’Académie française et de l’Académie des belles-lettres sur l’orthographe et la réforme orthographique:  
Nicolas Perrot d’Ablancourt 124
Pierre Corneille 125
Jacques-Bénigne Bossuet 130
L’abbé de Dangeau 133
L’abbé de Choisy 134
L’abbé Girard 139
Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre 143
Duclos 147
Nicolas Beauzée 148
Noël-François de Wailly 150
Voltaire 154
François de Neufchateau 156
Urbain Domergue 157
Volney 158
Fortia d’Urban 159
Destutt de Tracy Ibid.
Jouy 160
Charles Nodier 161
Andrieux Ibid.
Laromiguière 162
Daunou Ibid.
Littré 163
Max Müller (correspondant) 164
L. Quicherat 165
Charles-Auguste Sainte-Beuve 167
APPENDICE D.
Historique des réformes orthographiques proposées où accomplies 175
XVIe SIÈCLE:
Geoffroy Tory 177
Jean Salomon Ibid.
Très-utile et compendieux traité de l’art et science d’ortographie gallicane (anonyme) 178
Gilles du Wès (ou Dewes, ou du Guez) Ibid.
Jean Palsgrave 179
Jacques Sylvius (Dubois) 181
Etienne Dolet Ibid.
Robert Estienne 182
467 Louis Meigret et Guillaume des Autels 184
Joachim du Bellay 187
Jacques Pelletier 188
Joachim Périon 189
Jean Garnier 190
Jean Pillot Ibid.
Abel Mathieu 191
Pierre Ramus (La Ramée) 191
Etienne Pasquier 194
Henri Estienne 197
Jean-Antoine de Baïf 199
Honorat Rambaud 200
Laurent Joubert 203
Claude de Saint-Lien 204
Claude Mermet 206
Montaigne Ibid.
De Palliot 207
XVIIe SIÈCLE
Robert Poisson 209
Pierre le Gaygnard 212
Etienne Simon Ibid.
Claude Expilly 213
Jean Godard Ibid.
Charles Sorel 219
Pierre de la Noue 220
Antoine Oudin 221
Le P. Antoine Dobert 223
Du Tertre Ibid.
Le P. Laur. Chiflet Ibid.
Claude Lancelot (Grammaire de Port-Royal) 226
Antoine Bodeau de Somaize Ibid.
Simon Moinet 230
Jacques d’Argent 231
De Bleigny Ibid.
Jacques de Gevry Ibid.
Louis de l’Esclache Ibid.
De Mauconduit 232
Lartigaut 233
Gilles Ménage 236
François Charpentier 237
J.-B. Bossuet 239
Jean Hindret Ibid.
Jérôme-Ambroise Langen-Mantel Ibid.
De Soule 240
René Milleran Ibid.
Rodilard Ibid.
Louis de Courcillon, abbé de Dangeau 241
Alphabet ingénieux pour le françois (anonyme) 247
André Renaud Ibid.
César-Pierre Richelet 248
XVIIIe SIÈCLE:
Projet d’un Esei de granmére francéze (anonyme) 248
L’abbé Régnier des Marais 251
Nicolas de Frémont d’Ablancourt 257
Le P. Claude Buffier 258
Pierre Panel 259
De Grimarest Ibid.
Le P. Gilles Vaudelin 260
Nicolas Dupont 261
L’abbé Girard Ibid.
Plan d’une ortographe suivie (anonyme) 264
Pierre Py-Poulain de Launay 265
L. Pierre de Longue 266
Ch.-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre 267
Maurice Jacquier 270
Cheneau, sieur Du Marsais 271
La Bibliotèque des enfans ou les premiers elemens des letres (anonyme) 273
Le Précepteur (anonyme) 274
De Wailly 276
Claude Lancelot (Grammaire de Port-Royal) 283
Douchet 285
L’abbé Cherrier 287
Ortografe des dames pour aprandre a ècrire et a lire corectemant (anonyme) 288
Manière d’étudier les langues (anonyme) Ibid.
468 De l’orthographe (anonyme) 289
Le grand vocabulaire françois, par une société de gens de lettres (anonyme) 290
Viard Ibid.
J.-B. Roche 291
Brambilla 295
Boulliette Ibid.
Beauzée Ibid.
XIXe SIÈCLE:
Jean-Etienne-Judith Forestier Boinvilliers-Desjardins 305
Urbain Domergue 306
Girault-Duvivier 310
C.-F. Volney 311
P.-R.-Fr. Butet 314
Marle 316
V.-A. Vanier 324
S. Faure 328
Joseph de Malvin-Cazal 329
Adrien Féline 330
Charles La Loy 333
Alexandre Erdan 334
P. Poitevin 337
Léger Noel 338
Casimir Henricy 342
B. Legoarant 343
B. Pautex Ibid.
F.-P. Terzuolo Ibid.
Tell 345
Esai de simplificacion du français par E. A. C(lerc) 348
Frédéric Dübner 348
Émile Négrin 349
Édouard Raoux 351
Albert Hetrel 369
E. de Girardin Ibid.
Bernard Jullien 372
Egger 393
APPENDICE E.
Orthographe personnelle de:
Montaigne 396
La Fontaine 397
Bossuet 399
Racine 400
Mme de Sévigné 401
La Bruyère 403
Voltaire 404
APPENDICE F.
Des mots composés 408
Liste générale des mots composés ou pseudo-composés 417
APPENDICE G.
Adhésions de quelques écrivains au principe de la réforme:
Victor Fournel 453
Auguste Bernard 458
Maurice Meyer 460
Léger Noel 461
Louis Lievin Ibid.
Théodore Küster Ibid.
La Patrie (Gazette suisse) 463
O. Havard Ibid.

INDEX.


A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

A
B
C
D
E
F
G
H
I
J
477K
L
M
N
Œ
O
P
Q
R
S
T
U
V
W
X
Y
Z

ERRATA.

Au lecteur.

Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original, et l’orthographe d’origine a été conservée. Seules les erreurs manifestes de typographie ou d’impression ont été corrigées. La ponctuation a été tacitement corrigée à certains endroits.

Quelques signes utilisés dans le texte original n'ont pas de représentation fidèle en Unicode. Ils sont représentés ici par un signe plus ou moins similaire accompagné d'une note explicative indiquée par [‡].