The Project Gutenberg eBook of Création d'un répertoire bibliographique universel

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Title: Création d'un répertoire bibliographique universel

Conférence Bibliographique Internationale, 1895, publication no. 1

Author: Henri La Fontaine

Paul Otlet

Release date: August 10, 2024 [eBook #74225]

Language: French

Original publication: Brussels: Imprimerie Veuve Ferdinand Larcier

Credits: Susan Skinner and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Mundaneum and mediated by the artists of Algolit, a research project initiated by Constant.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CRÉATION D'UN RÉPERTOIRE BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSEL ***

PUBLICATIONS
DE
L’OFFICE INTERNATIONAL DE BIBLIOGRAPHIE
No 1


CONFÉRENCE
Bibliographique Internationale


BRUXELLES 1895


DOCUMENTS
[01.06]

BRUXELLES
IMPRIMERIE VEUVE FERDINAND LARCIER
26-28, RUE DES MINIMES
1896


{3}

CRÉATION
D’UN
Répertoire Bibliographique Universel


NOTE PRÉLIMINAIRE

PAR
MM. H. LA FONTAINE et P. OTLET


Qui scit ubi scientia
habenti est proximus.

La question bibliographique est à l’ordre du jour d’un grand nombre de Congrès scientifiques. Elle a été inscrite cette année aux programmes du Congrès géographique international de Londres, de l’Association française pour l’avancement des sciences et de l’Association artistique et littéraire internationale. La Société Royale de Londres s’en est préoccupée l’an dernier. Elle a tout récemment fait l’objet d’une discussion au sein de l’Académie royale de Belgique.

Sur l’utilité et la nécessité d’un répertoire bibliographique universel, il y a unanimité parfaite. Quant à ses voies et moyens, quant à son organisation pratique, peu de détails ont été donnés jusqu’ici.

Depuis six ans, ces questions ont été mises à l’étude à Bruxelles par un groupe à l’initiative duquel a été fondé l’Office international de Bibliographie. C’est expérimentalement que cette étude a été poursuivie. L’Office international de Bibliographie, placé sous le haut patronage du Gouvernement belge, a classé jusqu’à ce jour 400,000 notices bibliographiques, se rapportant aux principaux groupes de la science, plus particulièrement au Droit, à la Statistique, à l’Economie politique, à la Philologie et à la Littérature. Il est en possession d’une méthode que l’épreuve a démontré être excellente.

L’objet de cette note est de faire connaître l’organisation et le fonctionnement de cet Office et de montrer comment l’extension et la{4} généralisation de ses services apporterait la solution la plus avantageuse au problème du Répertoire bibliographique universel.

Pour répondre à tous les desiderata exprimés, un Répertoire bibliographique universel doit satisfaire aux exigences suivantes:

1o Il doit être complet. Il doit comprendre à la fois la bibliographie des temps passés et celle des temps présents. Il doit aussi pouvoir être tenu au courant de la production future. Son objet doit être l’ensemble des connaissances humaines. Enfin, les articles de revues, les études contenues dans les actes des académies, des sociétés et des congrès doivent y être renseignés au même titre que les livres et les brochures.

2o Le Répertoire doit être à la fois onomastique et idéologique, c’est-à-dire, pouvoir renseigner rapidement et facilement et sur les ouvrages d’un auteur dont le nom est donné, et sur les ouvrages à auteurs encore inconnus, mais relatifs à un sujet déterminé. Ce répertoire doit donc être à la fois alphabétique par noms d’auteur et méthodique par ordre de matières. Il faut aussi que les matières connexes soient groupées afin d’éviter au chercheur les investigations trop nombreuses qui résultent de l’éparpillement des matières.

3o Le Répertoire bibliographique doit exister en multiples exemplaires. Instrument d’études et de recherches, aucun des centres intellectuels n’en doit être privé. Son prix ne peut donc être trop élevé, ni son maniement trop compliqué. Il doit aussi pouvoir se fractionner, telle ou telle de ses parties étant dénuée de tout intérêt pour un grand nombre de personnes.

4o Le répertoire doit être exact et précis à la fois, dans les renseignements qu’il fournit et dans le classement qu’il leur attribue. Les erreurs et les omissions sont inhérentes à toute œuvre humaine. Elles sont inséparables d’une œuvre aussi considérable qu’un Répertoire bibliographique universel. Tout système adopté doit permettre la facile rectification des erreurs et omissions sans que le répertoire général en puisse souffrir.

5o Ce Répertoire doit être mis promptement à la disposition des travailleurs qui le réclament depuis nombre d’années. Cette réalisation immédiate n’est possible que si le répertoire parvient à utiliser la plus grande partie des travaux bibliographiques actuellement existants;{5} et s’il peut être livré à la publicité par parties, avant d’être entièrement achevé.

6o Le Répertoire doit pouvoir se combiner avec un inventaire des lieux de dépôts. Un grand nombre de livres n’existent plus qu’en rares exemplaires dans quelques bibliothèques privilégiées. Il importe qu’une compilation générale des catalogues des bibliothèques particulières puisse renseigner promptement en quel endroit doit se rendre celui qui se livre à des recherches spéciales.

7o Le Répertoire doit pouvoir servir de base à la Statistique intellectuelle. Cette statistique, commencée à peine depuis quelques années, est arrêtée dans son développement par le défaut de recensements précis et complets, portant à la fois sur le nombre d’œuvres, la nationalité de leurs auteurs et la spécialité de leur sujet.

8o Enfin, ce Répertoire doit pouvoir être utilisé éventuellement pour assurer aux auteurs une meilleure protection légale de leurs œuvres intellectuelles.

L’Office international de Bibliographie a déduit de ses expérimentations des règles qui lui ont permis de commencer un Répertoire donnant satisfaction à tous ces désidérata.

Ce répertoire, en effet, est universel. Les renseignements recueillis concernent l’ensemble des connaissances humaines et portent à la fois sur les articles de revues, les mémoires insérés dans les grands recueils, les livres et les brochures. Les renseignements sont inscrits en double exemplaire sur des fiches mobiles et réparties, les unes dans un répertoire alphabétique des noms d’auteurs, les autres dans un répertoire méthodique. Les fiches du répertoire méthodique sont rangées selon la classification décimale adoptée par l’Association des Bibliothécaires américains. Cette classification présente un triple avantage. Elle constitue d’abord une nomenclature des connaissances humaines, fixe, universelle et pouvant s’exprimer en une langue internationale, celle des chiffres. Elle réalise l’unité de méthode dans le classement de toutes les bibliographies et maintient une concordance parfaite entre le classement des bibliothèques et celui du répertoire bibliographique. Elle permet enfin un système indéfini de divisions et de subdivisions des matières dont toutes les parties connexes demeurent groupées dans le voisinage les unes des autres.

{6}

L’Office de Bibliographie est divisé en sections qui correspondent à chacune des branches de la science et sont confiées à des spécialistes. Une section centrale est spécialement chargée du recueillement et du premier collationnement des matériaux à bibliographier. Chaque section annote et classe ensuite les fiches qui la concernent. Le répertoire comprend les sources anciennes et les sources modernes; grâce au système des fiches et des intercalations continues, il peut parvenir à présenter le tableau complet de la production intellectuelle. Les matières courantes sont publiées périodiquement en des Sommaires bibliographiques spéciaux dont l’ordonnancement est identique à celui du répertoire. Enfin, pour mettre le répertoire tout entier—production passée et production courante—à la disposition des travailleurs de tout pays, l’Office international projette la publication continue de son répertoire sur des fiches mobiles qui seraient envoyées, toutes annotées et toutes classées, à des offices locaux, annexes des grandes bibliothèques ou des universités.

Telle est, dans ses grandes lignes, l’organisation du répertoire commencé par l’Office de Bibliographie. Nous avons à décrire en détail chacun de ses éléments.

Les services qu’on attend de la Bibliographie sont multiples. Elle doit, en effet, renseigner les savants, les praticiens, les bibliothécaires, les libraires, le grand public de lecteurs.

Au point de vue exclusivement scientifique, une bibliographie complète constituerait à chaque moment la table encyclopédique des matières de la science. Passer du connu à l’inconnu, s’aider des travaux de tous les prédécesseurs pour pousser plus loin l’investigation scientifique, s’éviter des répétitions involontaires et des pertes de temps précieux, ce sont là légitimes désirs d’hommes de science. Le travail scientifique, particulièrement de nos jours, s’est spécialisé et internationalisé. La science progresse par les efforts des savants de tous les pays, de toutes les compétences. A l’édifice commun, chacun apporte la pierre qu’il a équarrie à part lui. Il importe cependant qu’elle soit taillée aux proportions de l’emplacement qu’elle doit occuper à côté des autres; partant, que l’état d’avancement de l’ensemble des travaux soit toujours exactement et facilement connu.

Les praticiens ont un besoin analogue. Il s’agit pour eux d’arriver à connaître facilement le fait, la loi, l’invention dont ils doivent faire{7} application. Les dictionnaires techniques deviennent insuffisants, car ils sont trop tôt surannés. Quant aux recueils périodiques qui essayent de les supplanter, leur nombre devient si considérable qu’il n’est plus possible de les consulter au moyen des anciens procédés. Une organisation bibliographique universelle permettrait de considérer tout ce qui se publie,—quels que soient le lieu, le temps ou la forme de l’imprimé,—comme éléments d’une immense encyclopédie à la fois théorique, historique et pratique, dont le Répertoire deviendrait la table des matières.

Les bibliothécaires à leur tour réclament l’organisation de la Bibliographie. Il n’est que les toutes grandes bibliothèques qui puissent se payer le luxe d’un service complet de catalogue. Et pourtant sans catalogue la bibliothèque est un coffre fermé, plein de choses précieuses, mais inaccessibles et invisibles, faute d’une clef. Un répertoire bibliographique universel supprimerait tous les catalogues particuliers, forcément incomplets, et les remplacerait par un seul, toujours tenu à jour, informant les lecteurs non seulement sur le contenu de l’établissement auquel il s’adresse, mais sur tout ce qui est à sa disposition au dehors, dans d’autres bibliothèques ou dans le commerce de la librairie. En des milliers de bibliothèques, des hommes travaillent péniblement aujourd’hui à inventorier et à classer les mêmes livres. Et c’est à recommencer, chaque fois qu’une collection nouvelle se forme. D’ailleurs, autant de méthodes que d’individus. Le classement diffère de pays à pays, de ville à ville, de bibliothécaire à bibliothécaire, exigeant du chercheur une initiation nouvelle à chaque nouveau catalogue qu’il consulte. Le Répertoire bibliographique, reproduit en nombreux exemplaires, apporterait ici les unités de classement tant désirées. Grâce à la division du travail, un organe nouveau, distinct de tous les autres, serait désormais chargé tout spécialement du classement des écrits. Ce classement pourrait se faire non plus par des hommes dont on exige et auxquels on suppose bien gratuitement une science universelle, mais par des spécialistes. Les bibliothèques y gagneraient doublement. Elles seraient presque totalement déchargées d’un service extrêmement coûteux et désormais pourraient collaborer directement aux recherches du public qui vient à elles, car elles pourraient répondre immédiatement à la question qu’on leur pose invariablement: «Quels ouvrages existe-t-il sur tel sujet?» Les catalogues que chaque bibliothèque imprime à grand frais et que rendent bientôt surannés les accroissements nouveaux, pourraient être remplacés par le Répertoire. Chaque bibliothèque inscrirait elle-même, en{8} marge des fiches, les ouvrages qu’elle possède et leur indice de placement sur les rayons. Les fiches du répertoire qui n’auraient pas été marquées indiqueraient pour chaque matière les livres qu’il est possible d’acquérir.

Les éditeurs, les libraires et les auteurs eux-mêmes ont tout à gagner d’une bonne organisation bibliographique. Le commerce des livres a besoin, avant tout, d’informations sûres, rapides et faciles à acquérir. Aujourd’hui, l’état anarchique des bibliothèques trouve son analogue dans celui de la librairie. Les catalogues d’éditeurs, hormis quelques heureuses exceptions, sont faits sans ordre ni méthode. Aucune idée commune ne préside à leur élaboration. Aussi ne parviennent-ils guère à rendre service aux lecteurs pour qui ils sont faits, et les sommes énormes dépensées chaque année en publicité pour les ouvrages nouveaux sont d’un rendement inférieur à ce qu’il pourrait être. L’offre et la demande existent cependant, mais indépendantes l’une de l’autre: elles ne se rencontrent pas; l’annonce ne va pas à celui qui la cherche. Un Répertoire bibliographique universel assurerait aux éditeurs une publicité prompte, sérieuse, permanente et réellement efficace. Il donnerait aussi aux auteurs, qui, après tout, écrivent pour être lus, la certitude de parvenir jusqu’à ceux auxquels ils désirent vraiment s’adresser.

Bibliothécaires, hommes de science et praticiens, auteurs et éditeurs, la grande masse des simples lecteurs, tous ont le plus grand intérêt à l’élaboration d’un Répertoire bibliographique universel. Les gouvernements eux-mêmes ne peuvent lui être indifférents. Eux qui entretiennent à grands frais des musées et des collections de toute nature, peuvent-ils ne pas encourager cette collection précieuse entre toutes: l’inventaire de ce que les hommes ont pensé et écrit depuis qu’ils savent écrire!

Heureusement—et on l’oublie trop—tout n’est plus à faire dans le domaine de la bibliographie. Elle a derrière elle une histoire déjà longue qui n’est autre que celle des efforts successifs pour amener une meilleure organisation du monde des livres.

Les humanistes, qui, au XVe siècle, recueillaient précieusement les débris de l’antiquité classique, étaient des bibliographes à leur façon. Leurs gloses et leurs annotations servaient d’index aux hommes de leur temps. En 1686, Teisser peut déjà composer un catalogue des{9} catalogues. Francesco Marucelli (1625-1703), dans les 15 volumes manuscrits de sa Mare Magnum, s’efforce de faire l’inventaire des écrits connus de son temps. Il trouve des imitateurs nombreux: Fabiano Giustiniani, Georges Draud de Francfort, Savonarole, l’auteur de l’Orbis Literarius, index universel en 40 volumes manuscrit de toutes les œuvres imprimées existantes à la fin de l’année 1700. Les bibliographies spéciales font aussi leur apparition dès lors. C’est la Bibliotheca Realis Juridica (1679), que Martin Lipenius fait suivre la même année de la Bibliotheca Realis Medica, en 1682 de la Bibliotheca Realis Philosophica et en 1685 de la Bibliotheca Realis Theologica.

Le XVIIIe siècle ouvre l’ère des grandes encyclopédies en lesquelles, sous chaque article, se trouve placé la bibliographie du sujet. C’est aussi l’époque où l’on tente les premiers dépouillements des périodiques. En 1790, Bentler fait paraître en Allemagne: l’Allgemeines Sachregister über die wichtigsten deutschen Zeit- und Wochenschriften. En Angleterre, Ayscough publie vers la même date son: General Index to the Monthly Review, dont le 2e volume, paru en 1786, contient: An Alphabetical Index to all the memorable Passages, many of which relate to Discoveries and Improvements in the Sciences and Arts for near forty years past; with Literary Anecdotes, Critical Remarks, etc., etc., contained in the Monthly Review during that period. La partie de ce gigantesque ouvrage parue en 1796 comprend: A general Index to the remarkable Passages, and to the Papers contained in the Transactions or Memoirs of Societies, Foreign and Domestic, occurring in the Review during that Period.

Avec le XIXe siècle la bibliographie s’officialise en partie. De grands Etats considèrent qu’il est de leur devoir d’enregistrer la production littéraire de leurs nationaux. Le développement des grandes bibliothèques publiques, la proclamation du droit exclusif des auteurs à l’exploitation de leurs œuvres, contribuent un peu partout à la publication de recueils périodiques dont la Bibliographie de la France a été un des premiers modèles. Ces bibliographies officielles se doublent bientôt de catalogues, publiés périodiquement par des associations de libraires. Le caractère général et peu ordonné de ces publications fait naître bientôt le projet de bibliographies périodiques spéciales, trimestrielles ou annuelles, collationnant tous les renseignements relatifs à une branche particulière de la science, telles la Bibliotheca philologica, la Bibliographia orientalis, la Zeitschrift für die Gesammte Medicin, etc.

Cependant l’effort bibliographique le plus considérable est fait au {10}XIXe siècle par les Américains. C’est la coopération volontaire, des bibliothécaires d’une part, des libraires d’autre part, qui donne naissance à une série d’œuvres admirables auxquelles se sont attachés les noms de Poole, de Fletcher, de Cutter, de Dewey, de Winsor et de tant d’autres. Aux Etats-Unis, pays neuf et sans histoire, il y avait en 1850 environ 100 bibliothèques comptant 5,000 volumes et plus. On évaluait l’ensemble de leurs collections à un million de volumes. Quarante ans plus tard, en 1890, quatre mille bibliothèques y renfermaient 27 millions de livres. On comprend que la question des catalogues y ait attiré l’attention d’une manière toute spéciale. Dès 1848, Frederik Poole fait imprimer un: Index to subjects treated in the Reviews and Other Periodicals, et contenant environ 28,000 indications bibliographiques. En 1876, est constituée à Philadelphie l’American Library Association (A. L. A.) qui, dès l’année suivante, s’entend en Angleterre avec la Library Association of the United Kingdom, et jette les bases du Cooperative Index to periodical literature, qui comprend le dépouillement et le classement des articles contenus dans les revues de langue anglaise depuis 1802. En 1882 en paraît un premier volume in-8o de XXVII-1442 pages, inventaire de 200,000 articles contenus dans 6,205 volumes appartenant à 232 collections de revues. Cinquante collaborateurs attachés aux bibliothèques des Etats-Unis, d’Angleterre, d’Ecosse et d’Australie, avaient uni leurs efforts.—Les Américains n’en restèrent pas là. Des suppléments successifs au Cooperative Index furent édités; une section spéciale pour l’impression des travaux bibliographiques fut créée en 1886, au sein de l’Association des Bibliothécaires; une revue, le Library Journal, fut spécialement consacrée à l’étude de toutes les questions bibliothéconomiques; une école spéciale, «Library School», organisée à Albany, sous la direction de l’Université de l’Etat de New-York, offrit aux jeunes bibliothécaires l’enseignement technique dont ils avaient besoin. Enfin, un office, «Library Bureau», fut chargé spécialement de l’exécution pratique et commerciale de tous les perfectionnements dont est susceptible l’organisation des bibliothèques. De grandes œuvres bibliographiques furent encore menées à bonne fin par les Américains: telle la Bibliographie médicale en 16 gros volumes, compilée par Billings, et à laquelle fait suite le recueil mensuel Index medicus; tel aussi l’Alphabetical Index of articles in the Smithsonian contributions to Knowledge de William J. Rhees.

Ce n’est pas une histoire, encore moins un inventaire des écrits bibliographiques que nous voulons faire ici. Aussi nous bornons-nous à rappeler quelles formes diverses a prises aujourd’hui la bibliographie.{11} Dans cet ordre d’idées, nous voulons signaler encore les grandes Bibliographies des bibliographies de Petzhold et de Léon Vallée (ce dernier a relevé les titres d’environ 11,000 bibliographies fragmentaires). On a aussi tenté de faire l’inventaire des publications de sociétés savantes. J. Muller l’a fait très complètement pour l’Allemagne. Des tables générales, telles que celles de Brunet et de Lorenz pour la France, Heinzius pour l’Allemagne, synthétisent toute la production des livres d’un pays pendant une période déterminée. La Royal Society de Londres a publié un Catalogue of scientific Papers, en huit gros volumes, œuvre internationale considérable, mais d’une utilité restreinte par suite de son classement purement onomastique. La Bibliographie astronomique de Houzeau et Lancastre, d’une étendue et d’une portée moindres, lui est supérieure comme méthode. Citons encore les grands catalogues dont l’édition a été entreprise par la Bibliothèque nationale de Paris qui compte aujourd’hui environ deux millions et demi de livres et par le British Museum qui en renferme un million et demi. Ces catalogues, encore incomplets, sont de véritables monuments élevés à la pensée humaine.

La Bibliographie a derrière elle un glorieux passé. Elle peut être fière des œuvres qu’elle a fait naître et certes, nous le disions plus haut, elle n’a pas tout à créer. Mais l’importance de sa mission se dégage de plus en plus, en même temps que la grandeur des résultats déjà obtenus permet de concevoir des plans de plus en plus vastes. Elle en est arrivée à ce point de son développement qu’il lui importe plus dorénavant d’organiser ses richesses que d’en créer de nouvelles. Diverses tentatives partielles ont été faites en ce sens.

De grandes bibliothèques, comme la Bibliothèque Nationale de Paris, la Königliche Bibliothek de Berlin, le British Museum de Londres ont créé de véritables sections bibliographiques. Par la concentration des volumes relatifs à la bibliographie et leur mise à la disposition des lecteurs sans demande préalable; grâce aussi à l’élaboration de catalogues sur fiches tenus à jour, ces bibliothèques satisfont partiellement les exigences de leur public, mais combien incomplètement encore!

Des agences privées, organisées commercialement, se sont proposé de procurer, moyennant argent, à quiconque s’adresse à elle, des renseignements déterminés. Ces agences existent dans plusieurs{12} grandes villes et rendent des services signalés. Mais elles-mêmes doivent se livrer à des recherches considérables, longues, coûteuses et forcément incomplètes. La bibliographie, comme la bibliothèque elle-même dont elle est le complément, doit devenir un service gratuit.

Des centres internationaux de renseignements scientifiques relatifs à une matière spéciale ont été maintes fois proposés. La Belgique est le siège de deux de ces institutions, l’Institut Colonial International et le Bureau Géologique.

En 1889, un congrès international de mathématiciens a été réuni à Paris, aux fins d’adopter un vaste plan de bibliographie mathématique. Le congrès a adopté des unités de classement internationales exprimées par une combinaison de lettres et de chiffres. Il a décidé la publication d’un répertoire sur fiches mobiles permettant les intercalations successives. Depuis le mois de novembre dernier, le comité exécutif du Congrès adresse régulièrement aux mathématiciens de tous les pays des paquets de fiches bibliographiques dont le classement, grâce aux indices conventionnels, est rendu des plus aisés.

Le répertoire mathématique ainsi constitué réalise un progrès considérable. Le seul regret que l’on puisse exprimer ici, c’est que ses rédacteurs ne se soient pas suffisamment préoccupés de la bibliographie universelle et qu’ils n’aient pas conçu leur œuvre comme une partie d’un tout plus considérable. C’est cette considération qui a dominé les Américains. Depuis quelques années ils ont unifié considérablement le classement de leurs bibliothèques en adoptant uniformément la Classification décimale imaginée par M. Melvil Dewey. Plus de 1,000 bibliothèques des Etats-Unis ont adopté le même système. Le gouvernement de Washington a fait imprimer à ses frais, au commencement de 1893, un catalogue de 5,000 volumes, choisis parmi les meilleurs de ceux qui doivent constituer le fonds des bibliothèques populaires. Le catalogue, divisé conformément à cette Classification décimale, est un premier et intéressant essai de centralisation bibliographique: le travail y est fait par quelques-uns au bénéfice de tous. A la sûreté de la méthode il joint tous les avantages de l’économie. Enfin, tout récemment nous avons appris que l’Association des Bibliothécaires américains venait d’entreprendre la publication sur fiches du titre de toutes les nouveautés littéraires de langue anglaise. Ces fiches, de mentions très complètes et qui portent les nombres de la Classification décimale, sont adressées, moyennant abonnement, aux bibliothèques, aux libraires et aux particuliers. Elles servent à la fois à l’élaboration des catalogues et à celle des répertoires bibliographiques.{13} Elles constituent, à nos yeux, le plus grand des perfectionnements qui aient été obtenus jusqu’à ce jour.

La bibliographie, étudiée maintenant dans tous les pays et dans toutes les branches de la science, a réalisé en ce siècle des progrès considérables. Cependant, faute d’entente et de coopération suffisamment étendue, elle est arrêtée dans son essor. A l’encontre de la plupart des sciences, elle ne possède encore ni langue commune, ni unités conventionnelles de classement généralement reconnues et adoptées. Elle n’est parvenue, non plus, à établir entre les travaux particuliers la coordination, avantageuse sous tous les rapports, qui résulterait de l’existence d’un Répertoire bibliographique universel.

Unification du classement, coordination des efforts individuels, un Office international de Bibliographie peut seul réaliser ce double progrès.

Comment parvenir à classer uniformément?

Depuis que l’énorme accumulation de matériaux imprimés a rendu nécessaire une classification, divers systèmes de classement ont été proposés. Ils se ramènent à trois types principaux. Dans le premier, les titres de livres sont classés alphabétiquement par noms d’auteur. Ce classement est insuffisant au point de vue bibliographique, car il suppose connu d’avance l’ouvrage qu’on désire consulter sur une matière quelconque. Il ne peut servir que de complément au classement idéologique. Celui-ci peut être, soit un dictionnaire de rubriques principales (Stichwörter) sous lesquelles viennent se placer les matières y relatives, soit une table méthodique dont les divisions logiques encadrent ces mêmes matières. Les deux formes avaient jusqu’ici leurs partisans. En faveur du dictionnaire, on alléguait la facilité des recherches. Grâce aux références qu’on peut faire nombreuses et précises, il est possible de s’introduire dans un tel répertoire par des entrées multiples. Cependant, l’inconvénient très réel du système réside dans l’éparpillement infini des matières. Pour ne prendre qu’un exemple, tout ce qui a trait au Travail se trouvera réparti sous les mots, très éloignés les uns des autres: Législation du travail, heures de travail, accidents du travail, contrat de travail, hygiène des ateliers,{14} associations ouvrières. Un autre inconvénient se présente, dès qu’il s’agit de bibliographie internationale: l’ordre alphabétique n’est pas le même dans toutes les langues et il faut posséder à fond la connaissance d’une langue pour manier avec fruit un tel dictionnaire. C’est pour ces raisons que le classement logique des matières a été préféré par un grand nombre d’auteurs. Mais ici toutes difficultés ne sont pas écartées. Si ce classement est avantageux, parce qu’il groupe les matières similaires et connexes, si, dans une certaine mesure, il est plus international parce qu’il s’adresse à la logique qui est plus universelle que la langue, il est cependant condamné par un grand nombre de bibliographes. Il est trop arbitraire et suppose de la part de celui qui doit y recourir, une connaissance approfondie des idées qui ont présidé à sa confection. En outre, les divisions et subdivisions d’un tel classement se traduisent généralement par des expressions bien plus complexes que les rubriques d’un dictionnaire. De là, difficulté et longueur d’annotation sur les notices bibliographiques et sur les livres eux-mêmes et absence de tout langage international.

Une forme récente de classification a combiné les avantages des deux systèmes en écartant la plupart de leurs inconvénients. Les matières ont été réparties suivant un ordre méthodique dont toutes les divisions et subdivisions ont reçu un symbole équivalent de la plus grande concision possible, lettres, chiffres ou combinaisons de lettres et de chiffres. Un index alphabétique complète cette ingénieuse disposition et comprend tous les mots du répertoire, avec, en regard, leur indice de classement. Si la troisième division logique d’un sujet (par exemple, les heures de travail, dans une bibliographie économique) a reçu la lettre C, dans l’index alphabétique, on trouvera au mot Heures de travail «Voir C».

La possession de ce système, relativement pratique, ne plaçait pas les bibliographes au bout de leurs peines. Dès que les bibliographies étaient un peu subdivisées, condition indispensable pour rendre de réels services, les indices devenaient d’indéchiffrables hiéroglyphes qu’aucun larynx ne parvenait à prononcer, tels, par exemple,—Djkm,—Zwr, ou bien encore,—Sy3cd. La confusion devenait plus grande encore par le fait que chaque auteur imaginait un système particulier de signes conventionnels sans se soucier de ceux employés par ses prédécesseurs, sans tenir compte non plus de ceux usités dans les autres branches de la science. Les auteurs qui recherchaient avant tout la clarté, se servaient de chiffres; à chaque division ils attribuaient un numéro d’une série unique. C’était moins compliqué, mais, l’ordre une{15} fois établi, il était immuable. Dès qu’une erreur ou une omission était signalée, l’harmonie du système était rompue.

Les Américains nous paraissent avoir apporté une solution à peu près définitive du problème. C’est à eux, en effet, que nous devons la Classification décimale, imaginée, avons-nous dit, par M. Melvil Dewey, adoptée et vulgarisée par l’Association des Bibliothécaires des Etats-Unis et par le Bureau de l’Education (Ministère de l’instruction publique) de Washington. Le principe de cette classification est d’une simplicité géniale. Toutes les connaissances humaines sont divisées en dix classes, auxquelles correspond l’un des dix chiffres 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Chaque classe est subdivisée en dix groupes représentés chacun aussi par un chiffre, chaque groupe est à son tour l’objet d’une nouvelle division en dix, exprimée de la même manière et ainsi de suite. Soit les dix classes symbolisées ainsi:

0. Ouvrages généraux.
1. Philosophie.
2. Religion.
3. Sociologie.
4. Philologie.
5. Sciences.
6. Sciences appliquées.
7. Beaux-arts.
8. Littérature.
9. Histoire.

Pour la classe cinquième, par exemple, nous aurons:

5. Sciences.
50. Sciences en général.
51. Mathématiques.
52. Astronomie.
53. Physique.
530. Physique en général.
531. Mécanique.
532. Hydraulique.
533. Gaz.
534. Acoustique.
535. Optique.
536. Chaleur.{16}
537. Electricité.
538. Magnétisme.
539. Physique moléculaire.
54. Chimie.
55. Géologie.
56. Paléontologie.
57. Biologie.
58. Botanique.
59. Zoologie.

Tous les ouvrages concernant l’électricité seront annotés 537. Le chiffre du premier rang, 5, indique qu’il s’agit d’une matière relative à la cinquième classe des connaissances humaines, c’est-à-dire aux Sciences. Le chiffre du second rang détermine de quelle division de ces sciences il est question, soit ici de la troisième division à laquelle a été attribuée conventionnellement le chiffre 3. Tous les ouvrages de Physique sont donc annotés 53. Mais la Physique elle-même se fractionne en diverses sections dont la septième est l’électricité, d’après une classification uniforme établie préalablement une fois pour toutes. Le chiffre 7 venant s’ajouter au nombre 53 le particularise et 537 n’indique plus que les ouvrages qui traitent de l’électricité. C’est là un nombre classificateur (Class number), et c’est en limitant au maximum de dix le nombre des parties de chaque division, et en attribuant conventionnellement un chiffre à chacune d’elles, que Dewey est parvenu à exprimer la localisation dans l’ensemble des sciences de chaque matière, quelque particulière qu’elle fût.

En effet, les chiffres qui représentent les classes et divisions de chaque sujet s’unissent en une seule expression numérique extrêmement simple: 537, en effet, ne signifie pas autre chose que classe cinquième, section troisième, division septième. La filiation, la généalogie même des idées et des objets, leurs rapports de dépendance et de subordination, ce qu’elles ont de commun et de différencié, trouvent une représentation adéquate dans l’indice bibliographique ainsi formé. Cette représentation exclut presque la convention et l’arbitraire. Non seulement chaque chiffre exprime à sa façon une idée essentielle, mais la combinaison des chiffres, c’est-à-dire leur rang dans la série et leur place dans le nombre, se réalise conformément aux lois mêmes de la logique scientifique. En ce sens, ils constituent une véritable langue nouvelle dont les phrases, ici les nombres, sont formées selon des règles syntaxiques constantes au moyen de mots, ici les chiffres. C’est{17} une sorte de langue agglutinante; les chiffres en sont des racines, racines prédicatives et attributives, racines purement verbales en ce sens qu’elles ne sont ni substantif, ni adjectif, ni verbe. Elles sont placées au-dessus et en dehors de toute catégorie grammaticale, en ce qu’elles expriment des abstractions, de pures catégories scientifiques. Par là même, elles traduisent des idées absolument communes à tout le monde scientifique et les expriment en signes universellement connus, les chiffres. A ce double titre, la Classification décimale constitue un véritable langage scientifique international, une symbolique complète de la science susceptible, peut-être, d’apporter un jour aux travailleurs intellectuels un secours analogue à celui qu’ils recevaient du latin au moyen-âge et pendant la période moderne.

Cet aspect philologique de la Classification décimale n’est pas sans importance. Mais il importe, à notre point de vue bibliographique, de mettre en lumière ses autres avantages.

En premier lieu, nous l’avons déjà dit, toutes les matières connexes sont groupées. Un index alphabétique, comprenant, en une ou plusieurs langues, toutes les rubriques de recherches et tous les synonymes et analogues, complète la table méthodique. La simplicité avec laquelle se forment les nombres classificateurs donne à tout le système une haute valeur mnémotechnique.

Les chiffres, quel que soit leur nombre, étant d’une lecture facile et d’une écriture concise, chaque fiche d’un répertoire, chaque livre d’une bibliothèque peuvent être annotés sans peine et recevoir ainsi une localisation fixe. Toutes les fiches, tous les livres porteurs des mêmes nombres classificateurs se trouvent réunis d’eux-mêmes, sans que la personne chargée de leur mise en ordre ait besoin d’être initiée à la science spéciale dont elle classe les documents. L’indexeur seul doit être un homme instruit. Encore sa tâche est-elle singulièrement facilitée, grâce à l’index alphabétique qu’il lui suffit d’ouvrir à l’un des mots essentiels du titre du livre à bibliographier pour trouver immédiatement le nombre classificateur à y annoter.

La classification est dite décimale en ce que chaque nombre indique une division plus ou moins tenue, d’un ensemble qui est supposé l’unité. En effet, les diverses branches et sous-branches des sciences sont susceptibles de divisions plus ou moins nombreuses. Là où il y a lieu de multiplier les catégories, on se servira de nombres à quatre, cinq, sept chiffres et même plus. Lorsque, au contraire, la matière ne peut être aussi fractionnée, on se contentera de nombres à deux ou{18} trois divisions. Les nombres étant sériés en tenant compte seulement de leur importance décimale, la quantité de chiffres dont ils se composent importe peu et les matières connexes, quelque subdivisées qu’elles soient, demeurent toujours groupées.

Les ouvrages se rapportant à l’électricité, par exemple, portent l’indice 537. Ceux relatifs à la chimie portent l’indice 54. S’il ne plaît pas au classificateur d’établir des catégories parmi les ouvrages de chimie et s’il les annote uniformément sous 54, dans l’ordre à donner soit aux fiches d’un répertoire bibliographique, soit aux livres d’une bibliothèque, 537 prendra place avant 54, puisque dans la série numérique cinq cent trente-sept millièmes vient avant cinquante-quatre centièmes. Ainsi, d’une façon générale, tous les nombres commençant par 5 passent avant les nombres qui commencent par 6; tous les nombres commençant par 53 avant ceux qui commencent par 54; tous les nombres commençant par 537 avant ceux qui commencent par 538; de la même manière que, dans un dictionnaire, tous les mots commençant par Ab précèdent ceux qui commencent par Ac et tous les mots commençant par Aca précèdent ceux qui commencent par Acb.

La Classification décimale constitue donc une localisation parfaite des matières. Elle n’est pas sans analogie avec le système d’identification anthropométrique imaginé par M. Bertillon et qui fonctionne dans les grandes capitales d’Europe à la satisfaction générale. Elle répond à ce principe essentiel de l’ordre bibliographique, comme de tout autre ordre: une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. C’est, en outre, une localisation raisonnée: cette idée est de l’essence même du système.

Il faut, en effet, distinguer avec soin la classification scientifique de la classification bibliographique. Les exigences de l’une et de l’autre ne sont pas les mêmes. Toute classification scientifique repose sur la définition des objets à classer, et cette définition elle-même n’est complète que lorsque la science est parfaite. En l’état actuel d’avancement des sciences, une classification définitive et ne varietur doit être considérée comme prématurée. Les meilleurs esprits ne sont même pas d’accord sur les points cardinaux, comment supposer l’accord sur les détails d’une classification. Cet accord scientifique n’est heureusement pas nécessaire pour un classement bibliographique. Il suffit d’un relevé complet des divers sujets dont traitent les sciences, d’un certain groupement de ces sujets d’après l’ordre le plus généralement adopté, enfin de l’attribution à chacun d’eux d’une place fixe. Bibliographier, c’est donc avant tout étiqueter et localiser les matériaux scientifiques.

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Une classification conforme à ces vues existe très complète, très étudiée, admirablement simple et appliquée depuis 17 ans, en Amérique, au classement des livres dans les bibliothèques. Les cadres de cette classification sont complets et embrassent l’universalité des sciences. Plus de cent spécialistes ont collaboré à l’étendre et à la perfectionner, jusqu’à lui donner environ 10,000 têtes de chapitres dans les tables méthodiques et 22,000 mots dans les tables alphabétiques de référence. Cette classification, en outre, est susceptible d’un développement indéfini. Elle s’est donc imposée aux suffrages de l’Office de Bibliographie qui propose d’en faire la base du Répertoire bibliographique universel. Puisque l’important est une localisation complète et universellement reconnue, il importe d’adopter la Classification décimale en bloc et de demander à chacun le sacrifice de ses préférences personnelles en faveur du besoin supérieur d’unité. Le vif et mérité succès qui lui a été fait aux Etats-Unis et l’absence de toute unité bibliographique en Europe doivent mettre fin aux dernières hésitations[1].

L’Office international de Bibliographie est donc en possession d’un système de classement dont un premier essai a prouvé l’excellence. Ce système, qu’il a mis à la base de son organisation, il l’a complété en décidant que tous les renseignements bibliographiques qu’il recueillerait seraient portés sur fiches mobiles. Le principe des fiches mobiles n’a plus besoin aujourd’hui d’être défendu. Elles seules permettent de maintenir dans le répertoire un ordre permanent et unique. En effet, le répertoire bibliographique universel a ceci de spécial que son élaboration est continue. Il doit enregistrer la production littéraire à mesure qu’elle lui arrive: de là des intercalations répétées. D’autre part, le collationnement des œuvres anciennes nécessitera un travail considérable et d’une très longue durée. Si le répertoire devait paraître sous forme de livres, la crainte des erreurs et des omissions dans une œuvre définitive aussi considérable en ferait retarder indéfiniment la publication. Le système de fiches, au contraire, permet de livrer les documents bibliographiques à la publicité par petites quantités à la fois et dès qu’ils sont élaborés. En indiquant par un nombre classificateur{20} sur chaque fiche sa place exacte dans le Répertoire, tous les inconvénients inhérents à ce genre de publication sont écartés.

Aux objections que les catalogues sur fiches peuvent difficilement être mis à la disposition du public qui en troublerait le bon ordre, et qu’ils présentent l’inconvénient de n’offrir à la lecture qu’un seul renseignement à la fois, M. le Dr Rudolph a répondu victorieusement en façonnant un ingénieux appareil dont voici la description:

M. Rudolph insère les fiches, auxquelles il donne la plus petite dimension possible, entre deux glissoires en métal, placées aux deux côtés de feuilles de fort carton ou de bois très mince, qui constituent ainsi des porte-fiches. Ces porte-fiches sont réunis les uns aux autres au moyen de broches facilement démontables. Ils forment ainsi une sorte de grand livre qui ressemble assez bien aux petits albums dont les photographies sont collées sur une longue bande de toile qui se replie.

Les porte-fiches, tout garnis de leurs notes bibliographiques et réunis bout à bout les uns aux autres en une chaîne sans fin, sont placés dans une armoire en bois, d’un mètre de hauteur environ, et dont la partie supérieure est formée d’une glace. Ils y reposent sur deux tambours hexagonaux qu’une manivelle fait tourner dans les deux sens. Le mouvement imprimé aux tambours entraîne les porte-fiches dont la série se déroule devant la glace. L’armoire est fermée à clef: le public ne peut donc toucher aux fiches qu’elle renferme. Le lecteur qui cherche un renseignement se place devant la glace et tourne la manivelle jusqu’à ce qu’il ait fait apparaître la série des renseignements qu’il cherche. Quatre porte-fiches, pouvant contenir chacun 45 fiches de trois lignes, se présentent à la fois à son inspection et lui donnent ainsi toutes les facilités de lecture d’un livre. D’autre part, les avantages inhérents au système de fiches sont conservés, puisque la mobilité des fiches entre les glissoires des porte-fiches, et la possibilité d’ajouter de nouveaux porte-fiches là où besoin en est, rendent très aisée l’intercalation de renseignements ultérieurs.

Les fiches sont classées dans le répertoire de l’Office conformément à leur rang dans la Classification décimale. Pour faciliter les recherches, les fiches bibliographiques qui sont blanches sont intercalées derrière des fiches de classement coloriées et plus hautes que les autres. Ces fiches de classement portent aussi les nombres classificateurs. Leur couleur et leur format varient avec le degré de la division{21} qu’elles servent à marquer. Les fiches bibliographiques, elles, portent le nom de l’auteur, le titre du livre, son étendue en nombre de pages, son format, le nom de l’éditeur, l’année de l’édition et le prix du volume ou le titre de la revue, l’année et la page. Chaque fiche porte en outre des mentions bibliographiques plus ou moins complètes suivant la nature de l’ouvrage bibliographié. C’est d’abord et pour toutes les fiches l’indice de classement—c’est-à-dire le nombre classificateur de la Classification décimale—et l’indice d’identité ou numéro d’ordre. Le Répertoire bibliographique, c’est l’état civil des œuvres de l’esprit. Il importe donc que concurremment avec un nom de famille, ici l’indice de classement, chaque écrit reçoive un nom individuel qui est l’indice d’identité. C’est, dans le système de l’Office, un numéro de série ne se répétant jamais deux fois. Chaque année constitue une série nouvelle qui se distingue des autres par le quantième même de l’année qui devient son dénominateur. Ainsi, tous les livres et articles parus en 1895, appartiennent à une même série dont les numéros sont attribués aux ouvrages à mesure qu’ils arrivent à la connaissance de l’Office. Cette série a pour dénominateur 1895.

Ex.: 12,525 / 1895 , tandis que le dénominateur de la série des livres de 1848 est 1848. Ex.: 12,525 / 1848 et ainsi de suite.

Il est possible ainsi d’identifier chaque livre tout en évitant l’écueil de nombres trop élevés. D’autre part, ces séries distinctes serviront de base à la statistique des œuvres intellectuelles d’autant plus facilement qu’elles se combineront avec l’indice de classe. Il est possible de savoir pour chaque année le nombre total d’ouvrages publiés et le nombre particulier de chaque espèce de livres. L’indice d’identité facilite aussi la rectification des erreurs. Lorsqu’un membre quelconque de la vaste Coopérative bibliographique que se propose de créer l’Office aura signalé à l’administration centrale une erreur de classement, lorsqu’aussi le grossissement d’une catégorie ou l’arrivée d’une matière neuve ou omise nécessitera la création de subdivisions nouvelles, il deviendra facile d’indiquer à tous les associés les rectifications et remaniements utiles à faire. L’Office, par exemple, fera savoir par la voie d’un Bulletin périodique destiné à maintenir l’unité de classification entre tous les Répertoires locaux que la fiche 12,525 / 1895 classée sous 525.3, doit être rangée sous 523.2, ou bien encore que la division{22} ultime 525.3 sera subdivisée dorénavant en 525.31 et 525.32. Qu’en conséquence les fiches classées sous l’ancienne division seront classées comme suit:

Sous 525.31 12525 / 1895 12537 / 1848 etc.

Sous 525.32 536 / 1836 2741 / 1858 etc.

Les fiches du Répertoire sont encore susceptibles d’une autre mention: le lieu de dépôt de chaque ouvrage, ainsi que l’a demandé M. Vander Haegen, le savant bibliothécaire de l’Université de Gand. Cependant, toute précieuse que soit cette indication, il est impossible d’en surcharger toutes les fiches. Une distinction s’impose. Lorsqu’un ouvrage est réellement rare, s’il n’est conservé que dans quelques dépôts, il est d’un intérêt international de connaître quels sont ces dépôts. Mais cela est aussi inutile qu’impossible pour les ouvrages récents, pour ceux qui n’ont pas encore eu le temps de pénétrer jusque dans les grandes bibliothèques ou que l’on peut encore facilement se procurer en librairie. Toutefois, des catalogues des lieux de dépôt peuvent s’organiser aisément sur une base nationale; il y aurait dans chaque capitale, annexé à la bibliothèque principale, un catalogue général inventoriant les richesses de tous les dépôts nationaux. Le Répertoire bibliographique universel peut servir de base à de tels catalogues.

Après avoir dit comment la classification décimale des matières et le collationnement des notices bibliographiques sur fiches mobiles, donnent des solutions à peu près définitives aux plus importantes questions que soulève la création d’un répertoire bibliographique universel, il nous reste à exposer le plan de travail que nous préconisons.

L’immensité de l’œuvre à entreprendre est telle que l’ordre, la méthode et l’utilisation de tous les travaux existants permettent seuls d’en espérer la réalisation.

Il convient d’abord d’écarter tout délai endéans lequel les travaux devront être terminés; il faut aussi sérier les travaux sans rechercher à être dès le début complets et indemnes d’erreur.

Le besoin d’un Répertoire bibliographique unique est si grand que nul ne peut en retarder plus longtemps l’exécution sous prétexte qu’il faut faire œuvre parfaite du premier coup. Déblayons d’abord le terrain, accumulons rapidement deux ou trois millions de renseignements{23} les plus faciles à nous procurer; résignons-nous à 25 ou 30 p. c. d’erreurs, soit dans le relevé des notices, soit dans le classement qui leur sera donné. Les erreurs et les omissions seront rectifiées plus tard et très aisément, grâce au système de fiches individualisées comme nous l’avons dit. Ces rectifications seront l’œuvre de tous, car reproduit à un grand nombre d’exemplaires, le Répertoire sera mis en même temps à la disposition de tous ceux qui seront à même de les signaler.

La bibliographie des œuvres anciennes doit être élaborée d’après des procédés différents de celle des œuvres modernes. Examinons séparément les deux genres de travaux.

Pour le passé, il existe des bibliographies particulières en nombre considérable. Léon Vallée en a relevé environ onze mille dans sa Bibliographie des bibliographies. Beaucoup de ces bibliographies font double emploi les unes avec les autres; d’autre part, toutes ensemble, elles sont loin de comprendre l’inventaire complet de la production intellectuelle jusqu’à nos jours. Un premier travail s’impose donc: le dépouillement de toutes les sources bibliographiques existantes et l’élaboration d’un tableau complet, d’une sorte de carte bibliographique intégrale montrant à côté des régions déjà explorées, celles qu’il reste à faire connaître. Ce vaste travail de coordination ne peut être mené à bonne fin que par une institution spéciale, organe permanent des intérêts bibliographiques, jouissant de la popularité et du bon renom scientifique indispensables pour pouvoir obtenir partout les renseignements nécessaires à ses travaux.

Cette institution, qui sera l’Office international de Bibliographie, publiera donc tout d’abord, avec le concours des auteurs qui se seront plus généralement occupés de ces matières, une vaste bibliographie des bibliographies, publication sur fiches classées d’après la Classification décimale.

Cette première partie du répertoire, comprenant les sources les plus générales de la science, étant mise immédiatement à la disposition de tous, sera aussi la première à bénéficier de la coopération de tous. Viendra immédiatement après la publication du contenu des sources ainsi bibliographiées. Il s’agira là encore d’une réédition de travaux existants, mais en la forme particulière au répertoire. Par les soins de l’Office et de ses collaborateurs, tous les doubles seront éliminés et l’unification sera obtenue, grâce à l’unité de classification. Tandis que se poursuivra cette publication qui, à elle seule, exigera plusieurs{24} années, les bibliographes indépendants continueront sans nul doute leurs recherches comme par le passé et combleront ainsi les lacunes. L’œuvre d’unification conduite par l’Office contribuera d’ailleurs à attirer spécialement l’attention des chercheurs sur les parties trop négligées jusqu’ici, et ainsi disparaîtront peu à peu les blancs de la grande carte bibliographique.

Il est à prévoir d’ailleurs que les bibliographes modifieront peu à peu la forme de leurs travaux et qu’ils chercheront à bénéficier des avantages que pourra leur offrir l’Office. C’est à lui qu’ils apporteront leurs manuscrits comme à un grand éditeur. L’Office acquerra leurs travaux et les fera paraître dans le répertoire, peut-être même sous la signature de chaque auteur. Les bibliographes seront certains de trouver—chose si rare aujourd’hui—une équitable rémunération de leurs travaux et un public spécial pour les apprécier. Quant à l’Office de Bibliographie, il trouvera dans ces bibliographes indépendants de précieux et nombreux collaborateurs.

L’inventaire de la production courante nécessite, lui, la mise en œuvre d’autres procédés. Ici aussi, cependant, le rôle de l’Office est presque exclusivement organisateur et coordinateur. Il existe, en effet, de nombreuses bibliographies nationales périodiques et des bibliographies spéciales également périodiques. Elles correspondent à deux phases distinctes du travail: les bibliographies nationales se contentent pour la plupart de l’enregistrement pur et simple des œuvres qui sont éditées. C’est le collationnement et non le classement qui est leur tâche principale. Les bibliographies spéciales, au contraire, donnent au classement une place prépondérante et peuvent se livrer avec d’autant plus de soins à ce travail qu’elles ont moins à s’occuper du collationnement. D’ailleurs, les mieux faites d’entr’elles ajoutent le dépouillement des revues à celui des livres et de ce chef accroissent considérablement leur utilité. Ni les bibliographies nationales ni les bibliographies spéciales ne sont appelées à disparaître devant le Répertoire universel, mais il importe que leur rôle soit mieux défini et que chacune trouve sa place dans un ensemble mieux organisé. Les bibliographies nationales doivent dorénavant être plus complètes qu’elles ne le sont. Leur publication est tardive. Les omissions y sont fréquentes et les indications souvent très erronées. C’est ici que l’intervention de l’Union internationale de Berne s’impose. En préconisant partout la formalité du dépôt légal, en concentrant tous les renseignements au point de vue de la protection du droit des auteurs, en assumant la charge de faire, soit par elle-même, soit avec{25} l’aide des gouvernements qui ont adhéré à l’Union, le relevé complet de la production courante, elle contribuerait largement, pour sa part, à la réalisation du répertoire idéologique universel, auquel elle fournirait ainsi les matériaux eux-mêmes. Quant aux bibliographies spéciales, une entente devrait intervenir entre elles et l’Office. Qu’elles conservent l’entière indépendance qu’elles possèdent aujourd’hui, mais que, moyennant certains avantages à stipuler par contrat, elles s’engagent à adopter désormais la Classification décimale de l’Office de Bibliographie. Celui-ci s’entourerait ainsi de groupes absolument compétents et outillés de longue date pour mener à bonne fin le travail qui leur serait demandé. Après avoir éliminé tous les doubles inévitables, il rééditerait dans la forme du répertoire, le contenu de ces publications spéciales. Les publications bibliographiques spéciales embrassent aujourd’hui le champ presqu’entier de la production intellectuelle. L’Office susciterait la création de telles bibliographies pour les branches de connaissances qui en sont privées jusqu’à ce jour. Déjà à son intervention trois recueils bibliographiques sont entrés dans la voie que nous préconisons. Ce sont les Sommaires méthodiques de Droit, de Sociologie et de Philosophie. Des sommaires méthodiques de Philologie et de Littérature sont en préparation.

Il est à escompter, d’ailleurs, que les éditeurs et les auteurs deviendront eux-mêmes les collaborateurs permanents du répertoire. Ils trouveront en lui le plus efficace des instruments de publicité, puisque des exemplaires du répertoire seront dispersés dans tous les centres intellectuels et consultés quotidiennement par des milliers de lecteurs. La réédition des catalogues de fonds et l’annonce des nouveautés pourront se faire désormais à l’intervention de l’Office, chargé de publier le répertoire. Ce sera tout bénéfice: les nombres classificateurs—qui finiront, d’ailleurs, par être imprimés sur le livre lui-même, ou en tête des articles de revues et en annexe à leurs titres—seront attribués en parfaite connaissance de cause; aux notices bibliographiques toutes sèches pourront s’ajouter d’utiles indications, telles les principaux chapitres de l’ouvrage, voire même une analyse succincte des matières dont il traite. Tout ouvrage relatif à plusieurs matières recevrait plusieurs fiches.

Les indications très générales que nous venons de donner suffisent pour démontrer qu’un Répertoire Bibliographique Universel est possible.

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Le programme préconisé par l’Office de Bibliographie donnera lieu sans aucun doute à des critiques et à des réserves, mais il semble difficile pourtant de lui dénier son caractère organique. Nous le présentons, non comme une œuvre personnelle, mais comme la synthèse de ce qui a été fait et proposé par un grand nombre de bibliographes de tous pays.

Les mesures qu’imposerait la réalisation pratique de ce programme seraient les suivantes:

1o Création d’un Institut Bibliographique international, ayant pour objet l’étude de toutes les questions se rattachant à la bibliographie en général et plus spécialement à l’élaboration du Répertoire universel. Cet institut aurait à décider des unités bibliographiques et à prendre toutes mesures en vue de leur adoption par tous les intéressés: savants, bibliothécaires, éditeurs et auteurs.

2o Large extension donnée aux travaux commencés par l’Office international de Bibliographie qui deviendrait l’organe exécutif des décisions de l’Institut bibliographique. Cet office, dont l’organisation actuelle est toute provisoire, serait définitivement constitué sur les bases d’une vaste société coopérative dont deviendraient membres tous ceux qui ont intérêt à la création du répertoire universel: Etats, administrations publiques, associations scientifiques, bibliothèques, éditeurs, auteurs et hommes d’études. Publication, par les soins de cet Office, d’un Répertoire universel, sur fiches classées conformément à la Classification décimale. Fusion dans ce répertoire de tous les matériaux bibliographiques déjà existants. Création dans toutes les villes, dans tous les centres intellectuels, d’Offices bibliographiques locaux, ouverts à tous et recevant, d’une manière continue, de l’Office central, toutes les notices bibliographiques imprimées sur fiches. Ces offices locaux ont leur place marquée dans toutes les grandes bibliothèques où ils arriveraient vite à se confondre avec la section du catalogue, aujourd’hui si coûteuse d’entretien et d’une utilité encore si incomplète.

3o Union bibliographique internationale entre les gouvernements qui s’engageraient à prendre toutes mesures indispensables à l’enregistrement régulier des livres et favoriseraient l’élaboration du Répertoire en souscrivant des exemplaires au prorata de leur population respective et du montant de leur production littéraire annuelle.


NOTES:

[1] Nous donnons en annexe des spécimens des divisions principales de la Classification décimale et des divisions détaillées de la partie sociologique. Des traductions complètes, française, allemande et italienne, sont en voie de préparation.


[Note du transcripteur—les modifications suivantes ont été apportées à ce texte:

Page 3: Quit à Qui—«Qui scit ubi».

Page 9:

with à which—«many of which».

Foreing à Foreign—«Foreign and Domestic».

ocurring à occurring—«occurring in the Review».

Gesamte à Gesammte—«Gesammte Medicin».

Page 10: litterature à literature—«periodical literature».

Page 11: Bibliotek à Bibliothek—«la Königliche Bibliothek».

Page 18: Bibliographer à Bibliographier—«Bibliographier, c’est donc avant».

Page 26: oú à où—«où ils arriveraient».]