The Project Gutenberg eBook of Des postes en général, et particulièrement en France

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Title: Des postes en général, et particulièrement en France

Author: Charles Bernède

Release date: April 6, 2025 [eBook #75801]

Language: French

Original publication: Paris: Librairie de Raynal, 1826

Credits: Laurent Vogel, Adrian Mastronardi, The Philatelic Digital Library Project and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DES POSTES EN GÉNÉRAL, ET PARTICULIÈREMENT EN FRANCE ***

DES POSTES

EN GÉNÉRAL,
ET
PARTICULIÈREMENT EN FRANCE,

PAR CHARLES BERNEDE.


QUI PEDIBUS VOLUCRES ANTE IRENT CURCIBUS AURAS.
DECURSIO.

PARIS,
A LA LIBRAIRIE DE RAYNAL,
RUE PAVÉE SAINT-ANDRÉ-DES-ARCS, N.o 13.

1826.

IMPRIMERIE DE MELLINET-MALASSIS, A NANTES.

-i-

AVANT-PROPOS.

Les postes, créées dans l’intérêt général, n’ont point cessé, depuis leur fondation, de faire partie des institutions sur lesquelles la société est établie. Toujours dirigées vers un but unique, invariables dans leur marche, constantes dans leurs résultats, l’expérience n’a fait qu’ajouter aux avantages qu’elles promettaient aux peuples chez lesquels elles se sont successivement introduites. C’est par elles encore, comme à leur origine, que les princes veillent au maintien de leur puissance, les individus à la conservation de leurs droits, et les nations à l’accroissement de leur prospérité. Tout ce qui se passe sur les points les plus opposés du globe ne peut échapper à la connaissance des monarques, aux vastes conceptions de l’homme d’état, et aux combinaisons multipliées du négociant : la pensée franchit en peu de tems des espaces immenses ; et, rapportée avec la même vîtesse des extrémités de la terre, elle vient instruire les rois au sein de leurs cours, éclairer les ministres dans le silence du cabinet, enflammer le génie dans la paix de la retraite, et seconder les entreprises hardies que dirige, de son comptoir, l’actif et habile spéculateur.

Il n’est plus un seul lieu où l’on ne puisse former et entretenir des relations. A peine voyons-nous paraître une société, ou s’élever une colonie, que des correspondances aussitôt entamées, se répandent avec une -ii- étonnante rapidité. L’intérêt qui d’abord lie les individus, fait naître ensuite des sentimens d’amitié, de famille, d’affections et de convenances, dont l’absence semble accroître la force et présager la durée.

L’amour de la patrie, si touchant chez tous les êtres, nous rend le bienfait des postes encore plus précieux. Nous résoudrions-nous à quitter le sol natal et les objets si chers que nous y laissons, sans l’espoir si consolant d’adoucir, par un commerce réciproque de pensées, cet exil commandé par la nécessité.

Je sçais, a dit Montaigne, que l’amitié a les bras assez longs pour se tenir et se joindre d’un coing de monde à l’aultre. C’est aussi par le charme que nous inspire ce sentiment, que nous nous livrons à l’illusion qui nous rapproche de ceux dont nous sommes séparés par des distances incommensurables.

Mais, si l’action des postes, momentanément suspendue par l’effet de ces crises politiques qui agitent les nations, a suffi pour jeter parfois l’épouvante, de quelle stupeur les peuples ne seraient-ils pas frappés si cet état se prolongeait, si, enfin, les relations arrêtées tout-à-coup, cessaient pour ne plus exister ?

Le renversement d’une institution qui facilite si admirablement les moyens de correspondre comme par enchantement, ne tarderait pas long-tems à faire disparaître toutes les traces de prospérité dont elle est une des sources les plus fécondes, et à rompre l’harmonie qu’elle établit entre les états et qu’elle entretient entre les individus. Le corps social, menacé d’une entière dissolution, rentrerait bientôt dans les ténèbres de la barbarie commune à l’origine du plus grand nombre des nations.

-iii- Heureusement que cette marche rétrograde de l’esprit humain est désormais impossible par l’état actuel de la civilisation, et les moyens continuels que les postes fournissent de la reproduire et de la répandre. Les empires, fatigués des grandes secousses qu’ils ont éprouvées, sentent de plus en plus le besoin de consolider les institutions bienfaisantes qui assurent leur stabilité, et les hommes, celui de se communiquer leurs pensées pour s’éclairer et chercher à se rendre réciproquement plus heureux.

Ces considérations générales, qui nous démontrent et l’utilité des postes dans l’intérêt privé, et leur importance dans l’ordre moral et politique, nécessitaient néanmoins quelques développemens pour prouver l’influence directe que cette institution exerce sur nos besoins, nos mœurs et nos affections. C’est ce que nous nous sommes proposé dans l’aperçu rapide des faits qui s’y rattachent.

Découvrir l’origine des postes dans l’antiquité ; indiquer l’époque de leur introduction chez les modernes, et particulièrement en France ; exposer les diverses modifications qu’elles ont subies chez tous les peuples ; enfin, chercher à en rendre la pratique plus utile par la connaissance des règles générales auxquelles elles sont assujetties : tel est le plan que nous nous sommes tracé. Si nous ne l’avons pas embrassé avec un égal succès dans toutes ses parties, nous pensons qu’on nous saura du moins quelque gré d’en avoir tenté l’exécution, après nous être livré à de longues recherches pour donner à notre travail l’ordre, la clarté et l’intérêt dont il est susceptible.

En conséquence, la division en quatre parties, que -iv- nous établissons, nous a paru la plus naturelle, et en même tems la plus favorable pour soulager la mémoire dans une succession de faits dont la multiplicité n’est peut-être pas rachetée par tous les charmes de la variété.

La première partie traite de l’origine des postes ; la deuxième des postes en France ; la troisième, des postes chez tous les peuples ; la quatrième, enfin, de la pratique des postes.

Nous nous sommes abstenu de citer minutieusement les sources auxquelles nous avons été obligé de recourir en composant cet essai ; mais, en le dégageant de tout appareil scientifique, nous avons pensé, néanmoins, que nous devions indiquer les principales autorités sur lesquelles nous nous appuyons, afin que l’authenticité des faits que nous rapportons ne pût être rangée au nombre de ces assertions vagues et dénuées de vérité qu’enfante malheureusement trop souvent l’esprit de système.

-1-

DES POSTES
EN GÉNÉRAL,
ET PARTICULIÈREMENT EN FRANCE.

PREMIÈRE PARTIE.
ORIGINE DES POSTES.

Il faut remonter à l’antiquité la plus reculée pour découvrir l’origine des postes. Que de recherches inutiles, d’expériences insuffisantes, de tentatives infructueuses ont dû être employées avant que d’en rendre l’usage général ? Il serait difficile d’indiquer, parmi ces premiers essais, celui auquel il faudrait accorder la priorité. De vaines conjectures ne peuvent ici tenir lieu de la vérité. Cependant, au milieu de tant d’incertitudes, nous remarquerons les moyens dont on s’est servi primitivement pour transmettre la pensée par le langage des signes, et quels sont ceux qui l’ont fait triompher des distances.

Les premières familles, en se dispersant, formèrent autant de sociétés indépendantes les unes des autres. Occupées du soin de leur propre conservation, elles se suffirent pendant long-tems, parce que leurs goûts simples rendaient leurs besoins extrêmement bornés. Partout où les mœurs patriarcales régnèrent dans toute leur plénitude, les hommes ne pensèrent pas à établir de communications avec les peuplades étrangères. Ce n’est donc point chez ces nations pacifiques que nous devons -2- espérer de trouver les premières traces des postes, ou, pour mieux dire, des moyens qui y suppléèrent jusqu’à leur organisation régulière. Nous pensons que ceux, sans doute très-imparfaits, qui l’ont précédée, n’ont pu être imaginés que par les tribus dont le caractère belliqueux des sujets servait les projets d’usurpation des chefs.

On conçoit qu’il n’était pas besoin pour cela que la civilisation eût fait de grands progrès ; car, dès qu’on eût commencé à envahir, il fallut chercher à connaître tout ce qui pouvait assurer ou compromettre la puissance du vainqueur.

L’ambition rendit soupçonneux ; et, de la défiance, compagne inséparable de la tyrannie, naquit cette impatiente curiosité de tout savoir, soit pour prévenir des revers, former de nouveaux projets de conquêtes, comprimer des soulèvemens, déjouer les conspirations ; soit, enfin, pour consolider une domination à peine établie.

Les obstacles disparurent devant la volonté d’un maître. Bientôt la pensée se communiqua rapidement et fut transmise au loin par des interprètes fidèles. Un état continuel de contrainte dut exercer l’imagination active des peuples de l’Orient, chez lesquels les postes ont pris naissance. De là, ces ruses ingénieuses par lesquelles ils cherchaient à s’entendre sans être compris de ceux dont ils voulaient mettre la surveillance en défaut. Tout prenait pour eux un langage à volonté ; et, changeant sans cesse de signes, ils préparaient de loin, par d’heureuses tentatives, ces résultats dont on devait apprécier plus tard les avantages.

Sous le ciel si pur de l’Asie, les couleurs et les fleurs[1], variées à l’infini, ont été sans doute les premiers interprètes de la pensée. Attachant à chacune une idée, un sentiment, on formait, par la réunion de -3- ces divers emblêmes, une correspondance oculaire où l’ame trouvait un langage énergique comme les passions, et multiplié comme elles. La langue épistolaire des Salams[2], dit Rousseau, transmettait, sans crainte des jaloux, les secrets de la galanterie orientale à travers les harems[3] les mieux gardés.

[1] Les femmes de l’Orient trouvent dans leurs jardins de quoi exprimer toutes leurs passions avec des roses, des soucis, des tulipes au cœur brûlé… En effet, les fleurs sont une des analogies avec les caractères ; les unes étant gaies, d’autres mélancoliques ; il y en a même qui en ont avec les traits du visage : les bluets avec les yeux ; les roses avec la bouche ; la rose de Gueldres avec le sein ; la digitale avec les doigts, etc… [Harmonies de la Nature.]

[2] Une multitude de choses les plus communes, comme une orange, du charbon, un ruban dont l’envoi forme un sens connu de tous les amans où cette langue est en usage.

[3] Les muets du grand seigneur s’entendent entr’eux, et entendent ce qu’on leur dit par signes, tout aussi bien qu’on pourrait l’exprimer par les discours. Chardin dit qu’aux Indes les facteurs se prenant la main, et modifiant, leurs attouchemens d’une manière que personne ne peut apercevoir, traitent ainsi publiquement, mais en secret, toutes leurs affaires, sans avoir proféré un seul mot.

Mais ces moyens, appliqués avec succès à certaines localités, ne pouvaient triompher des distances.

Parmi les signaux[4] primitifs employés à la transmission au loin d’avis importans, les feux et la fumée tenaient le premier rang. Les lieux élevés, où la vue, embrassant un horizon immense, ne trouvait point d’obstacles, étaient très-favorables à cette manière de correspondre. Des branches de bois résineux enflammées que des hommes, commis à ce soin et placés à des distances convenables, agitaient diversement dans l’air ; des feux, dont ils augmentaient ou diminuaient la clarté, et dont ils variaient la disposition ; des flambeaux et des fanaux entretenus sur des tours[5] très-élevées, -4- dont la lueur vacillante était modifiée avec un art qu’on a si bien perfectionné de nos jours ; la fumée qui, s’élevant tantôt comme une vapeur légère, se changeait tout-à-coup en un nuage épais, pour se dissiper et reparaître sous un autre aspect ; tant d’autres moyens, diversifiés à l’infini, ne pouvaient avoir qu’une signification extrêmement bornée. La nécessité de multiplier les relations entraînait celle de multiplier les pensées, ou, pour mieux dire, les signes qui en sont l’expression.

[4] Dans l’antiquité, Hérodote, Homère, Eschyle, Pausanias, Jules Africain, Enée le Tacticien, etc. ; et, dans les tems modernes, Porta, Kircher, Robert, Hooke, Schot, Guyot, Amontons, Linguet, Chappe, etc., ont fait mention de moyens que nos télégraphes ont remplacés. L’usage des feux paraît commun même aux nations les plus sauvages. César dit que les Gaulois étaient très-experts dans l’art de les disposer. Les Grecs modernes l’ont renouvelé en établissant encore de nos jours, sur des lieux élevés, de ces sortes de signaux, pour s’avertir, en cas de besoin, des dispositions de leurs ennemis. D’autres moyens étaient également employés dans le but de correspondre. Du tems de nos discordes civiles, les moulins dont les ailes se plaçaient dans certaines directions, servaient à entretenir des relations très-actives. On profitait, dans d’autres circonstances, des avantages qu’offraient les localités pour parvenir à ce but. On conçoit jusqu’à quel point on pouvait multiplier ces ressources.

[5] On trouve par escrit, dit Bergier, que la tour du phare, que Ptolémée fit construire sur la mer d’Egypte, coûta 800 talens. Le Père F. Baugrand, dans son voyage en Syrie, rapporte que Sainte-Hélène avoit fait bâtir, sur le bord de la mer, des tours, que l’on voit encore, depuis Constantinople jusqu’à Jérusalem, par le moyen desquelles, avec un nombre et différentes dispositions de flambeaux ardens, elle faisoit savoir ou recevoit des nouvelles, en moins de vingt-quatre heures, de ce qui se passoit dans l’une ou l’autre de ces deux villes. Ces tours sont presque encore toutes entières : on les voit sur le bord de la mer.

La correspondance par le langage articulé remplaça cette poste oculaire. Mais une première expérience ne devait pas être sans fruit : on avait établi des lieux fixes pour les feux, et l’on construisit également des édifices très-élevés et disposés convenablement pour que la voix[6] d’individus forts et vigoureux, placés sur ces points apparens, pût se communiquer facilement de l’un à l’autre, en transmettant ainsi réciproquement, et avec une promptitude dont on ne peut se faire d’idée, les avis qu’ils recevaient.

[6] Les anciens Gaulois, dit Mezeray, envoyoient leurs commandemens par des cris, qui estant receus en un lieu, se portoient en l’autre, avec telle disposition et diligence, que ce qui fut sceu à Genève à soleil levant, fut sceu en Auvergne à soleil couchant.

On ne tarda pas à sentir les inconvéniens d’une correspondance orale, dont le moindre était de faire connaître les projets que les gouvernemens ont toujours soin de couvrir du mystère le plus impénétrable. Il fallait trouver les moyens de rendre l’agent lui-même étranger à la correspondance, afin de pouvoir s’entendre, à des distances illimitées, aussi secrétement qu’un ami peut le faire en parlant à l’oreille d’un ami.

C’est alors que s’introduisit l’usage d’envoyer des -5- messagers pris parmi les personnages les plus importans de l’état : ils étaient chargés par les princes de porter les ordres aux gouverneurs des provinces, et de rendre compte, à leur retour, des opérations dont ils surveillaient en même tems l’exécution. L’histoire fournit de nombreux exemples à l’appui de cette assertion. Homère dit que Bellérophon porta des lettres de Prœtus à Jobatès. L’Ecriture Sainte nous apprend que David en envoya à Joab ; que Jézabel en fit parvenir à Acham ; et que Rapsacès vint près d’Ezéchias, de la part de Sennachérib, remplir un semblable message.

Ce mode, convenable dans des tems ordinaires, devenait insuffisant et même impraticable, lorsque des circonstances impérieuses contrariaient l’ordre établi dans l’état. Les correspondances devaient être, en ce cas, non-seulement plus multipliées, mais recevoir encore un nouveau degré d’accélération. Les monarques, qui d’ailleurs ne pouvaient se priver des conseils de leurs favoris, sentirent la nécessité de les remplacer, dans ces fonctions, par des officiers, sous le nom de coureurs, dignes aussi de toute leur confiance. L’expérience qui avait fait rejeter l’usage de communiquer par la voix, conduisit à envoyer des messagers exercés aux plus rudes fatigues : ils fournirent d’abord la course entière ; et bientôt, établis de station en station, ils portaient à la plus voisine et en rapportaient les ordres, et par suite les missives, avec une rapidité telle, qu’elles parvenaient ainsi du point de départ au point de destination comme par enchantement.

Le nombre des coureurs fut très-étendu sous Salomon : ils habitaient son palais ; et le lieu qui leur était destiné sous ses successeurs, s’appelait salle des coureurs.

Les dispositions de plusieurs courriers, placés à des distances égales et à des points fixes, indique assez une amélioration due à l’expérience. En effet, s’il avait paru plus simple d’abord qu’un message fût rempli par le même individu, on remarqua que, quelque diligence qu’on y eût apportée, ce moyen entraînait non-seulement trop de tems, mais nécessitait encore l’expédition d’autant de courriers que les circonstances exigeaient qu’on renouvelât les ordres.

-6- La promptitude avec laquelle on correspondait de cette manière n’était rien encore comparée à la vitesse du vol des oiseaux[7], qu’on devait employer dans le même but.

[7] Les plus gros, selon Buffon, parcourent plus de 700 toises par minute, et peuvent se transporter à 20 lieues dans une heure. On sait l’histoire du Faucon de Henri II, qui s’étant emporté après une canepetière à Fontainebleau, fut pris le lendemain à Malte, et reconnu à l’anneau qu’il portait.

Adanson a vu et tenu à la côte du Sénégal des hirondelles arrivées en moins de neuf jours d’Europe.

Un peuple observateur avait dû remarquer les habitudes de certains volatiles à revenir aux lieux qui les ont vus naître, et où ils laissent leurs petits ; celles des hirondelles et des pigeons, qui fourmillent dans l’orient, ne purent lui échapper. Parmi ces derniers on distingua le pigeon[8] connu depuis sous le nom de pigeon-messager. Il était plus fréquemment employé que l’hirondelle[9], dont les anciens peignaient le plumage, en donnant à chaque couleur une signification particulière. L’oiseau, lâché d’un lieu élevé, ne mettait à profit sa liberté que pour remplir -7- son message, en regagnant avec une vîtesse incroyable l’endroit où, retrouvant ses petits, il était reçu par les personnes intéressées à veiller l’époque de son retour, qui s’effectuait toujours avec une grande régularité.

[8] Selon Villughby, Columba-Tabellaria, il ressemble beaucoup au pigeon turc, tant par son plumage que par ses yeux entourés d’une peau nue, et les narines couvertes d’une membrane épaisse. On s’est servi de ces pigeons pour porter les nouvelles au loin, ce qui leur a fait donner le nom de messager.

Ces pigeons, dit Valmont de Bomare, font leurs nids dans de vieilles tours ; ils sont très-timides, et volent avec une rapidité extraordinaire. Ils s’attachent aux lieux qui les ont vus naître. Ils est difficile de les dépayser en les laissant libres ; ils aiment à retourner dans les contrées où ils ont été nourris, élevés et bien traités.

Pietro della Valle rapporte qu’en Perse, le pigeon-messager fait, en un jour, plus de chemin qu’un homme de pied n’en peut faire en six.

[9] Cœcina Volaterranus, chevalier romain et intendant des chariots du Cirque, avait coutume de porter à Rome des hirondelles prises dans les maisons de ses amis où elles faisaient des nids, et quand les chevaux des personnes qui l’intéressaient avaient remporté le prix de la course, il peignait les hirondelles de la couleur du parti victorieux, et les laissait aller, sachant que chacune retournerait à son nid, et que, par ce moyen, ses amis seraient instruits de leur victoire.

Fabius Pictor raconte, dans ses annales, que lorsque les Liguriens assiégeaient un fort où était une garnison romaine, on lui apporta une hirondelle prise sur ses petits, afin que, lui attachant un fil à la patte et faisant à ce fil un certain nombre de nœuds, il pût donner à connaître, par ce moyen, aux assiégés, quel jour il leur enverrait des secours, pour que ce jour même ils puissent faire une sortie sur l’ennemi.

Les pigeons[10] servaient au même usage. On les expédiait par bandes, en leur attachant, au cou ou sous les ailes, la missive qu’ils devaient rendre à sa destination, ou un fil dont les nœuds et les contextures avaient une signification convenue entre ceux qui correspondaient ainsi.

[10] Au théâtre, à Rome, les maistres de famille avoient, dit Montaigne, des pigeons dans leur sein, auxquels ils attachoient des lettres quand ils vouloient mander quelque chose à leurs gents au logis ; ils estoient dressés à en rapporter les responses. D. Brutus en usa assiégé à Modène, et aultres, ailleurs.

Ces faits, renouvelés de nos jours, ont cessé de paraître merveilleux. Le prince d’Orange employa ces messagers volans, en 1774 et 1775, aux siéges d’Harlem et de Leyde ; et, pour reconnaître les services de ces oiseaux, le prince voulut qu’ils fussent nourris aux dépens de l’état, dans une volière faite exprès, et que, lorsqu’ils seraient morts, on les embaumât pour être gardés à l’hôtel de ville.

En 1803, on établit à Liége une poste aux pigeons : 22 de ces oiseaux revinrent de Paris dans cette ville, ayant fait 72 lieues en 4 heures, ce qui donne 18 lieues par heure. D’autres furent expédiés de Francfort à Liége avec le même succès. Un troisième essai fut fait en même tems à Coblentz, pour renvoyer à Liége un grand nombre de ces messagers ; deux d’entre eux y arrivèrent en deux heures et demie : ce trajet est de 30 lieues.

En juillet, 1824, on lança sur le pont neuf, à Paris, 32 pigeons envoyés de Maestricht. L’heure du départ avait été marquée sur une plume de leur aile. La même année un convoi de 100 pigeons avait été expédié de Liége à Lyon : 40 furent lâchés, de cette dernière ville, à 6 heures du matin. L’un d’eux était de retour à Liége, le même jour, à 11 heures aussi du matin : ainsi, en 5 heures de tems, il avait fait un trajet de 125 lieues. Le retour de ce pigeon devait faire gagner un pari de cent mille francs à son maître.

Une semblable expérience a eu lieu avec le même succès, en 1825, de Liége à Valenciennes, où le maire de cette dernière ville, après avoir contre-marqué les pigeons, leur fit donner la volée : ils étaient au nombre de 115.

Ce sont ordinairement des sociétés qui font élever des pigeons à cet exercice en leur plaçant des marques distinctives à l’aile, afin d’éviter toute méprise. On les transporte ordinairement, à dos d’homme, dans des hottes. C’est toujours par un acte de notoriété publique, que l’on constate leur départ des villes. Ces exemples, qu’il serait facile de multiplier, ne laissent pas de doute et sur l’instinct des pigeons et sur la rapidité de leur vol.

-8- Lorsqu’anciennement on évaluait le terme moyen de la vitesse de leur vol à dix lieues par heure, c’est qu’on avait égard aux lieux qui opposaient plus ou moins d’obstacles. Un pays découvert et coupé par des rivières ne laissait aucune incertitude à l’oiseau pour le retour, tandis que des forêts, un sol inégal, multipliant les remarques qu’il était obligé de faire, l’embarrassaient lorsqu’il fallait parcourir la même route. Nous croyons expliquer par là les raisons du retard qu’éprouvent les pigeons expédiés par bandes. Il est rare qu’ils arrivent tous en même tems à leur destination, leur instinct ne les servant pas tous également. Quoi qu’il en soit, ce moyen ne peut rien offrir de régulier, tant à cause des fatigues auxquelles l’oiseau succombe quelquefois, que des dangers auxquels l’exposent, et la flèche du chasseur et les serres des animaux de proie.

Cet usage, qui s’est conservé en Asie[11], n’a pu ni s’y répandre, ni même s’y maintenir d’une manière utile à la correspondance régulière.

[11] Prokoke dit que les pigeons d’Alep servent de courriers pour Alexandrette et Bagdad : ce fait, qui n’est point une fable, cesse d’avoir lieu moins fréquemment, depuis que les voleurs kurdis se sont avisés de tuer les pigeons. On prend pour cette espèce de poste des couples qui ont des petits, et on les porte à cheval au lieu d’où l’on veut qu’ils reviennent, avec l’attention de leur laisser la vue libre. Lorsque les nouvelles arrivent, le correspondant attache un billet à la patte des pigeons, et il les lâche. L’oiseau, impatient de revoir ses petits, part comme l’éclair, et arrive en 10 heures d’Alexandrette et en deux jours de Bagdad : le retour est d’autant plus facile qu’il peut découvrir Alep à une très-grande distance.

Tels sont sans doute les principaux essais qu’on a dû tenter pour s’entendre malgré les distances, se parler sans le secours de la voix, et transmettre la pensée sous des formes si diversifiées.

Tous les signes conventionnels, qu’on peut considérer comme autant de langues particulières, ont précédé, avec succès, pour correspondre, l’invention de l’écriture. La découverte de cet art a donné naissance aux lettres, aux épîtres, aux missives, aux dépêches enfin, qui, selon Cicéron, servaient à marquer à la personne à laquelle on les adressait, les choses qu’elle ignorait. D’après cette définition, on doit regarder comme lettres, les tablettes -9- ou ais enduites de cire, sur lesquelles on écrivait, avec des stylets de fer, de cuivre ou d’os, dont l’un des bouts était pointu pour graver les caractères et l’autre plat pour les effacer. Ces tablettes, rassemblées et attachées ensemble pour former un livre[12], avaient beaucoup de ressemblance à un tronc d’arbre scié en plusieurs planches. Les lettres que les particuliers s’écrivaient étaient sur ces tablettes, qu’on enveloppait de lin, et qu’on cachetait ensuite d’une espèce de craie ou cire d’asie. On les remplaça par les feuilles de palmier, et, plus tard, par l’écorce la plus mince de certains arbres (tels que le frêne, le tilleul, le peuplier blanc et l’orme) appelée liber, en latin, d’ou vient le mot livre. On se servait, pour écrire dessus, de roseaux imbibés d’encre[13], -10- comme on le pratique encore en Orient. Diverses compositions, entre autres la peau préparée et le papyrus, précédèrent l’invention du papier en usage aujourd’hui[14].

[12] Quand les anciens avaient des sujets un peu étendus à traiter, ils se servaient plus commodément de feuilles ou de peaux cousues les unes au bout des autres, qu’on nommait rouleaux ; coutume que les Juifs, les Grecs, les Romains, les Perses, et même les Indiens ont suivie, et qui a continué quelques siècles après Jésus-Christ. Ces livres en rouleaux étaient fixés sur un bâton qu’on nommait umbilicus, lequel servait de centre à la colonne ou cylindre. Le côté extérieur des feuilles s’appelait frons, les extrémités du bâton se nommaient cornes, et étaient ordinairement décorées de petits morceaux d’ivoire, d’argent, d’or et même de pierres précieuses. Dans l’origine, on se servait de différentes matières pour faire les livres. Les caractères furent d’abord tracés sur de la pierre, témoins les tables de la loi donnée par Moyse, qui sont le plus ancien livre que l’on connaisse.

La forme actuelle des livres a été inventée par Attale, roi de Pergame. On employait des préparations aromatiques pour les préserver de toute destruction.

Avant l’invention de l’imprimerie, les livres étaient d’un prix sans bornes. Cette découverte a eu lieu vers l’an 1440, à Mayence. On la doit à Jean Guttemberg, qui s’associa Faust et Schoëffer. Le premier livre imprimé est la cité de Dieu, de Saint-Augustin.

En 1471, Louis XI, désirant avoir dans sa bibliothèque une copie du livre du médecin Rasi, emprunta l’original de la faculté de médecine de Paris, et donna pour sûreté de ce manuscrit 12 marcs d’argent, 20 livres sterlings, l’obligation d’un bourgeois pour la somme de cent écus d’or.

On prétend que vingt mille personnes en France, vivaient de la vente des livres qu’elles copiaient.

Jean Faust, qui s’établit à Paris en 1470, dédia, à Louis XI, le premier livre qu’il y imprima.

[13] La première encre dont on s’est servi fut tiré d’un poisson nommé zibius ; le suc des mûres sauvages le remplaça ; ensuite, la suie ; puis, le cinabre, le vert de gris et enfin les compositions actuelles.

[14] Vers le commencement du VIII.e siècle on se servit du papier fait de coton, et ce ne fut que 600 ans après qu’on employa les chiffons pour sa fabrication.

Si les tribus d’Israël communiquaient entr’elles par le moyen des messagers, comme nous l’apprend l’Ecriture ; si d’autres nations de l’Asie entretenaient des relations en suivant le même usage, nous serions tenté de croire que l’origine des postes, telles que nous les concevons, remonte très-haut. Des traces de cet utile établissement semblent se découvrir plus positivement sous le règne d’Assuérus[15], roi des Mèdes, qui fit expédier des courriers pour porter l’édit[16] de proscription des Juifs aux gouverneurs et aux magistrats des cent vingt-sept provinces qui s’étendaient depuis l’Inde jusqu’à l’Ethiopie. Deux mois après l’expédition des premiers courriers, de nouveaux reçurent l’ordre de faire une extrême diligence pour prévenir, par de nouvelles dispositions dont ils étaient chargés, l’effet des mesures qu’Aman avait prises précédemment. Les courriers eurent de plus commission expresse, de la part du roi, d’aller trouver les Juifs dans toutes les villes et de leur ordonner de se rassembler. Les lettres dont ils étaient porteurs, envoyées au nom d’Assuérus, étaient scellées de son sceau.

[15] Nom que les Hébreux donnaient à Artaxerxès, grand-oncle de Cyrus.

[16] Il fut traduit dans toutes les langues que parlaient les peuples répandus dans tout l’empire. Lysimaque le traduisit à Jérusalem, et Doristhée en Egypte.

Le même moyen fut employé par Esther et Mardochée, pour inviter les juifs, répandus sur ce vaste état, à célébrer le jour solennel de leur délivrance.

Ainsi, nous voyons des courriers expédiés, à diverses reprises, sur tous les points d’un grand empire, sans pouvoir connaître s’il existait un service régulier de poste, et quel pouvait être son mode d’organisation. L’incertitude qui nous reste, malgré ces exemples, ne peut encore nous en faire attribuer l’établissement à -11- Assuérus. Le témoignage d’Hérodote, de Xénophon et de tous les historiens, ne permet plus de douter que Cyrus n’en soit le véritable fondateur.

Ce fut, dit Bergier, en l’expédition que Cyrus entreprit à l’encontre des Schytes, qu’il établit les postes de son royaume, environ 500 ans avant la naissance de J.-C. ; afin que les messagers, comme ravis par l’air, pussent porter sa volonté aux gouverneurs de ses provinces, en cas d’affaires précipitées, et qui ne pussent souffrir de délais.

Ce prince, dont les expéditions ont été si mémorables et si multipliées, reconnut bientôt que les moyens de correspondre, employés avant lui, devenaient insuffisans par la nécessité dans laquelle il se trouvait d’entretenir de fréquentes relations avec les satrapes ou gouverneurs de ses nombreuses provinces.

Des signaux, des ordres transmis par la voix, des courriers sans cesse en mouvement, établis de station en station, ne remplissant qu’imparfaitement ce but, avaient préparé néanmoins l’heureuse révolution qu’il devait opérer dans l’art de correspondre.

En perfectionnant les chars[17], auxquels les Phrygiens étaient parvenus à atteler deux chevaux, et Erectonius[18] quatre, Cyrus avait pu apprécier, de nouveau, l’agilité et la force de ces animaux ; mais ce n’était que dans les courses dont les peuples anciens se montraient si admirateurs. Ce prince chercha bientôt à déterminer l’espace qu’ils pourraient parcourir, en galopant sans fatigue, pendant un certain laps de tems. Il expédia, à cet effet, des courriers de sa capitale aux confins de son empire, avec ordre de lui rendre au retour un compte exact de leur course. La comparaison de ces divers rapports paraît l’avoir conduit à une connaissance positive de la rapidité de la marche du cheval, qui fut jugée égale à celle du vol de l’oiseau ; et, disent -12- aulcuns que cette vîtesse d’aller vient à la mesure du vol des grues[19].

[17] Les Gaulois étaient également renommés pour la conduite des chars et l’art avec lequel ils dressaient les chevaux, qu’ils arrêtaient tout à coup dans les descentes les plus rudes et les pentes les plus difficiles.

[18] Il était fils de Vulcain, et se servait d’un char à cause de la difformité de ses jambes qu’il y tenait cachées.

[19] Montaigne.

Nous n’examinons pas s’il peut exister quelque parité entre ces deux vîtesses[20], et jusqu’à quel point on a porté la rigueur de ce calcul ; pour que la durée de chaque course, lorsqu’elle était d’une certaine étendue, fût toujours, non-seulement égale, mais toujours parcourue avec la même promptitude, il fallait connaître, par des expériences répétées et par une longue suite d’observations, tout ce que la nature opposerait de difficultés ou offrirait d’avantages, afin de fixer les distances à parcourir par les chevaux, en raison du sol et de l’état des routes. C’est en quoi la sagacité de Cyrus est remarquable ; car il s’agissait moins ici de se rendre en diligence d’un point à un autre, lorsque quelques circonstances impérieuses l’exigeraient, que d’assurer en tout tems la régularité et la célérité du service par les soins et les ménagemens qu’on prendrait des chevaux, -13- en évitant de les fatiguer par des marches trop prolongées.

[20] On a vu des chevaux faire 60 lieues en 12 heures et d’une seule traite. En 1754, on dit que milord Poscool fit la gageure de se rendre de Fontainebleau à Paris en 2 heures : il y a 14 lieues de distance. Le roi ordonna à la maréchaussée de lever sur la route les obstacles qui pourraient opposer au courrier le moindre inconvénient. Milord Poscool ne se servit point de jockey ; il partit de Fontainebleau à 7 heures du matin, et arriva à Paris à 8 heures 48 minutes.

Le fameux Filho-da-puta, cheval de course anglais, égale presqu’en vîtesse celle de Childers, le plus rapide des coursiers connus. Ce dernier parcourut une fois, en 7 minutes, l’espace de New-Market [4320 toises]. Il n’y a pas long-tems qu’en Russie deux chevaux anglais ont remporté le prix de la course sur deux chevaux cosaques. L’espace à parcourir sur la route de Moscou était de 70 werstes. L’étalon anglais arriva le 1.er au but, et ne mit, pour y parvenir, que 2 heures 8 minutes 4 secondes.

Les chevaux de course anglais embrassent, à chaque élan, une étendue de terrain de près de 20 pieds.

Les chevaux de course français franchissent communément 4000 mètres en 4 minutes 13 secondes. Ils parcourent la circonférence du Champ-de-Mars en 2 minutes 30 secondes, et deux fois le même espace en 5 minutes 32 secondes, deux cinquièmes. La double circonférence est à peu près d’une lieue de poste ; la circonférence intérieure de 1026 toises ; ce qui donne, dans les proportions ci-dessus 41 pieds par seconde, ou par minute 2462 pieds 5 pouces. On remarque que les jumens ont toujours la supériorité dans les courses, les jockeys qui montent les chevaux ont 300 francs par course. Il en coûte 500 francs pour faire dresser les chevaux qu’on y destine.

On ne peut donc méconnaître, dans cette expérience mémorable faite par Cyrus, l’idée primitive et fondamentale des postes. Il a donc tout l’avantage de cette invention qu’on fait remonter à son expédition contre les Scythes.

Ce prince ne s’arrêta pas à cet essai, et il perfectionna l’institution des postes, en faisant construire sur les grands chemins, à des distances égales, des bâtimens sous la dénomination de stations, pour les courriers et les chevaux qui y étaient entretenus en nombre suffisant, et soignés par des individus qui n’avaient que cet unique emploi. De la mer Grecque ou Egée, dit Bergier, jusqu’à la ville de Suze, capitale du royaume, des Perses, il y avoit pour cent onze gistes ou mansions de distances ; de l’une desquelles à l’autre, il y avoit une journée de chemin.

Ces édifices étaient tellement vastes, commodes et magnifiques, que le prince ne logeait presque jamais ailleurs lorsqu’il voyageait avec sa suite. Les courriers transportaient de l’un à l’autre, le jour, la nuit et à toute heure, les dépêches qui intéressaient le service public. Leur exactitude et leur discrétion[21] étaient si grandes, qu’on n’eut jamais à se repentir de la confiance que de pareilles missions commandent.

[21] Il faut dire aussi, que, de leur côté, les peuples anciens conservaient un respect religieux pour la correspondance. L’histoire rapporte que les Athéniens on donnèrent un exemple en laissant parvenir les lettres que Philippe écrivait à Olympie. Après une grande fermentation dans sa patrie et une guerre civile, Pompée eut la générosité et la magnanimité de livrer au feu toutes les lettres qui auraient pu entretenir le souvenir d’événemens si funestes. Quand on voit les nations modernes les imiter si scrupuleusement, on ne sait ce qui surprend le plus, ou de la discrétion des courriers, ou de la confiance de ceux qui les rendent dépositaires de leurs secrets, en n’opposant à la curiosité que d’aussi faibles obstacles. Cette réserve d’un côté, et cet abandon de l’autre, ne nous étonnent plus. L’habitude a pu seule nous familiariser avec une semblable merveille. Mais l’inviolabilité des lettres, à laquelle les postes doivent leur prospérité, est la base inébranlable sur laquelle elles reposent. Fondées sur le mystère, maintenues par le respect pour la pensée, elles ne sont point au nombre de ces institutions éphémères, dont la durée est si fragile : leur existence n’a de bornes que celles de la société.

-14- Il paraît, néanmoins, que, dès le commencement, on cachetait les lettres en les fermant avec différens nœuds. Cette coutume avait lieu du tems de la guerre de Troie. Isaïe dit aux Juifs que ses prophéties seront à leur égard comme des lettres cachetées. Ces exemples prouveraient, s’il en était besoin, que, dès qu’on écrivit des missives, on reconnut l’avantage de pouvoir en laisser ignorer le contenu aux agens intermédiaires, chargés de les transmettre par les moyens usités dans tous les tems.

On juge par les soins que Cyrus mit à consolider cette institution politique, de l’importance qu’il y attachait. Ses conquêtes, en étendant les bornes de sa puissance, exigeaient qu’il s’occupât de donner toute la perfection désirable à cet établissement naissant.

Parmi ses successeurs, Xerxès fut un de ceux qui profitèrent le plus de cette découverte. On dit, qu’après avoir été défait par Thémistocle, il se sauva au moyen des relais, qu’il avait fait préparer au cas que la fortune lui devînt contraire.

Les révolutions que les empires de l’Asie éprouvèrent, firent disparaître les traces de cette utile institution. Nous ne les retrouvons que chez les Romains, auxquels rien de ce qui était grand ne pouvait échapper. Ils jugèrent que le seul moyen de faire revivre les postes, était de tracer des routes, de les paver et de les entretenir avec soin ; de construire des chaussées et d’élever des ponts. Imitateurs des Grecs, qui, les premiers, ouvrirent des grands chemins, et des Carthaginois[22], qui, les premiers, imaginèrent de les paver : ils les surpassèrent bientôt dans ces travaux importons.

[22] Isidore, dit Bergier, nous apprend que les Carthaginois ont esté les premiers qui se sont advisez de munir, affermir, et consolider les chemins de pierres et cailloux alliez avec sable, et comme maçonnez sur la superficie de la terre, ce que nous appelons paver, et que c’est à leur imitation que les Romains se sont mis à paver les grands chemins quasi partout le monde.

La première route dont il soit fait mention, est la voie Appiène, regardée comme le plus bel ouvrage en ce genre : deux chariots pouvaient y rouler de front. La voie Auréliène fut la seconde. La voie Flaminiène la troisième. Puis, l’on vit successivement les voies Domitiène, Emiliène, Trajane, etc.

-15- Soit[23] que l’on porte les yeux à la magnificence qui les continuoit (les chemins), du port qui les finissoit, aux bastiments des postes et des gistes qui les accompagnoient, aux colonnes inscrites qui les mesuroient, à la façon qui les affermissoit contre les siècles, et les rendoit durables contre les efforts du charroy de quinze à seize cents ans ; soit que l’on regarde l’utilité publique en la conduite des armées et des armes, au charroy des marchandises, à la facilité d’envoyer des nouvelles en peu de tems de la ville de Rome jusques aux confins de l’empire, et d’en recevoir avec même commodité par le moyen des postes établies sur iceux ; à la police excellente qui régloit ces postes, à la dignité des auteurs des grands chemins, et des commissaires établis pour leur entretenement et réparation ; aux sommes d’argent sans nombre, et à la multitude des hommes qui ont esté employez aux ouvrages d’iceux ; certes, on trouvera que l’esprit humain ne conçut et la main n’acheva jamais une plus grande œuvre ; de laquelle entreprise le seul empire romain estoit capable ; et à laquelle il a fait paraître l’extrémité de sa puissance.

[23] Bergier, auteur cité.

On s’accorde généralement[24] à dire que c’est sous Auguste que les Romains ont connu les postes. L’exemple qu’on cite, du tems de la république, du consul Gracchus qui, étant en Grèce, pour se rendre d’Amphise à Pella, parcourut près de 40 lieues en un jour, n’est qu’un fait isolé qui ne peut prouver l’établissement de ce service dans une contrée où, au rapport de Socrate l’historien, on ne s’occupa pendant long-tems que des courses en char, seulement pour les jeux publics.

[24] Suétone.

Il est des époques tellement remarquables dans l’histoire, qu’il ne peut rester d’incertitude, lorsqu’il est question de leur attribuer quelques institutions qui tendent encore à les illustrer. Les postes étaient dignes d’être comptées au nombre de celles qu’on doit au grand siècle d’Auguste.

Les principales villes de l’empire communiquaient -16- déjà avec la capitale par des chemins pavés. Les routes commençaient à s’étendre dans les provinces conquises. Auguste perfectionna ces entreprises. Il fit aussi percer des grands chemins dans les Alpes, et en ordonna une infinité d’autres en Espagne. Ce fut à Lyon qu’il fit travailler à la distribution des grands chemins dans les Gaules. Là où[25] il parle de son passages de la rivière de Rhône, vers l’Allemaigne, il veit qu’il estoit indigne de l’honneur du peuple romain, qu’il passast son armée à navire, il fit dresser un pont, afin qu’il passast à pied ferme. Ce fut là qu’il bastit ce pont admirable de quoi il déchiffre particulièrement la fabrique ; car il ne s’arrête si volontiers en nul endroict de ces faicts, qu’à nous représenter la subtilité de ses inventions en telles sortes d’ouvrages.

[25] Montaigne.

Il divisa aussi les routes en espaces uniformes appelés milles, et indiqués sur des colonnes de pierres[26] qui portaient le nom de milliaires. On commençait à compter de celle connue sous la dénomination de milliaire dorée, qu’Auguste fit élever au milieu du marché de Rome, près le temple de Saturne. Sa figure est ronde, et si grossière, dit Bergier, qu’elle ne touche en pas un ordre d’architecture. Elle est assise sur un piédestal corinthien ; et porte une boule au-dessus de son chapiteau, comme pour représenter le rond de la terre, sur laquelle les Romains ont estendu leur seigneurie et leur puissance.

[26] Il y avait aussi d’autres pierres plantées de distance en distance pour suppléer aux étriers, lesquelles aidaient le cavalier à monter à cheval. Jusqu’au règne de Théodose, on ne se servit ni d’étriers ni de selle. Cette dernière était remplacée par une simple housse. Il fut également défendu en tout tems de se servir de bâton pour exciter les chevaux ; le fouet, employé à cet usage, a toujours été maintenu. On ne s’est servi d’éperons que très-tard.

Auguste ne négligea donc aucun moyen d’accroître la prospérité des postes, soit comme nous l’avons remarqué, par les grands chemins qu’il fit faire, les bâtimens qu’il y éleva sous la dénomination de stations ou positions, origine sans doute du nom qu’elles portent ; soit par les mesures qu’il ordonna d’employer pour qu’aucune prérogative n’exemptât de fournir des chevaux -17- pour ce service, appelé course publique ; soit enfin par les dépenses considérables dans lesquelles il s’engagea, et qui furent à la charge des peuples.

Il nous[27] faut parler des moyens que les empereurs avaient d’envoyer de Rome leurs lettres si promptement jusques aux confins de leur empire, et d’avoir la réponse avec pareille promptitude et célérité. Cela se faisoit par la voie des postes assises sur les routes militaires, si bien réglées et policées, qu’il n’estoit déjà besoin au prince souverain de courir avec peine et travail par les parties de son empire, pour sçavoir ce qui s’y passoit ; veu que, sans partir de la ville de Rome, il pouvoit gouverner la terre par ses lettres missives, édits, ordonnances et mandements, lesquels n’estoient plus tost écrits, qu’ils estoient par la voie des postes, portées aussi promptement, que si quelques oiseaux en eussent esté les messagers.

[27] Bergier, auteur cité.

Des courriers et ensuite des voitures furent disposées sur toutes les grandes routes et à peu de distance l’une de l’autre, afin que l’on eût des nouvelles plus promptes de ce qui se passait dans les provinces ; et les courriers[28] auxquels on confiait les missives étaient appelés viatores ou veredarii sous les empereurs d’Occident, et, sous les empereurs d’Orient, cursores, mot d’où ils tirent leurs noms. Ils ne marchaient jamais sans être munis d’un diplôme ou lettre d’évection. Elle différait de la missive en ce que celle-ci était scellée et pliée de plusieurs façons, et que l’autre n’avait qu’un simple pli uniforme[29]. Le sceau[30] qu’Auguste appliquait -18- sur ses lettres et sur ses actes, fut d’abord un sphinx, ensuite la tête d’Alexandre, et, enfin, son propre portrait, gravé par Dioscoïde. Ce dernier fut celui en usage sous ses successeurs. Il marquait toujours sur ses lettres l’heure à laquelle il les écrivait, soit le jour, soit la nuit[31].

[28] Le cheval de poste Veredus.

[29] Depuis la première institution des postes romaines jusqu’au siècle de Constantin, les lettres de poste se donnoient en papier ou parchemin ; et on les appeloit diplomata. Et quoique Servius escrive que sous ce nom sont comprises toutes les écritures envoyées à quelqu’un : c’est ce qu’il appartient proprement à celles qui ne sont pliées qu’en double. Quelques-uns assurent que ces lettres estoient semblables aux patentes de nos rois, qui n’ont qu’un simple ply, que nous appellons reply, et non plusieurs plys, comme les missives que l’on appelle lettres closes ou de cachet. [Bergier.]

[30] Sceau doit être pris ici dans une signification différente de cachet qui, pour nous, dérive de cacher. Ce cachet que nous appliquons sur nos lettres sert à empêcher que le contenu n’en soit connu de tout autre individu que celui auquel on l’adresse. Le sceau, chez les anciens, dont l’écriture cursive n’était pas aussi variée que la nôtre, devenait la marque authentique à laquelle on reconnaissait celui qui nous communiquait sa pensée, et non la main qui la traçait ; car le nom n’y était pas apposé à la fin, comme nous le pratiquons.

L’usage introduit autrefois d’écrire au nom d’une personne absente ne peut étonner, puisqu’il ne s’agissait que d’être muni de son sceau. On en trouve mille exemples, soit dans Cicéron et d’autres auteurs, soit même dans les pères de l’église qui, employant la main de leurs amis ou de leurs secrétaires, ne manquaient jamais, quand ils voulaient ajouter quelque chose eux-mêmes à leurs lettres, de dire : Ceci est de ma main.

Le signe ou sceau était seul reconnu, puisque la loi romaine refusait d’accepter un écrit autographe comme pièce de comparaison, si le témoignage de personnes présentes à la rédaction n’en attestait l’authenticité.

Au reste, cette empreinte ou sceau était d’une telle importance, que le fabricateur d’un cachet faux ne pouvait échapper à la punition prononcée par la loi Cornélia.

Ainsi, lorsque anciennement on disait : J’ai signé cette lettre, on exprimait par là qu’on y avait apposé son sceau. La même expression aujourd’hui signifie littéralement qu’on y a mis son nom, ce qui lui donne le caractère d’authenticité. Elle est distinguée par là d’une autre espèce de lettres appelées anonymes qui, quoique cachetées, ne portent pas de signatures.

Chardin dit qu’en Orient on appose seulement son sceau et celui des témoins sur les contrats.

[31] Suétone.

La surveillance des postes romaines était confiée aux premiers personnages de l’empire. Aucune personne, quel que fût son rang, ne pouvait voyager sans être muni d’une permission de se servir des chevaux de la course publique. Conformément à cette loi, dit Bergier, nous lisons dans l’histoire de Capitolinus que Publius Helvius Pertinax, qui fut empereur romain sur ses vieux jours, estant pourvu en son âge florissoit de la charge de sergent de bandes, qu’ils appelloient Præfectum Cohortiis, sous l’empire de Titus, fut condamné par le président de Syrie à aller -19- à pied à Antioche jusqu’à certain lieu où il estoit envoyé en qualité de légat, en punition de ce qu’il s’estoit servi des chevaux publics, sans avoir de lettres de poste.

Les postes établies sur tous les points où s’étendait la puissance romaine, malgré les revenus qu’elles rendaient aux empereurs, étaient loin de les dédommager des frais énormes qu’elles occasionnaient. Tant de sacrifices et de précautions, par suite de mesures extraordinaires, ne les mirent pas à l’abri d’une destruction, totale. Il n’est pas inutile de remarquer que toute innovation ou tentative brusque a toujours nui à la prospérité des postes, et qu’on ne doit procéder qu’avec prudence dans tous les changemens que les circonstances permettent d’y introduire. Nous aurons occasion plus d’une fois de nous en convaincre.

Lorsque Constantin fit assembler un concile à Rimini, il exigea tant de célérité des prélats qu’il y appelait des points les plus éloignés, qu’ayant ordonné à cet effet de leur procurer tous les moyens de voyager avec diligence, la plus grande partie des chevaux succomba aux fatigues de ce service.

Le soin que l’on mettait à cette époque à l’entretien des routes, explique la promptitude avec laquelle on franchissait les plus grandes distances dans les chars légers que nos voitures ont remplacés.

Auguste se rendait avec une grande rapidité, par le moyen des postes, dans les lieux les plus éloignés où il ne pouvait être attendu, afin de connaître par lui-même tout ce qui s’y passait. On rapporte qu’il faisait alors plus de cent milles par jour[32].

[32] A peu près 25 lieues.

La première fois[33] qu’il sortit de Rome avecques charges publiques, il arriva en huit jours à la rivière de Rhône, ayant dans son coche, devant lui, un secrétaire ou deux qui écrivoient sans cesse, et derrière luy, celuy qui portait son épée.

[33] Montaigne.

Rufus, envoyé vers Pompée, marcha nuit et jour avec la même vitesse, en changeant de chevaux à chaque poste. Constantin-le-Grand, retenu prisonnier à Nicomédie, se sauva en Angleterre par le moyen de relais, -20- et s’y fit proclamer empereur. Pour mieux assurer sa fuite, il faisait couper les jarrets aux chevaux qu’il laissait après lui, afin que ceux qui le poursuivaient sur la route ne pussent faire la même diligence. Tibère, dans une circonstance pressante, fit, dit-on, 200 milles en 24 heures, et ne changea que trois fois de voiture. Dioclétien et Maximien, suivant les historiens, parcouraient de très-grandes distances avec la même célérité. Il serait facile de multiplier les exemples de ce genre, qui ne sont remarquables que par l’époque à laquelle ils nous reportent.

C’est encore ainsi, dit Bergier, que les empereurs se faisoient porter le long des fleuves navigables, avec une merveilleuse promptitude et célérité. Ce qu’ils exécutoient à l’aide de certains vaisseaux faits exprès comme pour servir de chevaux de poste sur les eaux. Car les anciens avoient deux sortes de vaisseaux pour naviger, tant sur la mer que sur les fleuves navigables. Ils appeloient les uns onerarias naves, qui servoient à porter toutes sortes de fardeaux et marchandises ; et les autres fugaces sive cursorias, et d’un mot grec dromones, comme qui diroit des courriers, à cause de la vîtesse de leur course.

Les chevaux n’étaient pas seuls employés, soit pour établir des correspondances entre tous les points d’un état et les nations entr’elles, soit pour voyager avec plus de sûreté, de commodité et même d’agrément.

Les Romains avaient dressé divers animaux à traîner leurs chars. Celui de Marc-Antoine était conduit par des lions. Héliogabale l’imita, et y substitua des tigres, qu’il remplaça par des cerfs et des chiens. L’empereur Firmus se servit d’autruches[34] dans le même but. Elles étaient, dit-on, d’une grandeur remarquable.

[34] Les Arabes appellent l’autruche l’oiseau-chameau.

Ces éclaircissemens suffisent pour donner une juste idée des moyens employés primitivement pour correspondre, et du grand degré de perfection auquel les Romains avaient porté l’institution des postes. En les élevant au premier rang, ils en avaient assuré la prospérité par la considération, et la confiance, sur laquelle ils les faisaient reposer, était devenue pour eux le seul garant de leur stabilité.

-21-

DEUXIÈME PARTIE.
DES POSTES EN FRANCE.

La décadence de la puissance romaine fit négliger une institution qui ne reparaît qu’en France, sous Charlemagne, digne héritier des conquêtes de cette nation célèbre. La domination de ce prince, qui s’étendait en Allemagne, en Italie et en Espagne, lui rendait l’usage des postes d’une grande nécessité ; mais, si elles ne paraissent avoir servi d’abord qu’aux affaires publiques, les Français, dit Mezeray, les employèrent bientôt à satisfaire l’impatience curiosité qui leur était si naturelle. César, qui l’avait observée comme un trait distinctif de leur caractère, dit encore qu’ils aimaient si fort les nouvelles, qu’ils se tenaient sur les grands chemins pour arrêter les passans et surtout les étrangers, afin de savoir ce qu’il y avait de nouveau hors de leur pays.

On donnait aux courriers le nom de Veredarii, comme sous les empereurs Romains. La même considération avait été conservée aux officiers commis à la direction de cette importante branche administrative, toujours sous la surveillance des premiers dignitaires ou des hommes les plus recommandables de l’état.

Ce fut encore Charlemagne qui, le premier de nos rois, fit travailler aux grands chemins. Il releva d’abord les voies militaires romaines ; et, à l’exemple d’Auguste, il employa à ce travail, et ses troupes et ses sujets.

Louis-le-Débonnaire et quelques-uns de ses successeurs rendirent aussi des ordonnances sur cette matière ; mais les troubles des X.e et XI.e siècles firent perdre de vue la police des grands chemins. On s’en tint à quelques réparations de ponts, de chaussées et de cours d’eau, qui pouvaient offrir des obstacles à l’entrée des villes.

-22- Philippe-Auguste s’occupa aussi des grands chemins, et fut le premier qui entreprit de paver la capitale. Il était très-jeune lorsqu’il fit exécuter ce projet. L’odeur des boues qui encombraient les rues de Paris, parvenant jusqu’à son palais, le déterminèrent à une opération qui joignait l’agrément à la salubrité.

Un financier, nommé Gérard de Boissy, fit à cette occasion, une action bien rare, et qui a prouvé l’amour qu’il portait à son pays. Ce citoyen, en voyant que son roi n’épargnait ni soins, ni dépenses, pour embellir Paris, contribua de la moitié de son bien, évaluée 11,000 marcs d’argent[35], pour en faire paver les rues.

[35] Ce qui équivaut à peu près à 559,000 fr. de notre monnaie actuelle.

Philippe-Auguste confia l’inspection des routes, comme du tems de Charlemagne, à des commissaires-généraux appelés Missi : ils ne dépendaient que du Roi. Henri II et Henri IV rendirent des édits à ce sujet. Henri IV créa, en 1579, un office de grand-voyer, auquel il attribua la surintendance des grands chemins. Louis XIII supprima cette charge et en fit rentrer les attributions dans celles des trésoriers de France. Il en reconnut bientôt l’importance, et la rétablit sous la dénomination de direction générale des ponts-et-chaussées, à laquelle il attacha des inspecteurs et des ingénieurs. Cette administration, à quelques modifications près, est restée la même depuis cette époque[36].

[36] Ces courtes observations, quoique interrompant la suite des faits, ne nous ont point semblé déplacées ici. Nous aurons encore l’occasion de présenter diverses considérations qui se rattachent, d’une manière plus ou moins directe, au sujet que nous traitons. Nous croyons cette méthode plus convenable : elle a l’avantage de réunir des faits, qui n’offriraient pas le même intérêt, isolés et classés d’après l’ordre des dates que nous cherchons à suivre, avec exactitude, dans cet ouvrage.

Nous n’entrerons pas dans les considérations qui ont retardé, pendant si long-tems, l’établissement régulier des postes en France ; mais nous arriverons à cette heureuse époque après avoir cherché à saisir quelques-unes des traces légères qu’elles ont laissées de loin en loin.

Charlemagne, dont le nom est attaché aux entreprises les plus remarquables de la monarchie, acquit, en fondant l’Université, de nouveaux droits à l’immortalité. -23- Cette institution, destinée à conserver le germe des sciences, ne pouvait se propager qu’à l’aide d’une autre non moins importante ; aussi les Postes, qui ne servaient qu’aux affaires du Roi, prirent-elles un grand degré d’intérêt par la nouvelle direction qu’elles reçurent. C’est donc avec raison qu’un des premiers génies du siècle[37] a dit que les postes et messageries, perfectionnées par Louis XI, furent d’abord établies par l’Université de Paris.

[37] M. le vicomte de Châteaubriand.

Ce fut, en effet, le moyen que le public employa pour la correspondance, et le seul même dont il se servit, pendant long-tems. Les nombreux élèves, que l’Université attirait des provinces pour les former à l’étude des belles-lettres, multipliaient de plus en plus les relations qu’elle y entretenait, en expédiant, à des époques indéterminées à la vérité, pour les principales villes de France, des messagers qui marchaient à ses frais.

C’est ainsi qu’à son exemple, sous le titre de messagers-royaux, des courriers portèrent, plus tard, les dépêches, des principaux fonctionnaires de l’état, relatives au service du Roi, dont les grands courriers du royaume ne pouvaient être chargés.

Quoique les communications ne fussent pas encore très-fréquentes entre les particuliers, parmi lesquels l’écriture était fort peu répandue et dont les liaisons d’intérêt ou de famille, avec les diverses provinces, ne devaient pas être multipliées, on profita des facilités qui se présentaient de les entretenir ou de les étendre. Les messagers durent les favoriser de tout leur pouvoir par les avantages qu’ils en retiraient.

Mais combien cette ressource était insuffisante. D’abord il fallait connaître l’époque de leur passage, toujours indéterminée ; borner ensuite sa correspondance aux lieux seuls qu’ils fréquentaient ; enfin, compter sur les lenteurs incalculables qu’entraînait ce mode de relations. Ainsi, pour une lettre qu’on écrit aujourd’hui et dont on reçoit une réponse en quatre jours, on mettait alors plus de deux mois. Que de raisons, d’un autre côté, -24- s’opposaient à ce que ces divers services eussent un mouvement régulier, et à ce qu’ils prissent un accroissement rapide. La France était divisée en petites souverainetés dont les princes, souvent en opposition d’intérêt, ne devaient multiplier les communications entr’elles que lorsque leur sûreté le commandait. Il y avait, en général, peu de grandes routes dans toute l’étendue du royaume, et la plupart encore mal entretenues. Les guerres civiles, les invasions retenaient les citoyens dans les villes : les relations commerciales étaient sans activité ; elles se bornaient, le plus ordinairement, aux localités : un voyage d’une province à une autre présentait tant de difficultés, qu’il fallait des circonstances impérieuses pour le réaliser. On remonterait très-loin dans les siècles passés pour voir combien ces déplacemens offraient d’obstacles. Les historiens rapportent qu’on faisait des vœux avant de les entreprendre, et qu’on prenait les mêmes dispositions que pour les voyages d’outre-mer.

Il est donc incontestable que l’Université avait acquis le droit exclusif de transporter les lettres des particuliers ; et qu’un service, établi primitivement dans ses intérêts privés et indépendant de celui de l’état, devint, presqu’en même tems, aussi avantageux pour la société.

Voilà, du moins le pensons-nous, les seuls élémens de correspondance que présente une suite de plusieurs siècles. On se contentait d’un mode que l’instruction bornée de ces tems-là ne forçait pas à perfectionner ; mais la découverte de l’imprimerie et les lumières que l’université avait répandues peu à peu, en firent connaître l’insuffisance.

Nos rois, en maintenant les postes dans l’état où Charlemagne les avait laissées, les négligeaient ou les rétablissaient sur le même pied, selon que les circonstances l’exigeaient ; mais ils conservaient toujours, près de leur personne, un grand maître des postes, titre qu’on voit reproduit sous tous les règnes, entr’autres sous celui de Louis VI.

Cependant, tout incomplets que sont ces documens, ils nous prouvent non-seulement l’utilité des postes à toutes les époques, mais encore l’importance qu’on y attachait, en les entourant d’une grande considération.

-25- Louis XI est regardé, à juste titre, comme le fondateur des postes en France[38] : l’histoire est là pour appuyer un fait de cette importance. Quant à la cause qui y donna lieu, il serait difficile de se rendre au témoignage de quelques auteurs qui prétendent l’attribuer à la sollicitude paternelle. Louis XI, disent-ils, inquiet de la maladie grave du Dauphin, duquel il était éloigné, établit les postes afin de connaître, presqu’à chaque instant, l’espoir ou la crainte que son état pouvait inspirer. Cette assertion est d’un bien faible poids, lorsqu’il s’agit d’un prince de ce caractère. Habitué à la dissimulation, Louis XI fit naître ce bruit ou l’accrédita, afin de détourner l’attention du but qu’il se proposait. Ce ne serait pas la première fois que le prétexte le plus respectable eût servi à déguiser la vérité.

[38] Les postes, disent MM. Saur et Saint-Geniès, dans leur ouvrage sur les aventures de Faust et sa descente aux enfers, la machine pneumatique, d’autres inventions non moins importantes et dont la première idée appartient à Faust, attestent la fécondité inépuisable de son imagination : il a surtout consacré son nom à l’immortalité par la découverte de l’imprimerie. Les mêmes auteurs prétendent qu’un jeune Suisse, à qui il avait communiqué ses idées sur les moyens de rétablir en France les postes telles qu’elles étaient du tems des Romains, en fit part à Louis XI, qui les suivit et l’en récompensa. Ils ajoutent que Faust, dans l’entretien qu’il eut avec le monarque, auquel il fut présenté comme inventeur de l’imprimerie, n’était pas moins frappé de la supériorité de son esprit, de l’étendue de ses connaissances, que touché de son langage doux, caressant et presque flatteur. Louis XI, en instituant les postes, dut s’entourer de tous les moyens propres à faire réussir son entreprise ; et, parmi les nombreux projets qui sans doute lui furent soumis, il est possible que celui de Faust ait eu l’avantage d’être préféré.

Nous ne doutons point que les auteurs cités n’aient eu de fortes raisons pour adopter ce sentiment, et pour attribuer également à Faust des faits que les biographes modernes regardent comme devant concerner deux individus, Faust et Fust.

La vie agitée de ce monarque ; ses démêlés avec les grands vassaux de la couronne, et particulièrement avec le duc de Bourgogne ; ses intrigues dans les principales cours de l’Europe ; tout explique assez le besoin qu’il avait d’un moyen qui pût satisfaire à la fois, et son esprit ombrageux et rusé, et ses vues ambitieuses et perfides.

-26- Mais écoutons les historiens sur l’origine de cette institution. Le Roi, dit Commines[39], qui avoit jà ordonné postes en ce royaume, et par n’y en avoit jamais eu, fut bientôt adverty de cette déconfiture du duc de Bourgogne, et à chaque heure en attendoit des nouvelles, pour les advertissements qu’il avoit eu par avant de l’arrivée des Allemands, et de toute autre choses qui en dépendoient ; et y avait beaucoup de gens qui avoient les oreilles bien ouvertes pour les ouïr le premier et les luy aller dire ; car il donnoit volontiers quelque chose à celuy qui le premier luy apportoit quelques grandes nouvelles, sans oublier les messagers ; et si prenoit plaisir à en parler, avant qu’elles fussent venues, disant : je donneray à celui qui m’apportera des nouvelles. M. Dubouchage et moy eusmes (estant ensemble) le premier message de la bataille de Morat, et ensemble le dismes au Roy, lequel nous donna à chacun 200 marcs d’argent. Monseigneur du Lude, qui couchoit hors du plessis, sceut le premier l’arrivée du chevaucheur qui apporta les lettres de cette bataille de Nancy, dont j’ai parlé ; il demanda au chevaucheur qui apporta les lettres, qui ne lui osa refuser, pourquoi il estoit en grande autorité avec le Roy. Ledit seigneur du Lude vint fort matin (il estoit à grande peine jour) heurter à l’huis plus prochain du Roy : on lui ouvrit ; il bailla les dites lettres qu’envoyoit monseigneur de Craon et autres ; mais aucuns disoient qu’on l’avait veu fuir, et qu’ils s’estoit sauvé.

[39] Dans ses Mémoires.

Varillas[40] ajoute : Les intrigues du duc de Bretagne n’auraient pu être découvertes à point nommé, si Louis XI ne se fut avisé d’une invention qui dure encore, tant elle a été trouvée convenable à la commodité du public. Comme il changeoit souvent les ordres qu’il avoit donnés, et qu’il prétendoit qu’on les exécutât avec une extrême promptitude, il se trouvoit sujet à des inconvéniens où ses prédécesseurs n’avoient point été exposés. Il n’avoit point un assez grand nombre de courriers, et ses courriers ne faisoient point assez de -27- diligence, et ils ne trouvoient point à propos les hôtelleries et les choses propres à leur rafraîchissement. On n’y pouvoit remédier par les voies ordinaires sans qu’il en coûtât beaucoup ; et Louis entreprenait tant d’affaires en même tems, que, s’il n’eût ménagé sa bourse, elle n’aurait pas suffi pour toutes. Il lui vint en pensée d’établir des postes dans son royaume, et les règlements qu’il fit là-dessus les garantirent à l’avenir de la meilleure partie des frais qu’il faisait auparavant, et lui attirèrent de plus un avantage qu’il n’avait pas prévu, et qui consistait à ce que ses intriques s’acheminoient avec plus de secret.

[40] Histoire de Louis XI.

Son activité, dit Lenguet[41], alloit au-delà de tout ce qu’on peut dire : on voit par ses lettres écrites de presque tous les endroits du royaume, qu’il doit en avoir fait le tour deux ou trois fois. Il vouloit, avance encore le même auteur, tout connoître par lui-même, et il exigeoit souvent que les particuliers lui écrivissent ; c’est le moyen qu’il avoit trouvé pour éviter les tromperies que lui auroient pu faire ses ministres. Malgré ses précautions, il ne laissoit pas d’être quelque fois trompé.

[41] Préface des Mémoires de Commines.

Il employa, suivant Varillas[42], la plupart des quatre millions sept cent mille livres qu’il exigeoit tous les ans de ses sujets, à acheter des espions et des créatures dans les états voisins du sien, et dans les cours de ses principaux feudataires.

[42] Histoire citée.

Le duc de Lorraine, dit Hainaut[43], accompagné des Suisses, vint au secours de la place (Nancy), le 5 janvier, attaque et défait le duc Charles qui y perdit la vie, ayant été trahi par Campobosso, Napolitain. Il ne laissa d’autre héritier que Marie, sa fille unique. En lui finit la deuxième maison de Bourgogne, qui avoit duré cent vingt ans sous quatre princes. Le roi Louis XI qui, le premier, avoit établi l’usage des postes, jusqu’alors inconnu en France, est bientôt informé de cet événement, et en profite pour -28- reprendre plusieurs villes en Picardie, en Artois et en Bourgogne.

[43] Histoire chronologique de France.

Ainsi que dans l’antiquité, la guerre, fruit si funeste de l’ambition de quelques souverains, devint la cause d’une institution tellement utile aux peuples, qu’ils n’ont pas cessé depuis de la faire tourner au profit de la société.

Pour perpétuer le souvenir d’un événement si remarquable, on frappa une médaille destinée à le rappeler[44]. Nous voyons, dans Mezeray, qu’elle était en bronze. Cet établissement de la poste Decursio[45], dit-il, est désigné par deux courriers bien montés (dont l’un porte une malle en croupe) avec cette legende : qui pedibus volucres ante irent cursibus auras, afin que, pour ainsi dire, ils passent les oiseaux et les vents à la course.

[44] Ce n’est pas la seule fois qu’on ait consacré des médailles à rappeler des événemens remarquables dans les postes. Nous voyons entr’autres exemples, dans une histoire d’Ecosse, que lorsque Wallace combattait pour conserver ses anciens souverains à son pays, Bruce ayant reçu de lui un avis important apporté par un messager fidèle, donna à l’envoyé une médaille où l’on voyait une colombe avec cette légende, fidèle comme ce premier messager, faisant allusion à la colombe envoyée par Noë hors de l’arche.

[45] Au bas de l’exergue.

Louis XI rendit cette institution authentique par son édit en date du 19 juin 1464[46].

[46] Nous le rapportons à la fin de cet essai.

C’est dans cette pièce importante que nous trouvons la preuve évidente que les postes ont été établies pour servir à la politique de Louis XI, et que leur usage, étendu presqu’en même tems aux besoins de la société, n’en étant que la conséquence, n’a pas eu pour but d’accroître les revenus de l’état en imposant la pensée, comme on semble le croire dans ce siècle calculateur.

Ce prince était si loin d’en considérer la création comme une ressource que, pour la consolider, il se vit dans l’impérieuse nécessité d’augmenter les charges qui pesaient sur ses peuples, et d’accorder des gages et de grands priviléges aux maîtres de poste auxquels il confiait ce service.

Il paraît que son édit fut mis de suite à exécution, -29- puisqu’on comptait déjà jusqu’à deux cent trente courriers à ses gages qui portaient ses ordres sur tous les points du royaume, ainsi que les lettres des particuliers, quoiqu’il n’en fut pas fait mention lors de la création des postes.

Ces messagers couraient à cheval et changeaient de chevaux à chaque relais, à l’instar des anciens, qui employaient aussi des courriers à pied comme nous le pratiquons[47]. Ces derniers étaient appelés hémérodromes par les Grecs, c’est-à-dire, courriers de jour.

[47] En France, partout où il n’y a pas de bureau de poste, il se trouve des courriers sous diverses dénominations ; les uns desservent les communes dépendantes de chaque bureau de poste, les autres sont employés à la correspondance réciproque des préfets et des maires. Ces messagers font régulièrement deux courses par semaine dans leurs arrondissemens respectifs. On peut évaluer le nombre de lieues qu’ils parcourent ainsi pendant la durée de l’année à plus de 2500 ; ce qui équivaut à une marche moyenne de 7 lieues par jour. Il est à remarquer que ces individus résistent long-tems à un exercice aussi soutenu, qui n’est interrompu ni par les obstacles qu’opposent les localités, ni par l’intempérie des saisons.

On pourrait citer beaucoup d’exemples de courses extraordinaires. Il est même certaines provinces du royaume dont les habitans se distinguent par leur agilité à la marche.

La mode des coureurs était très en usage autrefois, surtout à Paris. Ils précédaient ordinairement les coursiers de la voiture des personnes de distinction. On a renoncé à ce luxe dangereux, en employant à leur place des postillons à cheval.

Les coureurs, chez les anciens, faisaient 20, à 30 lieues par jour, et même 40 dans le cirque pour remporter les prix. On lit dans Pline, qu’Autiste et Félonide, coureurs d’Alexandre, parcoururent un espace de 1200 stades, à peu près 44 lieues, en 24 heures. Il ajoute qu’un jeune homme, nommé Mathias-Athas, fit 75 milles, 25 lieues, de midi jusqu’à la nuit. Plutarque dit qu’un certain Anchide fit 1000 stades, 37 lieues de 2000 toises, en un jour.

On a vu, de nos jours, des courses aussi remarquables. En 1767, un coureur de la duchesse de Weymar fit 76 lieues en 24 heures, et ne se reposa que le tems nécessaire à la réponse des dépêches dont il était porteur.

M.r Cochrane, capitaine de la marine anglaise, exécute une entreprise des plus périlleuses et des plus étonnantes, celle de traverser à pied toute l’Asie. Il se propose ensuite de parcourir ainsi l’Amérique.

Un anglais, nommé Aberthemy, vient de faire tout récemment à pied, malgré un tems constamment mauvais, 560 milles en 8 jours, ce qui fait 37 lieues par jour.

Il existe en Irlande un homme âgé de 142 ans qui, après avoir voyagé dans toutes les parties du monde, a continué de s’exercer à faire de longues marches en parcourant régulièrement chaque jour un espace de 10 lieues.

Un autre individu, nommé Wert, a parcouru, en 4 jours et 4 heures, pour un pari de 7200 fr., 320 milles, environ 150 lieues de France.

Le coureur Charles Quize vient de faire, en 7 quarts d’heure, le trajet de Bruxelles à Volvurde, sans paraître fatigué ni même échauffé. Il est maigre et de petite stature. Sa manière accoutumée de courir est de tenir d’une main un mouchoir dont un des coins est dans ses dents, et de l’autre il agite sans cesse un petit fouet.

Le nommé Rumel, âgé de 16 ans, est remarquable par sa force et son agilité. Il a fait à pied le chemin de Francfort à Hanau et retour, qui est de 8 lieues, en 2 heures 15 minutes : des cavaliers qui le suivaient ne purent faire la même diligence et restèrent en arrière.

M.r Danwers paria dernièrement 5000 fr. de se rendre de Chettenham à Bayswaters, 94 milles, en 22 heures. Il mit 10 minutes de moins que le tems convenu, et fit sa course avec des souliers très-épais.

Aux courses de Montrose, qui ont eu lieu il y a peu de tems, après que les chevaux eurent fourni leurs courses, il se présenta deux coureurs à pied, l’un appartenant à lord Kennedey, et l’autre au major Hay. L’espace à parcourir était d’un demi-mille. Le premier atteignit le but en 2 minutes 5 secondes ; l’autre en une minute de plus. Un montagnard écossais, dans le costume de son pays, et quoique revêtu de ses armes et de tout son équipage, arriva au terme de la course en même tems que le vainqueur.

Nous bornerons là ces exemples, qu’il serait facile de multiplier.

-30- Louis XI, disent les historiens, fit payer bien chèrement le bienfait des postes, en augmentant considérablement les tailles.

La dépense était le moindre des obstacles[48] à surmonter dans une entreprise de cette nature ; mais on prévoit tout ce que pouvait la volonté ferme d’un monarque qui avait mis tous les rois hors de page, et dont tout le conseil, suivant Commines, était dans sa tête. Le code qu’on lui doit sur l’institution des postes, montre assez combien cette vaste conception avait été l’objet de ses profondes méditations, par l’éclat dont elles brillèrent dès leur origine.

[48] Delandine rapporte qu’un prédicateur, nommé Maillard, ayant avancé quelque chose de choquant contre Louis XI, ce monarque lui fit dire qu’il le ferait jeter dans la rivière. Le roi est le maître, reprit-il, mais dites-lui que je serai plutôt en paradis par eau, qu’il n’y arrivera par ses chevaux de poste.

C’est de cette époque, ainsi que le porte l’édit déjà cité, que date la création de la charge de conseiller, grand-maître des coureurs du Roi. Elle fut donnée à l’un des -31- conseillers de la cour. Il se tenait près de la personne du monarque, comme investi de toute sa confiance. Les officiers qui dépendaient de lui, étaient appelés chevaucheurs de l’écurie du Roi : leur emploi était de surveiller ce service naissant. Des agens, sous le titre de maîtres coureurs, furent établis de traite en traite sur les grandes routes, désignées par les édits. Ils conduisaient, ou faisaient conduire par leurs chevaux et leurs postillons, les voyageurs et les dépêches du roi.

La distance d’une traite à l’autre, dénomination remplacée plus tard par celle de relais ou poste, était de quatre lieues ou environ, suivant les localités. Le prix de chaque cheval[49], fourni et entretenu par le maître de la traite, ne s’élevait qu’à 10 sous, y compris le guide.

[49] Le nombre en était fixé ; mais il ne pouvait pas être moindre de quatre.

Les maîtres coureurs et les autres agens des postes jouissaient de priviléges, dont nous parlerons plus tard.

Louis XI, pour donner à cette organisation plus de force et de régularité, créa, en 1479, une charge de contrôleur des chevaucheurs, cette mesure était devenue nécessaire par les abus qui s’introduisaient dans ce service, et auxquels les chevaucheurs du Roi n’avaient pu remédier autant par négligence que par ignorance de leurs attributions.

L’intermédiaire d’un agent spécial fut déjà reconnue indispensable entre l’administration supérieure et les nombreux emplois qui en complétaient le système : on l’a maintenue comme la seule mesure conservatrice de toute bonne institution.

On s’occupa, pendant tout le règne de Louis XI, des moyens propres à régulariser un établissement qui prospérait au-delà des espérances de son fondateur.

Les bases en étaient jetées, il ne s’agissait plus que de les modifier suivant les tems, les besoins et les lieux.

Charles VIII consolida l’ouvrage de son père. La correspondance paraissait déjà si bien établie, que les lettres mêmes de l’étranger parvenaient par la voie des Postes. Il est vrai de dire que l’édit autorisait le Pape -32- et les princes avec lesquels Louis XI était en bonne intelligence d’expédier des courriers, à la condition de se servir des chevaux de la poste. Mais, dans la crainte que quelques lettres ne continssent des principes contraires à la pragmatique sanction, que Charles VIII soutenait de tout son pouvoir, il fut défendu aux courriers, pendant quelque tems, sous peine de la hart, de se charger des missives que les particuliers leur confiaient sans doute, puisque les postes n’avaient été créées originairement que pour le service d’un Roi qui n’avait pas cru que l’état de la société en réclamât en même tems les avantages.

Depuis cette époque et pendant près d’un demi-siècle les postes n’offrent rien de remarquable. Louis XII, François I.er, Henri II et François II les maintinrent telles que Louis XI les avait créées.

L’agitation qui se manifesta sous ces derniers règnes, fut un obstacle à l’introduction de toute mesure utile ; car nous ne considérerons pas comme améliorations quelques arrêts rendus en faveur des maîtres de poste, auxquels on contestait des droits si bien établis.

Charles IX, dès 1563, remit en vigueur l’édit de Louis XI, et défendit surtout de fournir des chevaux pour les routes de traverse. Les peines[50] les plus graves étaient portées contre les agens des postes qui changeraient les directions des dépêches, lesquelles ne pourraient être transportées que sur les routes où les postes étaient en activité.

[50] Entr’autres une amende de 100 livres tournois et la dépossession des charges.

On sentait que, pour conserver à ce service toute sa prééminence et sa sécurité, il fallait repousser, dès leur naissance, les mesures arbitraires introduites sans doute par un zèle très-louable, mais que l’expérience n’éclairait pas encore.

Les noms des conseillers grands-maîtres des courriers de France et des contrôleurs généraux, depuis Robert Paon, qui le premier porta ce titre, jusqu’à Jean Dumas, qui remplit cette charge en 1565, ont échappé à nos recherches. Ces deux emplois, d’abord distincts, -33- ne tardèrent pas à être réunis en un seul. La dénomination de contrôleur général des Postes, qui prévalut, varia bientôt après comme nous aurons occasion de le remarquer.

La juridiction des contrôleurs généraux, quoique bien établie par les édits, devenait l’objet de contestations sans cesse renaissantes : le Roi rendit divers arrêts à ce sujet, qui tous maintenaient l’indépendance des postes, dont les contrôleurs généraux plaidaient la cause avec autant de force que de succès.

Les routes sur lesquelles les postes n’étaient pas établies se trouvant privées des avantages de correspondre avec régularité, il fut décidé, en 1576, qu’on emploierait des messagers-royaux, à l’instar de ceux de l’université. Le nombre en fut successivement étendu à toutes les villes où il y avait un parlement. Ils faisaient le service des dépêches dont les entrepreneurs des routes d’embranchement sont chargés aujourd’hui.

Hugues Dumas, qui succéda en 1585, à son frère, est confirmé dans les mêmes prérogatives par Henri III. Il fut remplacé, en 1595, par Guillaume Fouquet[51].

[51] Sieur de la Varenne, commissaire ordinaire des guerres et capitaine de la ville et du château de la Flèche.

Henri IV, toujours guidé par l’amour du bien public, ordonna, en 1597, l’établissement des chevaux de louage de traite en traite sur les grands chemins, traverses et bords de rivières, comme un nouveau moyen d’adoucissement à la misère de son peuple. Considérant, disait-il, la pauvreté et nécessité à laquelle tous nos sujets sont réduits à l’accroissement des troubles passés, que la plupart d’iceux sont destituez de chevaux, non-seulement pour le labourage, mais aussi pour voyager et vacquer à leurs négoces accoutumez, n’ayant moyen d’en achepter, ni de supporter la despense nécessaire pour la nourriture et entretien d’iceux ; pour raison de quoi, et pour la crainte que nos dits sujets ont des courses et ravages de gens de guerre, comme aussi les commerces accoustumez cessent et sont discontinuez en beaucoup d’endroicts, et ne peuvent nos dits sujets librement vacquer à leurs affaires, sinon en prenant la -34- poste, qui leur vient en grande cherté et excessive despense etc. A quoi désirant pourvoir, et donner moyen à nos dits sujets de voyager, et commodément continuer le labourage, etc., avons ordonné et ordonnons que par toutes les villes, bourgs et bourgades de ce dit royaume, et lieux qui seront jugez nécessaires seront establis des maistres particuliers pour chacune traite et journée. Déclarant, ajoute ce prince, n’avoir entendu préjudicier aux droits, priviléges et immunitez des postes.

Ce nouveau service donna lieu à la création de deux offices de généraux des chevaux de relais et de louage.

La distance entre chaque relais fut calculée sur la journée commune de 15 à 16 lieues, et portée à 7 ou 8 lieues. Le prix de ferme fut basé sur le nombre de chevaux de chaque relais et fixé à 10 francs par tête. On arrêta celui de la journée de chaque cheval, tant pour l’aller que le retour, à 20 sous tournois et 25 sous pour chaque bête d’amble, malliers et chevaux de courbes, c’est-à-dire, employés au tirage des voitures par eau.

Le Roi, pour soutenir cet établissement et prévenir tous les abus, ordonna en outre que les chevaux des relais seraient considérés comme lui appartenant et marqués à cet effet sur la cuisse droite d’un H surmonté d’une fleur de lys ; et sur la cuisse gauche, de la lettre initiale du lieu où ils seraient entretenus.

Les voyageurs ne pouvaient faire galoper les chevaux sous peine de dix écus d’amende ; Ains, était-il ordonné, d’en user et s’en servir ainsi que l’on a accoustumé de faire des chevaux louez à la journée[52].

[52] M. de la Varenne, dit Sully, ne voulait pas introduire de chevaux de louage au préjudice des relais et des postes.

Telles sont à peu près les dispositions fondamentales d’un établissement que Henri IV crut utile à ses sujets. Mais les postes ne tardèrent pas à se ressentir des funestes effets que leur causait une semblable concurrence. Menacées d’une destruction prochaine, elles n’échappèrent à leur ruine totale que par une mesure qui concilia à la fois, et la sollicitude paternelle du prince, et l’intérêt public.

Les relais furent réunis aux postes, et firent dès lors -35- partie des attributions du contrôleur général des postes. Le roi releva par là une institution dont il aurait entraîné la perte par des vues de bienfaisance, et satisfit aussi son cœur en conservant à son peuple une plus grande facilité de voyager, quoique forcé, par un sentiment de justice, de la restreindre. A cet effet, le contrôleur général des postes fut tenu de fournir des chevaux de relais à ceux qui ne voudraient pas courir la poste, en ne payant que demi-poste par chaque cheval, et se conformant à ce qui avait été ordonné pour les relais, entr’autres obligations, de ne mener les chevaux qu’au pas ou au trot.

Henri IV, en élevant les postes au rang des institutions les plus notables de son royaume, crut y ajouter un nouvel éclat par le titre de général qui remplaça, en 1603, celui de conseiller contrôleur général des Postes. Le soin, dit ce Prince, que nous avons voulu prendre depuis un certain tems de savoir bien au vrai en quoy consiste la charge de contrôleur des postes de nostre royaume, nous a fait entrer dans une fort particulière connaissance du mérite d’icelle, et juger de quelle façon elle importe au bien de nos affaires. Et aprez avoir mûrement considéré jusqu’où elle s’estend, combien elle est honorable et avec quelle authorité elle se peut dignement exercer par un homme qui s’en acquittera fidellement, comme nous avons toute occasion de recevoir un entier contentement de nostre ami féal sieur de la Varenne, conseiller en nostre conseil d’estat, sans qu’au changement que nous n’apportions autre prix qu’une marque d’honneur que nous entendons être faite à la dite charge.

Sully dit qu’il fut fait, en 1608, un règlement général, adressé aux trésoriers de l’épargne des menus, des lignes suisses, de l’artillerie, de l’extraordinaire des guerres, de l’extraordinaire de deçà les monts, et autres, qui leur prescrivait une forme plus exacte pour leurs comptes.

Il ajoute que, parmi d’autres règlemens généraux, il en avait proposé un sur les postes, dans lequel étaient compris les maîtres et contrôleurs des postes, les chevaucheurs d’écurie du Roi, les courtiers et banquiers, et leurs commis, les coches, les messagers à pied et à cheval, et tous chariots et voitures par eau et par terre. -36- Lorsque je lisais cet article au Roi, il me dit : je vous recommande à la Varenne et à tous les chevaucheurs ; je vous les enverrai tous.

Ce ministre, toujours occupé du bien public, sous un Roi qui lui accordait une confiance si entière, dit encore dans ses mémoires : Je médite sur la manière de rétablir et de recommencer les ouvrages publics comme chemins[53], ponts, levées et autres bâtimens qui ne font pas moins d’honneur au souverain que la magnificence de ses propres maisons, et qui sont d’une utilité générale.

[53] Une somme de 4,855,000 y fut destinée.

Si tous les actes qui ont signalé le règne de Henri IV, sont empreints, en quelque sorte, de l’amour que son peuple lui inspirait, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître aussi cet esprit de justice et cette sagacité qui le portaient à élever ce qui était grand et à honorer tout ce qui était digne d’être respecté. Nos rois ont toujours reconnu l’importance des postes ; mais il est un de ceux qui ont le plus contribué à les affermir.

Le règne de Louis XIII apporta de nouvelles améliorations à cette institution. La vigueur avec laquelle les prérogatives en furent encore maintenues, et les heureux changemens qui s’y opérèrent, en rendirent l’organisation plus fixe et plus régulière.

Pierre d’Alméras[54], nouveau général des postes, soutient la cause des maîtres des courriers envers lesquels, dans ces tems de guerre civile et de désordre, on avait exercé de grandes violences.

[54] Seigneur de St-Remy et de Saussaye, conseiller du Roi en ses conseils.

C’est dans cette vue que divers arrêts sont rendus, en 1612, pour les mettre à l’abri du retour de pareils excès, et que le prix de la ferme des relais porté à 10 francs par cheval et par an, est réduit à 6 francs.

Nos Rois, en abandonnant au général des postes les produits de la taxe des lettres pour le dédommager des frais qu’entraînait ce transport et le droit exigé pour en exercer le privilége exclusif, n’avaient pris aucune mesure propre à régler les bases sur lesquelles le port devait en être perçu, en raison du poids et des distances à -37- parcourir. Les généraux eux-mêmes, trop occupés d’une organisation qui réclamait toute leur surveillance, négligeaient de porter leur attention sur un point qui touchait de si près à leurs intérêts. Les particuliers, profitant de la facilité qu’on leur laissait, s’étaient attribués seuls le droit de taxer leurs lettres. Il est à croire que, primitivement, un grand esprit de justice présidait à cette opération, puisqu’on ne leur en avait pas contesté la liberté. Mais ils le firent plus tard avec si peu de réserve, que le général des postes s’en plaignit en les engageant à le faire plus libéralement et n’abusant pas d’une facilité qui les portoit à ne mettre que demi-port de ce qu’ils souloient faire ci-devant.

La plainte était d’autant plus juste, que les dépenses augmentaient en raison de la régularité qui avait lieu dans le service des postes. Les courriers arrivaient et partaient à des jours fixes de la semaine ; et le public comptait déjà assez sur l’exactitude de leur marche pour entretenir des relations suivies, dont il faisait dépendre les intérêts de sa fortune.

Afin de mettre un terme à des mesures arbitraires, tout-à-fait contraire à la prospérité des postes, le général avait autorisé les commis à surtaxer les lettres et paquets pour les remettre au taux originel. Mais, craignant de faire naître d’injustes réclamations qui eussent porté atteinte à l’honneur des officiers des postes, il établit un tarif qui fut rendu public et qui servit de base à la taxe des lettres, sauf que le plus grand port y fut volontairement apposé par ceux qui les enverraient, est-il dit à cette occasion. Ce furent ces raisons de délicatesse et de justice qui, en 1627, 163 ans après l’établissement des postes, donnèrent lieu au premier tarif connu.

A cette époque où la police intérieure du royaume ne pouvait remédier à tous les brigandages qu’enfantent toujours les dissentions intestines, les routes étaient peu sûres. La poste, comme tenant au service du Roi, semblait être à l’abri des tentatives les plus coupables. La sécurité que le public trouvait à correspondre par cette voie, le porta à l’étendre à l’envoi de l’argent, des bijoux, des pierreries et aux autres objets précieux, en les insérant dans les lettres. Ces abus éveillèrent l’attention du général des Postes : comme ils tendaient à -38- compromettre la sûreté des dépêches en servant d’appât aux malfaiteurs, il fut fait défense expresse de rien introduire de semblable dans les missives. L’argent monnoyé, par un sentiment de bienveillance, fut seul excepté de cette mesure, soit pour en favoriser la circulation, soit afin de soustraire le peuple à la dépendance d’individus qui se chargeaient de ces transports à un taux usuraire. On permit de recevoir l’argent ayant cours à découvert jusqu’à la concurrence de cent francs, moyennant un prix calculé sur les distances à parcourir. Le montant de ces sommes était inscrit sur des livres tenus à cet effet dans chaque bureau de poste.

Telle fut l’origine des articles d’argent déposés, connus encore aujourd’hui sous ce titre.

L’expérience avait assez fait connaître la confiance que les postes devaient inspirer, tant par la célérité que par la sécurité qu’elles offraient. L’époque était venue de faire cesser les expéditions extraordinaires de courriers que multipliaient les gouverneurs des provinces ou autres personnages titrés, afin de correspondre d’une manière plus éclatante avec la cour. Cet usage, non-seulement onéreux pour la poste, par les frais qu’il occasionnait, pouvait nuire à la sécurité qu’elle inspirait. Le général, pour remédier aux abus que ces exceptions n’auraient pas manqué d’entraîner par la suite, obtint du Roi, qu’à dater de 1629, tous les paquets adressés à sa majesté, au chancelier et au surintendant des finances, ne parviendraient plus que par son intermédiaire, et seraient remis aux officiers des postes qui les enregistreraient sur des livres destinés à cet effet, en marquant toujours sur l’enveloppe le jour et l’heure du départ des courriers, afin d’établir leur responsabilité. Cette formalité reçut le nom de chargement de lettres de service. On l’a étendue depuis aux particuliers, mais à des conditions dont nous parlerons plus tard.

Ou reconnut cependant qu’il était des circonstances où la gravité des affaires ne permettrait pas d’attendre le départ plus ou moins prochain des courriers ; dans ce cas seulement, les frais qu’occasionnait l’envoi de ces dépêches tombaient à la charge des ministres auxquels elles étaient destinées. Ces expéditions instantanées ont été appelées estafettes. Elles conservent encore ce nom, et on y a souvent recours dans le même but.

-39- René d’Alméras, frère du précédent, occupe le dernier la charge de général des postes, que Louis XIII supprima ; celle de surintendant-général des postes la remplaça en 1630. Nous voyons dans cette nouvelle dénomination, sinon de plus grandes prérogatives attachées aux postes, du moins une organisation particulière qui tendait dès-lors à leur donner une forme plus régulière, et qui a servi de base au système administratif adopté généralement de nos jours. En effet, cette charge, exercée annuellement par chacun des trois conseillers[55] nommés par le Roi, rentre absolument dans les attributions actuelles des directeurs-généraux, dont les fonctions sont partagées par les administrateurs qui forment leur conseil. Les modifications apportées par la suite, dans le nom ou dans le nombre de ces emplois supérieurs, sont subordonnées à des causes accidentelles qui n’ont rien changé au principe.

[55] Il en était ainsi, dit Sully, des offices des finances possédés par trois personnes, sous le titre d’ancien, d’alternatif et de triennal.

On étendit l’utilité de cette mesure en établissant en même tems des charges de conseillers, maîtres des courriers, contrôleurs provinciaux des postes. L’activité et la surveillance directe et continue de ces nouveaux agens, sur toutes les parties de ce service, devaient en hâter l’amélioration. Elle fut rapide : leurs attributions étaient très-étendues. Ils présentaient les sujets pour les places dont le surintendant disposait seul, et dans lesquelles ils n’étaient confirmés qu’après avoir prêté le serment de fidélité au roi. Ils indiquaient aussi les changemens à opérer, soit dans le départ ou la marche des courriers. Ainsi, ceux de Paris partirent plus régulièrement deux fois la semaine ; et il fut réglé qu’ils feraient nuit et jour, pendant les sept mois de la belle saison, une poste par heure ; et, pendant les cinq mois d’hiver, il leur fut accordé une heure et demie, pour parcourir la même distance.

Les contrôleurs provinciaux jouissaient encore du revenu de la taxe des lettres. Tant d’avantages firent craindre que leur influence ne détruisît en partie celle du surintendant-général, et ne les rendît indépendans. -40- Louis XIII mit des bornes à leur pouvoir en faisant rentrer dans les attributions de celui-ci une partie des prérogatives qu’il avait accordées aux premiers, sans diminuer l’heureuse impulsion qu’ils avaient communiquée et qui devait produire les résultats les plus satisfaisans. Les priviléges qu’avait déjà M. de Nouveau[56], surintendant-général des postes, s’accrurent de tous les droits dont les contrôleurs furent privés. « Confirmons, dit le roi, aux surintendans-généraux, tous les gages, les appointemens, plats et ordinaires en notre cour et suite, logement près de notre personne, extraordinaire gratification, récompenses, estrennes, revenus desdits relais et chevaux de louage, avec pouvoir de changer, augmenter et diminuer lesdites postes, contraindre les maistres d’icelle, d’observer les édits, ordonnances et règlemens cy-devant faits, et ceux qui seront ou pourront être à l’avenir ; ensemble muleter lesdits maistres de poste par retranchement de leur charge, etc. ; disposer d’icelles et de toutes les autres qui dépendent d’eux, desquelles choses ils ne seront responsables qu’à notre personne. »

[56] Conseiller, commandeur, grand trésorier des ordres, revêtu des trois charges d’ancien, alternatif et triennal.

Certes, c’était une charge éminente que celle qui donnait de telles prérogatives. Nouvelle preuve de l’importance que nos rois attachaient aux postes, en élevant ceux auxquels ils en confiaient le soin au rang de ministres de leur maison.

Les contrôleurs, rendus plus dépendans du surintendant-général, n’en contribuèrent pas moins à la prospérité d’un établissement auquel ils devaient apporter de si utiles et de si nombreuses améliorations.

Le public continuait d’introduire dans les missives, malgré toutes les défenses faites à ce sujet, des objets étrangers à la correspondance. Le surintendant-général représenta au Roi l’impossibilité de s’opposer aux transports de ce genre. Il fut décidé, d’après cela, que les envois auraient lieu suivant le mode établi pour l’argent monnoyé. Cette nouvelle partie du service reçut la dénomination de valeurs cotées, parce qu’on en percevait -41- le port sur le prix que l’envoyeur était obligé de déclarer aux officiers des postes, en leur présentant l’objet à découvert, afin d’en justifier l’estimation.

Les particuliers trouvèrent dans cette mesure un moyen de faire parvenir, sur tous les points de la France, les matières d’un grand prix dont la circulation n’aurait pu s’étendre par le peu de relations établies encore entre les provinces. Le commerce et l’industrie durent en recevoir une nouvelle activité. Aujourd’hui, par les raisons contraires, ce mode est loin d’être aussi productif pour les postes. C’est une facilité dont le public n’use que rarement.

Les intérêts des maîtres des relais furent un instant compromis par la concurrence des messagers royaux. Les avantages apparens qu’elle semblait offrir aux particuliers pouvaient entraîner des résultats funestes au bien de l’état. Dès 1634, les remontrances du surintendant-général des postes furent accueillies, et les messagers royaux furent forcés de s’en tenir à l’édit de leur création, qui les obligeait à marquer leurs chevaux d’un signe particulier, à ne conduire par leurs voitures les voyageurs d’une ville à l’autre du royaume qu’avec les mêmes chevaux, et à n’employer, en cas d’insuffisance, que ceux des maîtres de poste ; il leur était interdit en outre de recevoir les étrangers, ainsi que les personnes qui partaient de la cour, soit pour voyager dans l’intérieur du royaume, soit même pour en sortir.

La politique de ces tems n’était pas parvenue au point de mettre obstacle à la correspondance entre les individus, lorsque les grands débats qui s’élevaient entre les puissances étaient reglés par les chances de la guerre : le Roi ne voulut pas que les intérêts privés en souffrissent, et que les relations fussent interrompues. En conséquence, les courriers, pendant la guerre qui eut lieu en 1637 transportèrent les lettres comme à l’ordinaire.

Ce principe généreux n’a pas été toujours reconnu ; et nous verrons, dans la suite, qu’on a souvent usé d’une grande rigueur à cet égard.

Le droit de franchise ou d’exemption de taxe, qui n’avait pas reçu d’extension, et qu’on avait accordé par une faveur toute spéciale, aux ambassadeurs, leur fut -42- bientôt retiré. L’abus qui s’était introduit, sans doute à leur insçu, de faire parvenir la correspondance des particuliers sous leur couvert, avait causé une diminution considérable sur la recette des lettres provenant de l’étranger. Il cessa en partie par cette mesure ; mais il paraît difficile de remédier à un pareil inconvénient, qui s’est renouvelé tant de fois depuis.

Le service des postes prenant de plus en plus de l’accroissement, la surveillance active des contrôleurs provinciaux ne pouvait s’exercer avec le même succès sur tous les points. Les relais et les bureaux de poste se multipliaient chaque jour ; le nombre des fermiers et des messagers, tant royaux que de l’université, augmentait en proportion ; il fallait aussi que celui des commis s’accrût pour le travail des lettres. Les contrôleurs provinciaux jugèrent donc convenable d’établir un nouvel agent, dont les attributions, en opposition avec celle des fermiers et des employés, concourussent néanmoins à faciliter tant d’opérations, avec la même régularité. Le roi créa, à cet effet, en 1643, des offices de contrôleurs, taxeurs et peseurs de lettres et paquets. L’emploi de ces contrôleurs était de taxer les lettres à l’arrivée des courriers, en suivant les poids en usage dans les villes ; de tenir des registres de celles qu’ils expédiaient ; de recevoir les plaintes relatives au service ; enfin de faire observer les réglemens. L’achat de ces charges leur donnait aussi l’avantage de jouir du quart en sus de tous les ports des lettres et paquets allant par la voie des postes.

Ces charges furent supprimées en 1655. On les remplaça par celles d’intendans (au nombre de quatre), dont les attributions furent plus étendues, et on leur adjoignit toutefois des commis pour remplir les fonctions des contrôleurs.

Il est facile de voir que, si le gouvernement trouvait quelque profit dans les fréquentes mutations des charges, il y était également porté par l’accroissement que les postes prenaient chaque jour. La nécessité de multiplier les moyens de surveillance entraînait la création de nouveaux emplois, parmi lesquels la hiérarchie, observée déjà avec rigueur, établissait les droits réels à l’avancement.

Les messagers de l’université, à l’exemple des messagers -43- royaux, ayant empiété sur les droits des postes, échouèrent également, en 1661, dans leurs prétentions exagérées. Ils ne partirent plus que, comme par le passé à certains jours, des villes où ils étaient établis, en ne marchant qu’à journées réglées entre deux soleils, sans pouvoir aller en poste, ni se servir de courriers pendant la nuit, ni même de chevaux de relais de traite en traite sur les routes. La contravention à ces défenses emportait la confiscation des chevaux, une amende de 1000 fr., et la prison à l’égard des courriers.

Les postes fixèrent l’attention de Louis XIV, qui devait leur communiquer, comme à toutes les institutions de son règne, ce caractère de grandeur et de stabilité qui l’a immortalisé.

Elles furent cependant encore menacées d’une ruine totale. Plusieurs voyages de la cour, dans les provinces, causèrent la perte de plus d’un quart des chevaux. La rareté qui s’en suivit, et, par conséquent, le prix auquel on portait ces animaux, joints à la disette des fourrages, laissait peu d’espoir de remonter cet établissement. Le découragement était à son comble ; et les maîtres de poste, dont les relais n’étaient pas entièrement démontés, menaçaient de les abandonner.

Le roi, vivement touché de leur sort, s’empressa de remettre en vigueur les arrêts qui leur accordaient les priviléges qu’on n’avait cessé de leur contester, et qu’ils tenaient de Louis XI et de ses successeurs. Ils consistaient dans l’exemption de la taille sur 60 arpens de terre (non compris les héritages qui leur appartenaient) ; de milice pour l’aîné de leurs enfans et le premier de leurs postillons ; de logement de gens de guerre ; de contributions au guet, garde, subsistances et autres impositions ; des charges de ville, de tutelle, curatelle, établissemens de séquestres et saisies réelles, etc. ; enfin, de droits aussi onéreux qu’assujettissans, dont on ne les déchargeait que pour les distinguer plus spécialement, en raison de l’utilité et du genre de leur service. Ils étaient, en outre, commensaux de la maison du roi, et jouissaient des gages attachés à leurs titres. Leurs brevets étaient signés par le prince.

Louis XIV ne se contenta pas de cet acte de justice : il ordonna qu’aucune charge du royaume ne serait acquittée -44- avant celles dues pour indemniser les maîtres de poste de leurs pertes, voulant réparer, par une mesure prompte et préservatrice, un mal dont les suites pouvaient devenir si funestes à l’état.

L’exemple de ces révolutions désastreuses dans les postes, tant chez les anciens que chez les modernes, aurait dû mettre en garde contre de pareils retours, si le flambeau de l’expérience servait de guide aux novateurs.

La seule protection de nos rois a soutenu cet établissement contre leurs mesures inconsidérées : elle est encore la cause de leur prospérité. Mais n’est-il donc aucun moyen de consolider cette institution, en l’asseyant sur des bases solides et à l’abri de tout ébranlement ? L’agriculture, sur laquelle les maîtres de poste devraient porter toutes leurs vues, nous semble celui qui y conduirait le plus infailliblement, surtout s’il était soutenu par les encouragemens qui font naître l’émulation, sans laquelle tout languit. Ils serviraient doublement leurs intérêts et ceux de l’état, en y rattachant leur industrie qui s’y lie si étroitement. L’exploitation d’une grande ferme ferait la sécurité du gouvernement, et la richesse du maître de poste. En effet, ce dernier redouterait-il le ravage des épizooties, la disette des fourrages, la rareté des chevaux[57], la cherté qui s’en suit, lorsque les siens, forts et vigoureux, seraient entretenus avec soin, nourris sainement et exercés avec discernement. En les élevant sur son domaine, il en améliorerait la race et l’approprierait au besoin de son relais ; leur nombre, toujours en raison de l’importance de sa culture et de la nature des produits de sa terre, ne serait pas limité à celui des réglemens. Verrait-il, d’après cela, la cause de sa ruine dans un événement passager, la forme d’une voiture, son poids, sa surcharge ; des voyages multipliés ; des guerres, des invasions, où des circonstances imprévues ne pourraient mettre sa prévoyance en défaut ; et, toujours prêt à -45- seconder les vues du gouvernement auquel il devrait sa considération, il trouverait dans ses propres ressources les moyens d’assurer, en tout tems, un service que des sacrifices incalculables ne pourraient souvent préserver d’une entière destruction.

[57] Les chevaux français sont très-estimés, surtout ceux que fournit la Normandie, qui sont préférés pour l’attelage. On porte à 1,650,000 le nombre de ceux de toute espèce qu’on élève en France. L’Angleterre en compte à peu près le même nombre.

C’est surtout par l’entretien des routes royales[58] que l’on concourrait efficacement à soutenir les maîtres de poste. Celles qui traversent la France, dans tous les sens, sont bien coupées et parfaitement alignées. Les ponts, les chaussées et toutes les constructions en ce genre, fixent, par leur perfection, l’attention des étrangers. Sous le règne de Louis XV, un nombre considérable de routes ont été ouvertes des portes de la capitale aux extrémités du royaume. Quelques entreprises semblables ont eu lieu depuis ; mais ce n’est pas assez de créer, il faut entretenir. Tous les états de l’Europe sentent aujourd’hui la nécessité de tracer des grands chemins ou de les réparer. L’Angleterre nous en donne l’exemple en les multipliant au point d’en compter trois fois plus qu’en France[59], et plusieurs autres nations rivalisent d’émulation à cet égard. Il y aurait peu à faire si l’attention du gouvernement se portait sur ce point. Déjà, quelques heureux essais font pressentir le désir qu’il aurait d’améliorer une partie si importante de l’administration intérieure de l’état. Des compagnies entreprennent d’établir une route en fer, de Lyon à Saint-Etienne, et proposent d’en exécuter une semblable de Paris au Hâvre. Un pont suspendu à des chaînes de fer s’achève sur le Rhône. On en construit un de ce genre, à Paris, entre l’esplanade des Invalides et les Champs-Elysées ; et bientôt, sans doute, tous les passages où l’on n’avait pu vaincre, jusqu’à ce jour, les difficultés que la nature oppose, deviendront praticables, ou cesseront d’être un objet continuel de crainte pour les voyageurs qui traverseront, en tout tems et avec -46- sécurité, ces gorges profondes et ces fleuves rapides auxquels l’obscurité des nuits et l’inclémence des saisons ajoutent de nouveaux dangers.

[58] Quant aux routes départementales et vicinales, elles sont en général fort dégradées.

[59] La longueur des routes en France n’excède pas 10,000 lieues tandis que l’étendue des chemins de la Grande-Bretagne dépasse une longueur de 30,000 lieues.

Nous n’aurions pas la moindre incertitude sur le sort des grandes routes, en France, si on assignait sur les revenus des postes, un fonds suffisant à leur entretien ; car, tout en admirant les ouvrages des anciens, nous nous condamnons à ne pas les imiter, en réprouvant les moyens qu’ils employaient pour en assurer la durée. Charlemagne, à l’exemple des Romains, faisait travailler ses troupes[60] et ses sujets aux grandes entreprises de l’empire, parmi lesquelles la construction des routes tenait un rang si important. Nous ne pensons pas qu’en suivant le système actuel il y fût parvenu.

[60] Le roi de Suède a fait faire par ses troupes près des six septièmes des grands travaux effectués en canaux et en routes.

Il n’est pas douteux que le mauvais état des routes n’ait été pendant long-tems le motif du peu de perfection qu’on remarquait dans nos voitures. C’étaient des chariots attelés de bœufs dont se servaient les rois de la première race. On ne fait pas remonter l’invention des voitures, qui est due aux Français, au-delà du règne de Charles VII. Malgré le luxe et l’extravagance de ces tems-là, dit Millot, on ignoroit tellement las commodités de la vie, que, durant l’hiver rigoureux de 1457, les seigneurs et les dames de qualité, n’osant monter à cheval, se faisoient traîner dans des tonneaux en guise de carrosses. Le char[61] suspendu que Ladislas, roi de Bohême, envoya à la reine mère, Marie d’Anjou, surpassa bientôt tous les essais en ce genre. Il estoit, disent les chroniques, branlant et moult riche.

[61] 1475.

Avant cette époque les reines, comme toutes les dames de la cour, allaient en litière ou à cheval. Sous François I.er, les princesses parurent, à diverses cérémonies, montées sur des haquenées blanches.

Il n’y eut d’abord, en France, que le carrosse de la reine Eléonore, celui de la duchesse d’Angoulême, mère de François I.er, et celui de Diane, fille de Henri II. Ces voitures, rondes et petites, ne pouvaient -47- contenir que deux personnes. Elles furent agrandies, et devinrent si incommodes, que le parlement pria Charles IX d’en défendre l’usage dans Paris : il ne fut plus maintenu que pour les voyages. Le bon Henri n’avait cependant qu’une seule voiture, et elle était de cette espèce. Je ne pourrai vous aller trouver d’aujourd’hui, écrivait-il à Sully, ma femme m’ayant pris mon coche. Le défaut de glaces à sa voiture, disent les historiens, a peut-être été la cause de sa mort.

Les courtisans allaient au Louvre à cheval, et les dames montaient en croupe ou en litière. Les conseillers se rendaient au palais sur des mules.

Un seigneur de la cour, nommé Jean de Laval de Bois-Dauphin, paraît être le premier qui se soit servi de voitures à l’exemple des princes. Sa grosseur excessive, qui l’empêchait de marcher et de monter à cheval, en devint le motif. On remarqua ensuite celle du président de Thou. Bassompière, sous le règne de Louis XIII, essaya, le premier, de faire placer des glaces à son carrosse. Ce ne fut qu’en 1515 qu’il parut des voitures à Vienne, et en 1580 à Londres.

On conçoit, d’après cela, que cette invention, attribuée aux Français, n’est point une assertion vague et dénuée de preuves. Mais il est juste d’avouer aussi que les imitateurs les ont surpassés pendant long-tems dans la construction élégante et commode des voitures.

Jusqu’en 1650, l’usage ne s’en était répandu que parmi les particuliers très-riches. Elles se multiplièrent tellement depuis, que, vers la fin du règne de Louis XV, on comptait plus de 15,000 voitures de toute espèce à Paris seulement.

C’est à un nommé Sauvage qu’on doit, vers le milieu du XVII.e siècle, l’établissement des voitures publiques. Messieurs de Villermé et de Givry obtinrent le privilége exclusif de louer, à Paris, les carrosses, les grandes et petites carrioles, dans lesquelles on ne payait que cinq sous ; d’où leur vient le nom de carrosses à cinq sous. Ceux à un prix déterminé par heure ou par course leur succédèrent en 1662. Le carrabas ou char-à-banc, et les voitures connues sous une dénomination si triviale, allaient de Paris à Versailles. Le carrabas était d’osier, d’une forme longue et propre à contenir vingt personnes ; -48- attelé de huit chevaux, il mettait six heures pour faire quatre lieues et demie. Les autres carrosses paraissaient moins incommodes quoique ouverts à tous les vents.

Plus tard, en 1766, le nombre des coches avait beaucoup augmenté ; il en partait chaque jour 27 de Paris, contenant 270 personnes. Aujourd’hui, il part habituellement de la capitale 300 voitures et 3000 voyageurs. A la même époque on comptait 14 établissemens de roulage : ce nombre s’élève à présent à 70.

Quant au nombre des voitures, il s’est considérablement accru, tant dans les provinces qu’à Paris où on en remarque de toutes les formes. Celui des fiacres[62] ou voitures de place est de 3000, et l’on porte à 2000 celui de cabriolets. Il serait inutile de détailler ici les facilités offertes au public pour voyager sur tous les points du royaume. Paris est le centre où viennent aboutir les entreprises multipliées qui s’élèvent chaque jour dans toutes les villes des provinces. Les voitures qu’on emploie à ces divers services, rivalisent entr’elles de goût et de commodité : elles contiennent assez ordinairement 18 ou 20 voyageurs. Quant à leur marche, elle acquiert chaque jour plus d’accélération. Les prix varient en raison de la concurrence.

[62] Ce mot vient du nom d’un moine du couvent des Petits-Pères, qui s’appelait Fiacre, mort en odeur de sainteté. La vénération qu’on lui portait allait si loin, que chacun voulait avoir son effigie et qu’on la peignait même sur les portières des carrosses de place, d’où leur est venu le nom du fiacre.

Les malles-postes et les messageries[63] royales se distinguent particulièrement entre toutes ces entreprises.

[63] On appelle aussi, dans la capitale, messagerie à cheval, les chevaux qu’on fournit aux voyageurs, et que le messager en chef de la cavalcade, suit dans un chariot chargé de leur bagage, en leur indiquant les lieux de la dînée et de la couchée. On fait à peu près 16 ou 18 lieues par jour, en trouvant à chaque lieu de repos les repas préparés. Cette manière de voyager est peu dispendieuse.

La première chaise de poste parut en 1664. On en attribue l’invention à un nommé Grugère. Le privilége exclusif en fut accordé au marquis de Crenan, dont le nom, pour cette raison, fut donné à ces sortes de voitures. Elles ne furent pas long-tems en usage à cause de leur pesanteur, et on les remplaça par celles construites sur le modèle des chaises allemandes.

-49- Jusqu’en 1663, la poste n’avait rapporté aucun revenu au roi, car on ne pouvait considérer comme tel la vente des charges et du privilége accordé depuis peu d’années aux officiers des postes, de percevoir les ports de lettres à leur bénéfice. Cet avantage s’était considérablement accru par les améliorations successives qu’on ne cessait d’introduire dans un service si favorable aux intérêts des particuliers. Le marquis de Louvois, ministre de la guerre dès 1654, venait d’être élevé[64] à la charge de surintendant général des postes. Ce ministre jugea qu’il était tems de faire tourner, au profit du Roi, les produits d’une institution entretenue à ses dépens, sans, pour cela, en changer la nature. Et parce que les postes augmenteraient les revenus du trésor royal, il n’entra pas dans les vues d’un ministre de Louis XIV, appelé à les diriger, de les considérer à l’avenir comme créées dans ce but.

[64] 1668.

Loin de subir les suites funestes d’un pareil systême, nous voyons les postes au contraire s’élever davantage, s’il est possible, par le caractère de stabilité et d’indépendance que leur imprime le marquis de Louvois, sous la direction duquel tous les élémens qui les constituaient, liés avec plus d’ordre, en ont formé cette administration importante, l’objet encore de l’admiration de toute l’Europe.

Le nouveau mode introduit dans les postes s’opéra sans secousse par l’esprit de justice qui en prépara la transition ; et les intérêts des titulaires furent réglés avec sagesse et discernement. Comme on ne pouvait encore subir les chances d’une gestion compliquée, le marquis de Louvois pensa que l’expérience était le seul moyen de s’éclairer dans ces grandes mesures que le tems amène ; et, pour y parvenir, il proposa au Roi de mettre les postes en ferme[65] : ce projet ayant été -50- approuvé, Lazare Patin fut reconnu, par le premier bail de 11 ans montant à 1,200,000 fr., fermier général des postes de France.

[65] Le systême des fermes, tant décrié de nos jours, ne devait cependant diminuer en rien la confiance dont les postes jouissaient. Elles tenaient ce précieux avantage de l’esprit de paternité avec lequel elles étaient constamment dirigées. Ce régime attachait tellement les officiers des postes à leurs emplois, qu’ils semblaient les regarder comme un héritage de famille. On en trouverait encore qui pourraient puiser, dans de vieux souvenirs, de nouveaux titres à l’estime générale. Certes, l’intérêt n’était pas le seul mobile qui faisait tenir à ces places, la plupart peu lucratives : la considération qui ne manque jamais d’être la récompense d’une conduite honorable, explique assez le prix que mettaient même des personnes de distinction à gérer un bureau de poste qui rendait à peine trois cents francs, ou un relais de peu de valeur.

Les courriers n’étoient chargés, dit Mezeray[66], que des affaires du Roi, aussi couroient-ils à ses dépends. On ne prétendait, et cela est positif, retirer d’autre avantage des postes que celui de correspondre avec célérité, et de voyager rapidement.

[66] Histoire de France.

Maintenant, ajoute le même auteur, les courriers portent aussi les paquets des particuliers, si bien que, par l’impatience et la curiosité des François, il s’en est fait un avantage encore plus grand pour les coffres du prince que pour la commodité publique.

Une telle conséquence, maigre l’erreur évidente qu’elle renferme, serait encore loin de porter la moindre atteinte au principe qui régit les postes ! La société réclamait une institution ; elle est établie et mise en harmonie avec ses besoins. Tout s’anime par elle : les relations se multiplient ; le commerce est vivifié ; les sciences et les arts sont répandus ; et bientôt l’agriculture, qui ne fructifierait que sur quelques points favorisés par leur position géographique, porte, dans les lieux destinés peut-être à n’en jouir que tardivement, les procédés les plus utiles éprouvés par l’expérience.

Semblables à ces sources bienfaisantes qui donnent naissance aux fleuves auxquels le sol doit sa fécondité, les postes sont ce germe précieux de prospérité qui, en se développant, multiplie ses trésors avec une étonnante profusion. Leur influence est telle qu’on ne pourrait la comprimer sans danger. Elles existaient en entraînant de grandes dépenses : elles existeraient encore indépendamment des produits qu’on en retire, et que les bienfaits qu’elles répandent depuis leur existence ont successivement accrus. On ne reconnaît point un -51- impôt à ce caractère ; quoique créé, annulé ou modifié sous une dénomination quelconque, son but est de produire : son action cesse dès que cette seule condition n’est pas remplie ; tandis que les postes, dont les attributions n’ont d’analogie avec aucune autre institution, privées de ce résultat, continuent d’imprimer le même mouvement au corps social. Il est naturel de faire retourner à l’avantage du trésor l’excédant des recettes qu’elles produisent, après avoir épuisé toutefois les moyens d’améliorations directs ou indirects qui s’y rattachent : il était juste même que le fisc fût à l’abri de toute malversation. Mais où est la garantie de la société, en admettant comme possible la soustraction de quelques missives ? L’argent remplace l’argent ; les marchandises et tous les objets industriels en circulation dans le commerce, ont une valeur appréciable ! quelle compensation offrirait-on pour la perte de titres importans, de pièces dont dépendent l’honneur et la fortune des individus ; pour la violation du secret des familles, de l’état même ? Les postes ont donc un caractère moral qui constitue leur indépendance. Elles semblent être une exception dans l’ensemble du grand système social. Ce principe reconnu par le prince qui les a instituées, et consacré par nos rois qui les ont conservées sous leur protection, en communiquant sans intermédiaire avec les hommes d’état auxquels ils en confient spécialement la direction, a seul contribué à leur maintien et les préservera de toute décadence.

A peine le fermier fut-il en jouissance de son privilége que le transport frauduleux des lettres et paquets qui avait lieu par l’entremise des personnes étrangères aux postes, le contraignit de demander la résiliation de son bail ou la répression d’abus qui le mettaient dans l’impossibilité de remplir les engagemens qu’il avait contractés. On fit droit, en 1673, à une si juste réclamation dans les termes suivans, qui rappelaient ceux de l’édit de 1630 :

Très expresses inhibitions et défenses à tous maistres et fermiers de carrosses, cochers, muletiers, rouliers, voituriers, cocquetiers, poullailliers, beurriers, piétons et autres, tant par eau que par terre, de porter aucunes lettres de quelque sorte et nature que ce soit, -52- à l’exception seulement des lettres de voiture, des marchandises et hardes dont ils seront chargés, malles non fermées, ni cachetées ; et à tous messagers d’avoir aucuns bureaux, tenir aucune boëte, recevoir, porter aucunes lettres et paquets etc. ; contre chacun des contrevenants de 1500 livres d’amende payables franc de port, en vertu du présent arrest, sans qu’il en soit besoin d’autre, et confiscation des chevaux, mulets et équipages, dépens, dommages et intérêts.

On apporte, en 1676, quelques modifications au tarif établi pour la taxe des lettres.

Le 2.e bail[67] des postes est porté à 1,800,000 fr.

[67] 1683.

Le 3.e bail[68] des postes est porté à 1,400,000 fr.

[68] 1688.

L’ordre que le marquis de Louvois avait établi dans les postes, fit réduire, à sa mort[69], l’office de la surintendance générale des Postes à une simple commission.

[69] 1699.

M. le Pelletier, conseiller d’état, lui succède.

Le 4.e bail[70] des Postes s’élève à 2,820,000 fr. Cette augmentation provient des adjudications faites partiellement, et de la ferme des messageries étrangères qu’avait possédées le marquis de Louvois.

[70] 1695.

M. Arnaud de Pompone, ministre secrétaire d’état, remplace, en 1698, M. le Pelletier.

Le 5.e bail des Postes est au même prix que le précédent.

En 1699, M. de Colbert, marquis de Torcy[71], secrétaire -53- d’état au département de la guerre, est nommé surintendant-général des Postes. Il devait en conserver pendant long-tems la direction ; aussi reçurent-elles sous lui de nombreuses améliorations. Il continuait le systême de M. de Louvois ; il faisait plus, il le consolidait, en se montrant digne d’occuper une place aussi importante.

[71] Commandeur et grand trésorier des ordres. C’est de lui dont parle Duclos, lorsqu’il rapporte la réponse pleine de fermeté qui fut faite à lord Stairs, ambassadeur d’Angleterre à la cour de France. Le Roi (Louis XIV), dit-il, refusa de donner audience à ce dernier et le renvoya, pour les affaires, au marquis de Torcy, dont Stairs reçut une leçon assez vive.

Croyant pouvoir abuser du caractère doux et poli du ministre, il s’échappa un jour devant lui en propos sur le Roi. Torcy lui dit froidement : M. l’ambassadeur, tant que vos insolences n’ont regardé que moi, je les ai passées pour le bien de la paix ; mais si jamais en me parlant vous vous écartez du respect qui est dû au roi, je vous ferai jeter par les fenêtres. Stairs se tut, et de ce moment fut plus réservé.

Le parlement enregistra l’édit pour la surintendance des Postes, en faveur du marquis de Torcy, et celle des bâtimens en faveur du duc d’Antin, qui avait succédé à Mansard, surintendant-général des bâtimens, en qualité de directeur général. L’enregistrement souffrit beaucoup de difficultés, parce que l’édit de suppression portait qu’elles ne pourraient être rétablies ; les gages qui étaient attachés à chacune montaient à près de 50,000 fr.

Nous avons indiqué, suivant leur ordre de création, toutes les parties qui entrent dans l’organisation des Postes. L’affranchissement des lettres, c’est-à-dire la liberté et souvent l’obligation d’en acquitter le port d’avance, existait depuis long-tems, et même avait été toujours en usage pour certains lieux. Cette mesure n’était pas uniforme. Il en résultait un préjudice notable pour les négocians dont les avantages réciproques ne pouvaient être balancés en ce cas. Les députés du commerce firent, en 1701, des représentations au roi, qui, en les conciliant avec les intérêts du fermier général des Postes, supprima l’affranchissement pour les lettres qui y étaient assujetties dans le royaume, et ordonna que les lettres et paquets seraient taxés d’après le dernier tarif. Cette mesure ne s’étendit pas à celles destinées pour l’étranger.

Le 6.e bail[72], fait pour 3 ans, est de 3,200,000 fr.

[72] 1703.

Les anciens tarifs furent supprimés, comme n’étant plus dans la proportion des frais qu’exigeaient les améliorations nouvellement introduites dans le service, tant à cause des distances, que du poids de l’once qui était égale à six lettres, lorsqu’on ne l’avait réglé que sur le pied de trois. Celui qu’on établit en 1703 parut plus conforme aux intérêts des postes, et portait, entr’autres articles, que les lettres et paquets seraient payés suivant le poids des villes où existaient les bureaux, -54- et que les distances[73] des lieux seraient comptées d’après le nombre des postes établies sur les routes que devaient suivre les courriers : la franchise n’avait pas reçu d’extension.

[73] Au côté gauche de la façade de Notre-Dame, est un poteau triangulaire qui indique le point central d’où l’on commence à compter les distances sur les différentes routes qui aboutissent à Paris.

Le droit à percevoir sur les articles d’argent et les valeurs cotées n’était pas réglé sur une base fixe ; il fut porté à un sou pour livre, taux auquel il est resté jusqu’à ce jour.

Le prix des chaises de poste, de Paris à Versailles, est fixé par les réglemens à 7 liv. 10 sous.

L’usage de voyager en poste par les voitures dites berlines, inventées par Philippe Chieze, premier architecte de Fréderick Guillaume, électeur de Brandebourg, fut défendu. La pesanteur de ces lourdes voitures avait démonté la plus grande partie des relais. Cette sage mesure suspendit l’effet d’un mal que le tems et de grandes précautions pouvaient seuls réparer.

Le 7.e bail[74] a lieu pour 3 millions.

[74] 1709.

Le 8.e bail[75], quatre ans après, est porté à 3,800,000 fr.

[75] 1713.

L’état florissant auquel les postes étaient parvenues pendant le siècle de Louis XIV, laissait peu de changemens à y introduire sous celui de son successeur. Quoique cette époque, où l’on mit en vigueur beaucoup de mesures réglementaires, ne paraisse pas si féconde en améliorations, le comte d’Argenson, ministre et secrétaire d’état au département de la guerre, grand-maître et surintendant-général des postes et relais, ne contribua pas peu à les soutenir avec le même éclat que sous ses prédecesseurs. Il défend, par un arrêté, de donner des chevaux aux courriers pour les lieux où le Roi fixe sa résidence : il est à remarquer que, par la dénomination de courrier, on entend tout voyageur qui se sert de la poste.

L’Université de Paris avait joui de tout tems, par un privilége particulier, du droit de messageries et de poste ; le Roi, en le lui retirant, en 1719, lui accorda -55- pour indemnité le 28.e du bail général des postes, montant à 120,000 fr. : cette somme était destinée à subvenir aux frais de l’instruction que l’Université faisait gratuitement.

Tant que les postes ne furent pas établies de manière à satisfaire tous les besoins, il était naturel de tolérer un moyen qui favorisait à la fois l’intérêt de l’Université et celui de la société. Mais il eût été impolitique de laisser subsister plus long-tems une entreprise de cette nature, en opposition avec le service de l’état. Il est évident que, dans ce cas, toute concurrence en entraverait la marche et en compromettrait même l’existence. Le Roi fit donc une chose utile, en ôtant ce privilége à l’Université, et un acte de justice, en l’indemnisant de la perte qu’il lui faisait éprouver. Etait-il convenable, d’ailleurs, qu’un corps, destiné à propager le goût des sciences et des belles-lettres, continuât une exploitation si peu en rapport avec ses attributions et son indépendance. Si l’Université s’était soutenue long-tems par ce moyen, il était de la dignité des successeurs de Charlemagne et de François I.er de la protéger et d’être leur seul appui à l’avenir.

Le 9.e bail est renouvelé, en 1721, pour 3,446,743 liv.

On remet en vigueur les ordonnances sur les passeports.

Le 10.e bail est porté, en 1729, à 3,946,042.

Le 11.e ne subit pas d’augmentation en 1735.

Une ordonnance règle le service des courriers, leur marche sur les routes, et les droits et frais à leur charge.

Comme il arrivait souvent que les voyageurs prétendaient être servis aux relais avant les courriers et les messageries, et que, pour y parvenir, ils employaient la ruse et quelquefois la force, il fut ordonné aux maîtres de poste de ne céder à aucune menace, et on leur renouvela l’assurance d’une protection spéciale contre toutes les prétentions qui pourraient s’élever à l’avenir à cet égard.

Le 12.e bail, en 1738, fut fait en régie pour le compte du Roi, dans l’intention d’avoir une connaissance exacte des produits des postes et messageries. Des lettres patentes augmentèrent ce bail de 1500 fr., parce qu’on réunit -56- aux postes le privilége qu’avait le prince de Lorraine, de fournir des litières dans toute l’étendue du royaume, excepté le Languedoc et la Bretagne, dont il se réserva la jouissance.

Le 13.e bail est passé pour six années, à Carlier, en 1739, moyennant la somme de 4,521,400 fr.

La première poste, à la sortie des villes de Paris, Lyon, Versailles et Brest, est considérée comme poste royale et doublée par ce motif.

Les maîtres de poste, en 1740, sont autorisés à ne conduire aux relais étrangers qu’en se faisant payer d’avance et sur le pied de monnaie étrangère. Ils sont également autorisés, plus tard, à fournir des chevaux pour les routes de traverse, au prix qu’il leur conviendra d’exiger, sans pouvoir y être contraints dans aucun cas.

Le 14.e bail, de la durée de 10 années, est renouvelé en 1744, au même prix que le précédent.

Pour remédiera l’inconvénient des lettres mal adressées, il fut réglé, en 1749, que toutes celles qui ne pourraient pas parvenir à leur destination, seraient renvoyées au bout de trois mois dans les villes d’où elles étaient parties, afin que ceux qui les auraient écrites n’en recevant pas de nouvelles fussent à portée de réclamer celles qu’ils auraient intérêt de retirer ou pussent leur donner une meilleure adresse.

Le 15.e bail, en 1750, monte à 4,801,500 fr.

La publication du premier dictionnaire des Postes connu, a lieu en 1754. Il est dédié par M. Guyot, son auteur[76], au comte d’Argenson, surintendant-général des -57- Postes. Cet ouvrage était d’autant plus utile, qu’on n’avait encore recueilli, jusqu’à cette époque, aucun document propre à guider les officiers des Postes dans la direction à donner aux lettres.

[76] Le même autour, en 1782, en fit paraître un autre en deux volumes, sous le titre de dictionnaire géographique et universel des Postes. Il en existe un plus moderne, déjà à sa deuxième édition, par M. Chaudouet et Lecousturier l’aîné. L’utilité de cet ouvrage est trop généralement reconnue pour qu’il ait besoin de nos éloges. Le second de ces auteurs fait paraître annuellement un petit livre pour le départ des courriers de Paris, qui offre des renseignemens précieux, et qui devient indispensable pour toute personne qui veut profiter des avantages de la poste, pour la correspondance journalière.

L’état des postes en France, qui paraît annuellement, est exclusivement destiné à tout ce qui est relatif à la poste aux chevaux. Il convient de le consulter lorsqu’on voyage, par les indications précises et le réglement qu’il renferme.

M. Gouin, administrateur des Postes, a publié un essai historique sur les Postes. Personne, mieux que lui, n’était en état de traiter un pareil sujet. Les services qu’il a rendus à cette administration dans la longue et honorable carrière qu’il a parcourue, et la noble et loyale conduite qu’il a tenue au milieu de nos troubles politiques, l’avaient mis à même de juger sainement tous les événemens et les variations qui s’y rattachent. L’apparition de son ouvrage à l’instant où nous achevions le nôtre, commencé depuis plusieurs années, nous eût imposé l’obligation de le suspendre, malgré le travail qu’il nous a coûté et les recherches longues et souvent fastidieuses auxquelles nous nous sommes livré, s’il fût entré dans le plan de M. Gouin, d’embrasser l’histoire générale des postes. Mais son essai, plus particulièrement destiné à faire connaître les améliorations successives survenues dans les produits des postes, depuis la mise à ferme de ce domaine royal, et l’avantage des nouvelles mesures introduites pour donner plus d’activité à ce service, n’ayant pas pour but celui que nous nous sommes proposé, nous avons dû continuer notre entreprise. Nous lui devons les renseignemens relatifs au prix des baux, et nous regrettons que M. Gouin ne se soit pas étendu davantage sur un sujet qui eût pris sous sa plume un si haut degré d’intérêt.

Tels sont les ouvrages sur les postes parvenus à notre connaissance, au nombre desquels nous devons comprendre un recueil d’édits, dont nous avons extrait quelques passages pour motiver nos citations. Il nous a semblé, d’après cela, que nous ferions une chose utile en recueillant tous les matériaux possibles, tant sur les moyens de correspondre dans l’antiquité et chez les peuples modernes, que sur la manière de voyager, en usage dans toutes les contrées connues : le motif seul peut faire excuser la difficulté de l’entreprise.

Le 16.e bail des Postes s’élève, en 1756, à 5,001,500 fr.

Les excès auxquels on s’était porté envers les postillons, provoquent une ordonnance relative aux peines qu’encourront ceux qui se rendront coupables, à l’avenir, de mauvais traitemens à leur égard.

La déclaration du Roi, du 17 juillet 1759, remet en vigueur tous les édits rendus sur le service des Postes. On y remarque, entr’autres articles, ceux concernant les chargemens, les dépôts d’argent, le tarif pour la perception du port des lettres établi sur des bases nouvelles, et le réglement sur les relais. L’ordre, la célérité et la sécurité que la correspondance retire de ces améliorations rangeront cette époque au nombre de celles auxquelles les Postes sont redevables de quelque perfectionnement.

-58- L’ardent amour du bien public, qui avait inspiré tant de projets utiles à M. Charles Humbert Pierron de Chamousset[77], lui fit naître l’idée de la petite-poste. Le service, devenu de jour en jour plus actif et plus régulier, et la multiplicité des relations dont Paris était le point central, exigeaient un mode nouveau et prompt de recevoir et d’expédier les missives de la capitale. La difficulté de se rencontrer dans une ville si populeuse, le tems perdu à de vaines recherches, tout faisait sentir la nécessité d’une mesure qui procurât les moyens d’y correspondre avec célérité. M. de Chamousset, qui avait mûri cette idée, fit part de ses vues. On en reconnut les avantages, et le projet d’un homme de bien fut accueilli favorablement : on fit plus, on le réalisa. La petite-poste fut organisée, d’après son plan, dans l’intérieur de Paris, où cent dix-sept facteurs[78] faisaient journellement ce service. Elle fut d’abord en régie, et on la réunit par la suite à la ferme générale. Cette organisation, comme toutes les institutions naissantes, a dû éprouver divers changemens avantageux. Les plus notables ont été introduits par M. le duc de Doudeauville. Sept distributions ont lieu en été et six en hiver. Par ce moyen, si l’on observe les heures indiquées par les affiches, on peut obtenir la réponse et même la réponse de la réponse aux lettres écrites dans la journée.

[77] Les œuvres de M. de Chamousset, maître des comptes, né à Limoges, ont été recueillies, en 2 volumes, par l’abbé Cotton de Houssays. On y distingue des mémoires intéressans sur la poste aux chevaux, les roulages et les messageries.

[78] Il n’est peut-être pas hors de propos de parler de l’intelligence et de l’activité de ces agens, tant à Paris que dans les provinces. Le trait suivant en est une preuve. Un facteur de la grande poste, nommé Jean Gourget, dit Saint-Jean, gagea qu’il irait, les yeux bandés, de l’école militaire à la grande poste, rue Plâtrière. Il passa l’eau à la place Louis XV, dans un bateau qu’il alla chercher lui-même, sans le secours de la voix ni du batelier. Parvenu aux galeries du Louvre, il indiqua la sonnette de l’imprimerie royale ; et, dans la rue Froidmanteau, il s’arrêta vis-à-vis un marchand de vin dont il était connu et demanda à se rafraîchir. Il était suivi de ceux qui tenaient le pari, et en gagna le prix sans opposition.

Il existait autrefois en Italie, si l’on en croit Audibert[79], une petite-poste d’un genre différent, qui avait -59- aussi ses messagers d’une espèce toute particulière et non moins d’activité. C’étaient les vendeurs de poulets qui portaient les billets doux aux femmes. Ils glissaient ces billets sous l’aile du plus gros, et la dame, avertie, ne manquait pas de le prendre, en ne donnant jamais le tems aux argus de se saisir du courrier innocemment contrebandier. Ce manége ayant été découvert, le premier messager d’amour qui fut pris, fut puni de l’estrapade, avec des poulets vivans attachés aux pieds. Telle est l’origine du nom de poulet donné aux billets doux.

[79] Auteur des curieuses recherches sur l’Italie.

L’établissement de la petite-poste aux lettres, en France, a donné, dans ces derniers tems (1824), l’idée des petites messageries[80] dans Paris, pour les effets et les marchandises. Il y a long-tems que plusieurs capitales de l’Europe participent à cet avantage par le moyen de la poste aux lettres. Ce nouveau service, quoiqu’organisé sur les mêmes bases, n’en est aucunement dépendant. Les motifs qui ont rendu l’usage de la petite-poste si nécessaire, ont sollicité celui des petites messageries dans le but d’établir un service régulier, célère, économique et responsable, dont l’objet est de transporter, d’un quartier de Paris à l’autre, les effets, articles et commissions de toute espèce ; et les marchandises de gros poids déplacées et mises en circulation par le commerce.

[80] La direction générale est rue de Seine-Saint-Germain, n.o 12, Hôtel-de-la-Rochefoucauld.

Un nombre suffisant de bureaux de dépôt établis dans les rues et les places les plus fréquentées, ainsi que les boîtes pour la petite-poste, reçoivent continuellement, contre des récépissés imprimés et à talons, tous les paquets et articles, jusqu’au poids de 25 livres qui y sont remis avec des adresses attachées aux articles.

Les facteurs, dans le cours de leurs tournées, reçoivent aussi, contre de semblables récépissés, les articles jusqu’à 25 livres pesant, qu’on leur donne de la main à la main sur leur passage, qu’ils annoncent par le son d’un cor, comme à Londres les bellman le font par le son d’une cloche.

Les articles de poids sont recueillis à domicile.

-60- Des voitures attelées, bien couvertes, font trois fois par jour la levée des dépôts et pareil nombre de distributions. Dans la belle saison, ce nombre est porté à quatre.

Il y a en même tems un service de gamionage pour le transport des marchandises de volume et de gros poids.

Chaque article, jusqu’à 25 livres, paie 35 centimes ; de 25 à 100, 45 centimes ; de 100 à 200, 55 centimes, etc. On a la facilité d’affranchir les envois.

En cas de perte des articles dont la valeur n’aura pas été déclarée, la compagnie remboursera 20 francs pour chaque article qu’on ne pourra représenter ; elle répondra de la valeur entière, lorsqu’elle aura été déclarée, mais alors le prix de transport y sera proportionné.

Il est facile de voir, par cet exposé, le rapport qu’il y a entre les petites messageries et la petite-poste. Ce rapprochement suffira pour motiver les raisons qui nous ont fait entrer dans des détails que nous ne croyons pas sans intérêt pour le lecteur.

En 1761, les postes sont mises en régie pour le compte du roi. On règle aussi les prix que doivent payer les courriers de cabinets et de dépêches.

En 1764, le 18.e bail, toujours avec les messageries en litière, monte à 7,113,000 francs.

Malgré l’augmentation successive survenue dans la ferme des postes, depuis la cession faite par l’université, à raison du 28.e sur les produits qui en proviendraient, l’indemnité primitive n’avait point subi de changemens. Ce corps, en 1765, exposa, par une requête au roi, les droits et les priviléges sur lesquels cette réclamation était si justement fondée.

Le 19.e bail, renouvelé en 1770 pour neuf ans, s’élève à 7,700,000. Les fermiers sont tenus de faire un cautionnement. Cet usage, introduit pour assurer les droits du gouvernement, est devenu depuis une clause obligatoire de tous les engagemens de ce genre.

L’établissement d’une caisse, destinée au soulagement des courriers, a lieu en 1772. Elle est formée de la retenue du tiers du prix qui leur revient par course. Cette idée sage et prévoyante fut inspirée par un sentiment bien digne d’éloges pour cette classe d’hommes -61- employés à un service toujours fatigant et souvent périlleux[81].

[81] La vie du courrier est active, pénible même. Il voyage sans cesse et n’a d’autre habitation que sa voiture : c’est dans cette mobile machine que s’écoule son existence. Il est partout et ne se fixe nulle part. A peine a-t-il atteint le terme de sa course, qu’il retourne aussi rapidement aux lieux qu’il a quittés, pour en repartir de nouveau avec la même vitesse. Le sommeil l’accable-t-il, il ne peut s’y livrer, malgré la fatigue qui le provoque. Là, c’est un relais où il change de chevaux ; ici, un bureau de poste où il remet et reçoit des dépêches. Ces interruptions sont tellement répétées, que, dans un trajet de cent lieues, par exemple, qui doit être fait en moins de quarante heures, il trouve souvent dix bureaux de poste et vingt-cinq relais. Combien de circonstances encore ne contribuent-elles pas à multiplier ces incidens. Tout ce que la nature oppose d’obstacles doit être vaincu : il brave l’intempérie des saisons et les ténèbres de la nuit ne l’arrêtent pas dans sa marche. Sa prévoyance ne peut être en défaut pour remédier même aux événemens indépendans de sa volonté.

Sa surveillance tient à sa responsabilité ; son activité, à la célérité de son service ; son extrême probité s’explique par la confiance qu’on lui porte, et la discrétion lui est imposée comme un devoir. Non-seulement il remet avec un soin scrupuleux les dépêches qu’il a reçues, il les défend, même au péril de sa vie, s’il est attaqué. C’est dans ces luttes inégales qu’il montre un courage qui le fait souvent triompher du nombre et sauver le dépôt sacré, confié à sa fidélité, par tous les moyens qui sont en son pouvoir. Que d’actions éclatantes attesteraient qu’il n’est aucun dévouement dont il ne soit capable, et que d’exemples prouveraient qu’il n’est aucun devoir dont il n’observe l’accomplissement avec une religieuse exactitude.

On devait, par suite de ces vues bienfaisantes, en étendre les avantages à tous les agens des postes auxquels on fait subir des retenues qui ont varie, et qui sont fixées aujourd’hui à cinq pour cent du montant des appointemens.

Ainsi, par l’effet d’un léger sacrifice, l’homme laborieux voit sans crainte l’avenir qui l’attend au bout d’une carrière longue et honorable. Si elle ne lui a pas offert des chances de fortune, du moins, lorsque le tems du repos, souvent pour lui celui des infirmités, est arrivé, il recueille avec reconnaissance les fruits d’une mesure dictée par une prévoyance toute paternelle.

La place de surintendant-général des postes, après la mort du marquis de Torcy (1746), qui avait sous lui un contrôleur-général, avait été donnée au comte de Voyer d’Argenson, ministre de la guerre.

-62- Le duc de Choiseul, aussi ministre de la guerre, lui succéda. Il avait également sous lui un intendant-général, dont les attributions étaient les mêmes que celles de contrôleur-général. Il n’y avait de changement que dans la dénomination de cet emploi, qui réunissait, par le fait, toutes les prérogatives attachées aux postes. Il donnait le droit de travailler seul avec le Roi, et d’entrer chez Sa Majesté à toute heure du jour ou de la nuit. M. Jannel, qui s’était distingué dans plusieurs circonstances, occupait cette place sous le duc de Choiseul. Voici comme Duclos s’exprime à son égard : M. le Duc (c’est ainsi qu’on désignait le duc de Bourbon, ministre sous le régent), pleinement rassuré, oublia que c’était aux conseils de M. Jannel qu’il devait d’avoir prévenu une sédition par rapport aux grains, et eut honte d’avoir eu et surtout montré de la peur. Il ne sut pas distinguer un malheur prévenu d’un malheur imaginaire. Ses affidés lui exagérèrent les sacrifices qu’ils avaient faits pour obtenir des dédommagemens, et il fit expédier une lettre de cachet pour le mettre à la Bastille. L’ordre en fut bientôt révoqué, parce qu’on en sentit l’injustice, et on avertit Jannel d’être plus discret, au hasard d’être moins utile.

Au commencement du règne de Louis XVI, M. Turgot, ministre d’état au département des finances, devint, en septembre 1775, surintendant-général des postes, et refusa les émolumens attachés à cette place.

Il est à remarquer que jusqu’à lui les ministres de la guerre avaient été seuls en possession de cette charge ; ce qui prouverait, s’il en était besoin, qu’on la considérait comme tout-à-fait étrangère aux finances, puisqu’on n’avait jamais songé à l’y rattacher. Mais M. Turgot, qui méditait de grandes réformes, sans attenter aux prérogatives des postes, chercha, en les amenant sous son influence, à les rendre favorables à ses projets. Il les réunit, pour cet effet, aux messageries royales, par les édits des 7 et 14 août 1775.

En combinant ces deux services, il espérait pouvoir parvenir à faire transporter les lettres par les messageries, en un seul jour, au moins à 30 lieues à la ronde de Paris, terme où les courriers de la malle les auraient reçues pour les transmettre sur tous les points du royaume. -63- L’économie qu’on aurait retirée de cette mesure, et que le ministre avait particulièrement en vue, ne compensait aucun des graves inconvéniens qu’elle entraînait. Où elle existait réellement, c’était dans les avantages que les messageries procureraient de conduire les fonds avec sûreté, rapidité et sans frais, ou des recettes particulières au chef-lieu, ou d’une province à l’autre, ou des provinces à Paris, ou même, enfin, de Paris aux provinces, comme cela se pratique encore aujourd’hui.

M. Turgot, qui avait conçu de grands projets sur la construction et l’entretien des routes, qui se rattachent si essentiellement aux postes, y aurait porté, sans doute, cet esprit d’économie si peu en rapport avec les ouvrages d’une nation qui veut travailler pour la postérité. Tout en cédant à cette idée si louable qui le dominait, il favorisait les postes sur quelques points, en se proposant de faire observer rigoureusement les distances de quatre lieues entre chaque relais, soit qu’on les eût négligées, ou qu’elles n’eussent pu être gardées par des considérations locales difficiles à surmonter dans l’origine. Il devait, en outre, donner l’inspection des routes aux maîtres de poste intéressés, à leur entretien. Aux avantages que leur eût procuré le traitement attaché à cette nouvelle attribution, se seraient joints ceux qui résultaient nécessairement d’une surveillance qui eût contribué si puissamment à la prospérité des relais.

Au reste, M. Turgot ne voyait dans la réunion des postes aux messageries qu’une considération secondaire, celle d’une augmentation de recettes, ou, plus exactement, une diminution dans les dépenses qu’il évaluait devoir être, par la suite, de quatre millions.

Quant aux priviléges accordés précédemment pour droits de carrosses, de diligences et de messageries, le roi, en y rentrant exclusivement, ne fit qu’user de la faculté qu’il s’était réservée en les concédant. Les fermiers qui ne pouvaient l’ignorer, quoique traités avec justice dans tous les réglemens qu’entraînait cette mesure, ne la trouvèrent pas moins très-rigoureuse, par la privation soudaine d’avantages qu’elle leur enlevait et à laquelle ils étaient loin de s’attendre. Ils furent, pour le trésor royal, de 1,500,000 fr. auxquels on porta la ferme des messageries. Le soin des gouvernemens, dans -64- les changemens qu’amènent les circonstances pour les rendre favorables à la société, doit être de les opérer doucement, afin de concilier tous les intérêts.

L’établissement de voitures[82] à 4, 6 ou 8 places, commodes, légères et bien suspendues, pour partir à jours et heures réglés, fut ordonné sur toutes les grandes routes du royaume. Un autre arrêt prescrivait la marche à suivre pour l’administration des diligences et messageries, et le tarif des ports à payer, soit pour les places dans les diligences, soit pour le transport des hardes, de l’argent et autres effets.

[82] M. Turgot ayant changé la forme des voitures, elles furent appelées turgotines pour cette raison. Loin d’être telles que l’édit le portait, elles étaient lourdes, incommodes et très-bruyantes.

Le baron d’Ogny, intendant-général des postes, jouissait, comme M. Jannel, son prédécesseur, des mêmes priviléges. M. de Clugny remplace M. Turgot dans la surintendance des postes.

Le 20.e bail, pour un an, pendant 1776, monte à 8,790,000. Cette augmentation est fondée sur la réunion des divers priviléges des carrosses, coches d’eau et messageries, à la ferme des postes.

Le 21.e bail est en régie pour compte du roi, moyennant 10,400,000 fr. Les six administrateurs qui en sont chargés fournissent un cautionnement de 4,800,000.

Une ordonnance du roi, rendue en 1779, augmente la masse des retenues du produit du livre de poste publié, jusqu’à ce jour, au profit d’un étranger.

Afin de prévenir la perte des lettres mal adressées, il fut réglé, en 1781, qu’elles seraient renvoyées dans les bureaux dont elles portaient le timbre, pour faciliter les réclamations. Cette mesure eut lieu en même-tems pour les lettres refusées faute d’affranchissement. Dans le premier cas elles devaient séjourner trois mois dans les bureaux, et quatre mois dans le second.

En 1782, Dom Gauthey, religieux de l’ordre de Citeaux, soumit au jugement de l’Académie des Sciences un moyen qu’il avait imaginé pour correspondre au loin par l’emploi de signaux. Le rapport fait par le marquis de Condorcet et le comte de Milly, annonçait que ce secret -65- leur paraissait praticable, ingénieux et nouveau, qu’il ne rappelait aucun procédé connu et destiné à remplir le même objet ; qu’il pouvait s’étendre jusqu’à la distance de trente lieues, sans stations intermédiaires et sans préparatifs très-considérables. Quant à la célérité, qu’il n’y aurait que quelques secondes d’un signe à l’autre ; que ces signes[83] pouvaient répondre du cabinet d’un prince à celui de ses ministres, et que l’appareil enfin ne serait ni très-cher, ni très-incommode.

[83] Par des moyens acoustiques qu’on parle de renouveler pour l’établissement de télégraphes en Angleterre.

Dans la même année, M. Linguet annonça un mémoire dans lequel il prétendait avoir trouvé le moyen de transmettre les avis avec promptitude, et celui d’établir un idiome constant et réglé, dont la vue seule était l’interprète, aussi rapide que docile, supérieur à tous ceux connus dans cette poste oculaire, qui joignait à la facilité, la sûreté, la simplicité et l’économie.

Le secret devait être impénétrable pour les agens intermédiaires, aussi étrangers à ce qui se passerait que les courriers à l’égard des dépêches qu’ils transportent. Ce n’était qu’aux extrémités que le mot de l’énigme volante aurait été connu de ceux chargés d’expédier et de recevoir les avis.

L’auteur du projet proposait d’en faire l’épreuve secrète, de Paris à Saint-Germain, en 4 minutes.

Vers la fin du XVII.e siècle, Amontons, fameux mécanicien, avait inventé, dit Fontenelle dans le rapport qu’il fut chargé de faire de ce procédé ingénieux, un moyen de faire savoir tout ce qu’on voudrait à une très-grande distance ; par exemple, de Paris à Rome, en très-peu de tems, comme trois ou quatre heures, et même sans que la nouvelle fut connue dans tout l’espace qui sépare ces deux villes.

Ces théories, qu’on regardait comme des chimères, devaient cependant conduire, quelques années plus tard, à des découvertes[84] et des procédés de la plus haute -66- importance. Quelques essais infructueux, ou qui ont manqué d’encouragemens, ne peuvent ôter le mérite de l’invention à leurs auteurs.

[84] Dès l’année 1763, M. Cugnot essaya, avec succès, à Paris, de construire des voitures mises en mouvement par la vapeur.

Le célèbre Aéronaute Blanchard fit, en 1779, devant la famille royale, l’expérience d’un carrosse de son invention, qui roulait très-rapidement sans le secours des chevaux. Il se proposait, par la suite, de perfectionner ces voitures, afin de les rendre propres à voyager sur les routes. On peut avoir une idée de leur construction par les détails ci-après. A la portée qu’occupe le brancard ou le timon, était un aigle les ailes déployées. C’est là qu’étaient attachées les guides, à l’aide desquelles la personne placée dans la voiture en dirigeait la marche. Derrière était un homme qui imprimait à la voiture un mouvement plus ou moins rapide, en pressant alternativement les deux pieds, ce qui ne lui causait aucune fatigue, et ce qui n’exigerait, à la rigueur, qu’un relais d’hommes. Il se tenait debout ou assis, les jambes en partie cachées dans une sorte de malle ou coffre, où les ressorts paraissaient établis.

On faisait, presqu’en même tems, sur la Seine, l’essai d’un bateau, canot ou nacelle, appelé la poste par eau, qui ne mit que quelques minutes à faire le trajet du Pont-Neuf au Pont-Royal. Ce bateau avait 18 pieds de longueur sur 6 de largeur ; il allait par le moyen d’une grande roue que tournait un seul homme et qui donnait, par cette impulsion, le mouvement à d’autres, substituées intérieurement aux roues ordinaires. L’inventeur, M. de la Rue d’Elbeuf, prétendait que ce bateau remonterait le courant avec la même vitesse, et se proposait même de la doubler en établissant sur les grandes roues un engrenage.

M. Mulotin, horloger à Dieppe, imagina aussi un phare d’une construction remarquable. Il avait la forme d’une horloge et le mouvement faisait paraître une masse de lumière de 24 réverbères, dont la durée était de 3 minutes, et la disparition d’une.

Un autre moyen, de ce genre, avait pour but de donner aux feux un éclat particulier qui les distinguât de manière à empêcher de les confondre avec les autres feux.

L’année 1783, le 22.e bail en régie, de 11,600,000 fr., fut confié à six régisseurs, qui donnèrent un cautionnement de 6 millions. Il leur fut accordé pour remise, droit de présence, étrennes, frais de bureaux et secrétaires, 216,000 fr., ce qui faisait 36,000 par an pour chacun. Outre cela, il leur était alloué le cinquième de tout ce qui excéderait 11,600,000 fr. de produit net, et l’intérêt du cautionnement à cinq pour cent.

En 1785, le duc de Polignac[85] est nommé directeur-général -67- des postes aux chevaux, relais et messageries. La place d’intendant-général est accordée à M. de Veymerange[86].

[85] Marquis de Mancini, brigadier des armées du roi, premier écuyer de la reine et directeur-général des haras.

Le marquis de Polignac ; chevalier des ordres du roi, premier écuyer de Monseigneur le comte d’Artois, gouverneur du château royal de Chambord, obtint la survivance de la place de directeur-général de la poste au chevaux.

[86] Chevalier de Saint-Louis, intendant des armées du roi.

Cette même année, l’uniforme des officiers des postes est réglé par une ordonnance. Il n’est plus exigé aujourd’hui que pour les employés des postes militaires, les postillons et les courriers. La couleur en est bleue pour tous, mais avec des marques distinctives qui varient suivant les emplois. Les postillons, par exemple, ont des revers rouges, des boutons fleurdelisés et des galons d’argent : ils portent sur le bras gauche un écusson aux armes royales. Cet écusson est placé sur la poitrine des courriers ; l’habit de ces derniers, bordé d’un liseré d’argent, est orné au collet de deux fleurs de lis brodées également en argent.

Les malles-postes et les messageries royales sont distinguées par les armoiries de la couronne.

Le 23.e bail, porté à 10,800,000 fr. en 1786 (en 1788 à 12,000,000), est passé, pour cinq ans, avec M. Poinsignon.

L’année suivante, la poste aux chevaux et les relais sont réunis à la poste aux lettres, le duc de Polignac, qui en était directeur-général, ayant donné sa démission. La place d’intendant-général, créée en même tems, fut supprimée.

L’université conservait encore, en 1789, comme un privilége qu’elle s’était réservé, des messagers dont les charges étaient à la nomination des quatre nations qui composent la faculté des arts. Ces charges ne se vendaient point ; il n’en coûtait que les frais de réception, montant environ à 500 francs. Les messagers étaient appelés aux processions du recteur, et avaient leur salle d’audience au collége de Louis-le-Grand.

Le roi n’ayant pas nommé à la place de surintendant-général des postes, depuis M. de Clugny, le baron d’Ogny était resté seul chargé de la direction de cette importante administration, sous le titre d’intendant-général des courriers, postes, relais et messageries de -68- France. Les administrateurs étaient MM. de Montregard, de la Reignière, Richard d’Aubigny, de Richebourg, Gauthier, de Montbreton, Mesnard, de la Ferté, Delaage, de Vallogué et de Longchamp.

Il avait aussi un conseil des relais, composé de trois inspecteurs-généraux.

Nous venons d’exposer rapidement, dans tout ce qui précède, les divers changemens survenus dans les postes depuis leur origine jusqu’en 1789. Objets, pendant plus de trois siècles d’existence, de la protection spéciale de nos rois, elles étaient parvenues au point d’être utiles à la fois au peuple dont elles multipliaient les relations, et à l’état dont elles augmentaient les revenus. Les recettes des lettres et paquets, abandonnées pendant près de deux cents ans aux agens des postes, à titre d’émolumens, devinrent si productives par la suite, entre les mains des fermiers-généraux, qu’elles avaient atteint un taux qu’on devait à peine dépasser de nos jours.

Mais les institutions les plus sages, consacrées par le tems et les besoins des peuples, ne pouvaient survivre au renversement de la monarchie. C’est sous cette ère fatale, signalée par un crime inouï dans nos fastes, que nous allons suivre les variations que les postes ont subies jusqu’au rétablissement de la maison de Bourbon.

Dès 1790, un décret supprime les priviléges des maîtres de poste qui avaient été créés par Louis XI, et rigoureusement maintenus par ses successeurs. Une indemnité annuelle, de 30 livres par cheval entretenu pour le service de la poste, les remplace. Elle ne peut être moindre de 250 fr., ni dépasser 450 fr., quelle que soit l’importance des relais.

Les titres et traitemens de l’intendant-général, ceux de l’inspecteur-général, les gages des maîtres des courriers, etc., sont également supprimés.

M. de Richebourg est nommé commissaire du roi près les postes, place qui répondait à celles de surintendant et d’intendant-général. Il réunit, dans ses attributions, la poste aux lettres, la poste aux chevaux et les messageries, quoique séparées pour l’exploitation.

Le serment d’observer la foi due au secret des lettres, est exigé de tous les agens des postes.

Les fonctions des inspecteurs, visiteurs et officiers du -69- conseil des postes, sont remplies par deux contrôleurs-généraux, auxquels il est accordé un traitement de 6000 fr.

Le bail des postes, passé en 1788, avec M. Poinsignon, est maintenu.

Les réformateurs, dans cette désorganisation totale, se voient forcés, pour ne pas entraver la marche d’un service si important, de conserver les anciens réglemens et le tarif de 1759. Les arrêts de 1771, 1784 et 1786, subissent seulement quelques changemens relatifs au contre-seing et au brûlement des lettres inconnues, refusées et non-réclamées.

Les maîtres de poste du royaume demandent la réunion des messageries à la poste aux chevaux.

Le privilége exclusif des carrosses de place et des voitures des environs de Paris, accordé à la compagnie Perreau, est résilié.

M. Jean-François Dequeux devient, en 1791, fermier des messageries, coches et voitures d’eau, par bail de la durée de six ans neuf mois.

Les administrateurs des postes font remise au roi du 5.e des produits nets qui excèdent les onze millions du bail expiré le 31 décembre.

A cette époque où, sous prétexte du bien public, on ne respectait plus rien, le désordre était à son comble. L’assemblée nationale[87], elle-même, parut effrayée des abus qu’entraînait le zèle des corps administratifs et des municipalités. La correspondance des particuliers n’était plus à l’abri de la plus infâme des violations ; les courriers qui refusaient de remettre les dépêches, dont ils étaient responsables, s’exposaient aux mauvais traitemens d’individus livrés à la licence la plus effrénée ; -70- et les directeurs ne pouvaient soustraire, à leurs criminelles perquisitions, les lettres qu’on osait leur enlever par la force dans les dépôts sacrés confiés à leur garde. Cependant, par une concession bien digne de ces tems désastreux, cette même assemblée, en cherchant à réprimer une telle conduite, crut devoir l’excuser en disant qu’elle était tolérable dans un moment d’alarme universelle et de péril imminent.

[87] Elle improuva la conduite de la municipalité de Saint-Aubin, pour avoir ouvert un paquet à M. d’Ogny, intendant-général des postes, et plus encore pour avoir ouvert ceux adressés au ministre des affaires étrangères et au ministre de la cour d’Espagne ; et chargea son président de se retirer de vers le roi, pour le prier de donner des ordres nécessaires afin que le courrier de ces paquets fût mis en liberté, et pour que le ministre du roi fût chargé de témoigner à M. l’ambassadeur d’Espagne les regrets de l’assemblée de l’ouverture de ses paquets.

Les postes sont administrées, en 1792, par un directoire composé d’un président et de cinq administrateurs. M. de Richebourg est nommé, à ce premier emploi, avec un traitement de 20,000 fr. Il leur est assigné à tous un logement à l’Hôtel-des-Postes[88].

[88] Bâti sur les ruines de l’Hôtel-de-Flandres, qui appartenait, dès la fin du XIII.e siècle, aux comtes de ce nom. Le roi Charles VII le donna, en 1487, à Guillaume de la Trimouille. Il fut possédé par Jean-de-Nogaret, premier duc d’Epernon, favori de Henri III, et passa ensuite à Berthélemi d’Hervart, contrôleur-général des finances, qui le fit reconstruire en entier ; puis en suite à M. Fleuriau d’Armenonville, secrétaire-d’état et garde des sceaux. Cet hôtel portait encore son nom lorsqu’il fut acheté des héritiers du comte Morville, son fils, pour y placer les bureaux de la poste. Il fut réparé et distribué à cet effet, et l’on y construisit, du côté de la rue Coq-Héron, un hôtel pour l’intendant général des postes.

Pour établir les bases du nouveau tarif[89] sur le prix du transport des lettres et paquets, on fixe un point central dans chacun des 83 départemens, et les distances entr’eux sont calculées d’un point central à un point central à vol d’oiseau, et à raison de 2283 toises par lieue. Le quart de l’once détermine le poids de la lettre, dite simple ou non pesante, dont le port, fixé à quatre sous dans l’intérieur de chaque département, augmente d’un sou hors de ce département, et jusqu’à vingt lieues inclusivement. Une progression d’un sou par dix lieues est réglée jusqu’à cent, et subit quelques modifications au-delà de cette distance.

[89] Celui de 1769 était basé sur la distance réellement parcourue, et on ne reconnaissait pas de distance au-dessous de 20 lieues.

Le transport des dépêches qui, jusqu’alors, avait eu lieu sur les grandes routes et sur les petites, à cheval, en brouettes ou voitures non-suspendues, la plupart découvertes, attelées d’un seul cheval et conduites par le -71- courrier, devient l’objet d’une mesure générale et uniforme. Des courriers de poste aux lettres sont établis sur quatorze routes, dites de première section, et sur vingt-six de deuxième section en voitures suspendues, couvertes, montées sur deux roues et attelées de trois chevaux. Le service en est fait par les maîtres de poste, au prix de 30 sous par cheval et par poste, au lieu de 25 sous auquel il était précédemment fixé.

Le droit de franchise et de contre-seing des lettres, étendu chaque jour dans une proposition nuisible à la recette des postes, est limité par un nouveau réglement.

Il n’est encore rien changé à la remise sur les articles d’argent déposés, qui, de tout tems, avait été perçue au profit des directeurs des postes. Ce n’est que plus tard que le trésor s’est attribué cette recette.

Une instruction générale, sur le service des postes, devenait indispensable. Elle comprend toutes les bases sur lesquelles repose cette institution ; mais les modifications qui pourraient y être apportées, seront réglées par des circulaires imprimées.

On abolit le privilége de poste royale ou double, dont jouissaient les maîtres de poste de Versailles, de Paris, de Lyon et de Brest.

Les emplois des contrôleurs provinciaux des postes, qui avaient échappé à la réforme totale de ce qui tenait à l’ancienne organisation, disparaissent à leur tour. On y supplée par des inspecteurs auxquels la surveillance générale des bureaux de poste et des relais est confiée dans les départemens.

Les courriers sont élus par les sections de Paris. Les directeurs et les contrôleurs des postes sont nommés par le peuple. Les fonctions des premiers comprennent toutes les parties du service. Les directions sont simples ou composées : dans le premier cas, le directeur suffit à toutes les opérations ; mais, dans le second, l’importance des bureaux nécessite un nombre d’agens proportionné aux besoins des localités. Alors, il y a un contrôleur dont les attributions sont en opposition avec celles du directeur, comme exerçant sur lui une surveillance continue dans l’intérêt de l’administration.

On exige des directeurs, en 1793, un cautionnement en biens fonds de la valeur du cinquième du produit net de l’année commune de chaque bureau.

-72- Les chevaux de poste sont payés, par les voyageurs et les courriers extraordinaires, à raison de 40 sous par cheval et par poste, et 15 sous de guide au postillon.

Le bail des messageries est résilié.

On réunit la poste aux lettres, les messageries et la poste aux chevaux, sous une seule et même administration, spécialement chargée de la surveillance et du maintien de l’exécution des trois services. Elle est composée de neuf administrateurs[90] élus par la convention, sur la présentation du directoire exécutif. Ces nominations n’ont lieu que pour 3 ans.

[90] Entr’autres MM. Baudin, Catherine, Caboche, Rouvière, Legendre, Mouret, Ruteau.

Nous avons vu dans tous les tems divers moyens, plus ou moins ingénieux, de communiquer au loin, par des signaux, des phrases convenues. Ces procédés, tentés par les anciens, renouvelés par les modernes, n’avaient pas eu assez de succès pour être adoptés ; des pavillons, hissés au sommet de mâts très-élevés, servaient, seulement sur nos côtes, à signaler ce qui pouvait intéresser le service maritime. On y a substitué depuis une machine mobile, sous le nom de cémaphore[91], destinée au même usage.

[91] Porte signe.

Les Anglais ont cherché, avec succès, à varier ces signaux. Le duc d’Yorck a acquis une grande célébrité en les perfectionnant. Dom Gauthey, Linguet, Amontons, semblent plus particulièrement avoir approché de la solution d’un problême tant de fois proposé ; mais aucune expérience notable n’était venue à l’appui de leur théorie. La question restait donc à résoudre, lorsque Claude Chappe, né à Brûlon, en 1763, fit connaître son importante découverte du télégraphe[92]. On prétend que, dès 1791, cet habile physicien fut conduit à ce résultat par suite d’un amusement. Le désir de communiquer par signes avec quelques amis qui résidaient à la campagne, à plusieurs lieues de lui, l’engagea dans des recherches tellement satisfaisantes, qu’il crut devoir, en 1792, soumettre son projet à l’assemblée législative, en lui présentant sa machine à signaux[93]. L’établissement[94] -73- d’une ligne télégraphique fut ordonné un an après et signala une victoire[95]. La convention reçut la nouvelle de ce succès au commencement d’une de ses séances, rendit un décret qui déclarait que Condé[96] changeait de nom, et le télégraphe annonça, pendant cette même séance, que le décret était déjà parvenu à sa destination, et que déjà aussi il circulait dans l’armée.

[92] J’écris au loin.

[93] M. Chappe fut nommé ingénieur des télégraphes avec les appointemens de lieutenant du génie.

[94] De Bruxelles à Paris, le télégraphe pouvait transmettre les avis en 25 minutes. Il fut décidé que le comité d’instruction publique nommerait deux commissaires pour suivre les opérations, et qu’il serait alloué 6000 fr. pour les frais de cet essai. Plus tard [1797], MM. Breguet et Betencourt soumirent un projet de télégraphe. Les Anglais, qui ont une espèce de signaux de ce genre, les avaient déjà établis sur leurs côtes, d’où ils répondaient tous à Londres.

[Moniteur.]

[95] La prise de Condé.

[96] On l’appela Nord-Libre.

Ce résultat ne laissa rien à désirer sur l’utilité d’un procédé si merveilleux. Il serait même difficile de décrire la sensation que produisit, non-seulement en France, mais par toute l’Europe, la découverte d’une machine dont les formes sont visibles, les mouvemens simples et faciles, qui peut être transportée et placée partout, qui résiste aux plus grandes tempêtes, donne assez de signaux primitifs pour faire de ces signes une application exacte aux idées, qui les transmet dans tous les lieux et à quelque distance que ce soit.

Elle n’exige qu’un signe par idée et jamais plus de deux ; ce qui est très-remarquable, dit le rapport décennal (1810), comme ayant donné naissance à une langue nouvelle, simple et exacte, qui rend l’expression d’une phrase par un seul signe.

La poste télégraphique, qui se compose de toutes les lignes qui, partant de Paris[97], vont aboutir aux -74- points extrêmes du royaume, est dirigée par trois administrateurs qui sont : MM. le comte de Keresperts, Chappe Chaumont et Chappe d’Arcis. Il y a un directeur et un inspecteur à chaque point principal, et des employés à chaque station pour exécuter, sans les comprendre, tous les mouvemens ordonnés d’une direction à l’autre.

[97] L’administration des télégraphes est rue de l’Université. Paris compte cinq télégraphes : l’un à l’hôtel de l’administration, l’autre au ministère de la marine, un troisième à l’église des Saints-Pères, les deux derniers sur les tours de Saint-Sulpice. Les nouvelles de Calais arrivent à Paris, en trois minutes, par 27 télégraphes ; de Lille, en deux minutes, par 22 télégraphes ; de Strasbourg, en 6 minutes, par 46 télégraphes ; et de Brest, en 8 minutes, par 80 télégraphes.

Les télégraphes dépendans de la direction de Saint-Malo, par exemple, sont au nombre de sept[98] du côté de Paris, et de trois[99] du côté de Brest. De l’instant où se fait le dernier signal à Saint-Malo, jusqu’à l’arrivée de la réponse de Paris, il s’écoule 14 ou 15 minutes.

[98] Saint-Medon, Mondoc, la Masse, le Mont-Saint-Michel, Avranches, la Bruyère, la Rivière, la Tournerie, les Hébreux, la Chapelle-Riche, Landigère.

[99] Tertre-Guérin, Saint-Caast, Villeneuve.

On sait jusqu’à quel point on a multiplié les lignes télégraphiques, et avec quelle facilité on applique ce moyen suivant les lieux et les circonstances. A toute heure, à toute minute, des points les plus importans du royaume, on peut transmettre à la capitale et en recevoir instantanément les avis les plus intéressans.

La ligne télégraphique[100] de Paris à Lille fut établie en 1794.

[100] Elle fut prolongée jusqu’à Dunkerque en 1799. A cette époque, des travaux semblables eurent lieu sur Strasbourg et Huningue, Brest et Saint-Brieux. En 1803, on communiqua, par ce moyen avec Bruxelles ; avec Boulogne, Flessingue et Anvers, en 1809 ; et, un an plus tard, avec Amsterdam. En 1805 Milan correspondait avec Paris par le télégraphe. Cette ligne fut étendue, vers 1810, sur Venise et Mantoue. L’année de la restauration, Lyon fut en relation avec Toulon. La guerre d’Espagne, arrivée en 1823, nécessita l’établissement d’une ligne de télégraphes de Paris à Bayonne. [Moniteur.]

Le port[101] des lettres est augmenté et porté, en 1795, pour celles dites simples, ne pesant pas un quart d’once, à cinq sous dans l’intérieur du même département ; extérieurement jusqu’à 20 lieues, à six sous ; et, pour les -75- autres distances, dans une progression réglée par le tarif.

[101] Plus tard, la taxe des lettres, dans toute l’étendue de la France, réglée sur les distances, est réduite à 4 sortes ; savoir : dix sous pour une distance de cinquante lieues, à compter du point de départ ; quinze sous à cent lieues, vingt sous à cent cinquante, vingt-cinq sous pour toute distance au-delà de 150 lieues.

Le port des lettres, pour l’intérieur des villes, est fixé à trois sous.

Une administration générale[102], composée de douze membres, est établie pour remplacer les trois agences supprimées de la poste aux lettres, de la poste aux chevaux, des messageries. Elle nécessite la création d’une place de caissier-général des postes.

[102] MM. Caboche, Rouvière, Gauthier, Déaddé, Baudin, Boulanger, Joliveau, Sompron, Tirlemont, Vernissy, Rose et Catherine Saint-Georges.

Les tarifs de la poste aux lettres et de la poste aux chevaux éprouvent des changemens provoqués par la dépréciation du papier-monnaie. On paie pour la lettre simple, par exemple, jusques et compris 50 lieues, deux livres dix sous. Chaque maître de poste reçoit cent cinquante livres en assignats par poste et par cheval, et chaque postillon cinquante francs.

La taxe[103] des lettres varie encore en 1796.

[103] Les lettres du poids de demi-once ne paient que trois décimes dans la distance de cinquante lieues et au-dessous ; cinq décimes jusqu’à cent ; sept décimes jusqu’à cent cinquante ; et neuf décimes au-dessus de cent cinquante lieues de distance.

Afin, dit le Conseil des Cinq Cents dans son arrêté, d’encourager la libre communication des pensées entre les citoyens, et d’augmenter les revenus publics, le prix des journaux présentés à l’affranchissement ne sera que de quatre centimes par feuilles, et celui des livres brochés de cinq centimes.

Le tarif[104] du port des lettres subit encore des modifications : il rappelle plusieurs articles de celui de 1759.

[104] Le prix de la lettre dite simple, au-dessous de demi-once, est de deux décimes dans l’intérieur du même département ; d’un département à un département, de vingt-cinq centimes.

Les lettres adressées aux militaires sous les drapeaux, par une exception bien entendue, ne paient que quinze centimes, quelles que soient les distances.

La facilité accordée aux particuliers de pouvoir charger leurs lettres et paquets, à la condition d’en payer le double du port ordinaire, imposait l’obligation à l’administration -76- responsable de fixer l’indemnité due en cas de perte des lettres : elle était précédemment de trois cents francs, et se trouve réduite à cinquante.

Un nouveau décret supprime, en 1797, le droit de franchise des lettres par contre-seing. Il est accordé une indemnité de 68 mille francs par mois au conseil des Anciens et à celui des Cinq-Cents pour remplacer ce privilége.

Une société anonyme est formée, à Paris[105], pour l’entreprise générale des messageries.

[105] Rue Notre-Dame-des-Victoires.

Les frais d’administration des postes pour la présente année s’élèvent à neuf millions, dans lesquels la taxe d’entretien des routes figure pour 600,000 fr.

Le décret qui ordonne l’établissement des postes dans les colonies, porte que le produit de la ferme des bacs des passages des rivières et des postes, sera versé au trésor public de chaque colonie.

Les fonctions du commissaire du directoire exécutif, près l’administration des postes, sont déterminées, en 1798, par des instructions.

Les nouveaux arrêtés sur le transport frauduleux des lettres reproduisent les anciens réglemens. Ce n’est pas la première fois qu’après avoir tout détruit on se voit forcé d’édifier sur les bases anciennes.

Il était tems qu’un établissement aussi utile que celui de la poste aux chevaux fût authentiquement reconnu par une loi dans toute l’étendue de la France. Il est suivi, en 1799, d’un réglement sur ce service.

La poste aux lettres, par suite de l’annulation du bail, est administrée par une régie intéressée, à laquelle il est accordé huit millions pour les dépenses d’exploitation. Les cinq membres qui la composent sont MM. Anson, Forié, Auguié, Sieyes et Bernard, près desquels M.r La Forêt est placé comme commissaire du gouvernement.

M. Duvidal est nommé inspecteur général près l’administration des postes, au lieu des deux substituts du commissaire du gouvernement, qui avaient été précédemment établis.

-77- Les lettres sont taxées[106] en francs et en décimes, et il ne doit être fait usage que des nouveaux poids.

[106] A cette époque, une lettre de Lyon coûtait onze sous ; de Grenoble, 12, et de Bayonne et Marseille, 13.

La taxe[107] des lettres est fixée en raison des distances à parcourir par la voie la plus courte, d’après les services des postes aux lettres existans.

[107] Pour la lettre dite simple, au-dessous du poids de 7 grammes jusqu’à la distance de 100 kilomètres inclusivement, deux décimes, etc.

Les administrateurs jouissent enfin, en 1800, du privilége de nommer à tous les emplois : les inspecteurs ne peuvent être choisis que parmi les employés des postes et sur la présentation du commissaire.

Le ministre des finances arrête tous les états de dépense.

Les abus qui s’introduisent de nouveau dans le transport frauduleux des lettres, provoquent encore, en 1801, la mise en vigueur des anciens réglemens.

On est forcé, après tant d’essais infructueux, de rentrer dans la voie régulière dont on n’aurait pas dû s’écarter ; la licence était réprimée ; et on sentait, en 1802, le besoin de ramener l’ordre dans une partie d’où il semblait être banni par les changemens successifs qu’on y avait opérés dans l’espace de quelques années.

Nous remarquons aussi que c’est de cette époque que la poste aux lettres semble avoir été dans une dépendance plus directe du ministère des finances.

Le poids des lettres est modifié : elles ne sont plus considérées comme simples lorsqu’elles pèsent 6 grammes, et la progression relative est établie par des tarifs.

M. Benezet remplace M. Duvidal dans la place d’inspecteur général près l’administration des postes.

On sait qu’il existait dans toutes les villes, et particulièrement dans les ports de mer, des établissemens sous la dénomination de petite-poste destinés aux correspondances locales et à celles d’outre-mer. Le public y déposait ses lettres, et elles étaient expédiées avec soin par chaque bâtiment partant. Les capitaines à leur retour transmettaient par la même voie celles qu’ils rapportaient des colonies.

-78- Cette poste maritime, si active et si utile avant les jours orageux de notre révolution, devait nécessairement rentrer dans les attributions d’une administration qui seule pouvait exploiter un service de cette nature avec la sécurité réclamée par la société. Il ne s’agissait pour cela que d’user exclusivement du privilége dont on ne pouvait contester la légitimité à une institution toute royale, et d’en régulariser l’organisation. On rappela de nouveau la défense faite de tout tems aux personnes étrangères aux postes de s’immiscer dans le transport des lettres et paquets ; et on obligea les capitaines de faire connaître aux directeurs des postes, dans les ports où leurs bâtimens seraient en chargement, au moins un mois à l’avance, l’époque présumée de leur départ, afin de ne pouvoir appareiller que munis d’un certificat de cet agent, qui constatât qu’ils avaient reçu les malles destinées pour les lieux où ils déclaraient devoir se rendre. Les mêmes formalités exigées au retour ont suffi pour donner depuis plus de garantie à cette nouvelle branche de correspondance. Divers articles ont réglé l’indemnité accordée aux capitaines qui déposent leurs dépêches aux bureaux de poste, et le port, toujours perçu d’avance, auquel le public est assujetti. On sent que la régularité et l’accélération d’un pareil service dépendent de l’activité du commerce d’une nation. Elles sont telles, en ce moment pour la France, que les relations des colonies avec la métropole n’éprouvent pas la moindre interruption ; et il arrive fréquemment que des distances[108] de plus de 2400 lieues sont franchies en moins de trois mois.

[108] Une des traversées les plus remarquables est celle de la frégate française la Méduse qui s’est rendue de France aux Indes en 86 jours.

La correspondance par mer n’était cependant pas nouvelle. Elle avait eu lieu de tout tems avec l’Angleterre, par le moyen de paquebots[109] destinés à transporter les dépêches. Les communications avec les diverses îles de la Méditerranée et de la Manche ne pouvaient être entretenues que d’après ce mode.

[109] En anglais packet boot qui signifie bateau à paquets. Chacune des deux nations faisait le transport de ses dépêches. L’Angleterre, par la suite, en fut chargée exclusivement ; mais Louis XVI rétablit le mode de transport comme dans l’origine.

-79- Lorsque nous avons parlé d’un bateau mécanique, appelé poste par eau, nous ne prévoyions pas qu’on verrait plus tard des bâtimens, mis en mouvement par le feu, refouler le courant de nos fleuves les plus rapides, et multiplier les communications avec une régularité surprenante.

Un bateau à vapeur fait le service de Douvres à Calais. Les entreprises de ce genre se répandent chaque jour, soit pour le transport des voyageurs, soit pour celui des marchandises sur la Garonne, la Loire, la Charente, l’Adour, la Gironde et la Seine. On a établi sur le canal des Deux Mers, des bateaux à vapeur à une seule roue derrière substitués aux bateaux de poste, qui feront le trajet de Toulouse à Agde en moins de 36 heures. Un service de transport pour les marchandises rendra régulièrement celles-ci, partant de Toulouse pour Beaucaire en moins de six jours. On organise également un service de ce genre de Lyon à Beaucaire. Bientôt on communiquera aussi à nos possessions d’outre-mer par ce moyen rapide et ingénieux. Le bateau à vapeur de l’état, la Caroline, primitivement le Galibi, est destiné à naviguer de Cayenne à Lamana.

L’Angleterre s’attribue en vain l’honneur de cette découverte, parce qu’un nommé Jonathas Hulls, dit M. Marestier, auteur d’un mémoire sur les bateaux à vapeur, prit, en 1736, un brevet pour l’application de ce moteur à la remorque des vaisseaux. Il paraît que rien n’était préparé pour un essai, et que l’inventeur et l’invention tombèrent dans l’oubli. Les droits des Français, à la même découverte, sont plus authentiques ; ce sont des ouvrages imprimés, des essais encore défectueux, mais qui mettaient sur la voie et qui promettaient déjà quelques succès.

James Watt en Angleterre, et Robert Fulton[110] aux Etats-Unis, ont les premiers perfectionné ce procédé. Mais la supériorité, dont l’Angleterre est si fière de nos jours, est encore due à un ingénieur français, M. Brunel.

[110] En 1803, Fulton, qui se trouvait à Paris, construisit et fit manœuvrer sur la Seine un bateau qui remonta la rivière avec une vitesse de plus de cinq quarts de lieue par heure.

-80- L’affranchissement des lettres et paquets, pour les pays conquis, est réglé, en 1803, par divers arrêtés.

Les produits de l’administration des postes, jusqu’à la concurrence de 10 millions, seront versés directement à la caisse d’amortissement pour être employés aux opérations dont cette caisse est chargée, et l’excédant au trésor public.

M. Lavalette est nommé commissaire du gouvernement près les postes, place que MM. La Forêt et Gaudin avaient remplie avant lui.

L’uniforme des postillons et autres employés des relais, se distingue par une broderie ou galons or et argent, suivant les grades : la veste bleue, la culotte chamois et les boutons blancs sont exigés pour tous.

Une loi règle les époques de l’ouverture et du brûlement des rebuts, ainsi que du dépôt, au trésor public, des objets de valeur[111].

[111] Par la loi du 7 nivose, an 10, les uns seront ouverts de suite et les autres au bout de six mois, un an et même deux ans. Tous seront brûlés de suite, s’ils sont sans intérêt. Les délais de garde pour les objets importans, à dater du mois de leur mise à la poste, n’excéderont pas cinq ans. On transmettra, à cette époque, au trésor royal, ceux qui auront de la valeur.

Le produit des postes, en 1804, est évalué 10 millions.

Les postes, jusqu’à cette époque sous la surveillance d’un commissaire du gouvernement, prennent une forme nouvelle par la suppression de cette place et la création de celle de directeur-général, dont les attributions, plus étendues, rappellent davantage l’ancienne organisation du service des postes. C’est à M. Lavalette que cette importante direction est confiée.

Les priviléges accordés aux maîtres de poste n’avaient eu d’autre but que de maintenir un établissement tant de fois compromis par des mesures inconsidérées. On est forcé de reconnaître la légitimité de ces droits, si anciens, en cherchant enfin à opposer des entraves aux entreprises multipliées qui s’élèvent de toutes parts. C’est encore d’après l’expérience qu’il est décidé, en 1805, que tout entrepreneur de voitures publiques et de messageries, qui ne se servira pas des chevaux de la -81- poste, sera tenu de payer, par poste et par cheval, à chacune de ses voitures, vingt-cinq centimes au maître du relais dont il n’emploiera pas les chevaux.

Il paraît un réglement sur les relais.

Les routes sur lesquelles les maîtres de poste sont chargés du transport des malles, tant à l’aller qu’au retour, sont déterminées par un décret.

En 1806, il est établi une nouvelle progression pour la taxe des lettres et paquets, calculée par tableaux qui remplacent l’ancien tarif, intitulé Copie de Nomenclature Matrice.

Après les désordres introduits par suite des événemens politiques, il n’est peut-être pas indifférent de faire remarquer la décision ministérielle qui attribue, en 1807, la franchise aux mandemens que nosseigneurs les archevêques et évêques adressent aux ecclésiastiques de leurs diocèses.

Il est défendu, en 1808, d’admettre dans les malles aucun voyageur, s’il ne s’est conformé au décret qui change le papier fabriqué spécialement pour les passeports.

Les divers changemens survenus dans l’organisation des postes nécessitent de nouveaux réglemens qui donnent lieu à la rédaction de la deuxième instruction générale sur ce service[112].

[112] Après une nouvelle période de seize ans, une troisième instruction deviendrait d’une grande utilité pour suppléer à l’interprétation des nombreuses circulaires qui ont modifié la deuxième. La stabilité qui semble attachée aux mesures récemment adoptées dans toutes les parties du système administratif des postes, ne laisserait plus la moindre incertitude sur l’application de tant d’élémens épars.

La société anonyme, formée à Paris, rue Notre-Dame-des-Victoires, pour l’entreprise des messageries, est autorisée, en 1809, à continuer d’exister jusqu’au 31 décembre 1840. Cet établissement est spécialement chargé du transport des fonds du gouvernement.

Les articles d’argent, jusqu’à la concurrence de cinquante francs, sont payés à vue aux militaires et autres personnes attachées aux armées.

Il est accordé des remises aux directeurs sur leurs versemens d’espèces dans les caisses des receveurs du -82- trésor, et la permission, en outre, de les faire en traites à deux usances.

L’affranchissement des lettres simples destinées aux militaires de tous grades sous les drapeaux, porté, jusqu’à ce jour, à quinze centimes, est élevé, en 1810, à vingt-cinq centimes, et n’a lieu seulement que pour celles adressées aux sous-officiers et soldats.

Aucun livre imprimé à l’étranger ne peut entrer en France sans la permission du directeur-général de la librairie et de l’imprimerie.

Le tarif subit de nouvelles modifications.

La correspondance entre la France et la colonie de Batavia, est établie régulièrement deux fois par mois.

Toute relation avec l’Angleterre est suspendue en 1811, et le brûlement des lettres est ordonné, tant pour celles qui en proviennent, que pour celles qu’on y expédie.

Quelques mois plus tard, cette interdiction fut levée avec restriction. Cette facilité dura peu, et toute communication fut encore suspendue.

L’année 1812 n’offre rien de remarquable sur les postes. En 1813, on établit un service régulier de postes françaises en Turquie.

L’invasion du territoire français, par les puissances alliées de l’Europe, en 1814, nécessite la suspension des correspondances avec les pays conquis, et provoque des dispositions relatives à l’évacuation des bureaux de poste à leur approche.

M. de Bourienne, ancien conseiller-d’état, succède à M. Lavalette dans la place de directeur-général des postes.

Il règne une grande confusion dans cette administration. Les employés qui avaient été forcés de suspendre leurs fonctions, sont prévenus de les reprendre.

Toutes les lettres restées au rebut depuis trois ans, par suite des événemens, sont expédiées pour leur destination. Le service ne souffre pas d’interruption pendant l’invasion de la France. Le baron de Saken, gouverneur-militaire de Paris, assure, au nom des puissances alliées, une protection spéciale aux relais et aux bureaux de poste.

Tels sont les actes qui préparent le retour de l’autorité légitime en France.

-83- Les relations interrompues avec les diverses nations reprennent peu à peu leur ancienne activité.

M. de Bourienne, nommé directeur-général des postes sous le gouvernement provisoire, est remplacé par M. le comte Ferrand, ministre-d’état. C’est la première nomination faite aux postes depuis le rétablissement de la maison de Bourbon.

M. le comte de la Prunarède est nommé adjoint aux inspecteurs des postes et relais.

Le paiement des reconnaissances à vue, aux militaires, n’a plus lieu.

Quelques mesures réglementaires signalent, en 1815, la courte administration de M. le comte Ferrand. Une catastrophe inouïe devait ramener M. Lavalette à la tête des postes, en même tems que le trône de nos rois était usurpé une seconde fois.

Cet interrègne de cent jours jette une nouvelle confusion dans les postes. Mais, au retour de l’ordre, M. le comte Beugnot, ministre-d’état, appelé à leur tête, s’exprime ainsi :

C’est dans son sein (du souverain légitime) qu’il faudrait se réfugier quand la providence n’y aurait pas placé le cœur d’un père. Il parle ensuite de l’ancienne sagesse, de la probité, et surtout de l’attachement au roi qui a signalé de tout tems l’administration des postes. Cet établissement, ajoute-t-il, dont la France a l’honneur d’avoir donné l’exemple au reste de l’Europe, est tout royal. C’est à la protection spéciale de nos souverains qu’il est redevable des développemens et de l’espèce de perfection qu’il semble avoir obtenue.

Tels sont les principes rassurans que professent les hommes d’état chargés de diriger une des branches les plus importantes de l’administration publique sous le règne doux et paternel des Bourbons.

Les Directeurs adressaient, à la caisse générale des postes à Paris, les fonds provenant de leurs recettes : ce mode est remplacé par celui des versemens de ces produits aux caisses des receveurs particuliers du trésor.

Sur la fin de 1815[113], M. le marquis d’Herbouville, -84- pair de France, est élevé à la place de directeur-général des postes. Il se montre pénétré de l’importance de l’administration qu’il est appelé à diriger, en cherchant à l’entourer d’une grande considération.

[113] Octobre.

Il avait beaucoup à réformer après les désordres causés par deux invasions si rapprochées ; et son premier soin est de régulariser toutes les mesures temporaires, nécessitées par des circonstances si impérieuses.

Il établit, en 1816, une division de comptabilité centrale, chargée de décrire, d’une manière précise, la situation de tous les agens de l’administration sur toutes les parties du service, et de pouvoir la faire connaître tous les jours, ainsi que celle de l’administration elle-même.

C’est à ses soins prévoyans qu’on doit le maintien de la caisse des pensions, qui avait éprouvé un déficit considérable par suite des désordres passés. Il y parvient au moyen d’une augmentation sur la retenue des appointemens, qui, de 3 francs 50 centimes, devait être portée temporairement à 5 pour cent, taux auquel elle est encore perçue aujourd’hui.

Si l’établissement de la caisse des pensions fut un bienfait, cette mesure conservatrice inspirera une reconnaissance égale à celle attachée à sa création.

Le cautionnement en immeubles, fourni jusqu’à ce jour par les directeurs des postes, est exigé en numéraire.

Les résultats que M. le marquis d’Herbouville se promettait d’atteindre par la marche juste, ferme, et indépendante qu’il suivait avec persévérance, ne devaient pas avoir lieu sous son administration.

M. Dupleix de Mezy est appelé à le remplacer[114].

[114] Novembre 1816.

Les sommes déposées, sous le titre d’articles d’argent, qui circulaient de bureau à bureau pour être remises dans les mêmes espèces aux destinataires, sont expédiées directement à Paris. Cette amélioration remédiait en partie à un mode reconnu vicieux, dès l’origine, par l’inconvénient qu’il entraînait de tenter la cupidité des malfaiteurs. Ces paiemens sont effectuées avec les recettes -85- ordinaires du produit des postes, ou, en cas d’insuffisance, par le moyen des fonds de subvention, c’est-à-dire des sommes que les directeurs sont autorisés à toucher chez les receveurs du trésor.

Des bateaux à vapeur font le transport des dépêches et des voyageurs de Calais à Douvres. Ils sont, comme les anciens paquebots, pour le compte de l’administration des postes, et sous la surveillance du directeur des postes de Calais.

Les administrateurs des postes sont supprimés. Un conseil, auquel on attribue les mêmes pouvoirs, les remplace. Il est composé de trois membres qui sont : MM. Gouin, Boulenger et Molière la Boulaye, chefs de divisions aux Postes. Il ne leur est point accordé de supplément de traitement. Celui du directeur-général est réduit à 60,000 fr.

Les réglemens sur les franchises et contre-seings, que de nombreuses circulaires avaient modifiés au point d’en rendre l’usage nuisible aux produits des postes, sont rétablis, par une ordonnance royale, sur des basses plus conformes à l’administration actuelle du royaume.

Les relais, dont l’exploitation à part coûtait annuellement 800,000 fr., sont réunis aux postes. On supprime les inspecteurs chargés de ce service, connus anciennement sous la dénomination de visiteurs des relais, et les inspecteurs de la poste aux lettres exercent ces nouvelles fonctions. Leur nombre, par suite de cette réduction, est de trente[115] ; ils ont chacun, à quelques exceptions près, trois départemens dans leurs divisions.

[115] Les attributions des inspecteurs des postes, déjà si importantes par elles-mêmes, ont été étendues par là indistinctement à toutes les parties du service. On ne pourrait aujourd’hui, sans danger, apporter de suppression dans le nombre de ces agens, interposés entre l’administration supérieure et ses subordonnés pour exercer une surveillance de tous les jours, de tous les instans. La perfection actuelle du travail nécessiterait même qu’on l’augmentât pour le rendre égal à celui des départemens. L’action des inspecteurs, devenue alors plus directe, serait par conséquent plus rapide, et agirait avec plus d’efficacité sur une étendue réduite à un rayon dont ils pourraient atteindre les extrémités dans un court espace de tems. Ils n’auraient plus de raisons légitimes pour ajourner indéfiniment des déplacemens toujours utiles et souvent urgens. A la tournée annuelle, à laquelle ils sont tenus, se joindraient les vérifications extraordinaires propres à rectifier, à l’instant même, des erreurs qui peuvent se reproduire quelquefois pendant tout le cours d’une année.

L’administration centrale imprime un mouvement continu et réciproque à cette multitude de bureaux répandus sur toute la France ; mais les inspecteurs le dirigent et rétablissent sans cesse l’harmonie que tant de causes accidentelles détruisent constamment. Si quelque désordre s’y introduisait, et que l’on fût privé de ce moyen puissant de répression, que d’inconvéniens prendraient un caractère de gravité avant que le mal fût connu et qu’il eût été possible d’y apporter un remède, peut-être inutile, par suite de tant de retards ? Mais l’inspecteur, sentinelle avancée, est là, toujours prêt à se porter sur tous les points où sa présence l’exige, pour constater la situation des caisses, suivre le travail des bureaux, examiner la tenue des écritures et la régularité des opérations. Les instructions sont-elles mal interprétées, il en éclaircit le sens, il décide les questions douteuses, intervient dans les plaintes et les contestations du public, dont il repousse ou accueille les réclamations ; justifie les employés que l’on taxe d’exigeance lorsqu’ils opposent leurs devoirs à des prétentions souvent injustes et toujours exagérées. Cette intervention donne un caractère plus légal à des mesures qui paraissent arbitraires, rassure des intérêts froissés en apparence, et conserve à l’administration et à ses agens la plus noble de leurs prérogatives, la confiance. L’inspecteur ne borne pas là sa surveillance : il doit s’étudier à connaître les améliorations continuelles à introduire, soit dans la multiplicité des communications, les changemens, la suppression d’anciennes correspondances que le tems a rendues inutiles ou surabondantes, ou l’établissement de nouvelles nécessitées par l’activité du commerce ou les progrès de l’industrie locale ; soit enfin dans l’entretien et la réparation des routes, dont aucun fonctionnaire public ne peut mieux que lui apprécier l’état, ni donner de renseignemens plus positifs pour conserver avec avantage un moyen si puissant de prospérité.

Ses observations sur les relais ne se réduisent pas aux simples formalités d’un procès-verbal, servant à constater que le nombre de chevaux qu’on y entretient est conforme aux réglemens. Il faut qu’il s’assure s’ils sont appropriés aux besoins des localités ; qu’il encourage les maîtres de poste à d’utiles réformes, et qu’il leur soumette des vues que l’expérience a confirmées, afin d’attacher aux relais ce principe conservateur qui fait la sécurité de l’état et l’avantage du maître de poste. Nous sommes persuadé qu’une émulation soutenue suffirait pour leur donner ce caractère d’activité durable, que l’on remarque sur certaines lignes, et qu’on est loin de retrouver sur tant de points. L’inspecteur qui éclairerait constamment le maître de poste sur ses propres intérêts, si intimement liés avec ceux du gouvernement, en lui portant le fruit de ses lumières et en le guidant avec prudence dans l’exploitation de cette branche si féconde d’industrie, atteindrait ce but en peu d’années.

Occupé à faciliter le transport des dépêches, l’inspecteur prévient encore les obstacles qui pourraient en suspendre la circulation ; il réprime les abus de la fraude. Enfin, rien ne doit échapper à ses investigations. Sans cesse en activité, il donne à ses rapports ce haut degré d’utilité et d’exactitude qui ressort de la connaissance approfondie des lieux et des choses propres à éclairer l’administration sur ses véritables intérêts, sur la conduite de ses agens et sur les vœux de la société.

Cette organisation, telle que nous la concevons, loin d’entraîner un surcroît de dépense, produirait une économie qui pourrait s’élever successivement à 150,000 fr., décuplerait en outre les recettes de certains bureaux, donnerait plus d’activité au service, un degré de confiance de plus au public, et ne nuirait en rien ni aux droits ni aux avantages acquis des titulaires actuels, puisqu’elle s’obtiendrait par extinction.

Dans toute amélioration, la première considération à observer, c’est d’opérer le bien sans secousse, et de ménager, avec délicatesse, des intérêts qu’on est forcé de froisser, en ne les sacrifiant pas trop facilement, par un principe plus spécieux que juste, à l’avantage général.

Il est aisé de se convaincre, par ce faible exposé, de l’immensité des charges de l’inspecteur, et de la responsabilité morale qui pèse sur lui. Son travail demande autant de lumières que de conscience. Juge intègre, il ne peut ni céder aux sollicitations, ni s’abandonner à ses préventions. La justice est son guide. Le sort des employés est dans ses mains. Pénétré de l’importance de fonctions aussi délicates, on sent que l’expérience n’est pas la moindre qualité qu’on soit en droit d’exiger de lui.

Si la prospérité à laquelle les postes sont parvenues est due en partie aux inspecteurs, la reconnaissance attachée à leurs services serait un titre suffisant pour les maintenir, lors même que l’impérieuse nécessité n’en ferait pas une loi. Cette vérité est encore consacrée par le tems. Un agent spécial, revêtu de semblables attributions, tient donc essentiellement à l’ensemble de tout bon système administratif ; et si, par cas fortuit, une seule raison pouvait être opposée à ce principe conservateur, mille s’élèveraient en leur faveur pour plaider leur cause et maintenir leurs droits.

-86- Il est accordé à chaque directeur une remise de sept huitièmes pour cent sur le deuxième net de sa recette, et celle de demi pour cent sur les articles d’argent acquittés avec les fonds de sa recette, ou par le moyen de ses ressources particulières. Ils jouissaient déjà de celle -87- de deux et demi pour cent sur la recette des produits des places des voyageurs dans les malles-postes.

La nécessité d’améliorer le sort des employés des postes a toujours été reconnue ; et les mesures temporaires qu’on a prises à diverses époques semblent faire espérer qu’en cherchant à parvenir à ce but, on l’atteindra. Le mode des remises est celui qui a prévalu jusqu’à ce jour pour les directeurs[116].

[116] Ne pourrait-on admettre des bases plus fixes. L’importance des produits, celle des localités, serviraient, entr’autres considérations, à établir la progression convenable pour chaque direction. D’ailleurs, n’aurait-on pas égard à la responsabilité à laquelle est soumis l’employé des postes dans un travail de cette nature, et à l’assiduité si constante qu’il exige et qui devient telle, qu’elle ne lui laisse aucun jour, aucun moment même dans le jour dont il puisse disposer. N’est-il pas, en outre, des obligations sociales auxquelles assujettit naturellement une administration dont le rang élevé doit être soutenu dignement. Cependant, nous ne croyons pas qu’on observe à l’égard des agens des postes la proportion établie pour ceux des autres parties. Par exemple, le directeur d’un bureau placé dans une ville dont la population est de 80,000 ames, et celui où elle n’est que de 5000 habitans, qui touchent, le premier, 4000 fr., et le second 1200 fr., ont-ils un traitement comparativement égal à celui des autres fonctionnaires. Une question de cette importance, que nous ne faisons qu’indiquer, nous semble de nature à donner lieu à d’utiles réflexions.

Espérons qu’après les résultats importans obtenus par les diverses améliorations qui ont eu lieu et que nous remarquons encore, l’administration qui exerce une sollicitude si paternelle sur ses nombreux agens, remplira le vœu qu’ils forment tous de voir enfin leur traitement éprouver une augmentation proportionnelle.

-88- Le service du transport des dépêches et des voyageurs a lieu, en 1818, par le moyen de malles-postes d’une construction élégante et commode. Cette mesure, tout entière dans l’intérêt des maîtres de poste, très-coûteuse dans son principe, est provoquée par la diminution successive des voyageurs, qui préféraient aux malles établies en 1791 les voitures publiques perfectionnées de plus en plus.

Pendant les années 1819, 1820, 1821, les changemens successifs opérés dans toutes les branches de l’administration y apportent d’heureuses améliorations. Elles sont tout à la fois dans l’intérêt du trésor, auquel elles offrent plus de garantie ; et, dans celui des comptables, dont elles tendent encore à accroître la sécurité.

La poste aux lettres, par la nature de ses produits, avait un système de comptabilité qui n’était nullement en rapport avec celui des administrations financières. Les directeurs n’arrêtaient leurs comptes mensuels et d’années, qu’après la réception des dernières dépêches[117] expédiées par leurs correspondans pendant le cours de la même période -89- mensuelle, quoiqu’elles ne leur parvinssent le plus ordinairement que dans les premiers jours qui suivaient le mois auquel elles se rapportaient. On avait tenté infructueusement divers moyens pour remplacer ce mode peu conforme aux nouvelles mesures introduites dans les opérations des postes. Une transition heureuse, longtems cherchée, y conduisit. Elle consista à substituer tout simplement la date de réception des envois à celle d’expédition. Alors l’irrégularité apparente, qu’on ne considérait comme telle que parce qu’elle consistait dans une exception (conséquence de l’exception que forment elles-mêmes les postes à l’égard des autres administrations), disparut. Mais l’ancien mode de comptabilité, très-ingénieux dans son ensemble, puisqu’il avait lieu par le moyen du contrôle réciproque des états tenus contradictoirement dans chaque bureau, était également très-satisfaisant dans ses résultats. Il est vrai de dire que le nouveau, en offrant la même exactitude, a l’avantage, si c’en est un, de rendre l’interprétation des écritures plus facile aux personnes étrangères aux postes ou peu familiarisées avec leur pratique.

[117] On conçoit qu’une dépêche expédiée le 31 du mois d’un bureau pour un autre éloigné de 100 lieues, ne peut y parvenir que le 2.e jour du mois suivant (en ne supposant aucune cause de retard), et qu’on ne pouvait y arrêter aucune écriture avant ce terme.

Il y a loin de cette théorie, que donne la science des chiffres, à ces connaissances positives qui sont le fruit de l’expérience, qui seule peut servir de guide au milieu des nombreux détails d’une administration si compliquée[118].

[118] Telle est la raison pour laquelle toute suppression d’un agent spécial devient impossible. Quel que soit le système qu’on adopte à l’avenir, les opérations des postes seront toujours assez multipliées pour exiger une surveillance active et continue. La vérification des caisses n’est qu’une mesure de pure forme, et même surabondante, puisqu’à l’inconvénient d’être assujettissante pour le comptable, elle est sans but d’utilité pour l’administration supérieure qui pourrait connaître la situation journalière de ses agens par les contrôleurs, par prévision même, si les bordereaux mensuels ne l’établissaient pas avec une rigoureuse exactitude.

Une organisation qui tendrait à changer la véritable destination des postes, ne pourrait prévaloir long-tems sans entraîner de funestes résultats.

On comptera parmi les mesures utiles introduites par M. de Mezy, l’établissement des malles-postes à 4 places -90- (dont nous avons parlé plus haut), montées sur ressorts et sur 4 roues, et menées par 4 chevaux. C’est avec ces malles que s’exécute le service des postes sur les principales routes du royaume. Le public trouve à la fois les moyens de voyager avec rapidité et sans fatigue dans ces voitures de nouvelle construction, qui, sans avoir aucun des inconvéniens des anciennes, réunissent des avantages inappréciables.

Des réglemens ont fixé l’organisation du service des voyageurs dans les malles-postes.

Nous empruntons à l’ouvrage de M. Gouin, auquel nous avons déjà eu recours pour le prix des baux des postes, un des motifs qui ont amené ces heureux changemens dans la forme des voitures en activité aujourd’hui.

Frappé, dit-il[119], des inconvéniens toujours renaissans de la construction vicieuse des malles, en 1791, l’administration des postes, dont M. de Mezy était directeur-général, s’occupa avec lui, en 1818, du soin de faire construire d’autres malles : une considération de la plus haute importance les y engagea : c’était le désir de remplir les intentions du Roi à cet égard.

[119] Auteur cité.

Sa Majesté, à son retour en France, avait aperçu sur la route de Calais la malle du courrier, et la comparant aux malles-postes d’Angleterre, elle fut frappée du mauvais goût qui avait présidé à sa construction, et parut désirer qu’elle fût changée. Ce fut un ordre pour M. de Mezy, qui s’empressa de faire faire le dessin d’un nouveau modèle de malle, et le présenta au Roi, qui daigna l’approuver. Lorsque la première malle fut exécutée, Sa Majesté permit qu’on la lui fît voir à son relais de Besons, au retour de sa promenade. Sa Majesté en témoigna sa satisfaction, en ajoutant qu’elle la trouvait de meilleur goût que les malles anglaises, et surtout plus commode pour les voyageurs. J’étais au nombre des personnes qui accompagnaient la nouvelle malle, et je fus l’heureux témoin de ce qui s’est passé à ce sujet.

La retenue proportionnelle sur les appointemens des employés des postes cesse d’avoir lieu.

M. le duc de Doudeauville, ministre d’Etat, pair de -91- France, succède, en 1822[120], à M. de Mezy, dans la place de directeur-général des postes.

[120] 1.er janvier.

Les attributions de cet emploi sont définies ainsi : Le directeur-général dirige et surveille, sous les ordres du ministre des finances, toutes les opérations relatives au service. Il travaille, seul, avec le ministre des finances. Il correspond, seul, avec les autorités militaires, administratives et judiciaires.

Il a, seul, le droit de recevoir et d’ouvrir la correspondance. Il signe, seul, les ordres généraux de service.

Mais le privilége d’être admis à travailler seul avec Sa Majesté, dont ont joui de toute ancienneté les conseillers grands-maîtres des coureurs de France, les contrôleurs-généraux, les généraux, les surintendans et les intendans-généraux des postes, a été conservé aux directeurs-généraux des postes.

Les places d’inspecteurs-généraux sont supprimées et remplacées par celles d’administrateurs-généraux, qu’occupent MM. le marquis de Bouthillier, Gouin et le vicomte de Rancogne.

Le ministre des finances assigne à chacun le travail qu’il doit diriger sous l’autorité et la surveillance du directeur-général.

Les agens supérieurs des finances sont spécialement chargés de vérifier la comptabilité et la caisse des directeurs des postes.

L’envoi des sommes d’argent déposées dans les bureaux de poste, qui, après avoir eu lieu de bureau à bureau, avait été restreint à Paris seulement, cesse également d’avoir ce cours ; les directeurs restent chargés de cette recette, et s’en débitent journellement. L’excédant des produits accrus par cette mesure continue à être versé dans les caisses des receveurs particuliers des finances.

Il est fait défense aux étrangers et particulièrement aux Anglais résidant en France, d’expédier leurs lettres par l’intermédiaire de leurs ambassadeurs. Nous avons déjà remarqué combien un abus de cette nature avait nui aux recettes des postes.

Une convention est conclue, par la médiation de M. le duc de Doudeauville, entre les maîtres de poste -92- et les entrepreneurs des messageries, rue Notre-Dame-des-Victoires, à Paris[121]. Elle a pour objet de rendre ces derniers exempts du droit de 25 centimes envers les premiers, à la condition d’employer les chevaux de la poste à la conduite de leurs voitures.

[121] Un semblable traité n’a pu être encouragé qu’à cause des avantages qui doivent en résulter pour les maîtres de poste. On a dû chercher à compenser la privation des priviléges qui leur avaient été accordés originairement, et qui leur ont été retirés en 1790. Les exemples passés, et celui plus récent de la perte de trois cents chevaux occasionnée par le poids des voitures établies en 1791 ; l’état des routes ; les ressources présumées des maîtres de poste pour conduire avec un égal succès les nouvelles malles et les messageries qui en diffèrent, tant par leur pesanteur que par leur surcharge ; la réduction (au moins d’un tiers) des recettes sur les voyageurs, suite naturelle d’une concurrence tout au désavantage de l’administration, causée par l’infériorité des prix des messageries ; tout, dis-je enfin, a dû être subordonné à une expérience de plus de trois siècles, pour assurer à ce nouveau mode d’organisation la stabilité qui réalisera les espérances tant de fois déçues des maîtres de poste.

En établissant les malles-postes sur les principales routes du royaume, M. le duc de Doudeauville s’est proposé, sans doute, d’étendre le bienfait de cette mesure à toutes celles où le besoin des relais le commande si impérieusement.

Il est aisé de prévoir les avantages qui en résulteraient pour les maîtres de poste, dont les chevaux seraient constamment employés à leur véritable destination, pour le public qui verrait plus de sécurité dans le transport des dépêches confiées aux seuls agens de l’administration ; enfin, pour les entrepreneurs mêmes de ces services, qui, séduits par les prix toujours réduits à chaque bail qu’ils en retirent, cherchent à s’opposer, par ce faible avantage, aux concurrences qui s’élèvent continuellement. Elles cesseraient dès l’instant que l’administration userait de son privilége exclusif, et la ruine d’un grand nombre d’individus, qui ne savent sur quelle branche d’industrie porter leurs capitaux, serait arrêtée par l’effet de cette mesure aussi politique que morale.

La guerre entreprise en 1823, pour la délivrance de l’Espagne, exige de nouveau que le paiement à vue des reconnaissances adressées aux militaires de terre et de mer soit rétabli.

Elle donne lieu à une instruction réglementaire sur l’organisation des postes d’armée, dont le service ne pouvait être assujetti aux mêmes mesures que celui des postes civiles. De tout tems, dans des circonstances semblables, elles subirent diverses modifications ; mais elles -93- furent toujours maintenues sous la dépendance de l’administration générale.

Leur composition est réglée d’après les bases suivantes : Un agent supérieur, sous le titre de commissaire[122], est chargé de les diriger. Il réside au grand quartier-général, travaille ou correspond seul avec l’intendant-général, pour tout ce qui concerne le service des postes militaires. Il a sous ses ordres des inspecteurs, des directeurs, des contrôleurs, des employés et sous-employés : on comprend sous cette dénomination les courriers et les postillons.

[122] M. le marquis de Regnon.

Il était facile de prévoir les dépenses[123] que devait occasionner la création d’un service de cette importance dans un pays où les libérateurs faisaient eux-mêmes les frais de leurs victoires ; elles se sont élevées à 2,422,167 fr. Les estafettes journalières ont beaucoup contribué à l’augmentation de ces frais.

[123] L’établissement de la ligne télégraphique de Paris à Bayonne a coûté 300,000 francs.

En 1824, ce service a subi des modifications qui ont été reglées par les conventions faites, au nom des deux puissances, par le marquis de Talaru, ambassadeur de France, et le comte Ofalia, premier secrétaire-d’état, surintendant-général des courriers et postes d’Espagne et des Indes.

On y remarque, entr’autres articles, que toutes les lettres de service de l’armée française, qui seront contresignées, seront reçues aux bureaux ordinaires de poste, et remises franches de port ;

Que les estafettes, courriers et voyageurs militaires paieront les chevaux et autres rétributions de poste sur le même pied que les courriers espagnols : ils seront, ainsi que les convois militaires, transports de vivres, équipemens et munitions, exempts des droits de chaîne établis pour l’entretien des routes ;

Que pour la sûreté des communications et de la correspondance, le gouvernement espagnol fera placer des postes qui seront disposées de manière à pourvoir au service des escortes, pour les convois, expéditions d’effets -94- ou approvisionnemens, officiers en mission et courriers de l’armée française ;

Que les employés des postes de l’armée française seront chargés de l’expédition et de la réception de la correspondance française ; le transport des dépêches closes sera exécuté par les courriers ordinaires du service espagnol, sur toutes les routes où il n’y aura point de malle française établie. Il sera ouvert un livret d’émargement pour constater la remise qui sera faite des dépêches, tant pour le départ que pour l’arrivée, entre les deux offices français et espagnol ;

Enfin, que dans les petites garnisons et cantonnemens où il n’y aurait pas d’employés de la poste française, la correspondance pour le service arrivera contresignée, et elle sera remise, franche de port, par le directeur de la poste civile.

Plus tard, l’armée d’occupation ayant été considérablement réduite, le service des postes françaises en Espagne a été supprimé. Le transport des dépêches a lieu par l’entremise des postes espagnoles, et les payeurs de l’armée française sont chargés de les expédier et de les recevoir.

M. le comte de Kerespert est nommé administrateur des lignes télégraphiques.

Une nouvelle instruction pour la poste aux chevaux était devenue indispensable, tant pour éclairer les maîtres de poste sur leurs obligations, que les voyageurs sur leurs droits. Les nombreuses modifications apportées par les circulaires en rendaient l’interprétation sujette à des contestations sans cesse renaissantes et auxquelles il était tems de mettre un terme. Tous ces élémens rassemblés dans un nouvel ordre ne laisseront plus d’incertitude sur l’application des mesures réglementaires relatives à la poste aux chevaux.

On voit combien les heureuses réformes introduites par M. le marquis d’Herbouville, continuées avec le même succès par M. de Mezy, ont reçu de développemens par les soins de M. le duc de Doudeauville[124], -95- sous la direction duquel l’organisation des Postes a atteint un grand degré de perfection.

[124] Il est juste de dire aussi qu’il a été parfaitement secondé, dans ces utiles améliorations, par les lumières, le zèle et l’expérience de MM. de Bouthillier, Gouin et de Rancogne, administrateurs des Postes, qui ont concouru de tout leur pouvoir à en assurer le succès.

Tout prouve que l’administration de M. le marquis de Vaulchier[125], appelé à succéder à M. le duc de Doudeauville, nommé ministre de la maison du Roi, dans cette charge aussi élevée qu’importante, ne sera pas moins remarquable que celle de ses prédécesseurs.

[125] 18 août 1824.

M. Barthe-Labastide remplace, presqu’à la même époque, M. de Bouthillier, nommé directeur général des eaux-forêts.

On a pu juger, au milieu des variations que les Postes ont subies depuis leur création, que les bases sur lesquelles elles reposent n’ont pu être renversées.

D’après l’édit de leur fondation, des relais étaient établis de quatre lieues en quatre lieues sur les grands chemins, où on entretenait des chevaux propres à courir le galop pendant leur traite ; chaque relais était dirigé par un maître chargé de conduire ou faire conduire les courriers porteurs des dépêches et munis d’un ordre du grand-maître, ainsi que les voyageurs ayant des passeports : tous les courriers devaient suivre les routes où les relais étaient montés, afin de faire constater leur activité et leur ponctualité à remettre les paquets qui leur étaient confiés.

Certes, dans ce peu de mots, il serait impossible de ne pas reconnaître l’organisation actuelle des postes. Les maîtres ont conservé leur dénomination primitive, les relais leurs distances, les courriers la même responsabilité constatée par le port d’aujourd’hui[126].

[126] Feuille signée par les agens des Postes, qui indique le nombre des dépêches que le courrier reçoit pour les remettre sur les divers points de la route qu’il doit parcourir.

Que restait-il à faire pour étendre les bienfaits de cette institution toute politique ? Il ne fallait qu’établir les relais suivant les localités, et multiplier le nombre des bureaux de poste à mesure que les relations augmentaient. Les progrès furent si rapides, -96- qu’en moins de deux siècles on comptait plus de mille relais occupés par des maîtres de Poste, qui entretenaient des chevaux pour le service public des dépêches et des voyageurs qu’ils conduisaient en voitures ; neuf cents bureaux, où le travail des lettres dirigées avec ordre sur tous les points de la France se faisait, sous la surveillance d’inspecteurs, par des directeurs, des contrôleurs, des commis, des facteurs et des distributeurs. Tout était déjà si bien ordonné, que des cartes géographiques indiquaient la position des bureaux sur lesquels les lettres devaient être acheminées ; que des tarifs en fixaient la taxe, et que la marche des courriers n’éprouvait aucun retard, même dans la saison la plus rigoureuse de l’année.

Quels changemens remarque-t-on aujourd’hui ? Une augmentation dans les relais, qu’on peut porter à 1463 ; dans le nombre des bureaux de poste[127], qui est de 1371, non compris les distributions ; un accroissement dans les produits ; une activité aussi merveilleuse dans le travail, mais facilitée par des moyens plus perfectionnés. Quelques variations dans les dénominations attachées aux emplois supérieurs, auxquels les mêmes attributions étaient dévolues, constatent-elles une création ? Ces légères modifications ne peuvent en avoir le caractère. Mais tout ce qui tient à l’organisation des Postes se reproduit ici comme il y a plus d’un siècle. Les surintendans généraux et leurs conseils sont remplacés par les directeurs généraux et les administrateurs ; les inspecteurs remplissent les mêmes fonctions ; les directeurs chargés des mêmes opérations, ont la même responsabilité ; les contrôleurs exercent encore la même surveillance sur ce travail auquel les commis participent comme par le passé ; les facteurs, les distributeurs portent et remettent les missives de la même manière ; les courriers employés au transport des dépêches sont toujours responsables de celles qu’ils reçoivent ; les maîtres de Poste fournissent exclusivement des chevaux au terme des réglemens ; et -97- les postillons conduisent, comme dans l’origine, les voitures, ou accompagnent les voyageurs qui courent à cheval.

[127] Il était de 1541 ; mais ce nombre a été réduit depuis plusieurs années.

Le mouvement journalier et continu qui a lieu entre Paris et les provinces, peut donner une idée du travail et des opérations des Postes.

Le nombre des lettres taxées, qui circulent annuellement par la Poste, est de 60 millions ; celles expédiées en franchise peuvent être portées à pareil nombre ; ce qui forme un total de 120 millions de lettres ou paquets transportés par la Poste.

La petite Poste perçoit annuellement, à Paris seulement, quatre millions et demi environ[128], à peu près le sixième des produits que rendent les Postes. Le maximum des recettes a lieu en janvier, et le minimum, en septembre. On jette tous les jours dans les boîtes de la capitale 25 ou 30 mille lettres, dont 8 ou 10 mille pour la petite-poste, et 35 mille feuilles périodiques ou prospectus. On met en rebut, chaque année, près de 144,000 paquets pour Paris seulement.

[128]

Les registres, états et autres imprimés[129] destinés spécialement aux opérations, soit journalières, soit mensuelles, sont multipliés à l’infini. Les réglemens, les circulaires, les ordonnances, modifiés sans cesse par de nouvelles instructions, sont aussi très-nombreux ; et, malgré tous ces détails, le travail doit être d’une célérité extrême et d’une exactitude rigoureuse dans les calculs.

[129] Ceux qui sont employés pour toutes les opérations relatives aux Postes, s’élèvent à plus de 1200.

Qu’on juge, par cet exposé d’un pareil service, de l’ordre, du soin, de la scrupuleuse attention des agens des Postes à classer, taxer et diriger ces innombrables missives, afin de leur faire suivre la seule direction convenable pour éviter le moindre retard dans la réception ; de l’intelligence nécessaire pour interpréter -98- le code si étendu qui leur sert de guide dans ces opérations aussi délicates que rapides. Nous ne parlerons point des états et des pièces qui servent à établir une comptabilité de cette nature, et qui leur rendent la science des chiffres si familière. Il y a dans tout cela plus qu’une simple manipulation de lettres, et moins que de la routine.

L’accroissement du produit des Postes a été prompt dans l’espace d’un siècle ; mais on n’y remarque plus d’amélioration dans les époques suivantes. La comparaison des trois périodes des Postes, qui embrassent le tems où elles sont devenues profitables aux revenus du Roi, fera naître les réflexions de l’observateur.

En 1663, la ferme des Postes rapporte, pour la première fois
1,200,000
fr.
En 1788,
12,000,000
 
En 1825, régies pour le compte du Roi
12,690,000
[130].

[130] Les produits bruts des postes ont été, en 1823, de 25,350,000 fr., et sont portés, par prévision, à la même somme pour 1825. La dépense est de 12,660,000 fr. ; la taxe fictive des paquets qui circulent en franchise, peut être portée à 18,000,000.

La progression de la première à la deuxième offre une amélioration sensible, et dans l’organisation et dans les produits ; mais aucune différence notable ne paraît exister de la deuxième à la troisième, malgré les innovations qu’on a introduites dans les Postes, la surveillance qu’on exerce sur toutes les parties qui les composent, le système de comptabilité opposé à la gestion des fermiers-généraux, enfin, l’augmentation du port des lettres qu’on peut évaluer à moitié.

Si l’on voulait en chercher la cause, on la trouverait peut-être dans les moyens de correspondre qui n’ont pas multiplié les relations en les rendant plus fréquentes ; dans les frais pour faire parvenir les lettres sur les points les plus reculés du royaume, soit trois fois la semaine, soit même tous les jours, et avec une accélération telle, qu’elles mettent à peine 40 heures pour parcourir une distance de 100 lieues et être remises aux destinataires ; dans la facilité de voyager plus promptement et à bas prix, ce qui a porté la plupart des négocians et des fabricans à expédier des commis -99- qui entretiennent ainsi les liaisons ou en forment de nouvelles. Cette facilité de se transporter rapidement d’un lieu à un autre est si remarquable, qu’où l’on mettait autrefois dix jours, il ne faut plus aujourd’hui que soixante-dix heures. Il en est de même des distances qui n’étaient parcourues qu’en trois jours et qui le sont actuellement en douze heures. Il y a, comme on le voit, économie de tems et de dépense, et par conséquent, diminution de correspondance. Ne doit-on pas aussi conclure de là que le transport frauduleux des lettres et paquets n’ait pris encore de l’extension par la fréquence des occasions moins coûteuses que la Poste.

Mais la principale raison, n’en doutons nullement, est dans l’état actuel de la société dont les postes ont étendu successivement les relations, satisfait les besoins, multiplié les ressorts, et établi, par un concours réciproque et régulier, ce mouvement nécessaire à sa conservation. Tant que ce but n’a pas été atteint, les avantages qu’elles lui procuraient ont dû être en proportion de la perfection vers laquelle tendait cet établissement. Il y semble parvenu, et on ne doit pas raisonnablement espérer de voir les produits des postes subir d’augmentation notable.

Ce qui appartient essentiellement à notre époque, c’est l’ordre introduit dans les recettes et les dépenses par des hommes habiles qui ont perfectionné les nouveaux systèmes de comptabilité ; c’est cet ensemble de tant de rouages et d’opérations portées à l’infini et ramenées, avec un art surprenant, au point central d’où tout émane ; ce sont, enfin, ces bases larges sur lesquelles repose une administration tellement importante que rien ne peut en entraver la marche rapide et régulière, ni en suspendre, sans danger pour la société, le mouvement continu.

Cette institution, n’en doutons point, reprendra toute son influence primitive sous un Roi qui, à l’exemple de ses prédécesseurs, est si digne de la faire fleurir dans l’intérêt de la morale publique ; et les postes, enfin, seront moins considérées par leurs produits que par leurs rapports politiques et sociaux.

-100-

TROISIÈME PARTIE.
DES POSTES CHEZ TOUS LES PEUPLES.

Nous avons vu de quelle manière les postes, après avoir été établies en Orient, se sont répandues chez quelques nations de l’Occident, et plus particulièrement en France. Nous désirerions compléter notre travail en suivant leur histoire chez tous les peuples du monde. Mais, si elle se réduit pour le plus grand nombre à quelques notions générales, du moins est-elle susceptible d’offrir plus d’intérêt en Europe, où les Français ont été les premiers à introduire ce moyen rapide de correspondre avec régularité. A la gloire d’avoir été les créateurs de cette institution chez les modernes, se joint, pour eux, celle de l’avoir portée à un point de perfection auquel leurs imitateurs ont vainement cherché à arriver jusqu’à ce jour.

ALLEMAGNE.

Ce ne fut qu’un demi-siècle après l’introduction des postes en France, que l’Allemagne suivit, la première, cette heureuse impulsion, qui devait se communiquer insensiblement à toute l’Europe.

Le comte François de Taxis les établit vers la fin du règne de Maximilien I.er, et en eut la direction générale, après avoir été autorisé à faire les avances qu’exigeait une institution de cette importance. L’empereur, qui avait toujours de grands intérêts à ménager avec son petit-fils l’archiduc Charles, souverain des Pays-Bas, voulut que les premières postes fussent mises en activité, de Bruxelles à Vienne, avec l’agrément des états dont cette route traversait le territoire.

Cet établissement reçut de grandes améliorations sous le règne de Charles-Quint, par les soins de Jean-Baptiste -101- de Taxis ; et Philippe II prolongea un embranchement de sa poste d’Italie, pour joindre celle des Pays-Bas à Augsbourg.

L’empereur Mathias, en récompense des services importans que ne cessaient de lui rendre les princes de la maison de Taxis, dans la conduite de cette entreprise déjà si répandue, érigea la surintendance générale des postes d’Allemagne en fief de l’empire, en faveur de Lamoral, baron de Taxis et de ses descendans. Et, comme les successeurs de Charles-Quint possédaient l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et une partie de l’Italie, le titre de grand-maître des postes de tous ces états y fut attaché. Elles portèrent même pendant long-tems la dénomination de postes espagnoles.

Les changemens survenus dans l’empire d’Autriche ont restreint les priviléges accordés aux princes de la maison de Taxis. Ils n’ont conservé que la direction des postes féodales d’Autriche, de Hanovre et de quelques autres parties de l’empire[131]. C’est là aussi qu’on remarque la régularité et la célérité qui contribuent à donner à ce service une supériorité que les princes de Taxis tiennent sans doute à honneur de transmettre à leurs successeurs, comme ils l’ont reçue de leurs ancêtres, auxquels les empires du nord doivent cette institution.

[131] M. Randel a porté le nombre des officiers et commis employés autrefois dans leurs postes, à 20,000, et le produit net auquel elles s’élevaient à un million de rixdalers ; selon d’autres, à un million de florins.

M. le comte de Nadardy, président de la Chambre aulique, est directeur-général des postes et des messageries impériales et royales.

L’administration des postes de chaque province est confiée à un directeur principal, dont dépendent des directeurs particuliers. Le directeur des postes à Vienne, par exemple, est administrateur des bureaux de toute la province de la Basse-Autriche.

M. le baron de Lilsen, conseiller aulique, chambellan de l’empereur, intendant-général des postes étrangères, est chargé, conjointement avec M. le prince de Metternich, de tout ce qui est relatif aux offices étrangers.

-102- Le transport des dépêches se fait, généralement, dans les provinces, par des charrettes[132] ou carrioles légères, découvertes, à quatre roues, attelées d’un cheval ; et, lorsque la correspondance l’exige, et qu’on est forcé d’expédier deux grandes valises, placées sur le devant, on ajoute un autre cheval que conduit, de la voiture, le postillon assis dans le fond.

[132] Dans la partie sous la dépendance des princes de Taxis, ces voitures offrent plus de commodité et de perfection.

Les postillons, distingués autrefois par une petite trompe brodée sur leur habit de drap jaune, en portaient une autre en argent qui servait à annoncer leur départ, leur arrivée, ou à faire ouvrir les portes des villes pendant la nuit. Ils avaient aussi un petit écusson sur lequel était gravé le nom du lieu d’où ils étaient expédiés. Ces postillons conservent encore ces divers attributs.

De semblables distinctions varient suivant les états. En France, par exemple, les postillons se servent, comme dans l’antiquité, seulement d’un fouet, dont le bruit, habilement modifié, suffit pour faire connaître l’instant de leur départ, celui de leur arrivée, ou leur passage sur la voie publique, afin de prévenir tout retard, ou d’éviter tout accident.

Les distances entre les relais n’ont aucune uniformité. Il arrive souvent de faire sept milles avant de trouver un relais ; ce qui a lieu entre Wismar et Rostock.

Quant aux routes[133], il y a peu d’années encore qu’on se plaignait de leur état d’abandon. On trouvait aussi que les postillons[134] s’occupaient plus de soigner leurs chevaux[135] que de contenter les voyageurs. Il existait un impôt sous le nom de shimrr[136], qui consistait -103- à graisser les roues des voitures, qu’on démontait, à cet effet, à chaque poste. On courait le risque de manquer de chevaux en cherchant à se soustraire à ce tribut onéreux.

[133] M. de Meiners assure que les chemins du midi l’emportent sur ceux du nord. On s’occupe à établir des routes en fer en Bohême. Celle entre Budweer et Mauthausen est entreprise. Les travaux préparatoires pour celle entre Prague et Scilsen, ont déjà eu lieu.

[134] Ils portent le nom de phwager, c’est-à-dire beau-frère, dénomination dont on ignore l’origine.

[135] Les chevaux d’Allemagne sont forts et bons pour le trait ; mais ils le cèdent en légèreté et en vitesse à ceux d’Angleterre. La Bavière, la Franconie, la Poméranie et le Mecklembourg, sont les provinces où l’on nourrit les meilleurs chevaux.

[136] Graisse.

S’il en est ainsi, c’est à juste titre qu’on a prétendu que la police, à l’égard des maîtres de poste, n’était pas très-sévère en Allemagne[137]. On sait qu’en France il en est autrement.

[137] Dans le pays de Brunswick on trouve affiché, à chaque bureau de poste, les noms des commissaires désignés par le prince pour terminer les différends entre les voyageurs et les maîtres de poste.

Ou y trouverait aussi très-gênante l’obligation de ne se servir que de la poste une fois qu’on a commencé à prendre cette voie, ou de ne pouvoir, dans le cas contraire, employer les chevaux de louage qu’avec l’autorisation des maîtres de poste, qui, sans doute, ne l’accordent que difficilement.

Dans l’Empire (nom qu’on donne aux provinces méridionales) le prix des postes est d’un florin trente kreutzers par cheval et par mille[138]. Mais ce prix varie considérablement suivant les lieux, soit à cause de la diversité des états, soit aussi en raison de la cherté des fourrages. A Lubeck, on ne trouve point de chevaux de poste.

[138] En Hesse, 10 gros par mille ; en Saxe, 10 ; 12 dans le pays de Brunswick et le Hanovre, et 8 dans le duché de Mecklembourg. En 1789, il en coûtait un florin par poste simple, excepté dans les états héréditaires où ce prix était réduit à trois quarts de florin.

Si l’on est exposé à perdre beaucoup de tems par le péage des barrières établies sur les routes d’Allemagne et du Tyrol, on peut facilement aussi éviter ces retards en payant d’avance aux postillons tous les droits auxquels on est assujetti, et qu’ils se chargent d’acquitter.

Le service de la poste aux lettres se fait avec assez de régularité en Allemagne. On y a apporté dernièrement quelques changemens, soit dans le travail des lettres, soit dans la marche des courriers qui parcourent actuellement une poste en une heure et demie.

Le port des lettres est réglé par des tarifs[139] établis -104- sur des bases moins fortes que celles adoptées par les autres nations de l’Europe, et calculé sur la population, les relations commerciales de l’intérieur et de l’extérieur, et sur le cours de l’argent.

[139] En Bavière, dans le duché de Bade et les postes féodales, la lettre cesse d’être simple dès qu’elle pèse 7 grammes et demi.

A Vienne, l’établissement de la petite-poste a commencé en 1772. Il est dû à M. Schotten, qui suivit l’exemple donné en France, douze ans auparavant, par M. Chamousset. Le port de la lettre est d’un kreutzer, et de 3, 5, 17 kreutzers et plus, au-delà des lignes, en proportion de la distance à parcourir. Cette superbe capitale compte plus de 3,000 carrosses de personnes de marque, 500 fiacres et au moins 80 chaises à porteurs. Le nombre des voitures publiques y est très-considérable. Il y a même des points sur lesquels il en est expédié 15 ou 20 par jour.

On trouve à Hambourg des bureaux de poste pour divers états ; tels que l’Empire, le Hanovre, le duché de Brunswick, la Suède, le Dannemarck, le Mecklembourg-Schwerin, la Hollande, l’Angleterre, les Etats-Unis, etc. La petite-poste a son bureau particulier et ses messagers qui parcourent les rues six fois par jour, en annonçant leur présence par une sonnette.

L’usage des télégraphes, dont les premières expériences remontent à 1799, est peu répandu. Ces machines sont loin d’être aussi perfectionnées qu’en France : elles ne sont employées que pour des avis maritimes, sur quelques points seulement.

Les grands fleuves qui arrosent l’Allemagne, facilitent beaucoup les voyages par eau. Il y a sur plusieurs de ces fleuves un marktscheff ou coche d’eau, qui va à tems réglé d’un lieu à un autre. L’introduction des bateaux à vapeur rendra cette navigation et plus régulière et plus commode. Le premier a été lancé en Bavière[140], près de Frédéricshafen, sur le lac de Constance. Il y en a eu trois de construits dans les duchés de Bade et Wurtemberg[141].

[140] Le Max-Joseph.

[141] Le Guillaume entr’autres. Les rouages de ces bâtimens, destinés à un service continuel, ont été confectionnés à Liverpool.

On voyage sans danger sur les routes généralement étroites, qui coupent ces divers duchés, par l’adresse -105- des cochers allemands. On ne peut aussi éprouver d’incertitude sur les lieux où l’on se rend, puisqu’à tous les carrefours des routes un poteau indique, non seulement le nom du canton ou du district, mais encore la direction des chemins et la distance de chaque point aux villes de quelque importance. Cet usage a lieu dans plusieurs autres parties de l’Allemagne, où l’on a établi des colonnes milliaires qui marquent, avec la même précision, les distances entre chaque endroit.

L’art de dresser toute espèce d’animaux n’offre plus rien de surprenant depuis qu’on voit, à Munich, deux énormes loups traîner une calèche. Ils appartiennent à un ancien négociant russe qui les a trouvés très-petits dans un bois près de Wilna, et qui a si bien réussi à les apprivoiser, que loin d’avoir conservé quelque chose de leur instinct féroce, ils ont toute la docilité du cheval le mieux dompté. La police exige seulement qu’il soient muselés, afin de prévenir tout accident ; car, quoique cette calèche traverse la ville habituellement trois fois par jour, la foule n’en montre pas moins d’empressement à considérer ce singulier spectacle.

Par arrangement conclu dès 1819, entre le roi de Wurtemberg et le prince de la Tour et Taxis, les postes de ce royaume ont été conférées de nouveau, à ce dernier, comme fief héréditaire et masculin de la couronne. Ce prince, en sa qualité de grand-maître des postes de l’empire, s’est fait représenter dans leur direction pas M. le baron Wrintz Barberick, conseiller privé, directeur-général des postes.

Si cet exemple avait des imitateurs parmi les divers princes de l’Allemagne, il est à croire que les postes de l’empire, sous les descendans de celui qui les a instituées dans le nord de l’Europe, parviendraient à un plus haut point de prospérité.

La Hongrie manque non-seulement de routes bien entretenues, mais aussi de canaux pour multiplier les communications par le moyen des rivières. Les chariots de poste dont on se sert sont très-mauvais, découverts, sans ressorts et construits de la manière la plus grossière. Quant aux chevaux, ils sont très-estimés, surtout ceux élevés par les Arméniens.

Les postes, dont plusieurs appartiennent au prince -106- Estherhazy, font partie des revenus de ce royaume ; et, quoiqu’elles soient assez bien entretenues, les voyageurs, munis d’un ordre du gouvernement, ne peuvent manquer ni de chevaux, ni d’aucun moyen de transport, que tout paysan est tenu de leur procurer.

Les loups qui habitent les forêts qui couvrent une partie de la Hongrie, rendent les voyages quelquefois dangereux. Il n’est pas sans exemple que des courriers, dont plusieurs font le service à cheval, aient été dévorés par ces animaux. Ils y sont tellement multipliés, qu’en 1803 ils détruisirent plus de 1500 têtes de bétail dans une seule province[142].

[142] Les mêmes ravages ont eu lieu en Livonie, en 1823. D’après le rapport de la régence, 1841 chevaux, 1243 poulains, 1807 bêtes à cornes, 733 veaux, 15182 moutons, 726 agneaux, 3545 chèvres, 183 chevreaux, 4190 cochons, 701 chiens, etc., ont été dévorés. — Le gouvernement prend des mesures efficaces pour mettre fin à ces ravages.

On serait porté à croire que dans les divers états dépendans de l’empire, les maîtres de poste sont tous d’anciens militaires auxquels ces places offrent d’honorables retraites. Leur costume paraîtrait confirmer cette assertion : il consiste en un dolman bleu clair, bordé de fourrures et orné de boutons et de galons de soie ; un pantalon bleu galonné de la même manière, et des demi-bottes. Ils portent tous de longues moustaches.

Parmi les édifices destinés aux postes, dans les états dépendans de l’empire d’Allemagne, celui de Prague est très-remarquable.

On est forcé d’affranchir les lettres pour tous ces états, le duché de Bade excepté.

PRUSSE.

Le service des postes se fait régulièrement en Prusse. Il ne diffère pas sensiblement de celui employé dans les autres états du nord. Le directeur-général actuel est M. le baron de Nagler.

Le tarif n’est pas dans la proportion de celui de France : la lettre est considérée comme simple au-dessous de quinze grammes ou un loth.

Le directeur-général des postes a fixé la taxe des -107- ports de lettres pour les papiers d’état ayant cours, de manière que, d’après le 37.e article du réglement du 18 décembre 1824, on paie, suivant le cours du jour en Prusse, pour les papiers monnaie de l’étranger et de tous les papiers d’état ayant cours, non un quart, mais un sixième du port fixé pour l’argent par le 32.e article dudit réglement. Quant aux papiers ayant cours, ils pourront être envoyés par la poste à cheval, en lettres recommandées, moyennant le port fixé par les articles 7 et 20 du réglement, sous la condition que le contenu des lettres sera déclaré exactement ; mais sans que la poste le garantisse en aucune manière.

Berlin est la seule capitale de l’Allemagne où il soit question de poste royale ou double.

Quant aux routes de ce royaume, elles sont moins bien entretenues que dans les autres parties du continent. Il faut croire que la nature humide du sol contribue seule à leur donner si peu de consistance, ou que le gouvernement n’a pas encore porté son attention sur cette branche administrative qui devient l’objet des soins de presque tous les potentats de l’Europe. Les relais ne sont établis ni à des distances rapprochées, ni même à des espaces égaux. Il n’est pas étonnant aussi que, vu l’état des routes et les haltes fréquentes des postillons pour reposer leurs chevaux et leur donner de l’eau, on ne voyage pas avec célérité. Il y a tel relais, par exemple de Berlin à Rhemsberg[143], pour lequel 24 heures suffisent à peine. Dans les chemins ordinaires le postillon ne devrait mettre tout au plus qu’une heure et quart par mille. On paie par cheval et par mille 10 gros.

[143] Dix milles.

Les malles des voyageurs qui arrivent aux frontières de la Prusse, par la poste ou avec leurs chevaux, doivent être plombées par les commis de la douane, à moins qu’on ne veuille souffrir qu’elles soient ouvertes et visitées ; ce qui est constaté par un certificat.

Les voitures construites en Prusse se sont répandues par toute l’Europe. On sait que celles appelées berlines ont été inventées par un architecte de ce royaume.

L’Affranchissement des lettres est forcé pour la Prusse.

-108-

RUSSIE.

Anciennement en Russie, au lieu de se servir de chevaux pour les voitures, on y attelait des cerfs. L’usage des traîneaux était plus répandu pour courir la poste. Ces animaux les tiraient avec une telle rapidité, qu’ils faisaient plus de quatre milles par heure.

On a regardé pendant long-tems dans ce pays, comme un crime capital[144], de prendre la voie des voitures publiques, sans en avoir obtenu l’autorisation.

[144] En France, on punissait de mort celui qui se servait des chevaux de poste sans un ordre du grand-maître des postes.

Dans la Finlande et dans la Laponie on employait les cerfs avec beaucoup de succès. Un seigneur allemand, du tems de Charles-Quint, en avait dressé un qui surpassait les chevaux les plus légers en vîtesse. Il le montait lui-même, et en fit l’expérience dans plusieurs courses publiques.

Au reste, ces exemples nous paraîtront d’autant moins étonnans, que nous avons eu beaucoup d’occasions de remarquer en France l’instinct, l’adresse, l’agilité et la docilité de cet animal. Mais il est très-douteux que dans les lieux mêmes où les cerfs sont les plus communs, on les assujettisse à un service régulier comme celui des postes.

Les rennes et les chiens sont également dressés, dans ces contrées glaciales, à tirer les traîneaux destinés aux voyageurs et au transport des dépêches. Il serait difficile de donner une juste idée de la rapidité avec laquelle ils les conduisent.

La poste aux lettres est administrée par un directeur-général ou grand-maître[145]. Le prince Alexandre Galitzin, ministre des cultes étrangers et de l’instruction publique, est le directeur-général actuel des postes de l’empire Russe.

[145] En Livonie, les postes sont sous la direction du corps de la noblesse, et on trouve à chaque relais un commis des postes qui a sous lui un autre employé.

Il y a beaucoup d’exactitude dans le service de la correspondance ; mais le port des lettres est très-élevé, quoique la lettre, d’après le tarif, ne soit considérée -109- comme simple que jusqu’à 15 grammes ou un loth. Ce prix a même augmenté, depuis quelques années, pour subvenir aux frais de la construction d’un nouvel hôtel des postes et d’un autre destiné au grand-maître. Ces édifices, très-remarquables, sont terminés, et la taxe n’a pas encore éprouvé de diminution. Il est à remarquer néanmoins que les postes ne produisent de profit que dans quelques provinces où leur entretien ne coûte rien à la couronne.

Nous pensons que l’obligation de jeter les lettres à la boîte au moins seize heures avant le départ du courrier, est toute au désavantage du public. Ce délai annoncerait que le travail des lettres ne serait pas aussi perfectionné qu’en France, où l’administration se réserve à peine une heure pour le même objet.

La poste se charge des assignations de la banque, et en répond moyennant demi pour cent.

A Saint Pétersbourg, le nombre des voitures de tout genre est plus considérable qu’il ne l’est dans les autres capitales de l’Europe. On distingue surtout le droschky si élégant par son vernis et ses moulures. Il n’est cependant formé que d’une planche sur quatre roues, ce qui lui donne quelque ressemblance aux chars-à-banc de la Suisse.

Parmi les voitures de voyage on remarque le kibitka, espèce de charrette qui a rapport, pour la forme, à un berceau. Elle est ronde en dedans et a cinq pieds de large : on n’emploie pas un morceau de fer dans sa construction.

Le traînage ajoute encore à la facilité de voyager : on fait placer et attacher sa chaise de poste sur les flasques du traîneau ; et, comme les fleuves sont gelés et les routes très-larges, ou avance sans obstacle avec une vîtesse extrême. Ainsi, il n’est pas rare que, sans être arrêté par les distances, on aille dîner à 5 ou 6 milles (10 ou 12 lieues) de chez soi, pour revenir le soir à son habitation.

On compte les distances par werstes. Des bornes élevées, placées d’un côté des routes et peintes de noir et de blanc, font connaître au voyageur la route qu’il parcourt : de l’autre, sont des poteaux plus petits, ordinairement établis deux à deux, sur lesquels se trouve -110- écrit le nom des terres chargées de l’entretien des chemins et des bornes de chaque district. On ne paie nulle part de droits de route. Si l’on ne veut pas attendre aux postes, il faut, dit-on, se faire accompagner d’un bas officier, qui trouve toujours dans sa canne les moyens de stimuler les postillons : il est fort aisé de les obtenir des chefs de corps.

Les chevaux se paient deux copecs par werste, et il n’est rien dû au postillon[146], auquel cependant on donne quelque rétribution. Une voiture ou un traîneau qui contient deux ou trois places, n’est attelé que de trois chevaux. On n’en paie jamais plus qu’on n’en a ; et, même, si l’on est peu chargé, on n’en paie que deux. Cela dépend du podaroschna ou permis que l’on prend en partant, et sur lequel est désigné le nombre de chevaux qu’on emploiera. Il arrive souvent que, malgré les ordres du grand-maître des postes, les maîtres des relais vous rançonnent, surtout aux environs de Saint-Pétersbourg.

[146] Ils ne conduisent pas à cheval, mais ils ne sont pas difficiles sur les moyens de se faire un siége.

Mais, en général, on voyage très-rapidement en Russie, soit en hiver, soit en été ; surtout en Finlande, qui passe pour la partie de l’empire où l’on est le mieux servi par les postes[147]. La vîtesse des chevaux russes est incroyable. Ces animaux sont communément courts ; leur poitrail est large, leur cou, long et maigre, et leur tête est ordinairement moutonnée ; ils supportent bien la fatigue. Les petits chevaux de Livonie sont fameux par leur durée et leur légèreté à la course. Parmi ces différentes espèces de coursiers, il en est une très-renommée dont la vîtesse est passée en proverbe chez les Mongols.

[147] Il y a 4 ou 5 ans que les établissemens de poste ont été construits à neuf dans certaines parties de l’empire. On trouve dans chaque maison trois chambres : une pour les voyageurs, une pour les maîtres de postes et l’autre pour les postillons. Une cour très-propre et entourée de haies, est placée devant chaque maison. Il y a dans chaque station 10 chevaux (autrefois 15 ou 20), et 5 ou 6 postillons russes ou tartares, suivant les lieux.

Les chemins entre les principales villes sont très-beaux, -111- et il n’est pas extraordinaire de courir 250 werstes[148] en 24 heures. On a introduit en Russie, sur certaines routes, entr’autres sur celle de Kamenoi à Ostrow, des ornières (fahrbahoun) en bois, dans lesquelles les voitures roulent doucement et sans bruit. L’entreprise se fait aux frais de l’empereur ; mais les propriétaires seront chargés à l’avenir des réparations, surtout dans les rues des villes.

[148] 36 milles d’Allemagne.

Si l’on voyage à bon compte en Russie par la voie des postes, c’est que le gouvernement supporte, en grande partie, les frais qu’elles occasionnent ; mais la nécessité dans laquelle on se trouve de porter ses provisions et ses équipages, diminue beaucoup cet avantage, parce que les aubergistes ne fournissent que le logement.

Quelques voyageurs préfèrent se servir, au lieu de la poste, des jamtschtschikis ou voiturins russes, qui marchent avec la même diligence, en changeant quelquefois de chevaux de slobode en slobode, chez les voituriers de leur connaissance.

La première classe des paysans serfs, ou paie l’obrok à l’empereur, ou est employée à divers travaux, dans lesquels le service de la poste est compris.

Tout voyageur qui veut obtenir son passeport doit préalablement annoncer son départ, au moins trois fois, dans la gazette du pays. Cet usage, établi en Russie, est commun à plusieurs contrées, et particulièrement aux colonies.

Quant à la facilité de se faire précéder par un courrier pour avoir des chevaux, elle n’a plus lieu.

Les tentatives employées pour multiplier les moyens de correspondre par le télégraphe, se sont bornées à quelques essais infructueux. Il n’en est pas ainsi des établissemens destinés à faciliter les transports de toute espèce entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Outre la poste ordinaire, on vient d’en organiser une accélérée entre ces deux villes. Un pont suspendu à des chaînes de fer a été construit sur le canal de la Moïka[149]. La Russie participe, connue le reste de l’Europe, à l’avantage -112- que procure la navigation par les bateaux à vapeur. Il y en a même en pleine activité jusqu’en Sibérie.

[149] Il sera construit sur les dessins du général Dufour, de Genève.

Chez les Ostyacks, nombreuse peuplade répandue sur les bords de l’Oby, les chiens sont établis par relais comme les chevaux dans les postes.

Les chevaux sont peu communs au Kamtchatka. Ils ne servent que l’été, pour le transport des marchandises et effets de la couronne, ainsi que pour la commodité des voyageurs. Les chiens, en revanche, y abondent, et suffisent à tous ces travaux. L’été est le tems de leur inaction. Ces chiens sont attelés deux à deux à un traîneau ; un seul est à la tête et sert de guide. Leur nombre est proportionné à la charge du traîneau ; il est ordinairement de cinq pour une personne, et se trouve porté quelquefois jusqu’à 45 par suite du luxe de certains voyageurs. Ces traîneaux prennent divers noms, selon qu’ils servent aux voyageurs ou aux marchandises. Ils ont la forme d’une corbeille de trois pieds de long sur un pied de large. On étend une peau d’ours sur le siége. La légèreté de ces voitures est telle, qu’elles pèsent à peine six livres.

On emploie aussi les rennes qu’on attèle deux à deux. Ces animaux sont dressés à courir nuit et jour pendant trois heures consécutives, puis on les détèle, pendant une heure, pour les faire reposer et les laisser paître. Au bout de ce tems elles repartent avec la même ardeur, et achèvent ainsi leur route avec une extrême diligence.

Près de la Léna, les postes se comptent par stations. Celles-ci sont de 30, 40, 50 et même de 80 werstes. Les frais de poste n’en sont pas pour cela plus considérables ; un homme se paie comme un cheval. Qu’on juge de la peine des malheureux condamnés à faire le service de la poste, c’est-à-dire, à traîner les bateaux d’une station à l’autre, dans l’espace de 1200 werstes. Cette terrible corvée fait la punition des exilés et des malfaiteurs ; ils partagent ce travail avec des chevaux. Le seul soulagement que cet affreux métier vaille à ces forçats, se réduit à quelques mesures de farine que le gouvernement leur accorde.

Les Russes qui voyageaient par ordre de la cour, sur les frontières de la Sibérie, où les maîtres de poste le -113- plus souvent ne savent pas lire, étaient munis, autrefois, d’un passeport tout particulier. Il consistait en cordes passées au travers d’un sceau, auxquelles on faisait des nœuds, de sorte que les maîtres de poste, pour connaître le nombre de chevaux qu’ils devaient fournir, n’avaient qu’à compter les cordes et les nœuds.

La poste ne sert en Pologne que pour les lettres et paquets. Elle fut établie par ordre de la république, sous le règne de Ladislas IV. Avant ce tems, les ordres du roi étaient portés par les gentilshommes de la cour, qui se faisaient donner des voitures par les Starostes.

Il faut porter tout avec soi, quand on voyage dans ce pays, soit en chaises ou en chariots. C’est dans ces derniers que les grands seigneurs font placer leurs effets. La construction de routes ferrées y est achevée sur un espace de plus de 66 milles d’Allemagne. Celle des routes de Varsovie aux frontières de la Prusse le sera incessamment, et offrira sur cette ligne, qui traverse toute la largeur du royaume depuis Kalish jusqu’à Brzesc, 60 milles d’une communication non interrompue, ce qui rendra les relations plus faciles et moins coûteuses, puisque les relais de poste et de roulage emploient déjà moitié moins de chevaux qu’auparavant. Il y a eu des constructions semblables dans les palatinats de Cracovie, de Lublin, de Ploclk et d’Augustow ; on remarque encore celle de 523 ponts, parmi lesquels celui de Z’lotorya, réunissant sur la Narew les limites de l’empire et du royaume, a été fait aux frais communs des deux gouvernemens.

Les lettres pour la Russie et les provinces qui en dépendent, expédiées de France, peuvent être affranchies, mais non pas jusqu’à destination, tandis que celles de l’intérieur de l’empire ne peuvent y circuler sans être soumises à l’affranchissement.

TURQUIE D’EUROPE ET AUTRES PROVINCES MÉRIDIONALES.

Dans la Turquie d’Europe, en Valachie et en Moldavie, les voitures le plus en usage parmi les personnes riches, sont les calèches allemandes, qu’on fait venir à grands frais de Vienne.

-114- La manière de voyager dans ces contrées est tellement expéditive, que celle d’aucune autre nation ne peut lui être comparée. L’organisation des postes y est assez bonne : ceci ne doit s’entendre que des chevaux, car, pour le reste, il n’y a rien de pire. Au lieu de chaises on ne trouve que des chariots incommodes auxquels on attèle avec des cordes quatre chevaux guidés par un postillon, lesquels partent au grand galop, et ne s’arrêtent ni ne ralentissent le pas qu’à la poste suivante ; quelque tems avant d’y arriver, le postillon s’annonce par les claquemens de son fouet, et aussitôt un nouveau chariot, conduit par d’autres chevaux, se trouve prêt et ne cause aucun retard aux voyageurs.

Les préposés pour l’entretien des routes se nomment sermiens : celle de Vienne à Constantinople est bien ferrée.

Les maîtres de poste fournissent les chevaux et les hommes assujettis à cette corvée qui leur tient lieu d’impôt. On trouve souvent un pandour à la tête des relais. Lorsque le maître de poste ne peut fournir les chevaux nécessaires à la course, les habitans sont tenus d’y suppléer à leurs frais, car on a, dans la Moldavie, la barbare coutume de s’emparer, pour le service public, de tout ce qui se rencontre, bœufs, chariots, chevaux, etc., sans rien payer. On les enlève aux paysans dans les villages, aux voyageurs sur les grands chemins, aux étrangers même qui se trouvent sur la route, et on ne les leur rend que lorsqu’on n’en a plus besoin, en supposant que les voitures ne soient pas brisées et les chevaux crevés de fatigue.

Sous la dénomination commune de tartares, sans distinction d’origine, on comprend les courriers de ces contrées, où le service de la poste aux lettres se fait assez régulièrement. Celui de la poste aux chevaux cesse à Andrinople. On ne peut continuer sa route jusqu’à Constantinople, qu’au moyen de marchés particuliers avec les propriétaires de chevaux ; ce qui devient arbitraire et coûteux. Les courriers sont ordinairement accompagnés de janissaires. Les postes ne se comptent plus aussi par milles, mais par la distance de chemin qu’un chameau peut parcourir en une heure.

A Constantinople, on loue un bateau comme ailleurs -115- on louerait une voiture. Ces embarcations élégantes, ornées de sculpture et de dorures, sont conduites avec une adresse remarquable par les matelots turcs.

L’affranchissement est de rigueur pour tous ces lieux.

PAYS-BAS.

L’organisation des postes y a varié souvent depuis l’époque où ces provinces ont cessé d’être régies par les princes de la maison de Taxis. En 1807, la Hollande était divisée en cinq arrondissemens. Les cinq directeurs particuliers qu’on y avait placés, dépendaient d’un directeur-général des postes, auquel étaient adjoints trois conseillers et un secrétaire-général. Le tarif de France, qu’on avait adopté pour la taxe des lettres, y est encore en usage.

Les bâtimens destinés au transport des dépêches, des marchandises et des voyageurs, se nomment treckschuyten de Beurtschipen : ils font quatre milles à l’heure. Les Hollandais calculent la route de leurs embarcations, non par le nombre de milles parcourus, mais par celui d’heures écoulées. Des chevaux les tirent le long des canaux, et sont conduits par des jeunes gens appelés chasseurs (hitjagertje), qui portent, au lieu d’un cornet de poste, une corne de bœuf pendue à l’épaule, dont ils se servent, soit pour donner le signal du départ, soit pour faire lever les ponts qui se trouvent sur les canaux, soit, enfin, pour avertir les bateaux qui pourraient se trouver sur leur passage de se tenir sur le côté opposé du canal. Ce moyen rend les communications de l’intérieur très-faciles. Le gouvernement, aux frais duquel ces bâtimens sont entretenus, exige qu’ils marchent avec une ponctualité extraordinaire.

S’il en coûte peu pour voyager de cette manière, il n’en est pas ainsi des chaises de poste[150].

[150] On paie ordinairement 36 florins pour sept chevaux, depuis Breda jusqu’à Gorcum, et trois florins et demi par cheval, de Gorcum à Utreck.

Cette sorte de voiture a la forme d’une calèche couverte et très-courte, ayant, au lieu de timon, une pièce de bois semblable à une corne ou à un arc, placée entre les roues de devant, et sur laquelle le conducteur s’appuie les pieds pour donner à la voiture, par cette -116- pression, la direction nécessaire dans les chemins plats. Les chevaux ne sont attelés qu’avec des cordes, et l’on en met souvent trois de front. Si l’on descend un pont dont la pente est rapide, le voiturier place les pieds sur la croupe de l’un des chevaux, et retient ainsi la voiture tout le tems convenable.

Les voitures, dont on fait usage à Amsterdam, sont, ou des carrosses de louage à 4 roues, ou des cabriolets à deux roues et à deux chevaux, ou, enfin, des schleen, c’est-à-dire des caisses de voitures posées sur un traîneau et tirées par un cheval.

Le service des postes, qui se fait en grande partie par eau[151], ne peut que devenir plus régulier par l’établissement des bateaux à vapeur[152].

[151] Beaucoup de maisons de campagne ont une petite boîte en bois, placée près des canaux, où l’on jette en passant les lettres et paquets adressés à ceux qui y résident.

[152] C’est en 1824 que la société des bateaux à vapeur a été installée à Rotterdam. Peu de tems après, le bateau destiné à la correspondance, entre Amsterdam et Utreck, a commencé son service. La distance de l’une de ces villes à l’autre est de huit lieues, et le trajet se fait, dit-on, en trois heures et demie. Plusieurs bateaux ont été employés successivement depuis aux communications intérieures, et à naviguer entre la Hollande et Hambourg. Celui établi sur le Rhin, s’appelle le Colonais. Il est en fer ; sa force est égale à celle de cent chevaux, sa capacité a celle de 60 à 80 lastes, et sa profondeur dans l’eau est de trois pieds et demi. Il met 4 ou 5 jours pour se rendre à Cologne. Le Zeew, autre bateau à vapeur, est destiné pour les relations entre Anvers et Cologne.

Peu de tems après, cette même société tint une assemblée générale d’actionnaires, et nomma l’administration qui doit régir cette nouvelle association. Elle a déjà donné beaucoup d’extension à son entreprise, et augmenté son capital d’un million de florins.

Si les canaux facilitent si utilement les moyens de correspondre, les routes de la Hollande n’y contribuent pas moins. Elles sont superbes, plantées de plusieurs rangées d’ormeaux et couvertes de voitures de toute espèce. Le produit des taxes prélevées aux barrières, qui y sont établies, sert à les entretenir. La surface plane de la Hollande contribue beaucoup à leur solidité et à leur propreté. Il n’en est pas ainsi des chemins vicinaux, à peine praticables dans la plus belle saison.

-117- On raconte, comme un trait de la simplicité des mœurs des habitans de la Haye, que, lorsque Louise de Coligny vint épouser le prince Guillaume, les magistrats de la ville lui envoyèrent un chariot de poste ouvert, dans lequel elle fit son entrée, croyant sans doute remplacer, par l’accent du cœur, les vaines solennités d’une froide étiquette.

Ou emploie fréquemment les chiens à traîner des charrettes chargées de provisions et de marchandises. Les chèvres, attelées à de petites voitures, transportent aussi de très-lourds fardeaux. On est étonné du poids que ces animaux font mouvoir, et de la docilité qu’ils montrent dans un exercice qui semble si peu approprié à leur force et à leur conformation.

L’affranchissement pour ce royaume est volontaire.

DE LA SUÈDE, DE LA NORWÈGE, DU DANNEMARCK ET DE QUELQUES AUTRES PARTIES DU NORD.

Dans le Holstein on a un soin extrême des chevaux. Les voituriers et les cochers sont toujours pourvus de deux couvertures dont ils s’enveloppent eux-mêmes pendant la route, et dont ils couvrent leurs chevaux lorsqu’on s’arrête, quoique ce soit la partie de l’Allemagne où on les charge le moins.

Le péage du Sund est une des branches du revenu du Dannemarck. Il y a des fanaux établis pour les endroits dangereux ; d’autres feux brillent en divers lieux de la côte pour guider les voyageurs dans les nuits obscures et orageuses.

Le passage du Belt est d’un demi-mille ; on le fait en très-peu de tems. Il y a dans le grand Belt deux postes télégraphiques, et il est permis aux voyageurs de s’en servir, pour accélérer leur marche, en faisant préparer les relais d’avance. Dans ce cas, ils paient 24 schellings lubs pour chacun des deux inspecteurs. C’est à ce seul usage que s’est réduit l’emploi de ce genre de télégraphe, qui n’a pu être étendu à cause de son imperfection.

En Dannemarck, comme en Prusse, les routes sont assez mauvaises ; il n’y a d’autre différence que celle du droit de barrière qui n’y est pas introduit. Mais les -118- paysans ont à leur charge la réparation des chemins, des ponts, et doivent fournir des chevaux et des voitures au roi, à ses ministres ou à ses grands officiers lorsqu’ils voyagent.

Il est accordé, par le réglement, une heure au maître de poste pour apprêter ses chevaux : on n’attend jamais au-delà. Les postillons sont très-actifs. Ils ont une feuille qu’ils doivent présenter aux maîtres de poste, lorsque ceux-ci l’exigent, où l’heure du départ est indiquée ainsi que les plaintes qu’on a pu porter contr’eux.

Le prix des chevaux[153] varie quelquefois. Il est communément de 16 schellings par mille et par cheval.

[153] Ceux de Seeland sont très-renommés. Dans l’île de Fionie, en été, on ne paie que 10 shellings par cheval ; mais, en hiver, on donne quelques schellings de plus. Il y a en outre les droits de barrières de 2 schellings par mille.

Le revenu des postes qui, depuis le roi Frédéric VI, entre dans la caisse du roi, monte à 200,000 rixdalers et même au-delà.

La poste, en Norwège, est une institution qui ne remonte pas plus haut que 1783. Les bureaux de poste étaient communément chez les pasteurs, qui ouvraient les paquets et prenaient les lettres appartenant à leurs districts : ils en tenaient note sur des registres destinés à cet usage.

Les cabriolets, dans cette partie, sont dans le genre italien et très-jolis : les femmes les conduisent elles-mêmes avec beaucoup de grâce et de facilité sur les routes généralement très-belles.

En Suède, tout paysan est postillon ; il n’est pas même un enfant qui ne soit en état de mener une voiture. La nécessité lui en fait une loi, puisqu’il n’existe pas de relais, et que, obligé de fournir les chevaux pour le transport des dépêches et des voyageurs, il est contraint, par la même raison, de les conduire.

Quand un voyageur arrive à une station de poste, on prévient le paysan dont le tour est venu de marcher. Celui-ci le conduit à un mille ou deux milles (3 ou 6 lieues), d’après la distance où il se trouve lui-même de son habitation. Un autre le remplace ; c’est ainsi qu’il parvient à sa destination. Pour éviter les retards qu’entraînerait -119- naturellement cette manière de voyager, il est d’usage de se faire précéder 5 ou 6 heures d’avance par un messager. En prenant cette précaution, on peut parcourir de grandes distances sur les routes de la Suède, comparables à celles de l’Angleterre par leur solidité et leur agrément.

Il est peu de pays où l’on voyage à meilleur marché qu’en Suède. Mais, pour prévenir les inconvéniens causés par les cordes qui servent à attacher les chevaux, et qui ont besoin d’être renouvelées souvent, il faut se précautionner de harnois. On n’a pas d’ailleurs le choix des moyens de transport, puisque le royaume est encore privé de la ressource des voitures publiques.

Le gouvernement est instruit très-exactement de tout ce qui concerne les voyageurs, qui sont tenus d’inscrire sur le dagbok, qu’on leur présente à chaque station, leurs noms, leurs professions, le lieu d’où ils viennent, celui où ils se rendent, le nombre de chevaux qu’ils prennent, et les plaintes qu’ils ont à faire du postillon. Ce livre est remis tous les mois aux gouverneurs de chaque province.

Tous les passages des rivières sont servis, en été, par des bateaux courriers ; en hiver, par des traîneaux et des chevaux. Il y a des espèces de télégraphes établis pour ces divers services.

Le service de la poste se fait aussi en Suède par deux bateaux à vapeur, l’un établi entre Christiana et Christiansand, et l’autre entre Fredericsvaern et l’île de Suland.

En 1796, on augmenta le prix des chevaux. Ils coûtaient 4 schellings : ce prix fut doublé. Du reste, il varie suivant les lieux[154]. Les chevaux suédois, quoique petits et maigres, courent avec vîtesse et font un mille à l’heure.

[154] On paie 16 schellings à Stockholm, et 12 sch. dans quelques autres villes.

On compte déjà plusieurs bateaux à vapeur[155] dans -120- ce royaume, où de grands travaux[156], entrepris dernièrement, ont contribué à multiplier les relations intérieures.

[155] M. Owen vient d’inviter le public à un voyage de plaisir dans son bateau qui doit se rendre à Saint-Pétersbourg. Il abordera à Penlenhost et y restera 6 jours pour jouir des fêtes qui s’y célèbrent tous les ans pour l’impératrice mère. Ce voyage durera trois semaines. Chaque passager paiera cent écus de banque de Suède ; il pourra demeurer tout le tems du voyage dans le bateau.

[156] Le total des journées pour ces divers ouvrages d’utilité publique, dont les six septièmes ont été faits par l’armée, s’est élevé à 7,758,899 journées.

Les chemins établis à travers les Fjalls (montagnes qui séparent la Suède de la Norwège), les routes, l’une par le Jutland, l’autre par la province de Daulwand, et la troisième par celle de Wermland, qui facilitent de nouvelles communications, ont été achevées en 1823 ; et un grand pont de bateaux a été jeté sur un bras de mer nommé le Semsund, situé sur les frontières de la Norwège et de la Suède.

On évalue à peu près à 418,000 francs le revenu que les postes rendent au roi.

Ce service recevra une grande amélioration, si le projet proposé par M. Kemner, négociant à Stockholm, et adopté par le gouvernement, d’établir une petite-poste à l’exemple des principales capitales de l’Europe, se réalise.

L’affranchissement pour ces états est libre.

ANGLETERRE.

Les postes en Angleterre, en Irlande et en Ecosse, dépendent du roi. Un acte du parlement, par une exception unique, en avait attribué les produits au duc d’York, qui, depuis, occupa le trône sous le nom de Jacques II.

Au commencement du siècle dernier elles étaient régies par un administrateur sous le titre de député. Il résidait à Londres, et avait sous lui près de quatre-vingts officiers, dont les fonctions étaient, ou de participer au travail des lettres, ou d’en avoir la surveillance. Il n’existait alors que cent vingt-deux bureaux de poste. Le bureau principal de l’Irlande était à Dublin. A la fin du même siècle, la même administration entretenait 170 malles-postes, 4500 chevaux, et comptait 3000 employés chargés de la distribution des lettres -121- dans l’intérieur, outre celles qui étaient transportées par de nombreux paquebots expédiés pour les principaux points du continent.

Comme le service extérieur ne pouvait avoir lieu que par mer, ce député, ou grand-maître des postes, entretenait six bâtimens appelés paquebots, pour les relations établies, deux fois la semaine, avec la France, la Hollande et l’Irlande.

Les améliorations survenues dans l’état des postes de ce royaume, s’expliquent par l’activité du peuple le plus industrieux et le plus commerçant de l’Europe, et surtout par le bon état des routes dont cette île est parfaitement coupée en tous sens, quoique aucune ne soit pavée[157].

[157] Les rues des grandes villes sont seules pavées ; mais les routes sont bien ferrées et particulièrement bien entretenues.

Il paraîtrait, d’après l’ouvrage de M. J.-L.-M. Adam[158], qu’il se serait introduit quelques abus dans cette partie.

[158] Publié en France, en 1824, sous le titre de Remarques sur le Systême des Chemins.

Une des causes du mauvais état des routes, dit-il, vient du défaut de surveillance d’où résulte le mauvais emploi et le gaspillage des fonds destinés à les entretenir, la nécessité d’augmenter la taxe des péages, ce qui n’empêche pas que les commis aux barrières (turn-pikes) ne soient chargés de l’énorme dette de sept millions de livres sterlings[159], quoique le compte rendu annuellement au parlement présente, pour les péages, une somme de recette qui excède le revenu de l’administration des postes.

[159] 170 millions environ.

Dès 1811, le même auteur avait présenté des considérations sur l’état de quelques routes abandonnées par les malles-postes. L’ancienne méthode, dit-il encore, fut reconnue vicieuse par les savans, les ingénieurs, les hommes les plus intéressés aux succès de leurs recherches, tels que les entrepreneurs de roulage, de malles-postes, consultés sur cette matière délicate et importante.

Ces vérités, clairement démontrées, ont fixé l’attention du gouvernement anglais, toujours prêt à seconder efficacement -122- les mesures qui offrent quelque utilité[160]. Le systême de M. Adam (déjà connu en France et appliqué à quelques routes du Languedoc et du Simplon) a été adopté, et les routes[161], devenues plus solides, conservent une surface toujours unie, sur laquelle les diligences roulent sans obstacles et font quatre lieues à l’heure, même dans les montagnes de l’Ecosse et du pays de Galles.

[160] M. de Chambert vient d’obtenir un brevet d’invention pour une nouvelle méthode propre à donner au pavé des rues et des grandes routes une solidité, une propreté à laquelle on n’avait pu atteindre.

[161] Depuis le bill provoqué par M. Frenuk, celles de l’Irlande sont dans un état très-florissant. On croit qu’il a été dépensé en constructions et en réparations, en conséquence de ce bill, la somme énorme de plus d’un million sterling. La taxe des routes n’y est que la moitié de celle d’Angleterre.

C’est sous le règne de la reine Elisabeth que l’usage des voitures a commencé en Angleterre, et que celui des courses de chevaux y a été introduit. Ce goût s’y est tellement répandu depuis, qu’en 1767 le nombre des chevaux, qui était de 500 mille (Londres seulement y entrait pour un cinquième), peut être évalué au triple aujourd’hui[162].

[162] On compte 148,788 personnes entretenant un cheval de luxe ; 23,493 en entretenant deux ; 15,000 de 3 à 8 et 1168 qui en entretiennent plus de huit.

En Irlande, dit Arthur Young, on porte le nombre des chevaux jusqu’à la folie.

Il n’est pas de contrée où les voitures publiques soient plus commodes, plus propres et plus multipliées qu’en Angleterre. Elles ne sont destinées que pour les voyageurs ; les marchandises et les effets étant transportés à part. On sait qu’en France on suit un autre usage. Aussi, nos diligences, dont le poids est énorme, quoique plus perfectionnées dans ces derniers tems, sont exposées à verser plus facilement, eu raison de la surcharge qui détruit l’équilibre qu’on tenterait vainement de maintenir dès que le plus léger obstacle se rencontre.

A toute heure du jour il part de Londres, dans toutes les directions, pour les extrémités du royaume, deux cents voitures publiques, sans compter celles qui ne dépassent -123- pas la distance de quinze ou vingt milles. Un même nombre y arrive dans le même espace de tems. On a été jusqu’à calculer que 1100 voitures de toute espèce passaient journellement par le bourg de Southwark, qu’on peut regarder comme un des faubourgs de Londres. La Tamise est couverte de bateaux de louage qui servent à communiquer plus facilement sur tous les points de cette capitale. On en fait monter le nombre à plus de mille. Celui des fiacres est aussi considérable[163], et l’on compte plus de quatre cents chaises à porteurs.

[163] En 1765, le nombre des voitures à 4 roues était de 12,904. En ce moment, il est de 26,799, indépendamment de celles à deux roues, qui sont de 45,856. A la première de ces époques les carrossiers de Londres étaient au nombre de 36 et employaient 4000 ouvriers ; aujourd’hui, 135 emploient 14,000 ouvriers. On compte 1000 fiacres à Londres.

Les Anglais, toujours habiles à profiter des inventions des Français et à se les approprier même, parce qu’ils les ont perfectionnées, prétendent qu’on leur doit l’usage des fiacres et des chaises à porteurs ; et que ces dernières ont été apportées en France par un nommé Montbrun, bâtard du duc de Bellegarde.

Le transport des dépêches se fait par des voitures publiques ou malles-postes qu’on peut regarder comme la première entreprise en ce genre. Elles sont formées d’une caisse commode à quatre places. Une caisse suspendue, qui fait le prolongement de la première, sert de siége au cocher et contient sur le devant une partie des lettres et paquets destinés pour les points intermédiaires de la route ; le reste est déposé dans une troisième caisse, prolongée sur le derrière et sur laquelle est assis un gardien-armé. Le courrier et le gardien peuvent placer, chacun, deux personnes à leur côté. Huit personnes montent sur l’impériale, ce qui, donnant un total de dix-huit voyageurs, ne nuit en rien à la vîtesse de cette voiture qui fait trois lieues par heure. Elle est attelée de quatre chevaux très-beaux et très-vigoureux. Le service a lieu avec tant de régularité, qu’on peut calculer, presque à la minute, l’arrivée de la malle-poste[164]. A la disposition de l’impériale près, nos malles-postes ont beaucoup de rapport avec ces voitures.

[164] La malle-poste de Londres à Edimbourg fait ce trajet en 36 heures, c’est-à-dire, plus de 10 milles à l’heure. En 1712, il fallait 13 jours pour faire ce voyage.

-124- L’organisation actuelle du service est due à M. Palmer. Avant lui, le transport des dépêches et des fonds, qui avait lieu, par le moyen de carrioles en osier, n’offrait ni la sécurité ni la régularité et ni l’activité qu’on y trouve généralement aujourd’hui.

Les changemens qu’il proposa en 1782, et qui furent adoptés par le célèbre Pitt, remédièrent à tous les inconvéniens[165] et n’ont point subi de modifications notables depuis. Il en résulta autant d’avantages pour le gouvernement anglais que pour M. Palmer, qui obtint en outre la place importante de secrétaire-général de l’administration à laquelle il avait donné une si heureuse impulsion.

[165] Il est bon d’observer, pour ne pas accuser les correspondans de négligence, qu’à cette époque la poste était beaucoup plus tardive qu’elle ne l’est depuis l’ingénieuse invention de M. Palmer. Quant à l’honnête Dinmont, comme il recevait à peine une lettre tous les trois mois, à moins qu’il n’eût quelques procès (car alors il envoyait régulièrement une fois par semaine à la poste), les paquets à son adresse demeuraient un mois ou deux sur la fenêtre du directeur de la poste, au milieu des pamphlets, des chansons, et des morceaux de pain d’épice, suivant l’état qu’il exerçait. D’ailleurs, on avait alors l’usage, et il n’est pas encore entièrement perdu, de faire voyager les lettres d’un bureau à l’autre, quelquefois à la distance de 30 ou 40 milles, avant de les délivrer, ce qui avait l’avantage de mettre les lettres sous les yeux des curieux, d’augmenter la recette des directeurs, et de mettre la patience des correspondans à l’épreuve. Il n’est donc pas surprenant que Brown attendit, et inutilement pendant plusieurs jours, une réponse ; et, malgré son économie, sa bourse était vide, lorsque le jeune pêcheur lui rendit la lettre qui suit.

(Guy Mannering, Walter-Scott.)

Lord Chichester est directeur-général des postes anglaises, et sir Francis Ycelin secrétaire-général. L’hôtel où cette administration est établie à Londres, est un bâtiment remarquable. La petite-poste, ou peny post, fait parvenir avec célérité, dans l’étendue de la banlieue, tout paquet n’excédant pas le poids d’une livre, et jusqu’à la valeur de dix livres sterlings en argent, pour lesquels l’envoyeur payait un pence[166]. C’est de là que venait le nom de peny post, ou poste d’un sou. Le bureau général répond de la perte des paquets. Ce service -125- se fait huit fois par jour par six bureaux principaux, et plus de quatre cents petits qui leur sont subordonnés.

[166] Aujourd’hui deux pences.

La nation est redevable de cette invention à un négociant nommé Docwra, qui, en 1680, l’exécuta à ses frais. Mais, lorsqu’il espérait retirer le fruit de son industrie, le duc d’York, à qui Charles II, comme nous l’avons observé, avait attribué le produit des postes, lui fit un procès pour avoir usurpé ses droits, et lui ôta le peny post. C’est aujourd’hui un revenu de l’état qui peut être porté à 40 mille livres sterlings environ.

Une lettre est simple lorsqu’elle est composée d’une feuille de papier, quel qu’en soit le poids ou la dimension ; mais le port en est doublé par la plus légère addition[167]. On ne suit plus, comme en France, de progression calculée, en raison du poids et de la distance, avec un grand esprit de justice.

[167] Une lettre sous enveloppe, au lieu d’un schelling, en paie deux, ne contînt-elle qu’un quart de feuille. C’est sans doute le taux élevé du port des lettres qui a valu à la pairie la prérogative remarquable d’exempter de la taxe toute lettre revêtue sur sa suscription de la signature d’un pair anglais.

Un paquebot, venu dernièrement des mers du Levant en Angleterre, apporta quelques numéros de la gazette grecque de Missolunghi. Le paquet ayant été taxé aux bureaux des postes comme lettre, le port de ces gazettes[168] s’est élevé à soixante-dix-sept livres sterlings[169]. On juge, d’après cela, le revenu que le gouvernement anglais retire des postes. Il est d’autant plus considérable, que les dépenses qu’elles occasionnent sont couvertes par les recettes des voyageurs. Ce produit a reçu des améliorations importantes dans l’intervalle d’un siècle. En 1644[170], elles rapportèrent 3,000 livres sterlings ; -126- et, en 1764, le parlement les afferma 432,048 livres sterlings. Depuis ce tems, elles ont monté successivement à 700,000 livres sterlings. On prétend qu’elles s’élèveront à 1,500,000 livres sterlings en 1825.

[168] Un compte rendu à la chambre des communes de 1815, apprend qu’il se distribue chaque jour à Londres 20,000 exemplaires de journaux du matin ; 15 à 20 mille de ceux du soir ; 22 mille autres de deux jours l’un ; et 70,000 le dimanche.

[169] 1912 francs 50 centimes environ.

[170]

La poste aux chevaux n’est pas établie, comme en France, à des distances marquées, et les relais ne sont pas tenus par des maîtres de poste spécialement chargés de ce service. Tout aubergiste qui a une grande maison est maître de poste, moyennant un droit de licence annuel calculé sur le nombre de chevaux et de voitures qui lui appartiennent. Il loge et transporte à la fois les voyageurs. Les postillons sont ordinairement des jeunes-gens de 16 à 18 ans ; leur costume est élégant, et leur équipage est leste et d’une propreté remarquable. Ils sont, dit-on, généralement polis : cette qualité les distingue encore de leurs semblables chez lesquels on la rencontre rarement ailleurs.

Des bornes milliaires sont établies sur les routes pour en marquer exactement la division. Les frais de poste se paient selon la quantité de milles parcourus[171], dont trois font à peu près une lieue de France.

[171] En 1755 on payait 9 sous d’Angleterre, par chaque mille, pour une chaise de poste et deux chevaux ; et l’on donnait 6 sous d’Angleterre au palefrenier qui attelait les chevaux à la chaise, et un schelling au postillon. Ces voitures sont légères, à 2 places, et suspendues sur ressorts avec des portières à glaces. Aujourd’hui, le prix le plus modique, pour cette manière de voyager, est d’un schelling par mille, par couple de chevaux, et même de 15 à 18 pences. Qu’on ait une voiture, ou qu’on en prenne une à la poste, cela n’influe en rien sur le prix. On paie communément, d’une poste à l’autre, plus de milles anglais que n’en porte le livre de poste. Cette différence provient de la colonne milliaire qui n’est pas toujours placée au relais.

Quelles ressources l’Angleterre n’a-t-elle pas retirées des machines à vapeur perfectionnées par James Watt, qui en fit la première expérience en 1790. Elles représentent aujourd’hui une puissance de 320,000 chevaux, égale à celle de 1,834,000 hommes, d’où il suit que, si -127- l’on n’employait pas en Angleterre ce moteur, et que l’on voulût produire une quantité d’objets manufacturés égale à celle qu’on obtient, il faudrait non-seulement augmenter la population de 2 millions d’hommes environ, mais il faudrait encore dépenser en fabrication, outre les dépenses actuelles, une somme effrayante de plus de 6 milliards. Ce procédé a été appliqué à la navigation, et les bâtimens qui transportent les dépêches sont des bateaux à vapeur. Le trajet de Douvres à Calais[172] se fait ordinairement en trois heures. Les paquebots à vapeur sont de jolis bâtimens, du port de 60 à 80 tonneaux, qui abordent en France, à Calais, à Boulogne et à Dieppe ; en Allemagne, à Emden et Cuxhaven ; et, en Hollande, à Ostende[173] et à Hellevoetsluys.

[172] 25,633 pas géométriques.

[173] Ce trajet se fait en 16 heures. Celui de Londres à Cuxhaven a été fait, par le bateau à vapeur le Hylton Joliffe, en 82 heures. La distance est de 160 lieues.

M. Harisson Wilkinson est auteur d’un projet qui, s’il réussit, promet des avantages incalculables pour la grande navigation, en employant la machine à vapeur perfectionnée par Perkins, qui n’exige qu’une très-petite quantité de charbon. Il pense qu’on pourrait communiquer facilement avec les Indes Orientales par le Cap-Bonne-Espérance, où l’on établirait un dépôt de combustibles. Mais son principal but est d’y arriver en trente et un jour par la Méditerranée, et de donner à ses paquebots la régularité du courrier. Voici le chemin qu’il trace et les calculs qu’il forme sur la durée du trajet :

De Falmouth à Gibraltar,
1200
milles,
5
jours.
De Gibraltar à Rosette,
2170
id.,
9
id.
De Rosette à Bulac ou au Caire,
110
id.,
1
id.
Du Caire à Suez par terre,
70
id.,
2
id.
De Suez à Bombay par la mer rouge,
3300
id.,
14
id.
 
6850
id.,
31
id.

Cette idée a pris de nouveaux développemens, et l’on pense sérieusement à la réaliser[174] pour établir, par un -128- moyen si commode et si rapide, une communication entre l’Angleterre et ses colonies de l’Inde.

[174] Une compagnie s’est formée à Londres dans cette vue, et fait déjà un fonds de 300 mille livres sterlings dans lequel les négocians de Calcutta participent pour 10 mille livres sterlings. Ces derniers sont d’autant plus intéressés à la réussite de cette entreprise, que leurs essais dans ce genre ont eu d’heureux résultats.

Presqu’en même tems une autre compagnie, à Londres, s’occupait de correspondre ainsi avec les Etats-Unis. On présume que le trajet pourrait avoir lieu en moins de quinze jours. Enfin, le service des paquebots, entre Buenos-Ayres et l’Angleterre, est en activité. Il a été autorise par un décret rendu sur la proposition du consul-général de sa majesté britannique.

La voiture mécanique dont nous avons parlé dans le cours de cet essai, comme étant mise en mouvement sans le secours des chevaux, cessera d’être une merveille à nos yeux lorsqu’on y aura adopté le feu comme moteur. Ce n’est encore, comme nous l’avons vu, que l’imitation d’un procédé tenté en France en 1763. La machine à vapeur appliquée, par M. Gough, aux voitures, produira l’effet de ces vaisseaux qui parcourent les mers comme par enchantement. Cette voiture fera, par ce moyen, deux lieues à l’heure[175], et recevra plus de vîtesse quand on se sera assuré de la solidité du mécanisme. Un enfant suffira pour lui donner toutes les directions possibles.

[175] Il se forme à Londres une compagnie pour la distribution du gaz locomotif, dont l’expérience, faite sur la diligence d’Yorck, a eu pour but de diminuer le poids des voitures occasionné par le charbon, et de donner plus d’accélération à ces voitures. M. Brown, l’inventeur, se regarde comme sûr de la faire rouler, tant en montant qu’en descendant, sur le pied de dix milles par heure, 3 lieues et demie. Cette méthode présente une économie de moitié sur les moyens employés actuellement. Il doit donc en résulter une diminution égale sur les places. On prétend même que chaque voyageur ne paiera qu’un pence [2 sous] par mille.

Dans ce siècle, si fécond en inventions de tous genres, on vient encore de proposer, en Angleterre, de remplacer l’usage des routes ordinaires par celui des chemins à ornières en fer, et d’employer la machine à vapeur au lieu de ces immenses attelages qui servent à transporter les hommes et les marchandises[176]. A peine -129- une idée nouvelle est-elle mise au jour, qu’elle ne tarde pas à subir des développemens considérables ; et l’on voit que cette invention, bornée d’abord à de simples voitures va s’étendre à celles destinées à toute espèce de transports[177]. La distance de Londres, aux principales villes de l’Angleterre, serait réduite d’un quart et même d’un tiers, par des chemins en fer dans une ligne directe, et dégagée des nombreuses sinuosités qu’il faut -130- suivre. La poste de la capitale à Manchester, Liverpool et Leeds, arriverait en 12 heures, et il ne lui faudrait pas 24 heures pour atteindre Glascow et Edimbourg. Combien n’abrégerait-on pas encore ces voyages par les ponts suspendus à des chaînes en fer, tel que celui de la vallée de Tewd.

[176] On peut juger de la supériorité de ces routes sur les autres, par le tableau des efforts que doivent faire les chevaux, suivant la nature de chacune d’elles. On suppose une voiture à 4 roues, chargée de 8000 livres pesant, sur une route bien entretenue, que 3 chevaux traîneraient lorsqu’il en faudrait 25 sur une route dégradée.

Route en fonte coulée, 1/4 de cheval.

Id. en pavés de dalles très-unies, 2 chevaux et 1/2.

Id. en pavé de grès, 3 chevaux.

Id. en blocaille raboteuse, 6 chevaux.

Id. En terrain naturel crayeux, 15 chevaux.

Id. en terrain argileux, 25 chevaux.

[177] Tous les journaux [oct. 1825] s’accordent à dire que l’ouverture de la route en fer de Darlington à Stockton [comté de Durham] vient d’avoir lieu un grande pompe. Une grande quantité de chariots chargés, les uns de houille, les autres de farine, d’autres enfin d’ouvriers et de curieux, sont arrivés, traînés par des chevaux, au bas du plan incliné que forme la première portion de la route. Là, les chevaux ont été dételés. Au haut du plan incliné, dont la longueur est d’une demi-lieue, on a établi, à poste fixe, deux machines à vapeur, chacune de la force de 30 chevaux, destinées à faire monter les chariots. 12 chariots, chargés chacun de deux tonneaux [quatre milliers] de houille, et un treizième portant une grande quantité de sacs de farine, et tous les 13, en outre, couverts d’autant d’hommes qu’on avait pu en placer, atteignirent le sommet de la route en 8 minutes. Arrivés là, ils furent attachés, à la queue les uns des autres, à la machine à vapeur locomotive, qui devait les tirer dans la descente. D’autres chariots, montés de la même manière, furent attachés à la suite de ceux-ci ; et, dans le milieu de la file, on plaça la voiture du comité de l’entreprise, nommée l’Expérience, destinée par la suite à transporter des voyageurs ; elle est de l’espèce de celle qu’on appelle longcoach, où les voyageurs sont assis face à face sur les deux côtés. Elle en peut contenir 18. Le nombre total des voitures que devait tirer la machine à vapeur locomotive, était de 34, sur l’une desquelles était un corps de musiciens. Toutes étaient couvertes d’hommes et décorées de drapeaux portant diverses devises, et principalement celle de la compagnie : periculum privatum utilitas publica. A un signal donné, cette file de voitures se mit en mouvement aux acclamations de la multitude assemblée pour être témoin de ce spectacle aussi nouveau qu’étonnant, et parcourut d’abord la route jusqu’à Darlington, où l’on remit de la houille dans les fourneaux et de l’eau dans les bouilloires, et ensuite jusqu’à Stockton, avec une vîtesse moyenne de 10 à 12 milles [de 2 lieues et demie à 3 lieues] à l’heure.

Des cavaliers, montés sur d’excellens chevaux de chasse, et courant par dessus haies, et fossés des deux côtés de la route, ne purent suivre le convoi. La charge des chariots traînés par la machine locomotive était d’environ 80 tonneaux [160 milliers], et l’on pense qu’il y avait au moins 700 personnes sur ces voitures quand elles arrivèrent à Stockton. Au plus fort de la descente, la vîtesse alla jusqu’à 15 ou 16 milles [plus de 5 lieues] à l’heure. La fête se termina par un grand banquet.

Puisse cette nouvelle conquête de l’esprit humain dans l’emploi d’un moteur devenu si puissant par l’action du feu contenue dans de justes bornes, ne pas s’étendre indéfiniment à toutes les branches de l’industrie, et ne pas nuire à la population de certains états qui s’accroît dans une proportion si forte.

Une nouvelle preuve de l’instinct des pigeons[178] viendrait, s’il en était besoin, à l’appui des exemples que nous avons cités dans plusieurs passages de cet essai.

[178] L’introduction clandestine des bijoux fabriqués en France, auxquels les Anglais accordent une préférence marquée, tant à cause de leur perfection que de leur prix modéré, éveillait inutilement la surveillance de la douane. L’usage s’en répandait de plus en plus, malgré une sévère prohibition. On reconnut enfin, dit-on, et non sans peine, que ces fraudeurs si long-tems à l’abri de toute recherche étaient des pigeons. On les lançait des côtes de France vers celles d’Angleterre ; en leur attachant au cou les objets destinés à être recueillis par les personnes instruites de leur message. Cette ruse en fit naître une nouvelle. Les commis, désespérés de pouvoir atteindre dans l’air ces oiseaux maraudeurs, s’avisèrent de dresser des faucons à les poursuivre et à s’en emparer. Une fauconnerie fut bientôt autorisée pour mettre fin à cette introduction nuisible à l’industrie anglaise, ou pour en diminuer considérablement les inconvéniens.

On prétend qu’un bon fauconnier doit dresser un oiseau dans un mois. On y parvient en faisant veiller et jeûner le faucon, en lui couvrant les yeux, et en ne lui rendant le jour que lorsqu’on lui montre l’appât, en lui vidant l’estomac pour augmenter sa faim, en lui plongeant la tête dans l’eau lorsqu’il est trop revêche.

En France, comme en Angleterre et dans tous les -131- pays, il est des époques de l’année où les recettes des postes subissent des modifications. Cela tient à des considérations locales. En Angleterre, par exemple, à la fête de Saint-Valentin, qui répond à notre premier de l’an, on prétend que l’administration des postes, à Londres, est forcée d’augmenter le nombre de ses facteurs. On en attribue la cause à la multitude de lettres qui parviennent par la petite-poste, dont les produits sont immenses à cette époque.

Les Anglais se servent, pour leurs avis maritimes, d’une machine à signaux très-perfectionnée. C’est à Jacques II qu’ils doivent les améliorations les plus importantes qui y ont été apportées. Ce prince, par suite d’une longue expérience, rendit l’utilité de cette espèce de télégraphe incontestable. Mais cette machine ne peut entrer en aucune comparaison avec celle qu’on emploie en France.

L’Ecosse, qui conserve toujours les traces de ses mœurs et de ses coutumes antiques, nous offre une nouvelle occasion de parler des signaux par le feu. On les emploie avec beaucoup d’efficacité dans ces montagnes si propres à favoriser cette manière de s’entendre et de communiquer au loin, en peu d’instans, les avis de la plus haute importance.

Quand un chef voulait convoquer son clan ou tribu dans un pressant danger, il tuait une chèvre, et, taillant une croix de bois, en brûlait les extrémités pour les éteindre dans le sang de l’animal. C’était ce qu’on appelait la croix du feu, et aussi crean tarigh, ou croix de la honte, parce qu’on ne pouvait refuser de se rendre à l’invitation qu’exprimait ce symbole, sans être voué à l’infamie. La croix était confiée à un messager fidèle et agile à la course, qui la portait sans s’arrêter jusqu’au village voisin, où un autre courrier le remplaçait aussitôt : par ce moyen, elle circulait dans la contrée avec une célérité incroyable.

A la vue de la croix du feu[179], hommes, enfans, vieillards, depuis l’âge de 15 ans jusqu’à celui de 60 ans, -132- étaient obligés de se trouver, à l’instant, armés au lieu du rendez-vous : celui qui y manquait souffrait le double supplice du fer et du feu ; sa désobéissance était marquée par les signes emblématiques de la croix.

[179] La croix du feu est un usage commun aux montagnards et aux anciens Scandinaves.

Pendant les guerres civiles de 1745 et 1746, la croix du feu parcourait fréquemment l’Ecosse, et elle traversa un jour, en trois heures, tout le district de Breadalbane, c’est-à-dire une étendue de pays de 32 milles.

Feu Alexandre Stuart, écuyer, m’a raconté, dit Walter-Scott, qu’il envoya lui-même la croix du feu à cette époque. La côte était menacée par des frégates anglaises, et l’élite de notre jeunesse était en Angleterre avec le prince Charles Edouard. Cependant, cette convocation fut si efficace, qu’au bout de quelques heures on vit sous les armes une troupe très-nombreuse et pleine d’enthousiasme. Dès ce moment, le projet de faire diversion dans la contrée fut abandonné par les Anglais comme une entreprise désespérée.

Les carrosses et chaises de poste fabriqués à Edimbourg sont renommés ; on en exporte beaucoup pour Saint-Pétersbourg.

Les lettres pour les trois royaumes et les colonies qui en dépendent, doivent être affranchies.

ESPAGNE.

L’organisation des postes espagnoles changea lorsqu’un petit-fils de Louis-le-Grand, Philippe V, fut appelé à la couronne, et le titre de grand-maître, dont jouissaient les princes de Taxis, fut transmis par la réunion de cette charge au domaine royal, au comte d’Ognate, qui la posséda à titre d’office. Mais les postes, mises à ferme à-peu-près à la même époque qu’en France, passèrent sous la direction du marquis de Monte-Sacro.

Elles étaient entretenues alors avec plus de soin de Madrid à Bayonne, et sur tous les points qui communiquent avec la France, que dans tout le reste du royaume. On leur a donné depuis une forme plus régulière, et le service actuel se fait avec assez d’activité entre la capitale et les provinces les plus reculées.

C’est dom Narcisse de Heredia[180], comte d’Ofalia, -133- qui est surintendant-général des courriers et postes d’Espagne et des Indes, et M. Melgar directeur-général.

[180] Regines de los Reos, chevalier grand-croix de l’ordre américain d’Isabelle la catholique, numéraire de l’ordre royal et distingué de Charles III, grand’croix de l’ordre royal de la légion-d’honneur de France, conseiller-d’état et premier secrétaire-d’état.

Chaque province a un directeur ou un administrateur particulier pour tout ce qui concerne le service des postes. Cet agent supérieur dépend du surintendant-général.

La surintendance-générale[181], direction et tribunal des courriers, postes, chemins, auberges, et canaux, s’occupe des causes relatives à ces différentes parties. La real y suprema junta de apelaciones de los juzgado de correos y postas[182], a l’attribution des mêmes objets en cas d’appel.

[181] Elle est composée d’un surintendant-général, de quatre directeurs-généraux, de deux contadors-généraux, d’un assesseur et d’un fiscal. Il n’y a que les deux derniers qui soient en robe rouge.

[182] Se compose d’un président, de neuf membres, d’un secrétaire, d’un contador-général et de deux fiscaux.

Les postes sont comprises dans les recettes générales, et leur produit entre dans des caisses particulières : elles doivent rapporter beaucoup, si l’on en juge par le port des lettres qui est très-élevé en Espagne.

La Casa de Correos, ou Hôtel des Postes à Madrid, est construite depuis très-peu de tems, à la Puerta del sol. C’est un grand édifice carré, absolument isolé, d’une très-belle composition, et d’un ensemble assez majestueux : la cour qui en dépend est entourée d’un portique soutenu par des colonnes. Ce bâtiment est très-élevé au-dessus du sol, ce qui cause une irrégularité, commandée sans doute par le terrain, mais d’un effet désagréable. Cet édifice est néanmoins le plus bel ornement de la place.

Madrid n’a pas de fiacres : ils sont remplacés par des carrosses de remise, et par des caléches ou brouettes traînées par des hommes. On y trouve cependant des cabriolets attelés de mules ; ils contiennent deux personnes, que le cocher mène assis sur l’un des brancards.

Le transport des dépêches se fait en carrioles tirées par quatre mules ; les paquets sont renfermés dans -134- une valise : on en ajoute une seconde quand la correspondance l’exige.

C’est au comte d’Aranda qu’on doit l’amélioration des routes et des chaussées, caminos reales. Les chemins sont superbes, bien percés, soutenus dans les ravins par des murs et traversés par des ponts très-beaux et très-solides : il y en a même qu’on peut comparer aux routes d’Angleterre. Sur quelques-uns, par exemple, en Catalogne, on voit des colonnes milliaires.

On se sert, pour voyager en Catalogne, comme dans le reste de l’Espagne, de carrosses traînés par six mules, qu’on appelle coches de calleras ; de caléches, espèces de cabriolets traînés par deux mules, et de volantes, autre espèce de cabriolets un peu plus petits, auxquels on n’attèle qu’une mule : ces voitures font à-peu-près huit lieues par jour. On court la poste à cheval en Catalogne ; mais on n’y trouve pas de chevaux pour les voitures. Les chevaux espagnols sont très-estimés, surtout les Andalous ; ils sont plus convenables à la selle qu’au carrosse : aussi ne voyage-t-on le plus communément qu’avec des attelages de mules. Celles de la Catalogne sont très-belles, et dirigées avec une rare intelligence. Les voituriers de cette province l’emportent sur ceux des autres parties de l’Espagne, par l’adresse et l’art avec lesquels ils guident quatre ou cinq mules, placées à la file l’une de l’autre. Le royaume de Valence est aussi très-renommé pour la beauté et la bonté de ces animaux. Les carrosses, les calèches et tous les moyens de transports y sont très-multipliés.

Il n’y a de poste pour les voitures que de Madrid à Cadix, et de Madrid aux différentes maisons royales, elles ont été établies par le comte Florida Blanca qui se proposait de faire participer les principales routes de ce royaume à ce précieux avantage[183]. Il en est de même des diligences qu’il avait également établies de Bayonne à Madrid, dans lesquelles on payait douze piastres. Cette entreprise ayant entraîné des dépenses -135- onéreuses pour le trésor royal, on s’en tint à cet essai. Mais, depuis la guerre de la délivrance, des compagnies ont formé des entreprises de ce genre sur plusieurs points. S. M. C. a fait l’acquisition d’une partie des malles-postes françaises employées pour faire le service des postes militaires. Ces voitures serviront sans doute de modèles à celles qu’on se propose de construire, pour rendre non-seulement la communication intérieure de l’Espagne plus facile, mais pour multiplier les relations entre les deux royaumes unis plus que jamais par les nœuds de l’amitié, plus forts encore, s’il est possible, que ceux de l’intérêt.

[183] Toutes les cartes d’Espagne, entr’autres celles de M. Lapie, indiquent les routes de poste montées avec voitures, celles montées avec chevaux, et celles non montées.

Quant aux postes, elles sont passablement servies par des mules. Les voitures établies sur les routes de poste sont à deux et à quatre roues ; il y en a à une place qu’on appelle solitaires, ou cabriolets. Parmi ces voitures, il en est de plus propres sous la dénomination de distinguées, dont le prix, par conséquent, est plus élevé.

Les postes ne sont point établies à des distances égales sur les routes, aussi, ne paie-t-on qu’en raison du nombre de leguas parcourues ; elles sont plus grandes que celles de France. Il faut une permission des directeurs ou administrateurs des postes pour avoir des chevaux, sans quoi les maîtres de poste, qui sont ordinairement des venteros, n’en fourniraient pas. Cette autorisation coûte 37 réaux et demi par personne. Les postes de deux leguas doivent être parcourues en trois heures ; les frais, selon le tarif, pour deux chevaux, compris le voyageur et le postillon[184], vont à 4 réaux par poste.

[184] L’uniforme des postillons est bleu avec collet rouge.

En voiture[185], la poste est obligée de mener deux personnes dont le bagage n’excède pas deux cents livres, avec deux chevaux : le prix est le même que pour un seul cheval. On paie 4 réaux pour une chaise de poste. -136- La taxe des postillons est de 2 réaux. La legua revient à 12 réaux, mais on ne va pas très-vîte, et on fait, par exemple, les cent milles de Madrid à Cadix dans 4 jours et 4 nuits.

[185] Chaque voyageur qui mène avec lui sa propre voiture, doit, à son entrée dans le royaume, en déposer au bureau des douanes, d’après une estimation d’experts, le 10.e et même les trois quarts de la valeur. Il reçoit un certificat, et la somme qu’il a comptée lui est remise à la sortie, lorsqu’il quitte l’Espagne avec la même voiture. Cette loi est très-ancienne.

Si la facilité de voyager en voiture par la poste est restreinte à quelques routes, elle a lieu à cheval sur toutes sans exception. Ou prend souvent de préférence des chemins de traverse, quand on court à franc étrier. La première poste se paie double en sortant de Madrid ou des résidences royales. Le prix des chevaux varie. Il est de 3 réaux 4 quartillos par lieue, pour chaque cheval, en Castille ; mais, dans la Navarre, la Catalogne et le royaume de Valence, il en coûte 5 réaux et demi.

L’âne ou borico sert pour les courses de peu d’étendue : c’est une monture incommode.

Les voitures généralement en usage sont les volantes ou calechinas, espèces de cabriolets à deux roues, et menées par un cheval ou une mule ; les calechas conduites par deux mules, dans lesquelles on est plus à l’aise, quoiqu’elles soient mal suspendues, et les coches de calleras ou carrosses à 4 places, plus solides qu’élégans. L’allure de ces voitures, disent les voyageurs, est singulière, amusante, effrayante quelquefois, mais toujours sans danger par l’habileté des conducteurs. Les mules qui en forment l’attelage ne sont retenues que par des traits extrêmement longs, qui leur laissent la facilité de s’éloigner, de se rapprocher, et de parcourir la route sans ordre, au point de faire craindre à chaque instant que la voiture ne se brise dans les descentes ou les endroits escarpés, ou qu’elle ne verse dans les précipices. La voix seule du mayoral suffit pour prévenir les accidens, et ces animaux, dociles au commandement du guide qui les dirige, reprennent de suite et avec ordre le sentier dont ils s’étaient écartés.

L’affranchissement pour ce royaume et ses colonies est forcé.

PORTUGAL.

Philippe II abandonna la propriété des postes de Portugal à la maison Gomez de Mata, dont les descendans possédèrent la charge de grand-maître avec tous -137- les priviléges qui y étaient attachés. L’organisation de ce service était la même qu’en Espagne. Le transport des lettres s’y fait encore avec la même régularité, et c’est par l’intermédiaire de ce royaume que le Portugal reçoit les dépêches du continent. On trouve à Lisbonne des paquebots qui partent à époques fixes pour la Hollande, l’Angleterre, le Brésil, les îles des Açores, de Madère, et les colonies dépendantes du Portugal où les postes sont établies sur les bases adoptées dans la métropole.

On voyage en Portugal dans des chaises de postes assez incommodes et toujours mal entretenues. Ce sont des calèches attelées de deux mulets, à 2 roues et à 2 places. On se sert à Lisbonne de ce genre de voitures ; mais on y remarque plus communément des équipages à quatre places et à quatre mulets. Il est encore une autre voie qu’on peut prendre, celle des messagers qui conduisent à dos de mulets, monture la plus ordinaire, les dépêches ou les marchandises.

Il faut affranchir toutes les lettres destinées pour le Portugal et ses colonies.

ITALIE.

Les postes des états de Sa Sainteté sont régies par un directeur-général, et le transport des lettres se fait à cheval et en voiture[186]. On a introduit depuis peu de tems de nouvelles améliorations dans ce service, surtout dans la forme des voitures, qui ont été construites en Allemagne, avec un soin tout particulier.

[186] Le tarif des postes italiennes pour le port des lettres est de 7 gram. 1/2 en 7 gram. 1/2. Où il n’y pas de bureau de poste on en trouve un d’estafette.

Mais les voituriers sont généralement préférés dans toute l’Italie, malgré les établissemens de messageries dont les Français avaient donné l’exemple pendant leur domination, et ceux de malles qui contenaient deux places, une pour le courrier et l’autre pour un voyageur.

Rome, comme quelques autres capitales de l’Europe, n’a pas de fiacres ; ils sont remplacés par les carrosses de remise. Mais un usage, commun à toutes les principales -138- villes de l’Italie, c’est de payer la poste de sortie, qui est considérée comme poste et demie.

Le nombre des voyageurs qui parcourent l’Europe, contribue partout aux changemens heureux introduits, soit dans la forme des voitures, soit dans l’accélération de leur marche, soit enfin dans tout ce qui se rapporte à la facilité et à la commodité des moyens de transport. Parmi les travaux importans que Sa Sainteté fait exécuter en ce moment, pour y parvenir, on remarque la route de Rome à Naples par Valmontone, Formone, Ceprano et Capone. Cette route est de 25 milles plus courte que celle de Poste, qui traverse les marais Pontins.

A Gênes, en Toscane et dans les états de l’Eglise, le prix pour deux chevaux de chaise de poste est de neuf livres de Gênes, et pour un cheval en courrier de trois livres.

Les postillons sont généralement très-alertes en Italie ; leur service se rapproche beaucoup de celui des guides français et anglais.

L’affranchissement est libre pour cette partie de l’Italie.

Tout le pays dépendant de l’empire autrichien est soumis au mode de régie de l’Allemagne. Le service pour le transport des lettres a lieu comme en France, par des courriers en voiture ou à cheval. Les voitures dont on se sert, ressemblent à celles d’Allemagne ; elles n’ont que deux roues et se nomment sedia.

Il y a deux manières de courir la poste en Italie, l’une est la poste ordinaire, plus coûteuse dans le Milanais, les états de Venise, le Piémont, la Lombardie, que dans la Toscane et l’Etat pontifical ; l’autre, la cambiatura[187], plus économique, mais moins expéditive, parce qu’on ne peut voyager que pendant le jour, et qu’il est défendu de faire galoper les chevaux. On n’éprouvait jamais de grandes difficultés de la part des maîtres de poste, lorsqu’on voulait prendre cette voie.

[187] Cambiatura, voiture à deux personnes et à prix fixe.

Dans les états de Venise, si l’on courait la cambiatura, on ne payait que cinq livres et demie par cheval d’attelage ou de selle. Dans le Milanais, deux chevaux de -139- chaise payaient un demi-sequin par poste, et un cheval en courrier quatre livres.

On compte, à Venise, 9000 gondoles en activité : elles ont ordinairement 25 pieds de long sur 4 de large, et sont toutes peintes et garnies de drap de même couleur ; celles des personnes riches, se distinguent par une plus grande dimension et des ornemens plus recherchés ; mais, toutes se ressemblent par la forme de leur couverture, qui est une espèce de toit.

L’Italie offre en général plus d’agrément et de facilité pour voyager que l’Allemagne. Les routes sont excellentes, mais les postillons importuns.

L’affranchissement est forcé pour le pays Lombard-Venitien.

SARDAIGNE.

Les postes sont régies en Sardaigne, en Savoie et en Piémont, à peu près comme en France, avec laquelle ces états correspondent trois fois par semaine. Le service a lieu par entreprise, et le systême décimal y a été adopté pour la comptabilité. C’est par la Savoie[188] que parviennent presque toutes les dépêches de l’Italie, destinées pour la France.

[188] Le roi de Sardaigne comptait, en 1789, en Piémont, 30 grandes routes.

Autrefois on courait la cambiatura en Piémont, mais cette coutume est abolie, et le prix de la poste est fixé ainsi qu’il suit : une voiture à quatre roues, attelée de trois chevaux, paie six livres ; lorsqu’il y a quatre chevaux, huit livres ; deux chevaux de voiture, paient 4 livres 10, et le prix pour un cheval de selle est de deux livres.

Turin n’a pas de fiacres, mais des voitures de louage dans lesquelles même on voyage. Les conducteurs s’appellent voiturins ou veturini. La carretino est une espèce de voiture à une seule place, ou plutôt un fauteuil : elle est attelée d’un seul cheval. Sa forme est celle d’un vase, dont le pied tient à un essieu de bois. Il est rare qu’on puisse courir la poste partout ce pays : on se sert quelquefois d’une voiture à deux roues, bien légère. -140- Il faut dans ce cas, consulter les maîtres de Poste. Avant la route du mont Cenis, les voitures étaient démontées et transportées à dos de mulets, et les voyageurs étaient portés dans des chaises ou ramassés en traîneaux. Aujourd’hui on trouve, au pied du mont, un grand nombre de petites voitures, dans lesquelles on fait ce trajet, sans les inconvéniens d’autrefois.

Pour correspondre avec la Sardaigne, on emploie des goëlettes armées. C’est une précaution très-sage pour résister aux attaques des pirates. Il serait à désirer qu’une semblable mesure fût adoptée par toutes les nations, dont le transport des dépêches a lieu par mer, et surtout par la Méditerranée.

L’affranchissement pour ces pays est libre.

SUISSE.

Le service des postes, en Suisse, soit en régie ou à forfait, est pour le compte de chaque canton et sous la dénomination générale d’office des Postes, ou sous celle de régie et de direction, selon les localités. Les cantons qui n’exploitent pas leurs services, et cela arrive quelquefois, en confient l’administration aux cantons voisins. Les voitures employées au transport des dépêches servent également aux voyageurs et aux marchandises. Le service ne s’en fait pas moins avec une grande régularité, et ne laisse rien à désirer sous le rapport de la sûreté. Le prix des postes françaises est maintenu jusqu’à Gênes, et sur divers autres points.

La manière dont la duchesse de Némours voyageait chaque fois qu’elle partait de Paris pour se rendre en Suisse, dans sa principauté de Neuchatel, a eu, sans doute, beaucoup d’approbateurs, sans trouver un grand nombre d’imitateurs, par les frais que ce moyen entraînait. Elle se faisait porter en chaise par des porteurs qui, au nombre de quarante, la suivaient en chariots, et se relayaient alternativement. Avec cette précaution, elle faisait tous les jours douze à quinze lieues, sans fatigue, et plus agréablement que dans la voiture la plus douce et la plus commode. Cet usage, si répandu dans l’Inde, où l’on établit les hommes par relais, comme nous le pratiquons pour les chevaux, ne pourrait être aisément introduit en Europe, tant à -141- cause de nos mœurs que des moyens de transports actuels, si économiques et si rapides. Les signaux par les feux se sont toujours conservés en Suisse. Il est peu de contrées plus propres à ce genre de correspondance.

L’affranchissement est forcé pour cet état.

NAPLES.

Le royaume de Naples, tout le reste de l’Italie et les îles du Levant, ont à peu près le même mode de transport.

Les postes napolitaines sont servies par les chevaux que les seigneurs voisins des routes fournissent de leurs haras, et dont ils retirent le profit. Ces chevaux, élevés avec soin, sont très-estimés et très-convenables pour ce service.

Les bateaux à vapeur vont donner une nouvelle activité à la correspondance de toutes les îles de la Méditerranée. Ils sont employés avec succès à Venise ; et bientôt, tous les retards qu’on éprouvait dans les relations maritimes disparaîtront.

On voyage dans le royaume de Naples, en chaises qui, avec deux chevaux, paient onze carolins par poste. Un cheval, à franc étrier, coûte cinq carolins et demi. La calèche napolitaine n’est qu’une espèce de coquille à une place, sur un piédestal, supportée par des brancards très-légers et très-élastiques, et traînée par un seul cheval. Son poids est de dix à quinze livres. Elle roule avec une vitesse extrême. Le voyageur dirige le cheval ; et, le conducteur placé derrière, tient le fouet. Il y a d’autres calèches, ou curriculi, qu’on loue 10 ou 12 fr. par jour. La nouvelle route[189] qui a été construite pour traverser le mont Pausilippe, est superbe, et on peut la parcourir très-commodément en voiture.

[189] Elle a coûté 30,000 ducats, et les troupes autrichiennes y ont travaillé sous la direction de M. Mulhlwerth, capitaine du génie autrichien.

Nous avons remarqué que la partie de l’Italie dépendante de l’Autriche était seule soumise à l’affranchissement forcé.

-142-

AFRIQUE.

Ce n’est pas dans cette partie du monde où nous devons chercher quelque régularité dans l’organisation des divers moyens substitués aux postes. Il y a cependant, dans les états de Tunis et d’Alger, des relations établies ; et ce sont les Maures de la campagne habitués à supporter les plus rudes fatigues, qui servent de messagers ; mais ils sont d’une stupidité sans exemple[190].

[190] M. de Chénier rapporte que l’un d’eux, qui attendait ses dépêches dans un appartement où il y avait une glace, crut, en voyant son image réfléchie que c’était un autre courrier qui attendait, comme lui, d’autres dépêches dans une chambre voisine. Il demanda où allait ce courrier, et on lui répondit, en plaisantant, qu’il se rendait à Mogadore. Et bien, dit-il, nous irons ensemble ; et il en fit aussitôt la proposition au camarade qui gesticulait, comme lui, dans le miroir, et ne répondait pas. Il était près de se fâcher, lorsqu’il vit, dans la même glace, une personne qui entrait dans l’appartement. Etonné de son erreur, il eut bien de la peine à se persuader, malgré ses yeux et ses doigts, qu’il pût se voir, disait-il, à travers une pierre.

On pourrait citer des traits d’une pareille stupidité, au sein même des nations les plus civilisées, et le recueil des anas pourrait être facilement grossi d’exemples de ce genre.

M. Le Vaillant a remarqué que les Hottentots avaient un sûr moyen de s’entendre, par la manière dont ils disposaient des feux sur certains lieux élevés. Les feux de nuit, dit-il, sont un langage particulier que connaissent et pratiquent la plupart des nations sauvages, mais aucun n’a porté cet art si loin que les Houzouanas, parce qu’aucun n’a autant besoin de l’étendre et de le perfectionner. Faut-il annoncer une victoire ou une défaite, une arrivée ou un départ, une maraude heureuse ou un besoin de secours, en un mot une nouvelle quelconque, ils savent, en un instant, notifier tout cela, soit par le nombre de leurs feux, soit par la manière dont ils les disposent. Ils ont même l’industrie de varier leurs feux de tems en tems, de peur que les nations ennemies venant à les reconnaître, elles ne les emploient par surprise et par trahison. J’ignore en quoi consiste cette langue si habilement inventée, tout ce que je puis dire, c’est que les feux allumés à vingt pas l’un de l’autre, de manière à former un triangle équilatéral, annoncent un ralliement.

-143- Nous retrouvons chez ces peuplades, les mêmes procédés que nous avons observés en parlant des premiers essais tentés avant l’institution des postes. En se reproduisant encore, ils seront une nouvelle preuve, que parmi les tribus qui n’ont fait aucun pas vers la civilisation, les mêmes besoins, les mêmes causes, font naître les mêmes pratiques. Si, chez les Hottentots, on remarque ce procédé porté à un plus grand degré de perfection, cela tient à l’organe de la vue, qui rend ces insulaires capables de découvrir, à des distances incroyables, des objets imperceptibles pour des yeux moins exercés que les leurs[191]. De là cet avantage qui les distingue dans les dispositions multipliées de leurs feux.

[191] Bernardin de Saint-Pierre parle d’un homme qui prétendait avoir trouvé le secret d’annoncer l’arrivée des vaisseaux, lorsqu’ils étaient à 60 ou 80 lieues des ports et même plus loin. Il en avait fait, ajoutait-il encore, l’expérience plusieurs fois à l’Ile de France, devant divers témoins, qui avaient signé le mémoire qu’il présenta au ministre de la marine, en France. En effet, l’expérience eut lieu à Brest, devant des commissaires, et elle ne réussit pas.

J’ai pensé, dit l’auteur des Etudes de la Nature, que cet observateur avait pu, dans quelque circonstance favorable et commune dans le ciel des tropiques, avoir la vue des vaisseaux par la réflexion des nuages. Ce qui me confirme dans cette idée, c’est un phénomène très-singulier qui m’a été raconté par notre célèbre peintre Vernet, mon ami. Etant dans sa jeunesse en Italie, il se livrait particulièrement à l’étude du ciel, plus intéressante, sans doute, que celle de l’antique, puisque c’est des sources de la lumière que partent les couleurs et les perspectives aériennes qui font le charme des tableaux ainsi que de la nature. Vernet, pour en fixer les variations, avait imaginé de peindre sur les feuillets d’un livre toutes les nuances de chaque couleur principale, et de les marquer de différens numéros. Lorsqu’il dessinait un ciel, après avoir esquissé les plans et les formes des nuages, il en notait rapidement les teintes fugitives sur son tableau, avec des chiffres correspondant à ceux de son livre, et il les coloriait ensuite à loisir. Un jour, il fut bien surpris d’apercevoir dans les cieux la forme d’une ville renversée ; il en distinguait parfaitement les clochers, les tours, les maisons. Il se hâta de dessiner ce phénomène, et, résolu d’en connaître la cause, il s’achemine, suivant le rumb de vent, dans les montagnes. Mais quelle fut sa surprise de trouver, à 7 lieues de là, la ville dont il avait vu le spectre dans les cieux, et dont il avait le dessin dans son portefeuille.

Au Congo, les missionnaires rapportent qu’on voyage dans des hamacs portés par des nègres. Quand on veut faire diligence, on les établit par relais, et ils avancent avec la rapidité des meilleurs chevaux. C’est aussi la manière de voyager dans d’autres contrées de l’Afrique, entr’autres dans le royaume d’Ardra, où les chemins sont très-commodes ; et, quoiqu’il y ait beaucoup de chevaux, les nègres, de ces contrées, ne montent que des bœufs pour parcourir les plus grandes distances et se trouvent très-bien de cette façon d’aller.

Moore assure avoir vu un Africain qui montait une autruche, et se rendait ainsi, avec rapidité, d’un lieu à un autre très-éloigné. J’ai vu des autruches apprivoisées, dit M. de la Caille, que des nègres employaient -144- en place de chevaux. Elles n’avaient pas plutôt senti le poids du cavalier, qu’elles se mettaient à courir de toutes leurs forces, et leur faisaient faire le tour de l’habitation, sans qu’il fût possible de les arrêter, autrement qu’en leur barrant le chemin. La charge de deux hommes n’est pas disproportionnée à leur force, et lorsqu’on les excite, elles étendent leurs aîles, comme pour prendre le vent, et s’abandonnent à une telle vitesse, qu’elles semblent perdre terre. Je suis persuadé qu’elles laisseraient bien loin derrière elles les plus forts chevaux anglais. Elles ne fournissent pas une course aussi longue ; mais, à-coup-sûr, elles la feraient plus promptement. On voit, par-là, de quelle utilité serait cet animal, si l’on trouvait moyen de le maîtriser et de l’instruire, comme on dresse les chevaux.

Nous avons dit, au commencement de cet essai, que l’Egypte avait donné l’exemple de la poste aux pigeons, et qu’on les y employait à cet usage, depuis un tems immémorial. On nous pardonnera d’ajouter encore quelques détails à ceux que nous avons donnés, à propos d’un pays si fécond en cette sorte d’oiseaux.

De Rosette au Grand-Caire, Norden dit qu’on distingue partout des colombiers de forme pyramidale, où se rassemblent d’innombrables pigeons. On prétend même qu’aujourd’hui les mariniers d’Egypte, de Chypre et de Candie, nourrissent sur leurs navires de ces sortes de pigeons. C’est, dit Belon, pour les lâcher quand ils s’approchent de terre, afin de faire annoncer chez eux leur arrivée. Le consul d’Alexandrie s’en sert pour envoyer promptement de ses nouvelles à Alep, et pour -145- donner avis des bâtimens qui entrent dans le port. Ce trajet, qui est de trente lieues, est parcouru par les pigeons en moins de trois heures.

Toutes les caravanes qui voyagent en Arabie, font savoir, par le même moyen, leur marche aux souverains arabes avec qui elles sont alliées. Au reste, il paraît que cet usage est très-répandu en Orient, où l’on dresse les pigeons à porter et à rapporter les lettres dans les occasions qui exigent une extrême diligence[192].

[192] On remarque les mêmes habitudes chez certains oiseaux. Ceux du tropique annoncent, dit-on, l’arrivée des vaisseaux d’Europe, on les devançant de fort loin, et en venant aborder avant eux.

O combien de marins, s’écrie l’auteur des Harmonies de la Nature, ont péri sur des écueils inconnus, qui auraient pu revoir leurs compagnons, s’ils avaient pensé à les instruire de leur sort par les oiseaux ! Vous leur devriez peut-être la vie, vous et vos compagnons, ô infortuné la Peyrouse !

Mahomed-Ali, pacha d’Egypte, a fait établir, par M. Abro, de Smyrne, qui a habité Paris pendant long-tems, une ligne télégraphique d’Alexandrie au Caire, sur le modèle des machines en usage en France. Elle a dix-sept stations ; et les signaux, faits avec précision, transmettent les avis en 40 minutes de l’une à l’autre de ces villes. Cette mesure doit être commune à toute l’Egypte. Il y a, en outre, des relais à chacune des stations télégraphiques, pour correspondre d’Alexandrie au Caire.

La présence des Romains se fait remarquer encore dans ces contrées par des restes d’antiquités, des chemins, des chaussées, des ponts et des bornes militaires.

Les colonies françaises, en Afrique, ne pouvaient être privées de l’avantage des bateaux à vapeur. Deux de ces bateaux, d’une force de 32 chevaux, naviguent sur le Sénégal et remontent le fleuve jusqu’à 350 lieues de son embouchure. Ainsi, on pourra pénétrer dans des lieux où il eût été impossible de s’ouvrir des communications par terre, tant à cause des obstacles naturels, que des dangers auxquels on se trouve exposé en traversant le -146- territoire de certaines castes africaines livrées aux habitudes les plus féroces et les plus sanguinaires. Peut-être qu’un jour l’intérieur de cette partie du monde, qui a échappé à toutes les investigations, sera explorée avec succès par le moyen de ces bâtimens qu’un moteur si puissant rend si propres aux navigations des grands fleuves.

ASIE.

Les messages se font en Turquie par le moyen des coureurs. C’est une coutume commune à tous les peuples dont les relations habituelles sont moins multipliées qu’en Europe. Si on voulait ajouter foi à certains récits, les individus que le Grand-Seigneur emploie à ce service ne devraient leur agilité qu’à l’extirpation de la rate qu’ils seraient forcés de subir. C’est sans doute de cette croyance populaire qu’est venue la façon de parler : courir comme un ératé. Mais, sans nous arrêter à cette absurde supposition, nous ajouterons que ces courriers du Grand-Seigneur, appelés valachi, vont avec une diligence incroyable. Pour éprouver moins de fatigue, ils se serrent, dit Montaigne, à travers le corps, bien estroitement, d’une bande large, comme font assez d’aultres. Ils ont le singulier privilége de démonter le premier cavalier qu’ils rencontrent, et de n’éprouver aucun refus dans cet acte arbitraire. Ils se servent de ce cheval jusqu’à ce qu’il se présente une nouvelle occasion d’en changer. Ils achèvent ainsi leur course, sans dépense pour le Sultan, sans charges pour le peuple, et sans fatigue pour eux-mêmes. Quelques individus, de tems à autre, sont victimes de cette mesure despotique ; car il est rare que ces messagers ne profitent pas de leurs droits ou manquent d’occasion d’en user. Mais l’empire absolu du Sultan sur ses sujets les rend peu sensibles à ces contre-tems.

Les lettres qu’on expédie de Londres pour l’Inde, se rendent à Vienne par Hambourg en 10 jours ; la distance est de 806 milles ; de Vienne à Constantinople, dont le trajet est du 800 milles, quelquefois en 16 jours. Cette différence est causée par la fonte des neiges et -147- l’état des routes ; enfin, de Constantinople à Bassora, qui en est éloignée de 1800 milles (600 lieues), par l’Arménie et le Diarberk. Les Tartares, qui font le service de courriers en Turquie, et qui jouissent du singulier privilége de démonter les cavaliers qu’ils rencontrent, font ordinairement à présent ce long voyage sur des chevaux entretenus par le gouvernement. Ils s’embarquent sur le Tigre pour faire les 400 milles qui restent de Bagdad à Bassora : ce trajet, qu’ils effectuent en 4 jours, en prend seize lorsqu’ils reviennent et remontent l’Euphrate, moins rapide que le Tigre.

Le service des dépêches a lieu aussi d’Alep à Bassora par les Tartares, qui mettent seize jours à faire ce trajet sur leurs dromadaires[193].

[193] Chaque journée est de 16 à 18 lieues.

On voyage dans le désert de l’Inde à cheval ou en mohaffa, espèce de petites voitures placées comme des paniers sur le dos d’un chameau, et couvertes de rideaux supportés par un piquet établi comme un mât sur la selle.

En Tartarie, ce sont les chevaux entretenus aux dépens du grand cham qui font le service de la poste. Parmi ces chevaux aussi vigoureux qu’endurcis à la fatigue, on choisit les mieux exercés à la course pour les courriers du prince. Les clochettes que l’on place en France au cou des chevaux, sont attachées à la ceinture des courriers tartares. Le bruit qu’elles produisent d’assez loin, suffit pour donner le tems à celui qui doit continuer la course de se tenir prêt à recevoir les dépêches pour les transporter à son tour à la station suivante.

Lorsque la distance à parcourir n’est pas très-considérable, on emploie des coureurs à ce service : cette coutume était usitée chez les Romains, où des messagers à pied transmettaient les lettres de certaines villes de l’empire.

Une autre manière de voyager se remarque parmi les Tartares anguris : ils ne montent que des buffles[194].

[194] Il en est ainsi du roi de Baly et des seigneurs de sa cour.

Pendant que le capitaine Sarris était à Moka, il reçut -148- la visite du Roi de Rahaïta, sur la côte l’Abyssinie, qui montait une vache.

Aux Indes de deçà, dit Montaigne, c’estoit anciennement le principal et royal honneur de chevaucher un éléphant ; le second, d’aller en coche traîné à quatre chevaux ; le tiers, de monter un chameau ; le dernier et plus vil degré, d’être porté par un cheval seul. Quelqu’un de nostre temps escrit avoir veu, en ce climat là, des pays où on chevauche les bœufs avecques bastines, estriers et brides, et s’estre bien trouvé de leur posture.

Mais la manière la plus usitée de voyager, c’est de se faire porter en palanquin, espèce de pavillon sur un brancard plus ou moins élégant, selon la condition des particuliers. Sa forme ordinaire est celle d’un coffre, de 6 pieds de haut, sur trois et demi de large : il est entouré de persiennes. On peut s’y coucher facilement en reposant sa tête sur une planche en pente ; mais il faut se tenir dans le milieu pour être bien porté.

Le palanquin est soutenu par un bambou qui avance de trois ou quatre pieds de chaque bout et qui est fixé très-solidement dans le milieu ; c’est là que les boës ou porteurs y placent leurs épaules de manière à se croiser : ils sont toujours au nombre de six, trois sur le devant et autant sur le derrière. Ces boës n’ont pas d’autre métier. Ils font ordinairement deux lieues par heure, courent plus qu’ils ne marchent, et se relayent sans qu’on s’en aperçoive. S’ils trouvent un étang, ils s’y mouillent les pieds et le visage, pour reprendre des forces. La journée d’un boës est de douze ou quatorze lieues. On en prend toujours une douzaine, et on les établit par relais : c’est la poste du pays. Le prix d’un palanquin à Madras est de deux roupies et demie par jour.

Les grands et les femmes de qualité, lorsqu’ils voyagent, choisissent de préférence des éléphans, sur le des desquels on dispose de larges pavillons richement ornés. On les emploie aussi à traîner les voitures[195]. -149- La charge d’un éléphant est de trois ou quatre mille livres. Ces animaux, lorsqu’on les monte, ne bronchent jamais ; mais, en revanche, leurs mouvemens ne sont pas très-doux. Ils font au pas ordinaire autant de chemin qu’un cheval au petit trot, et autant que les chevaux au galop, lorsqu’ils accélèrent leur marche. La journée d’un éléphant est de 20 lieues ; quand on le presse, il peut en faire 30 et même 40[196].

[195] La voiture de cérémonie de l’empereur des Birmans, prise par les troupes anglaises au commencement de la campagne [1825], est arrivée en Angleterre. Tout est extraordinaire dans cette voiture dont l’or forme la base, et qui est couverte de milliers de diamans et des pierres les plus précieuses. Elle a 25 à 30 pieds de hauteur ; elle est traînée par des éléphans. C’est un chef-d’œuvre qu’il eût été difficile de surpasser en Europe.

[196] Chardin prétend que l’éléphant en marchant ne fait pas plus de bruit qu’une souris, qu’il va fort vîte, et que, s’il vient derrière vous, il est sur vos talons avant que vous vous en aperceviez. (Bernardin de Saint-Pierre.)

Les routes dans l’Inde sont assez belles et formées d’une espèce de brique. Elles sont très-fréquentées par les habitans qui visitent sans cesse les pagodes qu’on y trouve en très-grand nombre, soit à pied, à cheval, ou en gadi, espèce de voiture attelée de bœufs. Les grandes routes, anciennement tracées, étaient divisées par stades de dix en dix, pour guider les voyageurs et marquer les distances. On avait construit des lieux de repos pour les caravanes, auprès desquels on creusait des étangs et des puits, afin de remédier, autant que possible, à la disette d’eau. Un passeport, toujours écrit en malabare, en persan, et en talinga, est indispensable pour parcourir ces contrées : les pions l’exigent strictement des voyageurs.

A Madras, la plupart des routes sont spacieuses, bien entretenues et bordées, de distance en distance de rangées d’arbres, soit de bamboues, de cocotiers, de palmiers ou autres plantes élevées. La route qui conduit au fort Grammont, éloigné de 4 lieues de la ville, est surtout très-remarquable. On est étonné de la quantité de voitures, cabriolets, de palanquins qui circulent au déclin du jour ; de la beauté et de la parure des chevaux arabes que montent les Anglais ; et de l’attelage de certaines voitures indiennes conduites par des bœufs superbes, richement caparaçonnés et dont les cornes sont peintes et souvent dorées.

-150- L’industrie et le commerce si actif de l’Inde exigeaient des moyens faciles de correspondre. Les Anglais qui en sentaient la nécessité, les établirent ou les perfectionnèrent. Les présidences de Calcutta, de Madras et de Bombay firent, à cet effet, des réglemens de poste, en 1793, sous la surintendance générale de Charles Elphinstone. Des relais de tapals furent établis à 7 ou 8 milles de distance l’un de l’autre, et leur diligence surpassa toute attente.

Cette organisation régulière a servi au Nabab d’Arcate pour entretenir des relations avec les provinces méridionales : ses lettres ont généralement parcouru cent milles en vingt-quatre heures[197]. Les coureurs employés à ce service, toujours au nombre de deux, portent chacun un sac de cuir placé sur le dos comme le havresac d’un soldat. Ils ont aussi une torche allumée pendant la nuit, et le jour un bassin en cuivre, sur lequel ils frappent continuellement pour effrayer les animaux féroces, très-redoutables dans ces climats.

[197] La facilité des communications entre les diverses parties de l’Inde est si grande aujourd’hui, qu’un courrier du gouvernement qui part de Calcutta pour Ceylan, par la voie de Madras, arrive à sa destination en 8 jours et 3/4 d’heure. La distance est de 1044 milles : la poste fait ordinairement cette route en onze jours. Un courrier extraordinaire, expédié de Bombay à Calcutta par terre, se rend dans cette dernière ville en 18 jours et demi : la distance entre les deux villes est de 1308 milles.

Dans les provinces qui appartiennent à la Compagnie, le produit des lettres lui rend, comme en Angleterre, un bénéfice considérable. On paie, par exemple, de Bombay à Pouna 50 reas pour une lettre simple. Le port augmente en raison du poids[198].

[198]

De Bombay à Tajala pour Roupies 1 quartz 50 reas.
Id.
à Hyderabad,
»
2 »
Id.
à Mazulipatan,
»
3 »
Id.
à Madras,
1
  50
Id.
à Calcutta,
1
2 25

Il avait été question de correspondre par terre avec l’Angleterre, mais les frais de cette entreprise en firent rejeter l’exécution. On y trouvait cependant un avantage réel, puisque les dépêches seraient parvenues par cette voie en 49 jours au Bengale, et en cinquante et un jour à Madras ou à Bombay, tandis qu’il faut par mer -151- quatre mois pour arriver au Bengale, cent jours pour aller à Madras et trois mois vingt jours pour se rendre à Bombay.

L’entreprise des bateaux à vapeur, qui sera bientôt en activité, offre des résultats autrement avantageux. Elle ne peut manquer de trouver auprès des capitalistes des colonies de l’Angleterre aux Indes, la protection que la métropole accorde à toutes les découvertes utiles à la prospérité nationale. Nous avons vu que déjà les négocians de Calcutta avaient répondu à cet appel par des souscriptions. Les tentatives qu’ils ont faites dans ce genre et qui ont été couronnées du plus heureux succès, ne laissent plus d’incertitude sur la stabilité de ce nouveau moyen de correspondance. Le premier bateau à vapeur, qui ait été construit aux Indes, se nomme la Diana[199]. Il a exécuté, de la manière la plus satisfaisante, le trajet de Calcutta à Chinsarab.

[199] Il a été lancé à l’eau le 12 juillet 1823, à Kidderpon, près de Calcutta.

Le voyage à travers l’Isthme de Suez est regardé de plus en plus comme un faible obstacle à tout projet de communication avec la Méditerranée. Dans tous les cas, le trajet par le cap de Bonne-Espérance deviendrait et moins long et plus régulier que la navigation actuelle, par la voie des bâtimens à vapeur, si surtout on pouvait en améliorer la construction, comme tout semble le présager[200].

[200] M. Brown, anglais, se propose d’introduire, au lieu de vapeur dans le cylindre, du gaz hydrogène qui, étant détruit par la combustion, produirait un vide complet dans lequel le piston se plongerait avec une force irrésistible. On introduirait de nouveau du gaz, ce qui produirait l’effet d’élever le piston, et ensuite le gaz serait détruit comme la première fois. La machine ne pèserait que 25 à 30 quintaux. Un petit fourneau tiendrait lieu de la chaudière à vapeur, et l’on calcule que 5 barils d’huile seraient suffisans pour conduire un vaisseau dans l’Inde.

Au Mogol il n’y a que les princes ou les grands personnages qui puissent se faire suivre par des chevaux, des bœufs ou des chameaux. Les palekis, voitures du pays, sont à deux roues, tirés par des bœufs, ayant une impériale en forme de toit incliné. Ces voitures servent pour les grands voyages.

-152- C’est une profession assez commune au Mogol que celle de louer des bœufs et de les conduire pour toute espèce de transport. Il y a aux Indes des castes entières qui n’embrassent point d’autre métier.

CHINE.

Les postes sont établies d’une manière très-régulière dans tout l’empire de la Chine. L’empereur seul en fait les frais, et entretient à cet effet une infinité de chevaux. Les courriers partent de Pékin pour les capitales des provinces ; le vice-roi[201] qui reçoit les dépêches de la cour d’un kougtou ou gouverneur, les communique par d’autres courriers aux villes du premier ordre, celles-ci aux cités d’un ordre inférieur.

[201] Il est toujours assisté par province d’un trésorier général, d’un juge criminel, d’un conservateur des impôts et d’un intendant des postes.

Quoique ces postes ne soient pas entretenues pour les particuliers, il est rare qu’il ne s’en servent pas. Les missionnaires en usaient avec autant de sûreté, et beaucoup moins de dépense qu’ils ne faisaient en Europe.

Comme il est très-important que les courriers arrivent avec régularité, les mandarins ont soin de faire tenir les chemins en bon état ; et l’empereur, pour les y obliger plus efficacement, fait souvent courir le bruit qu’il parcourt ses provinces. C’est ainsi qu’Auguste et quelques empereurs romains en agissaient. La moindre négligence est punie avec sévérité. Un de ces officiers n’ayant pas mis assez d’activité à faire réparer une route par laquelle l’empereur devait passer, aima mieux se donner la mort que de s’exposer à un châtiment inévitable.

Les Chinois n’ont pu parvenir à remédier à l’inconvénient causé par la poussière qui couvre leurs routes[202]. Les voyageurs qui les parcourent soit à pied, à cheval, sur des chameaux, soit en litière ou en chariot, se précautionnent inutilement de masques ou de voiles pour éviter cette incommodité ; cependant, ces chemins sont larges, unis et bien pavés ; dans plusieurs -153- provinces on a pratiqué des passages sur les plus hautes montagnes, en applatissant leur sommet, en coupant les rochers, en comblant les vallées et les précipices, en établissant des ponts suspendus sur des cordages ainsi que sur les fleuves et les rivières et tous les endroits difficiles où l’on n’aurait pu parvenir sans ce moyen. Un des plus connus est celui de la rivière de Kein cha yan, dans le canton de Lolo. Il y a aussi de distance en distance sur les routes, tantôt des grottes, des hospices ou d’autres établissemens commodes et agréables, bâtis pour l’utilité des voyageurs : ils sont dus le plus ordinairement à la bienfaisance de quelques mandarins.

[202] Bernardin de Saint-Pierre attribue aux tempêtes sablonneuses la poussière qui couvre les routes de la Chine et qui oblige d’aller toute l’année à cheval avec un voile sur les yeux.

Avec le permis ou billet de poste dont on a soin de se munir, on trouve tous les secours nécessaires sur la route. Ce permis consiste en une feuille de papier, imprimée en caractères tartares et chinois, et scellée par le tribunal souverain de la milice. Il est ordonné au bureau de fournir, sans délai, un certain nombre de chevaux ou de barques lorsqu’on est oblige de voyager par eau ; enfin tout ce qui est nécessaire à la vie. Le sceau imprimé sur ce permis a trois pouces de largeur en carré, sans autre figure ou caractère que le nom du tribunal et des principaux officiers.

On se fait porter en chaise par des porteurs qui ont leur chef, auquel on s’adresse pour ce service. C’est d’après l’état des malles et des paquets que le prix est fixé et payé d’avance, et l’on reçoit autant de billets qu’on veut d’hommes. Rien n’égale la légèreté de ces porteurs, ils ne s’arrêtent que trois fois par jour et font deux lieues par heure.

C’est à l’empereur Hoang-Ty que les Chinois attribuent l’invention des chars attelés d’animaux pour conduire avec rapidité les hommes et transporter les fardeaux. Si la nécessité de multiplier les relations dans un état est en raison de sa population, on doit juger des avantages qui en ont résulté dans cet empire, où 15,000 mandarins lettrés sont chargés de l’administration.

Outre leurs postes, les Chinois ont établi sur les routes des tours ou stations de cinq lieues en cinq lieues destinées aux signaux qu’ils emploient comme un autre moyen de communication. Il suit de là qu’aux yeux -154- de quelques personnes, l’invention du télégraphe français serait attribuée à ce peuple. Cette supposition, injurieuse pour un savant de notre nation, n’a pas besoin d’être combattue : elle est du nombre de ces assertions dont le tems fait justice. D’ailleurs ce moyen si rapide de communiquer par signes dans une langue nouvelle, eût-il été négligé par les nations de l’Europe et particulièrement par les Anglais qui ont apporté tant d’étude dans l’établissement de leurs signaux. Cette correspondance oculaire, si imparfaite en tous lieux, n’a de perfection et de résultats importans qu’en France. Le profit d’une si précieuse découverte est donc resté seul à cette nation, et la gloire de l’avoir faite à un français. Nous sommes loin de penser que les Chinois, aussi grands calculateurs que profonds dans la connaissance des sciences exactes, n’aient pas des méthodes utiles et ingénieuses dans l’art de s’entendre par signes : tout porte à croire même qu’ils les possèdent ; mais c’est un secret qu’ils conservent avec tant d’autres qu’on pourrait leur envier.

Il n’est pas rare de voyager en Chine dans des espèces de voitures attelées de chiens. Les missionnaires disent avoir vu une femme tartare qui revenait de Pékin, et qui avait un équipage de cent chiens à ses traînaux.

Parmi les moyens qu’employèrent les maîtresses de Tien-ou-ti, empereur chinois, qui se laissait entièrement captiver par elles, on rapporte qu’elles avaient fait construire un char d’une grande magnificence, et d’une légèreté telle, que des moutons le traînaient dans un parc immense, où tout lui retraçait les goûts voluptueux qui lui faisaient négliger les soins de son empire. Cet exemple ne tarda pas à trouver des imitateurs parmi les courtisans qui, pour plaire à leur maître, ne se présentaient plus à la cour qu’avec des attelages de cette espèce d’animaux.

SIAM.

On voyage dans ce royaume sur des chevaux assez généralement mauvais. Les éléphans sont la monture la plus usitée, quoi qu’on se serve souvent de buffles et de bœufs. Les chaises à porteurs ne ressemblent pas aux nôtres. Elles sont découvertes et entourées d’une balustrade, dont la richesse des décorations dépend de -155- la qualité des personnes. Les palanquins sont comme les hamacs ou filets de Goa.

Les voitures pour voyager par terre sont moins communes que les barques appelées ballons, employées sur les fleuves, si nombreux de ce pays. Les Siamois sont renommés par leurs courses sur l’eau dans ces sortes de bateaux. A certaines époques on adjuge des prix aux rameurs qui les conduisent avec une vîtesse incroyable. Ils ont aussi des courses de bœufs et de buffles. Ces animaux, que les grands seigneurs font dresser pour cet exercice, courent avec la même rapidité que les chevaux.

BOUTAN.

Il y a des chemins si étroits et si difficiles dans le royaume de Boutan, qu’on y trouve à peine la place du pied. Les précipices que l’on voit à droite et à gauche rendent les voyages très-dangereux. Une coutume singulière et bizarre a lieu dans ces contrées montagneuses ; ce sont les femmes qu’on assujettit à la cruelle corvée de porter les voyageurs, au-devant desquels elles viennent à cet effet avec des boucs pour le transport des bagages.

Le coussin sur lequel les voyageurs se placent, et qui sert de siége, est retenu par des courroies fixées aux épaules. Ces femmes sont disposées par relais de distance en distance, et se reposent ainsi d’un service aussi abject que pénible. Elles ne gagnent qu’une roupie en cinq jours. On donne le même prix pour un bouc, quelle idée peut-on concevoir d’un peuple qui s’avilit à ce point. Heureusement qu’un usage aussi révoltant ne s’est point reproduit ailleurs. N’est-ce pas déjà trop de ce triste exemple ?

JAPON.

Les postes au Japon sont appelées sinka ; elles sont placées quelquefois à un mille de distance l’une de l’autre, et souvent à quatre milles. Tout ce qui peut convenir à la commodité et à l’agrément se trouve réuni à ces stations, où l’on remarque toujours des cours spacieuses pour les chevaux. Le prix de tout ce qu’on peut se procurer à ces postes est réglé par tout l’empire. Il règne dans ces tarifs un grand esprit du justice. Les distances, -156- l’état des chemins et le prix des vivres et des fourrages, contribuent à les modifier suivant les localités. Les ponts, dans cet empire, sont magnifiques ; les chemins unis et plantés comme nos promenades en Europe. Ils sont divisés en milles géométriques, qui commencent au pont de Jedo, placé, croit-on, au centre de l’empire. Les milles sont marqués par des buttes élevées l’une vis-à-vis de l’autre, au sommet desquelles on plante des arbres. Chaque canton est distingué par un pilier qui indique le nom du seigneur dont il dépend et les limites qui le circonscrivent. On a coutume de porter, lorsqu’on voyage, un éventail sur lequel les routes sont marquées, ainsi que les distances des lieux, le prix des postes, celui des vivres et des hôtelleries. Cette idée est ingénieuse, surtout dans un pays où la chaleur du climat rend par là l’usage de l’éventail aussi agréable qu’utile.

Chaque station a un certain nombre de messagers chargés de porter, à la plus voisine, les lettres, les édits, les déclarations ; enfin tout ce qui intéresse le service de l’empereur. Ces dépêches sont renfermées dans une boîte ou coffre verni de noir, sur lequel on voit les armes du prince, et que les messagers portent sur leurs épaules, au moyen d’un bâton auquel elles sont fixées. On a toujours soin de faire marcher deux courriers ensemble, en cas d’accident. Ils portent une cloche à la main et l’agitent de tems en tems, afin d’avertir de leur approche. Cette précaution a pour but de prévenir tous les obstacles qui pourraient s’opposer à leur marche. Les voyageurs, à ce signal, s’arrêtent ou changent la direction de leur route. L’empereur même se soumettrait à cette loi, s’il se trouvait sur leur passage et qu’il pût les retarder dans leur course.

AMÉRIQUE.

Les postes sont très-bien servies au Canada, surtout de Québec à Montréal ; et, pour rendre praticables, en hiver, les routes si généralement belles dans les autres saisons, on y plante des perches, lorsque la neige commence à tomber, afin d’en conserver la direction : dès qu’elles ont pris assez de consistance pour être favorables au traînage, les communications reprennent -157- avec plus d’activité et on fait, par ce moyen, 15 à 20 milles par heure. Les traîneaux, les berlines et les carrioles servent l’hiver : l’été, on voyage en calèche. Ces voitures contiennent trois personnes et sont traînées le plus ordinairement par un seul cheval.

Dépendant autrefois de l’Angleterre, les Etats-Unis ont dû en recevoir les institutions. Les postes aussi n’ont rien changé à l’organisation qu’elles lui doivent. Elles sont toujours remarquables par leur activité, qui ne peut que se conserver et même s’accroître par la prospérité vers laquelle ces contrées tendent de plus en plus. On y compte aujourd’hui plus de six mille bureaux de poste, qui font parvenir les lettres avec une étonnante célérité. Les courriers parcourent 1,500,000 milles de routes de plus qu’ils ne faisaient il y a cinq ans ; malgré tant d’améliorations, les recettes, cette année, égalent les dépenses. Les communications sont favorisées par la beauté des routes[203], les canaux et les ponts suspendus sur des chaînes de fer[204]. Combien les voitures publiques ont dû se multiplier dans un pays où l’on voyage si fréquemment. Les fiacres y sont devenus très-communs. Il y a 15 ans on n’en comptait pas 25 à Philadelphie, il s’en trouve aujourd’hui plus de 600 ; les chevaux, généralement très-beaux et très-robustes, sont dressés à aller l’amble et font cinq milles par heure et 15 lieues par jour. Il est à remarquer que les postillons ne manquent jamais de s’arrêter, après avoir parcouru 4 milles, pour faire abreuver leurs chevaux. Ces haltes fréquentes, dont ils profitent eux-mêmes pour leur compte, très-désagréables en hiver pour les voyageurs, ont un but d’utilité pour les chevaux, auxquels elles redonnent une nouvelle vigueur. Il serait impossible d’en agir autrement, vu la rapidité avec laquelle on leur fait parcourir la distance qui se trouve entre chaque relais. Du reste, les routes sont généralement commodes.

[203] On s’occupe, aux Etats-Unis, du projet d’une grande route qui doit aller de Washington à Mexico pendant 3300 milles [1100]. Le gouvernement mexicain doit coopérer à cette dépense.

[204] Il n’en existait que 8 en 1820, et on en compte aujourd’hui plus de 40.

On cite parmi les hommes remarquables qui ont dirigé -158- les postes de l’Amérique septentrionale, le célèbre Benjamin Franklin[205]. Il fut d’abord directeur des postes de la Pensylvanie, et il s’acquitta si bien de cet honorable emploi, que le gouvernement le nomma, en 1753, à celui plus important et plus lucratif de directeur-général des postes de l’Amérique.

[205] Il occupait encore cette place, en 1766, lorsqu’il parut à la chambre des communes de Londres, au sujet de la révocation de l’accise du timbre.

Jamais contrées ne furent plus favorablement partagées pour jouir pleinement de l’avantage de la navigation par le moyen des bâtimens à vapeur. On sait combien les beaux fleuves qui les traversent sont convenables à ces entreprises maritimes, et combien la correspondance a acquis de célérité et de régularité depuis cette découverte. En 1787, Fitch parvint à naviguer sur la Delaware, avec une assez grande vîtesse, mais à l’aide d’un mécanisme trop peu solide pour être employé avec un succès soutenu. C’est à Robert Fulton que les Etats-Unis doivent le précieux avantage d’avoir donné l’exemple de cette navigation aussi utile que merveilleuse. Le premier bateau que cet ingénieur a construit en Amérique, fit, en 1807, le trajet d’Albanie à New-Yorck (57 lieues) en 32 heures, et revint en 30 heures. Depuis ce tems, l’usage des bateaux à vapeur s’est répandu avec une étonnante rapidité. M. Marestier, déjà cité, estime qu’il y en a plus de 60 sur le Mississipi, 40 au moins sur le Canal de l’île longue, le Hudson, etc., outre ceux du fleuve Saint-Laurent et des grands lacs au nord des Etats-Unis.

Autrefois, le trajet de la Nouvelle-Orléans à Louisville, qui est de 150 lieues de poste en suivant le cours des rivières, ne durait pas moins de trois mois ; aujourd’hui, quelques bateaux de la Nouvelle-Orléans se rendent en 14 jours jusqu’à Cincinnati, c’est-à-dire 54 lieues plus haut que Louisville. A la Louisiane, ces bateaux[206] font la navigation du fleuve et des rivières qui y affluent et jaugent 40 ou 50 tonneaux. Ou en voit même de 900 tonneaux, qui portent un nombre considérable de passagers.

[206] On en compte sur une seule rivière plus de 100 et plus de 50 dans un seul port. Ils jaugent ensemble plus de 14 mille tonneaux.

-159- Nul doute que dans dix ans on ne parvienne à communiquer aux grands lacs du nord-ouest, à la mer Atlantique, de là à l’Isthme de Panama, et peut-être à travers cet Isthme, à la Chine et à la Nouvelle-Hollande, par le moyen de ces bâtimens ; ils servent actuellement aux voyages de New-Yorck à Pensacola, à la Nouvelle-Orléans et à la Havane. On y trouve les commodités, les avantages et les agrémens, des voitures et des hôtelleries les meilleures de l’Europe.

On remarque encore chez les esquimaux de la baie de Baffin l’usage des attelages de chiens aux traîneaux.

PÉROU.

On courait la poste au Pérou sur les épaules d’hommes destinés à ce service. Leur diligence à parcourir une distance qui ne devait pas excéder un mille, était si étonnante, qu’elle égalait la vîtesse d’un cheval. Ce qui surprenait davantage, c’était leur adresse à décharger sans s’arrêter le voyageur qu’ils portaient, pour le jeter sur les épaules du courrier qui les remplaçait.

Lors de la conquête que les Espagnols firent de cet empire en 1527, les chemins étaient magnifiques. Ils remarquèrent surtout que celui qui conduisait de Cusco à Quito, dans une étendue de près de cinq cents lieues, était aligné avec soin, pavé avec solidité, bordé d’arbres appelés molly, aux pieds desquels coulaient deux ruisseaux. Ce chemin était aussi revêtu de chaque côté de murailles parfaitement construites pour retenir les terres. L’imagination est surprise des travaux qu’il a fallu entreprendre pour venir à bout d’un projet aussi vaste, soit en perçant des montagnes ou comblant des précipices, d’autant plus que les Péruviens étaient privés de machines propres à transporter les pierres[207] pour la construction des édifices établis de distance en distance sur les routes. L’étonnement redouble en considérant la hardiesse de ces ponts suspendus par des cordages avec lesquels la communication entre Lima et Quito fut rendue si facile. L’Europe peut imiter ces entreprises gigantesques avec la supériorité que donne l’industrie aux -160- peuples civilisés, sans rien ôter à la gloire de ces nations qui, n’ayant pas les mêmes avantages, ne trouvaient aucun obstacle pour se frayer un passage à travers les montagnes les plus élevées et les plus inaccessibles du globe.

[207] Les moindres avaient dix pieds carrés.

Quant aux courriers appelés chasqui, leur emploi consistait à porter les ordres de l’Inca aux gouverneurs des provinces. Placés au nombre de six dans de petites cabanes distantes l’une de l’autre d’un quart de lieue, les uns veillaient constamment pour être prêts à porter sans délai, à la station voisine, le message qu’ils recevaient de vive voix d’aussi loin qu’ils pouvaient l’entendre, afin de le transmettre de la même manière ; les autres, pendant ce tems se livraient au repos que ce service fatigant et continu leur rendait si nécessaire. On conçoit avec quelle rapidité les volontés du monarque parvenaient sur tous les points de l’empire.

Quelle ressource offrait encore aux Péruviens leurs nœuds ou quipos. La différence des couleurs, la variété des contextures, avaient une signification très-multipliée, qui donnait les moyens de correspondre plus secrétement. Les quipos étaient composés de petits cordons de laine de toutes couleurs arrangés et contournés en divers sens. On attachait à chacune de ces formes, de ces couleurs, la signification des choses les plus essentielles. Ainsi, un rond fait avec de la laine blanche ou jaune représentait la lune ou le soleil. Les Péruviens correspondaient par la voix ; mais, lorsque la commission devait être secrète, ils se donnaient l’un l’autre une espèce de quipos ; c’était alors un chiffre convenu entre l’Inca et le gouverneur auquel il était adressé.

La maîtresse de Pizarre trouvait les nœuds pour exprimer la pensée bien insuffisans auprès des caractères européens. Ce langage, disait-elle, était trop borné pour rendre ce que je ressentais pour mon amant.

MEXIQUE.

La nouvelle de la présence de Cortez au Mexique jeta l’effroi dans tout l’empire de Montezuma. Ce prince, qui régnait alors, ne tarda pas à en être instruit ; car, selon la coutume de cet état, il avait des courriers qui l’entretenaient de tout ce qui s’y passait. On choisissait -161- les jeunes gens les plus dispos qu’on exerçait dès le premier âge. La principale école était le grand temple de la ville de Mexico. Il y avait des prix tirés du trésor public pour celui qui arriverait le premier au pied de l’idole. Dans ces courses, qu’ils faisaient d’une extrémité de l’empire à l’autre, ils se relevaient de distance en distance avec une mesure si proportionnée à leur force, qu’ils se succédaient avant d’être las. Les dépêches qu’ils apportaient à l’Empereur consistaient en des pièces de toiles peintes, sur lesquelles étaient représentées les différentes circonstances des affaires dont ils devaient être instruits. Les figures étaient entremêlées de caractères qui suppléaient à ce que la peinture n’avait pu exprimer.

Dans les circonstances extraordinaires, les Péruviens et les Mexicains, comme les peuples anciens, employaient la fumée et les feux pour transmettre au loin les avis qui intéressaient le salut de l’état.

Non-seulement on avait reconnu les chiens propres aux attelages, mais encore à servir de courriers. On leur attachait au cou les dépêches qu’on voulait qu’ils transportassent, et l’instinct dont ce précieux animal est doué, le conduisait à fournir sa course avec rapidité, et même encore à défendre le paquet qui lui était confié contre toute entreprise indiscrète. Les Portugais, dit-on, les ont employés à cet usage lors de leurs conquêtes aux Indes.

Dans l’intérieur de l’Amérique du sud, pour les communications, soit du Brésil, de Buenos-Ayres, soit des provinces de l’ouest situées aux pieds des Andes, les marchandises d’un grand poids sont transportées quelquefois sur des chars traînés par des bœufs ; mais le mauvais état des routes, les ruisseaux bourbeux et les étangs, rendent ce mode excessivement long : on se sert plus communément de mules et de chevaux de bât. Les maisons de poste, qu’on trouve de distance en distance, sont de misérables chaumières presque abandonnées et très-incommodes par les insectes qui s’y rassemblent.

Il n’y a que quatre passages dans la partie de la cordillière méridionale, dont un seul est assez large pour que les chars y passent avec facilité.

-162- Nous ne porterons pas plus loin l’énumération, peut-être déjà trop prolongée dans un essai de ce genre, des moyens de correspondre et de voyager chez tous les peuples du monde. Nous nous bornerons à observer que le séjour des Européens dans leurs possessions d’outre-mer[208] et les relations non interrompues que celles-ci entretiennent avec les métropoles, ne laissent plus d’incertitude sur la possibilité de communiquer avec les diverses contrées répandues sur tous les points du globe.

[208] Une compagnie anglaise a déjà rassemblé de très-grands capitaux destinés à la construction de routes, de canaux, de bâtimens à vapeur, de chemins en fer et de tous les ouvrages propres à établir, dans l’Amérique méridionale, les moyens rapides et perfectionnés employés en Europe pour multiplier les communications. Parmi les singularités que nous avons remarquées dans le cours de cet essai sur la docilité de certains animaux, nous citerons encore les tigres, dressés à conduire le chariot de M. Carneiro, procureur à Bogota. Ils sont tellement apprivoisés, qu’il s’en sert habituellement pour se rendre au palais de justice.

Et quoiqu’il n’existe pas en France de bâtimens[209] spécialement destinés au transport des lettres, le service des postes maritimes n’en a pas moins lieu avec toute la régularité qu’on remarque sur le continent. Aucun vaisseau n’y est attaché ; tous y coopèrent ; et le nombre considérable de ceux que le commerce emploie à faciliter ses échanges, sert aussi à multiplier ceux de la pensée.

[209] Le bateau à vapeur le Galibi, nommé la Caroline depuis le voyage de S. A. R. Madame duchesse de Berri en Normandie, parti du Havre, est arrivé sur la côte de la Guyanne en 36 jours de traversée. Ce bâtiment est destiné à naviguer entre les divers points de cette intéressante colonie, coupée par de nombreuses rivières, qui deviendra bien plus importante, lorsqu’on aura mis à exécution les divers projets de canalisation.

-163-

QUATRIÈME PARTIE.
PRATIQUE DES POSTES.

Les postes, après avoir éprouvé tant de variations, semblent établies sur des bases fixes et durables. Une longue expérience a fait rectifier peu à peu tout ce que la théorie n’offrait pas d’assez régulier dans la pratique.

Il serait sans doute insuffisant d’en suivre l’histoire, si l’on ne cherchait dans le code qui les régit les moyens sûrs de profiter pleinement des avantages qui en résultent pour la société. En effet, quelle administration est d’un usage plus répandu ? Quel est l’individu, quelque puissant ou quelque obscur qu’il soit dans l’Etat, dont elles ne servent les relations d’intérêt, de famille, d’amitié et de bienséance. On est cependant frappé de l’insouciance qu’on rencontre généralement dans le monde à cet égard, et surpris d’y voir ignorer jusqu’aux plus simples notions d’un service dont le besoin se fait sentir presque à chaque instant.

Nous ne croirions donc pas avoir rempli la tâche que nous nous sommes imposée, si, à la suite de ces considérations générales sur les postes, nous n’entrions pas dans quelques détails indispensables propres à servir de guide dans la pratique.

La direction générale des postes comprend actuellement, sous ce titre, la poste aux lettres et la poste aux chevaux : elle est administrée par un directeur-général, M. le marquis de Vaulchier, grand-officier de la Légion-d’Honneur, conseiller-d’Etat et membre de la chambre des députés, sous l’autorité et la surveillance duquel le travail est réparti entre les trois administrateurs qui lui sont adjoints.

M. N., administrateur de la 1.re division, est chargé -164- des relais[210], des correspondances[211] et du bureau[212] des malles et estafettes ;

[210] M. Forgeot L. H., chef de division. Création et suppression des relais, fixation des distances, gages et indemnités aux maîtres de poste ; secours et pensions aux postillons.

[211] M. de Raucogne [Henri], chef de division. Etablissement et suppression des bureaux de poste, distribution, entrepôts, services de nuit, coïncidence des courriers, fixation des dépenses dans les départemens, inspecteurs, offices étrangers.

[212] M. Pierrot, chef.

M. le comte de Raucogne L. H., administrateur de la 2.e division, s’occupe de ce qui est relatif à la vérification[213] des droits et produits, et du personnel[214] ;

[213] M. Mahon, chef de division. Vérification des bordereaux des droits et produits établis par les comptables. — M. Gachet, agent comptable. Recette et dépense faite pour le service intérieur à l’hôtel des postes.

[214] M. Tenant de la Tour L. H., chef de division. Notes d’informations et rapports sur le personnel des employés, présentation aux emplois vacans. — M. de Richoux, chef de division des services.

M. Barthe-la-Bastide L. H., membre de la chambre des députés, administrateur de la 3.e division, dirige le départ[215], l’arrivée[216], la division[217] de Paris, les articles[218] et le bureau des voyageurs[219].

[215] M. Bousquet, chef de division. Taxe des lettres, affranchissemens, chargemens, expédition des estafettes, courriers extraordinaires pour les départemens et l’étranger.

[216] M. Jaqueson de Vauvignol, croix L. H., chef de division. Réception et vérification des dépêches, tri et remise des lettres et paquets pour le Roi et les ministres.

[217] M. Ginisly L. H., chef de division. Paris, bureau de distribution, affranch. des p. p. Paris : tri, distribution générale.

[218] M. Itasse L. H., chef de division. Mouvement, surveillance et comptabilité des articles d’argent et valeurs cotées qui sont déposés à Paris et dans les départemens.

[219] M.    , chef.

Le secrétaire-général, M. le baron Roger (O. L. H.), membre de la chambre des députes, a dans ses attributions le bureau d’enregistrement des dépêches, le bureau d’ordre ou 1.er bureau (franchises et contre-seings), le bureau du budget, le bureau du matériel, le bureau du dépôt et des derniers rebuts, et tout ce qui a rapport aux transports frauduleux.

On compte douze bureaux de poste à Paris, en y comprenant ceux de la cour, de la chambre des pairs et de la chambre des députés, desquels dépendent des -165- boîtes en très-grand nombre, placées dans les lieux les plus apparens. Ces boîtes sont levées, deux heures en deux heures, sept fois en été et six en hiver. Le terme moyen de chaque distribution est de trois heures. Les distributions, pour les bureaux établis dans la banlieue se font deux fois par jour.

Toutes les lettres de réclamations relatives au service doivent être adressées à M. le directeur-général des postes.

Les inspecteurs des postes sont les agens supérieurs dans les départemens. Ils sont au nombre de trente, et leurs divisions comprennent, à quelques exceptions près, trois départemens.

Le nombre des bureaux de poste, en France, est de 1371[220], non compris les distributions. Ils sont administrés par des directeurs ; mais tous n’ont pas de contrôleurs, de commis, de distributeurs, de garçons de bureau et de facteurs. Cette organisation, plus ou moins modifiée, dépend de l’importance des localités : on distingue, par cette raison, les bureaux en simples et composés.

[220] 1825.

Chaque bureau de poste a une boîte dont l’ouverture, placée extérieurement, est destinée à recevoir les lettres qu’on y jette tant le jour que la nuit. Dans les grandes villes, ces boîtes, appelées petite-poste, sont établies dans les divers quartiers, d’où les lettres sont retirées plusieurs fois dans la journée pour être transportées au bureau appelé grande-poste.

On entend par lettre, épître ou missive, la feuille de papier écrite d’une dimension déterminée, dont la forme, après avoir été repliée sur elle-même, est celle d’un carré long. Le côté où les plis se rejoignent pour recevoir le cachet qui la clot, s’appelle le dos ; l’autre, qui est le dessus, est destiné à l’adresse ou suscription.

L’adresse doit être claire, précise, lisiblement écrite et dégagée de toute explication surabondante.

Il est essentiel de s’informer des heures d’ouverture des bureaux de poste de chaque lieu où l’on se trouve, de celles des levées de boîtes pour le départ des courriers de chaque route, ainsi que des jours où s’expédient ces courriers : les retards dans l’expédition, et par conséquent la réception des lettres proviennent toujours -166- de l’incertitude du public à cet égard. Il est facile de le démontrer. Les courriers expédiés de Paris pour les provinces, et réciproquement de celles-ci pour la capitale et les villes du royaume, partent tous les jours et le plus généralement trois fois la semaine. Il est clair que, si, se trompant d’heure, on jette une lettre à la boîte, le lundi par exemple, après le départ d’un courrier qui ne doit plus avoir lieu que le jeudi suivant, elle éprouve, en séjournant dans le bureau d’expédition, un retard de 72 heures. Supposons la même erreur de la personne qui doit y répondre, et on aura la solution d’un problème qui étonne tout le monde, excepté les agens des postes qui ont tant d’occasions de gémir sur une insouciance si préjudiciable aux intérêts du public.

Il n’est peut-être pas hors de propos de donner ici une idée générale des opérations qui ont lieu pour les lettres depuis l’instant où elles sont jetées à la boîte jusqu’à celui où elles sont remises aux destinataires.

Les lettres retirées de la boîte sont portées sur une table pour être timbrées ; puis on les trie pour les placer dans les cases destinées à chaque correspondance ; on les taxe ensuite, après les avoir pesées, s’il y a lieu, en suivant les progressions du tarif ; on les compte, et le montant contenu dans chaque case est porté sur une lettre d’avis jointe au paquet qu’on en forme, en le ficelant, le couvrant de plusieurs feuilles d’un papier très-fort, le reficelant et fixant les bouts de la ficelle avec de la cire sur laquelle on applique le cachet du bureau. La couverture porte encore, écrit à la main, le nom du bureau auquel on expédie le paquet, et le timbre du bureau expéditeur. On inscrit aussi sur un registre le montant des lettres contenues dans cette dépêche ; et, après avoir rempli les mêmes formalités pour chaque correspondance (il y a des bureaux qui en ont jusqu’à cent), on les classe par route, et on en porte le nombre sur une feuille ou part qui sert à établir la responsabilité des courriers auxquels ces paquets sont confiés.

Voilà pour l’expédition. Cette opération, pour laquelle les instructions accordent une heure, depuis la dernière levée de la boîte, se fait ordinairement dans une demi-heure, tant l’intelligence et la promptitude des officiers des postes sont remarquables.

-167- A la réception des dépêches, qui a lieu immédiatement après l’arrivée du courrier, on en constate le nombre, et on en fait l’ouverture pour s’assurer si le montant des lettres qu’elles contiennent est conforme à celui indiqué sur les feuilles d’avis qui les accompagnent ; on les remet aux facteurs ou distributeurs, qui les trient, reconnaissent l’exactitude des sommes auxquelles elles montent, et s’acheminent, sans délai, vers leurs quartiers respectifs, pour en faire la distribution.

Il est facile de juger, d’après ces diverses opérations, du travail auquel une lettre donne lieu, et combien il est minutieux, puisque nous avons vu que Paris en reçoit et en expédie plus de 30,000 par jour, sans compter 35,000 feuilles périodiques.

La lettre est simple, lorsqu’elle ne pèse pas six grammes, et non parce qu’elle est formée d’une simple feuille de papier et même d’une demi-feuille. Le poids seul détermine cette dénomination, toujours mal interprétée par le public. Lettre simple, dans ce cas, est synonime de non pesante. Il faut, pour éviter toute méprise, n’employer que le papier dit papier à lettre et choisir le plus fin. On y trouvera un grand avantage, puisque la plus légère différence dans le poids fait une augmentation qui ne peut être moindre d’un décime.

La lettre taxée est celle dont le prix exprimé en décimes se place sur le dessus ou suscription. Les chiffres dont on se sert à cet effet ont une forme particulière. Dès que la lettre n’est plus simple, l’application du tarif, qui a lieu d’après son poids, est indiquée par les chiffres 7, 8, 11, 15, etc., inscrits dans l’angle supérieur gauche de la suscription.

La lettre est surtaxée lorsque diverses causes ont concouru à une fausse application du tarif. Dans ce cas, les destinataires sont toujours admis à réclamer la réduction de la taxe au taux légal, et, par conséquent, le remboursement de cet excédant, qui ne peut être alloué que d’après l’ordre du directeur-général des postes, et sur la représentation de la lettre recachetée, de l’enveloppe, de la suscription même (lorsqu’on peut l’en détacher sans inconvénient), qui lui est transmise par l’intermédiaire des directeurs des postes. Cette pièce est renvoyée de Paris avec l’autorisation de paiement.

-168- Tout particulier a le droit de refuser les lettres qui lui sont présentées. Le principe de justice qui guide l’administration dans cette mesure, la porte à le retirer dès l’instant que la lettre a été reçue et à plus forte raison décachetée sciemment. Dans le cas de refus d’une lettre, elle est conservée pendant trois mois dans le bureau de poste ou elle est arrivée, pour être remise au destinataire, s’il croyait devoir la retirer dans cet intervalle. Passé ce délai, les réclamations n’ont plus lieu qu’à Paris.

L’expéditeur de lettres mal cachetées, recachetées, ou dont le cachet porte des traces d’altération, doit toujours faire mention dans sa lettre, ou sur la suscription même, des raisons qui l’ont causée, pour éviter les soupçons qui pourraient être dirigés contre les officiers des postes.

Il y a des lettres blanches, et d’autres dont l’adresse est vicieuse ou imparfaite : ce cas se présente fréquemment. On appelle blanches, celles auxquelles l’adresse manque entièrement. Les autres, ou portent le nom du lieu sans celui du destinataire, ou le nom de celui-ci, en ayant omis la désignation du lieu, ou sont privées des indications propres à fixer l’incertitude de l’agent des postes sur la direction qu’il doit leur faire suivre.

Ces lettres sont immédiatement envoyées à Paris, afin d’obtenir les renseignemens convenables pour leur donner cours ; dans ce cas, celui qui reçoit la lettre qu’il a écrite, ne peut mettre en doute l’erreur qu’il a commise ; mais, le défaut de réflexion, quelquefois une injuste prévention, et presque toujours l’ignorance des lois, donnent occasion de croire que les directeurs des postes s’arrogent arbitrairement la faculté d’ouvrir les missives. Cette formalité, commandée par la nécessité, n’est jamais remplie que par le directeur-général et les administrateurs des postes, dans l’intérêt des particuliers, et en vertu des lois du royaume[221].

[221] La loi du 7 nivose an 10 règle les époques d’ouverture, de brûlement et de garde : elle fixe à cinq ans la garde des objets importans et de valeur : ces derniers sont alors transmis au trésor royal.

Les lettres ne doivent contenir aucun objet étranger à la correspondance.

-169- On peut réclamer les lettres mises à la boîte avant le départ du courrier, soit pour les retirer, soit pour en rectifier l’adresse, seulement quand on les a écrites et signées, et en remplissant certaines formalités exigées rigoureusement.

Dans cette circonstance, et comme dans toutes celles où les officiers des postes opposent la sévérité des règlemens, le public croit voir des entraves. Mais qu’il se persuade bien que toutes ces mesures sont dans son intérêt et qu’elles ajoutent une nouvelle garantie à l’inviolabilité du secret des lettres.

La similitude de noms, et la briéveté de l’adresse qui ne contient que le nom du destinataire et du lieu de destination, causent souvent des méprises sur l’ouverture des lettres. Dans ce cas, la personne qui a ouvert la lettre qu’elle reconnaît ne pas lui appartenir, doit l’attester sur le dos, en signant qu’elle a été, ouverte par conformité de nom. Les employés des postes font les recherches nécessaires pour trouver le véritable destinataire ; car le but n’est pas tant de placer la lettre pour en toucher le prix du port, que de la remettre à la personne à laquelle elle est véritablement destinée ; d’où il suit que l’intérêt du Trésor dans la perception du port n’est que secondaire, puisque la lettre est moins une denrée, une marchandise qu’on débite indifféremment, qu’une propriété qui ne peut être détournée des mains de son possesseur.

Les lettres sous un nom supposé ne peuvent être remises aux personnes qui les réclameraient.

Il n’est pas nécessaire de faire sentir les dangers que ce mode de correspondance entraînerait.

On entend par lettres à poste restante celles qui ne sont remises aux destinataires que sur leur réclamation et qui ne peuvent être comprises dans les distributions faites par les facteurs.

Les lettres franches sont celles qui par certaines formalités, telles que le contre-seing, ne sont point assujetties à la taxe. Elles intéressent le service du Roi, pour lequel l’administration des postes a été établie originairement.

On peut s’adresser aux directeurs des postes afin de connaître les fonctionnaires de l’état qui jouissent de la franchise sans restriction.

-170- Les lettres affranchies sont celles dont le port est payé d’avance par l’envoyeur, pour que le destinataire n’ait aucun prétexte de la refuser.

Les lettres affranchies sont taxées devant la personne qui les présente d’après les mêmes règles que celles jetées à la boîte. Ce qui les distingue de celles-ci, c’est que la taxe est placée sur le dos, et que le timbre porte deux PP.

L’affranchissement est volontaire ou forcé. Il est libre, par exemple, pour tout le royaume : on entend par ce mot, la faculté d’affranchir ou de ne pas affranchir. Il est essentiel d’affranchir toutes les lettres pour les personnes chargées de fonctions publiques, telles que ces curés, préfets, sous-préfets, juges, maires, députés, agens-d’affaires, etc., et même les particuliers avec lesquels on n’a pas de relations habituelles, parce que ces lettres sont ordinairement refusées, lorsque le port n’en est pas payé d’avance. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, le public chercherait en vain à rejeter sur la poste toute responsabilité. Les détails qui précèdent et ceux qui suivent, suffiront, croyons-nous, pour détruire d’injustes préventions, et pour prouver que les erreurs qui se modifient de tant de manières, ne peuvent jamais lui être imputées.

Nous avons indiqué, dans la troisième partie, les principaux lieux pour lesquels l’affranchissement est forcé ou volontaire : on pourra y recourir à l’occasion. Mais comme les arrangemens entre l’office général de France et les offices étrangers peuvent subir des modifications, nous engageons à consulter à cet égard le livre de poste que nous avons cité dans le cours de cet ouvrage.

Les lettres des colonies sont celles transportées par les bâtimens du commerce destinées pour les provenances d’outre-mer. Elles doivent être affranchies.

Les lettres simples pour les militaires en activité, jusqu’au grade d’officier, jouissent, lorsqu’on les affranchit, d’une modération de taxe qui est fixée à vingt-cinq centimes.

Les imprimés présentés sous bandes à l’affranchissement, qui ne contiennent aucune écriture à la main (excepté la date et la signature pour les circulaires), paient cinq centimes par feuille d’impression ; et quatre centimes seulement lorsque ce sont des journaux. -171- Le plus grand nombre est assujetti au droit du timbre[222].

[222] Les lettres de faire part de naissances, de mariages et de décès en sont exemptes.

Par lettres chargées on entend celles qui sont présentées au directeur et pour lesquelles il perçoit le double du port ordinaire de la lettre affranchie ou jetée à la boîte. Ces lettres doivent être sous enveloppe et cachetées de 3 ou 5 cachets en cire avec empreinte : elles sont enregistrées et frappées du timbre du bureau et de celui portant le mot chargé. L’administration ne répond que de ces sortes de missives, pour lesquelles elle accorde cinquante francs, lorsqu’elles ne parviennent pas à leur destination. Afin de faciliter les recherches, en cas de réclamation, il est délivré un bulletin à l’envoyeur.

Le destinataire est toujours prévenu de l’arrivée de la lettre (que lui seul peut retirer), pour laquelle il donne son reçu sur les registres tenus à cet usage. Il peut néanmoins, en cas d’absence, se faire représenter pour remplir ces formalités. Mais une procuration quelque générale et quelqu’étendue qu’on pût la supposer, qui ne contiendrait pas la clause spéciale de retirer les lettres de la poste, serait sans valeur près des directeurs. Cette omission, qui peut entraîner de graves inconvéniens, devrait éveiller l’attention des hommes publics auxquels la rédaction de pareils actes est confiée.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que les lettres, même décachetées, destinées pour un lieu où se trouve un bureau de poste, ne peuvent être transportées que par les courriers de l’administration. Toute autre voie, qui constate un délit de fraude[223], serait d’autant moins excusable que les moyens de correspondre, multipliés à grands frais chaque jour, entretiennent une activité admirable dans les relations.

[223] Dans ce cas, le destinataire qui réclame sa lettre, en paie le double port ; et le contrevenant est condamné à une amende qui ne peut être moindre de 150 francs.

On comprend sous le titre d’articles, les espèces d’or et d’argent, ayant cours, présentées à découvert pour être acquittées dans tous les bureaux de poste du royaume -172- seulement, et pour lesquelles on paie un droit fixe de 5 centimes par franc et 65 centimes pour le timbre de la reconnaissance[224]. Cette pièce est détachée d’un talon ou lettre d’avis que le directeur envoie à son correspondant ; d’un bulletin qui reste aux mains de l’envoyeur et d’une souche envoyée à la direction générale. On voit par là qu’il ne faut altérer en rien la dimension de la reconnaissance expédiée par le déposant au destinataire, puisqu’à l’instant du paiement elle est rapprochée de la lettre d’avis. S’il restait quelqu’incertitude après cette comparaison, le directeur se refuserait à faire droit à toute réclamation jusqu’à plus ample information.

[224] Les sommes au-dessous de 10 francs, adressées aux militaires en activité de service, n’y sont point assujetties.

Les articles ne sont payables qu’au destinataire ou à un fondé de pouvoirs spéciaux.

Les valeurs cotées se composent des bijoux, pierreries ou autres objets précieux qui sont déposés à découvert, afin que le directeur puisse en apprécier la valeur, sur l’estimation de laquelle il perçoit le même droit que pour les articles d’argent, en se conformant à peu près aux mêmes formalités. Les objets sont renfermés, en présence du directeur, dans une boîte ficelée et cachetée en cire du cachet de l’envoyeur.

Les malles-postes sont ces voitures élégantes, à quatre places, montées sur ressorts, ayant quatre roues, attelées de quatre chevaux et destinées au transport des dépêches et des voyageurs. La régularité dans les heures de départ et d’arrivée, et la célérité avec laquelle on peut parcourir l’étendue du royaume, ne sont pas les seuls avantages qu’offre cette manière de voyager.

Le prix des places, sans distinction d’âge, est d’un franc cinquante centimes par poste.

Les directeurs sont chargés de l’enregistrement des voyageurs et de la recette des places, dont le prix doit être acquitté avant le départ.

Tout voyageur qui ne se serait pas muni d’un passeport ne pourrait être admis dans ces voitures.

La poste[225] aux chevaux dépend de la direction -173- générale de la poste aux lettres et elle est sous la surveillance immédiate des inspecteurs des postes.

[225] Le maître de la poste aux chevaux à Paris, M. Dailly, a son relais rue Saint-Germain-aux-Prés, n.o 10.

M. Davrauge de Montville, préposé à la distribution des permis, a son bureau à la poste aux chevaux.

On compte 1463 relais, composés chacun d’un nombre de chevaux nécessaires[226], qui varie suivant l’importance des lieux, mais qui ne peut être moindre de quatre.

[226] Dénomination donnée aux chevaux fixés par le réglement.

Ils sont fournis et entretenus par des agens, sous le nom de maîtres de poste, pour transporter les dépêches du Roi et des particuliers, et conduire les voyageurs d’après les réglemens. Outre le prix qu’ils retirent de la course des chevaux employés à ce service, ils reçoivent des gages qui ne peuvent s’élever au-dessus de 450 fr., ni être au-dessous de 250 fr.

Par arrangement conclu en 1822, les maîtres de poste conduisent les messageries : celles-ci sont exemptes par là du droit de 25 centimes par cheval à leurs voitures, créé au profit des premiers.

Chaque relais, à la tête duquel est un maître de poste, a un nombre déterminé de postillons, comme lui, à la nomination du directeur-général des postes.

Chaque poste doit être parcourue dans une heure ; et le maître du relais est tenu de présenter son registre d’ordre, sur la demande de tout voyageur qui croit devoir y consigner ses plaintes.

Le livre de poste qui paraît annuellement, nous dispense d’entrer dans d’autres détails : ils seraient encore insuffisans pour celui qui entreprendrait de voyager par la poste sans en être muni.

On appelle estafette[227] le courrier chargé de porter d’une poste à l’autre les dépêches extraordinaires renfermées dans un portefeuille, dont la clef reste aux mains des directeurs. Ce moyen est tellement prompt, qu’une distance de cent lieues peut être parcourue en moins de 25 heures.

[227] Cette dénomination n’est pas applicable aux courriers extraordinaires qui transmettent avec diligence la dépêche qu’ils ont reçue jusqu’à sa destination. Ces sortes d’expéditions sont assujetties à des règles particulières.

Le gouvernement l’emploie dans les circonstances -174- importantes et sur les points où il n’existe pas de lignes télégraphiques.

Les particuliers ne peuvent participer à cet avantage qu’avec l’autorisation des directeurs de la poste aux lettres.

Nous croyons qu’il n’est pas nécessaire d’entrer dans de nouvelles explications sur l’usage des postes, surtout après y avoir été conduit si naturellement par nos recherches sur leur origine, leur but, leur importance, leurs progrès et leurs résultats. La pratique vient ici à l’appui de la théorie.

Il nous semble donc qu’il ne peut rester d’incertitude sur l’utilité d’une institution si généralement répandue et sur les avantages inappréciables que la société en retire.

C’est une vérité prouvée par les faits, proclamée par l’histoire, et confirmée chaque jour par l’expérience.

FIN.

ERRATA.

Page 12 ligne 5. Retranchez mais.

Page 38 ligne 5. Une virgule après mesure, et ligne 8 un point après usuraire.

Page 41 ligne 30. Une virgule après individus, et deux points, ligne 32, après guerre.

Page 95 ligne 20. Port : lisez : part.

Page 170 ligne 12. Ces : lisez : les.

-175-

Note de la page 28.
ÉDIT SUR LES POSTES.

Le seigneur et Roy (Louis XI) ayant mis en délibération avec les seigneurs de son conseil, qu’il est moult nécessaire et important à ses affaires et à son estat de sçavoir diligemment nouvelles de tous costez, et y faire, quand bon luy semblera, sçavoir des siennes ; d’instituer et d’establir en toutes les villes, bourgs, bourgades, et lieux que besoin sera jugé plus commodes, un nombre de chevaux courants de traitte en traitte, par le moyen desquels ses commandements puissent estre promtement exécutez, et qu’il puisse avoir nouvelles de ses voisins quand il voudra, veut et ordonne ce qui en suit.

Que sa volonté et plaisir est que dèz à présent et doresnavant, il soit mis et establi spécialement sur les grands chemins de son dit royaume, de quatre en quatre lieues, personnes séables, et qui feront serment de bien et loyaument servir le Roy, pour tenir et entretenir quatre ou cinq chevaux de légère taille, bien enharnachez et propres à courir le galop durant le chemin de leur traitte, lequel nombre se pourra augmenter, s’il est besoin.

Le Roy nostre seigneur veut et ordonne qu’il y ait en la dite institution et establissement et générale observation, et pour en faire l’establissement un office intitulé conseiller grand-maistre des coureurs de France ; qui se tiendra près de sa personne, après qu’il aura esté faire le dit establissement, pour ce faire luy sera baillé bonne commission.

Et les autres personnes qui seront ainsi par luy establies de traitte en traitte, seront appelées maistres, tenant les chevaux courans pour le service du Roy.

Les dits maistres seront tenus, et leur est enjoint de monter sans aucun délay ni retardement, et conduire en personne, s’il leur est commandé, tous et chacuns les courriers et personnes envoyées de la part du dit seigneur ayant son passeport et attache du grand-maistre des coureurs de France, en payant le prix raisonnable, qui sera dit ci-après.

Porteront aussi lesdits maistres coureurs toutes despêches et lettres de sa majesté qui leur seront envoyées de sa part et des gouverneurs et lieutenans de ses provinces et autres officiers, pourveu qu’il y ait certificat ou passeport dudit grand-maistre des coureurs de France, pour les choses qui partiront de la cour et hors d’icelle, des dits gouverneurs, lieutenans et officiers, que c’est pour le service du Roy, lequel certificat sera attaché au dit paquet, et envoyé avec un mandement du commis du dit grand-maistre des coureurs de France, qui sera par luy establi en chacune ville frontière de ce royaume, et -176- autre bonnes villes de passage que besoin sera ; le dit mandement addressant audit maistre des coureurs, pour porter sans retardement lesdits paquets, ou monter ceux qui seront envoyés pour les affaires du Roy.

Et afin qu’on puisse savoir s’il y aura eu retardement, et d’où il sera procédé, le dit seigneur veut et ordonne que le dit grand-maistre des coureurs, et ses dits commis cottent le jour et l’heure qu’ils auront délivré lesdits paquets au premier maistre-coureur, et le premier au second, et aussi semblablement pour tous les autres maistres-coureurs à peine d’estre privez de leurs charges, et des gages, priviléges et exemptions qui leur seront donnés par la présente institution.

Ausquels maistres coureurs est prohibé et deffendu de bailler aucuns chevaux à qui que ce soit, et de quelque qualité qu’il puisse estre sans le mandement du Roy et du dit grand-maistre des coureurs de France, à peine de la vie. D’autant que le dit seigneur ne veut et n’entend que la commodité du dit establissement ne soit pour autre que pour son service, considéré les inconvéniens qui peuvent survenir à ses affaires, si les dits chevaux servent à toutes personnes indifféremment sans son sçeu, ou du dit grand-maistre des coureurs de France.

Et afin que nostre très-saint père le pape et princes estrangers, avec lesquels sa majesté a amitié et alliance, par le moyen desquels le passage de France est libre à leurs courriers et messagers, n’ayent sujet de se plaindre du présent réglement, sa majesté entend leur conserver la liberté du passage, suivant et ainsi qu’il est porté par ses ordonnances, leur permettant si bon leur semble, d’user de la liberté du dit establissement, en payant raisonnablement et obéissant aux ordonnances contenues.

Mais pour éviter les fraudes que pourraient commettre les courriers et messagers allants et venants en ce royaume, lesquels pour ne se vouloir manifester aux bureaux du dit grand-maistre des coureurs de France, et à ses commis qui y résideront en chacune ville frontière, et autres de ce royaume, passeraient par chemins obliques et destournez pour oster la connaissance de leur voyage et entrée en ce dit royaume prenant pour ce faire autres chevaux et guides.

Sa majesté veut et leur enjoint de passer par les grands chemins et villes frontières pour se manifester aux bureaux dudit grand-maistre des coureurs, et prendre passeport et mandement tel que sera dit, à peine de confiscation de corps et de biens.

Et d’autant que la charge du dit grand-maistre des coureurs de France, est moult d’importance, et requiert avoir fidélité, soigneuse discrétion et sçavoir ; et qu’au moyen du dit office et de sa dite charge les articles de l’institution et establissements dessus dit, doivent estre gardez, entretenues, et observez et estant iceluy establissement moult utile au service et à l’intention du Roy, il y requiert y avoir bien notables personnes pour le tenir.

Veut et ordonne que celui qui sera pourveu de la dite charge, soit compris de ses conseillers et autres officiers ordinaires, compté en enrollé en l’estat de son hostel, tout ainsi que l’un de ses conseillers et maistres d’hostel ordinaires.

Veut et ordonne que le dit grand-maistre des coureurs de France, ait l’entière disposition de mettre et establir par-tout où besoin -177- sera les dits maistres coureurs, les déposséder si leur devoir ne font, et pourvoir en leur place tel que bon luy semblera, mesme advenant vacation par mort, résignation ou autrement de leurs charges, luy a donné pouvoir d’y pourvoir et instituer d’autres en leur place, et en délivrer lettres, les faisant faire serment de fidélité, et leur en donner acte sur les dites lettres.

Veut et ordonne que le dit conseiller grand-maistre des coureurs de France pour l’entretenement de son estat, après avoir fait serment au Roy ès mains de son chancelier, de bien loyaument servir, ait pour gages ordinaires la somme de huit cents livres parisis, lesquels seront pris sur les plus clairs deniers et revenus du dit seigneur, outre et par dessus les droits et émolumens ordinaires qu’il prendra comme officier de l’hostel et maison du dit seigneur, qui par autres ses lettres lui seront ordonnez et payez.

Et en outre il aura pension de mille livres par autres lettres du dit seigneur pour son dit office, qui luy sera assigné et donné chacune année.

Veut et ordonne que tous maistres coureurs qui seront par le dit grand-maistre establis, ayent aussi pour leur entretenement en leurs estats, pour gages ordinaires, chacun cinquante livres tournois, et chacun des commis qu’il aura près de sa personne et autres lieux que besoin sera ; chacun cent livres pour leur entretenement, et veut que les uns et les autres pendant qu’ils serviront, jouissent des mesmes exemtions et priviléges que les officiers et commensaux de sa maison.

Et, à ce que les maistres ayant moyen d’entretenir et nourrir leurs personnes et leurs chevaux, et qu’ils puissent servir commodement le Roy.

Il veut et ordonne que tous ceux qui seront envoyés de sa part, ou autrement, avec son passeport et attache du grand-maistre des coureurs de France ou de ses commis, payent pour chacun cheval qu’ils auront besoin de mener, y compris celui de la guide qui les conduira, la somme de dix sols, pour chacune course de cheval, durant quatre lieues, fors et excepté ledit grand-maistre des coureurs, qu’ils seront tenus de monter sans rien prendre de luy ni de ses gens, qu’il menera pour son service, allant faire ses chevauchées et son establissement et pour les affaires de Sa Majesté ; ensemble ne prendront rien de ses commis qui voudront courir pour les affaires pressées du Roy, au moins trois ou quatre fois l’an.

Et quant aux paquets envoyés par le dit seigneur, ou qui lui seront adressez, les dits maistres-coureurs seront tenus de les porter en personne, sans aucun délay, de l’un à l’autre, avec la cotte ci-mentionnée, sans en prétendre aucun payement, ains se contenteront des droits et gages qui leur seront attribuez.

Veut et ordonne les susdits articles et institution dudit grand office de conseiller grand-maistre des coureurs de France, et autres choses des susdites, soient à toujours observez et gardez sans enfreindre.

Fait et donné à Luxies, près de Doulens, le dix-neufviéme jour de juin mil quatre cent soixante et quatre.

Signé, LOUIS.

Par le Roy, en son conseil de la Loërre.

Plus bas :

Cheveteau.

TABLE
DES PRINCIPALES MATIÈRES.

NOTES DU TRANSCRIPTEUR

Les errata ont été corrigés. On a conservé l’orthographe de l’original, en rectifiant certaines erreurs manifestement dues au typographe.