Title: Virginie de Leyva
ou intérieur d'un couvent de femmes en Italie au commencement du dix-septième siècle
Author: Philarète Chasles
Release date: December 3, 2025 [eBook #77395]
Language: French
Original publication: Paris: Poulet-Malassis et de Broise, 1861
Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

ou
INTÉRIEUR D’UN COUVENT DE FEMMES
EN ITALIE
AU COMMENCEMENT DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE
D’APRÈS LES DOCUMENTS ORIGINAUX
par
PHILARÈTE CHASLES
PROFESSEUR AU COLLÉGE DE FRANCE,
CONSERVATEUR A LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE.
PARIS
POULET-MALASSIS ET DE BROISE, ÉDITEURS
7, RUE DE RIGNEMEU, ET PASSAGE MIDÈS, 36
1861
Tous droits réservés
PARIS. — IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D’ERFURTH, 1.

VIRGINIE de LEYVA
A
W. MAKEPEACE THACKERAY
AUTEUR DE
VANITY-FAIR, ESMOND, PENDENNIS,
ETC., ETC.
Vous avez, dans d’admirables fictions aussi historiques que l’histoire, mon cher Thackeray, donné la chasse aux plus grands vices de notre pays et de toutes les sociétés humaines, l’hypocrisie, l’égoïsme et la cruauté de l’âme. Votre Rébecca l’intrigante et votre vieux Seigneur voluptueux doivent vivre autant que la langue anglaise.
Laissez-moi placer sous votre protection et recommander à votre sagacité philosophique un récit vrai, qui offre les mêmes enseignements terribles et salutaires. J’ai trouvé vivant et tragique, dans le dossier authentique d’un vieux procès italien, le drame suivant que j’ai simplement commenté, à mesure que les personnages naissaient devant moi, développaient leurs caractères et faisaient éclater leurs passions. Je suis certain qu’il vous intéressera. La profondeur et la finesse de votre esprit saisiront sans peine les questions morales qui ressortent de l’état social que ce récit étrange révèle.
L’élégance des mœurs est-elle la civilisation ?
Que faut-il entendre par le mot « civilisation » ?
Est-ce la régularité de la législation, l’éclat des arts, l’éducation littéraire, le luxe ou la richesse, l’industrie ou le commerce ? Est-ce la forme du gouvernement, l’exactitude de l’administration ou la sévérité de la formule religieuse ?
Ne serait-ce pas plutôt du degré de force morale chez les individus, de vérité dans les âmes, de sympathie et de simplicité dans les relations que dépend la civilisation réelle ? Et tout peuple qui s’éloigne de ces principes ne retourne-t-il pas à la barbarie ?
Je serais assez de cet avis. Vous-même ne m’accuserez pas de paradoxe ; imputation banale, qui si elle était admise détruirait toute analyse, abolirait tout examen et serait mortelle à toute raison. Vous ne m’accuserez pas non plus de nourrir des tendances immorales parce que j’ai reproduit dans leur sanglante vérité les scènes des bords du Lambro et les faits et gestes du confesseur Arrighone. Si quelqu’un m’accusait ou d’intentions contraires à la religion, ou de vues socialistes et démocratiques, parce que j’ai signalé les résultats de la fausse éducation des peuples, résultats que j’ai pris sur le fait dans ces documents oubliés ; vous seriez, je n’en doute pas, le premier à me défendre. Vous protesteriez avec moi et comme moi contre ces dangereuses banalités.
Vous diriez avec moi que la formule n’a rien de commun avec la religion ;
Que la discipline extérieure n’a rien de commun avec la morale ;
Que la gravité de l’hypocrite n’a rien de commun avec le développement intérieur de l’homme ;
Et que Fénelon a vu juste quand il a déclaré que notre vie morale tout entière dépend du centre et du fonds même de l’âme :
« Celui (dit ce sublime et tendre penseur), qui voudrait nourrir ses bras et ses jambes en y appliquant la substance des meilleurs aliments ne se donnerait jamais aucun embonpoint ; il faut que tout commence par le centre, que tout soit d’abord dans l’estomac, qu’il devienne chyle, sang et enfin vraie chair. C’est du dedans le plus intime que se distribue la nourriture de toutes les parties extérieures. L’amour est comme l’estomac, l’instrument de toute digestion. C’est l’amour qui digère tout, qui fait tout sien, et qui incorpore à soi tout ce qu’il reçoit ; c’est lui qui nourrit tout l’extérieur de l’homme dans la pratique des vertus. Comme l’estomac fait de la chair, du sang, des esprits pour les bras, pour les mains, pour les jambes et pour les pieds, de même l’amour… renouvelle l’esprit de vie pour toute la conduite. Il fait de la patience, de la douceur, de l’humilité, de la chasteté, de la sobriété, du désintéressement, de la sincérité et généralement de toutes les autres vertus autant qu’il en faut pour réparer les épuisements journaliers. Si vous voulez appliquer les vertus par dehors, vous ne faites qu’une symétrie gênante, qu’un arrangement superstitieux, qu’un amas d’œuvres légales et judaïques, qu’un ouvrage inanimé. C’est un sépulcre blanchi : le dehors est une décoration de marbre, où toutes les vertus sont en bas-relief ; mais au dedans il n’y a que des ossements de morts. Le dedans est sans vie ; tout y est squelette ; tout y est desséché, faute d’onction. Il ne faut donc pas vouloir mettre l’amour au dedans par la multitude des pratiques entassées au dehors avec scrupule ; mais il faut au contraire que le principe intérieur porte la nourriture du centre aux membres extérieurs et fasse exercer avec simplicité, en chaque occasion, chaque vertu convenable pour ce moment-là. »
C’est le contraire ; c’est la « superstition symétrique », et « l’amas des vaines formules », ce sont les « convenances et les vertus en bas-relief », qu’on est aujourd’hui tenté de soutenir en France, et que beaucoup de gens mettent en pratique. Puissé-je, à votre exemple, mon cher Thackeray, et sans me faire plus que vous personnage vertueux où génie politique, affaiblir ou diminuer quelques-unes des tendances que je crois le plus fatales à mon pays et à mon temps ; — puissé-je encourager quelques âmes à sortir de l’indifférence suprême où s’endorment, à l’abri des formules vaines et sous l’éclat extérieur du luxe et des arts, les sociétés défaillantes !
PHILARÈTE CHASLES.
Paris, Institut. — 15 février 1861
Je connais un savant italien qui a publié quelques grands ouvrages en dix volumes : — l’Histoire de la Pensée humaine, Rome et les Papes, — et qui se délasse en consultant les archives de Milan, de Monza, de Pavie et du Tyrol, pour en extraire quelques curiosités vieilles et nouvelles, utiles à l’histoire des hommes et de son pays. Il se nomme Dandolo. Il s’entend aussi bien à ce métier que ses aïeux les doges à gouverner leur république. C’est un écrivain et un penseur. Toutes ses conclusions ne me persuadent pas, tant s’en faut. Mais il est ingénieux et enthousiaste, plein d’idées, d’érudition et de sincérité.
Vers l’année 1850, ce savant s’était renfermé dans une solitude des Apennins qui est sa propriété ; al déserto, comme il le dit, tra’i monti d’Archisate. La maison, jadis occupée par des moines Camaldules, s’appelle la Casa de’ morti, parce qu’ils y sont enterrés.
Là le descendant des doges poursuit son travail d’alchimie érudite ; ce plaisir qui charmait Nodier, Walter Scott et les esprits de même espèce ; plaisir délicat et passion à la fois ; Walter Scott n’en connaissait pas de plus vif ; c’est ainsi que dans les dossiers d’un ancien procès il a recueilli le sujet et le premier germe de sa Fiancée de Lammermoor.
La méditation et la solitude portent des fruits merveilleux ; et je voudrais que mes contemporains, qui vivent si vite, qui tirent grand parti de l’activité, de la spéculation et du mouvement des affaires, — toutes choses très-bonnes, — n’en vinssent pas à condamner et à maudire la méditation et la solitude. Non, elles ne sont point l’apanage d’esprits étroits, d’humoristes ridicules, de pauvres diables, de méprisables philosophes, et de rêveurs impuissants.
Si l’on s’obstinait à les bannir, l’étude pourrait s’en ressentir un jour : les arts déclineraient ; l’industrie, faute de se retremper aux sources spirituelles, perdrait sa force de renouvellement et la production matérielle en souffrirait.
A l’ombre des sapins et des châtaigniers de son domaine M. Dandolo poursuivait ses études favorites ; montant et descendant de petits sentiers praticables seulement pour les charbonniers du canton et pour les savants qui rêvent ; lisant, feuilletant, annotant des parchemins déterrés dans je ne sais quelle armoire de couvent ; rentrant dans sa cellule pour classer ses trouvailles ; en ressortant pour continuer son déchiffrement et ses annotations, « au bruit de ruisseaux innombrables, dit-il ; avec accompagnement de mille oiseaux perchés dans les branches gigantesques et sous les énormes hêtres » ; — dove l’incessante romore dell’ acque correnti si maritava al canto d’infiniti uccelletti…
Heureux comme un roi ; — mais cette expression est bien vieillie ; — plus heureux qu’un doge ; il oubliait le monde qui continuait ses révolutions.
Il recueillait et annotait les documents authentiques que je vais résumer, documents précieux pour l’histoire générale de l’Europe et celle du développement de ses sociétés au Nord et au Midi.
S’occuper d’un vieux procès, oublié dans le pays même où s’est joué le drame, serait oiseux et presque ridicule, si le travail archéologique du chevalier Dandolo ne faisait partie de ce mouvement d’érudition européenne, surtout méridionale, servi depuis le commencement du siècle par les hommes les plus savants et les plus ingénieux d’Espagne et d’Italie ; — et si les Promessi Sposi de Manzoni n’avaient pas popularisé le sujet et les acteurs, tout en affaiblissant l’intérêt moral et historique de ces vieux documents.
Leurs terribles péripéties et leurs drames sanglants appartiennent à l’histoire générale, comme je l’ai dit.
Ce sont des leçons importantes, des enseignements graves, non sur la politique présente, mais sur la politique du passé qui à enfanté celle d’aujourd’hui ; — sur la religion dépravée qui a fait tant de mal à l’idée divine et à l’idée chrétienne ; — sur l’éducation des femmes ; — sur la décadence des grands peuples ; sur la liberté détruite et l’esclavage séculaire.
Enfin ces documents éclairent l’histoire des mœurs, des âmes, des idées et des esprits, qui vaut assurément mieux que cette autre histoire, amas de dates confuses et de faits stériles.
Étrange époque, le commencement du dix-septième siècle, surtout au Midi, particulièrement en Italie ! Le Nord ne faisait alors qu’imiter faiblement ces saturnales italiennes, aussi bouffonnes que lugubres.
Les peuples du Midi, possédant depuis longtemps une civilisation élégante, raffinée et vicieuse, poussaient à bout ce raffinement, allaient du même pas au grotesque et au crime, se drapaient dans l’emphase et commettaient mille atrocités puériles.
Chez nous Callot, Cyrano de Bergerac, Saint-Amant copiaient avec plus ou moins d’esprit et de talent ce dévergondage méridional. La corruption italienne était profonde et invétérée ; la nôtre, toute d’imitation et de mode, s’arrêtait à la surface. Le Maderno, le Bernin, le Borromini, le poëte Marini, sur lesquels nous nous modelions entre 1600 et 1640, nous révoltèrent bientôt ; la France se replia sur les anciens : elle en avait assez de l’orgie et revint à la raison. Notre inconstance naturelle nous sauvait encore une fois. La folie sérieuse des autres n’avait été pour nous qu’un intermède.
L’Italie eut plus de peine à se dégager de cette glu brillante de vice allié au mauvais goût, de fausse poésie alliée aux vices de l’âme ; — Sociale bruttura… eta di tronfi poeti e di morie, d’artisti barocchi e di streghe, di lanzichinecchi e d’avvelenatori ; — ainsi parle M. Dandolo de cette époque italienne.
Toute indépendance politique était morte dans la Péninsule ; si les étrangers se battaient comme à l’ordinaire dans la haute Italie qu’ils couvraient de sang, ce n’était pas pour sauver la victime, c’était pour se disputer la proie.
Les Espagnols dominaient sans contrôle à Milan et à Naples ; une seule ruine de grandeur libre se laissait entrevoir dans la pénombre : c’était Venise.
Poursuivons donc l’étude de la conquête espagnole et de son influence sur la situation morale de l’Italie.
Ce sont toujours les femmes qui caractérisent les mœurs. Ici le témoin et le symbole du temps est une religieuse, espagnole de race, italienne par l’éducation ; la Signora di Monza, — de son vivant et en religion Suor Virginia Maria, — petite-fille d’Antoine de Lève, ou de Leyva, dont parle Brantôme.
Il y a peu d’années encore une colonne érigée par la justice en mémoire des catastrophes dont la Sœur Virginie fut cause subsistait dans le bourg ou la cité de Monza ; les religieuses de Sainte-Marguerite ont obtenu la suppression de cette colonne infâme qui perpétuait la mémoire coupable de Sœur Virginie.
Ripamonti, dans son Histoire du Milanais (Storia Patria), parle d’elle en beau latin ; Manzoni l’a placée épisodiquement dans ses Promessi Sposi ; elle est le personnage principal du roman de Rosini, la Signora di Monza.
Mais l’élégant récit de Ripamonti n’est pas plus exact que la fiction des deux romanciers. La vérité a eu l’impertinence d’être, selon son habitude, plus touchante que la rhétorique, plus romanesque que le roman.
Quittons donc le roman, et abordons l’histoire ressuscitée par M. Dandolo.
Je prends de ses mains le petit flambeau allumé par lui ; à sa clarté nous étudierons une certaine façon de gouverner les hommes, de les endoctriner et de les élever. Les couloirs d’un vieux monastère de Lombardie ; les cellules des nonnes en 1605 ; le jardin antique ; le bourg d’à côté et le fleuve Lambro, témoin de scènes étranges, s’ouvriront pour nous.
Surtout je veux vous montrer Virginie de Leyva.
Cette Espagnole-Italienne, dont le sang ne démentait pas son origine impérieuse et passionnée, semble résumer la fusion opérée par la conquête, l’alliance des deux races. C’est une figure toute méridionale.
Lorsque, par un chemin opposé à celui de Walter Scott que les dossiers avaient conduit à la fiction, notre érudit redescendit, des fictions mal inventées sur Virginie de Leyva, à la réalité même ; quand l’héroïne du procès de 1607 sortit de sa tombe et se dressa devant le chevalier Dandolo, qui fut bien effrayé au milieu de ses bois ? Ce fut lui ; il le dit dans sa préface.
Quelle femme !… quelle maîtresse femme ! La plus tendre physionomie, sans doute ; le nez le mieux fait ; le plus bel ovale de visage ; des yeux de gazelle, et d’une langueur divine que le portrait de Daniele Crespi reproduit ; des lèvres sensuelles, délicates et pleines, onduleuses et expressives[1] ; une beauté saporita, sabrosa, comme disent les Méridionaux qui s’y connaissent. Cette douce et adorable figure a vu dix meurtres s’accomplir autour d’elle pour le service de ses voluptés ou de ses vengeances.
Le capitaine Antoine de Leyva son grand-père était un des généreux chefs de bande qui mettaient le couteau sur la gorge des Italiens et gagnaient à ce métier des richesses et des fiefs. Celui-ci était de Navarre. Il avait conduit en Italie, du temps de Charles-Quint, des chevaux et des lances, et si fièrement guerroyé sous Gonzalve, que la seigneurie lombarde de Monza devint sa proie ou sa récompense.
Ripamonti estime peu sa noblesse que défend M. Dandolo ; je ne sais rien là-dessus, et je soupçonne Ripamonti de garder une dent contre les conquérants, — la dent italienne, — et de l’enfoncer sournoisement le plus loin possible. Il affirme que cette famille était obscure ; que Charles-Quint se plut, d’une médiocre fortune, ob nescio quæ servitia, pour je ne sais quels services, à l’élever et à l’enrichir. Les services d’Antoine plaisaient au monarque ; en général les gens dont on prend les villes, les champs et les filles croient qu’on leur rend de mauvais services.
Seigneur de Monza, prince d’Ascoli, Antoine de Leyva voulut que ses ossements héroïques allassent reposer à Milan dans l’église San-Dionigi, où il est encore.
Puis la famille songea, suivant l’usage, à s’établir, à se consolider, à trouver des appuis, à multiplier ses créatures, à étançonner sa puissance, à augmenter sa richesse ; le système des majorats qui concentrent les fortunes est bon pour cela. On met les filles au couvent, on envoie les cadets se promener à travers le monde et chercher de nouveaux fiefs ; puis le chef de la famille absorbe tout, se met bien en cour, a l’œil sur les familles rivales, écarte ou écrase les compétiteurs, fait le vide autour de lui, gagne le plus de seigneuries qu’il peut, et meurt glorieux au milieu des bénédictions et de la haine universelles. Le plus beau coup que font ces grands hommes, c’est de passer pour vertueux. Et cela leur arrive quand ils n’ont pillé qu’avec mesure, égorgé qu’avec douceur, et qu’ils sont habiles.
Le père de la signora, don Martin, assure à son fils aîné la principauté d’Ascoli et n’attend même pas que sa fille ait l’âge exigé par la loi canonique pour la contraindre à prononcer ses vœux. Elle prend le voile à treize ans, entre au couvent de Sainte-Marguerite et devient bénédictine humiliée. C’était une âme excessive et altière, créée pour le monde, une beauté parfaite et un esprit dont toutes les forces se concentraient dans l’orgueil et la passion. Elle protesta d’abord malgré sa jeunesse, puis se résigna. On lui donnait ce qui ne s’accordait guère avec son titre « d’humiliée », la seigneurie de Monza, toutes ses dépendances, bois, rivières, droit de chasse et de pêche, un véritable fief à administrer, dont les revenus et l’autorité la consolèrent.
Les religieuses de Sainte-Catherine soignaient l’éducation des jeunes filles de nobles ; Virginie leur dut la sienne : musique, écriture, poésie et toutes les pratiques de religion. Ses autographes, fréquents au procès, sont d’une écriture magnifique, jetée avec une hardiesse élégante, ferme comme le style de l’héroïne.
Quant à la culture de l’individu moral, il faut avouer qu’on ne la lui donna pas. La grande éducation de l’âme, libre de juger et de choisir par elle-même, était prohibée.
Qui donc eût osé y penser alors ?
La seule base de la vie et le principe social étaient l’anéantissement du jugement personnel et de la liberté humaine, au profit de la règle imposée.
« Ne développez pas chez l’individu, criaient les moralistes de l’esclavage, la conscience du juste et le sens moral ; ne favorisez jamais la liberté et l’originalité ; n’introduisez pas l’indépendance dans l’âme humaine, née pour obéir.
« N’affaiblissez jamais l’obéissance, — qui est le bien.
« N’ébranlez jamais la discipline, — qui est la vertu. »
On verra tout à l’heure à quoi aboutissent ces principes.
Le joug espagnol en Italie était d’avant plus dur que la conquête était plus belle. L’Espagne, qui venait seconde dans la grande arène de la civilisation, n’oubliait pas, — et l’Europe ne peut oublier, — qu’elle a été le sublime champion de la chrétienté contre l’Asie et l’Afrique. Son arrogance était justifiée par ses grandes actions. L’Italie cependant n’acceptait pas le joug sans frémir.
Elle se souvenait d’avoir brisé la féodalité gothique et absorbé la féodalité même. Sans égale dans les arts, l’Italie avait étonné le monde par l’essai hardi de ses républiques antiques à coupole chrétienne. Elle maudissait donc ses maîtres sans pouvoir se débarrasser d’eux. Ceux-ci, détestés, devinrent plus terribles.
Entre esclaves et maîtres il n’y a échange que de vices. La férocité ibérique se greffa sur l’astuce ausonienne ; et pour résultat de cet inceste contre nature on eut de monstrueux prodiges — par exemple les Borgias.
L’histoire particulière que je résume est semée de noms italo-hispaniques : Arrighone, Pesen, Procazone, Fuentès y Acevedo, Bersaglia, Salamanca, Caterina de Meda. Notre héroïne elle-même n’est qu’une suzeraine espagnole transplantée, en dehors des mœurs hautaines et des contraintes nécessaires de sa race, dans le couvent assez libre d’un vieux municipe lombard.
Suivons-la donc où elle nous conduit.
Avant d’entrer dans le couvent et de pénétrer dans le drame même, contemplons un autre produit de ce monde si bien réglé, si facile à l’esclavage, si apte à l’obéissance disciplinaire.
Don Arrighone, — confesseur espagnol des environs, ayant charge d’âmes, moraliste distingué, — enseignait aux nonnes ce qu’elles devaient faire. Saint Augustin, leur dit Arrighone, vous défend sans doute de rompre votre clôture ; néanmoins, sans péché, même véniel, vous pouvez, avec l’autorisation de votre directeur (livre III, chap. 20, § 108), y introduire un amant, même deux amants, et trois, et quatre s’il le faut.
Les interrogatoires de l’Arrighone étalent insolemment cette dépravation hideuse. Je ne veux point détailler ses faits et gestes, ses sophismes, ses axiomes, ses secrets pour vertueusement pécher, ses citations doctes et courues, ses saillies, ses inventions, son esprit mis au service de son cynisme, de son audace et de ses cupidités ; je ne veux pas dire de combien de façons l’escobar sensuel s’y prenait pour endoctriner les filles et raccommoder leurs consciences.
A l’éducation qui déforme l’individu au profit de l’État se joignait donc la morale qui détourne la religion au profit du vice.
L’Italie catholique était arrivée là, non par la faute du catholicisme, mais par celle des mœurs. On élevait l’homme pour l’abaissement, la femme pour la ruse.
Dès que la princesse vit Arrighone, elle pressentit le reptile et le repoussa du pied avec une colère et un dégoût dignes de sa race.
Mais s’il ne put la corrompre, elle n’en fut ni mieux élevée ni plus apte à se conduire. Le vice et la folie étaient dans l’air : sorcelleries, vaines pratiques, amulettes, influences magiques, obsessions démoniaques, régnaient sur les esprits ; les vieilles femmes qui gouvernaient le couvent ne le gouvernaient guère. Chacun s’agenouillait devant les princes d’Ascoli. Cette fière novice, utile au couvent, honorait la maison et ne trouvait personne qui lui résistât.
Les portes ne fermaient pas bien ; la ville, ruinée par les guerres civiles du moyen âge, entourée de remparts crevassés ou entaillés de brèches, habitée par des bourgeois immobiles repliés dans la coque de leur vieil égoïsme, était dans le même état que le monastère.
La justice, devenue personnelle, s’exerçait par assassinats, que, pour se compromettre le moins possible, on ne dénonçait jamais au comte de Fuentès, gouverneur espagnol qui siégeait à Milan.
Pourvu que le peuple conquis se tînt tranquille et que ses redevances fussent acquittées, le gouverneur était content. Il ne s’inquiétait pas de savoir comment les filles étaient élevées à Monza, ni si on leur faisait la cour ; c’était l’affaire des inspecteurs ecclésiastiques, auxquels l’Arrighone se gardait bien de dire que ces demoiselles entraient et sortaient librement ; que les fenêtres de quelques-unes donnaient sur le jardin d’un jeune homme et que celui-ci mettait leur âme en danger, sans compter le reste.
Celui-ci se nommait Osio degli Osii.
Il représente l’Italie machiavélique, comme l’Arrighone le casuitisme, et dona Virginia l’Espagne passionnée et esclave. Il avait pignon sur rue, blason, famille, chevaux, maison attenante au couvent de Sainte-Marguerite, verger bien cultivé et poulailler faisant partie des communs ; ceux-ci touchaient au mur mitoyen du monastère, d’où tombaient quelquefois des regards de nonnes curieuses qui s’égaraient dans le verger du jeune homme.
Ce troisième personnage, avec sa toque brune à glands d’or, sa dague à poignée d’argent ciselée par Cellini, sa maison murée comme une forteresse, ses trois pages, sa mère servant ses amours, résume une phase historique. Bien élevé, beau et bien fait (une nonne, l’apercevant de sa fenêtre, s’écria : Ah ! che bella cosa !) bien mis, rompu à tout, prêt à tout, hardi, rusé, ami de l’Arrighone ; il conservait la tradition la plus raffinée des intrigues italiennes.
Il savait se démêler des manœuvres et des entreprises, ramper dans l’occasion, se relever à temps, séduire, puis tuer ; s’entourer de créatures, tendre le piége, éviter l’embuscade, armer les intérêts ; science qu’il consacrait à ses plaisirs de jeune homme, mais qui, dans une voie plus sérieuse, aurait pu le mener loin ; science fine, élaborée d’abord par les petits despotes du moyen âge, puis inoculée doucement à la bourgeoisie et au peuple ; science dont un pauvre grand homme, Machiavel, a résumé la quintessence et dont on l’accuse à tort d’avoir été l’inventeur.
Demandez à Machiavel pourquoi l’Italie moderne, qui rayonne du sentiment du beau et de l’instinct du grand, a toujours manqué la conquête de la liberté. C’est que son monde social était peuplé de personnages semblables à l’Osio ; rusés, hardis, sans équité.
C’est son malheur et non sa faute. Dans la vie privée même, son éducation sans liberté morale lui a toujours fourni trop de Machiavels, de Castracani, de Vilollozi, de Baglioni ; trop de ces intelligences aiguisées pour la fraude ; gens de trop d’esprit ; tacticiens de l’égoïsme, pleins de vénération pour la manœuvre. Ainsi s’efface le sentiment du juste ; ainsi périt la liberté qui est le droit. Bailly, lorsque des monstres le traînaient à la mort, s’écriait : « Vous voulez être libres et vous ne savez pas être justes » ; beau mot adressé par un mourant à une autre nation qui ne doit pas l’oublier.
Que d’iniquités dans ces rapports entre les maîtres et les vaincus !
L’avant-scène de notre récit nous montre déjà une enfant emprisonnée dans le cloître, et sa vie mise au rebut, et sa conscience forcée ; une suzeraine qui est religieuse ; une humble novice qui est princesse ; la morale, le confessionnal, l’éducation livrés à un Arrighone.
Bientôt le crime et le sang vont regorger autour de nous et nous apprendre ce que le moyen âge italien avait fait en 1609 de cet admirable peuple.
Il avait désiré la liberté ; mais ses orageuses républiques n’avaient jamais pu ni la fonder ni même l’inaugurer, faute de justice.
Le monde païen avait légué à ce peuple l’amour de la force ; et quiconque aime la force aime l’esclavage. Ses républiques splendides avaient espéré créer la liberté en organisant l’État ; mais elle ne se réalise que par la valeur de l’individu.
Enfin, confondant le pouvoir spirituel avec le pouvoir temporel et absorbant l’un dans l’autre, elles avaient marié le Khalifat avec l’anarchie ; de manière à ruiner la liberté et la justice, l’individu et l’État.
Quant à la papauté, elle enrichissait son royaume spirituel des pertes de son temporel ; et si depuis la mort de Paul III en 1559 sa puissance politique avait beaucoup diminué, elle s’appuyait fièrement sur des Ordres nouveaux, sur l’Inquisition qu’elle opposait au protestantisme, enfin sur des réformes intérieures qu’elle essayait avec courage, souvent avec bonheur, et qui rétablissant son crédit renouvelaient sa force sociale.
Cette dernière partie de son œuvre en était la meilleure et la plus difficile. Pour remédier aux abus invétérés qui étaient devenus la charte et la vie de beaucoup de monastères, il fallut que les deux Borromée, saint Charles et son cousin l’archevêque Frédéric s’armassent, comme autrefois saint Ambroise, de charité, de courage, de persévérance et de prudence. Le cardinal de Bérulle s’acquitait en France de ce travail difficile, travail de réforme et d’épuration.
En Italie, la domination espagnole et ses complications, la mauvaise situation financière du pays, l’orgueil des conquérants, la prostration des vaincus, les prétentions des maîtres rendaient toute réforme presque impossible. Lorsque Charles Borromée s’avisa d’excommunier le gouverneur espagnol, celui-ci s’adressa au pape, et l’excommunication fut aussitôt levée[2].
[2] Voir Charrière, Négociations entre la France et la Turquie, t. III et IV.
Vers le mois d’octobre 1607 une rumeur sourde se répandit dans le Milanais et parvint jusqu’à Frédéric, cardinal-archevêque ; on parlait avec terreur de meurtres et de débauches attribués aux bénédictines de Monza ; on nommait la cousine du prince d’Ascoli ; — un riche gentilhomme, — enfin un prêtre.
Je n’ai pas besoin de tracer de nouveau le portrait de cette Espagnole, d’autant moins satisfaite de sa clôture, qu’elle se sentait belle, jolie, vivante ; qu’elle était princesse, s’appelait Virginie de Leyva, gouvernait un canton du Milanais, y jouissait de tous les droits seigneuriaux excepté celui de se marier, — et que Dieu l’avait créée pour n’oublier aucun de ses droits.
Peu surveillée, elle avait été acheminée dans une voie étrangère à celle du salut par le beau cavalier Osio degli Osii, — par la connivence ou la faiblesse des supérieures, — enfin par le confesseur Arrighone.
Lorsque le cardinal Borromée, qui continuait l’œuvre réformatrice de son cousin saint Charles Borromée, fut averti par le scandale public, il se mit en route ; et fidèle à la politique des Romains, où leurs descendants sont passés maîtres, même en pratiquant la vertu, il ne voulut pas se rendre à Monza directement.
Une tournée en Lombardie, consacrée A l’inspection générale des monastères, le conduisait naturellement chez les bénédictines de Monza ; sa visite à la cousine du prince d’Ascoli ménageait les convenances ; il n’éveillait ainsi aucun soupçon.
Arrivé au couvent de Sainte-Marguerite, il officia dans la chapelle et s’entretint familièrement avec les Sœurs.
La princesse vint lui rendre ses devoirs.
Virginie avait alors trente-deux ans ; beauté épanouie par l’amour, préservée par le cloître, elle étonnait de sa morbidesse et de sa splendeur tous les contemporains et le peintre Crespi.
L’archevêque l’accueillit avec aménité, l’entretint d’abord de choses indifférentes, et ne lui laissa pas soupçonner le sujet qui l’amenait auprès d’elle. Puis il traita de matières plus sérieuses, tant religieuses que morales, causa longuement avec elle et lui représenta disertement ses devoirs envers elle-même, envers sa race, sa profession et son pays. Enfin il lui rappela que Dieu lui avait donné le pouvoir pour servir d’exemple à tous ceux qui dépendaient d’elle.
La princesse, après avoir écouté ce discours de l’archevêque, fit la réponse que voici :
« Vous m’avez mise malgré moi en religion ; vous m’avez fait prononcer mes vœux avant l’âge. Je ne suis pas vouée aux autels par ma volonté, mais par la contrainte. Aussi ma profession religieuse est-elle nulle. Il faut me marier. J’ai fait mon choix ; unissez-moi à l’homme que j’ai choisi. »
La finesse hardie de la femme l’emportait sur l’expérience consommée du prélat ; et toute une stratégie savante était démontée par la franchise de cet aveu hautain.
Le saint homme quitta aussitôt l’oratoire et Virginie, sans vouloir répliquer. Mais le soir même un carrosse à grands panneaux, que traînaient quatre mules, conduisit à Milan la religieuse qui fut déposée au couvent du Bocchetto.
Le lendemain pendant la nuit deux religieuses sortaient furtivement du monastère où elles ne devaient plus revenir ; un jeune homme les escortait ; et il se passait, sur les bords sauvages du Lambro, une scène effroyable.
Le Lambro n’est ni un fleuve ni un torrent. Les pluies le grossissent, les chaleurs tarissent ses eaux, qui en hiver deviennent énormes et se précipitent avec fureur, près de Monza, dans des rives escarpées et profondes. C’est un paysage farouche comme les aimait Salvator, cet autre génie exaspéré et furieux, le vrai fils d’un temps de dégoût, d’ennui et de décadence. Les grands chênes qui se balancent sur le granit rouge tantôt cachent, tantôt laissent entrevoir le cours du fleuve bouillonnant ; à une demi-lieue de la ville il s’arrête un moment, creuse son lit et devient plus paisible près de la chapelle delle Grazie, en grande vénération dans le pays.
Vers une heure du matin la foudre grondait, les éclairs brillaient, la pluie tombait à flots, et un terrible orage ébranlait les montagnes, quand les voiles blancs de deux religieuses flottaient au vent sur les bords du Lambro. Leur pas était pressé et leur dialogue violent. Leur guide, un manteau à l’espagnole jeté sur l’épaule, marchait sur un étroit sentier qui suivait le cours du fleuve encaissé dans ses remparts abrupts ; Ottavia Ricci était près de lui, et Benedetta Homati un peu plus loin.
Tout à coup les deux femmes ayant élevé leurs voix dans la colère, le jeune homme s’interposa ; Benedetta se détacha de ses deux acolytes, alla se prosterner devant la madone des Grâces à laquelle elle adressa de ferventes prières ; et le jeune homme, saisissant par le milieu du corps celle qui était près de lui, la jeta dans le torrent.
« Ah ! s’écria-t-elle, c’est donc ainsi… »
Elle ne put prononcer que ces mots. Sa compagne priait toujours.
L’impétuosité des eaux soulevait le corps, que les voiles flottants faisaient surnager. Elle aborda ou plutôt fut jetée à quelque distance, sur un point où la rive escarpée s’abaissait et descendait plus mollement vers le fleuve.
Mais Osio voulait la mort de celle qu’il avait déjà sacrifiée. Il courut à sa victime, la frappa furieusement, à coups redoublés, avec la crosse d’argent d’un pistolet caché sous son manteau, et la replongea dans le gouffre qui l’emporta. La crosse d’argent se détacha et tomba sur le sable, où elle resta brisée, colla furia del battere ; je n’ajoute pas la moindre circonstance aux dépositions et aux interrogatoires.
Benedetta Homati, c’était le nom de la compagne, le suivit en silence ; et l’orage ne cessant pas, ils entrèrent tous deux dans une vaste maison isolée et abandonnée qui se trouvait sur la route. L’Osio l’y laissa, se dirigea vers un village voisin, se procura du vin et des fruits, et les apporta à sa compagne ; elle les refusa, craignant le poison. Le jour suivant il repartit avec elle. Arrivés au milieu d’un champ désert et inculte, ils virent des broussailles épaisses qui recouvraient la margelle d’un puits desséché ; ce puits était abandonné comme la maison déserte ; — tant les guerres civiles, la conquête, le mauvais gouvernement, la servitude avaient laissé de traces dans les campagnes comme dans les cœurs.
L’Osio marchait vers ces broussailles, quand la religieuse, qui avait vu le premier meurtre s’accomplir, refusa de le suivre. Il la traîna de force à la mort, malgré ses cris et après une longue lutte ; écartant les broussailles, il la jeta dans le puits. La malheureuse, dont une côte était brisée et le crâne entamé, se tapit sous une cavité que formait la paroi détruite du puits en ruines, et se protégea ainsi contre l’assassin, qui, debout sur la margelle, l’accablait de pierres pour l’achever. Ce double exploit accompli, le jeune homme qui portait son manteau brodé, sa toque à glands d’or et son costume d’élégant gentilhomme prit la fuite et s’enfonça dans les bois. Il s’était défait de deux témoins qui le gênaient : il était en sûreté, ainsi que Virginie de Leyva ; il le croyait du moins.
Le lendemain, c’était un dimanche ; les bourgeois et les paysans de la commune de Velate écoutaient la messe, et toutes les maisons du village étaient sans habitants, lorsque des gémissements lointains et prolongés vinrent troubler le service divin. Ces cris plaintifs sortaient du puits situé à quelque douze pas de l’église. Ajutatemi, criait la voix, che mi trovo in questo pozzo ! Au moyen d’une corde et d’un homme qui descendit dans le puits, on en retira la malheureuse Benedetta, meurtrie et ensanglantée.
Les gens du village entouraient la religieuse et la regardaient d’un œil sec. Dans ces pays, plus ruinés au moral par l’égoïsme et l’intrigue que leurs édifices par les âges, ne pas se compromettre est la première loi. On trouve de l’énergie pour ses passions et de la ruse pour ses crimes ; on n’en trouve plus pour la sympathie et la charité.
« C’est une religieuse ! Et que penseront les maîtres ? Et qui payera les frais ? Et que fera le clergé ? Et que dira la justice ? Et pourquoi perdre son temps ou dépenser son argent ? » Bref, ces hommes refusaient de relever de terre et de soigner la mourante.
La pitié éteinte, la lâcheté, la crainte des puissants, la peur de faire le bien, sont les derniers fruits du servage séculaire. Un bon Samaritain se présenta cependant, Alberico degli Alberici, qui fit honte à ses compatriotes, et (non volendola altri) fit porter chez lui Benedetta, puis avertit la police.
Telle était la terreur imprimée par les maîtres espagnols, que peut-être aurait-on assoupi l’affaire dont la suzeraine cousine des d’Ascoli était, comme nous le verrons plus tard, le vrai centre et le mobile, si le parti criminel et violent dont l’Osio s’était avisé pour se garantir, n’eût précipité le cours des choses et déchiré tous les voiles par le meurtre.
La veille même du jour où le corps sanglant de Benedetta était recueilli dans la maison d’Alberici, un confesseur de la chapelle des Grâces, l’archiprêtre Septala recevait dans son confessionnal un billet mystérieux.
On venait de trouver gisant sur la rive du Lambro le cadavre encore chaud d’une religieuse, et le gardien de la chapelle lui en donnait avis, tout tremblant. Ballottée par le courant impétueux et emportée jusqu’à l’écluse d’un moulin, la première victime de l’Osio, Ottavia Ricci avait survécu, après être restée dans l’eau jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Là elle s’était longtemps débattue, criant, se cramponnant aux roues du moulin et aux poutres de l’écluse, appelant les passants qui la contemplaient, et qui tous après l’avoir questionnée continuaient leur route.
« Personne, dit-elle dans son interrogatoire, ne voulut me secourir. Ils m’entendaient, mais ils n’avaient pas de pitié. » Les observations douloureuses que nous inspirait tout à l’heure l’état moral des âmes dans les pays sans patrie sont-elles donc chimériques ?
« J’ai dit à un bourgeois qui j’étais ; que j’étais religieuse de Sainte-Marguerite ; que je le priais de me garder jusqu’à la nuit. Lui et les siens me repoussèrent. » Porter secours au malheur, cela peut nuire. Là où le sens moral fait défaut le malheur est pestiféré.
Ainsi les deux mortes revivent. Pendant que la justice les interroge, l’Osio fuit dans les bois où ses valets le suivent.
Cependant l’héroïne, Virginie de Leyva elle-même est en prison. Interrogée, elle expose aux magistrats, avec une simplicité qui ne manque pas de grandeur, l’histoire de ses amours qu’elle avoue hautement ; elle les explique ; ne les excuse ni ne les pallie ; et étonne ses juges par un récit hautain, repentant et tragique, aux paroles duquel nous ne changerons rien.
On va donc savoir pourquoi l’Osio massacrait lâchement ces deux femmes ; connaître les péripéties de sa fuite, et sa mort extraordinaire qui porte tous les caractères du temps et du pays ; et le rôle secret joué par le Figaro casuiste que l’on n’aperçoit que dans les bas-fonds, à demi caché.
On connaîtra surtout la justice et les juges de ce temps, leur moralité, leurs procédés de torture morale et leur vénération pour la puissance.
Aucun d’eux ne s’étonne que la princesse ait été servie par des assassinats ; que la prieure italienne soit restée à genoux et muette devant l’Espagnole, fille des conquérants ; que les faibles soient partout sacrifiés, enchaînés, égorgés ; que la force partout se substitue au droit. C’est l’état social ; c’est la coutume ; c’est le droit.
Voulez-vous, médecins politiques, tâter le pouls d’un peuple ; savoir quelle est la valeur réelle de sa civilisation ; — ce qu’elle peut ; — ce qu’elle est ; — où elle va ?
Essayez de savoir si l’injustice blesse les particuliers ou leur semble tolérable ; informez-vous dans quelle proportion, — surtout quant aux relations sociales et privées, — cette civilisation préfère la force au droit ou le droit à la force.
Voici ce qui résultait des confessions de Virginie de Leyva.
Quand la jeune descendante des conquérants espagnols fut confiée aux soins de la vieille prieure Saccha, il y avait près de dix années que celle-ci commandait aux religieuses et dirigeait le couvent de Sainte-Marguerite.
Saccha le gouvernait assez mal ; elle avait grand’peur des Castillans, maîtres du pays.
Sa recrue nouvelle, la petite princesse issue de l’officier navarrais Antoine de Leyva, sœur Virginie était une bonne fortune pour son monastère ; — elle l’accueillit très-bien, la nomma sacristaine (segretana) et lui confia plusieurs jeunes filles à élever ; entre autres Isabella degli Ortensii, fille d’un bourgeois, séculière, mise en pension chez les religieuses.
Or le seigneur Osio demeurait à côté, comme je l’ai dit ; et n’ayant rien de mieux à faire, il admirait ces demoiselles tantôt par les fenêtres de sa chambre, qui ouvraient sur une cour intérieure du monastère, tantôt par de petits trous qu’il pratiquait à la muraille de son poulailler.
Je conviens que s’occuper d’autres études aurait mieux valu. Dans le couvent aussi l’on n’apprenait pas grand’chose, et l’on s’ennuyait. Quelle issue à ces âmes ? quel essor préparé à ces activités féminines, espagnoles et italiennes ?
Un soir Virginie de Leyva, qui était dans la fleur même et dans l’éclat inutile de ses vingt ans, aperçut vers un angle de la basse-cour du couvent sa petite élève dont les regards s’élevaient très-haut sans aller à Dieu. C’était à une fenêtre pratiquée dans le mur du jeune gentilhomme qu’ils s’adressaient.
Sœur Virginie la réprimanda, comme c’était son devoir ; elle lui adressa un sermon sur l’honneur du cloître, sur les dangers de la femme et les suites fatales des démarches étourdies. Puis elle la pria de rentrer au dortoir. Le jeune homme avait disparu de la fenêtre.
Le lendemain l’intendant de la princesse Molteno, fiscal ou notaire à Monza, fut appelé par Virginie. Informé par elle des périls que courait la jeunesse d’Isabelle, il en instruisit la famille. Les parents, la jugeant mûre pour l’amour et la vie conjugale, la firent sortir du couvent et la marièrent.
Les projets du séducteur Osio étaient déconcertés. Celui-ci tua d’un coup de poignard Molteno le fiscal.
Tuer pour se venger état une morale acceptée. Chaque époque a une morale qui lui est propre.
Grammont trichait au jeu sans que son honneur de gentilhomme en souffrît. Richelieu emprisonnait, pendait et faisait brûler les gens avec beaucoup de sang-froid. Un gentilhomme lombard, en 1630, se débarrassait d’un notaire, sans que personne le blâmât ; Il lui suffisait, pour qu’on l’inquiétât assez peu, de se mettre bien soit avec les autorités soit avec les amis ou les amies des autorités.
N’avons-nous pas aujourd’hui certaines habitudes qui étonneront nos petits-neveux ?
L’Osio, homme bien élevé, très au courant des mœurs et des honnêtes coutumes de l’époque, rentra chez lui après avoir fait son coup, s’y barricada paisiblement, arma ses domestiques, et, se promenant dans son jardin, attendit l’événement.
Il y avait à Monza un auditeur de justice, le signor Carlo Pirovano. Toute vieille société possède ce qui complète une administration bien réglée : elle a des juges, elle a une religion, et une littérature.
Comment se passerait-on de ces nécessités ou de leur simulacre ?
Pirovano ne se pressa pas de dénoncer ou de poursuivre le meurtrier que la voix publique lui signalait ; un homme prudent ne va pas aussi vite. Quelques gentilshommes le sollicitaient en faveur de l’Osio ; assassiner était presque passé en usage ; l’Osio vivait considéré, jeune, aimable et riche ; pourquoi le perdre ? Un vivant est plus estimable qu’un mort, et un gentilhomme vaut plus de deux notaires. D’après ce calcul il fallait ménager le criminel. C’est là une philosophie que je ne prêche pas et que je déteste ; il paraît néanmoins que certains peuples s’en accommodent ; — Dieu sait ce qu’ils deviennent !
Pirovano espérait que cette affaire bien menée pourrait lui tourner à bénéfice ; et il n’avait pas mal spéculé. Il triompha comme on triomphe toujours quand on calcule avec justesse. En effet, après avoir menacé, promis, attendu ; après avoir hésité, temporisé et gardé le silence, il reçut une lettre de la princesse qui autorisait la temporisation du magistrat.
Virginie le priait de ne point agir contre le meurtrier, de surseoir à toute poursuite et de laisser l’Osio en paix.
Pirovano répondit que les désirs de la princesse étaient pour lui des ordres ; qu’il ferait à sa considération ce qu’il n’aurait accordé à personne au monde ; et qu’il était trop heureux de manquer à son devoir pour obéir à une si puissante dame, qui certes reconnaîtrait le sacrifice.
Osio avait vu la princesse. Comme il avait su la toucher et lui plaire, la justice se tut devant les passions.
Chacun sait ce que deviennent les passions menées et exploitées par l’intérêt ; quand le soufflet de celui-ci agite et avive la flamme de celles-là, de terribles drames éclatent. Ici un confesseur mettait tout en mouvement. Arrighone était à l’œuvre ; — cynique, gras, mafflé, joufflu, pansu ; à l’œil faux ; à à la bouche pendante ; le vice sur le front, le mépris sur les lèvres ; calomniateur et flatteur ; homme d’intrigue et de maquignonnage ; tournant bien la phrase ; ayant des raisons pour tout, sachant par cœur Sanchez et Suarez ; impudent et hypocrite ; dînant grassement avec les seigneurs, soupant de confitures avec les religieuses ; servant les voluptés de ceux-ci, soulageant les consciences de celles-là ; haï, recherché, méprisé et ménagé à vingt lieues à la ronde ; homme pratique, commode, utile ; homme nécessaire ; homme incomparable.
L’Osio devinait le mérite et l’utilité de l’Arrighone. Ces deux nobles âmes s’attirèrent mutuellement et confondirent leurs aspirations. L’Osio séduisait, l’Arrighone confessait, et les femmes ne se plaignaient pas.
L’Osio ne se sentit pas très-rassuré quand il eut envoyé Molteno dans un monde meilleur. Il craignait que la princesse ne prît fait et cause pour son agent. Cette Espagnole, cousine des princes d’Ascoli, maîtresse féodale de tout le district, avait la main longue, comme dit le peuple, et elle pouvait se venger.
L’Osio confia ses craintes à l’Arrighone.
« Vous voilà, lui dit le confesseur, embarrassé pour peu de chose ! En vérité je vous trouve trop naïf. Eh quoi ! vous êtes jeune, vous êtes beau, vous savez votre monde ; et une telle difficulté vous effraye ! Faites-vous donc aimer de la princesse ; ce sera désarmer l’ennemi. »
La morale du dix-septième siècle admettait ces pratiques, qui aujourd’hui nous sembleraient ignobles. Gens du dix-neuvième siècle, nous acceptons l’extrême cupidité et l’extrême bassesse sous l’apparence de la dignité ; mais l’érotisme machiavélique toléré par nos ancêtres nous déplaît.
Ils pardonnaient à Jean-Jacques ses tristes passions et ses lâchetés envers les femmes ; Malesherbes pouvait, sans les choquer, apprendre la Pucelle par cœur ; Gœthe servir et partager les fantaisies du duc de Weymar, comme on le lira[3] dans l’histoire de cette petite cour poétique et efféminée.
[3] Lustige Zeite.
Tout change, excepté l’homme même.
« J’aperçus ce jeune homme pour la première fois (dit sœur Virginie dans son interrogatoire) par la fenêtre de la cellule de ma sœur Candida, chez laquelle je me trouvais ; cette fenêtre avait vue sur le jardin. Il me salua poliment et me fit signe qu’il avait une lettre à m’adresser. J’étais très-courroucée contre l’assassin de Molteno, et très-décidée à le poursuivre sans miséricorde. Il avait l’air humble, suppliant, bien élevé ; sa tournure était si noble et si distinguée, que je consentis à recevoir sa lettre. »
Elle n’ajoute pas, pauvre princesse ! qu’en s’éloignant de la fenêtre elle s’écria tout émue : « Si potrebbe mai vedere la piu bella cosa ! » — Est-il possible de voir chose plus belle ?
Ces paroles, recueillies et répétées par sœur Candida (que l’Arrighone confessait), assurèrent la victoire de l’Osio. Celui-ci commença par adresser à Virginie une déclaration brûlante ; première lettre qui fut renvoyée à son auteur. Non-seulement l’Osio y demandait grâce pour la vivacité de son poignard et la liberté qu’il avait prise de tuer l’intendant, mais pour son amour, dont il ne cachait pas la véhémente ardeur.
Virginie renvoya l’épître et se montra encore à la fenêtre. Puis elle intima l’ordre à Pirovano de ne point poursuivre. Elle était néanmoins mécontente, même furieuse de la conduite du jeune homme.
Il ne se découragea pas, réitéra ses déclarations ; et sa seconde lettre signée de lui, mais que l’Arrighone avait dictée, eut plus de succès que la première. Sœur Virginie trouva cette épître belle, noble, repentante, toute confite en douceurs, pleine de modestie, convenable et honnête ; en un mot conforme aux règles établies de la belle passion.
Elle s’attendrit alors, consentit à voir l’Osio en présence de sœur Candida, à l’entendre à la grille du parloir, ou plutôt, comme elle le dit, séparée de lui par deux grilles.
Elle reconnut bientôt, hélas ! que cette présence était dangereuse et cette voix trop pénétrante ; elle résista, languit, tomba malade, garda le lit assez longtemps, et revint à la fatale fenêtre, vers laquelle une irrésistible force la poussait.
« C’était (dit-elle encore) une force vraiment démoniaque. Pour tout l’or et le trône des Espagnes je n’aurais pas voulu aimer l’Osio. J’allai en pèlerinage ; je me châtiai moi-même : mon sang coula sous la discipline. L’obsession de cet amour demeurait triomphante. Je voyais partout cet homme fatal. Je ne dormais plus. Je ne vivais plus. L’Osio voulut un jour que je consentisse à baiser et toucher de la langue (colla lingua) un bijou précieux, en or et en diamants, qu’il reporta ensuite à ses lèvres ; c’était une amulette que l’Arrighone lui avait fournie, et qui, trempée dans l’eau bénite, acheva de me vaincre. Il me donna aussi un livre de la bibliothèque de ce même Arrighone, où il était dit qu’un laïque peut « entrer sans pécher dans la cellule d’une religieuse, et que tout le péché consiste pour elle à en sortir ». J’étais au désespoir ; je voulais en finir avec la vie. »
Ces scrupules passionnés de l’âme féminine retardaient le succès de l’Osio ; il n’était pas, selon le langage du temps, maître de la place ; il lui restait encore bien du chemin à faire. Une étrange audace de l’Arrighone lui vint en aide et leva les obstacles.
La correspondance que l’Osio avait engagée avec la princesse suivait son cours, toujours active, animée, ardente ; et la princesse sans aucun doute était compromise.
Un jour elle fut très-étonnée de recevoir une épître signée du confesseur Arrighone, épître insolente et amoureuse, dans laquelle il déclarait que seul il avait écrit toutes les lettres signées par Osio ; qu’il avait parlé pour son compte, bien que sous une autre signature ; qu’enfin il prétendait être récompensé de ses peines, recueillir les bénéfices de son éloquence et devenir, un jour au moins, l’amant de la princesse.
La réponse de Virginie existe en manuscrit ; en voici un fragment :
« Ah ! misérable (lui écrit-elle dans le plus tragique langage et le plus sonore italien du monde), c’est ainsi que vous vous oubliez et que vous oubliez Dieu !… Ah ! vous croyez me tenir sous votre main ? Mais vous n’y pensez pas, drôle ! (briccone !) c’est moi qui vous tiens sous la mienne ; et si vous faites un pas de plus, je vous enverrai aux chiourmes, votre lettre dans la main. Là vous apprendrez qui vous êtes ! »
Par une résolution que les femmes comprendront aisément elle se replia bien vite vers l’Osio, marcha sur les scrupules, et se donna toute à lui.
La servilité du couvent l’y encourageait. La vieille prieure se faisait sourde, aveugle, et ne voulait rien voir : ni les échelles de l’Osio, ni la petite sonnette qui suspendue à la porte répondait à un cordon de la chambre habitée par Virginie, cordon qu’elle agitait pour que l’Osio pût sortir du cloître ; ni l’Osio lui-même, déguisé en religieuse bénédictine, — costume qui allait bien à la blancheur féminine de son visage et à ses cheveux blonds ; — ainsi déguisé, il entrait au monastère, appuyé sur deux religieuses qui le protégeaient.
Quant à l’Arrighone, il laissa la place libre au gentilhomme ; gaiement, avec son gros rire cynique, donnant sa parole d’être à l’avenir plus sage, — parole qu’il a tenue ; — il se retrancha sur ce qui était possible ; resta en bons termes avec son vieil ami l’Osio ; — enfin se contenta de démontrer à sœur Candida, enfant candide comme son nom, la théorie des cas réservés. Il les développait, les commentait et les appliquait avec une subtilité trop savante pour que je me permette d’en essayer l’analyse.
Autour de la princesse tout s’organise pour servir ses passions. Elle fascine le couvent, l’épouvante ou le séduit.
La pauvre vieille prieure, ayant hasardé une seule représentation timide, fut cassée, dénoncée par l’Espagnole, et contrainte à céder sa place à une créature de la princesse. Un enfant naquit, celui-ci mort-né ; puis un autre qui vécut, c’était une fille. Le scandale devenait flagrant. Mais qui eût osé attaquer la suzeraine ? Une prieure à sa discrétion, un confesseur prudent, six domestiques vendus, toutes les religieuses gagnées ou terrifiées, ne laissaient subsister qu’une difficulté à vaincre, celle de l’état civil qu’il fallait donner aux pauvres êtres nés ou à naître de la religieuse et de l’Osio.
Les civilisations très-savantes ont des ressources pour les circonstances les plus difficiles. Elles prévoient tout, concilient tout, suffisent à toutes les nécessités et se prêtent à tous les cas.
Une fille du peuple, Catherine de Meda, Espagnole, entra au couvent comme servante et prit les enfants sur son compte ; puis le comte palatin Melzi, qui siégeait à Milan avec le privilége (césarien) de « légitimer les enfants qui en avaient besoin (ampla facultas, dit la rubrique, legitimandi filios naturales) », délivra le diplôme nécessaire au nom des Césars ; et tout fut dit.
Ce vieux monde vivait de priviléges : il ne venait à l’esprit de personne de s’en scandaliser ou de s’en étonner.
La princesse et son amant continuèrent donc leur train de vie. Virginie mettait les religieuses à la raison ; l’Osio distribuait des cadeaux et de l’argent ; l’Arrighone apaisait les consciences. Si quelque remords se glissait au cœur de Virginie de Leyva, — vers le temps de Pâques par exemple, chaque année, — elle fermait sa porte, bouchait l’ouverture qui du jardin de l’Osio conduisait dans sa chambre, et s’y enfermait ; puis elle jetait les clefs de l’amant dans le puits, pleurait avec amertume et envoyait à Notre-Dame de Lorette un ex-voto qui existe encore, représentant « deux petits enfants et une religieuse ».
L’Osio se hâtait alors de faire fabriquer de nouvelles clefs ; et les Sœurs, les domestiques, les associés de la princesse ayant intérêt à ce que le roman continuât, il reprenait de plus belle ; et tout recommençait.
Où aboutiront ces impudicités, ces iniquités, ces sottises dont la première est d’avoir violé la sainteté du cloître pour y enfermer celle qui ne voulait pas y être ? A une traînée de sang ; à une longue chaîne de meurtres sur lesquels je passerai rapidement.
La servante Catherine de Meda, maîtresse des plus dangereux secrets de Virginie, devint insolente et insupportable. En vain essaya-t-on de la morigéner ; elle se plaignait de ce qu’on ne la traitât pas assez bien en proportion de ses services. Elle menaça : on la punit. Elle était Espagnole et se vengea.
Monsignor Barca, visiteur ecclésiastique, viendra demain inspecter le couvent, qui est en rumeur à cette occasion. Que dira la jeune servante ? Racontera-t-elle le meurtre de Molteno, les soins pastoraux de l’Arrighone, les hautaines amours de la princesse, les brèches pratiquées dans les murailles, les enfants légitimés, les déguisements et les orgies ? C’est ce dont elle menace les religieuses, qui, saisies de frayeur, la forcent de descendre dans un caveau souterrain. Elle crie par le soupirail ; et tour à tour Candida, Benedetta, Ottavia, la princesse elle-même, vont près d’elle et s’efforcent de la calmer. Elle ne veut ni se calmer ni se taire.
C’était encore une de ces nuits d’orage qui ébranlent violemment et la nature et les organisations du Midi. Catherine de Meda ne voulait pas entendre raison.
Osio se présente alors, — poli et gracieux ; vêtu de velours brun, dit la chronique ; toque sur l’oreille, épée à poignée d’argent ; — il ne raisonne pas, mais il se rend à l’infirmerie ; là il trouve un instrument de bois et de fer, une espèce de tabouret qui servait aux malades. Il s’en empare, descend à la cave, frappe Catherine à la nuque, et l’étend morte savamment sans qu’elle pousse un cri. On la relève, on la dresse, on la transporte dans une petite cour intérieure ; et l’Osio, aidé de deux nonnes, enlève le cadavre, le cache, l’enterre chez lui ; il en détache la tête, pour effacer s’il le peut l’identité de la personne ; enfin il va lui-même jeter le crâne dans un puits abandonné, à deux lieues de la ville.
Le lendemain, monsignor Barca visite le couvent selon sa promesse, prend des informations et ordonne que les fenêtres des religieuses seront désormais murées. C’était un peu tard s’en aviser.
Il était évident que l’Osio, en contractant avec la princesse l’union illégale et scandaleuse que nous avons décrite, devenait maître à la fois de la suzeraine et de son pouvoir. Cette situation pouvait offrir quelques dangers politiques dont les princes d’Ascoli se préoccupèrent ; l’Osio fut conduit à la prison d’État de Pavie, où il passa un mois.
Mais la suzeraine, qui veillait aux intérêts du prisonnier, obtint des Sœurs et de la prieure une réclamation en faveur de l’accusé, et une protestation solennelle attestant la pureté du couvent, « qui jamais, disaient-elles, n’avait abrité de désordres pareils à ceux que la calomnie attribuait à Virginie, à l’Osio et aux habitantes du monastère ».
On relâcha donc le jeune homme, qui mis en liberté rechercha ses dénonciateurs afin de les punir. Se regardant comme certain qu’un apothicaire nommé Ranieri avait mal parlé du couvent et de lui, il chargea un domestique, le Rosso, d’infliger un châtiment au coupable. Il Rosso obéit, et, l’arquebuse en main, mèche allumée, il entra dans la boutique de l’apothicaire qu’il tua ; puis le Rosso prit la fuite.
La princesse recueillit et cacha l’Osio dans le monastère et dans sa chambre, où il demeura quinze jours ; là on le nourrit et on le choya ; un nommé Dominico Pesen, homme de peine espagnol, s’étant émancipé jusqu’à faire à ce sujet quelques observations, on le chassa. La prieure, plus tremblante que jamais, resta en prières au fond de son oratoire.
Alors seulement ; — sept années après le premier assassinat du Molteno, après les premières manœuvres de l’Arrighone, l’autorité ecclésiastique fut avertie ; la visite de Frédéric Borromée détermina l’arrestation de Virginie de Leyva ; et elle fut conduite à Milan.
Nous voici revenus au point d’où nous étions partis : à l’arrestation de Virginie de Leyva.
On l’emmène. Tout s’émeut parmi les Sœurs. Les deux complices principales de l’Osio, celles qui ont enlevé le cadavre, supplient le jeune criminel de les protéger, de les arracher à leur retraite dangereuse, de les sauver, de les prendre avec lui, de les cacher. Il y consent ; et c’est alors qu’a lieu l’affreuse scène décrite plus haut, l’assassinat des rives du Lambro.
Il se réfugie dans les bois, y organise une bande armée composée de ses vassaux et de ses domestiques, et de là brave ses juges et ses examinateurs.
Cependant le procès se poursuit ; la signora di Monza est condamnée à la prison perpétuelle et murée ; l’Arrighone aux galères pour trois années seulement ; certes, il méritait mieux, ayant tout conduit.
L’Osio, condamné à mort par contumace, exilé, proscrit, sa tête mise à prix pour cent écus ; sa maison rasée ; soutint, du milieu des forêts où il errait avec sa troupe, une guerre acharnée contre le cardinal et le gouverneur. Il revint une nuit à Monza, abattit, aidé des siens, la colonne d’infamie que le tribunal avait fait ériger sur l’emplacement de sa maison ; réclama justice (il s’exprimait ainsi dans une lettre de la plus spirituelle impudence), au nom de la princesse et de ses droits ; et il aurait pu se maintenir ainsi longtemps, si, las d’habiter les rocs des Apennins et de vivre hors la loi, il ne s’était avisé d’une étourderie qui le perdit.
Un de ses jeunes compagnons de plaisir habitait Monza. Gentilhomme comme l’Osio, et maître de sa fortune, il n’avait nul besoin des cent écus que le grido (proclamation) du comte de Fuentès offrait à qui livrerait le criminel mort ou vif.
L’Osio, très-lié avec cet aimable voluptueux et qui avait couru avec lui les aventures de jeunesse, eut la malencontreuse idée de lui rendre visite ; il espérait échanger les ennuis de la vie sauvage contre les douceurs d’une hospitalité passagère. Il vint donc demander asile à son ancien camarade, qui jura sur le crucifix de ne pas le trahir.
L’ami l’ayant accueilli avec joie se fit raconter les aventures de l’exilé ; on n’oublia pas l’histoire cruelle de cette servante tuée avec l’instrument de fer et de bois dont j’ai parlé. L’ami voulait être au courant de tout ; l’Osio donc lui fit, sans réticences, une confession complète et détaillée de tous ses actes depuis près de dix ans.
Ce récit les amusa fort ; quinze jours se passèrent ; on vivait bien ; une chère délicate, et de bonne musique que l’un et l’autre aimaient égayaient et charmaient leur retraite.
« Mon cher Osio, dit un soir le gentilhomme à son hôte proscrit, j’ai de très-bon vin dans ma cave ; des vins rares, de qualités diverses, et fort bien classés ; il faut que je vous les montre.
— Très-volontiers », répondit l’Osio.
Et il descendit dans le caveau, en costume de convive, sans dague et sans armes. Son ami le précédait ; deux domestiques le suivaient.
La porte se referma aussitôt. Dans le fond du caveau l’Osio aperçut un capucin debout, prêt à recevoir ses derniers aveux et à lui conférer l’extrême-onction. Bâillonné par son ami et garrotté par les domestiques, il ne put tenter aucune résistance contre les bourreaux, qui firent de lui ce qu’ils voulurent. On avait eu l’ingénieux soin et la précaution merveilleuse de fabriquer d’avance un instrument de bois et de fer exactement semblable à celui qui avait servi à tuer Catherine de Meda.
On plaça le condamné dans la même position où la servante avait reçu le coup mortel. Ensuite on le frappa comme elle sur la nuque ; et il expira.
Le lendemain au lever du jour, la tête de l’Osio, cette belle tête blonde, souriante, digne de la statuaire, — la bella cosa de Virginie de Leyva, détachée du tronc — surmontait la porte principale et le mur en ruine de Monza.
L’ami touchait le prix du sang.
Ainsi périt l’Osio. Ainsi finit ce drame.
La longue expiation chrétienne de Virginie en est le complément lugubre, tragique, divin, et dix années plus tard elle existait encore, toujours immobile et captive, dans sa prison murée. Là elle reçut jusqu’à sa mort un peu de pain et d’eau à travers une lucarne ; et pleurant sans cesse, priant Dieu sans cesse, dit le cardinal Borromée (qui écrivit à ce sujet à son frère une lettre touchante et terrible), elle mourut — come una santa.
A la même époque où l’Osio et sa canaille dévouée assassinaient qui leur déplaisait ; où le prêtre Arrighone se rendait digne des galères ; où la princesse cloîtrée faisait assommer sa domestique par son amant ; à cette même époque vivait du côté de Florence dans la villa d’Arcetri un doux et innocent philosophe, qui consultait les astres, interrogeait la nature et en établissait définitivement les lois véritables et éternelles.
Pendant les sept années où l’Osio et ses complices eurent liberté de commettre leurs infamies, les rivaux et les envieux du philosophe martyrisèrent à loisir leur ennemi. Ils empoisonnèrent sa vie, l’humilièrent pendant les vingt années qui suivirent, et s’armant du pouvoir dans un monde apathique et lâche, ils le retranchèrent de la société humaine.
Il s’appelait Galilée.
J’ai lu, relu, médité longtemps le procès italien de Virginie et de l’Osio. Je me suis attardé au milieu de ces féroces et doux personnages ; bien élevés, instruits, subtils, et qui mettaient tant d’esprit au service de leurs passions. Ce spectacle m’a effrayé, étonné et fait beaucoup penser.
Pourquoi, me suis-je demandé, l’innocent et grand philosophe est-il traité si cruellement, pendant que les monstres impunis étalent leurs crimes au grand jour de cette société indifférente et blasée ?
L’iniquité efféminée et l’apathie féroce ne seraient-elles pas les conditions inévitables des sociétés en décadence ?
Comment, par quels degrés la noble Italie a-t-elle pu descendre dans cet abîme de lâchetés et de misères ?
Alors je me suis mis à étudier, non-seulement les chroniques anciennes, mais les épistolaires originaux et les voyageurs récents.
Ces explorateurs, ces analystes de l’Italie composent une cohorte ou plutôt une armée. De tous les replis de l’Europe, de tous les rivages de la jeune Amérique, des hommes studieux sont accourus, tous empressés et ardents à résoudre l’énigme qui m’intéresse.
Un Écossais, M. Dennistoun, a compulsé les archives de la maison d’Este.
Vingt collecteurs et annotateurs, Hurter, Tommaseo, Cigogna, Alberi, Marsand, Rawdon Browne, ont publié les relations des ambassadeurs italiens.
M. Alfred de Reumont, envoyé de Prusse à Florence, a consacré des recherches infatigables (Beitræge zur italienische Geschichte) aux familles, aux souvenirs, aux antiquités du moyen âge italien.
De ces mille volumes ressort avec éclat la grandeur du génie italien ; il ne se repose pas ; incessamment il se renouvelle ; après Machiavel, Galilée ; après Galilée, Vico ; après Vico, Spallanzani et Volta. C’est une fécondité qui ne tarit pas. Remuez du pied ces poussières de vingt siècles et ces couches superposées de civilisations jadis florissantes ; il en jaillit des milliers d’étincelles et des lumières miraculeuses ; surtout il en ressort cet enseignement profond, digne d’être médité par tous les philosophes et répété à tous les peuples ; enseignement qui résoud la question que j’ai posée, et pour lequel j’ai écrit ce livre :
Que rien ne remplace l’éducation sociale ;
Et que celle-ci repose exclusivement sur l’homme individuel, sa dignité, sa force morale et sa valeur propre.
Repassons en effet, scène à scène, acte par acte, cette série d’atrocités et d’infamies.
Nous reconnaîtrons que personne n’a conscience de ses crimes ; que, sous l’apparence d’une éducation chrétienne, toutes ces âmes sont sauvages et abâtardies ; que chacune se dirige avec l’ardeur farouche d’une bête de proie et la ruse envenimée d’un reptile vers son but de passion et d’intérêt ; que tous ces hommes méprisent l’équité, vénèrent l’intrigue et se courbent sous ce qui les opprime.
Ils ne croient pas à la justice, ils ne croient qu’à la force.
Le poignard qui tue est une force, et ils l’estiment. Le poison remplace avantageusement le poignard. Si vous êtes noble, riche, apparenté, vous valez quelque chose. Ces ressources vous manquent-elles ; usez de la bassesse et de l’intrigue : ce sont aussi des puissances.
Mais avec le travail seul ou le talent, avec l’honneur ou la probité seuls, n’attendez que mépris ; et si vous froissez le dernier misérable, puissant ou riche, une bonne mousquetade va vous apprendre à vivre.
Voilà sur quels principes les contemporains de Machiavel, puis ceux de Galilée, dirigent leur conduite. Terribles sauvages dans une civilisation aussi raffinée que possible, et barbare en effet.
Les Osio, les Arrighone et leurs amis, les cardinaux de Rome qui délaissent Galilée, les savants florentins qui l’entraînent dans le piége parlent latin et quelquefois grec. Ils écrivent un italien très-pur. Ils sont sophistes, littérateurs, avocats. Osio, du sein des bois où il est caché, adresse au cardinal-archevêque une lettre tissue de ruse machiavélique et de sombre véhémence ; merveille de fourberie et de beau style. La suzeraine amoureuse ne commet pas une faute de grammaire ou d’orthographe ; elle pratique exactement sa religion, connaît l’histoire, lit les poëtes ; elle aime les arts. Elle est lyrique ; sait les convenances, le beau monde, l’art de vivre ; elle se fait respecter, se fait compter ; de son âme impérieuse émanent parfois des accents pleins d’éloquence et de grandeur.
Jamais ces personnages affreux ne blessent la décence. Ils possèdent à fond la grâce, l’élégance, la morale du dehors ; ils conservent la belle tenue, le bon air dans le crime, la dignité grave. La boucherie abominable commise dans ce caveau par cinq religieuses et un gentilhomme est exécutée avec mesure ; point de cris, de gros mots ; aucun bruit, aucun scandale. On sait vivre ; il serait de mauvais goût que le sang parût ; aussi s’arrange-t-on pour qu’il fasse tache le moins possible.
Ils ont leur morale qui est la grâce extérieure et la politesse ; ils ont leur religion de formule et de pratiques. Ils ont leur littérature, le seicentisme dont les coryphées, Marini, Doni, cent autres génies maniérés, effrénés ou emphatiques ont usurpé la renommée, envahi les Académies et fait grand bruit dans leur temps.
En un mot, ils sont fins, artistes, spirituels, aimables, pieux, délicats, prudents, instruits, courageux, polis, amateurs du luxe et du beau luxe ; ils s’envoient des gants de soie brodés dans des corbeilles d’or et écoutent très-régulièrement les offices ; ils lisent les auteurs à la mode et font de la musique et des vers.
Mais ils ne sont pas vrais.
Ils ne sont pas libres.
Ils ne sont pas justes.
Les habitants manquent aux cités, les bras aux campagnes. Les murailles des villes tombent en ruines ; à cinq lieues de Monza, sur la grande route, vous rencontrez une maison béante et déserte ; les âmes pleines de passions et vides de devoirs sont encore plus désolées que les édifices ; la charité en est absente ; on ne veut pas recueillir, de peur de se compromettre, les femmes blessées et mourantes ; les bourgeois rentrent chez eux plutôt que de donner asile aux malheureux. Le prêtre use du confessionnal pour servir les amours d’une religieuse et les siens propres ; l’ami trahit l’ami dont il livre la tête pour cent écus ; avec l’eau bénite on baptise des amulettes. Enfin le valet de l’homme puissant va dans les rues, l’arquebuse en main, la mèche au rouet, résolu à tuer l’homme désigné par son maître.
Malheureux les peuples dont la vie sociale est telle ; chez qui la force morale des individus ne réagit plus contre les mœurs de tous ; et qui ne renouvellent pas leur sève vitale par l’ordre et la bonté !
Inondée vingt fois des flots de la conquête étrangère, l’Italie a eu beau crier : Mort aux conquérants ! Elle n’a jamais pu se dégager des Straniere genti ! c’est son cri de douleur. Machiavel pleurait en le répétant ; Filicaja le redisait en beaux vers ; Alfieri le mêlait à ses sanglots et à ses fureurs.
Aussi depuis dix siècles qu’elle essaye en vain de chasser les vautours n’a-t-elle pu reconquérir la force sociale et l’indépendance. Il lui en est venu de tous les points de l’horizon ! Voici Theodorick, ou si l’on veut Teut-rick, un Goth ; voici un Scandinave devenu Romain et Gaulois, Guiscard, ou Weisshardt ; et Walter de Brienne (Gaultier) le Gallo-Romain ; et le Hongrois (André le Hun) qui a épousé Jeanne de Naples ; — sans compter des milliers d’autres étrangers, — papes, généraux, cardinaux, aventuriers, artistes, savants et soldats.
L’éclat des arts, la splendeur et la variété des talents, la grandeur même des caractères n’ont pu sauver l’Italie. Depuis la chute de Rome et son découronnement sous Constantin la maîtresse du monde a subi la torture. Tout chez elle a été douloureux, surtout le pontificat.
Le pape anglais Breakspear, celui qui força le fils des Hérules à lui tenir l’étrier, s’écriait avec trop de raison :
« — La tiare brille… savez-vous pourquoi ? C’est qu’elle brûle. »
Ainsi meurent les peuples qui n’estiment que la force ou la ruse. Dès que la résistance virile manque à individu, vous n’avez rien à espérer d’une nation, quelque généreuse, courageuse et intelligente que vous la supposiez, quelle que puisse être la perfection morale des doctrines qu’on lui impose ou qu’elle accepte.
Du jour où l’Italie a subi le joug des conquérants étrangers, elle a été perdue. Elle a plus adoré le pouvoir que la justice ; elle a créé des milliers d’âmes essentiellement dépravées, aussi fatalement perdues que celles de l’Osio et de Virginie, n’ayant de goût que pour la ruse et la force, comme les Grecs du Bas-Empire, les Chinois actuels et les Orientaux dégénérés. Les crimes du couvent de Monza ne procèdent pas d’une autre source. Là il n’y a de morale que l’égoïsme et de droit que la victoire. On permet tout à la princesse espagnole ; le couvent lui appartient plus qu’à la prieure. Tout plie devant la suzeraine ; elle a sa cour, ses esclaves, ses religieuses affidées, ses séides.
L’Arrighone est puissant à sa manière ; un homme subtil, rusé, captieux, dangereux, cauteleux ; par conséquent respectable. L’Osio est un petit prince asiatique ; il peut tuer autour de lui tous ceux qui le gênent. Il est riche et gentilhomme ; il s’est fait sa bande, son groupe, son bataillon de dévoués. Il vit dans sa citadelle, c’est-à-dire dans sa maison, avec un valet qui assassine, un autre qui enterre, et un autre qui porte les messages d’amour.
Monde social qui peut être fort civilisé, très-élégant, et qui n’en est pas moins exécrable.
L’individu disparaît. L’âme humaine réduite en poussière ignoble n’est plus que l’élément sans valeur de je ne sais quelle pâte politique jetée dans le moule de l’État. — Ce phénomène méritait d’être observé et analysé ; c’est ce que je me suis proposé dans ce livre.
FIN.
| Préface | ||
I. |
— M. Dandolo dans les déserts d’Archisate. — La solitude des Apennins et l’archéologie | |
II. |
— Un vieux procès | |
III. |
— L’Italie au commencement du dix-septième siècle | |
IV. |
— Procès de la signora de Monza. — Pièces de ce procès. — Comment le roman est moins romanesque et moins touchant que la vérité | |
V. |
— Virginie de Leyva. — Son portrait. — Antoine de Leyva, son grand-père. — Don Martin, son père. — Éducation de Virginie de Leyva | |
VI. |
— L’Italie devenue espagnole. — Effets de la conquête et de la servitude | |
VII. |
— Le confesseur des religieuses. — Caractère et portrait d’Arrighone. — Intérieur du couvent. — La ville. — Ses habitants. — Osio degli Osii | |
VIII. |
— Dernières conséquences du moyen âge italien | |
IX. |
— Situation et luttes de la papauté. — Charles et Frédéric Borromée. — Visite de Frédéric Borromée au couvent de Monza. — Premier interrogatoire de Virginie de Leyva | |
X. |
— Le drame des bords du Lambro. — Ottavia Ricci et Benedetta Homati. — Deux assassinats et leurs conséquences. — L’égoïsme de la servitude | |
XI. |
— Résurrection des deux religieuses. — L’indifférence publique | |
XII. |
— Confession de Virginie de Leyva. — Les mœurs publiques et leurs causes | |
XIII. |
— La prieure Saccha. — Les religieuses de Sainte-Marguerite. — Isabella degli Ortensii. — Assassinat de Molteno | |
XIV. |
— Suites de l’assassinat de Molteno. — Pirovano. — Lettre de la princesse | |
XV. |
— La passion. — L’intérêt. — L’Arrighone et l’Osio. — Morale du temps | |
XVI. |
— Première entrevue de l’Osio et de Virginie de Leyva. — Seconde entrevue. — Progrès de la passion. — Le démon. — Les amulettes | |
XVII. |
— Audace de l’Arrighone. — Résolution de Virginie | |
XVIII. |
— Quelle vie on menait dans le couvent de Monza. — Catherine de Meda. — Les légitimés | |
XIX. |
— Assassinat de Catherine de Meda. — Une première nuit d’orage. — Assassinat de Ranieri | |
XX. |
— Condamnation de Virginie de Leyva. — Mort de l’Osio | |
XXI. |
— Galilée | |
CONCLUSION | ||
I. |
— La décadence italienne. — Leçons qu’elle fournit. — Explorateurs, archéologues, voyageurs. — Commentateurs récents. — MM. Dennistoun, de Reumont, Rawdon Browne, etc. | |
II. |
— La morale du dehors et la vraie morale. — Vieux monde social de l’Italie | |
III. |
— Enseignements de l’histoire. — La belle Italie. — Champs de carnage. — La décadence morale. — La Force reine | |
FIN DE LA TABLE.
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