The Project Gutenberg eBook of Le second voyage de Vasco da Gama à Calicut

This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook.

Title: Le second voyage de Vasco da Gama à Calicut

relation flamande éditée vers MDIV reproduite avec une introduction et une traduction par J. Ph. Berjeau

Translator: J. Ph. Berjeau

Release date: December 14, 2025 [eBook #77461]

Language: French, Dutch

Original publication: Paris: Charavay frères, 1881

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SECOND VOYAGE DE VASCO DA GAMA À CALICUT ***

LE SECOND VOYAGE DE
VASCO DE GAMA
A CALICUT

RELATION FLAMANDE ÉDITÉE VERS MDIV
REPRODUITE AVEC UNE TRADUCTION
ET UNE INTRODUCTION
PAR
J. PH. BERJEAU

PARIS. CHARAVAY FRÈRES ÉDITEURS
51 rue de Seine 51
1881

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CE LIVRE
PAR GUSTAVE RETAUX A ABBEVILLE
DEUX CENT SOIXANTE DOUZE
EXEMPLAIRES DONT :

Douze exemplaires sur papier de Chine (No 1 à 12).
Deux cent cinquante exemplaires sur papier de Hollande (No 13 à 272).

Numéro


FAC SIMILE DE LA CARTE D’AFRIQUE
GRAVÉE DANS LE PTOLÉMÉE DE LYON, MDXLI

INTRODUCTION

On sait combien sont recherchés aujourd’hui en Europe et plus encore en Amérique les relations contemporaines des grandes découvertes faites par les navigateurs du XVe siècle et des premières années du XVIe. Les bibliophiles se disputent à prix d’or dans les ventes publiques ces opuscules de quelques feuillets souvent et s’empressent aussitôt acquis de les faire couvrir de magnifiques reliures, afin que la splendeur de l’enveloppe en frappant les yeux arrête quelque vandale de l’avenir prêt à détruire comme insignifiants ces trésors du passé.

La lettre de Christophe Colomb : « Epistola Christophori Colom : de Insulis Indie supra Gangem nuper inventis (sine loco) 1493 4 ff. in-4o » eut de nombreuses éditions en plusieurs langues dans la même année. Combien en reste-t-il d’exemplaires aujourd’hui ? On a perdu de vue pendant des siècles cette curieuse publication et on ne l’a reproduite que de notre temps. Les opuscules d’Americ Vespuce, non moins recherchés à présent par les amateurs de curiosités n’ont été exhumés que récemment de la poussière des bibliothèques.

On n’avait que des détails très incomplets sur le premier voyage aux Indes de Vasco da Gama par la route inconnue jusque-là du Cap de Bonne-Espérance, lorsque MM. Diogo Kopke et Antonio da Costa Païva découvrirent dans la bibliothèque publique de Porto et publièrent le routier d’Alvaro Velho intitulé : « Roteiro da viagem que em descobrimento da India pelo cabo de Boa-Esperança fez dom Vasco da Gama em 1497, Porto 1838 in-8o. »

Ce routier écrit par un des matelots chargés des présents du roi de Portugal pour le rajah de Calicut, a été traduit en français dans le 3e volume des « Voyageurs anciens et modernes » de M. Ed. Charton, Paris, 1855 grand in-8o.

Mais on n’avait toujours que très peu de renseignements sur le second voyage très imparfaitement relaté dans Galvao, Ramusio, Castanheda, Faria, Barros etc. lorsque vers 1860, un chercheur infatigable de curiosités bibliographiques, qui avait découvert à Londres l’opuscule que nous reproduisons, me chargea de le lui traduire en français, car il n’en comprenait qu’imparfaitement le texte néerlandais.

Six ans plus tard, ce bibliophile étant venu à mourir, ses livres furent dispersés dans une vente aux enchères. Je n’avais pas suivi la vente et j’ignorais si le livre y avait passé et ce qu’il était devenu. Enfin en 1874 je m’avisai de chercher, dans les catalogues si complets que le British Museum met à la disposition de ses lecteurs, si par hasard le livre que j’avais traduit n’était pas entré dans la vaste collection. Les catalogues suivent simplement l’ordre alphabétique par noms d’auteurs ou titres d’ouvrages anonymes. Au mot Calcoen je fus renvoyé immédiatement à celui de Calicut et là je trouvai ce que je cherchais. Une demi-heure après avoir écrit mon bulletin on m’apporta non-seulement l’original de Calcoen mais encore le manuscrit de ma traduction que l’amateur avait fait relier dans le même volume par un des grands relieurs de Londres.

J’obtins immédiatement la permission de reproduire l’ouvrage en phototypie. Je le traduisis en anglais et il fut publié sous ce titre : « Calcoen a dutch narrative of the second voyage of Vasco da Gama to Calicut, printed at Antwerp circa 1504 With introduction and translation. » London, Basil Montagu Pickering, 1874, in-4o.

L’édition d’Anvers circa 1504 se compose de six feuillets en caractères gothiques, sine anno, loco aut typographi nota. Sur le f. 1a au milieu de la page est le mot CALCOEN en grosses lettres gothiques de 3 cm. Fo. 1b commencement du texte : Dit is die reyse. Fo. 3a porte la seule signature du livre a iij. On compte 29 lignes dans chacune des dix pages de texte. Au verso du dernier feuillet est une gravure de la crucifixion avec la vierge et saint Jean à droite de la croix et à gauche un évêque mitre en tête et la crosse à la main. Cette gravure reproduite ici et que l’on retrouve sans doute dans d’autres livres imprimés à la même époque à Anvers a ceci de remarquable que l’inscription du philactère qui flotte derrière la croix : « deus qi pro redēpciōe » est à l’envers, preuve de l’inexpérience du graveur qui ne se rendait pas compte du résultat de l’impression. Il n’avait pas oublié cependant de graver à l’envers l’inscription INRI qui surmonte la croix et se lit régulièrement sur la gravure. Avec ces indications il est donc facile de retrouver dans les livres de la même époque la même gravure, qui n’a rien à faire dans le livre, sinon à remplir une page blanche, et le nom du typographe qui l’utilisait.

Il est assez singulier que le nom de Vasco da Gama ne soit pas même prononcé dans cette relation de son second voyage. Mais il ne peut faire l’objet d’aucun doute qu’il s’agit bien ici de ce voyage. Car les dates, les lieux visités, les incidents relatés coïncident parfaitement avec la seconde expédition aux Indes du grand navigateur portugais.

Peut-être aussi trouverait-on des renseignements sur cette expédition dans : « Den rechten Weg aus zu fahren von Lisbona gen Callachut. » S. N. in-4o circa 1504 ; dans « Itinerarium Portugallensium in Indiam et inde in occidentem et demum ad Aquilonem ; ex vernaculo sermone in Latinum traducto, interprete Archangelo Marignano » Mediolani 1508 in-fol., ou bien encore dans « Gesta proxime per Portugallenses in India, Ethiopia et aliis, orinetalibus (sic) terris » Coloniæ 1505 in-4o ; et dans « Almada (Francisco de) Gesta proxime per Portugalenses in India… ab Emanuele Portugali rege ad Episcopum Cardinalem Portuens. missa » Norinbergae 1507 in-4o. Mais nous n’avons pu malheureusement découvrir aucun de ces livres dans les bibliothèques publiques de Paris.

Quoi qu’il en soit, la présente relation, très naïve dans sa simplicité, est évidemment l’œuvre de quelque aventurier néerlandais qui fut le compagnon de Vasco da Gama, soit comme officier, soit même comme simple matelot.

La narration commence par le récit de cette expédition malheureuse que Vasco da Gama dirigea sur la côte de Barbarie contre le célèbre Barberousse, à la tête de quinze vaisseaux, dit l’histoire, avec soixante-dix suivant notre auteur.

Il était à prévoir que dans une relation si ancienne de voyages dans un pays inconnu jusque-là, l’auteur n’écrirait pas correctement les noms des lieux ou des peuples qu’il visitait ; mais il est facile de réconcilier les noms de lieux et de populations qu’il donne, avec leurs appellations modernes.

Ainsi il nomme Kenan la première terre que l’expédition touche après son départ de Lisbonne le 10 février 1502. Il s’agit évidemment du cap Non sur la côte occidentale d’Afrique en face des Canaries. Il omet le nom du cap Vert qui forme la station suivante, mais il en indique exactement la distance du Portugal. Le 29 mars, l’expédition perd de vue la grande Ourse et le 2 avril elle se trouve sous la ligne équinoxiale. Huit jours après elle est dans l’hémisphère austral et le 22 avril à midi vrai, les matelots voient avec étonnement le soleil au Nord. Ils cherchent en vain dans le ciel quelque point de repère connu pour se guider ; il ne leur reste que la boussole et leurs cartes, sans doute celles que Vasco da Gama et Bartholomeu Dias avaient dressées lors de leurs précédents voyages.

C’est dans ces parages qu’ils virent pour la première fois les poissons volants s’élancer de la surface de la mer et prolonger leur vol à une portée d’arbalète, pour échapper à leurs ennemis aquatiques, trop heureux s’ils ne sortaient pas de l’eau pour tomber sous les serres des oiseaux de proie qui leur font la chasse dans l’air.

Les hardis navigateurs furent poussés par le vent dans une mer où, dit notre auteur, il n’y avait ni chair ni poisson ni rien de vivant. C’est-à-dire qu’ils avaient sans le savoir atteint cette partie de l’océan austral où le froid empêche la vie de se manifester avec la même abondance que dans le voisinage de l’Équateur ou des Tropiques.

Le 22 mai ils furent assaillis par une violente tempête où la pluie, la grêle et la neige se mêlaient au bruit du tonnerre et à la lueur des éclairs ; car l’hiver austral avait commencé pour ces régions qu’aucun navire européen n’avait encore visitées. Ils avaient été repoussés par un vent contraire à plus de mille milles hors de leur route et furent douze jours sans voir la terre. Enfin la tempête calmée ils purent se rapprocher du cap de Bonne-Espérance et firent voile au nord-est. Le 10 juin la grande Ourse et des cieux connus apparurent de nouveau à leurs yeux, ce qui leur causa naturellement une grande joie.

Trois jours après ils abordèrent à Scafal (Sofala) et cherchèrent à y faire du commerce. Mais le roi de Sofala était alors en guerre avec les Cafres ses voisins que notre auteur appelle les Paepiens ; il refuse donc d’entrer en relations commerciales avec les quatre navires que Vasco da Gama avait amenés. Les Cafres de l’intérieur dit l’auteur sont séparés du pays de Sofala par une muraille qui n’est autre sans doute que la chaîne de montagnes parallèle à la côte ; et comme la rivière qui a son embouchure à Sofala est la seule voie par laquelle les Cafres de l’intérieur puissent avoir accès à la mer, les habitants de Sofala craignaient que les Cafres ne prissent cette voie pour se mettre en communication avec les navires portugais. Là, l’expédition trouva des hommes qui avaient été faits prisonniers et réduits en esclavage par les Cafres, dont le pays, disaient-ils, abondait en argent, en or, en pierres précieuses et en toutes sortes de produits.

L’expédition se rendit de là à Miskebijc (Mozambique) qui est à deux cents milles de Sofala et y trouva une population à qui l’usage de la monnaie était inconnu, mais qui pratiquait l’échange de l’or et de l’argent contre d’autres marchandises.

Le 18 juillet l’expédition arrive à Hylo, nom rectifié plus loin en celui de Kilo, pour Quiloa. Là Vasco da Gama force le roi à payer un tribut annuel de quinze cents ducats à celui de Portugal et à porter une bannière comme signe de la suzeraineté de ce dernier sur le pays. Les Portugais virent là pour la première fois des moutons à grosses queues, des corbeaux noirs et blancs et des oignons larges de deux palmes qui n’étaient probablement que les bulbes de la Scilla maritima.

Les navires se dirigèrent de là sur Mélinde, dont l’auteur fait une île ; mais ils manquèrent cette escale et s’arrêtèrent à ce qu’ils appellent le cap Sainte-Marie, c’est-à-dire le Ras-Mory qui forme la pointe orientale de l’île de Socotora. Cette île était alors habitée en grande partie par des chrétiens du rite grec. L’abbé Prévost « Histoire des voyages », vol. I, p. 80, La Haye 1747, in-4o, parlant du voyage de Vasco da Gama, vers Mélinde, dit : « Mais un vent impétueux le poussa huit lieues au delà de cette ville dans une baye, où il se trouva plusieurs vaisseaux mores et quelques-uns de Calecut dont il se saisit. »

Là l’expédition quitta ce que notre auteur appelle le pays des Paepiens, c’est-à-dire la Cafrerie qui, à cette époque, était supposée s’étendre du cap de Bonne-Espérance au sud, jusqu’aux frontières de l’Abyssinie au nord ; et les vaisseaux firent voile pour la Marabie c’est-à-dire pour l’Iram-Arabie.

Ici notre voyageur ne manque pas de parler des moussons pendant lesquelles le vent souffle six mois du sud-est et les six autres mois du nord-est. Ils avaient déjà revu la grande Ourse dès le 10 juin ; mais ils ne revirent l’étoile polaire que le 5 août, lorsqu’ils étaient encore à plus de cinq cents milles de l’Inde.

Le 21 août l’expédition eut enfin connaissance de la terre de l’Inde et elle arriva devant la grande ville de Combaen, le Cambaeth de Marco Polo, le Cambay moderne, sur la rivière de Cobar (le Saubermattee). Notre auteur a de singulières notions sur la géographie quand il dit que Cambay est située près du pays de Caldée en Babylonie. Il ne manque pas en bon chrétien de donner un coup de griffe en passant à Mahomet qu’il appelle le diable des payens.

Les Portugais arrivés à Oan (Goa), dont le roi, dit la relation, avait huit mille chevaux et sept cents éléphants de guerre, attaquent les Indiens, leur prennent quatre cents navires qu’ils brûlent après en avoir massacré les équipages.

L’île d’Avidibe où ils font de l’eau et débarquent trois cents de leurs malades est celle de l’Anjedive qui fut depuis la station où les navires portugais ne manquaient jamais de toucher, avant d’aborder le continent de la péninsule indienne. Le lézard de cinq pieds de longueur qu’ils tuèrent à Avidibe était sans doute un de ces crocodiles qui pullulent dans l’Inde.

Le Montebyl de notre auteur dans le royaume de Cannaer (Cananor) est le Mont-Ely de Marco Polo. Ils attendirent là les navires de la Mecque qui allaient porter les épices en Égypte d’où on les expédiait à Venise. On sait que la décadence commerciale de ce grand entrepôt du commerce de l’Orient date de la découverte par Vasco da Gama de la nouvelle route des Indes. Les Portugais, dit notre aventurier, formèrent le projet de détruire tous les navires maures afin que le roi de Portugal devînt le seul importateur des épices en Europe ; mais ils ne purent mettre ce projet à exécution.

Ils s’emparèrent pourtant d’un grand navire de la Mecque (le Merii, disent plus tard les historiens) qui avait à bord trois cents passagers parmi lesquels se trouvaient beaucoup de femmes et d’enfants. C’était sans doute un de ces navires qui conduisent tous les ans un si grand nombre de pèlerins au tombeau du prophète. Ils le pillèrent et le firent sauter avec tous les passagers qu’il portait.

Les historiens portugais, pour atténuer la cruauté de ce procédé, conforme aux mœurs barbares de l’époque, ont dit depuis que les enfants furent sauvés et transportés sur la caravelle du Capitan-Môr ; mais notre auteur ne fait aucune mention de cette circonstance atténuante.

Voici comment Lopez de Castanheda, « Historia de descobrimento da India. Libr. I, ch. XLIV », raconte la prise et l’incendie du vaisseau :

« Sur leur route ayant rencontré un navire maure de la Mecque qui revenait de Calicut, ils s’en emparèrent. Le général monta à bord et fit comparaître devant lui les patrons et tous les passagers. Il leur donna ordre de lui remettre tout ce qu’ils portaient, sinon qu’il les ferait tous jeter à la mer. Ils déclarèrent qu’ils n’avaient rien parce qu’on leur avait tout volé à Calicut. Vasco da Gama reçut cette réponse avec dédain et fit immédiatement jeter un des leurs à la mer, après lui avoir fait lier les pieds et les mains. Les Maures furent épouvantés et ils s’empressèrent de déposer tout ce qu’ils portaient et quantité de marchandises précieuses qui furent remises à Diego Fernandez Correa, allant comme facteur à Cochin. Celui-ci fit immédiatement passer la marchandise sur un autre navire. On transporta les enfants maures sur la Capitane où le général promit d’en faire des moines et les fit entrer en effet plus tard au couvent de Notre-Dame de Belem. Quant aux autres choses de peu de valeur elles furent abandonnées aux gens de l’équipage qui s’en emparèrent. Lorsque le navire fut vide de marchandises, Estevam da Gama, qui était lieutenant du général, ordonna qu’on y mît le feu. Tous les Maures avaient été enfermés sous le pont, afin de venger ceux des nôtres qui étaient morts du temps de Pedro Alvaro[1]. Estevam da Gama et deux bombardiers qui avaient mis le feu au navire se retirèrent dans un bateau. Aussitôt que les Maures virent que le navire brûlait, ils brisèrent leurs liens et éteignirent le feu avec beaucoup d’eau qui était entrée par les trous que notre artillerie avait causés au moment du combat. Sur quoi le général qui était à bord du vaisseau d’Estevam da Gama, fit accoster le navire des Maures, ceux-ci coururent aux bordages le sabre à la main pour se défendre contre les nôtres, comme des hommes décidés à mourir. Beaucoup d’entre eux portaient à la main des tisons enflammés qu’ils jetaient sur notre vaisseau. Nos hommes tiraient sur eux et ils en tuèrent beaucoup. Cependant la nuit étant venue ils cessèrent de combattre et les deux navires furent détachés. Car notre général ne voulait pas que les Maures pussent nous aborder et tuer quelques-uns de nos hommes. Il donna ordre cependant de faire entourer par notre flotte le navire maure afin qu’il ne pût gagner la terre qui était proche. Pendant toute la nuit les Maures firent de grands cris, invoquant Mahomet et le priant de venir à leur secours. Au point du jour le général donna ordre à Estevam da Gama d’aborder le navire avec un certain nombre de matelots et de bombardiers et d’y mettre le feu. C’est ce qu’il fit après avoir forcé les Maures à se retirer sur la poupe en combattant. Il resta sur le navire avec quelques matelots et bombardiers jusqu’à ce qu’il fût à moitié brûlé. Les Maures voyant le feu se jetèrent à l’eau, quelques-uns le cimeterre à la main pour tuer ceux des nôtres qui étaient descendus dans les bateaux et contre lesquels ils brandissaient leurs cimeterres comme des bêtes féroces. Ceux que nos hommes frappaient s’accrochaient aux bateaux jusqu’à ce qu’ils fussent tués. Tous ceux qui sautèrent dans l’eau périrent donc et ceux qui restèrent dans le navire furent noyés ; car il coula à fond. Ils étaient plus de trois cents et combattirent avant de mourir comme s’ils eussent été en bien plus grand nombre. Ils blessèrent plusieurs de nos hommes ; mais ils n’en tuèrent aucun. »

[1] Lors du massacre des facteurs que Vasco avait laissés à Calicut à l’époque de son premier voyage.

Les animaux avec des cornes droites et contournées en spirale que les Portugais prirent pour des cerfs, étaient probablement des antilopes.

Le 20 octobre nos voyageurs abordèrent à Cannaer (Cananor) où le roi les reçut en grande pompe suivi de deux éléphants et accompagné de beaucoup d’autres animaux inconnus aux Européens.

Enfin le 27 octobre ils arrivèrent à Calcoen (en Sanscrit Khalikhodon, en français Calicut). Là ils se battirent pendant trois jours contre les troupes du Samudria-radjah (le roi du rivage) que les écrivains européens ont nommé longtemps le Zamorin. A cette époque déjà des marchands flamands, venus de Bruges par l’Égypte ou la Perse, étaient établis à Calicut. C’est ce que confirme la lettre du roi Emmanuel, « Copia de una lettera » (Roma 1505) où il est dit : « Vi sono mercada(n)ti d’tutte q’lle parti e d’mercantia como Bruges i(n) Flandria, Venetia i(n) Italia. »

Le procédé barbare dont se sert Vasco da Gama, en laissant dériver vers la côte un navire chargé des têtes, des mains et des pieds coupés de ses prisonniers de guerre a été raconté et flétri comme il le mérite par d’autres historiens de son expédition. Cet acte odieux ne pouvait évidemment produire aucun résultat pour la reddition de la ville et les Portugais s’en vengèrent en capturant un navire indien qu’ils incendièrent et dans lequel périrent un grand nombre de malheureux sujets du roi de Calicut.

Le royaume de Granor que notre auteur place entre Calcoen (Calicut) et Cusschaïn (Cochin) n’est autre que celui de Travancore où, dit-il, un grand nombre de chrétiens et de juifs vivent sous le même prince.

Comme tous les anciens voyageurs dans l’Inde, Vasco da Gama et ses compagnons prirent pour des chrétiens les sectateurs de Brama et de Bouddha, parce qu’ils s’inclinaient devant les images de la vierge Marie qu’ils voyaient sur les navires portugais, prenant de leur côté cette image pour celle de Maha Madjah qui tient sur ses genoux son fils Shakya. Les Portugais trompés par la ressemblance du nom de la déesse indienne avec celui de Marie et surtout par les auréoles qui entourent les têtes de la mère et de son fils, croyaient entrer dans une église chrétienne quand ils visitaient un temple indien. Le christianisme qui a tant emprunté aux légendes indiennes leur doit-il aussi celle de la vierge Marie ? Dans tous les cas il est probable que l’auréole des saints de nos premiers peintres est imitée sinon copiée des images de Maha Madja et de son fils, bien antérieures à l’ère chrétienne.

Il y avait sans doute à l’époque du voyage de Vasco da Gama un certain nombre de chrétiens nestoriens dans la péninsule de l’Indoustan ; mais il était loin d’être aussi grand que les Portugais le supposaient. Le chiffre que donne notre auteur de vingt-cinq mille chrétiens et de trois cents églises dans la seule ville de Coloen (Culan), aussi bien que la répugnance de ces prétendus chrétiens à trafiquer, manger ou boire avec ceux d’une autre religion, montrent clairement qu’il s’agit ici des sectateurs de Brama obéissant à leurs préjugés de caste.

Lapis dont notre auteur fait mention est évidemment Méliapour près de Madras, où suivant une tradition gardée par les hagiographes, fut mis à mort l’apôtre saint Thomas. Suivant une autre tradition ce fait eut lieu dans la ville de Calamine d’où le corps de l’apôtre fut transporté à Edessa que notre auteur nomme Edissen et qu’il dit être à quatre journées de Méliapour. Les Portugais, ayant découvert un squelette dans les ruines de cette ville, prétendirent que c’était celui de saint Thomas et le firent transporter à Goa où ces reliques furent longtemps vénérées et ne manquèrent pas bien entendu d’opérer de nombreux miracles.

L’auteur donne au bétel le nom de tombour, les voyageurs qui l’ont suivi l’appellent atambor. L’origine de ces deux noms erronés provient de ce qu’ils ont pris pour le nom du bétel celui du domestique chargé de le porter et qui dans l’Inde se nomme le tombuldar.

La civette est si clairement décrite dans la relation qu’il était impossible de ne pas traduire par musc le mot iubot quoique ce mot ne se trouve d’ailleurs dans aucun dictionnaire flamand ou hollandais ancien ou moderne.

En parlant du second combat naval de Vasco da Gama à son retour de Cochin, avec le rajah de Calicut, le 12 février 1503, notre auteur oublie de mentionner l’arrivée opportune de Vicente Sodre, qui, avec le reste de la flotte, décida l’action et empêcha la défaite de Vasco da Gama. Ce dernier retourna en Portugal tandis que Vicente Sodre resta dans les mers de l’Inde pour bloquer l’entrée de la mer Rouge.

On ne sait pas si les deux îles que l’expédition rencontra le 26 mars étaient les fameuses îles mâle et femelle qu’aucun navigateur n’a rencontrées depuis le voyage du célèbre Marco Polo. Vasco da Gama refusa de s’y arrêter malgré les invitations pressantes des habitants, parce que son navire était chargé de marchandises précieuses qu’il avait hâte de ramener en sûreté à Lisbonne.

L’auteur ne donne pas la date exacte du retour en Portugal.

L’honneur d’avoir le premier franchi la ligne équinoxiale dans l’Atlantique et découvert le cap de Bonne-Espérance n’appartient pas à Vasco da Gama. Plus de dix ans avant son premier voyage Bartholomeu Dias, à la recherche de ce fameux prêtre Jean, que les traditions du moyen âge plaçaient tantôt aux Indes et tantôt en Éthiopie, était parti en août 1486 avec deux navires de cinquante tonneaux. Après avoir longé la côte occidentale d’Afrique déjà connue aux navigateurs portugais, il avait dépassé l’équateur et s’était bravement lancé en pleine mer dans la direction du sud. Puis courant au nord-est il avait sans le savoir doublé le cap de Bonne-Espérance et retrouvé la terre d’Afrique à la hauteur de la baie de Lagoa. Son premier soin en abordant fut de demander des nouvelles du prêtre Jean, dont, bien entendu, les Cafres ne pouvaient lui donner de nouvelles. La direction des terres vers le nord indiquait à Dias qu’il avait réellement contourné la pointe méridionale de l’Afrique et qu’il se trouvait par conséquent sur la route des Indes. Mais les équipages de ses navires refusèrent d’aller plus loin et il fut obligé d’opérer son retour sans avoir dépassé le Groote vis river auquel il avait donné le nom Rio do Infante en mémoire du commandant du navire qui voyageait de conserve avec lui. En revenant au sud après une tourmente affreuse il reconnut à sa grande joie le cap de Bonne-Espérance, dont il détermina la position et qu’il nomma cabo tormentoso, cap des tempêtes. Mais le roi Jean II fit changer ce nom en celui de Bonne-Espérance, car il était persuadé que cette pointe une fois doublée il était facile d’arriver par mer jusqu’aux Indes. Les anciens et parmi eux Hérodote, Arrien, Strabon, pour ne citer que les plus connus, étaient persuadés que la circumnavigation de l’Afrique était possible. On a retrouvé un Portulano de 1351[2] où la carte de l’Afrique est à peu près exactement tracée. Tandis que Bartholomeu Dias faisait cette tentative infructueuse, un autre voyageur, Pedro de Covilham, parti de Naples le 7 mai 1487 avait visité successivement Alexandrie, Le Caire, Aden, Cananor, Calicut, Goa et sur la côte orientale d’Afrique Sofala, puis Madagascar. De retour en Égypte il écrivait du Caire en Portugal : « Que les navires qui naviguaient le long de la côte de Guinée étaient certains d’atteindre la pointe du continent en persistant à se diriger au sud et que quand ils arriveraient dans l’océan oriental le meilleur plan à suivre serait de s’informer de Sofala et de l’île de la Lune (Madagascar). »

[2] Major (R. H.) The Life of Prince Henri of Portugal, London Asher 1868, in-8o.

Bartholomeu Dias était rentré à Lisbonne en décembre 1487 après une navigation qui avait duré seize mois et dix-sept jours. Le successeur de Jean II ne fut pas juste envers ce hardi navigateur qui avait le premier contourné le continent de l’Afrique et découvert le cap des Tempêtes. Au lieu de lui donner le commandement de la nouvelle expédition qui fut résolue dix ans après son premier voyage, on ne lui confia que celui d’un petit navire sous les ordres de Vasco da Gama et celui-ci, jaloux du premier succès de son subordonné, força Bartholomeu Dias à s’arrêter à San Jorge de la Mina. Son frère Diogo Dias fut plus heureux que lui car il accompagna Vasco da Gama jusqu’aux Indes.

En 1500 Bartholomeu Dias prit part à la découverte du Brésil sous les ordres d’Alvarez Cabral. Il commandait un des onze navires qui formaient l’expédition et qui se dirigèrent de là sur les Indes. Dans ce voyage de retour l’expédition fut assaillie par une violente tempête pendant laquelle quatre des navires sombrèrent et parmi eux celui que commandait Dias. Les sept autres navires après avoir visité la côte orientale d’Afrique et l’Arabie touchèrent à Calicut le 13 septembre 1500.

Pour nous résumer, cette relation néerlandaise, traduite aussi littéralement que possible, fixe des dates et des faits déjà connus ; mais en même temps elle fournit beaucoup de détails nouveaux sur le second voyage de Vasco da Gama aux Indes par le cap de Bonne-Espérance.

L’opuscule original, jusqu’à présent unique, reproduit en fac-simile dans notre édition anglaise de 1874, est porté sur le catalogue du British Museum comme imprimé à Anvers circa 1504. On y trouve de nombreuses contractions et abréviations que nous n’avons malheureusement pas pu imiter faute de caractères spéciaux. La ponctuation en est très défectueuse et souvent même complétement omise. La virgule, le point et virgule et les deux points y font complétement défaut, signe infaillible des ouvrages des typographes primitifs.

Le journal le Rappel du 20 décembre 1880 contenait le fait divers suivant :

« Les Journaux allemands annoncent la découverte par le directeur du gymnase de Zerbst (duché d’Anhalt) d’un important manuscrit contenant une minutieuse description du second voyage de Vasco de Gama dans l’Inde en 1502-1503, voyage sur lequel on n’avait presque aucun détail.

« Cette relation est due à un compagnon de Vasco de Gama, et elle est écrite, non en espagnol, mais en hollandais. »

Nous espérons que ce manuscrit sera publié et nous verrons s’il nous offre quelques renseignements nouveaux, ou si les Allemands si forts sur la géographie n’ont fait là simplement, que d’enfoncer une porte ouverte.

La carte d’Afrique que nous donnons en frontispice n’appartient pas à l’ouvrage ; mais elle est extraite de « Ptolemæi C. Tabula nova totius orbis. » Ludgduni 1541 in-fol. Elle montre les sources du Nil sortant de deux lacs ainsi qu’on l’a vérifié depuis.

Une autre carte d’Afrique du même auteur : « Cl. Ptolemæi Alexandrini liber geographiæ cum tabulis » imprimé en rouge et noir Venetiis Jac. Pentium de leucho, 1511, in-fol. donne également les sources du Nil, entre 5 et 10° de latitude sud et les « paludes nili » ; mais la carte ne s’étend pas au delà de 15° sud et se termine par les mots terra incognita.

Il est curieux que pendant des siècles les géographes qui ont succédé à Ptolémée aient complétement négligé cette indication qui se rapproche cependant d’une manière si frappante du résultat des découvertes modernes.


MARQUE TYPOGRAPHIQUE DE L’ÉDITION DE MDIV

CALCOEN

Dit is die reyse die een man self bescreuen heuer die seylde mit LXX scepen wt die riuier van Lisboen in Poertegael na Calcoen in Indien en geschiede int iaer xv. c. ende een. Ende seylden langes die kust van barbarien ende quamen voer een stat ghenoemt Meskebijl[3] en worden daer of gheslaghen mit grote scade ende scande ende wi verloren dair veel kersten daer god die siel of moet hebben. Dese slach geschiede op sint Jacobs dach anno preditto.

[3] Mers el Kébir.

Dat slot leyt een mijl van die stadt ghenoemt Oeraen[4] ende dair comen veel quade kersten coepluden van Veneetgen ende Geneuen ende vercopen den turcken harnas bossen ende ander tuych om teghen die kersten te vechten ende si hebben daer haer stapel.

[4] Oran.

Jc was ses maenden aen die kust van barbarien, ende leet veel armoede in die strate[5].

[5] Van Gibraltar ?

Jnt iaer xv. C. en twee den. x. dach in Februario so voeren wi wt die riuier van Lisboen ende setten ons koers na Indien.

Dar eerste lant dat wij vonden was ghenoemt Kenan[6] ende sijn veel eylanden ende behoren meest den coninck van spaengen ende sijn wel. ij. C. milen van poertegal.

[6] De cape Noun op de Kust van Africa teegen over de Kanarische eylanden.

Wi sijn van dan gheuaren ende hebben ons koers gheset suyden ten oesten. Ende sijn ghecomen tot die cape[7] daer wi bi nae ghebleuen waren ende is van Poertegael wel. V. C. milen. Daer loept dat volc al naect mannen ende vrouwen ende sijn swart. Ende en hebben gheen scaemte want si endragen geen cleder ende die vrouwen houden haren mannen ghelijck sceminkelen. Si en weten goet noch quaet.

[7] Cape Verde.

Den. v. dach in Maerte hebben wij ons koerts gheset suytwest hondert milen in die zee.

Den xxix. dach in Maerte so voeren wi in die zee wel xij. C. milen van Poertegael ende dair verloren wi die wagen ende die sonne was bouen onse hooft so dat wi gheen scim of scae van ghenen dingen mochten sien noch gheen hemel teiken der ij. dach in April.

In dese zee sagen wi visschen vliegen met vloghelen also verre alsmen met een armborst mach schieten ende sijn groot ghelijc een makereel of een harinc of een sardijn. Ende wel drie hondert milen durende saghen wi swarte meeuwen mit witte borsten ende hadden staerten ghelijc swanen ende sijn groter dan wooduuen : dese vangen dese vlieghende visschen al vlieghende.

Den xi. dach in April waren wi soe verre dat wi sagen opten rechten middach die sonne int noorden.

Op die selue tijt en hadden wi geen hemel teiken daer wi ons mede behelpen mochten noch sonne noch mane dan ons compasse ende ons kaerten.

Daer nae quamen wi in een ander meer daer en was niet leuens in noch visch noch vleysche of yet anders.

Den xx. dach in April quam ons die wint contrari vijf weken lanc ende brochte ons wten rechten wech dusent milen ende daer waren wij wel xij. daghen dat wi lant noch sant ensaghen.

Den xxij. dach in Meye wast daer winter ende die dagen en waren daer mer acht vren lanc ende twas ser grote tempeest van reghen van hagel van snee van donre van blixem. Den hemel stont open teghen die cape de Boen-Speranci ende was onweeder, Als wi ghecomen waren om die cape hebben wij ons koers gheset noertoest.

Den x. dach in Junio saghen wi wederom die waghen ende die noortsterre ende hadden weder kennisse vanden hemel waer om dat wi seer verblijt waren.

Den xiiij. dach in Junio quamen wi aen een stat ghenoemt Scafal[8] ende daer begheerden wij te copen ende vercopen mer si en wildent ons nietghedoghen want si grote sorghe hebben voer Paepians[9] water daer comt een riuier wt Paepians[10] lant want Paepians[11] lant leit binnen dat lant besloten van die mueren ende en heeft geen wtganc van die zee dan dye riuier van Scafal daerom waren si veruaert anxt hebbende dat wi dien wech vinden mochten want die coninc van Scafal heft altijt oerloghe teghen Paepian.

[8] Sofala.

[9] Zara of Cuama.

[10] Sabia, tusschen de Cape en 20° S.

[11] De Kafraria.

Want wi spraken mit volck wt Paepians lant die daer gheuanghen waren ende waren haer luyden slauoenen want Paepians lant oueruloeyt insiluer gout ende ghesteenten ende rijcdomme ende dese stat leyt. cccc. milen van die caep de boen-speranci.

Van daen sijn wi gkeuaren (sic) aen een eylant ghenoemt Miskebijc[12] ende leit. cc. milen van Scafal ende tlant is genoemt Maerabite ende daer en kentmen geen gelt mer si mangelen gout siluer om ander goet.

[12] Mozambik.

Den xviij. dach in Julio sijn wi van daer gheuaren ende sijn ghecomen aen een conincrijc ghenoemt Hylo[13] ende daer is een rijc coninc. ende dien hebben wi bedwongen dat hi den coninc van Poertegael moet geuen iaerlicx xv. c. matcallen. elc mateal is vlaems ghelt. ix. S iiij. d. noch heeft hi van den seluen coninc een bannier in een teyken dat hi hem kent voer sijn heer. Mer doe die coninc wt sijn hof quam so worpen si hem mit water ende rijs ouer sijn hoeft ende waren seer blide ende sloeghen haer handen ende songen ende sprongen recht op. Die coninc ende al tvolc loept naect mannen ende vrouwen mer hebben een cleet voer haer scamelheyt ende gaen hem alle daghe wasschen in die zee. Daer sijn ossen sonder hoernen mer hebben op haer rugghe ghelijc een sale. Daer sijn oec scapen met grote staerten dair gheen been in en is ende die start is beter dan half tscaep. Daer sijn oec bontecrayen ende sijn swart ende wit. Daer wassen oec vighen ende sijn wel van twee hant breet.

[13] Quiloa.

Den. xx. dach in Julio voeren wij van daen ende quamen aen een eylant ghenoemt Melijnde[14] ende is hondert milen van kilo (sic). Mer wi hebben ghemist ende sijn ghecomen tot die cape sinte-maria.[15] ende hebben onse dingen dair gestelt ende wi moesten dair ouer een golue wel. vij. c. milen wijt. Daer lieten wi Paepians[16] lant leggen ende tlant van Marabia[17] en was den xxx. dach in iulio. Ende wi waren van daer gheuaren c. milen doe setten wi ons koers noertoest.

[14] Melijnde is niet een eylandt.

[15] Ras Mory, Socotora.

[16] In oude landt karten de Kafraria is bepaalt door Abyssinia.

[17] Iram-Arabie ?

Men sal weten dat vanden april tot september altijt daer winter is ende die wint wayt dan suytoest altijt. En van september totten april ist somer ende dan waeyt die wint altijt noertoest van elc een half iaer. Ende hoe die wint is soe is die stroom ende inden somer ist seer quaetwesen want ic hebt besocht een iaer lanc.

Opten vijften dach in Augusto sagen wy die noortsterre daer wij blyde om waren want wi en waren doe mer vijf hondert milen van Indien.

Wij seylden in xv. daghen ouer dat grote golf van. vij c. ende lxx. milen opten. xxi. dach is (sic) Augusto dat wi sagen tlant van Indien ende sagen een grote stadt ghenoemt Combaen[18] ende is een grote coopstat ende leit aen tlant van Caldeen daer babilonien in leyt op die riuier van Cobar[19].

[18] Cambay.

[19] De Saubermattee.

Aen dit lant verbi hoech Arabien leit die stadt Mecha daer Machomet leit die heydens duuel ende die stadt leyt. vi. c. milen van orienten daer die specerien paerlen ghesteenten in onsen landen comen ouer een golf.

Wi voeren verbi een stat ghenoemt Oan[20] ende daer is een coninc. Dese coninc had wel viij. dusent paerden ende vij. c. olifanten van wapen alleen int lant. Ende elcke stadt heelt sijn coninc ende wij namen daer. iiij. c. scepen van die stat Oan ende sloegen dat volc doot ende branden die scepen.

[20] Goa.

Van daen sijn wi gheuaren ende sijn gecomen in een eylant ghenoemt Auidibe[21] daer namen wij water ende hout ende wi brochten onse siecken aent lant wel. iij. C. ende wi doden dair een haechdisse wel van v. voete lanc.

[21] Anjeedeeva.

Den xi. dach in September sijn wi van daen ghecomen in een conincrijc ghenoemt Cannaer[22] ende leyt aen een ghebercht ghenoemt Montebyl[23], ende daer wachten wi die scepen van Mecha en dat sijn dye scepen die die specerien ouer brengen in onsen landen ende die wouden wi verderuen ende soe soude die coninc van Poertegael alleen die specerie daer gehaelt hebben. Mer wi en coudent niet volbrengen. Mer die selue tijt namen wi een scip van Mecha daer waren in drie hondert mannen ende tachtich ende veel vrouwen ende kinderen ende wi namen daer wt wel. xij. dusent ducaten ende noch wel. x. dusent an comanscap en wi verbranden dat scip ende aldat volc te puluer den eersten dach in october.

[22] Cananor.

[23] De mont Ely van Marco Polo.

Daer sijn oec harten die hebben oec grote hoornen ende gaen recht op van haer hooft enden sijn ghedrayeit ghelijc een visel[24].

[24] Eelandten ?

Den. xx. dach in October ghinghen wi opt lant van Cannaer[25] ende maecten daer coep van alle specerien ende die coninc outfinc ons mit groter staet ende brocht voer hem twee olifanten ende meer ander vreemde beesten die ic niet nomenen can.

[25] Cananor.

Den. xxvij. dach in october voeren wi van daen ende sijn gecomen aen een conincrijc genoemt Caloen[26] ende leit xl. milen van Cannaer daer sijn wi voer die stat gaen leggen met onser macht ende sloegen met hem. iij dagen ende vingen veel volcs ende hingen die aen dis repen vanden scepe ende namen die weder ende sloeghen hem hande ende voete ende thoeft of ende namen een van haer scepen ende worpen die handen ende vooten ende hoofden daer in ende maecten eenen brief ende setten dye op een stoc ende lieten dat scip ant lant driuen. Wi namen daer een scip ende staken tvier daer in ende verbranden veel van des conincs ondersaten.

[26] Calicut.

Den. ij. dach in Nouember voeren wi van Caloen lx. milen aen een stat ghenoemt Cusschijn[27] ende tusschen dese twee steden leyt een kersten stat ghenoemt Granor[28] ende daer sijn veel goede kersten. Ende in die stat wonen veel ioden ende hebben een prince daer si onder staen so sijn oec alle die ioden van die lande onder den seluen prince. Ende die kersten en hebben mit niemant te doen ende sijn goede kersten ende en copen noch en vercopen niet op heylighe dagen noch en eten noch en drincken mit niemant dan mer kersten. Si quamen wel in onse scepen mit hoenderen mit scapen ende deden ons goet chier. Ende hebben nv priesters aen den paeus ghesonden te Romen om te weten dat rechte gheloue.

[27] Cochin.

[28] Travancore.

Den. xxviij. dach in Nouember ghingen wi aent lant van Cusschijn om mitten coninc te spreken. Ende die coninc quam bi ons met grote staet ende brochte met hem. vi. olifanten van wapen want hi heeft veel olifanten in sijn lant ende veel vreemde beesten dye ic niet en kenne. So hebben onse heren die wi bi ons hadden metten coninc ghesproken om die coep te maken van specerie ende ander dinghen.

Den iij. dach in Ianuario sijn wi van daen gheuaren toteen stadt die hiet Coloen[29] ende daer comen veel goede kersten ende hebben ons ghedaen. ij. scepen mit specerie ende der kersten isser wel xxv. dusent en gheuen tribuyt ghelijc die ioden mit ons ende hebben daer wel. ccc. kersten kercken ende sijn ghenoemt na den apostelen ende ander heilighen. Van coloen. l. milen leyt een eylant ende hiet Steloen[30] ende daer wast die beste caneel die men vint.

[29] Culam, Quilom.

[30] Ceylan.

Van Coloen. vi. dachuaert leyt een stadt ende hiet Lapis[31] ende daer bi leyt Sinte-Thomas in die zee. Daer men. xiiij. dagen omtrent sinen dach doer die zee droechs voets ingaet. Ende gheeft een yeghelick diet waerdich is theilighe sacrament, ende ontrectet den ghenen diet onwaerdich sijn. Ende dit is vier dachuaerden van die grote stat van Edissen[32] daer hi dat grote pallaes maecte. Mer dese stadt voerscreuen Lapis is meest al gedestrueert ende die kersten woenen daer mede op tribuyt, ende al tvolck loept naect coninc coninghinne dan dat um haer scamelheit bedecken.

[31] Méliapour.

[32] Edessa.

Van Coloen. viij. c. milen leyt een grote stadt ghenoemt Melatk[33] ende van daer comen die beste naghelen ende notenmuscaten ende ander costelijcke comanscap ende ghesteente.

[33] Malacca.

Dat volck van die landen hebben swarte tanden want si eten bladeren van boemen ende wit dinck of crijt waer met die bladen ende daer worden haer tande of swart ende is ghenoemt tomboer[34] ende hebbent altijt bij hem waer dat si gaen of reysen. Die peper wast ghelijck die wijngaert doet met ons.

[34] Betel.

In die landen sijn catten soe groot als met ons vossen ende van hem comt die iubot ende is seer costelijc want een cat is waert hondert ducaten ende dye iubot wast tusschen haer beenen onder haer start.

Die gengeuaer wast als riet doet ende die caneel als grienden. En alle iaer scilt men die caneel ende hoe hi dunre ende nieuwee is so si beter is Die rechte somer is in december ende in ianuario.

Den xij. dach in Februario so sloeghen wi et ten coninc van Calcoen met xxxv. scepen behaluen die roey scepen in elc roey scip mocht wesen lx or. lxx. man en wij en hadden bouen xxij. man nyet ende god gaf ons die graci ende wi sloegen ons daer doer. Ende namen daer twee grote scepen van hem ende sloeghen alt volc doot ende branden die scepen voer dye stat van Calcoen daer die coninc teghen woerdich was. Ende des anderen daechs ghinghen wi weder tseyl na Cannair ende maecten ons rede te varen nae Poertegael. Dit geschiede anno. xv. c. en. iij. opten. xi dach in Februario.

Den. xxij. dach in Maert nader sonnen onderganc was si noorden ende wi verloren die noortsterre opten. xiij. dach in Maerte.

Wi vonden opten xxvi. dach in Maert. ij. eylanden mer wi en wilden dair niet aen om dat wi mit costelicke goeden gheladdn waren. ende als tvolc van den landen dat sagen dat wi daer niet en quamen maecten si groot vier dat wi aen comen souden.

Opten x. dach in April so sagen wy ved(er) Paepians lant ende doe hebben wi. xlviij. dagen opt golf geweest.

Den. xiij. dach in April so sagen wi dat lant van Meskebijl[35] voer of ghescreuen ende daer laghen wi totten xvj dach in Junio ende wi sijn van daen tseyl gegaen ende dan sijn die dagen alder cortste.

[35] Mozambik.

Daer leyt een groot coningrijc ghenoemt Coloen voerscreuen daer wassen die paerlen in manier van woesteren in die zee ; mer die zee en is bouen iiij. of vijf vaem niet diep Ende daer zijn visschers diese mit houten pramen visschen settende die pramen op haer mont of nose ende vallen dan onder water want si moghen wel een quartier van een vre ond(er) water. ende als si wat gheuangen hebben comen si bouen ende so voert an.

Den. xiiij. dach in Junio begonst ons broot ende vitali te begheuen ende wi waren doe noch wel xvij c. ende lxxx. milen van Lisboen.

Den. xxx. dach in Junio so vonden wij een eylant ende daer sloegen wi wel. iij. c. mensche doot ende vinghender veel ende namen dair water ende voeren van daer den eersten dach in Augusto.

Den xiij. dach in Augusto sagen wi weder dye noortsterre ende doe hadden wi wel noch. vi. c. milen van Poertegael.

Int iaer. xv. c. en. ij. verloren die onghelouige c. ende lxxx. scepen mer en hadden si die scepen niet quijt gheweest so hadden wi daer qualijt aen gheweest want si waren onse vianden.

Ende alsoe quamen wy wederom behouden in Poertegael.

DEO GRACIAS.

CALICUT

Ceci est le voyage écrit par un homme qui mit à la voile avec soixante-dix vaisseaux de la rivière de Lisbonne en Portugal pour se rendre à Calicut dans les Indes dans le courant de l’année 1501. Et ils naviguèrent en longeant la côte de Barbarie et arrivèrent devant une ville appelée Meskebijl[36] où ils furent défaits honteusement en subissant de grandes pertes. Nous perdîmes là beaucoup de chrétiens dont les âmes sont sans doute allées à Dieu. Cette bataille eut lieu le jour de saint Jacques de l’année précitée.

[36] Mers et Kébir.

Le château est à un mille de la ville appelée Oeraen[37] et il y a beaucoup de marchands chrétiens pervers, de Venise et de Gênes, qui viennent y vendre aux Turcs des armures complètes, des arquebuses et des munitions pour combattre les chrétiens. C’est là qu’ils ont leur entrepôt.

[37] Oran.

Je restai six mois sur la côte de Barbarie et je souffris beaucoup de misère dans le détroit[38].

[38] de Gibraltar ?

Dans l’année 1502, le 10 Février, nous mîmes à la voile de la rivière de Lisbonne et prîmes la route des Indes.

La première terre que nous trouvâmes est appelée Kenan[39] et il y a là beaucoup d’îles dont la plupart appartiennent au roi d’Espagne et qui sont à environ 200 milles du Portugal.

[39] Le cap Noun, sur la côte d’Afrique vis-à-vis des Canaries.

Nous en partîmes, en dirigeant notre course au sud-est, et nous arrivâmes au Cap[40], près duquel nous restâmes ; il est à environ 500 milles du Portugal. Les habitants de ce pays vont complétement nus, hommes et femmes et ils sont noirs. Ils ignorent la pudeur, car ils ne portent pas d’habits, et les femmes s’accouplent avec les hommes comme des singes et ils n’ont pas de notion du bien et du mal.

[40] Le cap Vert.

Le 5 mars nous dirigeâmes notre course au sud-est, jusqu’à environ 100 milles en pleine mer.

Le 29 mars notre navigation nous avait portés à plus de 1,200 milles du Portugal et nous avions perdu de vue la grande ourse. Le soleil était sur notre tête, de sorte que rien n’avait plus d’ombre et nous n’avions plus de point de repère dans le ciel le 2 avril.

Dans cette mer j’ai vu des poissons qui volaient comme des oiseaux jusqu’à une portée d’arbalète ; ils sont gros comme des maquereaux, des harengs ou des sardines. Et pendant une navigation de plus de 300 milles, nous vîmes des mouettes noires dont la gorge était blanche. Leur queue est comme celle du cygne et elles sont plus grosses que des pigeons ramiers ; elles attrapaient les poissons volants à mesure qu’ils s’envolaient.

Le 11 avril nous étions si loin, qu’à midi précis nous voyions le soleil au nord.

En même temps nous n’avions dans le ciel aucun point qui pût servir à nous diriger, ni soleil, ni lune, mais seulement notre boussole et nos cartes.

Ensuite nous atteignîmes une autre mer, où il n’y avait rien de vivant, ni chair, ni poisson ni quoi que ce fût.

Le 20 avril le vent devint contraire pour nous et dura cinq semaines, nous poussant 1000 milles hors de notre route et nous fûmes bien douze jours sans apercevoir aucune terre.

Le 22 mai c’était l’hiver dans ces parages et le jour ne durait que huit heures ; et il y eut un grand orage avec de la pluie, de la grêle, de la neige, des éclairs et du tonnerre. Le ciel était découvert vers le cap de Bonne-Espérance et il y eut tempête. En approchant du cap nous dirigeâmes notre course au nord-est.

Le 10 juin nous ne pouvions voir ni la grande ourse ni l’étoile polaire et nous ne connaissions pas le ciel, ce qui nous mettait dans un grand embarras.

Le 14 juin nous arrivâmes devant une ville appelée Scafal[41] et nous demandâmes à faire du commerce ; mais on ne voulut pas nous le permettre ; parce que les habitants avaient de grandes craintes du côté de la rivière des Paepiens[42]. Il y a là une rivière qui coule du pays des Paepiens[43]. Ce pays des Paepiens[44] est situé dans l’intérieur des terres, enfermé par des murailles, et n’a pas d’autre issue vers la mer que la rivière de Scafal. Et les habitants du pays craignaient que les Paepiens ne vinssent à découvrir cette route ; car le roi de Scafal faisait alors la guerre aux Paepiens.

[41] Sofala.

[42] Zara ou Cuama.

[43] Sabia, entre le Cap et 20° S.

[44] La Cafrerie.

Nous parlâmes avec des habitants du pays des Paepiens qui y avaient été faits prisonniers et traités comme esclaves. Ce pays des Paepiens abonde en argent, en or, en pierres précieuses et en richesses, et ce royaume est à 400 milles du cap de Bonne-Espérance.

De là nous fîmes voile pour une île appelée Miskebijc[45] ; elle est à 200 milles de Scafal, et le pays se nomme Maerabite ; on n’y connaît pas l’usage de la monnaie ; mais on échange l’or et l’argent contre d’autres marchandises.

[45] Mozambique.

Nous en partîmes le 18 juillet et nous arrivâmes dans un royaume qui s’appelle Hylo[46]. Le roi de ce pays est très riche et nous le forçâmes de payer au roi de Portugal un tribut annuel de 1,500 matcals. Chaque matcal équivaut à 9 s. 4 d. de monnaie flamande. Il reçoit de plus une bannière, comme marque de sa souveraineté sur le pays. Mais quand le roi sortit de sa cour, ils jetèrent de l’eau et de petites branches sur sa tête, ils étaient très gais, battaient des mains et ils chantèrent et dansèrent. Le roi et tout son peuple, hommes et femmes vont nus, bien qu’ils ceignent leurs reins d’une petite pièce d’étoffe et ils vont tous les jours se baigner à la mer. Il y a des bœufs sans cornes, avec une espèce de selle sur le dos. Il y a aussi des moutons avec des queues si grosses qu’on n’en a jamais vu de semblables et dont la queue vaut mieux que la moitié du mouton. Il y a aussi des corbeaux qui sont noirs et blancs. On y cultive aussi des oignons qui ont presque deux palmes de largeur.

[46] Quiloa.

Nous en partîmes le 20 juillet et nous arrivâmes à une île appelée Melinde[47] qui est à 100 milles de Kilo. Mais nous ne la vîmes pas et nous allâmes au cap Sainte-Marie[48]. Là nous mîmes tout en ordre et nous avions encore à traverser un golfe qui a près de 700 milles de large. C’est là que nous quittâmes le pays des Paepiens[49] et nous arrivâmes devant le pays de Marabia[50], le 30 juillet. Et après avoir navigué 100 milles, notre course fut dirigée au nord-est.

[47] Melinde n’est pas une île.

[48] Ras Mory, Socotora.

[49] Dans les anciennes cartes, la Cafrerie est limitée par l’Abyssinie.

[50] Iram-Arabie ?

Il faut savoir que dans ces parages l’hiver dure d’avril à septembre et alors pendant tout ce temps le vent souffle du sud-est. De septembre à avril c’est l’été, et pendant tout le temps le vent souffle du nord-est, c’est-à-dire six mois de chaque côté. Et le courant suit le vent de sorte que l’été est une très mauvaise saison ; car j’en ai souffert tout une année.

Le 5 août nous vîmes l’étoile polaire et nous en fûmes très contents car nous étions encore à plus de 500 milles de l’Inde.

En quinze jours nous traversâmes le grand golfe de 770 milles et ce fut le 21 août que nous vîmes la terre de l’Inde et la grande ville de Combaen[51]. C’est une grande ville commerçante et elle est située près du pays de Caldée en Babylonie, sur la rivière Cobar[52].

[51] Cambay.

[52] Le Saubermattee.

Dans le pays de la haute Arabie est la ville de la Mecque, où est enterré Mahomet, le diable des payens. Et la ville est à 600 milles du pays d’orient d’où les épices, les perles et les pierres précieuses, sont apportées en Europe après avoir traversé un golfe.

Nous passâmes au delà d’une ville appelée Oan[53] où il y a un roi. Ce roi a au moins 8000 chevaux et 700 éléphants de guerre, rien que dans son pays. Et chaque ville a son roi et nous avons pris 400 navires à Oan, après avoir tué les gens qui les montaient et nous avons ensuite brûlé les vaisseaux.

[53] Goa.

Nous partîmes de là et nous arrivâmes dans une île appelée Avidibe[54]. Là après avoir pris de l’eau et du bois, nous fîmes débarquer au moins 300 de nos malades et nous tuâmes un lézard qui avait au moins cinq pieds de long.

[54] Anjeedeeva.

Le 11 septembre nous arrivâmes dans un royaume appelé Cannaer[55] et qui est situé près d’une chaîne de montagnes dont le nom est Montebyl[56] et là nous attendîmes les navires de la Mecque et ce sont les vaisseaux portant les épices qui viennent dans notre pays et nous voulions les détruire afin que le roi de Portugal pût seul obtenir des épices de ce pays-là. Mais il nous fut impossible d’accomplir ce dessein. Cependant nous prîmes un navire de la Mecque, qui avait à bord 300 passagers parmi lesquels beaucoup de femmes et d’enfants et après en avoir retiré plus de 12,000 ducats et au moins 10,000 ducats de marchandises, nous fîmes sauter le navire et les passagers qu’il contenait avec de la poudre à canon, le 1er octobre.

[55] Cananor.

[56] Le mont Ely de Marco Polo.

Il y a aussi dans ce pays des cerfs, qui ont de grandes cornes poussant droit sur leurs têtes et contournées comme un tire-bouchon[57].

[57] Des élans ?

Le 20 octobre nous allâmes dans le pays de Cannaer[58] pour acheter toute sorte d’épices et le roi vint en grande cérémonie, amenant avec lui deux éléphants et beaucoup d’autres animaux étrangers que je ne puis nommer.

[58] Cananor.

Le 27 octobre nous mîmes à la voile de ce pays et nous arrivâmes dans un royaume qui se nomme Calcoen[59]. Il est à 40 milles de Cannaer et nous déployâmes nos forces devant la ville et combattîmes les habitants pendant trois jours et nous fîmes un grand nombre de prisonniers qui furent pendus aux vergues des navires et après les avoir descendus nous leur coupâmes les mains, les pieds et les têtes ; et ayant pris un de leurs navires, les mains, les pieds et les têtes y furent jetés, et après avoir écrit une lettre qui fut mise sur un bâton, nous laissâmes le navire dériver vers la terre. Nous prîmes là un navire auquel nous mîmes le feu et beaucoup de sujets du roi y furent brûlés.

[59] Calicut.

Le 2 novembre nous naviguâmes 60 milles de Calcoen vers un royaume appelé Cusschaïn[60], et entre ces deux villes est un royaume chrétien nommé Granor[61] et il y a beaucoup de bons chrétiens ; et ce royaume contient beaucoup de juifs qui y ont un prince. Vous comprenez que tous les Juifs du pays sont sujets du même prince. Et les chrétiens ne communiquent avec personne, et ils sont bons chrétiens. Ils ne vendent ni n’achètent rien pendant les jours consacrés et ne mangent ni ne boivent avec personne qu’avec des chrétiens. Ils vinrent volontiers à nos navires avec de la volaille et des moutons et nous firent faire bonne chère. Ils venaient d’envoyer des prêtres à Rome pour connaître la vraie foi.

[60] Cochin.

[61] Travancore.

Le 28 novembre nous allâmes au pays de Cusschaïn pour parler au roi ; et le roi vint à nous en grande cérémonie, amenant avec lui six éléphants de guerre ; car il y a dans ce pays beaucoup d’éléphants et d’animaux étranges que je ne connais pas. Alors nos chefs qui étaient avec nous parlèrent au roi afin d’acheter des épices et d’autres choses.

Le 3 janvier nous partîmes de là pour une ville nommé Coloen[62] et là vinrent à nous beaucoup de bons chrétiens qui remplirent d’épices deux de nos vaisseaux. Il y a là près de 25,000 chrétiens et ils payent tribut comme les juifs. Il y a près de 300 églises chrétiennes et elles portent les noms des apôtres et d’autres saints. A 50 milles de Coloen est une île appelée Steloen[63] où l’on trouve la meilleure cannelle que l’on puisse rencontrer.

[62] Culam, Quilom.

[63] Ceylan.

A six journées de Coloen est une ville nommée Lapis[64] et près de Saint-Thomas dans la mer. C’est là que pendant quinze jours, à l’époque de sa fête, on peut passer la mer à pied sec, et on donne le sacrement à tous ceux qui sont en état de le recevoir ; et on le refuse à ceux qui en sont indignes. Et cet endroit est à quatre journées de distance de la grande ville d’Edissen[65] où il a construit le grand palais. Mais cette ville de Lapis est en grande partie ruinée et les chrétiens l’habitent à condition de payer un tribut, et tout le monde y compris le roi et la reine y marchent nus à l’exception de leurs reins qui sont couverts.

[64] Meliapour.

[65] Édesse.

A 800 milles de Coloen est une grande ville nommée Melatk[66] où l’on récolte les meilleurs clous de girofle, des muscades et où l’on trouve de riches marchandises et des pierres précieuses.

[66] Malacca.

Les gens de ce pays ont des dents noires parce qu’ils mâchent les feuilles des arbres et avec ces feuilles une substance blanche comme de la chaux ; et il en résulte que leurs dents deviennent noires ; c’est ce qu’on nomme tombor[67], et ils en portent toujours avec eux lorsqu’ils voyagent. Le poivre croît dans ce pays comme la vigne dans le nôtre.

[67] Bétel.

Il y a des chats aussi gros que nos renards et c’est d’eux que vient le musc, et on le vend très cher ; car un chat vaut cent ducats et le musc croît entre ses jambes, sous la queue.

Le gingembre croît comme un roseau et la cannelle comme l’osier ; et tous les ans on enlève l’écorce de la cannelle quelque mince qu’elle soit et la plus jeune est la meilleure. Le véritable été est en décembre et en janvier.

Le 12 février nous eûmes une bataille avec le roi de Calcoen, qui avait trente-cinq navires sans compter les bateaux à rames. Dans chacun de ces bateaux il y avait de 60 à 70 hommes, et nous n’en avions que 22 et avec cela, grâce à Dieu, nous les avons battus ; et nous prîmes deux grands navires et après avoir massacré tous les gens qu’ils portaient nous brûlâmes les navires devant la ville de Calcoen, en présence du roi ; et le lendemain nous mîmes à la voile pour Cannaer après avoir tout préparé pour retourner en Portugal. Cela eut lieu en 1503, le 12 février.

Le 22 mars, à son coucher, le soleil était au nord ; dès le 13 mars nous avions perdu de vue l’étoile polaire.

Le 26 mars nous arrivâmes en vue de deux îles où nous ne voulûmes pas descendre parce que nous étions chargés de marchandises précieuses ; et quand les habitants virent que nous ne voulions pas débarquer, ils allumèrent un grand feu pour nous attirer.

Le 10 avril nous revîmes le pays des Paepiens et nous avions été alors quarante-huit jours dans le golfe.

Le 13 avril nous revîmes le pays de Meskebijl[68] dont il est parlé plus haut et nous y restâmes jusqu’au 16 juin, puis nous remîmes à la voile. C’est l’époque quand les jours sont les plus courts.

[68] Mozambique.

Il y a un grand royaume appelé Coloen que nous avons décrit précédemment. Là les perles croissent dans une espèce d’huître au fond de la mer ; mais la mer n’a pas plus de quatre à cinq brasses de profondeur, et il y a des pêcheurs qui pêchent les huîtres avec des paniers de bois. Ils mettent les paniers dans leurs bouches ou sur leurs nez et ensuite descendent sous l’eau, où ils peuvent rester un quart d’heure et quand ils ont pris quelque chose ils reviennent à la surface et ainsi de suite.

Le 14 juin le pain et les vivres commencèrent à nous manquer et nous étions encore à 1,780 milles de Lisbonne.

Le 30 juin nous trouvâmes une île, où nous tuâmes plus de 300 hommes et en fîmes un grand nombre prisonniers. Là nous fîmes de l’eau et en partîmes le 1er août.

Le 13 août nous revîmes l’étoile polaire et nous étions encore au moins à 600 milles du Portugal.

En l’année 1502 les infidèles perdirent 180 navires ; mais si ces navires n’avaient pas été perdus, cela aurait mal tourné pour nous ; car ils étaient nos ennemis.

Et ainsi nous retournâmes sains et saufs en Portugal.

DEO GRATIAS.

IMPRIMÉ
PAR
GUSTAVE RETAUX
A
ABBEVILLE