The Project Gutenberg EBook of Contes a Jeannot, by J. Girardin This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Contes a Jeannot Author: J. Girardin Release Date: April 3, 2004 [EBook #11767] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONTES A JEANNOT *** Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. CONTES A JEANNOT J. GIRARDIN 1896 A mon petit-fils JEAN LEBOSSE Il se passera du temps, Jeannot, avant que tu sois en etat de lire ce livre; n'importe, je te le dedie tout de meme, pour te remercier du plaisir que j'ai a voir ta gentillesse et ta belle humeur de bebe bien portant. J. Girardin. I LETTRES DE FINETTE A SON AMIE DE COEUR, MICHETTE, A PARIS Houlgate, 3 Juillet 1885. Ma Michette, mon Michon cheri, tu vois que je t'ecris tout de suite. Nous voila a la mer. Le voyage a ete bon, sauf que j'ai eu grand chaud, et que mon cousin Jean m'a taquinee presque la moitie du temps, et qu'il m'est arrive un grand malheur en route. D'abord, je me suis amusee a regarder par la portiere, et c'etait bien drole de voir les gens a leurs portes ou a leurs fenetres, les vaches dans les pres, les chevaux qui labouraient la terre, les oiseaux qui s'envolaient, les petits gardeurs de moutons qui agitaient leurs bonnets en l'air ou bien qui couraient de toutes leurs forces pour faire semblant de suivre le train! Oh! ils etaient bien vite las, je t'en reponds. Alors ils s'arretaient tout essouffles, s'essuyaient le front et nous montraient le poing. C'etait si amusant, que j'ai dit a maman: "Oh! maman, si le voyage pouvait durer toujours!" Maman a souri sans rien dire; Jean a hausse les epaules, et je me suis remise a la portiere. Alors sais-tu ce que j'ai vu? Nous etions sur une hauteur, on voyait les maisons et les personnes tout en bas; dans le jardin d'une des maisons, deux garcons s'amusaient a trainer une petite fille dans une voiture a quatre roues. Voila un des garcons qui se retourne en riant, leve la corde aussi haut qu'il peut, et fait chavirer la voiture et la petite fille. Oh! qu'ils sont mechants et mal eleves, les garcons! Comme nous allions tres vite, des arbres m'ont cache le jardin; mais je suis sure que la pauvre petite fille s'est fait grand mal. Jean a tout de suite pris le parti des garcons; il a pretendu que la petite fille etait probablement quelque mauvaise peste qui avait dit quelque chose de desagreable a ses freres, et qu'ils avaient bien fait de la faire chavirer pour la punir. Je lui ai tourne le dos et je suis revenue a la portiere. Mais bientot je me suis apercue que c'etait toujours la meme chose et que cela devenait un peu ennuyeux, et puis j'avais mal dans les jambes. Maman me dit: "Finette, tu bailles, tu dois avoir faim; je te permets de faire la dinette avec ta poupee." Alors j'ai fait la dinette avec ma poupee: mais tu penses bien que je l'ai enveloppee jusqu'au cou dans mon mouchoir, a cause des miettes de pain et des petits morceaux de chocolat qui auraient pu tomber sur ce joli cache-poussiere que nous lui avons fabrique a nous deux. [Illustration: Deux garcons trainaient une petite fille.] Jean n'aime pas Lili, qui ne lui a pourtant jamais rien fait. Aussi j'etais bien sure qu'il se moquerait d'elle, et cela n'a pas manque. Il m'a demande a quoi servent les cache-poussiere, si les personnes sont obligees de s'envelopper de la tete aux pieds dans un mouchoir, a cause de quelques mechantes miettes de pain. Je ne lui ai pas seulement repondu. Et, comme je voyais bien que ma poupee avait envie de dormir, je l'ai couchee dans mon petit panier. Je ne sais pas si c'est d'avoir couche ma fille qui m'a donne envie de dormir aussi, mais je me suis allongee dans mon coin et je me suis endormie. C'est pendant que je dormais que le grand malheur est arrive. En me reveillant, longtemps apres, j'ai pense que ma fille devait etre eveillee aussi. J'ai ouvert tout doucement le panier. Les cahots avaient jete Lili tout d'un cote; quand je l'ai tiree du panier, j'ai pousse un grand cri et je me suis mise a pleurer. Figure-toi que le cote droit de la figure de Lili etait barbouille d'encre bleue, et son bras droit aussi, et tout le cote droit de son joli costume. Quand maman avait fait les malles, j'avais oublie de lui donner la bouteille d'encre bleue que j'avais achetee pour t'ecrire. Je ne m'en suis apercue qu'au dernier moment, et alors, sans rien dire, je l'ai mise dans le panier de Lili. La bouteille s'etait debouchee pendant que je dormais, et ma pauvre Lili avait pris un bain d'encre bleue. Jean n'a pas ose se moquer de moi, parce que j'avais beaucoup, beaucoup de chagrin; il est taquin, mais il n'est pas mechant. Maman m'a consolee en me disant que, comme la tete, les bras et les mains de Lili sont en porcelaine, on pourra enlever l'encre bleue avec de l'eau; mais le cache-poussiere est perdu, et le joli costume de plage aussi! Maman ne m'a pas grondee d'avoir mis la bouteille d'encre bleue dans mon panier; mais je sais bien tout de meme que c'est ma faute si le malheur est arrive; car j'aurais du songer plus tot a la bouteille, au lieu de jouer tout le temps a la poupee pendant que maman faisait les malles et me repetait toujours: "Finette, tu n'oublies rien? Si tu as oublie quelque chose, il est encore temps." [Illustration: Les canards l'ont bien passe, tire, lire, lire.] Quand j'ai vu que j'avais oublie la bouteille, j'aurais du la laisser a la maison ou demander a maman de la mettre quelque part ou elle n'aurait pas cause de malheurs. Les mamans ont tant d'esprit! Au lieu de cela, j'ai fait une grosse sottise et cause un grand malheur. Songe que la pauvre Lili n'a plus rien a mettre! Pour me consoler, Jean m'a explique que nous etions en Normandie, et m'a montre les clos pleins de pommiers, les patures avec de belles vaches et les petites rivieres qui courent a la mer, des coqs et des poules sur des fumiers, des canards sur des rivieres et de petites hetes qui sautaient a travers les haies: Jean me disait que c'etaient des lapins; mais j'avais le coeur trop gros pour bien regarder. Toutes ces jolies choses n'empechaient pas les costumes de Lili d'etre perdus. Et moi qui m'etais fait une si grande fete de montrer Lili aux autres petites filles! Tu vois que j'avais bien du chagrin, et pourtant Jean a fini par me faire rire. Le chemin traversait des herbages. Tout d'un coup, nous voyons un homme, une jeune fille et un petit garcon qui traversaient un pont de bois, pour s'en aller dans les pres, faner le foin coupe. Ils avaient un toutou derriere eux. Jean s'est mis a chanter: _Les canards l'ont bien passe, tire, lire, lire_. Cela ressemblait si bien a ce que nous avions vu chez Robert Houdin, que je n'ai pas pu m'empecher de rire. Mais je n'ai pas ri longtemps, car j'ai repense tout de suite a la pauvre Lili. C'est ce malheur-la qui est cause que je t'ecris avec de l'encre noire et non pas avec de l'encre bleue, comme je te l'avais promis. Je t'aime bien tout de meme et je t'embrasse comme je t'aime. Ta petite amie, FINETTE. Houlgate, 8 Juillet, 1885. Ma Michette, mon Michon cheri, je t'ai promis de te dire ce que c'est que la mer, et je vais te le dire. La mer, c'est beaucoup d'eau, on ne peut pas dire le contraire. Mais, quand on est tout pres de l'eau sur le sable, on pense en soi-meme: Ce n'est pas si grand qu'on me l'avait dit. Mais on garde ca pour soi, parce qu'il y a toujours la des gens pour se moquer de vous quand vous faites des reflexions tout haut. J'ai bien fait de me taire, car mon cousin Jean ne se serait pas gene pour me dire que je n'y entendais rien. Le 4 juillet, dans l'apres-midi, nous sommes montes sur des hauteurs; plus nous montions, plus nous voyions loin, et plus la mer paraissait grande. Je n'ai encore rien dit. Mais, a mesure que nous montions, le fin bord de la mer, la-bas, du cote ou elle touche au ciel, avait l'air de monter aussi. Quand j'ai vu cela, je n'ai pas pu retenir ma langue, et Jean m'a dit: "Petite oie, c'est l'effet de la perspective!" Alors je lui ai demande ce que c'est que la perspective; il m'a repondu que j'etais trop petite pour comprendre l'explication de ce mot-la. Veux-tu que je te dise? Eh bien, moi, je crois qu'il ne sait pas plus que moi ce que cela veut dire; sans cela il m'aurait donne des explications pour se faire valoir. Les garcons ont grand tort de se croire plus que les filles! Je te dirai que l'eau de la mer est salee, avec un gout amer. Je le sais, parce que j'en ai avale plus d'une gorgee a mon premier bain. Sais-tu ce que c'est qu'un baigneur? Non.... Eh bien, un baigneur, c'est un homme a figure rasee, qui a l'air d'avoir marine dans l'eau de mer. Il a une bonne figure, mais il ne faut pas se fier a cela. Il vous prend dans ses bras, et il vous plonge en pleine eau. Vous avez beau prier, supplier, vous debattre, rien n'y fait; il vous plonge une fois, deux fois, trois fois dans la mer, et puis apres il vous rend a votre maman. Comme c'est par ordre du medecin que l'homme me plonge dans la mer, maman donne raison au baigneur et ne veut rien entendre. Pour ne pas faire rire a mes depens les autres personnes qui sont la, je ne crie plus, je ne me debats plus. Quand l'homme dit: "Allons-y!" je ferme les yeux et la bouche, et je retiens mon haleine; mais il faut croire que je ne m'y prends pas bien, car j'avale toujours quelques gorgees de cette eau salee et amere. J'aime bien la mer pour jouer au croquet sur le sable, mais je n'aime pas la mer pour etre fourree dedans trois fois de suite. Voila ce que c'est que la mer. Ah! il y a encore quelque chose que j'allais oublier. Il y a des heures ou la mer se retire si loin, si loin, qu'on ne la voit presque plus; alors les gens du pays disent que la _maree_ est _basse_. A d'autres heures, elle revient couvrir le sable, et l'on dit que la _maree_ est _haute_. [Illustration: Jean s'en va pecher des crevettes.] A maree basse, Jean s'en va pecher des crevettes avec d'autres garcons de son age. Tu sais ce que c'est que des crevettes, mais tu ne les as vues que cuites. Vivantes, elles sont si transparentes, qu'on les apercoit a peine dans l'eau. [Illustration: Il y a des petits garcons qui lancent des bateaux.] Et puis il y a des petits garcons qui lancent des bateaux sur les flaques d'eau que la maree a laissees apres elle. J'ai remarque un de ces petits garcons, qui a une grosse tete, une figure renfrognee et un caractere grognon. Jean m'a dit que si ce petit garcon etait maussade, c'est parce qu'il a une grosse tete, et il m'a fait croire que tous les petits garcons qui ont une grosse tete sont grognons. Quand j'en ai parle a maman, elle m'a dit que Jean s'etait encore moque de moi. Elle connait des petits garcons qui sont grognons avec une tete menue, et d'autres qui sont tres gentils avec de grosses tetes. C'est bon a savoir, et je te le dis pour que tu ne te laisses pas attraper. [Illustration: Ils ont transporte dans leurs brouettes des broussailles.] C'est Jean qui met tous les jeux en train sur la plage. Tu vois que, si je te dis ses defauts, je te dis aussi ses qualites; hier il a pris a part, dans un coin, tous ses petits camarades, et il leur a donne l'idee de faire un feu de joie sur la plage, le soir, a maree basse. Toute la journee, ils ont transporte dans leurs brouettes du foin, de la paille, des broussailles et des fagots, et, le soir, Jean a mis le feu au bucher. C'etait tres joli, et tout le monde se promenait autour, meme les grandes personnes. Les garcons commencaient a danser des rondes autour du feu, et les plus hardis parlaient de sauter par-dessus, lorsqu'il est venu une averse qui a disperse tout le monde. 10 juillet 1885. Il a plu toute la nuit du feu de joie, et puis toute la journee et toute la nuit d'apres. Il pleut encore au moment ou je t'ecris. C'est ennuyeux partout, la pluie, mais surtout a la mer. On ne voit dehors que les gens du pays et quelques baigneurs enrages; toutes les dames restent dans leurs logements ou vont faire de la musique au casino. On ne voit dehors qu'une Anglaise de quatorze ou quinze ans. Il parait que les petites Anglaises font tout au rebours de nous autres; par exemple, elles se promenent sans leur bonne et sans leur maman, et elles sortent par tous les temps. [Illustration: Un grand parapluie a la main.] Je vois la notre par la fenetre; elle fait les cent pas toute seule, chaussee de grosses bottines, un grand parapluie a la main, et les cheveux au vent. Jean pretend que tous les Anglais font expres de se promener a la pluie, et que c'est pour cela qu'ils ont tous les cheveux rouges. Mais je commence a me defier de Jean, et je l'ai bien attrape en lui disant que j'ai vu a Paris beaucoup d'Anglais qui n'avaient pas les cheveux rouges. Figure-toi qu'elle se promene toujours! Maman, qui a trouve ici des personnes de connaissance, a appris que ce n'est pas pour faire de l'effet que la petite Anglaise se promene a la pluie. Son medecin lui a ordonne de se promener deux heures, par tous les temps. Quand maman m'a dit cela, il y a deux minutes, je n'ai pas pu m'empecher de rougir parce que je l'avais suppliee de ne pas me faire fourrer dans l'eau par la pluie. Sais-tu ce que je ferai, s'il pleut encore demain? Je dirai a maman de me faire prendre mon bain tout de meme. J'espere qu'elle sera contente de moi. Je te regrette tout le long du jour, ma chere Michette; mais je te regrette doublement par la pluie. Ah! si tu etais ici, nous ferions de bonnes causettes, comme a Paris, et nous ne nous apercevrions seulement pas qu'il pleut. 11 juillet 1885. Il pleut toujours, seulement un peu plus fort. J'ai demande a maman de m'envoyer au bain avec Justine. Elle est si bonne, ma maman, qu'elle a tenu a venir elle-meme. Elle a pense que cela me donnerait du courage, et elle a eu raison. Oui, cela me donnait du courage de la voir me sourire sous son parapluie. Je tremblais malgre moi, mais j'avais le coeur content. Le baigneur s'est mis a rire et m'a dit: "Ma petite demoiselle, vous faites comme Gribouille, qui se mettait a l'eau pour n'etre point mouille par la pluie". J'ai ri aussi, et puis il m'a plongee trois fois dans la vague, et puis c'etait fini, et j'avais envie de danser. Maman m'a promis d'ecrire a papa que je m'etais conduite comme une bonne petite fille. Elle m'a promis encore de m'aider a coudre le nouveau costume de Lili. [Illustration: Des lapins vivants!] Pour me desennuyer, elle m'a menee apres dejeuner a une espece de ferme qui est a deux pas de notre chalet; dans cette promenade, tout m'amusait, meme de patauger, meme de recevoir des ondees dans le cou. Maman m'a dit que, quand on avait le coeur content, on voyait toujours le bon cote des choses. Je tacherai d'avoir le coeur content le plus souvent possible. A la ferme, dans une espece de grange, il y avait des lapins, mais, tu sais, Michon cheri, des lapins vivants! Ah! des lapins comme ceux que nous avons vus souvent a la devanture des fruitiers, pendus la tete en bas, ou bien des lapins vivants, ce n'est pas du tout la meme chose. Oh! si tu avais ete la avec moi pour les voir sauter, s'asseoir pour friser leur moustache, faire aller leurs oreilles, et me regarder d'un air eveille! D'abord ils avaient un peu peur de moi, mais la fermiere m'a dit: "Donnez-leur des carottes, mademoiselle, et vous verrez". Elle m'a montre un panier ou il y avait des carottes, et j'en ai donne a mes petits amis. Car je puis bien dire que ce sont maintenant mes petits amis. Crois-moi, Michette, quand tu rencontreras des lapins, donne-leur des carottes, et tu verras! Ne sois pas jalouse de mes nouveaux amis, mon Michon cheri, je n'aimerai jamais personne plus que toi; et je t'embrasse de tout mon coeur. Ta petite amie, Finette. II LA FAUTE DE NONO I C'etait, en cette belle terre classique de Sicile, un de ces coins charmants que Theocrite aimait a contempler et a depeindre dans ses idylles. Depuis la pointe du jour, la vendange occupait tous les bras et rejouissait tous les coeurs. Le pere de famille, semblable, dans sa robuste elegance, a quelque dieu rustique de l'ancienne Grece, apres avoir distribue la tache aux vendangeurs et aux vendangeuses, avait mis lui-meme la main a l'oeuvre pour donner le bon exemple. Il avait ri et il avait chante, parce que la joie de vivre etait en lui; car les grappes etaient nombreuses et lourdes, et il voyait le pain de l'annee assure pour tous les siens. Il avait ri et il avait chante, parce que le ciel etait sans nuages; parce que l'odeur du raisin ecrase, qui planait dans l'air, ajoutait en son ame quelque chose a l'ivresse du bonheur; parce que ses enfants etaient gais, alertes et bien portants, comme de jeunes faunes; parce que la compagne de sa vie etait la matrone la plus belle et la plus sage de la paroisse, et qu'elle avait de la cervelle pour deux. Et elle faisait bien d'avoir de la cervelle pour deux; car lui, Maso, en depit de son faux air de dieu antique, en depit de sa force, en depit de sa barbe, n'etait qu'un grand enfant. II Apres avoir vaillamment peine, en bon pere de famille, pendant toute la premiere partie du jour, Maso ota son rustique chapeau de paille, essuya de son bras nu la sueur de son front, et dit en riant: "Mes enfants, je crois que c'est assez pour une fois! Allons voir si la maitresse a pense a nous. Qui m'aime me suive!" Tous l'aimaient, tous le suivirent en riant jusqu'a l'endroit ou la maitresse avait prepare le repas des vendangeurs. C'etait un repas frugal, mais il avait ete apprete avec tant de soin et de proprete, le travail avait si bien aiguise l'appetit des travailleurs, que les convives le savourerent comme si c'eut ete un festin de nectar et d'ambroisie. Le repas termine, les vendangeurs se separerent, et chacun d'eux chercha un bon petit coin a l'ombre pour y faire la sieste. Maso, au lieu de suivre leur exemple, tira sa femme a part et lui demanda ce qu'elle avait fait de Nino. Nino etait le dernier-ne de la famille, et par consequent le Benjamin. Nino dormait du sommeil de l'innocence, dans une corbeille, a l'ombre. Maso pensa en lui-meme que Nino aurait pu mieux choisir son temps pour dormir, mais il eut la sagesse de garder cette reflexion pour lui. Alors, prenant son parti en brave, il se donna le plaisir de regarder dormir Nino. Mais, en verite, c'etait un plaisir bien fade, compare a celui de le prendre dans ses bras, de le taquiner pour le faire jaser, de se laisser tirer la barbe et les cheveux, ou meme de se laisser egratigner les mains et la figure par ses griffes de chat. La mere, ayant quelques ordres a donner et quelques soins a prendre, laissa ses deux enfants ensemble, le grand et le petit, non sans dire au grand: "Et surtout ne le reveille pas!" III "Comme elle me connait bien!" se dit Maso, emerveille de la perspicacite de sa femme. Comment avait-elle pu deviner qu'il avait concu l'idee de reveiller son petit camarade de jeux? Car cette idee, il l'avait concue un moment. Desormais il fallait y renoncer. Cependant Nino semblait faire expres de dormir plus longtemps que d'habitude. La patience de Maso etait a bout. Et, pour resister a la tentation de le reveiller, Maso fut oblige de s'en aller. Mais il ne s'en alla pas bien loin, voulant etre a portee d'entendre le premier gazouillement du cheri, quand il se reveillerait. Adosse contre une barriere rustique, les bras croises sur sa poitrine nue, le bon Maso s'endormit tout debout, comme une sentinelle negligente, ayant a ses cotes son grand chien qui dormait comme son maitre. Tout a coup il sembla a Maso que son chien se frottait contre lui, et qu'en meme temps quelqu'un tirait son chapeau. Il tressaillit, ouvrit les yeux, et partit d'un grand eclat de rire en voyant Nino qui le regardait d'un air surpris, et qui s'efforcait de lui prendre son chapeau pour le punir de ne lui avoir pas fait de risettes. Les eclats de rire de Maso etaient toujours formidables, mais celui-la etait si inattendu que Nino se rejeta sur sa mere et se cacha la figure contre son epaule. IV Apres le premier mouvement de terreur enfantine, il se tourna de nouveau vers son pere, et, comme son pere lui tendait les bras, il lui tendit les bras de son cote. La paix etait faite; mais la paix ne se fait jamais sans que le vaincu accepte les conditions du vainqueur. Le vaincu, c'etait Maso. Les vainqueurs, c'etaient la mere et le petit garcon. La mere, avant de livrer son precieux fardeau aux mains robustes et halees qui se tendaient vers lui, dit a son mari d'un petit air moqueur qui lui allait bien: "Surtout ne l'ecrase pas, et ne le laisse pas tomber. --Bon, c'est convenu", repondit le dieu antique du ton le plus benevole. Et alors seulement il put prendre possession du second vainqueur. Le second vainqueur s'attaqua a la barbe, aux levres, aux yeux, aux sourcils du vaincu, et revint finalement a son chapeau. Le vainqueur etait si agressif et si temeraire, le vaincu si patient et si heureux d'etre malmene et maltraite, que le grand chien en poussait de petits cris de tendresse, et frottait sa tete contre la jambe du vaincu, les yeux fixes sur le vainqueur, pour bien montrer qu'il entrait dans l'esprit de la chose, et qu'il prenait sa part de toute cette joie. En ce moment, deux personnages nouveaux entrerent en scene: Stella, la soeur ainee, qui avait sept ans, et Nono, le frere cadet, qui en avait trois. Tous deux etaient couronnes de pampres, en l'honneur des vendanges. Ni le grand chien, ni le pere, ni le petit Nino ne s'apercurent de leur arrivee; mais les meres de famille ont l'oeil a tout, meme dans les moments les plus pathetiques, et la mere de famille s'apercut tout de suite que la bonne harmonie ne regnait pas entre Nono et Stella. V "Mon pere! s'ecria Stella d'un ton tragique. --Chuc! chuc! chuc!" repondit le pere, non pas a Stella, mais a Nino, qui accaparait toute son attention. Il faisait chuc! chuc! chuc! pour l'exciter a rire. "Mere! dit Stella d'un ton non moins tragique. --Qu'as-tu, ma mignonne? lui demanda sa mere. --Il faut gronder Nono, repondit Stella. --Gronder Nono! s'ecria le pere, qui avait entendu les derniers mots. Gronder Nono! et pourquoi donc? --Il a fait une chose defendue! repliqua Stella avec un serieux tout a fait bouffon. --Il a fait une chose defendue! reprit le pere en se debattant de son mieux contre Nino, qui cherchait a lui fourrer son petit poing dans la bouche. --Oui, pere, une chose defendue. Au lieu de cueillir des grappes, il a casse la branche tout entiere. Vois plutot!" Nono, tout penaud, tenait dans le pan de sa chemisette relevee deux grosses grappes et la branche tout entiere, qui trainait derriere lui. "Il sait bien, reprit Stella, qu'il y a dans la branche des grappes pour l'annee prochaine; on ne les voit pas, mais elles y sont; maman me l'a dit le jour ou j'avais casse une branche. --La belle affaire! s'ecria le pere de famille en haussant les epaules; je ne veux pas qu'on se querelle un jour comme celui-ci. Venez tous les deux embrasser votre petit frere; apres cela allez-vous-en jouer, et ne nous ennuyez plus de vos querelles." VI Les deux enfants embrasserent leur petit frere, et s'en allerent jouer chacun de son cote, emportant dans leurs petites cervelles chacun une idee fausse. Nono etait persuade que desormais, avec l'approbation paternelle, il pouvait traiter la vigne comme bon lui semblerait. Quant a Stella, elle se dit que la justice etait un vain mot, puisque l'on permettait a Nono ce qu'on lui avait formellement interdit a elle-meme. Ces idees auraient fermente dans les deux petites tetes comme le vin nouveau dans la cuve, si la mere de famille, avant la fin du jour, ne s'etait arrangee pour prendre chacun de ses enfants en particulier, et pour leur faire voir la verite. Stella, adroitement interrogee, dut convenir que le pauvre Nono n'avait peche ni par malice ni par desobeissance, puisqu'il avait casse la branche sans qu'on lui eut defendu de la casser ni explique pourquoi il ne fallait pas la casser. Il avait si peu conscience d'avoir commis un crime, que, quand Stella l'avait si vertement tance, il apportait triomphalement la branche a sa maman pour lui faire plaisir. Stella dut reconnaitre que la justice n'est pas un vain mot. A Nono, la jeune mere se contenta de dire ce qui peut entrer dans l'intelligence d'un enfant de trois ans. Sans lui charger l'esprit de la theorie des grappes futures, elle lui fit comprendre qu'un tout petit enfant ne doit toucher a rien sans avoir demande conseil a son papa ou a sa maman. C'est une regle dont l'application ne demande point de grands efforts d'intelligence. "Nono a compris", repondit le jeune delinquant. Le pere n'eut point connaissance des exploits de sa petite femme; mais, d'une maniere generale, il continua a en etre tres fier, parce qu'elle "avait de la cervelle pour deux". III CHARLES KLIPMANN J'ai lu quelque part que les savants, lorsqu'ils ont en tete une decouverte importante, n'ont plus aucune idee de ce qui se passe autour d'eux. M. Klipmann etait un grand chimiste, et il ne savait jamais ce qui se passait dans sa maison, toute son attention etant concentree sur ses cornues, sur ses alambics et sur ses petites fioles. Comme il n'etait pas riche, il n'avait qu'une seule domestique, la vieille Francoise. La vieille Francoise passait sa vie a se desesperer, parce-que Monsieur tachait et dechirait ses vetements, sans s'en apercevoir, mettait tout le menage en desordre pour trouver un objet qu'il tenait a la main, enfilait ses bas a l'envers, en songeant a autre chose, sortait en vieilles pantoufles, mangeait sans se douter de ce qu'il mangeait, s'etranglait en meditant des problemes, et, a toutes les observations, repondait d'un air ahuri: "Eh oui! comment donc! certainement!" M. Klipmann avait, quelque part, un frere, qui etait demeure veuf avec un petit garcon. Ce frere mourut. Pour une fois, M. Klipmann se laissa habiller decemment par Francoise, alla enterrer ce frere qui etait mort sans laisser un sou, prit le petit garcon par la main et l'emmena chez lui. "Voila un petit garcon, dit-il a Francoise, c'est mon neveu, vous savez, oui, certainement! Je..., je l'adopte. --Monsieur fait bien", repondit la vieille bonne, tres emue a la vue de ce pauvre petit orphelin de quatre ans. L'orphelin, qui s'appelait Charles, avait l'air d'un petit chat sauvage, il se laissa embrasser en rechignant; mais la bonne Francoise etait trop emue de son malheur pour lui en vouloir de ses mauvaises manieres. "Il faudra, dit M. Klipmann, oui, certainement il faudra.... --Prendre soin de lui, reprit Francoise, qui etait habituee depuis longtemps a achever les phrases que son maitre laissait toujours inachevees. --Prendre soin de lui, oui, certainement! C'est bien cela, prendre soin de lui,... et puis lui faire comprendre, une bonne fois pour toutes.... (ici le petit garcon regarda son oncle d'un air mefiant), une bonne fois pour toutes, qu'il ne doit jamais entrer dans le laboratoire, mais que tout le reste de la maison est a lui." (Ici le petit garcon sourit. Il etait laid, le pauvre-petit, mais il avait un sourire reellement agreable.) "Jamais dans le laboratoire!" reprit M. Klipmann en levant l'index de la main droite. Le petit Charles fit un signe de tete. "Le reste de la maison est a toi." Cette fois Charles fit deux signes de tete au lieu d'un. "Le reste va tout seul", ajouta M. Klipmann en poussant un soupir de soulagement. Comme il se sauvait, impatient de retourner a ses experiences et a ses manipulations, Francoise lui dit: "Monsieur n'oubliera pas d'oter ses habits propres pour aller faire ses cuisineries!" Monsieur fit signe que c'etait une chose entendue; ce qui ne l'empecha pas d'aller tout droit au laboratoire et de s'emparer d'une fiole qu'il se mit a considerer d'abord, puis a secouer ensuite, toujours en costume de ceremonie, le chapeau sur la tete. Sous pretexte de montrer au petit Charles l'endroit ou il ne devait jamais mettre les pieds, Francoise s'en alla tout droit au laboratoire, tenant toujours le petit garcon par la main. "La, dit-elle, maintenant que Monsieur a bien regarde sa petite bouteille, il va aller changer de vetements. --Ca a reussi, repondit M. Klipmann en lui montrant la petite fiole. --J'en suis bien aise pour Monsieur, dit Francoise avec complaisance. Les vieux effets de Monsieur sont tout prets sur le lit." M. Klipmann comprit qu'il fallait obeir. Apres avoir jete un dernier regard de satisfaction sur sa fiole, il obeit sans resistance. Tout le temps qu'avait dure cette scene, le petit Charles avait jete des regards pleins de sagacite et de penetration tantot sur la vieille bonne, tantot sur le vieux chimiste. Et, dans son intelligence d'enfant de quatre ans, il comprit vaguement que l'oncle Klipmann etait un enfant comme lui, seulement plus grand et plus vieux, et que c'etait a Francoise qu'il fallait obeir. Lui ayant promis de ne jamais entrer dans le laboratoire, il n'y entra jamais, ce que Francaise trouva bien beau de sa part, sans le lui dire. Mais, n'ayant pas promis de ne pas explorer la maison de la cave au grenier, il passa toute sa petite enfance a l'explorer, au grand detriment de ses vetements, car il etait souple et hardi, et grimpait partout, meme sur le toit. Un jour, Francoise etait dans le petit jardin, occupee a tricoter, tout en surveillant sa cuisine du coin de l'oeil. Sur le sable, devant elle, l'ombre de la maison se dessinait; tout a coup Francoise remarqua comme un mouvement du cote de la cheminee. Elle crut d'abord reconnaitre l'ombre du vieux chat Sarrazin. Mais Sarrazin ne devait pas etre si gros que cela. Elle leva les yeux et fut saisie d'horreur et d'effroi en voyant le petit Charles debout contre la cheminee, examinant avec un profond interet le chapeau de tole, que le moindre vent faisait tourner dans toutes les directions. Francoise, qui etait une femme tres prudente, ne cria pas apres lui, de peur de l'effrayer et de lui faire faire un faux pas; mais, quand il fut descendu de son observatoire, elle le gronda bien fort et voulut lui faire promettre de ne jamais remonter la-haut. Charles refusa obstinement de promettre: il tenait absolument a savoir pourquoi le chapeau de tole tournait. A cette epoque-la, Charles avait pres de six ans. Francoise voulut savoir comment il avait pu arriver a la lucarne, qui etait ce que l'on appelle une fenetre a tabatiere. Elle monta donc au grenier et demeura stupefaite en voyant une espece de machine, moitie echelle, moitie escabeau, que Charles avait construite avec beaucoup de patience et d'industrie a l'aide d'une scie, d'un marteau, de quelques clous et de beaucoup de ficelle. Dans la construction de cette machine entraient quelques debris de planches, un manche a balai, les trois tiroirs d'une vieille commode et la carcasse d'un fauteuil, tout cela depece a la scie par l'industrieux Charles. Francoise pria M. Klipmann de monter pour examiner cela. Le chimiste ne s'indigna pas de voir ses meubles en pieces. Tout ce qu'il trouva a dire, c'est que ce petit garcon etait adroit comme un singe. "Il est temps, riposta Francoise, que ce petit garcon aille a l'ecole, pour apprendre quelque chose. Nous verrons s'il est aussi adroit de sa cervelle que de ses mains. --Oui, oui, repondit M. Klipmann, il est temps." Et Charles fut envoye a l'ecole. Il apprenait bien, et vite. Trop vite meme, au grand detriment du mobilier de la classe. Comme il avait toujours termine son travail bien longtemps avant les autres, il employait ses loisirs a graver son nom sur les tables et sur les bancs, a creuser des trous pour placer ses coudes plus a l'aise, a tracer de profondes rigoles pour y faire couler de l'encre. Quand la table fut tailladee a jour, il songea a enlever les vis qui la retenaient au pied massif. Ce n'etait pas avec l'intention de faire tomber la table, pour causer du desordre, c'etait pour savoir la raison des choses, car il remettait toujours les vis apres les avoir enlevees. Quand il sut ce qu'il voulait savoir, il commenca a apporter en classe des morceaux de bois plein ses poches, et il les travaillait avec un canif. "Il ne peut pas s'empecher de tailler quelque chose", disait le maitre d'ecole a Francoise. Francoise le savait bien, et les vieux fauteuils du grenier le savaient bien aussi, car c'etait a meme les bras et les pieds de ces vieux debris qu'il prenait ses provisions de bois a l'aide d'une scie mysterieuse, sur laquelle Francoise ne put jamais mettre la main. Un certain jeudi, jour de conge et de loisir, il mit le comble a ses mefaits domestiques. Il s'etait introduit dans le cabinet de son oncle, et cela sans scrupule et sans remords, puisque la "maison etait a lui". En furetant, selon son habitude, il decouvrit un cornet de papier contenant des clous en quantite, puis un ciseau, puis une vrille, puis un marteau. Quelles richesses! Et a quoi les employer? Les yeux brillants, les narines fremissantes, il regarda autour de lui. Qu'avait-il besoin de chercher si loin? La, sous ses yeux, sous sa main, il y avait un enorme coffre en bois. Il attaqua d'abord le coffre avec le ciseau, et enleva de tres beaux morceaux. Fatigue du ciseau, il joua de la vrille. Fatigue de la vrille, il enfonca des clous avec le marteau. Et puis que ferait-il bien encore? Ses yeux tomberent sur le chapeau du chimiste, le chapeau numero un, s'il vous plait. Pourquoi aussi ce chapeau se prelassait-il sur le coffre, a portee de la main, au lieu d'etre accroche dans la garde-robe? Oui, pourquoi? Possede par son demon familier, Charles se dit que ce serait bien drole d'enfoncer des clous dans un chapeau. Cette operation presentait certainement quelque difficulte, a cause du peu de consistance de l'objet. Raison de plus pour essayer. Les vrais chercheurs sont toujours piques au jeu par les difficultes d'une entreprise. Tout d'abord le chapeau se defendit a sa maniere en se derobant sous les coups. Premiere difficulte a vaincre. Charles en triompha en fixant le rebord du chapeau au bois du coffre a l'aide d'un clou solidement enfonce. Ensuite il planta des clous sur les cotes. La paroi cedait sous l'effort; mais, a force d'essayer, Charles en arriva a ses fins. Et maintenant voyons le fond du chapeau. Le fond cedait, puis revenait a sa disposition premiere, avec de petites detonations sourdes. Il s'agissait de saisir le bon moment, et Charles, a force d'adresse et de patience, le saisissait presque toujours. Le milieu du rond etait l'endroit le plus difficile, etant le moins resistant; Charles y appliquait son clou, quand la porte s'ouvrit. La personne qui l'avait ouverte demeura stupefaite sur le seuil; quant a Charles, tout entier a son oeuvre, il n'avait rien entendu. L'oncle Klipmann, car c'etait lui, avait termine la veille au soir une serie d'experiences qui l'avaient enfin amene a une decouverte importante: il avait employe une partie de sa matinee a controler le resultat de ses experiences, afin d'etre bien sur de ne s'etre pas trompe. Il avait peu dormi la nuit precedente: la joie l'avait tenu eveille pendant les premieres heures. Puis c'etait le remords qui lui avait tenu les yeux grands ouverts. Maintenant que ses recherches avaient abouti, et qu'il rentrait, pour quelque temps du moins, dans la vie reelle, dans la vie de tout le monde, il se demandait comment il avait pu negliger a ce point le fils de son frere. Les mefaits de cet enfant, qui etaient tous du meme genre, lui revinrent a la memoire, et il se dit: "Un cours d'eau qui n'est point endigue peut gater tout un pays; il s'agit de lui creuser un canal, et alors ce cours d'eau devient utile, de nuisible qu'il etait. Jusqu'ici, je le vois bien a present, la vie de mon petit neveu a ete comme ce cours d'eau. Ce besoin de s'affairer sans cesse a occuper ses doigts, c'est peut-etre une vocation qui s'ignore et qui se cherche. Il s'agirait d'endiguer le cours d'eau et de lui creuser un canal. L'enfant a peut-etre, sans le savoir, le gout de la mecanique. Assez de chimeres pour le moment; des demain je ferai des experiences pour aider ce pauvre enfant a decouvrir ce qu'il cherche." Le lendemain matin, l'habitude et aussi le desir de se confirmer dans la certitude d'avoir reussi le menerent tout droit a son laboratoire. Mais il n'y resta pas plus de deux heures, et, aussitot qu'il en fut sorti, il parcourut la maison pour chercher Charles et pour savoir ou il en etait. Il en etait a planter des clous dans le chapeau numero un. Au lieu de s'emporter, le brave homme contempla en philosophe le petit garcon qui devait etre desormais le sujet de ses experiences. L'adresse de l'enfant, sa dexterite, son attention profonde confirmerent le chimiste dans ses idees et dans ses intentions. Le clou du centre, le plus difficile de tous, une fois bien et dument enfonce, Charles poussa un soupir de soulagement, passa le dos de sa main sur son front et regarda autour de lui. Le premier objet qui frappa ses regards, ce fut la personne de l'oncle Klipmann. Quoique l'oncle Klipmann n'eut point l'air d'un croquemitaine, Charles tressaillit et s'ecria, en laissant tomber son marteau: "Oh! mon oncle, qu'est-ce que j'ai fait la? --L'as-tu fait par mechancete et pour m'etre desagreable? demanda l'oncle Klipmann. --Oh! pour cela, non, mon oncle. Je ne sais pas comment tout cela m'est venu en tete. Je vous jure que.... --Ta parole me suffit, reprit l'oncle Klipmann. Maintenant convenons entre nous que ce coffre aurait meilleur air si tu y avais fait moins de trous et enfonce moins de clous. Convenons que, s'il te fallait absolument enfoncer des clous dans un chapeau, tu aurais mieux fait de choisir le numero deux: et puis, n'en parlons plus; seulement, promets-moi de te mieux surveiller a l'avenir. --Oh! mon oncle, je vous le promets. -Je sais que tu tiens toujours tes promesses. Assez sur ce sujet. --Pardonnez-moi, mon oncle. --Mon neveu, je te pardonne. La preuve, c'est que je vais t'emmener faire un petit tour de promenade avec moi. Dis a Francoise de te refaire ta toilette. En l'attendant, je vais...." Il allait dire: "Je vais donner un coup de brosse au chapeau numero deux". Mais il jugea inutile d'ajouter a la confusion de Charles, et il s'en alla en se disant a lui-meme: "Occupons-nous maintenant de creuser ce canal". Une demi-heure apres, l'oncle et le neveu s'en allaient les meilleurs amis du monde. Quand il n'etait pas enseveli dans ses recherches, l'oncle Klipmann etait un homme tres fin et tres adroit. Il se mit a parler avec Charles de toutes sortes de sujets, et, au fur et a mesure, notait avec soin ses reponses, sans en avoir l'air. Quand ils furent devant la boutique de l'horloger Brisson, l'oncle tourna le bec-de-cane de la porte et entra, suivi de son neveu. Brisson connaissait bien l'oncle Klipmann, qui etait un de ses clients; il connaissait bien aussi le neveu de l'oncle Klipmann, car il le voyait souvent s'arreter devant la boutique pour le regarder travailler. L'oncle Klipmann expliqua a Brisson qu'il desirerait, si cela ne le derangeait pas, se faire montrer l'agencement d'une montre, le jeu, le ressort et l'engrenage des roues. Brisson avait justement sur son etabli, sous un verre renverse, une montre qu'il avait nettoyee; il se disposait a en remettre en place les principales pieces. Une petite pince a la main, l'oeil colle sur une loupe, il commenca tout a la fois ses operations et ses explications. C'etait l'oncle qui avait demande cette petite lecon d'horlogerie, et c'etait uniquement le neveu qui en profitait. Charles ne quittait pas du regard la pince de l'operateur, et il buvait, comme on dit, jusqu'a ses moindres paroles. Quant a l'oncle, ce n'est pas la montre qu'il regardait, mais la figure de son neveu. Un sourire discret se jouait sur ses levres, le sourire de l'homme qui a devine juste. Quand Brisson eut termine ses explications, et repondu a quelques questions tres intelligentes de Charles, l'oncle et le neveu reprirent leur promenade. Charles etait silencieux et preoccupe; ce silence et cette preoccupation firent grand plaisir a l'oncle Klipmann, au lieu de l'offenser. Le hasard de la promenade (etait-ce bien un hasard?) les amena, a quelque distance de la ville, devant la porte d'un enclos considerable. L'oncle sonna a cette porte et demanda l'autorisation de visiter l'usine; car la grand mur d'enceinte contenait de vastes ateliers ou l'on construisait des machines. Le directeur en personne, ingenieur fort distingue, voulut faire a l'oncle Klipmann les honneurs de l'etablissement. Cette fois encore, ce fut le neveu qui ecouta les explications avec le plus d'attention. Pendant qu'ils retournaient chez eux, l'oncle expliqua a son neveu que le directeur de l'usine etait ce que l'on appelle un ingenieur civil: que, pour devenir ingenieur civil, il avait passe par une ecole qui est a Paris, et que l'on nomme l'Ecole Centrale des Arts et Manufactures, ou tout simplement l'Ecole Centrale. Charles ecoutait en silence; il etait facile de voir que sa petite tete travaillait, envahie par des idees nouvelles. L'oncle Klipmann fit semblant d'etre plonge dans ses meditations chimiques, et laissa prudemment travailler la petite tete. Au retour, Francoise, a qui son maitre avait donne le mot, ne parla pas des devastations du matin et se montra aussi avenante qu'a l'ordinaire. Aussi Charles la suivit a la cuisine; la, assis sur une chaise basse, il regarda quelque temps le feu sans parler. Puis tout a coup il dit: "Francoise, je crois que j'aimerais bien etre horloger. --C'est un joli etat, repondit Francoise. --C'est a cause des petites roues qui s'engrenent les unes dans les autres. Je crois que je ne me lasserais jamais de faire engrener de petites roues. --Ah!" dit Francoise. Apres cela, Charles monta a sa petite chambre, et, pendant qu'il s'efforcait de dessiner des roues dentees sur son cahier de brouillons, sa petite tete recommenca a travailler. Le resultat de ce travail se produisit au diner. Au moment d'achever son potage, il tint la cuiller suspendue entre son assiette et sa bouche, et dit avec un gros soupir: "Ils sont bien heureux les petits garcons de Paris de pouvoir aller a l'Ecole Centrale." L'oncle Klipmann sourit: le travail de la petite tete avait abouti juste ou il desirait le voir aboutir. Alors il expliqua a Charles que l'Ecole Centrale n'est pas une ecole destinee uniquement aux petits garcons de Paris; mais que les petits garcons de toutes les parties de la France peuvent y aller etudier. "Ceux de Verneuil aussi? demanda Charles d'une voix emue. --Ceux de Verneuil aussi. --Alors, mon oncle, tu m'y enverras." L'oncle Klipmann lui expliqua que l'on n'entre pas a l'Ecole Centrale comme dans un moulin, qu'il faut subir des examens et en quoi consistent les examens. On commence par bien apprendre ce que l'on enseigne a l'ecole primaire. De la on passe dans un college ou dans un lycee. On travaille ferme, et, au temps voulu, on se presente. "Tu as bien compris? --Oui, mon oncle, repondit Charles d'un air reflechi. Et puis, ajouta-t-il, je travaillerai des demain, et je ne t'abimerai plus tes affaires." "Et voila le canal creuse", pensa l'oncle Klipmann en souriant. Le canal etait creuse, en effet. Des le lendemain, Charles travailla comme un petit homme, et le surlendemain aussi, et le mois suivant aussi, et aussi les annees qui vinrent apres. Il est entre a l'Ecole Centrale, et il en est sorti ingenieur civil, et il a l'avenir devant lui. IV LES TROIS PETITS CHIENS En trottinant de compagnie sur la route, trois petits chiens faisaient la conversation, et, tout en causant, ils encherissaient a qui mieux mieux sur l'horrible mechancete du monde. Le premier dit: "Non, vous ne voudrez pas me croire, et pourtant je vous donne ma parole que c'est la pure verite. Un homme, avec un seau, m'a jete de l'eau de savon sur la queue. Moi, je trouve que c'est une abominable cruaute; et vous?" Le second dit: "C'est tout simplement une atrocite; mais il m'est arrive bien pis, a moi. Un gamin, d'un coup de pierre, m'a presque casse les reins. Hein! qu'est-ce que vous dites de _cela_?" Le troisieme dit: "C'est encore moi qui ai le plus a me plaindre; et il ne m'est que trop facile de le prouver. Un homme m'a presque ecrase. Pourquoi? Pour avoir regarde un chat. N'est-ce pas le comble de la mechancete? hou! hou!" Mais il y a une chose que les trois petits chiens oubliaient de dire: le premier avait vole des sardines; le second s'etait jete sur un pauvre aveugle, et le troisieme avait donne la chasse au chat de la maison. C'est ainsi que parlaient les trois petits chiens; et il y a, par le monde, quantite de petits enfants a boucles blondes, et meme de vieux enfants a barbe grise, qui ne sont pas plus sages. Racontent-ils une aventure, elle est toute a leur gloire, ils y ont le beau role; mais ils ne soufflent mot des circonstances dont ils auraient a rougir. Les petits chiens, n'etant que de simples animaux, raisonnent et raisonneront toujours en simples animaux. Jamais ils n'arriveront a comprendre qu'il est mal de voler les sardines du prochain, ou de se jeter sur les gens sans defense, ou d'epouvanter les chats qui ne vous disent rien. Rendus circonspects par de facheuses experiences, il concluront, en veritables petits chiens qu'ils sont, qu'il s'agit tout simplement de voler les sardines quand l'homme au seau a le dos tourne, de se jeter sur les aveugles quand personne n'est a portee de les defendre, et de choisir mieux son temps pour se livrer au divertissement de la chasse a courre. Ils n'auront jamais en vue que leur avantage et leur plaisir, et deblatereront jusqu'a la fin du monde contre celui qui les empechera de chercher leur avantage et de prendre leur plaisir la ou ils croient le trouver. Pourquoi? parce que les petits chiens, meme quand ils sont devenus grands, n'ont point de conscience qui les eclaire sur ce qui est bien et sur ce qui est juste. Mais les petits hommes a boucles blondes et les vieux hommes a barbe grise ont une _conscience_. Qu'ils la prennent pour conseillere avant de raconter leurs exploits, et pour juge avant de condamner le prochain. V LE PERE VIAUD Le pere Viaud a quatre-vingt-cinq ans; et, quoiqu'il soit encore droit et fort pour son age, son pas n'est plus aussi ferme ni aussi regulier qu'autrefois, ses mains sont agitees d'un tremblement chronique, et il dit lui-meme, en parlant de ses machoires edentees qui s'agitent comme pour macher a vide: "Voila que je _babinote_ comme un vieux lapin!" Pas plus tard que le matin meme, ayant eu affaire a la ferme, je l'avais entendu, dans la grande salle, se plaindre, moitie en riant, moitie serieusement, de ses vieux yeux qui ne lui permettaient plus de distinguer un moineau d'un pinson, de ses vieilles jambes qui le laissaient toujours en route, de ses vieilles mains qui ne savaient plus seulement tenir une cuiller sans faire chavirer la moitie de la cuilleree! Et puis, trois heures plus tard, je retrouve mon invalide a une lieue de la ferme, sur un coteau dont la pente m'avait paru fort raide, a moi qui n'ai pas quatre-vingt-cinq ans. Il se tenait debout, aussi droit qu'un grenadier a la parade, en face d'un sauvageon qu'il etait en train de greffer. Un de ses petits-fils, garconnet d'une douzaine d'annees, le regardait de tous ses yeux. On aurait dit un veritable amateur de bonne peinture, en contemplation devant un tableau de Raphael. Le grand-pere et le petit-fils etaient si bien a leur affaire, qu'ils ne m'entendirent meme pas venir. Les mains du pere Viaud, ces pauvres vieilles mains qui ne pouvaient plus tenir une cuiller, me parurent transformees. Non seulement elles ne tremblaient pas, mais encore elles avaient une dexterite de mouvements et une delicatesse de toucher dont je demeurai stupefait. Il taillait, il ajustait, enveloppait, sans jamais faire un faux mouvement. Ses vieux yeux, qui ne distinguaient pas un moineau d'un pinson, suivaient, a bonne distance, les moindres mouvements de ses mains et de ses doigts; enfin, ses machoires avaient cesse de babinoter comme celles d'un vieux lapin. L'operation terminee a son entiere satisfaction, il ferma son couteau et le remit dans la poche de son gilet. Ensuite il ota son chapeau, se passa la main sur le front, poussa un soupir de satisfaction et dit: "Fideric (l'enfant s'appelle Frederic), en voila encore un, mon garcon, et ce ne sera peut-etre pas le dernier, eh! eh! eh! A present, je crois que je vas fumer une petite pipe. --Grand-pere, dit le petit garcon, quand donc me permettras-tu de greffer un arbre, un vrai arbre? --Quand je te le permettrai? machonna le grand pere, qui fouillait d'une main tremblante dans sa vieille poche a tabac. --Oh oui! grand-pere, quand? --Il n'y a plus d'enfants; reprit le grand-pere en tapotant la tete du petit garcon avec le fourneau de sa pipe de bois; plus d'enfants! Ca croit qu'on greffe un arbre comme on taille un sifflet dans une branche de saule. M'as-tu seulement regarde, pendant que je travaillais, tout a l'heure? --J'en avais mal aux yeux a force de regarder, repondit l'enfant. --Oui, oui, c'est vrai, j'ai bien vu que tu faisais des yeux de chat. C'est justement ce que me disait feu mon grand-pere, quand j'avais ton age et que je le regardais comme tu me regardes. Eh bien, mon mignon, je vas te repondre ce qu'il m'a repondu, il y a de cela septante et trois ans: je crois que tu as l'oeil du greffeur; par ainsi, demain matin, je te laisserai faire, et je te regarderai faire; tu entends, je te regarderai faire; tu n'as pas peur? --Oh si! un peu, repondit le petit ruse; mais pas trop, parce que, grand-pere, tu es si bon! --Oh! le patelin! marmotta le grand-pere, comme il saura entortiller son monde. C'est bien. J'ai un _sujet_ en vue, mais, si tu me le gates, gare a tes oreilles!" On voyait qu'il etait fier de son petit-fils, et il se mit a ricaner de satisfaction, et en ricanant il laissa choir sa pipe dans l'herbe. Le petit garcon fit une culbute de joie avant de la ramasser. En se relevant, il m'apercut et dit a son grand-pere: "Grand-pere, voila le monsieur de ce matin! --Va a tes vaches, lui repondit le pere Viaud.--Monsieur, votre serviteur. Si ca ne vous fait rien, nous allons nous asseoir sur cette souche, parce que les jambes d'un pauvre vieux comme moi.... Oh! apres vous, monsieur. --Un pauvre vieux qui greffe sans lunettes, repliquai-je avec une ironie qui n'etait pas pour le blesser, je l'espere; un pauvre vieux qui manie le couteau sans que la main lui tremble; un pauvre vieux qui vous introduit la branchette dans la fente sans s'y reprendre a deux fois, et qui vous enroule le fil, et qui vous l'attache comme une jeune couturiere! Qu'on m'en trouve beaucoup de ces pauvres vieux-la! --Bellement, bellement, dit-il avec un geste de sa main, qui s'etait remise a trembler. Quand on a fait une chose toute sa vie; qu'on prefere cette chose-la a toutes les autres; qu'on sait que la chose est honnete, bonne, utile, et qu'on se flatte de l'avoir toujours faite de son mieux, on la fait encore bien quand l'age vous force de renoncer a tout le reste. On dit qu'il y a une grace d'etat, monsieur, et moi je le crois, puisque je puis greffer sans trembler, et que je ne puis pas manger une cuilleree de soupe sans en renverser la moitie. --Alors, lui dis-je, vous aimez cela, greffer? --Si j'aime ca! Mon pere l'aimait et mon grand-pere aussi; mon fils l'aimait, mais il est mort des fievres; Fideric l'aime. C'est un don de famille, et il y a des petits secrets de metier que nous nous passons les uns aux autres. Ah! ah! ah! si j'aime ca! Mais, monsieur, qu'est-ce qu'il y a de plus superbe que de faire d'un arbre sauvage et paien un arbre du bon Dieu, qui nourrit les chretiens du bon Dieu? C'est beau de semer et de moissonner, et j'ai bien seme et bien moissonne dans ma longue vie; mais le ble parait et disparait, et l'arbre reste, et porte temoignage. Il y a, dans le canton, des arbres qui rappellent au monde le nom de mon grand-pere et celui de mon pere. Il y en a qui rappelleront le mien. Nous sommes des glorieux, dans notre famille, voyez-vous. Aussi loin que vous pouvez voir, tous les arbres a fruit ont ete comme baptises et rendus chretiens par nous autres; je ne fais que vous redire les paroles de M. le cure. Oui, il a dit, parlant a Monseigneur, la derniere fois que Monseigneur est venu confirmer les enfants par ici: "Monseigneur, les Viaud sont des missionnaires a leur facon; seulement, au lieu de convertir des negres, ils convertissent des arbres". Et Monseigneur a dit: "Pere Viaud, c'est tres bien, cela! Qui plante un arbre fait une bonne action; qui greffe un arbre fait une action meilleure encore." Et il a debite aux enfants un petit sermon la-dessus; je n'ai pas tout compris, parce que j'ai l'oreille un peu dure, mais je sais que c'etait tres beau. --Je vois, lui dis-je, que Frederic a le don, comme vous. --Il l'a", me repondit le bonhomme avec un sourire d'orgueil. Mais, quand ce sourire d'orgueil eut disparu, sa figure redevint toute vieille, ses mains furent reprises de leur tremblement, et la pipe de bois, qu'il avait allumee a grand'peine, avait d'etranges soubresauts entre ses gencives. "Et comme cela, repris-je, c'est demain que vous ferez faire a Frederic ses premieres armes comme greffeur. --Oui, c'est demain; et moi qui n'ai plus l'habitude de desirer grand'chose, je voudrais deja etre a ce moment-la; ca m'avancera pourtant d'un jour sur le chemin du cimetiere: n'importe, je voudrais y etre." Pendant qu'une rougeur fugitive lui montait au visage, je le regardais avec respect, et je pensais a part moi: "Si j'etais destine a rester sur terre aussi longtemps que ce vieux paysan, quelle est celle de mes occupations presentes qui pourrait me tenir fidele compagnie jusqu'au bout, donner une force passagere a mon corps defaillant, rechauffer mon coeur, satisfaire ma conscience et m'empecher d'etre comme un mort parmi les vivants? oui, laquelle?" Ce que je me suis repondu a moi-meme importe peu; quelles resolutions j'ai prises, c'est mon affaire. Tout ce que je puis dire, c'est que je m'estime heureux d'avoir vu travailler le pere Viaud et de l'avoir entendu parler. VI INFLUENCE D'UN OURS SUR LES RELATIONS DE TROIS PETITES FILLES A Paris, les petites filles ne peuvent pas voir leurs amies aussi souvent qu'elles le voudraient. D'abord, Paris est grand et les distances sont longues; et puis il y a les cours a suivre, les devoirs a faire, les lecons de piano, les lecons de dessin, les occupations du papa, et les obligations mondaines de la maman. Au bord de la mer, au contraire, on demeure porte a porte, on a des loisirs, on peut donc voisiner entre mamans et entre petites filles. Cette annee-la, toute une societe de connaissances parisiennes s'etait donne rendez-vous a Varangues-sur-Mer, et l'on voisinait ferme. Le 18 aout, Mme de Larochemere avait donne une grande matinee de petites filles, parce que c'etait la fete d'Helene, sa fille. Au retour de cette fete, Mme Loudeac et sa petite Suzanne, pour revenir chez elles, a la villa des Tamarix, suivaient un joli petit chemin tournant et causaient de la fete: "Alors, cherie, dit Mme Loudeac, tu t'es bien amusee. --Oh oui! maman,... et puis, as-tu remarque Alix de Gayrel;... dis, maman, l'as-tu remarquee?" Les regards de Suzanne brillaient d'enthousiasme. Mme Loudeac ne put s'empecher de sourire. "Il y avait beaucoup de monde, dit-elle, et je ne suis pas bien sure.... --Oh! maman, reprit Suzanne d'un ton de reproche, c'etait la reine de la fete: des yeux bleus, mais, vois-tu, d'un bleu..., et puis, des cheveux blonds, mais, vois-tu, d'un blond..., pas en tresses, bien entendu.... --Pourquoi, bien entendu? demanda la maman, qui s'amusait de l'enthousiasme de sa fillette. --Oh! reprit Suzanne, les tresses, c'est bon pour des mauviettes comme moi, comme les autres, comme Berthe, comme Lydie, comme Paulette, comme..., comme Marthe Lemoyne...." Elle prononca ce dernier nom avec une sorte de dedain aristocratique, comme si la pauvre Marthe Lemoyne eut forme a ses yeux le contraste le mieux fait pour mettre dans tout son relief l'ecrasante superiorite de son idole. Mme Loudeac fronca legerement les sourcils, sans rien dire, toutefois: c'etait une mere prudente et experimentee, et elle laissait volontiers bavarder sa petite perruche, pour connaitre le fond de sa pensee. "_Elle_, oh! _elle_, reprit Suzanne, ses cheveux flottent, ondulent; oh! comme ils ondulent! Et puis, quelle toilette, et puis quel sourire! Ah! maman, si tu avais vu son sourire. Nous avons cause, oui, elle a bien voulu causer avec moi, et..., et, ajouta-t-elle avec une explosion de joie et d'orgueil, nous nous sommes promis d'etre amies... toujours,... toujours! --Comme cela, du premier coup? demanda la maman d'un ton de douce raillerie. --Oui, tout de suite. Tu sais, reprit-elle avec une gravite comique, il y a, comme cela, des personnes que l'on aime a premiere vue." Elle regarda d'un air sentimental la ligne bleue de la mer, qui apparaissait par une breche des falaises, a l'un des tournants du chemin, et, de son petit coeur gonfle de joie et d'orgueil, s'echappa un soupir de reconnaissance. "Toujours la meme, pensa Mme Loudeac en poussant un soupir de regret; oui, toujours la meme: coeur d'or et tete de linotte." Et elle se promit d'etudier de pres cette nouvelle idole, aux pieds de laquelle sa Suzanne immolait en holocauste toutes ses petites amies, d'un seul coup. "Et puis, tu sais, mere cherie, reprit Suzanne, son papa est conseiller d'Etat, son grand-papa senateur. Elle a un oncle amiral, et un autre archiduc.... --Tu veux peut-etre dire archidiacre? suggera la maman; elle se souvenait d'avoir entendu Mme de Larochemere parler, pendant la petite fete, de la parente des de Gayrel, qui etaient des nouveaux venus dans le cercle des Parisiens en villegiature. --Archiduc ou archidiacre! c'est toujours quelque chose comme cela", repondit Suzanne sans se deconcerter. Elle continua a entasser, piece a piece, la parente de son Alix, comme pour ecraser de ce monument cyclopeen le reste de l'humanite. Mme Loudeac devina sans peine que, dans l'idee de sa fillette, la pauvre Marthe Lemoyne gisait ecrasee avec les autres et, probablement meme, plus aplatie que tout le reste. Et pourtant! Le pere de Marthe etait architecte. Et, quoique ce fut un veritable artiste, bien connu dans le monde des artistes, et meme dans celui qui s'intitule Tout-Paris, Suzanne, dans sa cervelle de linotte, le tenait pour un petit personnage. Savez-vous pourquoi? Parce qu'un jour M. Lemoyne avait dit devant elle, a son papa, qu'il lui arrivait quelquefois de monter a l'echelle, comme les macons, pour voir ou en etaient les travaux. A partir de ce jour-la elle confondit dans son idee l'architecte avec l'entrepreneur qui bouscule les macons, et avec les macons eux-memes. Et, comme elle avait vu les macons dejeuner sur leurs echafaudages, elle n'aurait pas ete surprise d'y voir un beau jour M. Lemoyne, assis les jambes pendantes, les vetements couverts de poussiere, les favoris constelles de pastilles de platre, tirer son dejeuner d'un sac de toile ou d'un vieux panier d'osier. Mme Loudeac avait devine juste. Au moment meme ou elle regardait sa petite fille, a la derobee, d'un air attriste, l'architecte poudreux, la mere de Marthe, si douce et si modeste, Marthe elle-meme avec ses toilettes simples, sa taille grele plutot qu'elegante, son teint un peu brouille, ses nattes de cheveux chatains, sa figure insignifiante (insignifiante pour les perruches qui ne devinaient pas tout ce qu'il y avait de bonte et d'intelligence dans ses grands yeux pensifs et doux), tout cela formait, dans la tete de la perruche, un repoussoir a souhait pour faire ressortir l'idole aux cheveux d'or dans son cadre etincelant. "Et puis, reprit la perruche d'un ton confidentiel, il y a une chose que tu ne sais pas et qu'il faut que je te dise: Alix est tres brave. --Elle est tres brave! s'ecria Mme Loudeac d'un air surpris et amuse. --Oh oui! tres brave, reprit la perruche en secouant gravement la tete a plusieurs reprises. --Et, dis-moi, mignonne, a quoi as-tu reconnu que Mlle Alix est tres brave? Est-ce a sa maniere de danser, ou de manger une tarte aux fraises? --Oh! maman, dit Alice d'un air de reproche. La preuve qu'elle est tres brave, c'est que son oncle l'amiral lui a fait cadeau d'une carabine de salon. --Oh! oh! --Et elle dit qu'elle n'a pas peur de s'en servir. --A present, me voila convaincue. --Oh! ce n'est pas tout. Elle a pleure un jour parce que son papa et son oncle refusaient de l'emmener a la chasse au sanglier. Tu sais ce que c'est qu'un sanglier: une grosse, grosse bete, tres mechante, qui renverse tout, et tue tout le monde, quand les personnes ont peur et ne savent pas se servir de leurs fusils. Alix n'aurait pas eu peur, elle, et elle aurait tire le sanglier avec sa carabine, pan! --C'est decidement une jeune personne tres brave, dit Mme Loudeac d'un ton de legere moquerie. --Oh! reprit la perruche, ce n'est pas comme cette pauvre Marthe Lemoyne, qui a peur des rats, des araignees et des chauves-souris. --Elle te l'a dit? demanda la mere en regardant sa petite fille en face. --Oh non! mais elle dit qu'elle n'aime pas ces betes-la. --Je t'avouerai franchement que je ne les aime pas non plus, et que je n'en ferais pas volontiers ma societe habituelle. --Oh! mais toi, maman, tu n'en as pas peur, tandis que Marthe doit en avoir peur; j'en suis sure, je devine cela a son air. Elle est si..., si timide,... si..., si embarrassee." Ingrate Suzanne! Marthe l'aimait de tout son coeur. Mais, me direz-vous, pourquoi l'aimait-elle? Et moi, je vous repondrai: Sait-on toujours pourquoi l'on aime? Peut-etre Marthe avait-elle devine que Suzanne avait un coeur d'or, et lui pardonnait-elle a cause de cela d'avoir une tete de linotte! Elle l'aimait d'une affection discrete, silencieuse et timide. Elle ne s'offensait pas de ses rebuffades ou de ses dedains, parce que, n'etant pas egoiste, elle songeait peu a elle-meme, et beaucoup a ceux qu'elle aimait. Mme Loudeac, qui voyait clair, etait touchee de ce devouement discret, de cette affection tendre et vraie, de cette patience, de cette absence complete de jalousie et de mauvaise humeur. Avec une affection quasi maternelle, Marthe veillait au bien-etre de sa preferee, qui acceptait ses petits soins comme chose due, sans meme les remarquer; Marthe songeait a lui envelopper le cou d'un foulard ou d'un fichu, pour la preserver de l'air frais de la mer, elle lui retrouvait son eventail ou son livre, toujours egares dans quelques coins mysterieux; et pendant ce temps-la l'autre souriait a son idole, ou boudait son idole pour quelque caprice ou quelque preference; en un mot, elle vivait de son idole et la voyait jusque dans ses reves. Sa petite tete romanesque se complaisait a imaginer mille et une situations ou son idole jouait un role heroique. Par exemple, on faisait une promenade en mer. Le canot chavirait. L'idole se precipitait dans le gouffre, pour en tirer son _bichon_. (Depuis quelque temps Suzanne appelait Alix sa _reine_ et Alix appelait Suzanne son _bichon_.) Donc, la reine arrachait le bichon a la fureur des flots, et venait le deposer entre les bras de sa maman. Et alors la maman deposait un baiser sur le front de la reine, levait les yeux au ciel et se mettait a l'adorer pour la vie. (Pour le moment, et c'etait un des grands soucis de Suzanne, Mme Loudeac temoignait un enthousiasme tres modere pour les vertus et perfections de la reine.) Une autre fois, un cheval emporte faisait mine de fouler le bichon aux pieds. Plus prompte que l'eclair, la reine s'elancait, enlevait le bichon a bras tendus, et tout d'une traite le portait a Mme Loudeac. Baiser sur le front, cela va sans dire, regards leves au ciel. Une autre fois encore, un taureau descendait du plateau, rendu furieux par les mouches. Le bichon va etre encorne et mis en pieces. Oui, mais un coup de feu retentit, le taureau tombe pour ne plus se relever. La reine apparait tenant encore a la main sa carabine de salon. On devine le reste. Un jour que le bichon, la reine et l'humble Marthe avaient fait la dinette a la villa des Tamarix, il leur prit fantaisie de faire un petit tour jusqu'a une plate-forme d'ou l'on voit arriver les bateaux qui reviennent de la peche. Pour etre tout a fait exact, disons que cette fantaisie vint a la reine. Le bichon trouva l'idee admirable--regle generale, la reine n'avait que des idees admirables.--Marthe essaya bien, il est vrai, de faire quelques timides objections. Sans doute, dans un petit village comme Varangues-sur-Mer, ou tout le monde se connait, les enfants peuvent aller et venir sans inconvenient et sans danger, des villas a la plage et de la plage aux villas. Pourtant ne ferait-on pas bien de prevenir Mme Loudeac? La reine, sans daigner repondre, ouvrit la porte a claire-voie, le bichon la suivit, et Marthe, ne voulant pas avoir l'air de leur faire la lecon, les accompagna. La reine continuait a marcher devant, le menton releve, comme il convient a une reine, ayant ses cheveux d'or sur les epaules en guise de manteau royal. Elle avait une si fiere allure, son pas etait si vaillant, si heroique, que le bichon, tout frissonnant d'enthousiasme, se retourna involontairement pour faire la comparaison de cette royale allure avec la demarche modeste de la pauvre Marthe, qui, toute contrite de se savoir en etat de desobeissance, s'avancait la tete basse, d'un pas incertain. "Allons, viens donc", lui dit le bichon; et en lui-meme le bichon pensait: "On la prendrait pour la suivante de notre reine". Tout a coup un cri aigu troubla la tranquillite du soir. Le bichon se retourna vivement. La reine, qui avait perdu toute majeste et meme toute retenue, s'enfuyait a toutes jambes. Sa jolie figure, toute pale, etait enlaidie par une expression de terreur abjecte. "Qu'est-ce qu'il y a?" s'ecria Suzanne epouvantee. Au lieu de lui repondre, la reine, qui semblait avoir perdu la vue aussi bien que l'ouie, la bouscula violemment et la renversa dans la poussiere. Sans prendre le soin de la ramasser, la reine eperdue gagna la porte du jardin, l'ouvrit et la referma brusquement derriere elle. Elle continuait de pousser des cris aigus, bousculant tout sur son passage, et jetant l'effroi dans toute la maison, sans pouvoir expliquer la cause de sa propre terreur. Elle monta l'escalier en courant, et ne s'arreta que quand il lui fut impossible de monter plus haut. Au moment ou Marthe se mettait en devoir de relever Suzanne, qui etait tout etourdie de sa chute violente, un gros ours brun apparut au tournant du sentier. "Sauve-toi, dit Marthe a Suzanne, vite, ma mignonne, sauve-toi, pour l'amour de Dieu." Suzanne, a moitie relevee, retomba sur ses genoux; incapable de faire un mouvement, elle s'affaissa sur ses talons; ses deux mains jointes pendaient inertes devant elle, elle regardait l'ours qui trottinait sans se presser, et ses levres fremissaient. Sans hesiter une seconde, Marthe, tres pale, mais tres resolue, passa devant elle et marcha droit a l'ours. Arrivee a quelques pas de lui, elle leva d'un geste energique la petite ombrelle qu'elle tenait, en criant: "Arriere, vilaine bete! arriere!" L'ours, interdit, la regarda en clignant ses yeux clairs, et, comme elle continuait a s'avancer pour le tenir en respect et donner a Suzanne le temps de fuir, il souffla dans sa museliere et parut prendre une resolution energique. Se dressant a moitie, il s'assit lourdement dans la poussiere et, saisissant le bout de ses pattes de derriere avec ses pattes de devant, il se mit a se dandiner lourdement d'avant en arriere et de droite a gauche. "Oui, oui, je te conseille de faire le beau", dit une grosse voix, la voix d'un grand gaillard en guenilles, qui venait de tourner a son tour le coin du sentier. Cet homme etait tout rouge et tout essouffle a force d'avoir couru. "Ah! brigand! reprit-il en saisissant la chaine de son pensionnaire. Ah! ingrat! ah! malfaiteur! Tu fausses compagnie a ton pere nourricier! tu lui fais suer sang et eau pour te rattraper! tu fais peur a la petite demoiselle. Sais-tu bien ce qui serait arrive si l'autre demoiselle ne t'avait pas si bravement arrete? Tu aurais debouche au milieu du village, et le gendarme aurait mis ton maitre en prison et toi en fourriere!" Il scandait chacune de ses phrases par une bonne taloche appliquee sur le crane de l'ours. L'ours faisait semblant d'avoir peur, et fermait les yeux a chaque taloche; mais il avait l'air de rire dans sa museliere; il montrait ses grands crocs, et sa langue pendait de cote. Aussitot qu'elle vit l'ours en puissance de son maitre, Marthe, sans s'arreter au bavardage de l'homme et aux grimaces de l'ours, saisit Suzanne dans ses bras et la couvrit de baisers pour la rassurer. Les servantes cependant etaient accourues, ainsi que Mme Loudeac. "Elle n'a rien, elle n'est pas blessee, dit Marthe a Mme Loudeac, qui etait devenue toute pale de saisissement. Mme Loudeac prit Suzanne par un bras, tandis que l'autre bras demeurait passe sur les epaules de Marthe. Une fois dans le jardin, la porte bien fermee derriere elle, la pauvre petite fut prise d'un tremblement convulsif. Elle cacha sa tete contre l'epaule de Marthe en sanglotant. Et, au milieu de ses sanglots, elle murmurait d'une voix entrecoupee: "Oh! Marthe, oh! cherie, embrasse-moi." Marthe l'embrassa, et Suzanne retint la figure de sa petite amie tout pres de la sienne et plongea ses regards dans les siens. Est-ce que, vraiment, l'acte d'abnegation et de bravoure folle qu'elle venait d'accomplir, avait embelli Marthe et l'avait comme transfiguree? Ou bien, la reconnaissance passionnee que ressentait Suzanne lui ouvrit-elle tout a coup les yeux? Quoi qu'il en soit, elle s'ecria: "Cherie, belle cherie, oh! que je te trouve belle!" Marthe se mit a rire d'un petit rire embarrasse et dit a l'une des servantes: "Claudine, allez preparer un verre d'eau sucree pour Mlle Suzanne, pendant que nous allons la ramener!" On avait un peu oublie la reine pendant tout cet esclandre. On la trouva dans une des mansardes, la figure cachee dans les mains, et criant a intervalles reguliers: "L'ours! l'ours!" Quand on lui eut bien explique que l'ours ne l'avait pas suivie, que c'etait un ours apprivoise et que son maitre l'avait emmene, elle consentit a descendre. Malgre son aplomb de petite reine, elle fut un peu embarrassee de sa contenance quand on l'introduisit au salon. Suzanne etait etendue sur le canape, la tete contre l'epaule de Marthe, les deux mains dans les siennes, lui murmurant a l'oreille de jolis petits noms de tendresse. A la grande surprise de Suzanne, sa mere temoigna a la petite reine plus de bienveillance que d'habitude. Je le crois bien qu'elle lui montrait de la bienveillance! Ne lui etait-elle pas reconnaissante, cette mere prevoyante et sage, d'avoir pris soin de demontrer elle-meme, et si clairement, a la petite Suzanne combien, malgre sa superiorite apparente, elle etait inferieure a la bonne Marthe? "Rien de grave, ma mignonne, dit Mme Loudeac en tendant la main a la petite reine, une vraie plaisanterie de carnaval. --Ah! si j'avais eu ma carabine! s'ecria la petite reine, qui avait repris son aplomb. --Une ombrelle a suffi", dit Mme Loudeac en regardant Marthe avec tendresse. Elle ajouta, mais interieurement, car a quoi bon frapper les gens qui sont a terre: "Une ombrelle et un bras vaillant!" "On demande Mlle de Gayrel", dit Claudine en entr'ouvrant la porte du salon. Comme Mlle de Gayrel devait partir le lendemain avec sa famille, elle fit ses adieux; ses petites amies et Mme Loudeac lui souhaiterent bon voyage. "Bon voyage!" selon l'intention des personnes, peut signifier: "Je souhaite sincerement que votre voyage soit bon!" ou bien: "Bon debarras!" Les deux fillettes, sans arriere-pensee, donnerent a cette expression son sens le plus favorable. Mme Loudeac, qui n'etait pourtant pas malveillante, lui donna son sens ironique, sans en rien laisser paraitre. Dans sa pensee, elle souhaitait: "Bon voyage!" a l'influence pernicieuse de la petite reine sur l'esprit et le jugement de Suzanne. A partir de la soudaine invasion de maitre Martin dans le sentier des Tamarix, les opinions personnelles de Suzanne subirent un changement considerable sur la question des tresses, sur la condition sociale des architectes et sur bien d'autres sujets. Les parents de Suzanne demeurent boulevard des Invalides, et ceux de Marthe rue de la Tour-d'Auvergne, c'est-a-dire aux deux extremites de Paris; Suzanne suit ses cours, et Marthe les siens; toutes les deux ont des devoirs a faire, des lecons de piano, des lecons de dessin, et chacun des deux papas a ses occupations comme par le passe; chacune des deux mamans ses obligations mondaines, et, malgre cela, les deux petites filles se voient tres souvent. C'est que, quand on tient beaucoup a se voir, on y arrive toujours, meme a Paris. Or les deux mamans tiennent a se voir, et les petites filles aussi. Alors, cela va tout seul. TABLE DES MATIERES LETTRES DE FINETTE A SON AMIE DE COEUR, MICHETTE, A PARIS LA FAUTE DE NONO CHARLES KLIPMANN LES TROIS PETITS CHIENS LE PERE VIAUD INFLUENCE D'UN OURS SUR LES RELATIONS DE TROIS PETITES FILLES End of the Project Gutenberg EBook of Contes a Jeannot, by J. Girardin *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONTES A JEANNOT *** ***** This file should be named 11767.txt or 11767.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/1/7/6/11767/ Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, compressed (zipped), HTML and others. Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over the old filename and etext number. The replaced older file is renamed. VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving new filenames and etext numbers. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000, are filed in directories based on their release date. If you want to download any of these eBooks directly, rather than using the regular search system you may utilize the following addresses and just download by the etext year. For example: https://www.gutenberg.org/etext06 (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90) EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are filed in a different way. The year of a release date is no longer part of the directory path. The path is based on the etext number (which is identical to the filename). The path to the file is made up of single digits corresponding to all but the last digit in the filename. For example an eBook of filename 10234 would be found at: https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234 or filename 24689 would be found at: https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689 An alternative method of locating eBooks: https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL