Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3248, 27 Mai 1905, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 3248, 27 Mai 1905 Author: Various Release Date: February 13, 2011 [EBook #35267] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3248, 27 MAI 1905 *** Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
Suppléments de ce Numéro:
1° L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE MONSIEUR PIÉGOIS
2º un portrait inédit, hors texte, du ROI ALPHONSE XIII
ALPHONSE XIII, ROI D'ESPAGNE
A la veille du voyage en France de S. M. Alphonse XIII, nous avons la bonne fortune d'offrir à nos lecteurs un portrait inédit du roi d'Espagne. Cette photographie a été prise, au palais royal de Madrid, il y a quinze jours, par le photographe de la cour, M. Franzen, représentant en la circonstance L'Illustration elle-même. Le jeune souverain avait bien voulu accorder au premier journal illustré français une pose spéciale, pour laquelle il avait revêtu l'uniforme qu'il doit porter à son entrée à Paris, et il avait mis le grand cordon de la Légion d'honneur.
L'Illustration a tenu à présenter dignement ce beau portrait, et tous ses lecteurs en trouveront dans ce numéro une superbe épreuve remmargée sur papier-carton timbré aux armes d'Espagne.
Dans le numéro de la semaine prochaine, qui sera presque entièrement consacré aux premières journées du séjour à Paris du roi Alphonse XIII, nous encarterons une double page en couleurs, reproduction fidèle du spirituel tableau d'Albert Guillaume, Un Bridge, qui est un des succès du Salon de la Société nationale.
Comme nous l'avons annoncé déjà, le tableau lui-même a été acquis par L'Illustration, qui va en faire le prix d'un concours de jeu de bridge ouvert entre ses abonnés, et dont les conditions paraîtront dans le numéro du 3 juin.
La Tête de Femme, par Henner, que nous avons publiée le 13 mai, a obtenu tout le succès que méritait cette extraordinaire reproduction en couleurs d'une oeuvre de maître. Un certain nombre de nos lecteurs nous ont écrit pour nous demander comment ils devaient encadrer cette belle page.
Il faut la traiter comme un tableau, c'est-à-dire la placer, sans lui ménager de marge, dans un cadre doré assez profond. Il sera bon de protéger la gravure par une glace et d'accrocher le tableau dans un demi-jour, pour éviter que la grande lumière «mange» peu à peu la couleur. En présentant ainsi la Tête de Femme, on a l'illusion d'avoir chez soi un véritable Henner, d'une valeur de dix mille francs.
Nous donnerons prochainement un pendant à cette remarquable gravure.
Le mois de mai ramène dans les jardins de Paris les chansons d'oiseaux et les musiques militaires. Les chansons d'oiseaux sont principalement goûtées par les poètes, les flâneurs neurasthéniques et les amoureux. Les musiques militaires s'adressent à un public plus vaste et de sensibilité moins raffinée. Mais ce public-là, tout de même, est charmant. Il se compose de toutes sortes de personnes, et de conditions très variées. Toutes les semaines, depuis le commencement du mois, je suis allée m'asseoir, au Luxembourg, au milieu d'elles, et je passe là une heure très douce;--une heure de volupté saine et sans complications. Groupés en rond sur l'estrade d'un petit kiosque, parmi les marronniers fleuris, les musiciens d'un régiment d'infanterie me jouent des airs que je connais, et dont la plupart sont empruntés au répertoire d'oeuvres un peu démodées, que raillent les esthètes. Il est possible que les esthètes aient raison de se moquer, et que les airs du Domino noir et du Postillon de Longjumeau, de Faust et du Voyage en Chine, du Trouvère et de Zampa, soient choses de peu d'importance et dont le mérite n'égale point celui des partitions nouvelles; mais, comme je ne sais pas en quoi cette infériorité consiste--et comme aucun des esthètes que j'interroge à ce sujet n'a pu encore me l'expliquer clairement--je m'abandonne, sans fausse honte, au bercement de ces musiques simples. Dans la langueur d'un demi-sommeil, j'observe le caprice des figures géométriques dessinées dans l'air par le petit bâton que tient une main gantée de blanc; et, quand mes voisins et mes voisines applaudissent Espoir charmant, Sylvain m'a dit: Je t'aime, au risque de passer pour une bête, je fais comme mes voisins: j'applaudis.
Il n'y a pas, dans cette foule, que des gens inoccupés: professeurs retraités du quartier latin, mamans et demoiselles, étudiants en récréation; il y a des commis, des ouvriers, des apprentis que la mélodie a cueillis au passage... Ils n'ont pas le moyen, ceux-là, de donner deux sous pour leur chaise; ils font la haie autour des chaises des autres, et debout, un fardeau sur l'épaule ou des paquets plein les mains, ils écoutent; et il y a dans leurs yeux un air de curiosité recueillie que j'aime.
En vérité, ces joies ne sont point superflues, et je crois qu'à Paris surtout l'âme populaire a besoin d'elles. Cette âme est artiste; elle a le goût inné de l'esprit et de la beauté. Sans doute, elle n'entend pas grand'chose aux spectacles «rares», et les proses d'un René Ghil, les vers d'un Viélé-Griffin, les toiles de M. Cézanne et les symphonies de M. Debussy lui causent plus d'effarement que de joie; mais elle a la passion des vieux drames qui font pleurer et des vieilles comédies qui font rire. Que trente musiciens en pantalon rouge s'assemblent, dans un square, pour «souffler» aux oreilles de cette foule un peu simple une «rengaine», ainsi que disent les raffinés, de Massenet, d'Auber ou de Gounod, et la voilà ravie; ouvrez-lui une Exposition de fleurs, elle s'y précipite. Dimanche dernier, quelques milliers de petits bourgeois et d'ouvriers parisiens s'écrasaient sous les serres du Cours-la-Reine pour humer le parfum des oeillets et regarder des roses.
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C'est un tout autre public qu'attire, aux Tuileries, l'Exposition des chiens. Elle ferme aujourd'hui; mais, pendant une semaine, elle aura été l'un de ces rendez-vous d'élégances parisiennes où l'homme et la femme un peu soucieux de leur réputation mondaine ne sauraient être «portés manquants». En province, l'amour des chiens est une vertu naturelle et qu'on ne songe point à étaler; à Paris, beaucoup de coquetterie se mêle à cet amour-là. C'est un snobisme qu'on avoue.
Il n'y en a pas de plus excusable. J'ai flâné, moi aussi, parmi les aboiements, cette semaine, autour des baraques de l'Orangerie. On y respire une odeur de phénol qui est intolérable; mais on y jouit d'un spectacle délicieux. Tous nos amis sont là, compagnons de promenade et de repos, de rêverie et d'aventures: briquets et griffons au poil laineux, dogues grimaçants, tekels au poil luisant, bas sur pattes, épagneuls frisés, retrievers orgueilleux, en robe noire, griffons moustachus, braques, setters si joliment tachetés, terre-neuve et saint-bernard monstrueux, collies follement chevelus, terriers, chow-chows du Laos à museau de loup... Tristes ou gais, hargneux ou caresseurs, indolents, turbulents, dédaigneux, méditatifs ou bavards, ils nous regardent à travers les treillages de leurs niches et semblent ne rien comprendre à ce qui se passe là. Sans doute ils songent (car les chiens ont une logique): «Pourquoi donc nous emprisonner, si l'on nous aime, et qu'est-ce que c'est que cette glorification annuelle du Chien qui consiste à mettre, par amour, pendant une semaine, quinze cents d'entre nous au supplice? Les hommes ont une étrange façon d'aimer...»
C'est surtout sous la tente réservée aux chiens d'appartement que s'élèvent les protestations les plus vives. Ce sont les enfants gâtés de l'espèce. En des niches minuscules, comiquement drapées, ouatées, enrubannées, fleuries, tous sont là: caniches, loulous d'Alsace et de Poméranie, bleinheims, king-charles, havanais, pékinois, levrons, carlins, fox terriers, papillons... gros comme le poing, parés de bijoux, dorlotés, et quand même effarés, rageurs. Ceux-là m'agacent; je les sens inutiles et égoïstes; ils m'agacent pour ce qu'il y a de malsain dans l'espèce de passion puérile qu'ils inspirent. Un seul me plut: c'était un «grand lauréat», primé en plusieurs expositions antérieures, un loulou tout noir, blotti dans l'épaisseur de sa fourrure, un ruban tricolore autour du cou. Il dormait. Son maître (un marchand de chiens) avait aligné devant lui le chapelet de ses médailles; et, parmi cet étalage de hochets, ses petits yeux fermés, son museau minuscule et immobile exprimaient un dédain supérieur des distinctions honorifiques. C'était le sommeil d'un sage.
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Les hommes n'ont point cette sagesse-là, et il est sans exemple qu'on en ait vu aucun, dans le tapage des applaudissements, s'endormir. Nous aimons les louanges; nous aimons les couronnes, et le souci d'avoir de «bonnes places» est un sentiment qui ne nous abandonne jamais. Nous espérions des prix, au lycée; vingt ans après le lycée, nous en demandons à l'Académie.
Elle en a distribué ces jours-ci quelques-uns. Mais on me dit que plusieurs de ces prix furent spontanément décernés par elle, et que c'est sans l'avoir sollicité que M. Alfred Capus reçut de l'Académie, en récompense d'une de ses plus célèbres comédies, jouée naguère au Théâtre-Français, un prix de quatre mille francs.
Cela s'appelle le prix Toirac; et c'est une des plus comiques institutions que je connaisse. Il paraît que le fondateur de ce prix a voulu qu'il fût attribué chaque année à l'auteur de la meilleure pièce jouée, dans les douze mois précédents, sur la scène du Théâtre-Français. Et, comme il y a bien des chances pour qu'une comédie représentée en un théâtre si fameux, et jugée excellente par l'Académie, ait rapporté à son auteur beaucoup d'argent, la volonté du testateur peut être ainsi traduite: «Il m'importe peu de récompenser l'écrivain qui, sans notoriété, sans influence et privé d'appui, aura fait jouer un chef-d'oeuvre sur un théâtre quelconque et dans de telles conditions qu'il n'y aura gagné que peu d'argent... Par contre, je considère comme digne d'être encouragé l'auteur qui, sur la première scène de Paris, aura eu l'honneur d'être acclamé, et de gagner en six mois une fortune. A celui-là, j'accorde un secours de quatre mille francs...»
L'auteur de Notre Jeunesse, qui est un exquis philosophe, n'a pu que
s'incliner devant une décision aussi flatteuse; l'Académie lui offrait
une couronne, il a respectueusement tendu le front. Mais que pense-t-il,
in petto, de la «dernière pensée» de M. Toirac? On aimerait à le lui
faire dire; hélas! il a trop de politesse pour se laisser interviewer
là-dessus.
Sonia.
Le roi d'Espagne, ce jeune souverain de dix-neuf ans à peine, qui arrive à Paris mardi pour sa première visite en France, n'est pas seulement un cavalier accompli, capable de faire belle figure à la parade; il possède une forte éducation militaire, commencée de bonne heure. Dès l'âge de dix ans, Alphonse XIII s'initiait au métier des armes en recevant l'instruction du conscrit, sous la direction d'un officier d'infanterie; le terrain d'exercice était le plus souvent une allée du parc royal où, muni d'un fusil Maüser proportionné à sa taille, il manoeuvrait en compagnie d'une demi-douzaine de petits camarades du même âge. Ceux-ci sont restés ses amis; il ne manque pas une occasion de les distinguer; il les a tous décorés de sa médaille commémorative et de la médaille de la Régence.
Alphonse XIII.
A la gauche d'Alphonse XIII: Le marquis de
Monistrol, petit-fils de la comtesse de Sastago, grande maîtresse de la
reine; les deux fils du comte de Villariejd, petits-fils du feu duc de
Medina-Sidonia, grand maître de la cour; deux fils du comte de
Revillagigedo; le fils aîné du comte de Almodovar; le fils cadet du
général Aguirre de Tejada, comte de Andino, actuellement secrétaire du
roi.
Alphonse XIII, à l'âge de dix ans, faisant l'exercice militaire
avec quelques petits camarades, dans une allée du parc royal à Madrid.
A propos de décorations, rappelons que, lors de son récent voyage à Badajoz, le roi s'est arrêté à Ciudad-Real, afin d'assister à une des messes solennelles célébrées dans l'église Santa-Maria del Prado, qui, depuis des siècles, est le sanctuaire spécialement affecté aux ordres militaires et religieux d'Espagne.
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1. Chevalier
Sanchez Pleitès (Calatrava).--2. Général de Pedro (Calatrava).--3.
Chevalier de Calatrava.--4. Prêtre.--5. Chevalier de Montesa.--6.
Chevalier Barnuavo (Saint-Iago).--7. Général Bascaran, aide de camp du
roi.--8. Le roi.--9. Chevalier Figueroa (Saint-Iago).--10. Chevalier
Sanchis (Saint-Iago).--11. Chevalier de Calatrava.--12. Chevalier de
Saint-Iago.--13. Signor Magdalena, doyen de la cathédrale de
Ciudad-Real.--14. Chevalier Félix Monténégro (Calatrava).--15. Comte de
Coello (Calatrava).--16. Chevalier Postillo (Calatrava) et secrétaire de
l'ordre.--17. Chevalier de Saint-Iago.--18. Duc d'Alcaga (Calatrava).
Le
roi Alphonse XIII entouré des chevaliers des grands ordres militaires et
religieux d'Espagne.
Officieusement ouverte depuis le 1er avril, officiellement inaugurée le 27 mai, la Maison des Comédiens, située à Pont-aux-Dames (Seine-et-Marne), recevra tout acteur qui aura fait preuve de quelque prévoyance en versant à la Société des Artistes dramatiques la somme de 400 francs environ en trente ans; c'est peu de chose; néanmoins, cette somme vaudra à son titulaire, dès l'âge de cinquante-cinq ans pour les femmes, à soixante ans pour les hommes, la jouissance d'une jolie petite chambre, confortable et moderne, agrémentée d'éclairage et de sonneries électriques, complétée par un cabinet de toilette, une salle de bains, une salle de billard, une bibliothèque, et tout cela au milieu d'un jardin, ou mieux d'un parc, d'un véritable parc entouré de prés traversés par une rivière poissonneuse... à une heure de Paris!...
Ce sont les Invalides de l'art dramatique.
L'ensemble des bâtiments construits par M. Binet.
Un des pensionnaires jouant aux dominos avec le
directeur, M. Bouyer.
Et cette oeuvre a été, on peut le dire, créée par un seul homme: Constant Coquelin, entouré, il est vrai, d'un état-major capable de comprendre ses projets, de s'y associer, de lui en faciliter la partie matérielle; aussi, tout bon comédien peut-il se sentir fier d'avoir dans sa corporation un homme de cette trempe. Il faut le voir à la tâche, importuner ses amis, il faut voir la forme exquise qu'il emploie pour obtenir tout ce qu'il désire, intéressant les personnages visés, les plus éminents, les plus illustres, et finissant par les toucher au coeur. Il ne leur demande pas un service, non, il leur procure la joie de faire une bonne action.
L'embarquement pour la promenade.
Il y a longtemps que ce projet généreux et grandiose le hantait. Mais les difficultés de la réalisation étaient grandes. Cependant, il y a trois ans, l'architecte Binet fut convoqué devant le comité de la Société des Artistes dramatiques et, par la voix de son président, M. Coquelin, un plan et un devis lui furent demandés. L'habile architecte fit pour le mieux et, comme, de son côté, M. Coquelin avait intéressé à son oeuvre le ban et l'arrière-ban de ses amis--notabilités du monde des arts, de l'industrie, de la politique, de la presse, de la finance--pierre à pierre l'édifice fut achevé. M. Waldeck-Rousseau, d'abord, MM. Edmond Rostand, Victorien Sardou, Chaumié, J. Claretie, Dufayel, J. Hyde, Tamagno, Bernheim, Meunier et tant d'autres dont les noms mériteraient autant d'être cités contribuèrent ainsi, chacun pour sa part différente, à la fondation de cette «usine à faire du bonheur» selon l'expression de l'un d'entre eux.
M. Coquelin faisant à quelques invités les honneurs de la
Maison des Comédiens.
Mais tous ces dévouements, toutes ces bontés, tous ces dons pour les comédiens, les chanteurs, les danseurs, n'est-ce pas juste? Quels autres plus dignes, malgré leur frivole apparence, de mériter cet intérêt? Qui va-t-on chercher pour secourir pécuniairement les sinistrés de la Martinique, les blessés de Mandchourie, les pêcheurs, les pauvres du Petit Journal? Qui demande-t-on lorsqu'il faut trouver des fonds pour élever une statue à Béranger, à Murger, à Victor Hugo et, aujourd'hui encore, au chansonnier J.-B. Clément? Les comédiens, les chanteurs, les danseurs. Eh bien, n'est-il pas naturel qu'une fois par hasard, quelques grandes cigales travaillent pour leurs soeurs petites?
«On se jette des noms à la tête sans cesse: l'une
entendit Rachel et l'autre Frederick!»--E. Rostand, "Le Verger de
Coquelin".
L'artiste se prodigue toujours avec plaisir, toujours content, ne songeant qu'à être utile. Le grand public même l'a reconnu et a manifesté matériellement sa reconnaissance en achetant en trois mois pour 2 millions de billets de la loterie des Artistes dramatiques pour 15.000 francs de la superbe poésie le Verger de Coquelin, d'Edmond Rostand, en faisant faire 75.000 francs de recette au dernier concert du Trocadéro.
Et le résultat de toutes ces générosités est que, maintenant, vingt-cinq comédiens, en attendant trente-cinq autres, ont pris pension dans ce calme et délicieux asile de Pont-aux-Dames.
Parmi ces vingt-cinq premiers pensionnaires privilégiés il y avait des reines d'antan, et des princesses... hélas! devenues aujourd'hui fort lointaines; il y avait des héros, des empereurs, des rois, d'anciens potentats qui n'avaient jamais vu un tel luxe que peint sur toile de décors et qui n'avaient jamais espéré pour leurs vieux jours un abri aussi confortable. Ils sont là d'hier et, déjà, chacun connaît la vie de son voisin; bien souvent, l'hiver, ils recommenceront, pendant les longues veillées, le conte de leur vie qu'ils ne voudraient plus revivre aujourd'hui, et pour cause...
«Elmire et Dona Sol causent sous les berceaux de façon familière...» E. Rostand: "Le Verger de Coquelin". | «Plus de sombre avenir, de chambres enfumées, et de tous les côtés c'est le côté jardin...»--E. Rostand: "Le Verger de Coquelin". |
Je les ai vus, chacun dans sa chambre, trois jours après leur arrivée, déjà installés, ayant apporté leurs bibelots-souvenirs, points de repère de leur carrière parfois si cruelle et si ingrate; je les ai vus, attendant l'heure du déjeuner en leur petit salon; je les ai vus, au réfectoire, après le: «En scène pour le premier!»--le premier déjeune--crié par l'humoriste directeur Bouyer, un ancien grand premier rôle des théâtres de province, et même du boulevard, administrateur hors de pair; je les ai vus, celles-ci se promenant dans le parc ou s'occupant au potager, ceux-là choisissant leur place pour pêcher ou jouant aux cartes, aux dominos, lisant, riant, chantant; enfin, je les ai vus heureux de vivre et aussi convaincus de leur bonheur que les soirs où ils interprétaient Alceste, Hernani, Mascarille, Scapin, Elmire, Dona Sol, Agnès, Célimène...
Princes, princesses, l'on vous tisse
Des soirs d'or clair et de fin lin
Et le soleil n'est pas factice,
C'est le verger de Coquelin!...
A. Chabert.
Le jardinage dans le «Verger de Coquelin».
LE COURONNEMENT DE S. M. SISAVONG AU ROYAUME DU
LUANG-PRABANG.
--Les "Pou Gnieu Ma Gnieu", représentant les ancêtres des
Laotiens, vont saluer le nouveau roi.
Le nouveau roi porté sur le pavois par les grands du
royaume.
L'attention générale est attirée en ce moment par les événements d'Extrême-Orient sur nos sujets indochinois, si proches voisins et si proches parents des Japonais remuants.
S. M. Sisavong Vong, nouveau roi du
Luang-Prabang, ancien élève de l'Ecole
coloniale de Paris.
Or, il est dans nos possessions du Laos un royaume dont autrefois la splendeur fut grande. Le Lane Sang Horn khao Muong Luang Prabang, royaume des Millions d'Eléphants et du Parasol Blanc, placé sous la protection du Prabang, le bouddha miraculeux, disputa pendant de longs siècles aux royaumes de Siam et de Vientiane la suprématie sur les régions thaïes de la péninsule indo-chinoise.
Aujourd'hui il forme dans notre grande colonie d'Extrême Orient un territoire à peu près équivalent à la Belgique comme superficie. Un commissaire du gouvernement représente auprès du roi le résident supérieur du Laos, sous l'autorité duquel est placé le Luang-Prabang. Les Parisiens se souviennent peut-être encore du Tiao Maha Oupahat, qui vint, avec quelques hauts fonctionnaires laotiens, visiter notre Exposition de 1900. Sa belle attitude fut remarquée. L'Oupahat est le second roi du pays, mais non avec certitude de succession future, et le vieux monarque Zacharino étant mort en 1904, c'est son jeune fils Sisavong qui fut désigné par le gouvernement de la République pour le remplacer sur le trône, conformément à l'avis du Sénam, la haute assemblée du royaume, et pour répondre aux désirs formels du défunt. Le 4 mars dernier, M. Mahé, résident supérieur au Laos, couronnait solennellement le nouveau roi. Il était, pour ce faire, monté de Vientiane, sa résidence habituelle, simple voyage de onze journées à cheval. M. Ladrière, secrétaire particulier, et le docteur V. Rouffiandis, chef du service de santé au Laos, accompagnaient le résident supérieur. A Luang-Prabang étaient venus les commissaires des provinces voisines: MM. Serizier, du Haut-Mékong; Emmerich, du Tranninh et Wartelle, des Hua-Pahn. Tous étaient reçus par M. Vacle, commissaire principal du royaume, l'un des hommes qui ont rendu le plus de services à la France en Extrême Orient. Près de lui se trouvaient M. de Sesmaisons, secrétaire général des colonies, spécialement chargé d'organiser les territoires de la rive droite du Mékong, acquis à la France par le traité récent, le docteur Philipp et dix ou douze fonctionnaires et colons.
Les fêles furent merveilleuses, dans ce pays où la civilisation et le faste de l'Inde ont laissé leur empreinte. Pendant une semaine, les divertissements de toute nature, représentations théâtrales, danses, cortèges, banquets, etc., sollicitèrent Français et Laotiens.
Les gravures que nous publions représentent quelques-unes des scènes dont nous fûmes les spectateurs. L'une des plus curieuses est certainement le salut des Pou Gnieu Ma Gnieu; les ancêtres des Laotiens, venant saluer le nouveau roi. Ils sont trois, couverts de longues étoupes, deux ont sur la figure un énorme masque à face humaine de couleur rouge; le troisième est un animal fantastique, sing, en laotien, que les interprètes traduisent par lion.
Le nouveau souverain du Luang-Prabang, S. M. Sisavong Vong, est âgé d'une vingtaine d'années. Ancien élève de l'Ecole coloniale de Paris où il passa deux ans, il parle couramment le français. L'an dernier, le prince était retourné en France pour y étudier l'imprimerie et faire l'acquisition d'un matériel qui lui permettra de répandre dans tout le pays thaï les idées françaises et d'enlever ainsi aux Siamois de Bangkok le monopole d'éditeurs qu'ils avaient jusqu'à ce jour.
C'est donc à un sincère ami de la France que nos compatriotes du Laos
souhaitaient l'autre jour long règne et prospérité.
A. Baquez.
Une danse indigène, par la troupe du théâtre royal.
La collection de ferronnerie de M. Le Secq des
Tournelles.
M. Georges Berger, président
de l'Union centrale des Arts
décoratifs. Phot. Walery.
On inaugure solennellement, lundi, le musée des Arts décoratifs, enfin définitivement logé au pavillon de Marsan. C'est une date importante dans l'histoire de l'Union centrale des Arts décoratifs, une étape heureuse dans le développement de l'oeuvre d'éducation si intéressante qu'elle poursuit.
Deux conventions, successivement adoptées par le Parlement en 1897 et 1900, ont autorisé l'Union centrale à occuper, pour y installer ses collections, le pavillon de Marsan, au Louvre, et ses dépendances jusqu'au ministère des finances, à charge par elle d'exécuter, à ses frais, tous les travaux d'appropriation et d'aménagement nécessaires. Cette concession lui est faite pour une période de quinze années, à dater de l'inauguration du musée, à l'expiration de laquelle le pavillon et les collections qu'il va abriter feront retour à l'État.
Le pavillon de Marsan, au Louvre, affecté au musée des Arts
décoratifs..
Les salles d'exposition ouvertes sur le hall central. |
Salle de l'art gothique. |
L'Union centrale a dépensé en travaux près de deux millions. Elle a apporté au pavillon de Marsan ses collections admirables et vient de doter Paris d'un musée dont il pourra justement être fier. Mais, de son côté, elle devra une gratitude infinie à M. Redon, l'éminent architecte du Louvre, qui a dépensé des trésors d'ingéniosité et de talent pour adapter à sa destination nouvelle un monument construit d'abord à une tout autre fin.
M. Gaston Redon,
architecte du Louvre.
Phot. Braun, Clément et Cie.
Le pavillon de Marsan était primitivement destiné à la Cour des comptes. Lefuel, son architecte, s'était efforcé de le concevoir à la fois décoratif et habitable. Autour d'un spacieux vestibule qu'encombrait aux deux tiers un escalier trop monumental, il avait disposé sur quatre étages de petites alvéoles pour les conseillers et les bureaucrates, leurs collaborateurs. M. Redon a démoli le grand escalier, supprimé un étage de petits bureaux. Du vestibule, vaste nef de style néo-grec, qu'il a décoré avec un goût sobre et sûr, il a l'air un hall de très grand air, lumineux, gai, où s'arrangeront à merveille les expositions temporaires. Et surtout, par le moyen de sortes de jubés coupant les hautes arcades, au pourtour, il a masqué, avec un art consommé, la criante dissymétrie qui existait entre les deux parties du pavillon, l'une en façade sur la rue de Rivoli et se raccordant, avec ses hautes baies cintrées, avec le décor de la façade du ministère des finances, l'autre s'harmonisant avec l'architecture des Tuileries.
Sur cette élégante nef débouchent, aux trois étages, les salles d'exposition, parmi lesquelles nous mentionnerons, en passant, la salle d'art moderne, celle des arts de l'Orient, de l'art gothique, de la Renaissance, des étoffes, et la salle, donnant sur le Carrousel, où est installée la collection fameuse de ferronnerie de M. Le Secq des Tournelles, généreusement prêtée par le collectionneur à l'Union.
Une des salles du XVIIIe siècle.
Et voilà réalisé ce musée dont rêvait depuis si longtemps l'Union centrale des Arts décoratifs et que son dévoué président, M. Georges Berger, définissait si heureusement «le temple consacré au génie artistique de notre race et à son ingéniosité sans rivale dans les applications du bel art à l'industrie, considérée dans l'universalité de ses productions, depuis les plus magnifiques jusqu'à celles d'un charme usuel».
Il faut en remercier hautement et l'Union et M. Georges Berger.
Gustave Babin.
Le hall central.
LE MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS, AU
PAVILLON DE MARSAN, QUI SERA INAUGURÉ LE 29 MAI 1905.
Rencontre du Christ et de sa mère sur le chemin du
Calvaire.--Phot. Kaiser.
On sait quelle célébrité ont acquise les représentations décennales du mystère de la Passion du Christ, données à Oberammergau depuis le milieu du dix-septième siècle et quelle affluence de spectateurs de tous les pays du monde elles attirent dans ce village de la Haute-Bavière. Au nombre de ceux qui s'y rendirent au mois de juillet 1900 se trouvait M. l'abbé Petit, curé de Saint-Joseph de Nancy; il en revint avec le projet de faire interpréter le drame évangélique aussi fidèlement que possible par les habitants de sa paroisse. Ce projet lui souriait d'autant plus qu'il voyait dans sa réussite éventuelle un moyen d'alléger les lourdes charges résultant de la construction de son église.
Aussitôt il se met à l'oeuvre; il sollicite d'abord et obtient du curé d'Oberammergau l'autorisation de traduire les passages importants de la pièce traditionnelle et d'en reproduire l'ordonnance générale: choeurs, tableaux vivants, scènes principales. A proximité du presbytère, M. l'abbé Petit possède un vaste terrain; avec le concours de M. Jacquemin, architecte, il le transforme en théâtre. La scène, solidement charpentée, est adossée à un mur; sur les côtés se dressent deux portiques pour les choeurs et le tribunal de Pilate; les décors, fort bien brossés et agencés, montrent surtout des panoramas de Jérusalem, et donnent au suprême degré l'illusion de la réalité, grâce à l'heureuse idée qu'on a eue de conserver les beaux arbres de la cour. Une toile de tente couvre la salle immense en plein air, mesurant 21 mètres de largeur, 50 mètres de profondeur, et garnie de gradins où deux mille spectateurs peuvent s'échelonner à leur aise.
Le recrutement des acteurs n'est pas la moindre difficulté de l'entreprise: au mois de février 1904, le curé de Saint-Joseph a formé une troupe de 350 sujets, hommes, jeunes gens et jeunes filles, appartenant tous à sa paroisse; de diligentes paroissiennes se chargent de l'habiller. A la fin de mai, après les répétitions nécessaires, on était complètement prêt, et le succès décisif de l'expérience, devant des milliers de spectateurs accourus de toutes parts, récompensait la vaillante initiative de M. l'abbé Petit et le zèle de ses dévoués collaborateurs.
Une nouvelle série de représentations de la Passion va être donnée à Nancy, cette année, pendant les mois de juin, juillet, août et septembre. Ultérieurement, elles n'auront plus lieu que tous les dix ans, comme à Oberammergau.
Une scène de la "passion" au théâtre RELIGIEUX de Nancy.
--Véronique montrant aux saintes femmes l'empreinte de la face
divine--Phot. Haas.
Au haras de Jardy: "Flying Fox" en liberté.
"Flying Fox" cabré.
L'Illustration ne consacra jamais que de rares vignettes ou entrefilets au sport hippique. Toutefois, un fait sans précédent intervient, qui constitue aujourd'hui une actualité d'intérêt universel. Un cheval anglais, gagnant de plus d'un million sur le turf, fut, en 1900, acheté pour un million par un éleveur français. Depuis août 1903, c'est-à-dire en vingt et un mois, les premiers produits de cet étalon rapportèrent près de deux millions d'argent public à leur propriétaire. Celui-ci, à la veille des grandes épreuves classiques, possède les trois meilleurs poulains qui soient en France et peut-être en Angleterre: un trio d'invaincus. Avec un d'entre eux, Jardy, il s'apprête à disputer mercredi en Angleterre le Derby d'Epsom et a chance d'y renouveler, à quarante ans d'intervalle, l'exploit, resté unique, de Gladiateur. Ces considérations suffisent pour intéresser tous nos lecteurs à l'article qui suit:
Quand, le 7 mars 1900, fut dispersée aux enchères publiques l'écurie du duc de Westminster décédé, la présence de Flying Fox, le héros de la dernière saison sportive, constituait l'attrait sensationnel de la vente. Il venait de réussir, en une seule année (1899), un sextuple event inaccompli avant lui: Deux mille Guinées, Derby d'Epsom, Saint-Léger, Eclipse Stakes, Princess of Wales Stakes, Jockey Club Stakes, les six prix les plus richement dotés d'Angleterre. Au total, avec d'autres victoires moindres, 1.012.125 francs. Flying Fox--«le renard volant» --portait en ses veines les plus nobles courants de sang. En remontant dans son ascendance paternelle directe, on ne trouvait que des «racers» illustres: Orme, son père, l'invincible Ormonde, puis, sans discontinuité de gloire, Bend'Or, Doncaster, Stockwell, The Baron, Irish Birdcatcher!... Cet héritier de tant de glorieux reproducteurs ne pouvait devenir lui-même qu'un grand chef de race. A quel prix monterait-il?.. M. Edmond Blanc résolut de se porter acquéreur.
Une ruade de "Flying Fox". Photographies Tresca.
Gouvernant. Caïus. Adam.
Val-d'Or. Jardy. Génial.
Un lot de pur sang qui vaut environ trois millions de francs.
Depuis vingt-cinq ans, M. Blanc s'occupait avec passion d'élevage et de courses. Déjà, il avait acheté aux Anglais deux reproducteurs de marque. Energy, payé 150.000 francs, était mort après trois saisons de monte, lui donnant une belle lignée: Révérend (père de Caïus), Gouverneur, Rueil, Lagrange, etc., Winkfleld's Pride, acheté plus tard 160.000 francs, lui réservait Quo Vadis, qui devait avoir la chance de gagner le Grand Prix sur meilleurs que lui. Mais M. Edmond Blanc ambitionnait la possession d'un étalon tel que ses produits puissent, de façon certaine et définitive, assurer à la casaque orange une constante suprématie sur le turf français. Cet étalon prestigieux, n'était-ce pas Flying Fox?... Au premier rang des compétiteurs, près de M. Edmond Blanc, figurait le prince de Galles, devenu depuis Edouard VII. Lui aussi, il convoitait Flying Fox pour son haras de Sandringham. Les enchères montèrent: 800.000! 850.000! 900.000! A 900.000, le prince de Galles se tourna vers son entraîneur Porter:
--C'est trop cher maintenant! murmura-t-il.
--Non, Altesse, pas trop cher encore! souffla Porter qui connaissait la vraie valeur du jeune crack.
Malgré cet avis discret, le futur roi d'Angleterre ne persévéra point. M. Blanc, plus tenace, surenchérit contre M. Jahan et l'éleveur américain M. Withney, jusqu'à 984.370 francs, prix auquel lui fut adjugé Flying Fox.
M. Edmond Blanc sur son poney. Les écuries de La Fouineuse.
Lecteur.
Saint-Michel.
Jardy.
Val-d'Or.
Adam.
Les cracks de la génération de 1902 quand ils étaient poulains d'un
an.--Photographies Tresca.
Plus d'un million avec les frais!... C'était un record!...
L'événement fit sensation dans le monde entier. Que donnerait cette audacieuse acquisition?... Les détracteurs évoquaient tout bas les grands chevaux qui furent de médiocres étalons: Gladiateur, Boïard, Salvator, et même Ormonde, duquel ne naquirent qu'Orme et le terne Goldfinck. M. Edmond Blanc gardait la foi.
Les résultats dépassèrent les prévisions des plus optimistes. Installé en sultan au haras de Jardy, Flying Fox donna dans sa première année de monte huit produits dont cinq seulement coururent et rapportent aujourd'hui 1315.000 francs à leur propriétaire. Le million de Flying Fox est déjà remboursé par eux et M. Edmond Blanc a pu, sans risque, supprimer la prime annuelle de 50.000 francs qu'il payait à une compagnie d'assurances pour le précieux étalon.
Parmi ces vainqueurs de la première génération, Ajax s'attribua la part du lion: 654.925 francs. Ajax était une réédition de Flying Fox. Ses cinq sorties furent cinq victoires sensationnelles. Son jockey, Stern, affirmait devoir toujours vaincre avec un animal de telle trempe et au coeur si bien attaché. La carrière d'Ajax fut interrompue prématurément, en août 1904, par un accident malencontreux--tiraillement du ligament suspenseur au boulet antérieur gauche--alors que le crack invaincu achevait sa préparation pour le Saint-Léger de Doncaster. Ajax vint prendre place au stud près de Flying Fox. Le duc de Portland qui, tout récemment, visitait l'établissement de Jardy, déclarait le fils encore plus beau que le père. «Il n'existe nulle part, disait-il, de cheval à lui comparer!»
A côté d'Ajax, le fantasque Gouvernant, qui n'aurait jamais dû perdre le Derby d'Epsom contre plus cabochard que lui, s'adjuge actuellement 550.00 francs.
La seconde génération des Flying Fox, née en 1902, s'annonce plus étonnante que la première. Elle comprend un trio d'imbattables, tel que nulle écurie, de mémoire de sportsman, n'en posséda: Adam (propre frère d'Ajax), Jardy et Val-d'Or. Ils ont montré une si éclatante supériorité sur tous leurs contemporains de France qu'ils semblent n'avoir plus qu'à se promener en triomphateurs sur nos hippodromes. En outre, la victoire de Jardy, l'automne dernier, dans le Middle Park Plate, le derby des deux ans d'outre-Manche, laisse prévoir que les élèves de M. Edmond Blanc peuvent prétendre aux plus hauts trophées sur le turf anglais.
Jardy va s'aligner la semaine prochaine dans le Derby d'Epsom, où il a belle chance de venger l'échec de Gouvernant. Le gain public de ces trois produits de Flying Fox, additionné avec celui de deux autres rejetons du même étalon--Lecteur et Muskerry--s'élève déjà à 620.000 francs. Tout annonce que cette seconde génération gagnera, elle aussi, son million, peut-être deux, avant la fin de la saison[1].
[Footnote 1: Cet article était imprimé quand une épidémie de gourme est venue mettre provisoirement hors de combat, à la veille des grandes épreuves, deux, peut-être trois, des quatre champions de M. Edmond Blanc.]
Voilà donc Flying Fox déjà payé deux fois par ses fils en vingt et un mois. Si l'on y ajoute la valeur marchande actuelle des Ajax, des Gouvernant, des Jardy, des Adam, des Val-d'Or, etc., dont certains dépasseraient, à coup sur, 500.000 francs en vente publique, il est payé cinq fois.
Et nous ne parlons pas des deux ans, des yearlings, des foals, qui représentent aussi des millions, sans doute!...
Enfin, Flying Fox, depuis cinq ans qu'il est au haras, s'est, dès à présent, chargé d'amortir plus personnellement son prix d'achat par les saillies qu'il fournit aux juments étrangères. En 1905, neuf juments des plus fashionables, appartenant aux premiers éleveurs anglais--S. M. Edouard VII, le duc de Devonshire, lord Wolverton, lord Cloumell, etc.--ont traversé la Manche pour être présentées à l'étalon de Jardy. La saillie de Flying Fox coûte 12.500 francs... Une bagatelle!... 12.500 multiplié par neuf donne 112.500 francs.
La cour du haras de Jardy. |
G. Stern. Denman. M. Duret. Le haut personnel de l'écurie Edmond Blanc. |
M. Edmond Blanc, comme il va de soi, réserve à ses poulinières deux bons tiers des quarante saillies que peut fournir annuellement Flying Fox. Ces poulinières forment le plus beau lot de reproductrices dont éleveur puisse s'enorgueillir. A tel sultan il faut un sérail de choix. M. Edmond Blanc ne recule devant aucun sacrifice pour assurer le bon recrutement de ce sérail.
L'année dernière, il donnait 200.000 francs pour la petite-fille de Plaisanterie, La Camargo, qui venait de gagner 880.000 francs d'argent public.
En 1891, à la vente Donon, il avait payé Wandora 98.000 francs. Après six années d'infécondité et d'avortements, Wandora a produit Vinicius, puis Val-d'Or, qui rapportent actuellement plus de 525.000 francs.
Vinicius fut vendu 150.000 francs aux Haras.
Airs and Grâces, par Ayrshire, une lauréate des Oaks, coûta 74.000 francs en 1899. Son premier poulain, Jardy, candidat au Derby d'Epsom, gagne déjà 209.925 francs, en six courses, et le propre frère de Jardy, Louksor, donne les plus belles espérances.
M. Edmond Blanc, en ces dernières années, acheta encore en Angleterre Adoration, par Hermit (65.000 fr.), Santa Felice, par Saint-Simon (65.000 fr.), Choice, par Galopin (55.000 fr.), etc.
Si les deux premières nommées n'ont pas, jusqu'ici, réalisé toutes les espérances de l'acquéreur, il eut, du moins, une compensation avec la dernière dont le vaillant rejeton, Caïus, déjà vingt et une fois vainqueur, s'achemine gaillardement vers les cinq cent mille francs de gain.
Le stud de Jardy s'alimente aussi par lui-même en poulinières de marque. Amie, la mère d'Amicus, d'Ajax, d'Adam et d'Amasis, est une élève du haras. Elle vient de mettre bas un foal, par Flying Fox, qui sera peut-être un nouvel Ajax. Gouvernante, également née chez M. Blanc, a fourni Gouvernant et ce courageux Génial, qui semble de taille à suppléer, au besoin, les Val-d'Or et les Adam.
On conçoit qu'avec de pareils éléments un élevage ne puisse que donner de brillants résultats. L'écurie de courses de M. Edmond Blanc a gagné 1.137.450 francs en 1903. En 1904, avec les Ajax et les Gouvernant, les sommes encaissées s'élevaient à 1.692.758 francs. En 1905, elles atteignent déjà, au lendemain du prix de Diane, 770.700 francs. C'est une somme que les propriétaires les plus favorisés dépassaient rarement naguère avec les gains de toute une année. Et nous ne sommes qu'au début de la saison sportive; les courses plates ont commencé le 15 mars! Le prix du Jockey-Club, le Grand Prix de Paris, le Prix du Président, le Grand Prix de Vichy, tous échus en 1904 aux représentants de la casaque orange, restent à courir. On peut prévoir qu'en fin de saison M. Blanc aura doublé le cap des 2 millions, s'appropriant ainsi un record qui appartenait jusqu'ici encore au duc de Portland.
Un futur candidat au Derby et au Grand Prix: le poulain
de l'année, frère d'Ajax et d'Adam, par Flying Fox et
Amie.
--Photographies Tresca.
Sur vingt neuf prix d'une allocation de 20.000 francs et au-dessus qui ont été disputés en France depuis l'ouverture des courses plates, l'écurie en a disputé vingt et gagné quatorze. Quelles proportions!...
Ces succès, presque décourageants pour ses rivaux, M. Blanc les doit pour la plus grande part au noble, au royal Flying Fox, père d'une si surprenante pléiade de galopeurs. Aussi, tous les sportsmen étrangers qui passent en France tiennent-ils à aller visiter l'établissement de La Fouilleuse, où l'habile Denman entraîne les héros du jour, et le haras de Jardy, où le fidèle Duret veille sur l'étalon-roi, le prince héritier Ajax, et leurs soixante épouses!... La Fouilleuse et Jardy se classent ainsi parmi nos attractions nationales.
Flying Fox est bai, avec liste en tête et trace de balsane postérieure gauche. Bâti en athlète (1m,64 de taille), avec des membres absolument nets, c'est bien le plus puissant type de reproducteur qu'on puisse imaginer. Comme la plupart des chevaux illustres, il a de la fougue et de la volonté. Lâché dans le paddock, il y galope en endiablé. Lors de son arrivée à Jardy, il fut un peu rebelle au travail à la longe, par lequel on maintient en état les étalons. L'âge l'a assagi. Toutefois, il paraît n'aimer que son palefrenier, Yvon. Celui-ci ayant dû se faire remplacer pendant trois jours, Flying Fox fit mauvais oeil à l'intérimaire et refusa obstinément de se laisser laver et nettoyer les pieds par lui. Quand Yvon revint, le cheval reprit toute sa docilité.
Le roi Edouard Vil, qui est un sportsman passionné et gagna naguère le Derby d'Epsom avec Persimmon, voulut, lui aussi, pendant son dernier séjour en France, aller voir dans leurs box les pensionnaires de Denman et ceux de Duret. Sa visite à Flying Fox lui rappela sans doute le jour où, malgré Porter, il n'osa pas surenchérir sur un reproducteur dont le départ laisse inconsolée toute l'Angleterre sportive. À La Fouilleuse, il admira, entre vingt racers, cet Adam, dont une série de malchances a retardé la réapparition en courses cette année. A La Châtaigneraie, où sont les yearlings, il trouva un fils de son étalon Persimmon, qui a déjà la silhouette et l'allure d'un véritable crack: Ouadi-Halfa, que M. Blanc paya foal 37.500 francs.
Et, satisfait de tout ce qu'il avait vu, le souverain, en levant le
verre de porto que lui présentait Mme Edmond Blanc, but «aux succès
futurs» de celui qui a doté la France de Flying Fox et ambitionne de
reprendre, dans les grandes épreuves classiques de la vieille
Angleterre, les traditions de victoire, laissées un peu en léthargie
pour les couleurs françaises depuis le regretté comte de Lagrange.
Rémy Saint-Maurice.
Un galop des cracks de l'écurie Edmond Blanc sur
l'hippodrome de Saint-Cloud.
Notre dernier roman: La Force du Passé, par Daniel Lesueur (Lemerre,3 fr. 50).--L'Accordeur aveugle, par Marcel Prévost (Lemerre, 6 fr.).--Notre prochain roman: Cadet Oui-Oui, par Mme Claude Lemaître.
La Force du Passé.
Il m'est resté dans la mémoire un fort beau sonnet philosophique de Mme Lesueur. En voici les premiers vers:
Morts qui dormez couchés dans nos blancs cimetières,
Parfois, en relisant tous vos noms oubliés,
Je songe que nos coeurs à vos froides poussières
Par des fils infinis et puissants sont liés.
Il y a quelque peu de cette pensée dans le roman dont les lecteurs de
L'Illustration ont eu la primeur. Christiane de Feuillères a été élevée
dans un vieux château, religieusement et sainement, au milieu de
souvenirs anciens et dans de fortes traditions. Aussi ses sentiments et
Mme Claude Lemaître, auteur de notre prochain roman.
son existence entière sont-ils menés par ses ancêtres; elle est liée à
eux par mille fils infinis. Peut être Didier Le Bray, le jeune
architecte qui l'aime et dont elle est éprise, ne subit-il pas aussi
complètement la même influence. La diversité des idées s'oppose à leur
complète union et à leur mariage. Mais un lointain et presque
inconscient atavisme n'inclinera-t-il pas un jour le jeune homme vers
les convictions et vers le mysticisme de la race? Devant le corps
inanimé du père de Christiane, il se met à genou.
Il y a encore et surtout un passé, celui de sa mère, qui tient Christiane, et dont des circonstances tout à fait imprévues finissent par délivrer les deux amoureux. Avec cette entente parfaite du drame dont elle nous a donné maintes preuves, Mme Lesueur a, devant Mlle de Feuillères et son ami, accumulé les obstacles! Quelles morts étranges! Et en même temps, au milieu de ces merveilleuses imaginations, l'étude des caractères ne disparaît pas. En dehors des deux héros, quelle perversité chez Mme Valtin, d'une noblesse d'automobilisme! Quelle brutalité sauvage chez Gérard de Sebourg qu'une seule chose peut dompter: sa fille agonisante! L'enfant mourante a seule rompu les liens qui enchaînaient Christiane de Feuillères.
Ce qui marque ce livre, comme toute l'oeuvre de Mme Lesueur, c'est la phrase habile et ardente.
L'Académie française vient de décerner une de ses récompenses les plus recherchées: le prix Vitet, à l'ensemble des volumes de Mme Lesueur et, en ce faisant, s'est honorée elle-même, comme elle s'était honorée chaque fois qu'elle avait posé ses lauriers sur la tête de celle qui nous charme par ses histoires si bien conduites et si neuves, et par la haute philosophie qu'elle a mise en ses poèmes et dans sa prose harmonieuse.
L'Accordeur aveugle.
M. Marcel Prévost s'est éloigné, pour un moment, de la vie parisienne et des cas de conscience. Nous n'avons ici rien de semblable à cette casuistique subtile et mondaine dans laquelle il est passé maître. Pendant quelques semaines de villégiature au pays gascon, il a rencontré un accordeur aveugle, duquel il s'est servi pour remettre en état un piano abandonné. Quelle part d'amour et de douleur a été octroyée à cet homme? Pourquoi, doué d'un art musical exquis, se borne-t-il à restaurer des pianos? L'aveugle, un jour, lui a confessé sa vie et détaillé ses chagrins. Appelé dans un château voisin par une femme dont la voix est séduisante et la beauté renommée, l'artiste s'est mis à l'aimer. Elle est seule, délaissée par un mari débauché et grossier. Comme le pianiste est jeune, attendrissant, qu'il a un talent merveilleux, la châtelaine lui rend tous ses sentiments. Rien ne fait naître l'amour comme la musique, à deux, surtout en pleine campagne, dans la paix des champs, dans la mélancolie des soirs ou sous les rayons mystérieux d'Astarté. Leur passion reste aussi chaste que profonde. A sa tendresse, le jeune aveugle sacrifie tout. Comme l'amie est absorbante et jalouse, il ne fait entendre ses mélodies que pour elle seule et renonce à toute soirée et à toute gloire.
Dans de pareilles circonstances, c'est toujours la femme qui demande à
quitter la maison conjugale; elle s'énerve dans la vie inquiète et
partagée; elle ne peut longtemps conserver le masque et dérober l'état
de son coeur. Aussi Mme d'Escarpit--c'est le nom de
l'héroïne--songe-t-elle à s'enfuir au loin dans l'espoir d'un prochain
divorce. Mais, atteinte d'une maladie de coeur, frappée encore par ses
émotions amoureuses, elle a des syncopes, elle perd toutes ses forces
et, après avoir vécu tout un hiver en présence de la mort, finit par
s'éteindre aux premières chaleurs de mai. Elle expire pendant que l'ami
lui dit, au piano, les airs aimés et alanguis. Avec quelle subtile
compréhension M. Marcel Prévost nous a rendu ce qu'il y a de plus
particulièrement douloureux en cet aveugle passionné, qui ne voit
l'objet de son amour, ni dans les ravages progressifs du mal, ni après
que la mort a passé! Du moins, il ne gardera pas de la belle Mme
d'Escarpit un souvenir de déchéance. Cette histoire simple, animée et
enveloppée de poésie par M. Marcel Prévost, est une jolie petite chose
d'art et de sentiment raffiné. Aussi lui a-t-on donné un bel écrin. Le
volume est une merveille de typographie et rien n'égale le goût habile
avec lequel ont été aquarellées les nombreuses illustrations de M.
François Courboin.
E. Ledrain.
Mme Claude Lemaître.
Mme Claude Lemaître n'est point une nouvelle venue pour nos lecteurs, et leur suffrage a contribué à consacrer sa réputation; une de ses oeuvres de début. Ma Soeur Zabette, fut, en effet, publiée ici même, il y a quelque trois ans.
Lorsque l'auteur apporta son manuscrit à L'Illustration, sa démarche y rencontra un accueil tout ensemble sympathique et réservé. La sympathie allait spontanément à la personne, une jeune femme parée de grâces naturelles, physionomie ouverte et avenante, regard clair et franc, sourire prompt à s'épanouir dans l'ovale régulier d'un visage délicat, La réserve s'appliquait au manuscrit. Il faut toujours se méfier un peu d'un rouleau de papier contenant de la littérature; or, en l'occurrence, si quelque chose pouvait dissiper cette prudente méfiance, ce n'était pas l'indication préalable fournie par l'écrivain sur le genre de son roman. Etude de moeurs maritimes? D'une si fine main, quelle qu'en fût la dextérité, cette peinture, présumait-on, devait manquer plus ou moins des qualités requises: vérité, vigueur, originalité; elle péchait probablement par trop d'élégance; en un mot, suivant la locution vulgaire, ce n'était pas tout à fait «ça». La personnalité apparente de Mme Claude Lemaître plaidait préventivement contre son oeuvre, faisait douter de son aptitude à traiter de tels sujets; on était porté à lui prêter, en pareille matière, les notions superficielles d'une jolie baigneuse qui fréquente, chaque saison, les plages à la mode, et qui, pour s'y être promenée, coquettement coiffée d'un béret, avoir, sur le sable humide, dessiné des arabesques du bout de son ombrelle, péché aux creux des rochers quelques poignées de crevettes, coudoyé des gens de mer, se croit initiée à la «marine». D'une observation à courte vue, superficielle, incomplète, qu'attendre, au mieux, sinon d'honnêtes tableautins ou de proprettes aquarelles d'amateur?
Eh bien, ces préventions se trompaient d'adresse: le rouleau suspecté ménageait au premier lecteur la plus agréable surprise, et l'on s'empressa de réformer un jugement téméraire, en présentant au public Ma Soeur Zabette, touchante figure de victime volontaire, autour de qui évolue tout un monde spécial dont elle est, mais qu'elle domine de sa supériorité morale, payant d'un coeur généreux, par le sacrifice de son propre bonheur, la rançon du bonheur des siens.
Ah! que nous sommes loin du pittoresque de fantaisie, de l'artificiel, du convenu, de la mièvrerie redoutés! Comme Mme Claude Lemaître le connaît bien, ce monde de la «marine» boulonnaise! Elle l'a observé d'un oeil sagace et compréhensif, ne se bornant pas à la superficie, mais l'explorant à fond, depuis les moeurs et le caractère, jusqu'à l'âme; elle a vécu sa vie, à terre et en bateau, au milieu des matelots et des «matelotes», des armateurs, caboteurs, pêcheurs, saleurs, mareyeurs, ramendeuses de filets, serviciers libérés, retraités, rudes «fieux», filles accortes, veuves de naufragés, mères admirables de résignation et de vaillance virile, capables de remplacer le père auprès des enfants. Aussi comme elle les montre «vrais», et d'autant plus intéressants, dans des compositions simples et claires, d'un style sobre, robuste et coloré!
A quelqu'un qui, après la lecture de Ma Soeur Zabette, lui demandait: «Vous avez voulu faire un roman littéraire?» l'auteur simplement répondait: «J'ignore si mon livre est littéraire, mais j'ai voulu écrire ce que j'ai senti et observé; puis j'ai fait de mon mieux.» Voilà, certes, la meilleure méthode, et l'écrivain n'a pas à regretter de l'avoir adoptée. Mme Claude Lemaître est une femme curieuse et sensible; elle raconte sincèrement ce qui frappe ses yeux, ce que son coeur devine. Et son réalisme ne va pas sans une teinte de poésie, car il est de la bonne école, celle où il y a communion nécessaire entre le romancier et le poète, lequel, a dit Victor Hugo, ne doit avoir qu'un modèle, la nature; qu'un guide, la vérité. Ici, le romancier mérite-t-il le reproche de flatter, d'idéaliser ses personnages pris sur le vif? Non pas: il les met au point, il les éclaire de la lumière qu'il faut pour nous les rendre plus perceptibles et plus intelligibles; ayant discerné leurs sentiments, il les traduit dans leur propre langage si expressif, si savoureux et ce sont là des conditions essentielles de l'art.
Un fort heureux début encouragea Mme Claude Lemaître à persévérer: à la suite de Ma Soeur Zabette, elle publia l'Aubaine, une étude du même ordre, où se détache, vigoureusement dessiné, le type complexe du gros pilote César Rollet, madré compère, joignant à la valeur professionnelle la duplicité d'un homme d'affaires, à la joviale bonhomie la ruse finaude; à la fois prodigue de sa vie et âpre au gain, toujours en quête d'actes de dévouement à accomplir et de marchés avantageux à conclure, aussi fier des écus dont ses sacs sont gonflés que des médailles de sauvetage dont sa large poitrine est constellée.
Puis, par une sorte de coquetterie bien légitime, la souplesse d'un talent varié voulut s'affirmer dans le Cant, spirituelle satire où une main légère, mais impitoyable, soulève, pour l'édification et le salut d'une charmante Française, le masque de l'hypocrite pruderie britannique.
Avec Cadet Oui-Oui, Mme Claude Lemaître revient à un genre où elle a prouvé qu'elle excellait, où elle sait se renouveler, tout en demeurant fidèle à sa formule initiale. Il siérait mal de déflorer par la moindre analyse le roman inédit dont L'Illustration s'est assuré la primeur; mais il est bien permis de dire qu'on y retrouvera--et même à un degré supérieur--les éléments d'intérêt, l'observation pénétrante, la justesse des notations, l'émotion communicative, toutes les solides et délicates qualités littéraires qui ont fait le succès de Ma Soeur Zabette et de l'Aubaine.
Un sauvageon prêt à épanouir ses premières fleurs au premier souffle de l'amour, telle apparaît, au début du récit, la jeune moulière Ambroisine, surnommée Cadet Oui-Oui. «L'ovale de son visage était bien celui d'une de ces madones sculptées dans les bois du Nord et qui servent de proues et de protectrices aux vieux bateaux norvégiens... Les cheveux, les sourcils, la peau, étaient d'un blond monotone de la couleur du miel pâle.» Deux traits caractéristiques: l'ardeur des lèvres rouges et la profondeur des yeux bleus complètent le suggestif portrait de l'héroïne; à lui seul, il laisse pressentir une destinée grosse de tempêtes.
Plus qu'aucune autre, parmi les belles filles de la mer déjà peintes par
Mme Claude Lemaître, cette originale et troublante figure captivera nos
lecteurs, et leur jugement, nous en sommes certains, ratifiera
pleinement l'éloge anticipé d'une oeuvre de tous points remarquable.
Edmond Frank.
Fatale Méprise, par Henri Baraude. 1 vol. in-16, Plon-Nourrit et Cie, 3 fr. 50.--Chère Patrie, par le lieutenant Bilse, auteur de Petite Garnison, 1 vol., Librairie universelle, 3 fr. 50.--En prison, par Maxime Gorki, traduit par S. Persky, 1 vol., Félix Juven, 3 fr. 50.--Miroirs et Mirages, par Mme Alphonse Daudet, 1 vol., Fasquelle, 3 fr. 50.--Les Veillées du Gerfault, par le comte Jean de Sabran-Ponlevés. 1 vol., Bibliothèque de la Chasse illustrée, 3 fr. 50.--Les Revenantes, par Champol. 1 vol. in-16, Plon-Nourrit, 3 fr. 50.--Le Roman d'un chien, par A. Delvallé. 1 vol. in 8°, Delagrave, 3 fr. 50.--Le Double Destin, par Charles Boudon. 1 vol., Messein, 3 fr. 50.--L'Eden, par Sébastien Voirol. 1 vol., Librairie Molière, 3 fr. 50.--La Réponse du Sphinx (notes d'un pessimiste), par Edmond Thiaudière 1 vol., Fischbacher, 2 fr. 50.--Le Maître du peuple, par B. Guinaudeau. 1 vol. in-16. Librairie universelle, 3 fr. 50. Chez les forçats, par Jacques Dhur, 1 vol., Librairie universelle, 3 fr. 50.--Une année de politique extérieure, par René Moulin, 1 vol. in-16, Plon-Nourrit, 3 fr. 50.--Hommes nouveaux, par Fanton. 1 vol. in-16, Plon-Nourrit, 3 fr. 50.--Frédéric Bastiat, sa vie, son oeuvre, par P. Ronce, 1 vol., Guillaumin.Histoire financière de la Législative et de la Convention (t. II), par Gomel, 1 vol., Guillaumin, 7 fr. 50.--Crimée, Italie, Mexique, lettres de campagnes(1855-1867). par le général Vanson. 1 vol., Berger-Levrault, 5 fr.--La Main d'oeuvre dans les Guyanes, par Jean Duchesne-Fournet. 1 vol. in-8°, Plon-Nourrit et Cie, 6 fr.--L'Agonie du catholicisme? par le docteur Rifaux. 1 vol. in-16, Plon-Nourrit, 3 fr. 50.--L'Inde contemporaine et le Mouvement national, par E. Piriou. 1 vol. in-16, Alcan, 3 fr. 50. La Cuisine, l'Hygiène et la Table, bibliothèque de la maîtresse de maison. Librairie de Paris, 56, rue Jacob.--Les Devoirs des petits enfants. par Chassevent. 1 vol. in-32., Librairie Roblot, 0 fr. 60.--L'Almanach-album de la Comédie-Française, acteurs jugés par les auteurs, préface de Jules Claretie, introduction par Léo Claretie, 1 franc.
L'automobile dans l'armée allemande.
En Allemagne: une revue des automobilistes de guerre.
A l'imitation de l'Angleterre et de l'Autriche, l'état-major allemand a créé récemment un corps d'automobilistes volontaires dont l'organisation peut rendre, en temps de guerre, et rend dès maintenant de grands services. Les propriétaires d'automobiles qui désirent faire partie de ce corps se mettent, eux et leurs machines, dès le temps de paix, à l'entière disposition de l'autorité militaire. Pendant les quatre premières années qui suivent leur enrôlement, ils font au moins trois stages chaque année et sont astreints à une discipline d'ailleurs sévère. En revanche, ceux qui ont des grades d'officiers sont autorisés--en Allemagne, la faveur est appréciée!--à porter, en diverses occasions, même en dehors du service, l'uniforme spécial du corps.
Une culture en voie de disparition.
Il s'agit de la culture du safran. Cette culture, autrefois très répandue en France, s'était à peu près restreinte au Gâtinais, où elle perd chaque année de l'importance.
Ainsi, en 1869, 1.143 hectares étaient consacrés à cette culture; et déjà, en 1893, il n'y en avait plus que 477.
Les raisons de cette disparition sont d'ordre climatérique et économique. D'abord, les hivers rigoureux de 1879-1880 et de 1890-1891 ont été très préjudiciables à la plante; et, d'autre part, l'Espagne se livre de plus en plus à cette culture et peut livrer le kilo de safran au prix de 60 ou 70 francs, prix inférieur au prix de revient de la fleur en France.
Il faut remarquer que les usages des stigmates de safran vont aussi en diminuant. Ils servaient autrefois à la teinturerie; aujourd'hui ils ne servent plus qu'en pharmacie, et comme condiment. On sait que la bouillabaisse est colorée et aromatisée avec du safran.
Quoi qu'il en soit, il est certain que cette intéressante culture aura bientôt disparu en France et que sa disparition hâtera encore la dépopulation de certaines campagnes où la culture du safran occupait des familles entières.
Quel doit être le teint des coloniaux?
En faisant choix des recrues pour le service dans les contrées tropicales, on devrait, dit M. C.-E. Woodruff, chirurgien militaire de l'armée des Etats-Unis, éliminer tous les blonds et ne conserver que les bruns. De même, les colons bruns sont préférables aux blonds. Les bruns ont une pigmentation qui les protège contre les rayons actiniques, lesquels sont les plus dangereux des rayons solaires. Aussi, voit-on, dans les tropiques, que les blonds réussissent beaucoup moins bien que les bruns. Ils sont plus vite atteints par la maladie. Et les races méridionales, plus brunes, réussissent mieux, dans la colonisation, que les septentrionales, plus blondes. En réalité, dit M. Woodruff, l'homme est un organisme plus généralement adapté à vivre dans la demi-lumière qu'en plein soleil. On a tort, de façon générale, de rechercher la lumière et de s'y exposer. Nos ancêtres la craignaient et s'en trouvaient bien, dit-il. Ceci est très discutable, car les bienfaits de la lumière pour la richesse du sang ne peuvent être mis en doute. Mais on peut très bien considérer que les peuples méridionaux, plus foncés de peau, sont plus préparés à vivre au grand soleil des tropiques que les septentrionaux, blonds, qui n'ont pas le pigment leur permettant de résister aux rayons chimiques.
Un accident d'automobile.
M. René de Knyff, président de la commission sportive de l'Automobile-Club de France vient d'être victime d'un accident sur la route de Saint-Fourçain à Moulins qu'il parcourait en automobile pour s'accoutumer au circuit de l'Auvergne.
Sur le circuit d'Auvergne: la voiture de M. de Knyff
brisée entre Saint-Fourçain et Moulins.--Phot. Denizot.
Une vieille femme menait à la bride une vache qui se campa au milieu de la route. M. de Knyff obliqua à droite pour passer dans l'espace libre, quand soudain la paysanne eut la fatale idée de se rejeter juste en face de la voiture qui arrivait sur elle. M. de Knyff, d'un violent coup de volant, se rejetait sur la gauche, évitait la paysanne, mais heurtait l'animal, d'où culbute du véhicule et, pour son conducteur, fracture de la clavicule, côtes enfoncées, lésions aux arcades sourcilières.
Le mécanicien, M. Faroux, précipité sur le sol, n'eut que quelques contusions. Mais les paysans accourus faillirent lui faire un mauvais parti en raison de la mort de la vache.
Le colonel de gendarmerie Seurot, commandant des gardiens de la paix de Lyon. Devant le restaurant Michaud, où se tenaient les réunions des grévistes. Camelots chantant la chanson d'actualité sur la grève LA GRÈVE DE LA POLICE LYONNAISE. Phot. E. Bruchon et Quay-Cendre. Le sculpteur Paul Dubois, ancien directeur de l'École des Beaux-Arts, mort le 23 mai 1905. LA MORT DE Mgr FAVIER, ÉVÊQUE DE PÉKING. Le corps exposé dans une chapelle ardente. UN ROI POPULAIRE. Christian IX dans la foule le jour de la «Fête des Enfants», à Copenhague. Phot. Kalkar. A L'EXPOSITION CANINE«Inès» et «Inès I», chiennes terriers à M. le baron G. Lehmann. |
La Commission de la grève. L'agent Feydit, victime du devoir professionnel: il a été blessé par un malfaiteur qu'il avait surpris dévalisant un passant, et que, quoique gréviste, il n'avait pas hésité à arrêter. EXPLOSION D'UNE BOMBE A VARSOVIE La confiserie Troganowski, devant laquelle la bombe destinée au général-gouverneur Maximovitch a éclaté, faisant plusieurs victimes. LES THÉÂTRESAu théâtre Sarah-Bernhardt, la troupe italienne a fait entendre _Zaza_, comédie lyrique en quatre actes, tirée de la comédie de MM. P. Berton et Ch. Simon, qui eut un grand succès au Vaudeville, il y a quelques années, et valut à Mme Réjane un de ses plus incontestables triomphes. La pièce n'a certainement pas gagné à cet avatar, mais la musique de M. Leoncavallo, vive, gracieuse et parfois émouvante, compense largement cette défaillance du sujet; interprétée par un orchestre de premier ordre, des chanteurs excellents, au premier rang desquels brillent Mme Berlendi, MM. Sanmarco et Garbin, _Zaza_ a reçu du public un chaleureux accueil. A l'Odéon, sous le titre de la _Variation_, M. Pierre Soulaine expose, en quatre actes légers et d'observation fine, le cas d'une danseuse de l'Opéra qui délaisse une «position» brillante, mais irrégulière, pour épouser le «jeune homme pauvre» de son choix. L'argent, qui ne fait pas le bonheur mais en facilite singulièrement l'accès, manque dans le ménage; on serait près de se battre si l'amour n'intervenait et n'arrangeait les choses. Il résulte de la comédie que la «variation» la plus scabreuse à exécuter pour une aimable chorégraphe, c'est le pas du mariage. M. Jean Thorel a donné de meilleures adaptations du théâtre allemand que ne l'est sa _Pauvre Fille_, de G. Hauptmann, jouée à la Porte-Saint-Martin, mais il en faut pour tous les goûts: cet honnête mélo, rehaussé de quelques trouvailles dramatiques fort émouvantes, charmera les âmes simples: elles sont assez nombreuses pour former un public. Le Vaudeville vient de remonter les _Demi-Vierges_, de M. Marcel Prévost, et l'événement a prouvé que le succès de cette pièce plusieurs fois centenaire est inépuisable. Mlles B. Cerny et Marthe Régnier, MM. Gauthier et Dubosc, s'y montrent tout à fait remarquables. A signaler encore aux âmes simples et surtout aux petits enfants l'invraisemblable histoire contée aux Folies-Dramatiques sous le titre de les _Millions de Zizi_, par un ou plusieurs auteurs qui ont désiré garder l'anonyme. Ne serait-il pas de la troupe elle-même des Omers dont les amusantes cabrioles sont tout le sel de cette pièce d'été? LA COURSE DE 110 MÈTRES HAIES, AU RACING-CLUB «Fiche von Eberstein», chienne tekel à M. Franc Wehner. |
Note du transcripteur:
Ces suppléments ne nous ont pas été fournis.
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