Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843 Author: Various Release Date: December 30, 2011 [EBook #38442] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0027, 2 *** Produced by Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843
Nº 27. Vol. II--SAMEDI 2 SEPTEMBRE 1843. Bureaux, rue de Seine, 33. Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br. 1 fr. 75. Ab. pour les Dép..--3 mois, 9 fr.--6 mois. 17 fr.--Un an, 33 fr. pour l'Étranger. 10 20 40
Incendie du théâtre de l'Opéra, à Berlin. Gravure.--Courrier de Paris.--Don Francisco Martinez de la Rosa. Portrait.--Inauguration de la Statue de Bichat, sur la place de la Grenette, à Bourg. Statue de Bichat, par David (d'Angers). M. A. Vattemare et son projet d'échange. Médaille.--Une soirée orientale chez M. H... Gravure.--Coots. Portrait et Exercices de Coots.--De l'autre côté de l'Eau. souvenirs d'une promenade par O. N.--Agriculture. Labour et Moisson. Attributs; Moissonneurs à ta Sape; Moissonneuse à la Faucille; Moissonneur à la Faux; Dépiquage des Blés dans les départements méridionaux; Moissonneurs faisant des Meules.--On ne s'avise jamais de tout. Chansonnette. Musique.--Margherita Pusterla. Roman de M. César Cantù. Chapitre V. La Conjuration. Six Gravures.--Bulletin bibliographique.--Théâtre portatif de Campagne. Deux gravures.--Amusement des sciences. Gravure. Rébus Une Devise de Confiseur; Enseigne.
Un incendie vient de détruire le théâtre de l'Opéra de Berlin, c'était le soir du 18 août; l'élite des Berlinois avait assisté à une représentation par ordre dans laquelle madame Pauline. Viardot avait excité le plus vif enthousiasme. Le bruit des applaudissements vibrait encore, quand, sur les dix heures et demie, les soldats du grand corps-de-garde situé en face du théâtre en virent jaillir des tourbillons de fumée. L'officier de garde, à la tête d'une escouade, pénétra intrépidement au milieu des flammes, et parvint à sauver une collection précieuse de partitions. A onze, heures, une foule considérable s'empressait autour de l'édifice, tant pour porter des secours que pour obéir à cet aveugle instinct de curiosité qui trouve à se satisfaire même au milieu des plus grandes catastrophes. Le prince de Prusse, en uniforme de général, dirigeait le travail des pompes; autour de lui étaient accourus le prince Albert, le prince Woldmar, le prince Étienne d'Autriche, le prince Adelbert et le prince Auguste de Wurtemberg. Le roi lui-même, Frédéric-Guillaume IV, les rejoignit à sept heures du matin. Grâce au zèle qu'on déployé, le feu ne consuma que les instruments de musique et une partie de la garde-robe. Le magasin des décorations se trouvant dans un autre bâtiment, on n'a perdu que celles qui avaient servi à la représentation de la veille. On a pu préserver les édifices voisins, le palais du prince de Prusse, celui du comte de Nassau (ex-roi de Hollande), et la Bibliothèque Royale; on avait fait toutefois des préparatifs pour enlever les livres en cas d'urgence.
La toiture s'est écroulée à minuit et demi, et il ne reste plus aujourd'hui, de ce remarquable monument, que des pans de murs crevassés et noircis.
Ce théâtre, commencé en 1710, avait été inauguré, le 7 décembre 1712, par la représentation de César et Alexandre, opéra de Grann; il était situé à l'extrémité de l'avenue Unter den Linden (sous les tilleuls), à l'angle de Fredericks-Strasse. Six colonnes corinthiennes décoraient la façade, dont la plinthe portait cette inscription:
Les statues de quelques auteurs dramatiques allemands étaient placées dans des niches extérieures. La salle, longue de 54 mètres (161 pieds), large de 34 mètres (103 pieds), avait quatre rangs de loges, un parquet, un parterre, et pouvait contenir près de 2,500 spectateurs.
Plusieurs scènes du dernier roman de madame Sand, la Comtesse de Rudolstadt, se passent à l'Opéra de Berlin.
Incendie du Théâtre de Berlin.
Il y a quelques jours, des hommes de lettres, des écrivains politiques s'étaient réunis et suivaient un modeste cercueil; le mort qui s'en allait à sa dernière demeure avec cette escorte avait été un honnête homme et un homme de talent.
Tous les journaux, en annonçant cette fin prématurée de Bert, ont rendu justice, sans distinction de bannière et sans ressentiment de parti, aux nobles qualités de son esprit et de son âme, que rehaussaient la simplicité et la modestie, deux vertus rares de notre temps, et qui courent risque, pour peu que cela dure, d'être tout entières ensevelies, comme vient de l'être ce bon et modeste Bert.
On s'est acheminé vers le cimetière de Vauves, et là les restes mortels sont descendus dans la fosse; le prêtre a béni la terre funèbre, deux voix émues ont prononcé les paroles d'adieu, et les quelques amis qui s'étaient donné rendez-vous autour de ce cercueil se sont séparés. Un monument, ou plutôt une pierre sépulcrale sans prétention et sans faste, simple comme la vie de celui dont elle doit recouvrir les restes, a été volée par la piété de ces fidèles.
Deux simples discours, une simple tombe et une simple inscription! jamais Bert, de son vivant, n'aurait pu croire pour lui à une telle pompe.. Bert, en effet, fut un de ces caractères timides, réservés, ingénus, qui dépensent beaucoup en intelligence, en dévouement, en honnêteté, et qui s'effaroucheront si, par hasard, ils soupçonnent qu'on s'aperçoit de leur mérite: esprits délicats et ornés, coeurs préparés à toute belle action et à tout sacrifice, qui se réfugient à chaque pas de leur existence, et disparaissent dans leur modestie. Il arrive que ces homme, si craintifs et si défiants d'eux-mêmes, remplissent leur vie de nobles actions et de travaux distingués, sans en recueillir la moindre récompense; ils passent inaperçus avec une provision d'idées et de savoir dont la plus mince part suffirait à d'autres pour chercher l'éclat, faire du bruit et se dresser un piédestal.
Quelques privilégiés seulement les connaissent et les apprécient à toute leur valeur; ce sont les hommes assez noblement et assez finement doués pour aller trouver, à travers toutes les grosses réputations effrontées que l'audace et le charlatanisme enfantent, ces talents recueillis en eux-mêmes et voilés, qui se limitent à l'écart et semblent fuir le grand jour avec autant de soin que le recherchent tous ces audacieux coureurs de renommée.
Telle a été la singulière destinée de Bert: il a mis la moitié, de sa vie à être un littérateur plein de goût, un écrivain politique fécond et habile, une âme haute et libre, un bon et courageux citoyen, et le premier barbouilleur de papier venu s'est fait souvent, en vingt-quatre heures, plus de réputation que lui en vingt-quatre ans. Demandes à votre voisin: «Connaissez-vous Hilarion et Andoche.--Parbleu! si je les connais? vous répondra-t-il, ce sont deux grands hommes, deux fameux auteurs: l'un a fait le Coupe-Jarret, feuilleton en trente-cinq parties, dont j'achève en ce moment de lire le dernier chapitre; et l'autre, le Coupe-Tête, roman magnifique que je lirai la semaine prochaine, en attendant le Coupe-Gorge, par le même.»
Mais vous demanderiez: «Connaissez-vous Bert? que votre interlocuteur stupéfait vous regarderait de l'air ébahi d'un homme qui ne sait pas ce qu'on veut lui dire.
Ce qu'était Bert, on vous l'a appris sur sa tombe. Ce n'est qu'au moment où ces honnêtes hommes meurent qu'on y regarde d'un peu plus près et qu'on sent tout leur prix. En remontant leur vie pas à pas, on est tout étonné d'y trouver la trace non interrompue d'une activité morale sans repos et sans faiblesse, qui puisait incessamment sa force à la source des sentiments généraux, pour la mettre au service des nobles causes. Ainsi, Bert a été un des combattants résolus et infatigables de l'opinion libérale: il l'a servie pendant tout le cours de la Restauration, avec la fermeté et la modération qui étaient à la fois lu résultat du sa sincérité et du ses lumières. Ou ne cite pas un seul journal important, pendant cette période de lutte ardente, où Bert n'ait apporté chaque jour son contingent de talent, de savoir, de bon style et de conviction; il a été de toutes les batailles théoriques qui se livrèrent en ce temps-là avec tant de bonne foi et d'espérance, sur le terrain représentatif d'un côté, et de l'autre sur le vieux sol monarchique; et souvent il eut l'occasion de prouver que la résolution du citoyen ne faisait pas faute à la plume de l'écrivain.
Cependant, sous la Restauration, même au plus fort de cette grande querelle où il prenait une part si utile, si intelligente et si active, Bert n'était guère plus connu qu'en ces derniers temps où il avait cessé tout combat. C'est que Bert donnait son patriotisme et son talent, comme ces braves qui versent leur sang à toute rencontre, laissant aux fanfarons le soin de se pavaner après le bataille, et de faire sonner leurs éperons et leur sabre. Bert se taisait, lu! Bert, l'affaire terminée, se cachait derrière les autres, comme un simple soldat, quoique pendant la journée il eût été un des plus savants et des plus intrépides parmi les capitaines. Deux fois cependant Bert se nomma: la première fois pour offrir sa poitrine à une épée ennemie pour en faire un rempart à ses opinions; la seconde fois pour prendre sa place dans la résistance et se ranger du côté de la Constitution violée. Bert fut un des signataires de la protestation de la presse contre les ordonnances de juillet 1830. Il se nomma à deux reprises, ai-je dit, et ces deux jours-là il mit sa vie sur son nom.
Son penchant l'avait entraîné d'abord vers les lettres et le théâtre, mais sa modestie se découragea d'un revers: sa première comédie, bien qu'écrite en vers spirituels et piquants, rencontra un parterre rétif. Bert, inébranlable dans ses sentiments d'honnête homme et dans ses devoir, avait pour tout ce qui touchait à son mérite personnel, la timidité d'un enfant; il se crut condamné sans retour par ce premier échec, et se jeta dans la politique. Souvent, vers la fin de sa carrière fatigué de cette politique si pleine de réalités désespérante, et de déceptions, je l'ai entendu parler avec regret de cet abandon qu'il avait fait de la poésie à son début, et donner à cette première passion de ses jeunes années un souvenir mélancolique.
Il lui en était resté un goût très-fin et très-sûr pour les bons et beaux écrits. Le littérateur se retrouvait souvent sous l'écrivain politique, et, dans les derniers temps, il avait fini par le remplacer tout à fait. Bert, depuis quatre ou cinq années, avait publié une série d'articles de critique littéraire et particulièrement de critique dramatique qui s'étaient fait remarquer par une sagacité d'analyse et une justesse de vues ingénieuses aujourd'hui à peu près passées de mode; on y remarquait à chaque pas, un esprit délicat et sensé nourri aux sources pures.
Cette finesse et ce goût, Bert les avait dans la conversation; mais il fallait qu'il se résolût à parler; il était dans le monde--quand par hasard il y allait--d'une réserve extrême: c'était le silence même; on n'aurait jamais soupçonné l'homme d'esprit dans cette statue d'Hypocrate. Il lui arrivait de n'être guère plus causeur avec ses amis, quoique doux, affable, et d'humeur bienveillante; mais une fois qu'il s'y mettait, il était charmant à entendre, et contait à ravir une foule d'anecdotes piquantes qu'il avait retenues ou qui étaient le résumé du son observation spirituelle et déliée.
Je le rencontrais souvent dans le foyer des théâtres, enveloppé d'une redingote flottante, la main au gousset de son pantalon, l'air distrait, la tête légèrement penchée vers l'épaule, traversant la foule sans la regarder, envisageant souvent ses amis intimes sans les reconnaître, et cherchant un petit coin solitaire, sur quelque banquette, pour s'y asseoir et y rêver. C'était là qu'il faisait bon aller le trouver; en vous voyant, mon Bert s'éveillait comme d'un songe; alors s'il se décidait à causer, vous n'aviez qu'à le laisser faire; vous récoltiez les aperçus les plus justes et les plus fins sur la pièce nouvelle, sur les acteurs ou sur le vieux chef-d'oeuvre qu'on venait de représenter, tout cela du ton le plus naturel et le plus simple du monde; tandis qu'un peu plus loin, tous les grands braillards du foyer se démenaient avec les grands éclats de leur ignorante vanité et faisaient grand tapage pour n'accoucher souvent que de paradoxes ou de sottises.
Après une vie si pure, si laborieuse et consacrée tout entière au pays, après un acte de dévouement public où il avait exposé sa tête pour la défense des lois, il ne manquait plus à Bert que de mourir pauvre et ignoré; c'est ce qui lui est arrivé; il est mort très pauvre en effet, et cet homme probe et désintéressé, qui s'était épuisé dans la lutte soutenue pour la cause de la France, n'a été accompagné au cimetière de Vanves que par un petit nombre d'amis! Ceci donne une idée des beaux sentiments et de la reconnaissance du temps où nous vivons.
--Passons à quelque chose de moins triste. Le héros de l'aventure n'est pas un simple mortel, un de ces hommes de rien, comme Bert, qui n'ont pour fortune que beaucoup de talent, de coeur et d'esprit; il s'agit d'un grand personnage, d'un très-grand personnage; on n'approche de lui qu'en s'inclinant; des peuples nombreux lui obéissent; il descend d'une race dont le blason remonte tout au moins au déluge, et se pare de titres les plus solennels et les plus magnifiques; c'est un puissant seigneur enfin qui s'assied sur un trône et porte une couronne au front; quant à son royaume, prenez la carte du monde, et tâchez de deviner sous quel degré de latitude il est situé et vers quel point de l'horizon, à l'orient ou à l'occident, au nord ou au midi. Il faut bien laisser quelque chose à votre sagacité.
Un beau matin, donc, ce noble prince était assis dans son cabinet, sur un vaste fauteuil de velours à crépines d'or et de soie; de ses deux mains il tenait un livre ouvert et magnifiquement relié, et fixait sur le vélin un oeil sérieux et attentif. Le premier ministre entra en ce moment pour traiter, sans doute, des plus importantes affaires de l'État. Au bruit de ses pas, le prince, continuant à garder le livre immobile entre ses mains, et tournant la tête du côté de l'excellence: «Chut!» lui dit-il d'un air à la fois prudent et mystérieux; le ministre avançait toujours; «Chut! chut!» continua le prince, en reportant sans cesse ses regards sur le livre avec une attention inquiète et persistante.
«Qu'y a-t-il donc? rumina le ministre à part lui; sans doute Sa Majesté est occupée à méditer quelque passage profond de ce livre précieux: une pensée philosophique ou politique, ou diplomatique...» Et cependant il allait toujours; «Chut! chut! chut!» dit le prince pour la troisième fois; et au même instant il ferma le livre avec violence; le ministre en tressaillit, et crut voir, dans cette vivacité, un signe de colère et une disgrâce.
Mais le prince: «Enfin, je la tiens!» s'écria-t-il; et son visage annonçait la joie la plus vive: «Je la tiens! je la tiens!--Quoi donc? la grave question qui occupait tout à l'heure l'esprit de Votre Majesté?--Non; la mouche! la mouche qui s'était posée là, sur cette page; la mouche que je cherchais à attraper depuis une demi-heure.»
Heureux peuple, dont le prince ne s'occupe qu'à prendre des mouches!
--Nous venons de parler d'un simple homme de talent et d'un prince bonhomme; parlons maintenant d'un grand homme. La diversité plaît.
On sait quelle émotion excita en France l'arrivée des glorieux restes de Napoléon; les villes et les campagnes par où passait le noir cortège s'inclinaient; tout dissentiment avait disparu; pour tout le monde, Napoléon n'était plus qu'une grande ombre poétique, qui glissait à travers les mers et sur les fleuves, pour venir retrouver la terre de la patrie et s'y reposer éternellement dans son héroïque linceul, partout les imaginations étaient émues.
Rouen, la ville énergique, se distingua particulièrement par son enthousiasme; dans l'ardeur de son émotion, le peuple rouennais se porta à l'Hôtel-de-Ville, et demanda que le fait mémorable du passage dans ses murs des restes du héros fût consacré par un monument durable; la municipalité s'associa à ce voeu populaire, et les souscriptions arrivèrent de tous côtés.
Aujourd'hui la ville de Rouen est satisfaite: une médaille d'un travail précieux est achevée, et perpétuera la mémoire de l'élan patriotique des Rouennais. Cette médaille est un chef-d'oeuvre d'exécution et de pensée; on devine que le graveur, M. Depaulis, un des habiles et des renommés de notre art numismatique, inspiré par la grandeur du sujet, s'est attaché à mettre dans son oeuvre toute la force et toute la finesse de son pur talent.
Sur la face de la médaille, ou voit la tête de Napoléon; cette noble tête est présentée de profil, ceinte du laurier impérial, et appuyée sur l'oreiller mortuaire; les traits sont d'une beauté exquise; bien que la mort vienne de les saisir, je ne sais quoi d'héroïque et de grand vit toujours en eux; le mouvement est absent, mais il semble que la pensée subsiste, et il y a une admirable expression dans cette immobilité. Le dessin, le modelé, les moindres détails sont achevés; c'est tout à fait du grand art, de cet art des maîtres, qui attire, captive et fait rêver.
Au revers s'élève l'arc-de-triomphe sous lequel l'illustre cercueil a passé; au loin, la ville et ses tours pavoisées, pendant que le vaisseau qui porte le mort immortel glisse sur les eaux du fleuve. Cette dernière partie de l'oeuvre offrait, sous le point de vue de la composition et de l'exécution, des détails infinis et d'une difficulté dont un talent supérieur, comme celui de M. Depaulis pouvait seul triompher.
Le nom de M. de Joinville se mêle naturellement à cet épisode du poème napoléonien: c'est M. de Joinville qui est allé demander Napoléon à la terre de l'exil; c'est lui qui a suivi la grande ombre sur les mers. On se plaît à voir un jeune prince ardent, qui a l'avenir devant lui, accompagnant un cercueil plein de si grands souvenirs.
--Voulez-vous avoir un échantillon du grand zèle avec lequel certains bureaucrates se dévouent au soin des administrés, et savoir de quelles graves affaires ils s'occupent parfois? Quelqu'un que je connais biens,--c'était peut-être moi-même, --avait un rendez-vous l'autre jour avec un chef supérieur d'une grande direction.
L'antichambre était encombrée de solliciteurs: les uns attendaient depuis une heure, les autres depuis une demi-heure, mais tous attendaient. C'était partout des plaintes et des hélas! «Quand mon tour viendra-t-il? Qu'est-ce qu'il fait donc? Ça n'en finit pas! Ah! mon Dieu!»
Enfin la porte s'ouvre et l'on m'introduit. Que vis-je en entrant? Mon homme, le nez collé contre les vitres de la fenêtre. «C'est vous!.... dit-il. Savez-vous ce que je faisais là? je regardais passer les omnibus, et j'en ai compté dix de suite qui étaient complètement vides.»
Est-ce que le cerveau de certains administrateurs serait aussi vide que ces dix omnibus?
--On annonce le prochain départ de Rossini: il y a près de trois mois que l'illustre maestro est à Paris. Le monde musical a été chez lui en pèlerinage, depuis le plus obscur fabricant de notes jusqu'au plus illustre: on s'est agenouillé, on a supplié, mais personne n'y a fait: Rossini ne veut plus que soigner son estomac. Le plus grand ennui qu'on puisse lui causer, c'est de lui faire entendre seulement une note; il tressaille aussitôt comme un hydrophobe à la vue d'une rivière.
Dernièrement un de nos plus ingénieux compositeurs lui parlait d'un morceau de chant qu'il venait de composer. «Je serais bien aise d'avoir votre avis et vos conseils, dit-il au maître; voulez-vous que j'aille chez vous demain?--Oh surtout point de musique chez moi! s'écria Rossini avec effroi.
Qu'a donc fait la musique à Rossini? Quant à Rossini on, sait ce qu'il a fait de la musique: dix chefs-d'oeuvre et une foule d'opéras charmants. Est-ce une raison pour tant lui en vouloir?
--Mademoiselle Rachel est revenue: elle a joué vendredi dernier le rôle de Pauline. La canicule est peu favorable à ces ovations dramatiques; tandis que le parterre est occupé à respirer et à s'essuyer le front, il oublie d'avoir de l'enthousiasme. Cependant mademoiselle Rachel a excité des bravos suffisants pour des bravos du mois d'août.
--L'affaire de MM. Alexandre Dumas et Jules Janin est complètement enterrée; on n'en parle plus. Qu'on me permette cependant d'ajouter encore quelques mots pour lui servir de De profundis définitif.
Un des témoins du feuilletoniste, voyant le trouble et l'inquiétude de madame Janin, lui dit spirituellement: «Eh! mon pauvre ami, tu te trompes; ton duel n'est pas avec Dumas, mais avec ta femme.»
M. Jules Janin répondit: «Que veux-tu? la pauvre petite n'est pas encore habituée à ces choses-là; c'est sa première affaire!»
--M. Alexandre Dumas, à peine remis de ce combat sanglant, vient de lire une comédie en trois ou quatre actes à MM. les comédiens français: l'ouvrage a été reçu, cela va sans dire. Vaut-il un peu mieux que les Demoiselles de Saint-Cyr? je n'en sais rien; toujours est-il que M. Alexandre Dumas à grand besoin d'un succès pour panser les blessures qu'il s'est faites à lui-même sa ridicule affaire contre M. Jules Janin.
Don Martinez de la Rosa naquit à Grenade en 1786. Il était l'aîné d'une famille qui tenait un rang honorable dans la noblesse espagnole. Le premier acte de sa volonté fut une protestation énergique et généreuse centre les privilèges de la naissance; il ne voulut pas pour lui du droit d'aînesse et partagea avec ses frères l'héritage paternel. Enfant encore, il entendait de loin le bruit de notre grande révolution, et le spectacle de nos luttes intestines lui appui de bonne heure à distinguer la liberté qui fait les nations grandes et fortes de licence, qui les énerve et les dégrade. Cette première impression de sa jeunesse, loin de s'effarer, l'a guidé au contraire toutes les phases de sa vie.
L'invasion de sa patrie par une armée française, cette irréparable faute de Napoléon, surprit don Martinez au milieu de ses travaux littéraires; il publiait à Salamanque un cours de littérature et de philosophie. L'indépendance nationale trouva en lui un éloquent défenseur; il ferma ses livres, renonça à ses douces et studieuses occupations, et mit sa plume au service de cette noble cause. Il se fit journaliste et contribua puissamment à développer les généreux instincts populaires, force mystérieuse contre laquelle, se brisa la puissance gigantesque de l'Empire.
Après l'invasion de l'Andalousie, quand le droit dut un instant céder à la force, don Martinez se réfugia à Cadix et de là il passa en Angleterre, triste exil où il ne cessa de regretter la patrie absente et opprimée, sentiment plein d'amertume qui lui inspira quelques-unes de ses plus remarquables poésies. El Recuerdo de la patria (le Souvenir de la patrie), entre autres, est à lui seul un petit poème aussi remarquable par la délicatesse du rhythme que par les sentiments tendres et élevés qu'il exprime. Qu'importent à l'exilé les splendeurs de cette cour opulente, les richesses industrielles de l'Angleterre, et ces femmes blanches et roses, aux yeux plus bleus une l'azur du ciel, aux cheveux qui paraissent de l'or pur? Les gracieux yeux noirs, le pied léger, le teint brun des femmes de la patrie n'effacent-ils pas ces froides beautés du Nord? Une triste et touchante invocation au fleuve paternel, Padre Dauro, termine cette plainte harmonieuse.
Francisco Martinez de la Rosa.
Le temps de l'exil ne fut pas seulement consacré à des regrets stériles, le littérateur reprit ses travaux interrompus et publia à Londres, en 1811, un poème en six chants où furent réunies toutes les règles de l'art poétique espagnol. Cet ouvrage manquait à la littérature nationale. La compilation de préceptes rassemblés sans ordre et sans méthode par Juan de la Cueva était le seul code poétique de la poétique Espagne, et don Leandro Fernandez de Moratin avait signalé ce vide regrettable. Notre jeune poète se proposa de le remplir, et son poème, auquel il a joint des notes fort étendues, pleines d'érudition et d'idées justes, lui assigna dès lors une place élevée dans la littérature contemporaine. Il publia en même temps des appendices sur la poésie didactique, sur la tragédie et la comédie, études sérieuses qui complétèrent l'oeuvre de Juan de la Cueva.
Mais la bouillante ardeur du patriotisme espagnol ne supporta pas longtemps l'oppression étrangère. L'insurrection, qui jusqu'ici avait marché sans ordre et sans but, sans chef pour diriger et coordonner tous ses efforts, s'organisa enfin. A la junte suprême avait succédé un gouvernement constitutionnel dirigé par les Cortès au nom du roi Ferdinand, alors prisonnier en France.
Don Martinez, de la Rosa quitta l'Angleterre et vint aussitôt offrir ses services au gouvernement national. La prise de Saragosse et les malheurs qui avaient suivi l'héroïque résistance de cette énergique cité lui inspirèrent un poème intitulé Saragozza, cri d'indignation et de douleur qui fut répété par toutes les bouches et commença la réputation du poète.
Peu de temps après, il fit représenter à Cadix, pendant que l'armée française en faisait le siège, sa tragédie de la Vence de Padilla, un des sujets, les plus populaires de l'Espagne. Cette oeuvre dramatique, que la lecture des tragédies d'Altieri avait inspirée à don Martinez, eut un prodigieux succès; elle fut représentée, non au théâtre, que les bombes françaises menaçaient, mais dans une baraque où la foule se pressait pour voir cette grande figure historique, cette tirana de Toledo, comme dit un historien, que todos le acalaban no como à muger mas como à varon heroico.
Ces succès désignèrent le jeune poète à l'attention des Cortès, qui étaient alors alliées à toutes les cours européennes. Don Martinez fut chargé de diverses missions diplomatiques, et lorsque la catastrophe de 1814 eut entraîné avec elle le trône du faible Joseph, les électeurs renvoyèrent à la première assemblée des Cortès constitutionnelles le poète patriote qui avait chanté les gloires et les malheurs de la patrie en face de ses injustes oppresseurs.
On sait comment Ferdinand VII reconnut les services des patriotes constitutionnels qui lui avaient conservé son trône.
Don Martinez, fut enveloppé dans la proscription générale et exilé en Afrique. La encore il s'inspira des souvenirs de la patrie et écrivit sa tragédie de Morayma, un des plus poétiques épisodes de ces longues guerres de Grenade si naïvement racontées par les romanceros et les historiens contemporains.
La révolution de l'île de Léon, en 1820, rendit don Martinez à la liberté et l'associa au nouveau au mouvement politique, dont il allait être bientôt un des chefs importants. Élu député par Grenade, sa ville natale, il ne tarda pas à recevoir de ses collègues un témoignage éclatant de l'estime qu'ils attachaient à son beau caractère et à ses talents: il fut appelé à la présidence des Cortès. En 1822, Ferdinand nomma don Martinez de la Rosa ministre des affaires étrangères, et le chargea de composer le cabinet. La ligne de conduite prudente et ferme, la politique modérée du nouveau ministère, susciteront contre lui les partis extrêmes, les communeros et les descamisados. Il fut renversé le 7 juillet 1822, et Ferdinand n'ayant plus le choix qu'entre un libéralisme outré et le pouvoir absolu, n'hésita pas un seul instant.
La contre-révolution obligea de nouveau don Martinez à la fuite; mais cette fois il put suivre l'inspiration de son coeur, et vint se fixer en France, où il demeura pendant sept ans. Il publia en 1826, à Paris, une édition de ses oeuvres où se trouve, en outre de celles que nous avons citées déjà, la spirituelle comédie de la Nina en casa y la madre en la Mascara, une traduction en vers de l'épître d'Horace aux Pisons et la tragédie d'Oedipe.
Pendant son séjour en France, nos moeurs, notre esprit, notre langue, lui devinrent tellement familiers qu'il composa pour le théâtre de la Porte-Saint-Marlin un drame historique intitulé: Aben-Humeya, ou les Maures sous Philippe II.
Mais le contre-coup de la révolution de Juillet qui se fit sentir en Espagne rappela bientôt l'exilé dans sa patrie. La chute du ministère Zéa-Bermudez appela une fois encore aux affaires le parti modéré dont Martinez, de la Rosa était devenu le chef. Le 15 janvier 1834, la reine-régente le choisit pour ministre des affaires étrangères et lui confia la présidence du conseil. Des actes empreints de grandeur et de sagesse signalèrent son administration. Les Mina, les Quiroga, les Isturitz, et tous ces proscrits illustres dont il avait partagé les efforts, les espérances, les dangers, furent rappelés par lui dans la mère patrie. Le 10 avril, il publia l'Estato real, oeuvre pleine de sens et de modération, qui réglait la limite du pouvoir royal et celle du pouvoir populaire.
Mais l'Espagne n'était pas prête encore pour ce régime tempéré; les passions politiques étaient loin d'être amorties, et de longues et ardentes divisions devaient déchirer encore le sein de ce malheureux pays. La triste victoire d'Espartero sur la reine-régente éloigna une fois encore don Martinez de sa patrie. Il rentra en France, où il retrouva cette douce hospitalité qui seule, pourrait consoler de l'exil, si quelque chose pouvait en consoler. Il reprit ses travaux littéraires, et publia en 1836 un nouveau volume on se trouvent de charmantes poésies légères, douce et riante mélodie au milieu de laquelle un entend de loin en loin une note sombre et douloureuse: c'est le cri de souffrance de l'exilé. Nous citerons entre autres la Soledad, la Muerte, un sonnet intitulé Mis Penas, et cette inscription pour le tombeau d'un émigré: «Que la terre te soit douce et légère... si la terre étrangère peut l'être jamais!»
Appelé, au mois de mai dernier, à présider le neuvième congrès historique réuni dans une des salles du Luxembourg, il y prononça un discours fort remarquable dont nous avons indiqué le sujet au commencement de cette notice. Il y déploya un luxe d'érudition, un esprit vif et pénétrant, une observation fine et profonde, qui excitèrent plus d'une fois les applaudissements de la savante assemblée.
Les événements qui se pressent en Espagne y rappellent don Martinez, dont l'avenir se lie désormais à celui de la prospérité, de la gloire et de la vraie liberté de sa patrie.
Dans les premiers mois de 1794, par une froide matinée d'hiver, une foule de jeunes gens se pressaient sur les bancs de l'amphithéâtre de l'Hôtel-Dieu, où professait l'illustre Desault. Bientôt celui-ci entra aux applaudissements de son nombreux auditoire et appela l'élève qui devait suivant l'usage, analyser la leçon de la veille. L'élève désigné ne se présentant pas, le professeur demanda si quelqu'un dans l'auditoire pouvait le remplacer.
On vit alors se lever un jeune homme d'un extérieur modeste; nouvellement arrivé à Paris, il n'était connu que du bien peu de ses condisciples, et ce fut avec quelque embarras qu'il prit la parole au milieu d'un profond silence. Mais bientôt un murmure d'approbation courut dans l'amphithéâtre; la pureté de son style, la netteté de ses idées, l'exactitude de son résumé, annonçaient un professeur plutôt qu'un étudiant. Quand il eut fini sa lecture, Desault, vivement impressionné, le fit approcher de lui, et lui adressant la parole avec ce ton brusque mais plein de bonté qui lui avait valu parmi ses élèves le surnom de bourru bienfaisant: «Mon ami, lui dit-il, quel âge avez-vous?--Vingt-deux ans, monsieur.--Où êtes-vous né?--A Thourette, dans la Bresse, actuellement département du Jura.--Depuis combien de temps étudiez-vous la chirurgie?--Depuis trois ans.--A Paris?--Non, monsieur, je n'y suis que depuis quelques mois; c'est à Lyon que j'ai commencé mes études.--Vous y avez suivi les cours de Marc-Antoine Petit?--Oui, monsieur; et même ce professeur a bien voulu m'associer à quelques-uns de ses derniers travaux.--C'est un grand chirurgien, il vous a deviné, et moi aussi je vois ce que vous êtes et ce que vous deviendrez un jour.»
Puis entraînant le jeune homme vers une embrasure de fenêtre: «Écoutez, lui dit-il, vous êtes bien jeune pour vivre seul dans une grande ville; de bons conseils ne vous seront pas inutiles; les études à Paris sont coûteuses et demandent à être bien dirigées; venez chez moi, vous y serez traité comme mon fils, vous profiterez de mon expérience, et vous me succéderez un jour... bientôt peut-être.»
Et comme le jeune homme, tout surpris d'une offre pareille, semblait hésiter: «C'est entendu, lui dit-il; après la leçon je vous emmène avec moi. A propos, comment vous nommez-vous?--Xavier Bichat.»
Tel fut, en effet, le début à Paris de Marie-François-Xavier Bichat, l'un des génies les plus étonnants qui aient illustré la médecine. Après avoir passé sa première enfance près de son père, médecin et maire du petit bourg de Poncin-en-Bugey (Ain), il avait fait ses études classiques au collège de Nantua, puis au séminaire de Lyon, et s'était ensuite livré à son goût pour l'art de guérir. Interrompu dans ses travaux par les troubles politiques, il avait quitté Lyon après le siège de cette ville, non sans regretter les leçons et le savant patronage de son premier maître; heureusement le génie de Desault devina celui de Bichat, et loin de lui porter envie, loin de chercher à l'arrêter dans son essor, il l'adopta et ne négligea rien pour le développer, donnant ainsi un grand exemple.
Bichat se montra digne d'une pareille amitié; il se livra à l'étude avec plus d'ardeur que jamais, partagea tous les travaux de son illustre maître; et quand, dix-huit mois après, la mort vint le lui ravir inopinément, il devint à son tour l'appui de la veuve et du fils de celui qui l'avait traité en père.
De 1795 à 1798, il publia plusieurs ouvrages résumés des leçons de Desault, ou fruits de ses propres études. En 1797, il entra dans la carrière du professorat, et fit un cours d'anatomie et d'opérations chirurgicales. En 1798, il aborda la physiologie et la médecine proprement dite, et publia, en 1800, ses belles Recherches physiologiques sur la vie et la mort. La même année il fut nommé médecin de l'Hôtel-Dieu, quoique à peine âgé de vingt-huit ans.
Entièrement livré à son service d'hôpital et aux études de l'amphithéâtre pendant la journée, il passait les nuits à composer ses immortels ouvrages; et ce fut ainsi que, grâce à une immense capacité pour le travail et à une facilite prodigieuse, il publia en quelques années des chefs-d'oeuvre qu'il devait, ce semble, avoir à peine le temps d'écrire, et parmi lesquels son Anatomie générale est un de ses beaux titres de gloire.
Cherchant sans cesse dans l'examen de l'homme mort les traces laissées par la maladie, il fit faire un grand pas à l'anatomie pathologique, dont on peut le regarder comme le créateur; enfin il méritait ce que Corvisart disait de lui: «Personne, en aussi peu de temps, n'a fait tant de choses et aussi bien.»
Épuisé par le travail et par les veilles, il refusait de suivre les conseils de ses amis, qui cherchaient en vain à lui faire prendre du repos. Depuis quelque temps il souffrait d'indispositions fréquentes, lorsque, vers la fin de juin 1802, il fit une chute en descendant un escalier de l'Hôtel-Dieu, et perdit connaissance. Le lendemain il voulut, néanmoins, faire encore son service à l'hôpital, mais il s'évanouit au milieu de sa visite. Ramené chez lui, il succomba quatorze jours après, dans la maison de Desault, et fut pleuré par la veuve de son père adoptif, qu'il n'avait pas quittée.
Sur la demande de Corvisart, et par les soins du premier Consul, une table de marbre, placée, le 2 août 1802 dans le vestibule de l'Hôtel-Dieu, atteste, la reconnaissance du pays envers Desault et Bichat; on lit avec plaisir dans la même inscription funéraire les noms de ces deux grands hommes si unis pendant leur vie.
Statue de Bichat, par M. David d'Angers,
inaugurée le 21
août, à Bourg.
Un monument a été élevé à Bichat dans la ville de Lons-le-Saulnier (Jura). La ville de Bourg vient à son tour d'inaugurer pompeusement, le 24 août, une statue de cet illustre savant sur la place de la Grenette. La cérémonie avait attiré un concours immense, et les médecins surtout y affluaient. Le vénérable Pariset représentait l'Académie royale de Médecine, dont il est le secrétaire; les Facultés de Pans et de Strasbourg avaient pour délégués M. Hippolyte Royer-Collard et M. Forget; Lyon, où Bichat commença ses travaux d'anatomie et de médecine opératoire, avait envoyé à cette fête médicale MM. Brachet, Berrier, Bonnet, Martin, Pravaz, Repiquet, Montain, Gommier, Bouchet, etc. Le cortège s'est mis en marche à dix heures, escorté par la compagnie des pompiers, et précédé de la musique de l'artillerie. En tête s'avançaient M. le préfet de l'Ain, M. le maire de Bourg, M. le général commandant le département, MM. d'Angeville, Perrier, Latournelle, Poizat, députés de l'Ain; les membres du conseil général, les médecins, les fonctionnaires publics, les maires de Poncin et de Thourette, suivaient avec les souscripteurs du monument. La place de la Grenette était garnie d'estrades circulaires, ou se tenaient des dames élégamment parées: «Jamais ou n'en vit tant et de si jolies,» dit le galant journal de la localité. Une foule considérable occupait les abords de la place et les hauteurs du bastion.
La statue a été découverte au bruit de l'artillerie et d'une cantate chantée par des amateurs, qui se sont montrés en cette circonstance supérieurs à bien des artistes; des discours ont été prononcés par le préfet, le maire de Bourg, M. Pariset, M. Royer-Collard, M. Bonnet de Lyon, M. Larey, chirurgien militaire; M. Brachet, président de la Société de Médecine de Lyon, et M Martin, doyen des médecins de cette ville. A deux heures, le cortège s'est acheminé vers la salle du banquet; deux cent cinquante personnes y ont pris place; plusieurs toasts ont été portés aux acclamations unanimes de l'assemblée. Un feu d'artifice a terminé la soirée.
La statue, exécutée en bronze d'après le modèle de M. David (d'Angers), est placée sur un piédestal quadrangulaire, et entourée d'une grille. Bichat est représenté étudiant sur un enfant le mouvement de la vie, et ayant à ses pieds un cadavre à moitié disséqué; cette disposition rappelle les Recherches physiologiques sur la vie et la mort, l'un des principaux travaux de l'illustre anatomiste. Cette oeuvre nouvelle digne de l'habile sculpteur auquel nous devons le fronton du Panthéon, les bustes d'Ambroise Paré, de Boulay de la Meurthe, de Cuvier, de Paganini, la tombe de Garnier-Pages; les statues de sainte Cécile, du Grand Condé, de Bonchamps, de Talma, de Gutenberg, et tant d'autres monuments originalement conçus.
Bientôt chaque ville aura ses héros de bronze ou de marbre; dimanche encore, 25 août, on inaugurait à Versailles la statue de l'abbé de L'Épée, fondateur de l'Institution des Sourds-et-Muets..
Depuis quelques jours on lit sur un placard oblong suspendu au balcon de la Maison-Dorée: «Exposition publique des dessins de M. Vattemare.» Nous vous introduirons plus tard dans cette vaste et curieuse collection; il importe préalablement de vous entretenir de celui qui l'a fondée. Nul, dit-on, n'est prophète en son pays, et m. A. Vattemare est beaucoup plus connu des Anglais et des Américains que de ses compatriotes.
M. Alexandre Vattemare nous apparaît sous un double aspect. Désigné par son prénom, c'est au artiste dramatique qui excelle dans les rôles à travestissements, et qu'on a vu au Gymnase dans l'Auberge de Calais et autre pièces dont il remplissait seul tous les personnages. Sous son nom propre, c'est l'auteur d'un projet d'échange entre les bibliothèques. Alexandre mime recueille des applaudissements sur les théâtres du monde entier; M. Vattemare entre au conseil des peuples pour en provoquer les délibérations. Alexandre s'adresse à la foule avide d'émotions; M. Vattemare confère avec les artistes, les bibliographes et les rois. Le public s'amuse des transformations protéiennes d'Alexandre; les chefs des États s'étonnent de l'honorable persistance de M. Vattemare. M. Vattemare prodigue les guinées de l'acteur Alexandre pour réaliser une idée utile.
M. Vattemare s'était dit en 1815: «Un nombre infini de doubles se trouvent toujours dans les musées, les collections, les galeries, les bibliothèques; ces doubles, relégués dans les magasins, sont enfouis et perdus à jamais; pourquoi ne pas leur rendre une valeur réelle? Qu'on organise entre les grands dépôts scientifiques un échange régulier de leurs doubles, et tous seront plus complets et plus riches sans qu'il en ait coûté à l'État autre chose que le soin d'une intelligente organisation.» Ce projet conçu, M. Vattemare parcourt le monde pour le proposer aux souverains; il se fait le missionnaire de son idée, ne demandant à la profession d'acteur que des ressources pécunières. Partout l'échange des doubles trouve des approbateurs: les savants, les rois, les ministres, les gens de lettres, les artistes encouragent M. Vattemare, correspondent avec lui, travaillent ou dessinent pour lui. Une médaille est fondue en son honneur à la monnaie de Berlin. De retour en France, il soumet son plan à la Chambre des Députés, qui, le 16 mars 1836, renvoie la pétition au ministre de l'instruction publique; le 26, à la Chambre des Pairs, M. le duc de Fézensac, rapporteur, proclame la pétition utile et importante. «C'est, dit-il, une grande et noble pensée que d'unir ainsi les diverses nations de l'Europe par un commerce de richesses littéraires et scientifiques.» La Chambre des Pairs ordonne le renvoi de la pétition aux ministres de l'instruction publique et des affaires scientifiques, et le projet d'échange s'en va sommeiller dans la nécropole des cartons ministériels.
M. Vattemare ne s'est pas découragé. De même que O'Connell répète: «Agitez!» le Pierre l'Ermite de l'union intellectuelle: n'a cessé du crier par le monde: «Échangez vos doubles! échangez vos doubles!» Il a obtenu les suffrages autographes d'un grand nombre d'illustres personnages de tous les pays. Puis, après avoir récolté les adhérions européennes, M. Vattemare, le 20 septembre 1839, s'est embarqué pour New-York. Là, on l'a accueilli avec un fanatisme incroyable; il a voyagé d'États en États, provoquant des meetings, remuant les congrès et les populations; un bill a été vote à l'unanimité par les deux Chambres pour la fondation de bibliothèques et la mise à exécution du système d'échange. «Est-il une idée plus belle et plus heureuse?» écrivait M. White, représentant de la Louisiane. «La belle France, disait le général Keim, représentant de la Pennsylvanie, la belle France nous offre toujours des bienfaits: jadis elle nous envoya un Lafayette pour aider à l'établissement de notre liberté politique; aujourd'hui nous en recevons Vattemare, qui mettra le comble à nos plaisirs intellectuels.» Fanny Elsler n'était pas encore arrivée, je crois, aux États-Unis, et n'avait pas augmenté cette dette de reconnaissance des représentants américains «en mettant le comble à leurs plaisirs moraux.»
Chose pénible à penser, tant de zèle, de démarches, de sacrifices, d'enthousiasme, de discours et de meetings, ont amené d'imperceptibles résultats; seulement l'État du Maine, les villes de Baltimore, Boston, New-York et Washington, ont transmis à la ville de Paris quelques documenta administratifs, et notre conseil municipal y a répondu, le 21 décembre 1842, par l'expédition des Comptes et Budgets de la Ville, de l'Histoire du choléra, des Ordonnances de la Préfecture de Police, et autres renseignements que les Américains auront probablement soin de ne lire jamais. Les échanges des doubles, s'ils ont lieu, se font à huis clos, de bibliothèque à bibliothèque, et non point par une grande disposition législative, comme l'aurait désiré M. A. Vattemare. Heureusement pour nous consoler, en attendant mieux, nous avons les onze cuits dessins qu'il a rapportés de ses voyages. Nous parlerons de cette exposition.
Les artistes voyageurs et les voyageurs artistes gardent religieusement les costumes des pays qu'ils ont visités. Ce ne sont pas seulement pour eux de précieux souvenirs; ce sont aussi des preuves incontestables de leurs lointaines pérégrinations. A leurs ami qui les interrogent, ils disent: J ai vu la Grèce; voici la fustanelle d'une Palyare de Samos ou de Chio--J'étais à Stamboul; voici le fez d'un bachalda (officier de police) et le chapeau d'un derviche.--J'ai hérité de ce bonnet kahnouk après la mort du brave qui le portait. Voici un sabre turc, un mousquet japonais, un châle indien, un cric malais, des bottes chinoises. Voyez et croyez.»
Soirée orientale chez M. H...
Les voyageurs aiment aussi à se parer des costumes qu'ils ont portés dans leurs courses aventureuses; ils y joignent, s'ils le peuvent, les gestes et le langage des pays lointains; alors la métamorphose est presque complète. C'est sous l'empire de ces caprices que, par une belle soirée d'été, le mois dernier, des artistes et des voyageurs se sont réunis chez M. H.... architecte, sous une tente élégante ornée de fleurs, sans autres meubles que des divans. Nul n'était admis sous le frac; tous les invités portaient avec aisance des costumes orientaux d'une fidélité scrupuleuse. C'était une réunion vraiment curieuse, et les diverses langues qu'on y parlait en faisaient une sorte de petite Babel.
Les scheicks arabes des provinces de l'Yémen, avec leurs longues robes de soie, leurs ceintures de cachemire et les pieds chaussés de sandales, causaient, assis sur le tapis, avec l'habitant des montagnes, de l'Assyr; le soldat régulier d'Abd-el-Kader, avec ses armes grossières et ses haillons pittoresques, fraternisait avec un agha allié de la France; le palyare grec, revêtu de son costume resplendissant de broderies, entretenait un arnaute, son voisin, dans la langue, dégénérée d'Homère; un autre, sous le costume d'un fellah égyptien, faisait entendre le cri monotone du muezzim, tandis qu'un jeune orientaliste, portant le costume du hizam égyptien, chantait d'une voix dolente une chanson arabe; l'un fumait le gargouli indien, l'autre le narguilé persan, le chibouk turc ou le chiche arabe. Il y avait là des Tartares des Persans, des Indiens, des Japonais, des Turcs, des Égyptiens, des Nubiens. Chaque peuple y était représenté.
Les passants attardés près de la place Vendôme ont dû croire un instant que l'Orient avait envahi la grande cité, ou que six mois de l'année venaient d'être tout à coup supprimés par ordonnance, et que l'on était en carnaval.
Le dessin que nous donnons est du au crayon habile de M. Karl Girardet, qui a visité l'Égypte, et qui figurait à ce titre parmi les invités de M. H....
Tous les personnages représentés sont des portraits; et nos lecteurs reconnaîtront aisément sous ces déguisements quelques-uns de nos artistes et des savants les plus célèbres.
Dans la durée d'une heure, ramasser avec la bouche, à genoux, et rapporter l'un après l'autre, au punit de départ, cent oeufs disposés à égale distance, sur une ligne droite de cent mètres, en sautant chaque fois une haie de steeple-chase d'un mètre de hauteur; tel est le programme d'un exercice qui a eu pour témoins, lundi dernier, sur les terrains du tir de M. Renette les membres du Jockey-Club et quelques amateurs profanes.
Coots, né à Londres, âgé de trente-neuf ans, est venu d'Angleterre, où sa renommée comme coureur et comme boxeur est depuis longtemps établie, pour donner à l'illustre club ces preuves de sa merveilleuse agilité. Lundi dernier, à quatre heures douze minutes, vêtu de flanelle, il s'est mis en marche et a exécuté le programme; mais, hélas! le malheureux! il a dépassé d'une minute, d'une seule minute, les soixante minutes convenues. Toutefois, les spectateurs se sont montrés indulgents; le Jockey-Club a bien voulu être un peu moins sévère pour lui qu'il ne l'aurait été pour miss Atalante ou toute autre miss en retard «d'une tête:» on l'a consolé d'un échec qui véritablement n'en est pas un. Il est certain qu'en soixante minutes s'agenouiller cent fois, sauter cent fois une haie, et parcourir, en répétant ce fatigantes évolutions, une distance que l'on évalue à dix kilomètres (environ deux lieues et demie), c'est assurément une tâche difficile, et qui suppose autant de force de volonté que de vigueur musculaire. Exercices de Coots. |
Coots, célèbre boxeur anglais. Un des élégants Mécènes de Coots propose de parier que le meilleur piéton de Paris, marchant d'un pas direct et accéléré, ne traverserait pas le Bois de Boulogne aussi vite que Coots marchant à reculons. On assure que plusieurs élèves de nos gymnases ont offert d'entrer en lutte avec Coots. C'est bien: cette émulation n'a rien que de fort convenable; mais que le Jockey-Club n'outrepasse point son but, et qu'il ne lui vienne pas en fantaisie, comme on le soupçonne sans doute trop légèrement, de nous attirer à Paris des boxeurs ou des tauréadors. |
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que le voyageur le plus exact est justement celui qui le paraît le moins, et qui, sans s'occuper de l'ordre ou de l'exactitude des faits, raconte fidèlement, dans toute leur naïveté, non l'histoire de son voyage, mais celle de ses sensations.
Il est malheureux que cette idée soit venue à beaucoup de gens d'esprit avant de traverser mon cerveau. A compter de Sterne, je ne sais pas un de ces prétendus voyageurs sentimentaux qui ne se soient crus dans l'obligation d'orner singulièrement la vérité de leurs souvenirs, pas un qui n'y ait mêlé des incidents évidemment romanesques. Comme si la vérité ne suffisait pas toujours et partout.
Et, en parlant de Sterne, je veux bien croire à l'histoire du Sansonnet, mais j'attesterais devant toutes les cours de justice de ce monde ou de l'autre qu'il n'a jamais rencontre, à une demi-lieue de Moulins, sous un peuplier, Maria la folle tout de blanc vêtue, avec un ruban vert-pâle en sautoir, un chalumeau pendu à ce ruban, un cordon attaché à sa ceinture, et, au bout de ce cordon, un petit chien. Un petit chien nommé Sylvio!--à une demi-lieue du Moulins.
Chambre de Sterne.--Ces mots étaient écrits sur une porte grise, dans le corridor où me conduisit le factotum de l'hôtel Dessein.
J'aurais pu faire le sceptique ou le dédaigneux, mais à quoi bon? Tandis qu'on montait mes malles, je poussai doucement la porte entr'ouverte et posai ma main sur mon coeur pour y surprendre les symptômes d'une émotion quelconque; mais, à l'aspect d'un lit défait, d'une table de nuit toute neuve et de deux serviettes mouillées qui séchaient paisiblement sur le rebord des fenêtres, je ne ressentis qu'un léger désappointement. Dans la cour je jetai un coup d'oeil pour voir, sous quelque remise, une vieille désobligeante; il n'y avait que du gazon et quelques jeunes arbres frémissant au souffle du vent de mer.
J'entendis à ce moment craquer, sur l'escalier, les escarpins vernis du factotum, et, craignant de lire sur son visage sévère la désapprobation de mon indiscrète conduite, je rentrai en deux sauts dans mon domaine privé.
Toujours à propos de Sterne. Dans un choix d'anecdotes curieuses, j'ai trouvé la biographie de ce bon et joyeux La Fleur, que son maître nous a tant fait aimer. Il était Bourguignon de naissance et bohémien de caractère. A huit ans, un instinct irrésistible lui fit quitter sa famille; il erra deux années durant sur les chemins de France, sans autre patron que son extérieur prévenant et doux. Il trouvait partout un peu de pain et de lait, un lit de paille pour la nuit et quelques vêtements de rebut. Sans trop savoir où il allait, et attiré par cet aimant mystérieux des capitales, dont tous les vagabonds ont ressenti l'influence, après deux années de hasards, il se trouva un matin sur le, Pont-Neuf, regardant couler la Seine comme un vieux Parisien. Un tambour qui se rendait sans nul doute au quai de la Ferraille, le rendez-vous des enrôleurs, vit cette petite mine éveillée, et suborna l'enfant perdu. Comme les biens en déshérence, les enfants sans famille appartenaient au roi; celui-ci fut réclamé au nom de Sa Majesté qui ne s'en doutait guère; on lui pendit au cou une caisse dorée, on lui mit sur les épaules un habit blanc à revers bleus, qui lui fit connaître les premières joies de la toilette, et, pendant six ans, il fut tambour. Deux ans encore, et la loi le déclarait libre; mais La Fleur, ennuyé du service, n'était pas homme à faire son temps comme le premier manant venu. Il changea d'habit avec un paysan, et déserta galamment pour on ne sait quelle querelle avec ses supérieurs. C'est alors qu'il se retira dans ses terres pour y vivre comme il plaisait à Dieu, c'est-à-dire très-mal, jusqu'au moment où Varenne, l'aubergiste de Montreuil, l'offrit à Sterne qui passait et qui l'emmena courir le monde, ainsi que le sait du reste tout lecteur instruit.
On sait encore que La Fleur était amoureux, sérieusement amoureux d'une très-jolie fillette aussi pauvre, aussi gaie, aussi imprévoyante que lui. Il l'épousa à son retour d'Italie, sans réfléchir que son métier de couturière lui rapportait à peine six sous par jour. Elle ne tarda pas, une fois mariée, à le gratifier d'un enfant, et les profits diminuaient à mesure que croissaient les charges. La Fleur un jour cessa de rire; le pain manquait à la maison; il se remit derechef en quête d'un milord anglais, et reprit quelques années encore la livrée qu'il portait si bien; puis, dès qu'il eut des économies, il revint trouver sa femme; quelques mauvaises langues essayèrent de lui mettre martel en tête à propos de ce qui s'était passé durant son absence, mais il leur rit au nez en vrai philosophe, et ouvrit un cabaret à Calais, dans la rue Royale. Les marins anglais y venaient en foule, et d'abord tout prospéra; mais il plut à Louis XVI de prendre parti pour les républicains d'Amérique, et, entre autres résultats désastreux, la rupture de la France et de l'Angleterre entraîna la ruine des cabaretiers de Calais.
La Fleur vit bien que, sans une troisième campagne, il ne pourrait tenir tête à la mauvaise fortune, et, comme il parlait, le souvenir des méchants propos tenus sur le compte de la femme lui donna quelque tintouin. Elle s'en douta sans doute, et lui lit une scène pathétique, prenant pour texte de son désespoir les infidélités probables dont elle allait être victime. Tout en se justifiant par avance, La Fleur oublia ses craintes. Il n'était pas homme à mener de front deux idées aussi différentes que celles d'être trompeur ou trompé.
Pauvre La Fleur! lorsqu'il revint trois ans après, toujours tendre et toujours constant, il trouva, derrière, le comptoir de son cabaret, une figure étrangère. Des comédiens nomades passant à Calais lui avaient enlevé femme et enfant. Jamais il ne revit ni l'un ni l'autre.
Depuis ce tennis, il vécut sans établissement fixe, tantôt en Angleterre,--il aimait les Anglais,--tantôt sur la côte de France, à demi messager, à demi agent d'affaires, toujours employé de manière on d'autre, et recommandé par son activité, son dévouement, son intelligence.
Je n'en sais de La Fleur pas davantage, à mon grand regret. M'eût-on appris la date exacte de sa mort, je la donnerais ici avec autant de scrupule que s'il s'agissait d'Alisfragmonthosis ou de Misphrathouthinosis, monarques interessants de la douzième ou vingt-deuxième dynastie égyptienne. Voyez les listes de Manéthon.
Ce ressouvenir égyptien me fait songer qu'à l'entrée de l'établissement des bains de mer, à Boulogne, j'ai vu se promener une momie en chapeau rose. Elle descendait d'une calèche magnifique, et se mit à marcher avec une lenteur sépulcrale, appuyée, au bras d'un gentleman frais et rougeaud, tandis que trois ou quatre jolis chiens blancs, traînant après eux de longues laisses vertes, gambadaient follement autour de ce couple respectable.
Cette momie, était maigre; sa peau tannée avait la couleur des figues sèches, et ses yeux, fixes, soucieux, enfoncés dans de creuses orbites, exprimaient l'inexorable ennui dont on doit être dévoré après quelques siècles de séjour dans ces énormes fourreaux de pierre noire, en forme de boîte à violon, où les Égyptiens cachaient leurs morts.
J'eus beau soutenir à mon compagnon que cette exhumée sentait le camphre, le benjoin et toutes sortes de vieux aromates, il ne distinguait que l'odeur du patchouli, et une momie n'était pour lui que la veuve remariée de quelque riche nabab.
Dans tous les cas, il était impossible de ne pas remarquer cette apparition, qui nous donnait un avant-goût de la riche et triste Angleterre. Elle glissa lentement dans les allées sinueuses, sans retourner une seule fois la tête, et se perdit avec sa mente élégante entre les colonnes bariolées du pavillon composite qu'un décorateur d'Opéra est venu élever sur la grève de Boulogne.
Pour réconcilier avec l'humble poésie de sa misère la plus pauvre de ces jeunes filles pleines de vie et de santé, aux yeux desquelles une calèche et des domestiques à livrée sont l'indispensable apanage du bonheur, il ne faudrait, je pense, que leur montrer dans tout l'éclat de son luxe inutile découragé quelque misérable créature comme celle-ci; un seul de ses regards pesants, un seul de ses pas allongés, leur en dirait plus long que bien des homélies sur le néant des richesses.
J'aime par-dessus tout à recomposer sur la donnée la plus fugitive toute l'existence d'une personne à peine entrevue; et tandis que nous gravissions l'espèce de promontoire sur lequel s'élève le monument napoléonien, je me racontai la vie de cette livide Anglaise.
Elle était, il y a quinze ans, jeune, belle et pauvre, dans un faubourg de Londres. Son mari, qu'elle avait épousé sans l'aimer, à condition qu'il l'aiderait à vivre elle et sa mère, non content de dissiper en orgies le peu d'argent qu'il pouvait extorquer à ces deux femmes, les battait et les humiliait à chaque instant du jour. Néanmoins, dans ce pays où le lien conjugal a conservé toute sa force, Elisa n'eut jamais songé à se séparer de cet homme cruel; mais un jour il la quitta de lui-même et disparut.
La mère et la fille, débarrassées de lui, songèrent à lutter de leur mieux contre la misère, et tout d'abord elles mirent à louer une partie de leur modeste habitation. Là vint s'établir, après quelque temps, un de ces jeunes gens aventureux, dont la volonté, de bonne heure exercée, se plaît à soumettre tout ce qui leur offre une résistance. Il n'eût peut-être pas aimé sa jeune hôtesse, s'il n'eût été attiré par la froideur même et le dédain qu'une première trahison avaient laissés dans le coeur de cette pauvre femme. Le jour où elle lui raconta,--sans y mettre de coquetterie,--qu'elle se croyait pour jamais à l'abri des séductions, ce jour-là, comme éveillé par un défi, le jeune homme voulut être aimé.
Il avait trop d'avantages et de persévérance pour ne pas réussir. Après bien des combats, et non sans de vifs remords, Elisa devint la maîtresse de celui qu'elle ne pouvait épouser.
Par bonheur il l'aima aussi fortement qu'il l'avait désirée; et, bien que ces noeuds illégitimes, dans un pays comme l'Angleterre, paralysent encore plus que chez nous les efforts qu'un homme doit faire pour s élever, il résolut de n'abandonner jamais sa compagne; seulement, lorsqu'il se fut bien convaincu, par de dures et fréquentes épreuves, qu'en s'unissant publiquement à la femme d'un autre il avait jeté le gant à d'implacables préjugés, cet homme énergique ne vit qu'un moyeu de dompter l'opinion, et devint ambitieux d'argent comme il l'avait été jusque-là d'amour et de renommée.
A Londres, la fortune l'aurait fait trop longtemps attendre; mais dans l'Inde, lorsqu'il veut mettre sa vie au jeu, l'homme de talent peut largement réaliser les bénéfices du quitte ou double. Les deux amants engagèrent sans hésiter cette partie redoutable, décidés, perte ou gain, morts on millionnaires, à partager les résultats qu'elle aurait.
Dix ans après, elle était à moitié gagnée, à moitié perdue. La richesse était venue, la mort allait venir, Elisa semblait la plus menacée, car c'était sur sa frêle constitution que les ardeurs dévorantes du ciel indien avaient exercé le plus de ravages.
Le départ était résolu, le jour fixé, le navire choisi. Chaque soir, quand la brise, de mer se levait, Elisa se faisait porter en palanquin sur le port pour contempler avec une joie d'enfant le magnifique steam-boat qui allait la ramener dans sa patrie. C'était l'heure des apprêts, et son amant voulait qu'elle présidât elle-même aux mille soins qu'il se donnait pour lui rendre la traversée moins pénible. Entre autres formalités nécessaires, il fallait un permis d'embarquement nominalement délivré à chaque passager. L'employé du gouvernement, chargé de cette portion du service, après avoir pris le nom et le signalement des autres voyageurs, vint, chapeau bas, demander celui de la dame au palanquin. Elisa lui répondit sans le regarder; mais, à peine avait-elle articulé son nom de famille, qu'une exclamation de surprise échappée à cet homme, la tira brusquement de son indolente rêverie.
Et, lorsqu'elle leva les yeux sur lui, un tressaillement nerveux la fit frémir de la tête aux pieds: elle venait de reconnaître son mari.
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Mortellement blessé, son amant, avant d'expirer, lui légua l'énorme fortune qu'il avait acquise pour elle. Son mari la contraignit d'accepter, et ramassa hardiment cet héritage souillé pour lui de boue et de sang. Honte à la loi qui consacre et légitime de telles infamies! Honte à l'homme qui abuse de sa force et de sa volonté pour dominer une femme à demi brisée par le mal, anéantie par le désespoir!
Mon roman une fois bâti, selon toutes les règles de la poétique moderne, je me laissai aller à toute l'indignation que m'inspiraient les procédés de ce mari si gros et si rubicond.
Malheureuse femme! m'écriai-je-, j'espère bien qu'elle l'empoisonnera tôt ou lard!
Mon compagnon, qui me précédait de quelques pas, tourna brusquement sur ses talons, et me demanda d'une voix émue à qui diable j'en avais.
Je compris que j'étais tout à coup devenu suspect,--moi, célibataire,--à cet homme éminemment marié.
Environ une lieue avant Boulogne commence un insuportable régime d'obsessions et de véritables violences faites à la volonté des voyageurs. Les aubergistes, dépêchent sur la route des émissaires à cheval qui viennent occuper les portières de la diligence et accabler ses malheureux habitants de renseignements intéressés. Les cartes lithoraphiées pleuvent de tous côtés; des recommandations contradictoires se croisent et se démentent avec une énergie effrayante. Le chevalier de l'Etoile jette un insultant défi au champion du Lion-d'Or; le tournoi va sans doute s'engager; mais tandis qu'ils s'écartent pour prendre champ, une petite paysanne à l'air éveillé saute lestement sur le marchepied, m'offre un bouquet frais cueilli, et me vante les charmes du Boeuf-Couronné. Cette manoeuvre perfide attire les regards des deux paladins à tweeds-gris; ils se précipitent, la cravache haute; mais cette charge de cavalerie n'effraie pas l'héroïque pucelle; d'un seul bond, elle est à terre, ramasse deux gros cailloux, et fait hardiment face à l'ennemi étonné. Trois groans pour le Lion et l'Étoile; hussah pour le boeuf; le Boeuf for ever, sa couronne lui reste.
A Douvres, ce fut bien pis. Quarante ou cinquante sacripants déguenillés nous attendaient sur le quai. Le prisme du mal de mer n'embellit rien, et je tiendrais pour un galant Amadis l'homme enthousiaste que la beauté soumettrait à son empire sur un paquebot aussi violemment secoué que l'avait été le nôtre. Si j'ai quelque raison de penser ainsi, jugez ce que durent être àmes yeux, encore mouillés des pleurs de la traversée, les physionomies atroces de ces truands en haillons qui nous entourèrent en hurlant des que nous eûmes mis pied à terre.
Ils jargonnaient tous les idiomes de l'univers: Gentleman! -- Herren! -- Signori! -- Caballeros! -- Messieurs! -- the Star hotel! -- die Kanone! -- l'Osteria del Orsa! -- l'Albergia de la Anela! -- les Trois Maures!
Les cris de cette canaille étourdissante que notre silence semblait encourager, les regards impudents dont elle nous assiégeait, l'inquiétante activité qu'elle déployait autour de nous, ajoutaient à la prostration générale de mes facultés, et au lieu de tomber à coups de canne sur ces fâcheux cosmopolites, je me laissais naturellement palper et entraîner par eux, hébété, stupide, vaincu d'avance et résigné à tout à qui pouvait m'arriver de pis.
Déjà l'un de ces croquants avait passé son bras sous le mien avec un sourire de triomphe, je vois encore d'ici sa figure de zingaro, ses cheveux gras, noirs et frisés sa redingote d'un bleu sale boutonnée jusqu'au menton, ses lèvres ironiques et ses yeux noirs rayonnant d'un éclat fascinateur Celui-là n'était ni Anglais, ni Français, ni Espagnol, ni Allemand, ni Romain, ni Russe, j'en répondrais sur mon âme Juif on Bohémien, je ne dis pas, voleur et peut-être, assassin, j'en ferais serment au besoin.
Tels étaient cependant mon indifférence et mon apathique désespoir que je me laissais entraîner machinalement par ce monstre à figure humaine. Nous allions tourner ensemble dans une ruelle déserte, et je cherchait à deviner d'avance quel était, de toutes ces maisons grimaçantes, le coupe-gorge où devait s'accomplir ma fatale destinée, quand un incident imprévu me tira d'affaire.
Mille cris s'élevant derrière moi me forcèrent à tourner la tête. Ils saluèrent la chute de mon déplorable compagnon de voyage, qui avait butté sur les degrés de la Custom-house. Etendu au milieu de ces sauvages, il courait autant de risques que le capitaine Cook dans la baie de Katakakooa.
Je dois le dire à mon éloge: ce spectacle me rendit aussitôt toute l'énergie que je n'avais pu trouver pour ma propre défense. Je me débarrassai par un mouvement soudain de mon assassin futur, et, brandissant d'un air martial un innocent parapluie, je courus à la rescousse de mon malheureux ami.
Cette scène incontestablement tragique se passait le 20 mai dernier, aux
pieds des rochers de Shakspeare.
O. N.
(La suite à un prochain numéro.)
La moisson! Que de travaux pour l'amener à bien! que de sueurs versées sur les guérets pour fournir à trente-quatre millions de bouches le plus nécessaire des aliments, le pain! Dès la plus haute antiquité, le pain a été considéré comme le premier bienfait des cieux envers la pauvre humanité. Les Grecs avaient déifié le premier laboureur Triptolème, mais Triptolème évidemment trompa la Grèce en se donnant pour inventeur; il n'avait droit tout au plus qu'à un brevet d'importation.
Les charrues primitives étaient d'une extrême simplicité: on en peut juger par les deux charrues d'origine antique en usage dans le midi de la France, sans avoir subi pour ainsi dire aucune modification; l'Aramon phocéen et le Fourca romain ont conservé leur nom et leur forme. Ce sont des instruments très-imparfaits, dans la construction desquels il n'entre presque point de fer. Une autre charrue, peut-être plus antique et non moins imparfaite, est encore en usage dans tous les départements de l'ancienne-Bretagne. L'extrémité qui représente le soc est armée d'une pointe de fer de forme conique, tout à fait semblable à l'instrument dont les bouchers se servent pour aiguiser leurs outils. Le travail que ces charrues exécutent ne peut pas, à proprement parler, se nommer labour. Pour que la terre soit labourée dans le, vrai sens du mot, il ne suffit pas qu'elle soit déchirée à sa surface, il faut encore qu'elle soit retournée; il faut que la portion de la couche végétale qui se trouvait au-dessus soit rejetée en dedans, et réciproquement. C'est c que font toutes les bonnes charrues au moyen du versoir, partie essentielle qui manquait à toutes les charmes de l'antiquité. Les charrues modernes les plus perfectionnées donnent à la terre un travail aussi profond et presque aussi parfait que le travail de la bêche ou de la pioche, avec beaucoup plus de promptitude et d'économie.
Les amis de l'agriculture reconnaissent l'extrême importance de tous les perfectionnements que peut recevoir la charrue; les deux meilleures charrues des temps modernes, la charrue Bonnet et la charrue Fourche, portent toutes les deux les noms de leurs inventeurs; ces inventeurs, par parenthèse, sont deux paysans, l'un et l'autre complètement illettrés, étrangers aux mathématiques.
Les boeufs paraissent avoir été les premiers animaux attelés à la charrue; les anciens les attelaient par la tête, non pas que ce mode d'attelage offre aucun avantage réel quant à l'emploi de la force des animaux, mais uniquement, parce que, dans l'origine, on attelait à la charrue des taureaux, très peu dociles de leur nature, et que leurs cornes cessaient d'être à craindre lorsqu'ils avaient la tête prise dans le jonc.
Le mode d'attelage usité en Provence semble être une transition assez bien ménagée entre l'attelage par la tête et l'attelage par le poitrail; les boeufs sont toujours maîtrisés par un joug qui les maintient unis l'un à l'autre en assurant leur docilité; mais la force du tirage porte sur la partie antérieure du poitrail. Néanmoins la meilleure manière de mettre les boeufs à la charrue consiste toujours à les atteler au collier, comme les chevaux.
Après les boeufs, on a successivement attelé à la charrue des chevaux, des mulets et même des ânes. Quoique l'âne, d'après la forme de son épine dorsale semble plutôt destiné à porter qu'à tirer, cependant un attelage d'ânes bien dressés peut vaincre dans un concours de labourage les meilleurs mulets, et même les chevaux les plus vigoureux. Ces animaux sont rarement admis dans ces sortes de concours; plus rarement encore ils en sortent vainqueurs. Nous nous plaisons à signaler ici le triomphe récent d'un attelage de six ânes, triomphe d'autant plus glorieux qu'il fut plus vivement contesté. La Société d'Agriculture du département de l'Hérault a couronné, en 1842, dans un concours fort nombreux, un attelage de six ânes qui avait pour rivaux des attelages de six chevaux et de six mulets, conduisant des charrues parfaitement semblables à celles que manoeuvraient les ânes. Leur maître eut d'abord quelque peine à se faire admettre au concours; cependant, comme sa charrue remplissait les conditions exigées et que le règlement du concours n'excluait pas les ânes, on lui donna, comme aux autres, sa portion de champ à labourer. C'était un labour d'été. Il est difficile pour ceux qui n'ont pas habité le Midi de se figurer à quel point la terre devient compacte à la suite des longues sécheresses auxquelles sont exposées nos terres dans les départements du Midi; ce n'est plus de la terre; c'est de la pierre; elle fait feu sous les pieds des chevaux. C'est dans cette pierre qu'il s'agissait d'ouvrir des sillons. Les ânes étaient attelés avec beaucoup de soin, quoique d'une manière assez grotesque. Dans le but de les rendre plus dignes de paraître devant une réunion d'agronomes et de personnages les plus distingués du département, leur maître n'avait rien imaginé de mieux que d'acheter à la friperie de vieux pantalons garance provenant des réformes des équipements militaires; en les remplissant de foin, il en avait l'air des colliers improvisés pour ses ânes, dont chacun avait ainsi autour des épaules deux jambes de pantalons rouges qui se réunissaient sur le poitrail. Aux éclats de rire qui avaient d'abord accueilli l'arrivée des ânes sur le champ du concours, succéda l'étonnement, lorsqu'au bout de cinq à six tours seulement, les ânes eurent laissé tous leurs rivaux en arrière. La promptitude et la perfection du labour tenaient surtout à cette circonstance, que leur maître les conduisait uniquement de la voix, de sorte qu'arrivés au bout du sillon, ils tournaient d'eux-mêmes et reprenaient leur direction sans perdre de temps, quoique leur maître fut seul pour les conduire, tandis que tous les autres attelages du même nombre d'autres animaux étaient conduits par deux hommes on même quelquefois trois, et ne tournaient cependant qu'avec beaucoup de lenteur et de difficulté. Parvenu à peu près à la moitié de sa tâche, le laboureur aux ânes cassa sa charrue; c'était un accident prévu en raison de la dureté du terrain. Le laboureur connaissait le côté faible de son instrument; il avait des pièces de rechange. Les ânes avaient tellement pris l'avance, qu'il eut tout le loisir d'aller à la forge voisine raccommoder lui-même sa charrue, car tous les laboureurs languedociens sont plus ou moins forgerons; puis il revint à son sillon, et bien que ses rivaux n'eussent pas manqué de se dépêcher pendant son absence, il eut encore terminé sa tâche longtemps avant tous les autres. Quant à la perfection du travail, qui fut examiné avec beaucoup de soin et jugé avec sévérité, elle était évidemment supérieure à celle de tous les autres labours exécutés par des mulets ou des chevaux. Les ânes, proclamés vainqueurs, furent promenés en triomphe, tout chargés de rubans et de banderoles. Ils semblaient comprendre les honneurs qu'on leur rendait, car ils en témoignaient hautement leur satisfaction par des accents qui, mêlés avec l'harmonie d'un nombreux orchestre d'instruments à vent, formaient un étrange charivari.
Pour bien comprendre l'importance du résultat de ce concours, il suffit de se rappeler que tous les concurrents des ânes étaient des animaux d'un prix très-élevé. Il n'y avait pas là un cheval uni eût coûté moins de 7 à 800 francs; ou admirait de magnifiques attelages de mulets, vidant de 12 à 1500 francs la pièce; le plus cher des six ânes qui venaient de battre tous ces animaux de prix avait coûté 60 francs. Que l'on compare les frais de toute espèce pour la nourriture, la ferrure et les harnais de ces animaux, avec les mêmes dépenses pour les ânes, et l'on sera convaincu, ainsi que l'ont été les juges du concours, que le labour des ânes présente sur celui de tous les autres attelages une économie de plus de moitié; or, ou sait qu'il n'y a pas de petites économies, en agriculture, parce que chacune d'elles, quelque petite qu'elle soit individuellement, se multiplie toujours par des nombres énormes, car les laboureurs forment les trois quarts de la population.
La destinée de certaines charrues est assez curieuse; quelques-unes ont traversa les siècles presque sans altération; le vieux fourca romain est un instrument tout à fait primitif, probablement fort peu différent de celui dont dut se servir Adam au sortir du paradis. D'autres ont eu la sort de ces hommes supérieurs qui ne parviennent jamais, comme dit le proverbe, à être prophètes dans leur pays. Ainsi, il n'existe pas dans le monde entier de charrue supérieure à la charrue belge, connue sous le nom de charrue du Brabant; elle l'emporte sur toutes les autres quant à l'économie de forces et à la perfection du travail; elle agit également bien sur toutes les natures de terrains. Eh bien! cette excellente charrue n'a jamais pu parvenir à franchir la frontière du département du Nord, et la Société d'Agriculture de Valenciennes s'épuise en vains efforts depuis nombre d'années, pour obtenir des laboureurs de la Flandre française qu'ils renoncent au lourd et informe harna, ou charrue du pays, pour adopter la charrue de Brabant. Cette même charrue, emporté au delà de l'Atlantique par les émigrés hollandais, qui, longtemps avant les Anglais, commencèrent à défricher le sol de l'Amérique du Nord, est revenue en Europe comme une grande nouveauté, et a été accueillie avec enthousiasme sous le nom de charrue américaine; c'est celle dont la plupart des agriculteurs éclairés se servent aujourd'hui sous le nom de charrue-Dombasle, ou charrue de Roville, à cause de quelques perfectionnements qu'elle a reçus à l'Institution agricole de Roville, où l'on en fabrique des milliers tous les ans, et d'où elle se répand dans toute la France. Sous le nom de charrue brabançonne, personne n'en avait voulu entendre parler.
Donnons maintenant une idée des diverses manières de moissonner. L'observateur attentif trouve des rapports frappants entre le caractère et les habitudes des peuples, et leur manière de faire la moisson. Sans sortir de la France, nous voyons les habitants de tous les départements, où le travail est peu en honneur, moissonner presque tous debout, et perdre, en coupant le blé à la moitié de sa longueur, la meilleure partie de la paille.
Qui ne connaît Cérès et sa faucille? Les trois quarts de la France et tout le midi de l'Europe n'ont pas progressé dans cette voie depuis trois ou quatre mille ans; ils en sont encore à la faucille de Cérès. Dans le Nord, on moissonne de temps immémorial par un procédé tellement supérieur à tous les autres, qu'il mérite d'être décrit en détail: le moissonneur se sert, au lieu de faucille, d'une petite faux exactement de la même forme que la grande faux ordinaire à faucher les foins, munie, au lieu de manche, d'une poignée très-courte, qui peut s'allonger à volonté, ce qui permet de la manier d'une main sûre, sans aucune fatigue. Les Belges, inventeurs de cette manière de moissonner, la nomment sape. Pour moissonner à la sape, on tient cette petite faux de la main droite; la gauche est armée d'un crochet assez analogue à celui des chiffonniers de Paris, mais plus long et recourbé par le bout. Le moissonneur frappe le blé très-près de terre, ce qui laisse à la paille toute sa longueur. Tandis qu'il frappe avec la faux, la main gauche, qui tient le crochet, maintient réunies les tiges abattues, et, par un mouvement facile à exécuter, elle en forme une petite javelle; une femme suit d'ordinaire les moissonneurs à la sape pour réunir ces javelles en gerbes, et les lier aussitôt, afin de pouvoir les disposer debout quatre par quatre, les épis en haut, position dans laquelle elles achèvent de sécher. On ne peut se figurer quels avantages résultent de ce simple arrangement des gerbes, comparé à l'usage de les laisser à plat, en tas sur le sol. S'il survient une petite pluie, l'eau glisse sur l'épi placé debout, et le moindre courant d'air la sèche en un instant; si la pluie augmente, on prend une des quatre gerbes, dont on couvre les trois autres, en l'ouvrant, comme le montre la figure ci-jointe; une récolte en cet état peut braver huit ou dix jours de pluies continues, comme, il en survient souvent au mois d'août sous le climat humide de la Belgique.
En France, excepté dans le Nord, où les moeurs et les usages sont restés belges en grande partie, les gerbes, en tas sur le sol, ne manquent pas d'y pourrir à la suite des pluies prolongées, s'il en vient à cette époque, et une portion importante du grain germe dans l'épi.
Ce que le bon sens et l'esprit d'observation ont enseigné de temps immémorial aux bons paysans flamands, les meilleurs cultivateurs de l'Europe, sans excepter les Anglais l'esprit de routine empêche nos paysans de la Beauce et de la Brie de l'adopter; il y a des années pluvieuses où cela seul cause, au seul rayon d'approvisionnement de Paris, une perte de plusieurs millions.
Dans tous les pays de grande culture, la population est trop clairsemée pour suffire aux travaux de la moisson; les plaines de la Beauce et celles de la Brie, ces deux greniers de Paris, ne pourraient être moissonnées sans le secours des émigrations périodiques de travailleurs qui s'y donnent rendez-vous, les uns du nord, les autres du midi. La concurrence que font aux ouvriers français les moissonneurs belges à la sape ne date pas de fort loin; il y a quelques années, les sapeurs ne passaient pas la Somme; ils passent aujourd'hui la Seine; on les rencontre déjà jusque dans la vallée de la Loire. Les autres moissonneurs viennent de la Bourgogne, particulièrement des montagnes du Morvan; dans la Beauce ou les désigne sous le nom d'auterons ou hauterons, nom que nous avons entendu expliquer par la périphrase: gens du pays haut; nous ne garantissons pas cette étymologie. Les hauterons ne moissonnent qu'à la faucille; quelques-uns seulement savent faucher; ils fauchent les orges et les seigles médiocres; la faux est pour cet usage munie d'une espèce de grillage en osier qui rabat les chaumes coupés en les empêchant de se disperser, et fait de chaque trait de faux la base d'une gerbe toute préparée.
Après la moisson des plaines de la Beauce, de la Brie et de l'Ile-de-France, les sapeurs belges s'en retournent à temps pour faire leur propre moisson, retardée de près de quinze jours à cause de la différence de latitude. Les Bourguignons du Morvan sont moins pressés de s'en retourner; dans leurs pauvres vallées il n'y a pas de moisson qui les rappelle.
Les cérémonies pompeuses du culte de Cérès ont laissé des traces en Italie, même en Espagne; l'Allemagne célèbre périodiquement des fêtes agricoles avec beaucoup de solennité; en France, les contrées les plus riches en céréales n'ont rien conservé de ces cérémonies païennes; un simple violon de village, monté sur un tonneau placé debout, fait quelquefois danser les moissonneurs de l'un et l'autre sexe après la rentrée de la dernière, gerbe; c'est un usage assez général, mais dont beaucoup de fermiers se dispensent quand la récolte, n'est pas assez belle à leur gré, ou qu'ils ne sont pas en veine de générosité.
La conservation des grains, soit dans l'épi, soit hors de l'épi, donne lieu à des travaux et à des procédés très-divers dans les différentes régions de la France agricole. Considérons d'abord les procédés les plus simples. En Bretagne, terre fertile, mais mal cultivée, affamée comme ses habitants et produisant peu faute de nourriture, c'est-à-dire faute d'engrais, la conservation des grains ne regarde pas le paysan: aussitôt la moisson faite, chacun s'arme d'un fléau; tout est battu en quelques jours jusqu'à la dernière gerbe; on rentre à la maison, dans des sacs, la quantité de grains nécessaire à la consommation présumée de la famille; le reste va directement au marché. La conservation des grains regarde par conséquent, non le cultivateur, mais exclusivement le négociant qui fait le commerce des grains. Cette méthode, suivie de temps immémorial dans toute la partie sud de l'Armorique, depuis Nantes jusqu'à Brest, supprime les granges, les meules, les greniers et tout ce qui s'y rapporte dans les pays de grande culture. Sur une longueur de plus de trois cents kilomètres, on ne rencontre, dans toute cette partie de la Bretagne, ni grenier carrelé, ni grange, ni meule de grains; les meules je paille ou paillers, qu'on voit à la porte de chaque métairie, ne renferment réellement que de la paille pour la nourriture ou la litière du bétail.
Dans le Midi, le battage au fléau est inconnu; les grains ne sont comparativement au vin, à l'huile et à la soie, qu'une récolte accessoire dans une partie de nos départements méridionaux; chaque métairie, de même qu'en Bretagne, réalise sa récolte aussitôt qu'elle est terminée; les gerbes vont directement du champ sur l'aire. L'emplacement de l'aire est choisi dans un lieu le plus souvent élevé, toujours le plus découvert et le mieux aéré possible, à portée de l'exploitation; c'est une espèce de plate-forme circulaire grossièrement pavée. Les gerbes transportées sur l'aire y sont foulées sous les pieds des chevaux, des boeufs ou des mulets selon la méthode décrite dans la Sainte-Écriture, méthode qui n'a pas changé depuis Moïse, et qui par conséquent ne saurait avoir moins de trente-cinq à quarante siècles d'antiquité. Cette opération se nomme dépiquage.
A mesure que la paille se trouve suffisamment triturée sous la course circulaire des animaux employés au dépiquage, on l'enlève par brassées en la secouant; le grain tombe de lui-même, mêlé de beaucoup de menue paille; on ne l'en sépare que par des vannages réitérés, travail pénible et très-long quand on n'est pas favorisé d'un peu de vent; c'est la raison qui fait choisir pour l'aire une place, très-aérée. Le tatare ou diable volant, aujourd'hui universellement adopté dans tout le reste de la France, commence à peine à s'introduire dans les exploitations du Midi; cette machine, des plus simples, vanne parfaitement le grain sans attendre qu'il plaise à Dieu de faire souffler le vent.
La paille, par l'opération du dépiquage, est réduite en fragments, dont le plus long n'a pas plus d'un décimètre; elle sert de nourriture principale aux boeufs pendant l'hiver. Les hache-paille sont inconnus dans tout le Midi; la paille qui a subi le dépiquage est en effet comme hachée; elle occupe très-peu d'espace comparativement au volume des gerbes; on la conserve en tas dans les greniers.
Moissonneur à la sape.
Dans tous les pays où le dépiquage est usité, les granges sont aussi inutiles qu'en Bretagne; rentrer des gerbes dans une grange ou les conserver en meules à l'air libre sont deux opérations dont les cultivateurs du midi de la France n'ont aucune idée, parce qu'ils n'en ont pas besoin.
Mais, dans les contrées tempérées du centre et du nord de la France, partout où la récolte du blé tient le premier rang, il est de toute impossibilité de battre toutes les gerbes au moment de la moisson, pour n'avoir à conserver que du grain et de la paille isolés l'un de l'autre; les granges, les meules, les machines à battre, les silos, les greniers à bascule, sont dans ces riches contrées des objets dignes de toute l'attention des agriculteurs. Le génie des mécaniciens et des architectes, associé à celui des agronomes, s'occupe incessamment de perfectionner tous ces moyens de ne laisser rien perdre de la plus précieuse des récoltes, et d'en conserver le plus longtemps possible les produits en bon état.
La conservation dans les granges des gerbes qui n'ont point été battues offre toujours un inconvénient grave; les rats et les souris pullulent dans les granges remplies; ces animaux y détruisent d'énormes, quantités de céréales. La multiplication des rongeurs est beaucoup moindre dans les meules à l'air libre; les gerbes y sont, sous tous les rapports, mieux qu'en grange; une bonne couverture en chaume les préserve très-bien de l'humidité atmosphérique; un rang de fagots (bourrées), placés circulairement, les garantit également contre l'humidité, du sol; les chats et les chiens de petite taille, dressés à la chasse des rats, peuvent aisément les poursuivre sous les meules par des passades ménagés à dessein; s'ils ne les détruisent pas complètement, ils les troublent assez pour qu'ils ne puissent multiplier à l'excès.
Rien ne surpasse pour ce mode de conservation la meule à toit mobile, ou grange portative, dont le toit s'abaisse à mesure que la meule entamée par le sommet diminue de hauteur. Tel est, en effet, le défaut des meules: tant qu'elles subsistent intégralement, rien de mieux, mais il ne faudrait jamais y toucher; dès qu'on les entame, ce qui n'est pas immédiatement battu est à la merci des éléments.
Moissonneuse à la faucille.
Les Anglais, dont le génie inventif a perfectionné tant d'industries, ont fait usage les premiers des machines à battre, aujourd'hui assez répandues, en France dans les pays de grande culture. Elles ont toutes pour base la machine écossaise, formée essentiellement de deux cylindres cannelés, entre lesquels les épis sont engagés et les pailles froissées, ce qui ne permet pas à un seul train de rester dans l'épi.
Ces machines ont le défaut de coûter fort cher; on ne peut en avoir une passable à moins de 2,000 francs; les meilleures coûtent le double; elles ne conviennent par conséquent qu'aux grandes exploitations. L'usage commence à s'introduire, parmi les fermiers de Seine-et-Marne, d'Eure-et-Loir (Brie et Beauce), d'acquérir en commun une machine à faire argent de ses grains; elle laisse toujours une portion considérable de grains dans l'épi: voilà, certes, bien des motifs pour que l'agriculture y renonce à jamais. On objecte la suppression de la main-d'oeuvre; cette objection, qu'on peut opposer d'ailleurs à toute espèce de mécanique perfectionnée, est ici sans aucune valeur: les bras manquent pour les travaux des champs; les villes et l'armée absorbent et dévorent la jeunesse des campagnes; l'emploi des machines à battre, dont toutes les fermes d'une commune se servent tour à tour.
Moissonneur à la faux. | Dépiquage des blés dans les départements méridionaux. |
Il reste beaucoup à faire dans cette voie pour doter la petite culture d'une bonne machine à battre, d'un prix modéré; les divers essais de fléaux mus par une manivelle adaptée à un cylindre n'ont pas jusqu'ici atteint ce double but; la moyenne et la petite culture en sont encore au fléau à bras pour toute ressource; c'est la plus lente et la plus défectueuse manière de battre les céréales; elle coûte fort cher, elle met le fermier à la merci des ouvriers au moment où il lui faut battre ne retranche rien au salaire des travailleurs agricoles. Le grain battu n'est pas encore sauvé des attaques de ses innommables ennemis. Dans les greniers, outre les souris qu'il est facile de détruire, il est en proie à un insecte fort petit, mais très-destructeur, parce qu'il multiplie prodigieusement. Le charançon (curculio) est le fléau de nos greniers. De tous les moyens de détruire les charançons, le plus simple consiste à étendre le soir sur les tas de blé de peu d'épaisseur des toisons en suint, non lavées, provenant de moutons récemment abattus; tous les charançons se rendent pendant la nuit dans la laine de la toison; chaque matin on la secoue dans la basse-cour afin que les poules profitent des charançons, dont elles sont fort avides; au bout de quelques jours, il n'y a plus de charançons en apparence; mais il suffit de deux ou trois de ces insectes échappés à la destruction pour repeupler très-rapidement; puis ceux qui étaient à l'état de larve n'ont pu être attirés par l'odeur des toisons, et recommencent bientôt une génération nouvelle.
Moissonneurs faisant des meules.
Les procédés qui préviennent la multiplication des charançons sont donc de beaucoup préférables aux procédés de destruction, qui n'atteignent jamais complètement leur but. Dans les greniers des fermes, on n'emploie pas d'autre moyen que de remuer fréquemment les grains à la pelle, moyen long, coûteux et peu efficace. Mais dans les vastes établissements de meunerie, dont un des plus baux modèles qui soient en Europe est le moulin à vapeur de la Villette, à l'extrémité du faubourg Saint-Martin, on use d'un procédé fort ingénieux, qui exige un bâtiment construit exprès; le blé, au moyen d'un système de trappes, y est mis en circulation du haut en bas, d'étage en étage, et remonté à l'étage supérieur au moyen d'une bascule; il reçoit ainsi l'agitation et la ventilation nécessaires à sa bonne conservation, et les insectes ne peuvent s'y multiplier.
Ou sait que dès la plus haute antiquité, les Égyptiens conservaient leurs grains dans des cavités nommées silos, encore aujourd'hui fort en usage chez les Arabes de l'Algérie, comme dans tous les pays de l'Orient. Des essais auxquels se rattachent les noms de MM. Jacques Laffitte et Ternaux, ont été faits sous la Restauration pour introduire en France l'usage des silos; quoique les grains s'y conservent assez bien, l'usage, ne s'en est pas généralement répandu. Il y a pour cela une raison qui l'emporte sur toute les autres, une raison qu'il faudrait publier sur les toits pour forcer nos hommes d'État à en faire leur affaire principale, et nos agronomes à s'en occuper sans relâche: la France n'a pas de réserve de céréales. En temps de paix, elle se suffit tant bien que mal, grâce au secours des grains étrangers de la Baltique et de la Mer Noire, qui affluent à bas prix sur tout notre littoral; mais, qu'on le sache bien, en France, une guerre malheureuse, une ou deux mauvaises récoltes seulement, c'est la famine.
(Nous donnons aux lecteurs et lectrices de L'ILLUSTRATION le vaudeville final de l'opéra On ne s'avise jamais de tout, charmant pont-neuf, plein de cette bonhomie vive et franche qui distinguait la musique d'autrefois. MM. les vaudevillistes ne manqueront pas sans doute d'en tirer parti.)
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DEUXIÈME COUPLET LE MARQUIS. Cher docteur, voulez-vous suivre Le conseil de la raison? C'est de brûler votre livre Et d'oublier sa leçon. LE DOCTEUR. Oui, ma foi! Je vous crois; De ce soin je me délivre. Mais j'en vois Comme moi S'adonner à cet emploi: Vieux jaloux, Loups-garoux. Il vous faut apprendre à vivre, Comprenez, Retenez Qu'ici-bas vous vous damnez, Un enfant vient à bout, etc. |
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TROISIÈME COUPLET LISE (AU PUBLIC). Avec l'espoir de vous plaire Nous rajustons aujourd'hui Un opéra centenaire En son temps fort applaudi. Les leçons. En chansons Parfois plaisent davantage; Les sermons Froids et longs Ici ne semblent pas bons. Si l'auteur, Par malheur, N'obtient pas votre suffrage, Il a tort; Mais encore, Ne le jugez pas à mort: Pardonnez à son goût Sa funeste méprise; Songez qu'on ne s'avise Jamais jamais de tout! |
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Lecteur as-tu souffert?--Non.
--Ce livre n'est pas pour toi.
on Jésus, qui fûtes aussi un petit enfant, et qui dès votre enfance avez commencé à souffrir; vous qui croissiez en âge et en sagesse, soumis à vos parents, et acquérant de la grâce devant Dieu et devant les hommes, oh! veuillez garder mon enfance, et faire que je n'en souille pas la pureté, et que mes oeuvres, conformes à votre volonté, me promettent un bel avenir aux yeux de mes parents et de mes concitoyens.
«Bon Jésus, qui avez tant aimé vos parents, je vous recommande les miens; bénissez-les, donnez-leur la patience dans la douleur, la force de se soumettre, et la consolation de me voir grandir tel qu'ils me désirent, dans la crainte du Seigneur.
«Bon Jésus, qui avez aimé votre patrie même ingrate, et qui pleuriez en prévoyant les maux dont elle allait être accablée, regardez mon pays d'un oeil bienveillant, délivrez-le de ses maux, convertissez ceux qui le contristent par leurs fraudes ou par leurs violences; inspirez-leur la confiance du bien, et faites que je puisse devenir un jour un citoyen probe, honnête, dévoué.»
Marguerite faisait répéter cette prière à son Venturino, qui se tenait à genoux devant elle et les mains jointes. Une mère qui apprend à prier à son enfant est l'image à la fois la plus sublime et la plus tendre qu'un puisse se figurer. Alors la femme, élevée au-dessus des choses de ce monde, ressemble à ce anges qui, nos frères et nos gardiens dans cette vie, nous suggère nos vertus et corrigent nos vices. Dans l'âme de l'enfant se grave, avec le portrait de sa mère, la prière qu'elle lui a enseignée, l'invocation au Père qui est dans le ciel. Lorsque les séductions du monde voudront le conduire à l'iniquité, il trouvera la force de leur résister en invoquant ce Père qui est dans le ciel. Jeté au milieu des hommes, il rencontre la fraude sous le manteau de la loyauté, il voit la vertu dupée, la générosité raillée, la haine furieuse, et tiède l'amitié; frémissant, il va maudire ses semblables... mais il se souvient du Père qui est dans le ciel. A-t-il, au contraire cédé au monde, l'égoïsme et ses bassesses ont-ils germé dans son âme? au fond de son coeur résonne une voix, une voix austèrement tendre, comme celle de sa mère lorsqu'elle lui enseignait à prier le Père qui est dans ciel. Il traverse ainsi la vie; puis, au lit de mort, abandonné des hommes, entouré seulement du cortège de ses oeuvres, il revient encore, en pensée, à ses jours enfantins, à sa mère, et il meurt plein d'une tranquille confiance dans le Père qui est au ciel.
Et Marguerite faisait répéter cette prière à son pieux enfant; puis le déshabillant elle-même, aimable travail qui n'est jamais une fatigue pour les mères, mais la plus suave des douceurs, elle le couchait, le baisait, et, avec l'effusion de la tendresse maternelle, elle s'écriait: «Tu seras vertueux!»
Bientôt Venturino abandonnait ses paupières à ce sommeil béni de l'enfance, qui s'endort sans une pensée entre les bras des anges, sans une pensée se réveille... Heureux jours! les plus beaux de la vie, et qu'on passe sans les goûter!
Marguerite contemplait In rapide respiration de l'enfant. Le brillant incarnat que le sommeil répandait sur les joues de Venturino l'invitait à les couvrir de ses baisers, et le visage de la mère resplendissait d'une ineffable béatitude pendant qu'elle demeurait absorbée dans la contemplation muette de ces yeux fermés, qui devaient lui sourire amoureusement au réveil.
Enfin, Marguerite s'arracha à ce berceau, et vint dans la salle où s'étaient réunis les plus intimes amis de la famille pour saluer le retour de Pusterla. La joie de le revoir avait effacé dans le coeur de Marguerite les déplaisirs que lui avait causés l'absence. Son âme, si bien faite pour sentir les jouissances domestiques, lui disait qu'après un éloignement si fécond en périls, rien ne sourirait davantage à son mari que de rester paisible entre sa femme et son fils, et de réunir trois vies en une seule. Mais d'autres pensées bouillonnaient dans l'esprit de Pusterla, et tout le jour il ne faisait que rêver et préparer la vengeance.
Pendant son séjour à Vérone, il n'avait point caché à Mastino ni le nouvel outrage qu'il venait de recevoir, ni sa vieille haine. Le Scaliger, voulant tourner ce ressentiment à son profit, l'enflamma autant qu'il put, et promit à Pusterla que, quelle que fût la résolution qu'il prît, il trouverait en lui assistance et protection. Matteo Visconti, que ses déportements rendirent fameux par la suite, ne devait pas être vivement touché des désordres de son oncle, mais il était bien aise de troubler l'étang pour y pêcher, et il attisa le mécontentement de Pusterla. Il lui donna des lettres pour ses frères Galéas et Barnabé, où il les exhortait à se souvenir de leur origine, et à profiter de l'occasion pour rompre le joug, comme il disait, d'un prêtre et d'un bourreau.
Pusterla étant revenu secrètement à Milan, aucune bannière sur les tours n'annonçait sa présence, et la garde accoutumée ne veillait point à la porte du palais; mais, à l'intérieur, Pusterla dévorait les orages de son âme, sans que sa femme parvint à les adoucir. Habitué à la vie bruyante des cercles, aux discussions, toujours avide de nouvelles et fortes émotions, il n'aurait pu passer même cette première soirée paisible dans sa famille: par son ordre, Alpinolo avait porté l'avis de son retour à ses amis les plus sûrs, et ceux-ci, le soir, l'un après l'autre, par une porte secrète donnant sur la voie des seigneurs qui étaient venus le trouver et le consoler.
Les dehors du palais étaient muets et sombres, comme s'il eût été désert; mais à peine Franzion Malcolzalo, le fidèle portier, avait-il fait passer les amis du seigneur d'une première cour dans la seconde, ils étaient accueillis par des valets vêtus en livrée mi-partie jaune et noire, qui, portant des torches de cire, les introduisaient de plain-pied dans une vaste salle sans communication avec le palais, et entourée par les jardins. Des tapisseries historiées couvraient les murailles; çà et là des étagères portant des vases et des plats en faïence avec des fruits en relief et coloriés; deux larges fenêtres percées de chaque côté et tendues de rideaux d'éclatantes couleurs, donnaient passage à la brise du soir, qui tempérait agréablement la chaleur du mois de juin. Ils entraient, et les uns entourant Francisco, les autres assis sur de vastes chaises de velours, d'autres, près d'une table où l'on avait jeté en désordre des gants, des manteaux, des épées, des toques, discouraient, racontaient, interrogeaient, écoutaient. On remarquait le bouillant Zurione, frère de Pusterla; le modéré Maflino de Resozzo. Calzino Forniello de Novare, Borolo de Castelletto et d'autres, exaltés Gibelins, qui, dégoûtés aujourd'hui d'un prince dont ils avaient autrefois établi le pouvoir, montraient par là qu'il n'avait point réalisé leurs espérances. Les frères Pinalla et Martino Aliprandi arrivèrent les derniers. Ils étaient nés à Monza: le premier, habile capitaine; le second, jurisconsulte renommé. Ils avaient gagné la faveur d'Azone en lui ouvrant, en 1329, les portes de Monza, que Martin, devenu podestat, fit ceindre de murailles. Pinalla la défendit contre l'empereur Louis de Bavière; puis, à la tête de l'armée de Visconti, il enleva Bergame au roi de Bohême. Ces prouesses lui valurent d'être, à la Pâque de 1338, armé chevalier dans l'église de Saint-Ambroise, en même temps que notre Pusterla. Mais Pinalla était descendu de cet apogée lorsque, à l'époque de l'invasion de Lodrisio, il se vil lâchement abandonné des troupes qu'on lui avait confiées pour défendre le passage de l'Adda à Rivolta. Une nouvelle guerre qui pourrait le venger du dédain de Luchino, ou du moins, par de belles emprises et de brillants succès, effacerait la honte de son armée, était le plus ardent de ses désirs.
Dans une telle assemblée et dans une semblable circonstance, on ne devait point s'attendre à de paisibles discussions: au ressentiment des malheurs publics, chacun ajoutait le ressentiment d'une injure particulière. Aussi s'échappèrent-ils en projets violents, furieux contre les tyrans de leur pays, et ils donnèrent d'autant plus carrière à leur haine qu'ils étaient plus sûrs de ceux qui les entouraient. «Hélas! oui, s'écriait Franciscolo, au moment un Marguerite, après avoir couché son fils, entrait dans la salle, ils vont, ces vieillards, chantant les maux qui nous accablaient au temps de notre liberté! Ce n'étaient que batailles: tous, jusqu'aux enfants, devaient s'exercer sans cesse au maniement des armes. Tout à coup sonnait la Martinella, on sortait le Caroccio, et chacun, de gré ou de force, était réduit à se vêtir de fer, à se priver du repos de sa maison, des gains de son métier, pour courir dans les sanglants dangers de la mêlée ou dans les obscurs périls de l'embuscade; d'autres fois, révoltes des bourgeois, exils, dénonciations, meurtres... Oh! que n'avons-nous un chef qui nous contienne avec une main de fer! C'est ainsi que parlaient les timides à qui la nature a refusé un sang généreux, ou qui s'est refroidi sous les glaces de l'âge.»
Zurione l'interrompant: «Et c'est là aimer la patrie! Ils récoltent aujourd'hui ce qu'ils avaient semé. La liberté est éteinte, la guerre ne l'est pas. Les meurtres, l'exil, ne sont pas moins fréquents et ils ne profitent plus à la patrie; ils ne servent qu'à consolider la puissance de notre maître et à river nos propres fers. Alors c'était nous qui voulions la guerre, nous qui la décrétions. Après l'effervescence d'une première ardeur, tout se calmait et mûrissait pour le bien de tous ou du plus grand nombre. Aujourd'hui le seigneur commande la bataille seul, à son gré, pour satisfaire à des intérêts isolés, et c'est nous qui devons le suivre. Notre travail est sa gloire.
--Vous dites vrai, s'écriait Alpinolo, sa gloire! A qui est revenu l'honneur de la victoire de Parabiago? qui a triomphé? qui en a tiré profit? On a dit: Luchino est un vaillant chevalier, donc élevons-le à la seigneurie.--Et pourtant, si nous n'avions pas été là!...
--Oh! pourquoi, reprenait Zurione, pourquoi l'as-tu détaché de l'arbre à Parabiago?
--Il eût certainement mieux valu l'y laisser, dit le docteur Aliprando; on ne verrait point aujourd'hui les privilèges des nobles foulés aux pieds, les Gibelins confondus avec les plus vils Guelfes, les grands seigneurs grevés de tributs comme la plèbe la plus infime; on ne verrait point dans l'oubli ceux qui autrefois....
--Et nous nous taisons! disait Alpinolo, les yeux étincelants et frappant la table de sa main. Ne pouvons-nous nous venger? Quoi! n'avons-nous plus d'épées? Les bras lombards n'ont-ils plus de nerfs? Nous n'avons qu'à vouloir être libres, nous le serons.»
Et il levait les yeux sur Marguerite comme pour chercher nue approbation dans l'expression des traits de sa maîtresse. Dès sa première enfance, Marguerite avait été habituée à entendre discuter chez elle les affaires publiques, et elle s'était formé une manière de les voir et de les apprécier. Dans ces temps où la vie publique avait tant d'énergie, il n'était donc pas ridicule qu'une femme s'entretînt de politique, et elle ne laissait pas l'impression fâcheuse qu'on peut éprouver à d'autres époques en voyant une dame décider hardiment les questions qui embarrassent les plus âgés, sans écouter autre chose que la sensation du moment où l'opinion de son plus proche voisin. L'éducation qu'elle avait reçue de son père lui avait appris à discerner la raison des exagérations des exaltés, et les injures véritables des préjugés de la passion; mais, n'espérant pas calmer l'impétuosité de l'assemblée, ni lui faire goûter ses raisonnements, elle se tenait à l'écart, et commença à causer avec le docteur Aliprando.
Celui-ci, en véritable érudit qu'il était, se montrait tout fier d'avoir eu le premier, à Milan, le livre des Remèdes de l'une et de l'autre Fortune, publié vers ce temps par Pétrarque, et il s'était empressé de l'apporter dans cette soirée à Marguerite, qu'il savait amoureuse des belles nouveautés. Elle feuilletait: ce livre en lui demandant son avis et en jetant çà et là les yeux sur le parchemin. Bientôt, de sa belle main, elle demande un peu de silence, et, d'une voix suave qui commanda aussitôt l'attention des assistants, comme au milieu d'une taverne lorsqu'une flûte mélodieuse se fait entendre, elle parla ainsi: «Écoutez les sages pensées du livre que le docteur m'a donné: Les citoyens crurent que ce qui était la ruine de tous n'était la ruine d'aucun d'eux. C'est pourquoi il convient de chercher avec piété et prudence à porter la paix dans les esprits; et si cela ne réussit pas auprès des hommes, il faut prier Dieu de ramener la lumière dans l'âme des citoyens.»
Alpinolo comprit cette réponse indirecte. «Si l'énergie d'une volonté unanime, dit-il, manque aux citoyens, que ne peut accomplir un seul homme? que ne peut le poignard d'un homme résolu?»
Aliprando, prenant le livre dans ses mains, ajoutait: «Madonna est comme l'abeille; des fleurs, elle ne prend que le miel. Mais l'abeille elle-même a son aiguillon pour repousser les attaques, et je vous prie d'écouter ce que le divin poète dit en un autre endroit; il lut: On a un seigneur de la même façon qu'on a la gale et la pituite. Seigneurie et bonté sont choses contradictoires. Dire qu'un seigneur est bon n'est que mensonge et adulation manifeste; il est le pire de tous tes hommes parce qu'il enlève à des concitoyens la liberté, le plus grand de tous les biens de ce monde, et que, pour satisfaire l'insatiable avidité d'un seul, il voit d'un oeil sec des milliers de souffrances. Qu'il soit aimable, gracieux, libéral à donner au petit nombre de ses favoris les dépouilles de ses sujets, qu'importe? c'est l'art de ces tyrans que le peuple appelle seigneurs et qui sont ses bourreaux.--Bien!--Bravo!--Bien pensé!--Heureusement dit!» Tels étaient les cris qui, de toutes parts, s'élevaient de;'assemblée. Le docteur, flatté de ces applaudissements comme s'ils se fussent adressés à lui-même, continua: «Prêtez l'oreille, voilà qui est plus fort: Comment peux-tu déchirer tes frères, ceux qui ont passé avec toi les jours de l'enfance et de l'adolescence, ceux qui ont respiré le même air sous le même ciel, qui ont tout partagé avec toi, sacrifices, jeux, plaisirs, souffrances? De quel front peux-tu vivre là ou tu sais que ta vie est détestée et que chacun te souhaite, la mort?--Qu'en dites-vous? Est-il besoin de vous expliquer ce portrait? n'est-il pas écrit précisément pour....
--Pour Luchino! qui en doute? c'est lui tout entier,» répliquèrent ensemble tous les conjurés. Puis l'un commentait, un second répétait, un autre voulait voir de ses yeux les paroles sacro-saintes du grand Italien, de l'Italien vraiment libre, comme ils appelaient Pétrarque, sans se souvenir qu'il courtisait alors les prélats dans Avignon, qu'il avait caressé Luchino de ses flatteries, et que, mesurant les vertus des princes à leur libéralité, il avait proclamé l'évêque Giovanni le plus grand homme de l'Italie. Ces adulations devaient même lui attirer le blâme d'un autre illustre de ce temps-là, Boccace, qui lui reprocha de vivre dans une étroite amitié avec le plus grand et le plus odieux des tyrans de l'Italie, dans une cour aussi pleine de bruit et de corruption que l'était celle des Visconti.
Marguerite, dont la douceur naturelle avait été entretenue par les conseils intelligents de son père, jetait ça et là quelques paroles pour désapprouver les mesures excessives. Elle montrait que de telles plaintes contre un gouvernement tyrannique ne pouvaient que l'empirer et envenimer les souffrances. Il fallait plutôt, s'il était possible, le réformer par les voies légitimes, et non allumes dans le sein des opprimés une fureur impuissante. Si ces moyens manquaient, il fallait souffrir en paix ou changer de patrie. «J'ai entendu, ajoutait-elle, dire souvent que la patience est la vertu des novateurs. Aucune réforme ne peut grandir si elle n'a ses racines dans le peuple. Ce peuple, malgré l'opinion des partis extrêmes, n'est ni tout or, ni tout fange. Sans cesse courbé sous le travail, il ne s'abandonne guère aux sentiments, et calcule de préférence les avantages immédiats. Ne dédaignez pas les avis d'une jeune femme; je vous les donne comme empreints de l'expérience de mon père, qui avait aussi ce proverbe dans la bouche: Le peuple est comme saint Thomas, il veut voir et toucher. Mais vous, quelle est votre conduite? Vous parlez de liberté, et vous n'interrogez point la volonté du peuple; de vertu, et vous vous préparez à l'assassinat!
--Non! non! c'est parler avec sagesse,» disait en l'appuyant Maflino Resozzo; «on ne doit point recourir à des moyens si désespérés. A quoi sert jamais le meurtre d'un tyran? Demain le peuple s'en donnera un autre. Nos pères suivaient une route plus sûre. La religion a établi sur la terre une puissance supérieure à celle des trônes, gardienne spirituelle de la justice et tutrice de la faiblesse contre la violence. L'innocence qui se confie en elle et lui demande secours est toujours accueillie, et l'épée des tyrans s'émousse contre le manteau des papes étendu sur l'humanité. Vous vous rappelez, qu'un empereur demanda pardon, les pieds nus, à Grégoire VII, des injustices commises. Quand Barberousse voulait étouffer la liberté lombarde, qui marchait à la tête de notre ligue, qui empêcha l'Italie de tomber tout entière sous le joug des Allemands? Qui réprima la sauvage tyrannie d'Ezzelino? Aujourd'hui, nous nous défions de cette puissance pacifique pour ne nous en rapporter qu'à notre épée. Nous voyons les fruits de notre défiance.
--O le guelfe hypocrite! ô le papiste! ô le moine!» s'écrièrent à la fois les assistants, ils n'avaient point de raisons à opposer aux faits rapportés par Maflino; aussi se jetaient-ils dans l'injure et dans le sophisme. «Le pape, reprenait Pusterla, que peut-on espérer de lui? Homme-lige de la France, il veut se créer un royaume terrestre rumine ces princes que nous combattons. II n'y a de salut que dans le peuple.
--Et le peuple, interrompit Martin Aliprando, le peuple, n'est-ce pas nous? La pesanteur du joug des Visconti n'est-elle pas sentie par tous? Le peuple qui l'a élu peut lui retirer l'autorité qu'il lui a donnée. Mais ce peuple qui gémit dans l'oppression a la bouche fermée par l'épouvante. Il n'est qu'un moyen pour qu'il manifeste ses voeux, et c'est la révolte.
--Et les armes, ajouta Pinalla.
--L'État, reprit Franciscolo, est entoure de seigneurs chagrins ou envieux de la grandeur de Luchino. Qu'y a-t-il de plus facile que de s'entendre avec eux? Je suis sûr de Vérone. Loin de désirer l'amitié de Visconti, le Scaliger n'attend que l'heure de se déclarer contre lui. La révolte de Lodrisio a montré que pour détruire la Vipère, il ne fallait qu'une bande soudoyée. Que sera-ce donc lorsqu'elle sera attaquée par un chef appuyé de la confiance du peuple!
--Ne pourrait-on pas tirer Lodrisio lui-même de sa prison de Saint-Colomban? demanda Zurione.
--N'est-il donc pas d'homme, dit avec mépris Pinalla, qui sache mieux que lui tenir l'épée?
--N'est-il pas de chefs, ajoutait Borolo, d'une naissance plus relevée? Barnabé et Galéas sont maintenant mal vus de leur oncle; ils lèveraient bien vite leur bannière s'ils étaient certains d'avoir des partisans.
--Quel fond peut-on faire sur eux pour notre dessein? demandait Pusterla, à demi fâché de n'être point proposé lui-même. J'ai pour eux des lettres de leur frère Matteo, mais je ne sais jusqu'il quel point on doit compter sur eux.
--Ce sont des âmes libres, enflammés l'amour du bien public et de la liberté,» criait Alpinolo, prompt à supposer dans les autres les sentiments qui l'animaient. Mais Resozzo, plus expérimenté et plus pénétrant, répliqua: «Amis île la liberté! Attendons pour leur donner ce nom qu'ils soient assis au pouvoir. Qu'un général assiège une cité, il met tous ses soins à en démolir les défenses; il ouvre la brèche, il abat les murailles. S'en est-il rendu maître, il va mettre tous ses soins à relever les remparts, à réparer, fortifier les murs de la ville. C'est l'image de ceux qui aspirent à gouverner.
--Et c'est pourquoi, ajouta Ottorino Borso, ils donnent de l'ombrage à Luchino. Barnabé joue un double rôle: il se montre avec nous amoureux de la liberté; avec son oncle, dégagé de tout désir de régner. Quant au beau Galéas, son ambition s'évapore au sein des magnificences où il figure, et il est trop occupé à partager le lit de Luchino pour pouvoir partager son trône.»
Cette saillie excita un rire général. Zurione l'interrompit. «Qu'avons-nous besoin, s'écria-t-il, de revenir sans cesse à cette famille maudite? Nous avons été maltraités par les pères, donc il nous faut mettre les fils à notre tête: beau raisonnement, en vérité! La cité est-elle donc si dépourvue de citoyens riches et puissants? Au dehors, manquons-nous d'alliés prêts à nous tendre la main? Quelque ennemi qui se présente contre Luchino, nous sommes prêts à le seconder...
--Et une foule d'innocents tomberont sous l'épée en courant à la recherche d'un bien qu'ils ne connaissent pas, que peut-être ils ne désirent pas. Et vous attirez sur la patrie la guerre, la ruine, les massacres, les violences, pour un résultat incertain ou pour une victoire dont l'unique fruit sera un changement de maître.»
Marguerite avait ainsi interrompu son parent, s'exprimant avec ce calme qui est l'attribut de la raison. Mais il faut d'autres accents pour frapper des esprits exaltés. On criait de tous côtés: «Avec une pareille doctrine, on n'entreprendrait jamais rien.--Le bien public doit être préféré au bien particulier.--Aucune entreprise n'est plus sainte que celle de délivrer la patrie.» Franciscolo, avec un mouvement de dédain, s'écria impérieusement. «Soit, restons là, les mains dans les mains; faisons-nous troupeau pour que le loup nous dévore; taisons-nous, et que le tyran foule aux pieds nos privilèges, qu'il déshonore nos femmes....»
A peine cette parole fut-elle sortie de ses lèvres, que, songeant au coup qu'elle allait portera Marguerite, il eût voulu la retenir. Il s'approcha d'elle, la combla de caresses, l'appela des noms de tendresse qu'elle affectionnait le plus. Mais sa parole avait été accueillie par un murmure d'approbation et avait tourné la conversation car la tentative injurieuse de Luchino, sur les débauches de ce prince et sur d'autres faits de même, nature. Celui-ci rappelait l'insolence de Lando de Plaisance; celui-là parlait d'Ubertino de Carrare, qui, ayant été outragé par Alberto della Scala, fit ajouter une corne d'or à la tête de More qu'il portait pour cimier, et qui, peu de temps après, par ses manoeuvres, enleva Padoue aux Scaliger. «Ce n'est pas la première fois qu'on perd une belle ville pour avoir insulté une belle femme.--Gloire à Brutus et à ses imitateurs! vive la liberté! vive la république! vive saint Ambroise!» Ces cris faisaient résonner les échos de la salle. Comme une décharge électrique secoue tous ceux qui se trouvent dans l'air qu'elle a remué, ainsi la parole d'un seul homme avait animé toutes ces imaginations lombardes.
Au milieu de l'agitation de l'assemblée, apparut un petit esclave mauresque, vêtu de blanc à l'orientale, avec de grosses perles aux oreilles et au cou. Il portait sur sa tête, en levant les bras à la façon des amphores antiques, un vaisseau d'argent en forme de panier, dans lequel on avait disposé des rafraîchissements et des confitures. A côté de lui, un page portait, sur une soucoupe d'or ciselé, une large tasse de même métal et travaillée avec un art infini; un autre page la remplissait d'un vin exquis contenu dans une fiole d'argent. On l'offrit d'abord, à genoux, à Franciscolo, qui la porta à ses lèvres et la fit circuler parmi ses amis. On dut la remplir plusieurs fois, et la généreuse liqueur exalta encore dans les âmes l'amour de la patrie.
«A la liberté de Milan! s'écria Alpinolo.
--Oui, oui, répondirent-ils tous; et, vidant les coupes, ils criaient: Vive Milan! vive saint Ambroise!
--Et meurent les Visconti!» ajouta Zurione. Cette parole ne resta pas sans échos, mais personne ne se leva, comme de nos jours le Parini, pour corriger ce cri en disant: «Vive la liberté! et la mort à personne!»
Bientôt, après s'être serré la main en signe d'alliance et de fidélité, ils jetèrent leurs manteaux sur leurs épaules, enfoncèrent leurs bérets sur leurs têtes, et se séparèrent en se promettant de garder le silence, de penser à leur projet commun et de se revoir.
Marguerite s'était retirée dès que la malencontreuse parole de Franciscolo lui avait rappelé le triste souvenir de l'outrage qu'elle avait reçu, et réveillé en elle le déplaisir de n'avoir pu le tenir secret. Lorsque les conjurés furent partis, Franciscolo alla la rejoindre, et ils décidèrent entre eux qu'ils iraient avec leur fils s'établir dans le Véronais, pour attendre en sécurité l'occasion favorable. Ils firent donc tout préparer pour leur départ, qu'ils avaient fixé à la nuit du lendemain.
--Mais le lendemain repose dans la droite du Seigneur.
Lettres sur la Russie, la Finlande et la Pologne: par M. X. Marmier, auteurs des Lettres sur le Nord et sur la Hollande. 2 vol. in-18.--Paris, 1843. Delloye. 3 fr. 50 c. le vol.
M. X. Marmier s'est épris d'une véritable passion pour le nord de l'Europe. Depuis plusieurs années il a beaucoup écrit sur l'Islande, sur le Nord, sur la Hollande, et il continue encore ses études littéraires et historiques, «si douces à poursuivre, dit-il, qu'il oublie de les achever.» la Russie, la Finlande et la Pologne sont les huis contrées septentrionales qui lui ont, cette année, fourni l'occasion d'entretenir une active et intéressante correspondance avec des hommes d'État, des ministres, des poètes, des littérateurs. Qu'on ne cherche pas dans ces nouvelles lettres des impressions de voyages imaginaires, des anecdotes vulgaires racontées avec un esprit commun, des catalogues d'objets matériels, une érudition factice et ridicule, des descriptions trop vivement colorées, des observations plus piquantes que vraies. M. X. Marmier a évité avec bon sens et avec goût les défauts que la critique reproche si justement à MM. A. Dumas, Victor Hugo, Th. Gautier, de Custine, etc. Son talent, calme et pur, est en harmonie avec le caractère des contrées vers lesquelles il se sent toujours attiré. Qui ne deviendrait dans certains moments un peu rêveur «sur ces plages mélancoliques, au bord de ces lacs limpides voilés par l'ombre des pâles bouleaux, au milieu de ces simples et honnêtes tribus, si fidèles encore à leur nature primitive et à leurs moeurs patriarcales?»
Parti de Stockholm au mois de mai 1842, M. X. Marinier relâche d'abord aux Iles d'Alant; puis, ayant débarqué à Abo, il se rendit par terre à Helsingfors. Quatre de ses lettres sont consacrées à la Finlande. Après avoir raconté longuement la fondation de l'université d'Abo, transportée depuis à Helsingfors, après être entré dans des détails minutieux sur l'organisation intérieure et les progrès de cette université, M. X. Marmier s'attache à faire connaître à ses lecteurs la littérature finlandaise ancienne et moderne. Il analyse ou traduit tour à tour les vieilles épopées nationales, le Kalevala et le Kanteletar, on les chefs-d'oeuvre des poètes contemporains dont les noms étaient demeurés presque complètement inconnus en France, Choraens, Franzen et Runeberg,--Le 3 juin il s'embarque à Helsingfors sur un navire à vapeur, longe les côtes du golfe de Finlande et va débarquer à Vibord, d'où il gagne Saint-Pétersbourg en poste.
M. X. Marmier ne fit qu'un court séjour à Saint-Pétersbourg et à Moscou; aussi deux lettres lui suffisent-elles pour décrire leur aspect général et leurs principales curiosités; mais il avait su mettre à profit le temps qu'il venait de passer dans les deux capitales de la Russie. Non content de décrire ce qu'il a vu, il raconte ce qu'il a lu, ce qu'il a entendu. Le couvent de Troitza et le clergé; noblesse, administration et servage; chants populaires, littérature moderne; tels sont les titres de quatre autres lettres consacrées à la Russie et adressées à M. de Lamartine, à M. Michelet, à M. Edilestand du Meril et à M. Amédée Pichot.
En quittant la Russie, M. X. Marmier se rendit en Pologne, dont il visita aussi les deux anciennes capitales, Varsovie et Cracovie. Il nous donne sur l'état actuel de ce malheureux pays du si tristes détails, que nous ne nous sentons pas même le courage d'en faire l'analyse. «Heureusement, s'écrie-t-il en terminant, au fond des souffrances humaines, le ciel, dans sa commisération, a laissé l'espérance. C'est là le dernier sentiment de consolation qui reste aux Polonais, à ceux qui gémissent sur les ruines de leur patrie, et à ceux qui la regrettent sur les rives étrangères.»
«Ce livre, avait dit M. X. Marmier dans sa préface, est le résumé de ce que j'ai pu apprendre, recueillir dans une contrée où il y a tant de choses à apprendre et à recueillir. L'impartialité que j'apportais dans mes observations, j'ai taché de la conserver dans mon récit. Entre les flatteurs officiels de la Russie qui pour elle, épuisent les formules de la louange, et les hommes indépendants, mais parfois trompés, qui ne considèrent que ses vices grossiers, ses vestiges de barbarie et son outrecuidance, il reste encore une assez large place pour ceux qui ne cherchent qu'à voir cet empire tel qu'il est, dans son luxe désordonné et sa misère profonde, dans l'audacieux élan de sa pensée et les lourdes entraves de son état politique et social. C'est cette place que j'ambitionnais; car sur les places du golfe de Finlande comme sur les rives de la Neva, à Moscou comme à Varsovie, je ne voulais obéir qu'à un sentiment de coeur et de conscience, je ne voulais faire qu'un livre loyal et sincère.»
Philosophie sociale de la Bible; par l'abbé F.-B. Clément. 2 vol. in-8.--Paris, 1843. Paul Mellier. 15 fr..
La Philosophie sociale de la Bible, que vient de publier l'abbé F.-B. Clément, se divise en deux grandes parties: La première, sous le titre de Mosaïsme, traite des principes de stabilité avant le Christ, et plus spécialement de la législation juive; la seconde, sous le nom de Christianisme, comprend l'analyse et l'application raisonnée des principes sociaux dérivés de la pensée chrétienne. Cette division ainsi expliquée, M. F.-B. Clément expose lui-même, dans les termes suivants, le but et les résultats de son ouvrage.
L'auteur, dit-il, s'est demandé d'abord s'il n'v aurait pas dans le monde moral, aussi bien que dans le monde physique, une loi universelle établie pour coordonner et diriger les êtres moraux, comme il y a dans le monde des corps une grande et unique loi qui préside à la reproduction et à l'arrangement harmonique des êtres matériels. Cette première idée est jetée en avant dans une courte introduction destinée surtout à rappeler le besoin des croyances en général.
Pour découvrir une loi, il faut étudier le phénomène ou l'être, car la loi en relation suppose l'être préexistant. Puisqu'il s'agit de trouver la loi de l'homme, c'est lui d'abord qu'on doit examiner attentivement. Ici, l'auteur se sépare de tous les systèmes philosophiques et prend son point de départ dans la Bible. Il pense avec raison (c'est M. l'abbé Clément qui parle) que le livre qui donne de la nature divine les notion les plus saines et les plus pures, peut fournir aussi la meilleure definition de l'homme. Il interroge donc la bible, et à la question: Qu'est-ce que l'homme? la Bible répond que c'est une créature faite à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Un voit par cette définition que la raison de l'homme, c'est-à-dire ce qui fait qu'il est tel et pas autre chose, consiste dans sa ressemblance avec la divinité; donc il y a trois dans l'homme comme en Dieu: la puissance ou force, correspondant au père; le verbe ou l'entendement, au fils, et le sens, à l'esprit. Le moi humain n'est pas l'unité simple, mais une société indivisible, car l'homme converse avec lui-même; il s'interroge et se répond. Deux de ces trois termes ou éléments du moi, la puissance et le sens, produisent la variété, taudis que le troisième, le verbe, donne l'unité, l'union, la fusion. En d'autres mots, deux termes fournissent la différence, et un seul la ressemblance. Or, la loi la plus générale des êtres ne peut consister dans leurs caractères différentiels, mais dans celui de ressemblance qu'ils ont entre eux. Le verbe sera donc appelé à donner la loi générale du genre humain.
Le désordre originel survenu dans le développement des éléments constitutifs du moi fournit l'explication de la société ancienne. La perturbation de la petite société individuelle grandissant avec l'humanité, amène les gouvernements par la force brutale et l'anarchie après leur chute. L'union est impossible, parce que l'élément de fusion n'a pas reçu son développement légitime.
Un seul peuple sort de la loi commune; il démêle parmi les ruines du monde moral quelques restes précieux des traditions primitives, se construit un symbole invariable, et parvient ainsi à traverser, sans se perdre, les temps obscurs de la sensualité et de l'ignorance. On reconnaît ici la race d'Abraham. L'auteur, mettant de côté pour le moment le merveilleux de l'histoire juive, s'attache à l'examen analytique de l'ancienne loi, montre la sagesse des principales dispositions du culte mosaïque, et conclut que l'union seule donne et assure lu vie nationale et la liberté.
Les derniers chapitres de cette première partie sont consacrés à traiter du merveilleux et de la parole. Afin de conserver au raisonnement l'unité et la suite nécessaires, l'auteur a renvoyé à la fin du volume ces deux questions importantes, qu'il envisage particulièrement sous le point de vue social. Le merveilleux ou miracle est destiné plutôt à l'homme multiple qu'à l'individu; il complète ce que l'homme ne peut faire par lui-même; c'est le moyen extra-naturel tenu en réserve pour les circonstances extraordinaires. La parole est avant tout le véhicule de la vérité; elle se développe avec la vérité; mais l'erreur se mêle aussi à ce développement. Fidèle au principe qu'il s'est pose lui-même en parlant des croyances traditionnelles contenues dans la Bible, l'auteur ne pouvait faire du langage une institution purement humaine, comme il plaît à quelques-uns. C'est au ciel qu'il remonte pour trouver la première parole et en même temps la première vérité.
Le rétablissement de l'ordre, trouble au commencement, ne peut être la continuation des systèmes sociaux anciens. A l'exception du mosaïsme, tous se résumaient dans l'usage de la force. Quand la force fait la loi, il n'y a point de liberté. Or, le christianisme, c'est la réparation, la rédemption, la délivrance. Il est donc appelé à renouveler non-seulement l'homme individuel, mais encore l'homme social. C'est ici qu'il faut pénétrer dans la pensée chrétienne pour en extraire les vrais éléments de sociabilité, et montrer que le christianisme est éminemment l'union, la fusion de tous les êtres moraux; que c'est la variété au sein de l'unité, mais non l'unité dans la variété. L'union produit la véritable force; elle consacre la liberté, car un être vraiment fort est toujours libre. De la, il suit que la tyrannie n'est jamais au pouvoir d'un seul homme, que les peuples eux-mêmes fondent le despotisme en se divisant; il suffit, pour s'en convaincre, de voir l'autocratie levant la tête au-dessus des peuples hostiles à l'unité chrétienne, tandis que la liberté grandit et se développe au sein des nations assez heureuses pour avoir conservé cette unité.
La liberté n'est donc pas le résultat logique de telle ou telle forme de gouvernement; elle est fille de la vérite qui réunit; lu tyrannie est enfantée par l'erreur qui divise. Cependant tous les esprits étant unis par la vérité, l'union une fois solidement établie, la meilleure forme gouvernementale sera toujours celle qui représentera le mieux l'unité. En somme, l'auteur s'attache à prouver non-seulement que le christianisme complet n'est pas contraire à la liberté des peuples, mais que cette liberté n'est possible qu'au sein du christianisme; que le règne de la liberté lui retarde en proportion des obstacles opposés au développement légitime et naturel du christianisme.
Enfin, après avoir puisé dans la doctrine du Christ les vraies notions de la foi et du droit, l'auteur conclut que Dieu et l'humanité ne fournissant que deux relations, celle de supériorité de Dieu sur les hommes, celle d'égalité entre les homme, il n'y a point de forme gouvernementale meilleure que celle qui consacre cette double relation de supériorité et d'égalité. Or, le christianisme complet se résume dans l'égalité des hommes sous la loi ou supériorité divine, dès que cette supériorité se pose comme base fondamentale d'un système législatif, il se dessine une double forme de gouvernement: la monarchie et l'aristocratie, également chrétiennes, parce qu'elles découlent l'une et l'autre de l'unité du principe.
Comme on le voit par cette analyse que nous lui avons fidèlement empruntée, M l'abbé Clément croit que le dix-neuvième siècle doit chercher dans la Bible seule «un véritable système de philosophie, c'est-à-dire un corps de doctrines intimement liées, logiquement déduites, et toutes en rapport avec la nature de l'homme consideré sous le triple point vue de l'être moral, politique et religieux» Ce n'est pas ici le lieu de combattre celles des assertions de M. l'abbé Clément qui nous paraissent contestables; nous devons nous borner, dans ce bulletin, à faire connaître à nos lecteurs le but principal que se propose l'auteur de la Philosophie de la Bible, et les moyens à l'aide desquels il espère l'atteindre. Quel que soit l'avenir réservé à ses théories, il n'en aura pas moins publié un ouvrage aussi remarquable par la forme que par le fond, et digne de l'attention et de l'estime particulières de tous les esprits sérieux.
Éléments de Géographie générale, ou Description abrégée de la terre, d'après ses divisions politiques, coordonnée avec ses grandes divisions naturelles, selon les dernières transactions et les découvertes les plus récentes; par Adrien Balbi. 1 vol. in-18 de 600 pages, avec 8 cartes.--Paris, 1843, Jules Renouard. 15 francs.
Un traite de Géographie moderne, quelque élémentaire qu'il soit, doit offrir, selon M. Balbi, trois divisions principales, correspondantes aux trois points de vue principaux sous lesquels la géographie considère la terre; savoir; comme corps céleste, faisant partie du système solaire; dans sa structure, et comme séjour des êtres organises et de l'homme en général; enfin, comme habitation des différents peuples formant les États qui se partagent sa surface.
Les Éléments de Géographie généraux que vient de publier M. Balbi se divisent donc en deux parties distinctes: la partie des principes généraux, qui embrasse les deux premières divisions de la science, et la partie descriptive, qui comprend la troisième.
Dans la première, qui est de beaucoup la moins étendue, M. A. Balbi expose en dix chapitres toutes les notions les plus indispensables que la géographie emprunte à l'astronomie, aux mathématiques, à la physique, à l'histoire naturelle, à l'anthropologie et à la statistique, Un de ces chapitres est entièrement consacré aux définitions qui, en géographie, comme dans toutes les autres sciences, doivent toujours précéder l'exposition des théorèmes ou des faits.
La partie descriptive est partagée en cinq grandes sections, correspondant aux cinq parties du monde. Chaque section se subdivise en géographie générale et en géographie particulière. La géographie générale offre, pour chaque partie du monde, la géographie physique et la géographie politique, en donnant leur, éléments principaux dans les articles: position astronomique, dimensions, confins, mers et golfes, détroits, caps, presqu'îles, fleuves, caspiennes, lacs et lagunes, îles, montagnes, plateaux et hautes vallées, volcans, plaines et vallées basses, déserts, steppes et landes, canaux, routes, chemins de fer, industrie, commerce, superficie, population absolue et relative, ethnographie, religions, gouvernements, divisions. La géographie particulière comprend autant de chapitres qu'il y a de grands États ou de grandes régions géographiques à décrire. Leur description se compose des articles suivants; position astronomique, confins, fleuves, topographie, et, pour les États qui ont des possessions hors d'Europe, possessions. Un tableau statistique complète la description de chaque partie du monde, en offrant dans ses colonnes le titre de chaque État, sa superficie, sa population absolue et sa population relative.
Cette courte analyse suffit pour prouver que les Éléments de Géographie, «miniature de son Abrégé,» comme les appelle M. A. Balbi, ne sont que l'Abrégé lui-même, considérablement diminué, corrigé et augmenté dans certaines parties, et mis à la portée de toutes les intelligences et de toutes les fortunes. M. A. Balbi n'a pas la prétention d'offrir au lecteur un ouvrage parfait; mais, par le soin qu'il lui a donné, il se flatte que, malgré son cadre resserré, il a évité l'omission de tout point général d'une véritable importance, comme aussi il croit avoir renfermé dans le plus petit espace possible le plus grand nombre de faits géographiques dont l'ensemble constitue la science dans son état actuel.
Mémoires de madame de Staël (Dix Années d'Exil), suivis d'autres ouvrages posthumes du même auteur. Nouvelle édition, précédée d'une Notice sur la vie et les ouvrages de madame de Staël; par madame Necker de Saussure. 1 vol. in-18 de 600 pages.--Paris, 1843. Charpentier. 3 fr. 50 c.
L'ouvrage posthume de madame de Staël, publié sous le titre de Dix années d'Exil se compose de fragments de mémoires que l'illustre auteur de Corinne se proposait d'achever dans ses loisirs, et n'embrasse qu'une période de sept années, séparées en deux parties par un intervalle de près de six années. En effet, le récit, commencé en 1800, s'arrête en 1804 recommence en 1810 et s'arrête brusquement en 181 2.--si incomplet, si passionné, si injuste qu'il soit, cet ouvrage excitera toujours un vif intérêt. La première partie est un pamphlet politique contre Napoléon, «destiné à accroître l'horreur des gouvernements arbitraires.» comme l'espère M. de Staël fils dans sa préface; la seconde, une relation détaillée des voyages de madame de Staël en Suisse, en Autriche, en Pologne, en Russie et en Finlande. Outre Dix années d'Exil, le nouveau volume que vient de publier M. Charpentier renferme notice d'environ 200 pages sur la vie et les ouvrages de madame de Staël par madame Necker de Saussure; l'éloge de M. Guibert; neuf pièces de vers et des essais dramatiques, ***** dans le désert, scène lyrique; Geneviève de Brabant, drame en 3 actes et en prose; la Nanumate drame en trois actes et en prose; le Capitaine Kersadec, ou Sept Années en un Jour, comédie en deux actes; ******** et le Mannequin, proverbes dramatiques, et S*****, drame en cinq actes et en prose.
[Note du transcripteur: les astérisques indiquent des caractères complètement délavés dans le document électronique qui nous a été fourni.]
Développement général.
Développement partiel.
Un fabricant de papiers peints(1) a eu l'ingénieuse idée d'appliquer la forme simple et portative du paravent à la construction de petits théâtres de campagne.
Note 1: Passage Choiseul.
Un seul de ces paravents suffit pour la représentation de la plupart des proverbes; avec deux, figurant un salon et un jardin, on peut représenter toutes les pièces d'un répertoire très-varié.
Il est, d'ailleurs facile d'appliquer sur les feuilles de ces paravents quelques légers châssis garnis de toiles et recouverts de papier peint, ou plutôt badigeonné par quelque artiste amateur, pour modifier et varier, autant qu'il peut être nécessaire, les décorations principales.
On place les paravents au fond d'un salon ou d'une galerie, en ayant soin de laisser à l'entour une enceinte de dégagement destinée à servir de coulisses et à faciliter l'entrée et la sortie des personnages par les portes pratiquées dans la décoration. On masque ce dégagement de l'ouverture de la scène au moyen de deux grands rideaux, qui, fixés par des anneaux à une tringle transversale, s'ouvrent au moyen d'un jeu de poulies ordinaire.
I. Placez devant vous un miroir plan MM', dans lequel vous apercevrez l'objet O que vous voulez atteindre. Mettez le canon du pistolet P sur l'épaule ou au-dessus, et dirigez-le, en regardant dans le miroir, et en visant, avec l'image P' du pistolet, l'image réfléchie O' du but à frapper; puis lâchez le coup lorsque l'image sera bien dans l'alignement de la mire et du canon.
II. Il avait 7 napoléons, et à la première emplette il en a dépensé 4, à la seconde 2, à la troisième 1; car 4 est la moitié de 7 augmentée de 1/2; 2 est la moitié du reste 3 augmentée de 1/2; 1 est la moitié du reste 1 augmentée de 1/2.
Ou parvient facilement à ce résultat en raisonnant sur le nombre 7 comme s'il était connu, et en imaginant que l'on effectue les opérations indiquées par l'énoncé. Un trouvera alors que lorsque du huitième du nombre inconnu on retranche les 7/8 de l'unité, il ne reste rien. Donc le nombre inconnu est 7.
III. En faisant le même raisonnement, on trouvera que si c'est à la quatrième emplette, seulement que tout a été dépensé, le nombre des napoléons était de 15; de 31 à la cinquième emplette, de 65 à la sixiéme, et ainsi de suite. Voici un petit tableau qui montre la marche à suivre pour résoudre complètement la question, quel que soit le nombre des emplettes.
Nombre des Termes de la Nombre des emplettes. progression double. napoléons dépensés. 1 2 1 2 4 3 3 8 7 4 16 15 5 32 31 6 64 63 7 128 127 8 256 255 9 512 511 10 1024 1023
I. Faire une boîte dans laquelle on verra des corps pesants que l'on y jette, une balle de plomb, par exemple, monter de bas en haut, au lieu de descendre, de haut en bas.
II. Les trois Grâces portant des oranges, dont elles ont chacune un nombre égal sont rencontrées par les neuf Muses, qui leur en demandent. Chacune des Grâces en donne le même nombre à chacune des muses, après quoi elles se trouvent toutes également partagées. Combien les Grâces avaient-elles d'oranges?
Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Qui nous délivrera des Grecs et des Romains.
UNE DEVISE DE CONFISEUR.
UNE ENSEIGNE.
End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843, by Various *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0027, 2 *** ***** This file should be named 38442-h.htm or 38442-h.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/3/8/4/4/38442/ Produced by Rénald Lévesque Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. 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