Avecq privilege de la court.
1545.
A PARIS.
De l'Imprimerie de Jeanne de Marnef, vefve de feu Denys Janot, demourant en la rue neufve nostre Dame, à l'enseigne sainct Jean Baptiste.
La Court (veue la requeste à elle presentée par Vincent Sertenas, marchant, libraire de ceste ville de Paris) luy a permis & permet imprimer & faire imprimer ung livre par luy recouvert, & composé par Loys Meigret, touchant l'escriture Françoyse: & iceluy exposer & distribuer en vente le temps de quatre ans prochainement venant. Defendant à tous imprimeurs, libraires & aultres de ce ressort, iceluy livre imprimer ou faire imprimer, ou exposer en vente ledict temps, sur peine de confiscation desditz livres, qui aultrement seroient imprimez & distribuez, & d'amende arbitraire à la discretion de la court. Faict en Parlement l'unzeiesme jour d'Octobre, l'an mil cinq cens quarante deux.
Collation faicte. Berruyer.
Si l'ordre, & la raison que nous tenons en noz euvres, est de tant digne de los, ou de blasme, que l'experience maistresse de toutes choses le conferme, ou condemne: je ne voy point de moyen suffisant ny raisonnable excuse, pour conserver la façon que nous avons d'escrire en la langue Françoyse. A la verité aussi est elle trop estrange, & diverse de la prononciacion, tant par une curieuse superfluité de letres, que par une vicieuse confusion de puissance entre elles. Or sont ce vices, que je ne sçay quelle supersticion, ou bien nonchallance de noz ancestres, & de nous, a miz en avant avec une grande observance: je dy observance, qui a esté & est en si bonne recommandation, & reverence tant bien gardée, que le devoir, & loix de bien escrire, & former l'Image au vray de la prononciacion, n'ont pas seulement esté delaissées, mais d'avantage reprouvées comme vicieuses, & inutiles. Et combien que la difficulté que nous sentons en la letre nous en donne assez bonne evidence: pas ung de nous toutesfois n'a osé mettre en avant quelque moyen pour y remedier: tant pour la longue & commune façon de faire, que pour la crainte de sembler controuver nouvelles invencions, & de forger nouveaux troubles à ung peuple en ses coustumes tant usitées, & de si longue main receues: & qui au demourant nous sont si recommandées en toutes noz œuures, que bien souvent sans autre cognoissance de cause, & sans en vouloir recevoir, nous les tenons par trop opiniatrement pour loix, & ordonnances justes, & necessaires. Il est vray que l'entreprinse de forcer, & corrumpre les bonnes coustumes, & aisées façons de vivre d'ung peuple pour l'assubjectir à autres confuses, supersticieuses, & serviles, seroit digne de reprehension & blasme: comme qui est poursuivie au grand dommage de l'aisance, & commun proufit d'une chose publique. Au contraire aussi devra celle estre trouvée raisonnable, ou pour le moins digne de quelque support, là ou elle fera diligence de trouver les moyens pour amender les manieres de vivre corrompues, & pour d'avantage y donner l'ordre si suffisant qu'on s'en puisse ayder, & les ramener à quelque bonne fin. Or n'est il comme je pense, Françoys tant soit il de petit jugement, & de grande affection en nostre usage d'escrire, qui ne se treuve souvent perplex, & empesché en la lecture: d'autant que pour la confusion & commun abus des letres, elle ne quadre point entierement à la prononciation. Parquoy considerant ce mal tant apparant, & esperant que la raison aura plus de pouvoir envers vous, qu'une obstination en ung vicieux, & confus usage: j'ay entreprins ce traicté de l'escriture Françoyse. Et tout ainsi qu'ung bon medecin apres avoir bien decouvert la nature, & circonstance d'une maladie, fait son devoir de donner d'avantage le moyen de guarison pour parvenir à la santé: en semblable aussi j'ay en decouvrant les faultes, & vices de nostre maniere d'escrire, qui nous donnent occasion de faire mauvaise lecture, faict finablement diligence de trouver les moyens, suyvant lesquelz vous pourrez, se bon vous semble, user d'une escriture certaine, ayans tant seulement egard à la prononciation Françoyse, & à la nayve puissance des letres.
Chapitre Premier.
Priscian au commancement de son premier livre dit, que les Philosophes donnans la diffinition de la voix, la disent estre un battement d'air, ou bien le vray sensible de l'oye.
Mais pour parler proprement, & en general en la langue Françoyse nous appellerons Son, toutes choses sensibles à l'oye: comme qui est terme plus general que voix, d'autant qu'il s'estend universellement, à toutes manieres de battement d'air qui est oyble: comme gemissemens, souspirs, brayemens, hurlemens, parolles, & toutes autres manieres de criz, de chants, & bruytz faitz en l'air, tant par les corps animez, que par les inanimez.
Or laissons toutes ces infinies façons de Sons, & venons à celuy, que Priscian appellé voix articulée, & que les Françoys peuvent bien dire voix d'artifice: d'autant que les hommes diversement, & selon les contrées, s'aydent des voix par ung commun artifice, & usage, pour faire entendre plus aisément leur fantaisies, les ungs aux aultres.
Et pour lesquelles d'avantage ilz ont inventé pour une plus grande aisance des notes, que nous appellons letres: tant pour advertir les absens, que refreschir leur memoire, & pour aussi la laisser perpetuelle d'eulx & des choses, que bon leur sembleroit faire entendre à leur posterité.
La letre doncques est la moindre partie de la voix composée. Et fault entendre que les simples voix ont esté anciennement appellées Elemens, à la semblance de ceux du monde: car elles composent les vocables, tout ainsi que font ces autres, tous les corps composez. Consequemment doncques il fault inferer que tout ainsi que les voix composent en la prononciation ung vocable, qu'aussi les letres qui sont leurs notes feront le semblable en l'escriture: & que la difference des voix, & des letres sera d'autant que les voix sont les elemens de la prononciation, et les letres, les marques ou notes des elemens. Disons donques que la letre est la note de l'element; & comme quasi une façon d'image d'une voix formée: laquelle on cognoit selon la qualité, & quantité de sa figure. Et que tout ainsi que tous corps composez des elemens sont resolubles en eux, & non en plus ny moins: qu'aussi tous vocables sont resolubles es voix dont ilz sont composez. Parquoy il fault confesser que puis que les letres ne sont qu'images de voix, que l'escriture devra estre d'autant de letres que la prononciation requiert de voix: & que si elle se treuve autre, elle est faulse, abusive, & damnable. Or voyla la touche à la quelle il nous fault faire l'epreuve de nostre escriture, pour voyr si elle est telle, en qui nous trouvions les letres en mesme nombre, que requiert la prononciation, suyvant leurs puissances de tout temps receues: de sorte que la lecture en puisse estre aisée, sans confusion, & sans desordre.
Pour à quoy pervenir il fault entendre, qu'une escriture peult estre corrompue en troys manieres: qui sont diminution, ou superfluité, ou usurpation d'une letre pour autre.
L'escriture peut doncq'estre faulse par diminution, quand elle default d'une, ou de plusieurs letres, qui sont requises pour representer au vray la prononciation: ce que nous voyons es aucuns de noz vocables françois, comme en Chef, Cher, Danger: es quelz indubitablement nous prononçons la diphthongue, ie, parquoy nous devons escrire, Chief, Chier, Dangier. Et si on me debat que la prononciacion ne le requiert pas, qu'on laisse la diphthongue, & escris comme tu prononces. J'entens bien que l'ung, & l'autre sont en usage: mais celuy qui est proferé par diphthongue est plus armonieux, & plus usité. Or passons oultre, car ce vice n'a pas tant ancré en nostre escriture, qu'ont fait les deux ensuyvans, sinon de tant qu'une letre prent la place d'une autre: par ce qu'allors l'escriture default en la letre requise, quoy qu'autrement il y ayt autant de letres qu'il y a de voix au vocable prononcé.
L'escriture secondement peut estre mauvaise, quant elle est composée de plus de letres que ne requiert la prononciation: par ce que telle escriture donne occasion de faire faulse lecture, & de prononcer voix, qui n'est point au vocable.
C'est ung vice si grand en nostre langue françoyse qu'il n'y a letre quasi en l'alphabeth dont nous n'abusions quelquefois par superfluité. Comme de l'a, en aorné: du b, en debvoir, doibt, doibvent: du c, en infiniz vocables, comme faict parfaict, dict. Du d, comme admonestement, advis, adverse. De l'e, en battera, mettera, pour mettra, battra, qui est à faulte de considerer les formaisons des verbes.
Et fault entendre que tous verbes qui se terminent en re en l'infinitif present, forment leur futur de l'indicatif en ray, ras, ra. &c. comme mettre, qui fait mettray, mettras, mettra, exceptez ceux qui fault excepter. comme estre, & si autres y en a. Mais quant l'infinitif se treuve en er, adjouste ay, as, a, comme fraper, fraperay, fraperas frapera. Passons aux autres letres, & venons à l'f, comme en briefvement. au g, comme, ung, besoing. i, comme à meilleur. l, comme default, & autres infiniz. o, comme en oeuvre. p, comme escripre, escript, & autres aussi infinis. s, comme en estre, honneste, & autres presques innombrables. t, comme en et, copulative, en faicts, dicts, vents, & en tous les pleuriers du participe present, comme amants, beuvants, disants. En u, comme en la diphthongue, ou qui n'est point françoyse. Au regard d'x, final comme en chevaulx, loyaulx, il n'est point françoys. Je crains que vous vous scandalisiez de plusieurs exemples que j'ay icy mis en avant comme vicieux en leur escriture, jusques à ce que vous ayez veu mes raisons, que j'espere donner suffisantes en debatant l'usage d'une chascune letre en particulier. Et pourtant je vous prye d'avoir patience, & de ne me condamner point sans m'oyr.
Il reste encores cest autre vice d'usurpation de letre en une escriture, qui est, quant une letre ou plusieurs usurpent la puissance d'une autre: veu que c'est occasion de faire lecture d'une voix pour autre, & par consequence mauvaise, & faulse prononciation. C'est un vice qui est venu pour avoir corrompu les puissances des letres, & les avoir confondues les unes avecq' les autres. Comme nous faisons celle du c, qui ne deut estre employée qu'en semblable puissance que le K, duquel toutesfois nous usons en son d's, comme en façon, françoys, de ça, Cicero. Et ainsi des autres letres tant voyelles que consonnantes, dont nous parlerons quant viendra à leur ranc. Voyla doncques les principaux vices qui ont corrompu, & forcé nostre escriture, & qui aujourd'huy la tiennent en telle servitude qu'ilz la nous rendent confuse, & presque du tout inutile.
Or ceux qui en prennent la defense, & aux quelz l'amendement des choses est ennuyeux, & deplaisant: ont de coustume de se remparer & fortifier, premierement de l'usage comme d'ung Bellouard imprenable, & hors de toutes batteries. Secondement ilz ont pour renfort, que pour marquer la difference des vocables il n'y a point de danger d'abuser d'aucunes letres. Tiercement ilz s'efforcent de defendre la superfluité des letres pour monstrer la derivaison, & source d'ung vocable tyré d'une autre langue: craignans à mon advis d'estre blasmez d'ingratitude, si autrement ilz le faisoient. Voyla en somme les plus grandes & plus apparantes raysons que mettent en avant ceux qui veulent couvrir & excuser les vices de l'escriture françoise: selon qu'en divisant j'ay peu decouvrir par les responses que communement font, autant le savant que l'ignorant. Or il nous fault battre, & miner ces troys forts, de sorte qu'il ne reste plus de moyen de defense aux opiniastres que nous ne puissions aisément, & sans crieries forcer l'escriture vicieuse, & la reduire à l'obeissance de la prononciation, comme qui est par raison sa dame, & princesse. Mais pour autant qu'entre ces defenses l'usage a la plus grande apparence, & qu'estant forcé les aultres se trouveront bien tost habandonnées: j'ay advisé de premierement faire mes effors contre luy avecq' bonnes raysons, & de le ruiner de sorte, qu'il ne se treuve home entendant rayson qui s'en ose plus doresenavant remparer. Voyons donc premierement si ce qu'à toutes hurtes nous appellons tousjours usage, devra point quelque fois plus raysonnablement prendre le nom d'abus: & pour nous garder d'abuser des termes, sachons premierement la diffinition d'usage.
Lequel n'est aultre chose qu'une commune façon de vivre d'homes, guidée par raison.
Parquoy abus au contraire est une commune façon de vivre confuse, sans ordre, & sans rayson. Par ce moyen l'usage n'est en rien different de l'abus, sinon qu'il est fondé en rayson, & l'autre en desordre & confusion. Ce n'est doncq' pas assez messieurs pour approuver une façon de vivre, de dire, que de tous temps on a de coustume d'ainsi faire. Autrement il nous faudroit confesser que les vices & mauvaises coustumes de vivre seroient beaucoup plus louables que les vertus: comme qui sont beaucoup plus en usage entre les homes, & de plus long temps, veu nostre fragilité. Vous me direz, & tresbien, que nous avons la loy, la conscience, l'honneur de dieu, qui les nous defendent, & commandent de bien faire. Aussi diray je que j'ay la loy, & la rayson par la puissance des letres qui veult qu'elles seront en l'escriture pour representer les voix de la prononciation, pour qui elles sont escrites: & non pas pour y estre oysives en leur puissance, ou bien usurper celle des autres. Car d'une telle façon d'escrire se cause une incertitude, & confusion de lecture.
Et afin que nous n'oblions rien, disons encor ce qu'on pourroit mettre en avant. Comme que la puissance des letres à peu este changée avecq' le temps, & par consequence la maniere d'escrire: tout ainsi que l'usage de la langue se change, quoy qu'il ayt esté quelquefois receu: & que finablement l'usage à peu amener une façon d'escrire, en laquelle une letre seroit quelquefois escrite pour estre prononcée comme s, en ministre, & autrefois autrepart, pour ne l'estre point: & pourtant seulement servir de remplage: ou bien comme aulcuns disent de rendre la voyelle precedente longue, comme s, en estre: & en semblable des differences & derivaisons. Brief que les letres ont aujourd'huy prins ung usage tout autre qu'elles n'avoient anciennement. Et que nous anciens n'ont point eu plus grand droit de nous obliger à jamés de suyvre leurs inventions en la puissance des letres sans les povoir diversifier, qu'il n'ont eu en l'usage du langaige: lequel est aujourd'huy tout autre qu'anciennement & qui de jour à autre se change peu à peu. Or pour satisfaire à cest argument, je suis bien d'advis qu'il est raysonnable, que toutes les fois que nous pourrons amender non seulement noz nouvelles façons de faire: mais aussi celles que nous ont laissé noz anciens, & venir à meilleur fin, & perfection: qu'allors en obeissant à la rayson nous n'ayons egard, ny à noz usages, ny à ceux que nous tenons de tout temps, & qui semblent avoir esté de tout jamais: car la vertu & la rayson doivent tout dompter. Ny n'est en la puissance de tous les homes (quelque consentement uny qu'ilz peussent avoir ensemble, si ainsi il povoit advenir) de faire que vertu soit vice, ou vice vertu, non plus que de commander au soleil faire son mouvement autre qu'il fait. Mais pourquoy attribue l'on à l'home la rayson par sus les autres animaux: sinon d'autant qu'il doit mener ses euvres par la cognoissance d'elle? Et pourtant ceux doyvent estre tenuz pour coulpables de crime de lese majesté envers la rayson tant divine qu'humaine, & ennemys mortelz du genre humain: qui reputent chose vicieuse à l'home de chercher la cognoissance du moien de bien vivre tant envers dieu, qu'envers les homes, qu'en ses privez affaires. Si aussi la façon de faire de noz anciens, ou celle qu'on invente de nouveau, nous mene aisément, & sans confusion à la fin que nous pretendons: il me semble qu'il n'est point d'home de si petit jugement, ne de tant foyble entendement s'il n'a du tout le sens perdu, qui ne jugea l'advis de ceux vraye simplesse, & folie, qui en delaissant une si grande aisance pour pervenir à ce que nous pourchassons, mettroient en avant une façon de faire confuse, & incertaine: & pour ne pervenir jamés à la fin pretendue. Or est il que l'usage par lequel on permet à une letre representer quelque fois la voix, & autresfois rien, ou bien tant seulement quelque accident à la voix comme longueur, difference, ou sourse de vocable, sans diversifier sa figure: ne peut estre qu'incertaine, & confuse: ny donner qu'occasion de faulse lecture. Car comme cognoistroy'je qu'en ministre, monstre (quant il signifie une chose contrefaicte) il fault prononcer s, plustost qu'en benistre, & monstre, qui est verbe? Je dy aussi par mesme moien que l'usage qui donne diverses puissances à une letre, rend la lecture incertaine & confuse, comme quant nous escrivons: il est advenu ung cas deça les monts d'estrange façon & condition, quelle difference treuve je en l'escriture par laquelle je cognoisse le premier & dernier c, devoir plustost estre prononcez en K, que les deux autres qu'il fault suyvant la prononciation proferer en s? J'entens tresbien que le refuge sera de dire qu'ung home qui aura quelque peu l'usage de prononciation françoise, se donnera garde de faire faulse lecture. Mais aussi sera ce tacitement confesser que l'escriture est incerteine, & dangereuse: & qu'il fault que le lecteur recoure à sa memoyre, là ou la prononciation telle qu'elle s'y treuve est bien plus perfectement escrite. Au demourant je vouldroys bien savoir quel bien, ou quel profit il en vient, ou bien quelle necessité nous y contraint? sinon que sans point de doubte le vocable en a tant plus belle apparance. Mais ou est celuy qui ne blasmast le peinctre qui entreprenant de pourtraire la face de quelqu'ung: feit en son pourtraict des cicatrices, ou autres marques notables qui ne fussent point au vif? Car toute pourtraicture pour estre louable, doit estre faicte telle, qu'en la voyant on cognoisse le vif; & qu'en voyant le vif, on la cognoisse. Or me semble il messieurs, que je vous ay amené assez de raysons, & suffisantes pour ne nous fortifier point de l'usage en noz euvres, sinon de tant que nous le trouverons necessaire, & fondé en rayson. Je sçay bien toutesfois, qu'il s'en trouvera quelques ungs qui courroucez demanderont en fureur, si je pense plus savoir que les autres. Aux quelz aussi je demanderay en semblable, si lors qu'un Capitaine est assiegé dedans une ville qu'on bat, & mine de toutes pars, doit demander aux ennemys, s'ilz cuydent bien pouvoir forcer la place? car il me semble qu'alors le temps & la necessité le forcent assez d'aviser par tout, en faisant diligence de contreminer, de remparer, & d'envoyer force es lieux plus necesseres. Autrement en s'amusant en ses demandes, & depris des ennemys, il se trouveroit bien tost forcé avecq' le dangier de sa vie, & honneur. Aussi esse une bestise à ung home de faire telles demandes à celuy qui met en avant des raysons, & moiens pour confondre ung abus en quelque façon de vivre que ce soit, au lieu d'y respondre: & de les debatre particulierement, & par le menu, & non pas recourir, à je ne sçay quelle arrogante façon de response, que les ignorans oultrez, & conveincuz, & ne saçhans plus de quel boys faire fleche ont souvent à la bouche, disans les raysons qui les forcent estre si foybles, qu'elles n'ont point besoing de response. Voyla l'excuse dont bien souvent s'aydent ceux qui veulent bien avoir la reputation d'homes savans, & bien entenduz, mesmement quand ilz font profession de sciences: ayans opinion qu'ung consentement à la doctrine, & rayson proposée par autruy, sent sa honte, & infamie: & qu'une obstination opiniastre en ignorance, & faulse doctrine, donne apparance de grand savoir, & pourtant honnorable. Au demourant je ne suis pas de ceux qui cuydent plus savoir que les autres. Mais je suis bien de ceux qui prennent la hardiesse de mettre en avant des raysons, & moiens pour corriger sa propre faute, & celle d'autruy. Mais combien de François, quants Italiens, quants Allemans, & Hespagnols? Brief toutes nations estranges qui donnent dans nostre escriture la blasment: comme qui est par trop estrange de la prononciation françoise. Je confesse bien qu'à bonne rayson on me jugera en ce traicté le plus impatient, le plus oultrecuydé, & finablement le plus damnable de tous: j'entens si l'impacience de l'home es choses corrompues, & faictes sans raison est vicieuse, & digne de blasme. Concluons doncques que l'usage gardé de si longue main qu'on vouldra en tout art, & façon de vivre, par lequel nous ne pervenons point à la fin que nous pretendons: mais au contraire à une confusion, & desordre, est damnable, comme qui est inutile.
Poursuivons doresenavant les deux autres defenses, dont se fortifient ceux, qui n'ayment que confusion, & desordre: & commençons à vuyder celle par la quelle ilz estiment la superfluite des letres estre non seulement tollerable: mais d'avantage necessere en l'escriture françoise, pour monstrer la difference des vocables. Ce qu'ilz font d'une creinte qu'ilz ont, que le lecteur ne prenne quelque mauvais sens pour la mesme semblance des vocables en l'escriture. Aux quelz premierement par mesme rayson je dy, qu'il faudroit user de voix superflues en la prononciation: d'autant que les escotans peuvent tumber par la semblance de plusieurs vocables au mesme inconvenient que fait le lecteur: & par consequence il nous faudra parler jargon pour contenter ces observateurs de differences.
Or je treuve que la cognoissance des differences des vocables se peut faire en troys sortes en nostre escriture, & paravanture en quatre si nous voulions prendre garde aux accens. Mais pour autant qu'ilz sont encores incogneuz aux françois, nous nous en somes deporté. Premierement donques on cognoit la difference des vocables, quant toutes les voix ou aucunes de celles dont ilz sont composez sont diverses, comme Roy, Paris, Lyon, Hector. La seconde maniere de difference est, quant les vocables ne sont point differens en substance de voix: mais en la seule quantité, d'une, ou de plusieurs voyelles: comme quant nous disons, qu'ung home a effondré ung huys fermé d'une buche ferme. Ces deux ferme ne sont en rien differens en substance de voix: mais tant seulement en la quantité de la derniere syllabe du premier fermé, qui est longue, à cause de l'e que vous appellez masculin, & que proprement je vouldroys appeller e long: attendu que les quantités longue, ou briefve sont es voix, & qu'improprement nous leur attribuons sexe. La tierce maniere de cognoistre la difference des vocables, est celle qui vuyde nostre question: la quelle depend du sens, & du jugement de l'home qui saura discerner les diverses significations des vocables qui ne sont en rien differens, sinon d'autant que la rayson du propos le requiert. Comme si en parlant du Zodiac, & des estoilles fixes qui y sont, quelqu'ung dye ou bien escrive, que le cueur du Lyon est en la vingt & deuziesme partie du Lyon ou environ: la matiere nous devra donner occasion de ne juger ce Lyon estre une beste comme nous le voyons en terre. Et toutesfois la prononciation, ny l'escriture ne sont point autre de ce vocable Lyon, soit qu'il signifie une beste terrestre, ou l'ung des signes du Zodiac. Combien d'avantage pourroys je amener de mots françois, es quelz nous ne faisons point de difference ny en prononciation, ny en escriture: quoy que les significations soient diverses.
Comme quant nous disons: cest arbalestier qui passe, a frappé une passe, d'une arbaleste de passe: là ou nous prononçons troys passe, d'une mesme prononciation, & les escrivons de mesmes letres. Or me dictes maintenant messieurs les observateurs de differences, la rayson pourquoy vous n'avez point mise de note de difference en ceux cy, ny en ung milion d'autres: & qu'au contraire vous en faictes es aucuns en corrompant la loy de l'escriture? Il semble que ce soit de peur qu'elle ne soit trop aisée, & lisable. Dictes moy d'avantage quant nous disons: tu dis, tu fais en sorte, que tes dictz, & tes faicts nous sont dix fois plus griefs, qu'ung fes, ou est la difference que vous trouvez en la prolation de dis, dicts, & dix, & en celle de ces autres, fais, faicts, fes? Pourquoy doncq' auront ilz plus grand privilege de corrompre l'escriture, que ces autres dont nous avons parlé? Mais ou est la langue tant soit elle diserte, & opulente, qui se soit exemptée de pluralité de significations en ung vocable? combien qu'au demourant elle ne se treuve faire autre difference en l'escriture que fait la prononciation, aumoins en la corrompant: & là ou elle l'auroit faict, la façon en seroit digne de blasme. Concluons doncques que quelque difference que nous desirions mettre entre les vocables en nostre escriture, il la fault ranger à la prononciation, & ne corrompre point la proprieté, & puissance des letres.
Il ne nous reste doncq' plus à debatre que la difficulté des derivaisons qui est le dernier refuge de ceux qui veulent defendre la superfluité des letres en l'escriture: & mesmement des Latins, disans, qu'il n'y a point de danger: & que d'avantage nous sommes tenus d'escrire quelque marque de derivaisons quant nous tirons quelque vocable d'une autre langue, comme par une maniere de reverence, & recognoissance du bien que nous avons receu en faisant tel emprunt. De sorte qu'ilz nous contraignent bien souvent d'estre superfluz en escriture, comme, en recepvoir escripre, faict, & autres infinis vocables. Pour ausquelz satisfaire il nous fault premierement entendre que s'il y gist obligation à telle recognoissance, elle est, ou par loy naturelle, ou bien d'une privée obligation de peuple à autre par une convention, ou quasi convention. Au regard de celle qui vient de crime elle n'a point icy de lieu: d'autant qu'il n'y a non plus d'offense en tel emprunt, que d'allumer son tyson au feu d'autruy. Premierement quant à la loy naturelle, il me semble qu'elle nous commande ne faire rien à autruy que nous ne volussions bien qu'on nous feit. Aussi ne seroit il pas raysonnable, que nous comme envieux fissions querelle aux Grecz, Latins, ou autre nation estrange, si en semblable ilz tyroient de nostre langue aucung vocable. Et là ou nous la voudrions dresser, il faudroit qu'elle fust colorée de quelque perte, ou dommage, aultrement elle seroit deraysonnable. Premierement quant à la perte, je n'y en treuve non plus en l'emprunt d'ung vocable pour celuy dont on le tyre, qu'il s'en trouvera en celuy que fait ung peuple des bonnes loix, & coustumes d'une autre nation. Parquoy il n'y a point de dommages: mais au contraire ung merveilleux gain de gloire, & honneur pour la langue de qui on fait l'emprunt, si nous considerons, qu'il se fait d'une bonne estime qu'on a de sa suffisance, & bonne invention en ses vocables. Et si d'avantage il y gisoit obligation, ou est le peuple au monde qui s'en sceut excuser, soit Grec, soit Latin, Juif, ou Indien? Brief toutes nations du monde ont esté quelquefois troublées de quelque autre peuple, de sorte qu'attendu les longues demeures que par le moien des guerres & victoires, ont esté faictes des homes sur autres pays: il est impossible qu'il ne se soit faicte quelque confusion, & mutuel emprunt de langage. Et toutesfois nous ne voyons point les Romains, ny les Grecz, & Hebreux, satisfaire à telle obligation en corrompant la puissance, & l'ordre de l'usage des letres. Il reste doncques que vous me direz, que nonobstant toutes ces remonstrances, qu'il est bien raisonnable de recognoistre le bien de celuy, dont tu l'as receu, encores qu'il ne fasse perte, comme qui t'a esté moyen de venir à ce bien là. Quant à cela je confesse bien que ce seroit ingratitude, de mescognoistre celuy duquel tu auras receu ung bien tant petit qu'on vouldra, là ou l'occasion s'offriroit de le recognoistre ou nyer. Comme si le propos se mettoit sus de la sourse de quelque vocable tyré de la langue Latine, & que tu la voulusses taire, & l'attribuer à la tienne, ou autre, par malice. A la verité aussi esse là, ou il fault estre soigneux de la derivaison des vocables: comme quant on veult faire une grammaire, & eplucher la nayve sourse d'une diction à la coustume des Latins, qui est trop plus que raisonnable: & non pas user de ceste façon de marque par une corruption, ou superfluité de letres, & par je ne sçay quel emprunt que fait la plume plus que l'usage de la langue. Et quant ainsi seroit que noz anciens s'y seroient obligez de leur franche volunté, je ne croy point que les Grecz, ny Latins qui ont mis tant de peine à rendre leur escriture la plus perfecte, & plus approchant de leur prononciation qu'il leur a esté possible, eussent jamés accepté une tant inique, & deraisonnable obligation. Joint qu'il me semble qu'une recognoissance de quelque bien receu d'autruy, doit estre faicte telle qu'elle luy soit aggreable. Et là ou ilz auroient accepté, elle se pourroit maintenir nulle, comme qui est faicte contre les loix, & ordonnances de bien escrire. Or il n'est point de bien faict si grand qui te puisse obliger à mal faire, ny faire chose sotte, & digne de reprehension. Au demourant si ainsi estoit que nous fussions tenuz à ceste maniere de recognoissance par superfluité de letres, il me semble que la loy deut estre generalle, & que nous serions tenuz le faire autant aux ungs qu'aux autres. Comment doncques nous excuserons nous en infiniz vocables tyrés des autres langues, esquelz nous n'avons point mis de letre superflue? comme, dire, ame, home, forme, figure, pain, vin, letre, peindre, pourriture, fievre, rumeur, beau, cheval, egal, larmes. Brief ilz sont en infiny nombre.
Venons d'avantage à ceux qui sont descenduz d'une mesme source, & qu'on me rende raison pourquoy es aucuns il y a une letre superflue qui n'est point gardée es autres? comme en dict, & faict, esquelz le c, est superflu, ny n'est point en la prononciation. Vous me direz incontinant que c'est pour monstrer qu'ilz viennent de dictum & factum, esquelz est le c: mais aussi repliqueray je pourquoy en semblable dy, dis, dit, dire, fais, fait, & faire, ne sont escris avecq' le mesme c, veu qu'ilz viennent de dico, dicis, dicit, dicere, facio, facis, facit, facere: lesquelz tous sont escris du c, & desquelz dictum & factum ne sont que derivez.
Que dirons nous de ceux qui mettent des letres qui ne sont point à la sourse? comme qui escrivent escripre. Je ne puis bonnement entendre à quelle intention ilz mettent ce p. Car il me semble que suyvant leurs regles de derivaisons, il falloit plustost mettre ung b, d'autant qu'il est decendu de scribere. Il est vray qu'ilz me pourront dire qu'il n'y a non plus de danger en l'ung qu'en l'aultre, comme qui ny servent que d'estonner le lyseur ainsi que fait ung espovantal de cheneviere les oysillons, corneilles, & pies. Concluons doncques que telles observations de derivaisons faictes contre la rayson, & l'ordre d'escriture sont vicieuses, comme qui la corrompent, & la rendent incertaine, & confuse: & que finablement nonobstant toutes les susdictes defenses amenées par ceux qui veulent maintenir les vices de l'escriture Françoise, il la fault ranger au seul usage de la prononciation: de sorte qu'elle devra changer de letres, ainsi que l'usage de la langue changera de voix, comme celle qui luy sert à representer son Image. Laquelle nous y devons mirer tout telle & ainsi entiere suyvant les puissances des letres, qu'on a de coustume de mirer en ung mirouer les Images des choses qui luy sont presentées. Mais pour autant qu'il est impossible de bien escrire selon les voix de la prononciation, que premierement nous ne cognoissions les puissances des letres, & à quelles voix elles servent: tout ainsi que ce n'est pas assez à ung peinctre d'avoir le vif present s'il ne cognoist les coleurs propres pour faire le pourtrait perfect: il est necessaire pour rendre nostre entreprinse perfecte de les rechercher par le menu, & faire en sorte que nonobstant l'abus nous en puissions bien user: & telement qu'il ne se treuve point de façon de voix Françoyse, qui ne se puisse escrire si distinctement, que le lecteur n'ayt point d'occasion de demourer perplex par ung desordre d'escriture.
Chapitre II.
Ceux qui premierement ont divisé les voix simples, & subsequemment les letres, les ont divisées en voyelles, & consonantes: tenans les voyelles comme ames vivifiantes les consonantes, d'autant que sans elles, elles ne peuvent estre prononcées: non plus qu'ung corps ne peut avoir mouvement, ny vie sans l'ame.
Or n'ont ilz au commancement assigné que cinq voyelles en general: qui sont, a, e, i, o, u, comme desquelles les autres moyennes participoient, sans avoir egard à la diversité qui pouvoit provenir à cause de la quantité. Mais depuis les Grecz considerans leur prononciation, inventerent la letre, η, comme qui estoit une voix moienne entre a, & e: & qui d'avantage estoit longue, ou bien si vous voulez masculine. Aussi ont ilz fait l'ω mega que nous pouvons appeller le grand O, le composans de deux o micron qui est ung o petit, pour aucuns vocables esquelz la prononciation de l'o estoit plus longue. Or me semble il que la langue Françoise a beaucop de diversitez de voyelles, si nous y voulons prendre garde: & qui ont besoing d'estre notées en nostre escriture, si nous la voulons rendre perfecte. Car je treuve qu'entre ces cinq voyelles nous avons aucunes qui sont moyennes.
Et premierement il me semble que tout ainsi que nous avons cest e, commun que nous divisons en masculin, & femenin comme en bonne, & bonté: & que nous devons appeller e clos: qu'en semblable aussi avons nous ung e ouvert masculin, & femenin, duquel la prononciation est entre a, & e, que j'appelle e ouvert, comme qui requiert une prolation plus ouverte que l'e commun, ainsi que nous voyons en mes, tes, ses, semblablement: esquelz certainement l'e sonne plus ouvert qu'en bonne, bonté.
Et croy bien que pour la craincte qu'on avoit qu'au lieu de l'e ouvert on ne leust ung e clos, on a abusé de la diphthongue ai, tout ainsi que font aucuns Latins qui la prononcent en e ouvert. De sorte qu'au lieu d'escrire més, fés, ilz ont escrit, mais, faicts: qui est une mauvaise escriture, & abusive, comme je le vous monstreray quant nous viendrons à vuyder les diphthongues. Et pourtant estoit il beaucop meilleur de l'escrire d'ung simple e. Ilz ont voulu d'avantage exprimer cest e ouvert en adjoustant au commun e une s, comme en estre beste, esquelz il suffisoit ung é ouvert masculin.
Car comme je vous ay dict tout ainsi que nous avons l'e commun & clos masculin, & femenin, nous avons aussi l'e ouvert de mesme.
De sorte que nous prononçons en étre, béte é ouvert masculin, & en bonnet, briquet, furet, semblablement, nous prononçons l'e femenin.
Et notés que tous noms & participes qui se terminent en ét au singulier, ont la terminaison du pleurier en és par é ouvert masculin comme bonnet, bonnés, furet, furés: fet, perfet, escris comme requiert leur prononciation, font, fés, & perfés. Et si on te debat que ceste façon d'escriture est bien diverse de la Latine, respons qu'aussi est bien la prononciation Françoise, que tu entens escrire, & non pas la Latine. Au demourant il n'y a Calomniateur si dificile, qui se sceut pleindre de faire prononciation autre que Françoise en lisant ceste façon d'escriture. Mais pour autant qu'on me pourroit dire que ceste difference d'e, est malaisée à faire, vous avez ung remede qui est de recourir aux vocables esquelz ilz sont cognuz.
Et pourtant si je veux savoir comme se doit escrire maistre, mon recours sera à étre: comme qui sont d'une mesme prononciation au premier e, par ce moien tu despouilleras ce maistre, de la diphthongue ai, avecq' s, & y mettras le seul é ouvert masculin escrivant métre. Or entendez que combien qu'on ayt inventé (& avecq' bonne rayson) de diversifier é masculin du femenin par la ligne dont les Latins notent leur accent aigu, qu'il ne s'ensuyt pas pourtant que l'é masculin ait tousjours l'accent aigu de sa nature. Car si nous considerons bien la langue Françoise nous trouverons que communement l'accent aigu se treuve bien e femenin, comme es secondes personnes du plurier des verbes du present indicatif. Ce que nous voyons quant nous disons, vous comméncez, vous revénez, esquelz l'accent aigu n'est pas en la derniere syllable mais en la penultime, qui est ung e femenin. Avecq' ce que jamés l'accent ne change la quantité de la syllabe. Il est vray qu'il y en a d'autres qui diversifient cest é masculin avecq' une ligne oblique qui prent sa naissance en l'e, en ceste sorte [e], que je trouverois beaucop meilleur par ce que cest autre marque qui ja est en usage, est beaucoup plus propre pour signer les accens à qui les vouldroit marquer. Quoy que ce soit tout revient à ung.
Croyez que par faute d'avoir consideré les quantités des voyelles noz ancestres sont en partie tombez au vice de superfluité de letres: non seulement en l'e, mais aussi es autres voyelles, comme de l'a, es tierces personnes du preterit perfect d'aucuns verbes, escrivans, allast, donnast, aymast: esquelz comme il est notoire, s est superflue, & suffit seulement de marquer a ainsi que l'é masculin: ou bien si cela vous semble ennuyeux de laisser l'a simple. Car encor' qu'on profera a brief, si ne seroit il pas si estrange de nostre prononciation que si on proferoit s.
Nous faisons aussi le semblable de l'i, comme quant nous escrivons fist, fistes, dist, & ainsi des autres: esquelz nous sentons evidemment la seule prononciation d'un í, long: & devons escrire fít fítes.
Il est vray que nous avons voulu r'habiller cela par la diphthongue ei: je ne treuve point toutesfois qu'elle y soit prononcée, ny ne le peult estre sans mauvaise grace.
Nous usons aussi de l'i consonante, & de mesme figure que la voyelle: toutesfois qui vouldroit rendre nostre escriture perfecte, il la faudroit aucunement diversifier, & la tenir quelque peu plus longue.
Venons maintenant à l'o, lequel je treuve en la langue Françoise estre quelquesfois prononcé ouvert, comme en cor, corps, corne, mort, & autrefois clos, comme en tonner, foller, non, nom: dont es aucuns nous adjoustons ung u, comme en amour, pouvoir, nous:
lequel aussi nous escrivons sans u, comme quant nous disons, noz peres nous ont faict de grans biens. Et toutesfois autant y a il de difference en leur prononciation qu'il y a entre deux gottes d'eau. Parquoy je dy que veu que nous avons des vocables, ou le simple o faict autant en l'escriture que la diphthongue ou, que nous deussions corriger ceste façon d'escrire. Car il n'est point de mention de la voyelle u, en toute la langue Françoise faisant diphthongue avecq' l'o; attendu qu'il faudroit par necessité que nous l'oyssions en la prononciation, tout ainsi que nous l'oyons en la diphthongue eu, & qu'il feit une telle resonance en une syllabe qu'il fait en ce mot cohue, hors qu'il est prononcé par division.
J'entens bien qu'on me dira que si nous escrivons amor qu'on prononcera cest o, tout ainsi qu'on fait en cor, mort, corps. Mais aussi diray je qu'on le pourra aussi bien prononcer clos comme on fait en tondre, noz, hoste, compaignon, & en assez d'autres: esquelz certainement la prononciation est toute telle qu'en amour, pour, courir, pouvoir.
Et à ce que je puis cognoistre nous ne trouvons ceste diversité de prononciation qu'avecq' r. Car devant les autres consonantes il me semble qu'il se prononce tousjours clos: & s'il s'en treuve de prononcez ouverts, ilz sont bien rares. Parquoy pour le moins nous fault il noter de n'escrire jamés, ou, devant les autres consonantes: car c'est la vraye prononciation de l'o: & escrirons povoir, covrir, coper, covoitise tout ainsi que nous escrivons bonne, bonté, compaignon.
Et au regard de l'o ouvert il participe de l'a, & o, & est bien rare en la prononciation Françoise: avecq' ce qu'il ne se treuve (comme j'ay dict) qu'en aucuns vocables devant r, comme en cor, corne, corps, mort, fort, bord, or. Ausquelz on pourroit donner ung point au dessus, comme cór, córps, mórt, pour denoter l'o ouvert, & escrire du simple o tous autres vocables que nous escrivons avecq' la diphthongue ou. Et ne doit non plus l'o, estre diphthongué en pour, court, amour, & ainsi de tous autres o, qu'en corone, bonne, bonté, coller, doleur: attendu que la prononciation ne se trouvera point autre es ungs qu'es autres. Vous pourrez paravanture dire, que je cherche ung peu de trop pres les choses. Croyez que je le fais affin que vous cognoissiez comme a esté grande la nonchallance de nous & de noz ancestres, en l'ordre de nostre escriture: & affin que pour le moins la cognoissance des petites faultes vous donne horreur es plus grandes, & telle que quelquefois vous pensiez de les corriger. Et pour aussi donner occasion à ceux qui font des regles de bien escrire, de rechercher les choses au vif, & de ne se haster pas tant de nous charger de celles qui ne partent d'autres principes que de leur fantaisie seule, avecq' je ne sçay quelle superstition de nombre de letres pour oultrer l'escriture Françoise, & la rendre confuse.
Au regard de u, je treuve que quelquefois nous luy faisons usurper la puissance de l'o devant m, & n, qui est ung vice venu des Latins à cause des derivaisons, comme en umbre, unde, qui viennent d'umbra, & unda: par faulte d'avoir consideré que l'usage de la langue Françoise a tourné cest u, en o, & d'escrire ombre, onde, & ainsi de tous les autres, esquelz vous oyez le son de l'o, comme en conduire, prononcer.
Vous en pourrez aisément voyr la difference en faisant comparaison d'humble à ombre, & de ung à onde: d'autant que vous oyrez en humble, & ung, evidemment la voix de u, & es autres celle de l'o. Brief tout ce que vous demande l'escriture n'est point en grand lecture de livres. Il ne fault estre Hebreu, ne Grec, ne Latin, il ne vous fault que la prononciation françoise, & savoir la puissance des letres, sans vous amuser à l'orthographie des autres langes, quelque dificulté qu'on vous face pour les derivaisons: suyvant les quelles vous escririez ung langage qui n'est Latin, Grec, ny François, inutile, & confus pour nous, & scandaleux aux estrangiers. Au demourant je treuve que les Latins, & François, & toutes autres nations qui usent de l'u, s'en aydent aussi en son de consonnante.
Parquoy l'advis de Claude Cæsar n'estoit pas sans rayson, qui voulut qu'on usa d'une autre figure de letre pour u, consonante en inventant une [f], renversée: qui toutesfois ne fut pas receue. A la verité aussi est ce chose bien dificile de faire recevoir à ung peuple une nouvelle façon de faire tant soit elle juste, raysonnable, & à son advantage. Et pourtant quiconque se mesle de faire telles remonstrances, se doit contenter d'avoir fait son devoir envers les homes, de tant qu'il sent son entreprinse bonne & fondée en rayson: sans au demourant craindre les moqueries & blasmes ausquelz finablement l'ignorance forcée a son recours. Il nous reste encores à depescher l'y grec, le quel semble estre superflu en nostre langue: d'autant que l'i, est suffisant. Il est vray que les Latins en usent tant seulement es vocables tyrez des Grez, es quelz il se rencontre, comme en syllaba, lychnus, lycaon, & aultres innumerables: combien qu'il n'est pas vray semblable, qu'ilz l'ayent prononcé anciennement en i. Or quant à nous ce nous seroit une grand peine de chercher en nostre langue les vocables Grecz qui le requierent, d'autant que chascun en use à son bon gré pour i, & sans faire tort à l'escriture.
Aussi bon est aymer qu'aimer. Il est vray qu'il seroit plus convenant entre deux voyelles que l'i, là ou i, demeure voyelle. Ce qu'aussi nous faisons le plus souvent, comme en loyal, royal, & à bonne rayson: veu que l'i, sonne quelque fois en consonante entre deux voyelles, comme en gojat, projet, ce que jamés ne fait l'y, grec.
Chapitre III.
Or avant que de disputer des diphthongues, sachons premierement que cest, & disons que diphthongue, en comprenant les triphthongues, est ung amas de plusieurs voyelles retenans leur son en une seule syllabe:
comme ay, en aydant, eao, en beao, veao, oy en moins, ye en hyer, fier, uy en bruyt, & ainsi des autres es quelz les deux voyelles sont prononcées. Et pourtant abusent ceux qui cuydent que de ceste assemblée de voyelles, il s'en face une confusion de son d'une seule autre que celuy de celles qui la forment: comme font les Grecz d'aujourd'huy, quant ilz prononcent Aineas, Eneas:
ou bien quant on pense que l'une seule des deux doit estre prononcée: ce qu'ilz font en la plus grand partie de leurs diphthongues, prononçans tant seulement la derniere voyelle, comme Tiptis, pour Tipteis, inon, pour oinon: ayans opinion les aucuns d'eux estre impossible de faire en la langue Grecque, ce que les enfans, & nourisses savent faire en la nostre.
Mais quelle dificulté y a il plus grande à prononcer ai, & oi, en aimatto, aideo, oine typoien, qu'en ces autres françois, aimant, aydant, oindre, & moien: es quelz nous oyons resoner legierement les deux voyelles?
Or je treuve qu'en nostre escriture nous en abusons en deux sortes, l'une, en ce que nous escrivons diphthongue au lieu d'une simple voyelle, & l'autre en escrivant une diphthongue pour autre.
Voyons premierement doncques celles qui commencent par a, & considerons si ai, se treuve tousjours raysonnablement escrit, de sorte que les deux voyelles soient en la prononciation comme nous les voyons en aymant, aydant, hair.
Il n'ya point de doubte qu'en mais, maistre, aise, vous ny trouverez aucunes nouvelles de la diphthongue ay, mais tant seulement d'ung e que j'appelle é ouvert, comme ja j'ay dict. Parquoy telle maniere d'escriture est vicieuse en ceux là, & en tous autres semblables, es quelz la prononciation est autre que d'ai: comme vous pourrez cognoistre si vous les paragonez à aydant, aymant, es quelz elle est veritablement prononcée.
Je treuve d'avantage que nous faisons bien souvent usurper à la diphthongue ai, la puissance de ei, comme en ces vocables sainct, main, maintenir: es quelz sans point de doubte nous prononçons la diphthongue ei tout ainsi qu'en ceint, ceinture, peindre, peinture, meine, emmeine. De sorte que si tu te joues de vouloir prononcer ai en ceux là, tu seras trouvé lourd, & de mauvaise grace, & avecq aussi bonne rayson qu'est le menu peuple de Paris quant il prononce main, pain, par ai. Ne soyons doncq pas plus lourds, & nyez en nostre escriture que nous ne vouldrions estre trouvez en la lecture: & escrivons pein, mein, & tous autres, es quelz nous oyons semblable prononciation par ei, ainsi que nous faisons peine, meine, ceint, ceinture, peindre, ayans tousjours comme je vous ay dict la prononciation devant noz yeux: car cest le vif, & le refrein de nostre escriture.
Nous avons d'avantage en la prononciation la diphthongue ao, laquelle nostre escriture ne cognoist comme point, mais a au contraire en bonne recommendation la diphthongue au, qu'onques à mon advis langue de françois ne prononça en son langage, comme autant, cault, chauld, chevaux royaux, es quelz nous oyons distinctement la diphthongue ao, tout ainsi qu'en paovre.
Au contraire aussi nous l'escrivons en saoler, aorner, là ou il n'est nulle memoire de l'a, en la prononciation.
Vsons doncques de la vraye diphthongue en nostre escriture dont use la prononciation, & escrivons aotant, caot, & ainsi des autres, & mesmement qu'elle est hors du dangier des Calomniateurs. Car il est impossible d'en faire lecture en diphthongue, qu'on ne prononce le françois.
Passons aux autres diphthongues, j'entens à celles ou il me semble qu'on fait quelque abus, comme à la diphthongue oy: la quelle je voy indiferemment escrite pour oe, comme en moy, toy, soy, troys foys, roy, & estoit aymoit, & finablement en tous les preterits imperfectz des verbes: comme aymoys, aymoyt, estoys, estoit, & quant nous disons quelquefois j'aymoy, j'estoy, es quelz indubitablement nous prononçons la diphthongue oe, par e ouvert femenin, ou brief. Ce que nous verrons evidemment si nous voulons considerer ceste diphthongue oi, es vocables es quelz elle est prononcée, & trouverons qu'il y a grande difference des ungs es autres.
Car en moins royal, loyal, nous oyons evidemment en la prolation la diphthongue commencer par o, & finir par i. Au contraire en moy, toy, soy, nous oyons la fin de la diphthongue, non seulement en e, mais encor en é ouvert, qui est moien entre a & e clos, & par consequence bien estrange de la prononciation de l'i, ou y grec.
Nous escrirons doncq' loé, roé, & loyal, royal. Par ce moien la diphthongue oé, sera tournée en oy en ces autres derivatifs. Aussi ferons nous estoiét alloét, & tous autres qui ont mesme prononciation, & qu'un enfant apris en l'Alphabeth cognoistroit aisément. Et retenez que je parle de la diphthongue oé par l'é ouvert brief: car nous en avons une autre par l'é ouvert masculin, par lequel nous nous dechargerons de deux letres superflues: les quelles nous donnent occasion grande, & mesmement à ceux qui ne sont rusez, & bien usitez à la langue françoise (je ne dy pas seulement aux estrangiers, mais aussi à la plus grand partie des françois) de faire une lecture merveilleusement aigre au pris de nostre usage de parler.
Les quelles letres se treuvent entrelassées en la tierce personne du plurier des verbes du preterit imperfect, comme en aymoient, venoient, disoient: es quelz si nous lisons la derniere syllabe entiere comme la rayson de l'escriture le requiert, je vous laisse à penser de quelle mauvaise grace sera la prononciation: & s'il fault comme la raison le veult que nous lisions moient en aimoient, tout ainsi que nous le faisons en moien. Or pour remedier à cecy, & que nostre escriture soit plus courte & plus lisable, il nous fault recorir à la prononciation ainsi qu'ung peinctre recourt au vif ou à l'ordonnance qu'il suyt pour corriger son pourtraict.
De vray il me semble que nous ne proferons à parler proprement en françois que la diphthongue oé avecq' le t, en queue, laquelle j'entens estre de l'o & é ouvert long: de sorte que ceste derniere syllabe n'est en rien differente de celle de la tierce personne du singulier, sinon d'autant que l'e du plurier demande plus longue prononciation, que celuy du singulier:
tout ainsi que nous voyons advenir en l'e clos femenin, & masculin, comme quant nous disons: ferme l'huys, s'il n'est fermé, nous ne voyons aucune difference en la prononciation, sinon, que la derniere syllabe du dernier fermé requiert plus longue prolation.
Aussi dy je que quant nous disons Pierre aymoét ceux qui l'aymoét: il n'ya difference entre ces deux verbes, sinon que le premier a e ouvert femenin, & le dernier a l'é masculin qui demande une prononciation lente estant celle de l'autre fort soudaine: & là ou vous vous sentiriez chargez de l'e ouvert, tousjours faudroit il ung é masculin en l'ung, & femenin en l'autre. Ny n'ay introduit l'e ouvert, sinon pour rendre l'escriture plus perfecte, & plus lisable. Car il me semble que la charge n'en est pas si grande que l'aisance.
Il reste encores à debatre la diphthongue ou, dont comme je vous ay dict nous nous passerions bien: tellement que nous voyons que les ungs l'escrivent quelquefois, les autres non en aucuns vocables, comme en nous, quant il est primitif, & non en noz quant il est derivatif. Ce qu'ilz ne font pour autre rayson que pour faire la difference du primitif au pris du derivatif: à quoy je vous ay ja respondu qu'il n'y a difference, ny derivaison, qui ayt loy de corrompe l'escriture: & que puis que la prononciation n'en fait point, qu'aussi ne doivent les letres en corrompant leur puissance.
Mais quelle difference font les Latins quant à l'escriture des letres entre volo vis, & volo volas?
Car vo, est escrit de mesmes letres en l'ung qu'en l'autre: & toutesfois ilz sont de diverse signification, car volo vis signifie je veux, & volo volas je vole. Quelle rayson doncques avons nous d'escrire vouloir, par la diphthongue ou, plustost que voler? De sorte que nous nous obligeons à une loy à la quelle jamés autre langue ne s'est obligée: j'entens pour corrompre les puissances des letres, & là ou il leur seroit advenu, je ne voy point de moien de raysonnable excuse.
J'ay laissé à parler de deux autres diphthongues que nous avons introduictes pour nous jetter hors de la confusion du g, & du c, d'autant que quelquefois nous prononçons le g en i, consonante, & le c en s, devant l'a, & l'o, autrefois en leur propre puissance.
Comme quant nous disons gagea, & gageons, commencea, commenceons, là ou ses deux diphthongues ea, & eo, sont faulses. Car nous n'y prononçons purement que l'a, & o: nous vuyderons toutesfois cela quant nous parlerons de ses deux consonantes. Vous voyez comme d'une faulte on tumbe en autre: car si le g, & le c n'eussent point usurpé les puissances de s, & de i, consonante, & que nous eussions usé simplement des letres selon qu'est leur puissance: nous n'eussions point eu occasion d'abuser de ces autres diphthongues. Il y a aussi ung autre abus en l'i, devant le g, & l, que je remets au propos que nous tiendrons quant nous les expedierons. Voyla en somme toutes les dipthongues dont à mon advis nous abusons en nostre façon d'escrire, & qui me semblent dignes d'estre corrigées, si nous voulons faire que nostre escriture quadre à la prononciation. Passons maintenant aux consonantes.
Chapitre IIII.
Les Grecz homes ingenieux & recherchans les choses selon la rayson naturelle, ont formé leurs conjugaisons des verbes, suyvans aucunes consonantes: qu'ilz appellent characteristiques, & qui avoient le plus d'affinité, & consonance ensemble.
Et pourtant ont ilz mis en la premiere celles qui avoient en la derniere syllabe devant ω, b, ou π, ou φ, ou [pi]τ, qui vallent autant en nostre langue que b, ou u consonante, ou f, p, ph, pt: les quelles b, & p, sont formées d'une clousture de levres forcée de s'ouvrir par le vent de l'home, qui est quelque moindre au b, qu'au p. Et les autres le sont par une compression qui se fait de la levre d'embas aux dens de dessus: & est le mouvement moindre en u consonante, qu'en f, & ph, les quelz j'estime en nostre langue n'estre en rien differans de puissance:
car autant sone f, en filer que ph, en Philipe. Or je treuve qu'en nostre façon d'escrire nous abusons souvent par superfluité du p, & f, de sorte qu'elle donne occasion de faire une lecture rude, & brusque:
comme quant nous escrivons doibt, doibvent, briefvement, escript, escripture, escripre. Car là n'est aucune mention d'elles en nostre prononciation: ny n'est possible de les y faire tant soit peu sonner, qu'on ne face une lourde façon de parler.
Et tenez pour regle generalle que b, & f, ne se rencontrent jamés en la prononciation françoise avant u consonante:
si ce n'est que le b, semble quelque peu sonner en obvier: combien que ce n'est pas la nayve prononciation françoise.
Car sans y prendre garde nous prononçons plus voluntiers ovier, qu'obvier: & ny a point de doubte qu'au dernier obvier nous nous forçons, pensans que la prononciation latine nous y doyve contreindre. En quoy nous abusons, car le seul usage de nostre langue doit gouverner nostre prononciation.
Notez aussi que les noms qui se terminent en f, comme brief, la tournent en leurs derivatifs en u consonante, comme brief, brieve, privatif, privative. Passons aux autres consonantes, en poursuyvant celles qui ont quelque convenance de voix ensemble.
Les Grecz font leur seconde conjuguaison des verbes de G, K, X, K, T, qui vallent autant en nostre langue que g, & c, ainsi que nous les prononçons avant a, & o, & que Kh, & KT. Or fault il entendre que ces letres ne sont guieres differentes que de vehemente, moyenne, ou foyble prolation. De sorte que toutes se forment d'une retraicte que fait la langue contre le palais en s'estendant jusques aux dens machillieres, & au mouvement de laquelle se cause Ch, ou Kh, quant il est vehement: & ce à cause de l'aspiration, mais c, ou K, ou q, quant il est moien: au regard du g, il a la prononciation plus molle.
Nous povons bien voer ces differences en Chameau, Capitaine, Gabriel: toutesfois que les François ne font guieres soner une aspiration apparamment avecq une consonante, joinct qu'ilz prononcent devant toutes voyelles ch, en s molle.
Je laisse à penser aux Latins de quelle autorité ilz prononcent le c, en s, avant e, & i, & en semblable le g en i consonante, & combien est estrange la prononciation de Cicero en prononçant Sisero, au pris de dire Kikero. Pensez comme nous trouverions estrange en nostre langue si quelqu'ung prononçoit Saset pour Caquet.
Toutesfois quelque chose qu'en dye Quintilian, & Priscian: & apres eux Erasme, on y voyt point d'amendement. Et au lieu de prendre peine (qui ne seroit pas grande) de bien prononcer selon l'ancienne coustume des Latins, chascung s'excuse sur la faulte d'autruy, disant que les plus savans en usent ainsi. Si n'est il en la puissance de tous les savans homes du monde de forger une nouvelle langue Latine par la plume, ny par livres. Car ung langage est de telle nature, qu'il requiert pour son commencement la tette des nourrisses, & le commun usage receu presques de toutes conditions d'homes d'une nation: ny ne fut oncques trouvé depuis que le monde est monde, qu'autres homes que ceux du pays ayent en puissance de changer l'usage d'une langue, sinon de tant qu'ilz ont eu commune habitation ensemble. Au demourant il n'y a celuy qui estudie es langues Latine, & Grecque, qui n'entende faire la prononciation telle, qu'a esté celle des Autheurs qu'il list: & s'il la fait autre, je puis dire que c'est ung jargon: d'autant que sa lecture ne fut onques anciennement cognue. Avecq ce que comme je vous ay dict l'usage par lequel nous tumbons en confusion & desordre, se doit appeller abus. Voyons maintenant si les François ont point confondu ces letres, de sorte qu'on puisse faire faulse lecture.
Je trouve premierement que nous avons usurpé le c, en son d's, avant toutes les voyelles: combien que quelquefois il demeure en sa premiere puissance devant a, o, u, comme en Capitaine, Compaignon, Cure. Mes en ces autres comme, Fonça, façon, cecy nous voyons qu'il est prononcé en s. Parquoy vous voyez evidemment que ceste façon d'escrire donne occasion de mal prononcer, & de laisser le liseur en doubte. Or je m'esmerveille que ceux qui ont cherché de faire differente escriture de vocables, là ou leur signification seroit diverse: n'ont advisé en semblable de diversifier les letres, là ou leur puissance se trouveroit diverse.
Car il me semble qu'il est aussi raysonnable de diversifier le C, quant il sonne en S, de celuy qui sonne en K: attendu mesmement que la prononciation est diverse, comme en façon, & facond, que de faire diverse l'escriture de nous, primitif, & de noz derivatif: qui ne sont en rien differens en leur prononciation.
Pour nous oster doncques de ceste confusion du C, j'ay advisé que les Hespaignols ont ung ç crochu, ou à queue, dont nous pourrons user devant toutes voyelles: devant lesquelles nous usurpons le C, en S, en escrivant de ça çeçy façon, non pas que je vueille dire que S, ne s'y puisse bien mettre, quoy que les homes de france se moquent des Dames le faisant ainsi.
Des quelles si nous recherchons la façon d'escrire, nous la trouverons beaucop plus raysonnable, & mieux poursuyvie selon l'Alphabeth, que celle des plus savans homes des nostres. Brief s'il est demouré quelque reste de raysonnable escriture, & formée selon que les puissances des letres le requierent, il leur en fault donner l'honneur: comme qui ont suyvi ung bon principe qui est, que l'office des letres est de servir en l'escriture, chascune selon sa puissance: & non pas pour y estre oysive, ou bien usurper celle d'une autre. Ce qu'au contraire nous avons faict tous en prenant des faulx principes, que ja je vous ay debatuz.
Si nous estions homes à qui la rayson fut en affection, & que nous eussions en toutes choses les vrays principes en aussi bonne recommandacion que les apparans: les sophisteries, & faulses doctrines en tous ars ne seroient pas en si grand regne, ny receues pour veritables. Mais en cela cognoistrez vous la difference du savant, & de l'ignorant, & sophiste, que le savant se fortifie de ses principes, qu'il sent partir de verité, & pourtant certains, & invincibles: sans recourir à nulles autres armes, & sans fuyr nulle part le combat. Mais là ou la rayson nous default, & que la verité nous presse, de sorte que ceste apparence qui n'est qu'une couverture de mensonge vient à estre decouverte: allors nous quittons la campaigne, ainsi que fait une troupe de gens de guerre quant elle se sent foyble, & regaignons le fort de ruses, & malices, pour quelquefois faire des saillies, avecq' injures, cryeries, & toutes façons de cruauté. O que c'est une grande pauvreté, & misere en ung pays, quant les homes veulent forcer les autres de recevoir l'ignorance pour science, & les tenebres pour lumiere! Or revenons à noz moutons. Il me semble doncques que si nous usons de ceste façon de ç comme je vous ay dict: & que nous employons le nostre devant les voyelles, esquelles nous le prononçons en K, comme en Capitaine, coper, compaignon, que nous fuirons ceste façon de confusion de puissance de letres. Par ce moien nous aurons deux letres d'une mesme nature: d'autant qu'il n'est pas possible de corriger l'abus du c autrement: avecq' ce qu'il n'y a point d'inconvenient pour la lecture, d'avoir plusieurs letres d'une mesme puissance.
Quant est du K, & q, les Latins les ont estimez superfluz, comme qui avoient le c, ayant mesme puissance qu'eux sur toutes les voyelles. Il est vray qu'ilz s'aydoient du q, comme dict Priscian pour monstrer qu'es vers l'u ensuyvant perdoét la force de letre, qui se doit entendre à mon advis en tant que touche la quantité. Car par rayson deux voyelles en une syllabe la rendent longue. Or avons nous en tyrant des vocables de la langue Latine gardé ce q, avecq l'u en ceux ou nous l'avons trouvé: combien que l'u n'y soit aucunement prononcé, & que nous ne soyons en la necessité pour la poesie dont parle Priscian. Parquoy il est superflu.
Car quant nous prononçons qui, que, quelle, quant, & ainsi des autres, nous ne disons sinon qi, qe, qelle, qant. Et pourtant je treuve que c'est simplesse de l'escrire, & de penser que l'u soit de rien necessaire pour faire soner le q en K. Et si le c n'eust esté corrompu en usurpation de s, & qu'il eut gardé sa puissance devant i, & e, en K: nous n'avions en sorte du monde besoing du q, ne du K. Car si nous prononçons le c en K, en cholerice comme il deut estre, nous y trouverons nostre lecture aussi entiere qu'en cholerique, ou choleriqe. Parquoy le q, ou bien le K nous est necessere mesmement devant e, & i, comme en qi ou Ki, qelle, ou Kelle. Et quant à cest u, que nous mettons apres le q, il donne occasion de mauvaise lecture: & si ne la donne pour la grande coustume qu'on a de la taire, si est ce qu'en le taisant nous cognoissons qu'il est surhabondant.
Au regard de Ch nous en usons egallement devant toutes les voyelles en s molle: comme en chansons, cheminer, chiches crochu, exceptez aucuns tant Latins que Grecz esquelz nous le prononçons en K, comme en cholere chameleon, charté, & toutesfois nous n'oyons point de prononciation autre que du simple c, ou K.
Et pourtant nous les devons escrire par le seul C, ou K sans avoir egard à l'aspiration, veu que nous ne l'y faisons point sonner, ny à la derivaison, comme souvent je vous ay dict, sinon d'autant que la prononciation la garde: de sorte que nous devons escrire Colere, Cameleon.
Ne ny a non plus de difference en la prononciation de Co & Ca en eux, qu'en Collation, & Camelot. Et pour autant que nous avons usurpé Ch, en S, molle, par devant toutes voyelles, nous n'en userons qu'à ceste façon de voix.
Combien que qui voudroit mieux faire nous le pourrions diversifier ainsi que je vous ay dict du ç sonant en s: & pour monstrer qu'il doit estre prononcé plus mollement que le c simple, luy mettre ung point au mylieu de ceste figure ç: d'autant que c'est une moquerie de penser qu'h, amollisse une voix. Car au contraire elle luy donne vehemence, comme vous voyez en home, Hallebarde, Hallecret. Parquoy ce seroit ung abus de l'appeller c aspiré, & le devra l'on plustost nommer c mol, comme qui requiert une prononciation grasse, & molle.
Au demourant quant à la letre g, je treuve que nous l'avons usurpé en i consonante presques devant toutes les voyelles: de sorte que quant nous en voulons user suyvant sa propre puissance devant e, & i, nous tombons au mesme vice que nous faisons du q: apres lequel nous escrivons ung u, dont la prononciation ne fait point de mention.
Et tout ainsi que nous escrivons quadrer, quelle, esquelz nous ne prononçons point u: aussi escrivons nous langue, languir. Esquelz toutesfois n'est non plus de mention de l'u, qu'en ces autres Gabelle, Gabrier, allengore. Qui en est doncq' la cause? l'inconsideration de ceux qui premierement ont usurpé le g en i consonante: & qui se voyans pressez, d'autant que quelquefois nous le prononçons devant toutes les voyelles en sa propre puissance, ilz ont advisé d'entrejetter cest u, mesmement quant e, ou i, sont subsequens comme en langue, languir, & guyder, pensans à mon advis que les Latins le feissent ainsi:
attendu que nous prononçons aujourdhuy legis, leget, tout ainsi que lejis lejet. Je voudrois toutesfois bien savoir la rayson pourquoy nous ne prononçons ga, ge, gi, go, gu, d'un mesme son de g, qu'il fait avant a, tout ainsi que nous faisons ba, be, bi, bo, bu. Ce que les Allemans font en leur langage, ainsi que je l'ay entendu: de sorte que s'ilz avoient à escrire en leur langue, languir: ilz n'escriroient sinon langir.
Voila doncques que nous a faict cest usage de noz anciens, que les ignorans mettent si souvent en avant. Ilz ont premierement confondu la puissance des letres: & pour autant que par necessité il fault qu'il s'en ensuyve desordre, ilz sont tombez en ung autre inconvenient, qui est la superfluité d'elles. Croyez messieurs, que le recours qu'à tout propos nous faisons à la souffisance de noz anciens, comme les estimans avoir faict toutes choses de grand conseil, & consideration, est quelquefois une apparante couverture de vices, & faultes: & une vraye nourrisse d'ignorance, & d'oysiveté d'entendement, avecq' une oultrecuydance pour conserver une apparance de savoir.
Brief il fault suyvre noz anciens, & leur porter reverence, de tant que nous les voyons l'avoir porté à la rayson: ayans opinion que leurs euvres doyvent de tant estre louables, qu'elles seront trouvées faictes de consideration.
Pour remedier doncques à ce g, il me semble que nous deussions pour bien escrire, & pour oster ceste confusion de letres, user de l'i consonante, toutes les fois que nous l'usurpons en telle puissance, comme en Ange, Linge, Manger, Mangeons: & oster du tout la fantasie que nous avons à ces derivaisons de langues, puis que nous ne la gardons point en la prolation:
avecq' ce que la prononciation Latine, & Grecque du g avant e, & i, ne fut oncques anciennement telle que nous la faisons aujourdhuy: & garderons nostre g, devant toutes voyelles en la mesme puissance qu'il a devant a, o, u. Par ce moyen nous osterons premierement l'abus de l'u, entrejetté devant e, ou i, comme en langue languir: secondement nous osterons la diphthongue ea, que nous escrivons sans propos en mangea, gagea, & ainsi des autres, en escrivant manja, gaja. Tiercement nous osterons aussi celle de eo, comme en mangeons gageons, en escrivant manjons, gajons.
Il est vray que vous me direz que quant en manjer, gajer, & des autres semblables l'amendement sera suportable: mais qu'attendu le commun usage de g en i consonante avant e, & i, il sera bien difficile de recevoir lange pour langue, langir pour languir. Quant à cela je confesse bien que toutes choses en leur commancement sont difficiles, & facheuses, & mesmement quant il fault desapprendre. Mais aussi n'est il rien si difficile que l'home n'entrepreigne, quant par rayson il y sent ung grant gain & proufit. Vous me direz d'avantage que l'Italien, l'Hespaignol, & assez d'autres peuples en font comme nous. Ayons doncques par sus toutes nations ce bon renom, que nous somes les premiers qui estans blasmez par sus tous autres peuples d'user de la plus confuse, & vicieuse escriture, l'avons de sorte amendée qu'elle leur servira de mirouer pour donner ordre aux leurs. Nous ne somes pas encores hors de tous les abus du g.
Car il me semble que nous en abusons lordement avecq' ung i devant n molle, d'autant qu'elle n'y sonne aucunement: ny ne luy donne aucun confort de sa voix, comme en Aigniau, mignon, esquelz nous n'oyons, qu'une n amollie: qu'au contraire le g precedent deut renforcer comme tresbien le prononcent les Italiens en la langue Latine, le proferans entre g & n, en magnus, agnus, ainsi que l'ancienne coustume le requeroit. Et pourtant non sans cause les anciens disoient qu'en cela ilz avoient faulte d'une letre qui sonna entre g & n. Ilz craignoient à mon advis donner occasion de confusion de lecture.
Or pour autant que n, en nostre langue sonne quelquefois mollement, & que noz anciens sont tombez en mauvaise prononciation du g devant n, es vocables Latins: ilz ont par mesme rayson faicte mauvaise escriture Françoise.
Parquoy en prononçant mal agnus, qui veult estre prononcé quasi comme annus, sinon que ceste premiere n, doit tenir du g (Autrement ne le vous sauroye je declairer) ilz ont extraict une prononciation Françoise tout autre en Aigniau: & l'ont escrit tout ainsi presque que les Latins, au lieu que la langue Françoise ne requeroit qu'une prononciation molle de n, laquelle il suffisoit diversifier aucunement, comme d'ung poinct crochu mis au dessus n.
D'avantage il y peut eschoir desordre, attendu que nous escrivons quelquefois ce g devant n, & là ou elle ne sonne point ainsi mollement comme en cognoistre, cognoissance: mais aussi pourroit on respondre, & avecq' rayson que le g n'y sert de rien, & qu'il n'y est non plus necessere qu'en Conoille, Connestable: & s'il y a renfort de prononciation de n, il la faudroit escrire, & non pas ung g.
Je treuve encor' que nous abusons de ce g en tous vocables, esquelz nous le faisons final comme ung, chacung, besoing. Car je ne voy point que les François ayent aucune prolation finissant en g. Au fort si vous en trouvez c'est la rayson que vous l'escriviez ainsi, sinon, c'est abus de l'escrire.
Venons maintenant au reste des consonantes selon qu'elles ont entre elles quelque convenance de voix, & prenons celles dont les Grecz font leur tierce conjugaison, comme D, θ, T, que nous, & les Latins figurons par d, th, & t: lesquelles ne sont entre elles differentes que de prolation plus forte, ou plus remise: & se forment toutes d'ung hurtement de langue aux premieres dens de dessus, fort en th, moindre au t, & foible au d.
Or quant à l'usage je ne treuve point la puissance du d, avoir esté corrompue: mais il me semble que nous en abusons en superfluité, & mesmement es vocables tyrez de la langue Latine, comme en advenir, admonestement, advisé, & finablement en tous noms, & verbes Latins composez avecq' la preposition ad: combien qu'au demourant nous le luy ayons osté, quant il est simple, comme quant nous escrivons, d'icy à peu de jours j'yray à la romaigne, nous n'escrivons point de d avecq' a, combien qu'il soit tyré du mesme ad, dont est tyré admonestement, & adversaire, & n'est non plus de mention du d, es ungs qu'es autres, parquoy il est superflu.
Quant au t, je treuve que nous l'avons corrompu luy faisans faire l'office de s.
Ce qu'à mon advis est advenu de la mauvaise prononciation qu'en font les Latins en la langue Latine, mesmement quant i, est subsequent avecq' quelque autre voyelle, comme en dictio, vitium, Satio. Lesquelz tyrans ceste maniere de vocables à la langue Françoise, ont amené ceste façon de corruption du t, escrivans diction, manifestation, malediction. Toutesfois ceux qui ne sont point Latins en escrivent les aucuns par c, comme prononciacion. Or quant à cest abus, il me semble qu'il sera bon d'user du ç, à queue comme je vous ay dit en ceux ausquelz est le seul t, comme en manifestation. Car combien que ce soit la vraye prononciation de s, toutesfois nous n'en pourrions pas user, d'autant que toutes les fois que nous l'escrivons entre deux voyelles, nous la prononçons en z, qui est ung autre abus dont je parleray bien tost. Nous escrirons doncques manifestaçion, annonçiaçion.
Mais quant à ceux que nous escrivons par ct, nous les devrons escrire par x, d'autant que c'est une letre double qui vault autant que cs.
Ce que nous voyons appertement en plusieurs vocables, comme en exercice, Xerxes, execution, esquelz x sonne tout ainsi que fait ct, en diction, faction. Parquoy sans avoir egard à la derivaison ny à la vicieuse prononciation des Latins, qui par rayson deussent prononcer ct, en dictio, tout ainsi qu'en dictum: nous escrirons dixion, si nous voulons faire une escriture nayve, & bien lisable.
Et ne nous amuserons point à leur regle dont j'ay parlé, faicte à la haste, & de n'a gueres, pour couvrir leur commun vice de prononcer: combien que quelquefois ilz ne la gardent pas, d'autant qu'ilz le prononcent en aucuns vocables en sa propre puissance, disans, Ematius, Sarmatia, & non pas Emaçius, Sarmaçia.
Au demourant, messieurs, nous avons des vocables François: esquelz le ti, sone sa propre voix, combien qu'il soit devant une voyelle comme en moytié, mauvestié. Vous voyez donques que ceste diversité ne cause que desordre en l'escriture Françoise: car il n'y a non plus de rayson que t, doive sonner en moytié en sa propre puissance, qu'en diction: parquoy il fault corriger cest abus.
Je treuve d'avantage que nous abusons du ct, mesmement es participes, ce que ja je vous ay dict parlant de la difference des vocables, comme en dict, faict, perfaict, dicts, faicts, perfaicts: dont es premiers n'est aucune mention du c, ny en leurs pluriers nulle du ct: au lieu desquelz nous prononçons dit, fét, perfét, dis, fés, perfés. J'entens bien que les Latins trouveront bien estrange que je despouille ainsi ces vocables des letres de leur sourse, je ne dy pas les savans: mais ceux tant seulement qui n'ont pour toute rayson qu'une opinion supersticieuse pour les derivaisons.
Il me semble d'avantage que nous escrivons Et, copulative avecq' ung t, & sans propos. Ce que nous sentons bien quant le vocable ensuyvant commence par voyelle: d'autant qu'il seroit bien difficile qu'une consonante finale ne monstrast sa puissance en la voyelle subsequente. Comme quant nous disons: les homes ont à mourir une fois: s'il n'y entrevient quelque façon de pose, ou fin de clause. Mais quant nous disons: Annibal a combatu contre les François, & Italiens, & Hespaignols, nous ne nous oserions avanturer de prononcer le t de &, que ce ne fut pour servir de moquerie aux auditeurs. Or est il qu'encores moins sonne il devant les consonantes, parquoy je dy qu'on doit escrire et, sans t.
Notez aussi, que tous noms terminez en d, ou t, les tornent au plurier en s, ou z, comme renard, hazard, dent, content, qui font renars, hazars, dens, contens.
Il reste encores une race de letres dont les Grecz ont faict leur quarte conjugaison qui sont s, z: desquelles celle qui nous est la plus familiere en nostre langue, est la moins en usage en l'escriture. Car au lieu du z que nous prononçons souvent, nous escrivons une s, mesmement entre deux voyelles, comme en disons, faisons, & ainsi de tous les autres.
Au contraire aussi comme quasi pour recompense, nous escrivons un z, final, là ou souffiroit un s. Il est vray que ce n'est pas ung vice fort notable: car il semble que s, finale sonne en z, quant le vocable ensuyvant commence par voyelle, comme les amours, les avanturiers. Or quant à cela je n'y m'y arreste pas beaucop, attendu que la lecture n'en sauroit estre notablement vicieuse. Mais quant à la difference qu'on met en avant touchant le é, masculin des noms pluriers, & des secondes personnes du plurier des verbes, de sorte qu'on veut dire, que voluptez, dignitez, & autres semblables requierent une s: & allez, venez, tyrez, ung z, il me semble que soubz la reverence de ceux qui le mettent en avant, le z, n'a point plus de puissance que l's, d'estre mis es verbes qu'es noms. Et me semble qu'aymés, est aussi bien escrit par s, que dignités, & si z est plus aggreable, aussi bonne est l'escriture de dignitez par z, que celle d'aymez.
Combien que veritablement le z n'est point letre nayvement finale en la langue Françoise: d'autant qu'elle requiert je ne sçay quel siflement avecq' fredon.
Nous escrirons doncq' ung z au lieu de s, entre deux voyelles, comme en dizons, fezons, plezançe: veu que nous le gardons en la prononciation, sans avoir egard à celle des Latins, & Grecz qui prononcent s, ainsi assise en z, comme persuazio pour persuasio, pertezus pour pertesus, Baziliscos pour Basiliscos, paralyzis, pour paralisis: esquelz s deut sonner tout ainsi qu'en insido, Consul, Asymbolos, Asynthetos: attendu qu'ilz y prononcent s, tout ainsi que nous la proferons en salut, savoir, Symon.
Or quant à la superfluité de s, je vous ay ja souvent dict comme sans propos nous l'escrivons sans servir de rien en l'escriture, sinon d'occasion de faulse lecture. Brief elle ne doit estre escrite, que de tant quelle est prononcée. Je croy bien aussi qu'anciennement on la prononçoit en beaucoup de vocables: comme en honeste honnesteté. Mais depuis l'usage de parler a esté autre: parquoy il fault que l'escriture soit autre. Il est vray qu'il fault noter les voyelles longues pour le mieux, les quelles bien souvent ont contraint plusieurs d'user de s, pour les monstrer de longue prononciation: combien qu'il vaudroit mieux user plustost d'une voyelle simple, que d'abuser d'une letre, & de sa puissance. Car on ne treuve point que les letres ayent esté inventées pour ne servir quelquefois que de note de quantité, & autrefois representer la voix. Et me semble que ceux qui s'opiniatrent en telles opinions, n'ayment que confusion d'escriture, & occasion de vicieuse lecture. Passons oultre & venons aux consonantes, qui comme gens r'assemblez de divers pays, & quasi comme orphelines, n'ont entre elles, ny avecq autres, aucune affinité.
Et pourtant les Grecz les ont appellées immuables, qui sont l, m, n, r: entre les quelles la premiere nous est si recommandée, que sans propos & avecq une je ne sçay quelle occasion, nous l'escrivons sans avoir egard qu'elle donne grande occasion de faire une lecture rude, & de mauvaise grace. Mais quelle prononciation françoise seroit ce, si nous voulions proferer l, en aultre, peult, eulx, chevaulx, royaulx? Ceux qui entre les françois veulent defendre ceste façon d'escriture recourent à la derivaison, disans, que puis qu'au primitif se treuve une l, qu'elle se doit garder es derivatifs. Parquoy veu que l, se treuve en cheval, royal, loyal, il fault que chevaulx, & royaulx la retiennent: & defendent de mesme rayson f, en briefve, briefvement, & autres semblables, dont ja j'ay parlé. Qui est une observation, qu'onques langue ne fit, ny ne pourroit faire sans corrompre l'escriture, & la rendre confuse. Ce vice aussi ne vient que de faulte de considerer les façons de former les derivatifs des primitifs, selon l'usage d'une langue. Il est vray que les Grecz ne changent point l, en tous les vocables qui sont formez des verbes qui l'ont pour Charecteristique.
Au contraire aujourd'huy les françois la changent en aos au plurier quant elle est letre finale des noms: de sorte que cheval, royal, loyal, & autres leurs semblables font chevaos, royaos, loyaos. Et si croy bien qu'anciennement on disoit chevals, royals, loyals: mais depuis la prononciation a esté autre, il fault aussi que l'usage d'escriture soit autre. Et si nous voulons bien rechercher les choses au vray, nous trouverons que la plus part de nous françois usent de ceste superfluité de letres, & mesmement de l, s, x, plus pour parer leur escriture, que pour opinion qu'ilz ayent qu'elles y soient necesseres. Car les ll, avecq les ss, ouvées comme carpes servent de grand remplage en une escriture, & donnent grand contentement aux yeux de celuy qui se paist de la seule figure des letres, sans avoir egard si la lecture pour laquelle elle est principallement inventée en sera facile, & aisée. J'ose bien d'avantage asseurer que c'est bien l'une des principalles causes pour laquelle je n'espere pas jamés, ou pour le moins il sera bien dificile, que la superfluité de letres soit quelquefois corrigée: quoy qu'il s'ensuyve espargne de papier, de plume, & de temps, & finablement facilité, & aisance de lecture à toutes nations.
Nous usons d'avantage de deux ll, avecq ung i, precedent pour representer une prononciation grasse de l, comme meilleur, veiller, là ou nous n'oyons aucunement le son d, i, & s'il y en a aucung, il semble avoir plus d'apparance apres la prononciation de l. C'est ung vice aussi que je vous ay noté en parlant du g, devant n, quant elle sonne mollement comme en aigniau, là ou en semblable i semble plustost avoir quelque resonance apres n, que devant, comme en mignon.
Combien qu'à la verité ceste mollesse de l, & n, ne se cause point par letres precedentes ny subsequentes: & n'est qu'une proprieté de langue de prononcer une mesme voix plus dure, & autrefois plus molle, comme l, en meilleur, & n, en mignon, & s, que nous escrivons par ch, en chevaux, chevalier, chastier. Et croy bien que ce sont prononciations les quelles n'ont jamés esté Latines ny Grecques.
Il est vray que celle de ch prononcé mollement semble avoir esté hebraique, & estre telle que celle de שׁ, ainsi qu'aucuns le prononcent. Et pourtant seroit il beaucoup meilleur de diversifier aucunement les letres quant elles diversifient quelque peu leur son, que d'en faire une telle assemblée en l'escriture pour ne servir que d'apparance seule, & d'empeschement de papier, avecq occasion grande de faire faulse lecture. Avecq ce que cest une chose par trop deraisonnable, et contre nature que deux letres ensemble facent ung son mol, là ou la simple le rend ferme, comme en voler, consoler.
Si donques nous voulions marquer cest l, d'ung point dessus, comme je vous ay dict de n, nous nous releverions de ceste confusion de letres: de sorte qu'il nous suffiroit d'escrire meleur, au lieu de meilleur: ou bien leur faire quelque autre façon de diversité de meilleur grace. Il est vray que les Hespaignols ont une façon d'escrire quelquefois deux ll, au commencement d'un vocable pour faire la prononciation molle, escrivans llano, qui est une façon fort estrange: toutesfois ilz ne l'ont à mon advis faict que pour monstrer ceste mollesse, et par faulte d'avoir inventé quelque autre meilleur moien, ou plustost nouveau Caractere. Car on ne doit jamés s'il est possible, abuser des letres. Mais pourquoy n'eut le peuple receu ung nouveau Caractere aussi tost que deux ll, pour une l, molle?
Pourquoy aussi nous doit estre plus estrange d'apprendre qu'une l avec ung point, ou ainsi que tu voudras sonne mollement, que l'assemblée d'ung i avecq deux ll, attendu que quelquefois nous ne les prononçons pas ainsi en tous vocables: comme en ville, village, villageois? Pour à quoy satisfaire la response sera foible que l'i, en ceux là est conjoinct à la precedente syllabe, & non pas aux ll, parquoy les ll sonnent leur naturelle voix:
car on pourra aussi repliquer de tillac, Billard, ciller, & d'autres semblables es quelz combien qu'i soit conjoint à la syllabe precedente, les deux ll ne laissent pas d'estre prononcées mollement. Vous povez doncq bien voir la grande incertitude, & confusion de telle maniere d'escrire.
Mais quant à n, je treuve que tout ainsi que nous en abusons comme je vous ay dict, es tierces personnes du plurier des preteritz imperfectz de l'indicatif, quant j'ay parlé des diphthongues oe, & oé, qu'aussi fesons nous es mesmes personnes du present, comme en ayment, donnent, frapent, es quelz nous ne prononcons sinon aymet, frapet, donnet.
Et qui se forment de la tierce personne du singulier en adjoustant le seul t, à la derniere syllabe terminée en e femenin: de sorte que si nous adjoustons à aymé tierce personne du present ung t, se formera aymet, tierce personne du plurier, en retenant tousjours e femenin: de sorte que nostre escriture sera raysonnable, quant nous escrirons les homes aymet les femmes. J'ay dict notamment par e femenin, & clos, d'autant qu'ung calomniateur ne faudroit pas de prononcer e en donnet, comme en bonnet, furet, es quelz est ung e femenin ouvert. Brief je dy que si nous prononçons le mesme e, qui est en la tierce personne du singulier, en y adjoustant tant seulement ung t, il est impossible, que tu ne prononces la vraye tierce personne du plurier. Au contraire si tu t'esforces le moins du monde de prononcer cest n, que nous y entrelassons, considere de quelle grace sera ta prononciation.
Il ne nous reste plus à expedier que x, duquel je vous ay ja dict la puissance parlant de ct. Au demourant nous en abusons en nostre langue la faisant finale à plusieurs vocables, comme aux Chevaulx, Royaulx.
Car il me semble que les François n'ont point de propre terminaison en x, et que s, y est suffisante, et pourtant nous devons escrire aos, chevaos, royaos en ostant toute superfluité & usurpation de letres, & sans avoir egard au long usage ou plustost abus ny aux differences, ny finablement aux derivaisons: mais tant seulement à l'usage de la prononciation: j'entens si nous voulons escrire le langaige dont nous usons. Vela doncques les raysons qu'il m'a semblé bon de vous mettre en avant, pour vous faire cognoistre le grand abus, desordre, & confusion, que nous tenons en nostre façon d'escrire: de sorte que nous povons raysonnablement confesser, que nous escrivons ung langage qui n'est point en usage, & usons d'une langue qui n'a point d'usage d'escriture en France.
Chapitre V.
Quelques savans homes ont si bien introduit l'apostrophe, qu'elle est ja receue en l'imprimerie, comme qui est bien necessere pour eviter superfluité de letres: & l'ont restraincte tant seulement aux monosyllabes comme en ce, que, ma, ta, sa, & assez d'autres, disans qu'il failloit escrire m'amye, t'amye, m'amour, t'amour: au regard de s'amour il n'est point en usage selon qu'il me semble. Et fault entendre que m'amour, t'amour, ne sont pas fourgez de mon, & ton, mais de ma, & ta: d'autant que ce vocable amour est aussi bien femenin, que masculin: de sorte que quant nous y adjoustons mon, ton, & son, il ne s'y peut faire collision, ou apostrophe. Car nous disons entierement mon amour, ton amour, son amour. Et pour monstrer qu'il se prononce en sexe femenin, nous disons ma grand' amour, ta grand' amour, sa grand' amour, une merveilleus' amour. Or il me semble que ceste restrinction aux monosyllabes, n'est qu'ung chastoillement & qu'elle n'atteint point au vif: & qu'au surplus elle peut donner occasion à quelqu'ung de la debatre comme plus fantastique que necessere. Car s'il met en avant que quant nous disons, j'ayme de grande amytié, il n'y a non plus de rayson que l'e de je, doyve estre noté par l'apostrophe que celuy de grande, attendu qu'e en grande est aussi bien teu qu'en je: il aura occasion de tenir ta doctrine pour faulse, ou pour le moins pour imperfecte. Aussi n'y a il point de rayson qu'il doyve estre escrit en l'ung, & non en l'autre. Et pourtant quiconque se veult entremettre de donner regle en quelque art que ce soit, doit prendre bons fondemens sans avoir autre egard qu'à la rayson. Ny ne feit oncques medecin belle cure qui a eu plus les appetiz d'ung malade en recommandation que l'ordre, & les moyens, par les quelz on luy doit procurer la santé. Aussi ne doit non plus chercher ung qui baille doctrine, ny attendre d'avantage, que fait ung qui monstre le vray chemin à ung passant, du lieu ou il tyre: d'autant que s'il ne le croyt, & qu'il s'esgare ce n'est que sa faulte, & non celle de celuy qui l'enseigne. Je dy donques generallement que toutes les fois qu'en la prononciation aucune letre finalle se pert, l'Apostrophe est necessere en l'escriture pour denoter la collision, ou perte de la voyelle ou consonante. Et là ou nous ne vouldrions recevoir l'Apostrophe, je dy qu'encores la letre ne doit point estre escripte. Comme quant nous disons une amye entiere, ayme d'une perfecte amour, nous devons escrire un' amy' entier' aymé d'une perfet' amour. Et quoy que ceste maniere d'escrire semble estre de prime face estrange, si est elle telle que la faulte de bonne lecture ne viendra que de l'imperfection du lisant, & non pas de l'escriture.
Quant aux consonantes je treuve que les, des, es, perdent s, quant le vocable ensuyvant commence par consonante, comme quant nous disons les compaignons de guerre es quelz les Capitaines ont faict des dons sont les mieulx agguerriz: nous devons escrire, lé compaignons de guerre é quelz, l'é Capitaines ont faict de dons sont lé mieulx, agguerriz: car si nous prononçons s, en ces monosyllabes, la prononciation sera vicieuse. Brief il me suffist de vous faire entendre la vertu de l'Apostrophe pour vous en ayder ainsi que la prononciation vous contreindra. Or fault il entendre qu'elle n'a point de lieu, là ou il entrevient quelque point autant de virgule, que de fin de clause: comme quant nous disons une femme bonne, apprinse, & sage, pensera tousjours de son honneur. Autrement tu ferois une prononciation confuse, là ou elle requiert estre distincte & faicte quasi avecq quelques poses.
Notés aussi que il, & elle, apres le verbe terminé en e femenin ne fait pas perdre le son d'e, comme quant nous disons, ayme il? ayme elle? il s'en pourroit trouver d'autres, dont la prononciation vous devra faire sages. Il y a aussi quelque fois detour de syllabe entiere comme en avez, & savez quant nous disons a'vous, sa'vous, pour avez vous, savez vous, que pour eviter tant de diverses figures je trouveray bon de marquer de la figure de l'Apostrophe: d'autant que c'est une mesme rayson de detour en voix, ou syllabe finale.
A UNG SEUL DIEU HONNEUR
ET GLOIRE.
Tu as cy devant (Lecteur) le discours de Loys Meigret Lyonnoys, touchant nostre escripture Françoyse. Qui est un œuvre, ou il l'ha si nayfvement debatuë, qu'il me contrainct (ou guieres ne s'en fault) de tenir son party: voyre l'ensuyvre de brief en sa forme d'escrire, fondée en raisons vifves & pleines de verité: encores que Mos, ce tyran, vicieux & resveur, ne fasse aultre chose que luy recalcitrer. Apres lequel traicté il m'ha semblé bon d'adjoindre, La maniere de bien traduire d'une langue en aultre: la punctuation de la langue Françoyse: & les accentz d'icelle, mis en lumiere par Estienne Dolet, natif d'Orleans. Et ce ay je faict (meu envers toy de bon vouloir) si non à ton utilité, au moins pour te resjouyr l'esprit en la tradition de ces deux advis ensemble (Pourquoy n'oseray-je point dire Institutions?) proffitables aux professeurs de nostre langue. Mais si tu trouve l'orthographie de Meigret, dissemblable à celle de Dolet: sçache que l'un le veult ainsi, & l'aultre pareillement. Doncques (amy) ne dy point que j'escry en diverses manieres, comme confuz, & ne sçachant de quel boys faire flesches, quand tu auras leu ce, que je te presente: ains reçoy le tout d'aussi joyeuse face, comme je te le livre. Et à Dieu.
Ly et puis juge: ne juge toutesfoys devant, que d'avoir veu mon Orateur Françoys, qui (possible est) te satisfaira, quant aux doubtes, ou tu pourras encourir lisant ce Livre.
Dixain, de Saincte Marthe.
Je n'ignore pas (Seigneur par gloire immortel) que plusieurs ne s'esbaissent grandement de veoir sortir de moy ce present Oeuvre: attendu que par le passé j'ay faict, & fais encores maintenant profession totalle de la langue Latine. Mais à cecy je donne deux raisons. L'une que mon affection est telle envers l'honneur de mon païs, que je veulx trouver tout moyen de l'illustrer. Et ne le puis myeulx faire que de celebrer sa langue, comme ont faict Grecs, & Romains la leur. L'aultre raison est, que non sans exemple de plusieurs je m'addonne à ceste exercitation.
Quant aux Antiques tant Grecz, que Latins, ilz n'ont prins aultre instrument de leur eloquence, que la langue maternelle. De la Grece seront pour tesmoings Demosthene, Aristote, Platon, Isocrate, Thucydide, Herodote, Homere. Et des Latins je produis Ciceron, Cæsar, Salluste, Virgille, Ovide. Lesquelz n'ont delaissé leur langue, pour estre renommés en une aultre. Et ont mesprise toute aultre: sinon qu'aulcuns des Latins ont apprins la Grecque, affin de sçavoir les arts, & disciplines traictées par les Autheurs d'ycelle.
Quant aux modernes, semblable chose que moy a faict Leonard Aretin, Sannazare, Petrarcque, Bembe (ceulx là Italiens) & en France Budée, Fabri, Bouille, & maistre Jacques Silvius. Doncques non sans l'exemple de plusieurs excellents personnages j'entreprends ce labeur. Lequel (Seigneur plein de bon jugement) tu recepvras non comme parfaict en la demonstration de nostre langue, mais seulement comme ung commencement d'ycelle. Car je sçay, que quand on voulut reduire la langue Grecque, & Latine en art, cela ne fut absolu par ung homme, mais par plusieurs. Ce qui se faira pareillement en la langue Françoyse: & peu à peu par le moyen, & travail des gens doctes elle pourra estre reduicte en telle parfection, que les langues dessusdictes. A ceste cause (seigneur tout humain) je te requiers de prendre ce mien labeur en gré: & s'il ne reforme totallement nostre langue, pour le moins pense, que c'est commencement, qui pourra parvenir à fin telle, que les estrangiers ne nous appelleront plus Barbares. Te soubvienne aussi en cest endroit, qu'il est bien difficille qu'une chose soit inventée, & parfaicte tout à un coup. Parquoy tu te doibs contenter de mon invention, & en attendre ou par moy, ou par aultres la parfection avecq' le temps. Joinct aussi, qu'en choses grandes, & difficilles le vouloir doibt estre assés. Je laisse ce propos, & te veulx dire ce, qui m'a esmeu de te dedier ce Livre.
Certes l'opinion, & estime grande, que j'ay de ton sçavoir, eloquence, &, jugement en tout esmerveillable, m'a induict à ce faire, aultant ou plus, que l'humanité, & liberalité, de laquelle tu uses de jour en jour de plus en plus en mon endroict: & ce sans aulcun mien merite: car de te faire aulcun service meritant telle amour, que me la portes, & monstres par effect, cela est hors totallement de mon pouvoir. Toutesfoys pour suppliment du pouvoir la volunté te doibt satisfaire: laquelle est telle, que sans exception d'aulcun Humain je te revere, comme ung Demidieu habitant en ces lieux terrestres, & estincellant de tous costez par une lumiere de vertus à toy seul octroyées par l'Omnipotent: Omnipotent envers toy prodigue des ses graces, si jamais il en eslargist à aulcune sienne creature. Et qui est celluy, qui puisse à mon dict contredire, s'il a cognoissance de tes faicts? Nul ne doubte de la bonté de ta nature. Chascun se sent de ta munificence. Toutes Nations estranges ne preferent aulcun à toy touchant l'art militaire, & conduicte de guerre.
Quant à la politique, & gouvernement equitable d'ung pays, le Piedmont en donnera tesmoignage: en laquelle Province tu es à present gouverneur soubs l'autorité du Roy, qui t'a esleu à ceste charge, comme personne idoine à touts faicts de grand conseil, & prudence. Croy (Seigneur le premier des Humains) que je suis l'homme le moins admirant les hommes sans raison, & cause vehemente: mais tes vertus, et parfaictions infinies m'ont ravy jusques à là, que sur touts je t'adore: et ceste affection, la Posterité n'ignorera, si mes Oeuvres meritent immortalité de nom. Icy feray fin de mon epistre, te priant derechef avoir ce mien Livre pour aggreable.
Depuis six ans (ô peuple Françoys) desrobbant quelcques heures de mon estude principalle (qui est en la lecture de la langue Latine, et Grecque) te voulant aussi illustrer par tous moyens j'ay composé en nostre langage ung Oeuvre intitulé l'Orateur Françoys: duquel Oeuvre les traictés sont telz.
Mais pour ce, que le dict Oeuvre est de grande importance, & qu'il y eschet ung grand labeur, sçavoir, & extreme jugement, j'en differeray la publication (pour ne le precipiter) jusques à deux, ou troys ans. Ce pendant tu t'ayderas des instructions, qui sont en ce present Livre. Lequel si je cognois t'estre aggreable, je seray plus enclin à te bien polir, & parfaire le demeurant de mon entreprinse.
Combien, que j'en attends plustost contentement de la Posterité, que du Siecle present: car le cours des choses humaines est tel, que la vertu du vivant est tousjours enviée, et deprimée par Detracteurs, qui se pensent advantager en reputation, s'ilz mesprisent les labeurs d'aultruy. Mais l'homme de sçavoir, & de bon jugement ne doibt regarder à telz resveurs, & plustost s'en mocquer du tout. Ainsi faisant, je poursuivray mon effort, & attendray legitime los de la Posterité: non d'aulcuns vivants par trop pleins d'ingratitude, & maulvais vouloir. Contente toy pour ceste heure (ò peuple François) de ce petit Oeuvre: et prends pour pleige l'affection, que je porte à ma renommée, que dedans quelque temps je te rendray parfaict l'Oeuvre dessusdict. Et si aulcuns se delectent en tel labeur, cela n'est que bon. Que pleust à Dieu, que pour ung il y en eust mille: car par telz efforts le plus parfaict sera cogneu, & en demeurera la gloire au bien entendant la langue Latine, et Françoyse. Pour le moins de mon costé je tascheray de faire mon debvoir en si noble, & louable passetemps.
Vray est que si j'estois envieux du bien d'aultruy, je me deporteroys de ce mien labeur: pource que j'ay cogneu telle ingratitude entre les hommes de mon temps, que ceulx, qui ont le plu[s] proffité sur mes Oeuvres, sont les premiers, qui taschent de deprimer mon renom: mais pour leur meschante nature je ne laisseray de produire par Oeuvres le don de grace, que le Createur m'a faict tant en la cognoissance de la langue Latine, que de ma maternelle Françoyse. Et ce tout à l'honneur, & gloire de luy (luy seul autheur de tout bien) & à l'utilité de la chose publicque: laquelle je prefere aux maldicts de tous mes Envieux, & Detracteurs: qui à la fin se trouveront trompés en moy: car leur meschant langage ne me sert, que d'ung esguillon à la vertu tout au rebours de ce, qu'ilz vouldroient de moy proceder. Mais je sçay, comme il fault tromper telles bestes chaussées: & en telle prudence consumeray le demeurant de ma vie, taschant tousjours de perpetuer mon nom par Oeuvres recommendables à la Posterité, & aage futur: lequel se trouvant vuide d'envie en mon endroict, & muni de bon vouloir, ne se monstrera ingrat, mais par une equité, & raison louera ce, qui est de louer. Ceste esperance m'a tousjours esmeu à escrire, & donné cœur de prendre les labeurs, que j'ay jusques icy prins en la vacation literaire. Car au jugement des vivants il y a bien peu d'equité, & racueil pour les doctes. Adieu Peuple le plus triumphant du Monde, soit en vertu, soit en puissance. A Lyon ce dernier jour de May, l'an de grace. Mil cinq cents quarante.
Autheur Estienne Dolet natif d'Orleans.
La maniere de bien traduire d'une langue en aultre requiert principallement cinq choses.
En premier lieu, il fault, que le traducteur entende parfaictement le sens, et matiere de l'autheur, qu'il traduict: car par ceste intelligence il ne sera jamais obscur en sa traduction: & si l'autheur, lequel il traduict, est aulcunement scabreux, il le pourra rendre facile, & du tout intelligible. Et de ce je te vois bailler exemple familierement. Dedans le premier Livre des questions Tusculanes de Ciceron, il y a un tel passage Latin:
Animum autem animam etiam ferè nostri declarant nominari. Nam & agere animam, & efflare dicimus: & animosos, & bene animatos: et ex animi sententia. Ipse autem animus ab anima dictus est.
Traduisant cest Oeuvre de Ciceron j'ay parlé, comme il s'ensuyt. Quant à la difference (dy je) de ces dictions animus, & anima, il ne s'y fault point arrester: car les façons de parler Latines, qui sont deduictes de ces deux mots, nous donnent à entendre, qu'ilz signifient presque une mesme chose. Et est certain, que animus est dict de anima: & que anima est l'organe de animus: comme si tu voulois dire la vertu, & instruments vitaulx estre origine de l'esprit: & icelluy esprit estre ung effect de ladicte vertu vitale. Dy moy (toy qui entends Latin) estoit il possible de bien traduire ce passage, sans une grande intelligence du sens de Ciceron? Or sçache doncques, qu'il est besoing, & necessaire à tout traducteur d'entendre parfaictement le sens de l'autheur, qu'il tourne d'une langue en aultre. Et sans cela, il ne peult traduire seurement, & fidellement.
La seconde chose, qui est requise en traduction, c'est, que le traducteur ait parfaicte cognoissance de la langue de l'autheur, qu'il traduict: & soit pareillement excellent en la langue, en laquelle il se met à traduire. Par ainsi il ne violera, & n'amoindrira la majesté de l'une, & l'aultre langue. Cuides tu, que si ung homme n'est parfaict en la langue Latine, & Françoyse, il puisse bien traduire en Françoys quelcque oraison de Ciceron?
Entends, que chascune langue a ses proprietés, translations en dictions, locutions, subtilités, & vehemences à elle particulieres. Lesquelles si le traducteur ignore, il faict tort à l'autheur, qu'il traduict: et aussi à la langue, en laquelle il le tourne: car il ne represente, & n'exprime la dignité, et richesse de ces deux langues, desquelles il prend le manîment.
Le tiers poinct est, qu'en traduisant il ne se fault pas asservir jusques à là, que l'on rende mot pour mot. Et si aulcun le faict, cela luy procede de pauvreté, & deffault d'esprit. Car s'il a les qualités dessusdictes (lesquelles il est besoing estre en ung bon traducteur) sans avoir esgard à l'ordre des mots, il s'arrestera aux sentences, & fera en sorte, que l'intention de l'autheur sera exprimée, gardant curieusement la proprieté de l'une, et l'aultre langue. Et par ainsi c'est superstition trop grande (diray-je besterie, ou ignorance?) de commencer sa traduction au commencement de la clausule: mais si l'ordre des mots perverti tu exprimes l'intention de celluy, que tu traduis, aulcun ne t'en peult reprendre.
Je ne veulx taire icy la follie d'aulcuns traducteurs: lesquelz au lieu de liberté se submettent à servitude. C'est à sçavoir, qu'ilz sont si sots, qu'ilz s'efforcent de rendre ligne pour ligne, ou vers pour vers. Par laquelle erreur ilz depravent souvent le sens de l'autheur, qu'ilz traduisent, et n'expriment la grace, & parfection de l'une, et l'aultre langue. Tu te garderas diligemment de ce vice: qui ne demonstre aultre chose, que l'ignorance du traducteur.
La quatreiesme reigle, que je veulx bailler en cest endroict, est plus à observer en langues non reduictes en art, qu'en aultres. J'appelle langues non reduictes encores en art certain & receu: comme est la Françoyse, l'Italienne l'Hespaignole, celle d'Allemaigne, d'Angleterre, & aultres vulgaires.
S'il advient doncques, que tu traduises quelque Livre Latin en icelles (mesmement en la Françoyse) il te fault garder d'usurper mots trop approchants du Latin, & peu usités par le passé: mais contente toy du commun, sans innover aulcunes dictions follement, & par curiosité reprehensible. Ce que si aulcuns font, ne les ensuy en cela: car leur arrogance ne vault rien, & n'est tolerable entre les gens sçavants.
Pour cela n'entends pas, que je dye, que le traducteur s'abstienne totalement de mots, qui sont hors de l'usage commun: car on sçait bien, que la langue Grecque ou Latine est trop plus riche en dictions, que la Françoyse. Qui nous contraint souvent d'user de mots peu frequentés. Mais cela se doibt faire à l'extreme necessité. Je sçay bien en oultre, que aulcuns pourroient dire, que la plus part des dictions de la langue Françoyse est derivée de la Latine, & que si noz Predecesseurs ont eu l'authorité de les mettre en usage, les modernes, & posterieurs en peuvent aultant faire. Tout cela se peult debattre entre babillarts: mais le meilleur est de suyvre le commun langage. En mon Orateur Françoys je traicteray ce poinct plus amplement, & avec plus grand demonstration.
Venons maintenant à la cinqiesme reigle, que doibt observer ung bon traducteur. Laquelle est de si grand vertu, que sans elle toute composition est lourde, & mal plaisante. Mais qu'est ce, qu'elle contient?
Rien aultre chose, que l'observation des nombres oratoires: c'est à sçavoir une liaison, & assemblement des dictions avec telle doulceur, que non seulement l'ame s'en contente, mais aussi les aureilles en sont toutes ravies, & ne se faschent jamais d'une telle harmonie, de langage. D'iceux nombres oratoires je parle plus copieusement en mon Orateur: parquoy n'en feray icy plus long discours. Et derechef advertiray le traducteur d'y prendre garde: car sans l'observation des nombres on ne peult estre esmerveillable en quelcque composition, que ce soit: & sans iceulx les sentences ne peuvent estre graves, & avoir leur poix requis, & legitime. Car penses tu, que ce soit assés d'avoir la diction propre, & elegante, sans une bonne copulation des mots? Je t'advise, que c'est aultant, que d'ung monceau de diverses pierres precieuses mal ordonnées: lesquelles ne peuvent avoir leur lustre, à cause d'une collocation impertinente. Ou c'est aultant, que de divers instruments musicaulx mal conduicts par les joueurs ignorantz de l'art, & peu cognoissantz les tons, & mesures de la musique. En somme, c'est peu de la splendeur des mots, si l'ordre, & collocation d'iceulx n'est telle, qu'il appartient. En cela sur touts fut jadis estimé Isocrate Orateur Grec: & pareillement Demosthene.
Entre les Latins Marc Tulle Ciceron a esté grand observateur des nombres. Mais ne pense pas, que cela se doibve plus observer par les Orateurs, que par les Historiographes. Et qu'ainsi soit, tu ne trouveras Cæsar, & Saluste moins nombreux, que Ciceron. Conclusion quant à ce propos, sans grande observation des nombres ung Autheur n'est rien: & avec iceulx il ne peult faillir à avoir bruict en eloquence, si pareillement il est propre en diction, & grave en sentences, & en arguments subtil. Qui sont les poicts d'ung Orateur parfaict, & vrayement comblé de toute gloire d'eloquence.
Si toutes langues generalement ont leurs differences en parler, & escriture, toutesfois non obstant cela elles n'ont qu'une punctuation seulement: & ne trouveras, qu'en icelle les Grecs, Latins, Françoys, Italiens, ou Hespaignols soient differents. Doncques je t'instruiray briefvement en cecy. Et pour t'y bien endoctriner il est besoing de deux choses. L'une est, que tu cognoisses les noms, & figures des poincts. L'aultre, que tu entendes les lieux, ou il les fault mettre. Quant aux figures, elles sont telles, qu'il s'ensuyt, ou en ceste sorte.
i. | , |
ii. | : |
iii. | . |
iiii. | ? |
v. | ! |
vi. | ( ) |
i. Le premier poinct est appellé en Latin incisum: & en Françoys (principalement en l'Imprimerie) on l'appelle ung poinct à queue, ou virgule: & se souloit marquer ainsi / .
ii. Le second est appellé en Grec comma: & les Latins ne luy ont baillé aultre nom. Mais il fault entendre, que toutes ces sortes de punctuer n'ont leur appellation, & nom à cause de leur forme, et marque, ains pour leur effect, & proprieté.
iii. Le tiers est dict par les Grecs colon. En Latin on l'appelle punctum. Et en l'Imprimerie on l'appelle ung poinct, ou ung poinct rond. Toutes foys quant à l'efficace il n'y a pas grand difference entre colon, & comma. Sinon que l'ung (qui est comma) tient le sens en partie suspens. Et l'aultre (qui est le colon) conclud la sentence. Par ainsi on pourroit dire, que le colon peult comprendre plusieurs comma: & non pas le comma plusieurs colon.
Si en cest endroict quelcque maling detracteur veult dire, que j'entends mal ce, que les Grecs appellent comma, & colon: je luy responds, que combien que les Grecs ayent appellé comma, ce que j'appelle ung poinct à queue: & que dudict comma je marque ung colon: & que je constitue ung colon pour fin de sentence, certainement je n'erre en rien. Car les Latins interpretent comma pour incisum: & si les Grecs le prennent pour incision de locution, je le veulx prendre pour incision de sentence, c'est à sçavoir pour sentence moyenne, & suspendue: & le colon pour sentence finale du periode. Je dy cecy, pour obvier aux mal disants, & calumniateurs. Desquelz il est au temps present si grand nombre, que si ung homme d'esprit s'arrestoit à eulx, il ne composeroit jamais rien. Mais mon naturel est tel, que je n'ay aultre passetemps, que de telz fols.
iiii. Le quart est nommé par les Latins interrogans: & par les Françoys interrogant.
v. Le quint differe peu du quart en figure: toutesfoys il se peult appeller admiratif, & non interrogant.
vi. Le sixiesme est appellé parenthese: & est double, comme l'on peult veoir par ses deux petis demys cercles.
Or puis que tu cognois leurs noms, & figures, je te veulx maintenant monstrer familierement, quelz lieux ilz doibvent avoir en nostre parler, & escripture. Et te prie y vouloir entendre: car une punctuation bien gardée, & observée sert d'une exposition en tout œuure.
Premierement il te fault entendre, que tout argument, & discours de propos, soit oratoire, ou poetique, est deduict par periodes.
Periode est une diction Grecque, que les Latins appellent clausula, ou compræhensio verborum: c'est à dire une clausule, ou une comprehension de parolles. Ce periode (ou aultrement clausule) est distingué, & divisé par les poincts dessusdicts. Et communement ne doibt avoir que deux, ou trois membres: car si par sa longueur il excede l'alaine de l'home, il est vicieux. Si tu en veulx avoir exemple, je te voys forger ung propos, ou il y aura troys periodes: dedans lesquelz touts les poincts, que je t'ay proposés, seront contenus: & puis je te declaireray par le menu l'ordre, & la cause d'ung chascun. Or mon propos sera tel.
L'empereur cognoissant, que paix valloit mieulx, que guerre, a faict appoinctement avec le Roy: & pour plus confirmer ceste amytié, allant en Flandre il a passé (chose non esperée) par le Royaulme de France: ou il a esté repceu en grand honneur, & extreme joye du peuple. Car qui ne se resjouyroit d'ung tel accord? qui ne loueroit Dieu de veoir guerre assopie, & paix regner entre les Chrestiens? ò que long temps avons desiré ce bien! ò que bien heureux soient, qui ont traicté cest accord! que mauldicts soient, qui tascheront de le rompre!
Au premier periode (qui se commence l'Empereur cognoissant) je te veulx monstrer l'usage du poinct à queue, du comma, de la parenthese, & du poinct final, aultrement dict poinct rond. Le poinct à queue ne sert d'aultre chose, que de distinguer les dictons, & locutions l'une de l'aultre. Et ce ou en adjectifs, substantifs, verbes, ou adverbes simples. Ou avec adjectifs joincts aux substantifs expressement. Ou avec adjectifs gouvernants ung substantif. Ou avec verbes regissants cas: ce que nous appellons locutions. Exemple de l'adjectif simple. Il est bon, beau, advenant, jeune, & riche. Ne vois tu pas, que ce poinct distingue ces dictions bon, beau, advenant, jeune, & riche? Exemple du substantif simple. Il est plein de grand' bonté, beaulté, addresse, jeunesse, & richesse. Exemple du verbe simple. Il ne faict rien, que manger, boire, & dormir. Exemple de l'adverbe. Il a faict cela prudem^ment, courageusement, & heureusement. Exemple de l'adjectif joinct au substantif. Il est de grand courage, de prudence singuliere, & execution extreme. Exemple de l'adjectif gouvernant ung substantif. Il a tousjours vescu bien servant Dieu, secourant ses prochains, & n'offensant personne. Exemple du verbe régissant cas. C'est chose louable de bien servir Dieu, secourir ses prochains, & n'offenser personne.
Voila des exemples, pour te monstrer clairement l'usage de ce poinct à queue. Il a pareillement tel usage en la langue Latine. Devant que de venir aux aultres poincts, je te veulx advertir, que le poinct à queue se mect devant ce mot, ou: semblablement devant ce mot, &.
Exemple de ce mot, ou. Sot, ou sage qu'il soit, il me plaist. Exemple de ce mot, &. Sans sçavoir, & bonne vie l'homme n'est poinct à priser. Or entends maintenant, que ce mot, ou, aussi ce mot, &, sont aulcunes foys doublés: & lors au premier membre il n'y eschet aulcun poinct à queue. Exemple de, ou. Soit ou par mer, ou par terre, le Roy est le plus puissant. Exemple de, &. Il a tousjours esté constant & en bonne fortune, & en maulvaise.
Je viens maintenant à parler du comma: lequel se mect en sentence suspendue, & non du tout finie. Et aulcunes fois il n'y en a qu'ung en une sentence: aulcunes foys deux, ou trois. Exemple. Il est bon de n'offenser personne: car il n'est nul petit ennemy: & chascun tasche de se venger, quand il est offensé.
Quant à la parenthese, c'est une interposition, qui a son sens parfaict: & pour son intervention, ou detraction elle ne rend la clausule plus parfaicte, ou imparfaicte. Exemple. Allant en Flandre il a passé (chose non esperée) par le Royaulme de France. Oste la parenthese, le sens sera aussi parfaict, que s'y elle y estoit. Ce qui est facile à cognoistre. Entends aussi, que la parenthese peult avoir lieu par tout le discours du periode: sinon au commencement, & à la fin.
D'advantage il est à noter, que devant, ou apres la parenthese il n'y eschet aulcun poinct à queue, ou final. Et dedans y en eschet aussi peu: si ce n'est ung interroguant, ou ung admiratif. Exemple du premier. Si je puis jamais avoir puissance, je me vengeray d'ung si villain tour (en doibs je faire moins?) & luy donneray à entendre, qu'il me souvient d'une injure dix ans apres, qu'elle m'est faicte. Exemple du second. Estant le plus fort en toutes choses il fut vaincu (quel hazart de guerre!) & tost apres fut victeur seulement par prudence.
Sans aulcune vigueur de parenthese on trouve quelcque foys ung demy cercle en ceste sorte ) & cela se faict, quand nous exposons quelcque mot, ou quand nous glosons quelcque sentence d'aulcun Autheur Grec, Latin, Françoys, ou de toute aultre langue.
On trouve aussi ces demys cercles aulcunefoys doubles: & ce sans force de parenthese. Ilz se doublent doncq' ainsi ( ). Et lors en iceulx est comprinse quelque addition, ou exposition nostre sur la matiere, que traicte l'Autheur par nous interpreté. Mais le tout (comme j'ay dict) se faict sans efficace de parenthese. Lisant les bons Autheurs, & bien imprimés tu pourras cognoistre ma traditive estre vraye.
Quant au poinct final, aultrement dict poinct rond, il se mect tousjours à la fin de la sentence, & jamais n'est en aultre lieu. Et apres luy on commence voluntiers par une grand lettre.
Au demourant: il n'ya que deux poincts. C'est l'interrogant, & l'admiratif: & l'ung & l'aultre est final en sens: & en peult avoir plusieurs en ung periode.
L'interroguant se faict par interrogation pleine, addressée à ung, ou à plusieurs, tacitement, ou expressement. Exemple. Qui ne se resjouyroit d'un tel accord? qui ne loueroit Dieu de veoir guerre assopie, & paix regner entre les Chrestiens?
L'admiratif n'a si grand' vehemence: & eschet en admiration procedente de joye, ou detestation de vice, & meschanceté faicte. Il convient aussi en expression de soubhait, & desir. Brief: il peult estre par tout, ou il y a interjection. Exemple. O que long temps avons desiré ce bien! ò que bien heureux soient, qui ont traicté cest accord! que mauldicts soient, qui tascheront de le rompre!
A tant te suffira de ce, que j'ay dict des figures, & collocations de la punctuation. Je sçay bien que plusieurs Grammairiens Latins en ont baillé d'avantage: mais tu ne te doibs amuser à leurs resveries. Et si tu entends, & observes bien les reigles precedentes, tu ne fauldras à doctement punctuer.
Les gens doctes ont de coustume de faire servir les accents en deux sortes. L'une est en pronunciation, & expression de voix: expression dicte quantité de voyelle. L'aultre en imposition de marcque sur quelcque diction.
Du premier usage nous ne parlerons icy aulcunement: car il n'en est poinct de besoing. Et d'advantage il a moins de lieu en la langue Françoyse, qu'en toutes aultres: veu que ses mesures sont fondées sur syllabes, & non sur voyelles: ce qui est tout au rebours en la langue Grecque, & Latine.
Quant à l'imposition de marque (qui est le second membre de l'accent) j'en diray en ce traicté, ce qu'il en fault dire briefvement, & prifvément, sans aulcune ostentation de sçavoir, & sans fricassée de Grec, & Latin.
J'appelle fricassée, une mixtion superflue de ces deux langues: qui se faict par sottelets glorieux: & non par gents resolus, & pleins de bon jugement. Venons à la matiere.
En la langue Françoyse sur toutes letres il y en a deux qui reçoipvent plus accent, que les aultres. C'est assavoir a, & e. De ces deux nous parlerons par ordre.
La letre dicte a, se trouve en trois sortes communement en nostre langue Françoyse. Aulcunes foys elle est ung article du datif: car le datif Latin est exposé en Françoys par le dict article. Exemple. Dedi Petro quod ad me scripseras. J'ay baillé à Pierre ce, que tu m'avois escript.
Aulcunesfois est preposition servant à l'accusatif cas: & vault aultant, comme, ad, en Latin. Exemple. Rex ad Imperatorem scripsit, tutam ei viam in Flandriam per Galliam patêre. Le Roy a escript à l'Empereur, que le passage luy estoit seur par France, pour aller en Flandre.
Aulcunesfois aussi ceste particule a, signifie aultant en Françoys, que, habet, en Latin. Exemple. Habet omnia, quæ in oratore perfecto esse possunt. Il a toutes choses, qui peuvent estre en ung orateur parfaict. Aultre exemple. Occîdit illum nefariè. Il l'a tué meschamment. Telle est la langue Françoyse en aulcunes locutions: ou pour ung mot Latin il y en a deux Françoys: comme, Respondit: Il a respondu. Cantavit: Il a chanté. Scripsit: Il a escript. Fuit: Il a esté. En ce locutions ce mot a, est prins diversement. Car il est de signification possessive, active, ou temporelle. Exemple de la possessive. Multas divitias habet: Il a plusieurs richesses. Exemple de l'active. Cantavit: Il a chanté. Exemple de la temporelle. Fuit, Il a esté. Quant a la duplication des mots pour ung seul Latin, cela se faict seulement en la signification active, & temporelle de ceste diction a. Exemple. Cantarunt: Ilz ont chanté. Fuerunt: Ilz ont esté. Et par cela tu peulx cognoistre, que la langue Latine comprent plus, que la Françoyse: ce qui n'advient pas en toutes choses.
Note doncques, que, quand a, est article, ou preposition, il le fault signer d'ung accent grave, en ceste sorte à. Et ainsi signent les Latins leurs prepositions: c'est assavoir à, & è.
Mais quand, a, represente ce verbe Latin, habet, il n'a poinct d'accent. Lors aulcuns l'escripvent avec une aspiration, ha: ce qui me semble superflu: toutesfoys je remects cela à la fantasie d'ung chascun. Note aussi, que, quand il est de signification active, ou temporelle (comme j'ay demonstré) il ne reçoipt poinct d'accent.
La lettre appellée e, a double son, & prolation en Françoys. La premiere est dicte masculine: & l'aultre femenine.
La masculine est nommée ainsi, pource que é, masculin a le son plus virile, plus robuste, & plus fort sonnant. D'advantage, il porte sur soy ung virgule ung peu inclinée à main dextre, comme est l'accent appelle des Latins aigu, ainsi é. Exemple. Il est homme de grand' bonté, privaulté, & familiarité: plus, il dict tousjours verité. Aultre exemple. Apres qu'il eut bien mangé, bancqueté, & chanté, il voulut estre emporté de là: & puis fut couché en ung bon lict: mais le lendemain matin apres estre desyvré, il se trouva bien estonné, & fut frotté, & gallé de mesmes par ung tas de rustres, qui ne l'aymoient guieres. Voila deux exemples de la termination masculine.
Maintenant il te fault noter diligem^ment deux choses. C'est que ceste lettre é, estant masculine jamais ne vient en collision: c'est à dire, qu'estant devant ung mot commençant par voyelle, elle ne se pert poinct. Exemple. Il a esté homme de bien toute sa vie: & n'a merité ung tel oultrage.
En apres il fault entendre, que ceste lettre é, est aussi bien masculine au plurier nombre, qu'au singulier. Et ce tant en noms, qu'en verbes. Exemple des noms. Les iniquités, & meschancetés, desquelles il estoit remply, l'ont conduict à ce malheur. Aultre exemple. Toutes voluptés contraires à vertu ne sont louables.
Je te veulx advertir en cest endroict d'une mienne opinion. Qui est, que le é, masculin en noms de plurier nombre ne doibt recepvoir ung z, mais une s, & doibt estre marqué de son accent, tout ainsi qu'au singulier nombre.
Tu escriras doncq' voluptés, dignités, iniquités, verités: & non pas voluptéz, dignitéz, iniquitéz, veritéz. Ou sans é marqué avec son accent aigu tu n'escriras voluptez, dignitez, iniquitez, veritez.
Car z, est le signe de é, masculin au plurier nombre des verbes de seconde personne: & ce sans aulcun accent marcqué dessus. Exemple. Si vous aymez vertu, jamais vous ne vous addonnerez à vice, & vous esbatterez tousjours à quelque exercice honneste. Aultre exemple. Si vous estiez telz, que vous dictes, vous ne deschasseriez ainsi les vertueux. Sur ce propos je sçay bien, que plusieurs non bien cognoissants la virilité du son de le é, masculin trouveront estrange, que je repudie le z, en ces mots voluptés, dignités, & aultres semblables. Mais s'ilz le trouvent estrange, il leur procedera d'ignorance, & maulvaise coustume d'escrire: laquelle il convient reformer peu à peu.
Oultre ce, qui est dict, saiche, que é, de pronunciation masculine ne se mect seulement en fin de diction, mais aussi devant la fin. Exemple. Journée, renommée, meslée, assemblée, diffamée, affolée: & aultres mots, qui se forment du masculin en femenin: comme est de despité, despitée: de courroucé, courroucée: de suborné, subornée: & semblables dictions tant au singulier nombre, qu'au plurier. Exemple du plurier. Contrées, journées assemblées, menées.
L'aultre pronunciation de ceste letre e, est femenine: c'est à dire de peu de son, & sans vehemence. Estant femenine elle ne repçoit aulcun accent. Exemple. Elle est notable femme, de bonne vie, de bonne rencontre, & aultant prudente, & sage, que femme qui se trouve en ceste contrée.
Note aussi, que quand ceste lettre e, est femenine, elle est de si peu de force, que tousjours elle est mengée, s'il s'ensuict apres elle ung mot commençant par voyelle.
De là ont leur origine les figures appellées Synalelphe, & Apostrophe. Entre lesquelles figures il y a aulcune difference, comme nous demonstrerons maintenant.
La figure, que nous appellons synalelphe, ou collision, oste, & mange la voyelle en proferant seulement, & non en escripvant: car ladicte voyelle se doibt escrire. Exemple en prose. J'ay esperance en luy, & me fie en la grande amour, & largesse extreme, de laquelle il use envers touts gens scavants. En ceste exemple, la derniere lettre d'esperance, fie, grande, largesse, laquelle, use, se perd en proferant, à cause des aultres mots ensuivants, qui commencent pareillement par voyelle. Mais non obstant la collision, il fault escrire tout au long, tant en prose, qu'en vers. Exemple en rhythme.
Necessairement en ce mot, belle, le dernier, e, est mangé: ou aultrement le vers seroit trop long.
Et les Faictistes, qui composent rhythmes en langage vulgaire, appellent cela coupe femenine: c'est à dire abolition de le e, femenin, qui rencontre une aultre voyelle, par laquelle il est aboli apres la quatriesme syllabe du vers. De cecy je parleray plus amplement en l'art poëtique.
Ce dict e, femenin est aulcunesfoys aultrement mangé par Apostrophe. Or l'Apostrophe oste du tout la voyelle finale de ce qui precede la voyelle du mot ensuivant: & faict, qu'elle ne s'escript, ne profere aulcunement: & suffist, que seulement on la marcque au dessus par son petit poinct.
Devant que de t'en bailler exemple, je t'advertis, qu'Apostrophe eschet principalement sur ces monosyllabes, ce, se, si, te, me, que, ne, je, re, le, la, de. Et combien, que les Françoys n'ayent de coustume de signer ledict Apostrophe, si en usent ilz naturellement, principalement aux monosyllabes dessusdictes, quand le mot ensuivant se commence semblablement par voyelle.
Et si d'adventure il se commence par h, cela n'empesche poinct quelque foys l'Apostrophe: car nous disons, & escripvons sans vice, l'honneur, l'homme, l'humilité, & non le honneur, le homme, la humilité. Au contraire nous disons sans Apostrophe le haren, la harendiere, la haulteur, le houzeau, la housse, la hacquebute, le hacquebutier, la hacquenée, le hazard, le hallecret, la hallebarde. Et si ces mots se proferent sans grande aspiration, la faulte est enorme.
De laquelle faulte sont pleins les Auvergnats, les Prouvençaulx, les Gascons, & toutes les provinces de la langue d'oc. Car pour le haren il disent l'aren: pour la harendiere, l'arendiere: pour la haulteur, l'aulteur: pour le houzeau, l'ouzeau: pour la housse, l'ousse: pour la honte, l'onte: pour la hacquebute, l'acquebute: pour la hacquenée, l'acquenée: pour le hazard, l'azard: pour le hallecret, l'allecret: pour la hallebarde, l'allebarde. Et non seulement (qui pis est) font ceste faulte au singulier nombre de telles dictions, mais aussi au plurier. Car pour des harens, ilz disent des arens: pour les hacquenées, les acquenées: pour mes houzeaux, mes ouzeaux: pour il me fault, ou je me vois houzer, il me fault ouzer. Or je laisse le vice de ces nations, & reviens à ma matiere.
Exemple de, ce. C'est grand' follie, de prendre pied à ses parolles. Sans Apostrophe il fauldroit dire: Ce est grand' follie.
Entends toutes foys, que souvent ce mot, cest, n'a poinct d'Apostrophe: comme quand nous parlons ainsi. Cest oeuvre est digne de louange. Cest homme n'est pas en son bon sens. Cest Allement est trop glorieux.
Exemple de, se. S'adventurant de passer la riviere à pied, il s'est noyé. Pour se adventurant: & pour, il se est noyé.
Note icy que non seulement ceste diction, se, repçoit Apostrophe, mais aussi ces mots la reçoipvent: c'est assavoir, son, mon, ton. Et par cela nous disons m'amye, pour mon amye: & m'amour, pour mon amour: & t'amour, pour ton amour: & s'amour, pour son amour. Et usons de tel parler tant en prose, qu'en rhythme: mais plus souvent en rhythme. Et aussi m'amye, & m'amour, sont dictions plus usitées, que les deux aultres.
Exemple de, si. S'il estoit possible, je vouldrois bien faire cela. Pour, si il estoit possible. Toutesfoys tu ne voirras guieres, qu'il reçoive apostrophe avec aultre mot, que ce mot, il.
Exemple de toutes aultres voyelles. De la voyelle, a. Si audace estoit prisée, chascun seroit audacieux. De la voyelle, e. Si eloquence est en luy grande, ce n'est de merveille: car il a ung esprit merveilleux: & puis il estudie continuellement en Ciceron. De la voyelle, i. Si ignorance vient à regner, tout est perdu. De la voyelle, o. Si orgueil est en ung homme, je ne le puis frequenter. De la voyelle, u. Si ung homme diligent peult parvenir à richesses, j'espere quelque jour estre riche. En touts ces exemples je confesse, que l'apostrophe y peult escheoir: mais avec apostrophe le parler sera plus rude, que sans apostrophe. Ce que peult facilement juger ung homme d'aureilles delicates. J'exepte tousjours les licences poëtiques, & les laisse en leur entier. Car ung poëte pourra dire (à cause de sa rhythme) s'audace, s'eloquence, s'ignorance, s'orgueil, s'ung homme.
D'avantage il te convient sçavoir, que ceste particule, si, est aulcunes foys conditionnale, ou demonstrative. Et lors elle peult recevoir apostrophe, comme tu as veu aux exemples precedents.
Aulcunes foys elle se met pour tant, ou tant fort. Et lors elle ne reçoit aulcune apostrophe. Exemple. Il est si ambitieux, si envieux, si injurieux, si oultrageux, que personne ne le peult comporter. Aultre exemple. Ce lieu est si umbrageux, que le fruict n'y peult meurir. C'est à dire, tant ambitieux, tant envieux, tant injurieux, tant oultrageux, tant umbrageux. Alors garde toy de l'apostropher: car il n'y auroit rien si aspre en prolation, que de dire s'ambitieux, s'envieux, s'injurieux, s'oultrageux, s'umbrageux.
Tel est l'usage de ceste particule, ny. Car elle ne reçoit pas bonnement apostrophe, si elle se rencontre devant ung mot commençant par voyelle. Exemple. Je ne veis jamais ni Amboise, ni Envers, ni Italie, ni Orleans, ni umbrage en ce champ. En toutes ces locutions l'apostrophe seroit indecente, & lourde.
Exemple de, te. Je serois marry de t'avoir offensé. Il t'eust bien recompensé, si tu eusses faict cela. Il t'interrogue. Il t'oultrage. Il t'use ta robbe. Pour de te avoir: il te eust: il te interrogue: il te oultrage: il te use.
Exemple de, me. Il m'assault. Il m'entend bien. Il m'irrite. Il m'oultrage. Il m'use tous mes habillements. Pour, il me assault: il me entend bien: il me irrite: il me oultrage: il me use.
Exemple de, que. C'est bonne chose, qu'argent en necessité. Qu'est ce, que richesse, sans santé? Il fault, qu'il s'y trouve. O qu'orgueil est desplaisant à Dieu! Il n'est sçavoir, qu'usage ne surmonte. Pour, que argent: que est ce: que il se y trouve: que orgueil: que usage.
Exemple de, ne. Je n'ay que ce vice. Il n'est rien si sot. Il n'ignore cela. Cela n'orne point le parler. Je n'use jamais de parfums. Pour, je ne ay: il ne est: il ne ignore: cela ne orne: je ne use.
Exemple de, je. J'ay tousjours peur des calumniateurs. J'entends bien, que tu demandes. J'interpreteray ce livre de Ciceron. Je te donneray à entendre, comme j'ouys cela de luy. J'use souvent de telles figures. Pour, je ay: je entends bien: je interpreteray: je ouys: je use.
Exemple de, re. Il fault r'assembler ces pieces. Je te r'envoye ton serviteur. Il seroit bon de r'imprimer tes Oeuvres. Il fault r'ouvrir ce coffre. Il seroit bon de r'umbrager ce ply. Pour, re assembler: re envoye: re imprimer: re ouvrir: re umbrager. Et note que, re, signifie de rechef.
Exemple de, le. L'avoir n'est rien en ung homme, s'il n'a vertu. L'entendement trop soubdain ne faict pas grand fruict. L'interpreteur de cecy ment. L'orgueil de luy me desplaist. L'usage de tel art est faulx. Pour, le avoir: le entendement: le interpreteur: le orgueil: le usage.
Exemple de, la. L'amour est bonne, quand elle est fondée en vertu. L'enfance de luy a esté terrible. L'interpretation de ce lieu est difficile. L'oultrecuidance est grande. L'usance est telle. Pour, la amour: la enfance: la interpretation: la oultrecuidance: la usance.
Exemple de ce mot, de. C'est grand' charge d'avoir tant d'enfants. Par faulte d'entendre le Grec, il a failli. Cela part d'invention bien subtile. Ceste response est pleine d'orgueil, & oultrage. Par faulte d'user de bon regime, il est retombé en fiebvre. Pour, de avoir: de entendre: de invention: de orgueil: de user.
Je ne parleray plus de l'apostrophe, et viendray maintenant à declairer, que signifie ung petit poinct semblable à celluy de l'apostrophe. Ce petit poinct est signe d'une figure nommée des Grecs, & Latins Apocope. Et ainsi la nomment aussi les Françoys par faulte d'aultre terme à eulx propre. Ceste figure oste la voyelle, ou syllabe de la fin d'ung mot pour la necessité du vers: ou à fin, que le mot soit plus rond, & mieulx sonnant. Exemple. Pri', suppli', com', hom', quel', el', tel', recommand', encor', avec'. Pour prie, supplie, comme, homme, quelle, elle, telle, recommande, encores, avecques. En prose l'exemple peult estre, grand' chose: quelle quel' soit: pour grande chose: quelle, quelle soit. Car ainsi la prolation est plus doulce, & plus ronde.
Au demeurant, il fault entendre, que les Françoys usent, oultre ce que dessus, de deux sortes de characteres: lesquelz sont de telle figure.
Touts deux se signent sur voyelles: mais au reste ilz sont bien differents. Le premier est signe de conjunction: le second de division.
Le premier r'assemble, r'unit, & conjoinct les parties divisées, & ce en trois façons.
La premiere, quand par une figure fort usitée nommée Syncope, concision, ou coupure (car ainsi se peult dire en Françoys) ung mot est syncopé, c'est à dire divisé, & diminué au milieu, puis les deux parties sont rejoinctes ensemble: la division, & reunion d'icelles est signifiée par ledict charactere. Exemple. Lai^rra, pai^ra, vrai^ment, hardi^ment, don^ra. Pour, laissera, paiera, vraiement, hardiement, donnera. Et ainsi font souvent les Latins, comme lon voit aux bonnes impressions, esquelles on treuve diu^um, du^um, vir^um. Pour, divorum, duorum, virorum. La seconde façon de ceste figure est, quand deux mots (desquelz l'ung est detroncqué) sont r'assemblés en ung. Exemple. Au^ous, pour avez vous: qu^avous, pour qu'avez vous: m^avous, pour m'avez vous: n^avous, pour n'avez vous: n^avons, pour nous n'avons. Tel est le commun usage de la langue Françoyse. La tierce façon de ceste figure est, quand deux voyelles sont r'acoursies, & proferées en une, ce qui se faict souvent en rhythme principalement.
Exemple. Pensées, ou les deux e^e se passent pour ung proferé par traict de temps assés longuet, quasi comme si lon disoit pensés. Et note, que cecy est general en toutes dictions feminines, qui sont formées des dictions masculines, ausquelles la derniere voyelle est masculine, & ce seulement au plurier nombre. Et si tu signes ceste figure sur les deux e^e, il n'y fault point d'accent aigu sur le penultime, e. Exemple. Courroucé, courroucée, courrouce^es: irrité, irritée, irrite^es: suborné subornée, suborne^es. En telle sorte doibt on escrire en rhythme: mais en prose avec ung accent aigu sur le, é, penultime, ainsi: courroucées, irritées, subornées.
Par ceste figure aussi on dict aise^ement, momme^ement, a^age, ou e^age: en faisant de deux syllabes une par synerese, & r'accoursissement.
Le second charactere dessus mentionné, qui est, ¨, noté sur les voyelles, est celluy, par lequel on faict au contraire de l'aultre, duquel sortons de parler. Car il signifie division, & separation, & que d'une syllabe en sont faictes deux. Exemple. Païs, poëte, pour pa^is, po^ete.
Ce sont les preceptions, que tu garderas, quant aux accents de la langue Françoyse. Lesquelz aussi observeront touts diligents imprimeurs: car telles choses enrichissent fort l'impression, & demonstrent, que ne faisons rien par ignorance.
Quant à l'accent enclitique, il n'est point recevable en la langue Françoyse, combien qu'aulcuns soient d'aultre opinion. Lesquelz disent, qu'il eschet en ces dictions, je, tu, vous, nous, on, lon. La forme de cest accent est telle, ´: par ainsi llz vouldroient estre escript en la sorte, qui s'ensuyt. M'attenderai´je à vous? Feras´tu cela? Quand aurons´nous paix? Dict´on tel cas de moy? Voirra´lon jamais ces meschants puniz? Derechef je t'advise, que cela est superflu en la langue Françoyse, & toutes aultres: car telz pronoms demeurent en leur vigueur, encores qu'ilz soient postposés à leurs verbes. Et qui plus est, l'accent enclitique ne convient qu'en dictions indeclinables, comme sont en Latin, ne, ve, que, nam. Qu'ainsi soit, on n'escript point en Latin en ceste forme. Feram´ego id injuriæ? Eris´tu semper tam nullius consilii? Aversabimini´vos semper à vobis pauperes? Tiens doncques pour seur, que tel accent n'est propre aulcunement à nostre langue. Qui sera fin de ce petit Oeuvre.
Fin.
On a respecté scrupuleusement la ponctuation et l'orthographe de l'original, incluant l'usage des accents et cédilles. On a néanmoins résolu les abréviations par signes conventionnels (de type "cõme" pour "comme") et distingué les graphies i/j et u/v selon l'usage.
Les nombreux titres de section sont la transcription intégrale des notes en marge de l'original. Les débuts de paragraphes indentés correspondent aux alinéas présents dans l'original, ce qui permet de les distinguer des sauts de paragraphes artificiellement causés par l'insertion d'un titre de section dans notre transcription. (Le texte de Meigret ne comporte aucun alinéa, étant constitué d'un long paragraphe par chapitre; seule la seconde partie de Dolet comporte des alinéas.)
Les symboles particuliers ont été représentés ainsi: