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JACQUES DE BOISJOSLIN
ET
GEORGE MOSSÉ
NOTES
SUR LACLOS
ET LES
«LIAISONS DANGEREUSES»
PARIS P. SEVIN & E. REY, LIBRAIRES 8, BOULEVARD DES ITALIENS, 8
1904
ACHEVÉ D'IMPRIMER
le vingt février mil neuf cent quatre
PAR
BLAIS & ROY
A POITIERS
pour
P. SEVIN ET E. REY
LIBRAIRES
A PARIS
I.—LACLOS | ||
---|---|---|
NOTES SUR LACLOS | 5 | |
II.—«LES LIAISONS DANGEREUSES» | ||
I. | LACLOS MORALISTE | 19 |
II. | LE MONDE | 23 |
III. | L'ART | 25 |
IV. | LES CARACTÈRES | 29 |
V. | L'HUMANITÉ | 35 |
VI. | LES «LIAISONS DANGEREUSES» ET LA RÉVOLUTION | 38 |
APPENDICE | 43 |
La nature fait le mérite, et la fortune
le met en œuvre.
(La Rochefoucauld, Maximes, 53.)
L'auteur des Liaisons dangereuses ne fut point un persécuté de la fortune, pas davantage un favorisé. L'obscurité de sa vie, et la célébrité de son œuvre, ses talents incontestés, son «génie», comme on disait alors, génie inquiet et inquiétant, sa condition subalterne et son influence dans la politique louche d'un parti décrié; rien de tout cela, chose singulière, n'avait attiré sur le personnage l'attention de la postérité.
Mais aujourd'hui que l'étude des mœurs de l'ancien régime jette sur la Révolution une clarté plus vive, Laclos le moraliste apparaît enfin sous l'auteur du «Mauvais livre».
Le peu qu'on a dit de lui, le peu qu'il a laissé 6 dénote une âme ferme, un esprit grave, fin, pénétrant; une intelligence froide, tendue vers l'action. S'il avait «rempli tout son mérite», selon l'expression du cardinal de Retz, il se serait illustré par quelque œuvre de politique ou d'histoire, comme Rousseau ou Montesquieu, peut-être par des formules impérissables, comme La Rochefoucauld, Vauvenargues ou Chamfort. Ou bien, entré dans les faits, il aurait éclaté au centre même de l'histoire, et non en marge; il était digne de jouer un rôle de premier plan et non de comparse, dans ce drame grandiose et sombre de la Révolution Française.
L'observation des mœurs de son temps fut sa première étude, et il en est sorti son unique livre, qui est aussi un livre unique: le poème brutal de la corruption contagieuse. Plus tard, en 1791, il fut précisément, par une sorte de fatalité, l'un des promoteurs de la seule émeute qui n'ait pas réussi, pendant la période révolutionnaire. Il a souffert les persécutions communes à cette époque. Il s'est réfugié dans l'armée, sa carrière; il y a atteint les grades supérieurs, suffisants aujourd'hui pour l'amour-propre, alors primés par la gloire de gouverner.
Parmi les documents en petit nombre qui le révèlent, le plus proche consiste dans les renseignements qu'il a donnés lui-même aux agents de son arrestation sous la Terreur, et dans l'impression qu'ils en ont consignée en leurs procès-verbaux[1]. 7 C'est là qu'il se peint lui-même plus nettement que dans son œuvre, où se montre seule sa mentalité.
Mais cette mentalité même, comment se fait-il que, ni de son temps ni du nôtre[2], elle n'ait piqué la curiosité de la critique? Comment s'expliquer le silence des biographes devant cette figure si originale? Pourquoi n'a-t-elle pas tenté l'érudition d'un Sainte-Beuve, ou la sagacité plus fureteuse d'un Monselet?
Une des rares sources où puiser est la correspondance de Grimm qui, comme on le sait, n'avait qu'une publicité restreinte—heureusement la source est claire.—Grimm assez fréquemment fait mention de Laclos, mais il est à peu près le seul; et le «monstrum» des Liaisons dangereuses est resté jusqu'ici dans la pénombre injuste des «oubliés et des dédaignés».
Pierre-Ambroise Choderlos de Laclos naquit à Amiens en 1741. En 1759 il fut officier d'artillerie.—Voilà son groupe marqué, sa base pour prendre 8 l'essor;—il est le militaire homme de lettres, un type du temps, le «personnage régnant», comme disait Taine, à qui s'adressent les travaux de l'esprit, et qui répond par des œuvres de science ou de littérature. Selon l'étage social, c'est M. de Boufflers, dont les contes et l'amour fidèle édifièrent le grand monde; le chevalier de Bonnard, autre poète que Mme de Genlis fit renvoyer du Palais-Royal, après l'y avoir introduit; le chevalier de Bertin, élégiaque et idyllique; puis deux autres, hantés par des préoccupations plus fortes, Carnot, Bonaparte. Au siècle suivant on ne trouvera plus que Paul-Louis Courier et un peu Stendhal, encore dans l'intendance.
Laclos fait de petits vers. On cite de lui une «épître à Margot» qui fit quelque bruit en 1774, sous le règne de Mme Dubarry. En 1777 il fait représenter un opéra comique: «Ernestine,» tiré d'un roman de Mme Riccoboni; les paroles ont été revues par un faiseur du temps nommé Desfontaines; la musique était du fameux mulâtre le chevalier de Saint-Georges, que Grimm appelle «un jeune Américain plein de talents, le plus habile tireur d'armes qu'il y ait en France, et l'un des coryphées du concert des Amateurs».
En 1778, Laclos est versé dans le génie, il est capitaine à 37 ans. On l'envoie construire un fort à l'île d'Aix. C'est l'année de la mort de Voltaire et de Rousseau. Turgot depuis deux ans n'est plus au ministère. Laclos évidemment écrit, converse avec les lettrés que recèle la province; il est membre de l'Académie de La Rochelle. Sans doute, en ces loisirs, 9 il conçoit, médite son roman qui paraîtra en 1782. Un ouvrage de cette envergure est écrit bien avant d'être publié, et longtemps porté dans la tête; aussi faut-il y voir un tableau des mœurs de la société dans les premières années du règne de Louis XVI, peut-être les dernières de Louis XV.
Les Liaisons dangereuses parurent donc en 1782 et le succès en fut rapide, puisque Grimm en rend compte dans un long article dès le mois d'avril de la même année (Grimm, XI, p. 81). Le genre de célébrité que décernait Grimm n'était pas l'opinion qu'un critique donne au public, de son autorité propre. Grimm écrivait à des souverains du Nord et à des princesses en Allemagne, il leur envoyait l'opinion de Paris, et sur les sujets seulement dont Paris s'occupait. Son article sur Laclos est courtois, abondant, admiratif et sévère. Il l'appelle le «Rétif de la bonne compagnie», en souvenir de Rétif de la Bretonne qu'on a surnommé le «Rousseau du ruisseau». Il signale la vérité des peintures, mais ne croit pas que le dénouement justicier puisse en compenser le dangereux attrait. C'est d'ailleurs l'esthétique courante: ne faites pas vrai, le vrai est immoral.
Malgré ces réserves, Grimm, observateur un peu sec, mais critique avisé, eut le sentiment de la supériorité de l'artiste, et s'intéressa à lui. Il ne laissa rien passer de Laclos sans le noter avec éloge, sans lui faire, comme on dirait aujourd'hui, un bout de réclame.
Il parle en 1783 d'un volume de poésies fugitives, c'étaient des vers badins à la façon de Voltaire; il 10 relate en mai 1784 l'impromptu de la pomme[3]; il raconte au long en 1785 (août) dans quelles circonstances Laclos improvisa l'épitaphe de Lemierre, qui n'était pas mort; mais Grimm s'honore en prenant la défense du poète aux vers rocailleux (noble poète cependant) habituel objet des railleries d'une société de «puristes qui n'écrivent point». Voici cette épitaphe où Laclos a enchâssé le fameux vers gravé sur la porte de l'arsenal de Toulon:
En 1786, Laclos adresse une lettre à l'Académie française qui avait mis au concours l'éloge de Vauban.
Vauban était un de ces opposants de Louis XIV que le siècle suivant recueillait pieusement, entourait de respects affectés. L'Académie, qui, depuis Voltaire, Duclos et Condorcet, était la forteresse des intellectuels, avait cru bien faire de provoquer un éloge du guerrier philanthrope. Mais Laclos est un homme que la gloire n'éblouit pas; d'autre part, il est ingénieur, il peut juger un confrère même illustre. Il ne concourt pas, mais il prie l'Académie de remarquer que Vauban n'est ni infaillible ni intangible. 11 Ce qui est caractéristique, c'est que l'Académie était alors considérée comme un sénat chargé d'encourager les études de la nation sur les mœurs et les lois. (C'est, déjà huit ans avant brumaire an IV, la classe des sciences morales et politiques de l'Institut.) Enfin, en 1787, on publie une assez longue pièce de vers d'un officier d'artillerie sur Orosmane et Zaïre, badinage assez gracieux, mais un peu prolixe et sans grande valeur...
Entre temps, et dès le mois de mars 1783, Laclos avait tenté d'aborder un sujet plus vaste: l'éducation des femmes. C'était une question mise au concours par l'Académie de Châlons-sur-Marne.
Il dut probablement se voir déjà (comme Rousseau devant l'Académie de Dijon) célèbre du jour au lendemain, et il se mit à la besogne. Comme tout le monde alors, il soutenait la thèse du retour à la nature. Après la Chine et l'Inde, dont l'antiquité devait faire pâlir la Bible, ce que le XVIIIe siècle aimait le plus, c'étaient les sauvages. J.-J. Rousseau domine ici au détriment de Buffon et de Voltaire lui-même, de Voltaire civilisé, entaché de métaphysique, et qui veut absolument qu'il y ait une morale universelle. Laclos allait droit à l'amour libre, à la douce apathie des hommes sur le sein de la nature.
Mais il s'arrêta court, on ne sait pourquoi, et le mémoire ne fut ni terminé ni publié.
A ce moment, le monde, les vers de société, la gloire littéraire le réclamaient, et pendant plus de six ans l'officier d'artillerie traîna dans les salons de Paris sa muse et ses espérances.
Au début de l'année 1789, il fut nommé secrétaire surnuméraire des commandements du duc d'Orléans. C'est là, autant qu'on peut juger des destinées, c'est à ce tournant de sa vie qu'il fut décidé que cet homme n'aurait pas d'action prépondérante sur les événements. A la veille d'un bouleversement politique—qu'il n'avait su ni prévoir ni attendre—ce lien, cette livrée plutôt, le frappait d'incapacité pour les grands rôles dont la Révolution allait disposer. C'est à Mme de Genlis que Laclos dut son emploi, semble dire Michelet, qui relate les patronages des gens de lettres: Beaumarchais chez Mesdames, Chamfort chez le prince de Condé, Laclos chez Mme de Genlis, etc...
Michelet qui visiblement, de par l'hérédité et la tradition, avait gardé la terreur superstitieuse du «livre tristement célèbre» que peut-être il ne lut jamais, Michelet montre les intrigues du duc d'Orléans, et devant les fenêtres du Palais Royal: «J'y vois distinctement, dit-il, une femme blanche, un homme noir[4]; ce sont les conseillers du prince, le vice et la vertu, Mme de Genlis, et Choderlos de Laclos.»
M. Champion, en citant cette phrase, ne craint 13 pas d'affirmer que Michelet a dit une bêtise pour le plaisir d'une banale opposition.
C'est être un peu tranchant, car la citation est écourtée; le grand historien ne s'en tient pas à son antithèse; il précise son ironie: «Dans cette maison où tout est faux, la vertu est représentée par Mme de Genlis,—sécheresse et sensiblerie—un torrent de larmes et d'encre,—le charlatanisme d'une éducation modèle, la constante exhibition de la jeune Paméla.»
Dès 1789, Laclos avait collaboré à la galerie des Etats-Généraux (c'est là qu'il publia entr'autres un portrait curieux et piquant du chevalier de Boufflers, qu'il appelait Fulber)[5].
Son nom fut mêlé aux événements des 5 et 6 octobre, mais on ne connaît pas exactement la part qu'il a pu prendre à ces événements. Comme son maître le duc d'Orléans, il s'était affilié aux Jacobins. «L'homme noir, qui est au bureau, qui sourit d'un air si sombre, c'est l'agent même du prince,» dit Michelet, qui plus loin l'accuse nettement de distribuer aux émeutiers l'argent du duc d'Orléans.
Les Jacobins décident qu'un journal sera créé pour publier par extraits la correspondance de la Société avec les départements. C'est Laclos qui est chargé de le rédiger sous le nom de «Journal des amis de la Constitution».
Un tel journal, dit Michelet, était une véritable «dictature de délation». Il attaquait violemment 14 le Cercle Social de Fauchet et Bonneville et ces attaques, ajoute l'historien, étaient un indigne manège par lequel le parti orléaniste cherchait la popularité dans des fureurs hypocrites».
Mais l'œuvre capitale de Laclos, qui fut en même temps son testament politique, c'est la pétition du Champs-de-Mars.
Après la fuite à Varennes, l'Assemblée n'avait rien statué sur Louis XVI; elle avait voté des mesures préventives contre une désertion possible du roi,—folle assemblée de tant d'hommes sages, qui délivrée d'un roi le remettait sur le trône pour ne pas renoncer à sa constitution! Mais ici il convient de citer Michelet textuellement, moins à cause de l'exactitude que de la beauté du tableau.
«L'homme du duc d'Orléans, Laclos, qui présidait ce jour-là aux Jacobins, demanda qu'on fît à Paris et par toute la France une pétition pour la déchéance. Il y aura, dit-il, j'en réponds, dix millions de signatures; nous ferons signer les enfants, les femmes. Il savait bien qu'en général les femmes voulaient un roi, et qu'elles ne signeraient contre Louis XVI qu'au profit d'un autre roi. Un grand flot de foule envahit la salle. Mme Roland dit que c'étaient les aboyeurs ordinaires du Palais Royal avec une bande de filles, probablement une machine montée par les Orléanistes, pour mieux appuyer Laclos. Cette foule se mit sans façon dans les rangs des Jacobins pour délibérer avec eux. Laclos monte à la tribune. «Vous le voyez,» dit-il, c'est le peuple, voilà le peuple, la pétition est nécessaire.»—Et plus loin... 15 après le départ de Danton, restent face à face Laclos et Brissot, c'est-à-dire l'Orléanisme et la République. Laclos ayant, dit-il, mal à la tête, laisse la plume à Brissot qui la prend sans hésiter. Il met en saillie les deux points de la situation: 1o le timide silence de l'assemblée; 2o son abdication de fait, enfin la nécessité de pourvoir au remplacement. Arrivé là, Laclos sortant de son demi-sommeil arrête un moment la plume rapide: «La Société signera-t-elle, si l'on ajoute un petit mot qui ne gâte rien à la chose, remplacement par tous les moyens constitutionnels? Ces moyens qu'étaient-ils sinon la régence, le dauphin sous un régent? Ainsi Laclos trouvait moyen d'introduire implicitement son maître dans la pétition. Soit légèreté, soit faiblesse, Brissot écrivit ce que Laclos demandait.»
Mais la supercherie de Laclos est arrêtée au passage par Bonneville de la «Bouche de fer»; on signe à d'innombrables noms par cinquante feuilles; l'Assemblée, qui se sent menacée, suspend par un décret le Pouvoir exécutif jusqu'à l'acceptation de la constitution. C'était couper court à tout pétitionnement, rétablir Louis XVI. Les événements se précipitent; Bailly proclame la «loi martiale». C'est l'autorisation du massacre du Champ-de-Mars, c'est la fin de la vie politique de Laclos.
Il ne s'abandonnait pas. Il avait donné sa démission 16 d'officier en 1791, avant la pétition; il la reprend en 1792; il est nommé chef de brigade, adjoint à Luckner, le général en chef contre l'Allemagne. Il rentre à Paris en 1793. Arrêté avec Egalité, il est incarcéré à La Force. C'est de là qu'il écrit aux comités du gouvernement pour leur soumettre des plans de réforme et des projets d'expériences sur une nouvelle espèce de projectiles. Relâché, il fait ses essais à Meudon et à La Fère, avec quelques succès, paraît-il. Peu après, il est nommé gouverneur des établissements du Cap! Pourquoi n'y va-t-il pas? On ne sait. Mais voici que ce gouverneur, ce maréchal de camp, tout à coup voit entrer chez lui la force armée. Seconde arrestation, septembre 1793; il est emprisonné à Picpus.
Le désordre du temps, de toutes ces administrations qui se croisent et qui, chacune dans sa sphère, agissent, rédigent, enquêtent avec minutie, éclate à la lecture des procès-verbaux transcrits consciencieusement par des illettrés, qui disposent de la liberté, de la vie des premiers hommes de la nation. Là nous apprenons, et de Laclos lui-même et de ses geôliers, divers détails de famille et de fortune: qu'il est marié, qu'il a deux enfants, l'un de 9 ou 10 ans, l'autre de 5 à 6; qu'avant la Révolution son revenu se composait de 1800 l. de rentes de la succession de son père, plus de 4 à 6000 l. du chef de sa femme, plus ses appointements d'officier.
En 1789, en plus 6000 fr. d'appointements du duc d'Orléans réduits en 1790 à 4000, puis à 3000, 17 et supprimés le 1er octobre 1792. Au 1er juin 1791, il a obtenu une pension de retraite de 1200 à 1400 livres de rentes, son revenu actuel est de 1000 à 1200 l., ayant vendu le reste dans le dessein d'acquérir un fonds d'industrie qui le mette à même de faire vivre sa famille.
Est-ce un faiseur? Nullement. Comme presque tous les hommes de ce temps, il tient les métiers pour égaux, il ne se fie pas uniquement au budget.
La captivité dure près de neuf à dix mois; il sort de prison, comme tant d'autres, au lendemain de Thermidor. Thermidor ne fut pas, du moins au début, une réaction; ce fut une reprise du pouvoir et des places par tout ce qui n'était pas Robespierriste. A ce moment il n'y a plus rien contre Laclos. Il est du monde révolutionnaire, du personnel des cinq grandes années. Pour vivre, vraisemblablement, il dut continuer l'ouvrage du juré Vilate: «Les causes secrètes de la Révolution du 9 Thermidor.»—On ne sait guère de lui d'autre écrit contre-révolutionnaire.
Quelque temps après, il est nommé par le Directoire secrétaire général de l'administration des hypothèques. Ce n'était pas là un emploi pour ses facultés, et la même année il est envoyé comme général de brigade à l'armée du Rhin. C'est la sévère armée de Moreau (en parfait contraste avec les bandits de l'armée d'Italie), qui a fait les campagnes de l'an IV racontées par l'Archiduc Charles.
Sous le Consulat, sans date exacte, il est inspecteur général de l'armée du sud de l'Italie, non plus l'armée de Macdonald, dispersée en 1799 par les 18 Russes à la Trébie, mais une autre qui opère concurremment avec l'armée consulaire de Marengo. Le 5 novembre 1803 il meurt à Tarente. Sentant venir sa fin, il écrit au Premier Consul une lettre touchante, où il recommande sa femme et ses enfants.
Le portrait de Laclos est à Versailles[6] (salles de la Révolution) en costume de général. L'«homme noir» est rouge d'habit et de figure. Dans son uniforme, il n'a pas l'air militaire, très rare alors. Son port de tête déjeté, renversé, méditatif, n'est pas d'un personnage officiel, c'est celui d'un lutteur, d'un homme de volonté. Sous le flegme du visage, une ardeur concentrée. Les traits inharmoniques, point d'aménité, mais rien non plus de l'air rogue ou de la morgue des gens en place. Aucune élégance, une personnalité irrécusable. Les yeux translucides dardant une flamme étrange, la même qu'on rencontre aux portraits de Schopenhauer.
Les deux intelligences pénétrantes: le grand philosophe de l'humanité en général, et l'observateur aigu d'une société spéciale et compliquée ont le même regard attentif.
The proper study of mankind is man.
(Pope.)
... les mœurs qui règnent aussi
impérieusement que les lois.
(Montesquieu).
Habent sua fata libelli, a dit Terentianus Maurus. Voici un roman moral qui a longtemps passé pour le plus immoral des romans, un ouvrage où il n'y a pas l'ombre d'indécence, qui figure encore dans la littérature érotique du XVIIIe siècle, entre le Sopha de Crébillon le fils et les Amours du chevalier de Faublas. L'auteur a suivi le sort de son livre. Jamais il n'a été tenu pour ce qu'il est en réalité, c'est-à-dire pour un moraliste. Il n'est ni un grand écrivain ni un penseur profond, mais il a fait une œuvre d'observation, d'enseignement, de moralité.
«C'est rendre service aux mœurs, dit-il dans sa préface, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes.» Remarquons ce 20 mot de moyens; le vice, en effet, a une méthode. Laclos a voulu prouver: 1o que «toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mœurs finit par en devenir la victime; 2o qu'une mère est au moins imprudente, qui souffre qu'une autre ait la confiance de sa fille; 3o que l'amitié que les personnes de mauvaises mœurs paraissent accorder si facilement aux jeunes gens de l'un et de l'autre sexe, n'est jamais qu'un piège dangereux». Le fond c'est qu'il ne faut pas faire de mauvaises connaissances.
Il prévoit l'indignation que soulèvera son livre:
«Les hommes et les femmes dépravés auront intérêt à décrier un ouvrage qui peut leur nuire, et comme ils ne manquent pas d'adresse, peut-être auront-ils celle de mettre dans leur parti les rigoristes alarmés par le tableau des mauvaises mœurs qu'on n'a pas craint de présenter.»
C'est d'ailleurs ainsi qu'on a toujours condamné non seulement les ouvrages libres, mais encore toutes les œuvres hardies, qu'elles attaquent un travers, un préjugé, un vice ou une institution. L'auteur est toujours accusé de calomnier ses contemporains ou de spéculer sur le scandale. «Toute vérité n'est pas bonne à dire.» Ou plutôt: Aucune vérité n'est bonne à dire; ou: le mensonge seul est moral.
Pour inspirer l'horreur du vice, il faut le dépeindre, moyen trop sûr de le faire aimer, et d'être soupçonné de le mettre en pratique. Les biographes de la Restauration qui parlèrent de Laclos (ils sont d'ailleurs peu nombreux) ne manquèrent pas de 21 le confondre avec ses personnages encore qu'il ait eu, semble-t-il, des mœurs plutôt sévères.
Les générations nouvelles connaissent peu M. Nisard, illustre critique en son temps. Il est resté de lui la théorie des deux morales, acte de courtisanerie envers le Second Empire. Dans son livre, d'ailleurs spirituel et même érudit, des «Poètes latins de la décadence», il attaqua Juvénal lui-même. Il imputa au grand satirique une secrète complaisance pour les vices qu'il flagelle.
Les Liaisons dangereuses, imprimées en mars 1782, eurent dès le mois suivant une célébrité européenne. Grimm en Laclos vit tout de suite un maître. L'article de la Correspondance (tome XI, p. 81, Paris, Furne, 1830) n'est pas de Diderot, qui à ce moment n'écrivait plus. Il est de Grimm, de sa froide sagesse. Le critique ne s'étonne point de «l'empressement avec lequel on a reçu cet ouvrage, qui montre avec tant de naturel le désordre des principes et des mœurs. Il faut s'étonner encore moins de tout le mal que les femmes se croient obligées d'en dire... Comment un homme qui les connaît si bien et qui garde si mal leur secret ne passerait-il pas pour un monstre? L'auteur n'a pas osé se dispenser de faire justice de ses personnages, mais peut-on présumer que ce soit assez de morale pour détruire le poison répandu dans quatre volumes de séduction»?
Les dénouements sont des accidents tant qu'ils ne découlent pas, de toute nécessité, du caractère des personnages et de leurs actes; c'est là un 22 reproche qu'on ne peut pas faire à Laclos. Sa Némésis n'est point amenée du dehors. Le séducteur est tué en duel, et les femmes reçoivent le juste châtiment de leurs méfaits.
Voilà donc une morale exemplaire. Eh bien! ce n'est point assez, ou plutôt c'est à côté; et on détache très bien la moralité de la fable. Tous les lecteurs voudront vivre la vie intense de ces passions, et se flatteront d'échapper à leurs sinistres conséquences.
La punition des coupables ne fait que venger la règle des mœurs; elle n'en assure pas l'observance. La vertu elle-même n'est pas rendue éclatante par la laideur des vices, si bien peints, trop bien peints. C'est donc un mauvais livre.
Justement, c'était l'époque des mauvais livres. Après les Liaisons dangereuses, en juillet de la même année, les Confessions de Rousseau; en juin 1783, la répétition du Mariage de Figaro, à Versailles, arrêtée d'ailleurs par ordre de Louis XVI; sans parler d'un recueil obscène de Mirabeau, qui n'est pas de la littérature.
Le scandale a duré. En dehors de Nodier, qui prétend que «l'ennui devrait depuis longtemps avoir fait justice de ce Satyricon de Garnison», et de Janin, qui l'appelle «un pâle et licencieux reflet de la Nouvelle Héloïse», la critique s'est tue, effrayée.
Il y a quelques mois seulement, on a publié des notes inédites de Baudelaire. Il n'était pas homme à se scandaliser. Le premier il osa déclarer que c'est là «un livre de moraliste aussi haut que les plus élevés». Mais il s'est attaché surtout aux mœurs 23 et aux caractères. Sur la morale il dit trop ou trop peu: «Tous les livres sont immoraux.»
«Le monde! Je n'en pense pas de
bien, je n'en dirai pas de mal; je
ne pense pas que c'est tout, mais je
ne dirai pas que ce n'est rien; c'est
l'écume argentée au bord de l'océan
humain.»
(Anatole France.)
«Les personnages des Liaisons dangereuses forment, dit Grimm, ce qu'on appelle la bonne compagnie et qu'on ne peut se dispenser d'appeler ainsi.»
En effet ces gens sont polis et policés; ils vivent dans le luxe, ils font partie des classes qui gouvernent, et ils savent par éducation ce qui doit se faire; ils violent la loi morale, mais ils ne l'ignorent pas. Il faut aimer ce mot de monde dans le sens d'élite. Il ne s'écarte guère de son étymologie mundus, cosmos, ce qui est propre, le contraire d'immonde, et aussi la planète Terre et les astres du même Système. Cette société ne se prend-elle pas pour l'Univers, et ne voit-elle pas en elle la quintessence de l'Humanité? Ils sont gens du monde, mais en même temps ils sont les figures de leur époque très circonscrite; et la pièce 24 dont ils sont les acteurs ne saurait se passer dans un autre pays ni dans un autre temps.
Un poème est logiquement conçu, si la fable justifie la thèse, si l'exemple est bien adapté à la morale. Les vieux rapsodes n'y manquaient pas. Leur objet c'était la société héroïque, leur sujet, la Guerre de Troie ou les Sièges de Thèbes.
Les deux éléments des Liaisons dangereuses sont: 1o la Vie Mondaine; 2o la Décadence de l'aristocratie à la fin du XVIIIe siècle.
Les vices décrits par l'auteur éclosent dans un milieu spécial. Ce n'est pas la Cour, où ces vices fleurissent aussi mais subordonnés à d'autres préoccupations, l'art de gouverner par exemple, une vie de représentation pompeuse, symbole où s'étale la souveraineté traditionnelle. Ce n'est point la Bourgeoisie; elle a des mœurs plus graves, elle exerce des professions, attache moins de prix à l'élégance, et y a du reste moins d'aptitude. Il ne peut être question du peuple, dont la seule apparition quelques années plus tard fera évanouir ces passions et leurs grâces, dans leur décor de féeries mensongères.
C'est la Noblesse oisive. Ce n'est guère plus une caste, mais c'est encore une classe, qui, par définition, vit pour le plaisir et pour la vanité. On ne voit pas trace d'autres passions. Là personne n'est mû par l'ambition ni par la curiosité d'esprit; la religion, qui est l'ambiance héréditaire de toute la société, n'y fait sentir sa présence que lorsque les fautes de conduite y sont imminentes ou accomplies. Plaisir et vanité, ce sont bien les mobiles essentiels 25 des oisifs. Un symptôme irrécusable les annonce: la Frivolité, le signe certain de décomposition sociale, la tare indélébile des existences sans but.
Ce tableau de mœurs précise d'autant mieux l'époque qu'il y manque, en ce siècle de l'esprit, la littérature. La lacune s'explique. Les années qui roulent autour des Liaisons dangereuses ont éclairé un entr'acte de la vie pensante. Les grands philosophes sont morts ou mourants; les futurs Idéologues sont encore obscurs. Ce n'est pas qu'on ne soit étourdi du bruit que font les académiciens, les poètes, les pamphlétaires, les diseurs de bons mots. Mais Laclos n'entendait pas faire un roman cyclique comme Gil-Blas, il ne peignait pas toute la société. Ses personnages ne sont occupés que de leurs passions, ils ne représentent que des formes de sentiment. Son roman est donc bien un roman de mœurs, mais non au sens de recueil de travers ou de modes du moment, c'est un roman de mœurs permanent.
Les Liaisons dangereuses sont une œuvre forte, pleine, l'œuvre de la quarantième année, celle qu'on a longtemps mûrie, et qu'on écrit en toute sécurité de méthode et de style. C'est un roman par lettres, forme d'expression psychologique, qui permet d'expliquer bien des nuances, mais se prête peu à l'exposition des événements, n'en montre que la répercussion. 26 Son appareil factice est visible. Quand une lettre commence par une situation fixe, elle finit par un fait catastrophique, et réciproquement. Ce genre tient du théâtre, car il dialogue et nécessite des ressorts imprévus, mais c'est un théâtre lointain, où les personnages se présentent successivement et ne parlent qu'indirectement.
Les moralistes doués du génie sermonnaire affectionnent le roman par lettres: Richardson, Rousseau, Sénancour, Mme Sand, Cherbuliez. Laclos y excelle. Il y a pourtant de la répétition dans la correspondance de Valmont et de Mme de Tourvel, la situation traîne, les décisions ne sont pas franches. Ces lettres—mérite bien rare—, n'ont pas le style épistolaire; jamais de protocole, de descriptions, de digressions. C'est un style d'action, in medias res. Comme c'était un roman par lettres on a voulu que ce fût la langue de la Nouvelle-Héloïse. Loin d'être la langue de Rousseau, ce serait plutôt celle de Voltaire, abstraite et sans onction, précise sans purisme, et allant à son but comme une flèche. A une époque d'emphase et de déclamation, cette forme surprend par sa vive sobriété. Pas d'exclamations, nulle apostrophe; parfois des traits plus fermes, un ton plus grave font penser à Montesquieu. La lettre LXXXI, la fameuse lettre où Mme de Merteuil expose sa vie, l'affranchissement de tout préjugé, la doctrine de domination qu'elle s'est formée, est écrite presque dans le style du dialogue de Sylla et d'Eucrate.
«Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées? Quand m'avez-vous vue m'écarter 27 des règles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes? Je dis mes principes, et je le dis à dessein, car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude. Ils sont le fruit de mes profondes réflexions, et je puis dire que je suis mon propre ouvrage.»
C'était un avantage pour les écrivains de la fin du XVIIIe siècle, de n'avoir lu que des auteurs consacrés, d'une période étroite: très peu de vers avant Malherbe, très peu de prose avant Pascal. Dégagés de la recherche des formes et des curiosités du vocabulaire, ils portaient plus d'attention sur l'ordonnance, sur la relation des idées entre elles. La composition de Laclos est d'un tacticien, sa discussion d'un dialecticien. A chaque lettre de nouveaux sentiments apparaissent, amenant logiquement la succession des faits.
Laclos se flatte, dans sa préface, d'avoir fait parler à chaque personnage le langage de son caractère et de son état. Témoignage mérité. Les gens du monde qui sont en majorité dans le roman parlent une langue pure, classique, sans accent.—Le magistrat qui, après la catastrophe, annonce qu'il va tout apaiser, si les intéressés veulent être discrets, a juste l'autorité et la sagesse désabusée qui conviennent. La lettre où le fidèle Bertrand fait le récit du duel et de la mort de Valmont est respectueuse, mais digne et empreinte du sentiment qu'il occupe une place honorable dans la famille. Le chasseur Azolan (ce nom est pris d'un conte de Voltaire) écrit à Valmont en un style aisé de 28 faquin, portant avec fierté les vices qui le rendent si précieux à un petit-maître[7]. Les phrases d'écolière de la petite Volange, ses expressions courtes et naïves, sa syntaxe plate sont bien de la pensionnaire, qui ne demande qu'à être séduite. La Présidente dévote a les élans voluptueux et mystiques du style prêtre. Valmont agit à la fois par la persuasion enveloppante, le persiflage et la netteté cynique. La tante indulgente et vertueuse écrit avec de l'azur, un peu pâli. A propos de Mme de Merteuil, de sa précision impérieuse, de son implacable moquerie, nous n'avons pas craint de nommer Montesquieu.
Tout peintre de mœurs participe à l'art de son temps. On a rapproché de Laclos divers artistes, notamment Fragonard et Moreau le jeune; il est bien plus près de Greuze. C'était l'avis des Goncourt qui réhabilitèrent l'Art du XVIIIe siècle. Greuze moraliste et disciple de Diderot voulut être le peintre de la vertu; «mais la vertu qui revient sans cesse sous ses pinceaux, disent les Goncourt, semble sortir des contes de Marmontel, avec une pointe de libertinage. L'ingénuité qu'il personnifie est l'ingénuité même de Cécile Volange».
Ces mondains passionnés ne manquent pas de sens critique et chacun définit très bien les autres. Voici le portrait de Cécile Volange, par Mme de Merteuil: «Sans esprit et sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle qui quelquefois m'étonne moi-même et qui réussira d'autant mieux que sa figure offre l'image de la candeur.» Et plus loin: «Je me désintéresse entièrement sur son compte. J'aurais eu quelque envie d'en faire une intrigante subalterne, et de la prendre pour jouer les seconds rôles, sous moi; mais je vois qu'il n'y a pas d'étoffe; elle a une sotte ingénuité... et c'est, selon moi, la maladie la plus grave qu'une femme puisse avoir. Elle dénote surtout une faiblesse de caractère incurable et qui s'oppose à tout; de sorte que, tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l'intrigue, nous n'en ferions qu'une femme facile, et je ne connais rien de plus plat que cette facilité de bêtise qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu'on l'attaque et qu'elle ne sait pas résister.»
Valmont est bien dessiné par Mme de Volange, qui ne se doute pas qu'il séduira sa fille. «Il sait calculer tout ce qu'un homme peut se permettre sans se compromettre; et pour être cruel et 30 méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes.»
Il faut qu'il y ait quelque chose de vrai dans cette observation fondée sur la faiblesse des femmes.
Leur insolence pourtant, leurs railleries, les faux respects dont elles sont entourées, tout cela devrait leur servir de sauvegarde, et reste sans force devant leur curiosité, leur sensualité, et cette présomption qui les porte à s'exposer, en se croyant capables de se ressaisir.
Les trois premiers personnages sont: Valmont, Mme de Merteuil et Mme de Tourvel.
Valmont est le Don Juan de l'époque, si l'on peut remonter à ce héros presque mythique de la Séduction et du Blasphème. Ses modèles les plus rapprochés sont Lovelace dans les imaginaires, et parmi les individus réels, vraisemblablement le maréchal de Richelieu, son fils Fronsac, Lauzun-Biron. Lovelace est le produit d'une race plus forte, plus hardie, de l'athlétisme anglo-saxon. Par là il dépasse Valmont, qui est surtout homme de salon, et dont les goûts, les sentiments, l'esprit sont plus étriqués, mais avec plus de souplesse, et plus de grâce. Tous deux d'ailleurs dans l'amour ne cherchent que le charme de longs combats, et les détails d'une pénible défaite.
Les ressorts de Valmont sont le besoin du plaisir, la vanité, l'impudence, l'égoïsme féroce. Il commet des noirceurs inutiles; il se complaît à des intrigues basses. La lecture subreptice des lettres de la Présidente, la comédie de charité organisée pour frapper son imagination à travers son cœur; et surtout 31 le viol à demi consenti de la jeune Volange, voilà des actes de pure dépravation.
Il a d'ailleurs le goût de l'observation, son tableau des gaucheries du jeune chevalier de Malte est joliment tracé: «Puisque vous commencez à faire des éducations apprenez à vos élèves à ne pas rougir et se démonter à la moindre plaisanterie, à ne pas nier si vivement pour une seule femme, ce dont ils se défendent avec tant de mollesse pour toutes les autres. Apprenez-leur encore à savoir entendre l'éloge de leur maîtresse, sans se croire obligés d'en faire les honneurs, et si vous leur permettez de vous regarder dans le cercle, qu'ils sachent au moins auparavant déguiser ce regard de possession, si facile à reconnaître, et qu'ils confondent si maladroitement avec celui de l'amour.»
L'acte culminant de sa vie, c'est la séduction de la femme vertueuse. C'est de la vertu plutôt que de la résistance féminine qu'il veut triompher. «Quel délice d'être tour à tour l'objet et le vainqueur de ses remords! Loin de moi l'idée de détruire les préjugés qui l'assiègent; ils ajouteront à mon bonheur et à ma gloire. Qu'elle croie à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie! Que ses fautes l'épouvantent sans pouvoir l'arrêter; et que, agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras.»
Le caractère principal, le portrait auquel l'artiste a donné une beauté effrayante, c'est celui de Mme de Merteuil.
Les femmes meneuses d'hommes ne manquaient 32 pas en ce siècle. Il s'était ouvert par Mme de Maintenon, «le génie de la direction,» dit Michelet, allant au pouvoir par les voies cachées en déclinant les apparences.
Mme de Tencin avait suivi. La femme qui devina Montesquieu, qui groupa les premiers philosophes dans son cercle de Mère de l'Eglise; qui, dès 1743, prédit la Révolution en annonçant «la culbute de l'Etat», était un étonnant mélange d'ouverture d'esprit et d'immoralité, de sécheresse d'âme et d'hypocrite douceur. On sait le mot de l'abbé Trublet raconté par Chamfort: «Si elle eût eu intérêt à vous empoisonner, elle eût choisi le poison le plus doux.» C'est elle qui disait que «les gens d'esprit faisaient beaucoup de fautes de conduite, parce qu'ils ne croyaient jamais le monde assez bête, aussi bête qu'il l'est».
Une autre femme d'intrigue et d'ambition a pu également servir de modèle au peintre: Mme de Grammont, la chanoinesse, qui avait inauguré le règne des Choiseul, et qui pensait pour toute la famille.
L'âge de Mme de Merteuil n'est pas indiqué, ni celui de Valmont; mais ils ne sont plus de la première jeunesse, puisqu'elle lui écrit (lettre X), en parlant de la Présidente: «Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse, vous en rendra bientôt aussi les ridicules préjugés.» Quel que soit son âge, la supériorité de son intelligence, la marque pour les premiers rôles, grands rôles mondains, de vie privée. Son but c'est la domination, son moyen, l'intrigue. Elle veut en tenir école, mais 33 école secrète. Il faut qu'elle soit bien artificieuse, pour qu'en ce temps d'universel décri réciproque sa réputation reste intacte, jusqu'à la catastrophe. La considération lui est nécessaire pour dominer, et dominer, c'est aussi jouir sans trouble, car elle est à la fois perverse et sensuelle.
Le trait le plus original de son caractère, après tous ceux-là qui sont communs à tant d'autres femmes, c'est le mépris de la faiblesse, le culte de la volonté. L'orgueil et le ressentiment mènent à sa perte cette âme altière. Elle n'a jamais pardonné à Valmont (qui ne s'en doute pas) de l'avoir quittée. Pour le même crime, la vengeance qu'elle veut tirer de Gercourt dépasse toute mesure. Et dans sa conduite envers Prévan l'art n'égale-t-il pas la perfidie? «Quant à Prévan, écrit-elle à Valmont, je veux l'avoir et je l'aurai, il veut le dire, et il ne le dira pas; en deux mots voilà notre roman»... et elle tient parole.
Elle est jalouse de la beauté de la Présidente, qu'elle n'a vue qu'une fois; il ne lui suffit pas de l'emporter par l'esprit.
Quand la guerre est déclarée, sa constance ne se dément pas; jamais de plaintes ni de prières. Elle fait tête à l'orage, et fuit sans rien dire, après la défaite, vers de nouvelles destinées. Ruinée, éborgnée, défigurée, elle abordera la Hollande, le pays des libelles, des intrigues et des conspirations.
Mais le personnage le plus instructif, le plus contrasté de révélations inattendues, c'est la prude, tendre et dévote Présidente de Tourvel. Elle est Présidente, parce que, au noble d'épée qu'est Valmont, 34 il fallait une victime de robe, une vertu bourgeoise appuyée sur les principes de la morale et les pratiques de la religion. Alors, a lieu ce duel fondé sur l'attrait de la dévote et du roué; les deux types se complètent. Valmont est l'homme à bonnes fortunes, sa réputation le précède, et devrait avertir Mme de Tourvel, mais la curiosité la tient attachée à ce problème de corruption. Ravie en adoration du principe masculin brillant et dangereux, elle se joue à elle-même la comédie de convertir le débauché. Dans sa moralité incertaine, elle voudrait les agréments du vice et les avantages de la vertu. Aussi, voir son aigreur contre l'amie qui l'a éclairée, et dont elle suit pour un temps, et bien à contre-cœur, les conseils de prudence. Elle lui en veut de ne pas reconnaître une vertu si rare. Elle a l'esprit tellement faussé par la dévotion qu'elle en vient à se persuader que l'homme qui la séduit ne peut être qu'un saint. Il n'y a, dans cette sensualité qui s'ignore, pas l'ombre de l'intellectualité de Mme de Merteuil.
Quelle fausseté dans son manège! Elle ne se lasse pas d'écrire à Valmont qu'elle ne lui écrira plus, et cela, dans un flot de reproches à peine justifiés, presque insolents; et, à chaque lettre, son ardeur renaissante ouvre au séducteur une porte de rentrée. La femme qui implore est toute prête à céder. Mme de Tourvel supplie en phrases touchantes et d'une mélopée d'héroïde:
«Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse et suppliante, vous demander le repos de l'innocence. Ah, Dieu! sans vous, eût-elle été 35 jamais réduite à cette humiliante demande? Je ne vous reproche rien; je sens trop par moi-même combien il est difficile de résister à un sentiment impérieux. Une plainte n'est pas un murmure. Faites par générosité ce que je fais par devoir, et à tous les sentiments que vous m'avez inspirés je joindrai celui d'une éternelle reconnaissance. Adieu, Monsieur.»
L'honnête femme en prières nous en impose. Elle est plus tentatrice que la courtisane. La vertu ainsi abaissée est l'excuse de Don Juan. Certes Mme de Tourvel est le plus immoral des personnages du roman. Les autres bravent la morale, celle-ci la dégrade.
Ces trois types, Valmont, Mme de Merteuil, Mme de Tourvel n'étaient pas rares. Ils signalaient la faillite d'une société par trois formes de déchéance: l'effémination de l'homme tombé à des fourberies indignes et dénué de toute élévation d'esprit, la déviation de la femme de tête organisant la domination en vue du plaisir, et l'avilissement de l'héroïne intéressante vertueuse et pleurarde.
C'était bien le temps anormal et malsain qui appelait le retour à la nature et nécessitait le remède de la loi.
Laclos a une conception personnelle de l'espèce humaine. Il divise la société en deux classes: les 36 honnêtes gens, niais, étourdis, dupés, se tirant des difficultés avec l'estime publique,—Mme de Tourvel, dans sa grande douleur, meurt entourée d'amis, plainte et respectée;—puis les autres, intelligents, astucieux, arrivant à leurs fins, embrouillés dans leurs fils, finissant mal.
Il indique très bien les âges. L'extrême jeunesse, naïve et confiante, fautive, mais se relevant par une crise de conscience,—le chevalier d'Anceny provoque Valmont, Cécile Volange s'enfuit au couvent.—La seconde jeunesse, très dangereuse, active, expérimentée (c'est l'âge indécis de Valmont et de Mme de Merteuil). L'âge mûr, voyant juste chez autrui, faux dans sa propre cause (Mme de Volange qui juge si bien Valmont et qui surveille si mal sa fille). La vieillesse prudente, tolérante qui apaise, éteint tout, c'est l'œuvre de Mme de Rosemonde du président sagace, de l'honnête Bertrand.
Mais nulle bonté vraie en tout ce monde; de la sagesse, des principes.
La bonté avait été comprise et professée par Diderot. Il la proclamait au milieu des éclairs, dans un ciel fumeux. Rousseau avait ramené de l'Antiquité classique la Vertu; et de sa vie errante, abandonnée, il avait tiré la Sensibilité.
La Bienfaisance,—un mot de l'abbé de Saint-Pierre mis par Voltaire en circulation,—s'illustrait par Helvétius, par D'Holbach. Elle était fastueuse, théâtrale; Valmont, pour intéresser Mme de Tourvel, fait mouvoir un ressort de ce genre.
Valmont n'est pas seulement un corrupteur, il est aussi un méchant. Au XVIIe siècle, le mot signifiait, 37 mauvais, mal fait, «de méchants vers». Le XVIIIe siècle lui donne le sens qu'il a conservé: l'homme qui nuit par excès d'égoïsme, pour montrer son esprit, son absence de scrupules, ou même pour le seul plaisir de nuire.
«Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui,»
a dit La Fontaine. Le héros de Gresset est le méchant au second sens. C'était, disait-on, Stainville (Choiseul) à ses débuts, comprometteur de femmes, pas encore homme d'Etat.
Le misanthrope soupçonneux, insociable, envieux, c'est Rousseau, que les Encyclopédistes appellent «un méchant». Il leur renvoie l'injure, les taxe de persécution. Mais pour la première fois dans l'histoire de la morale humaine, la philosophie dégageait de la morale religieuse le phénomène de la méchanceté.
La Religion est dans le roman une pure sauvegarde de la morale. Le père Anselme, par qui Valmont trouve moyen d'arriver à Mme de Tourvel, est, dans sa duperie, fort digne et respectable. Mme de Merteuil, hypocrite de mœurs, ne l'est pas de religion; elle persuade à la jeune Volange que son confesseur a trahi son secret.—Laclos, dans une note, signale ce ton d'impiété.—Lui-même est bien en avant du Voltairianisme courant... Il ne s'agit plus d'affranchir l'esprit humain, mais de renouveler les lois et les mœurs. Tel était le fond de sa pensée, si l'on en juge par ses écrits ultérieurs, insignifiants au regard de son chef-d'œuvre. Ici, il se sent faible sur ce point délicat du 38 remède à tant de maux. Il fait parler la vieille tante, Mme de Rosemonde, qui résume à la fin le μυθος δηλοι ὁτι [Grec: «mythos dêloi hoti»]. Il faut, dit la bonne dame, «s'en tenir aux Lois et à la Religion». Cela a l'air simple, mais pourquoi les Lois et la Religion ont-elles si peu d'empire? On les élude, on les brave; et d'ailleurs elles sont variables. Les codes et les catéchismes sont l'œuvre de magistrats et de prêtres de sang-froid. Quand ils quittent la robe ou la simarre, ils sont comme l'un de nous. En tenant pour vrais ces lois et ces dogmes, qui les rendra efficaces? Le Roi, aurait dit l'Ancien Régime, le Droit, répond la Révolution.
Les notes informes de Baudelaire sur Laclos sont parsemées d'éclairs; ce sont des idées qui pourraient devenir des théories, susciter au moins des recherches. Il faut lui passer ses tirades sataniques, son péché originel, qu'il oppose au «bon cœur» dissolu des romans humanitaires de Mme Sand.
Il a en général bien marqué le trait distinctif des caractères du roman, sauf en ce qui concerne Mme de Tourvel, qu'il appelle «une Eve touchante, un type simple, grandiose, attendrissant». Mais on peut s'arrêter aux rapports qu'il signale entre l'érotisme du XVIIIe siècle et la Révolution. «La Révolution, 39 dit-il, a été faite par des voluptueux.» Certes, il y en a, le duc d'Orléans, Saint-Just, Hérault-Séchelles et d'autres, mais il y a aussi des puritains.
«Les livres libertins, dit-il encore, commentent et expliquent la Révolution.» Formule obscure. Veut-il dire que la barbarie renaît de la corruption? ou bien que la société décrite par cette littérature allait à sa subversion totale?
La première proposition est vague et incomplète. Ce n'est pas parce qu'il y avait plus de luxe, plus d'amour du plaisir, plus de raffinement dans les arts et plus de livres libertins, que la Révolution a accéléré sa marche et a eu si tôt recours à des méthodes d'extermination. La cruauté juridique, la Terreur, un moment érigée en système par des politiques affolés, sortait tout naturellement de la pression des événements. Les mobiles de la Terreur sont complexes, et encore difficiles à démêler.
La seconde explication paraît plus près des faits. Oui, la société ainsi décrite s'imagina se régénérer par la violence. Ce mot régénérer, qu'on prend au figuré, se ramène ici facilement au sens propre. Car Baudelaire cite M. de Maistre: «Au moment où la Révolution éclata, la noblesse française était une race physiquement diminuée.»
Baudelaire ajoute: «La Révolution a pour cause principale la dégradation morale de la noblesse.» Il revient au physique par une citation de Bernardin de saint Pierre. «Si l'on compare la figure des nobles français à celle de leurs ancêtres, dont la peinture et la sculpture nous ont transmis les 40 traits, on voit à l'évidence que les races ont dégénéré.» (Etudes de la Nature.)
Ici la race c'est l'époque, aucun mouvement de peuple ne s'étant opéré en France de 1715 à 1789. La dégénérescence, si elle est constatée, est bien la décomposition physique et morale d'un certain groupe de familles, sous l'influence des idées et des institutions, soit par l'abandon des traditions et des principes, soit par l'insuffisance des dogmes ou des garanties. On pourrait alléguer les mariages de la Noblesse avec les filles des financiers, mais on ne manquerait pas de répliquer que le sang plébéien rajeunissait la race.
La décadence physique n'étant attestée que par quelques bustes et quelques gravures, il y avait une dépression morale due à l'usure des Institutions. Les écrits qui peignaient cette société et lui montraient à nu ses vices lui faisaient horreur et dégoût.
On dit souvent que c'est le Mariage de Figaro qui annonça le prochain cataclysme: cette œuvre, connue dès 1783, ne fut jouée qu'en 1785, et les Liaisons dangereuses parurent en 1782. Regardons la série des dates, elles sont instructives:
1782. Les Liaisons dangereuses.—Les Confessions.
1783. Répétitions du Mariage de Figaro.
1784. Les Mémoires de Beaumarchais.
1785. Polémiques avec Mirabeau. Mariage de Figaro.
1786. Affaire du Collier.
A la suite des Encyclopédistes, une littérature 41 toute politique et sociale abonde en projets de réformes. Il y a beaucoup de citoyens. Ils règlent les Finances, la Police et la Justice, l'Hygiène publique et privée. Ils légifèrent. Leurs brochures, leurs pamphlets, leurs mémoires, leurs «rêveries» s'échelonnent de 1783 «Mémoires sur la Bastille», de Linguet, à 1789, «Qu'est-ce que le Tiers-Etat», de Sieyès.
La Révolution est une leçon terrible qui n'a pas servi. Ceux qu'elle a frappés l'ont regardée comme une iniquité du ciel et des hommes, ceux qu'elle a privilégiés copient les vices qui l'ont rendue inévitable.
Les romans satiriques sont toujours de circonstance, comme peinture, mais non comme enseignement. Les révolutions développent l'esprit humain et adoucissent les lois, sans corriger la conduite. L'Art est indépendant de ses effets sociaux, il influe sur un événement et le précipite; l'événement passé, l'œuvre reste, objet d'exécration pour les contemporains, d'admiration pour la postérité.
Janvier 1904.
Portrait du chevalier de Boufflers sous le nom de Fulber publié par Laclos dans la Galerie des Etats-généraux.
«Fulber eût été le plus heureux des hommes s'il avait pu demeurer toujours à vingt-cinq ans. Ecrits voluptueux, couplets amusants, vers agréables, cette foule de rieurs qui font le succès d'une jeunesse partagée entre l'amour et les talents, donnent une espèce de célébrité; mais lorsque la raison revient revendiquer ses droits, elle rougit des succès dus à de si petites causes. Fulber en est à ces tristes expériences; il a voulu faire succéder la vérité aux contes, la pensée au coloris, la méditation à la poésie. Quel a été son étonnement, lorsque l'habitude des choses frivoles a rendu pénible l'usage de l'esprit appliqué à des vues plus utiles.
«Fulber abonde dans ce qu'on appelle esprit, et il parle comme quelqu'un qui a besoin de ne rien perdre. Né sérieux, il veut être grave; bon, il veut être caustique; paresseux, il veut jouer le travailleur. Il court après les petits succès et paraît les dédaigner. A peine fut-il parvenu au fauteuil qu'il plaisanta sur les honneurs académiques. Il est né quatre-vingts ans trop tard. Du temps des Fontenelle, des La Mothe, des Gresset, il eût brillé sur le Parnasse français; à l'époque 44 où nous nous trouvons, qu'est-ce que l'esprit tout seul, ou de l'esprit poétique, ou de l'esprit d'Académie, ou de l'esprit de boudoir, ou de l'esprit des soupers?—Nous évitons, à un certain âge, le ridicule des couleurs tendres, de la danse et autres amusements.
[1] Le dossier en est reproduit dans les pièces justificatives d'un récent travail; c'est un mémoire inachevé de Laclos sur l'éducation des femmes, publié par M. Champion d'après les manuscrits de la Bibliothèque nationale. Paris, Vanier, 1903.
[2] La seule biographie qui soit mentionnée dans les Encyclopédies est une notice sur le général Laclos par Pariset, plaq. in-8, sans lieu ni date.—Nous ne parlerons pas d'une publication parue récemment dans une revue, et où figurent des lettres de Laclos au duc d'Orléans, lettres dont l'authenticité aurait mis en éveil Emile Chasles lui-même.
[3] Impromptu de M. de Laclos à une dame, à qui il offrait une pomme dans un bal, et qui ne voulait la recevoir qu'avec des vers.
[4] Michelet sans doute avait lu la phrase des mémoires de Tilly (1828). «Un grand Monsieur, maigre, jaune, en habit noir».
De là, l'homme noir.
[5] V. ce portrait à l'appendice.
[6] Il existe à Versailles un autre portrait de Laclos, par Ducreux. Celui dont nous parlons est de Boilly.
[7] Le mot, comme on le sait, date de Louis XIV. L'Encyclopédie le définit ainsi: Petit-maître, nom qu'on a donné à la jeunesse ivre de l'amour de soi-même, avantageuse dans ses propos, affectée dans ses manières et recherchée dans son ajustement. Quelqu'un a défini le petit-maître: un insecte léger qui brille dans sa parure éphémère, papillonne et secoue ses ailes poudrées. Nos petits-maîtres, dit Voltaire, sont l'espèce la plus ridicule qui rampe avec orgueil sur la surface de la terre.
Note sur la transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.