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Au lecteur

Table des chapitres

LA
MANIERE
D’AMOLIR LES OS,
ET
DE FAIRE CUIRE TOUTES
sortes de viandes en fort peu de
temps, & à peu de frais.

Avec une description de la Machine
dont il se faut servir pour cét effet,
ses proprietez & ses usages, confirmez
par plusieurs Experiences.

NOUVELLEMENT INVENTÉ.

Par Mr PAPIN, Docteur en
Medecine.

A PARIS,

Chez ESTIENNE MICHALLET, ruë
Saint Jacques, proche la Fontaine Saint
Severin, à l’image Saint Paul.

M. DC. LXXXII.

Avec Aprobation & Permission.

A
L’ILLUSTRE SOCIETÉ
DE LONDRES.

MESSIEVRS,

Le favorable accüeil que vous faites à tous ceux qui suivant les Statuts & les desseins de vôtre Illustre Societé, travaillent à augmenter les commoditez de la vie, & à perfectionner la Science Naturelle, me fait prendre la liberté de vous offrir ces Experiences; j’avouë qu’il leur manque bien des choses, & qu’elles ne sont pas dignes de paroistre devant une Compagnie aussi éclairée & aussi considerable que la vôtre: Mais comme j’ay tâché de vous imiter, & que je sçay que vous avez assez de bonté pour supporter les defauts de ceux qui cherchent les moyens de penetrer dans la connoissance de la nature, j’espere que vous accorderez à ce petit Traité la protection que je vous demande pour luy, & que vous me ferez, la grace de croire que je suis avec respect & estime,

MESSIEVRS,

Vôtre tres-humble & tres-obeïssant serviteur. ****

PREFACE.

LON a déja veu quelques experiences du Bain Marie fermé à vis, imprimées dans le livre de l’Illustre Monsieur Boyle des experiences Physicomechaniques, qui a paru l’an 1680. mais, comme ce livre là est Latin, & qu’il ne donne ny la description de nôtre Machine, ny la maniere de s’en servir seurement, j’ay creu qu’il seroit à propos d’en faire un petit Traité à part pour l’usage des Peres de famille, & des artisans qui pourront en avoir besoin, & s’en servir avec une utilité merveilleuse.

Davantage êtant tres-persuadé que cét écrit tombera entre les mains de plusieurs personnes qui ne liront jamais l’histoire de la Societe Royale de Londres, ny l’admirable Traité de Monsieur Boyle, touchant l’utilité de la Philosophie Experimentale; Je croy avoir trouvé une occasion tres-favorable pour détromper ceux qui croyent que c’est perdre son temps que de travailler à faire de nouvelles découvertes, & que tout est déja trouvé. Pour refuter cette erreur je ne veux point sortir de mon sujet, & même entre plusieurs Argumens qu’il me fournit, il me suffira d’en mettre un seul en usage; Je diray donc simplement que l’art de cuire les viandes est si ancien, que son usage est si universel & si ordinaire, & que la pluspart des nations de la terre ont travaillé avec tant de soin, & si long-temps pour y rafiner, qu’il semble que s’il y en avoit quelqu’un au monde qui pust être porté au plus haut degré de perfection, ce devroit être celuy-cy. Cependant on ne pourra nier qu’il ne reçoive à present une augmentation considerable, puis que par le moyen de la Machine dont il s’agit icy, la Vache la plus vieille & la plus dure se peut rendre aussi tendre & d’aussi bon goust que la viande la mieux choisie; je dis de plus que la chose n’êtoit pas difficile à trouver: car on sçait que les corps les plus compactes êtant échauffez brûlent plus fort que ceux qui sont d’une consistence plus rare; que le fer rouge, par exemple, brûle plus fort que les charbons, il n’y avoit donc pas lieu de douter, que si on chauffoit de l’eau assez pour la faire boüillir, & que pourtant on l’empeschât de se rarefier, comme elle fait en boüillant, cette eau ainsi pressée feroit bien plus d’effet que quand elle a la liberté de se dilater; Aussi-tôt que cette pensée me fut entrée dans l’esprit, en faisant pour Mr Boyle des experiences de compression, je crus la chose si assurée, que je ne la balançay point à en faire des experiences, cependant, quoy que cela fust si facile, personne que je sçache, n’y a pensé jusqu’à cette heure; Nôtre Siecle a produit bien des hommes qui ont fait & font encore tous les jours des choses incomparablement plus difficiles: mais il paroît clairement qu’une seule personne ne peut pas tout découvrir; Il faut donc demeurer d’accord qu’on peut toûjours faire de nouvelles découvertes, & qu’il y a dequoy occuper les esprits mediocres aussi bien que les plus grands; Tous ceux qui ont de l’inclination à l’étude de la nature, ne doivent point faire de difficulté de s’y appliquer, puis qu’ils ont lieu d’esperer que leurs peines seront recompensées par la gloire de ce plaisir qu’ils auront d’avoir trouvé quelque chose d’utile au public qui passera jusques à la posterité.

TABLE
DES CHAPITRES.

Chapitre I. DEscription de la Machine, avec les moyens de s’en servir seurement. page 1.
Chap. II. Experiences pour les Cuisiniers. pag. 23.
Chap. III. Experiences pour les voyages de Mer. pag. 64.
Chap. IV. Experiences pour les Confisseurs. pag. 94.
Chap. V. Experiences pour faire des Boissons. pag. 105.
Chap. VI. Experiences pour les Chymistes. pag. 109.
Chap. VII. Experiences pour les Tinturiers. pag. 137.
Chap. VIII. Experiences sur les Corps les plus durs, comme l’yvoire, l’écaille de tortuë, & l’Ambre,&c. pag. 148.
Chap. IX. Calcul du prix à quoy de bonnes & grandes Machines pourroient revenir, & du profit qu’elles pourroient apporter. pag. 153.

Approbation des Docteurs en Medecine.

VEu le Raport de Messieurs Rainssant & Leger qui ont leu & examiné le Traité de la maniere d’amolir les Os, la Faculté consent qu’il soit imprimé.

A Paris ce 6. Juillet 1681.

Lienard Doyen de la Faculté de Médecine de Paris.

VEu l’Aprobation, permis d’imprimer. Fait ce 8. Juillet 1681.

DE LA REYNIE.

1

TRAITÉ
TRES-CURIEUX
ET UTILE
POUR AMOLIR LES OS.

Chapitre Premier.

DESCRIPTION DE LA MACHINE, AVEC LES MOYENS DE S’EN SERVIR SEUREMENT.

Figure premiere.
AA.BB.

EST un Cylindre creux fermé par en bas, & ouvert par en haut.

Est un autre Cylindre creux de mesme grosseur, mais plus court que le precedent, & il luy sert de 2 couvercle en appliquant leurs deux ouvertures l’une sur l’autre, comme on void dans la figure.

CC.

Sont deux Appendices qui tiennent au Cylindre AA, comme les tourillons à un canon.

DDDD.

Sont des pieces de fer, qui embrassent d’un côté les Appendices CC, & de l’autre les barres de fer EE.

EE.

Est une barre de fer qui entre dans les pieces DD, & qui se peut ôter & remettre facilement, quand on veut ouvrir & fermer la Machine.

FFFF.

Sont deux vis qui tournans dans des écrous de la barre EE servent à presser les Cylindres AABB, l’un contre l’autre.

Fig. 2. GG.

Est un autre Cylindre creux de verre ou autre matiere, dans quoy l’on met les choses à cuire, & l’ayant bouché avec un couvercle 3 juste & affermy dans un chassis par le moyen d’une vis comme la figure represente, on l’enferme dans les Cylindres AABB, qui doivent être pleins d’eau

Pour se servir bien commodément de cette Machine, elle doit être posée sur un fourneau fait exprés, & elle y doit enfoncer jusques aux appendix CC, le feu êtant en suitte allumé dessous & les vis FF bien serrées, vous ferez cuire vos viandes si long-temps qu’il vous plaira, sans crainte qu’elles diminuent, ou que les esprits s’exhalent.

Il faut remarquer, que je donne la Figure longue & êtroite à cette Machine, afin qu’il ne soit pas besoin d’une si grande force pour la tenir fermée, car on sçait que plus une couverture est large, 4 plus il faut de force pour empêcher que la pression du dedans ne souleve le couvercle.

Il faut remarquer aussi que je donne de la profondeur au couvercle BB afin qu’êtant remply d’eau, il conserve toûjours de l’humidité à un cercle de papier percé au milieu, dont on doit garnir la jonction des Cylindres marquée II; car les deux Cylindres ne sçauroient s’uzer assez exactement l’un sur l’autre pour empescher des liqueurs pressées de s’échapper si on ne met du papier entre les deux Cylindres, & le papier aussi quand il est sec ne ferme pas exactement l’un sur l’autre; Cependant la profondeur du couvercle BB doit être fort petite, afin que la Machine enfonçant presques dans le fourneau en puisse mieux recevoir 5 & conserver la chaleur.

Cette Machine est sans doute fort simple, & peu sujette à se gâter: Mais elle est incommode en ce qu’on ne regarde pas dedans si aysément que dans le pot ordinaire, & comme elle fait plus ou moins d’effet selon que l’eau qui y est se trouve plus ou moins pressée, & aussi selon que la chaleur est plus ou moins grande, il pourroit arriver quelquesfois que vous tireriez vos viandes avant qu’elles fussent cuites, & d’autres fois que vous les laisserez brûler, ainsi il a fallu chercher des moyens pour connoistre, & la quantité de pression qui est dans la Machine, & le degré de chaleur.

6

POVR CONNOISTRE LA QUANTITÉ DE PRESSION.

IL n’y a qu’à faire un petit tuyau ouvert des deux bouts comme HH, & l’ayant soudé sur un trou fait au couvercle BB, il faut appliquer sur l’ouverture d’en haut de ce tuyau une petite soupape P, bien exacte, & garnie de papier, & en suite avoir la verge de fer LM dont un bout entre dans la piece de fer LZ qui est attachée à la barre EE, & s’appuyant en suitte sur le milieu de la soupape P empesche qu’elle ne soit soulevée par la pression interieure, & elle l’empesche plus ou moins selon que le poids N est plus ou moins 7 avancé vers l’extremité M, comme dans les Romaines ordinaires.

Crainte que la soupape P. ne demeurât à sec si-tost qu’il se seroit perdu un peu d’eau. Je prend un petit tuyau OO garny de chanvre, & je l’enfonce dans le tuyau HH, en sorte qu’une de ses extremitez entre assez avant dans l’eau dont la Machine est remplie. Ainsi il arrive que si elle se vuide un peu, la pression interieure pousse pourtant toûjours de l’eau contre la soupape P, par ledit tuyau OO, ce qui la rend plus exacte, & aide aussi à connoistre incontinent quand elle laisse échapper quelque chose.

Le tuyau HH doit avoir peu de Diametre, afin qu’il ne soit pas besoin d’un fort grand poids 8 pour le tenir fermé dans la Machine ou Bain Marie, dont je me suis le plus servy; ce tuyau a prés de 2/5 de pouce de Diametre, si bien que son ouverture est à une ouverture d’un pouce de Diametre comme 4. & 25. êtant donc environ six fois plus petite, elle se peut fermer avec six fois moins de poids: Or selon les experiences de Monsieur Boyle, dans la premiere continuation des experiences Physicomechaniques, la pression ordinaire de l’air contre un trou d’un pouce de Diametre est d’environ 12. livres, & par consequent il est d’environ 2. livres contre l’ouverture de mon petit tuyau; la verge LM dans la mesme Machine est de douze pouces de long, & la distance depuis LL jusques à la soupape est d’un 9 pouce; De sorte qu’ayant un poids d’une livre à l’extremité M il fait autant d’effet sur la soupape comme un poids de douze livres qui seroit directement dessus; & ainsi il ne peut être soulevé si la pression dans le Bain Marie n’est six fois plus forte que la pression ordinaire de l’air. Ainsi quand un poids d’une livre est à l’extremité M, & que la soupape P laisse échapper quelque chose; Je conclus que la pression dans le Bain Marie est environ huit fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, puis qu’elle peut soulever, non seulement le poids qui resiste à six pressions, mais aussi la verge LM que j’ay éprouvé qui resiste à deux; & ainsi en augmentant ou diminuant le poids ou en le changeant 10 de place, je connois toûjours à peu prés combien la pression est forte dans la Machine.

Ce mesme tuyau HH sert aussi à remplir le Bain Marie aprés que les vis FF sont serrées & en suite j’y fais entrer le tuyau OO, qui le remplit juste pour la raison que j’ay dite cy-dessus.

11

POVR CONNOISTRE LE DEGRÉ DE CHALEUR.

JAurois fort souhaité pouvoir faire une sorte de Thermometre marqué comme il faut pour faire connoistre precisément de combien la chaleur s’augmente ou se diminuë, & je croy que par ce moyen en comparant les degrez de chaleur avec la quantité de l’effet qu’ils produiroient, on pourroit découvrir diverses choses sur la nature, & de la chaleur, & des choses surquoy elle agiroit, mais manquant de loisir & des commoditez necessaires pour ce dessein, je me suis au lieu de cela servi d’un moyen fort simple, & pourtant assez exact pour 12 les usages dont je parle dans ce Traité; Je suspens proche de la Machine un poids à un fil d’environ trois pieds de long, afin que chaque vibration ou mouvement se fasse dans le temps d’une seconde ou environ; je mets ce pendule en mouvement, & je laisse tomber une goutte d’eau sur le couvercle de la Machine, afin d’observer en combien de temps cette goutte d’eau s’évaporera: car je suis assuré que plus la Machine est chaude, & moins le poids suspendu fait de tours & retours avant que la goutte soit évaporée, il faut pourtant prendre garde, que le lieu où l’on met la goutte d’eau soit toûjours bien net, parce que un peu de graisse est capable d’empescher considerablement l’operation.

13

Ayant ainsi moyen de mesurer les differends degrez de chaleur & de pression qui sont dans la Machine, il est bien aisé de se regler pour ne faire que l’effet qu’on veut, pourveu qu’on ait une fois éprouvé avec quelle force la Machine agit: car on n’aura qu’à prendre environ la quantité de charbon, que l’experience aura fait connoistre la plus propre; la mettre dans le fourneau sous le Bain Marie; laisser les portes & les registres du fourneau ouverts, jusques à ce que la chaleur soit parvenuë au point que vous voulez. En suite vous n’aurez qu’à fermer les portes & les registres pour étouffer le feu, & laisser refroidir les vaisseaux, il faut aussi avoir chargé la verge de fer LM autant qu’il est necessaire pour 14 faire la pression qu’on veut, & on sera asseuré, qu’en gardant ainsi toûjours la mesme regle, l’effet se trouvera toûjours à peu prés pareil; du moins puis-je asseurer que j’ay manqué fort souvent tandis que j’agissois au hazard, mais depuis que j’ay ainsi trouvé moyen de me regler, j’ay toûjours fait mes operations fort bonnes, à moins de quelque malheur; Il faut pourtant remarquer, que si on ne mettoit dans la marmitte GG que peu de viande en comparaison de ce qu’elle peut contenir, elle ne pourroit y faire autant de pression qu’il y en auroit dans le Bain Marie, (en effet) j’ay quelquesfois veu des marmittes cassées par l’eau du bain marie qui les environnoit, & qui les pressoit plus fort qu’elles ne pouvoient soûtenir, & 15 ainsi le poids qui seroit sur la verge LM ne nous pourroit faire connoistre la pression qui seroit dans la marmitte, il vaudra donc toûjours mieux mettre un peu trop que pas assez de viande; ou bien si on veut faire tout exactement & ne rien perdre, il faut suivre les directions que je donne au Chap. 2. Exper. 12.

Comme il seroit difficile de se servir sur la mer de l’invention que j’ay décrite pour connoistre le degré de pression, à cause que le branle du vaisseau feroit remuer les poids & ouvriroit la soupape P, il faut au lieu de cela laisser vôtre bain marie assez vuide, afin que la chaleur que vous avez dessein de donner fasse tout juste la pression que vous voulez. Par exemple, si vous voulez faire dix pressions, & que la chaleur 16 soit assez grande pour faire évaporer la goutte d’eau en cinq secondes, il faudra ne mettre dans le bain marie que 7/8 de l’eau qu’il peut contenir, & prendre garde de ne pousser la chaleur que jusqu’où je viens de dire, & vous serez asseuré, qu’il n’y aura eu dans le bain marie qu’environ dix pressions, comme vous pouvez voir Chap. 2. Exper. 16. On pourra par ce moyen se passer de la verge de fer, & des points, & serrer simplement la petite soupape P avec une vis, ce qui sera facile en faisant faire le petit tuyau HH de fonte avec de petits appendices, comme le Cylindre AR. seulement, il ne sera pas necessaire de faire icy les choses fortes à cause de la petitesse de l’ouverture.

Il ne sera pas besoin de sçavoir 17 precisément toutes les differentes quantitez d’eau qui seront necessaires pour faire tous les differens degrez de pression, avec tous les differens degrez de chaleur, mais il suffira pour l’usage ordinaire d’avoir toûjours une mesme quantité d’eau dans le bain marie, & trouver par experience quel degré de chaleur est necessaire pour chaque operation, avec cette quantité d’eau.

J’aurois souhaitté de pouvoir faire les choses aussi bien comme elles sont icy décrites: j’aurois ainsi pû déterminer la quantité de charbon ou de bois qu’il faut employer pour chaque operation, mais dans l’incertitude de mes affaires je n’ay point voulu bâtir de fourneaux, & je me suis toûjours contenté d’appuyer mes machines contre un coin de 18 la cheminée, & de mettre le feu dans ce mesme coin entre la cheminée & la Machine.

Il y a donc bien de l’apparence que la chaleur n’est pas si bien ménagée comme elle le pourra estre dans un bon fourneau, & cependant je ne laisseray pas de donner icy le recit de diverses choses que j’ay déja faites avec cette Machine, parce que cela pourra toûjours beaucoup aider à trouver bien-tost la quantité de feu propre pour les autres Machines que l’on fera; & je croy aussi que la proportion d’une operation à l’autre se trouvera la mesme; J’ay trouvé par exemple qu’il falloit 2/7 moins de charbon pour cuire le mouton que pour cuire le bœuf; ainsi quand on aura trouvé par experience, la quantité de charbon 19 necessaire pour cuire le bœuf dans une Machine, on n’aura qu’à prendre 2/7 moins de charbon pour cuire du mouton dans la mesme machine, & ainsi des autres operations.

Mais avant que de commencer le recit des Experiences, je croy qu’il ne sera pas mal à propos de dire encore icy, qu’aprés avoir fait le premier bain Marie fermé à vis, je voulus en faire un autre fermé sans vis par le moyen d’une grande soupape ovalle qui s’applique en dedans, qui peut pourtant s’ôter tout à fait à cause de sa figure, ovalle comme il a esté dit pour le fusil à vent dans la 2. continuation des experiences Physico-mechaniques de monsieur Boyle publié cette année 1680. Ce bain Marie a six pouces de diametre, & 20 18. pouces de haut, de sorte qu’on peut y faire entrer une marmitte de 4. pouces de diametre, & 14. de hauteur, qui tient neuf ou dix livres de viande, mais la grande soupape ayant esté fonduë trop foible pour bien garder sa figure, le papier ne suffit pas pour la rendre juste, & il faut toûjours y mettre du cuir, mais comme le cuir se cuit dans l’eau si chaude, il arrive qu’êtant reduit en boüillie la pression du dedans le chasse, & ainsi l’eau s’échappe; Il m’est pourtant arrivé quelques fois, que quand le cuir étoit bon & bien fort, j’ay cuit les plus gros os d’une jambe de bœuf sans brûler la viande, mais d’autres fois aussi il m’est arrivé que le cuir manquant trop tost, la viande se brûloit sans que les os se puissent cuire, cela fait 21 que je me sers rarement de cette Machine, cependant si on la faisoit avec une soupape assez bonne pour la pouvoir garnir de papier, cette derniere maniere vaudroit peut-être bien l’autre; la raison est que les ressorts du fer se lassent, & ainsi on est assujetty à resserrer les vis de temps en temps, mais dans cette derniere Machine, on seroit asseuré que plus la pression seroit forte au dedans, tant plus fort la soupape seroit fermée, neanmoins jusques à ce que les ouvriers soient mieux instruits à faire de ces sortes de soupapes, je conseilleray toûjours plûtost de fermer le Bain Marie à vis.

Je croy que cecy suffit pour la description de la Machine, & la maniere de s’en servir, je vais donner à present les experiences 22 qui en feront connoître divers usages & proprietez. Mais parce que quelques-unes des Experiences donnoient lieu à des observations de Physique, j’ay creu ne faire pas mal de les y joindre, quoy qu’elles n’ayent peut être pas autant de rapport qu’on pourroit le soûhaitter avec le sujet dont il s’agit: mais j’ay pris le soin de les distinguer par des caracteres differends, afin que ceux qui ne s’en soucient pas puissent sauter par dessus.

23

Chapitre II.

EXPERIENCES POVR LES CUISINIERS.

EXPERIENCE PREMIERE.

LE second Juin ayant remply ma marmitte d’une poitrine de mouton & pesé huit onces de charbon j’allumay le feu; la chaleur parvint jusques à faire exhaller en 3. secondes de temps, la goutte d’eau que je mettois sur le couvercle, & la pression en dedans êtoit environ 9. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air: Je laissay éteindre le feu de luy mesme, & les vaisseaux estans froidis je trouvay 24 que le charbon qui restoit pesoit environ 1/2 once; si bien qu’il n’y avoit eu en tout que 6 1/2 onces de charbon consumées. Cependant la viande êtant tirée se trouva avoir du goût d’empyreume, & le suc ne fit pas une gelée si forte de beaucoup que quand la viande n’est pas trop cuite.

EXPERIENCE II.

LE quatriéme Juin je reïteray la mesme Experience, & je ne pris que 6 1/2 onces de charbon, mais je poussay la chaleur en soufflant; En sorte qu’une goutte d’eau s’exhalloit en moins de deux secondes, & il ne resta pas tout à fait une demie once de charbon qui ne fust consumée; la pression êtoit un peu plus 25 grande, que dans l’experience precedente; Je laissé encore êteindre le feu de luy-mesme, comme l’autre fois; cependant quoy que la quantité de charbon eût cette fois esté moindre la viande se trouva plus brûlée que l’autre à cause, comme je croy, que le feu avoit esté poussé tout vivement.

EXERCICE III.

LE sixiéme Juin, je reïteray la mesme Experience, & je ne mis que cinq onces de charbon, & je ne poussay le feu que jusques à faire exhaler la goutte d’eau en quatre secondes, la pression interieure comme auparavant, & alors le mouton se trouva fort bien cuit & les os mols, & le suc vint en une forte gelée. 26 De sorte que depuis ce temps-là ayant eu diverses fois du mouton à faire cuire, j’ay toûjours gardé cette mesme regle, & je n’ay jamais manqué à avoir mon mouton dans ce mesme êtat que je croy être le meilleur, parce que si la cuisson êtoit moindre, les os ne seroient pas bons, & si la cuisson êtoit plus grande, la gelée estant moins forte, seroit aussi moins nourrissante; Je ne pretends pourtant pas dire, que la perfection en cette rencontre n’ait point d’étenduë, & je croy qu’on pourroit cuire le mouton considerablement davantage sans que pour cela il fût gâté, mais j’aime toûjours mieux manquer dans le deffaut, que dans l’excez parce que si on le fait trop cuire, il n’y a plus de remede; au lieu que si quelque morceau d’os se 27 trouve n’être pas assez cuit, il est facile de le remettre avec une autre potée!

EXPERIENCE IV.

LE deuxiéme Juin je fis l’experience avec de la poitrine de bœuf, & je pris 7. onces de charbon; je poussay le feu jusques à faire exhaler la goute d’eau en trois secondes, & la pression du dedans êtoit environ neuf fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, le charbon qui resta sans être consumé pezoit environ 3/4 d’onces, & le bœuf se trouva fort bien cuit, il y avoit pourtant quelques endroits des os qui n’êtoient pas tout à fait bien cuits, je ne conseillerois pourtant pas de donner plus de feu que cela 28 au bœuf, parce qu’il est toûjours bien aisé de recuire les os, j’ay mesme bien des fois mieux aimé ne faire cuire la viande qu’autant qu’il est necessaire pour la separer facilement des os, parce qu’en suite on peut faire cuire les os à part sans aucun danger, comme on le pourra voir par les experiences qui suivent.

EXPERIENCE V.

LE douziéme Juin je mis cuire du bœuf & du mouton ensemble, & je n’y employay que 3. onces de charbon, je poussay le feu assez vivement, & pourtant je ne pus faire que trois pressions au plus dans le bain Marie, & la chaleur ne parvint qu’à faire exhaler la goutte d’eau en 90. secondes; 29 les vaisseaux etans presque refroidis, je trouvay le mouton assez cuit au gré de bien des gens, mais pour le bœuf asseurement tout le monde l’auroit trouvé trop dur; le suc qui en sortit ne tourna point en gelée, quoy que je n’y eusse point mêlé d’eau.

Je croy que le peu de pression & de chaleur en ce rencontre ne vint pas tant de manque de charbon que de ce que le bain Marie n’estoit pas bien ajusté, car j’ay remarqué depuis que tant plus il est fermé, & tant plus il requiert de chaleur, avec mesme quantité de charbon.

Le 13. Juin je reïteray la mesme experience, & je mis dans la marmitte une partie de viande cruë, & une partie de viande cuite, le jour precedent je ne 30 pris que 4. onces de charbon, & ayant poussé le feu le plus vivement qu’il me fût possible, je ne pus faire la pression dans le bain Marie qu’environ cinq fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; la chaleur aussi ne parvint qu’à faire exhaler la goute d’eau en 40. secondes, le charbon qui resta sans être consumé ne pesoit que 2. drachmes, & la viande se trouva parfaitement cuitte & tendre, mais tous les os n’êtoient en aucune façon amollis, quoy que ceux qui avoient déja esté cuits le jour precedent eussent esté exposez au feu de 7. onces de charbon, 3. le premier jour, & quatre le second jour.

Le 15. Juin je reïteray la mesme experience, en mettant dans la marmite une partie de la viande 31 qui avoit déja esté cuitte deux fois, & aussi de la viande cruë, j’y employay 5. onces de charbon, mais je poussay le feu si lentement que la chaleur ne fut point assez grande pour faire exhaler la goutte d’eau en moins de deux minutes ou 120. secondes; aprés que le feu fût êteint, je trouvay que ma viande estoit bien cuite, & que celle qui avoit esté exposée au feu de 12. onces de charbon êtoit encore fort bonne sans empyreume, & les os point amollis; ainsi je trouvay qu’il estoit bien facile de cuire la viande sans les os, puis qu’on pouvoit la laisser au feu trois fois aussi long-temps qu’il estoit necessaire, sans que pourtant elle commmençast à se brûler.

32

EXPERIENCE VI.

JE fis en suite la mesme experience sur les os, & le 16. Juin je pris les os de cette viande qui avoit ainsi esté cuitte trois fois plus long-temps qu’il n’estoit necessaire, & les ayans mis dans une marmitte de verre avec de la graisse de mouton cuitte, & toute pure, je les enfermay dans le bain Marie; & ayant poussé la chaleur jusqu’à faire exhaler la goute d’eau en 4. secondes, & la pression neuf fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, j’esteignis bien-tost le feu, & les os se trouverent cuits.

Je remis une seconde fois ces mesmes os dans la mesme marmitte de verre avec la mesme graisse, & j’y ajoûtay un nouveau 33 morceau d’os, qui n’avoit jamais esté cuit, & y ayant donné le feu comme auparavant, je trouvay que le nouveau morceau d’os estoit bien cuit, & le reste point gâté.

Le 17. Juin je remis encore les mesmes os, dans la mesme marmitte avec la mesme graisse, & encore un autre morceau d’os qui n’avoit point esté cuit; & ayant donné le feu comme auparavant, je trouvay encore mon nouveau morceau d’os fort bien cuit, & le reste point gâté.

Je reïteray encore la mesme experience avec les mesmes os & la mesme graisse, mais cette derniere fois je donnay le feu, & plus fort & plus long temps; & il arriva que les premiers os étoient presques tout en poussiere, & sentoient le brûlé; qui ne 34 paroissoit pourtant pas si desagreable que celuy de la viande l’est d’ordinaire: pour ce qui est de la graisse, elle n’avoit pas un fort bon goust, elle estoit seulement plus molle que d’autre graisse qui n’avoit esté cuite qu’une fois; je ne sçay pas si à force de la faire cuire on pourroit luy faire changer de nature: mais ie croy qu’il y faudroit plus de temps que ie n’y en pouvois donner.

Les trois premieres cuissons rapportées dans cette experience me firent voir que les os aussi bien que la viande se peuvent cuire trois fois aussi long-temps qu’il est necessaire sans danger de se brûler, & ainsi il est clair qu’en les faisant ainsi cuire separément les personnes les moins capables d’exactitude pourront en venir à bout.

35

PROPRIETEZ.

IE ne veux pas passer plus loin sans faire remarquer, que dans la 5. experience des os qui avoient esté exposez au feu de 12. onces de charbon ne paroissoient point amollis, quoy que 5. onces de charbon puissent suffire pour cét effet; cela fait voir que ce ne seroit rien de peser le charbon à moins de prendre garde en mesme temps de quelle maniere on pousse le feu: car on seroit toûjours en danger d’avoir la viande ou trop, ou pas assez cuite, & on peut compter cecy pour une proprieté de cette Machine, que plus on donne le feu à coup, plus il fait d’effet, avec la mesme quantité de charbon.

Cette experience me donna 36 envie d’en faire voir un autre, afin de faire voir manifestement que la pression interne avance beaucoup en cuisson. Je pris donc deux petits vaisseaux tout à fait pareils bien fermez à vis; mais dont l’un estoit exactement soudé par tout, & l’autre avoit un petit trou au couvercle pour laisser échapper les vapeurs; les ayant tous deux mis ensemble sur un mesme Bain de sable, apres les avoir remplis de viande & d’eau de la mesme maniere, Je les laissay à mesme chaleur pendant trois quarts d’heure, & les ayant ôtez tous deux ensemble, je trouvay que la viande qui avoit esté exactement fermée estoit plûtôt trop, que pas assez cuite, au lieu que l’autre êtoit de beaucoup trop cruë; On peut donc encore compter cecy par une des 37 proprietez de cette Machine, que, plus la pression interieure est grande, & plus les choses s’y cuisent, dans le même temps & avec la même chaleur.

EXPERIENCE VII.

AYant trouvé de la difference entre la chair de bœuf & celle de mouton, l’une êtant plus facile à cuire que l’autre; Je voulus voir s’il y en auroit aussi entre les chairs de mesme espece, mais de differends âges; Pour ce dessein le 4. de Juillet ie pris de l’agneau, & en mis dans deux verres, dans l’un desquels ie mis de l’eau, & comme il ne m’avoit fallu que 5. onces de charbon pour cuire le mouton, ie n’en pris que quatre 1/2 pour l’agneau, croyant qu’il devoit 38 être plus tendre, ie poussay le feu le plus vivement que ie pus, & ie ne pus faire que la goute d’eau s’évaporast en moins de 11. ou douze secondes, la pression interieure êtoit huit fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; J’attribuë ce peu de chaleur en partie à ce que mon charbon avoit esté déia la plûpart allumé & êteint, le feu s’êtant êteint peu à peu; Je trouvay qu’il ne restoit qu’une drachme de charbon qui n’eust pas esté consumée dans le verre sans eau les os n’estoient point amollis, sinon quelque petites extremitez: mais dans le verre avec de l’eau ils êtoient tout à fait mols, aussi il s’en falloit beaucoup que la viande n’y fust d’un goût si relevé que dans l’autre verre.

39

Cette experience me fit iuger 1o. Qu’il ne faudroit gueres moins de feu pour les os des animaux jeunes, que pour les vieux. 2o. Que l’eau est un dissolvant propre pour ramolir les os, mais qu’elle oste du goût.

EXPERIENCE VIII.

Proprieté.

AFin de iuger à peu prés de la difference de cuisson qui arrive quand on laisse êteindre le feu peu à peu, ou quand on l’ôte tout, si tost que la chaleur est parvenuë au point où on la veut.

Le 5. Juillet i’emplis encore mes deux marmittes de verre avec de l’agneau comme auparavant, & ayant mis bien du charbon, ie poussay la chaleur iusques à faire exhaler la goute 40 d’eau en trois secondes, & incontinent j’ostay tout le feu; je trouvay que les os dans la marmitte sans eau estoient un peu plus cuits que dans l’experience precedente. & dans la marmitte avec de l’eau, ils estoient tout à fait mols, & la chair point brûlée; ainsi je trouve que c’est à peu prés la mesme chose de pousser le feu de 4 1/2 onces de charbon jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 10 secondes, & en suitte laisser éteindre le feu peu à peu; ou bien de pousser le feu de 6. ou 7. onces de charbon jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, & en suite oster le feu tout à coup; Il n’y auroit donc qu’à observer cette mesme proportion dans les autres generations; Par exemple, si j’avois à faire une operation à quoy il fallut une quantité 41 de charbon qui fit exhaler la goutte d’eau en 20. secondes, & laisser éteindre le feu peu à peu, & que je voulusse gagner du temps; je mettrois un bon feu, afin que la chaleur vint jusques à faire exhaler la goutte d’eau en six secondes, & en suite j’esteindrois le feu incontinent, & ainsi des autres gardant la proportion de 10. à 3. j’avouë pourtant que cette regle n’est pas démontrée: mais aussi la chose ne requiert pas une exactitude Mathematique, quand je ne dis rien de la pression interieure comme dans cette regle il faut entendre quelle doit tousiours estre égalle.

EXPERIENCE IX.

LE onziéme Juillet je pris un lapin, & l’ayant mis 42 dans deux marmittes de verre, dont l’une estoit avec de l’eau, & l’autre estoit sans eau, j’y fis le feu de cinq onces de charbon, & ayant poussé la chaleur jusques à faire exhaler une goutte d’eau en 4. secondes, je laissay éteindre le feu peu à peu, mes vaisseaux estans refroidis, je trouvay que les os du lapin estoient bien cuits dans le verre où estoit l’eau, mais dans l’autre ils ne l’estoient point du tout, cependant la chair ayant esté assaisonnée avec du sel, du poivre & du lard, êtoit aussi bonne qu’un pâté sçauroit être, mais dans le verre où êtoit l’eau elle l’êtoit beaucoup moins.

Cette experience me fit voir que les os de lapin sont plus durs à cuire que ceux de mouton, & elle me confirma que l’eau ayde beaucoup la cuisson des os.

43

EXPERIENCE X.

Proprieté.

IE pris un autre lapin, & l’ayant enfermé comme le precedent, je fis le feu de 4 1/2 onces de charbon; mais le papier qui sert à rendre le couvercle juste ayant esté gâté la machine ne souffrit pas plus d’une pression en dedans à cause que l’eau s’échappoit; cela fut cause aussi que la chaleur ne pût se bien communiquer au couvercle; car quoy que dans cette experience la quantité de charbon fut plus grande, la goutte d’eau que ie mettois sur le couvercle êtoit 20. fois plus long temps à s’exhaler que dans l’experience precedente, si bien que l’on peut encore compter cecy 44 entre les proprietez de cette Machine, que plus la pression interieure est grande, moins il faut de charbon pour donner un certain degré de chaleur, le lapin êtoit bien cuit, mais les os ne l’êtoient point du tout, pas mesmes dans le verre, où il y avoit de l’eau, sinon quelques-uns qui avoient déja esté au feu le jour précedent, & que i’avois remis pour s’achever de cuire.

Cette experience me fit voir que les os cuits, quoy qu’ils ne paroissent aucunement amollis, ont pourtant acquis une grande disposition à cela qui ne nous est pas sensible.

EXPERIENCE XI.

LE 13. Juillet je pris un vieux lapin mâle & domestique, 45 qui d’ordinaire est un pitoyable manger, je l’assaisonnay & le mis dans deux marmittes de verre, j’y fis le feu de 6. onces de charbon, je poussay la chaleur jusques à faire exhaler la goutte d’eau en moins de 4. secondes; la pression interieure êtoit environ six fois plus forte, que la pression ordinaire de l’air, je laissay éteindre le feu peu à peu, & je trouvay mon lapin fort bien cuit avec les os mols, & il avoit aussi bon goust que les jeunes lapins l’ont d’ordinaire, & son suc se tourna en bonne gelée.

EXPERIENCE XII.

Proprietez.

LE 18. Aoust je mis des pigeonneaux dans deux petites 46 marmittes de verre, & je les pesay toutes deux separement avant que de les enfermer dans leurs chassis, je poussay le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 5. secondes, & la pression interieure 10. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; mes vaisseaux êtans refroidis, je trouvay que les deux couvercles êtoient pressez assez fortement contre leurs marmittes, ce qui faisoit voir qu’il y avoit de la rarefaction en dedans, & qu’il en estoit sorty quelque chose, en suite les ayant seichées je les pesay separement, comme avant qu’elles fussent cuites, & je trouvay que l’une (dans laquelle j’avois mis par poids 1/8 moins de viande, que l’eau qu’elle peut contenir) estoit exactement du mesme poids qu’auparavant, & les os en 47 étoient fort tendres, & le suc bien congelé sans empyreume.

L’autre marmitte (dans laquelle j’avois mis plus pesant de viande qu’elle ne pouvoit tenir d’eau) avoit augmenté ce poids & le suc n’en estoit pas si bien gelé; il y a apparence que la grande quantité de viande dans cette marmitte, en se rarefiant avec trop de force avoit soûlevé le couvercle; en sorte qu’un peu d’eau du Bain Marie avoit pû s’y insinuer & ainsi avoit augmenté le poids & deleyé la gelée, au lieu que dans l’autre la rarefaction de la viande n’avoit pû faire autre chose que chasser un peu de l’air qui estoit au dessus sans soûlever presque le couvercle.

Cette experience me fit juger qu’on peut compter entre les proprietez de cette Machine, 48 que, en cuisant des pigeonneaux avec une chaleur qui fasse exhaler la goutte d’eau en 5. secondes, & la pression 10. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, il faut que le poids de la viande dans la marmitte soit 7/8 du poids de l’eau que la marmitte peut contenir. Par exemple 7. livres de viande dans une marmitte qui peut tenir 8. livres d’eau: car par ce moyen on fait la pression dans la marmitte, aussi forte que dans le Bain Marie, & pourtant on ne perd rien.

On peut voir Experience XVI. que l’eau êtant prise dans le même poids, feroit aussi le même effet, & ainsi cela pourroit faire croire qu’il en seroit à peu prés de mesme dans les autres corps pris en même poids, & que ceux qui laisseroient davantage de vuide à cause de leur gravité 49 specifique auroient aussi plus de force à proportion pour se dilater; mais ce seroit une grande méprise; car i’ay éprouvé au Chapitre sixiéme Experience 2. que l’esprit de vin qui a moins de gravité specifique, que le vinaigre, a pourtant bien plus de force pour se dilater beaucoup par la chaleur; Il faudra donc (si l’on veut estre exact à ne rien perdre, & à faire la juste pression dans la marmitte) trouver par experience la force & l’étenduë de la rarefaction des autres corps comme ie l’ay trouvée icy des pigeons, & emplir la marmite suivant ce qu’on aura trouvé.

J’avois mis en même-temps dans une autre Machine des mêmes pigeons à cuire; ie poussay la chaleur iusques à faire exhaler 50 la goute d’eau en 3. secondes, mais la pression n’y étoit que 5. fois plus grande que la pression ordinaire de l’air; mes vaisseaux estans refroidis je trouvay que les os n’estoient pas tout à fait si mols, que dans l’autre Machine, quoy qu’ils eussent eu la chaleur plus forte; ils estoient pourtant mangeables presque tous.

Cette experience me fit croire qu’on peut compter entre les proprietez de cette Machine, que c’est presque la mesme chose de faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, avec 5. pressions ou de la faire exhaler en 5. secondes avec dix pressions. On pourroit ainsi trouver par experience, pour toute autre rencontre, que la quantité de pression, peut tenir lieu d’une certaine quantité de chaleur; & si l’on avoit un Thermometre 51 exact, comme j’ay dit au Chap. 2. on en tireroit peut-estre de grandes lumieres pour autres choses.

Cette experience fait encore voir, que les Bains Marie bien fermez pour soûtenir de grandes pressions, épargneront extremement le feu: car nous avons veu expos. 10. que plus la pression interieure est grande, & moins il faut de charbon pour luy donner un certain degré de chaleur, & à present nous voyons que ce degré de chaleur acquis avec moins de charbon fait pourtant bien plus d’effet, que quand l’on est obligé d’y employer plus de charbon faute de pression interieure.

52

SUR LE POISSON.

EXPERIENCE XIII.

LE quinziéme Juin j’ay pris un maquereau & l’ay mis dans une marmitte de verre avec des grosselles vertes, j’enfermay la marmitte dans le Bain Marie, & avec 4. onces, deux drachmes de charbon je poussay la chaleur, jusques à faire évaporer la goutte d’eau en 10. secondes, & la pression au dedans étoit 7. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, aprés que le feu fût éteint, peu aprés je trouvay que le charbon qui restoit pesoit prés de 2. drachmes; le poisson estoit parfaitement bien cuit & ferme, quoy que les arrêtes fussent si tendres, qu’on ne 53 les appercevoit pas en les mangeant; avant d’estre cuit, il pesoit 9. onces, & aprés être cuit il n’en pesoit plus que 7. si bien que j’eus environ 2. onces de bon suc qu’il auroit fallu jetter si mon poisson eut esté cuit comme à l’ordinaire; outre qu’il avoit le goust bien plus relevé, les sels volatils ne s’êtans ny eschappez ny dissous dans de l’eau; les groselles aussi n’êtoient point brûlées, mais avoient fort bon goût.

EXPERIENCE XIV.

LE 19. Juin je fis la mesme experience avec un brochet, & ie poussay le feu de la mesme maniere que dans l’experience precedente; & ie trouvay mon poisson encore fort 54 bien cuit, & la chair ferme & les os tendres, quoy que pourtant ils me parussent un peu plus durs que ceux du maquereau; un Gentil-homme qui en goûta me demanda si c’estoit ce que ie mettois pour amollir les os qui donnoit si bon goust à la chair; ce qui me fit croire que ce n’estoit pas la préoccupation qui me faisoit iuger le poisson cuit de cette sorte meilleur que l’autre; le suc se changea en forte gelée; au lieu que celuy du maquereau êtoit tousiours demeuré liquide; je ne sçay pas si cette difference venoit de la chaleur de l’air, ou de la nature du poisson.

EXPERIENCE XV.

LE 20. Juin ie pris une grosse anguille, & l’ayant enfermée 55 à l’ordinaire, i’y fis le feu de 4 1/2 onces de charbon, & ie poussay la chaleur iusques à faire exhaler la goutte d’eau en 6. secondes, & la pression 7. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, ayant laissé éteindre le feu peu à peu, ie trouvay mon anguille fort bien cuite avec la peau, & les os tendres sans empyreume: mais la chair n’avoit pas conservé de fermeté comme celle des autres poissons: le suc aussi ne se gela point, ce que i’attribuë plûtost au trop de cuisson qu’à la nature de ce poisson, dont la peau est sans doute fort propre à faire de la gelée.

Toutes ces experiences me font croire qu’il n’y a pas grande difference entre la chaleur qu’il faut pour cuire differentes sortes de poissons.

56

LEGUMES.

EXERCICE XVI.

LE 2. Juillet ie mis des féves dans une marmitte de verre; les unes estoient cruës, & d’autres avoient déia esté cuites avec de la corne de cerf, ie mis un peu d’eau au fonds de la marmitte pour voir la difference qu’il y auroit entre celles qui auroient esté cuites dans l’eau, & celles qui auroient esté au dessus; Je poussay le feu iusques à faire exhaler la goutte d’eau en 5. secondes, & la pression interieure dix fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, i’ostay incontinent le feu, & les vaisseaux estans refroidis, ie trouvay toutes ces féves extremement molles, & qu’il n’y 57 avoit pas grande difference entre celles qui n’avoient esté cuites qu’une fois, & celles qui l’avoient esté deux fois, mais celles qui étoient au dessus étoient ridées, & avoient le goust plus relevé que celles qui estans au fonds s’étoient enflées d’eau qui leur rabaissoit le goust; les écorces étoient fort molles, excepté une petite pelliculle qui étoit plus dure, mais qui se pouvoit pourtant fort facilement manger, en sorte que des féves de cette sorte n’auroient pas besoin d’ëtre dérobées, comme on dit.

Cette experience me confirma que les alimens dans cette machine peuvent demeurer sur le feu long temps aprés être cuites sans pourtant se gâter.

58

PROPRIETÉ.

DAns l’experience que ie viens de décrire, i’avois pris garde de ne perdre sur la verge de fer LM, qu’autant de poids qu’il étoit necessaire pour faire la pression interieure 10. fois plus grande que la pression ordinaire de l’air; de sorte que quand mon Bain Marie fut considerablement échauffé, la trop grande quantité d’eau qui y étoit, eut la force de soûlever la petite soûpape sur le tuyau HH, & de se couler par là peu à peu iusques à ce que i’ostasse le feu: mais quand le feu fut tout à fait osté il ne coula plus rien; quoy que la chaleur fut assez grande pour faire évaporer la goutte d’eau en 5. secondes; ainsi il est aisé de juger 59 que l’eau qui restoit dans le Bain Marie avoit desormais tant de place pour se dilatter, que ce degré de chaleur n’estoit pas suffisant pour luy faire faire plus de 10. pressions; j’eus donc la curiosité de voir combien cette place êtoit grande; Pour cét effet quand j’ouvris mon Bain Marie, je pris bien garde de ne laisser point perdre d’eau, & ayant pesé toute celle qui s’y trouva, je vis qu’il ne s’en étoit pas perdu la huitiéme partie; parce que de huit onces que j’y avois mises, il m’en restoit plus de 7. on peut donc compter cecy pour une proprieté de cette Machine, que si on y met 7/8 de l’eau qu’elle peut contenir, & qu’on pousse la chaleur jusques à faire évaporer la goutte d’eau en 5. secondes, la pression au dedans ne sera que 10. fois 60 plus forte que la pression ordinaire de l’air. On pourra de mesme trouver par experience combien il faudra laisser de vuide selon les autres pressions qu’on voudra faire, & les autres degrez de chaleur qu’on voudra donner, & cela sera utile sur la mer comme j’ay dit Chap. 2. & pourra aider à connoistre la nature.

EXPERIENCE XVII.

LE quinziéme Juillet j’enfermay des pois verts dans deux petites marmites de verre, & je mis dans l’une un peu moins d’eau qu’il n’en falloit pour couvrir le poids, dans l’autre je ne mis point d’eau du tout; les ayant enfermées dans le petit Bain Marie, je poussay le feu jusques, à faire évaporer la goute 61 d’eau en 4. secondes, & la pression interieure 10. fois plus grande que la pression ordinaire de l’air; j’ostay le feu, & les vaisseaux êtans refroidis, je trouvay tous les pois extremement mols, ceux qui étoient sans eau avoient rendu du suc presque assez pour les couvrir, & ils avoient une couleur roussastre, & tant soit peu d’odeur, & de goût brûlé, les autres avoient conservé leur couleur verte, & avoient fort bon goust, mais moins haut que ceux qui êtoient sans eau; ayant fait fondre du beure frais, je trouvay à mon gré, que les pois sans eau dans cette sauce, navoyent pas le goust trop fort, & qu’ils estoient meilleurs que les autres; si on vouloit pourtant il seroit bien aisé de les faire moins cuire, ceux cy ayant souffert autant 62 de chaleur qu’il en faudroit pour ramolir des os, quelques pois que j’avois mis avec les gousses se trouverent fort bons & tendres, excepté le parchemin qui n’êtoit point du tout changé nonobstant cette grande chaleur.

Cette experience semble prouver que l’eau empesche l’empyreume, mais je croy que toute autre chose que l’eau qui auroit remply les interstisses entre les pois l’auroit aussi bien empesché, parce que j’ay éprouvé assez long-temps depuis qu’ayant mis des grozeilles vertes dans les mêmes marmittes de verre sans eau; mais ayant seulement pilé les unes & laissé les autres entieres, il arriva qu’ayant poussé la chaleur jusques à faire exhaler la goute d’eau en 3. secondes, & la 63 pression dix fois plus forte que la pression de l’air, les grozeilles entieres avoient acquis beaucoup d’empyreume, quoy que leur verre fust beaucoup vuide, & qu’ainsi elles n’eussent pas souffert une grande pression; au lieu que les autres qui remplissoient tout exactement de leur propre suc, avoient fort bon goust & rien de brûlé; je conseillerois donc pour cuire parfaitement bien les pois, de remplir les espaces qu’ils laissent entr’eux avec du suc d’autres pois, qui en auroit déja tout le goût, & ainsi il ne l’osteroit point aux autres.

Cette experience fait voir que plusieurs digestions se peuvent faire dans cette machine, bien mieux que de la maniere ordinaire, où l’on est obligé de laisser beaucoup de place vuide, ce 64 qui fait que les substances sont plus sujettes à se brûler; cecy pourroit aussi fournir des conjectures sur la nature de l’empyreume; mais il vaut mieux attendre que l’on ait fait d’avantage d’experiences.

Chapitre III.

EXPERIENCES POUR LES VOYAGES PAR MER.

EXPERIENCE PREMIERE.

LA plus grande incommodité des gens qui font de grands voyages sur Mer vient selon l’opinion la plus commune, de ce que les viandes dont on se nourrit ayans esté gardées 65 long-temps salées ont perdu toutes leurs parties les plus spiritueuses, & volatiles, & ainsi les parties terrestres & grossieres qui restent, ne sont propres qu’à former un sang terrestre & grossier, qui donne le Scorbut; il y a donc apparence que les gelées estans composées de parties volatilles & aisées à digerer, sont propres à corriger ce deffaut des viandes salées; mais pour l’ordinaire elles sont si cheres & si difficiles à faire, qu’il est rare d’en avoir sur mer, cela m’a fait croire qu’il seroit bon de donner un moyen d’en faire par tout facilement & à bon marché, j’ay donc travaillé pour cela.

Le 18. Juin j’ay pris des os de bœuf qui n’avoient jamais esté boüillis qui estoient fort secs, & du plus dur endroit de la cuisse, 66 & les ayans mis dans une petite marmitte de verre avec de l’eau, je les enfermay dans le Bain Marie avec une autre petite marmitte de verre qui estoit aussi pleine d’eau & d’os de mesme maniere, sinon que dans celle-cy les os êtoyent des costes, & avoyent déja esté cuites, ayant poussé le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, & dix pressions, j’ostay le feu & les vaisseaux estans refroidis, je trouvay de fort belle gelée dans mes deux marmittes; mais celle dont les os êtoient des costes avoit la couleur un peu rougeâtre, ce qui pouvoit proceder de la partie moüelleuse; l’autre gelée estoit sans couleur & sans goust, comme la gelêe de corne de cerf, & je ne voy pas pourquoy elle ne feroit pas à peu prés le mesme effet, 67 je puis mesme asseurer que l’ayant assaisonnée avec du sucre & du jus de limon, je la mangeay avec autant de plaisir, & n’en sentis aucune incommodité non plus que si c’eust esté de la gelée de corne de cerf.

Quoy que cette experience soit particulierement à estimer sur la mer, elle ne laissera pas d’être aussi fort utile sur la terre, les gelées êtans par tout fort bonnes pour plusieurs maladies, il sera fort avantageux par tout d’en pouvoir facilement faire pour un sol, plus qu’on n’en pourroit achepter pour quinze.

EXPERIENCE II.

IE remis des os crus de l’endroit le plus dur d’une cuisse de bœuf dans une de mes petites 68 marmittes de verre, & dans l’autre je mis des os de poitrine de mouton qui avoient déja esté cuits; & qui n’estoient pourtant pas mols: les ayant enfermées toutes deux dans un mesme chassis; en sorte qu’elles n’êtoient pas plus serrées l’une que l’autre, & les ayant mises dans le Bain Marie, je poussay le feu jusques à faire exaler la goute d’eau en 9. secondes, mais alors il arriva que la soupape qui ferme le petit tuyau HH ayant manqué, parce que je l’avois garnie de cuir, l’eau du Bain Marie s’échappa toute avec une impetuosité qui m’êtonna d’abord, mais qui dura pourtant environ une minute à cause de la petitesse de l’ouverture.

Je m’assure, que dans ce même temps là, l’eau dans les marmites 69 se dilatoit aussi & s’en alloit par dessus les bords; car je les trouvay beaucoup vuidées, mais avec cette difference que dans celle où êtoient les os de mouton, la liqueur estoit une forte gelée, quoy que les os ne fussent pas encore attendris, sinon en quelques extremitez, & cette gelée ne pesoit que 2/7 moins que l’eau que j’y avois mise; au lieu que dans l’autre marmite les os n’estoient point du tout amolis, la liqueur point du tout gelée, mais seulement un peu êpaisse, & il y en avoit plus des 3/4 de perduë, quoy que cette marmitte eust les bords beaucoup plus hauts que l’autre.

Cette experience me fit voir, 1o. Qu’il vaudroit toûjours mieux faire provision d’os de mouton que de bœuf. 2o. Que ce seroit 70 inutilement qu’on essayeroit de faire par les voyes ordinaires de la gelée des os de bœuf, veu la grande chaleur qu’il faudroit, & la grande quantité d’eau qui se perdroit par l’évaporation. 3o. Que la gelée consiste de parties bien plus difficiles à élever en vapeurs que celle de l’eau ordinaire.

EXPERIENCE III.

LE vingt-troisiéme Juin je mis les os de bœuf dont je viens de parler dans la mesme marmitte, & le poids de l’eau estant double du poids des os, je mis des cartillages dans l’autre marmite avec aussi le double de leur poids d’eau, aprés avoir poussé le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, & la pression interieure 10. 71 fois plus forts que la pression ordinaire de l’air, je laissay le feu encore quatre ou cinq minutes, & ensuite je l’ostay tout à fait; & les vaisseaux êtans refroidis je trouvay que les os estoient devenus mediocrement friables, mais l’eau n’êtoit pas assez épaisse pour être appellée gelée; je croy pourtant, que si ce qui s’éstoit évaporé dans la premiere coction y eut encore esté, la gelée auroit esté assez forte; Les cartilages dans l’autre marmitte êtoient presque absolument fondus, & faisoient une forte gelée depuis le fonds du verre jusques au milieu, mais le dessus n’estoit pas plus épais que la liqueur dans l’autre marmitte.

Cette experience me fit juger, 1o. Qu’une livre d’os de bœuf pourroit faire environ deux livres 72 de gelée. 2o. Qu’il vaudroit mieux faire provision de cartilages, parce qu’ils sont absolument glutineux, & se fondent tout à fait dans l’eau, mais comme elle est plus legere, elle surnage, & les cartillages demeurent au fonds, ne retenant entre leurs parties que quelque peu d’eau qui s’y est insinuée pour les dissoudre. 3o. Que ce n’est que le ciment qui joint les parties des os qui se dissout dans l’eau pour faire la gélee, puis que les os en suite demeurent friables.

EXPERIENCE IV.

LE 28. Juin j’enfermay des os dans mes deux petites marmittes de verre, dans l’une estoient des os de bœuf en plus grande quantité qu’il n’estoit necessaire pour faire de la gelée avec 73 l’eau qui y estoit, dans l’autre c’estoient des os de mouton aussi en quantité plus que suffisante pour congeler l’eau où ils trempoient; Je poussay le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, & la pression interieure estoit 10. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; je continüay le feu de cette sorte prés d’un quart d’heure, & ensuite je n’éteignis qu’une partie du charbon, en laissant le reste pour entretenir la chaleur plus long-temps; mes vaisseaux estant refroidis, je trouvay de fort bon boüillon sans goût de brûlé dans mes deux marmites, mais pourtant il ne se gela point, ce que ie ne puis attribuer qu’au trop de cuisson, puisque dans les Experiences precedentes, avec moins 74 d’os & moins de chaleur j’avois fait de la gelée.

Cette Experience fait voir qu’il faudra bien prendre garde au degré de chaleur que l’on donnera pour faire une grande quantité de gelée, & que ce n’est pas assez qu’il n’y ait point de goût de brûlé, car il pourroit nonobstant cela y avoir eu beaucoup trop de chaleur, & pour trouver ce meilleur degré de chaleur, il faut plusieurs Experiences.

EXPERIENCE V.

LE 29. Juin je mis des os de bœuf dans une de mes petites marmittes de verre avec égal poids d’eau; Dans l’autre je mis de l’yvoire le plus pressé qu’il me fut possible avec de l’eau pour remplir 75 les interstices; Je poussay le feu jusqu’à faire exhaler la goutte d’eau en 6. secondes, & la pression interieure 12. fois plus grande que la pression ordinaire de l’air. J’ôtay alors le feu le plus vite qu’il me fut possible, & les vaisseaux étant refroidis, je trouvay que le vaisseau où étoit l’yvoire, s’étoit cassé, parce que l’yvoire qui y étoit pressée venant à s’enfler par la chaleur & par l’humidité, avoit eu plus de force que le verre; L’yvoire étoit devenuë friable: & dans l’autre marmite les os n’étoient pas encore ramolis qu’en quelques endroits des apophyses; la liqueur n’étoit pas non plus gelée excepté au fonds, mais le lendemain qu’il faisoit un peu plus froid je la trouvay gelée jusques au haut, & je la 76 mis sur diverses plaques de verre afin de la faire seicher; Le lendemain premier de Juillet, quoy qu’elle eût été 24. heures à l’air pour évaporer l’humidité, je la trouvay encore liquide, à cause, comme je croy, qu’il faisoit un peu plus chaud; je m’en servis à coller un verre cassé qui depuis cela tient fort bien, & se peut rincer presques comme s’il n’avoit point esté cassé; mais à la longue l’humidité dissout cette colle.

Cette Experience me fit iuger, 1o. que la chaleur que i’y avois employé, avoit peché dans le deffaut aussi bien que la precedente avoit peché dans l’excés, & qu’ainsi pour bien faire la gelée d’os, il faudroit pousser la chaleur environ comme dans la premiere ou dans la troisiéme 77 experience. 2o. Ie me confirmai dans la pensée que j’avois que c’est la colle des os qui se dissout dans l’eau pour faire la gelée. 3o. Ie trouvay qu’il faut extremement peu de parties congelantes pour coaguler l’eau; car quoyque celle-cy eust pu se congeler dans un grenier en esté; cependant quand elle fut seiche, il me resta si peu de colle que j’en fus surpris. 4o. Ie jugeay qu’il falloit bien peu de chaleur pour empescher ces sortes de congelations, & qu’ainsi selon l’apparence la qualité de gelée, à proportion de la matiere, se trouvera bien plus grande en hyver, qu’en esté. 5o. Que la congelation qui se fait de cette maniere est toute differente de celle qui se fait purement par le froid, puisque la glace flotte 78 sur l’eau, mais la gelée va au fonds.

Pour se bien servir de la colle dont ie viens de parler, il faut la conserver bien nette, & quand on la veut employer, en detremper un peu avec trois ou quatre gouttes d’eau nette, en frotter les bords du verre à recoller, & les rappliquer l’un contre l’autre, le plus exactement qu’on pourra; on en pourra faire de mesme à l’yvoire, à la porcelaine, & autres corps qui se cassent net.

79

EXPERIENCE VI.

LE premier Iuillet ie remplis deux petites marmites de verre, dans l’une il y avoit une once de corne de cerf rapée, avec deux onces d’eau; Dans l’autre il y avoit une once d’os de merlan & deux onces d’eau, ayant poussé le feu iusqu’à faire exhaler la goutte d’eau en 7. secondes, & la pression interieure 12. fois plus grande que l’exterieure; i’otay promptement tout le feu, & les vaisseaux étant refroidis, ie trouvay une gelée extremement forte & belle dans la marmitte où étoit la corne de cerf, ie fis goûter cette gelée à une personne qui en fait fort souvent, & elle me dit qu’il faloit qu’il y eût dans celle-là quelque 80 chose plus que dans la sienne, parce qu’elle y trouvoit beaucoup de goût & d’odeur, au lieu que la sienne estoit sans odeur & goût, ie n’attribuë cette difference qu’aux esprits & sels volatils, qui sont tous conservez par le moyen du Bain Marie fermé à vis, au lieu que par les voyes ordinaires ils se perdent; & cela donne lieu de croire que cette nouvelle sorte de gelée aura bien plus de vertu.

La corne de cerf aussi n’avoit rien conservé de dur, au lieu que pour l’ordinaire elle se reduit en poussiere qu’on sent rude entre les doigts.

Dans l’autre marmite les os de poisson étoient tout à fait mols, mais la liqueur n’étoit point gelée; cependant étant mise à exhaler, il restoit de la colle, mais 81 en petite quantité, & beaucoup moins forte que celle des os de bœuf.

EXPERIENCE VII.

LE 2. Iuillet ie remplis deux petites marmites de verre, dans l’une ie mis 1/2 once de corne de cerf avec 2 1/2 onces d’eau; dans l’autre ie mis des os rapez aussi-bien que la corne de cerf avec mesme quantité d’eau à proportion; ayant poussé le feu iusques à faire exhaler la goutte d’eau en 5. secondes, & 10. pressions: J’ôtay tout fort promptement; le lendemain matin mes vaisseaux étant refroidis, ie trouvay que dans la marmite où étoient les os, la liqueur étoit peu épaissie; dans l’autre il y avoit une bonne gelée, mais beaucoup 82 moins forte, que celle de l’Experience precedente: Ie la fis chauffer, & si-tost qu’elle fust fonduë, ie la passay & la pressay le mieux que ie pus, & ie mis le marc seicher; ce marc au bout de huit jours étant tout à fait sec, s’est trouvé peser encore 2 3/4 drachmes: De sorte qu’il n’étoit sorti de parties congelantes de la corne de cerf que 1 1/4 drachmes, & cela avoit suffi pour congeler 2 1/2 onces de liqueur, qui sont 16. fois plus.

La liqueur qui avoit passé se gela en fort peu de temps, & parut bien plus forte, que n’est la gelée ordinaire; si bien que je croy qu’on peut assurer qu’une quantité de corne de cerf suffit pour faire du moins 5. fois aussi pesant de gelée, & peut-estre qu’en pratiquant on trouvera 83 quelque degré de feu propre pour en faire bien davantage; mais quand on ne feroit que je viens de dire, toûjours cela seroit-il fort considerable, puisque par les voyes ordinaires on auroit prés de la moitié moins de gelée & moins bonne, & il faudroit beaucoup plus de feu, de temps & d’eau douce qui est de consequence sur la mer; car quoy qu’il faille de l’eau pour faire de la gelée à ma maniere, cette eau n’est pas perduë, & elle demeure toute dans la gelée; au lieu qu’à la maniere ordinaire il s’en évapore bien plus des trois quarts, & l’épargne du temps & du feu sera encore plus considerable.

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EXPERIENCE VIII.

AYant trouvé par l’Experience precedente que la corne de cerf faisoit une si grande quantité de gelée en comparaison des os, ie voulus voir si cela ne venoit point de ce que le degré de feu avoit esté propre pour la corne de cerf, & pas assez fort pour les os; Je reïteray donc cette Experience avec les mesmes circonstances, sinon que cette fois ie poussay la chaleur iusques à faire évaporer la goutte d’eau en 4. secondes, & mes vaisseaux estant refroidis, ie trouvay que la gelée de corne de cerf estoit encore fort belle, mais la liqueur sur les os estoit peu épaissie; Ie trouuay pourtant de la gelée aprés avoir versé 85 par inclination la liqueur qui surnageoit, mais cette liqueur pesoit plus d’une once; ainsi je iugeay que les os ne contiennent pas en effet à beaucoup prés autant de parties congelées, comme la corne de cerf en contient.

Aprés avoir passé & exprimé les matieres de mes deux marmites, i’en garday les marcs séparément, chacun dans un verre bien fermé, crainte que l’humidité ne s’évaporast; & environ quinze iours aprés ie trouvay qu’ils s’estoient fermentez & avoient acquis une odeur & un goût de fromage de Parmezan, & fort propre à faire trouver le vin bon, en le mangant avec un peu de pain; Messieurs de la Societé Royale, le voyant ont iugé qu’il y a apparence 86 que la corne de cerf en cet estat donneroit dans la distilation plus d’esprits, & plus facilement qu’elle ne fait d’ordinaire; Les os estoient fort semblables en tout à la corne de cerf, & mesme dans la suite il s’y forma des vers, ce qui n’arriva pas à la corne de cerf; de sorte que, comme on a remarqué d’ordinaire que c’est dans le meilleur fromage que les vers se forment le plûtost, il sembleroit que les os en cecy auroient quelque avantage sur la corne de cerf, en recompense de ce que la corne de cerf donne le plus de gelée.

Ayant trouvé de la difference dans la qualité de la gelée qu’on tire de differents corps, & dans la facilité de la tirer; & dans la force de cette sorte de colle, sçachant 87 que d’ailleurs nos corps ne sont autre chose que des liqueurs congelées; je croy que si l’on entreprenoit de pousser la chose, & que l’on tirast des gelées de diverses parties d’un mesme animal, & qu’on en tirast aussi de divers animaux de mesme espece, mais d’âges differents, & qu’on en tirast aussi d’animaux de differentes especes, & de bien plus longue vie les uns que les autres, comme sont les cerfs & les lapins, & qu’ensuite on comparast les differentes proprietez de toutes ces colles les unes avec les autres: je croy, dis-je, que cela pourroit beaucoup aider à faire une meilleure Theorie que l’on n’en a jusques icy des causes de la durée de la vie, & cette Theorie pourroit avoir des suites bien plus importantes que la pluspart du monde ne croit.

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Toutes ces Experiences me font croire que si on veut conserver des os, des cartilages, des tendons, des pieds, & autres parties d’animaux qui sont assez solides pour se conserver sans sel, & dont on perd tous les ans dans Londres plus qu’il n’en faudroit pour fournir tous les vaisseaux que l’Angleterre a en mer; On pourroit avoir toûjours sur les vaisseaux des alimens plus sains, & bien meilleurs & à meilleur marché, que l’on n’en a d’ordinaire; Ie dis mesme que ces sortes d’alimens seroient moins embarrassans, parce qu’ils contiennent bien plus de nourriture à proportion de leur poids, comme nous avons veû manifestement dans la corne de cerf, qui aprés avoir fait cinq fois son poids de gelée (qui passe 89 pour une chose fort nourrissante) se change encore presques tout en substance, fort semblable à du fromage dont on ne sçauroit manger qu’en petite quantité.

EXPERIENCE IX.

LE 20. Juin je fis cuire deux maquereaux de la maniere que j’ay dite chap. 2. exper. 13. en sorte qu’ils avoient les os tendres, & j’en laissay un à l’air ouvert, & huit jours de temps chaud que je le garday, je vis qu’il ne se gatoit point, au lieu qu’un morceau de l’autre que je garday dans sa sauce, se gâta en trois jours.

Je voulus ensuite voir si une cuisson ordinaire pourroit faire le mesme effet, & pour ce dessein 90 le 26. Iuin je fis cuire un maquereau à la maniere ordinaire, & ayant voulu le faire seicher comme le precedent, je trouvay qu’il se gasta en moins de 4. jours; cela me fit croire que le Bain Marie fermé à vis pourroit estre utile pour seicher les alimens sans qu’il fust besoin de sel, & sans perdre le suc qui s’en évaporast; la viande ainsi conservée pourroit estre plus saine que la viande salée dont on se sert sur mer.

EXPERIENCE X.

CETTE Machine estant si utile pour empescher l’évaporation de l’eau douce qui se fait en cuisson à la maniere ordinaire; Je voulus voir si elle ne pourra pas aussi en quelque occasion faire servir 91 l’eau salée au lieu de douce, pour ce desseïn, je fis dissoudre une drachme de sel dans 40. drachmes d’eau (qui est à peu prés la mesme proportion de sel qui se trouve dans l’eau, à ce que m’a dit Mr. Boyle, & ayant mis deux onces de cette eau sur une once de pois secs dans une marmitte de verre, je les enfermay dans la Machine; Je poussay le feu jusqu’à faire évaporer la goutte d’eau en quatre secondes, avec dix pressions; les vaisseaux étant refroidis, je trouvay que les pois avoient imbibé toute l’eau, & estoient fort bien ramolis, & Mr. le Docteur King en ayant goûté les trouva de fort bon goust, & pas trop salez: Il y a bien de l’apparence que les féves & autres legumes seroient de mesme).

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Je croy donc qu’en fournissant de vivres les vaisseaux, on peut compter que les legumes changeront le double de leur pois d’eau de mer en eau douce, ou du moins la feront servir pour la nourriture, aussi-bien que si elle avoit esté douce, & cecy peut beaucoup diminuër la quantité d’eau douce dont il faut embarasser les vaisseaux; si on vouloit se servir aussi d’eau de mer pour cuire les pois à la maniere ordinaire, il arriveroit que l’évaporation ne dissipant que les parties aqueuses, les pois demeureroient extremement salez, outre que l’on ne pourroit jamais les bien ramolir.

J’ay aussi essayé si l’eau de mer ne pourroit pas servir à faire de la gelée; je mis pour ce dessein de cette mesme eau salée dans une 93 marmitte de verre avec poids égal d’os de mouton, & ayant poussé le feu comme à l’ordinaire pour faire la gelée d’os, je trouvay qu’à la verité j’avois de la gelée trop forte, mais beaucoup trop salée; la quantité de parties congelantes estant trop petite pour temperer la salleure de l’eau: Je croy donc qu’il faudroit mesler l’eau de mer avec le double d’eau douce pour faire de la gelée.

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Chapitre IV.

EXPERIENCES POUR LES CONFISSEURS.

EXPERIENCE I.

LE 27. Juin j’ay mis des cerises dans deux marmittes; aux unes j’ay mis de l’eau autant qu’il estoit necessaire pour les couvrir, aux autres je ne mis rien du tout, ayant poussé le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 40. secondes, & la pression interieure triple de la pression ordinaire de l’air, je trouvay mes cerises fort bien cuites, & beaucoup de jus à celles 95 mesme à qui je n’avois rien ajoûté; celles à qui i’avois mis de l’eau avoient beaucoup plus de liqueur, mais elles avoient le goût bien plus fade que les autres.

Le lendemain ie mis quelques-unes des cerises dont ie viens de parler, à seicher à l’air, & i’en remis quelques-unes avec des grosseilles vertes dans une marmitte de verre, afin de voir si une nouvelle cuisson les gâteroit; ie poussay le feu iusqu’à faire exhaler la goutte d’eau en 10 secondes, & la pression 8. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, & aprés tout cela ie ne trouvay pas que mes cerises fussent presque changées, & elles estoient encore aussi grosses & aussi entieres que devant que d’estre cuites. Je mis aussi quelques-unes de celle-cy à seicher; le lendemain 96 je trouvay que toutes les cerises se seichoient sans se gâter, mais celles qui n’avoient été cuites qu’une fois & sans eau, se conservoient plus grosses que les autres, car celles qui avoient esté cuites deux fois, estant fort ridées & déja beaucoup plus petites que les autres avoient esté une fois plus long-temps à seicher.

Cette Experience fait voir que quelques fruits peuvent sans danger demeurer fort long-temps sur le feu dans cette Machine aprés estre cuits, & pourtant cela leur oste la disposition qu’ils avoient auparavant à se pourrir, cela me fait croire que si les gens qui l’entendent faisoient à part du syrop dans lequel on put conserver en suite ces cerises, sans qu’elles se seichassent; 97 on auroit une confiture, qui n’ayant point esté boüillie dans le sucre, conserveroit plus de goust du fruit, mais je croy qu’il faudroit que le sirop fust un peu plus épais qu’à l’ordinaire, à cause que l’humidité des cerises s’y mesleroit bien tost, & la rendroit plus liquide.

On pourra trouver par experience quel degré de cuisson sera le plus propre pour mettre le fruit en estat de se conserver, sans luy changer beaucoup le goust.

EXPERIENCE II.

LE 6. Juillet j’enfermay dans une marmitte de verre 5. onces de grozeilles vertes, & ayant poussé le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 15. 98 secondes, je l’éteignis promptement. & les vaisseaux estant refroidis, je trouvay que mes grozeilles avoient rendu 1 1/2 once de liqueur assez épaisse, je mis quelques-unes de ces grozeilles à l’air, & elles se seicherent fort bien sans se gaster.

Clearkake est une espece de gateau transparent fait avec de la cresme.

Cette experience me confirma dans la pensée qu’on pourroit faire des confitures qui conserveroient beaucoup du goust de fruit; & je croy qu’en mesme temps ce seroit une grande avance pour faire ce qu’on appelle des Clearcakes, parce que le suc qui est propre pour cela, conserve tout icy, & se retire beaucoup plus promptement, que par les moyens ordinaires.

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EXPERIENCE III.

LE 22. Juillet il y a bien trois semaines que j’avois enfermé des grozeilles vertes déja molles dans un grand verre, & j’y avois mis de l’eau soule de sucre pour remplir les intervalles, aujourd’huy voyant que ces grozeilles se fermentoient considerablement, parce qu’elles formoient quantité de bulles, j’en ay mis une partie avec de la liqueur dans une marmitte de verre, & l’ayant enfermée dans le Bain, j’ay poussé le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 6. secondes, & la pression 5. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air: J’ostay le feu, & les vaisseaux estant refroidis, je trouvay mes grozeilles 100 fort bien cuites, molles & bonnes, au lieu que la fermentation les avoit renduës dures & desagreables à manger.

J’avois mis en mesme temps une autre marmitte pleine de grozeilles fraischement cüeillies, & j’y avois ajoûté 3. parties de sucre sur 5. de fruit, je trouvay que celles-cy aussi estoient fort bien cuites, & avoient fort bon goût, mais beaucoup plus doux que celles qui avoient esté fermentées.

Aprés avoir laissé dix jours mes deux verres bien couverts, mais vuides de plus d’un tiers, i’ay veu qu’il ne se faisoit point de fermentation, mais que le fruit se moisissoit un peu dans le verre, dont les grozeilles n’avoient point esté fermentées; cela m’obligea à les mettre dans un verre 101 plus petit, lequel en estant remply & bien fermé à vis, commença en moins de 5. ou 6. jours à se fermenter & à perdre un peu de suc par dessus les bords nonobstant la vis qui pressoit le couvercle.

Le 30. Aoust i’ay ouvert ce verre que i’avois fermé à vis, & ayant mis une partie du fruit & du suc dans une petite marmitte de terre, & l’ayant enfermée dans le Bain Marie, i’ay poussé le feu iusques à faire exhaler la goutte d’eau en 6. secondes, & la pression interieure 12. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air, i’ay osté le feu incontinent, & les vaisseaux estant refroidis i’ay trouvé que ces grozeilles ainsi recuites avoient perdu beaucoup de leur douceur, mais qu’elles avoient pourtant un 102 goust fort agreable, & qui plairoit peut-estre mieux que le doux, à bien des gens; ayant mis un peu de leur suc qui n’avoit point esté recuit dans une autre verre; ie les mis tous deux ensemble dans le vuide & ie vis que le suc recuit ne se fermentoit plus, parce qu’il ne ietta pas de bulles, au lieu que l’autre en ietta grande quantité.

De tout ce que ie viens de dire, ie croy pouvoir conclure, 1o. que en conservant des fruits, comme i’ay dit au commencement, c’est à dire les faisant fermenter lentement dans des vaisseaux bien fermez, on sera toûiours prest d’en faire une bonne confiture à fort bon marché par le moyen du Bain Marie qui ramolira le fruit & empeschera l’évaporation des esprits dégagez 103 par la fermentation. 2o. Il y aura moins de danger de moisi, quand les fruits seront ainsi cuits pendant leur fermentation. 3o. S’il se fait du moisi, on pourra le garantir en remplissant les verres & les fermant à vis. 4o. Si la fermentation recommence, on pourra encore l’arrester par une nouvelle cuisson.

Il faudra pourtant continuër les experiences pendant un plus long temps que ie n’ay fait, afin de sçavoir iusqu’où cela ira.

Je ne donne point icy la maniere de fermer les verres à vis, puisque c’est la mesme qui a esté décrite au premier Chap. pour la marmite, GG, & des gens qui en voudroient faire grand trafic, pourroient au lieu de verre se servir de grands pots de terre bien hauts.

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EXPERIENCE IV.

LE 17. & le 18. Aoust ie reïteray l’experience precedente, mais au lieu de grozeilles ie me servis de prunes, dont ie fis cuire par 3. diverses fois, & ie n’y remarquay rien qui vaille la peine d’être rapporté, sinon que les prunes cuites en se fermentant avec 1/4 ou 1/3 de sucre, acquierent un goust vineux, beaucoup plus fort & plus agreable que ne font les grozeilles, & ie ne doute point que bien des gens ne les preferassent à quelque confiture que ce puisse estre.

Je remarquay aussi qu’en les distillant de la maniere que ie diray du rosmarin Chap.6. Exper.3. on en tire plus de suc & bien plus épais que quand on les fait cuire de la mesme maniere que les grozeilles dont ie viens de parler.

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Chapitre V.

EXPERIENCES POUR FAIRE DES BOISSONS.

EXPERIENCE PREMIERE.

LE vingt-deuxiéme Juillet il y avoit bien trois semaines que j’avois enfermé des grozeilles vertes déja molles dans un grand verre, & j’y avois mis de l’eau soule de sucre pour remplir les intervalles, aujourd’huy voyant que ces fruits se fermentoyent bien fort, j’en ay ôté une partie & de la liqueur aussi, & en ay rempli 4/5 d’une de mes petites marmittes de verre; ensuite j’ay pris de 106 la liqueur pour remplir de même mon autre petite marmitte de verre, dans laquelle j’avois mis quelque peu de grozeilles fraiches; ayant ainsi enfermé ces deux marmites dans un même chassiz, & dans le même bain marie, j’ay poussé le feu jusques à faire exhaller la goutte d’eau en 2. secondes, & je l’ay continüé quelque temps de cette force la pression êtoit dix fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; mes vaisseaux êtans refroidis, j’ay trouvé que les grozeilles qui se fermentoient avoient vüidé leur marmitte jusqu’à la moitié, & qu’elles êtoient fort brûlées, au lieu que les grozeilles fraîches, quoy qu’elles nageassent dans une grande quantité de liqueur qui se fermentoit, n’avoient presque 107 pas vuidé leur marmitte, & ne sentoient pas le brûlé.

Cette experience me fit juger, qu’en faisant du vin de cette maniere par infusion dans de l’eau sucrée, la force consiste bien plus dans les fruits, que dans la liqueur; & que la fermentation leur donne presques autant de force, que l’esprit de vin en a pour se dilatter, (voy. chap. 6. exper. II.) Je pensai donc, que si on faisoit le vin avec les fruits seuls sans eau, on auroit une liqueur extremement forte; mais comme le suc des grozeilles de cette sorte, & de plusieurs autres fruits est trop épais pour se changer en vin à moins d’être cuit; je crus que le Bain Marie fermé à vis êtoit absolument necessaire pour attenüer ces sucs sans eau, & sans qu’ils 108 s’évaporent, cela m’engagea à faire l’Experience suivante.

EXPERIENCE II.

LE vingt-cinquiéme Juillet je mis des grozeilles vertes déja molles dans une marmite d’étain, & l’ayant enfermée dans le Bain Marie je poussay la chaleur jusques à faire evaporer la goutte d’eau en 3. secondes, & la pression 10. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; j’ôtay incontinent le feu, & mes vaisseaux êtans refroidis, je trouvay, que les grozeilles avoient rendu un suc fort rouge & que dans les endroits où elles s’étoient crevées contre la marmitte d’étain, elles avoient acquis une fort belle couleur de pourpre violet; ce qui donna lieu 109 à la premiere Experience pour les Teinturiers.

J’avois mis ce matin de ces même grozeilles cruës dans un verre bien fermé avec de l’eau saoule de sucre, & à present je mets une partie des grozeilles que je viens de cuire, dans un autre verre avec leur suc, & environ 1/4 de sucre afin de voir lesquelles se fermenteront le plûtôt.

Le deuxiéme Aoust j’ay veu depuis 2. ou 3. jours les grozeilles se fermenter dans un autre verre aussi bien que dans l’autre, & aujourd’huy ayant mis du suc de mes deux verres chacun dans une bouteille; je les ay mises toutes deux ensemble dans le vuide; & j’ay veu, comme je l’attendois, que le suc des grozeilles cuites approchoit bien 110 plus de la nature du vin, que celuy des grozeilles cruës; car il a esté bien plus de bulles, & il avoit aussi le goût bien plus picquant & spiritueux.

Le troisiéme Aoust, j’ôtay les grozeilles de leur suc, & les pressay le mieux que je pus pour leur en faire rendre davantage: je mis tout ce suc dans une bouteille que j’ay toûjours gardée dépuis, les 2. ou 3. premiers jours elle boüilloit extremement fort, chassoit le bouchon de liege, & s’en alloit par dessus, quoy qu’elle ne fust pas pleine jusqu’aux 2/3: mais depuis cela elle s’est beaucoup moderée, & elle a presentement le goût fort bon & picquant; mais pourtant elle se fermente toûjours, la liqueur n’est pas encore bien éclaircie, & on void toûjours des bulles 111 s’y former, quoy que ie la garde depuis six semaines; cela me fait croire que du vin de cette sorte, sera de tres bonne garde, & qu’on doit plustost apprehender qu’il ne soit trop long-temps à venir à sa perfection, que de le voir aigrir trop-tôt.

Ie mis dans un autre verre le marc de ces grozeilles avec de l’eau & un peu de succre par dessus, en moins de 24. heures il commença à se fermenter bien fort, & en 15. iours de temps la liqueur estoit preste à boire & bien claire, mais elle n’avoit pas tant de force à beaucoup prés, que celle qui estoit sans eau, & ie croy aussi qu’elle se seroit bien-tôt aigrie; ie fis cette experience à veuë d’œil, & sans peser; mais ie iugeay que le marc estoit environ 112 1/2 du poids de l’eau & le sucre 1/8.

Cette experience fait voir que par le moyen du Bain Marie, le même fruit peut servir à faire deux sortes de vin; l’un de bonne garde, & l’autre prompt à boire.

EXPERIENCE III.

LE cinquiéme Aoust j’ay pris un peu du suc des grozeilles de l’experience precedente dans le temps qu’il se fermentoit le plus fort; & l’ayant mis dans une petite marmite de verre dans le Bain Marie, i’ay poussé la chaleur iusques à faire exhaler la goutte d’eau en 10. secondes, & la pression triple de la pression ordinaire de l’air; J’ay trouvé que ma liqueur avoit acquis un 113 goust un peu approchant de ce que nous appellons en France du resiné, mais elle estoit fort agreable à boire, & propre à étancher la soif; pour sçavoir ensuite si cette liqueur avoit beaucoup changé, i’en mis dans un petit verre, & ie pris aussi de la liqueur de la bouteille d’où celle-cy avoir esté tirée, & la mis dans un autre verre & les ayant mises toutes deux en même temps dans le vuide, ie trouvay que la liqueur qui avoit esté mise au feu pendant sa fermentation, ietta moins de bulles que ne feroit de l’eau commune; au lieu que l’autre liqueur de la premiere suction se couvrit toute de bulles, & en suite s’éleva assez haut en escume.

Cette Experience me fit croire 114 1. que la cuisson d’une liqueur qui se fermente, peut estre propre à luy oster promptement la mauvaise qualité d’engendrer des vents, & de donner la colique, 2. que cette liqueur ainsi cuite ne monteroit pas pourtant à la teste, comme fait le vin, parce que les esprits n’y sont pas si developpez que dans le vin; puisque le vin bout un peu à gros boüillons dans le vuide, & cette liqueur n’y bout point du tout, & n’y fait même que tres peu de bulles; 3. que cette liqueur ne seroit pas suiette à s’éventer, puisque les esprits en sortent si difficilement; enfin i’ay du penchant à croire qu’elle fortifieroit & nourriroit beaucoup, puisque le pain qui est ainsi cuit pendant sa fermentation, 115 passe pour le soûtien de la vie: Cependant il faut attendre l’experience avant que d’en pouvoir parler avec certitude; toûiours on peut dire que cette boisson ne sera pas long-temps à preparer.

EXPERIENCE IV.

LE dix-septiéme Aoust ie pris du suc de prunes distillé de la maniere que ie diray chap. 6. exper. 3. comme il estoit plus épais que celuy qui se tire sans distillation, parce que celuy qui demeure toûiours à la chaleur avec le fruit, s’y attenuë continuellement; ie crus qu’il faloit plus de chaleur, pour le subtilizer; l’ayant donc enfermé à la maniere ordinaire dans une marmitte, & dans le Bain Marie; 116 je poussay le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en moins de 2. secondes, & la pression 12. fois plus forte que la pression de l’air; mes Vaisseaux estans refroidis, je trouvay contre mon attente que le suc estoit devenu presque tout solide dépuis le haut jusqu’au bas de la marmitte, & qu’il estoit changé en une substance noire & bruslée qui se pouvoit facilement écrazer entre les doigts; cependant il y avoit quantité de cavitez remplies d’une liqueur fort coulante, & qui avoit tant d’acrimonie que la langue la pouvoit à peine souffrir, de sorte que la chaleur avoit fait dans ce suc une separation approchante de celle que la presure fait dans le laict.

Cette experience fait voir que 117 l’excez de chaleur est à craindre, &, aussi que la cuisson des fruits tel que je l’ay décrite sera meilleure pour les boissons, que la distillation, quoy que celle-cy puisse estre plus propre pour les confisseurs, pour les gellées Clearcackes, &c.

Peut-estre pourtant qu’avec le temps ces sucs si épais feroient du vin plus fort que des sucs plus liquides; mais je crains qu’il ne falust plusieurs années pour en venir là.

EXPERIENCE V.

LE dix-septiéme, & dix-huitiéme Aoust je garday des sucs tirez de prunes, pour faire les mêmes experiences que j’avois faites avec les sucs de grozeilles vertes, dont je viens de 118 parler; mais je crois qu’il est inutile de les rapporter, puisque je n’y ay rien appris de nouveau, sinon que les prunes font un vin bien meilleur, & plus fort à mon gré que les grozeilles, & qu’aussi ayant mis dans une bouteille de suc nouveau fait, un peu de suc fait dépuis 10. iours, & qui se fermentoit bien fort, cela servit comme de levain pour faire fermenter cette bouteille beaucoup plus proprement qu’elle n’auroit fait sans cela.

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Chapitre VI.

EXPERIENCES POUR LES CHYMISTES.

EXPERIENCE I.

LE 13. Juillet Mr. le Docteur Slare membre de la Societé Royale eut la curiosité d’essayer si le Bain Marie fermé à vis ne pourroit pas servir à haster beaucoup l’extraction des teintures difficiles en Chymie; Pour ce dessein nous mismes dans une des petites marmittes de verre du sel de tartre avec de l’esprit de vin rectifié; dans l’autre nous mismes de l’ambre avec du mesme esprit de vin; nous poussâmes 120 la chaleur jusqu’à faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, avec 12. pressions, & je l’éteignis bien-tost aprés: les vaisseaux estant refroidis, il se trouva que dans le verre où estoit le sel de tartre, la teinture estoit aussi forte qu’on l’eust pû faire en un mois de temps par la maniere ordinaire, & elle avoit le goût lexivieux; dans l’autre marmite la teinture d’ambre étoit beaucoup plus forte qu’on n’a coûtume de la faire.

EXPERIENCE II.

LE 15. Juillet Mr. le Docteur Slare eut encore envie d’essayer l’effet du bain Marie pour la teinture d’antimoine, nous allumasmes le feu environ à 10. 1/2 heures du matin; 121 je poussay le feu jusques à faire exhaler la goutte d’eau en 2. secondes, & la pression interieure estoit 12. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; J’ôtay une partie du feu, & la chaleur estant diminuée en sorte que la goutte d’eau ne s’exhaloit plus qu’en 3. secondes, le Bain Marie ne perdoit rien du tout, j’entretins le feu à peu prés de cette force jusqu’à 1/2 heures; ensuite ie n’y regarday qu’un peu aprés 3. heures, & je trouvay mes vaisseaux fort refroidis, & le feu presque tout esteint: je le rallumay, & je poussay encore la chaleur jusques à faire exhaler la goutte d’eau en moins de 1 1/2 secondes, & il recommença à sortir quelque chose du Bain Marie par la petite soupape, & j’ôtay du feu en sorte que la goutte 122 d’eau ne s’exhaloit plus qu’en 2. secondes, & le bain Marie cessa de s’en aller, je laissay éteindre le feu peu à peu, & ensuite ie trouvay que le vinaigre avoit tiré peu de la teinture d’antimoine, quoy que la chaleur eust esté plus forte & beaucoup plus longue, que pour la teinture du sel de tartre.

Quelque temps aprés en vuidant la marmitte, je trouvay que le verre d’antimoine estoit venu tout en une masse, comme s’il eust esté fondu, & que le dessus estoit rouge, mais le fonds estoit noirastre, ce qui nous fit croire que la teinture avoit esté toute tirée, mais qu’elle s’estoit ensuite precipitée.

Nous remarquasmes aussi une grande difference entre l’esprit de vin & le vinaigre distillé, c’est 123 que la chaleur dans l’experience premiere avoit donné une si grande force à l’esprit de vin pour se dilater qu’il en estoit sorty une grande partie par dessus les bords de la marmitte, qui par ce moyen se trouva plus de demy vuide, & au contraire l’esprit de vinaigre s’estoit trouvé si peu capable de dilatation, que la pression dans le Bain Marie se trouvant autant ou plus forte que dans la marmite, elle ne se trouva point du tout vuidée, quoyque la chaleur eust esté plus grande que sur l’esprit de vin, & que la pression dans le Bain Marie eust esté égale dans l’une & l’autre experience.

124

EXPERIENCE III.

LE 2. Aoust je mis du rosmarin dans une grande marmitte de verre longue, & il estoit soûtenu par un petit treillis de fer, en sorte qu’il s’en falloit un tiers qu’il ne touchât au fonds de la marmite; J’allumay ensuite le feu vers le haut de la machine, afin que le bas demeurant le plus froid les vapeurs du rosmarin peussent se condenser au fonds de la marmitte, je poussay la chaleur jusqu’à faire exhaler la goutte d’eau en 6. secondes sur le couvercle, mais le bas estoit presque tout froid; ie trouvay ensuite que le rosmarin avoit rendu un peu d’eau rouge, & de bonne odeur, environ le poids d’une drachme, & 2. ou 3. 125 gouttes d’huile essentielle qui avoit fort bonne odeur, & qui approchoit de la nature du beurre; estant plus épaisse que l’huile ordinaire; cette maniere de distiller a de l’avantage par-dessus la maniere ordinaire; 1. En ce qu’on n’est point en danger de rien perdre, 2. En ce que les vapeurs sont plus faciles à pousser en bas qu’en haut, & qu’ainsi n’estant mise en agitation que par la chaleur innocente du Bain Marie, & tombans incontinent par leur poids, elles conserveront bien mieux leur nature, que quand elles sont exposées à un feu moins benin qu’il faut qu’elles en reçoivent une agitation capable de les élever à une hauteur considerable; ce qui ne se peut faire sans danger d’alterer leur nature, 3. Dans les distillations ordinaires 126 il demeure toûjours beaucoup d’huyle attachée au chapiteau, & quj ne tombe point dans le recipient, au lieu qu’icy il n’y a point de chapiteau, le recipient faisant les deux offices, reçoit d’abord toutes les vapeurs qui sortent du mixte.

Le Diaphragme dont je me suis servy pour ces distillations, est representé fig. 3.

BB est le diaphragme fait de fils de fer.

AA sont trois petits pieds pour soûtenir le diaphragme à quelque distance du fonds.

CC est un autre fil de fer attaché au centre du diaphragme, & montant jusques vers le haut de la marmitte, afin que quand l’operation est finie, on puisse tirer par là le diaphragme & les matieres qui sont au dessus; & 127 qu’ainsi la liqueur distillée demeure seule dans la marmitte.

On pourroit aussi donner aux vaisseaux une figure circulaire; comme dans la quatriéme figure; car mettant une des extremitez dans le feu & l’autre dans l’eau, les vapeurs se viendroient condenser de ce costé-là, & les sels atils se pourroient attacher au milieu, comme ils font dans les distillations ordinaires.

On pourroit aussi faire des vaisseaux tels que la cinquiéme figure represente, la marmitte bb, son ouverture II tout à fait hors du Bain Marie.

On la pourroit emplir entierement de la matiere qu’on voudroit distiller; car appliquant à l’ouverture II un couvercle BB de profondeur raisonnable, toutes les vapeurs viendroient s’y 128 condenser, & les matieres seroient soûtenuës par un diaphragme.

Il faudroit que la marmitte fust fortement soudée au Bain Marie à l’ouverture SS, afin de retenir l’eau contenuë dans l’espace TTTT entre le Bain Marie & la marmitte.

Il faudroit que le petit tuyau HH fust fermé à vis, & non par des poids comme vous voyez dans la figure.

Il faudroit qu’il y eust quelque boëte de fer attachée au Bain Marie par des poids, comme vous voyez dans la figure, pour tenir le feu qui l’échaufferoit.

Enfin il faudroit que le tout fust soûtenu presques en équilibre par les tourillons CC sur les deux piliers RRRR, afin de pouvoir 129 aisément tourner la machine sans dessus dessous.

Par ce moyen on s’épargneroit la peine d’ouvrir le Bain Marie, & ainsi il ne seroit point necessaire de le laisser refroidir, parce qu’on pourroit toûjours ouvrir la marmitte & la remplir de nouveau sans donner aucun lieu à l’eau de s’échapper de l’espace TTTT, & de plus le couvercle BB pourroit estre de verre, & ainsi on auroit moyen d’observer le progrez de la distillation.

On pourroit aussi (pour les operations qui se doivent faire en grande quantité) enfermer 5. ou 6. machines de cette sorte dans un grand cercle de fer, & mettre le feu dans l’espace du milieu, & ainsi le mesme feu les échaufferoit toutes à la fois, & peut estre que par ce moyen avec du charbon 130 de terre, on pourroit cuire le Pain fort bon & à bon marché; & quelque grande que fust la machine, on la pourroit toûiours tourner le haut en bas, à cause qu’elle seroit soûtenuë en équilibre, & ainsi on la pourroit vuider, & remplir assez facilement mais i’avouë que ie ne l’ay pas encore experimenté iusques là.

EXPERIENCE IV.

LE 10. Aoust ie pris 3. onces de canelle, & les ayant disposées de mesme que le rosmarin dont ie viens de parler, ie poussay le feu iusqu’à faire évaporer la goute d’eau en 2. secondes, mais le bas de la machine trempoit dans de l’eau froide que ie renouvellois de temps en temps, si bien que il devint à peine tiede, i’eus 131 à ce coup environ 5. drachmes d’une liqueur blancheâtre avec quelques petites gouttes d’huile au dessus, il y avoit aussi un peu d’huile atachée aux côtez du verre & qu’on pouvoit détacher avec une lame de couteau, & on la voyoit ensuite nager sur la liqueur; Il y apparence que l’huile tirée de cette maniere n’est pas si pesante, que celle qu’on apporte des Indes, & se meslant avec le phlegme elle le rend ainsi blancheâtre; cependant le phlegme ainsi meslé d’huile a fort bonne odeur, & peut fort bien aromatiser, estant mis en plus grande dose que l’huile pure.

EXPERIENCE V.

LE 12 Aoust ie mis de l’anis dans une de mes petites marmittes de verre, & des feüilles 132 de rosmarin dans l’autre avec de l’eau qui les surnageoit un peu, mon dessein estoit de voir si l’huile essentielle ne se pourroit point extraire de mesme que la gelée des os, ie croyois que les parties de l’eau s’insinuans entre les parties des plantes, pourroient faire échapper l’huile qui ensuite se trouveroit au dessus de l’eau; ie poussay le feu iusques à faire évaporer la goutte d’eau en 10. secondes, puis ie l’éteignis incontinent, ie trouvay que mes matieres avoient bien meilleur odeur qu’auparavant, sur tout le rosmarin, mais ie ne trouvay point d’huyle.

Le 13. Aoust ie reïteray la mesme experience avec du rosmarin dans une marmitte, & de la canelle dans l’autre. Je poussay le feu iusques à faire exhaler la goutte 133 d’eau en trois secondes, & l’ôtay incontinent aprés; les vaisseaux êtans refroidis je trouvay que le rosmarin avoit plûtôt mauvaise, que bonne odeur; ce qui me fit juger que la chaleur excessive l’avoit gâté, au lieu que dans l’autre Experience une chaleur moins grande l’avoit rendu plus odoriferant, si bien que je ne sçay pas si par plusieurs experiences on ne pourroit point trouver un degré de chaleur propre à le rendre meilleur, & luy faire donner dans la distillation plus d’huile, & plus facilement qu’il ne fait d’ordinaire.

La Canelle êtant un corps plus dur n’étoit point gâtée, mais il n’y avoit pas de profit à le preparer de cette maniere, à moins de sçavoir quelque degré de chaleur qui luy fut plus propre.

134

Voilà tout ce que j’ay fait jusques icy sur la Chymie avec cette Machine; à quoy je croy pouvoir ajoûter qu’il y a tout lieu de croire qu’elle sera fort utile pour toutes les operations qui demandent un feu doux, & égal de tous côtez, parce que mettant le feu au bas & l’eau la plus chaude montant toûjours au dessus, la chaleur se communiquera par tout égallement; elle sera propre aussi pour conserver le même degré de chaleur pendant un fort long temps, parce que la grande quantité d’eau qu’il y aura à échauffer, empeschera que les inegalitez du feu ne soient si sensibles sur les matieres qui y sont enfermées; Par exemple; Si le feu vient à être plus fort à un temps qu’à l’autre, il arrivera que cette 135 force du feu sera diminuée avant qu’elle ait pû faire d’effet considerable sur la Machine & toute l’eau qu’elle contient; de même quand le feu vient à étre moins grand qu’il ne devroit la chaleur ne laisse pas de se conserver long-temps dans la Machine; en sorte qu’on peut avoir le loisir de refaire du feu; Cette consideration m’avoit donné envie d’éclorre des poulets par ce moyen, & je ne doute pas que la chose ne pût fort bien reüssir; J’aurois voulu mettre la boule d’un Thermometre scellé hermatiquement sous une poule parmy les œufs, & le tuyau du Thermometre sortant assez loin hors du nid, auroit montré le degré de chaleur necessaire pour cette operation; En suite j’aurois enfermé le mesme Thermometre 136 dans une Machine ajustée avec des fenêtres vitrées pour laisser voir ce qui se passoit au dedans, & ainsi on auroit pû voir quand le Thermometre seroit parvenu au même degré que quand elle êtoit sous la poule; & les œufs êtans ainsi enfermez dans des marmites de verre auroient esté faciles à voir, quand il en seroit sorty des poulets, comme cette operation ne demande ny beaucoup de pression, ny beaucoup de chaleur, on pourroit la faire dans des machines de plomb, qui pourroient être grandes & à bon marché.

J’aurois voulu aussi essayer si la pression pourroit avancer la formation du poulet, aussi bien qu’elle avance la cuisson de la viande; mais j’ay abandonné ces desseins crainte de manquer de loisir pour en venir à bout.

137

Chapitre VII.

POUR LES TINTURIERS.

EXPERIENCE PREMIERE.

PARCE que dans la seconde Experience du Chap. V. j’avois crû que les grozeilles vertes avoient tiré de l’étain une belle couleur de pourpre violet, je voulus voir si des grozeilles rouges ne feroient pas une couleur encore plus belle; ainsi le 3. Aoust, je mis plusieurs lames d’étain dans une petite marmite de verre avec des grozeilles rouges pilées; je poussay le feu jusques à faire évaporer la goutte d’eau en 3. secondes, avec la 138 pression interieure 12. fois plus grande que la pression ordinaire de l’air; je trouvay en suite que les groseilles rouges au lieu d’avoir fait une couleur plus belle, avoient une couleur pâle, & le fruit avoit beaucoup de goût de brûlé; J’avois mis en mesme temps dans l’autre marmite de verre des cerises noires, & je trouvay que le suc avoit aussi perdu beaucoup de sa couleur; cela me fit croire que le feu altere les couleurs des choses, sur lesquelles il agit, en donnant aux corps qui n’en ont pas, & l’ôtant à ceux qui en ont, & je croy que dans la 2. Experience du Chap. V. les grozeilles vertes qui s’êtoient crevées contre l’étain n’avoient pas plus de couleur que les autres, parce qu’elles avoient souffert plus de chaleur, 139 Il y a donc apparence que par le moyen de cette machine qui fait si bien agir la chaleur sans dissiper les parties des corps; On pourra faire servir à diverses teintures des substances qui n’y êtoient pas propres par les voyes ordinaires.

EXPERIENCE II.

LE quatriéme Aoust je pris du suc de limon & l’enfermay avec des lamines d’étain dans une petite marmite de verre & ayant poussé le feu jusques à faire évaporer la goute d’eau en 10. secondes, & la pression interieure seulement triple de la pression ordinaire de l’air, je trouvay que le suc de limon n’avoit point tiré de teinture de l’étain, quoy qu’il soit bien plus 140 acide que les grozeilles vertes quand elles sont meures.

Le 7. Aoust je reïteray la même experience avec le mesme suc de limon, & je poussay le feu jusques à faire évaporer la goute d’eau en trois secondes, & la pression 12. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; Je laissay un peu de charbon afin de conserver la chaleur plus long temps, & je trouvay que le suc de limon n’avoit point de goût de brûle, & qu’il n’avoit point tiré de teinture de l’étain, seulement il paroissoit un peu jaunâtre, ce qui me confirma que la couleur des grozeilles vertes, Chap. V. Experience II. n’avoit pas esté tirée de l’étain.

J’avois mis en même temps dans une autre marmite des grozeilles écrasées, & je trouvay 141 qu’elles avoient contracté un goût d’empyreume, si fort qu’on ne les pouvoit avaller, leur liqueur êtoit rougeâtre, & beaucoup moins belle que celle du Chap. V. Experience II. De sorte qu’il paroist que l’excez de chaleur peut beaucoup nuire; cette liqueur tachoit mes mains d’une couleur jaune que je ne pouvois faire passer en huit jours de temps, quoy que je n’épargnasse pas le savon.

EXPERIENCE III.

LE seiziéme Aoust Monsieur Meres Teinturier à Londres m’apporta de la racine nommée Rubea tinctorum en poudre; Nous en mismes dans deux marmites de verre avec des petits morceaux d’étoffe & de l’eau, 142 & dans l’une nous melâmes un peu d’eau de vie, nous poussames le feu jusques à faire douze pressions & évaporer la goute d’eau en trois secondes, ce qui fut fait en 1/2 heure, & ayant incontinent osté le feu, nous trouvâmes que la couleur rouge étoit gâtée, & qu’elle tiroit sur le jaune; les morceaux d’étoffe étoient tout à fait gâtez & se déchiroient sans peine quoy que pour l’ordinaire on puisse faire boüillir cette étoffe trois heures sans se gâter. Cette experience nous fit croire que le Rubea tinctorum, ny les étoffes ne sont pas propres pour une si grande chaleur.

Monsieur Meres eut en suite envie de voir si la cochenille pourroit donner toute sa couleur sans être morduë; Pour 143 cét effet il mit trois grains de Cochenille, fort entiers dans trois onces & demie d’eau, & en même temps il mit dans l’autre marmitte de la Cochenille commune qui se vend huit fois meilleur marché que l’autre, à cause de cela il en mit environ huit fois plus à proportion de l’eau; ayant poussé le feu de même que dans l’experience precedente, nous trouvâmes que dans le premier verre il y avoit eu un des grains de Cochenille qui s’êtoit tout à fait dissout, & que les deux autres n’avoient plus du tout de couleur, mais qu’ils étoient noirs. La liqueur êtoit d’un beau rouge: mais dans l’autre verre la teinture êtoit bien plus forte.

Cette experience fit voir qu’on peut par le moyen du Bain Marie 144 fermé à vis, épargner toute la peine & le déchet qu’il y a à brayer la Cochenille, & que peut-être la Cochenille commune donneroit beaucoup plus de teinture qu’elle ne fait d’ordinaire.

Je fis avec ces liqueurs une experience pour sçavoir si la Machine du vuide pourroit servir à faire penetrer les teintures dans les étoffes; Je mis un morceau d’étoffe dans une des liqueurs, & les ayant mis dans le vuide, je vis comme je l’attendois, qu’il sortit grande quantité d’air de l’étoffe, si bien que je croyois que la teinture entrant ensuite dans la place de cét air, se trouveroit avoir bien penetré par tout; cependant quand j’eus redonné l’air, & que l’humidité de l’étoffe eut esté exprimée, 145 il se trouva qu’il n’y resta pas de couleur, ce qui me fit voir que ce n’est pas assez que la teinture s’insinuë entre les poils mesmes; & elle ne sçauroit s’y insinuer si les parties dont chaque poil est composé, ne sont rarefiées par la chaleur qui a bien plus de force pour cela, que le vuide.

EXPERIENCE IV.

LE 18. Aoust ie mis deux morceaux d’étoffe de laine dans deux marmittes de verre, & ie versay sur l’un de la teinture de cochenille à bon marché, & sur l’autre du suc de prunes distillées de la maniere décrite chap. 6. exper. 3. ie ne poussay le feu que iusques à faire évaporer la goutte d’eau en quarante deux secondes & six pressions; ensuite i’ôtay vite le feu, 146 craignant que l’étoffe ne fust gâtée; les vaisseaux estant refroidis, ie trouvay mes deux morceaux d’étoffe encore bons & bien teints, celuy qui estoit dans le ius de pruneaux aussi bien que l’autre, mais il estoit d’un rouge plus enfoncé & tirant sur le brun; le iu des pruneaux aussi avoit beaucoup changé de couleur, estant devenu rougeastre de violet qu’il estoit auparavant, il estoit aussi devenu plus liquide.

Cette experience fait voir que le Bain Marie conservant longtemps les choses à la chaleur sans qu’elles se gastent, & retenant les plus subtiles parties qui s’exhalent d’ordinaire, sera propre à faire penetrer dans les étoffes des teintures, qui d’ordinaire sont estimées trop visqueuses, 147 comme est le ius de pruneaux.

Parce que pour les teintures on ne se soucie pas du goût, Mr. Meres croit qu’on n’auroit pas besoin de marmitte pour mettre dans le Bain Marie; ainsi ie croy qu’on pourroit laisser l’ouverture moindre que la cavité, comme vous voyez fig. 6. & il faudroit aussi suspendre cette machine en equilibre sur les tourillons CC, afin de la vuider & remplir facilement.

Si on vouloit y teindre des étoffes, il faudroit que l’entrée HH fust du moins assez grande pour pouvoir introduire les pieces d’étoffe dans la cavité AA.

148

Chapitre VIII.

EXPERIENCES SUR LES CORPS PLUS DURS, COMME L’AMBRE, L’YVOIRE, &c.

J'Ay fait des experiences sur des corps plus durs, comme l’ambre, l’yvoire, la corne de bœuf, l’écaille de tortuë; mais comme ie n’y ay encore rien trouvé qui puisse estre utile dans la pratique, je ne veux pas ennuyer le lecteur en rapportant toutes les particularitez des experiences; Je me contenteray donc simplement de donner quelque peu d’observations qu’elles m’ont fourni.

1o. Ie n’ay jamais pu fondre 149 l’ambre, quelque degré de chaleur que j’aye employé, quoy que j’emplisse la Machine avec de la pois & du sable au lieu d’eau, & que je la fermasse avec 8. vis au lieu de 2. J’ay bien pû faire la separation de diverses substances dont il est composé, sçavoir de baume, des fumées, & des terrestreitez; mais tout cela ne se peut appeller de l’ambre fondu, puis qu’il n’a plus les proprietez de l’ambre, car si on dissout ces substances dans l’esprit de therebentine, elles ne sçauroient acquerir beaucoup de dureté, quoy qu’on fasse évaporer l’esprit; & une chaleur mediocre peut les ramolir, comme si ce n’estoit que la therebentine endurcie.

2o. Mr. Boyle m’ayant donné de la gomme copal pour essayer ce 150 qu’elle feroit, je trouvay bien à la verité qu’elle se fondit sans se gaster beaucoup: mais quand je voulus m’en servir pour faciliter la fonte de l’ambre, je n’y pus reüssir, j’ay voulu employer pour ce même dessein du mastik, de la gomme adragant, de la poix resiné, mais tout cela a été inutilement, si bien que je croy qu’on peut asseurer, que pour la fonte de l’ambre il faut une chaleur plus forte & plus prompte que cette Machine n’en peut donner.

3o. Quoy qu’il semble que la corne de bœuf soit un corps plus gluant que les os, je n’ay jamais pu en tirer aucune gelée ny colle, quoyque j’aye remis la mesme corne trois ou quatre fois de suite dans la Machine sur le feu.

4o. Je n’ay jamais pu prendre 151 l’yvoire molle & pliante, quoyque je l’aye fait cuire de diverses manieres, & avec diverses liqueurs, comme sont la graisse, l’huyle, la bierre & l’eau, j’en ay tiré de fort belle gelée bien transparente, mais l’yvoire demeure cassante.

5o. L’écaille de tortuë ne se sçauroit ramollir en boüillant dans l’huyle, mais dans l’esprit de vin elle s’enfle, & devient pleine de cavitez comme une éponge.

6o. La corne de bœuf & l’écaille de tortuë ayant esté cuittes dans l’eau, a une chaleur capable de faire exhaler la goutte d’eau en 3. secondes, avec une pression interieure 12. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; elles deviennent si molles, qu’elles ne se rendurcissent point en 3. ou 4. jours de temps, & 152 peut-estre que cecy pourroit être d'usage dans la pratique, & donner plus de commodité de mettre ces matieres en œuvres, que quand elles ne sont échauffées qu’à la maniere ordinaire; il faut pourtant avoüer qu’elles demeurent aprés cela plus cassantes qu’auparavant; & j’ay une fois veu deux pieces d’écaille de tortuë, qui en cuisant ensemble, s’estoient si bien collées l’une à l’autre, qu’elles se rompoient ailleurs, plûtost que de se des-unir.

153

Chapitre IX.

CALCVL DV PRIX A QUOY DE BONNES & GRANDES MACHINES POURROIENT REVENIR, & DU PROFIT QU’ELLES POURROIENT APPORTER.

PArce que l’on objecte d’ordinaire contre les nouvelles Inventions, que la dépense ira plus loing que le profit qu’elles pourront apporter, j’ajoûteray icy un calcul de la dépense qu’il y auroit à faire pour de telles machines que celles que j’ay décrites, & du profit qu’on en tireroit.

J’ay esté chez un Marchand de 154 fer, & j’y ay fait peser un tuyau de fer de fonte qui avoit 6. pouces de diametre & 2. pieds de haut, il estoit sans doute assez fort pour resister à une pression interieure 20. fois plus forte que la pression ordinaire de l’air; cependant il ne pesoit que 57. liv. si bien qu’un autre tuyau de cette sorte qui auroit 12. pouces de diametre, & autant de force à proportion de sa grosseur ne peseroit qu’environ 228. liv. mais quand mesme un vaisseau de cette grandeur avec ses fonds peseroit 250. liv. il ne reviendroit toûjours pas à 29. livres tournois, puisque les marchands peuvent gagner en donnant cette sorte de fer pour 2 1/2 sols la livre.

On pourroit faire user & ajuster le couvercle au vaisseau 155 dans le lieu mesme où sont les forges, & où les ouvriers travaillent à bon marché, & ainsi cela se pourroit faire à moins de 20. sols pour chaque Machine.

Les pieces de fer DD avec les quatre vis crainte que deux ne fussent pas suffisantes, & la verge de fer LM se pourroient faire à moins d’un écu, sur tout si on les faisoit à la campagne, & beaucoup à la fois.

Ce ne seroit aussi que trop de donner un écu pour mettre le tuyau HH, & y aioûter la soupape.

On pourroit aussi avoir la marmitte GG de fonte, de fer, de verre ou de pots de grais pour moins de 4. écus, & elle seroit assez forte & assez grande pour contenir 8. livres d’eau, i’avouë 156 pourtant qu’il seroit difficile de faire un verre si grand, mais au lieu d’un, on en pourroit faire trois ou quatre, pour mettre l’un sur l’autre dans le mesme chassis. On peut donc asseurer qu’un marchand pourroit avec bon profit vendre de telles marchandises à seize écus la piece toutes prestes & en bon estat.

Une Machine telle que ie viens de décrire feroit plus de 50. liv. de gelée à la fois, & elle pourroit faire son effet du moins deux fois en 24. heures; car i’ay éprouvé que ma grande Machine qui a six pouces de diametre, peut en moins d’une heure acquerir toute la chaleur necessaire pour faire de la gelée d'os. On peut donc asseurer qu’on pourroit faire du moins 110. liv. de gelée par iour avec une machine de 12 pouces de diametre.

157

Or dans Paris, où quelques Traitteurs tiennent toûjours de la gelée prête pour ceux qui en veulent achepter; On la vend communement vingt sols la livre: mais dans Londres où l’on n’en fait que quand on la demande, les Apoticaires la vendent deux Chelins; ce seroit donc rendre un bon service au public, si quelqu’un entreprenoit de fournir la gelée à 4. sols la livre; Cependant un homme pourroit à ce prix-là faire par jour pour environ vingt livres tournois de gelée avec telle machine.

Le feu ne coûteroit pas six sols, & on auroit aussi les os, & un peu de corne de Cerf à bon marché, n’êtant pas necessaire de les raper, il ne faut pas non plus beaucoup de sucre pour la gelée, mais supposons que la dépense 158 monte à huit livres tournois par jour, il restera toûjours quatre écus de profit pour le Maître de la Machine, & ainsi en quatre jours de temps, il pourra être remboursé de la dépense de l’achapt, & un homme seul pourroit faire travailler cinq ou six machines à la fois, & les employer pour divers usages, dont quelques-uns seroient peut-être de plus grand profit que de faire de la gelée; Il ne faut donc point douter, que ceux qui auront les avances necessaires pour travailler à bon escient à ces sortes de choses, y pourront faire parfaitement bien leurs affaires, & en même temps rendre un service au public.

159

ADVIS

MOnsieur Edmond King Docteur en Medecine, & l’un des membres de la Societé Royale de Londres, ayant fait faire une de ces machines, pour plus grande commodité & seureté a fait ajuster la verge de fer LM avec une charniere à l’extremité L, afin qu’elle tombe toûjours juste sur le Tuyau HH, & qu’il n’y ait pas de danger que la soupape P glisse à costé & gaste l’operation: Il a aussi fait bâtir un fourneau de brique tout exprés: & ainsi j’ay eu depuis la commodité d’essayer si par ce moyen la dépense du charbon seroit moindre que dans le coin 160 de ma cheminée (voy chap. 1.) mais j’ay trouvé contre mon attente que la dépense de charbon est beaucoup plus grande dans son fourneau, dont je croy devoir attribuer la raison à ce que les charbons dans son fourneau ne touchent pas la machine, mais demeurent à quelque distance au dessous; de mesme que dans les fourneaux ordinaires à bain de sable les charbons ne touchent pas le pot, au lieu que dans ma cheminée le charbon touche la machine presque tout le long d’un costé, & ainsi la peuvent bien mieux échauffer. Il y a donc apparence qu’il vaudroit mieux faire les fourneaux en sorte que les charbons touchassent la machine tout le long d’un costé: il vaudroit 161 mieux aussi les faire de plaques de fer, parce que les fourneaux de brique demandent beaucoup de feu pour estre tout à fait échauffez, à moins qu’on les fasse travailler continuellement.

Cependant Mr. King a fait diverses experiences avec sa machine, ayant la commodité que le feu s’y allume sans qu’il soit besoin de souffler. Outre plusieurs bons plats de viande & de poisson, il a aussi preparé dîvers remedes, & a trouvé que dans cette machine l’operation se peut faire en moins de la dixiéme partie du temps qui est necessaire dans les autres fourneaux; & pourtant quelques unes de ces preparations sont beaucoup plus fortes que l’ordinaire.

162

Nous avons veu qu’en hyver la corne de cerf estant boüillie avec douze fois aussi pesant d’eau, elle la change toute en gelée: les os font la mesme chose estant boüillis avec quatre fois aussi pesant d’eau, ce qui est du moins le double de ce que j’avois trouvé en esté. A cette occasion je rapporteray deux autres effets qui ne se produisent pas également en hyver & en esté: la premiere est la fermentation des os dont j’ay parlé chap. 3. exp. 8. qui ne se fait pas de beaucoup si bien dans le froid que dans le chaud; le second est la cuisson des viandes: car j’ay éprouvé avec ma machine que le mouton se cuit fort bien en esté avec 5. onces de charbon; mais en hyver il ne se peut bien cuire à moins de 6 1/2 onces.

163

Nous avons veu qu’il n’est pas necessaire de mettre dans la machine toute l’eau qu’on veut congeler; mais mettant poids égal d’os & d’eau, aprês l’operation cette eau estant mêlée avec trois fois autant d’autre eau, la tourne toute en gelée; & ainsi la quantité de gelée qu’on peut faire avec une machine, & par consequent le profit qu’on en peut tirer, va bien plus loin que je n’ay dit dans le 9. Chapitre.

J’ay trouvé qu’un vieux chappeau fort méchant & mal travaillé, estant penetré de gelée d’os, est devenu bon & ferme; en sorte qu’il y a apparence que si on se servoit d’une telle liqueur pour faire les chappeaux, ils seroient bien meilleurs que l’ordinaire.

164

La machine de Mr King ayant déja donné lieu à ces experiences; Je ne doute pas que quand la chose sera devenuë commune, on en découvrira beaucoup d’autres usages en fort peu de temps.

165

ADVIS

DE MONSIEVR COMIERS
Prévôt de Ternant, Professeur des Mathematiques à Paris.

LA Version du Livre Anglois de Mr Papin, est autant bonne qu’on la peut souhaitter: Mais comme ce docte Medecin François de naissance, & experimenté Philosophe Cosmopolite, que l’Academie nouvellement établie à Venise, pour perfectionner les Arts & les Sciences, a tiré d’Angleterre, ne fit que passer par Paris, & y salüer ses anciens amis; il n’eut pas le temps d’y faire construire sa Machine pour amolir les Os, & faire cuire 166 toutes sortes de Viandes en fort peu de temps, & à peu de frais: plusieurs personnes n’ont peu y réüssir. Cela m’a obligé de donner au public la même Machine, renduë beaucoup plus facile, plus commode & plus asseurée, & telle que Mr Hubin Emailleur du Roy, & si connu parmy les Sçavans curieux, la fit construire au mois d’Avril dernier, avec laquelle il a le premier en France, montré par experience à la Cour, & à Mrs. de l’Academie Royale des Sçiences, tout ce que Mr Papin son ancien amy, avoit promis dans son livre imprimé à Londres.

On connoistra par la seule inspection de ces figures, en quoy cette machine est plus facile, plus commode & plus seure, 167 que celle de Mr Papin.

La Figure premiere marquée par les lettres GG:FF, represente le Cylindre creux dans lequel on met cuire les Fruits, les Legumes, les Poissons, les Chairs, & les Os pour en faire de la gelée.

Ce Cylindre creux est de Metal. Sa hauteur est d’un pied de Roy. Son diametre est de quatre pouces. Son rebord, ou cordon GG, est de quatre lignes d’épaisseur, & d’autant de sallie.

La Figure II marquée H, represente un couvercle de fonte, de trois lignes d’épaisseur, un peu voutée, pour mettre sur le Cylindre creux GG,FF.

La Figure III, marquée K,V,K:K,L,K, represente une espece d’Estrier de fer.

168

La Figure IV, marquée N, est une Platine de fer, de quatre lignes d’épaisseur, pour mettre sur L, fonds de l’Estrier.

La Figure V, marquée par les lettres KVK:GG.K:FF:K, represente le Cylindre creux GG:FF de la Fig. I. mis dans l’Estrier de Fig. III. On serre fortement le couvercle H, sur la bouche GG, du Cylindre creux par le moyen de la vis V, qu’on tourne avec le gros poinçon de fer Q qu’on voit dans la Fig. IX.

La Fig. VI, marquée par les lettres BB:DD. est un Cylindre creux de fonte. Son rebord ou cordon BB a six lignes de hauteur & autant de sallie. Son fonds DD est épais d’environ quatre lignes, afin que par l’effort de la pression interne 169 il ne bouge, la machine figure X estant mise sur les charbons ardents. La concavité de ce Cylindre BD. Fig. VI. à un pied & un pouce de profondeur, & cinq pouces & demi de diametre d’ouverture ou largeur pour recevoir toute la machine de la Figure V. laquelle est supportée au fonds DD sur un petit bourclet cercle ou couronne de paille.

La Figure VII, marquée par les lettres a,T,a:AA. represente un Cylindre de fonte creux & renversé, pour servir de couvercle au Cylindre creux B,B:D,D. de la Fig. VI, ainsi qu’on le voit dans la Fig. X. Son diametre est égal a celuy du Cylindre creux BB. Sa hauteur est de deux pouces & demi. Son rebord ou cordon AA, est 170 de six lignes de hauteur, & d’autant de saillie. Le Tuyau T est de fonte, & soudé au travers du fond aa, du couvercle aa:AA, son usage, est tel que Mr Papin l’a décrit.

La Figure VIII, marquée Y, est une platine de fer de quatre lignes d’épaisseur, elle est un peu cambrée sur le milieu: Elle est aussi échancrée en Z, afin qu’en la mettant sur le fonds aa, du couvercle aa:BB, comme on le voit dans la Fig. X. elle reçoive le Tuyau T. Cette platine y sert à presser & joindre tres-fermement par le moyen des vis O, I. le couvercle aa:AA. avec le Cylindre BB:DD. comme il paroist dans la Fig. X.

La Figure VIII, marquée par les lettres RC:OMI:ES 171 est forgée en double Equerre, donc les deux extremitez sont forgées quarrément en crochets chacun de demi pouce de sallie en dedans. Ces crochets embrassent le corps du Cylindre, AA.BB. de la fig. VI. par dessous le rebord sallie ou cordon BB, comme le tout paroît dans la Fig. X. Enfin par le moyen des deux vis O:I. qu’on tourne avec le gros poinçon de fer Q Fig. IX. dans des écrous de la bande de fer CE, on serre, & on joint tres-étroitement le couvercle aa:AA de la Fig. VII, sur la bouche BB du Cylindre creux BB.DD de la Fig. VI, comme on voit le tout dans la Fig. X.

Ce double Equerre RCES porte une petite boucle M, qui sert à acrocher, comme il paroist 172 dans la Fig. X, le levier, verge, ou barre plate de fer MTX, laquelle par sa pesanteur, & par celle du poids P sert à presser le papier qu’on met sur le trou du tuyau T, pour le bien boucher, afin que pendant que la machine est sur les charbons ardens il n’en puisse rien échapper ou exhaler.

Ce double Equerre à crochets a par tout un pouce & demi de largeur, & demi pouce d’épaisseur. Ses crochets RS ont du moins demi pouce de sallie en dedans. La largeur ou distance d’entre les deux barres plates CR:ES, est égale au diametre des rebords, sallies ou cordons AA.BB. qu’elles embrassent; mais la distance RS de l’extremité ou pointe d’un crochet à l’autre, est precisément 173 de la largeur du diametre du corps du Cylindre BB:DD, qu’ils doivent embrasser au dessous du cordon BB, qui a de chaque costé un demi pouce de sallie. La hauteur inferieure de ce double Equerre RC, est d’environ quatre pouces, afin de pouvoir embrasser le cordon BB, tout le couvercle aa:AA, & la platine Y sur laquelle portent les pointes des vis OI, qui tournent dans des Ecrous de la partie horizontale CE du double équerre RC:OMI:ES.

J’ay depuis remarqué qu’on peut encore rendre cette machine plus facile & de moindre dépense: en voicy la maniere. Faites que le Cylindre creux de fonte de la Fig. VI, marquée par les lettres BB:DD, 174 soit assez profond pour recevoir entierement toute la machine de la Fig. V, marquée par les lettres KVK:GG.KFFK. Cela estant vous n’aurez pas besoin du couvercle, en Cylindre creux de la Fig. VII, marqué par les lettres a,T,a:AA: il suffira d’avoir une platine de metal de 3, ou 4 lignes d’épaisseur, dont le diametre sera égal au diametre BB du Cylindre creux de fonte y compris son rebord, ou cordon. Cette platine servira donc de couvercle au Cylindre creux marqué AA:BB dans les figures VI & X. On soudera au travers de cette platine le Tuyau de fonte T. Ainsi on remplira d’eau tout à coup la machine AA:BB, laquelle estant couverte de sa platine, & sur icelle 175 ayant mis l’autre platine échancrée yz de la Fig. VIII, on adjustera le doule Equerre marqué par les lettres C:OMIE:RS, &c.

Ceux qui souhaitteront avoir la Machine reduite dans toute sa facilité & de moindre dépense, telle que nous l’avons donné cy-dessus, s’addresseront au Sr HOVDRY, Maistre Fondeur, ruë de la Ferronerie.


Au lecteur

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