The Project Gutenberg EBook of La Femme doit-elle voter ? Le pour et le contre, by Joseph Ginestou This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: La Femme doit-elle voter ? Le pour et le contre Thèse pour le doctorat ès sciences politiques et économiques Author: Joseph Ginestou Release Date: December 31, 2016 [EBook #53848] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA FEMME DOIT-ELLE VOTER ? *** Produced by Isabelle Kozsuch and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER
FACULTÉ DE DROIT
La Femme doit-elle voter?
(Le Pour et le Contre)
THÈSE
pour le Doctorat ès Sciences politiques et économiques
PAR
Joseph GINESTOU
MONTPELLIER
Imprimerie Grollier, Alfred DUPUY, successeur
7, Boulevard du Peyrou
1910
UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER
FACULTÉ DE DROIT
MM. VIGIÉ, Doyen, professeur de Droit civil, chargé du cours d’Enregistrement. | ||
BRÉMOND, Assesseur, professeur de Droit administratif. | ||
GLAIZE, professeur honoraire. | ||
LABORDE, professeur de Droit criminel, chargé du cours de Législation et Économie industrielles. | ||
CHARMONT, professeur de Droit civil. | ||
CHAUSSE, professeur de Droit romain. | ||
VALÉRY, professeur de Droit commercial, chargé du cours de Droit international privé. | ||
PERREAU, professeur de Procédure civile. | ||
MARGAT, professeur de Droit civil. | ||
MOYE, professeur de Droit international public. | ||
RIST, professeur d’Économie politique. | ||
BARTHÉLEMY, agrégé, chargé d’un cours de Droit constitutionnel. | ||
GIFFARD, agrégé, chargé d’un cours d’Histoire du Droit. | ||
MORIN, agrégé, chargé d’un cours de Droit civil approfondi. | ||
BRIDREY, agrégé, chargé d’un cours de Droit romain. | ||
NOGARO, agrégé, chargé d’un cours d’Economie politique. | ||
ROCHETTE, secrétaire. | ||
MEMBRES DU JURY | ||
MM. BRÉMOND, Président. | ||
MOYE, | } | Assesseurs. |
BARTHÉLEMY, |
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
A LA MÉMOIRE DE MON PÈRE
A MA MÈRE
MEIS ET AMICIS
La question du Suffrage des femmes qui, jusqu’à nos jours, n’avait eu en France que les honneurs d’une presse inconnue du public, les journaux féministes, ou n’avait été dans son ensemble qu’un pur mouvement littéraire, vient de prendre, grâce aux excentricités retentissantes des suffragettes anglaises et aux réclamations plus calmes et plus sensées des françaises, une importance qu’il serait peut-être téméraire de vouloir dissimuler.
De tous côtés, dans les journaux, les revues, en librairie, au théâtre, dans les conférences, le féminisme est le sujet pour ainsi dire obligatoire, la dernière nouveauté, l’inédit. Les hommes féministes, sans souci de leur dédoublement, comme les Hervieu, les Jules Bois, les Sembat, les Marguerite, ne craignent pas d’apporter à cette cause l’appui de leur haute compétence et de nous présenter, telle qu’ils la rêvent, la femme de demain: l’égale de l’homme. Au Sénat, des hommes éminents se font les porte-drapeaux des revendications du sexe faible; à la Chambre, de véritables discours féministes sont prononcés. Le cabinet de M. Briand, président du Conseil, 8 s’ouvre devant Mme Schmall, une des plus sympathiques représentantes de ce grand mouvement. M. Fallières, président de la République, n’hésite nullement à proclamer ses sympathies pour les Eves nouvelles. En un mot, le féminisme est à l’ordre du jour. C’est une Révolution, comme on l’a dit, mais une Révolution sans R.
La bataille est engagée. D’un côté, quelques femmes convaincues et sincères dont l’idéal est de devenir des hommes; de l’autre, un public indifférent, ne connaissant la question que par les caricatures, les calembours et les plaisanteries des journalistes, riant de l’étrangeté paradoxale de ces prétentions et, bonhomme, acceptant, ironique et amusé, ce tournoi du divorce des sexes.
L’attaque est alertement menée par les suffragettes, soutenues parfois par des hommes au talent incontestable. Impassible, Monsieur Tout-le-Monde assiste à cette lutte sinon imprévue, du moins étrange.
Parfois des mots cruels traversent le champ de bataille des journaux, des livres, des revues ou des salles de conférence:
«Les féministes sont les laissés pour compte de l’amour»[1].
«La femme est un moyen terme entre l’homme et l’animal»[2].
9
«La famille a un vote; si elle en avait deux, elle périrait»[3].
Exaltée et vibrante d’espoir, une réponse féministe essaie de regagner la partie souvent compromise:
«Il ne faut pas désespérer du monde si les femmes obtiennent le droit de suffrage»[4].
«Dénier au sexe féminin le droit de suffrage, c’est lui refuser le droit de légitime défense»[5].
Notre intention n’est point, certes, d’endiguer les flots tumultueux de cette houle féministe; l’œuvre serait trop grande et l’auteur... trop petit. De même d’apporter au camp des révolutionnaires en dentelles, malgré tout l’attrait qu’elles nous inspirent, le secours d’une plume si peu autorisée et inconnue.
Nous nous bornerons simplement à être les spectateurs de cette lutte nouvelle et de ce pénible travail de désexualisation. Impartialement, nous compterons les coups; nous enregistrerons les défaites sans rancœur, nous soulignerons les victoires avec modestie. Dans cette thèse, nous examinerons de prime abord l’acteur principal de la question: «la femme». Nous donnerons ensuite les raisons qui militent en faveur de leur plaidoyer pour l’obtention des droits politiques; malgré toute notre galanterie, nous exposerons enfin celles qui leur sont défavorables.
10
Et si, nouveau révolutionnaire, nous laissons parfois entrevoir dans le courant de la discussion des sentiments féministes, que les hommes nous pardonnent!
Mais si, par contre, partisan du bon vieux temps, malgré tout l’amour et le respect que nous avons pour la femme, nous émettons des opinions contraires à leurs revendications viriles, qu’elles nous pardonnent aussi.
Avouerons-nous humblement, Mesdames, que ce pardon, si léger soit-il, nous sommes sûr de ne jamais l’obtenir!
11
LA PLACE DE LA FEMME DANS LA SOCIÉTÉ
A TRAVERS LES AGES
QUELQUES APPRÉCIATIONS
Il est en ce moment-ci un être qui ne cesse de gémir et de se lamenter sur son sort. Nous avons nommé la femme. Et parmi ses lamentations, il en est une qui par sa persistance et son opiniâtreté a su attirer l’attention sur le sexe féminin; c’est la complainte du suffrage.
Ces dames veulent à tout prix avoir le droit et l’honneur de déposer elles-mêmes dans l’urne un bulletin de vote.
Avant d’accéder à leur désir et de satisfaire leur amour-propre chatouilleux, examinons la place occupée par la femme à travers les âges et comment elle fut appréciée.
12
La femme, c’est ce grand point d’interrogation éternellement suspendu sur nos têtes, c’est un cœur derrière lequel il se passe toujours quelque chose, et depuis que le monde est monde, un seul jour ne s’est levé sans que dans l’univers un homme de bon sens ne se soit demandé quelle était cette étrange petite créature! Depuis sa création, les hommes sont là, attendant vainement celui qui leur dira la clef de cette énigme parfois si amusante et si douce, parfois si cruelle et si terrible, mais néanmoins toujours troublante! Qui dira ce qu’elle a engendré de beauté, de force et de vie, mais par contre ce qu’elle a fait naître de tristesses, d’amertumes et de douleurs.
Dans les civilisations antiques, la femme nous apparaît comme étant l’esclave de l’homme. Les Grecs l’enfermèrent jalousement, ne lui donnant aucune éducation et la considérant comme un simple objet de luxe.
Rome fit d’elle une perpétuelle déchue, et malgré la gloire qui rejaillit sur la femme avec les noms d’Aggrypine, de Lucrèce et de Cornélie, la conserva dans un état d’abaissement constant.
Le catholicisme, dans sa toute bonté compatissante, releva le front de l’éternelle serve, mais ne changea guère au point de vue social et moral la domination de l’homme sur elle. Avec le Moyen-âge, la femme fut idéalisée; elle devint la Grande Inspiratrice, le stimulant et le but de toute activité. «Plus que Poète, elle est la Poésie», comme le dit Lamartine. La Renaissance commence à diminuer 13 la femme comme être moral. Sous la Révolution, elle relève la tête, et Victor Hugo s’écrie plus tard: «Le XIXe siècle a proclamé les droits de l’homme, le XXe siècle proclamera ceux de la femme».
Parmi les appréciations portées sur elle, il en est quelques-unes qui par leur piquant, leur humour et surtout leur cruelle vérité méritent d’être citées:
«Souveraine peste, s’écrie Jean Crysostome, c’est par toi que le diable a triomphé de notre premier père»[6].
«J’ai trouvé la femme plus amère que la mort, elle est semblable au filet des chasseurs»[7].
Saint Thomas, très irrévérencieusement, la baptise: «Être accidentel et manqué».
Les lois de Manou, dans leur éternelle sagesse et leur naïveté poétique, nous la représentent comme une esclave: «Une femme ne doit jamais se gouverner à sa guise»[8].
«Il faut se défier d’elle, parce que la nature du sexe féminin est de chercher ici-bas à corrompre les hommes»[9].
«La femme peut en ce monde écarter du droit chemin non seulement l’insensé mais aussi l’homme pourvu d’expérience»[10].
14
Tel compare la voix de la femme au sifflement du serpent et leur langue au dard du scorpion!
Saint Paul nous dit: «Le mari est le chef de la femme.»
L’antiquité fut sans pitié pour elle. Tertullien ne désirait qu’une chose, «que la femme cachât son visage, toujours et partout.» «Femme, tu es la porte du diable; c’est toi qui as persuadé celui que le diable n’osait attaquer en face; c’est à cause de toi que le Fils de Dieu a dû mourir. Tu devrais t’en aller en haillons et en deuil, offrant aux regards des yeux pleins de larmes de repentir pour faire oublier que tu as perdu le genre humain»[11].
Saint Antoine l’appelait «le Diable en personne»; saint Bonaventure «un scorpion toujours prêt à piquer»; saint Jean de Damas «un affreux ténia qui a son siège dans le cœur de l’homme.»
Les expressions les plus cruelles lui étaient destinées: «Fille de mensonge, porte de l’enfer, vase d’impureté, larve du démon.»
Le Koran, dans ses versets enthousiastes, est parfois très dur pour elle: «Attribuera-t-on à Dieu comme enfant un être qui grandit dans les ornements et les parures et qui est toujours prêt à se disputer sans raison»[12].
Aux yeux des Chinois, «la femme n’est qu’une 15 machine à faire des enfants. Quand elle est détraquée, on lui en adjoint une deuxième, une troisième, suivant la fortune du mari»[13].
Montaigne plaisamment se moque d’elles: «De bonnes, il n’en est point à la douzaine»[14].
Molière immortalise leurs défauts dans les Précieuses ridicules et les Femmes savantes. Les philosophes du XVIIIe siècle, Rousseau, Montesquieu, etc., la considèrent simplement comme un instrument de plaisir.
Mme de Sévigné, cependant délicieuse dans ses Lettres, se compare à une bête de compagnie; Schopenhauer n’hésite pas à écrire: «C’est un animal qu’il faut battre, bien nourrir et enfermer»; tandis qu’Alexandre Dumas, enveloppant son opinion sévère dans une phrase poétique, nous dit: «La femme est la seule œuvre inachevée que Dieu ait permis à l’homme de reprendre et de finir. C’est un ange de rebus»[15]. Milton l’appelle: «Un beau défaut de la nature».
Enfin, de nos jours, une Allemande au talent indiscutable, Mme Boelhau, avait l’audace et la superbe franchise de répondre: «La femme est une demi-Bête».
Voilà donc, très brièvement résumées, les opinions 16 que l’on a eues sur les femmes. Certes, la question n’est point résolue et ce tableau aux larges coups de crayon, à l’emporte-pièce, ne nous donne point la solution de cet éternel problème: qui est-elle? Il permet cependant, malgré son pessimisme poussé à outrance, de se faire une idée de ce petit être qui gémit et qui pleure en demandant aujourd’hui sa part de gâteau politique et social. Que conclure? Le mieux serait, semble-t-il, de s’abstenir. Certes, il existe de par les livres enthousiastes et profondément féministes, des expressions et des chapitres nous représentant la femme comme un être supérieur et d’essence divine. Nous ne prendrons point parti dans ces comparaisons, notre but ayant été simplement d’esquisser un léger portrait de notre compagne. Et si maintenant, Mesdames, vous trouviez ridicules et malsonnantes ces appréciations par trop réalistes, mais cependant justes dans leur délicieuse concision, pour essayer d’atténuer votre douleur et calmer votre dépit, disons avec le grand Proudhon: «Non, toutes ces imprécations ne sont qu’un hommage désespéré à votre éternelle beauté.»
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RAISONS POUR LESQUELLES LA FEMME DOIT VOTER
«Sont électeurs tous les Français âgés de 21 ans et jouissant de leurs droits civils et politiques».
Le suffrage universel, tel est le mode de vote de la nation française. Mais existe-t-il vraiment dans toute la plénitude de sa conception et malgré la merveilleuse et généreuse idée de cette expression, n’y aurait-il pas un mirage trompeur faussant sa portée et son fonctionnement?
Et tout d’abord, comme à toute règle, nous trouvons des exceptions. Le Code, dans sa rigidité absolue, nous énumère les différentes sortes d’incapables. Ce sont:
1o Les individus condamnés soit à des peines afflictives ou infamantes, soit à des peines infamantes seulement (suit l’énumération des diverses condamnations et peines);
18
2o Les interdits;
3o Les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux français, soit par jugements rendus à l’étranger mais exécutés en France (modifié par la loi du 31 décembre 1904). Loi du 2 février 1852, modifiée par celle du 24 janvier 1859.
Ainsi, en dehors de cette énumération d’incapables, nous concluons, anomalie étrange, qu’un citoyen, fût-il illettré, stupide, idiot, parfait gredin ou malhonnête sans condamnation, demi-fou ou voleur réhabilité, a le droit, au nom des lois de la République française, de déposer dans l’urne son bulletin de vote.
Et la femme? Pourquoi l’assimiler à cette catégorie peu intéressante d’individus: «Est incapable toute personne que la loi prive de certains droits». Mais avons-nous un texte de loi autorisant à affirmer que les femmes sont comprises parmi les incapables? Non. Pourquoi alors établir contre elle une présomption d’incapacité?
Et ce fameux suffrage, dit légalement universel, n’est-il point alors limité? La souveraineté, dit Turgeon, ne découle pas exclusivement soit des hommes, soit des femmes, mais du peuple entier, de tous les membres de la nation, de l’ensemble des hommes et des femmes. D’un mot, elle est bisexuelle. Cela étant, la conclusion s’impose: tous souverains, tous électeurs.
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L’élégante place réservée à la femme entre un failli ou un voleur! Et cela au nom de quelle loi? au nom de quel texte?
«Aujourd’hui, la femme est moins encore que le gredin, que l’enfant, que l’aliéné, car le fripon redevient citoyen à l’expiration de sa peine, le mineur est capable au jour de sa majorité, l’aliéné en recouvrant sa raison est restitué dans ses droits, tandis que la femme, quelles que soient son intelligence, sa sagesse, ses vertus, demeure toujours la condamnée, la proscrite, l’éternelle mineure, la perpétuelle déchue»[16].
Incapable! «Quand je pense, s’écrie Alexandre Dumas fils, que Jeanne d’Arc ne pourrait pas voter pour les conseillers municipaux de Domrémy, dans ce beau pays de France qu’elle aurait sauvé»[17].
La discussion est certainement sérieuse et mérite qu’on pèse la valeur des arguments pour ou contre. Il est exact qu’on ne trouve pas dans le Code un texte refusant aux femmes le droit de voter. Il est encore exact que la femme n’est point comprise dans la liste des incapables. Mais ceux qui, obstinément, s’appuyant sur ces deux constatations, sans vouloir un seul instant discuter, se bouchent les oreilles et disent: La loi n’interdit pas aux femmes de voter..., le mot citoyen signifie: personne des deux sexes..., donc la 20 femme a le droit de voter, ces gens-là raisonnent mal ou plutôt ne raisonnent pas du tout.
Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Quiconque prend un texte au pied de la lettre, sans le comprendre ou l’approfondir, risque fort d’en altérer le sens et la portée. Voilà pourquoi il s’est établi à côté du Code, parfois barbare dans sa sécheresse brève et sa rigueur immuable, un courant parallèle qu’on appelle la jurisprudence.
Cette jurisprudence, établie non point pour corriger la Loi, mais simplement pour la rendre plus souple, plus malléable, éclaire à la lueur des textes et principalement de la raison et du bon sens les articles obscurs et sujets à discussion. Elle permet ainsi d’éviter souvent de nombreuses erreurs, car n’oublions pas que les extrêmes se touchent. Une justice extrêmement rigoureuse et toujours énergique ne serait souvent que de l’injustice.
Que dire alors de l’interprétation de ce texte à l’aide de la jurisprudence: «Sont électeurs tous les Français âgés de vingt et un ans et jouissant de leurs droits civils et politiques»!
Le législateur a-t-il voulu donner aux femmes le droit de voter? Non, certainement non. Nous avons tout d’abord pour nous les travaux préparatoires; en second lieu le simple bon sens qui nous dit: Si le législateur avait eu l’intention bien arrêtée de conférer au sexe féminin le droit d’être électeur, il aurait nettement mis dans l’article l’expression: «Française». 21 Qui oserait soutenir que le mot Français vise les personnes des deux sexes? Pourquoi jouer ainsi sur les mots et leur accorder un sens que tout être intelligent se refuse à leur reconnaître.
Nous avons enfin un arrêt de la Cour de Cassation sur l’affaire de Mlle Barberousse qui, en 1885, invoquait l’universalité des lois électorales, prétendant que le mot «Français» englobait les deux sexes.
Cet arrêt faisant jurisprudence, nous nous faisons un plaisir de le reproduire in extenso.
La Cour de Cassation, par arrêt du 5 mars 1885, rejeta le pourvoi:
«Attendu qu’aux termes de l’article 7 du Code civil, l’exercice des droits civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle confère seule l’exercice des droits politiques et ne s’acquiert que conformément à la loi constitutionnelle;
»Attendu que si les femmes jouissent des droits civils dans la mesure déterminée par la loi, suivant qu’elles sont célibataires ou mariées, aucune disposition constitutionnelle ou légale ne leur a conféré la jouissance et par suite l’exercice des droits politiques;
»Attendu que la jouissance de ces derniers droits est une condition essentielle de l’inscription sur les listes électorales;
»Attendu que la Constitution du 4 novembre 1848, en substituant le régime du suffrage universel au régime du suffrage censitaire ou restreint dont les femmes étaient exclues, n’a point étendu à d’autres 22 qu’aux citoyens du sexe masculin, qui jusqu’alors en étaient seuls investis, le droit d’élire les représentants du pays aux diverses fonctions électives établies par les constitutions et par les lois; que cela résulte manifestement des lois du 11 mars 1849, 2 février 1852, 7 juillet 1874 et 5 avril 1884, mais plus encore de leur esprit attesté par les travaux et discussions qui les ont préparées et aussi par l’application ininterrompue et jamais contestée qui en a été faite depuis l’institution du suffrage universel, lors de la formation première ou de la révision annuelle des listes électorales;
»D’où il suit qu’en déclarant que la demoiselle L. Barberousse ne devait point être inscrite sur les listes électorales le jugement attaqué, loin de violer les dispositions de la loi invoquée par le pourvoi, en a fait juste application; rejette le pourvoi....»
L’arrêt est des plus clair: la question est nettement tranchée. Ce n’est plus un texte sec et aride qu’on applique, c’est la discussion, c’est l’interprétation, c’est la jurisprudence qui fait loi. Concluons donc: légalement la femme n’a pas droit de voter!
Pourquoi? direz-vous, peut-être, Mesdames! Le législateur serait-il infaillible! A cela nous n’osons répondre. Nous aimons mieux laisser cette douce tâche au célèbre économiste M. Giddes, devant la compétence duquel vous vous inclinerez certainement:
«C’est dans l’intérêt de l’ordre et des bonnes 23 mœurs que tous les législateurs ont d’un commun accord refusé à la femme toute participation aux droits politiques. De tous temps, l’instinct des peuples a senti que la femme en sortant de l’ombre et de la paix du foyer pour s’exposer au grand jour et aux agitations de la place publique, perdrait quelque chose du charme qu’elle exerce et du respect dont elle est l’objet».
Mesdames les féministes, méditez longuement ces admirables lignes. Il y va de votre charme, de votre beauté, de votre cœur, de votre douceur et de votre esprit. Abandonnez ce rêve excentrique de la femme électeur. Croyez-nous, le geste ne serait point élégant et vous risqueriez fort de changer en un désert l’autel où tous vos adorateurs viennent en foule se prosterner à vos pieds!
24
Le sexe constitue-t-il une infériorité ou une supériorité, selon qu’il est mâle ou femelle? Non. La femme est l’égale de l’homme, c’est-à-dire qu’entre ces deux créatures il n’existe aucune différence, soit au point de vue physique, soit au point de vue intellectuel et moral. Nous n’avons qu’un être subdivisé en deux parties: l’homme et la femme. Ces deux parties sont identiques, égales, se valent, et par conclusion auront les mêmes devoirs et nécessairement les mêmes droits.
Examinons en premier lieu le côté scientifique.
La maternité n’est point, comme certains savants l’ont prétendu, une des causes primordiales de l’état d’abaissement dans lequel la femme est restée stationnaire. La maternité est une des fonctions les plus belles et les plus sacrées qui donne à la femme son auréole d’éternelle tendresse et nul ne songerait à prétendre sérieusement qu’elle constitue à son égard une cause d’infériorité. Darwin, Lombroso, le docteur Cleisz nous démontrent qu’elle n’oblige point la femme de jouer un rôle social inférieur à celui de l’homme.
Si nous examinons le côté anthropologique, nous nous heurtons à des discussions plus acharnées et 25 plus vives. Les uns, se basant sur la grandeur de la boîte cranienne et le poids du cerveau, soutiennent que la femme est plus intelligente que l’homme. Le docteur Buchner affirme que sous le rapport du poids, le cerveau féminin l’emporte sur le cerveau masculin, par sa finesse, sa texture intime et la délicatesse de chacune de ses parties[18].
Havelock Ellis démontre que l’homme ne possède aucune supériorité relative en ce qui concerne l’ensemble du cerveau. S’il y a supériorité, elle est du côté de la femme[19].
M. Manouvrier nous fait toucher du doigt l’erreur dans laquelle sont tombés les anthropologistes qui ont voulu voir, dans les 100 grammes de substance cérébrale que possède la femme, la preuve de son infériorité[20].
Un curieux exemple de supériorité de la femme sur l’homme est donné par Elisa Faarham. Elle affirme que si le serpent s’est adressé à la première femme, c’est que celle-ci était évidemment supérieure à l’homme. De même la postcréation de la femme lui donne à penser que l’homme en a été l’ébauche.
L’anthropologie criminelle nous montre la femme moins sujette à la maladie, moins érotique, moins criminelle. Lombroso, après de nombreuses observations, 26 conclut: «Les progrès de la civilisation tendent à l’égalité des sexes»[21].
Au point de vue intellectuel, qui soutiendra que la femme, depuis l’antiquité, n’a point produit des œuvres aussi fortes, aussi puissantes que celles des hommes; n’a-t-elle point eu des figures aussi nobles et aussi belles que les plus grandes illustrations masculines? N’ont-elles point dans leur galerie: Jeanne d’Arc, Charlotte Corday, Cécile Renault, Elisabeth d’Angleterre, Isabelle Ier, Catherine II de Russie, Berthe de Bourgogne. Voici Clémence Isaure, Marie de Gournay, Mme de la Fayette, Mme Deshoulières, Mme de Sévigné, Mme de Staël, George Sand, la marquise de Châtelet, etc., etc. (Nous ne citons pas nos contemporaines de peur de froisser leur modestie.)
La femme n’a-t-elle point eu d’illustres représentantes dans tous les arts, dans toutes les sciences?
Pourquoi donc vouloir à tout prix qu’elle soit inférieure à l’homme?
Malgré ce faisceau de preuves et de noms, nous nous abstiendrons de prendre position dans cette querelle, estimant, comme nous le démontrerons tout à l’heure, qu’il n’y a pas lieu de rechercher si la femme est égale, inférieure ou supérieure à l’homme. Pour répondre à ces attaques, nous nous contenterons de résumer simplement les réponses que l’on pourrait fournir.
27
Peu nous importe, malgré l’assertion des savants, de savoir si le crâne de la femme est supérieur au crâne de l’homme, ou si le cerveau féminin pèse plus que le cerveau masculin.
Peu nous importe, malgré les études approfondies de la doctoresse Madeleine Pelletier, que la comparaison de la glabelle des arcades sourcilières, des mandibules et des crêtes d’insertion, la conduisent à la conclusion que l’homme se rapproche plus du singe que la femme![22].
Cela nous rappelle la spirituelle réflexion d’une jeune fille arrêtée devant les singes du Jardin des Plantes: «Après tout, il ne leur manque que de l’argent». Peu flatteur, n’est-ce pas? Mais enfin, Madame la doctoresse Pelletier, si nous sommes des dégénérés, ayez la bonne grâce d’avouer que nous sommes des dégénérés supérieurs! Vous ne pourriez en dire autant?
Donc transporter la discussion sur le terrain scientifique pour savoir si la femme est l’égale ou l’inférieure de l’homme nous semble téméraire. Les arguments sont purement théoriques, les conclusions fantaisistes, et, de plus, il n’est nullement démontré qu’il existe un rapport entre la capacité cranienne ou le volume du cerveau et l’intelligence[23]. La question reste entière.
28
Il n’en est point de même de la femme au point de vue intellectuel. En toute sincérité, Mesdames, en envisageant la question de sang-froid et avec impartialité, croyez-vous qu’une comparaison puisse être faite avec l’homme? Non! Nous vous accordons et reconnaissons volontiers la présence dans votre camp de femmes d’une rare intelligence et d’un réel talent. Nous reconnaissons l’existence d’œuvres fortes et puissantes créées par votre génie. Dans toutes les branches de la science humaine, des femmes ont eu l’auréole de la célébrité, mais ne sont-ce point là des types d’exception qui tiendraient tous dans un salon? Et si nous envisageons en général, toutes les femmes depuis le commencement des siècles en posant cette question que vous doit l’humanité? nous sommes forcés de répondre: Rien ou pas grand chose. Dans vos plus brillantes manifestations, votre esprit n’a pas atteint les hauts sommets de la pensée, il est resté pour ainsi dire à mi-côte[24].
«Les femmes n’ont fait ni l’Illiade, ni l’Enéide, ni la Jérusalem délivrée, ni Phèdre, ni Tartuffe, ni Athalie, ni Polyeucte, ni le Panthéon, ni la Vénus de Médicis, ni l’Appollon du Belvédère. Elles font quelque chose de plus grand. C’est sur leurs genoux que se forme ce qu’il y a de plus excellent au monde: un homme et une femme[25].»
29
«Toute œuvre forte de la civilisation est un fruit du génie de l’homme»[26].
Vous invoquez Jeanne d’Arc, Mesdames! Qu’aurait-elle été sans ses prétendues voix? Et puis, à la fille à soldats, à l’héroïne coureuse d’aventures, à l’immortelle française aux mœurs libres et au cœur chevaleresque, oseriez-vous aujourd’hui, comtesses et nobles dames tendre vos belles mains gantées, vous qui par pose et snobisme voulez faire vôtre une femme que vous auriez dédaignée et repoussée.
Vous nous citez des noms de grandes reines! Savez-vous pourquoi une reine gouverne mieux qu’un homme? C’est que sous une reine c’est d’ordinaire un homme qui dirige, tandis que sous un roi c’est généralement une femme[27].
Non, comme nous le disions tout à l’heure, la question est mal posée. Chercher à comparer la femme à l’homme, savoir si elle lui est égale, inférieure ou supérieure, est un faux départ, car la femme est autre que l’homme.
Oui il serait fou, d’une folie sans excuse, de parler de la supériorité d’un sexe sur l’autre, parce que l’on ne peut comparer deux êtres ayant la même origine et qui diffèrent dans tous les détails; parce que l’homme et la femme sont deux moitiés d’un tout, semblables 30 mais non égales; parce que la femme n’est ni le sexus sequior dont parle Schopenhauer, pas plus qu’elle n’est l’homme-femme de Stuart Mill.
Et c’est heureux, car cette déformation accomplie l’humanité périrait[28].
Et si ce n’est pas l’égalité que l’on cherche, si c’est l’identité ou la suppression des différences, disons tout d’abord que cette suppression est impossible. «L’esprit d’une femme et son cœur ne sont ni l’esprit ni le cœur d’un homme»[29]. Combien on doit s’en féliciter.
Voilà pourquoi la femme étant autre que l’homme et par conséquent n’étant point son égale doit avoir seulement les droits de son sexe et non ceux des hommes! Aussi ne devons-nous point sourire à la lecture de ces phrases: «Dès que l’égalité sexuelle sera conquise, la femme au contact de la vie contractera cette dureté de cœur, apanage jusqu’ici de l’autre sexe. Frappée, elle frappera; blessée, elle blessera; spoliée, elle spoliera[30].»
Oh! l’étrange et disgracieux type de femme que rêve Mme Pelletier! Quel monstre! et quelle chose plus navrante que cet être asexué! Mais vouloir enlever à la femme la seule chose qui la rende belle et bonne: sa tendresse; vouloir la lancer dans les combats pour 31 qu’elle lutte, qu’elle frappe, et qu’elle... tombe! O! l’horrible cauchemar! Non! de l’homme et de la femme n’en faites point des âmes ennemies; ne proclamez pas le divorce des sexes, il y aurait trop de misères et trop de deuils!
32
L’on nous dit: permettez aux femmes de voter, elles commenceront par demander une augmentation de salaire. N’est-il pas navrant de voir encore de nos jours des patrons, des directeurs de maison de commerce, assez peu scrupuleux pour obliger leurs ouvrières à un travail quotidien de douze et parfois quinze heures.
Regardons les journées d’une midinette: à 8 heures elle rentre à l’atelier jusqu’à midi. Une heure pour réparer ses forces grâce à un frugal repas n’excédant pas le plus souvent 75 centimes. De 1 heure à 7 heures 1/2 travail. Et dans les journées «à poussées», les veilles jusqu’à minuit achèvent d’épuiser ses forces affaiblies. Tout cela pour un modeste salaire de 20 à 30 sous par jour!
Que dire de ces millions de braves femmes peinant tout un jour pour gagner péniblement 1 fr. 25, 1 fr. 50? «Six millions de femmes manient à l’heure actuelle l’aiguille, la plume, l’ébauchoir, le livre d’enseignement, le scalpel, le Code, les leviers, les volants, les manettes à l’usine, la machine à écrire dans les bureaux. Songez que près de trois millions de femmes se courbent sur la terre et qu’on compte près d’un million de domestiques femmes. 33 Refusera-t-on à ces laborieuses le droit de choisir des mandataires conscients ou conscientes de leurs intérêts?»[31].
Pourquoi nous enlever en outre le droit de disposer librement de nos salaires? La loi ne devrait-elle pas défendre le produit de notre travail contre un mari peu scrupuleux, gaspillant et dissipant au café le produit d’une semaine d’efforts. Oui les femmes ont raison de dire: puisque vous, hommes et législateurs, vous vous déclarez incapables de nous protéger contre des maris sans vergogne et sans pudeur, puisque vos lois ne défendent que les intérêts de vos semblables, donnez-nous au moins le droit de nous protéger, de conserver ce que notre travail nous donne, accordez-nous le droit de voter. Et puis que dire de cet asservissement, de cet esclavage, de cette infériorité dans lequel le mari, grâce aux liens du mariage, nous tient continuellement courbées? Notre opinion dans une discussion n’est rien, notre volonté est sans cesse annihilée, nos droits sont éternellement violés. Qui dit femme mariée dit esclave, dit servante.
Vos réclamations, mesdames, sont justes, mais peut-être entourées par instant d’une fausse sensibilité et d’un sentimentalisme excessif nuisant à leur justesse. Il faut toujours se méfier du cœur, dans les discussions; c’est un très mauvais conseiller, 34 surtout chez vous, mesdames, et examiner une question avec impartialité quand on fait appel à ce viscère, nous paraît impossible.
Quand vous vous écriez: les salaires des femmes sont insuffisants en comparaison de leur travail, nous sommes entièrement d’accord avec vous. Il est, en effet, inadmissible que certains patrons exploitent ainsi des jeunes filles sans guide et sans soutien. Et si dans vos réclamations il est une note juste, une raison sérieuse qui milite en faveur de votre révolte, c’est bien celle-là. Mais le remède à vos maux n’est point dans le bulletin de vote.
Dites à ces femmes admirables, générales de votre armée, dites-leur vos souffrances et vos misères. Que des brochures, que des conférences dénoncent à la vindicte publique ces exploiteurs du travail féminin, les grands couturiers, les grands tailleurs, les grands patrons d’usines, les grands directeurs de salons de mode. Traquez-les, nommez-les, intéressez des hommes influents, des parlementaires actifs à vos malheurs. Soyez impitoyables dans vos attaques et fermes dans vos résolutions; et si malgré toute votre énergie le triomphe ne couronne pas vos efforts, n’hésitez pas: proclamez la grève, le seul moyen légal qui vous reste. Et tous les gens de cœur vous soutiendront.
Il ne faudrait point cependant, Mesdames, exagérer! Et quand vous parlez dans toutes les branches de l’industrie de salaires de misère, nous vous disons: 35 casse-cou, le cœur commence à parler. Non, la femme n’est point l’éternelle exploitée, comme vous vous plaisez à le proclamer. Il n’est pas rare de trouver à Paris et dans nos grandes villes des femmes gagnant 5 et 6 francs, sans fournir pour cela un travail au-dessus de leurs forces. Les grandes administrations de l’État, Postes, Ministères, les grandes Compagnies, les entreprises privées, les exploitations agricoles, les maisons de commerce, les écoles et les lycées paient normalement, sans affamer leurs employées.
Notons que sur cinq millions et demi de femmes exerçant une profession, le nombre de femmes employées dans ces différentes branches s’élève à près de trois millions et demi, leurs salaires variant entre 5 et 8 francs, sans négliger, pour quelques-unes, le précieux avantage d’une retraite.
Ainsi donc, le but vers lequel devraient tendre tous vos efforts serait l’augmentation d’un salaire pour les femmes dont les travaux, soit de jour, soit de nuit, sont rémunérés bien au-dessous de leur valeur. Pour cela, point n’est besoin d’agiter incessamment au-dessus de vos sœurs le drapeau des revendications de vos droits politiques. Point n’est besoin de vous écrier tragiquement: Hors de l’urne, point de salut!
Non, Mesdames, ce moyen est ridicule. Concentrez plutôt tous vos efforts à vous grouper, à vous unir, à vous sentir les coudes; commencez à ne plus vous 36 dénigrer, à ne plus vous battre entre illustres féministes; sachez savoir, vous les directrices du mouvement, faire souvent abstraction de vous-mêmes et ne point toujours ambitionner la place de généralissime ou de colonelle! Faites-vous les champions de cette noble cause: le relèvement du salaire de la femme; créez, par vos journaux, par vos revues, par vos conférences, une agitation intense; faites appel aux noms illustres et aux cœurs généreux, vous trouverez encore en France des hommes qui sauront défendre vos droits. Mais de grâce, ne perdez pas votre temps à de futiles discussions, descendez des brumes de vos rêves fous pour rentrer dans le domaine des réalités. Et si, têtues et inflexibles, vous n’aviez d’éloquence et d’énergie que pour la défense du bulletin de vote vous permettant de faire des lois en votre faveur, nous vous répondrions: «Mais enfin, les hommes peuvent bien en faire autant, et si vous aviez su vous y prendre, ce serait déjà fait.»
Il en est de même de la libre disposition de vos salaires. La preuve certaine des bons résultats obtenus par vos groupements féministes, et de la sollicitude avec laquelle sont examinées vos justes revendications, c’est la loi de 1907 donnant à la femme mariée le droit de disposer comme il lui plaît de son salaire, loi obtenue grâce au dévouement intelligent et à la persévérance sensée d’une de vos plus illustres représentantes: Mme Jane Schmall. Alors pourquoi, donc, encore une fois, perdre votre temps à trépigner 37 comme des enfants devant les urnes en disant rageusement: «Moi je veux un bulletin de vote! na!» On rit, tout simplement, tandis que lorsque vous parlez sérieusement, on vous écoute. La voie est ouverte! à vous de savoir y pénétrer et ne pas dévier du droit chemin des justes revendications.
Arrivons enfin à cette refonte du Code civil. Que proposent les féministes le jour où elles auront le droit de voter: Obéissance au mari, supprimée. Dorénavant, dans la famille moderne, deux têtes, deux volontés, deux décisions; chacun agira à sa guise, la femme de son côté, l’homme du sien. Nous n’aurons plus alors des femmes esclaves, spoliées et enchaînées, elles seront libres, indépendantes, marchant les cheveux au vent dans le soleil de la liberté!!!
Comme théorie ce sera superbe; comme pratique ce sera piteux.
Certes nous ne dirons point, avec M. Bonaparte, que nous aurons la hardiesse, de contredire: «La nature a fait de nos femmes nos esclaves; le mari a le droit de dire à sa femme: Madame, vous ne sortirez pas, vous n’irez pas à la comédie, vous ne verrez plus telle ou telle personne, c’est-à-dire, Madame, vous m’appartiendrez corps et âme»[32].
38
Général, vous exagérez, et comprendre ainsi son rôle de maître de maison serait trop dégradant pour la femme... et pour l’homme!
Pas plus que la femme, l’homme ne doit commander dans un ménage. L’unité de direction que vous réclamez doit être faite de deux volontés qui s’accordent, qui s’harmonisent, de la volonté de l’époux et de l’épouse. Elle ne doit former qu’un tout qui n’atteindra sa perfection qu’après de multiples froissements et d’innombrables heurts, mais enfin qui permettra au ménage de vivre heureux! Et ne taxez pas tout de suite de bourgeois deux époux qui s’aiment, qui vivent l’un pour l’autre, et dont les décisions ne sont prises qu’après un consentement mutuel. Vous êtes faites, Mesdames, non point pour commander, mais pour conseiller; non point pour diriger, mais pour indiquer simplement la direction. Commander, être directrice de votre intérieur, le pourriez-vous avec votre sensibilité poussée jusqu’à l’exaspération, avec votre nervosité, votre exaltation et votre volonté «sautillante comme les mouches»[33]. Non, mille fois non! Et puis, soyez franches comme nous allons l’être. Dans presque tous les ménages, qui dirige, qui conduit moralement, insensiblement, et sans s’en douter la barque? Mais c’est vous, Mesdames!
Les femmes égales de l’homme! Pourquoi? Elles nous font abdiquer quand cela leur plaît: «Voyez-moi, 39 ma fille! Etais-je assez autoritaire, jadis? Eh bien, peu à peu, j’ai plié. Mais quand à inscrire la déchéance de l’homme dans les lois de la femme! ah! non, jamais, par exemple! Ce qui est sublime dans les femmes supérieures qui nous dominent, c’est qu’elles dominent leurs maîtres»[34].
«La femme est l’inspiratrice et la reine de la société. C’est d’elle que dépend en grande partie la manière de penser des hommes»[35].
Oui, c’est vous qui grâce à votre tact, à votre finesse, à votre habileté, savez petit à petit, par ce je ne sais quoi qui nous enlace, faire de vos maîtres vos esclaves. Légalement nous vous commandons. Pratiquement nous vous obéissons.
Et toujours et sans cesse, malgré vos réclamations et vos cris, il en sera ainsi de par le monde, car aucune loi ne peut changer le cœur humain.
Les gens heureux! Ils sont foule en notre beau pays de France. «Voulez-vous connaître le secret des bons ménages? Chacun des époux reste à sa place, le mari commandant sans en avoir l’air, la femme obéissant sans en avoir conscience. Ils sont si étroitement liés qu’ils ne forment qu’un cœur et qu’une âme! Ils réalisent le mariage parfait»[36].
Oui, en France, la femme est la maîtresse de maison 40 malgré vos déclarations, Mesdames les féministes. Vienne le jour où par un fait du hasard le plus étrange elle soit déclarée légalement l’égale de l’homme, ce jour-là il n’y aura rien de changé sous la coupole des cieux! Nous resterons toujours vos subordonnés, «car la femme est une esclave qui fait porter les chaînes à son maître».
Trêve donc de vos réclamations. N’allumez point la guerre
Où se jetant de loin un regard irrité
Les deux sexes mourront chacun de son côté[37].
Continuez à être l’aimable conseillère de l’homme, guidez-le avec votre tendresse si douce, secourez-le dans les moments d’abattement; soyez fières de votre rôle actuel dans la famille, laissez de côté ces défis que vous lancez au bon sens et souvenez-vous que beaucoup d’hommes disent avec Jules Simon: «Je repousse la domination des femmes, mais j’accepte leur influence».
41
Si, à un point de vue peut-être très nouveau, le point de vue électoral féminin, nous jetons les yeux sur la carte du monde, on aperçoit l’hémisphère divisé en deux parties. D’un côté, les pays où les femmes ont les mêmes droits politiques que les hommes; de l’autre, ceux où elles se contentent d’être des épouses et des mères de famille.
Les États accordant le droit de suffrage aux femmes sont:
La République de l’Equateur depuis 1861.
Le Wyoming depuis 1869.
L’Autriche, dans la classe de la grande propriété, depuis 1873.
L’Ile de Man depuis 1881.
La Finlande depuis 1893.
La Nouvelle-Zélande et l’État de Colorado depuis 1893.
L’Utah et l’Idaho.
En Angleterre, toutes les femmes votent pour les principaux corps représentatifs locaux, qui sont:
Les conseils | scolaires. |
— | de gardiens. |
— | paroissiaux. |
— | municipaux. |
— | de comté. |
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Elles sont éligibles seulement dans les trois premiers. La seule liste dont les femmes soient exclues est la liste pour l’élection des membres du Parlement.
Certains auteurs affirment que les résultats ont été excellents; les élections ont toujours revêtu un caractère de calme et de modération qu’elles n’avaient jamais eu. Les femmes ont accompli ce nouveau devoir avec intérêt et conviction. Pourquoi donc une chose fonctionnant si bien dans les autres pays ne donnerait pas d’aussi bons résultats en France? Les femmes votent au-delà des mers; tout le monde a trouvé cette nouvelle institution admirable. Qu’attend-on pour l’appliquer chez nous. Ne sommes-nous pas des femmes comme les Finlandaises, les Américaines ou les Anglaises?
La solution est simple, mais elle est fausse.
Il faut essentiellement se méfier de ces compte-rendus fantaisistes des journalistes nous annonçant que 3.000 femmes ont participé au vote, tandis qu’un confrère estime à 300 les suffragettes ayant usé de leur nouveau droit politique. Tel enthousiaste féministe proclame que la nouvelle loi a été accueillie avec joie; tel autre, plus calme, annonce que cette réforme a passé complètement inaperçue. Nous sommes encore trop près des événements pour pouvoir les juger; les matériaux sérieux et les documents probants manquent pour essayer même de porter un timide jugement sur les résultats obtenus et pour 43 juger les effets. Le mieux est d’attendre! mais un journaliste le peut-il? Nous en doutons!
Le raisonnement que vous faites, Mesdames, n’est guère ingénieux. Les femmes votent en Amérique, en Finlande, etc. Pourquoi les Françaises ne feraient-elles pas de même?
Puisque les Chinoises portent le deuil en blanc, que les négresses se mettent des anneaux dans le nez, ou que les Japonaises, pour arrondir leur dot, font un an de stage dans les bateaux de fleurs, en feriez-vous autant? Et puis, vous oubliez la chose principale, la question des mœurs, de tempérament. «Erreur en deci, vérité en deçà». Ce qui peut être raisonnable et naturel dans un pays, peut être grotesque et fou dans un autre. Que la femme du Nord, plus froide, plus calme; que l’Américaine, plus flegmatique, puissent, avec leur éternelle indifférence, exercer leur nouveau droit sans que rien dans leur vie ne soit changé, nous l’admettons. Mais vous, Françaises, vous les enthousiastes, si sensibles, si changeantes, vous extrêmes en tout, qui êtes la légèreté et l’insouciance même, capables des pires résolutions comme des actes les plus fous, comment pourriez-vous déposer un bulletin dans l’urne? Auriez-vous seulement le désir de voter, d’exercer ce droit si fragile et si mobile, que l’on fait dévier par une promesse ou par une menace, vous qui êtes à la merci d’un sourire, d’une larme, d’une parole et d’un geste!
Ah! le joli résultat, le jour où vous pourrez 44 avec un sérieux imperturbable inscrire sur vos cartes: électrice! Quelle décadence!
Le Mercure de France publiait dans son numéro du 1er février 1904 un article de Mme Charlotte Fabrier-Rieder, sur les «Femmes et le Féminisme en Amérique». Entre autres choses plutôt tristes, cette courageuse dame disait:
«Il n’y a plus de vie de famille en Amérique, plus de femmes d’intérieur. L’homme travaille pour que la femme ait beaucoup d’argent à dépenser. L’homme est le véritable esclave de la femme. Partout elle est prépondérante, elle collabore à la vie sociale, elle accède aux fonctions administratives et publiques, impose ses droits aux professions libérales, à tel point qu’un journaliste de talent, M. Cleveland Moffett, se plaint que l’Amérique soit de tous les pays du monde celui où la femme reçoit le plus de l’homme et lui donne le moins en échange. La femme, dit-il, passe sa vie dans la fainéantise, ne raccommode jamais, fait tout aussi bon marché de ses devoirs de mère que d’épouse et de ménagère. O femmes d’Amérique, prenez quelques leçons de la vieille Europe et en particulier de la France!
»Prendre des leçons de la France, c’est un peu tard, puisque c’est elle qui est en train de s’américaniser et de se féminiser»[38].
Paul Parsy, lui, est moins catégorique:
45
«Français et Françaises nous admirons en Norwège la femme qui s’avance en souveraine dans la cité, mais les Norwégiens et les Norwégiennes admirent et envient la Française, femme d’intérieur, comme nous disons, souveraine de la maison et du foyer. Et peut-être cette souveraineté-ci vaut-elle cette souveraineté-là. Et peut-être aussi ces deux souverainetés sont-elles conciliables»[39].
A notre humble avis, nous croyons à l’éternelle séparation de ces souverainetés. Et si le rêve contraire se réalisait un jour, qu’au moins parmi nos sœurs françaises il en reste toujours quelques-unes qui, selon le vers délicieux de Mme Fouqueux, veulent bien accepter
Ne vouloir être rien, être rien qu’une femme.
46
S’il est une plaie hideuse qui ronge notre pays, c’est bien celle de l’alcoolisme. De tous côtés, on entend répéter cette sinistre constatation: «L’alcoolisme fait des progrès effrayants, le fléau contamine notre sang le plus pur. La France est perdue!»
De toutes parts des cris alarmants sont poussés. Des cœurs bons, des âmes généreuses, fondent des sociétés dites de tempérance ou antialcooliques, pour enrayer le mal. La Chambre, devant le péril croissant, augmente sans cesse les taxes sur les alcools et, anomalie étrange, plus l’impôt est lourd, plus le nombre des consommateurs augmente. Quel remède découvrir à ce chancre rongeur de notre vie la meilleure et de notre force nationale? Comment arrêter le débordement de ce vice effroyable qui mine, qui sape, qui brûle les énergies indomptables, transformant un homme sain et vigoureux en une loque pantelante, en un être condamné à perpétuer une race rabougrie et dégénérée?
Ce remède, les femmes nous le proposent. Ce que vous n’avez pas le courage de faire, vous autres hommes, nous, femmes, nous le ferons. Donnez nous le droit de voter, et vous verrez si du jour au lendemain nos représentantes ne demanderont pas la fermeture 47 immédiate de ces bars, de ces cafés où l’homme, sans souci de sa dignité, gaspille et son argent et sa santé, pendant que nous, les travailleuses, les héroïques, les courageuses, peinons pour élever nos enfants, pour les nourrir et, malheureusement aussi, le plus souvent, pour permettre au mari d’assouvir sa passion verte avec notre argent honnêtement gagné.
Ah! vos cabarets, messieurs les législateurs, quels admirables soutiens d’élections, quel nid plus sûr où l’on est toujours certain de trouver la voix qui assurera le succès, et cela moyennant une pièce d’argent ou même un simple verre!
Un ivrogne? Mais pour une fine on a sa voix! Le bistro! quel gros et influent électeur! En voilà un au moins connaissant ses clients et sachant par une tournée effacer une opinion ou changer la couleur de votre drapeau.
Voilà pourquoi, messieurs, vous permettez cette effrayante multiplication de débits, de ces gouffres où meurent tous nos plus beaux rêves de jeunesse, toutes nos espérances et toutes nos illusions; de ces taudis infects où l’ouvrier vient s’empoisonner à bon marché, oubliant dans sa griserie quotidienne femme, enfants, famille, travail!
Et puis, c’est la misère, la faim, l’horreur et la peur des coups! c’est pour l’homme le suicide ou le surin, pour la femme l’hôpital ou le trottoir!
Ces enfers! messieurs, laissez-nous voter, et demain nulle trace n’existera d’eux.
48
Pas plus que ces lois infâmes contre la prostituée qui, le plus souvent, fille du peuple, bonne, commise ou trottin, a été jetée sur le pavé des villes par un homme sans scrupule qui lâchement l’a abandonnée. Pas plus que ces règlements de police soi-disant des mœurs, qui traquent la fille publique comme une bête, qui l’enserrent dans leurs filets, qui l’étouffent dans leurs mailles pour la lancer dans la rue encore plus farouche, plus excitée, plus criminelle!
La belle apostrophe, mesdames! et quel beau rêve!
Reconnaissez tout d’abord avec nous qu’il existe de par le monde bon nombre de ménages heureux, dans toutes les classes de la société, ainsi que des hommes non alcooliques constituant même une imposante majorité.
Reste donc une minorité, élevée, il est vrai, d’hommes pour lesquels le café est tout, et qui sont par conséquent des alcooliques invétérés.
Sans crainte de trouver un démenti, nous pouvons affirmer que la moitié de cette minorité d’alcooliques est composée d’ivrognes de naissance ou de tempérament, c’est-à-dire que malgré toutes les lois, toutes les sociétés et toutes les défenses, ils continueront à boire... parce qu’ils ont toujours bu. Un joueur invétéré cesse le jour où il n’a plus d’argent, un fumeur quand il n’a plus de souffle, un alcoolique quand il est mort. A ces indéracinables auxquels vous ne pouvez rien opposer, ni le sentiment de leur 49 bassesse, ni le respect de la famille, ni l’amour des enfants, ni les devoirs d’époux, le seul moyen raisonnable est de les laisser finir lamentablement leur vie de brute éternelle.
Mais, dites-vous, nous fermerons les cafés! Croyez-vous qu’ils ne seront point forcés d’abandonner leurs tristes habitudes?
Non! raisonnablement, Mesdames, croyez-vous qu’à l’heure actuelle il soit moralement possible de supprimer en France «une habitude», une nécessité, qui est dans les mœurs, et qu’on appelle le café?
Ou de deux choses l’une! ou il faut les supprimer tous sans exception, ou il ne faut en fermer aucun.
Si vous n’en supprimez que la moitié, par exemple, vous n’éteindrez pas le vice, vous l’aviverez, en canalisant tout simplement les ivrognes vers les bars ouverts, et n’en resterait-il qu’un tous les alcooliques s’y donneraient rendez-vous!
Quant à les supprimer tous, n’y comptez pas; vous auriez contre vous la majorité formidable des gens raisonnables qui vont au café pour leur bon plaisir, pour passer un instant, y voir des amis; l’ouvrier pour y faire sa partie ou sa causette; en un mot tous ceux pour qui le café est une distraction, un second chez soi, un complément de la vie.
Quant à la deuxième catégorie, nous les appellerons les apprentis alcooliques; ce sont tous ces ouvriers, dignes d’intérêt, se laissant petit à petit entraîner vers les bars et se faisant à la longue une gloire de 50 savoir savamment «étrangler un perroquet ou étouffer un petit verre».
Que faire pour préserver ces hommes? La question est difficile pratiquement. Les solutions des problèmes sociaux sont trop complexes pour pouvoir dire catégoriquement: Il faut faire telle ou telle chose.
Fermer tous les cafés! le pourriez-vous? vous n’oseriez pas le faire.
Leur montrer par des conférences, des brochures, des avertissements, le gouffre vers lequel ils se précipitent! Ils n’y assisteront pas; ils ne vous écouteront pas.
Les enrôler dans une société antialcoolique? Ils en riront! en auront honte.
Un remède contre l’alcoolisme pour le supprimer? C’est chimère! il n’existera jamais. Mais alors essayons de l’amoindrir.
Commençons par donner à nos enfants une éducation non scientifique, mais pratique; sans trêve ni repos, montrons-leur tous les dangers de ce mal affreux; à nos petits soldats apprenons chaque jour, au lieu d’une stupide théorie militaire, les conséquences de ce vice effroyable; enfin que nos législateurs, avec une indomptable énergie, votent des lois plus sévères et plus rudes et surtout fassent impitoyablement la guerre à ces alcools frelatés, permettant de donner le verre à 10 centimes! Quand on songe que les droits par hecto sont de 220 francs.
Voilà le point faible de l’alcoolisme. Supprimez les 51 mauvais alcools, traquez les eaux-de-vie bon marché, empêchez tous les vulgaires bistros de servir pour deux ou trois sous un soi-disant apéritif ou liqueur qui n’est autre chose que du poison; si l’impôt sur l’alcool, existant actuellement, ne suffit pas à enrayer le vice, eh! bien augmentez-le toujours[40]. Mais en même temps resserrez les mailles du filet qui enlacera les débitants et les cafés d’ouvriers, et si quelqu’un trouvait, par hasard, cette mesure antidémocratique, nous répondrions que de l’antidémocratie on n’en a cure, pourvu que le sang du peuple français soit fort et pur.
Et, maintenant, ne répétez pas cette énorme sottise que les législateurs conservent les cafés et les bars pour leur permettre d’être réélus; non, ne croyez point, Mesdames, que des hommes politiques, qui pour être politiques n’en sont pas moins cependant des gens honnêtes et respectables, s’abaissent à ce point.
52
C’est peu connaître l’esprit français que de prêter un seul instant de semblables intentions à nos représentants.
N’écoutez point en cela les voix réactionnaires vous chantant l’éternel couplet de la pourriture, de la dégradation des mœurs parlementaires. La République aurait-elle donc le triste apanage d’être un régime de honte et de boue? Et ne pourrait-on pas sans peine démontrer que les empires et les royautés n’ont été qu’une longue théorie de sang et qu’un amas de ruines.
Mettons les choses au point et disons qu’en ce siècle de lutte pour la vie les actes les plus simples revêtent toujours un caractère d’égoïsme bien caractérisé. Si le candidat parcourt les cafés, accusez les mœurs de notre siècle, voulant que ce soit là que le député fasse sa conférence, voit ses électeurs, leur cause, leur développe ses idées! De là à soutenir l’alcoolisme, il y a loin, très loin!
Quant aux diatribes contre les règlements des prostituées, je vous dis: Attention! fausse sensibilité. Qu’il y ait des hommes lâches et sans cœur abandonnant de pauvres filles sur le trottoir, il y en a, et la seule vengeance contre leur lâcheté, c’est de les dénoncer à la vindicte publique. Mais quant aux autres:
«Les femmes qui vivent de la prostitution, eh bien! ce sont tout simplement celles qui trouvent ce moyen d’existence moins pénible que le travail. Elles bénissent, dans leur for intérieur, la nature, cette bonne 53 mère, qui les a fait naître d’un sexe où l’on gagne sa vie et où même parfois l’on s’amasse des rentes sans se donner du mal. Cela leur coûte si peu et cela leur fait tant de profit. La preuve en est que lorsque des âmes charitables tirent ces marchandes de sourires de la fange et cherchent à les réhabiliter par le travail, à la première occasion, elles retombent.
»Tout ce que la Société peut faire à cet égard, c’est d’exercer une surveillance rigoureuse sur l’infâme métier qu’on appelle la traite des blanches»[41].
Et nous ajoutons: d’essayer de rendre plus humains les règlements de la police des mœurs.
Laissez donc de côté, Mesdames, ces drapeaux que vous déployez à toutes occasions: Le drapeau de l’alcoolisme et de la régénération sociale! Un humoriste, nous ne savons plus lequel, a dit que c’étaient des bateaux! Nous avouons partager son opinion.
Vous avez de si beaux sujets pour réclamer, où tout votre cœur et toute votre sensiblerie pourront se donner libre cours; mais de grâce ne continuez plus à vous poser comme les rénovatrices des mœurs et de la morale.
Vous n’auriez aucun succès..., car rien n’est plus fastidieux qu’une femme savante, politique, économiste, éloquente et féministe..., même jolie!
54
Prenons une femme directrice d’un magasin, d’un commerce, d’une entreprise. Avec régularité et sérieux, elle dirige tout, sait faire face à toutes les difficultés; la maison prospère et s’agrandit, menée par une tête intelligente et une volonté ferme. Il lui manque cependant quelque chose, c’est d’être l’égale de l’homme devant les tribunaux de commerce dont elle relève directement. Pourquoi n’aurait-elle pas, elle la femme honnête et travailleuse, les mêmes droits que son voisin, commerçant, déjà failli, mais réhabilité. En portant un procès devant des juges qu’elle n’avait pas choisis ne pouvait-elle avoir une cause de suspicion légitime et même les juges pourraient-ils rendre un jugement en leur âme et conscience sans être taxés de partialité.
La loi du 23 janvier 1898 a comblé cette lacune; désormais les femmes participent aux élections des Tribunaux de commerce, des membres de la Chambre de commerce et des Chambres consultatives.
Une loi du 15 novembre 1908 rend les femmes éligibles aux Conseils de prud’hommes.
Les résultats ont été excellents. La femme est dorénavant l’égale de l’homme, et cela sans entraîner une révolution, un bouleversement des mœurs. Le 55 public ne s’est même point douté de ce changement qui a donné toute satisfaction. Pourquoi donc alors ne pas accentuer le mouvement et étendre petit à petit les droits électoraux féminins: droit de vote pour les élections municipales, puis d’arrondissements, conseillers généraux, etc., etc.
N’exagérons rien. Si la réforme est passée inaperçue, c’est que les élections des tribunaux de commerce sont celles où les hommes se dérangent le moins pour voter. Il n’est pas rare de voir plusieurs tours de scrutin afin de réunir le nombre de suffrages exigés par la loi. Et du jour où les femmes ont été admises à l’insigne honneur de venir déposer un bulletin de vote dans l’urne de Mercure le résultat n’a pas changé, l’éternelle indifférence a subsisté.
Ecoutons M. Turgeon, un féministe convaincu cependant:
«C’eût été tout profit pour la magistrature consulaire si l’admission des femmes au scrutin avait réveillé le zèle endormi des commerçants. Cet espoir a été déçu. L’expérience toute fraîche de la nouvelle loi a montré que les femmes préfèrent autant que les hommes la maison de famille à la salle de vote. D’abord les commerçantes ont mis bien peu d’empressement à se faire inscrire sur les listes; puis, au jour du scrutin, l’abstention a été générale. Même à Paris, il n’est guère que les dames de la Halle qui aient pris à cœur de déposer leurs bulletins dans l’urne; ce qui prouve qu’en dehors de quelques personnalités 56 bruyantes pour lesquelles le féminisme est une profession ou une distraction, les Françaises qui sont simplement femmes se soucient médiocrement des revendications, même légitimes, autour desquelles on mène si grand tapage»[42].
Quant à la marche insensible du passage d’un vote à l’autre, c’est tout simplement un leurre. Ce dosage savamment indiqué entraînerait de grosses perturbations dues surtout aux ambitions des différents partis politiques. Chacun d’eux voudrait s’accaparer les voix féminines, et cela ne se ferait pas sans un bouleversement complet des mœurs. Nous assistons déjà à un curieux mouvement féministe dans les partis les plus rétrogrades comme les plus avancés, mouvement à l’heure actuelle insensible, mais qui se ferait profondément sentir le jour où le sexe féminin pourrait voter.
Chaque opinion, royaliste, bonapartiste, radicale, socialiste, anarchiste a son revers de médaille féministe. Ces messieurs prennent ainsi position dans la nouvelle bataille. Chaque camp arbore le drapeau des revendications féministes.
Et du jour où l’égalité politique sera proclamée, nous assisterons alors à cette énorme ruée de tous les partis vers les voix féminines. Nous verrons l’assaut des votes du sexe faible mené par les fort-ténors de la droite, les leaders du centre et les pétroleurs 57 de la gauche! Adieu alors retenue, galanterie, tendresse, respect, amour, famille!
La femme deviendra une voix qu’on accapare, qu’on achète, ou qu’on vole! Girouette, ou article de bazar! Navrante réalité!
Et dans quelques années, lasses, fatiguées, annihilées par ces luttes incessantes pour lesquelles vous n’êtes pas faites, vous vous cloîtrerez dans l’immuable abstention, organisant très originalement la grève des suffragettes, vous les tristes désenchantées!
Le poids d’un tel fardeau sur de frêles épaules
Pourrait bien les faire ployer,
Mesdames, croyez-moi, ne changeons pas les rôles,
Restez les anges du foyer[43].
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L’objection est des plus naïves et des plus enfantines: «Si vous acceptez notre argent, si vous nous obligez à payer l’impôt, donnez nous au moins le droit de le voter, le droit d’élire des représentants qui seront nos porte-paroles».
On ne voit pas très bien, nous osons l’avouer, la relation qui existe entre le droit de voter et le paiement de l’impôt! Voyons! Est-ce parce qu’on paie l’impôt qu’on a le droit de voter ou bien est-ce parce qu’on vote qu’on paie l’impôt? Alors les incapables énumérés par la loi, les abstentionnistes, les militaires, etc., ne devraient pas être taxés par le fisc! L’impôt n’a point comme corollaire le droit au vote.
Et puis, une raison plus sérieuse milite en notre faveur. Du caractère légal de l’impôt découle un autre raisonnement. L’impôt, de nos jours, est réel et non personnel[44], c’est-à-dire dû non par la personne, non par un homme ou une femme, mais bien par la fortune. Ce n’est plus Monsieur X. ou Madame Y. qui sont taxés, mais directement leurs richesses!
N’essayez donc point de vous prévaloir, Mesdames, de ce fameux droit illusoire: «Nous payons, donc 59 nous voterons». Si, dans votre arsenal féministe, vous ne possédez que de semblables arguments, la déroute sera complète avant peu dans votre camp. Et cela à cause de cette légèreté innée, de cette sensibilité naturelle qui vous font dévier du droit chemin, ou qui faussent en vous les raisonnements les plus simples. Une idée surgit, elle vous semble excellente! Vous la soutenez, vous la défendez, sans même parfois vous demander quelle en est exactement la valeur. Vous vous grisez de mots et de phrases, étourdies par le vide de vos conceptions.
Il est temps, Mesdames, de vous rappeler à votre rôle: «Un chat, un oiseau, au meilleur cas une nourrice[45]».
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RAISONS POUR LESQUELLES LA FEMME
NE DOIT PAS VOTER
Avant d’exposer les raisons pour lesquelles la femme, d’après nous, ne doit point se mêler aux luttes politiques, nous voulons examiner une objection à l’encontre du vote féminin, constituant, à notre avis, une imposante erreur.
Les femmes, disent certains auteurs, ne font pas de service militaire; elles doivent donc être dépourvues de tous droits politiques. L’argument est détestable! Et la seule chose qui étonne c’est de le voir si souvent répété. Comment, s’écrient ces antiféministes aveugles, vous voudriez voter et vous ne payez pas à la patrie l’impôt le plus lourd, le plus dur, l’impôt du sang! Qui a fait la France belle et puissante? Nos soldats! Qui permet à la République de se faire aimer et respecter? Notre armée! Tandis que vous, Mesdames, vos champs de bataille sont le 62 théâtre, le turf et les boulevards; votre idéal une toilette splendide et vous ne savez mourir que pour l’amour!
Nous le répétons, l’argument est complètement dépourvu de bon sens. Comment est-il venu à l’esprit d’un homme intelligent de dire: «Vous ne voterez pas, car vous ne serez jamais soldat!» Comme si par son sexe et ses conséquences la femme avait été créée pour supporter la fatigue des casernes, faire l’exercice, le pas gymnastique, les grandes manœuvres et, au jour des sombres guerres, courir sus à l’ennemi!
Comment peut-on faire un grief à la femme de ne pas mettre sac au dos, de ne pas avoir des galons de caporal ou d’être un officier de réserve. Reprocher cela à la femme, c’est comme si l’on disait à l’homme: «A partir d’aujourd’hui, vous ne voterez plus parce que vous ne savez pas faire la cuisine, coudre, nettoyer les casseroles, faire le lit, torcher les bambins, parce que vous ne portez pas de chichis ou des dentelles!!! parce qu’enfin vous n’êtes pas femme!!!»
Ce serait aussi ridicule.
En un mot, on dit aux femmes: «Vous ne voterez pas parce que vous n’êtes pas des hommes.»
Combien l’on doit s’en réjouir!
Et croyez-vous alors que l’impôt du sang ne soit point compensé par cette lourde charge: la maternité? Mais ces générations de héros, de gloires illustres, de triomphateurs! Cette France belle, puissante, éternellement jeune, qui l’a faite? sinon vous les femmes, 63 sinon vous les mères! Vous dont le droit serait de vous lever toutes pour demander à ces grands mangeurs d’hommes, tels que les Napoléons, où sont nos fils? Et ce geste, vous ne l’esquissez même pas, courbant vos fronts voilés de deuil devant la réponse: Patrie!
Comprend-on maintenant ce mot de Michelet: «Qui paie l’impôt du sang? La mère!»
L’impôt du sang! Nous le payons dans la personne de ceux qui nous sont les plus chers, fils, frères, époux et amis. Si nous sommes dispensées du service militaire, nous sommes condamnées en revanche à toutes les douleurs de l’enfantement. Si nous ne faisons pas la guerre, nous faisons des soldats[46].
Créer les futurs soldats au prix de mille souffrances, au péril de sa vie; passer un tiers de son existence à préparer des citoyens, tout cela n’équivaut pas à deux ans de régiment? Ne dites point à la femme des choses qui la blessent dans ses attributions les plus douloureuses mais les plus idéalement belles: la maternité. A ces exaltées luttant pour leurs droits et leurs intérêts soi-disant méconnus, à ces éternelles blessées, n’opposez point des raisons aussi vaines et aussi sottes. Car parfois leur réponse: «Nous serons puisque vous le voulez, soldats», est aussi ridicule, aussi dépourvue de bons sens que l’objection.
Non, Mesdames, votre place n’est point à la 64 caserne, pas plus du reste qu’à la mairie ou à la Chambre des députés.
«Militaires, elles ne connaîtront jamais l’odeur de la poudre et le sifflement des balles, car elles sont femmes et comme femmes elles doivent avoir horreur du sang versé. C’est alors qu’on les verrait toutes ces belliqueuses dépouiller un costume qui ne leur siérait plus et il n’y en aurait pas une qui ne préférât aux attributs dont elles s’étaient imprudemment parées le seul insigne qui convienne à une femme, quand le canon tonne et le sang coule: le brassard consolateur de la Croix-Rouge. C’est aux hommes qu’il faut laisser l’uniforme et c’est à eux seuls que demeure le droit de le porter, parce qu’il n’est pas sur eux l’indice d’un goût mais qu’il est l’indice d’un devoir»[47].
Ne répétons donc point avec le gros public envisageant la discussion sous un angle étrangement étroit: Vous ne payez pas votre dette à la patrie; nous vous refusons le droit de vote.
N’exaspérez pas les femmes! elles auraient raison de s’insurger et de se révolter devant des raisonnements si peu chevaleresques et si peu probants.
Car pour une fois nous serions capable de devenir féministe!
65
Jules Simon, de l’Académie Française, écrivait: «La famille a un vote, si elle en avait deux elle périrait». Et Jules Simon était loin d’être un sot.
Que l’on ne nous accuse point de sentiments arriérés et vieux jeu, que l’on ne nous traite point de rétrograde ou de bourgeois! Nous avons une trop haute idée de la famille pour que nous ne disions le profond bouleversement qui serait occasionné par cette nouvelle réforme: le vote des femmes!
Nous entendons déjà les mille et une réponses faites à cette objection! La femme électrice! Et après! Croyez-vous que dans un ménage il n’y ait pas de nos jours des sujets plus importants de discussion et qui n’entraînent pas pour cela la faillite de la famille?
Attribuez-vous à un simple bulletin de vote le pouvoir anormal d’introduire sous le toit familial la discorde? Les enfants! mais aucun changement ne sera apporté dans leur éducation ou dans les soins à leur donner! Quant à l’amour des deux époux, il ne sera point diminué par le nouveau régime: égalité des droits sans distinction de sexe!
Dès le moment où les femmes voteront, elles auront conscience de leurs devoirs. Sollicitées de donner 66 leurs voix, elles se demanderont pourquoi. Dès cet instant, il s’échangera entre l’homme et la femme des inspirations qui loin de nuire à leurs rapports réciproques ne feront au contraire que de les améliorer dans une large mesure. La femme, moins instruite, aura recours à l’homme qui le sera davantage. Il s’en suivra un échange d’idées, de conseils, un état de choses enfin comme il n’en aura existé que dans les cas très rares[48].
Les grands-prêtres du féminisme ont beau jeu pour idéaliser en phrases ronflantes et illuminées le sanctuaire d’amour que sera le ménage moderne; la femme, enfin, libérée de son rôle honteux de bonne légale à tout faire; l’homme n’ayant plus une compagne, mais une semblable, un homme-femme!
Nous avouons ne point partager ce vibrant enthousiasme. S’il existe déjà dans la famille de nombreux sujets à discussion, on ne voit guère le besoin d’en introduire de nouveaux.
Quand on aborde la question suivante, qui est en somme le nœud de tout raisonnement: «Le vote de la femme détruira-t-il la famille?» les uns haussent les épaules, en souriant, sans répondre; ce sont nos grands intellectuels et intellectuelles, démolisseurs des préjugés bourgeois et créateurs des grands systèmes sociaux! Ce sont les fortes têtes de la société, 67 ayant l’intime conviction d’être des gens d’essence supérieure! Beati pauperes spiritu!
D’autres, plus sérieux, discutent, approfondissent, travaillent la question, ne se contentant pas de phrases prophétiques ou d’affirmations embrumées! Ils se disent: «Supposons du jour au lendemain l’égalité politique proclamée. Prenons un ménage type où le mari aura des idées avancées, la femme peut-être pas bien définies, comme presque toutes les idées des femmes, mais enfin plutôt rétrogrades ou conservatrices. Jusqu’ici aucune ombre n’était venue assombrir la joie et le bonheur de cet heureux ménage; les enfants étaient très bien élevés, les relations entre les différents membres de la famille étaient sympathiques, on était heureux!
Mais le jour des élections approche, une fièvre intense gagne tous les cerveaux; des amies viennent causer à Madame; on l’entraîne dans des réunions; dans des conférences où luttent, acharnés, onguibus et rostro, les deux candidats. Timidement, le mari fait observer à sa femme qu’il serait peut-être plus convenable, il n’ose dire nécessaire, que son vote soit conforme au sien, et cela eu égard à sa position, à ses relations, à son avancement. La femme, par amour-propre ou par conviction, répond catégoriquement que son opinion est arrêtée et que le choix de son candidat est déjà fait.
Le mari émet quelques observations; le ton de la discussion s’élève; les pointes et les répliques 68 de la femme achèvent de mettre le feu aux poudres; si les parents, les frères, les sœurs s’en mêlent, le ménage devient alors un véritable enfer et cela simplement parce que Madame veut voter pour un royaliste et Monsieur pour un républicain.»
Que dire des querelles qui éclateront dans un ménage ouvrier ou dans une famille de paysans! La lutte sera là encore plus âpre, plus serrée, plus cruelle!
Qui pourra se figurer les innombrables discussions et les froissements inévitables qui existeront entre les amis, les parents et toute la lignée d’étrangers mise en communion d’idée par le mariage!
Ce sera charmant et le nouveau régime aura des conséquences magnifiques!
Et cette description, nullement exagérée, pourra s’appliquer du jour au lendemain à des milliers de ménages! Cela malgré toutes les dénégations des féministes.
Du jour où vous permettrez à la femme de voter, elle commencera par s’immiscer dans les réunions politiques, à parler, à discuter, et avec son caractère enflammé et extrême, s’enthousiasmant pour un rien, elle sacrifiera son intérieur et sa tranquillité à la défense d’une opinion. Cela, parce que de nos jours quand la politique vous enserre dans ses tentacules redoutables, elle vous absorbe, vous étreint, vous broie; parce qu’en politique toute tendresse, tout amour, toute sympathie s’évanouissent; parce qu’en politique on 69 oublie tout, famille, enfants, situation, vous surtout, femmes, les exagérées éternelles, capables des résolutions les plus folles comme des actes les plus extravagants; parce qu’en un mot, on change de sexe, on n’est plus un homme ou une femme: on est politique.
Et nous assisterons alors à cette chose lamentable, la décrépitude de la famille française; nous verrons des intérieurs autrefois si calmes et si heureux changés en salles de conférence où devant des enfants pleurant et apeurés par les cris, un homme et une femme, un père et une mère, discuteront les mérites de leurs candidats, avec des gestes fous et des expressions malsonnantes. Nous assisterons à cette destruction lente mais sûre de la tendresse maternelle.
Quant aux enfants, abandonnés, livrés à eux-mêmes, élevés dans la liberté, l’émancipation et la libre-pensée, entre une tirade radicale et un discours royaliste, tirés d’un côté, tiraillés de l’autre, ils seront les spectateurs impuissants de ces luttes ridicules, jusqu’au jour où blasés et cyniques ils considéreront d’un œil froid et terne leur mère comme une folle et leur père comme un détraqué.
Oh! les grands rêves révolutionnaires, les grands mots d’égalité sexuelle, de liberté, d’émancipation, de rénovation sociale. Oh! modernes entrepreneurs de changement des mœurs! quelle triste figure serait la vôtre devant l’application réelle du programme de 70 vos futures constructions! Quelle inquiétante responsabilité pèserait sur vos frêles épaules, le jour où l’on vous dirait: ouvrez vos chantiers! combien d’ouvriers ou d’ouvrières auriez-vous? Peu, très peu, car le bon peuple français se contenterait de regarder par-dessus les palissades la cité future que vos folles conceptions tentent d’élever!
Non, de grâce, ne touchez point à cette chose sacrée: la famille. Croyez, malgré tout votre scepticisme, qui pour la plupart d’entre vous n’est que de la pose ou du snobisme, que le vote des femmes aurait dans la majorité des foyers des conséquences désastreuses.
On ne peut émettre une opinion d’avenir, nous l’avouons, mais regardez simplement de nos jours dans les villes et les villages l’action des femmes. A la campagne surtout elle est énorme, car là on ne vote plus pour une opinion, on vote pour un tel ou tel autre. Les élections se font pour un nom contre un nom. Et les femmes se lancent dans la lutte, féroces, exaltées, entraînantes, poussant aux dernières folies! Que sera-ce le jour où elles pourront manier l’arme dont elles ne peuvent aujourd’hui que frôler le manche? Ce sera la débâcle de la famille, le renversement de la femme de son piédestal de gloire et de bonté.
Et maintenant, mesdames, vous les sensées, vous les normales, opposez toute votre énergie, toute votre force, à ces démolisseurs de tendresse et de bonheur. 71 Rappelez à ces échevelées la phrase de Jules Simon: «La femme doit régner dans l’intérieur de sa maison, mais elle ne doit régner que là», et si prétentieuses et arrogantes, certaines mercantilistes du féminisme, avec des gestes tragiques et une face convulsée, s’écriaient: «mes sœurs, révoltons-nous; la famille vivra plus belle et plus puissante après notre émancipation», faites-leur la réponse ronde et franche que l’épouse de Jérôme Paturot lançait dans un club de femmes en 1848:
«Comment, ce n’est pas assez que les hommes aient la cervelle sens dessus dessous, il faut encore que les femmes s’en mêlent? On vous parle de vos droits. Vous avez celui de tenir en ordre votre maison, de raccommoder les chausses de votre mari, d’élever vos enfants, de commander aux bonnes et de veiller à ce que le dîner soit cuit à point? Et qu’aurez-vous gagné en venant ici? Que la maison ira à vau-l’eau, que tous les enfants seront mal tenus, les nippes en mauvais état et les bonnes maîtresses chez vous!!»
Oh! diront, mesdames les féministes, quel idéal trivial et banal! et surtout, en «quels termes grossiers ces choses-là sont dites.»
Mon Dieu! mesdames, nous avouons humblement préférer ce style sans gêne, délicieux dans sa rondeur bonhomme, à vos phrases prétentieuses et économico-sociales, dignes tout au plus de figurer dans le Parc aux Huîtres de Fantasio.
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Quant à l’idéal de l’épouse de Jérôme Paturot, pour si terre à terre et si peu élevé qu’il soit, il a sur le vôtre, révolutionnaire et pédant, l’avantage d’être censé.
Et cela, croyez-nous, n’est point à dédaigner.
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Les femmes sont comme les enfants. Accordez-leur un petit bout de liberté, elles en demandent le lendemain un gros morceau! Et dire qu’il est inutile de leur donner le droit de vote parce qu’elles demanderaient tout de suite celui d’être éligibles, me paraît tout naturel! Dès qu’elles seront électrices, elles voudront être élues!
Quelques-unes même mettent la charrue avant les bœufs! Mesdames Marguerite Durand, Hubertine Auclert, etc., etc., se présentent dans divers arrondissements de Paris. «Leur ouvrirez-vous débonnairement les mairies, les conseils généraux, le Parlement, toutes les fonctions officielles du gouvernement?[49].»
Mais certainement, répondent ces dames! A quoi nous servirait l’usage du bulletin de vote s’il nous était impossible de faire triompher nos candidates? Et puis, croyez-vous que certaines femmes n’auraient pas autant de talent pour discuter une loi, faire une interpellation, etc., que la plupart des députés? Mais pour être conseiller municipal, maire, député, sénateur ou ministre, point n’est nécessaire d’être un 74 aigle ou un génie? Et pour faire le travail que ces messieurs font, une dame en est aussi bien capable.
Nous ne discuterons point, mesdames, la comparaison et l’appréciation que vous portez sur le travail d’un député ou d’un sénateur. Nous dirons simplement que ce travail parfois énorme, mais toujours sérieux et à la longue ennuyeux, n’est point fait pour vous, à cause de votre tempérament. Il vous serait impossible de dresser des actes de l’état-civil, de faire des discours, de discuter des rapports, de répondre à tous les solliciteurs, de faire, en un mot, un travail de tous les instants, continu, sans trêve ni relâche, car vous êtes des femmes et qui dit femme, dit légèreté, étourderie, inconstance!
Que diriez-vous d’un conseil municipal composé de femmes! D’un maire-femme! D’un député-femme! D’un sénateur-femme (ceci est plus douteux; une femme étant en principe toujours jeune éprouverait quelque difficulté à découvrir son âge en s’asseyant dans l’auguste assemblée des pères conscrits!)
Mais, nous répondent les féministes, ce ne serait pas si ridicule! Dans les conseils elles apporteraient l’appui de leur tendresse, de leur impartialité; à la Chambre elles sauraient être indépendantes, donneraient leurs avis compétents sur les questions d’intérêt pratique ou d’économie!
Et puis enfin, n’avons-nous pas déjà la femme avocate, la femme docteur, la femme-écrivain, pourquoi n’aurions-nous pas la femme-maire ou la femme-député?
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Le raisonnement est ingénieux, mais il est faux! Il ne s’ensuit pas de ce que nous avons déjà des femmes avocates ou médecins que nous soyons obligés de subir des femmes politiques. Ce serait une corde de plus à leur arc pour se rendre encore plus ridicules!
Les avocates! La plaie des tribunaux! l’épouvantail des confrères et des prévenus, la bête noire des juges!
Valère Maxime nous dit que de son époque, déjà, on comparaît les clameurs d’une femme avocate à des aboiements! Et ajoutant qu’elle était née en 48 avant Jésus-Christ, il dit: «Lorsqu’il s’agit d’un pareil monstre, l’histoire doit plutôt enregistrer la mémoire de sa destruction que la date de sa naissance»[50].
La doctoresse! Qui nous dira l’aversion qu’elle inspire à tous les médecins. La plus grande découverte du siècle, nous disait un docteur célèbre de Montpellier, serait de découvrir le microbe des étudiantes en médecine!!
L’écrivain! Elles sont trois mille en France, nous annonce tristement le Figaro! Et sur ce nombre, combien d’inconnues! combien d’ignorées. C’est la lente submersion de la littérature sous la production énorme: «de ces vaches écrivassières aux mamelles 76 gonflées d’encre», comme les appelle irrévérencieusement Nietzsche.
«Lorsque dans une société, dans une littérature l’élément féminin domine, ou seulement domine l’élément masculin, il y a arrêt dans cette société et cette littérature est bientôt décadente. L’élément féminin produit une rétrogradation humaine»[51].
Après cela vous voulez nous donner la femme maire ou la femme député! Non, Mesdames; sans parler des nombreux et énervants conflits de tous ordres que vos candidatures susciteraient, il est une question plus sérieuse qui doit vous faire renoncer à ceindre l’écharpe tricolore! C’est votre légèreté.
Une femme, disait Lamartine, est incapable de suivre un raisonnement plus d’un quart d’heure! Vous entendriez-vous à réviser des comptes, à compulser des dossiers! Croyez-vous sincèrement à l’autorité morale d’une fonction publique exercée par une femme? Ne trouveriez-vous pas dégradant de vous voir dans les luttes politiques d’où est bannie toute galanterie, huées, insultées, vilipendées et traînées dans la boue?
Auriez-vous le courage le jour où l’ordre serait troublé de le rétablir! Seriez-vous assez sérieuses et assez calmes pour prendre aux heures du danger des décisions énergiques et sûres? Non, car votre légèreté, votre nervosité compromettraient en vous la 77 voix de la raison et du bon sens! Et puis nous autres, les hommes, que ferions-nous? La cuisine, le travail de la maison, l’éducation des enfants, pendant que vous approfondiriez les comptes des mairies ou que vous prépareriez un rapport sur la marine ou sur les Beaux-Arts. Vous seriez la grande armée des femmes politiques dont nous ne serions que les serre-files! Non, Mesdames, ayez le bon esprit de reconnaître que les rôles de chacun ne peuvent s’intervertir.
On ne change point les décisions de la nature. Restez ces êtres charmants et doux, tendres et bons, embellissez un foyer par votre tendresse et souvenez-vous que malgré toute votre beauté, toute votre grâce, vous feriez toujours à la mairie ou à la Chambre des députés piètre figure! Vous n’y auriez aucun succès! Ecoutez du reste M. Claude Mill, un de nos chroniqueurs les plus spirituels:
«Tout de même est-ce que vraiment les femmes ont besoin d’entrer au Parlement pour que nous les appréciions davantage? Elles étaient charmantes avant de représenter le peuple; elles le seront évidemment après: mais elles ne le seront pas davantage. Tremblons donc qu’obligées d’assister aux doubles séances, contraintes d’arriver à neuf heures, de déjeuner à la hâte en étudiant des rapports et de s’en revenir dès le dessert pris, pour discuter de la décadence des haras, tremblons qu’elles ne donnent plus le même temps—oh le bon temps—à l’étude de 78 l’ondulation et à la science du chichi. On me dira que les femmes sont essentiellement pratiques, qu’elles n’iront pas comme les hommes perdre six mois à discuter un budget assommant sous le couvert de réformes que la démocratie n’attend pas. Les femmes savent au moins le prix du beurre et encore plus la valeur du pain que l’on met dessous et ce n’est pas elles qui nous parleront cinq heures d’horloge de la politique du gouvernement en Cochinchine pour aboutir à l’ordre du jour pur et simple.
»Je veux bien croire aussi que le jour où la femme sera admise à délibérer et à voter, la Chambre deviendra un séjour charmant. Les complots sentiront un peu la verveine et la poudre de riz. On fera ou on défera un ministère pour un regard ou pour un baiser. Si la corruption continue à planer sur les assemblées politiques, elle se prodiguera sous la forme gracieuse de l’amour. Et le pot de crême remplacera le pot-de-vin!
»C’est entendu mais au fond tout cela est-il bien sérieux?
»Tout d’abord, impossible d’ouvrir la moindre session, malgré le proverbe qui veut qu’une session soit ouverte ou fermée?
»Quelle est la coquette, en effet, qui consentira jamais à être présidente d’âge? Et que de potins! La médisance ira bon train. On dira l’Aube a ses vapeurs. La Manche fait la tête car le Doubs parle bas à l’Eure! Et l’Isère est-elle mal fagotée. La séance 79 sera-t-elle houleuse? Le président rappellera-t-il ces dames à l’ordre? Quel incident s’il se permet de déclarer qu’elles manquent de formes?
»Non, non. Mesdames! Croyez-moi, abstenez-vous. L’abstention est toujours chose facile, trop facile. Demandez aux hommes, ils en savent quelque chose. Et voulez-vous un bon conseil? En fait de loi, contentez-vous de faire à vos maris celles que nos mères faisaient à nos pères, c’est la plus douce et la meilleure».
Et personnellement nous ajoutons, c’est la seule que nous supportions de vous avec joie et bonheur!
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Depuis quelques années, des voix de femmes se sont mêlées aux justes revendications d’une démocratie jusqu’ici ignorée, les unes graves et pondérées, d’autres révolutionnaires et exaltées. Certaines militantes, comme Mmes Maugeret et Chenu, ont pris la direction du féminisme chrétien; mais, comme leur patron saint Jean-Baptiste, elles prêchèrent dans le désert. Quelques-unes, le bonnet rouge sur l’oreille et les deux mains sur les hanches, comme Mme Pognon ou la doctoresse Pelletier, se firent les propagandistes d’un féminisme rouge. Et de l’extrême-gauche à l’extrême-droite de la politique, l’arc-en-ciel féministe a resplendi.
Les Congrès de 1889, 1891, 1903 et 1904 commencèrent à mettre mieux en relief les revendications du sexe faible. Avec la naissance de la 3e République coïncide la création de nombreuses associations, l’Union universelle des femmes (Mme Cheliga-Lévy), l’Avant-Courrière (Mme Schmall), la Ligue française pour le droit des femmes (Mme Pognon), l’Egalité (Mme Vincent), etc., etc.
De nombreux périodiques ou revues viennent soutenir l’ardeur des combattantes et stimuler le zèle des 81 néophytes: La Fronde, Le Droit des Femmes, La Femme, L’Avant-Courrière, Le Pain, Le Journal des Femmes, La Femme Socialiste, La Revue Féministe, L’Harmonie Sociale, La Ligue, etc., etc.
En littérature, MM. Hervieu, Turgeon, Marguerite, Brieux, Donnay, Beaubourg, Prévost, Bourget, Jules Bois exaltent le rôle futur de la femme libre et affranchie et idéalisent sa mission de demain.
Des hommes politiques, comme MM. Vaillant, Allemane, Viviani, Sembat, d’Estournelles de Constant, etc., se font les porte-paroles éloquents des revendications du sexe faible. Bref, la vague féministe monte, monte sans cesse.
«Une évidence domine, c’est que le but se rapproche, c’est que la voix longtemps étouffée, la voix innombrable des femmes retentit plus distincte et qu’on peut prévoir désormais sans erreur l’époque où elle apportera dans nos assemblées le poids de son ingéniosité, de sa prévoyance, de sa pitié, un sûr et ardent levier pour le travail et pour la paix»[52].
Ça sonne bien, c’est joli, c’est bien écrit! Mais voilà, grattez un peu... il n’y a rien dessous. M. Victor Marguerite est simplement un merveilleux écrivain.
On serait tenté de croire après cette revue rapide des forces féministes à l’existence d’un courant profond, modifiant nos mœurs et orientant l’opinion vers 82 cette nouvelle perspective: les femmes électrices. A prendre au pied de la lettre les articles enthousiastes des devins féministes, il semble que la masse du peuple français soit prête à ce changement, et qu’il suffirait d’un simple coup de pouce donné à l’évolution de la société pour faire des femmes nos égales. Un petit tour de manivelle et crac, sans à-coups, sans oscillations ni secousses, insensiblement, glissante et souple, la réforme s’adapterait, inaperçue. Tous Français, tous électeurs.
La réalité serait plus mouvementée. Ce serait une profonde erreur et un leurre dangereux de supposer à l’heure actuelle les mœurs françaises suffisamment préparées à l’acceptation d’une semblable réforme.
Non, malgré toutes les affirmations, notre esprit n’est point encore accoutumé à considérer comme une chose sérieuse et réalisable le suffrage des femmes: La réforme n’est pas mûre, elle est verte, horriblement verte.
Et les années se succéderont longtemps encore avant que cette chimère ait pu prendre consistance, avant que cette idée fausse et anormale soit acceptée par des cerveaux équilibrés et raisonnables.
Cela parce que dans notre terre de France, où le bon sens est encore le meilleur juge, il existe des hommes sincères et sérieux, ne craignant point d’élever leurs voix autorisées pour proclamer folie ce rêve de quelques exaltées.
Cela, parce que la majorité des femmes se désintéresse 83 complètement de cette réforme que l’on ne prend pas au sérieux; femmes du peuple ignorant et ne soupçonnant même pas la portée des revendications; bourgeoises effrayées dans leur simple jugeotte par ces grands mots: égalité des sexes; aristocrates dédaignant, pour une fois avec juste raison, ces luttes du sexe faible, bonnes tout au plus pour des institutrices.
Enfin parce que toute l’énorme majorité des Français et des Françaises intelligents, normaux et doués d’un solide bon sens ne peuvent accepter cette conception nouvelle du rôle de la femme, se mêlant aux luttes politiques et descendant dans la rue!
«Ce que nous voulons supprimer, ce n’est pas le sexe féminin, mais la servitude féminine, servitude que perpétuent la coquetterie, la retenue, la pudeur exagérée, les mièvreries de l’esprit et du langage. La femme sera un individu avant que d’être un sexe»[53].
Le délicieux type de femme; désormais libre, sans frein, sans moralité, sans coquetterie, sans amabilité, sans tendresse!
Mme la doctoresse Pelletier n’est pas heureuse, constatons-le dans ce nouveau portrait de l’Eve future! Un ours! pas même léché!
A la lecture de cet idéal, nos pères auraient dit tout simplement: «Les monstres, elles méritent 84 d’être fouettées». Mais si efficace qu’il puisse être, ce vieux traitement répugnerait à la douceur de nos âmes. Nous avons fait nôtre le joli proverbe indou: Ne frappez pas une femme, même avec une fleur! et puis les chères créatures n’aiment plus à être battues. Mon docteur avait raison. «Mieux vaut de toute façon les asperger que les meurtrir. L’hydrothérapie a du bon»[54].
La mesure serait plus douce mais ne produirait pas de bons résultats.
Entre nous, mesdames, ne soyez pas si entêtées; convenez qu’à l’heure actuelle nous ne sommes pas prêts pour cette réforme. Avouez-le! vous avez contre vous tout un peuple et vos faibles forces viendront se heurter longtemps encore contre le rempart du bon sens dont les bases sont en France très solides.
Je n’en veux pour preuve qu’une confession d’un immortel féministe, le provocateur des grands suicides moraux de notre époque et grand directeur des consciences de nos demi-vierges, nous avons nommé Marcel Prévost.
«Le suffrage des femmes est parmi les problèmes politiques et sociaux de l’heure présente un de ceux qui agitent le moins l’opinion française. On peut s’en étonner à une époque où les revendications féministes ne sont nullement inactives ni négligeables. 85 Les conquêtes de la femme contemporaine dans le domaine de l’égalité sociale sont tellement importantes depuis une vingtaine d’années qu’elles dépassent les prévisions les plus optimistes. Mais dans le sens de l’égalité politique, le changement fut quasi nul. La raison de cette immobilité, c’est que les femmes se sont franchement désintéressées jusqu’ici de leurs droits politiques»[55].
«La majorité des femmes n’est féministe à peu près dans aucun pays du monde, 120 ans après la Révolution française. Et parmi les revendications féministes, celle à laquelle les femmes tiennent peut-être le moins, c’est le droit de suffrage législatif ou même municipal»[56].
Nous avions raison de vous dire, mesdames: l’idée n’est point encore dans nos mœurs, la réforme n’est pas mûre, elle est verte, horriblement verte et bonne tout au plus pour des... détraquées.
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Supposons que du jour au lendemain, on accorde aux femmes le droit de voter: Qu’arriverait-il? Tout simplement que la majorité des femmes (et nous ne parlons que de celles ayant reçu une éducation) éprouveraient quelque difficulté à se servir de cette nouvelle attribution, car cette intelligence, malgré toute la science (?) inculquée pendant des années par de savantes (?) maîtresses, n’aura pas reçu (heureusement) une éducation politique suffisante. Ah! disent les féministes, qu’à cela ne tienne, changeons les programmes et préparons les générations féminines à leur rôle futur.
Non, Mesdames, ne faites point cette suprême bêtise! Examinons en effet l’éducation de la femme moderne? Nous nous poserons certainement cette question: où sont les fous? Chez les hommes qui élaborent de semblables programmes, ou chez les jeunes filles qui les apprennent!
On rit en pensant à ce que doit savoir une femme pour son certificat primaire, on tremble quand on jette un coup d’œil sur le certificat supérieur, on frémit à la lecture d’un programme d’école normale!
Quant au reste, cela dépasse l’imagination humaine!
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Non seulement l’éducation pratique et intelligente est abandonnée, mais encore, chose plus grave, elle est condamnée. Lire tout, apprendre tout, mais ne savoir rien, tel est le grand critérium de l’instruction féministe moderne.
«Il n’est pas rare de voir les jeunes filles faire dans une même journée le commentaire d’une églogue de Virgile, l’analyse du système de Kant, l’exposé des transformations du substantif de la langue d’oil et le tableau du régime parlementaire des Anglais au XVIIIe siècle ou expliquer le rôle du système nerveux périphérique, la formation des carbures d’hydrogène et reliqua»[57].
C’est cela! l’instruction à haute tension, la concentration dans un cerveau féminin des choses les plus abstraites et les moins utiles! On fait de nos jeunes filles d’aujourd’hui des intellectuelles, des doctoresses, des brevetées, des agrégées, c’est-à-dire des pédantes, des prétentieuses, mais hélas on n’en fait pas des femmes!
Et si maintenant pour obtenir malgré tout votre fameux suffrage vous joignez, Mesdames, à cette éducation savante, une éducation politique; si à la théorie du système de Kant ou du tronc de cône vous joignez les théories royalistes, impérialistes, républicaines ou socialistes; si désormais une femme 88 doit apprendre l’exposé radical ou la doctrine communiste, le résultat sera admirable!
A la jeune fille pédante «qui n’a du dédain que pour les bourgeoises préparant des conserves ou surveillant la blanchisseuse»[58], ajoutez un troisième sexe, la femme politique, nous aurons alors un être hideux, difforme, composé de pédantisme, de laideur, de prétention, de science et de politique, qui ne sera même plus, selon l’expression vulgaire, bonne à prendre avec des pincettes!
Quelques féministes désireraient pour arriver à ce résultat un autre système. Ce serait la promiscuité de chaque jour des femmes avec les hommes:
«La politique, le café, le cabaret, en mettant les hommes en contact, leur font apprendre à s’apprécier et à se maîtriser. Mais pour les femmes, actuellement écartées de la politique, il n’y a point de contact civilisateur et l’habitude de n’avoir en vue que soi même fatalement restreint leur sens moral»[59].
Ainsi donc, pour compléter l’éducation de la femme, Mme Hubertine Auclert nous propose comme contact civilisateur la politique, le cabaret et le café. Pour notre part, nous croyons que si une pareille éducation devait leur être donnée dans de semblables milieux, il faudrait désespérer de les voir s’apprécier et se maîtriser; et il serait à craindre 89 de constater, le jour où elles prendront ce fameux contact civilisateur, la ruine de la famille et une recrudescence formidable d’aliénées.
Non, jeunes filles, restez simplement les petites intelligences vives et alertes, ayant des aperçus rapides sur certaines branches de la science, connaissant très bien notre littérature, écrivant un français impeccable, sachant apprécier à sa juste valeur une œuvre d’art; joignez à cela une éducation artistique, soyez des femmes agréables, distinguées sans être pédantes, instruites sans être précieuses.
Ce n’est point certes que nous soyons partisans du type classique et ennuyeux de la femme de 1830 ou de la reproduction de cette espèce inférieure de jeune fille appelée oie blanche! Mais de grâce, ne brisez point brutalement cette auréole de tendresse et d’amour qui font la femme douce et aimante. Laissez pour les hommes les discussions théoriques, les analyses profondes et surtout cette fameuse éducation civique ou politique dont vous espérez merveille et qui ne fera que creuser plus profondément le fossé qui vous sépare de la raison et du bon sens.
Ne soyez point, Mesdames les féministes, celles qui font toujours semblant de croire à la vérité et à la beauté des doctrines que vous préconisez car, parfois, dans la hardiesse et la nouveauté de vos idées, vous confinez au ridicule et n’oubliez pas qu’en France le ridicule tue toujours!
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Ce chapitre, qu’on pourrait intituler: de l’hypnotisme, est un de ceux qui a réuni le plus grand nombre d’adversaires et de partisans.
Cette délicate question de l’influence du confesseur sur l’âme de sa pénitente est si complexe et surtout soumise à tellement de variations, à cause du tempérament et du milieu, qu’il est matériellement impossible d’apporter des faits individuels permettant de faire une preuve éclatante dans l’un ou l’autre sens.
Comment, disent certaines âmes charitables et naïves, pouvez-vous supposer à un homme de religion le pouvoir pour ainsi dire surhumain de guider les décisions des femmes, de diriger leurs actes, en un mot de leur imposer sa façon de penser et d’agir. Mais de nos jours, avec la liberté effrayante des mœurs, avec notre laisser aller, notre indifférence et notre scepticisme, l’armée des illustres pécheresses rachetant leurs fautes par de douces pénitences et suivant exactement les conseils intéressés de leur confesseur n’existe plus.
La femme d’aujourd’hui est trop légère, trop insouciante, et surtout trop avisée pour prêter une oreille 91 attentive aux remontrances d’un jeune abbé poudré, ou d’un vieux vicaire illuminé et bedonnant! Par tradition, par habitude, par respect humain, elle lui débitera l’éternel monologue de ses péchés mignons, bouclera aussi vite que possible la douce pénitence et, plus légère qu’un oiseau, volera vers d’autres dangers, vers d’autres chutes, ayant au cœur la douce espérance d’être pardonnée et de re-recommencer.
Le confessionnal n’est plus aujourd’hui le point où mystérieusement se réunissaient les fils qui guidaient les volontés des femmes; l’indifférence et la raison ont brisé la trame de cette toile immense, enserrant les âmes et les énergies féminines!
C’est mal comprendre la profonde influence qu’a toujours exercée sur la volonté faible et molle de nos compagnes le caractère religieux d’un confesseur. Depuis la juste loi de la Séparation, l’Eglise vit en marge de la République, dissimulée mais non vaincue, rabaissée mais non soumise. De n’avoir pas voulu se courber à l’instar des autres dogmes sous le joug de la loi, d’avoir été forcée de se soumettre, elle a gardé l’éternelle rancœur des vaincus et l’espoir de relever un jour la tête.
Voilà pourquoi, malgré tout, sans chocs, sans heurts ses ministres ont redoublé d’influence et de zèle! Sachant que la majorité des femmes a reçu une éducation religieuse laissant en elles une trace indélébile, ils savent réveiller au moment opportun les sentiments qui s’endormaient dans la fièvre de 92 notre siècle! Ils continuent à guider les âmes et à avoir main mise sur leur volonté.
Dans les villes où la femme est absorbée par les exigences mondaines ou la lutte pour la vie, leur tâche est peut-être plus difficile; dans les villages où les lumières du ciel brillent encore dans l’âme naïve et douce des paysannes, leur travail est simplifié. Et, comme dans le passé, ils continuent à exercer une pression d’autant plus dangereuse qu’elle est cachée, d’autant plus à craindre qu’ils font miroiter l’éclat des palmes du martyre et la beauté d’une grande revanche, jusqu’au jour où étant les directeurs de toutes ces âmes, ils déclareront ouvertement la guerre à la République.
Que l’on ne nous dise point que ce sont là paroles légères ou pronostics pessimistes. Ce que nous voulons montrer, c’est la timidité, la faiblesse, la molle énergie d’une femme. C’est la facilité avec laquelle on capte sa volonté. C’est l’attrait mystérieux qu’exerce sur toute âme religieuse, même superficiellement, la parole douce et chrétienne, psalmodiée dans un confessionnal ombré avec des gestes bénisseurs et caressants.
C’est la facilité avec laquelle, sous prétexte de religion, le confesseur peut dévier d’un sujet à l’autre, peut inspirer et imposer sa façon de voir, peut en un mot se substituer à la volonté de sa pénitente.
Et voilà pourquoi le jour où dans sa bonté magnanime la République accordera aux femmes le droit 93 de vote, ce jour-là des millions de bulletins tomberont en avalanche sur elle; ce jour-là elle sera submergée par les flots des opinions réactionnaires des femmes, qui ne seront autres que les opinions de l’Eglise!
Raisonnement faux, dit-on, puisque la plupart des féministes sont révolutionnaires et libre-penseuses! Mais quelle différence faites-vous donc d’abord entre un révolutionnaire et un réactionnaire ou un anti-républicain?
Il n’y en a pas! tous deux veulent renverser le régime existant, les uns par le raisonnement et le coup d’Etat, les autres par la torche et le pétrole! Tous deux rêvent à l’aube du grand soir, pour les premiers elle est blanche; rouge pour les seconds!
Et puis croyez-vous que les féministes socialistes iraient maladroitement se séparer du concours des catholiques? Leurs forces sont déjà bien petites; qu’adviendrait-il si elles les divisaient? Oui, nous avons l’intime conviction que le vote des femmes serait défavorable à la République et cela parce que de nos jours encore la volonté de la femme n’est point libre, elle est soumise à celle de son confesseur. Ceci n’est point une opinion; c’est la constatation de chaque jour, c’est un fait habituel! et nous croyons toujours à l’éloquence des faits plus qu’à celle des discussions.
De là, cependant, à faire retentir la trompette anticléricale et sonner à tous les échos le ralliement de 94 la libre-pensée, nous paraîtrait un moyen essentiellement faux et maladroit. N’essayons point de jouer le rôle insipide de la mouche du coche, comme par exemple Mme Nelly-Roussel:
«Tant que nos soi-disant libres-penseurs, dit-elle, se montreront aussi misogynes que l’Eglise, tant qu’ils n’ouvriront à la femme qu’une petite porte dérobée en lui recommandant d’être bien sage et de s’asseoir humblement à l’écart, qu’ils ne lui feront pas partout sa large place, nous pourrons craindre que nos tentatives de laïcisation complète demeurent vaines et infructueuses! Mais qu’espérez vous, ô anticléricaux! Chasser vos compagnes des églises sans leur donner d’autres asiles! Les enlever à ce qui les console sans faire en sorte qu’elles n’aient plus besoin de chercher les consolations! Et dans leur âme où la résignation chrétienne endort la dignité humaine, tuer cette résignation sans réveiller la dignité qui défend de courber la tête sous aucun joug moral ou social? Sachez-le bien, vous rêvez l’impossible!»[60].
Sauf votre respect, Madame Nelly-Roussel, empruntant pour un instant un vocabulaire populaire: C’est du battage! Voyez-vous, les phrases, les grandes idées, les systèmes modernes sociaux, la refonte de 95 la morale, «l’Eglise remplacée par la dignité qui défend de courber la tête», tout cela c’est un brillant galimatias, un merveilleux assemblage de mots qui ne veulent pas dire grand chose et qui, une fois réunis, veulent dire encore moins.
Laissez de côté, Madame, ces grandiloquentes théories de la porte dérobée et du joug moral ou social! Vos sœurs, pas plus que vos frères, du reste, ne pourraient vous comprendre! Pour combattre et ruiner à jamais dans l’âme de nos femmes l’influence d’un confesseur, point n’est besoin de ce bréviaire insensé de libre-penseuse ou de ce manuel nébuleux de parfaite laïque!
Non! que le mari soit désormais le confident de son épouse, qu’il l’entoure d’une affection franche et sincère, qu’il soit pour elle un guide, un soutien; qu’à tous les instants il se penche vers son cœur pour connaître ses souffrances et ses désirs, que son rôle ne se borne point à celui du mari légal, qu’il soit aussi le confesseur paternel et aimant, et désormais disparaîtra cette influence néfaste du prêtre qui fausse les volontés et qui pourrait détourner à son profit le suffrage des femmes!
Mais plus de ces harangues philosophiquement ennuyeuses, Madame Nelly-Roussel! Ralliez-vous à notre système! C’est le meilleur, parce que le plus simple et le plus naturel!
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Cela semble un paradoxe, une vérité de la Palisse; et cependant nulle raison, à notre humble avis, n’est meilleure. De l’arsenal des raisons, restreintes à volonté, militant en faveur de notre opinion, aucune ne nous semble posséder plus de force, plus de bon sens, plus de naturel et plus de vigueur.
La femme ne doit point voter parce qu’elle est femme.
Certes, il est assez téméraire de vouloir donner une explication de la femme. Nous comptons, du reste, sur l’indulgence des critiques, pour la seule et bonne raison que pas plus que nous ils n’arriveront à donner la résolution de ce problème.
Impressionnable, est un de ses graves défauts. Son organisme délicat la prédispose, en effet, plus que l’homme aux émotions. Un rien la trouble, l’ébranle jusqu’aux larmes. La moindre impression laisse en elle une trace profonde; une parole qui l’aura choquée, froissée, restera gravée dans son esprit pour toujours. Il faut peu de chose pour la rendre heureuse et une robe qui lui va mal la rend inquiète, agitée, irascible. Le moindre petit détail qui cloche dans sa silhouette la met dans des états 97 de nervosité étranges; un malheur profond la laisse calme, froide et résignée.
A côté de ces mièvreries qui constituent cependant une ambiance nerveuse plus grande qu’elle ne paraît, il faut placer encore toutes les secousses plus fortes auxquelles elle est en butte: maladies, désillusions, misères, auxquelles son cœur généreux compatit toujours; chagrins intimes qu’elle garde jalousement par fierté et font d’elle l’éternelle blessée. Elle est en vibration continuelle et son âme et son esprit sont sans cesse agités par le souffle de la douleur et de la joie.
Et c’est à ce petit être ballotté, à la merci d’un sourire ou d’une larme, que vous voulez donner un droit—celui de voter—droit exigeant peut-être plus que tout autre le calme et la réflexion! Oh! direz-vous, êtes-vous sûr que les hommes réfléchissent avant de donner leurs voix à un candidat? Soit! faisons des concessions et reconnaissons que bon nombre d’électeurs votent sans se douter du droit sacré dont ils font usage; mais enfin, qu’on le veuille ou non, il existe encore bon nombre de Français qui en leur âme et conscience déposent, sans être impressionnés par les discours tapageurs ou circonvenus par les promesses, leur bulletin dans l’urne.
Prenons, au contraire, la femme avec son extrême impressionnabilité, mêlons-la aux luttes politiques, jetons-la dans des réunions, des manifestations; pendant des semaines bourrons-la de professions de foi, de 98 proclamations, de déclarations, enflammons-la par de violentes polémiques, et nous aurons le jour du vote devant nous une malheureuse désemparée, brisée par les émotions, ne sachant plus à quel candidat se vouer, ne comprenant plus ce qu’on exige d’elle; nous n’aurons qu’une petite barque roulant, tanguant sur la mer immense de la politique.
Oh! combien triste et pitoyable ce sera!
On comprend qu’avec un tel goût pour les émotions fortes, elle soit inévitablement sentimentale. Cœur et nerfs, ainsi pourrait-on la symboliser.
Elle subit continuellement cette double impulsion. Son cœur est toujours plein de tendresse et de dévouement qu’elle répand sans compter. Aimer, être aimée, se dévouer toute, se donner corps et âme, voilà la véritable aspiration de la femme.
Certains féministes jugent parfois ce but dégradant, humiliant, parce qu’il fait d’elle une esclave, et leurs théories sont vaines, car aucun raisonnement n’empêchera la femme d’aimer et d’être une esclave à laquelle nous obéissions.
Sa seule tâche ici-bas se nomme amour. Et qu’on le baptise comme l’on voudra, sentimentalisme, romantisme, passion, tendresse, tout cela n’est qu’une forme de l’amour qui remplit la vie de la femme. Irez-vous rabaisser cet idéal, en faisant d’elle notre égale, du moins en théorie.
Mais la femme, créature d’amour, n’est point faite pour ces grandes théories modernes de l’émancipation 99 sociale. Son cœur tout rempli de tendresse ne peut comprendre ces aspirations illégitimes de liberté, ces aspirations mal fondées d’égalité dans la question politique. Éloignez d’elle toutes ces complications, ne la sortez point de son cadre de beauté et d’amour, car le jour où elle viendra se mêler à nos luttes, le jour où elle sera élue maire ou député, ce jour-là sera pour elle l’ouverture d’une ère de rabaissement et de déchéance. Elle ne sera qu’une pâle imitation de l’homme! Trahie par son cœur, et voulant mettre la tendresse là où la raison, le droit et l’énergie doivent seuls régner, elle sera renversée, piétinée, elle deviendra la victime de l’amour!
Sentimentales, que deviendront leurs décisions! A quel parti s’arrêteront-elles! Comment pourront-elles porter un jugement droit et définitif? La passion, le sentiment fausseront toujours leurs idées:
«Le sentiment peut tout faire rentrer dans l’esprit d’une femme»[61].
«L’homme est poussé par la passion, la femme par les passions; celui-là par un grand courant, celle-ci par des vents changeants»[62].
Voilà pourquoi jamais leur tempérament de grandes amoureuses ne pourra s’adapter à celui de politique et de tous ses corollaires, y compris surtout celui de voter.
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La femme est de plus trop légère et trop inconstante. Aucune suite ne se trouve dans ces décisions. Incapable de prendre par elle-même une résolution, elle dispense son énergie entre de nombreuses idées auxquelles, du reste, elle ne s’arrête particulièrement jamais. Et si par hasard elle parvient à prendre une résolution ferme et énergique, elle est absolument incapable d’en attendre le résultat?
«Vous causez avec une femme de sujets graves, tout de suite vous vous apercevez que vous n’êtes ni compris, ni suivi. Sans cesse votre interlocutrice vous échappe, se jette à côté, s’arrête à des détails, se noie dans des lieux communs et sautille d’une idée à l’autre. C’est que la femme n’est pas un cerveau, elle n’est qu’un sexe»[63].
Ah! qui nous dira l’insouciance de cette petite âme d’oiseau, la légèreté de cet esprit «sautillant comme les mouches»[64], qui touche à tout, goûte à tout, veut tout voir, tout entendre, tout connaître, tout savoir sans rien approfondir. C’est que la femme ne peut matériellement réfléchir plus de cinq minutes; sa devise est frivolité. «La femme ébauche tout, n’achève rien»[65].
«Ma femme est charmante, provocante, seulement elle ne laisse rien dans la main. Elle ressemble à ces 101 verres de champagne, où tout est en mousse. Quand on a fini par trouver le fond, c’est bon tout de même, mais il y en a trop peu!»[66].
Rapprochons cette délicieuse réflexion de Guy de Maupassant d’une déclaration fine et jolie qu’Henri Lavedan met dans la bouche d’une de ses héroïnes:
«Des joujous animés, des êtres indécis et bizarres à caprices, à vapeurs, à nerfs, voilà ce que nous sommes. Il y a des moments où nous ne comprenons rien à nous-mêmes. Nous avons des cervelles de petit lait, nous ne réfléchissons pas plus qu’une bête à Bon Dieu. Moi, je me fais l’effet de ne peser rien, d’être un duvet; moins qu’une chandelle... tu sais, cette fleur des champs sur laquelle on souffle et puis qui s’est envolée»[67].
Et maintenant pourrez-vous, Mesdames et Messieurs les féministes, être convaincus que la femme aura assez de bon sens et de raison pour user du bulletin de vote que, malgré elle, vous voulez lui offrir.
Vous voulez faire de ce petit être mignon qui ne songe qu’à s’habiller comme un champignon ou comme un parapluie, l’égale de l’homme; vous voulez accorder des droits nouveaux à cette Eve si mobile d’âme et d’esprit, qui ne s’arrête à rien de profond et de sérieux, qui glisse sur les sujets pour ne peser que la bagatelle! Allons, permettons aux 102 enfants de s’amuser avec des armes à feu! Le droit de vote est une arme que la femme ne saurait et ne pourrait manier, elle la tuerait!
Et puis n’oubliez pas «que les femmes sautent toujours à pieds joints par-dessus les longues chaînes des raisons froides»[68].
Cela évite toute discussion en leur faveur!
En outre, que dire de leur exaltation. «Nerveuse, sensible, la femme est extrême en tout, capable des pires folies comme des actes les plus sublimes! La femme rêve toujours quelque chose de mieux que le bien et de pire que le mal»[69].
Accordez-leur le suffrage et vous comprendrez alors pourquoi des hommes de bon sens vous crient: Casse-cou! Mais dans les villes, et surtout dans les villes ouvrières et les villages, nous assisterons pendant les élections à des résultats navrants: les femmes exaltées, ayant au cœur la prétention de faire triompher leur candidat, se livrant à toutes sortes d’actes que nous ne pourrons que réprouver.
Considérez-les, de notre époque, dans les grèves. Ce sont elles qui mènent les ouvriers, qui se couchent sous les pieds des chevaux des gendarmes ou sur les rails des chemins de fer! Le jour où elles auront le droit de voter, les élections sombreront dans le ridicule ou dans le sang. Pour notre part, 103 nous trouvons les deux solutions aussi grotesques l’une que l’autre! Et nous sommes sûr d’avoir de notre côté tous les gens de bon sens.
N’êtes-vous point encore coquettes, et ce défaut qui parfois est une qualité ne deviendra-t-il pas, quand vous serez électrices, une sérieuse pierre d’achoppement?
Vaniteuses! accessibles aux compliments. Comme vous deviendrez bien vite amorales! Que ne ferait-on pas d’une femme en lui vantant ses jolis cheveux ou ses grands yeux noirs. Des compromissions! mais il y en aura plus que jamais! Le premier joli candidat venu, au bagout étincelant, à la fine moustache ou à l’allure crâne, vous fera tourner comme des girouettes! Seriez-vous capables de résister à l’offre alléchante d’un pot-de-vin qui pour la circonstance revêtira les formes élégantes d’une robe de chez Paquin ou d’un superbe chapeau!
Mais en faisant vibrer en vous la corde désespérément sensible de la vanité, en vous montrant une rivale adulée, comblée d’honneurs, que vous pourrez égaler et même surpasser, que n’obtiendra-t-on pas de vous!
Les ennemis de la République rabâchent depuis déjà longtemps l’éternelle complainte de la pourriture de nos mœurs politiques. Ils savent bien malgré tout qu’en République aucune suspicion ne peut-être jetée sur notre corps représentatif.
Le jour où vous aurez le droit de voter, mesdames, 104 la pourriture politique gagnera du terrain sûrement, lentement, car aucune de vous n’aura ni le courage ni la force de résister aux tentations!
Et ce jour-là, les adversaires du régime auront beau jeu!
Nous le répétons, vous ne devez point voter, car vous êtes des femmes! car la femme est ce qu’il y a de plus beau sur la terre et peut-être dans le ciel, car les anges lui ressemblent idéalement. «Elle mérite ici-bas des autels, des litanies, une adoration spéciale. C’est la fleur humaine par excellence; et c’est aussi la perle, l’étoile et le papillon et toutes les pierres précieuses, le plus rare bijou de la couronne. Et c’est aussi tous les arts réunis, fondus, le plus exquis tableau, la plus svelte statue, le plus velouté pastel! Et c’est encore la musique animée, réalisée, personnifiée, la mélodie et l’harmonie, l’éternelle et divine romance!»[70].
Après cela, mesdames, aimeriez-vous devenir des hommes c’est-à-dire des singes?
Et pour terminer, méditez cette pensée de Victor Hugo: «Si vous êtes pierre, soyez aimant; si vous êtes plante, soyez sensitive; si vous êtes femme, soyez amour!»[71]. C’est la seule chose que vous puissiez être ici-bas.
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QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES
SUFFRAGETTES
Ce ne sont point dans les pages suivantes des critiques ou des conseils que nous voulons donner aux féministes de notre époque. Notre faible voix risquerait fort d’être peu écoutée. Pourrait-il en être autrement! Ce que nous avons voulu, c’est simplement condenser en quelques lignes certaines réflexions suggérées par ces messieurs et dames féministes.
Qu’ils ne voient point là les récriminations amères d’un adversaire résolu des revendications du sexe faible, mais simplement les idées d’un jeune homme qui s’amuse à rire de leurs travers et de leurs défauts, ce qui, du reste, a été une partie des plus agréables et des plus intéressantes de ce travail.
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Nous ne citerons point de noms; nous pourrons ainsi concilier la pénible obligation de dire aux femmes de cruelles vérités tout en n’abandonnant point le champ agréable de la galanterie. Et personne n’étant visé, ces dames pourront se donner l’illusion de voir ces lignes écrites pour leurs voisines.
Il existe à l’heure actuelle une question palpitante d’intérêt: c’est le suffrage des femmes. Comme de toutes les nouveautés, des personnes s’en sont emparées, l’ont exploitée, pensant s’en faire un tremplin de gloire et de célébrité. Il est si difficile de percer de nos jours.
Les hommes féministes ont sauté à pieds joints sur ce nouveau thème qui leur permet, journalistes d’exposer un sujet inédit, romanciers d’intéresser leur clientèle par des idées modernes, auteurs dramatiques d’éviter le four sensationnel par la hardiesse de la thèse!
Pour quelques-uns, un succès de curiosité a répondu à cette nouvelle «exploitation littéraire»; pour beaucoup le désintéressement et le bon sens de la majorité des Français ont fait justice de cette levée de boucliers féministes. Ces Messieurs avaient en effet oublié une chose essentielle, principale: d’éclairer la lanterne, c’est-à-dire d’étudier la question. Ils 107 croyaient pouvoir traiter le sujet du suffrage des femmes dans quelques articles de journaux ou aux feux de la rampe. Et quand on s’aperçut que leurs raisons n’étaient que des raisons sentimentales, que leurs phrases claironnantes étaient de magnifiques ciselures vides de sens, on haussa les épaules et l’on se mit à rire!
C’était la seule conclusion qui s’imposait!
Quant aux femmes, elles ont été superbes d’audace et de désinvolture. Elles ont tout d’abord donné l’impression de grandes héroïnes, témoin Olympe de Gouges! La femme, disait-elle, a le droit de monter sur l’échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la tribune! Son désir fut sinistrement exaucé et nous ne pouvons que saluer très bas une victime innocente de la Révolution!
A cette héroïne succéda une floraison de féministes convaincues et exaltées, ne rêvant que plaies et bosses, luttes, barricades, avec le désir public de devenir à leur tour des martyres, mais avec aussi le secret espoir de demeurer tout simplement des femmes.
L’idée de ces revendications, comme du reste toute idée neuve et hardie, faisant en France son petit bonhomme de chemin, ces dames se crurent tout d’un coup les Messies d’une nouvelle société; à l’instar des Saint-Simoniens elles tâchèrent de fonder un nouveau dogme de régénération sociale! Et du jour au lendemain, les féministes furent célèbres, on leur prit des interviews, elles écrivirent leurs impressions, 108 quelques-unes même leurs mémoires. Les grands quotidiens publièrent des articles sensationnels sur leur compte; et à part quelques esprits calmes et pondérés, l’escouade de ces militantes fut grisée, fut éblouie! Songez donc! on publiait en première page leurs articles, leurs noms; on donnait même leurs photographies!
«Ah! l’on ne connaît pas l’influence de la photographie retouchée sur la femme! Elles se font photographier dans toutes les positions, face à l’Océan; celle-là, partant à la conquête de la littérature, sur un dos de chameau; telle se costume en impératrice, telle autre en bédouine!»[72].
Et toutes ces dames, prises tout à coup d’un furieux accès de production, écrivirent, chaque jour, dans tous les journaux, dans toutes les revues, dans tous les quotidiens!
Oh! cette littérature féministe! De l’opium! de la guimauve ou de la pâte... épilatoire!
Les hommes-féministes! Des convaincus! des champions de l’émancipation! Allons donc! dites plutôt des esprits brillants et distingués! soit, mais aussi des vendeurs de littérature, des lanceurs d’affaires, des hommes subtils et adroits, ayant compris tout le profit qu’ils pourraient retirer de ces idées modernes et toute la gloires qui rejaillirait sur eux de les avoir fait connaître et exalter!
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Les femmes féministes! Des convaincues! Allons donc; des assoiffées de réclame, des ambitieuses, dont le suprême bonheur est de présider un congrès ou de lire leur nom dans un journal.
«Ce qui perce à travers la propagande qu’elles mènent c’est, avec le mauvais goût de la déclamation, une avidité impatiente de réclame, un goût effréné de notoriété bruyante. La poule meurt d’envie de chanter comme le coq, et c’est à qui s’époumonera pour mettre sa petite personne en évidence sur le plus haut perchoir du poulailler»[73].
Oui, Mesdames les féministes, voilà ce que vous êtes, des petits esprits étroits et bornés, ayant au cœur un seul désir, celui de paraître sur la scène de la vie, de taper à coups redoublés sur la grosse caisse de vos revendications afin que l’on parle et que l’on cause de vous, que l’on vous interviewe ou que l’on mette votre photographie dans un illustré, devant une réclame de rasoir ou de corricide!
Idéal combien ridicule et banal! Cela classe tout de suite le féminisme!
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Il existe chez les féministes femmes un point faible, très faible; un point tout petit et qui, cependant, malgré les haussements d’épaules de ces dames, a une grande importance! C’est la question de la beauté!
Jusqu’ici, les féministes n’ont recueilli que des suffrages restreints, et cela tient beaucoup au manque d’élégance et d’esthétique des candidates. Cette raison qui, à première vue, peut paraître puérile est cependant, après discussion, sérieuse et fondée!
Vous nous direz: Mais toute femme jolie est bête! et pour être intelligente nul besoin n’est d’avoir une figure fine et gracieuse! C’est vrai, mais enfin c’est un grand défaut d’être laide, Madame! «La femme n’a qu’un droit, avons-nous lu quelque part, celui d’être jolie!» L’auteur exagérait, évidemment, mais il ne mentait pas!
«Qui décrira les nez en pied de marmite, chevauchés par de calamiteux lorgnons, et les mentons crochus, les bouches édentées, où n’apparaissent plus, au coin d’un redoutable sourire, que quelques vieux chicots crénelés; et les visages couperosés ou jaunâtres, les physionomies en coin de rue et les 111 petits yeux vérons ou pers, laissant filtrer un regard réfrigérant comme un courant d’air!»[74].
Mme Nelly-Roussel, en rapportant et commentant ce passage photographié et pris sur le vif, devient triste et amère! Touchée au vif, elle n’a pour le correspondant du Journal que des paroles mordantes!
Et parce que M. Ludovic Naudeau a montré, dans toute sa vérité et toute son horreur un type presque universel de féministe, parce qu’il souligne d’une plume minutieuse et humouristique le grave et éternel défaut de ces dames, Mme Nelly-Roussel, avec un esprit mélancolique, nous répond: «Ah! quel amusant jeu de massacre nous fournirait le Parlement de n’importe quel pays! mais nous sommes meilleures que vous, nous nous reconnaissons le droit à la laideur... bien que de celui-là, comme des autres, vous abusiez volontiers»[75].
Eh! bien, à vous! mesdames, nous ne vous reconnaissons pas ce droit! Un homme peut être laid, cela n’influe en rien sur son caractère ou son énergie, mais vous! femmes, si vous voulez réussir, triompher! vous devez être belles, car le jour où vous niez cette qualité, vous supprimez la moitié de vous-mêmes!
Oui, n’oubliez pas, Mesdames, «dont les héroïques campagnes en faveur du féminisme et de l’amour 112 libre sont inscrites dans la lassitude de vos bajoues et le découragement de vos seins»[76], que la femme qui veut avoir un nom, être connue, faire parler d’elle, quand sa cause est mauvaise ou que la vive intelligence lui fait défaut, doit racheter tout cela par sa beauté. Pour vous, c’est une arme devant laquelle peu d’hommes résistent, une force qui plie tout à sa volonté!
La laideur, Mesdames les féministes, voilà votre ennemi mortel! Nous contemplions vos traits dans le numéro de Fémina du 15 avril 1910. Quelle impression doit produire sur les électeurs la silhouette hommasse ou le facies exsangue de certaines candidates! Quel piètre succès malgré toute votre éloquence (?) et que de sourires ironiques doivent souligner vos périodes échevelées!
Peut être allons-nous faire mourir de jalousie certaines concurrentes! A quoi attribuer le succès de Mme Marguerite Durand? à ses idées féministes? Non! loin de là, mais simplement à son élégance, à sa joliesse, à sa beauté distinguée!
Vous voyez, Mesdames, nous avions raison de vous dire: Soyez jolies! Soyez jolies!
Admirons profondément, sincèrement, ce journaliste, féministe convaincu, John-Antoine Nau qui, dans le Petit Niçois du 18 janvier 1909, parlant de la laideur des suffragettes anglaises écrit: «La prochaine 113 fois que je rencontre une féministe anglaise ou non, élégante ou malpropre, même bottée comme un égoutier, même laide comme un pou, même un peu émêchée, sentant le schnik, le tord-boyaux, voire le tabac à chiquer, je l’embrasse fût-ce en pleine rue!»
Je ne croyais pas qu’il existât de par le monde des hommes capables d’un tel courage!
Quant à nous, le jour où nous rencontrerons une féministe de tous points semblable à l’idéal de M. Nau, qui voudra se venger de nos attaques, nous lui dirons simplement: Embrassez-moi. Et vous pouvez croire, Mesdames, que nous serons cruellement puni!
114
Il est encore un point qui vous porte considérablement tort, Mesdames, c’est votre tactique de combat. Aux attaques et aux coups de vos adversaires vous ne savez répondre la plupart du temps que par des insultes ou des procédés méchants.
Irritables et nerveuses à l’excès, vous ne savez pas mesurer vos paroles, guider vos réponses, empreintes toujours de fiel et d’amertume; à la discussion vous préférez la phrase emportée; à la polémique, le ton rancunier et coléreux. Nous le répétons, vous avez gravement tort!
Ayez au contraire le bon sourire franc des duellistes de journaux; encaissez les coups sans mauvaise humeur; ayez la répartie fine, vive, spirituelle, mordante; sachez retourner les arguments adverses d’une plume alerte et émoustillante, mais de grâce ne prenez point tout de suite cet air boudeur et cette mine rageuse; que vos discussions et vos réponses ne disparaissent plus sous les flots tumultueux et pressés des épithètes malsonnantes; vos arguments n’en auront que plus de valeur (ils en ont du reste besoin), et désormais vous n’aurez plus l’ennui de lire des articles si véridiques à votre adresse, à l’instar du suivant:
«Chaque fois que je me suis permis de ne pas 115 admirer les femmes qui font de la politicaille, j’ai reçu toutes sortes de lettres et de cartes injurieuses.
»Des mains sans doute charmantes ont écrit à mon adresse de cette écriture fine et allongée et pointue,—marque d’une bonne éducation—les mots de crétin, d’idiot, d’abruti (j’en passe et des pires).
»Ma foi! j’ai tort de croire que les dames n’ont pas de dispositions pour entrer dans l’arène électorale»[77].
En homme spirituel et aimable, Clément Vautel ne fait que vous supposer des dispositions; il vaudrait bien mieux pour vous, Mesdames, pour votre beauté, votre intelligence et votre élégance, être obligées de reconnaître que vous n’êtes point faites pour les luttes politiques!
Vous n’arriverez à ce résultat que le jour où vous reviendrez à ce que vous avez toujours été, c’est-à-dire des femmes, par analogie des êtres doux, affectueux et polis!
Et ce jour-là arrivera bientôt. Car vous reconnaîtrez votre erreur, vous ne fausserez désormais plus vos caractères, vous ne serez plus les politiciennes aux mots grossiers et injurieux, car cela n’est point ni dans votre nature, ni dans votre caractère, ni dans votre cœur! Vous redeviendrez des femmes.
Chassez le naturel, il revient au galop!
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OPINIONS DE PERSONNALITÉS POLITIQUES ET LITTÉRAIRES SUR LE SUFFRAGE DES FEMMES
Nous avons essayé de grouper très impartialement les opinions de quelques personnalités politiques et littéraires sur le suffrage des femmes.
Nous nous plaisons cependant à constater l’absence presque complète de partisans résolus et convaincus. La plupart n’ont pas osé répondre; certains, et ils sont nombreux, ne disent ni oui ni non, enveloppent leur pensée dans un tour de phrase mystérieux, reprenant d’une main ce qu’ils accordent de l’autre: bref pour ne point se donner l’air de vieux rétrogrades, biaisent, essayent de gagner du terrain avec tellement de restrictions et de doutes qu’ils précisent mieux encore leurs opinions.
Et c’est pour nous une des constatations des plus agréables à la fin de ce travail, après avoir parcouru les principaux ouvrages des grands féministes hommes, d’avoir l’impression très nette et très franche du 118 sentiment de gêne éprouvé par ces écrivains à se déclarer partisans convaincus des revendications du sexe faible.
Nous n’en voulons pour preuve (au milieu de nombreuses) que l’assertion de deux féministes acharnés, MM. Prévost et Jadin.
M. Marcel Prévost, après avoir exalté dans tous ses ouvrages la nouvelle femme, l’Eve libre, fait dire à une de ces vierges fortes (Léa, p. 154):
«Une voix intérieure m’a toujours dit: «Rien n’est meilleur que d’avoir une famille, un mari qui travaille avec vous, beaucoup d’enfants qu’on soigne et qu’on élève».
Plus loin:
«Cet attachement fétichiste de l’épouse à l’époux sera longtemps la loi des meilleures entre les femmes.»
Enfin, étrange constatation, dans les lettres à Françoise:—«Vous, Françoise, je crois vous définir assez justement en disant que vous êtes antiféministe pour vous-même et volontiers féministe pour les autres.»
On ne peut être plus franchement ironique.
Quant à M. Jadin, professeur à l’École de Pharmacie de Montpellier, homme aimable et distingué, unissant à ses dons d’agréable conférencier une érudition complète sur la question du féminisme, après avoir louangé dans un discours d’ouverture des Facultés la femme savante et doctoresse, ne put s’empêcher de nous dire:
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«Loin de moi d’exalter la femme intellectuelle aux dépens de la femme d’intérieur. Plus que tout autre, peut-être, je considère que les rôles sacrés d’épouse et de mère auxquels sa nature la destine suffisent à remplir glorieusement une carrière, que les qualités mêmes de nos compagnes, leur grâce, leur joliesse, leur délicatesse, leur sensibilité, les consacrent gardiennes d’ornements du foyer domestique!»[78].
Nous excusons volontiers M. Jadin, féministe convaincu, de son hymne en l’honneur de la femme sensée et raisonnable. Cela ne nous surprend pas outre mesure. Les hommes d’esprit savent toujours reconnaître leur erreur, et M. Jadin est un de ceux-là!
Quant à nous, si ces Dames trouvaient ridicule notre aversion contre leurs réclamations et leurs revendications, nous répondrions tout simplement: Il faut toujours avoir le courage de ses opinions... et de ses ridicules!
*
* *
Voici maintenant l’opinion de quelques personnalités sur le suffrage des femmes:
De la Revue Socialiste, 1906:
Je suis convaincu qu’il en résulterait non seulement pour la femme une libération rapide des lois et des usages qui économiquement et civilement l’infériorisent à l’homme, 120 mais aussi pour tout le prolétariat une prompte croissance de force et de liberté morale et sociale. Ce serait un pas de plus dans la voie du progrès démocratique et humain!
Edouard Vaillant, député.
C’est incontestablement le seul moyen pour que le suffrage mérite d’être appelé universel! C’est aussi celui d’être d’accord avec la justice et le bon sens, car il est aussi injuste de refuser à la femme, parce que femme, tout ce qu’on accorde à l’homme. De là des mésintelligences fort explicables!
Jean Allemane, député.
Par le fait même de son affranchissement politique, la femme sortirait de l’ombre des églises pour venir en plein soleil de la place publique.
Emile Vandervelde, député à la Chambre belge.
Notre parti s’est prononcé avec enthousiasme pour l’affranchissement politique des femmes. Il est difficile pour moi de comprendre que cette revendication ne soit pas acceptée par tous les socialistes.
Keir Hardie, membre du Parlement britannique.
Je pense que le droit de vote pour la femme est indéniable au point de vue moral, social et politique.
Enrico Ferri, de la Chambre italienne.
A mon avis, la question du suffrage des femmes n’est pas de première importance pour le socialisme et la classe ouvrière. C’est une question de justice plutôt que d’intérêt pratique pour le mouvement d’émancipation, la plupart des femmes se montrant très indifférentes à ce sujet, même celles de la classe ouvrière.
Edouard Bernstein, membre du Parlement allemand.
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A quoi sert-il de révolutionner le Code civil au profit des femmes et de leur donner des droits si, pour conserver ces droits, elles ne sont pas armées du bulletin de vote, si le suffrage politique ne leur est pas donné. En parlant de la sorte, je vais peut-être froisser, dans le féminisme même, les sentiments de quelques êtres timorés qui nous accusent de compromettre notre thèse en demandant le suffrage politique pour les femmes. Eh bien! que les femmes me permettent de leur dire que toutes les lois que nous pourrons proposer seront vaines si pour accroître et défendre ces lois elles ne sont pas armées du bulletin de vote. Vous obtiendrez de la générosité des hommes, de leur esprit de justice ou quelquefois de leur amour du paradoxe, quelques réformes partielles, quelques menues modifications du Code civil ou de Commerce, mais jamais vous ne recevrez le bienfait total de l’émancipation. Au nom d’une expérience politique et parlementaire assez longue, laissez-moi vous dire que les législateurs font les lois pour ceux qui font les législateurs. Tant qu’un suffrage féminin ne viendra pas se joindre au suffrage masculin, tant que se complétant l’un l’autre ils n’auront pas restitué à la société l’harmonie et l’équilibre, la société ira de tourments en tourments et d’abîmes en abîmes.
M. Viviani, Ministre du Travail.
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Des Annales politiques et littéraires:
Je crois que le suffrage universel serait moins mauvais pendant quelque temps si les femmes votaient, mais d’autre part le suffrage universel me paraît idiot! Alors!
Jules Lemaitre, de l’Académie Française.
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J’ai dit bien des fois que je suis partisan du suffrage politique des femmes et de leur éligibilité, voulant l’absolue égalité des droits des deux sexes. Je suis même partisan du vote des enfants (le père votant pour les garçons et la mère pour les filles!) ce qui donnerait aux pères et mères la prépondérance sociale qu’ils doivent avoir. Je crois que pour tout pays, le vote serait moralisateur et conservateur, les femmes étant à les considérer d’ensemble un peu moins sensuelles, beaucoup moins cruelles et infiniment moins alcooliques que les hommes.
Emile Faguet, de l’Académie Française.
En vérité, pourquoi ne voterait-elle pas puisque si elle ne vote point elle fait voter ceux qui votent? Vous verrez que les suffragettes, ces midinettes du vote, auront raison tôt ou tard du préjugé. Elles sont l’avant-garde du féminisme et leurs promenades boulevardières, d’abord raillées, finiront quelque jour par le vote de leur droit au vote. Ce n’est pas demain! Et qui sait? Demain vient vite et la France nouvelle, celle qui date de 20 ans seulement, est déjà assez différente de l’ancienne pour qu’on s’attende à bien des transformations encore.
Jules Claretie, de l’Académie Française.
Je ne saurais vous cacher que je suis résolument opposé au vote des femmes. Je craindrais qu’elles ne se jetassent dans les luttes politiques avec une ardeur qui augmenterait encore les divisions de la France, et nous sommes assez divisés comme cela.
Comte d’Haussonville, de l’Académie Française.
Je veux bien que les femmes votent et je crois qu’elles voteront dès qu’elles s’aviseront de le désirer; mais je n’y vois pas d’utilité générale, puisqu’elles n’ont indiqué jusqu’ici aucune vue politique propre. Faut-il être franc? 123 Dans la minute présente, les femmes qui veulent voter me semblent des agitées. Leur véritable activité se satisfait de cent autres manières. Cependant si elles tiennent à voter, si elles se croient humiliées de n’être pas électrices, il n’y a pas d’objection sérieuse à leur opposer et quand elles auront conquis leur bulletin de vote, elles l’auront mérité tout aussi bien que les hommes.
Maurice Barrès, de l’Académie Française.
Ce sont de bien grosses questions et c’est seulement par des points d’interrogation que je me permettrai d’y répondre!
Est-il logique, est-il juste qu’une femme devenue chef de famille par le fait de son veuvage ne soit jamais appelée à dire un mot quelconque dans les grands débats qui intéressent la destinée de sa propre famille, aussi bien que la destinée des familles voisines, politiquement représentées par le vote du père?
Est-il logique, est-il juste que les travailleuses organisées en syndicat n’aient aucun moyen direct d’assurer la répercussion de leur volonté dans les assemblées politiques et que l’émancipation économique ainsi assurée à la femme n’ait aucune sanction dans le domaine politique?
Lucie-Félix-Faure-Goyan.
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Du Gil-Blas:
Tant que notre pays sera régi par le suffrage universel, je serai résolument pour le vote et l’éligibilité des femmes. Et pourquoi? parce que je les mets au défi de gouverner plus mal et de choisir des représentants qui fassent plus mal les affaires de la France.
Louis d’Hurcourt.
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De l’Eclair, de Paris:
J’en suis partisan, parce qu’elles sont, elles et leurs enfants, entraînées par les destinées de leur pays et qu’elles doivent, par conséquent, avoir le droit d’y participer et d’y veiller; parce que l’unité sociale, la famille, a pour directeurs naturels le père et la mère et que cette dernière y assume autant de responsabilité que son mari; parce que la femme a un sens pratique et une universelle bonté qui doivent avoir les moyens de se faire entendre et au besoin accepter.
Docteur Armand Gautier, De l’Institut, membre de l’Académie de Médecine.
A voir l’usage que les hommes font du bulletin de vote, il n’y a pas de risque de tomber dans le pire en courant l’aventure d’une réforme équitable.
Andrieux, ancien député, ancien préfet de police.
Il m’est très difficile de me prononcer au pied levé et sans étude spéciale de la question sur un aussi grave et délicat problème. Tout ce que je puis vous dire, je ne suis pas opposé à la nouvelle réforme, pourvu qu’il s’agisse du droit de vote seulement et non pas de l’éligibilité. Encore une fois, il ne s’agit ici que d’une impression hâtive et non pas d’un parti sérieusement étudié.
Marquis de Ségur.
Je suis avec vous, du moins partiellement. Seulement je suis d’avis de procéder par étapes. Je voudrais d’abord accorder aux femmes le vote, l’électorat puis l’éligibilité municipale. Si l’expérience, comme je crois, réussissait, je 125 serais disposé à permettre aux femmes de prendre part aux élections cantonales. Mais je m’arrêterais là. L’électorat politique me paraît inséparable des charges militaires, jusqu’ici du moins.
Jacques Bardoux, Professeur à l’Ecole des Sciences politiques.
Je voudrais conférer à la mère de famille (comme au père de famille) la pluralité du vote comme une récompense et un honneur dans ce pays que mine une natalité volontairement décroissante, mais aussi comme un attribut justifié par plus d’expérience acquise et d’intérêts dans la vie.
Eugène Rostand.
Je suis en principe partisan du suffrage des femmes à condition qu’elles soient veuves ou célibataires âgées de 25 ans.
Par contre, je ne suis pas d’avis qu’elle soit éligible, si ce n’est aux fonctions d’assistance, municipales ou éducatives.
C. Bonnet-Maury, Professeur à la Faculté libre de Théologie protestante.
Je suis partisan du suffrage des femmes. Nous pourrions commencer par l’introduire à certaines conditions dans les élections municipales.
Paul Deschanel.
Je désire obtenir pour la femme l’égalité des droits politiques. Néanmoins je considère qu’une pareille réforme ne peut s’accomplir que par étapes.
Goirand.
126
Je crois que, dans un avenir plus ou moins rapproché, les femmes deviendront électeurs et éligibles et je suis même convaincu qu’elles élimineront les hommes de la politique. Elles y apporteront plus de finesse mais elles la compliqueront. En Finlande et en Australie, leur intervention n’a pas été heureuse.
Yves Guyot.
Le bulletin de vote pour les femmes, ça sera comme pour les hommes, l’acceptation de l’oppression politique et de l’exploitation économique par la grande masse, pour le plus grand profit de ceux qui exercent le pouvoir et qui détiennent la richesse sociale.
Jean Grave.
Il y a déjà tant d’incompétences qui s’occupent de politique que je ne verrais pas sans inquiétude les femmes se jeter dans la mêlée des partis. Dans les pays catholiques, le vote de la plupart des femmes serait celui de leurs confesseurs, qui recevraient eux-mêmes le mot d’ordre de Rome. Au lieu de contribuer au progrès, il amènerait je crois un recul. Attendons, la question me semble prématurée.
Alfred Fouillée, membre de l’Institut.
La presque unanimité des électeurs de Roquefixade m’a fait maire de cette commune, quoique me sachant aussi matérialiste que patriote et républicain.
Or, si les femmes votaient, non seulement je n’aurais pas le suffrage de la plupart d’entre elles, mais elles détourneraient de moi un assez grand nombre de mes électeurs actuels.
E. Darnaud, maire de Roquefixade (Ariège).
127
*
* *
Du Nouveau Siècle:
Si la femme était directement intéressée dans nos luttes, elle y perdrait l’influence bienfaisante qu’elle tient de ses rôles d’épouse et de mère, sur les destinées de la Patrie qui n’est plus que le prolongement naturel de la famille.
Au moment où sous les attaques incessantes contre l’idée de la «Patrie» on sent poindre de tous côtés des sentiments de découragement et comme des symptômes de résignation à une sorte de dégénérescence nationale, la femme, dans ses deux grands rôles, avec son sens plus affiné de nos traditions, m’apparaît comme la seule capable de réveiller en ce pays la vision rédemptrice de son idéal et de ses destinées momentanément obscurcies par nos luttes politiques.
Elle n’y arrivera que si elle s’en tient soigneusement à l’écart.
Amiral Bienaimé, député de Paris.
J’aurais été satisfait de voir dans la Chambre des femmes députés... Tout cela parce que la femme a autant—si ce n’est plus—de droits à défendre que l’homme. Comme celui-ci, du reste, elle a à combattre l’exploitation capitaliste et elle a tout à attendre de la venue d’une société socialiste. En plus, comme mère, la femme devrait pouvoir influer sur les destinées sociales et matérielles.
Compère-Morel, député du Gard.
Le suffrage universel n’est qu’une fiction tant que les femmes en seront exclues; le mot de féminisme me paraît impropre. C’est la question de l’égalité et de l’équité dans le 128 civisme qui est posée. La femme est citoyen devant la loi commerciale, devant la loi pénale; elle ne l’est pas devant l’urne électorale, c’est la contradiction constitutionnelle, l’injustice sociale.
Millevoye, député de Paris.
Puisque les femmes sont admises avec nos pères et nos fils dans les grandes écoles de l’Etat, puisqu’elles peuvent être commerçantes, médecins, avocats, puisqu’elles partagent les travaux de certains fonctionnaires, puisque les voilà maintenant reconnues aptes à être des juges-prud’hommes; je ne vois pas ce qui les empêcherait d’occuper des sièges à la Chambre des députés, au Sénat, dans les Conseils généraux et dans les Conseils municipaux où elles apporteraient un charme et une séduction qui manquent à la plupart des hommes politiques.
Georges Berry, député de Paris.
*
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Voici enfin quelques opinions inédites dont nous remercions sincèrement les auteurs:
Si les femmes doivent voter, monsieur? Certainement.
Max et Alex Fischer.
P. S.—Nous ne parlons bien entendu que de celles qui ont de la moustache.
Les femmes doivent voter: Parce qu’elles ont voix au chapitre. Parce qu’elles feront prévaloir des lois de préservation de l’espèce. Parce qu’elles feront passer le sentiment en ce qu’il a de plus noble avant les considérations de cuisine politique.
Paul Marguerite.
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Je n’ai point d’idées neuves sur ce sujet.
Charles Gide.
Mon cher ami,
Les femmes sont faites pour surveiller le ménage et faire des enfants.
Lasies, député.
Je vous paraîtrai peut-être un vil réactionnaire, mais je partage entièrement son opinion.
Emmanuel Brousse, député.
Monsieur,
Je ne suis pas du tout partisan du vote des femmes. Ce serait une raison de plus pour elles de sortir de leur rôle, ce qui leur arrive déjà trop souvent, depuis quelque temps. Et puis, elles ont déjà bien trop de moyens d’action sur nous et bien trop de façons de se mêler de nos affaires sans y ajouter ce nouveau prétexte.
Je ne prétends pas qu’elles voteraient plus mal que nous. Ce serait difficile, d’ailleurs. Mais elles y mettraient encore plus de passion.
Et puis, comme on dit de notre côté en cas d’aventure: Cherchez la femme; on dirait de leur côté: Cherchez l’homme. Car finalement il n’y a que ça au fond de la plupart des actions humaines.
Y mêler encore la politique me paraît superflu.
Mes sentiments les plus distingués.
Michel Provins.
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Aux Femmes
Vous qui nous lirez, convaincues, sceptiques, ou indifférentes, n’ayez pour moi aucune parole de haine, aucun sentiment de mauvaise humeur, aucun accès d’indignation. A nos attaques raisonnées et sincères, répondez par un sourire, à nos objections par un geste élégant de vaincues: Vous aurez là l’occasion d’être pour une fois des femmes d’esprit.
De nous ne vous faites pas l’idée d’un rétrograde, d’un bourgeois ou d’un retardé du siècle! Non! plus que vous, nous aimons tout ce qui est jeune, nouveau; plus que vous nous adorons l’idée riche d’espoir, de jeunesse et d’avenir; mais cependant nous ne prendrons dans ces projets d’évolution future que ce qui nous semble juste, équitable et sensé, vous laissant, Mesdames les féministes, le rôle ingrat de ne voir dans nos théories sociales que le ridicule, le grotesque et l’invraisemblable.
Mais ce n’est point encore à vous les intellectuelles (?), les révolutionnaires, les exaltées que j’en veux, vous qui défendez parfois avec conviction et 132 rarement avec raison une mauvaise cause. C’est à vous, Messieurs les féministes, qui doucement, avec une douce et fausse pitié, vous penchez vers l’âme de cette femme éprise de liberté, grisée d’émancipation et par votre prestigieux talent et votre plume éblouissante matérialisez et faites passer du domaine irréel au domaine réel une idée fausse et anormale. Oui c’est à vous que je cherche querelle, vous les hommes puissamment assis dans la vie politique qui par pose, par snobisme, par genre, vous collez l’étiquette de féministe, vous qui trônez fiers et impassibles dans les hauteurs de la littérature et du journalisme et prenez plaisir à soutenir la cause de l’Eve future pour vous singulariser ou vous créer un nom, c’est vous que j’accuse de cet énervement social, de cette crise qui secoue ridiculement quelques Françaises! Un coup de bistouri eût été mieux approprié qu’une tendre consultation!
Et si le jour où écoutant les plaintes affolées et injustifiées de ces enfants, vous leur aviez dit ce que tout homme de bon sens pense, au lieu de leur faire inélégamment l’aumône d’une fausse pitié, de nos jours on n’entendrait plus ce flot de grotesques réclamations, qui n’ont pas seulement le mérite d’être idéalisées par des larmes et qui sont couvertes par des éclats de rire.
Si à ces énervées, à ces détraquées vous leur aviez fait entrevoir la faiblesse de leurs raisonnements et le contre-sens de leur idéal au lieu de leur prêter 133 une oreille attentive, si vous aviez d’un seul coup plongé dans la vie normale ces anormales, au moment de stupeur et d’étouffement aurait peut-être succédé une crise plus violente, mais vite dissipée, et petit à petit, le temps aidant, lasses et fatiguées, elles seraient rentrées dans l’oubli et dans le passé!
Voilà ce que vous n’avez pas voulu faire, Messieurs les féministes, vous la cause première de cette théorie moderne et combien insoutenable: l’émancipation de la femme! Vous avez considéré cette idée nouvelle comme un «tremplin, comme un capital, comme une bonne affaire!»
Puissiez-vous faire faillite et crouler ridiculement sous les applaudissements vengeurs de tous les Français raisonnables et sensés!
Quant à nous, ce qui nous console, c’est que nombreux sont encore en France, «les Philistins des deux sexes qui n’osent pas s’arracher au cercle étroit des préjugés et appellent le féminisme la folie du siècle»[79].
Oui, la folie du siècle qui détraque le cerveau de quelques femmes pauvres d’esprit et riches d’espérances; folie remplissant notre pays de cris étranges et inquiétants, tels que «Egalité des deux sexes, Emancipation de la femme», etc., etc., à tel point qu’une de vos sœurs, Mesdames, intelligente et fine, 134 Mme Séverine, dans le Matin du 2 avril 1910, essayait dans un style humouristique de faire taire ces brailleries par une expression peut-être pas très académique mais tout au moins de circonstance: «La ferme!»
Nous n’aurons point, Mesdames, la coquette impertinence d’une de vos plus illustres représentantes, croyez cependant que ce mot résume bien pour nous l’attitude à prendre devant tous vos discours et vos réclamations.
Que dire maintenant de cette question en elle-même, le suffrage des femmes?
La question du vote arrive à sa période heureuse, c’est-à-dire qu’on ne la prend encore ni au sérieux, ni au tragique. Touche-t-on à une solution? Si l’on songe que le problème fut posé par Aristophane, qui n’était probablement pas le premier, il y a environ 2.300 ans, on se sent un peu sceptique malgré l’initiative de quelques pays d’avant-garde. Au fond, chacun se demande si les femmes sont aptes à voter. «Cela n’a aucune importance, puisque les idiots votent», déclare Mme Durand, avec une humilité bien peu féministe et encore moins féminine.
Mais on se demande surtout, pour qui voteront-elles? et comme personne n’est sûr d’avoir les femmes pour soi (perfides comme l’onde, la douceur mobile, toutes les langues ont là-dessus des dictons malhonnêtes), chacun se méfie, excepté Don Juan..., mais Don Juan ne fait pas de politique.
135
Au fond, citoyennes, vous vous préparez un maigre profit et beaucoup de désillusions. Il y a de mauvaises lois à abroger, à modifier; il y en a de bonnes, de très bonnes à faire vous concernant. Laissez ce soin au temps, aux mœurs pas meilleures mais qui deviennent plus humaines. On y travaille depuis longtemps, Mesdames, depuis Justinien. Ne désespérez donc pas! On a rendu l’amour obligatoire tout comme l’instruction! Pouvait-on vraiment aller plus loin.
Quant à vos champions, vos leaders, charmantes parfois, éminentes rarement, à tous égards, en politique les croyez-vous capables de poursuivre l’intérêt véritable des femmes. L’on en voit trop prendre de l’incohérence pour du génie, le manque de goût pour du courage et l’incongruité pour de la hardiesse d’esprit.
De grâce, Mesdames, ne compliquez pas la vie, elle n’est pas déjà si simple! et puis, sans doute, les hommes eux aussi font beaucoup de sottises, mais croyez-vous qu’une sottise féminine soit l’antidote d’une sottise masculine? Nous croyons plutôt qu’elles font deux.
Ne prenez point ces airs batailleurs. Le costume de petite lutteuse vous va si mal.
L’homme politique devient devant les foules une bête orgueilleuse et déchaînée. Il ne regardera pas si vous avez des jupes ou des pantalons. Et une fois meurtries et blessées, vous pleurerez et vous n’aspirerez qu’à redevenir ce que vous n’auriez dû jamais cesser d’être, des femmes.
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Certes, quelques-unes des grandes féministes trouveront peut-être ce rôle bien banal, bien effacé, bien indigne de leurs hautes aspirations.
Il semble que vous oubliez que c’est vous qui, dans la vie, êtes le plus souvent la souveraine! Pauvres pantins que les hommes, lorsque vous mettez en marche toutes les ficelles de votre séduction et de votre coquetterie.
Etouffez en vous ces bouffées d’orgueil et de domination politiques, souvenez-vous que vous avez des moyens plus sûrs de régner et d’avoir une incontestable influence! Songez à l’Assemblée des femmes d’Aristophane et à Lysistrata matérialisant de la façon la plus choquante et la moins attique une incontestable vérité. Par votre charme, votre grâce, et les mille et un détails de votre caractère, par la poésie de votre sexe et la simplicité du pot au feu, vous menez le monde (on a déjà dit cela en vers de tous pieds, en madrigaux de toutes façons, nous ne le redirons pas en prose!) Vouloir un autre moyen de domination, mesdames, c’est déchoir, abdiquer. Gardez-vous des utopies de notre siècle, donnez-nous de beaux enfants, restez simplement «petites fées».
«Relevez le Français du XXe siècle qui se donne à lui-même le spectacle de sa décomposition»[80]; ne soyez pas des vierges fortes, êtres incomplets, inquiétants, enfiévrés, tourmentés et n’ayez point 137 comme idéal celui fou et grotesque d’être un individu avant que d’être un sexe.
Femmes, êtres exquis, faits de grâce et de délicatesse, restez ce que vous êtes; écoutez avec ironie et pitié les théories de ces hommes-femmes, de ces ratées, de ces soldes de l’amour, théories mauvaises, car elles sont anti-naturelles.
Dites-vous que l’homme ne veut point vous lancer dans la lutte politique parce que vous êtes meilleures que lui et que le jour où vous serez son égal vous ne serez plus rien!
L’esprit, le cœur et le charme réunis, voilà un idéal bien plus agréable, bien plus séduisant que celui d’un siège de député ou un fauteuil de maire. Il vous donnera, mesdames et non citoyennes, soyez en sûres, une satisfaction intérieure plus douce; et puis n’oubliez pas les vers éternels de Molière que mon bon sens me murmure à l’oreille.
Et comme un animal est toujours animal
Et ne sera jamais qu’animal dans sa vie
Durerait cent mille ans, ainsi sans répartie
La femme est toujours femme et jamais ne sera
Que femme tant qu’entier le monde durera.
Et si malheureusement cette prophétie du grand Poquelin ne se réalisait pas, nous nous estimerions profondément heureux, si notre modeste travail pouvait retarder seulement d’une demi-seconde l’heure où, comme un glas, sonnera l’émancipation de l’Eve nouvelle et la mort de la femme!
139
OUVRAGES
Auclert (Hubertine).—Le Suffrage des femmes.
Bebel (Auguste).—La femme.
Bois (Jules).—L’éternelle poupée.
— L’Eve nouvelle.
Deschanel (Emile).—Le bien et le mal qu’on a dit des femmes.
Dumas fils (Alexandre).—Les femmes qui tuent et les femmes qui votent.
Gasparin.—Les réclamations des femmes.
Gide (Paul).—Etude sur la condition privée de la femme dans le droit ancien et nouveau.
Joran (Théodore).—Les mensonges du féminisme.
Lambert (Maurice).—Le féminisme et ses revendications.
Lamy (Etienne).—La femme de demain.
Lampérière (Mme Anna).—Le rôle social de la femme.
Marguerite (Paul et Victor).—Femmes nouvelles.
Michelet.—La Femme.
Nelly-Roussel.—Quelques lances rompues en faveur de nos libertés.
Ostrogorski.—La femme au point de vue du droit public.
Poinsinet.—Le rôle social de la femme.
Prevost (Marcel).—Les Vierges fortes.
Secrétan (Charles).—Le droit de la femme.
Simon (Jules).—La femme du XXe siècle.
Turgeon.—Le féminisme français (2 volumes).
140
REVUES
Académie des Sciences politiques et morales.
Revue des Revues.
Quinzaine.
Revue politique et parlementaire.
Revue politique et littéraire.
Revue Encyclopédique.
Revue Bleue.
Revue Socialiste.
Revue Economique politique.
Revue de Morale Sociale.
Réforme Sociale.
Bulletin de la Ligue des Droits de l’Homme.
JOURNAUX
L’Opinion.
Annales politiques et littéraires.
Le Figaro.
L’Eclair de Paris.
Le Gil Blas.
Le Temps.
Le Petit Niçois.
Le Journal.
Le Matin.
Fémina.
Le Journal des femmes.
La Femme.
La Vie Montpelliéraine.
THÈSES
Appleton.—De la situation sociale et politique des femmes dans le droit moderne.
Damez (Albert).—Le mouvement féministe et le libre salaire de la femme.
141
Dessens.—Des revendications des droits de la femme pendant la Révolution.
Dessignoles.—Le féminisme d’après la doctrine de Fourier.
Durand (Camille).—Questions féministes.
Krug (Charles).—Le féminisme et le droit civil français.
Poirier.—Le féminisme et l’infériorité de la femme.
Renaudot.—Le féminisme et les droits publics de la femme.
Suronneau.—Du suffrage universel.
Vu le Président de la thèse:
J. Brémond.
Vu, le Doyen de la Faculté de Droit:
Vigié.
Vu et permis d’imprimer:
Montpellier, le 3 mai 1910.
Pour le Recteur, le Vice-Président du Conseil de l’Université,
Léon Pélissier.
[1] Rey.
[2] Proud’hon.
[3] Jules Simon: La liberté civile.
[4] Mgr Ireland: Conférence faite à Paris. Journal des Débats, 20 juin 1891.
[5] Turgeon: Le féminisme français.
[6] Entretien, XXIV.
[7] L’Ecclésiaste.
[8] Manou: Livre V.
[9] Manou: Livre I.
[10] Manou: Livre I.
[11] Tertullien: Traité de l’Ornement des femmes.
[12] Koran, XVIII.
[13] Docteur Martignon: Revue d’anthropologie, 1897.
[14] Montaigne: Essais, II.
[15] L’Ami des femmes.
[16] Franck: Grand catéchisme de la femme.
[17] Lettre à Maria Chéliga: Revue Encyclopédique, 1885.
[18] L’homme et la science, p. 259.
[19] Etnographie, 1895.
[20] Revue socialiste, 1908, Docteur Madeleine Pelletier.
[21] La femme criminelle.
[22] Revue socialiste, 1908.
[23] Madaillac: Les premiers hommes.
[24] Madame d’Agout: Revue Encyclopédique, 1896.
[25] Joseph de Maistre.
[26] Michelet.
[27] Réponse de la duchesse de Bourgogne à Madame de Maintenon.
[28] Turgeon: Le féminisme français.
[29] Jules et Gustave Simon: La femme au XXe siècle.
[30] Madeleine Pelletier: Revue socialiste, 1908.
[31] Paul Marguerite: Le Journal, 1909.
[32] Thibaudeau: Mémoires sur le Consulat.
[33] Kant.
[34] Tata, A. Dumas.
[35] Rousseau: Lettre à d’Alembert.
[36] Turgeon: Le féminisme français.
[37] Alfred de Vigny: La colère de Samson.
[38] Mercure de France.
[39] Annales politiques et littéraires, 7 novembre 1909.
[40] Les droits de consommation sont de 220 francs par hectolitre d’alcool pur, plus 50 francs de surtaxe pour absinthes, bitters et amers.
A ce droit s’ajoute un droit d’entrée perçu dans les villes de 4.000 âmes et au-dessus qui varie de 7 fr. 50 à 30 francs selon la population. Dans les villes sujettes à octroi, les alcools sont encore frappés d’un droit qui peut être le double des droits d’entrée.
Paris peut arriver à 85 fr. 20, ce qui porte les droits à Paris à 385 francs par hectolitre d’alcool.
[41] Les Mensonges du féminisme, par Théodore Joran.
[42] Turgeon: Le féminisme français.
[43] Louis Fréchette: Le coin du feu (Revue de Montréal, 1893).
[44] Moye: Traité de Législation financière.
[45] Nietzsche: L’individualisme et l’anarchie; Revue des Deux-Mondes, 1895.
[46] Turgeon: Le féminisme français.
[47] Henri de Régnier: Revue française politique et littéraire.
[48] Bebel.
[49] Turgeon: Le féminisme français.
[50] Turgeon: Le féminisme français.
[51] Proud’hon: Amour et Mariage.
[52] Victor Marguerite, Le Journal, 29 mars 1910.
[53] Doctoresse Pelletier: Revue socialiste, 1906.
[54] Turgeon: Le féminisme français.
[55] Le Figaro, 20 mars 1910.
[56] Marcel Prévost: Annales politiques et littéraires, 7 novembre 1909.
[57] Turgeon: Le féminisme français.
[58] Turgeon: Le féminisme français.
[59] Le Matin, 23 mars 1910.
[60] Quelques lances rompues en faveur de nos libertés, Nelly-Roussel.
[61] Paul Bourget.
[62] Jean-Paul Richter.
[63] Les Mensonges du féminisme, par Théodore Joran.
[64] Kant.
[65] Turgeon.
[66] Guy de Maupassant.
[67] Henri Lavedan: Leurs sœurs.
[68] Henri Marion: Psychologie des femmes.
[69] Octave Feuillet.
[70] Henri Lavedan: Leurs sœurs.
[71] Les Misérables, Victor Hugo.
[72] Louise Faure Favier: Figaro, 21 février 1910.
[73] Turgeon: Le féminisme français.
[74] Journal, 6 juin. Ludovic Naudeau.
[75] Quelques lances rompues en faveur de nos libertés, Nelly Roussel.
[76] Jean Lorrain.
[77] Clément Vautel, Matin, 11 février 1910.
[78] La Vie Montpelliéraine.
[79] Aussip Laune; Revue Socialiste.
[80] René Doumic.
143
INTRODUCTION | 7 |
PREMIÈRE PARTIE: Chapitre premier: La place de la femme dans la société à travers les âges. Quelques appréciations. | 11 |
Chapitre II: Raisons pour lesquelles la femme doit voter. | 17 |
1re: La femme doit voter parce que la loi ne lui enlève pas ce droit. | 17 |
2me: La femme doit voter parce qu’elle est l’égale de l’homme. | 24 |
3me: La femme doit voter pour défendre ses intérêts attaqués et sa liberté compromise. | 32 |
4me: La femme doit voter en France parce que les femmes votent dans les autres pays. | 41 |
5me: La femme doit voter parce qu’elle ferait des lois contre l’alcoolisme et de régénération sociale. | 46 |
6me: La femme doit voter parce qu’elle vote déjà pour les Tribunaux de commerce. | 54 |
7me: La femme doit voter parce qu’elle paie l’impôt. | 58 |
DEUXIÈME PARTIE: Raisons pour lesquelles la femme ne doit pas voter. Une erreur. | 61 |
1re: La femme ne doit pas voter à cause de la famille. | 65 |
2me: La femme ne doit pas voter parce qu’elle demanderait l’éligibilité. | 73 |
1443me: La femme ne doit point voter parce que cette nouvelle conception n’est point dans nos mœurs. | 80 |
4me: La femme ne doit point voter car elle n’a pas reçu l’éducation civique et politique. | 86 |
5me: La femme ne doit point voter à cause du danger confessionnel. | 90 |
6me: La femme ne doit point voter parce qu’elle est femme. | 96 |
TROISIÈME PARTIE: Quelques réflexions sur les suffragettes. | 105 |
1o Les Suffragettes et la Réclame. | 106 |
2o Les Suffragettes et la Beauté. | 110 |
3o Les Suffragettes et la Critique. | 114 |
QUATRIÈME PARTIE: Opinions de personnalités politiques et littéraires sur le suffrage des femmes. | 117 |
CONCLUSIONS | 131 |
BIBLIOGRAPHIE | 139 |
Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original, et l’orthographe d’origine a été conservée et n’a pas été harmonisée. Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. Ces mots sont soulignés par des tirets. Passer la souris sur le mot pour voir le texte original.
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The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is unprotected by copyright law in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. 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