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L'ANTI-MOINE.

Nos Numerus sumus & fruges consumere natis.

ÉPÎTRE.
AUX ETRES PENSANTS.

A tous les Etres pensants, morts, nés & à naître, Salut, joie, bénédiction, santé. Que chacun prenne ce qui lui convient, je ne me charge en aucune façon de faire les lots, j'aurois trop à courir. Mes chers confreres, je vous dédie l'Anti-moine, bien persuadé qu'en votre qualité d'Etres pensants, vous pensez comme moi sur le compte de tous les faquins de Moines. Ce sont tous autant de Menins de la Cour de Belzebuth, qui, avec le titre de Religieux, se moquent de la Religion, & la font servir à leurs passions: il y a bien des siécles que cette mascarade dure, il est tems que le Carnaval finisse. Des Serinettes humaines, accoutumées à siffler des pensées, m'accuseront peut-être d'en avoir trop dit sur leur compte; sont-elles faites pour penser? Non: doivent-elles être écoutées! Point du tout. Vous ne me ferez point de reproche, cela me suffit. Vous me demanderez quel est le motif qui m'a engagé à traiter cette matiére: l'esprit du patriotisme. La réforme des Moines produiroit au Roi des ressources immenses, tandis que leur existence ne produit aucun bien. Qu'on supprime les Moines, ou, ce qui reviendroit bientôt au même, qu'il leur soit fait défense de recevoir des Religieux avant vingt-cinq ans; qu'on donne à ceux qui existent une pension de trois cens livres; que le Roi prenne le reste pour aider à payer les dettes de l'État & à soulager ses peuples comme il le desire: ceci joint aux autres moyens que la sagesse du ministere employe, ne tarderoit pas à liquider les dettes de la France, & nous pourrions sans Moines, plutôt que sans argent, nous rédimer des pertes que nous avons faites, & voir notre Patrie reprendre son ancienne splendeur. Mais, dirons de petits génies, ôter les biens donnés aux Moines, ce sont des biens consacrés à Dieu même, ce seroit les profaner que de détourner leur destination à un autre usage que celui pour lequel ils ont été donnés. Ce seroit les profaner! Répondez-moi petits échos monastiques, ne sont-ils pas cent fois plus profanés, ces biens, lorsque les mêmes Moines s'en servent à entretenir des filles, à se nourrir voluptueusement, à se loger splendidement? voilà cependant l'emploi qu'ils en font. Concevez donc, si vous pouvez le concevoir, que les Fondateurs n'ont eu d'autre intention que d'aider des pauvres, à se nourir pauvrement; que les donations multipliées les ont rendus riches, que les richesses les ont remplis d'orgueil, & que l'orgueil a apporté dans les Cloîtres tout autant de péchés mortels que la Religion en compte, & que le cœur humain en peut contenir. J'entends un escadron coiffé, prendre leur défense, & dire: mais ils prient Dieu pour notre conversion. Allez, bonnes femmes, allez, qu'ils prient Dieu pour la leur, ils auront assez à faire. Si vous fondez votre salut sur de semblables priéres, je le crois bien avanturé. De prétendus politiques viennent encore à la charge, & me disent que les Cloîtres sont des asyles bien commodes pour des familles nombreuses ou ruinées. Je n'ai qu'une demande à faire à ces Messieurs: comment fait-on dans tous les Royaumes & Républiques où le nom de Moine n'est pas connu? D'ailleurs tout Etre pensant trouvera indigne & dénaturé à des peres & meres de forcer des enfants à s'ensevelir tous vivants dans un Monastére; ils leur ont donné la naissance pour contenter leurs plaisirs, ils leur donnent la mort pour satisfaire leur cupidité; est-il rien de plus affreux? Quand on ne retireroit de l'abolition des Moines que l'avantage d'empêcher des Citoyens d'être toute leur vie malheureux, n'est-ce pas un motif assez puissant pour la faire desirer? Mais je dis plus, sans craindre de contredit, c'est qu'il y auroit baucoup à gagner pour la Religion; les momeries seroient supprimées avec leurs Auteurs, Dieu auroit des adorateurs en esprit & en vérité, le Roi des sujets fidèles, l'État des Citoyens utiles, les peres des enfants soumis, les enfants des peres tendres & attachés, les maris des femmes chastes, & la manufacture des Enfants trouvés tomberoit au moins de moitié.

L'ANTI-MOINE

Orgueilleux Fainéants, dont la molle indolence
Végete dans les bras d'une crasse ignorance,
Vous qui ronflants en paix à l'ombre des Autels,
Jouissez des travaux du reste des mortels;
5Frêlons du genre-humain, immortels Cénobites,
Lisez-moi sans froncer vos sourcils hypocrites;
Déjà j'entends des voix s'élever dans les airs,
Qui condamnent au feu mes véridiques Vers,
Déjà j'entends sonner le tocsin fanatique,
10Et nombre de Cagots me traiter d'hérétique.
Sur un simple début s'enflammer de courroux:
C'est mal édifiant: dévots soyez plus doux.
Quand j'aurai démontré, mes très-Révérends Peres,
Que vous êtes de trop sur les deux hémispheres,
15Que le bien de l'État, de la Religion,
Exigeroit de vous totale extinction;
Qu'il n'est plus ici-bas de successeurs d'Antoine,
Que vous ne possédez que l'esprit & la couene,
De certain animal sale, avide, grognon,
20Qui jadis eut l'honneur d'être son Compagnon:
Alors criez, alors, criez au Moinicide,
Et cherchez pour vengeur quelque nouvel Alcide;
Je vais en attendant, Messieurs les gens de rien,
M'amuser aux dépens de quiconque appartient.
25Le tems passé n'est plus, la nouvelle est certaine,
Je la tiens d'un Gascon, d'un habitant du Maine,
D'une vieille Pucelle à qui la vétusté,
Pour cause, a fait donner le nom d'antiquité;
Et moi quoiqu'Anti-Moine, & d'ailleurs bon Apôtre,
30Je me sens vétuster tout aussi bien qu'un autre.
Or donc puisque tout passe & vétuste ici-bas,
Freres, votre Institut n'est point exempt du cas.
Pour s'en convaincre il n'est que d'ouvrir la Légende,
Des Fondateurs à vous la différence est grande;
35Dans d'arides déserts, quels spectacles nouveaux!
Je vois des corps vivants habiter des tombeaux,
Vivres d'herbes, de fruits, de feuilles, de racines,
Et se couvrir le corps de coups de disciplines?
Pour s'habiller ainsi des chausses au pourpoin,
40De Tailleur ni d'étoffe il n'étoit nul besoin,
Un Cordier suffisoit à toute une famille,
Et Lice étoit la peau, grâce à la sainte étrille;
Aussi, mes bons amis, dans ces siecles un Saint
N'étoit qu'un paquet d'os couvert d'un parchemin;
45L'on ne connoissoit point chez les vrais Solitaires,
Ces superbes Palais mal nommés Monasteres,
Dont la magnificence & l'extrême beauté,
Font un si grand contraste avec l'humilité;
Ils n'avoient ni trésors, ni chartriers, ni titres,
50Et l'on ne fit jamais assembler leurs Chapitres.
Pour poursuivre en Justice un pauvre Paysan,
Qui, sur leur Marquisat, eût tué lievre ou faisan;
L'eusses-tu deviné, très-odorant Pancrace,
Que les Marquis tondus auroient des Gardes-chasse?
55Des Carcans, des Prisons, des Procureurs-Fiscaux,
Pour servir de pendants à ces originaux,
Qu'on nomme des Baillis dans ton vieux Dictionnaire?
Ces termes ne sont point, je le sais; mais qu'y faire?
C'est la mode aujourd'hui. Ces Hauts-Justiciers
60Tranchent du Grand-Seigneur, ont leurs Officiers,
Leurs armes, en un mot toute la prétintaille
Qui sied, on ne peut mieux, à pareille canaille!
Faut-il après cela s'étonner que l'orgueil
De tout chef enfrocqué soit l'ordinaire écueil,
65Et qu'un Moine sorti du sein de l'indigence,
Se fasse reconnoître à des traits d'impudence?
Chaste à peu près comme humble, on voit un Capuchon,
Faire le joli cœur, servir de greluchon,
Et risquer à gagner, sauf respect du cilice,
70Certain petit bobo qui rime à pain d'épice:
Sans affaire, & nourris à bouche que veux-tu,
Bien mangeants, bien dormants, mal fessé, bien vêtu:
Hélas, Pancrace! hélas, cette chair, cet argile
Regimbe, se souleve & devient indocile!
75L'on a beau méditer le profond Rodriguès,
Sa morale à vingt ans est du jus d'Aloès,
Et le plus grand Docteur est mis à la renverse,
Dès qu'un joli minois prêche la controverse.
Si l'Etre souverain formant tes penaillons,
80Les eût paîtris sans yeux, sans mains, sans orillons,
Ou si le saint-Capuce, avec le Scapulaire,
Étoit un talisman de vertu singuliere,
Qui changeât le penchant & l'inclination,
Que tous les hommes ont pour certaine union,
85Je leur crierais… Tout beau… n'allez pas à la pomme;
Mais ils sont comme nous enfants du premier homme,
Et l'aiguille aimantée en tournant vers le Nord,
Apprend à tout mortel s'il a raison ou tort.
Grand Saints, que nous fêtons dans le sacré Grimoire,
90Si vous êtes instruits au séjour de la gloire,
Combien par vos enfants il est fait de cocus;
Que vous devez gémir sur les mœurs des reclus,
Chaque jour, chaque instant nouvelle historiette!
Le mois passé Cloris au son d'une clochette,
95Suivoit un Chévrotin égaré dans les bois;
Elle court, elle pleure, & d'une tendre voix,
Invite l'animal à se rendre auprès d'elle;
Le petit ingrat, sourd aux plaintes de la belle,
S'approche, fuit, revient, & par mille détours
100Vient à bout d'égarer la bergere à son tour:
Il s'arrête à la fin… elle vole… je n'ose
Achever le récit de la métamorphose,
Ni peindre en quel état étoit un ****
Qui jouoit ce jour-là rôle de Chévrotin,
105Passons-leur cet article en faveur des Vestales,
Et des enfants trouvés fabriqués sans scandales;
Ce n'est qu'en chiffonnant un peu le célibat,
Qu'ils se rendent par fois utiles à l'État.
Car du reste à quoi bon, dites-moi je vous prie,
110Ce tas de fainéants à charge à la Patrie,
Qui, sous des étendarts de diverses couleurs,
Font honorablement le métier de voleurs?
Ils ont fait, nous dit-on, le vœu de ne rien faire,
Le sacrifice est grand; eh bien, qu'on les enterre;
115Je crois un Moine propre à faire un gros fumier,
Et j'en voudrois avoir cent dans mon légumier.
Pour la Religion n'est-il pas ridicule
De voir un grand Escroc grimpé sur une mule,
Aller de porte en porte & d'un ton patelin,
120Vous demander la bourse au nom de saint Guilain?
Cette œuvre, qui chez eux passe pour méritoire,
Laisseroit très-souvent du vuide au Réfectoire,
S'ils ne faisoient trafic de Prédication,
De Messe, de Relique & d'Absolution.
125Plus habiles cent fois que tous les Trismégistes,
Un mot se change en or soufflé par ces Chimistes,
Pour tout genre de maux ces médecins d'oisons
Ont des remedes sûrs. Trois fois trois oraisons,
Par mystique calcul composent la neuvaine;
130Infusez-les dans l'eau de certaine fontaine,
Laissant tomber neuf fois de l'argent dans le tronc,
Pour fournir de chandelle au bienheureux Patron,
Par-là, vous disent-ils, il est indubitable,
Que vous vous renderez le grand Saint favorable;
135Et comme en cour céleste il a baucoup d'accès,
Vous pouvez vous flatter du plus heureux succès.
Lecteur, vous le savez, tel est sans hyperbole
Des pieux Charlatans le commun protocole;
Je ne parlerai pas de ces colifichets,
140Qu'ils donnent aux dévots pour de Saint osselets.
Il n'est point dans le Ciel une ame sainte & pure,
Dont ils n'ayent l'étui, du moins la garniture,
Et la fête d'un Saint, fût-il Messire Ustus,
A deux liards l'Évangile, y compris l'Orémus;
145Hé tout bien bredouillé, dans une matinée,
Leur produit de quoi vivre un demi-quart d'année.
L'ignorance du peuple est pour eux un trésor,
Sa superstition la clef du coffre-fort.
Oui, tout est profané par ces ames profanes,
150Qui du premier moteur se disent les organes.
Et les Moines ont fait bien plus de libertins,
Que les Bayles, les Loks, les Orgers, les Latins.
Avant que saint François inventât la besace,
Avant que Loyola suspendît sa cuirasse,
155Avant que saint Benoît eût fui dans les déserts,
Avant que Dominique eût mis l'Espagne aux fers,
Avant que saint Bernaard prêchât la fin du monde,
Tout n'alloit-il pas bien sur la machine ronde?
Si donc tout alloit bien, pesons quel est le mieux;
160Que nous a procuré l'état Religieux?
De prime abord je vois le fougueux Monachisme,
Descendre du désert pour fomenter le schisme,
Le faux zèle le guide, & l'orgueil le soutien;
Qui le méconnoîtroit à son hardi maintien?
165Il éleve la voix, & d'un ton de Prophête,
Qu'on écoute, dit il, du très-haut l'Interpréte;
Peuples, reconnaissez celui-ci pour Pasteur,
Et chassez celui-là comme un Usurpateur.
Il dit, & sur le champ donnant lui-même exemple,
170Un bâton à la main il courre vers le temple;
Le peuple suit ses pas & bien-tôt en tout lieu,
Le sang coule par flots pour la gloire de Dieu.
Qu'on parcoure l'Histoire, on trouve en chaque plage
Des Moines furieux respirants le carnage,
175Allumer le flambeau de la sédition,
Et partout être Chefs de conspiration.
Est-il un seul Royaume où les fils d'Euménides,
N'ayent ensanglantés leurs poignards homicides?
France, tu pleure encor la mort du Grand Henry,
180Et tu frémis au nom de la saint Barthelemi.
C'étoit fait d'Albion, elle éclatoit en foudres,
Si l'on n'eût découvert & la meche & les poudres:
Un Moine avoit formé le complot odieux,
D'unir à certain jour la terre avec les Cieux.
185Et toi, Lisbone, & toi, quel peut donc être l'astre
Qui te fait éprouver le plus affreux désastre?
Neptune & les Volcans conjurés contre toi,
Étonnent l'univers… mais c'est peu… de ton Roi
Je vois couler le sang. Quel monstre détestable
190A pu porter ces coups? Est-ce un Moine, est-ce un Diable?
C'est l'ensemble des trois d'où sans doute est venu
L'animal formidable appellé tricornu.
Non, sans peines, enfin il est proscrit de France,
Et les jours de nos Rois seroient en assurance,
195Si Thémis envoyoit le reste des Paters,
Prendre pour leur santé l'air natal aux Enfers.
Tant que nous souffrirons chez nous les Mascarades,
Attendons-nous toujours à quelques Sérénades:
Un Cénobite oisif est capable de tout,
200Et je m'y fierois moins qu'à l'homme le plus fou.
Si dame Oisiveté de tout vice est la mere,
Le Moine son époux en doit être le pere:
C'est la réflexion de Monsieur mon Curé,
Bon, brave, bas-Norman, fin gourmet en poiré.
205Les Couvents, selon lui, sont des ménageries
D'animaux élevés dans l'art des seigneries,
Qui par l'heureux talent de tromper nos ayeux,
Leur ont escamoté les biens de leurs neveux.
Sans cesse ils leur prêchoient que la rouille du crime,
210S'enlevoit avec l'or comme avec une lime;
Que d'un Moine les fouets, les jeûnes, les vertus,
Appliqués aux méchants en faisoient des Élus.
La fesse d'un reclus mise en bœuf à la mode,
Sembloit à nos Gaulois pénitence commode;
215Ils comptoient bien par-là préserver leur gigot
De l'appétit strident du seigneur Astarot.
C'est par semblables tours & par de tels manéges,
Qu'ils se sont faits donner biens, terres, priviléges,
Et que dans mon canton, séjour des malheureux,
220Six Moines bien nourris font jeûner deux cens gueux.
C'est, si je ne me trompe, à ces tems de berlues,
Qu'on doit l'invention des portions congrues,
Par laquelle un Curé de cent écus dotté,
Observe à leur acquit le vœu de pauvreté.
225Moi je suis dans le cas. D'un très-bon bénéfice,
J'ai les charges, le titre, avec le desservice,
Et Messieux les Cagots par le plus grand abus,
Sans fatigues ni soins ont tous les revenus.
Qu'il pleuve, neige, vente, il survient un malade,
230Pour l'aller secourir je quitte ma rasade,
Tandis que les caffarts se donnant du bon tems,
Boivent à la santé du pauvre combattant.
Heureux & trop heureux qui, dans son voisinage,
N'a point de ces oisons de sinistre plumage,
335Qui fourbes & manteurs, traîtres & envieux,
En vous assassinant font au Ciel les doux yeux:
Tel fut le résultat & la deuxologie,
Que tira mon Curé de son apologie.
Tout Lecteur éclairé sera de son avis,
240Et dira comme lui: S'il n'étoit ni Dervis,
Ni Poux, ni Maltotiers, ni Puce, ni Punaise,
Hélas! que tout François dormiroit à son aise!

NOTES

2. Vers. D'une crasse ignorance. Dans les siecles d'ignorance les Moines étoient des savants, par la raison que dans le Royaume des aveugles, les borgnes sont Rois. Une infinité de gens peu instruits partent de là pour dire qu'on a beaucoup d'obligation aux Moines. Sans déguiser leurs travaux, de quoi leur est-on redevable? de quelques Commentaires, où selon la pensée d'un Auteur moderne, le sens commun garde l'incognito. C'est aux Libraires ruinés que j'appelle de cette obligation. Ils ont défriché des terreins incultes? qui est-ce qui en a le profit?

5. Immortels Cénobites. Les Naturalistes prétendent qu'il y a des animaux qui multiplient sans le concours d'un sexe différent. Ne seroit-ce point des Moines dont ils ont prétendu parler?

10. Me traiter d'Hérétique. Tout Écrivain qui parle contre les Moines est traité par ces Messieurs d'homme sans Religion: il a été un tems où l'on eût couru moins de risque à parler contre Dieu qu'à parler contre eux. Aujourd'hui chacun sait à quoi s'en tenir sur leur compte. L'abus qu'ils font de leurs richesses immenses, la façon cavaliere dont ils traitent la Religion, l'intérêt sordide qui les anime sont autant de voix qui reclament leur destruction.

33. Pour s'en convaincre. Les Légendes des Saints sont vraies ou fausses. Si elles sont fausses, on a tort de les donner pour vraies. Si elles sont vraies, comment nos Moines osent-ils se dire leurs Disciples?

46. Les superbes Palais. L'on conserve précieusement & ridiculement à Clervaux la Grotte de saint Bernard, que l'on montre aux Étrangers. Cette Grotte rime, on ne peut mieux, avec le Palais de l'Abbé & des Moines.

54. Que les Marquis tondus. Le fils d'un Valet de charrue est d'une jolie figure; auprès des Moines comme auprès de tous les hommes la beauté a été, est & sera toujours une lettre de recommandation. On s'intéresse à cet enfant, autant quelquefois pour sa mere que pour lui, on lui fait servir des Messes, apprendre le Latin, à quinze ans il fait son Noviciat, à seize ses Vœux; pour peu qu'il ait d'intelligence on le met dans les charges dès qu'il est Prêtre; & vous entendez dire à ce Valet métamorphosé en Moine, mes gardes ont chassé pour traiter mes Officiers. En général les Moines les plus impudents sont ceux qui sortent de la plus basse extraction.

67. Chaste à peu près. L'humilité est une vertu beaucoup plus facile à pratiquer que la chasteté. L'une est conforme à la droite raison, l'autre est contraire aux loix de la nature. Pour être humble, il ne faut que prêter une oreille attentive à la raison, qui nous dit que les avantages de l'esprit, du corps, de la fortune, ne sont point notre ouvrage. Que nous pouvions naître dans la pauvreté comme dans l'opulence, contrefait comme bien fait, sans esprit comme avec de l'esprit. Mais pour être chaste, il faut sans cesse aller contre un torrent qui nous entraîne. Mille objets séduisants, nous disent que nous sommes faits pour eux, & qu'ils sont faits pour nous. Aussi n'ai-je jamais pu voir sans frémir des jeunes nés enfants de seize ans prononcer le vœu redoutable? Supposons qu'un enfant en maillot eût la faculté de parler, il n'a point de dents, la bouillie lui paroît sa véritable nourriture, il fera si on le veut dans le tems le vœu de ne manger ni pain, ni viande, ni fruits. Les dents viennent avec l'âge; les dents venues, son premier raisonnement sera de dire: Le Créateur a fait les fruits pour l'usage de l'homme, il m'a donné des dents pour les manger, est-ce l'offenser que d'user de ses bienfaits? Qu'on ne fasse des vœux qu'à l'âge de vingt-cinq ans, on les fera avec connoissance de cause, il y aura beaucoup moins de Prévaricateurs, & beaucoup plus de bons Moines.

87. Et l'aiguille aimantée. Le beau sexe est l'aimant de la nature humaine.

103. Ni peindre en quel état. Je n'ai point voulu nommer le Corps auquel cette histoire appartient en propre, pour deux raison: La premiere, parce que j'ai lu dans la Civilité qu'il n'étoit point poli de montrer les gens au doigt: or nommer quelqu'un ou le montrer au doigt, c'est bonnet blanc, blanc bonnet: la seconde, c'est qu'il peut se trouver d'autres Corps qui pourroient revendiquer la même histoire, comme en étant les vrais propriétaires. Il ne convient pas de faire tort à personne.

112. Font honorablement. On peut regarder tous les Ordres rentés comme les troupes réglées du Pape. Ils ont une bonne paye, & servent très-mal. Pour tous les Mandians, ce sont les troupes légeres qui vivent de contributions. Au scandale près, ce sont de bonnes gens.

121. Cette œuvre qui chez eux. Les Moines se font un mérite de la mendicité: ils s'imaginent que demander la caristade au nom de Dieu, est un acte qui honore infiniment la Divinité. Saint Paul, les Apôtres, les premiers Solitaires vivoient du travail de leurs mains, & gagnoient encore de quoi soulager les pauvres; les tems sont changés, cette mode est passée, & leur unique travail aujourd'hui est de dire des Messes pour de l'argent. Dans certaines Églises ils ont des Autels privilégiés, où la Messe se paye plus cherement, parce que sans doute le saint Sacrifice a sur ces Autels plus de vertus que sur d'autres.

141. Il n'est point dans le Ciel. Tout le monde sait jusqu'où va l'abus des Reliques, & combien il y en a d'apocryphes. Tous les Moines en ont des magasins, qu'ils exposent de tems à autre à la vénération des Fideles, avec un Écriteau à la porte qui annonce l'Indulgence pléniere. Le peuple qu'ils entretiennent dans l'ignorance, trouve bien plus aisé de se confesser sans se corriger, que de travailler sérieusement à la réforme de ses mœurs; & il a tant de foi aux Saints, qu'on voit journellement dans nos Églises ce même peuple rire & causer en présence du Saint Sacrement exposé, & faire très-dévotement sa priere vis-à-vis une chasse dans laquelle est renfermée une Relique.

151. Et les Moines ont fait. L'on ne doit attribuer qu'aux Moines l'esprit d'irreligion qui regne actuellement en France. Il y en a si peu de bons & tant de mauvais, ils font l'Office d'un air si dissipé & si scandaleux, ils menent une vie si licentieuse, qu'ils donnent à penser qu'ils ne croyent pas un mot de ce qu'ils nous prêchent. Ce sont des Acteurs qui jouent leur rôle, & pourvu qu'ils emportent l'argent du Spectateur, le reste leur importe peu.

159. Si donc tout alloit bien. Le Christianisme n'a jamais été à un plus haut degré de sainteté & de perfection que dans la primitive Église. Y avoit-il des Moines dans ce tems-là? Non. L'époque de leur naissance est celle des troubles, des schismes, du fanatisme; & le sang humain ne leur a jamais rien coûté dès qu'ils se sont crus intéressés à le rependre, pas même celui des Rois.

199. Un Cénobite oisif. Un quelqu'un a dit qu'il falloit se méfier d'une femme par devant, d'une mule par derriere, & d'un Moine de tous les côtés.

207. Qui par l'heureux talent. Nos bons Gaulois craignoient la grillade, & trouvoient qu'il étoit doux de se sauver pour de l'argent. Les Moines leur faisoient accroire qu'ils posséderoient dans le Ciel le centuple du terrein qu'ils leur céderoient ici-bas. C'étoit apparemment fondé sur le droit d'échange, ces bonnes gens leur faisoient des dons considérables afin d'être en Paradis de grands Propriétaires; comme personne ne revenoit de l'autre monde se plaindre d'avoir été attrapé, & que d'ailleurs tout Donataire & Bienfaiteur étoit presque mis au rang des Saints, c'étoit à qui donneroit le plus.

220. Six Moines bien nourris. Dans toutes Communauté fondée, chaque Moine jouit au moins de deux mille livres: est-ce là l'intention du Fondateur? & les richesses immenses qu'ils possédent ne seroient-elles pas bien mieux placées dans le sein des malheureux?

224. Observe à leur acquit. C'est la pensée d'un Curé, qui disoit un jour à un Moine: Mon Pere, à nous deux nous ferions un bon Religieux; vous avez fait vœu de pauvreté, & je l'observe.

N'est-il pas ridicule que les Moines engloutissent tous les revenus des Cures, & cherchent encore mille chicane à un Curé? Dans tous les Parlemens où les Curés ont des procès contre les gros Décimateurs, les Curés sont presque toujours sur la défiance contre ces animaux insatiables, qui ne disent jamais: nous en avons assez. Ne seroit-il pas plus conforme à la raison & à la Religion qu'un Curé, qui a toute la peine & toutes les charges, jouît en entier du revenu de sa Cure, & que par la loi du Talion on mît tous les Moines à Portion congrue? Si, selon eux, cent écus suffisent à un Curé, pareille somme ne suffira-t-elle pas à des gens qui ont fait vœu de pauvreté? Le Curé ne sera-t-il pas plus en état de soulager ses pauvres, & de vivre suivant la décence de son état? L'on donne à un Évêque une Abbaye, parce qu'il faut, dit-on, qu'il tienne son rang; à la bonne heure, j'y consens de tout mon cœur; mais par la même raison le Curé doit le tenir également, & le mépris que les Paysans ont pour leur Curé ne vient d'ordinaire que de la dépendance nécessaire où ceux-ci sont du Paysan. Le Docteur Worner, dans son Appendix à l'Histoire Ecclésiastique, est surpris que sur dix mille Chapelles ou Églises qui peuvent être en Angleterre, il y en ait six mille qui ont tout au plus 40 livres sterling de revenu. Il seroit donc bien plus étonné si on lui démontrait qu'en France il y a plus de quinze mille Cures dont le revenu va tout au plus à 16 livres sterling, sur lesquelles 16 livres un Curé est obligé de payer ses Décimes, un Domestique, de faire les réparations de son Presbitere, & de donner l'aumône à ses Paroissiens.

FIN.

*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 61571 ***