The Project Gutenberg eBook of La bibliothèque nationale, by Théodore Mortreuil

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Title: La bibliothèque nationale

Son origine et ses accroissements

Author: Théodore Mortreuil

Release Date: June 24, 2023 [eBook #71033]

Language: French

Credits: Claudine Corbasson, Adrian Mastronardi and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE ***

Au lecteur

Notes

Table

LA
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
SON ORIGINE ET SES ACCROISSEMENTS


PÉRONNE.—IMPRIMERIE TRÉPANT

19, GRANDE PLACE, 19


LA

BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

SON ORIGINE ET SES ACCROISSEMENTS
JUSQU’A NOS JOURS


NOTICE HISTORIQUE

PAR

T. MORTREUIL

SECRÉTAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

PARIS

CHAMPION, LIBRAIRE

15, QUAI MALAQUAIS, 15

1878


AVERTISSEMENT


Cette notice n’est qu’un résumé des principaux événements qui ont marqué l’histoire de la Bibliothèque nationale. C’est en quelque sorte une nouvelle édition de l’Essai publié en 1782 par Le Prince, essai auquel ont été ajoutés de larges emprunts faits à la récente publication de M. le Vicomte Delaborde sur le département des Estampes, et surtout au savant ouvrage de M. Léopold Delisle intitulé: Le Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque nationale. Nous avons aussi utilisé, pour la partie moderne, des documents conservés dans les archives de la Bibliothèque qu’il nous a paru intéressant de faire connaître.


LA
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
SON ORIGINE ET SES ACCROISSEMENTS
JUSQU’A NOS JOURS.


CHARLEMAGNE ET SES SUCCESSEURS.

Charlemagne
et ses
successeurs.

La Bibliothèque nationale a une origine ancienne. Il faut remonter jusqu’au siècle de Charlemagne pour trouver les premiers éléments de ses collections. A côté de l’école que l’empereur avait instituée dans son palais même, il avait rassemblé à Aix-la-Chapelle un certain nombre de livres qui, pour l’époque, était considérable. Quelques-uns des manuscrits de Charlemagne sont parvenus jusqu’à nous; le plus remarquable est un évangéliaire qui, après avoir été longtemps conservé à Saint-Sernin de Toulouse, fait maintenant partie de nos collections.

A la mort de l’empereur qui, par son testament, avait ordonné que ses livres fussent vendus et que le prix en fût distribué aux pauvres, la Bibliothèque qu’il avait formée fut dispersée. Cependant son successeur, Louis-le-Débonnaire, posséda quelques volumes.

Les manuscrits datant du règne de Charles-le-Chauve qui existent à la Bibliothèque prouvent le goût 4 de ce prince pour les livres. Son livre d’heures, ses bibles et ses évangiles sont des modèles achevés de la calligraphie du IXe siècle.

Saint-Louis.
(1226 à 1270).

En même temps qu’il poursuivait son œuvre de restauration du royaume, Saint-Louis s’occupait de relever les lettres et de protéger les travaux des savants.

Geoffroi de Beaulieu, dans un passage de sa Vie de Saint-Louis, témoigne en ces termes de la création de la Bibliothèque du roi: «Le bon roi apprit, quand il était outre-mer, qu’un grand roi des Sarrazins faisait rechercher avec soin les livres de tout genre qui pouvaient être utiles aux savants de son pays, qu’il les faisait copier à ses frais et garder dans son trésor, afin que les hommes lettrés pussent avoir à leur disposition tous les livres dont ils avaient besoin. Il conçut alors le projet de faire transcrire à ses frais et garder, dès son retour en France, tous les livres d’Ecriture sainte utiles et authentiques qui pourraient être trouvés dans les abbayes. Il préférait cependant faire copier à nouveau des livres que d’en acheter d’anciens; il disait que c’était un moyen d’accroître le nombre et l’utilité des livres sacrés. Il fit, dans ce dessein, ménager un endroit bien approprié et sûr, dans le trésor de la Chapelle, à Paris; là il rassembla avec soin le plus grand nombre possible d’ouvrages de Saint-Augustin, de Saint-Ambroise, de Saint-Jérôme, de Saint-Grégoire, ainsi que d’autres auteurs orthodoxes, et chaque fois qu’il en avait le loisir, il venait volontiers étudier ces ouvrages et il 5 donnait aux autres des facilités pour les faire servir à leurs travaux.»

La Bibliothèque de Saint-Louis, comme celle de Charlemagne, ne survécut pas à son fondateur. Par son testament, Saint-Louis ordonna que ses livres, à l’exception de ceux qui étaient à l’usage de la Chapelle, seraient partagés entre les Dominicains et les Cordeliers de Paris, les religieux de l’Abbaye de Royaumont et les Dominicains de Compiègne.

De Saint-Louis
à
Jean-le-Bon.
(1270-1350).
]

De Saint-Louis à Jean-le-Bon, c’est-à-dire durant près d’un siècle, l’histoire de la Bibliothèque ne présente guère aucun fait qui mérite d’être signalé. Cependant les inventaires qui nous restent de la maison de Philippe-le-Hardi, de Philippe-le-Bel, de Louis-le-Hutin, prouvent que ces princes ont eu des livres. Les manuscrits qui figurent dans les dénombrements de meubles précieux semblent témoigner de l’intérêt que nos rois y attachaient, mais ces livres étaient plutôt pour eux des monuments rares et curieux que des objets d’étude.

Jean-le-Bon.
(1350-1364).
]

Jean-le-Bon encouragea les lettres et aima les livres. Le jour où il fut fait prisonnier à la bataille de Poitiers, les Anglais trouvèrent dans ses bagages une bible qui est actuellement conservée au Musée britannique. Dans sa prison, il s’occupait de faire relier des livres et il en achetait aux Anglais. Il avait réuni un certain nombre de volumes qu’il laissa à Charles V et qui devinrent les premiers éléments de la Bibliothèque du roi.

6

CHARLES V. (1364-1380).

L’origine de la Bibliothèque de France date réellement du règne de Charles le Sage. L’amour de ce prince pour les livres, les encouragements qu’il prodigua aux savants, favorisèrent les progrès des collections royales qui, dès cette époque, faisaient l’admiration des contemporains. A lui revient l’honneur de la première organisation d’une Bibliothèque, destinée non-seulement à satisfaire les goûts du roi, mais encore à activer le mouvement littéraire de son époque et à faciliter les travaux des savants.

Le premier acte de Charles V fut d’ordonner en 1367 le dépôt des livres, jusqu’alors conservés au Palais de la Cité, dans la tour du château du Louvre dite la Tour de la Fauconnerie. Les fenêtres de cette tour, qui comprenait trois étages ou chambres, étaient garnies de fils de fer «pour deffense des oyseaux et autres bestes» et les livres y étaient conservés avec le plus grand soin sur des pupitres, placés autour de chaque salle. A la tête de ce dépôt, le roi nomma Gilles Mallet, son valet de chambre, «lequel pour cause que en lui sçavoit plusieurs vertus, moult aimoit» et qui dressa l’inventaire des livres confiés à sa garde. Cet inventaire suivi d’un récolement fait par les soins de Jean Blanchet, en 1380, et complété par les inventaires de Jean le Bègue en 1411 et 1424, est un des documents les plus intéressants pour l’histoire littéraire de cette époque. Il est intitulé: Inventaire des livres du 7 roy nostre Sr estans au chastel du Louvre et donne la description de 973 articles. Gilles Malet rédigea son inventaire en suivant l’ordre des volumes à chaque étage, mais comme ils étaient disposés sans distinction de matières, il s’ensuit qu’il faut lire cet inventaire du commencement à la fin pour savoir ce que la librairie du Louvre renfermait de manuscrits sur tel ou tel sujet. Dans son histoire du Cabinet des manuscrits, M. Delisle a donné une liste résumée, par matière, de ces volumes; la théologie, la littérature, l’histoire y sont largement représentées, mais le droit, la philosophie, les sciences n’y figurent que pour quelques articles.

Outre les indications relatives à la composition de la librairie du Louvre, les inventaires de Gilles Malet et de Jean le Bègue contiennent les détails les plus minutieux sur l’état matériel des volumes, sur leur provenance et aussi sur leur emploi et sur leur sort. C’est ainsi qu’ils nous apprennent que Charles V donna et prêta plusieurs des volumes qu’il avait réunis dans sa librairie. Le duc d’Anjou, d’autres princes, des parents et des amis du roi, des grands officiers de la couronne, le collége de l’Université, les églises profitèrent de sa libéralité. Ces anciens catalogues et différentes pièces de comptabilité nous font également connaître les noms des copistes, librairies, enlumineurs que le roi récompensa généreusement, comme il se plaisait à encourager les travaux des savants tels que Nicole Oresme, Raoul de Presle, qui traduisaient pour son compte, l’un les œuvres d’Aristote, l’autre la Cité de Dieu de Saint-Augustin.

8

CHARLES VI. (1380-1422).

A la mort de Charles V, Gilles Malet conserva ses fonctions de garde de la librairie, et un récolement fait par Jean Blanchet constata la présence des livres portés sur l’inventaire, à l’exception de ceux qui avaient été prêtés ou donnés par le roi. En 1410, G. Malet mourut et Jean le Bègue, au nom d’une commission de la Chambre des Comptes, procéda à un nouvel inventaire de la collection royale. A cette date, elle s’était accrue de 210 volumes, les uns provenus du duc de Guyenne, les autres, en langue hébraïque, abandonnés par des Juifs dans une maison du faubourg St-Denis.

Le successeur de Gilles Malet fut Antoine des Essarts, seigneur de Thieux et de Glatigny «écuyer valet tranchant conseiller et garde des deniers de la librairie du roi», remplacé lui-même en 1412 par Garnier de Saint-Yon. Celui-ci, échevin de la ville de Paris, appartenait au parti des Bourguignons. L’arrivée au pouvoir des Armagnacs l’obligea à quitter ses fonctions, et Jean Maulin, clerc du roi, fut nommé garde de la librairie (1416). A cette époque, plus de deux cents volumes manquaient dans la librairie du Louvre. Les princes empruntaient les livres et ne les rendaient pas, le roi en faisait présent aux membres de sa famille et aux souverains étrangers, c’était une véritable dispersion de la précieuse collection réunie par son père; sa mort acheva de la ruiner.

Garnier de Saint-Yon ayant recouvré sa charge en 9 1418, fit dresser en 1424 un troisième inventaire des livres du roi avec leur évaluation en sols parisis. Ils furent estimés à la somme de 3,323 livres, 4 sols, et la collection entière, vendue pour ce prix au duc de Bedfort, passa en Angleterre. Soigneusement conservée par le duc, elle ne dut être dispersée qu’à sa mort, en 1435.

CHARLES VII. (1422-1461). LOUIS XI. (1461-1483).

La ruine de la librairie du Louvre ne fut pas réparée par Charles VII; les préoccupations d’intérêt politique l’empêchèrent de songer à la reconstituer. Son successeur Louis XI ne travailla guère davantage à en hâter le relèvement. Cependant l’introduction de l’imprimerie en France, la protection dont ce prince encouragea les premiers imprimeurs, les actes importants qui marquèrent sa politique intérieure font de son règne une époque mémorable dans l’histoire de nos collections. Il eut pour garde de ses livres Laurent Paulmier, et peut-être après celui-ci, suivant Gabriel Naudé, Robert Gaguin, qu’il aurait nommé son bibliothécaire. Jean Fouquet, de Tours, reçut le titre d’enlumineur du roi. Malheureusement Louis XI ne sut pas enrichir la Bibliothèque de toutes les grandes collections que les événements pouvaient mettre entre ses mains.

La valeur et l’éclat de ces richesses étaient cependant assez grands pour exciter la convoitise d’un roi plus scrupuleux. Déjà, avant l’époque où sous le coup des malheurs qui désolaient la France la librairie 10 du Louvre tombait au pouvoir de l’étranger, les princes du sang avaient, comme le roi, formé de précieuses bibliothèques. Celle du duc de Berry, mort en 1416, ne lui avait pas survécu, mais les livres des ducs d’Anjou ne furent dispersés qu’à la mort de Charles d’Anjou, en 1472, et Louis XI ne chercha point à les recueillir. Il en fut de même, après la victoire du roi sur Charles le Téméraire, de la plus célèbre et de la plus nombreuse de ces collections, la bibliothèque des ducs de Bourgogne fondée par Philippe le Hardi et enrichie par ses successeurs, Jean-sans-Peur et Philippe-le-Bon. La ruine de la maison de Nemours, qui possédait de beaux livres, ne profita pas davantage au fonds royal; il ne s’accrût que d’une partie des livres du duc de Guyenne et de ceux du cardinal Balue dont le roi avait confisqué les biens.

CHARLES VIII. (1483-1498).

Charles VIII apporta de nombreux accroissements à la Bibliothèque que ses aïeux avaient réunie. Le département des manuscrits renferme de splendides volumes qu’il fit exécuter. Après son expédition d’Italie, il rapporta de Naples la meilleure partie de la Bibliothèque des rois d’Aragon.

Sous son règne, les développements de l’imprimerie vinrent ajouter un nouvel appoint aux collections de la Bibliothèque. On compte parmi les plus précieux volumes du département des Imprimés ceux dont les libraires firent hommage à ce prince.

11

LOUIS XII. (1498-1515).

L’arrivée au trône du descendant de la maison d’Orléans fut un heureux événement pour la Bibliothèque du roi. Louis XII aimait les livres et il avait hérité de ses ancêtres d’une magnifique collection; son avènement au pouvoir fut marqué par la réunion de cette librairie à celle du roi, qui, dès lors, eut son siége à Blois, au château des ducs d’Orléans.

La bibliothèque que Louis XII, en prenant la couronne, apportait à la France, avait été fondée par Louis, fils de Charles V. Ce prince, avait rassemblé, à prix d’argent, une collection de livres, dont on ignore le nombre précis, mais qui, pour cette époque, était considérable. Son fils Charles d’Orléans, le poëte gracieux d’Azincourt, avait hérité des goûts de son père, et il employa de fortes sommes à l’achat et à l’exécution de beaux livres. L’inventaire de sa bibliothèque qui fut rédigé, au moment de sa captivité, par P. Renoul, son secrétaire, mentionne 91 ouvrages. Leur valeur vénale nous est prouvée par l’idée qu’on eut en 1427 de les aliéner pour payer la rançon du duc. Heureusement ce projet ne fut pas mis à exécution, mais en 1428, les succès des Anglais et leur présence sur les bords de la Loire menaçaient la bibliothèque de Blois. Comprenant le danger que couraient ses livres, Charles les fit transporter d’abord à Saumur, puis à La Rochelle, où ils restèrent jusqu’en 1436, confiés à la garde de Jean de Mortemart, sire de Rochechouart. 12 A son retour en France, Charles ne cessa d’augmenter sa précieuse collection et à sa mort elle renfermait plus de 200 ouvrages dont une soixantaine figurent encore à la Bibliothèque nationale.

Telle était la bibliothèque que le fils de Charles, qui devait être Louis XII, reçut des mains pieuses de sa mère Marie de Clèves. Duc d’Orléans, il s’appliqua à accroître ce précieux héritage, et sur le trône il continua les nobles traditions de sa famille. C’est à lui que revient en effet l’honneur d’avoir fait entrer dans la librairie de Blois, à la suite de la conquête du Milanais, une partie des livres rassemblés à Pavie par les Visconti et les Sforza; le département des manuscrits possède plusieurs manuscrits ayant cette origine. On peut encore y voir une dizaine de volumes qui ont appartenu à Pétrarque et qui ont été rapportés en France à cette époque.

La célèbre bibliothèque de Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse, fut également recueillie en partie par Louis XII; elle est représentée dans nos collections par plus de cent vingt volumes.

Ces précieux accroissements donnèrent à la librairie de Blois une grande renommée. L’ambassadeur d’Alexandre VI en France, Bologninus, en vantait l’éclat dans son livre sur les Quatre merveilles de France. On peut dire que c’est au règne de Louis XII que commence l’histoire moderne de la Bibliothèque.

13

FRANÇOIS Ier. (1515-1547).

La collection royale ne pouvait que s’enrichir dans les mains d’un prince ami des lettres tel que le fut François Ier, dont le règne marque une époque si brillante pour les productions de l’esprit en France.

Comme son prédécesseur, il tenait de ses aïeux une belle bibliothèque, celle des comtes d’Angoulême; son avènement en procura la possession à la France. C’était pour la librairie de Blois un important développement. L’origine de cette bibliothèque remontait à Jean le Bon, fils de Louis d’Orléans et frère de Charles, dont il avait les goûts littéraires. Fait prisonnier, comme ce dernier, à la bataille d’Azincourt, il occupa, à son exemple, les loisirs de son exil à rechercher, à faire exécuter et à copier lui-même des manuscrits. Le manuscrit 3638 du fonds latin conservé à la Bibliothèque nationale est écrit de sa main. La collection qu’il avait rassemblée s’augmenta par les soins de son fils, Charles d’Angoulême, qui, indépendamment des manuscrits, voulut posséder des volumes imprimés, et François, avant d’être roi, l’avait encore enrichie d’une dizaine de manuscrits qui lui avaient été dédiés.

Le règne de François Ier commençait ainsi bien heureusement pour la Bibliothèque. Le goût marqué du roi pour les manuscrits, et surtout pour les manuscrits grecs ou orientaux, fit faire de rapides progrès à cette partie de nos collections. Pour avoir ses livres sous la main, François Ier les plaça dans la galerie 14 supérieure du château de Fontainebleau. En même temps il en faisait rechercher et acheter en Italie, en Grèce et en Orient. C’est ainsi que Jérôme Fondule procura au fonds royal 60 volumes grecs pour lesquels il reçut une somme de 4000 écus d’or. Jean de Pins, évêque de Rieux, notre ambassadeur à Venise, avait recueilli 18 manuscrits grecs qui, après sa mort, entrèrent à la Bibliothèque de Fontainebleau. Guillaume Pélicier, évêque de Montpellier, son successeur à Venise, y fit copier, pour le compte du roi, des volumes grecs et hébreux. Nos ambassadeurs à Rome, George de Selve, évêque de Lavaur, George d’Armagnac, en rapportèrent également des manuscrits grecs. En Orient, Guillaume Postel, Juste Tenelle, Pierre Gille travaillèrent à l’accroissement des collections royales. Les étrangers mêmes, Ant. Eparque, le poëte de Corfou, Jean Gaddi, Antoine Asulan, Jean Lascaris, firent don au roi de manuscrits exécutés ou recueillis par leurs soins. A la tête de tous ces hommes éminents par la science et par les fonctions, se place le célèbre helléniste Guillaume Budé. Nommé par le roi maître de la librairie en 1522, titre nouveau qui remplaça désormais celui de garde de la librairie, il mit au service de la Bibliothèque sa grande influence auprès de François Ier et sa vaste érudition. Sous sa direction, la collection royale parvint à un haut degré de prospérité. En 1527, la confiscation des biens du connétable de Bourbon vint encore l’enrichir et lui ajouter un nouvel éclat.

Guillaume Budé mourut en 1540; il eut pour successeur 15 dans la charge de maître de la librairie Pierre Du Chatel. Ce fut sous l’administration de ce dernier que la Bibliothèque de Fontainebleau s’accrût des livres qui composaient la librairie de Blois. Cette collection avait été soigneusement conservée par les hommes qui, après le règne de Louis XII, en avaient eu la garde, Adam Laigre, aumônier de la reine, Guillaume Petit, l’auteur de l’inventaire de 1518 et Jacques Lefèvre d’Etaples. Au moment où la Bibliothèque de Blois fut installée au château de Fontainebleau, elle se trouvait placée sous la direction de Jean de la Barre. Ce fut celui-ci qui, conjointement avec le poëte Mellin de Saint-Gelais, maître de la Chambre des comptes de Blois, fut chargé de dresser un nouvel inventaire et de faire transporter les livres au nouveau palais de François Ier. Cette réunion eut lieu entre les mains de Mathieu Lavisse, le 15 juin 1534. Mellin de Saint-Gelais suivit les collections de Blois à Fontainebleau, où il exerça les fonctions de garde de la librairie. A la fin du règne de François Ier, il y avait donc à la tête de la Bibliothèque de Fontainebleau un maître de la librairie, P. Du Chatel, et deux gardes, Mellin de Saint-Gelais et Mathieu Lavisse.

DE HENRI II A HENRI IV. (1547-1559).

François Ier ne se contenta pas de réunir des livres; il les livra généreusement aux savants qui avaient besoin d’y recourir. Le premier résultat de ces mesures libérales fut la mise en état des volumes qui étaient 16 l’objet de communications et le développement de l’art de la reliure. A cette époque, la reliure était un art et, à ce titre, François Ier lui devait une protection qu’il ne lui marchanda pas. On compte dans les collections de la Bibliothèque nationale un assez grand nombre de volumes manuscrits et imprimés, reliés aux armes de François Ier: les couvertures attestent le bon goût de ce prince et le talent de l’artiste qui les a exécutées. Elles sont en cuir et portent généralement les armes de France accompagnées d’F couronnées et de la salamandre.

Henri II aimait, comme son père, les belles reliures. On n’évalue pas à moins de huit cents le nombre des volumes qui ont été reliés pour son compte. Ils se distinguent par des H couronnés, des D et des C entrelacés, des croissants, des arcs et des carquois. Les uns ont cru voir dans ces emblèmes les marques de l’amour du roi pour Diane de Poitiers, les autres un hommage à Catherine de Médicis. Quoi qu’il en soit, tous ces volumes se recommandent à notre admiration par la beauté et la richesse des ornements qui les décorent, par la variété et la délicatesse des dessins qui les recouvrent. Les reliures aux armes de François II, de Charles IX, de Henri III, encore plus rares, ne sont pas moins dignes d’attention, ce sont des monuments précieux qui prouvent le degré de perfection auquel l’art de la reliure était parvenu à cette époque, en même temps qu’ils rappellent la protection et les encouragements que les Valois lui accordèrent. Des amateurs célèbres, les Grolier, les Maïoli, dont 17 les reliures sont aujourd’hui si hautement appréciées, furent leurs contemporains.

Ce n’est d’ailleurs qu’en raison de leur goût pour les belles reliures que les descendants de François Ier méritent d’être cités dans une histoire de la Bibliothèque du roi, car à part la collection de livres du président Aymar de Ranconnet qui, à ce qu’on pense, fut réunie aux biens de la couronne par François II, la Bibliothèque ne reçut, sous leur règne, aucun accroissement sérieux. Les guerres civiles et religieuses qui déchiraient alors la France arrêtèrent ses progrès malgré les efforts des hommes remarquables auxquels ces princes en avaient confié la garde.

A la mort de François Ier, Pierre Du Châtel avait continué ses fonctions de maître de la librairie, et il avait usé de son crédit auprès de Henri II pour attirer la protection du roi sur la Bibliothèque. Sous sa direction, Ange Vergèce travailla à la rédaction d’un inventaire des manuscrits grecs de la librairie de Fontainebleau, contenant l’indication de 260 volumes, suivi bientôt d’un second catalogue dressé par Constantin Palœocappa. P. Du Châtel mourut en 1552 et fut remplacé dans la charge de maître de la librairie par Pierre de Montdoré, conseiller au grand Conseil. Ce savant mathématicien resta à la tête de la Bibliothèque du roi jusqu’en 1567; à cette époque, il fut accusé d’être partisan de la réforme et obligé de s’enfuir. Son successeur fut le célèbre traducteur de Plutarque, Jacques Amyot. Plus heureux que P. de Montdoré, Amyot garda sa charge jusqu’à sa mort en 1594, mais 18 il ne paraît avoir apporté à la Bibliothèque que l’éclat de son nom: son administration n’a guère laissé que le souvenir des facilités qu’il donnait aux savants pour consulter les livres du roi.

Au-dessous de J. Amyot, Jean Gosselin exerçait les fonctions de garde de la librairie, et ce fut lui qui, sous le règne de Charles IX, reçut l’ordre de faire venir la Bibliothèque de Fontainebleau à Paris[1]. Transporter la Bibliothèque de Fontainebleau au milieu des troubles de la Ligue, c’était l’exposer à de terribles dangers, et elle ne put y échapper. Gosselin a rappelé les péripéties par lesquelles passèrent les collections royales pendant cette triste période. Dans la crainte d’être compromis comme ligueur, il s’enfuit de Paris croyant les livres du roi à l’abri des convoitises parce qu’il les avait renfermés dans une salle dont il avait barricadé la porte avec une barre de fer et qu’il en emportait la clef. La serrure fut crochetée, la muraille enfoncée et le président de Nully et ses amis pénétrèrent dans le dépôt d’où on les vit «s’en aller portant d’assez gros paquets sous leurs manteaux.» Livrée à leurs mains, la librairie entière aurait probablement été pillée, sans l’intervention du président Brisson qui «à ma requeste 19 et sollicitation» ajoute Gosselin «a empêché leur intention.»

HENRI IV. (1589-1610).

En raffermissant par son habileté et son courage l’autorité royale si fortement ébranlée, Henri IV rendit l’ordre et la sécurité à la Bibliothèque. Son premier soin fut de lui assurer un emplacement en rapport avec l’importance qu’elle avait acquise. Le collége de Clermont, aujourd’hui Lycée Louis-le-Grand, était devenu libre par l’expulsion des Jésuites; c’est là que le roi fit installer ses collections. Elles y restèrent jusqu’en 1604, époque où elles furent transportées au couvent des Cordeliers[2], dans la salle du cloître. Dix-huit ans après, elles étaient encore déplacées pour occuper, rue de La Harpe, au-dessus de l’église Saint-Côme, une maison appartenant aux Cordeliers.

Dans l’intervalle de ces deux déplacements, la Bibliothèque s’était accrue de la riche collection laissée par Catherine de Médicis, collection qui renfermait près de huit cents volumes dont un grand nombre de manuscrits grecs et qui avait été formée par le cardinal Ridolfi, neveu du pape Léon X. Achetée par P. Strozzi, maréchal de France, «qui aimoit passionnément les livres, et qui sçavoit le grec aussi bien qu’aucun homme de son siècle,» elle vint en France avec lui. La mort de Strozzi, tué au siége de Thionville en 1558, 20 la fit tomber entre les mains de Catherine de Médicis, qui se l’appropria en promettant au fils du maréchal une somme qui ne lui fut jamais payée. C’était une des nombreuses dettes que la reine laissait en mourant et l’acquisition de sa bibliothèque rencontra de sérieuses difficultés. Mais à cette époque, J. Auguste de Thou, le célèbre historien, avait remplacé Amyot et il employa tout son zèle pour mener à bien cette importante affaire. Sur ses instances, le roi ordonna par lettres patentes du 15 juin 1594 que tous les livres de la feue reine seraient réunis à la Bibliothèque royale. Les créanciers de Catherine de Médicis s’émurent à cette nouvelle et entreprirent de s’opposer à l’exécution de la mesure. Une commission composée de François Pithou et de deux autres membres fit l’évaluation de la collection qui fut estimée 5,400 écus. Les choses traînèrent ainsi en longueur pendant quatre ans; le 15 novembre 1598, le roi écrivait au président de Thou: «Je vous ay ci-devant escript pour retirer des mains du nepveu du feu Sr Abbé de Bellebranche[3] la librairie de la feue royne, mère du roy, mon seigneur, ce que je vous prie et commande encores un coup de faire, si jà ne l’aviès faict, comme estant chose que je désire, affectionne et veulx, affin que rien ne s’en esgare et que vous la faciés mettre avec la mienne.» A la suite de deux arrêts du Parlement des 25 janvier et 30 avril 1599 la bibliothèque 21 de Catherine de Médicis fut enfin réunie à la Couronne.

Cette acquisition fut la plus importante mais non la seule qui fut faite sous le règne de Henri IV. Auparavant, la bible de Charles-le-Chauve avait été incorporée dans la Bibliothèque du roi. Ce précieux monument, que Charles-le-Chauve avait donné à l’abbaye de Saint-Denis, fut remis au président de Thou, conformément à une décision du Parlement du 20 août 1595.

En même temps qu’il s’occupait des accroissements de la Bibliothèque, Henri IV savait choisir les hommes auxquels il en confiait la garde. Il avait nommé, en 1593, J.-Auguste de Thou, maître de la librairie, en remplacement d’Amyot; en 1604, il désigna Isaac Casaubon comme successeur de Gosselin, qui mourut presque centenaire, après avoir passé une grande partie de sa vie dans l’emploi de garde de la librairie.

LOUIS XIII. (1610-1643).

Isaac Casaubon ne resta pas longtemps attaché à la Bibliothèque. En 1610, il y reçut le jeune roi Louis XIII, qui se montra très-satisfait de sa visite. Mais cette année même, il fut obligé, à cause de ses opinions religieuses, de quitter la France. Il se réfugia en Angleterre, où il mourut en 1614.

Le garde de la librairie qui lui succéda fut Nicolas Rigault, dont la nomination n’eut lieu qu’en 1615. Deux ans plus tard, la charge de maître de la librairie passa de J.-A. de Thou à François de Thou, son fils, le même 22 qui devait payer de sa tête son dévouement à l’amitié. Il n’avait alors que neuf ans, et ce fut Nicolas Rigault qui exerça effectivement toute l’autorité. Celui-ci usa de son pouvoir au grand avantage des collections dont il avait l’administration. Déjà au mois d’août 1617, il avait fait rendre une déclaration qui prescrivait le dépôt à la Bibliothèque de deux exemplaires de tout ouvrage imprimé. Cette mesure importante fut suivie, quelques années plus tard, de la confection du premier catalogue de la Bibliothèque vraiment digne de ce nom. Jusqu’alors il n’y avait eu que des inventaires partiels, N. Rigault entreprit de rédiger un catalogue général de toutes les collections. Son travail, auquel Saumaise et Hautin s’associèrent, fut achevé en 1622. Il est divisé en cinq sections: trois sont consacrées aux manuscrits et deux aux livres imprimés; il renferme la désignation de près de 6,000 volumes, dans lesquels les imprimés ne comptent que pour un faible nombre.

L’année même où ce catalogue fut terminé, la Bibliothèque reçut par voie d’acquisition les manuscrits de la famille Hurault. Jean Hurault, seigneur de Boistaillé, ambassadeur à Constantinople sous Charles IX, avait rapporté du pays où il avait séjourné une centaine de manuscrits grecs. Philippe Hurault, comte de Cheverny, avait, de son côté, réuni une belle série de manuscrits, la plupart sur l’histoire de France. Les livres des deux membres de cette famille devinrent l’héritage de Philippe Hurault, évêque de Chartres, qui mourut en 1621. A sa mort, un arrêt du Conseil d’Etat ordonna l’estimation de la collection par les 23 soins de Pierre Dupuy et de Rigault, et l’acquisition en fut faite au prix de 12,000 écus. Plus de 400 volumes entrèrent ainsi dans la Bibliothèque du roi. Il n’en fut pas de même des manuscrits orientaux que M. de Brèves avait recueillis pendant qu’il était ambassadeur à Constantinople. Ils furent bien achetés au nom du roi en même temps qu’une série de caractères d’impression orientaux; mais le cardinal de Richelieu ne les laissa pas arriver à la Bibliothèque; le tout vint enrichir ses collections personnelles. On sait qu’à sa mort ses livres restèrent à la Sorbonne; la Bibliothèque ne se les vit attribuer que beaucoup plus tard.

Une autre acquisition, faite également au nom du roi, ne profita, à cette époque, qu’au puissant cardinal. Antoine de Loménie, ancien ministre d’Etat, avait formé une célèbre collection en 358 volumes de copies de documents diplomatiques et administratifs. En 1638, elle fut cédée par son fils, le comte de Brienne, pour la somme de 38,000 livres. Le duc de Richelieu s’empara des manuscrits, et la collection de Brienne, après avoir passé aux mains du cardinal Mazarin, n’entra à la Bibliothèque qu’à la mort de ce dernier.


COLBERT et LOUVOIS


LA BIBLIOTHÈQUE DE 1643 A 1661.

La fin tragique de François de Thou laissa vacante en 1642 la charge de maître de la librairie. Elle fut donnée à Jérôme Bignon, qui en obtint la survivance pour son fils en 1651. Jérôme Bignon se contentait de visiter la Bibliothèque une ou deux fois par an; son 24 fils, alors âgé de vingt-neuf ans, ne montra pas plus de zèle dans ses fonctions, et tous deux abandonnèrent la direction de la Bibliothèque à N. Rigault et à ses successeurs les frères Dupuy.

Pierre et Jacques Dupuy ne furent pourvus de leur titre qu’en 1645; mais déjà, avant le départ de N. Rigault, nommé conseiller au Parlement de Metz, ils avaient été mêlés aux affaires de la Bibliothèque et en particulier aux acquisitions des manuscrits de la famille Hurault et de la collection de Brienne. Le goût des livres, héréditaire dans leur famille, leur érudition, tout les désignait au choix du roi. L’un et l’autre avaient fait leurs preuves dans l’administration de la bibliothèque du président de Thou; eux-mêmes avaient réuni, à prix d’argent, une importante collection dont les premiers éléments avaient été formés par leur père, le jurisconsulte Claude Dupuy.

Leur entrée à la Bibliothèque du roi, en 1645, fut signalée par la rédaction d’un nouveau catalogue. Ils révisèrent et augmentèrent le catalogue de N. Rigault. Leur travail est divisé en trois parties: les deux premières, consacrées aux manuscrits, contiennent 3,930 numéros; la troisième, affectée aux imprimés, mentionne 1,329 volumes.

La mort ne donna pas le temps à ces deux hommes de science et de bien de rendre à la Bibliothèque tous les services dont ils étaient capables. P. Dupuy mourut en 1651, et J. Dupuy «tout le portrait de son frère[4]» 25 ne lui survécut que quelques années. Avant sa mort, arrivée en 1656, J. Dupuy avait, par des dispositions testamentaires, donné sa bibliothèque au roi. Le 25 mai 1652, il avait assuré le sort de ses livres par un testament qui mérite d’être reproduit non-seulement à cause de l’importance de la donation, mais encore pour les idées élevées et généreuses qu’il exprime. Voici les termes de cet acte: «Me trouvant seul possesseur d’une assès grande bibliothèque, composée de toutes sortes de bons livres, curieusement reliés et amassés avecq une recherche et dépense extraordinaires, tant par Me Claude Dupuy, mon père, conseiller du roi en sa cour de parlement, de très-glorieuse mémoire, que par mes frères Christophe, Augustin, Pierre et moy, et ayant veu avecq desplaisir depuis plusieurs années qu’un grand nombre de rares et bonnes librairies, amassées avecq jugement par des personnes de condition et de grande érudition, ont esté vendues et misérablement dispersées pour estre tombées entre les mains de personnes avares, ou qui n’avaient nulle affection aux livres, ny aucune cognoissance des bonnes lettres, il m’a semblé estre important pour le public qu’un choix de livres, si exquis et si bien ordonné, comme est celui de ma bibliothèque, ne soit dissipé, ce que je prévoy infailliblement devoir arriver après mon décès, au cas que je n’en aye disposé auparavant. Une aultre raison aussy, qui m’a grandement fortiffié dans cette résolution, est que mon frère Pierre, conseiller du roy en ses conseils, le dernier décédé de mes frères, tant par 26 son testament que par les discours qu’il m’a tenus pendant sa maladie et peu de jours avant son décès, m’a conjuré plusieurs fois de ne souffrir la dissipation d’un meuble si précieux; de sorte qu’ayant toujours vescu ensemble dans une parfaite union et amitié très-estroite, et ayant conformé mes sentiments, autant que j’ay peu, aux siens, j’ay jugé à propos, pour conserver ma dicte bibliothèque en son entier, et en empescher, autant qu’il se peut, la dissipation, d’en tester au profit du roi... Je lègue et donne à Sa Majesté ma bibliothèque, comme aussi mes anciens manuscrits, tant ceux que mon père nous a laissez que les autres qui y ont esté adjoustez depuis sa mort, ensemble les deux volumes in-folio, escrips de ma main, contenant l’inventaire ou catalogue tant de mes dits livres imprimés que manuscrits.[5]»

La donation de J. Dupuy fut acceptée dans le cours de l’année qui suivit sa mort. Par lettres patentes enregistrées au Parlement le 7 avril 1657 le roi ordonna que «la bibliothèque, ensemble les manuscrits et autres livres, cartes et tableaux à luy léguez par ledit feu sieur Du Puy seraient réunis à sa Bibliothèque pour n’en composer à l’advenir qu’une seule qui demeurera soubs la garde de son ami et féal conseiller en ses conseils, le sieur Colbert, prieur de la maison de Sorbonne.» Toutefois la remise n’eut lieu que le 1er août 1658.

27

Cette importante collection, dont J. Dupuy avait pris le soin de dresser lui-même l’inventaire, apportait à la Bibliothèque plus de 9,000 volumes imprimés et 260 manuscrits. Presque tous les volumes dont elle se composait se reconnaissent aux armes de la famille Dupuy qui ornent la reliure généralement en veau et très-simple, et aux deltas d’or entrelacés qu’ils portent sur le dos.

DE 1661 A LA MORT DE COLBERT (1683).

L’acte de libéralité accompli par J. Dupuy ouvre une période de grandeur et de prospérité pour la Bibliothèque. La protection constante dont Louis XIV encouragea les lettres, les marques d’intérêt qu’il donna en personne à la Bibliothèque, soit en venant la visiter, soit en intervenant directement dans les affaires qui en intéressaient le développement, attirèrent sur elle l’attention publique et provoquèrent d’importantes donations. Mais ce fut surtout au génie, à l’activité infatigable de Colbert, à son amour ardent pour le bien public que notre établissement national dut ses nombreux accroissements au XVIIe siècle. Bien que chargé d’attributions qui forment aujourd’hui cinq ministères, le grand ministre, durant le temps qu’il passa aux affaires, ne laissa échapper aucune occasion d’enrichir nos collections. Qu’il s’agisse d’une acquisition de premier ordre ou des détails les plus minutieux, de mesures à prendre en France ou d’instructions à donner à ses agents à l’étranger, il songe à tout. Il 28 imprime, en un mot, à cette partie de son administration la marque d’un des plus grands et des plus puissants génies que la France ait vus naître. Ses efforts furent couronnés de succès, les innovations dont il avait été l’auteur lui survécurent et son nom est resté attaché dans nos annales à la formation de collections toutes nouvelles dans la Bibliothèque. Quand Colbert arriva au pouvoir, elle ne renfermait que des livres imprimés et des manuscrits; à sa mort, en 1683, elle s’était accrue de médailles et d’estampes, et sans être encore constituée en quatre départements, comme elle l’est aujourd’hui, elle avait déjà pris ce caractère d’universalité qui en fait un établissement sans rival dans le monde.

Colbert fut d’ailleurs secondé dans son œuvre par deux hommes de mérite et de science, son bibliothécaire, Pierre de Carcavy et Nicolas Clément de Toul, fonctionnaire aussi zélé que modeste, qui passa dans la Bibliothèque près de quarante ans de sa vie et s’y livra à des travaux importants soigneusement exécutés, utiles, même encore de nos jours, à ses successeurs.

P. de Carcavy et N. Clément furent les seules personnes effectivement attachées à la Bibliothèque, sous l’administration de Colbert. En effet, Nicolas Colbert, frère du ministre, le même qui s’était vu chargé de la garde de la collection Dupuy, avait été nommé évêque de Luçon, et tout en conservant son titre de garde de la librairie, il laissa à son frère l’entière direction de la Bibliothèque, qui se trouvait dans les attributions du ministre, surintendant des bâtiments et des maisons 29 royales. Nous allons voir comment Colbert fit usage de ce pouvoir.

L’exemple que Jacques Dupuy avait si noblement donné fut presque immédiatement suivi: il le fut dans la famille même du roi, et par un prince qu’on n’aurait pas soupçonné d’aussi bienveillantes dispositions pour la Couronne. Gaston d’Orléans possédait dans son palais du Luxembourg un cabinet de raretés, livres, manuscrits, médailles, pierres gravées qui faisaient l’admiration des amateurs. Le P. Louis Jacob, dans son Traité des Bibliothèques, en parle ainsi: «Je puis dire de ce prince sans flatterie, que ny Alexandre Sévère, empereur des Romains, ny Atticus, grand amy de Cicéron, ny le très-docte Varron n’ont eu une cognoissance des médailles comme luy; et sa curiosité ne se termine pas en icelles, mais encore dans la recherche des bons livres, desquels il orne sa très-riche et splendide bibliothèque qu’il a dressée depuis peu dans son hostel de Luxembourg, au bout de cette admirable gallerie où toute la vie de la feue reine Marie de Médicis a esté dépeinte par l’excellent ouvrier Rubens.» Gaston d’Orléans, en mourant, donna ses collections à Louis XIV; ce legs fut accepté par lettres patentes du mois de novembre 1661, mais il ne fut incorporé dans le fonds royal qu’en 1667. La Bibliothèque s’accrut ainsi de cinquante-trois manuscrits, parmi lesquels se trouvait l’original du recueil des rois de France par Du Tillet. La donation faite par Gaston d’Orléans apportait en outre un nombre assez considérable de livres imprimés, presque tous 30 reliés par Le Gascon aux armes du prince, et une série remarquable de dessins de botanique exécutés sur vélin par le peintre Nicolas Robert. Ces pièces curieuses, retenues par le premier médecin du roi Fagon, qui les garda près de lui au Jardin des Plantes dont il était le directeur, ne figurèrent à la Bibliothèque qu’au XVIIIe siècle. Un décret de la Convention du 10 juin 1793 en ordonna la remise au Muséum d’histoire naturelle, où elles sont encore conservées.

Ce qui donne surtout de l’importance au legs de Gaston d’Orléans, c’est qu’il fut le premier fonds et l’origine du Cabinet des Médailles. Déjà, avant Louis XIV, plusieurs de nos rois avaient eu le goût des antiquités. François Ier fit rechercher des médailles et des pierres gravées. Le P. du Molinet dit en avoir vu dans le garde-meubles qui y avaient été placées de son temps: «J’y ai observé un certain bijou de vermeil doré, fait en manière de livre, à l’ouverture duquel on remarque, de chaque côté, une vingtaine de médailles d’or et du Haut-Empire, qui y sont enchâssées et dont la netteté est plus considérable que la rareté.»

Sous Henri II, les médailles que Catherine de Médicis avait rapportées de Florence furent déposées à Fontainebleau. Charles IX fit l’acquisition de la collection du fameux Grolier, dont il réunit les antiquités au palais du Louvre. Cette collection, assez importante pour donner lieu à la création d’une place de garde particulier des médailles et antiquités, fut malheureusement dispersée pendant les troubles de la Ligue. Henri IV 31 chercha à reformer le cabinet royal; un gentilhomme provençal, Rascas de Bagarris, qui lui était connu par son amour des antiquités et par la collection qu’il possédait fut appelé à la cour. A la suite d’une entrevue avec le roi, il fut chargé de reconstituer le Cabinet d’antiquités, dont il obtint l’intendance sous le titre de maître du Cabinet des Médailles et Antiques. Des pourparlers étaient engagés pour l’acquisition de sa collection particulière lorsque la mort d’Henri IV vint détruire ces projets. Les évènements politiques empêchèrent Louis XIII de reprendre cette idée; néanmoins en 1664 le Cabinet du roi passait, au dire du P. Jacob, «pour une merveille du monde pour ses raretés et antiquités, outre ses pierreries.» A cette époque, Jean de Chaumont, conseiller d’Etat, en avait l’intendance avec la garde de la bibliothèque particulière que le roi possédait au Louvre.

Le legs de Gaston d’Orléans enrichit le cabinet du Louvre d’un grand nombre de médailles, de figures de bronze, de pierres gravées. Le P. du Molinet nous apprend qu’il reçut de ce chef «24 belles boëtes d’agathes dont la plupart étaient en relief.» A l’époque de l’acceptation du legs, toutes ces raretés furent laissées à la garde du bibliothécaire du prince, Bénigne Breunot[6], abbé de Saint-Cyprien. Il reçut l’ordre d’en 32 dresser un inventaire, et quand la collection fut portée au Louvre, il se vit accorder l’intendance du Cabinet des Antiquités du roi. En 1666, l’abbé Breunot fut assassiné au Louvre et le Cabinet confié à la garde de P. de Carcavy fut réuni à la Bibliothèque.

Les collections de Gaston d’Orléans n’étaient pas encore entrées dans le fonds royal que Louis XIV recevait une autre donation non moins importante, faite dans les conditions les plus honorables par Hippolyte, comte de Béthune. Philippe de Béthune, son père, lui avait laissé une série de documents originaux consistant surtout en lettres échangées par les plus importants personnages de France depuis le règne de Louis XI jusqu’à celui de Louis XIV. Il y avait là pour l’histoire et la politique d’inappréciables matériaux dont la valeur était d’ailleurs bien connue non-seulement en France, mais encore à l’étranger. La reine Christine de Suède offrit à Philippe de Béthune d’acheter sa collection moyennant 100,000 écus. Loret a rappelé ce fait dans ces vers de la Muse historique:

L’ilustre reine de Suède
Qui, comme sçait, possède
Un esprit haut et généreux,
Des belles-lettres amoureux,
Ayant appris, des fois plus d’une,
Que le sieur, comte de Béthune,
Dans son cabinet de Paris,
Avait d’excellents manuscrits,
Comme aussi plusieurs antiquailles,
Sçavoir quantité de médailles,
33 Reliefs, portraits, crayons, tableaux,
Des plus rares et des plus beaux,
A fait proposer audit comte
Une somme d’or qui se monte
Tant en juste qu’en quart d’écus
Justement à cent mille écus,
S’il voulait vendre sa boutique,
A cette reine magnifique,
Ou pour parler un peu plus net,
Les pièces de son cabinet.

Et Loret ajoute:

La proposition est forte
Et pourtant l’histoire rapporte
Que ledit comte a refuzé
Ce grand prix d’argent propozé,
Aimant mieux ses portraits et livres
Que d’avoir trois cens mille livres.

Philippe de Béthune avait en effet refusé de vendre sa collection, mais ce que Loret a omis de dire, c’est que celui qui n’avait pas voulu s’en dessaisir à prix d’argent en fit généreusement présent au roi. Louis XIV s’empressa d’accepter par lettres patentes du 21 décembre 1662, «ce recueil de très-grand nombre de manuscrits originaux... montant à 2,000 volumes et plus... Comme c’est une recherche et un travail de 70 années, bien avancé par le père, amplifié et achevé par le fils, et que la dignité et la rareté des matières dont il est remply, a donné subject aux princes étrangers de luy en faire proposer le transport 34 hors le royaume avec des avantages qu’un autre moins zélé et fidèle que luy eust pu n’en estre pas seulement tenté, mais les eust volontiers acceptez, il a creu aussi qu’un ouvrage, de cette nature et de cette importance devait estre conservé en son entier, et que pour empescher qu’après sa mort il ne fust divisé par ses héritiers en autant de portions qu’il y aurait de testes au partage desdits biens, ces manuscrits devoyent estre unys et incorporez aux autres pièces rares de notre couronne.»

Une donation aussi précieuse méritait bien qu’on prît des dispositions spéciales pour en assurer la conservation. 1,923 volumes manuscrits «contenant tous les secrets de l’Etat et de la politique depuis quatre cens tant d’années» prirent place dans la Bibliothèque du roi. Ils furent immédiatement l’objet d’un travail de catalogue exécuté par Clément. Répartis aujourd’hui dans le fonds français et le fonds latin du département des manuscrits, ils rendent les plus grands services à l’historien et au critique qui y suivent pas à pas, et pour ainsi dire en prenant les personnages sur le vif, les événements dont la France fut le théâtre du XVe au XVIIe siècle.

A la collection donnée par le comte de Béthune vinrent s’ajouter une partie des manuscrits qui avaient appartenu à Raphaël Trichet du Fresne. Ce libraire, un des plus habiles bibliophiles de l’époque, possédait une collection assez nombreuse de livres imprimés et manuscrits, la plupart sur l’histoire d’Italie, dont le catalogue fut publié en 1662. A sa mort, sa veuve les 35 mit en vente; Colbert ordonna d’en faire l’acquisition; mais Fouquet, alors au comble de la fortune, acheta la partie relative à l’histoire d’Italie: la Bibliothèque ne put se procurer que cent cinquante manuscrits environ. Cependant les livres vendus au surintendant ne devaient pas tarder à entrer dans le dépôt royal.

Par suite de ces importants accroissements, le local de la rue de la Harpe devenait bien insuffisant. Colbert, dont l’action s’étendait de plus en plus sur la Bibliothèque et qui venait d’y attacher par un titre officiel son bibliothécaire, Carcavy, lui trouva une installation dans les maisons qu’il possédait «au bout de ses jardins» rue Vivien, ou, comme on dit aujourd’hui, rue Vivienne. De cette façon, il pouvait plus facilement surveiller les progrès des collections qui lui étaient si chères. Le temps s’est chargé de démontrer qu’en cette circonstance le choix du grand ministre ne fut pas moins heureux que l’ensemble de ses efforts pour le développement des richesses déposées à la Bibliothèque, puisqu’après tant d’années et de projets successifs de changement, celle-ci occupe encore un emplacement voisin de celui que Colbert lui avait assigné.

La Bibliothèque fut transférée rue Vivienne en 1666; elle y reçut aussitôt toutes les collections de Gaston d’Orléans, qui, nous l’avons vu, avaient été d’abord portées au Louvre. Cette annexion, en réalité origine du Cabinet des Médailles, était à peine accomplie que par les soins de Colbert, une importante acquisition, celle de la collection formée par l’abbé de Marolles, devenait le point de départ de séries toutes nouvelles 36 qui devaient constituer le quatrième département de la Bibliothèque, le département des Estampes.

Si l’on excepte «les livres d’antiquités romaines tant en taille douce que faits à la main, tailles douces de Rubens et autres divers portraits aussi en taille douce, soit reliés, soit en feuilles,» qui étaient compris dans le legs de Jacques Dupuy et qui étaient venus se placer pour ainsi dire inaperçus à côté de ses livres imprimés et manuscrits, la Bibliothèque ne possédait aucun recueil du genre de ceux qu’avait réunis l’infatigable traducteur de Virgile, Michel de Marolles, abbé de Villeloin. Le tout présentait d’autant plus d’intérêt pour la Bibliothèque que la collection de l’abbé de Marolles, composée de 123,400 pièces, avait été formée en dehors de tout parti pris, dans l’unique but de satisfaire ses goûts d’amateur éclairé[7]. «Il n’entendait pas se réduire à la possession, encore moins à l’étude exclusive de certaines œuvres une fois recommandées par la célébrité d’une école ou d’un homme. Pour parler le langage du temps, les estampes «des plus grands maîtres de l’antiquité» quels qu’ils fussent, les pièces gravées par les orfèvres italiens du XVe siècle, comme les œuvres des artistes appartenant à l’école de Fontainebleau, les gravures anonymes des vieux maîtres allemands, aussi bien que les eaux-fortes hollandaises, en un mot, tout ce qui pouvait, sous une forme quelconque, caractériser 37 les progrès de l’art ou en résumer l’histoire, était recherché, reconnu, conquis, par l’abbé de Marolles avec un zèle et une sagacité dont ses devanciers ne lui avaient laissé que des exemples très-incomplets.»

Un tel but n’avait pu être atteint sans coûter à l’abbé de Marolles de grands soins et beaucoup d’argent. Aussi, en vendant son cabinet au roi pour la somme de 30,800 livres, ne faisait-il pas réellement une cession, il accomplissait un acte de généreux désintéressement, en même temps qu’il se rassurait contre les craintes d’une dispersion, craintes naturelles à tout collectionneur. Conformément au désir de l’abbé de Marolles, les recueils cédés par lui ont été soigneusement conservés à la Bibliothèque, comme ils méritaient de l’être. Après avoir été pendant longtemps comme le type caractéristique et l’essence même du département des Estampes, ils en sont encore montrés comme le plus bel ornement.

En même temps que la célèbre collection de l’abbé de Marolles, la Bibliothèque acquérait des séries importantes de livres et de manuscrits. C’étaient, en 1667, à la vente de Gilbert Gaulmin, doyen des maîtres des requêtes, moyennant une somme de 2,685 livres 5 sols, 557 manuscrits orientaux, parmi lesquels se trouvaient 127 manuscrits hébreux et 4 manuscrits en langue syriaque, qu’on peut regarder comme les premiers éléments des fonds hébreu et syriaque, aujourd’hui constitués au département des manuscrits. A la même époque, la disgrâce de Fouquet fut suivie de la dispersion de la magnifique bibliothèque qu’il possédait dans 38 son château de Saint-Mandé. Colbert saisit cette occasion de faire racheter la série relative à l’histoire d’Italie; cet ensemble, payé 19,300 livres, se composait de plus de onze cents volumes, la plupart imprimés.

La Bibliothèque fut également appelée à profiter des collections que Mazarin avait léguées au Collége des Quatre-Nations. Il s’y trouvait des manuscrits et des imprimés qui faisaient défaut à la Bibliothèque, et celle-ci, de son côté, possédait, à la suite des accroissements successifs des dernières années, nombre de doubles qu’elle avait intérêt à éliminer. Il était naturel que l’un des deux établissements cédât à l’autre ce qu’il avait en trop et demandât en retour ce qui lui manquait. Colbert fit ordonner cet échange par un arrêt royal du 12 janvier 1668, «sa Majesté voulant rendre les dites Bibliothèques plus parfaites et d’un plus grand usage pour le public.» Trois états furent aussitôt dressés, le premier contenait les manuscrits de la Bibliothèque Mazarine, le deuxième les imprimés qui manquaient à la Bibliothèque royale, le troisième les doubles dont cette dernière pouvait disposer. Puis on fit une estimation avantageuse pour la Bibliothèque du roi qui, en échange des doubles qu’elle livra, s’accrut de 2,156 manuscrits et de 3,678 volumes imprimés.

Malgré ses efforts, Colbert ne put procurer au roi la célèbre bibliothèque de MM. de Thou, qui fut acquise par le président Ménars. Mais il acheta au prix de 25,000 livres celle du médecin Jacques Mentel, comptant près de 10,000 volumes et 136 manuscrits (1669). En 1672, il obtint des Carmes de la place Maubert, 39 pour une rente de six minots de sel, la cession de 67 manuscrits et de 18 incunables. Quelques années plus tard, la Bibliothèque recueillit une vingtaine de manuscrits qui avaient fait partie de la riche bibliothèque de Pétau.

Non moins que les livres manuscrits et imprimés, les collections de médailles et d’estampes installées par ses soins dans la Bibliothèque du roi étaient l’objet de la sollicitude du grand ministre. Aux antiquités provenant du cabinet de Gaston d’Orléans, s’ajoutèrent successivement et par voie d’acquisition, les médailles de Pierre Seguyn, doyen de Saint-Germain (1669), le cabinet de M. Lauthier, d’Aix (1670), les collections de M. Tardieu, lieutenant-général, celles de M. de Sere, conseiller d’Etat, du comte de Brienne, la suite de médailles modernes de MM. Le Charron et de Trouenne, dans lesquelles étaient venues se fondre une partie des raretés de Peiresc et les pierres gravées de Bagarris. Le fameux cachet dit de Michel-Ange appartenait à cette dernière collection.

A côté de la collection de Marolles, Colbert, autant pour favoriser l’accroissement du cabinet des estampes, que pour encourager les arts, eut l’idée de confier aux artistes contemporains le soin de reproduire par la gravure les œuvres célèbres des peintres de l’époque ou du siècle précédent et les événements les plus remarquables du règne. Dirigée par Nicolas Clément avec l’aide de Goyton, l’imprimeur du roi, l’entreprise réussit pleinement. En treize ans, de 1670 à 1683, près de 1,000 pièces furent gravées; leur ensemble est 40 connu sous le nom de Cabinet du Roi; elles furent, par ordre de Colbert, déposées dans la Bibliothèque, ainsi que les planches en cuivre qui avaient servi à ces reproductions. Ces planches y restèrent jusqu’en 1812, époque où elles passèrent à l’Administration des Musées.

Colbert ne se borna pas à rechercher tout ce qui pouvait, en France, contribuer au développement de la Bibliothèque; il voulut que les intérêts de ce grand établissement fussent également servis à l’étranger. Fort des pouvoirs dont il disposait, il réalisa ses bienveillantes intentions, soit en donnant à des savants des missions spéciales, soit en signalant aux représentants de la France à l’étranger ce qu’il croyait devoir être utile aux collections royales.

Au savant voyageur Vaillant il confia la mission de parcourir l’Italie, la Grèce, l’Egypte, la Perse, pour y recueillir des médailles. Vaillant en rapporta un nombre considérable, «le nouveau cabinet du Roi, dit Le Prince, en fut presque augmenté de moitié.» MM. de Monceaux et Laîné explorèrent l’Orient. Aux termes des instructions rédigées par Carcavy le 30 décembre 1667, ils avaient à rechercher «de bons manuscrits anciens en grec, en arabe, en persan et autres langues orientales, excepté en hébreu parce que nous en avons icy quantité.» Ils devaient aussi faire rechercher de beaux maroquins dont les peaux vertes ou incarnates soient grandes, en sorte qu’on puisse prendre commodément dans chacune la rellieure de deux grands livres in-folio.» Le P. Jean 41 Wansleb, chargé de visiter la Turquie, y acheta 630 manuscrits orientaux et 30 manuscrits grecs. Paul Lucas, Jean-François Lacroix, Nointel, reçurent également des missions en Orient et procurèrent à la Bibliothèque des manuscrits et des médailles. En 1678, le célèbre Cassini envoyait d’Italie 800 livres de mathématiques et 16 manuscrits, tandis que Verjus ramassait 240 volumes en Portugal.

D’aussi prodigieux accroissements nécessitaient des mesures d’ordre et de conservation. Celui qui avait rétabli la régularité dans le service des finances n’était pas homme à les négliger. Ce fut Nicolas Clément qui fut chargé de la mise en ordre des collections et des travaux de catalogue. Depuis l’inventaire de 1645, le nombre des volumes manuscrits et surtout des volumes imprimés était devenu si élevé qu’il était impossible de l’utiliser pour un nouveau travail. En neuf années, de 1675 à 1684, Clément parvint à faire le catalogue des livres imprimés, alors au nombre de près de 40,000. Divisé, suivant la matière des ouvrages, en vingt-trois séries, à chacune desquelles fut affectée une lettre de l’alphabet, il remplit sept volumes rédigés sur un plan méthodique et six volumes de table alphabétique. Pour les manuscrits, Clément les partagea, d’après la langue, en seize classes ou fonds, et il assigna à chaque division, en tenant compte des formats et de la matière, un certain nombre de cotes qui, pour l’ensemble du catalogue, allaient du no 1 au no 10542. Ces travaux considérables et bien faits ont d’autant plus d’importance qu’avec quelques modifications ils ont servi de 42 règle aux classements et aux catalogues postérieurs. Encore de nos jours, tous les livres du département des imprimés sont répartis, en raison du sujet qui y est traité, en catégories désignées par les lettres de l’alphabet. Pour les parties qui n’ont pu être traitées dans ces derniers temps, le cadre tracé par Clément est resté à peu près le même et les indications données par son catalogue sont toujours de la plus grande utilité.

Tels furent les résultats atteints par Colbert, à l’intérieur et à l’extérieur, dans son administration de la Bibliothèque. De son temps même, la grandeur et l’éclat de ses services ne furent pas méconnus; «Monsieur Colbert, disait un contemporain, n’oublie rien de tout ce qu’il faut pour augmenter et embellir la Bibliothèque, afin de contenter la généreuse inclination de son maître[8]». Aussi avait-il le droit d’être fier, quand, en 1681, le roi vint visiter cet établissement, dès lors sans rival dans le monde, et par cette démarche solennelle, témoigner sa satisfaction et rendre justice à son ministre. «Sa Majesté y vint accompagné de Monseigneur, de Monsieur, de M. le Prince et des plus grands seigneurs de la Cour. Après que le Ministre eût montré ce qui était le plus capable d’attirer l’attention, le roi fit aussi l’honneur à l’Académie des Sciences d’assister à une de ses assemblées qu’elle tenait encore dans la Bibliothèque[9]

43

Colbert mourut en 1683; la même année, Pierre de Carcavy se retira. C’était encore une grande perte pour la Bibliothèque à laquelle il avait rendu d’importants services. Associé aux projets du ministre, nul plus activement que lui n’en avait secondé et poursuivi la réalisation.

DE LA MORT DE COLBERT A LA MORT DE LOUVOIS (1683-1691.)

Louvois, en succédant à Colbert comme surintendant des bâtiments, eut la Bibliothèque dans ses attributions. Cet événement fut suivi de plusieurs modifications dans le personnel. A ce moment, Jérôme Bignon avait encore la charge de maître de la librairie; celle de garde de la librairie était occupée par Louis Colbert, fils du ministre, qui avait été nommé par son père en 1676. Louvois acheta les deux charges et les fit conférer à son fils, âgé de 9 ans, Camille Le Tellier, plus tard abbé de Louvois. L’abbé Gallois, un protégé de Colbert, avait succédé à Carcavy, il fut remplacé par l’abbé Varès, qui lui-même quitta la Bibliothèque en 1684. A la retraite de ce dernier, l’orientaliste Melchisédec Thévenot fut nommé garde de la librairie.

En attendant que son fils fût en âge de remplir ses fonctions, Louvois prit en main la gestion des affaires de la Bibliothèque, et, dirigé par son frère, l’archevêque de Reims, il s’efforça de marcher sur les traces de Colbert. Comme son prédécesseur, il encouragea le zèle des savants et des agents diplomatiques qui 44 faisaient à l’étranger des recherches pour la Bibliothèque. Ses instructions, sans être aussi fructueuses que celles de Colbert, ne restèrent pas sans résultat pour nos collections. En Italie, le célèbre Mabillon recueillit une cinquantaine de manuscrits et plus de 4,000 volumes imprimés pendant que dom Estiennot faisait exécuter des copies à Rome. MM. D’Avaur et d’Alencé en Hollande, M. d’Obeil en Angleterre, M. de la Piquetière en Suède, achetèrent un grand nombre de livres imprimés pour le compte du gouvernement français. L’ambassadeur de France à Constantinople, Girardin, procura à la Bibliothèque, moyennant 400 écus, quinze manuscrits grecs et un latin provenant de la Bibliothèque du Sérail. «En attendant le mémoire de M. Thévenot des livres orientaux que vous désirez pour la Bibliothèque du roi, écrivait-il le 15 septembre 1687 à Louvois, je travailleray, Monsieur, à rechercher ceux mentionnez dans celuy que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser par vostre lettre du 5 juillet.» Girardin ne fit plus d’autre envoi, mais le séjour de Galland à Constantinople et les recommandations de Louvois valurent encore à la Bibliothèque une trentaine de manuscrits grecs et orientaux.

Les acquisitions poursuivies à l’étranger n’empêchaient pas celles qui pouvaient être faites en France. Déjà, en 1683, sur l’ordre du roi, la Bibliothèque avait reçu les papiers de Mézeray trouvés chez lui après sa mort. En 1685, Le Pelletier, contrôleur général des finances, fit remettre douze volumes d’extraits du 45 Trésor des chartes de Bretagne. Cet envoi fut suivi de l’acquisition des manuscrits de Chantereau Lefèvre, intendant de Lorraine, collection qui comprenait 42 volumes relatifs au duché de Lorraine, et de l’entrée de 125 volumes provenant de la bibliothèque de N. Rigault.

Il y avait pour nos collections une source d’accroissements plus féconde et moins onéreuse que les acquisitions dans les règlements qui ordonnaient la remise à la Bibliothèque de tout livre imprimé. Mais ces prescriptions, bien que confirmées à différentes reprises et récemment encore par Colbert, étaient assez irrégulièrement exécutées. Louvois renouvela la mesure en accentuant le caractère de sévérité qu’elle impliquait. Par un arrêt du Conseil du 31 janvier 1689 le roi ordonne «que tous les auteurs, libraires, imprimeurs et graveurs qui ont obtenu des privilèges du roi depuis l’année 1652, pour faire imprimer des livres ou graver des estampes, et qui n’ont pas fourni des exemplaires desdits livres et estampes pour la Bibliothèque de Sa Majesté seront tenus de fournir au garde de ladite Bibliothèque lesdits exemplaires quinze jours après la signification du présent arrêt faite aux syndics de leurs communautés, sous peine de confiscation de tous lesdits livres et estampes et de l’amende de quinze cens livres.» Ces rigoureuses dispositions, qui avaient leur effet non-seulement pour le présent, mais encore pour un passé de trente-sept années, portèrent leurs fruits. Elles procurèrent à la Bibliothèque un nombre 46 considérable de volumes imprimés qui avaient échappé aux prescriptions royales, et l’application qui en fut faite pour la première fois aux productions de la gravure, profita particulièrement à cette série de nos collections qui s’augmenta ainsi de toutes les œuvres des artistes du XVIIe siècle.

En montrant cette sollicitude pour les collections royales, Louvois sans doute était sincère et obéissait à ses goûts «d’honnête homme», comme on disait au XVIIe siècle. Il était toutefois trop habile courtisan pour que son zèle ne fût pas singulièrement stimulé par le désir et la certitude de plaire au roi. L’intérêt que Louis XIV portait à la Bibliothèque semblait en effet augmenter de jour en jour et les médailles notamment attiraient sa curiosité. Aussi Louvois prenait-il toutes les mesures propres à la satisfaire. Le roi avait pour médecin un savant antiquaire, Rainssant, de Reims, qui par la direction de ses études et par son assiduité auprès du prince avait contribué à développer le goût de celui-ci pour les médailles. C’est lui qui, après la retraite de Carcavy, fut chargé de la garde du Cabinet et pourvu du titre «d’antiquaire et garde des médailles de Sa Majesté.» Puis, en 1684, pour mettre les objets immédiatement à la portée du roi, Louvois ordonna le transport à Versailles de toutes les collections de médailles et d’antiquités. Elles y furent installées au château dans une pièce voisine de l’appartement de Louis XIV, «qui prenait plaisir à venir presque tous les jours au sortir de la messe dans ce cabinet.» Rainssant, qui s’était adjoint Oudinet, 47 son parent, s’occupa de les y classer pendant que Louvois s’efforçait d’en augmenter le nombre. Il envoya à cet effet des instructions aux ambassadeurs et continua les missions des savants à l’étranger.

Le Cabinet s’enrichit successivement de la collection de médailles d’or et de bronze formée par le duc de Verneuil, de la suite de médailles en or acquise de M. de Monjoux, d’une série, alors unique en Europe, de 200 médailles des rois de Syrie, de 200 pièces de monnaie des rois de France offertes par le président de Harlay. En même temps l’abbé Bizot recueillait des monnaies modernes achetées pour le compte du roi à l’étranger, M. Fesch donnait une pierre gravée du plus grand prix, et les bénédictins de St-Evre de Toul faisaient présent du célèbre camée représentant l’apothéose de Germanicus. Si la distraction ordonnée par Louvois portait atteinte à l’intégrité de notre grand dépôt, elle ne nuisait pas, on le voit, à la prospérité du Cabinet des Médailles dont le roi rehaussait encore l’éclat par sa haute protection.

L’impulsion donnée par Colbert était donc dignement continuée par Louvois; elle s’étendit aux catalogues, dont la confection fut, sous l’administration du nouveau ministre, activement poursuivie. Clément reprit son premier travail qui n’était plus à jour; il acheva en 1688 un second catalogue des livres imprimés qui remplit quatorze volumes et dont la table alphabétique en 21 volumes fut mise au net plus tard, en 1721, par Buvat. L’inventaire des manuscrits de 1682 avait besoin d’être revu et complété. Cette tâche fut accomplie par 48 des savants que leurs études spéciales désignaient pour ce travail. L’israélite converti, Louis de Compiègne, qui était en relations avec Bossuet, fut chargé des manuscrits hébreux. L’abbé Renaudot revit son travail et commença le catalogue des manuscrits syriaques. D’Herbelot s’occupa des manuscrits arabes, Dipy et Petis de la Croix des manuscrits turcs et persans, Du Cange, Cotelier des manuscrits grecs. Mabillon, Ruinart et d’autres religieux de St-Germain-des-Prés, participèrent à l’inventaire des manuscrits latins. Ces savants composèrent ainsi 8 volumes de notices d’une grande exactitude qui servirent de base au catalogue imprimé de 1739.

Dans son catalogue de 1688, Clément nous apprend que la Bibliothèque renfermait à cette époque 43,000 volumes imprimés; les manuscrits s’élevaient à plus de dix mille, et de même que naguères rue de la Harpe, l’emplacement commençait à manquer rue Vivienne. La question du transport des collections dans un endroit plus vaste et plus susceptible d’agrandissements se posa dans l’esprit de Louvois comme elle était venue à celui de Colbert. Une occasion bonne à saisir se présentait. Le roi venait de faire l’acquisition de l’hôtel Vendôme, et l’idée d’y installer nos collections était de nature à répondre à la fois au caractère monumental des bâtiments qu’on devait construire sur l’emplacement de cet hôtel, aux besoins de la Bibliothèque et à la sollicitude du roi. Louis XIV approuva le projet; l’exécution en fut confiée à Mansard, on dressa des plans, on fit des devis, les travaux même furent commencés, mais la mort de Louvois, en 1691, mit à 49 néant l’entreprise: «Aussitôt que M. de Louvois fut mort, dit Saint-Simon, le premier soin du roi fut d’envoyer arrêter le bâtiment.» Il semble qu’il n’y ait eu pour regretter l’abandon de ce projet que Boivin qui, quelques années plus tard, écrivait à l’abbé de Louvois: «Estant allé l’autre jour chez une personne de mes amis, qui demeure un peu au-dessus de l’église de Saint-Roch, j’eus la curiosité, en revenant, de passer par la place de Vendôme. La démolition étoit déjà commencée vers le milieu de la place. Ce spectacle m’affligea d’abord. Je tournay ensuite les yeux vers les arcades qui avaient été destinées à la galerie de la Bibliothèque. A cette veue, je me sentis soudain monter à la teste un feu violent causé par l’indignation.»

DE LA MORT DE LOUVOIS A LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XIV (1691-1715).

A la mort de Louvois, son fils n’avait encore que 17 ans. Son goût des livres et son amour de la science étaient garants de son dévouement aux intérêts de la Bibliothèque. Tout enfant, il avait étonné, par son savoir précoce et en particulier par sa connaissance de la langue grecque, une réunion des premiers personnages de la cour que son père avait invités à l’hôtel Vivienne. Jeune homme, il occupait ses loisirs à relier des manuscrits[10]. Il avait d’ailleurs un guide éclairé dans son oncle l’archevêque de Reims qui conserva la haute 50 direction que, du vivant de Louvois, il avait eue sur les affaires de la Bibliothèque.

L’expérience et l’appui de ce célèbre amateur étaient d’autant plus nécessaires au jeune bibliothécaire que par arrêt du Conseil du 21 juillet 1691, le roi venait d’augmenter encore sa responsabilité et de donner un nouvel éclat aux titres de maître de la librairie et de garde de la Bibliothèque, titres dont la réunion avait été faite pour la première fois en sa faveur. Jusqu’alors, ces fonctions relevaient du surintendant des bâtiments, et nous avons vu que sous Colbert et Louvois, elles n’étaient, pour ainsi dire, qu’une fiction. Louis XIV voulut les rendre indépendantes en plaçant le «maître de la librairie, intendant et garde du Cabinet des livres, manuscrits, médailles et raretés antiques et modernes, et garde de la Bibliothèque de sa Majesté, sous l’autorité de Sa Majesté seulement....» Le même arrêt portait que toutes les dépenses concernant la Bibliothèque devaient être «ordonnées par sa Majesté et les estats et ordonnances signées d’elle, et contre-signées par le secrétaire d’Estat et des commandements ayant le département de sa maison.»

Peu de temps après la publication de cet arrêt, Melchisédec Thévenot quitta la Bibliothèque, et en récompense de ses nombreux travaux, N. Clément fut nommé à sa place commis en titre. L’emploi laissé vacant fut occupé par Jean Boivin[11], qui suivit dans 51 l’accomplissement de ses fonctions l’exemple de zèle et de dévouement donné par son devancier.

L’abbé de Louvois répondit à la confiance du roi par une mesure dont l’importance, à cette époque, n’échappa à personne. Il songea à faire profiter le monde savant de collections qui jusqu’alors n’avaient été accessibles qu’à de rares privilégiés. On lit dans le numéro de novembre 1692 du Mercure: «M. l’abbé de Louvois voulant rendre la Bibliothèque utile au public a résolu de l’ouvrir deux jours de chaque semaine à tous ceux qui voudront y venir étudier; il a déjà commencé et il régala d’un magnifique repas plusieurs sçavans le jour de cette ouverture.» Ce premier essai de publicité ne fut malheureusement pas continué, mais le principe était posé pour l’avenir.

La nouvelle situation faite au bibliothécaire du roi par l’arrêt de juillet 1691 ne pouvait que tourner au profit des collections dont il avait la garde. Toutefois cet avantage ne se réalisa pas immédiatement et les années qui suivirent cette réorganisation ne furent pas aussi fertiles que celles qui l’ont précédée. Durant la période de 1691 à 1700, il n’y a guère à signaler que l’acquisition de 13 manuscrits, débris de la bibliothèque de Julien Brodeau, l’entrée par voie d’échange de 24 manuscrits arméniens et le don de 49 volumes chinois offerts à Louis XIV par l’empereur de la Chine, par 52 l’intermédiaire du Père Bouvet, missionnaire jésuite. Cet envoi, qui ouvrait à la Bibliothèque la série nouvelle des livres chinois, méritait d’être encouragé. Le roi, en retour de cette gracieuseté du souverain du Grand Empire, lui fit présent d’un exemplaire richement relié du Cabinet du roi. Ce premier fonds ne tarda pas à s’augmenter, par les soins du P. de Fontenay, de 12 volumes chinois et tartares.

En 1700, on acheta pour 970 livres 35 volumes manuscrits reliés aux armes de Le Ragois de Bretonvilliers. Cette même année, la Bibliothèque recevait en don plus de cinq cents manuscrits grecs, latins, français, orientaux, etc., dont l’archevêque de Reims se défit en sa faveur. N. Clément n’était pas étranger à cette détermination, dernière marque de la sollicitude du prélat pour nos collections, et tout joyeux, il terminait ainsi la lettre par laquelle il annonçait cette bonne nouvelle à l’abbé de Louvois: «Je ne vous fais point mes réflexions sur cette nouvelle conqueste; elle est très-considérable; il y a plus de cinq cents manuscrits, dont la moitié sont de quelque mérite, et plusieurs d’un mérite singulier.» Ces manuscrits provenaient de différentes sources, un grand nombre avaient appartenu à Ch. de Montchal, archevêque de Toulouse, et d’autres à Antoine Faure. Peu de temps après, plus de deux cents volumes ayant cette dernière origine furent achetés moyennant 1,500 livres, pendant que l’abbé de Louvois, dans le voyage qu’il fit en Italie en 1700, ramassait des manuscrits et surtout des livres imprimés qu’il déposa à la Bibliothèque à son 53 retour. En 1706, à la dispersion de la célèbre bibliothèque des Bigot, on recueillit encore pour le prix de 1,500 livres plus de 500 manuscrits importants dont beaucoup se rapportaient à l’histoire de Normandie.

L’année 1707 fut marquée par un événement malheureux pour la Bibliothèque. Un prêtre renégat natif du Dauphiné et réfugié à La Haye, Jean Aymont, était parvenu à surprendre la confiance de Clément. Grâce à la protection de ce dernier, il obtint de revenir en France; et toutes facilités lui furent données pour pénétrer dans la Bibliothèque. Clément l’y laissait travailler seul; il put ainsi très-aisément commettre le vol qu’il préméditait et qui ne fut découvert que quand il eut repassé en Hollande. Onze manuscrits de valeur avaient été dérobés par ce misérable, d’autres plus importants encore, comme la Bible de Charles-le-Chauve, avaient été indignement lacérés. Clément mit la plus grande diligence à se rendre compte de l’étendue du mal; on fit des réclamations, des poursuites furent commencées, mais elles demeurèrent à peu près sans résultat. La Bibliothèque ne rentra en possession que d’une trentaine de feuillets qui lui furent libéralement restitués par le Cte d’Oxford.[12]

Cette triste affaire empoisonna les dernières années de Clément; sa santé en fut atteinte et il mourut en 1712. Son imprudence, dont il fut la première victime, 54 ne doit pas nous faire oublier les éminents services de cet humble et honnête savant qui consacra son existence laborieuse à des rangements et à des catalogues de la première utilité, et qui, avant de mourir, donna un nouveau témoignage de sa constante sollicitude pour la Bibliothèque, en lui léguant sa collection de portraits. Ce recueil qui contenait plus de dix-huit mille pièces avait été formé par Clément surtout en vue de l’historien; l’authenticité de la pièce par rapport au personnage dont elle était l’image passait aux yeux de Clément avant sa valeur artistique; cette préférence était bien naturelle au collectionneur dont la science, plus encore que l’art, avait occupé toute la vie. Tel quel, cet ensemble avait une importance capitale pour le département des Estampes, car indépendamment de sa valeur intrinsèque, il y commençait une collection toute nouvelle, cette galerie incomparable de portraits, qui continuée et accrue dans le même esprit que son fondateur, est une des séries du département le plus souvent et le plus utilement consultées.

Avec la donation de Clément, nous arrivons à la fin du règne de Louis XIV. Avant qu’elle fût un fait accompli, la Bibliothèque avait eu à enregistrer de nouveaux accroissements. C’étaient en 1707 quatorze volumes tartares non réclamés à la douane et que le roi ordonna de faire porter à la Bibliothèque; en 1708, une vingtaine de manuscrits orientaux recueillis en Orient par Paul Lucas. La même année, deux volumes de cartes d’Irlande avaient été donnés à la Bibliothèque par M. de Valincourt, secrétaire général de la marine; 55 mais avant d’entrer dans nos collections, ces cartes furent communiquées au géographe Delisle et remises par sa veuve seulement en 1727. En 1709 les papiers du célèbre historien André du Chesne entrèrent à la Bibliothèque, à la suite de la condamnation de J. Haudiquer de Blancour accusé de contrefaçon de titres de noblesse, dont les papiers furent confisqués. Quelques années plus tard, la vente de la bibliothèque de Melchisédec Thévenot fit arriver 290 manuscrits dans la série orientale qui s’accrut encore en 1714 de 50 volumes rapportés d’Orient par P. Lucas et de 62 volumes donnés par Ant. Galland avec ses livres et ses papiers. Mais le fait dominant dans nos annales de cette époque, c’est la disposition que Gaignières prit en faveur de la Bibliothèque en 1711 et par laquelle il donnait au roi sa célèbre collection.

«On a peine à comprendre, dit Le Prince, comment un seul homme dont la fortune était bornée, avait pu rassembler chez lui et mettre en ordre tant de pièces différentes, imprimés, manuscrits, estampes, dessins, tableaux, cartes géographiques, etc., et se former un cabinet rare et précieux, qui fut pendant longtemps l’admiration des curieux.»

La conception d’un plan aussi large que celui de Gaignières, et la réalisation qu’à l’aide de ses faibles ressources[13] il en poursuivit avec autant de persévérance 56 que de succès ne peuvent en effet s’expliquer que par l’enthousiasme et l’énergie que la science donne à ceux qui l’aiment. Il avait formé le projet de réunir tout ce qui, à un degré quelconque, intéressait l’art, l’histoire et l’archéologie de notre pays. Documents manuscrits et imprimés, costumes, monuments, personnages, représentations d’événements politiques et militaires, rien ne fut oublié dans sa galerie qu’on pourrait comparer à une vaste encyclopédie figurée de la France du moyen âge.

Avec des données aussi étendues, Gaignières ne pouvait pas espérer n’avoir que des documents originaux; aussi sa collection, bien que renfermant un assez grand nombre de pièces authentiques, était composée, en majeure partie, de reproductions copiées ou dessinées par ses soins. Mais comme ces reproductions ont toujours été faites sur l’original même, il en résulte que, malgré leur imperfection relative et très-explicable, elles sont encore de la plus grande utilité pour l’historien et l’archéologue. S’agit-il par exemple d’un personnage? Gaignières leur donnera un portrait soit gravé, soit dessiné d’après un manuscrit ou d’après quelqu’autre monument authentique: peut-être se trouvera-t-il avoir relevé son épitaphe; si le personnage a écrit, notre amateur aura recueilli ou fait copier sa correspondance. A ces renseignements s’ajouteront de précieuses indications sur les costumes, les usages, les mœurs de ses contemporains, sur l’art à l’époque où il a vécu, sur les faits marquants dont il a pu être le témoin, tout cela pris aux meilleures sources, manuscrits, 57 inscriptions, sceaux, tapisseries, tombeaux, vitraux, etc.

Gaignières n’épargna ni ses faibles ressources, ni les fatigues, ni les voyages pour arriver à un résultat aussi complet. On le voit dans toutes les parties de la France, actif et entreprenant, à la recherche des monuments de notre histoire. Le plus souvent il est accompagné de deux hommes dévoués qui le secondèrent activement dans son entreprise, son valet de chambre, Barthélemy Rémy et un dessinateur peu connu, Boudan. Le premier était chargé de copier les manuscrits ou d’en faire les extraits, mission dont il s’acquitta fort bien, le second s’occupait des reproductions dessinées. Leur désintéressement, qui permit à Gaignières d’accomplir la tâche qu’il s’était imposée, mérite d’être rappelé; on est touché de voir qu’en échange de ses nombreux et excellents services, Rémy touchait 200 livres par an. Boudan n’était pas mieux payé. On lit entre autres articles dans un mémoire des prix dont Gaignières était convenu avec lui pour son travail: «les armes croquées à l’ancre un liard la pièce.»[14]

La vie entière de ces trois hommes est, pour ainsi dire, dans la collection, fruit de leurs efforts réunis. Aussi l’idée d’une dispersion était-elle particulièrement pénible à celui qui en avait eu l’idée et qui en avait si laborieusement réuni les matériaux. Le seul moyen d’en assurer la conservation était de la faire 58 entrer dans la Bibliothèque du roi. Gaignières prit cette résolution avec une généreuse spontanéité.

Par un acte authentique rédigé en présence de M. de Torcy le 19 février 1711, il déclarait que «travaillant depuis longtemps avec un soin, une étude et une aplication continuelle à la recherche de différents manuscrits curieux touchant l’histoire et autres matières, et à la recherche de tableaux, estampes et autres curiositez, il voyoit avec plaisir que le succès en avoit été assez heureux pour avoir rassemblé plus de deux mil manuscrits et une quantité considérable de livres, tableaux, estampes et curiositez qui composoient actuellement ses cabinets et gallerie; qu’il seroit fâché qu’après lui ils fussent dispersez et tombassent en différentes mains, de sorte qu’ayant dessein de les laisser à la postérité, il croyoit qu’il ne pouvoit mieux faire pour les conserver que d’en faire présent au roy.» En dédommagement, M. de Torcy s’engageait à servir à Gaignières, indépendamment d’une somme de 4,000 écus qui lui fut comptée immédiatement, une rente viagère de 4,000 livres, et à payer 20,000 livres aux héritiers du donateur.

Dans le même acte Gaignières avait stipulé qu’il se réservait la jouissance de ses collections jusqu’à sa mort. Cette clause devint entre les mains de Clairembault une arme contre celui dont il passait pour l’ami et le confident. La conduite de Clairembault, en toute cette affaire, est d’autant plus méprisable qu’elle servit à colorer, par des calomnies, ses convoitises personnelles. A son instigation, M. de Torcy se prit à 59 suspecter la loyauté de Gaignières dont la maison, les personnes mêmes furent espionnées par les agents du ministre. Puis il donna l’ordre à Clairembault de dresser un inventaire de manière, donnait-on comme prétexte, à ce que rien ne pût être détourné dans le cas où l’usufruitier viendrait à mourir; en réalité cet acte était une mesure de méfiance contre Gaignières lui-même.

Sa mort qu’on semblait attendre avec impatience arriva le 27 mars 1715, et Clairembault fut chargé de prendre possession des collections appartenant à la Bibliothèque; c’est en 1716 seulement que les intentions de Gaignières furent exécutées. Sa donation comprenait 2,910 volumes imprimés, 2,407 manuscrits, 24 recueils de modes, 31 d’inscriptions tumulaires, 133 de pièces topographiques, 210 portefeuilles de portraits, 4,400 monnaies et médailles, 690 tableaux. L’abbé de Louvois, après avoir reçu la collection, en fit retirer les articles qui lui semblaient sans intérêt pour la Bibliothèque et dont la vente ordonnée par un arrêt du 6 mars 1717 produisit près de 17,000 livres.

Tel qu’il entrait à la Bibliothèque, le Cabinet de Gaignières n’était pas intact. Plus de cent volumes, sans compter plusieurs articles importants qui n’ont pas été retrouvés, étaient restés dans les mains de Clairembault et ils ne firent retour que beaucoup plus tard au dépôt auquel ils appartenaient. Cette soustraction ne fut pas la seule au XVIIIe siècle. Entre l’année 1785 et l’année 1808, 24 portefeuilles contenant des dessins de tombeaux disparurent de la Bibliothèque et 60 passèrent en Angleterre. Acquis par un antiquaire Anglais, Richard Gough, ils furent légués par lui à la Bibliothèque d’Oxford en 1809. Heureusement la section d’archéologie du Comité des travaux historiques, sur le rapport de M. Dauban, s’occupa en 1860 de combler ce déficit, en faisant exécuter par M. Frappaz les calques des pièces manquantes. Par suite de cette utile mesure, la collection de Gaignières est maintenant conservée à la Bibliothèque à peu près complète. D’abord maintenue dans son ensemble dans le fonds des manuscrits, elle a été divisée en 1740, suivant la nature des pièces qui la composent, entre les quatre départements de la Bibliothèque. La valeur et l’utilité de ces documents n’ont fait que s’affirmer depuis le jour où Montfaucon, dans son célèbre ouvrage sur les Monuments de la Monarchie Française, écrivait: «Le devoir et la reconnaissance m’obligent à faire mention de ceux qui m’ont prêté les secours nécessaires pour cet ouvrage: le public sera peut-être bien aise de savoir à qui il en est redevable. Les recueils de feu M. de Gaignières, mon ami, sont les premiers en date. Sans cette avance, je n’aurais jamais pu faire une telle entreprise. Il m’a frayé le chemin en ramassant et faisant dessiner tout ce qu’il a pu trouver de monuments dans Paris, autour de Paris, et dans les provinces. Il y a employé de grosses sommes. Je lui ai donné souvent des recommandations pour nos abbayes où il allait faire ses recherches, menant toujours avec lui son peintre. Je ne savais pas alors qu’en lui faisant plaisir, j’agissais 61 pour moi; ce n’est que depuis sa mort que j’ai formé le plan que j’exécute aujourd’hui, et sans ce secours, je n’aurais jamais pu fournir aux frais immenses qu’il aurait fallu faire pour dessiner tant de monuments, d’après les originaux dont plusieurs sont fort éloignés de Paris. Les portefeuilles sont à la bibliothèque du Roi, d’où par la faveur et la protection de M. l’abbé Bignon, j’ai tiré une bonne partie des pièces qui entrent dans cet ouvrage.»

L’importante donation de Gaignières termine glorieusement la liste des accroissements de la bibliothèque dont Louis XIV vit la suite presque continue depuis son avènement jusqu’à sa mort. Dans Le siècle de Louis XIV, Voltaire dit: «La Bibliothèque royale, déjà nombreuse, s’enrichit sous Louis XIV de plus de trente mille volumes.» Cette évaluation est au-dessous de la réalité. Les catalogues de 1645 rédigés par les frères Dupuy accusent en effet un nombre de 5,000 volumes; à la mort de Louis XIV, la Bibliothèque en possédait plus de soixante-dix mille[15] sans compter les médailles et les estampes qui entrent pour une part importante dans les acquisitions de ce règne.


LA BIBLIOTHÈQUE AU XVIIIe SIÈCLE


ADMINISTRATION DE JEAN-PAUL BIGNON. (1718-1741).

Quelque fertile qu’ait été pour nos collections l’époque de Louis XIV, elle devait être encore dépassée par le règne qui suivit et qu’on a pu sans exagération appeler l’âge d’or de la Bibliothèque. Dans les mains habiles de l’abbé Jean-Paul Bignon, dont la science était à la hauteur du dévouement, elle va prendre le rôle important qu’elle doit jouer dans le monde lettré, conquérir, avec un local répondant à sa grandeur, une organisation presque définitive et s’accroître dans des proportions réellement extraordinaires.

En 1715, l’abbé de Louvois était encore bibliothécaire du roi, il mourut jeune encore en 1718[16]. Son successeur fut pris dans cette famille, qui avait déjà donné deux 64 de ses membres à la Bibliothèque: l’abbé Jean-Paul Bignon était le fils de Jérôme, le prédécesseur de l’abbé de Louvois. Les lettres patentes du 15 septembre 1719 annonçaient ainsi sa nomination: «La charge de maître de notre librairie, intendant, garde de notre cabinet des livres, manuscrits, médailles et raretés de notre Bibliothèque, étant vacante par le décès du sieur abbé de Louvois, nous avons choisi pour la remplir notre cher et bien-aimé Jean-Paul Bignon, abbé de Saint-Quentin en l’Isle, doyen de Saint-Germain l’Auxerrois, conseiller ordinaire en notre conseil d’Etat, président de nos Académies des sciences et belles-lettres, et l’un des quarante de l’Académie française. Son goût pour les lettres, son application à tout genre d’érudition, les connaissances qu’il a acquises, la justesse de son discernement, son zèle et sa fidélité concourent avec la satisfaction que nous éprouvons à rendre en cette occasion un honneur dû à la mémoire de ses pères, en confiant à un de leurs descendants le soin d’une Bibliothèque qui a si longtemps été entre leurs mains pendant le siècle passé, et qu’ils ont enrichie du fruit de leurs veilles.»

Nul choix ne pouvait être plus heureux pour la Bibliothèque. Il fallait en effet toutes les qualités et toute l’influence du nouveau bibliothécaire pour entreprendre et mener à bonne fin les réformes qu’il méditait. Tout d’abord il voulut reconnaître les collections dont la garde venait de lui être confiée et il en fit ordonner l’inventaire. Un arrêt du 20 septembre 1719 prescrivit un récolement général de toutes les collections. Sous 65 la présidence du ministre M. de Maurepas, et conjointement avec l’abbé Bignon et les gardes de la Bibliothèque, MM. de Boze et Fourmont, désignés par le roi, exécutèrent ce travail, qui ne fut terminé qu’en 1720.

Parmi les avantages que la Bibliothèque retira de cette utile opération, un des plus importants fut sa constitution en quatre départements. L’abbé Bignon comprit qu’avec le nombre et la diversité des collections, il fallait, pour rendre la surveillance efficace, les grouper en séries distinctes et méthodiques et placer à leur tête un homme qui, pour la partie commise à sa garde, partagerait et soulagerait la responsabilité du bibliothécaire. De la sorte, il donnait à ce chef de section une indépendance propre à stimuler son zèle et à des collections d’ordre tout différent un défenseur d’autant plus autorisé qu’il était à même d’en avoir une connaissance plus approfondie. Quatre départements furent donc créés à la Bibliothèque, c’étaient: 1o les manuscrits, 2o les imprimés, 3o les titres et généalogies[17], 4o les planches, gravées et estampes. Boivin fut préposé à la garde des manuscrits; l’abbé de Targny, qui avait succédé à Clément, fut plus particulièrement chargé des livres imprimés, Guiblet, des titres et généalogies, et Le Hay, des estampes. La création des interprètes, savants spéciaux attachés sous ce titre aux sections de livres en langue étrangère, date également de cette époque.

66

Cette utile réorganisation accomplie, il y avait une autre réforme non moins urgente, mais plus difficile à réaliser. Le récolement de 1720 avait démontré la nécessité d’un agrandissement des locaux de la Bibliothèque. Depuis l’époque en effet où Louvois avait proposé vainement d’affecter l’hôtel Vendôme à des collections, déjà à l’étroit à ce moment, les accroissements s’étaient succédé, et rien n’avait été fait dans cet ordre de choses. Il avait été question d’une installation au Louvre, mais les appartements que l’abbé de Louvois, auteur du projet, avait en vue, venaient d’être occupés par l’infante d’Espagne, la fiancée du jeune roi. Le problème se représentait donc tout entier, et la solution en paraissait encore éloignée.

Un événement, au moins en ceci heureux, vint servir à souhait les désirs de l’abbé Bignon. A la mort de Mazarin, son palais, qui occupait une large bande de terrain comprise entre les rues de Richelieu et Neuve-des-Petits-Champs, avait été divisé: la partie sur la rue de Richelieu échut au marquis de Mancini, le mari de la nièce du cardinal, et elle était devenue l’hôtel de Nevers. Ces bâtiments, achetés par le roi sous la régence, avaient servi de local à la banque de Law, et la ruine du financier, arrivée en 1721, les rendait vacants. Les donner à la Bibliothèque, logée en face, semblait une mesure d’autant plus sage que dans cette combinaison il ne s’agissait plus pour elle d’un déplacement toujours dangereux, mais d’un simple agrandissement. L’abbé Bignon s’emploie aussitôt avec la plus grande activité, et par son crédit auprès du régent il 67 obtient l’autorisation nécessaire. On ne perd pas un instant; l’arrêt du Conseil est du 13 septembre 1721, «le 1er octobre, dit Buvat, on commença le transport des manuscrits de la Bibliothèque du roi à l’hôtel de Nevers.»

Toutefois ce ne fut qu’en 1724, après bien des difficultés, grâce aux efforts infatigables de l’abbé Bignon et à la protection du comte de Maurepas, que cette prise de possession fut définitivement ratifiée. Les lettres patentes du 16 mai 1724 affectaient «à perpétuité l’hôtel de Nevers à la Bibliothèque. On s’occupa alors à faire dans cette grande maison des dépenses vraiment royales, pour donner à cette Bibliothèque, par rapport à la commodité et aux embellissements extérieurs, toutes les décorations qu’elle méritait[18].» L’architecte de Cotte eut la direction de tous ces travaux. Quant au palais Mazarin proprement dit, c’est-à-dire, les bâtiments de la rue Neuve-des-Petits-Champs, ils continuèrent d’être occupés par des services étrangers à la Bibliothèque.

Dans la poursuite de ces projets d’agrandissement qui avaient si bien réussi, l’abbé Bignon cherchait un autre résultat que la facilité de loger nos collections; il avait l’intention d’en ouvrir l’accès au public, ce qui n’était guère possible dans le local de la rue Vivienne. Nous avons vu que l’abbé de Louvois avait tenté un premier essai dans ce sens; avant lui, Colbert avait compris toute l’utilité d’une pareille mesure et, sans 68 rendre encore la Bibliothèque publique, il en avait facilité l’entrée aux savants français et étrangers qui avaient besoin d’y travailler. Mais jusqu’au XVIIIe siècle, tout s’était borné à des prêts consentis dans des conditions exceptionnelles ou à des communications sur place dont l’autorisation passait pour une véritable faveur. L’esprit libéral et éclairé de l’abbé Bignon alla plus loin. Le 11 octobre 1720 un arrêt du Conseil, rendu sur sa demande, ordonna la publicité de notre dépôt: «La Bibliothèque du Roy sera ouverte à tous les sçavans de toutes les nations, en tout temps, aux jours et heures qui seront réglez par le Bibliothécaire de Sa Majesté, et il sera préparé des endroits convenables pour y recevoir lesdits sçavans, et les mettre en état d’y vacquer à leurs études et recherches avec toute commodité. Outre lesdites entrées accordées aux sçavans, la Bibliothèque sera ouverte au public une fois la semaine depuis onze heures du matin jusqu’à une heure de l’après-midi; et seront alors toutes les personnes que Sa Majesté a déjà attachées à ladite Bibliothèque, ainsi que les autres qu’Elle se propose d’y attacher encore, sous les ordres dudit sieur Bibliothécaire, obligées de se trouver durant ledit temps ès-sales, cabinets et galeries d’icelle, pour satisfaire la curiosité de tous ceux que l’envie de s’instruire y attirera.»

L’ouverture prescrite fut suspendue par l’installation des collections dans l’hôtel de Nevers, mais elle fut rétablie dès que le permirent les travaux d’aménagement entrepris dans les nouveaux bâtiments, vers 1743.

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Ces améliorations donnèrent un nouvel éclat à la Bibliothèque, elles firent valoir son utilité et ses richesses: sans nul doute elles attirèrent et justifièrent les donations et les acquisitions dont le nombre et l’importance ne laissent pas d’étonner même de nos jours, à plus d’un siècle de distance.

L’abbé de Louvois était encore à la tête de la Bibliothèque, quand le 22 novembre 1717, Charles d’Hozier fit présent au roi de la collection généalogique commencée par Pierre d’Hozier, son père, et continuée par lui. Tous deux, «généalogistes de la maison de Sa Majesté,» avaient été à même de réunir un grand nombre de pièces concernant les familles nobles de France. Dans l’acte de cession dressé par le notaire, Charles d’Hozier déclare que c’est un «cabinet curieux composé de manuscrits, généalogies, preuves de noblesse, titres originaux, extraits, mémoires de famille, lettres écrites tant à lui qu’au dit feu sieur son père, beaucoup de volumes imprimés sur lesquels ledit feu sieur son père et lui ont mis des notes, lettres d’annoblissements, réglements d’armoiries et diverses recherches considérables.» La crainte d’une dispersion lui fit donner ces documents au roi qui, en dédommagement, lui alloua une pension viagère de 2,000 livres. Cette cession désintéressée consistait en 250 volumes ou portefeuilles contenant des pièces et documents généalogiques, en mémoires et lettres adressés à Pierre d’Hozier et en 875 volumes imprimés annotés. Les pièces généalogiques, auxquelles Clairembault, chargé du classement, 70 réunit les documents du même genre qui se trouvaient dans la collection Gaignières, devinrent le noyau du Cabinet des titres. Cette section était assez considérable pour former trois ans plus tard le quatrième département de la Bibliothèque.

La collection d’Hozier, dont l’acquisition avait été négociée sous l’administration de l’abbé de Louvois, mais dont l’entrée à la Bibliothèque n’eut lieu qu’en 1720, ne fut pas la première que reçut l’abbé Bignon. Son prédécesseur en mourant avait voulu donner une dernière preuve d’attachement au dépôt dont il avait eu la garde durant 35 années, en lui léguant ses manuscrits. On en comptait environ trois cents, presque tous modernes et relatifs aux événements du XVIIe siècle.

Philippe de La Mare possédait des manuscrits qui ne présentaient pas seulement d’intérêt pour l’histoire du XVIIe siècle: l’histoire de France en général, celle du XVIe siècle en particulier, l’antiquité, étaient représentées dans la bibliothèque qu’il tenait de son père, Philibert de La Mare, héritier des papiers de Saumaise. Cette importante collection, vendue à la mort de Philippe de La Mare, allait passer en Hollande, quand le Régent donna ordre de l’acheter. C’était un accroissement de plus de 600 manuscrits.

Ce que l’on avait fait pour la collection Philippe de La Mare en 1718, on le fit en 1719 pour une bibliothèque encore plus précieuse, celle d’Etienne Baluze[19]. Ce célèbre érudit avait disposé de ses magnifiques collections 71 en faveur d’une dame Le Maire. Son testament renfermait même cette clause singulière: «Je défends et prohibe expressément la vente de ma Bibliothèque en gros, voulant qu’elle soit vendue au plus offrant et dernier enchérisseur, afin que les curieux en puissent avoir leur part, y ayant une très-grande quantité de livres rares, difficiles à trouver que les gens de lettres seront bien aises d’avoir l’occasion d’acquérir.» Il était cependant bien important que ces collections, au moins celles qui étaient manuscrites, ne fussent pas perdues pour la Bibliothèque. Chargé pendant 33 ans de l’administration de la bibliothèque de Colbert, Baluze n’avait rien négligé pour la formation de la sienne. Avec son activité surprenante, il avait réuni, fait copier ou copié lui-même des documents originaux d’un intérêt capital pour l’histoire du moyen âge, auxquels sa vaste érudition et sa compétence bien connue donnaient encore une plus grande valeur. Le catalogue de sa bibliothèque publié en 1719 sous le titre de Bibliotheca Baluziana n’indiquait pas moins de 957 volumes manuscrits, près de 700 chartes et 7 armoires remplies de papiers modernes. Une pareille collection avait sa place marquée dans la Bibliothèque du Roi, et l’abbé Bignon obtint d’en faire l’acquisition. Une première évaluation de 16,000 livres ne parut pas suffisante à la propriétaire, il fallut porter cette somme à 30,000 livres, moyennant laquelle près de quatorze cents volumes entrèrent au département des manuscrits.

Tous les actes de l’abbé Bignon concouraient à la 72 prospérité de la Bibliothèque. En 1720, il adjoignit aux fonctions de Bibliothécaire du roi les charges de garde du Cabinet du Louvre et de bibliothécaire de Fontainebleau qu’il acheta l’une de Dacier, l’autre des héritiers de M. de Sainte-Marthe. Le Cabinet du roi au Louvre, formé par Henri IV pour son usage particulier, renfermait alors beaucoup de manuscrits venus de la librairie du cardinal d’Amboise et remarquables par leur ancienneté et la beauté de leurs miniatures, ainsi qu’un bon nombre d’ouvrages exécutés en l’honneur de rois. La réunion des charges obtenues par l’abbé Bignon préparait la fusion de ces collections dans celles de la Bibliothèque; elle eut lieu de 1723 à 1732. Plusieurs volumes conservés dans le château de Versailles ne tardèrent pas à être également versés dans notre grand dépôt.

Les recueils que Morel de Thoisy, lieutenant-général au bailliage de Troyes, avait formés au commencement du XVIIIe siècle sur les matières ecclésiastiques et historiques, sur la jurisprudence et les belles-lettres, renfermaient plus de soixante-dix mille pièces tant imprimées que manuscrites. Lui-même en avait fait un premier classement en 646 volumes. Comme il l’écrivait avec un légitime orgueil, «parmi ces pièces, il y en avait une quantité considérable, les unes originales, les autres très-rares.» La juste appréciation que Morel de Thoisy faisait de ce célèbre recueil n’en rend que plus honorable pour sa mémoire la déclaration en date du 10 juillet 1725 par laquelle il l’offrit généreusement au roi.

73

Ces volumes furent attribués au département des Imprimés où ils sont encore conservés. Il en fut de même de l’importante collection musicale léguée au roi en 1725 par Sébastien de Brossard, chanoine de Meaux. Bien qu’il s’y trouvât un certain nombre de volumes manuscrits, elle fut déposée au département des Imprimés[20]. Le legs de Brossard y commença heureusement la série musicale. «Ce cabinet est des plus nombreux et des mieux assortis qu’on connaisse. Pendant plus de cinquante années, le possesseur n’a épargné ni soins ni dépenses pour en faire le recueil le plus complet qu’il soit possible de tout ce qu’il y a de meilleur et de rare en musique, soit imprimé, soit manuscrit. La première partie du recueil contient les auteurs anciens et modernes, tant imprimés que manuscrits, qui ont écrit sur la musique en général; la seconde partie renferme les praticiens; elle consiste en un grand nombre de volumes ou de pièces, la plupart inédits. C’est une réunion de tous les genres de musique sacrée et profane, vocale et instrumentale, où tout est disposé avec ordre, ainsi qu’on peut s’en assurer par le catalogue que Brossard a remis à la Bibliothèque de sa Majesté[21]

74

Depuis 1726, on s’occupait de faire copier les actes authentiques du Conseil de Bâle qui étaient devenus la propriété de la ville de Bâle. Baluze, puis l’abbé Jourdain, avaient entrepris ce travail qui ne fut achevé qu’en 1724, par les soins d’Eusèbe de Laurière, avocat au Parlement. En 1725, vingt-neuf volumes contenant la copie de ces documents utiles à l’histoire de l’église gallicane furent déposés au département des manuscrits.

De la fameuse bibliothèque que possédait Foucault, successivement intendant dans les généralités de Montauban, de Poitiers et de Caen, nos collections ne purent recueillir que quelques volumes donnés par l’abbé Bothelin ou échangés par M. de Boze. Mais la Bibliothèque fut plus heureuse quand il s’agit de donner un abri aux restes d’une autre collection plus ancienne et encore plus célèbre qui semblait près de périr, celle des manuscrits de l’abbaye de Saint-Martial de Limoges. Obligés par la mauvaise situation financière de l’abbaye de se défaire de leurs volumes, les chanoines en annoncèrent la mise en vente en 1730. L’abbaye possédait alors plus de deux cents manuscrits. Ces débris d’une bibliothèque qui avait été dans toute sa splendeur au XIIIe siècle ne manquaient pas de valeur. Presque tous contemporains de la première partie du moyen-âge, ils renfermaient des documents très-importants pour l’intelligence des textes théologiques et pour l’étude de la langue, de l’histoire, des mœurs de la France du IXe au XIIIe siècle. L’abbé Bignon, aidé par M. de Maurepas, put en faire l’acquisition moyennant une somme de 5,000 livres.

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A cette époque, la bibliothèque de la famille de Mesmes, qui avait brillé d’un si vif éclat au commencement du XVIIe siècle, était en pleine décadence. Pour sauver ce qui en subsistait encore, les héritiers des de Mesmes en proposèrent la cession au roi en 1731. Elle fut immédiatement décidée et payée 12,000 livres. Une somme aussi élevée indique suffisamment la valeur de cette acquisition qui comprenait six cent quarante-deux manuscrits. Sur ce lot, on préleva les volumes des négociations de Claude de Mesmes, comte d’Avaux, qui furent placés au dépôt des affaires étrangères. Les quatre cent treize volumes qui restèrent à la Bibliothèque fournirent encore un notable appoint non-seulement à la série des manuscrits du moyen-âge, mais aussi à celle des documents sur l’histoire de la France et des Etats voisins et de leurs relations diplomatiques pendant les deux derniers siècles.

Grâce aux efforts de l’abbé Bignon, le Cabinet des Estampes se vit, à son tour, enrichir en 1731 d’une collection qui semblait depuis longtemps lui être destinée. Formée par Henry de Beringhen, premier écuyer du roi, elle renfermait tout ce que l’art de la gravure avait produit de plus remarquable à cette grande époque. A l’exclusion de tous les monuments antérieurs, Beringhen recherchait les œuvres des contemporains qu’il avait pu connaître et admirer. «Un si beau recueil ne pouvait convenir qu’au roi et il semblait en quelque façon que ce seigneur eut prévu qu’un jour sa collection ferait suite à celle de l’abbé de Marolles: en effet celle de M. de Beringhen 76 reprend, pour ainsi dire, à l’année 1660, époque à laquelle l’abbé de Marolles en était resté; elle renferme principalement des maîtres de l’école de France jusqu’à l’année 1730[22].» Beringhen avait même si sûrement deviné le sort de ses volumes qu’il les avait fait relier par avance aux armes de France et en maroquin rouge, suivant le modèle adopté pour la collection de Marolles. Tant de précautions ne pouvaient nuire à leur fortune. Sans doute l’abbé Bignon n’en tira pas le moins puissant argument pour déterminer le cardinal de Fleury à faire approuver par le roi le projet d’acquisition de cette importante collection. Les pourparlers engagés en 1731 avec l’évêque du Puy, fils et héritier de Beringhen, ne tardèrent pas à aboutir. Cette même année, 579 volumes in-folio contenant près de 80,000 pièces, épreuves de choix dues au burin des plus habiles artistes de notre pays, prirent place sur les rayons du département des Estampes à la suite de la collection de Marolles. Ils l’y continuèrent dignement offrant à l’historien et à l’artiste les renseignements les plus précieux sur la gravure en France depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu’à la première moitié du XVIIIe siècle.

On le voit, la Bibliothèque semblait destinée à recueillir les collections que le temps et le goût de nombreux amateurs avaient constituées et qui venaient s’y réfugier comme en un lieu protecteur pour échapper à la ruine ou aux convoitises de l’étranger. Le moment 77 était arrivé pour son habile administrateur de redoubler d’efforts ou de zèle afin d’assurer à notre dépôt la possession de la bibliothèque la plus riche, la plus fameuse qu’aucun amateur ait jamais formée, celle de Colbert[23]. Cette admirable collection échut, à la mort du ministre, à son fils le marquis de Seignelay, puis au frère de celui-ci, Jacques-Nicolas Colbert, archevêque de Rouen. En 1707, ce dernier l’avait léguée à son neveu, l’abbé Charles-Eléonor Colbert, plus tard comte de Seignelay. Dans les mains de ce petit-fils du grand Colbert, ce glorieux héritage ne resta pas longtemps intact. Déjà en 1728 il avait fait procéder à une vente de livres imprimés et un millier environ avaient été achetés pour le compte de la Bibliothèque. Il fallait, à tout prix, préserver les manuscrits des risques d’une dispersion. Fort de l’assentiment et de l’appui de M. de Maurepas, l’abbé Bignon fit des ouvertures à M. de Seignelay et des experts furent nommés pour l’estimation de la collection en bloc. L’abbé de Targny et Falconet représentèrent la Bibliothèque, le P. de Montfaucon et Lancelot M. de Seignelay. Mais tout d’abord on ne s’entendit pas. Les experts du roi n’offraient que 80,000 francs, tandis que ceux du propriétaire exigeaient 200,000 francs. Trois ans se passèrent ainsi, les négociations faillirent même se rompre. Enfin, en février 1732, pour mettre fin au débat, M. de Seignelay prit une résolution qui l’honore: il offrit au roi tous ses manuscrits, tant anciens que modernes, «en suppliant Sa Majesté 78 de régler elle-même la somme qu’elle jugerait à propos de lui donner.» Louis XV la fixa à 300,000 livres.

A ce prix, la Bibliothèque acquit 6,645 manuscrits anciens parmi lesquels un millier de volumes grecs et environ 700 orientaux, 440 volumes de copies de documents tirés des archives de province, une série de plus de 500 volumes formés de correspondances politiques, d’instructions, de mémoires et de lettres de Colbert, enfin 300 volumes de mélanges.

Il est inutile d’insister sur la valeur et l’importance tout-à-fait hors ligne d’une pareille acquisition. Elle fut un grand événement non-seulement pour la Bibliothèque mais encore pour les lettres et l’histoire en France. Par sa situation, par les ressources de toutes sortes dont il disposait, Colbert avait pu satisfaire pleinement son amour pour les livres et pour la science. Ses bibliothécaires, Carcavy et Baluze, n’avaient pas seuls travaillé à réunir les éléments de ce fonds important. Il avait trouvé en province des correspondants dévoués et laborieux qui recherchèrent avec une ardeur infatigable, soit dans les couvents et abbayes, soit dans les archives locales, des documents précieux pour l’histoire de notre pays. A défaut des originaux, ils obtenaient des copies. C’est ainsi que Doat, président de la Chambre des comptes de Navarre, fut chargé de faire un choix dans les archives du Languedoc, de la Guyenne, du Béarn et du pays de Foix, que Denys Godefroy, en se livrant à un travail analogue sur les archives de Flandre, procura à Colbert plus de 79 150 volumes. A l’étranger, jusqu’en Orient, il avait des agents, comme à Constantinople M. de Nointel, qui recueillit pour le compte du ministre les manuscrits qui pouvaient l’intéresser. En même temps, il ne se faisait à Paris ou en province aucune vente importante de manuscrits sans que Colbert n’y poursuivît les plus remarquables articles, quand il n’achetait pas pour son compte la collection en bloc. En 1675, il se procurait 500 manuscrits provenant de la bibliothèque de Ballesdens et, quelques années plus tard, les célèbres manuscrits anciens du président de Thou. En 1678, l’abbaye de Moissac lui cédait 100 de ses plus précieux manuscrits, en 1680, le collége de Foix 300 volumes, en 1683, l’abbaye de Bonport 87 manuscrits. Les donations faites à Colbert furent encore plus nombreuses que les acquisitions, citons entr’autres celles de François du Chesne, de Mareste d’Alge, de l’hôtel-de-ville de Rouen, du chapitre de Metz. Elles s’expliquent par la prédilection marquée du grand ministre pour sa bibliothèque et par le désir de lui plaire. N’oublions pas d’ailleurs que si cette préférence de Colbert pour ses collections particulières lui fit quelquefois négliger les intérêts du dépôt national dont il avait la charge, il n’en fut pas moins donné à la Bibliothèque, grâce à l’heureux événement de 1732, de bénéficier, en fin de compte, des efforts multipliés de cet homme de génie pour sauver de la ruine les monuments les plus importants de notre histoire et de notre littérature.

Sans être aussi considérable que la bibliothèque 80 Colbertine, la collection formée par Antoine Lancelot était renommée pour les documents qu’elle renfermait sur l’histoire de France. En 1733, Lancelot l’offrit au roi. Cette donation comprenait 206 manuscrits, en majeure partie anciens et précieux, et plus de cinq cents portefeuilles remplis de pièces imprimées, de copies et de documents originaux relatifs à l’histoire, la généalogie, la jurisprudence, la littérature, aux offices, charges et dignités en France. Pendant longtemps ces recueils ont été conservés au département des Imprimés; aujourd’hui on en a détaché les pièces imprimées qu’on a incorporées dans les différentes séries de cette section et les portefeuilles de Lancelot ont été transmis au département des manuscrits où ils présentent un ensemble de 189 volumes.

Châtre de Cangé possédait une bibliothèque dont les connaisseurs avaient pu constater l’importance par le catalogue qui en fut publié en 1733. Il y avait non-seulement des manuscrits remarquables, utiles à l’étude de notre histoire et de notre poésie nationale, mais encore de nombreux volumes imprimés de valeur. Au mois de juillet 1733, la Bibliothèque en fit l’acquisition pour une somme de 40,000 livres; c’était un nouvel accroissement de 158 manuscrits et de près de 7,000 volumes imprimés. La partie manuscrite de cette collection s’enrichit encore d’une douzaine de volumes dont M. de Cangé fit hommage au roi; la partie imprimée, d’abord diminuée d’un millier de volumes reconnus doubles et vendus comme tels, s’augmenta en 1751 des recueils de pièces imprimées et manuscrites 81 qu’à la mort de Cangé, son fils, le sieur de Billy, offrit en pur don à la Bibliothèque.

Cette acquisition fut, sinon la dernière, du moins la plus importante de celles qui marquèrent la fin de l’administration de l’abbé Bignon. De 1733 à 1743, les achats de la Bibliothèque ne portèrent plus en effet que sur des portions de collections encore intéressantes, mais qui n’avaient plus la valeur exceptionnelle des bibliothèques précédemment acquises. Parmi les entrées de ces dernières années, il faut toutefois mentionner: en 1734, les papiers relatifs à l’histoire du collége de Navarre, laissés par l’abbé Drouin; en 1736, les dix-huit manuscrits achetés à la vente de la Bibliothèque de M. de Coislin; en 1737, cent vingt-huit volumes manuscrits et quarante-huit imprimés vendus par les héritiers de l’abbé de Targny; en 1748, trois cents volumes imprimés et deux cent quatre-vingts volumes manuscrits, dont plusieurs très-remarquables, cédés par le duc de Noailles; enfin, cette même année, la nombreuse collection des pièces qui restaient du trésor des Chartes de Lorraine et que Lancelot avait été chargé d’examiner et de copier à Nancy. L’envoi qu’il en fit, à cette époque, ne comprenait pas moins de onze ballots; la collection de Lorraine, qui compte aujourd’hui 1,036 volumes, en a été presque entièrement formée.

L’abbé Bignon, suivant en cela la trace de ses illustres devanciers, Colbert et Louvois, travailla à étendre les relations de la Bibliothèque à l’étranger. Dans cette partie de sa tâche, il fut encore puissamment 82 soutenu par M. de Maurepas, dont le nom ne doit pas être oublié dans ce chapitre de l’histoire de nos collections. Il est probable en effet que malgré tout son zèle, l’abbé Bignon n’aurait pu obtenir des résultats de cette importance sans l’intervention et l’autorité d’un ministre. Les documents sont là d’ailleurs pour témoigner, en même temps que des efforts du bibliothécaire, de l’appui que M. de Maurepas lui prêtait. En parcourant la correspondance entretenue par ces deux hommes avec les représentants de la France à l’étranger, en voyant l’activité et le bon vouloir de ces derniers évidemment stimulés par le désir de plaire au ministre, leur empressement à soutenir et à imiter les missionnaires du gouvernement, on s’explique que l’étranger ait pu, dans un délai relativement assez court, fournir un contingent aussi abondant à nos collections.

Encore plus entreprenante et plus heureuse que celle de ses prédécesseurs, l’administration de l’abbé Bignon fit faire à la Bibliothèque un pas de plus dans l’Orient: l’Inde et la Chine lui furent ouvertes. On peut dire que jusqu’au XVIIIe siècle, le fonds asiatique ne consistait guère qu’en manuscrits orientaux proprement dits, c’est-à-dire en manuscrits arabes, turcs, persans et en manuscrits de l’Orient juif et chrétien. C’était une lacune à combler. L’extension des progrès des missionnaires Jésuites dans la Chine, l’établissement des Français dans l’Inde vinrent merveilleusement aider l’abbé Bignon dans cette entreprise. En 1723, la Compagnie des Indes, se conformant aux instructions 83 de M. de Maurepas, fit un envoi de sept caisses contenant plus de dix-huit cents volumes Chinois. Ce lot, en passant presque tout entier des mains du P. Prémare dans celles de l’abbé Bignon, était suffisant pour constituer à lui seul le fonds Chinois, qui, outre quelques volumes entrés sous Louis XIV, renfermait déjà les manuscrits en même langue donnés à la Bibliothèque en 1719 par son bibliothécaire, et ceux qui lui étaient venus en 1720 de la Congrégation des Missions étrangères.

Dans l’Inde, les intérêts de la science et de la Bibliothèque furent activement servis par les directeurs de la Compagnie, par les missionnaires jésuites et surtout par le P. Le Gac. On lit dans le Mémoire historique au sujet de leurs envois: «Depuis 1729 jusqu’en 1737 chaque année a esté marquée par des envois assez considérables pour former dans la Bibliothèque de Sa Majesté un recueil en ce genre peut-être unique en Europe.... La plus grande récolte qu’on ait faite dans l’Inde a esté du costé du Bengale, où comme nous l’apprend le R.-P. Le Gac, les sçavans sont moins rares que dans le reste de la péninsule, parce que les Indiens y ont des académies fondées pour y enseigner les sciences auxquelles ils s’appliquent. L’attention des missionnaires de cette contrée et ceux de Pondichéry ne s’est pas bornée à nous envoyer les livres originaux qu’ils y ont pu rassembler; ils ont encore, suivant les instructions qui leur avaient été données, fait copier les livres les plus curieux, lorsque les brames qui les avoient n’ont pas voulu s’en deffaire: 84 mais en quoy ils ont rendu un service plus essentiel encore à la Bibliothèque du roy, et en mesme temps à la république des lettres, c’est qu’ils ont eu le soin de joindre à tous ces ouvrages, presque inconnus jusqu’icy en Europe, des grammaires, des syntaxes, et mesme des dictionnaires des diverses langues dans lesquelles ils sont escrits. Ce n’est que par ces secours que nos sçavans pourront un jour profiter de tout ce que les livres des Indiens, dont la Bibliothèque du roy est aujourd’hui si bien pourvue, ont d’utile pour connoistre sûrement la religion, les mœurs, l’histoire et la littérature de ces peuples.»

La Turquie et la Grèce, qui semblaient offrir une mine au moins aussi féconde, furent explorées par deux savants chargés d’une mission spéciale. M. de Maurepas, cédant aux instances de l’abbé Bignon, donna les fonds nécessaires à cette entreprise qui fut confiée à deux membres de l’Académie des Inscriptions, l’abbé Sevin et l’abbé Fourmont. Sevin s’occupa particulièrement de la recherche des manuscrits et parcourut la Turquie et les provinces du Levant. Fourmont visita la Grèce en recueillant surtout des inscriptions et des médailles. Leur voyage qui dura de 1727 à 1730 fut loin d’être infructueux pour la Bibliothèque. Sevin en a consigné les résultats dans les termes suivants: «M. l’abbé Sevin a rapporté en France environ six cens manuscrits, et les correspondances qu’il a establies dans toutes les différentes provinces de l’Orient en ont déjà procuré et en assurent encore un grand nombre. Comme nos recherches embrassent 85 généralement toutes les langues de ces pays-là, grec, turc, arabe, persan, syriaque, chaldéen, arménien, géorgien, copte et abyssin, il est difficile que chacune de ces langues en particulier ne fournisse des morceaux qui pourront contribuer à étendre nos lumières et nos connoissances.» Le retour de Sevin en France n’arrêta pas en effet les envois d’Orient. L’exemple qu’il y avait donné fut suivi par nos ambassadeurs en Turquie, MM. de Villeneuve, le comte de Castellane, qui continuèrent à enrichir nos collections de manuscrits grecs et orientaux recueillis par leurs soins, tandis que l’institution des jeunes de langues, fondée à Constantinople par M. de Maurepas, fournissait à la Bibliothèque des copies ou des traductions d’ouvrages orientaux.

En Europe, l’action de l’abbé Bignon se faisait également sentir. Il avait des correspondants dans presque toutes les villes importantes. Nos ambassadeurs en Suisse, à Venise, le marquis de Bonnac, le comte de Froulay envoyaient des manuscrits orientaux. En Portugal, le comte d’Ericeira, en Italie, le marquis de la Bastie recherchaient des livres imprimés. On en faisait acheter en Russie, en Hollande, dans les foires de Leipzig et de Francfort. En Danemark, l’abbé Bignon avait trouvé pour répondre à son appel un esprit éclairé et un noble cœur, le comte de Plélo. De 1723 à 1734, il envoya à la Bibliothèque près de sept cents volumes la plupart imprimés. La Bibliothèque s’enorgueillit de compter un tel nom parmi ceux de ses bienfaiteurs qui furent le plus passionnés pour sa prospérité.

86

Quelque distraite qu’elle fût par ces acquisitions en France et à l’étranger, l’attention de l’abbé Bignon ne pouvait manquer de se porter sur les prescriptions relatives au dépôt de tout ouvrage imprimé à la Bibliothèque. L’importance de ces règlements pour nos collections n’en faisait que ressortir avec plus de force à ses yeux la nécessité d’en surveiller l’exécution que Colbert et Louvois s’étaient efforcés d’assurer, mais qui était loin d’être complète. Rien de moins extraordinaire du reste que cette inobservation à cette époque, puisqu’après tant d’années que le principe du dépôt a été consacré et mis en pratique, la Bibliothèque, même de nos jours, ne peut se flatter d’en tirer tous les bénéfices que la loi lui promet. Du temps de l’abbé Bignon, ce n’était donc pas à la perfection mais à une amélioration qu’il était permis de prétendre. L’arrêt du Conseil rendu le 11 octobre 1720 renfermait, en les rendant plus pratiques, les prescriptions antérieures. Comme les mesures précédentes, elles eurent un effet rétroactif. Les auteurs, libraires, graveurs et autres qui n’avaient pas fourni les exemplaires exigés par les règlements y furent contraints, sous peine, passé le délai d’un mois, de saisie et confiscation desdits exemplaires et d’une amende de 1,500 livres. Mais s’il maintenait, en cas d’infraction, l’amende aussi forte, le même arrêt réduisait les obligations imposées. Au lieu de trois, le nombre des exemplaires à fournir n’était plus que de deux «dont l’un sera en grand papier, ce qui s’exécutera à l’égard de toutes sortes d’impressions par tous ceux qui les feront faire.... excepté dans le cas où le 87 Bibliothécaire de Sa Majesté jugera que les ouvrages ne méritent pas d’être mis en grand papier.»

L’arrêt rendu, l’abbé Bignon tint la main à ce qu’il ne restât pas lettre morte. Sa correspondance avec les syndics de la librairie et de l’imprimerie est continuelle, ses réclamations sont incessantes, et l’équité, l’autorité de celui qui les formulait, son insistance, prouvent qu’il était difficile de ne pas y satisfaire.

C’est l’ensemble de tous ces actes qui fait de cette administration une des époques les plus mémorables de l’histoire de notre Bibliothèque et qui a placé l’abbé Bignon au premier rang de ses bienfaiteurs. Au XVIIIe siècle l’admiration qu’elle excita se reporta sur le roi; on frappa une médaille en souvenir d’évènements auxquels on peut croire que Louis XV était bien étranger. D’un côté, elle portait son effigie, de l’autre cette légende:

Quod
Bono reipublicæ
Liter. consuluit
Bibliotheca regia
X millibus codd.
Mss. aucta
MDCCXXXII.

Ce qui, à l’adresse de Louis XV, était un acte de flatterie, eut été un acte de justice pour l’abbé Bignon et ses dignes collaborateurs. A défaut de médailles rappelant leurs travaux, ils nous ont laissé, ce qui vaut mieux, dix volumes de catalogues, témoignage éclatant 88 de leur zèle pour la Bibliothèque et de leur dévouement à leurs fonctions.

Jusqu’à l’époque où cette œuvre utile fut commencée, le travail de Clément, tenu à jour par ses successeurs, était le seul catalogue en usage à la Bibliothèque. En 1720, il avait servi au récolement des collections ordonné par l’abbé Bignon après sa nomination comme Bibliothécaire. Mais le principe des intercalations à l’aide de chiffres et de sous-chiffres, adopté par Clément, n’était plus applicable après les immenses accroissements qui suivirent; il fallait recommencer le travail en entier d’après de nouvelles règles. Pour le catalogue des Imprimés, l’ordre méthodique de Clément fut en grande partie conservé, mais on supprima les intercalations, on numérota les ouvrages au lieu de numéroter les volumes, on ne fit plus de distinctions de formats. Dans le département des Manuscrits où la confusion était encore plus grande, parce que les intercalations y avaient été bien plus fréquentes, on suivit également un système tout différent de celui de Clément. On divisa tous les manuscrits en quatre séries, les manuscrits orientaux, les manuscrits grecs, les manuscrits latins, les manuscrits français ou en langues modernes, et à chaque série on affecta une suite de numéros commençant pour chacune au no 1. Seul, le fonds des manuscrits français sur lequel la même opération ne put être effectuée, continua à porter la numérotation du catalogue de Clément, c’est-à-dire que le premier numéro de cette série fut le no 6,700.

L’impression des catalogues, préparée d’après ces 89 règles, et décidée par M. de Maurepas dès 1735, commença en 1739. Cette année, parut le premier volume du catalogue des livres imprimés renfermant les matières théologiques: la Bible (A), les interprètes de la Bible (B), les Pères de l’Eglise (C), et le premier volume du catalogue des manuscrits consacré aux manuscrits orientaux. La publication continua presque sans interruption jusqu’en 1753: en 1740, c’est le 2e volume du catalogue des manuscrits comprenant les manuscrits grecs; en 1742, le 2e et le 3e volume des Imprimés, la Théologie orthodoxe (D), et la théologie hétérodoxe (D2); en 1744, le 3e et le 4e volume de la série des manuscrits se composant des manuscrits latins; en 1750, le 4e et le 5e volume des livres imprimés, tous deux affectés aux belles-lettres, la grammaire (X), la poésie (Y), les romans (Y2), la polygraphie (Z); enfin en 1753 paraît le 6e volume du catalogue des livres imprimés relatifs au Droit canon (E) et au droit de la nature et des gens (*E). C’étaient en résumé dix volumes en moins de vingt ans. Arrêtée à cette époque, la publication des catalogues ne devait être reprise qu’un siècle plus tard.

Malgré les vives critiques qu’ils soulevèrent, ces catalogues rendirent d’immenses services au public lettré; encore aujourd’hui, ils sont très-utilement consultés pour les séries qui n’ont pas été l’objet d’un nouveau travail. Pendant l’administration de l’abbé Bignon, ils eurent un autre résultat; en faisant reconnaître et inventorier toutes les richesses qui venaient s’accumuler à la Bibliothèque, ils servirent à la constatation 90 d’un grand nombre de doubles dont une partie fut aliénée.

Dans cette importante entreprise si activement poursuivie, l’abbé Bignon avait pu s’associer les hommes qui, de son temps, étaient le plus à même de la mener à bien. Boivin le Cadet, mort en 1726, avait été remplacé dans la garde des manuscrits par l’abbé de Targny qui venait du département des Imprimés. Lui-même eut pour successeur l’abbé Sallier, membre de l’Académie des Inscriptions. Cette nomination fut une bonne fortune pour le département des Imprimés qui lui doit la meilleure partie de son catalogue. Le catalogue des manuscrits orientaux fut l’œuvre de plusieurs savants: Fourmont pour les livres chinois, Armain pour les manuscrits persans et turcs, Ascari pour les syriaques. Mais ce fut l’abbé Sevin, attaché au département des manuscrits depuis son retour d’Orient, qui s’occupa le plus activement du catalogue de cette série des collections. Non-seulement les manuscrits orientaux, mais une bonne partie des manuscrits latins, la totalité des manuscrits grecs furent catalogués par ses soins. «En m’arrêtant aux seuls manuscrits grecs, écrivait l’abbé Bignon à M. de Maurepas, je vous avouerai d’abord que je ne saurais donner trop d’éloges à l’application avec laquelle M. Sevin s’y est porté.» Aussi sa nomination à la tête du département des manuscrits, quand mourut l’abbé de Targny en 1737, ne fut-elle que la juste récompense de ses bons services. Malheureusement il n’occupa pas longtemps ces importantes fonctions; quatre années plus tard, sa mort y appelait 91 un autre membre de l’Académie des Inscriptions, Melot, qui acheva le travail commencé par son devancier sur les manuscrits latins. Enfin, sous la direction de ces savants, dignes continuateurs des érudits du XVIIe siècle, il n’y a que justice à rappeler les noms de modestes travailleurs qui, sans avoir l’autorité et les vastes connaissances de ces principaux auteurs, apportèrent à la rédaction du catalogue leur part de zèle et de dévouement. Le copiste Buvat, célèbre par son Journal de la Régence, dont nous reconnaissons la belle écriture dans presque tous les catalogues manuscrits rédigés de son temps; l’abbé Jourdain, secrétaire de la Bibliothèque, l’auteur du Mémoire historique sur la Bibliothèque du Roy, publié en 1739 dans le tome Ier du catalogue des livres imprimés d’après un travail beaucoup plus étendu de Boivin, et réédité avec des additions par Le Prince en 1782, Malin, commis écrivain de l’abbé Sallier, Boudot et Lefebvre.

L’abbé Bignon prit sa retraite en 1741, à l’âge de 80 ans; il mourut deux ans plus tard le 14 mars 1743 «ayant conservé jusqu’au dernier moment non-seulement toute sa raison, mais encore la douceur et l’égalité d’esprit qu’il avait toujours montrées[24].» Ce caractère se devine quand on jette les yeux sur son portrait; sculptée ou gravée sa figure respire une grande bonté jointe à la finesse et à la distinction. La mémoire de cet homme qui a administré nos collections pendant 22 ans restera toujours chère aux amis 92 des livres et des lettres; ils honoreront en l’abbé Bignon celui qui a le plus fait pour la grandeur de la Bibliothèque au XVIIIe siècle.

Comme fait se rattachant intimement à l’administration de l’abbé Bignon, il nous reste à parler du retour à Paris du Cabinet des Médailles qui avait été transporté à Versailles depuis 1684. Cet éloignement de collections, qui faisaient naturellement partie du même dépôt, était anormal; il rendait l’administration du Cabinet difficile, car tout en relevant encore du bibliothécaire du roi, le garde des médailles pouvait, à distance, conserver en réalité toute son indépendance; enfin il amoindrissait la Bibliothèque sans utilité pour personne, puisque le successeur de Louis XIV n’avait pas pour les médailles le goût prononcé de son aïeul. Aussi il fut facile à l’abbé Bignon de faire ordonner que les médailles seraient ramenées à Paris. Le même arrêt qui en ordonnait le récolement et l’inventaire, également entrepris sur les autres collections, prescrivait le déménagement.

«Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à notre cher et bien-aimé le sieur Couture, de notre Académie des Inscriptions et belles-lettres, et l’un de nos professeurs en éloquence, salut. Ayant ordonné par arrest cejourdhui rendu en nostre conseil, nous y étant, que les récolements et inventaires, ordonnez par autre arrest du vingt septembre dernier, des médailles, pierres gravées, livres et raretés antiques et modernes étant dans notre château de Versailles, seront continués, et à cet effet 93 aportés dans notre bibliothèque à Paris, dans des quaisses préalablement scellées par le secrétaire d’Etat ayant le département de notre maison, en présence du sieur abbé Bignon, conseiller ordinaire en nos conseils d’Etat privé, intendant et garde de nos Bibliothèques et Cabinets avec le sieur Defourmont et avec vous, au lieu du sieur de Boze, à présent chargé de la garde desdites médailles sous les ordres du sieur Bignon....»

Les prescriptions de cet arrêt du 27 mars 1720, relatives à l’inventaire et au récolement, furent presqu’immédiatement exécutées; mais le transport ordonné n’eut lieu qu’en 1741. Une note manuscrite conservée dans les archives du Cabinet rapporte ainsi ce mémorable événement:

«Le samedi 2 septembre 1741, sur les six heures du soir, sont arrivées de Versailles à la Bibliothèque deux charrettes chargées de vingt caisses où sont les médailles du roi qui ont été apportées ici par ordre de S. M. pour être placées dans le magnifique salon qui est au bout de la Bibliothèque.»

Le cabinet revenait à Paris, considérablement enrichi. Sous les successeurs de Rainssant, Oudinet (1689), l’abbé Simon (1712), le célèbre Gros de Boze (1719), les acquisitions avaient été incessantes. Il avait reçu entre autres accroissements, en 1727, la collection de bronzes, marbres, etc., etc., formée par Mahudel, que le roi avait payée 40,000 livres. Aussi voulut-on que le nouveau local où il venait s’installer, fût par son éclat et son luxe en rapport avec les richesses qu’il 94 renfermait. La salle qui lui fut destinée fut prise dans l’appartement de Mme Lambert. «Cette pièce est très-bien décorée par un lambris enrichi de sculptures dont les principaux ornements sont dorés. Cette menuiserie renferme des tableaux, peints par MM. Vanloo, Natoire, Boucher. Dans les trumeaux de cette pièce sont distribuées des tables de marbre d’un plan chantourné qui soutiennent des médailliers de menuiserie dorée[25]

C’est là que furent classées, par les soins de Gros de Boze, nos collections de médailles, c’est là que, pendant plus d’un siècle, le public a pu venir les admirer, exposées dans une salle qui passait pour un des spécimens les plus complets et les plus achevés de l’art décoratif au XVIIIe siècle.

LA BIBLIOTHÈQUE DE 1743 A LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XV.

Dès l’année 1722, l’abbé Bignon avait obtenu la survivance de sa charge pour son neveu, Bignon de Blanzy. Mais la mort de celui-ci précéda celle de son oncle de quelques jours. La place de bibliothécaire restait donc vacante. Le roi, autant pour récompenser les services de l’abbé Bignon, que pour conserver à cette famille un titre qu’elle n’avait cessé de porter avec éclat, appela à ces fonctions un autre neveu de l’abbé Bignon, Armand-Jérôme, maître des requêtes. 95 L’acte de nomination est du 31 mars 1743. Armand-Jérôme Bignon ne fut pas que le successeur nominal de son oncle; il continua les bonnes traditions de sa famille et employa son zèle et le crédit que lui donnait la réunion de deux charges importantes à la prospérité de notre établissement. L’action bienfaisante de son administration s’étendit aux différentes sections de la Bibliothèque.

Au département des imprimés, de nombreuses acquisitions, judicieusement faites, soit à l’étranger, soit en France, continuèrent d’y apporter de nouvelles richesses. Quelques-unes sont hors ligne et font époque dans l’histoire de nos collections, ce sont celles des bibliothèques de Falconet, de Huet, des Jésuites, de Fontanieu.

Le célèbre médecin Falconet, membre de l’Académie des Inscriptions, possédait une bibliothèque qui faisait l’admiration des savants de l’époque, admis avec la plus grande libéralité à y travailler. Elle ne renfermait pas moins de 50,000 volumes. Au mois de décembre 1742, Falconet offrit au roi tous ceux de ses livres qui pouvaient faire défaut à la Bibliothèque. Capperonnier, chargé de ce choix, désigna plus de 11,000 volumes imprimés, que Falconet mit à la disposition du roi. Pour reconnaître cet acte de libéralité, on lui servit une rente viagère de 1,200 livres, en lui laissant, comme il le désirait, l’usufruit de sa collection.

Par suite de ces réserves, la Bibliothèque ne devint réellement propriétaire du Cabinet de Falconet qu’à sa mort, arrivée en 1762. L’année suivante, l’expulsion des Jésuites fournit à Bignon l’occasion de faire entrer 96 dans le département des Imprimés, une bibliothèque, sinon plus nombreuse, du moins plus fameuse encore et plus riche, celle de Huet, évêque d’Avranches. Huet avait légué ses livres à la maison professe des Jésuites de la rue Saint-Antoine. Quant les Jésuites furent supprimés, les héritiers du prélat se crurent fondés à élever des réclamations, et à revendiquer des collections dont les légataires se trouvaient dépossédés et qui allaient être dispersées. Un arrêt du 15 juillet 1763 en ordonna la restitution à M. de Charsigné, neveu de Huet. Aussitôt Bignon entama des négociations en vue de l’acquisition de ce fonds important pour lequel l’étranger faisait déjà des propositions séduisantes. Les efforts du bibliothécaire eurent un plein succès. Pour une rente viagère de 1750 livres, M. de Charsigné se dessaisit d’un trésor que l’impératrice de Russie lui avait offert de payer 50,000 écus, toute une fortune. Ce désintéressement patriotique mérite d’être signalé; le souvenir tendrait à s’en effacer que les 8000 volumes imprimés et plus qu’il valut à la Bibliothèque sont là pour faire vivre à jamais le nom de ce bienfaiteur, en même temps que le goût et l’érudition du possesseur de la Bibliotheca huetiana. Dans le département des Imprimés, un monde de volumes, les livres de Huet ont conservé les traces de la main pieuse qui les a recueillis et qui les a ornés d’un ex-libris que tout le monde connaît. Impressions des Estienne et des Alde, éditions de choix des auteurs anciens et modernes souvent enrichies de notes précieuses du savant prélat, théologie, histoire, lettres, sciences, rien n’était oublié dans la 97 bibliothèque de Huet; elle donne satisfaction à tous les goûts, elle suffit à tous les genres d’études. Combien de ces volumes vénérables ont déjà passé dans les mains des lecteurs depuis leur entrée à la Bibliothèque! Que de fois ils ont été l’occasion d’un retour vers un passé dont ils ravivent et ennoblissent le souvenir!

Avec la collection de Huet, le départ des Jésuites fut pour la Bibliothèque l’occasion d’acquérir de nombreux volumes imprimés qu’elle ne possédait pas. L’abbé Boudot, chargé de faire un choix dans leur bibliothèque, récolta une ample moisson de livres précieux qui auraient été perdus pour les lettres s’ils n’avaient trouvé place dans les collections royales. Ainsi, dès cette époque, semblait se poser ce principe qui fit de la Bibliothèque le refuge des trésors littéraires conservés dans les maisons religieuses, principe qui, quelques années plus tard, devait avoir une application si étendue au grand profit de la science.

Les accroissements dont il vient d’être question ne portaient pas seulement sur les séries imprimées; dans les acquisitions de la bibliothèque de Huet et des livres des Jésuites, les manuscrits avaient eu aussi leur part. D’ailleurs depuis la mort de l’abbé Bignon, ce département n’avait cessé de s’enrichir. Il avait reçu en 1748 la collection Megret de Serilly, riche surtout en manuscrits modernes, en 1749, les papiers de Dangeau, en 1752, vingt manuscrits précieux de la Sainte Chapelle de Bourges offerts par les chanoines à Louis XV, en 1753, les manuscrits de Bossuet, présent de l’abbé Delamotte. En 1754 ce fut le tour d’une célèbre collection 98 sur laquelle la Bibliothèque avait jeté ses vues depuis longtemps, la collection Dupuy. Nous avons vu que Colbert en avait inutilement projeté l’acquisition lorsqu’elle passa des mains de M. de Thou, héritier de Jacques Dupuy, dans celles du président Charron de Ménars. Au moment où Bignon reprit des négociations en vue de cette acquisition, elle était devenue, depuis 1720, la propriété du procureur général Joly de Fleury. Sans compter la valeur considérable de ces manuscrits, très-précieux pour l’étude de l’histoire, du droit, de la littérature en France, la Bibliothèque avait le plus vif intérêt à recueillir la collection portant le nom d’hommes dont elle possédait déjà la majeure partie des livres; elle devait à la mémoire de ces bienfaiteurs de ne pas laisser se disperser la bibliothèque qu’ils avaient formée avec tant de sollicitude. Le 10 juillet 1754, Joly de Fleury la céda pour une somme de 60,000 livres, et près de quatorze cents volumes, remplis de pièces précieuses, entrèrent au département des manuscrits.

L’heureuse conclusion de cette importante affaire n’empêcha pas les acquisitions dans les années qui suivirent. Pour une rente viagère de 3000 livres allouée à l’arrière-neveu de Du Cange, la Bibliothèque s’enrichit, en 1756, des manuscrits de ce célèbre érudit. Cette même année, elle recevait, à titre de don, les papiers de Jean Racine offerts par son fils[26], et 301 manuscrits 99 précieux dont les chanoines de Notre-Dame de Paris firent hommage à Louis XV. En 1765, la suppression des Jésuites fit entrer au département des manuscrits la plupart des volumes qui avaient appartenu à Huet et une quarantaine provenant du collége de Clermont. Enfin nous avons à enregistrer, sous la même date, l’acquisition de la très-importante et très-volumineuse collection de Fontanieu, conseiller d’Etat, intendant et contrôleur général des meubles de la couronne. Moyennant une somme de 90,000 livres, payable à sa mort, et une rente viagère de 8000 livres, il vendit au roi toute sa bibliothèque, riche en imprimés, en estampes, et surtout en pièces sur l’histoire et l’administration française. Près de mille volumes ou portefeuilles contenant des documents nombreux et curieux prirent place dans les collections manuscrites; les départements des Imprimés et des Estampes héritèrent des articles qui s’y rattachaient plus particulièrement. Encore aujourd’hui un lot de 376 volumes remplis de pièces imprimées et manuscrites, ayant cette provenance, sont conservés au département des Imprimés.

100

Cette époque fut particulièrement favorable au développement du Cabinet des Titres dont l’existence, comme département distinct, ne remontait pas au-delà de l’administration de l’abbé Bignon. La collection Gaignières, la collection d’Hozier surtout, riches en pièces généalogiques, avaient servi à la formation de ce fonds que les mœurs de l’époque et le goût des amateurs ne tardèrent pas à grossir. De 1720 à 1789, le Cabinet des Titres vit venir à lui toutes les collections nombreuses et importantes de ce genre qui furent formées au XVIIIe siècle, et notamment celles des hommes qui eurent la garde du département pendant cette période. Guiblet, qui à l’époque de la réorganisation provoquée par l’abbé Bignon avait reçu le premier le titre de garde du Cabinet généalogique, céda les documents qu’il avait réunis, comme généalogiste de la maison d’Orléans. Son successeur, l’abbé de La Cour, ne montra pas moins de zèle pour son département. Il y travailla à de nombreux et importants classements, et en 1763 il y fit entrer sa collection de titres originaux, au nombre d’environ 129,600. Elle fut payée 31,000 livres. C’est à son administration que se rapporte l’entrée des recueils généalogiques de l’abbé de Gevigney, de Bertin du Rocheret, de Blondeau de Charnage, du neveu de ce dernier, le chevalier Jault. Vers 1779, l’abbé de La Cour fut remplacé par l’abbé de Gevigney, que ses travaux généalogiques semblaient désigner à ces délicates fonctions. Sa négligence, dont la Bibliothèque fut victime, le força de se retirer en 1784.

Pendant que sous l’administration de l’abbé Bignon 101 et de son successeur, les plus belles collections de l’époque s’accumulaient aux départements des Imprimés et des Manuscrits, le département des Estampes prenait une extension non moins grande. Depuis l’acquisition du cabinet de Beringhen quelques circonstances fâcheuses avaient, il est vrai, arrêté un moment ses progrès. Les dilapidations du successeur de Ladvenant, l’abbé de Chancey (1730), avaient failli porter un grand préjudice à nos collections. La nomination du peintre Coypel (1735) quelque bien justifiée par le talent du titulaire, quelqu’honorable qu’elle fût pour les arts, celle de Delacroix, qui le remplaça (1737) n’avaient guère amélioré l’état des choses. Heureusement pour notre dépôt, après vingt années perdues, pour ainsi dire, le choix du roi se porta sur un homme dont le souvenir se rattache à la période la plus brillante de l’histoire du Cabinet des Estampes, Hugues-Adrien Joly «qui pendant près d’un demi-siècle (1750-1792) ne cessa d’augmenter, d’enrichir les collections confiées à ses soins.»[27].

Trois ans à peine après son entrée en fonctions, Joly fut appelé à recevoir la collection du fermier général, Lallemand de Betz, qui s’en dépouilla en faveur de la Bibliothèque du roi. Cette célèbre collection appelée collection d’Uxelles, (bien que rien ne prouve qu’elle ait appartenu au maréchal de ce nom,) comprenait une série de portraits et une suite de costumes et de pièces 102 topographiques et géographiques. Elle formait un total de près de 15,000 estampes réunies dans 78 volumes in-folio. Les volumes de la première série composés de «portraits d’hommes de toutes conditions rangés chronologiquement, ou à l’époque de leur mort, depuis les philosophes grecs et latins, jusqu’au milieu du règne de Louis XVI[28],» trouvèrent leur place à la suite de la collection dont Clément avait donné les premiers et les plus nombreux éléments. Quant à la seconde partie, elle forma, au département des Estampes, par son caractère universel et pour ainsi dire cosmopolite, un ensemble non moins curieux qu’instructif pour l’amateur et l’érudit. Un peu effacée aujourd’hui par les collections topographiques qui se sont constituées au Cabinet, elle ne cesse pas d’être consultée par le chercheur qui sait y découvrir quelque pièce curieuse et peu commune.

L’acquisition du cabinet de M. de Fontanieu, si profitable aux Imprimés et aux Manuscrits, procura également au département des Estampes un assez grand nombre de pièces relatives à l’histoire de France. Mais ce fut surtout la collection Fevret de Fontette qui vint considérablement augmenter la série des documents que le Cabinet renfermait sur notre histoire nationale. Tout ce qui, en fait de gravures, pouvait se rapporter à la France, mais à la France exclusivement, avait été soigneusement recherché et rangé par le consciencieux éditeur de la Bibliothèque historique du 103 P. Lelong, Charles-Marie Fevret de Fontette, conseiller au Parlement de Bourgogne. Il possédait un fonds de pièces dont le nombre s’élevait à 12,000, classées chronologiquement, d’après le sujet reproduit, depuis les premiers temps de la Gaule jusqu’au règne de Louis XV. Evénements et personnages français, mœurs et costumes de notre pays s’y trouvaient représentés. Il ne fallait pas qu’une telle collection, unique en son genre, échappât à la Bibliothèque du roi. Son possesseur était d’ailleurs trop grand ami des lettres et de la science pour exposer à la dispersion ces recueils qu’il savait, par sa propre expérience, si difficiles à réunir et dont presque chaque page portait des annotations de sa main. En 1770, il signa un acte par lequel il faisait cession à la Bibliothèque de ses recueils. Comme dédommagement, le roi consentait à lui servir une rente viagère de 600 livres. En supposant que cette somme ait été exactement comptée à Fontette, elle est encore trop inférieure au prix de sa collection pour que cette cession ne soit pas considérée comme un des actes de libéralité les plus importants qui aient été accomplis en faveur de la Bibliothèque.

Ce fut par une donation faite sous la même forme que la collection de Michel de Bégon, intendant de la marine à Dunkerque, entra au Cabinet des Estampes. Les efforts de Joly, pour en assurer la possession à la Bibliothèque, secondés par le désintéressement du riche propriétaire, ne demeurèrent pas infructueux. En 1770, près de 25,000 pièces aussi intéressantes pour l’histoire et l’étude de la gravure en France que pour 104 l’archéologie et l’érudition s’intercalèrent dans les œuvres des maîtres. Si quelques-unes y firent double emploi, beaucoup y furent très-utilement placées, soit en comblant des lacunes regrettables, soit en offrant, à côté d’exemplaires défectueux, des épreuves dans un état exceptionnel.

La valeur et la célébrité des collections dont le département des Estampes s’enrichit presque coup sur coup, font placer en seconde ligne d’autres accroissements notables qu’il reçut dans le même temps et qu’à une époque moins heureuse, on serait fier de citer au premier rang. Le cabinet dut à M. de Caylus la meilleure partie de la collection de dessins archéologiques que cet illustre bienfaiteur du département des Médailles avait formée, sans compter «un nombre considérable de morceaux détachés, qu’il prenait plaisir, dit Le Prince[29], d’y déposer de temps en temps.» En ajoutant à ces libéralités successives la magnifique donation faite au département des Médailles, on peut dire que la Bibliothèque hérita de la presque totalité des richesses artistiques et archéologiques du comte de Caylus. Il n’en fut malheureusement pas de même du cabinet de Mariette qui allait être vendu au mois de novembre 1775. L’importance de cette collection était trop grande pour ne pas éveiller le zèle de Joly, et si la vente se fit sans la participation de la Bibliothèque, ce ne fut pas la faute du digne conservateur des Estampes. Son influence, son activité, rapports, lettres sur lettres, 105 démarches les plus pressantes, il mit tout en œuvre pour obtenir le crédit qui lui était nécessaire. Ses sollicitations finirent par vaincre la résistance du gouvernement. Mais il était trop tard. Les premières vacations, qui contenaient les pièces les plus importantes, étaient passées et le fonds de 50,000 livres que Turgot mit à la disposition de la Bibliothèque ne put être employé en temps opportun. Joly ne parvint à acheter que quelques milliers d’estampes utiles à son dépôt, et malgré l’acquisition des épaves encore très-honorables que le département fut appelé à recueillir dans la suite, la célèbre collection de Mariette fut en réalité dispersée et, du moins dans son ensemble, à jamais perdue pour la France.

Joly, dont le zèle fut si profitable au département des Estampes, eut un digne émule au cabinet des Médailles. La mort de Gros de Boze, en 1754, appela à la tête de cette section son collaborateur déjà depuis plusieurs années, le savant auteur du Voyage du jeune Anacharsis, l’abbé Barthélemy. Le temps de l’administration de ce dernier peut être considéré comme une des périodes les plus remarquables de l’histoire du Cabinet.

Déjà, avant la mort de G. de Boze, en 1750, la Bibliothèque avait fait l’acquisition, au prix de 20,000 livres, d’une collection de 2,400 médailles et médaillons appartenant au marquis de Beauvau. En 1755, le Cabinet dut aux efforts de son nouveau garde une suite, encore plus intéressante pour l’étude de la numismatique romaine, de 120 médailles impériales en or provenant de la collection de M. de Cary, de l’Académie 106 de Marseille, qui furent payées 18,000 livres. En même temps, arrivaient du Danemark une série de médailles danoises envoyées par le président Augier et une autre collection plus considérable de médailles papales.

Ces diverses acquisitions apportèrent au Cabinet un assez grand nombre de doubles qu’il y avait intérêt à échanger. Barthélemy obtint une mission en Italie et par voie d’échange, s’y procura plus de trois cents médailles «dont quelques-unes uniques, dit Cointreau, et presque toutes remarquables par leur rareté.» C’est encore en partie au moyen des doubles qu’il réussit à faire entrer dans les médailliers de la Bibliothèque douze cents pièces du Cabinet de M. de Clèves, parmi lesquelles on comptait près de 500 médailles impériales en or.

Le zèle et le caractère de l’abbé Barthélemy qui servaient si utilement les intérêts du dépôt dont il avait la garde, ne furent certainement pas sans influence sur la détermination que prit à cette époque le comte de Caylus. L’amitié et l’estime du célèbre antiquaire pour le savant conservateur du département des médailles, contribuèrent, autant que les intentions libérales du riche amateur à son importante donation. En 1762, il se dépouilla en faveur de la Bibliothèque des monuments les plus remarquables du cabinet d’antiquités qu’il avait formé et décrit lui-même dans son ouvrage[30]. Cette donation exceptionnelle accrût considérablement le fonds des antiques, qui forme aujourd’hui une des 107 séries les plus complètes et les plus riches de la Bibliothèque.

Il serait difficile d’énumérer toutes les acquisitions ou les donations de second ordre que reçut le département des Médailles pendant cette partie de l’administration de l’abbé Barthélemy; on a évalué à vingt mille le nombre des pièces qu’il y fit entrer dans une période de dix années; c’est-à-dire qu’à l’époque de la mort de Bignon, le Cabinet se trouvait augmenté de près d’un tiers, tant au point de vue du nombre des monuments qu’à celui de leur valeur et de leur importance.

Ce chapitre de l’histoire de la Bibliothèque consacré à l’administration de Jérôme Bignon serait incomplet, si l’on passait sous silence ses efforts pour assurer le service du dépôt légal que ses prédécesseurs avaient pris à tâche de réformer et de rendre plus productif pour nos collections. La lettre qu’il écrivit, dans cette intention, aux syndic et adjoints de la librairie, doit être citée toute entière: «Le devoir de ma place, Messieurs, étant de veiller aux intérêts de la Bibliothèque du roi, je ne saurais me dispenser de vous adresser mes plaintes sur le grand nombre d’ouvrages que messieurs les libraires et les graveurs ne fournissent pas. Comme je n’aime pas à user des voies de contrainte, vous me ferez plaisir de les engager à se conformer volontairement aux ordonnances, en remettant avec exactitude à votre Chambre syndicale les plus belles éditions:

«1o Des ouvrages anciens qu’ils ont imprimés et gravés, et qu’ils n’ont pas fournis;

108

«2o Les suites des ouvrages qu’ils ont commencé à fournir;

«3o Les ouvrages nouveaux qu’ils impriment, qu’ils gravent, qu’ils débitent et qu’ils ne devraient mettre en vente qu’après les avoir fournis.

«Tout rentrera par ce moyen dans l’ordre: le public trouvera à la Bibliothèque les ressources qu’il vient y chercher; Messieurs les libraires et les graveurs rempliront les engagemens sous lesquels ils ont obtenu des privilèges et des permissions; et je ne me verrai pas dans la dure nécessité de les y contraindre par les voies de rigueur prescrites par les ordonnances.

«Je me flatte, Messieurs, que votre zèle pour le bien des Lettres vous portera à entrer dans mes vues, et à presser l’exécution de ce que j’ai l’honneur de vous demander pour la Bibliothèque du roi. J’en conserverai la plus vive reconnaissance.»

Dans les différentes parties de son administration, Bignon ne fut donc pas au-dessous de sa tâche, il fut digne de son prédécesseur, digne du nom qu’il portait. A sa mort, en 1772, il laissait à son fils qui lui succéda, avec de nobles exemples à suivre, un dépôt dont ses dix-neuf années de services avaient singulièrement accru la valeur.

RÈGNE DE LOUIS XVI.

Malgré ses difficultés financières, le gouvernement de Louis XVI ne recula devant aucun sacrifice pour 109 donner à la Bibliothèque le moyen de s’assurer la possession de riches collections formées par des particuliers, ou d’en recueillir les articles qu’elle avait intérêt à acquérir. Les sommes élevées accordées à la Bibliothèque, à une époque aussi précaire, prouvent l’importance que notre dépôt avait prise dans le monde littéraire, elles font honneur aux ministres de ce temps, le comte Amelot et le baron de Breteuil, elles sont surtout autant de titres à notre reconnaissance, pour les successeurs zélés de Bignon, son fils Jean-Frédéric et Lenoir, et pour les gardes des quatre départements: l’abbé Barthélemy, conservateur des médailles, Joly, conservateur des estampes, Béjot, conservateur des manuscrits, l’abbé des Aulnays, conservateur des imprimés.

Parmi les acquisitions considérables de cette période, la première à signaler, et par son importance et par ordre chronologique, est celle du cabinet des Médailles, formé par Pellerin. Cette collection passait pour la plus riche qui eût jamais existé et l’ouvrage en neuf volumes in-4o. Recueil de Médailles, de peuples, de villes, de rois, etc., dont elle avait fourni la matière à son possesseur en avait établi la réputation, même à l’étranger. «Le sieur Pellerin, écrivait Bachaumont, dans ses Mémoires secrets à la date du 4 avril 1774, est un vieux amateur de médailles, qui en a une collection des plus rares et des plus complètes. L’impératrice de Russie instruite de ce cabinet par ses émissaires qu’elle a en quête de toutes les belles choses a fait offrir à cet antiquaire 500,000 livres de son cabinet, en en conservant la jouissance jusqu’à sa mort. On 110 assure que M. Pellerin peu touché de ces offres, s’est refusé à vendre son cabinet.» Le riche amateur réservait en effet ses collections à la Bibliothèque, et pour 300,000 livres, il se dépouilla, en 1776, de ce qu’il n’avait pas voulu céder à un prix presque double. Cet acte de désintéressement patriotique, dont l’histoire de la Bibliothèque offre plus d’un exemple, a fait placer le nom de son auteur sur la liste de nos bienfaiteurs. La collection qu’il garda ainsi à la France contenait près de 3,300 pièces. «Celle du roi, dit Le Prince, qui était déjà la plus distinguée de l’Europe, a été portée par cette augmentation à un degré de perfection et de magnificence que toutes les autres, prises ensemble, ne pourraient peut-être pas atteindre.»

Pour être bien inférieure aux offres de l’étranger, cette somme énorme de 300,000 livres, à laquelle ne s’était élevée jusqu’alors que l’acquisition de la bibliothèque de Colbert, était un lourd fardeau pour le budget de cette époque. Aussi les années qui suivent sont moins fertiles; mais vers 1780, l’idée de continuer la publication du catalogue des volumes imprimés, suspendue depuis 1753, par l’impression du catalogue des livres relatifs au droit, provoque, sur les instances de l’abbé des Aulnays, garde du département des Imprimés, de nouveaux et importants achats. Rien que pour les années 1781 et 1782, les registres de dépenses accusent l’emploi d’une somme de plus de 9,000 livres en acquisitions d’ouvrages de jurisprudence français et étrangers, destinés à combler les lacunes du département des Imprimés.

111

En 1783, la nomination de Lenoir, ancien lieutenant-général de police, aux fonctions de bibliothécaire du roi en remplacement de Frédéric Bignon, semble imprimer encore un plus grand élan à la libéralité du gouvernement. Le crédit du nouveau bibliothécaire était utile à la Bibliothèque dans les circonstances qui allaient se présenter.

Dès l’année 1777 il était question de la vente de la fameuse bibliothèque du duc de La Vallière. Déjà, à cette époque, l’abbé des Aulnays écrivait au bibliothécaire du duc, l’abbé Rive, pour obtenir de lui des renseignements sur cette incomparable collection de raretés de toutes sortes en imprimés, manuscrits et estampes et sur les articles qui pouvaient intéresser la Bibliothèque. Bignon n’eut pas de peine à faire comprendre au ministre l’importance de cette vente, un véritable événement, et la nécessité pour la Bibliothèque d’y prendre part. Ce fut le dernier acte mémorable de son administration, ce fut aussi le dernier fait important auquel s’attache, dans nos annales, le nom d’une famille qui pendant près de deux siècles contribua avec tant de zèle et de bonheur à la prospérité de notre grand établissement.

Le 27 décembre 1783, le baron de Breteuil annonçait la résolution du roi en ces termes:

«Je vous ai prévenu, Monsieur, que le roi approuve que vous fassiez acheter les manuscrits et les livres de la Bibliothèque de M. le duc de La Vallière qui manquent à la Bibliothèque de Sa Majesté. Il est, comme vous l’avez observé vous-même, très essentiel 112 de garder le secret sur les acquisitions que vous ferez faire. Il ne l’est pas moins qu’on ne fasse que celles qui seront indispensables, et qu’on ne néglige rien pour qu’elles reviennent au meilleur marché possible. Le roi, qui connaît votre zèle et votre expérience pour ces sortes d’opérations, s’en rapporte aux mesures que vous croirez devoir prendre pour que ses vues soyent remplies.»

La vente commença au mois de janvier et dura jusqu’au mois de mai 1784. La Bibliothèque y acheta deux cent cinquante-cinq manuscrits et près de sept cents volumes imprimés. Parmi ces derniers, la plupart des monuments typographiques du XVe siècle, quelques-uns présentaient une valeur exceptionnelle. L’exemplaire de la Christianismi restitutio, de Servet, entre autres livres précieux, excitait vivement la curiosité des bibliophiles. Dans un rapport adressé à Lenoir le 16 avril 1784, l’abbé des Aulnays, en prévision du prix élevé que ce volume semblait devoir atteindre, demanda pour cette acquisition un crédit spécial:

«Parmi les ouvrages à acquérir à la vente La Vallière, il en est un, disait-il, que l’on n’a pas compris, parce qu’il a paru demander un ordre à part du ministre, vu le prix excessif auquel il peut être porté: c’est le fameux ouvrage de Servet intitulé: Christianismi restitutio. Il fait doublement époque dans l’histoire de l’esprit humain; il atteste la barbarie de Calvin qui fit brûler dans le même bûcher le livre et l’auteur. Cet exemplaire est le seul qui ait échappé aux flammes, on prétend même qu’il 113 en a été arraché. Il offre une autre époque plus consolante; il est le premier ouvrage où l’on ait décrit la circulation du sang, et cela avec presque autant de clarté qu’on le ferait aujourd’hui. Cet exemplaire, si célèbre dans le monde entier, complèterait la collection précieuse, chère et infiniment rare de Servet que le roi possède dans sa Bibliothèque. C’est aussi le seul qui manque dans la Bibliothèque impériale de Vienne. Ce livre n’ayant qu’une valeur arbitraire, il n’est pas possible de prévoir à quel prix il peut être porté par le sous-bibliothécaire de l’Empereur, par les commissionnaires d’Italie, d’Espagne, de Berlin, et par plusieurs particuliers curieux. Je crois devoir me borner à assurer que le public ne cesse de manifester son vœu pour que cet ouvrage unique, si célèbre dans toute l’Europe, passe dans la Bibliothèque de Sa Majesté. Cette espèce de conquête y jetterait, surtout aux yeux des étrangers, un éclat infini sur les acquisitions que le ministre a fait faire, et annoncerait au public ce qu’il a lieu d’attendre de M. le Bibliothécaire dans sa nouvelle place.»

Ce pressant appel fut entendu; le baron de Breteuil donna l’ordre d’acheter ce livre si curieux qui fut payé 4,121 livres.

Le total des adjudications de la vente La Vallière faites à la Bibliothèque s’éleva à la somme de 117,577 livres dont 41,097 livres pour le département des manuscrits, 65,036 pour le département des Imprimés, et 11,444 livres pour le département des Estampes. Quelques mois plus tard, en 1785, on employa une 114 somme de 60,000 livres à l’achat de quittances provenant de la Chambre des Comptes et appartenant à Beaumarchais. Ces papiers pesaient plus de 600 quintaux et remplirent plusieurs voitures entières.

On pourrait penser que ces dépenses extraordinaires dûrent ralentir le mouvement des acquisitions. Il n’en fut rien cependant. Le registre des comptes de la Bibliothèque de 1785 à 1789, dont sont extraites les notes suivantes, prouve que sans préjudice des achats courants et ordinaires, on ne laissa échapper aucune occasion favorable à l’accroissement de nos collections:

«19 janvier 1785. Payé au sieur Peters la somme de 24,000 livres pour le prix de la collection des œuvres de Rembrandt cédée par ledit sieur Peters à la Bibliothèque du roi.

«17 juin 1786. Payé au sieur Leclerc la somme de 6,000 livres, à-compte du prix des estampes, plans et autres ouvrages remis par lui à la Bibliothèque du roi.

La même année, le baron de Breteuil ouvre un crédit de 12,000 livres pour l’acquisition de livres d’histoire naturelle à la vente de la Bibliothèque de Le Camus de Limars.

«21 décembre 1787. Payé à M. Abeille, secrétaire du bureau du commerce, la somme de 6,000 livres pour le prix convenu des manuscrits et portefeuilles par lui cédés à la Bibliothèque du roi, conformément aux lettres de M. le baron de Breteuil des 11 novembre et 1er décembre 1787.

«19 janvier 1788. Payé à M. Joly, garde du Cabinet 115 des Estampes, la somme de 3,000 livres pour le prix des dessins des tableaux de Carle Vanloo, étant dans le chœur des Augustins de la place des Victoires et dont l’acquisition a été ordonnée pour être placés à la Bibliothèque.

«31 mai 1788. Payé à M. l’abbé de Courçay, garde-adjoint du Cabinet des Médailles, la somme de 10,851 livres pour le prix des médailles acquises par ledit Cabinet à la vente de feu M. Dennery conformément aux lettres de M. le baron de Breteuil des 30 novembre 1786, 3 mai et 4 juin 1788.

«4 mars 1789. Payé au sieur Patin, au nom et comme fondé de procuration de M. le cardinal de Loménie, la somme de 3,102 livres faisant partie de celle de 8,502 livres portée en une ordonnance expédiée le 21 juillet 1788, pour le paiement de différents ouvrages acquis par la Bibliothèque du roi tant de mon dit sieur cardinal de Loménie que des sieurs de Rulhières et abbé Lourdet.

«30 juin 1789. Payé au sieur Fournier, huissier, la somme de 3,300 livres pour le prix de la collection de l’histoire de France en 52 volumes acquis à la vente de feu M. le Maréchal de Richelieu sous le no 1606 du catalogue pour le cabinet des Estampes de la Bibliothèque du roi.

«7 juillet 1789. Payé au sieur de La Lande 1,131 livres pour le prix de volumes provenant de la même vente et destinés au même département.»

Les dernières années du règne de Louis XVI furent donc bien remplies. Jusqu’à sa fin, l’ancien régime se 116 montra fidèle à ses traditions, en cherchant avec une constante sollicitude à enrichir la Bibliothèque, qui lui doit son origine et les principaux éléments de sa grandeur.

Avant de commencer l’histoire de la période révolutionnaire, il ne serait peut-être pas inutile de donner quelques détails sur les ressources de la Bibliothèque, sur son organisation, sur l’état de son personnel en 1789. Ce résumé permettra de juger, en plus exacte connaissance de cause, les changements qui ont suivi.

Sous Louis XV, le budget de la Bibliothèque était annuellement de 68,000 livres, dont 46,469 livres pour le personnel, et 21,531 livres pour les acquisitions et le matériel. Dans ce dernier chiffre étaient compris pour une somme de 5,202 livres, les reliures proprement dites et l’achat des maroquins. Ces fonds permettaient à peine de faire les dépenses courantes et quand il se présentait des collections précieuses de livres, de manuscrits, de médailles ou d’estampes, les ministres accordaient des crédits spéciaux. C’est ainsi qu’en 1765, pour ne citer qu’une année, les dépenses montèrent à la somme de 129,047 livres.

En 1778, le fonds ordinaire de 68,000 livres devenant insuffisant, le gouvernement ouvrit un crédit supplémentaire qui varia suivant les circonstances et qui porta le budget annuel à 83,000 livres en moyenne. Dans les dernières années du règne de Louis XVI, par suite des acquisitions extraordinaires de l’époque, le chiffre des dépenses fut bien supérieur, il monta 117 jusqu’à 169,220 livres 10 sols dont 63,000 livres pour les acquisitions.

Cette somme considérable, qui équivaut à peu près à notre budget actuel, était justifiée par la nature et l’importance des services rendus par la Bibliothèque, par la réputation que dès cette époque elle avait d’être la première de l’Europe. Sans être encore absolument publique, elle était régulièrement ouverte à tout le monde deux fois par semaine de 9 h. à 2 h. et quelquefois plus tard. En outre, tous les jours, les gens de lettres et même ceux qui sans être hommes de lettres avaient des recherches sérieuses à faire y avaient facilement accès. On lit dans une note manuscrite du temps: «Dans les jours préférés par les savants et les gens de lettres on leur donne plusieurs volumes à la fois, on les entoure, pour ainsi dire, de la bibliothèque qu’ils désirent et celle du roi devient la leur.» Le nombre des communications, qui ne devait pas dépasser un volume les jours publics, était donc illimité, pour ainsi dire, les jours réservés.

Au département des Imprimés, il n’était pas rare de recevoir, en une séance, plus de cent personnes et de communiquer plusieurs centaines de volumes. Indépendamment de ces communications intérieures, il y avait dans les trois départements des Imprimés, des Manuscrits et des Estampes, un service de prêt bien organisé, qui depuis longtemps avait pris une grande extension. Les registres d’inscription des livres prêtés à cette époque contiennent de nombreuses mentions et témoignent en même temps que de la libéralité avec 118 laquelle se communiquaient les livres, de l’empressement des gens de lettres à en profiter. Pendant plusieurs années Voltaire fut un emprunteur assidu de la Bibliothèque. La lettre suivante qu’il adressait à l’abbé Bignon, peut avoir été écrite vers 1730:

«Monsieur

«Je vous suplie de vouloir bien avoir la bonté de me permettre d’emprunter à la biblioteque du roy quelques livres anglois que je ne pourois pas trouver ailleurs, jen donneray mon reçeu, et je ne manqueray pas de les raporter dans un mois. J’ose vous demander cette grace monsieur d’autant plus librement que je scay que vous avez passé votre vie à en acorder aux gens de lettres. Votre réputation authorise la liberté que je prends. Je passeray dans quelques jours à la biblioteque, et si vous voulez bien monsieur m’y faire donner vos ordres jen profiteray avec la reconnoissance que vous doivent tous les hommes qui pensent.

«Je suis avec bien du respect

«Monsieur
votre très-humble et
très-obéissant serviteur.

«Voltaire.»

A Paris ce 5 aoust.

Les noms qu’on retrouve le plus souvent sur les registres de 1740 à 1788 sont ceux de Montesquieu, 119 Buffon, d’Alembert, Diderot, Condorcet, Marivaux, Lacépède, Daubenton, Maupertuis, l’abbé Lambert, Crébillon, Florian, Berquin, Fréron, Suard, La Harpe. En 1788 Mirabeau, en 1790 Sieyès, et dans les années suivantes, nombre de députés à la Convention usent largement du prêt.

La Bibliothèque se trouvait ainsi mêlée au mouvement général des esprits en facilitant les travaux de ceux qui demandaient des réformes. Elle recevait, pour ainsi dire, le reflet des idées du temps:

«Ce qu’on ignore encore, faisaient justement observer les bibliothécaires à l’Assemblée nationale en 1790, c’est que la Bibliothèque du Roi offre un spectacle bien curieux qui ne serait pas sans utilité pour la politique. C’est là et c’est là seulement qu’on voit vers quelle étude se porte l’esprit humain: il fut un temps où il ne s’occupait que d’érudition et où l’on ne demandait que des auteurs grecs ou latins. Ensuite il se tourna vers la littérature, on ne cherchait que des poëtes et des orateurs; les sciences exactes et la physique ont eu leur tour.

«On s’appliqua ensuite à l’économie politique, on rechercha les livres anglais. L’Assemblée nationale a donné de nouvelles vues à la nation et la Bibliothèque s’en aperçut aussitôt. On y a vu accourir des hommes qui n’y venaient pas: de simples artisans qui ont voulu développer le génie qu’ils se sentaient et qu’ils avaient cru jusqu’alors inutile de cultiver.»

Et l’abbé des Aulnays ajoutait avec une fierté légitime: 120 «Nos places sont destinées à seconder par la communication de nos richesses les efforts que l’esprit humain fait en tous sens soit pour perfectionner les routes anciennes, soit pour s’en frayer de nouvelles. Nous sommes presque toujours les premiers confidents de ses efforts et nous en sommes les témoins journaliers[31]

Malgré les exigences d’un service public déjà bien chargé, malgré de nombreuses acquisitions, la Bibliothèque, au moment de la Révolution, avait la plus grande partie de ses collections rangées et classées. De 1720 à 1789 le département des Imprimés s’était accru d’un cinquième et renfermait à cette dernière date plus de 300,000 volumes ou pièces. Néanmoins le catalogue était à jour. La publication s’était arrêtée[32] au premier volume du catalogue de la jurisprudence, mais chaque ouvrage classé soit d’après le système de Clément, soit d’après le plan du catalogue 121 imprimé portait une cote indiquant exactement sa place sur les rayons. Les intercalations, à l’aide de lettres ou de signes supplémentaires et de sous-chiffres, avaient été régulièrement faites, et si les lecteurs n’avaient de catalogues à leur disposition que pour quelques séries, ils obtenaient rapidement communication des volumes qui se trouvaient sans difficulté.

Il en était de même au département des Manuscrits. Là aussi le classement des volumes se rattachait à deux systèmes, l’un s’appliquant aux manuscrits orientaux, grecs et latins, dont le catalogue avait été publié, et n’admettant pas d’intercalations; l’autre aux manuscrits français, parmi lesquels les intercalations s’étaient continuées. En outre, parallèlement à ces quatre grands fonds, la plupart des collections entrées au XVIIe et au XVIIIe siècle avaient été maintenues dans leur ensemble et avaient conservé le classement et le numérotage se rapportant à l’inventaire dressé au moment de leur annexion à la Bibliothèque. A côté du département des Manuscrits, le département des titres et généalogies, considérablement accru depuis sa création en 1720, ne contenait pas moins de 5,200 boîtes de pièces de toutes sortes et un grand nombre de portefeuilles remplissant neuf salles. Cette masse de documents divisée en deux parties, la série des travaux, notes et mémoires des généalogistes et la série des titres originaux, était classée par ordre alphabétique, et les répertoires tenus à jour rendaient les recherches si commodes, «qu’en peu de minutes, 122 suivant un témoignage du temps, on pouvait présenter tous les titres relatifs à chaque demande.»

Au département des Médailles, dont le nombre avait doublé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’ordre avait été maintenu par l’abbé Barthélemy. La collection d’antiques, en particulier, avait été mise en ordre par ses soins, ainsi que celle dont la Bibliothèque venait d’être enrichie par la libéralité du comte de Caylus.

L’activité de Joly et de son fils, qui lui était adjoint, avait fait face aux travaux de rangement nécessités par les nouvelles entrées du cabinet des Estampes qui, depuis 1750, s’était augmenté en nombre et en richesses de plus d’un tiers. En 1783, il avait même été question d’appliquer aux collections du département une classification scientifique, d’après le système de Heinecke. Mais l’insuffisance des ressources empêcha de mettre à exécution cette idée qui allait être reprise quelques années plus tard. Joly constatait avec une sorte de douleur naïve son impuissance à faire tout le bien qu’il méditait:

«Ce qu’on a peine à croire, écrivait-il, c’est que le service de cet immense dépôt n’a été fait, jusqu’à ce jour, que par deux personnes, le garde et son adjoint, tandis que MM. les autres gardes en ont, les uns plus, les autres moins, quoique le nombre des estampes, qui égale au moins celui des livres imprimés, demande le même travail, à cela près, que l’auteur d’une estampe a voulu souvent se faire deviner.

123

«J’espère, Messieurs[33], que vous aurez égard à l’impossibilité de ranger, de décrire et de démontrer un pareil océan de richesses instructives et agréables avec deux personnes seulement, je crois que quatre ne seraient rien de trop.»

Tel était l’état des choses à la fin de l’ancien régime, et par lui-même, il fait l’éloge de ceux qui l’avaient créé. Depuis longtemps, en effet, le travail était la règle à la Bibliothèque, et ce serait une erreur de croire que les places qui y étaient occupées par des hommes de mérite fussent considérées par eux seulement comme une récompense due à leurs travaux littéraires. Le principe, déjà établi alors, était que l’on devait tout son temps à ses fonctions: le passage suivant, emprunté à un rapport des gardes en 1790, montre comment ils comprenaient leur devoir:

«Le service public qui était projeté en 1720, n’eut lieu que 23 ans après. Alors on pouvait joindre et on joignait d’autres places à celles du département. On pouvait chercher dans la publication de quelques ouvrages une consolation à l’obscurité de ses travaux et un dédommagement à la modicité de ses appointements. Désormais et depuis plus de vingt-cinq ans, il faut toujours détourner ses pensées de dessus soi, les appliquer continuellement à l’utilité d’autrui, et pour tout dire, en un mot, renoncer soi-même à la gloire pour aider les autres à en acquérir.»

124

L’exemple donné par les gardes était suivi par leurs subordonnés, commis, écrivains et garçons qui formaient le personnel du département. Les écrivains n’étaient pas des scribes ou des copistes; antérieurement on les appelait Scriptores regiæ bibliothecæ. C’étaient véritablement des gens de lettres, des professeurs royaux, des savants distingués: l’abbé Barthélemy, pour ne citer qu’un nom[34], avait été simple écrivain. De même les garçons devaient, en général, avoir reçu «une éducation honnête» et savoir le latin. Enfin, à côté de ce cadre normal et régulier, il y avait, aux départements des imprimés et des manuscrits, un personnel d’attachés désignés sous le nom d’Interprètes, dont les connaissances spéciales, en langues mortes ou vivantes, étaient utilisées, soit pour la rédaction des catalogues, soit pour l’acquisition des livres étrangers.

En 1789, le personnel de la Bibliothèque comprenait 54 agents de tous grades, dont voici l’état avec le montant des appointements de chacun:

Lenoir, bibliothécaire en chef 12 500 livres[35]
L’abbé Martin, secrétaire 2 000   id.        
125L’abbé Duprat, aumônier, sans appointements.
L’abbé O. Sullivan, chapelain[36] 600   livres.   
           de Villeneuve, trésorier 1 100   id.        
IMPRIMÉS.
L’abbé des Aulnays, garde[37] 5 000   id.        
           Malin, 1er commis 2 400   id.        
L’abbé Capperonnier, 2e commis[38] 1 800   id.        
           Van Praet[39], 1er écrivain 2 000   id.        
           Carra, 2e écrivain 1 500   id.        
           Gauthier, 3e écrivain 1 200   id.        
           Cœuilhe, 4e écrivain 1 000   id.        
           Tournay, surnuméraire  
           Cazenave, garçon 800   id.        
           Chevret, aîné, garçon 800   id.        
           Le Prince, cadet, garçon 800   id.        
           Chevret, cadet, garçon 800   id.        
MANUSCRITS.
Caussin de Perceval[40], garde 5 000   id.        
           Parquoy, 1er commis 1 500   id.        
126Le Prince, aîné, 2e com. (Inspr de la librairie) 1 600   id.        
           Duby, 3e commis 800   id.        
GÉNÉALOGIE.
L’abbé Coupé, garde 4 000   id.        
           Aubron, 1er commis 3 000   id.        
           Gourier, commis 1 000   id.        
           Levrier de Champrion, commis 1 000   id.        
           De Villiers, commis 1 000   id.        
ESTAMPES.
           Joly, garde 3 000   id.        
           Joly, fils, adjoint 1 200   id.        
INTERPRÈTES.
Le Roux des Hautes Rayes, (p. les lang. occ.) 1 200   id.        
           De Guignes,                         id.         1 000   id.        
           Anquetil,                            id.         900   id.        
           Ruffin,                                id.         800   id.        
           De Keralio, (pour la langue allem.) 1 000   id.        
           Behenam, (pour la langue grecque) 1 200   id.        
           Dom Chavich, (pour la langue arabe.) 2 400   id.        
           Venture, (pour les langues orientales) 800   id.        
MÉDAILLES.
L’abbé Barthélemy, garde 5 000   id.        
           Barthélemy de Courçay, garde-adjoint 2 000   id.        
           Barbié, 1er commis 1 200   id.        
           Cointreau, 2e id. 800   id.        
           Plus 14 suisses ou frotteurs.  

127

LA BIBLIOTHÈQUE PENDANT LA RÉVOLUTION.


La Révolution ouvre pour la Bibliothèque une nouvelle ère de prospérité. Tandis qu’il s’attache à détruire la plupart des institutions royales, le nouveau régime sauve notre grand établissement national, le transforme et en décuple les richesses. Les mesures révolutionnaires tournent à son profit et en font le plus vaste dépôt littéraire et scientifique du monde.

Malheureusement la précipitation avec laquelle les versements de livres, de manuscrits, d’objets d’art se firent dans nos collections, produisit un désordre et un encombrement que nos prédécesseurs furent impuissants à empêcher, et qui ont laissé à notre génération un arriéré considérable. Le nom d’un homme est resté attaché à cette période si difficile et si laborieuse de l’histoire de notre dépôt, qu’il personnifie pour ainsi dire: c’est Van Praet, dont la science bibliographique, l’activité furent à la hauteur de la tâche immense que les événements lui imposèrent.

La suppression des maisons religieuses dont les biens furent déclarés propriété nationale, et la confiscation des biens des émigrés firent tomber dans le domaine public une masse considérable de livres imprimés et manuscrits. Pour les recevoir, on ouvrit, en divers points de Paris, des magasins qu’on appela les dépôts littéraires. Une commission composée de membres pris parmi les représentants et qui se nomma d’abord la Commission 128 des monuments, puis sous la Convention, la Commission des arts, et enfin le Conseil de conservation des objets de science et d’art eut la haute direction de ces dépôts à la tête desquels dût être placé un conservateur chargé de classer et de cataloguer les livres acquis à la nation. C’est dans ces dépôts littéraires que de 1792 à 1798 la Bibliothèque fut appelée à choisir les volumes tant imprimés que manuscrits qui manquaient à ses collections.

Pour les volumes imprimés, on distingua ceux qui provenaient des bibliothèques d’émigrés et ceux qui étaient tirés des établissements religieux. Les livres de la première catégorie furent versés dans les dépôts de la rue de Lille, de la rue de Thorigny, de la rue Saint-Marc, des Cordeliers et de la rue de l’Arsenal.

Le dépôt littéraire de la rue de Lille, ayant à sa tête Seryès, fut formé des bibliothèques des émigrés Dangevilliers, de Castries, de Cicé, de Caraman, Doudeauville, Rochechouart, Talleyrand-Périgord.

Le dépôt littéraire de la rue de Thorigny, dont Pyre était le conservateur, destiné aux livres de même origine, reçut notamment les bibliothèques des émigrés Maubec, Paulmier, Thiroux de Mondésir, Villedeuil, Visieux.

Le dépôt littéraire de la rue Saint Marc recueillit les bibliothèques de Penthièvre, Philippe d’Orléans, Croy d’Havri, Renard, Montaigne, Choiseul, Egmont, Montmorency, etc. Dambreville avait la garde de ce dépôt.

Les dépôts littéraires des Cordeliers et de l’Arsenal furent également affectés aux volumes confisqués sur les émigrés.

129

Les livres des établissements religieux furent spécialement versés dans les dépôts des Capucins Saint-Honoré, de Louis-la-Culture, des Elèves de la Patrie, ci-devant la Pitié. Mais la plupart des bibliothèques religieuses restèrent dans les maisons qui les avaient formées. Il y eut ainsi des dépôts notamment aux Célestins, aux Feuillants, aux Jacobins, aux Minimes, à l’Oratoire, aux Petits-Pères, à l’Abbaye de Saint-Victor, à la Sainte-Chapelle, à la Sorbonne, à l’abbaye de Saint-Germain-des-Près.

Il serait difficile de dire le nombre des volumes imprimés que la Bibliothèque retira de ces dépôts, et l’époque précise à laquelle ces prélèvements eurent lieu. L’opération, principalement dirigée par Van Praet et Capperonnier, gardes du département des Imprimés, commença en 1794 et dura plusieurs années. Une masse énorme de volumes affluèrent ainsi au département des Imprimés. Mais le choix de ces hommes, forcément hasardeux, porta souvent sur des exemplaires doubles et triples, qui vinrent s’entasser pêle-mêle dans les greniers, sans nul profit pour la Bibliothèque, tandis que lui échappait telle édition rare, tel exemplaire précieux, à jamais perdu pour elle et pour la science.

Le même désordre se produisit dans le triage des manuscrits. Cependant si les mesures révolutionnaires ne produisirent pas dans cette partie de nos collections tous les résultats qu’on pouvait en attendre, on peut dire qu’elles donnèrent plus au département des manuscrits qu’à celui des Imprimés. En 1790, le département 130 des Manuscrits s’était déjà annexé le cabinet des Chartes où par les soins de l’historiographe Moreau se trouvaient réunies plus de 40,000 chartes, recueillies soit à Paris, soit en province, collection qui forme aujourd’hui 1834 volumes. Moins de deux ans plus tard, le 9 mai 1792, il reçut les collections généalogiques formées par Clairembault et que son neveu avait cédées à l’ordre du Saint-Esprit. Les pièces échappées aux ordres de la Convention, qui en fit brûler la moitié, ont constitué une collection qui comprend encore 1348 volumes. De 1794 à 1795, ce fut encore dans son département des manuscrits que la Bibliothèque donna asile aux débris des bibliothèques religieuses supprimées. Enfin elle recueillit presqu’intégralement les manuscrits des abbayes Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Victor, de la bibliothèque de la Sorbonne. La magnifique bibliothèque de Saint-Germain-des-Prés, même après le vol dont elle fut victime en 1791 et qui fit passer à l’étranger des documents de la plus grande valeur, même après l’incendie qui détruisit en 1792 presque tous les imprimés, apporta au département des manuscrits un appoint considérable. Plus de 9,000 volumes orientaux grecs, latins, français, des caisses énormes de papiers, vinrent prendre place dans notre dépôt. De l’abbaye de Saint-Victor, la Bibliothèque ne retira que 1265 manuscrits, mais elle recueillit en entier le fonds de la Sorbonne composé de près de 2000 volumes.

Les dépôts provisoires, formés en province, fournirent également leur contingent. Des manuscrits furent expédiés à Paris de différents points de la France et 131 centralisés à la Bibliothèque nationale. Des délégués du Conseil de Conservation des objets d’art et de science durent reconnaître dans les dépôts provisoires les documents qui pouvaient convenir à la Bibliothèque. C’est en cette qualité que Chardon de La Rochette fut envoyé à Troyes, à Dijon, à Nîmes. Mais son incurie et son infidélité rendirent sa mission beaucoup moins fructueuse qu’elle aurait dû l’être.

La circulaire ministérielle du 11 décembre 1798 qui prescrivit d’envoyer à la Bibliothèque tous les cartulaires des ci-devant instituts religieux ne donna pas non plus tous les résultats qu’on était en droit d’en attendre. Onze départements seulement y répondirent, leurs envois formèrent un total de 120 volumes.

Avec Paris et la province, les pays conquis furent mis à contribution. A la suite des conquêtes des armées françaises, des commissaires du gouvernement, notamment Keil, Neveu, Joubert, Rudler, Denon en Allemagne, Cubières, Monge, Daunou en Italie, furent chargés de choisir et d’envoyer à Paris les objets qui devaient être distribués à nos établissements scientifiques et littéraires. Un état dressé à cette époque fait connaître le nombre des livres venus de l’étranger en 1795 et 1796. Dans ces deux années seulement, la Belgique et la Hollande avaient envoyé 2000 volumes imprimés et 942 manuscrits, l’Italie 284 volumes imprimés ou manuscrits parmi lesquels des manuscrits de Léonard de Vinci, de Galilée, le Josèphe sur papyrus, le Virgile de Pétrarque. Ces envois continuèrent jusque vers 1809, mais quelques années plus tard, sous le 132 coup des revers, la France dut rendre ce que ses victoires lui avaient donné.

La suppression des maisons religieuses fit arriver au département des médailles les trésors des églises, celui de l’abbaye de Saint-Denis y fut apporté au commencement de 1791. Le Cabinet s’enrichit en même temps des monuments composant le trésor de la Sainte-Chapelle qui avait été réuni provisoirement à celui de Saint-Denis. L’entrée du fameux camée de l’apothéose d’Auguste date de cette époque. Le 17 septembre 1793, on incorpora dans les collections nationales des pièces gravées provenant du trésor de la cathédrale de Chartres, parmi lesquelles se trouvait le superbe camée de Jupiter debout. Mais l’accroissement le plus important que reçut le Cabinet pendant la période révolutionnaire lui vint du médaillier de l’abbaye de Sainte-Geneviève. Le transport, décidé à la suite d’une tentative de vol dont il faillit être victime, eut lieu le 15 mai 1793. «Ce beau cabinet, dit M. Du Mersan, enrichit notre suite de plus de 7,000 médailles romaines, dont 842 en or, 1625 en argent, 5139 en grand, moyen et petit bronze, et d’environ 10,000 médailles de peuples, villes et rois, de médailles modernes, de sceaux et de jetons.» Quelques années plus tard, en 1797, le département recueillit encore les objets d’art et de curiosité conservés au Muséum, à la Monnaie, au Garde-meuble. Avec le dépôt formé à l’hôtel de Nesle des collections ayant appartenu aux émigrés, entrèrent à la Bibliothèque les curiosités chinoises du célèbre cabinet de Bertin.

133

Les années qui suivirent furent marquées par de nombreux envois de l’étranger et surtout de l’Italie, mais de même que les livres imprimés, de même que les manuscrits, la plupart des objets dont ils se composaient ne firent qu’un court séjour au département des Médailles.

La période révolutionnaire fut moins féconde pour le département des Estampes que pour les autres sections de la Bibliothèque. A part la collection de pièces chinoises et japonaises du cabinet de Bertin, à part la série mythologique des 30,000 estampes formée par Nicolas de Tralage et léguée par lui à l’abbaye de Saint-Victor et qui entrèrent à la Bibliothèque en même temps que les manuscrits de l’abbaye, le département des Estampes ne reçut à cette époque aucun accroissement considérable. Mais l’histoire de ce dépôt, pendant la même période, n’en fut pas moins marquée par un événement mémorable, «une découverte aussi importante pour l’histoire de l’art lui-même que pour l’honneur du Cabinet des Estampes»[41].

En 1797, le savant abbé Zani, de Parme, en séjour à Paris, reconnut dans les recueils des anciens maîtres italiens de la collection de Marolles un nielle exécuté par l’orfèvre florentin Tomaso Finiguerra[42]. Cette découverte 134 rendait à l’Italie l’honneur que l’Allemagne lui disputait depuis longtemps d’avoir donné naissance à l’inventeur de la gravure au burin. En effet la pièce en question ayant été tirée, ainsi que l’indique son état, avant que l’artiste eut mis la dernière main à la plaque originale, est antérieure à l’année 1452, puisqu’un acte authentique constate qu’à cette époque Finiguerra reçut une somme de 66 florins d’or (800 francs), en paiement de la Paix qu’il livra au baptistère de Saint-Jean à Florence.

Le succès des recherches de l’abbé Zani n’a fait que se confirmer avec le temps. Malgré les attaques que sa bonne fortune devait lui attirer, malgré les prétentions contraires des intéressés, il est établi aujourd’hui que la pièce découverte en 1797 est le plus ancien monument de la gravure au burin et que le seul exemplaire connu est conservé à notre département des Estampes.

La Bibliothèque sortit de la Révolution considérablement accrue, mais non sans avoir couru plus d’un danger au milieu du trouble général. Les personnes eurent à souffrir autant que les choses dans cette période de crise et d’effervescence. En 1789, Lenoir, 135 dont l’administration avait été vivement attaquée, ayant donné sa démission, le roi avait nommé pour le remplacer Lefèvre d’Ormesson de Noyseau, député à l’Assemblée nationale, «en récompense, ajoutait l’acte de nomination, des services que sa famille rend depuis très-longtemps, tant dans les principales charges de la magistrature que dans les conseils du roi.» Lefèvre d’Ormesson prêta serment le 9 janvier 1790; mais le nouveau titulaire, dont la nomination avait été motivée en ces termes et qui devait être condamné à mort en 1794, ne resta pas longtemps en fonctions. Le 19 août 1792, Roland, président du Conseil exécutif provisoire, créa deux places de bibliothécaire, l’une fut donnée à Chamfort «pour reconnaître ses talents littéraires et son civisme éprouvé», l’autre au conventionnel Carra.

Les deux créatures de Roland tombèrent avec les Girondins[43]. Le 15 brumaire an II, Paré, ministre de l’intérieur, nomma l’orientaliste Lefèvre de Villebrune, garde de la Bibliothèque nationale. La terreur y règne avec lui. Les dénonciations d’un certain Tobiesen Duby[44], fils d’un ancien interprète et lui-même employé 136 à la Bibliothèque, attirent des mesures vexatoires sur le personnel des conservateurs. Van Praet conduit en prison parvient à s’échapper et trouve un asile chez le libraire Barrois. Joly, le doyen des conservateurs, son fils, sont révoqués et un employé inférieur Bounieu est appelé à recueillir leur succession. Son grand âge, sa réputation, l’éclat de ses services ne sauvent même pas l’abbé Barthélemy. Suspect par son passé et par son caractère, il est emprisonné aux Madelonnettes avec son neveu, Barthélemy de Courçay, et le Cabinet des Médailles reste aux mains d’un employé secondaire, Cointreau, dont les opinions exaltées étaient le seul titre de recommandation à ces importantes fonctions.

Paré voulut réparer l’injuste violence dont Barthélemy avait été victime. Non content de lui rendre la liberté, il lui offrit la place de bibliothécaire. La lettre qu’il lui écrivit dans le style de l’époque était ainsi conçue:

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«En rentrant dans la Bibliothèque nationale d’où quelques circonstances rigoureuses vous ont momentanément enlevé, dites comme Anacharsis lorsqu’il contemplait avec saisissement la bibliothèque d’Euclide: C’en est fait, je ne sors plus d’ici. Non, citoyen, vous n’en sortirez plus, et je me fonde sur la justice d’un peuple qui se fera toujours une loi de récompenser l’auteur d’un ouvrage où sont rappelés avec tant de séduction les beaux jours de la Grèce et les mœurs républicaines qui produisaient tant de grands hommes et de grandes choses. Je confie à vos soins la Bibliothèque nationale; je me flatte que vous accepterez ce dépôt honorable, et je me félicite de pouvoir vous l’offrir. En lisant pour la première fois le voyage d’Anacharsis, j’admirais cette production où le génie sait donner à l’érudition tant de charmes, mais j’étais loin de penser qu’un jour je serais l’organe dont un peuple équitable se servirait pour donner à son auteur un témoignage de son estime.»

Barthélemy, «battu presque sans relâche, par la tempête révolutionnaire, accablé sous le poids des ans et des infirmités» refusa ces offres. Il se contenta de reprendre la place qu’il avait occupée si longtemps et si dignement à la tête du département des Médailles et qui avait toujours suffi à son ambition.

Cependant le calme commençait à renaître. En 1795, la Convention chercha à rétablir l’ordre qui avait été profondément troublé à la Bibliothèque et le Comité de l’Instruction publique chargea Villar, député de la 138 Mayenne, de préparer un projet de réorganisation. Le rapporteur disait, faisant allusion à la famille des Bignon: «La place de bibliothécaire devint le prix de l’intrigue et le gage de la faveur... Des droits honorifiques succédèrent à une surveillance active... On les réserva pour quelques familles privilégiées dont la Bibliothèque semblait être l’héritage...» et encore: «Le régime républicain ne souffre point de charge aristocratique.» La place de bibliothécaire fut donc supprimée; l’administration de la Bibliothèque fut confiée à un conservatoire composé de huit membres (deux conservateurs du département des Imprimés, trois des Manuscrits, deux des Médailles, un des Estampes), nommant dans son sein un directeur annuel. Le budget réduit par l’Assemblée constituante à 110,000 livres était insuffisant. En 1791, il avait été augmenté d’un crédit extraordinaire de 100,000 livres. Le décret du 25 vendémiaire an IV le porta à 192,000 livres. Enfin, dernier acte de réparation, il replaça dans leurs fonctions des hommes qui n’avaient jamais démérité. Capperonnier et Van Praet furent nommés conservateurs du département des imprimés; Langlès, La Porte du Theil, Legrand d’Aussy, conservateurs des manuscrits, le premier pour les fonds orientaux, le second pour les fonds grec et latin, le troisième pour les fonds modernes; Barthélemy[45] et Millin, conservateurs des médailles; Joly fils, conservateur 139 des estampes. Dans sa première séance du 5 brumaire an IV, le conservatoire élut Barthélemy directeur, Van Praet trésorier et Millin secrétaire.

Le décret du 25 vendémiaire fut complété par le règlement du 25 fructidor an IV qui ouvrit la Bibliothèque au public tous les jours de 10 heures à 2 heures.

Ce décret de réorganisation qui, à vrai dire, n’était, dans la plupart de ses dispositions, que la consécration d’un état de choses existant depuis longtemps, a servi de base aux réformes ultérieures. Il en fut de même de la loi du 19 juillet 1793 qui, en proclamant le droit de propriété littéraire, établit le principe et les règles du dépôt légal.

«Tout citoyen qui mettra au jour un ouvrage, soit de littérature ou de gravure dans quelque genre que ce soit, sera obligé d’en déposer deux exemplaires à la Bibliothèque nationale ou au Cabinet des Estampes de la République, dont il recevra un reçu signé par le bibliothécaire, faute de quoi il ne pourra être admis en justice pour la poursuite des contrefacteurs.»

Ainsi, aux termes de cette loi, le dépôt à la Bibliothèque garantissait la propriété de l’auteur, mais il n’était pas obligatoire, et si l’auteur d’un ouvrage de luxe, par exemple, dont la contrefaçon est presqu’impossible, n’avait pas intérêt à déposer, rien dans la loi ne l’y obligeait.

Le décret impérial de 5 février 1810, les ordonnances des 21 et 24 octobre 1814 changèrent tout le système en faisant du dépôt non plus un moyen de garantie de 140 propriété pour les auteurs, mais un instrument de police dans les mains du gouvernement. Pour obtenir ce résultat, c’est à l’imprimeur qu’on imposa l’obligation de déposer tout ouvrage sortant de ses presses, y compris les impressions lithographiques, les estampes et les planches gravées sans texte. Le nombre d’exemplaires à fournir a varié depuis lors; primitivement fixé à cinq, il a été réduit à deux pour les écrits imprimés et à trois pour les lithographies. Sur les deux exemplaires de texte imprimé déposés non plus à la Bibliothèque nationale, mais au ministère de l’Intérieur pour Paris, et dans les préfectures pour les départements, l’un revient à notre établissement, l’autre est remis au ministère de l’Instruction publique qui reçoit également un des trois exemplaires des lithographies.

En ce qui concerne la Bibliothèque, les inconvénients de la législation du dépôt, telle qu’elle vient d’être résumée, sont nombreux et appellent des réformes qui ont été demandées à différentes reprises. Que de fois, par exemple, le texte d’un même ouvrage, imprimé en deux ou trois parties, n’arrive à la Bibliothèque que par fragments difficiles et souvent même impossibles à rassembler! Que d’hésitations pour réunir au livre écrit les planches qui lui appartiennent et qui ont été déposées séparément! L’obligation de déposer incombant à l’imprimeur, les lithographies sont déposées en noir quand elles sont vendues coloriées, si bien que la Bibliothèque se trouve avoir, par exemple, l’exemplaire du dépôt du Tableau des pavillons maritimes des différentes 141 nations de M. Legras ou de l’Histoire de la peinture sur verre, de M. F. de Lasteyrie, avec les planches en noir, c’est-à-dire qu’elle est obligée d’acquérir ce que le législateur a toujours eu l’intention de lui donner. En outre l’imprimeur ne se croit pas tenu de fournir un exemplaire en bon état. Quand le dépôt est fait d’épreuves maculées, bâtonnées ou déchirées, la Bibliothèque ne peut exiger davantage, elle fait appel à l’obligeance de l’imprimeur, mais ses demandes sont loin d’être toujours accueillies.

Le législation du dépôt légal demande donc à être modifiée et complétée. La question depuis longtemps étudiée semble avoir été résolue; le projet de la commission nommée en 1850[46] concilierait peut-être les intérêts de la Bibliothèque et les convenances administratives. En voici les principales dispositions:

1o Deux sortes de dépôt: l’un de police qui continuerait à être fait par les imprimeurs, graveurs, etc., au ministère de l’Intérieur, l’autre assimilé aux impôts ordinaires, serait effectué par les soins de l’éditeur à la Bibliothèque;

2o responsabilité de l’éditeur pour tout ouvrage imprimé;

3o Déclaration du nom de l’éditeur par l’imprimeur faisant le dépôt;

4o Obligation pour l’éditeur de fournir un exemplaire 142 de la condition des meilleures qui sont dans le commerce.


CONSULAT ET EMPIRE.


Sous le Consulat et l’Empire, le mouvement des acquisitions se ralentit, mais les envois de l’étranger continuèrent plus importants et plus nombreux encore que pendant la Révolution. Dans cette période, la Bibliothèque vit arriver dans ses collections les monuments les plus rares et les plus précieux des Bibliothèques de Milan, Mantoue, Modène, Venise, Vérone, Bologne, Gênes, Rome, Turin, Vienne, Berlin, Munich, Wolfenbüttel, jusqu’au jour où la fortune ayant changé, il fallut faire les restitutions et rendre à la force ce qu’on avait pris par la force.

Les objets que la Bibliothèque reçut de l’étranger à cette époque ne furent pas tous cependant le fruit de nos victoires. En 1801, Dom Jean-Baptiste Maugerard, ancien bénédictin, reçut du ministre de l’Intérieur la mission de rechercher dans les provinces rhénanes, les livres et manuscrits qui pouvaient intéresser nos collections. On lui accorda pour cet objet une indemnité de 6000 francs. La mission de Dom Maugerard et de son adjoint Ortolani dura jusqu’en 1806 et fut marquée par de fréquents envois de manuscrits et de livres rares imprimés.

Le 13 floréal an XI, la Bibliothèque reçoit par ses soins trois caisses de volumes imprimés et manuscrits recueillis à Trèves, le 26 floréal une autre caisse de 143 même provenance contenant des manuscrits. A Coblentz, il fait choix de manuscrits, d’imprimés et de médailles. Une lettre écrite de Cologne le 9 thermidor de la même année annonce qu’il a trouvé à Crevelt, à Gueldre, à Clèves, des éditions rares de Cologne d’Ulric Zell, jusqu’alors inconnues. Le 11 brumaire an XII arrivent de Metz 2 caisses renfermant 223 volumes dont 15 manuscrits. Le 13 brumaire, il écrit d’Aix-la-Chapelle pour prévenir le conservatoire du départ de caisses contenant des manuscrits et des incunables. La même année, il est à Bonn, à Coblentz, où il rédige un catalogue des articles qui lui paraissent utiles à la Bibliothèque. Le 12 pluviôse, il expédie 3 volumes manuscrits et le célèbre exemplaire de la Bible de Pfister imprimée vers 1461 en 2 volumes in-folio, le tout acheté et payé par lui 1544 francs. La possession que le département des Imprimés doit à Maugerard de ce rare monument typographique suffirait pour immortaliser son nom dans nos annales. Le 18 thermidor an XII, le conservatoire enregistre un nouvel envoi de deux grandes caisses contenant tout ce qu’il avait pu trouver d’intéressant dans les départements de la Roër et de Rhin et Moselle.

De retour en France, Dom Maugerard fut chargé par décision ministérielle du 24 thermidor an XIII, de faire des recherches analogues dans les bibliothèques publiques. Mais cette partie de sa mission ne dura pas longtemps; le 8 janvier 1806, il informait le conservatoire de la cessation de ses fonctions «en qualité de commissaire pour la recherche des objets de science 144 et d’art dans les départements réunis.» En résumé, la mission de Maugerard profita principalement au département des Imprimés, elle fournit à la série des incunables de précieuses additions qui ont fait placer son nom à côté des plus illustres bienfaiteurs de ce département[47].

L’année même où finirent les recherches de Maugerard, la Bibliothèque acheta, au prix de 9000 francs, la collection de lois imprimées et manuscrites depuis 1200 jusqu’à 1789, formée par le libraire Rondonneau. Ces documents furent déposés au département des Imprimés où furent versés également les livres du Tribunat. C’est encore le seul département des Imprimés que Napoléon avait en vue lorsqu’en 1805 il fit porter au budget de la Bibliothèque un crédit extraordinaire de 130,000 francs, premier à-compte d’une somme de 1,000,000 qui devait être entièrement employée à «l’achat des bons ouvrages publiés en France depuis 1785.» Puis cette augmentation ne paraissant pas suffisante pour combler les lacunes du département des Imprimés, il reprit le système de la Convention qui consistait à prélever dans les bibliothèques de France les articles qui manquaient à la Bibliothèque nationale. Il fit connaître sa volonté à ce sujet dans la note suivante qu’il dicta à M. de Champagny, ministre de l’Intérieur, le 17 pluviôse an XII:

«Beaucoup d’ouvrages anciens et modernes manquent 145 à la Bibliothèque impériale tandis qu’ils se trouvent dans les autres bibliothèques de Paris ou des départements. Il faudrait en faire dresser l’état et les faire prendre dans ces établissements auxquels on donnerait en échange des ouvrages qu’ils n’ont pas et dont la Bibliothèque a des doubles. Il doit résulter de cette opération, si elle est bien faite, que lorsqu’on ne trouvera pas un livre à la Bibliothèque, il sera certain que cet ouvrage n’existe pas en France.

«Le déplacement des objets attirés des autres bibliothèques par l’exécution de cette mesure, ainsi que celui des livres à donner en échange n’aura lieu que lors de l’établissement définitif de la Bibliothèque au Louvre.»

Ce projet de la Bibliothèque universelle, comme on l’a appelé, plus séduisant dans la forme que réalisable dans la pratique, ne fut pas exécuté. D’un côté l’insuffisance des fonds accordés à la Bibliothèque, l’augmentation prodigieuse du nombre des ouvrages entrés depuis une cinquantaine d’années ne permettaient guère de reprendre l’impression du catalogue, et d’un autre côté, il ne fallait pas compter sur un grand empressement de la part des bibliothèques à répondre à un appel qui tendait à les amoindrir.

A la même époque la question du déplacement de la Bibliothèque était à l’ordre du jour; il s’agissait de la transférer au Louvre. Dès 1801, le ministre de l’Intérieur, Chaptal, exposait dans un rapport les raisons d’intérêt supérieur qui selon lui devaient faire adopter 146 ce projet: «L’espace manque au développement de tant de richesses[48]... Le peu de solidité de l’édifice nécessite des réparations ruineuses et sans cesse renaissantes, placé au milieu de théâtres nombreux[49], entouré et presque confondu dans des maisons habitées, la sûreté du riche dépôt qu’il renferme est menacée à chaque instant. La translation de la Bibliothèque nationale au Louvre présente tous les avantages qu’on peut désirer: 1o elle assure la conservation de ce précieux dépôt; 2o elle réunit dans le même lieu la plus riche bibliothèque du monde à la plus belle collection de peinture et de sculpture qu’on connaisse: par elle, les chefs-d’œuvre de Phidias, 147 de Raphaël et de Racine n’auront plus qu’un même temple; 3o elle établit dans le centre de ces monuments éternels du génie le corps littéraire, l’Institut qui en est le conservateur né; 4o elle termine enfin le beau palais du Louvre et donne pour asile aux chefs-d’œuvre de l’esprit humain le chef-d’œuvre de l’architecture. Sans doute il en coûtera des sommes considérables pour opérer cette translation; mais la vente des bâtiments qu’occupe en ce moment la Bibliothèque fournit en partie à la dépense; d’ailleurs la nécessité de cette translation est tellement sentie, si vivement sollicitée que la différer et exposer par le retard la Bibliothèque nationale à périr serait un crime de vandalisme dont aucun motif d’économie ne pourrait absoudre.»

Sur les ordres de l’empereur, le ministre de l’Intérieur Crétet prescrivit le 7 septembre 1807 un recensement général des collections et une évaluation de l’espace à ménager pour l’avenir. Le dénombrement des collections fait à cette époque, donna les chiffres suivants:

252,000 volumes imprimés. (Dans ce nombre on avait compté pour un volume seulement des recueils renfermant 20, 30, 40 et quelquefois 50 pièces).

83,000 volumes manuscrits.

85,000 monnaies, médailles, jetons, etc., etc.

1,250 pièces gravées.

4,600 bronzes, antiques, etc., etc.

4,626 volumes contenant environ 1,500,000 estampes.

148

La mise à exécution des projets de l’empereur, au sujet du déplacement de la Bibliothèque, se borna à cette opération. Des réformes qu’il avait en vue, il ne vit s’accomplir, et encore temporairement, que celles qui concernaient l’organisation administrative de la Bibliothèque. Le Consulat, qui ramenait partout le pouvoir à la centralisation, établit dans la Bibliothèque l’unité administrative et la responsabilité d’un seul. L’arrêté de Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur, en date du 28 vendémiaire, an IX, créait une place d’administrateur et nommait:

Capperonnier, administrateur,

Van Praet, conservateur des Imprimés,

Langlès, La Porte du Theil, Legrand d’Aussy, conservateurs des Manuscrits,

Millin, Gosselin[50], conservateurs des Médailles,

Joly, conservateur des Estampes.

Les conservateurs formaient sous la présidence de l’administrateur un conseil purement consultatif. Les principes contenus dans cet arrêté ont été reproduits dans le décret organique de 1858, qui régit aujourd’hui la Bibliothèque nationale.

La mort de Legrand d’Aussy, arrivée le 15 frimaire an IX, appela aux fonctions de conservateur des manuscrits en langue moderne, Dacier, membre de l’Institut, et le 4 janvier 1806, Dacier fut nommé administrateur de la Bibliothèque. C’est lui qui en cette qualité eut, en 1814 149 et en 1815, le triste devoir d’exécuter les ordres de restitution des alliés, commandant en maîtres dans Paris.

La Prusse fut la première à réclamer en 1814; elle demanda la restitution de la collection de médailles romaines et des pièces dites bractéates qui avaient été rapportées de Berlin en 1806. Le 1er octobre les commissaires prussiens, Bussler, conseiller aulique, et Henry, bibliothécaire du roi de Prusse, signèrent un reçu de 8,465 pièces. Le 29 décembre, la Bibliothèque rendit les quelques volumes enlevés à Potsdam parmi lesquels se trouvaient les tomes II et III des œuvres de Voltaire annotés de sa main. Le commissaire de l’Autriche, le baron Ottenfels se fit également restituer les volumes manuscrits rapportés de Vienne en 1809.

Le 2 septembre 1815, les manuscrits de Wollfenbüttel furent remis au grand chambellan du duc de Brunswick, et le 6 du même mois on livra aux commissaires prussiens les diplômes, bulles, etc., venus d’Aix-la-Chapelle et de diverses villes de la Belgique. Le 9 septembre, la Bavière reprit les imprimés, manuscrits et estampes enlevés aux bibliothèques de Munich, de Nuremberg, etc.

Ensuite ce fut le tour de l’Italie. Le 27 septembre, le général prussien de Müffling, gouverneur de Paris, demanda, au nom de l’empereur d’Autriche, le manuscrit de Virgile qui avait appartenu à la Bibliothèque Laurentienne à Florence. «Vous m’obligerez, écrivait-il à M. Dacier, en me dispensant de prendre des mesures ultérieures.» Dacier crut devoir en référer au ministre de l’Intérieur. «Vous ne devez céder qu’à 150 la force, répondit M. de Barante, ou du moins à une démonstration suffisante qu’elle sera employée.»

Le 5 octobre 1815, le baron Ottenfels, commissaire de l’Autriche, se présenta à la Bibliothèque accompagné du capitaine Meyern, porteur des ordres du général de Müffling et suivi d’un fort détachement de troupes. Le conservatoire remit entre leurs mains deux cent deux manuscrits des bibliothèques de Saint-Marc à Venise, de Mantoue, de Milan, qui reprirent le chemin de l’Italie, avec les livres et les manuscrits de Turin et de Rome réclamés par Mgr Marini, commissaire du Saint-Siége.

Quelques jours plus tard, le 20 octobre, on fut obligé de rendre au baron Fagel, ambassadeur du roi des Pays-Bas, les manuscrits rapportés de La Haye.

Cependant la Prusse n’était pas satisfaite. Dans un long mémoire remis le 8 octobre au Ministre de l’Intérieur, le baron Alkensten, ministre d’Etat à Berlin, déclarait que le gouvernement prussien n’ayant pas obtenu la restitution de tous les objets emportés par les autorités françaises et déposés soit dans nos bibliothèques, soit dans nos musées, il se voyait forcé de réclamer une compensation en objets de même nature. Dans ce système il ne s’agissait rien moins que d’enlever à la Bibliothèque des centaines de médailles, d’estampes, de livres imprimés, surtout et plus particulièrement des manuscrits précieux relatifs à l’ancienne poésie allemande, à l’histoire d’Allemagne, au droit romain, à la théologie, tous objets qui n’avaient jamais appartenu à l’étranger.

151

C’était un véritable démembrement des collections du département des manuscrits. Ces prétentions émurent vivement le conservatoire et son digne président M. Dacier. Il était en effet au moins étrange d’obliger la Bibliothèque à un dédommagement pour des objets dont le sort était inconnu, qui avaient pu être perdus ou détruits dans les hasards de la guerre, ou encore transportés d’un établissement dans un autre dépôt appartenant en 1815 aux puissances alliées, comme les 35 caisses de livres provenant de pays conquis qui avaient été expédiées, avant 1796, à Bruxelles et à Bruges. Dacier fit valoir ces raisons avec force dans un rapport au ministre de l’Intérieur qu’il terminait par ces nobles paroles:

«Dans le cas où la Bibliothèque aurait le malheur d’être obligée de souffrir cette spoliation, je supplie Votre Excellence de charger un autre des conservateurs d’en être l’instrument et d’avoir l’extrême bonté d’épargner à ma vieillesse la douleur d’y prendre part. Je ne me sens ni la force, ni le courage nécessaire pour être le témoin d’une opération aussi désastreuse qu’humiliante et irréparable.»

Fort heureusement le Ministre ne fut pas obligé de recourir à cette mesure extrême, l’affaire n’eut pas de suite. Dans deux lettres du 26 et du 30 octobre 1815, le baron de Müffling et le baron Ottenfels annonçaient la fin de leur mission. Cette époque pénible des restitutions était passée, mais la Bibliothèque en avait retiré cet enseignement, que pour l’établissement scientifique qui les a reçus, la présence des trophées 152 peut à un moment donné être plus funeste qu’utile.


PÉRIODE CONTEMPORAINE.


Dès les premières années de la Restauration, la Bibliothèque trouva auprès du gouvernement, bien que les temps fussent difficiles, un appui pour des acquisitions extraordinaires. En 1817, on annonçait la vente de la bibliothèque Mac-Carthy. «Cette fameuse bibliothèque, écrivait Van Praet, fruit de 40 ans de recherches, de soins et de dépenses, consiste principalement en monuments typographiques uniques dont la plupart remontent à l’origine de l’imprimerie et en livres imprimés sur vélin, ornés des plus curieuses miniatures et d’autant plus précieux que plusieurs ont été faits pour nos rois et leur ont appartenu.» Au nombre de ces monuments se trouvait le Psautier de Mayence, de 1457, le premier livre imprimé avec date. Le budget de la Bibliothèque était bien modique pour participer à une vente aussi considérable. Le conservatoire fit appel à la sollicitude de Louis XVIII; le roi donna 20,000 fr. sur sa cassette, le ministre une somme égale sur les fonds de son département. 39,255 francs furent employés à l’acquisition des plus remarquables volumes qui manquaient à la Bibliothèque; le Psautier qu’elle poursuivait lui fut adjugé.

Le Cabinet de médailles celtibériennes de Florès, la première collection d’antiquités égyptiennes rapportées 153 par M. Cailliaud furent l’objet d’un nouveau supplément de fonds. Grâce à la sollicitude du duc Decazes qui accorda à la Bibliothèque, en sus des crédits ordinaires, une somme de 24,000 fr., le département des médailles s’enrichit d’environ 2,500 pièces puniques, celtibériennes, phéniciennes, etc., ainsi que d’une suite importante de monuments d’Egypte. En 1821, le comte Siméon, ministre de l’Intérieur, autorisa l’acquisition de la collection qu’un agent français dans le Levant, M. Cousinéry, avait mis 30 ans à former. Les 5,350 pièces dont elle se composait vinrent compléter les séries des villes grecques ou de l’Asie-Mineure conservées dans les médailliers de l’Etat. Sur les 60,000 fr. qu’elle coûta, 34,000 fr. furent payés par le Ministère.

Le ministère du comte de Corbières ne fut pas moins bienveillant. Il accorda 150,000 fr. de crédits supplémentaires pour l’acquisition du Zodiaque de Dendérah, de la 2e collection Cailliaud, des livres et manuscrits orientaux de Langlès, des estampes des collections Denon et Desenne, des médailles grecques de Caldavène et du cabinet Allier de Hauteroche.

En résumé, la Bibliothèque, dans une période de 14 ans, reçut tant du gouvernement de Louis XVIII que de celui de Charles X des allocations extraordinaires dont le total ne s’élève pas à moins de 295,000 francs. L’insuffisance du budget normal de la Bibliothèque devint encore plus évidente dans les années qui suivirent. En 1839, la Chambre des Députés, sur la demande du gouvernement, alloua un crédit extraordinaire de 1,200,000 francs qui porta le budget 154 annuel à 170,000 francs. A l’aide de cette augmentation, M. Naudet, nommé directeur en 1840, en remplacement de M. Letronne, put pousser activement les travaux de catalogue et de reliure. Son administration fut marquée par d’importantes acquisitions, notamment par celles de la collection de médailles françaises cédée par M. Jean Rousseau au prix de 103,000 francs (1848), de la savante collection de manuscrits et de livres que feu M. Eugène Burnouf avait formée sur l’Inde (1854), des 67,000 portraits de la collection de Bure (1855), dont l’entrée au département des Estampes ne suivit que de quelques années la donation du docteur Jecker (1851).

En même temps, l’administration supérieure introduisit dans la Bibliothèque des réformes qui devaient aboutir aux grands changements de 1858. Cette réorganisation, demandée depuis longtemps, fut l’œuvre d’une commission présidée par M. Mérimée. Elle permit à l’administration de M. Taschereau, administrateur adjoint depuis 1852 et administrateur général en 1858, de faire entrer la Bibliothèque dans une nouvelle voie de prospérité.

Le moment n’est pas venu de retracer l’histoire de cette période contemporaine. Qu’il nous suffise de rappeler les donations de premier ordre faites par M. Hennin au Cabinet des Estampes, par M. le duc de Luynes, par M. le vicomte de Janzé au Cabinet des Médailles, les acquisitions extraordinaires, avec le secours du Ministère, des estampes composant la collection Devéria (1858), des 100,000 volumes sur la 155 Révolution française réunis par M. Labédoyère (1863), de la suite de manuscrits rapportés de l’Inde par M. Grimblot (1866), de la collection formée par Beuchot sur Voltaire, de celle du docteur Payen sur Montaigne (1870); et les acquisitions faites dans les mêmes conditions aux ventes Solar, Yemeniz et Pichon, l’acquisition de quatre médaillons d’or antiques parmi lesquels se trouvait la célèbre médaille d’Eucratide. En 13 ans, le crédit de la Bibliothèque reçut un supplément total de 301,000 francs.

Les importants résultats de l’administration de M. Taschereau ont été éloquemment résumés dans les termes suivants par son digne successeur, le jour où M. Léopold Delisle fut appelé à la direction de la Bibliothèque:

«Avec M. Taschereau, nous perdons un administrateur dont la bienveillance égalait la fermeté et dont les actes tiendront une grande place dans les annales de notre chère Bibliothèque. C’est lui qui a fait prévaloir les salutaires principes consacrés par le décret de 1858, lui qui a provoqué les réformes les plus sages et les plus libérales, telles que la prolongation des séances de chaque jour, la suppression des vacances, l’organisation de la salle réservée et de la salle publique du département des Imprimés. C’est lui qui a fait améliorer la condition des fonctionnaires de tout rang, lui qui a maintenu la discipline, entretenu l’émulation, dirigé les travaux de classement et de catalogue dont le temps démontrera de plus en plus l’utilité et l’importance.

156

«Vous savez avec quelle ardeur il a dans toutes circonstances défendu les intérêts de la Bibliothèque, soit pour faire triompher devant les tribunaux des droits imprescriptibles, soit pour défendre l’intégrité de nos départements menacés par des adversaires puissants, soit enfin pour obtenir des crédits extraordinaires sans lesquels on aurait vu se disperser ou passer à l’étranger des collections dont la France n’aurait pu être dépouillée sans amoindrissement de son domaine historique, littéraire et artistique.

«Nous tous, Messieurs, qui avons été témoins de ces efforts incessamment répétés, nous qui en avons recueilli les fruits dans chacun de nos départements, nous garderons un souvenir reconnaissant de l’administration de M. Taschereau, et nous nous honorerons toujours d’avoir été associés aux travaux qu’il avait entrepris et dont il a poursuivi l’achèvement avec tant de persistance.»

Les années à venir confirmeront ce sincère témoignage rendu à l’homme qui, pendant 22 ans, n’a cessé d’être animé d’un zèle ardent pour la Bibliothèque et qui l’a maintenue avec éclat au rang qu’elle occupe depuis longtemps dans le monde savant.


157

BUDGET, CATALOGUES, STATISTIQUE DES COLLECTIONS.


L’histoire de la Bibliothèque nationale présente une particularité frappante, c’est la suite non interrompue des efforts de tous les gouvernements qui se sont succédé en France pour enrichir les collections de ce grand établissement.

A la fin de l’ancien régime, le budget de la Bibliothèque s’élevait, année moyenne, à 83,000 livres, non compris les crédits extraordinaires qui quelquefois firent monter, pour un exercice seulement, le total des dépenses à 169,000 livres. Cette somme, considérable pour l’époque, fut réduite par l’assemblée de 1790, mais en 1795 la Convention la porta à 192,000 livres.

De nouveau diminué sous l’Empire, le budget de la Bibliothèque s’accrut, pendant la Restauration, d’allocations supplémentaires, accordées en vue d’acquisitions extraordinaires. Sous le règne de Louis-Philippe, depuis 1835 jusqu’en 1848, la Bibliothèque, dotée d’un crédit extraordinaire de 1,344,000 francs qui fut voté en 1837, put consacrer aux acquisitions et aux reliures une somme annuelle de 174,000 francs.

Sous le second Empire la somme inscrite au Budget pour les acquisitions fut ramenée à 102,000 francs. En 1858, elle n’était plus que de 73,202 francs, chiffre que M. Mérimée, rapporteur de la Commission de réorganisation, n’hésitait pas à qualifier de dérisoire. Dans les années qui suivirent, notre Budget fut élevé à la somme 158 de 114,350 francs, à laquelle vinrent s’ajouter des allocations extraordinaires dont le total ne monte pas à moins de 301,000 francs. Aujourd’hui, grâce à la libéralité des Chambres,[51] la Bibliothèque dispose annuellement pour les acquisitions et les reliures, d’une somme de 200,000 francs, comprise dans les 614,023 fr., montant de ses crédits, qui se décomposent comme il suit:

Personnel 375,000 francs[52].
Acquisitions et reliures 200,000                 
Matériel proprement dit: chauffage, mobilier, habillement, etc. 39,023                 
  ———                 
  614,023 francs.      

A cette somme il faut ajouter le crédit de 50,000 francs alloué pour la confection des catalogues. C’est avec ces ressources extraordinaires et aussi avec l’aide du Ministère, que la Bibliothèque est parvenue à publier ou à préparer pour l’impression, depuis 1852 jusqu’à nos jours, 40 volumes de catalogues, savoir:

Département
des
Imprimés.

Catalogue de l’Histoire de France, 10 vol. in-4. (Le tome XI est en grande partie imprimé. La copie des tables alphabétiques qui devra former les tomes XII et XIII touche à sa fin.)

159

Catalogue des sciences médicales, 2 vol. in-4. (Le tome III est sous presse.)

Inventaire de la collection des ouvrages et documents sur Michel de Montaigne réunis par le Dr J.-F. Payen et conservés à la Bibliothèque nationale, 1877, in-8.

Inventaire alphabétique des livres imprimés sur vélin. Complément du catalogue de Van Praet, 1877, in-8.

Bulletin mensuel des livres étrangers qui arrivent à la Bibliothèque nationale par voie d’achat, de don ou de dépôt, 3 vol. in-8 depuis 1875. (En cours de publication).

Catalogue alphabétique de livres mis à la libre disposition des lecteurs dans la salle de travail du département des Imprimés, 1878, 1 vol. in-12.

Notice des objets exposés, 1878, 1 vol. in-8.

Département
des
Manuscrits.

Catalogue des manuscrits hébreux et samaritains, 1866, in-4.

       —       des manuscrits syriaques et sabéens, 1874, in-4.

       —       des manuscrits éthiopiens, 1877, in-4.

Inventaire des manuscrits latins, nos 8823-18613, par M. L. Delisle, 1863-1871, 5 fasc. in-8.

Catalogue des manuscrits français, tomes I et II, 2 vol. in-4. (L’impression du tome III est à la veille d’être terminée.)

Inventaire général et méthodique des manuscrits français, par M. L. Delisle, tomes I et II, 2 vol. in-8. (En cours de publication).

Notice des objets exposés, 1878, 1 vol. in-8.

Département
des
Médailles.

Catalogue général et raisonné des camées et pierres gravées, par M. Chabouillet, 1858, in-12.

Description sommaire des monuments exposés, 1867, in-12.

160

Collection des monnaies et médailles de l’Amérique du Nord de 1652 à 1858, offerte à la Bibliothèque impériale. Catalogue par Al. Wattemare, 1861, in-12.

Catalogue des monnaies gauloises, in-4. (Sous presse.)

       —       des monnaies arabes, in-4. (Sous presse.)

Département
des
Estampes.

Le département des Estampes. Notice historique suivie d’un catalogue des estampes exposées, par M. le vicomte H. Delaborde, 1875, in-12.

Inventaire de la collection Hennin, par M. G. Duplessis, t. I, 1re et 2e partie, 1877-1878. (En cours de publication.)

Notice des objets exposés, 1878, 1 vol. in-8.


DÉPARTEMENT DES IMPRIMÉS.

Dans cette liste ne sont pas compris les catalogues ou inventaires manuscrits du département des Imprimés qu’on s’occupe aujourd’hui d’autographier et qui ne tarderont pas à être mis à la disposition des lecteurs. Ce sont les catalogues ou inventaires des séries suivantes:

  1o Ecriture Sainte.

  2o Liturgie et Conciles.

  3o Pères de l’Eglise.

  4o Théologie catholique.

  5o Théologie hétérodoxe.

  6o Droit Canon.

  7o Histoire d’Angleterre.

  8o       —    d’Espagne et de Portugal.

  9o       —    d’Asie.

10o       —    d’Afrique.

161

11o       —    d’Amérique.

12o       —    d’Océanie.

13o       —    d’Italie.

14o Histoire générale.

En tenant compte des travaux en cours d’exécution qui, dans plusieurs séries, touchent à leur fin, on peut dire que près des deux tiers de la besogne sont aujourd’hui terminés. Le tableau suivant qui donne, avec les divisions du département des Imprimés, la statistique des collections en 1874 fera mieux comprendre la nature et l’importance des travaux auxquels il a fallu se livrer pour obtenir les résultats constatés plus haut:

  VOLUMES
A. Ecriture Sainte 23,833       
B. Liturgie et Conciles 27,376       
C. Pères de l’Eglise 7,183       
D. Théologie catholique 86,774       
D2. Théologie hétérodoxe 31,821       
E. Droit canon 22,512       
E*. Droit de la nature et des gens 9,626       
F. Droit civil 289,402       
G. Histoire générale 25,818       
H. Histoire ecclésiastique 22,829       
J. Histoire ancienne et histoire byzantine 36,822       
K. Histoire d’Italie 12,998       
L. Histoire de France 441,836       
M. Histoire d’Allemagne et d’autres Etats européens 38,560       
N. Histoire d’Angleterre 19,243       
162O. Histoire d’Espagne et de Portugal 28,447       
O2. Histoire d’Asie
O3. Histoire d’Afrique
P. Histoire d’Amérique
P2. Histoire d’Océanie
Q. Bibliographie 28,577       
R. Philosophie, sciences physiques 87,858       
S. Sciences naturelles 59,463       
T. Médecine 68,483       
V. Sciences, Arts et Métiers 95,716       
Vm. Musique 117,521       
X. Grammaire 44,692       
Y. Poésie 155,672       
Y2. Romans 71,947       
Z. Philologie et Polygraphie 132,576       
Z ancien. Pompes, Tournois, etc. 6,962       
   ————       
  Total. 1,994,547       
Plus la Réserve composée des volumes les plus précieux du département au nombre de 54,085       
Plus les collections de la salle publique, dont le catalogue autographié est à jour et mis à la disposition des lecteurs. Plus encore les volumes placés autour de la salle de travail, ou distraits des magasins pour le service. Ensemble 28,939        
  ————       
  Total général. 2,077,571       

163

Il est à remarquer que les travaux de catalogue ne portent pas seulement sur les volumes énumérés dans le tableau précédent. Pour prévenir les progrès de l’arriéré on a dû poser en principe, dès 1852, que tout livre entrant serait immédiatement catalogué. C’est une moyenne annuelle de 35,000 articles arrivant par voie de dépôt légal, d’acquisitions ou de dons qu’il faut inventorier et classer avant de songer à l’arriéré.

La moyenne de ces entrées nouvelles tend à s’accroître chaque année et le nombre des lecteurs et des volumes communiqués dans les salles du département des Imprimés suit la même progression. Voici la statistique des deux salles depuis 1868, époque de leur création:

ANNÉES SALLE DE TRAVAIL SALLE PUBLIQUE
 
  LECTEURS VOLUMES
COMMUNIQUÉS
LECTEURS VOLUMES
COMMUNIQUÉS
1868 23,675 77,713 16,890 33,940
1869 46,336 171,712 34,472 57,383
1870 30,077 109,333 27,570 48,284
1871 20,143 68,664 24,235 41,001
1872 39,303 142,475 35,538 55,041
1873 44,390 161,677 48,165 76,139
1874 49,804 171,850 52,708 83,452
1875 51,564 187,165 51,000 80,227
1876 53,256 174,707 53,181 79,674
1877 55,464 186,947 58,877 89,108

164

DÉPARTEMENT DES MANUSCRITS.

Au département des Manuscrits, les rangements et les inventaires auxquels on travaille sans relâche ont pour résultat immédiat l’augmentation du nombre des demandes de communication. La constitution en volumes des pièces originales de grandes collections renfermées primitivement dans les cartons comme les pièces de la Chambre des comptes, de la collection Joly de Fleury, du Cabinet des titres, etc., vient chaque jour offrir aux érudits des documents inconnus. Ces recueils fournissent un appoint quotidien aux volumes déjà conservés au département des manuscrits qui, au 1er mai 1876, atteignaient le nombre de 91,700. En voici l’état dressé par fonds:

  VOLUMES
Fonds orientaux 18,700       
    —      grec 4,540       
    —      latin 19,913       
    —      français 29,456       
    —      en langues modernes 2,790       
Collections sur l’histoire de diverses provinces 2,530       
Collections diverses 10,061       
Cabinet des titres 3,710       
  ———       
Total 91,700       

165

DÉPARTEMENT DES MÉDAILLES.

Il est difficile de donner par un dénombrement une idée des richesses du département des médailles. Un relevé approximatif des collections, dressé en 1873, a donné les chiffres suivants:

Médailles grecques 43,000       
       —      romaines 26,000       
       —      royales françaises 5,732       
       —      des états étrangers 6,250       
Monnaies royales françaises 5,199       
       —      féodales françaises 3,472       
       —      étrangères 2,304       
Médailles des particuliers 2,862       
       —      et jetons 12,000       
       —      de Chine 1,410       
       —      orientales 8,000       
       —      françaises modernes 7,230       
Méreaux 560       
Médailles satyriques 80       
       —      de dévotion 200       
       —      de plomb 600       
       —      de Luynes 6,925       
Antiquités de Luynes 964       
       —      et objets divers 7,005       
Pierres gravées 2,937       
Matrices, empreintes, etc., etc. 300       
  ———       
Total 143,030       

166

Depuis l’époque où ce travail a été fait, le Cabinet s’est enrichi de trois grandes collections: la collection du commandant Oppermann comprenant 316 bronzes, 242 terres cuites, 173 vases peints et objets en marbre, la collection de 1,200 pièces sur la Révolution française, donnée par M. le marquis Turgot, enfin la riche collection de plus de 17,000 monnaies romaines léguées à la Bibliothèque par M. le baron d’Ailly en 1877. A ces accroissements exceptionnels sont venus se joindre les acquisitions courantes et les envois de la Monnaie qui dépose, en double exemplaire, toutes les médailles frappées dans ses ateliers au nombre de plus de 250 par année.


DÉPARTEMENT DES ESTAMPES.

Les collections du département des Estampes comprennent plus de 2,200,000 pièces conservées dans 14,500 volumes et dans 4,000 portefeuilles. Indépendamment des donations ou des acquisitions hors ligne dont il a été plus d’une fois enrichi, le Cabinet reçoit par an plus de 20,000 pièces dues en majeure partie au simple jeu du dépôt légal.

Dans les quatre départements, nos collections sont donc destinées à s’accroître dans des proportions qui iront sans cesse en augmentant. Dès à présent ces inévitables accroissements ont rendu tout à fait insuffisant le local actuellement occupé par la Bibliothèque et dont la surface n’a pas changé depuis le règne de 167 Louis XV. C’est la nécessité de lui donner une extension reconnue aujourd’hui indispensable, autant que le devoir de la soustraire à un danger imminent qui a décidé le gouvernement à faire étudier à fond la question, depuis longtemps pendante, de l’achat des immeubles qui avoisinent notre grand dépôt. La Commission nommée à cet effet le 8 mars 1878 par M. Bardoux, ministre de l’Instruction publique, s’est prononcée à l’unanimité[53] pour l’acquisition en bloc de ces quatre maisons particulières. Il est permis d’espérer que la sollicitude du Parlement pour nos établissements scientifiques et littéraires ne sera pas arrêtée par l’élévation de la somme nécessaire. Nulle dépense, en effet, n’est plus utile, nulle n’est mieux justifiée, nulle ne sera accueillie avec plus de reconnaissance par les savants, les hommes de lettres, les artistes qui ont journellement besoin de recourir aux incomparables collections de la Bibliothèque nationale.


GARDES
DIRECTEURS ET CONSERVATEURS
DE LA BIBLIOTHÈQUE
DEPUIS SON ORIGINE JUSQU’A NOS JOURS


I. — GARDES ET MAITRES DE LA LIBRAIRIE
Gilles Mallet 1373-1410.
Antoine des Essarts 1410-1412.
Garnier de Saint-Yon 1412-1416 et 1418-1429.
Jean Maulin 1416-1418.
Laurent Paulmier 1472.         
Robert Gaguin 1480.         
François de Refuge, Guillaume de Sanzay, Adam Laigre, Guillaume Petit, Jacques Lefèvre d’Étaples, gardes de la librairie de Blois 1509-1530.
Guillaume Budé, maître de la librairie 1522-1540.
Jean de la Barre, garde de la librairie 1531.         
Mellin de Saint-Gelais,        id. 1534-1545.
Mathieu Lavisse,                   id. 1544-1560.
Pierre du Chatel, maître de la librairie 1540-1552.
Pierre de Montdoré,            id. 1552-1567.
J. Amyot,                             id. 1567-1593.
Jean Gosselin, garde de la librairie 1560-1604.
J. Aug. de Thou, maître de la librairie 1593-1617.
Isaac Casaubon, garde de la librairie 1604-1610.
François de Thou, maître de la librairie 1617-1642.
Jérome Bignon,                    id. 1642-1651.
170Nicolas Rigaut, garde de la librairie 1615-1645.
Pierre Dupuy,                      id. 1645-1651.
Jacques Dupuy,                   id. 1645-1656.
Jérôme Bignon, fils, maître de la librairie 1651-1683.
Nicolas Colbert, garde de la Bibliothèque 1656-1676.
Louis Colbert,                    id. 1676-1683.
Pierre de Carcavy,               id.[54] 1663-1683.
Nicolas Clément,                id. 1670-1712.
Camille Le Tellier, abbé de Louvois, bibliothécaire du roi 1683-1718.
l’abbé Varès, garde de la Bibliothèque 1684.         
Melchisédec Thévenot,      id. 1684-1691.
Boivin,                                id. 1691-1726.
II. — BIBLIOTHÉCAIRES ET DIRECTEURS
l’abbé Jean-Paul Bignon, biblioth. du roi 1718-1741.
Bignon de Blanzy,                id. 1741-1743.
Armand-Jérôme Bignon,     id. 1743-1772.
Jean-Frédéric-Guillaume Bignon, id. 1772-1783.
Lenoir,                                 id. 1783-1790.
Lefèvre d’Ormesson de noyseau, id. 1790-1792.
Chamfort, bibliothécaire national 1792-1793.
Carra,                                  id. 1792-1793.
Lefèvre de Villebrune,         id. 1793-1795.
Barthélemy, Directr, présidt. du conservatoire 1795-1796.
Capperonnier,                        id. 1796-1798.
Joly,                                      id. 1798-1799.
Millin,                                  id. 1799.         
Gosselin,                               id. 1799-1800.
Capperonnier, administrateur 1800-1803.
Gosselin, directeur 1803-1806.
Dacier, Directr. présidt. du conservatoire 1806-1829.
171Van Praet, Président du conservatoire 1829-1832.
Letronne,                       id. 1832-1838.
Jomard,                          id. 1838.         
Charles Dunoyer, Administrateur général 1839.         
Letronne, Directr, présidt. du conservatoire 1839.         
Naudet,          id.            id. 1840-1858.
Taschereau, Admr. adjt. et admr. général, directr. 1852-1874.
Léopold Delisle, Admr. général, directeur 1874.         

DÉPARTEMENT DES IMPRIMÉS

GARDES ET CONSERVATEURS
l’abbé de Targny 1720-1726 Van Praet 1795-1838
l’abbé Sallier 1726-1761 Lenormant 1837-1840
Capperonnier 1761-1775 Naudet 1840-1847
l’abbé des Aulnays 1775-1790 Magnin 1832-1862
Capperonnier 1795-1820 Ravenel 1848         
Demanne 1820-1832    
CONSERVATEURS ADJOINTS
Barbier-Vémars 1820-1833 Barbier (Olivier) 1848-1874
Dubeux 1835-1848 Rathery 1859-1875
Dupaty 1843-1851 Billard (René) 1874-1877
Ballin 1832-1853 de Courson 1871         
Demanne, fils 1853-1863 Schmit 1875         
Pillon 1848-1859 Billard (Paul) 1877         
Richard 1864-1871    
SECTION DES CARTES[55]
Jomard Conservr. 1828-1862 de Pongerville Conservatr. adjt. 1851-1870
de Walckenaer Conservatr. adjt. 1839-1852 Franck id. 1852         

172 DÉPARTEMENT DES MANUSCRITS

GARDES ET CONSERVATEURS
Boivin 1720-1726 Capperonnier 1759-1761
l’abbé de Targny 1726-1737 Béjot 1761-1787
l’abbé Sevin 1737-1741 Caussin de Perceval 1787-1792
Melot 1741-1759  
Legrand d’Aussy (pr les manuscrts modernes) 1795-1800.
La Porte du Theil (id. grecs et latins) 1795-1815.
Langlès (id. orientaux) 1795-1824.
Gail (id. grecs) 1815-1829.
Abel Rémusat (id. orientaux) 1824-1832.
Dacier (id. modernes) 1800-1833.
Silvestre de Sacy (id. orientaux) 1833-1838.
Champollion-Figeac 1828-1848.
Hauréau 1848-1852.
Guérard 1833-1854.
Hase 1829-1864.
de Wailly 1854-1871.
L. Delisle 1871-1874.
Michelant 1874.         
CONSERVATEURS ADJOINTS
Chézy 1824          Paulin Paris 1839-1872
Fauriel 1832-1839 Stanislas Julien 1839-1873
Berger de Xivrey 1852-1863 Wescher 1875         
Lacabane 1854-1871    

173 DÉPARTEMENT DES TITRES ET GÉNÉALOGIES[56]

GARDES
l’abbé Guiblet 1720-1747 l’abbé D. Gevigney 1777-1785
l’abbé D. la Cour 1747-1779 l’abbé Coupé 1785-1790

DÉPARTEMENT DES MÉDAILLES

GARDES SPÉCIAUX
Rascas de Bagaris 1610.          Rainssant 1683-1689.
Jean de Chaumont 1644.          Oudinet 1689-1712.
l’abbé Breunot 1661-1666. l’abbé Simon 1712-1719.
P. de Carcavy 1667-1683.    
GARDES ET CONSERVATEURS
Gros de Boze 1719-1754. Gosselin 1799-1830.
l’abbé Barthélemy 1754-1795. Letronne 1832-1840.
Barthélemy de Courçay 1795-1799. Raoul Rochette 1818-1848.
Millin 1795-1818. Lenormant 1840-1859.
    Chabouillet 1859.         
CONSERVATEURS ADJOINTS
Mionnet 1828-1842. Lavoix 1854.         
Dumersan 1842-1849.    

174 DÉPARTEMENT DES ESTAMPES

GARDES ET CONSERVATEURS
Le Hay 1720-1722. Bounieux 1792-1795.
Ladvenant 1723-1729. Joly fils 1795-1829.
L’abbé de Chancey 1731-1735. Thévenin 1829-1838.
Coypel 1735-1736. Duchesne 1839-1855.
de La Croix 1737-1750. Devéria 1855-1857.
Joly 1759-1792. Delaborde 1858.         
CONSERVATEURS ADJOINTS
Duchesne-Tausin 1839-1858. Duplessis 1876.         
Dauban 1858-1876.    
PROFESSEURS D’ARCHÉOLOGIE
Raoul Rochette 1824-1854
Beulé 1854-1874
François Lenormant 1874         
ARCHITECTES
Robert de Cotte, père et fils XVIIe et XVIIIe siècle.
Bellissen 1796.         
Bellanger 1797-1811.
Delannoy 1811-1823.
Visconti 1824-1854.
Henri Labrouste 1854-1875.
Pascal 1875.         

FIN.


NOTES


[1] Sous le règne de Louis XIII, il fut un instant question de rétablir une bibliothèque à Fontainebleau, mais ce projet ne fut pas mis à exécution. Néanmoins en 1627, Abel de Sainte-Marthe fut nommé garde d’une bibliothèque qui n’existait pas. Son fils hérita de ce titre et le conserva jusqu’à sa mort en 1706. Cette charge ne fut définitivement réunie à celle de Bibliothécaire du roi qu’en 1720.

[2] L’Ecole Clinique de Médecine.

[3] Benciveni, abbé de Bellebranche, aumônier de la reine, avait été, à la mort de Catherine de Médicis, chargé de la garde des livres qui avaient été mis sous scellés.

[4] «Totus fratri similis» dit son épitaphe.

[5] Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, par M. L. Delisle. T. I, p. 263.

[6] Dans une curieuse brochure intitulée: Recherches sur les origines du Cabinet des Médailles; Paris, 1874, M. Chabouillet, conservateur du département des médailles, a démontré que tel était le véritable nom du bibliothécaire de Gaston d’Orléans, appelé tour à tour Brenot, Bruno et Bruneau.

[7] Le département des Estampes à la Bibliothèque nationale, par M. le vte H. Delaborde, p. 9, 10 et suiv.

[8] Gallois. Traité des belles bibliothèques.

[9] Le Prince, p. 56.

[10] Le manuscrit grec no 3,015 a été relié par lui.

[11] L’entrée de Boivin à la Bibliothèque fut marquée par l’importante découverte qu’il fit d’un manuscrit palimpseste de l’ancien testament.

(V. Hist. de l’Académie des Inscriptions. T. VII et M. Delisle, p. 299.)

[12] Un échange auquel le Musée britannique s’est prêté avec le plus gracieux empressement vient de nous faire recouvrer les morceaux dont l’absence déshonorait trois de nos plus importants manuscrits.

[13] Ancien secrétaire du duc de Bellegarde, puis écuyer de Mlle de Guise, avec le titre de gouverneur de Joinville et d’instituteur des enfants de France, Roger de Gaignières ne possédait guère comme revenu que les pensions afférentes à ces charges et une rente de douze cents livres à lui léguée par Mlle de Guise.

[14] M. Delisle. T. I, p. 335 et suiv.

[15] Le Prince, pag. 74.

[16] Ce fut sous l’administration de l’abbé de Louvois, au mois de mai 1717, que le czar Pierre-le-Grand vint visiter la Bibliothèque. On ne put lui faire voir qu’un seul manuscrit russe, un journal de voyage donné en 1703 par M. de Sparwenfeld, maître des cérémonies à la cour de Suède.-A cette époque, les deux grands globes faits pour exciter sa curiosité n’étaient pas encore installés dans la Bibliothèque du roi. Exécutés par V. Coronelli pour le cardinal d’Estrées et donnés par celui-ci à Louis XIV en 1683, ils avaient été déposés à Marly, où ils restèrent jusqu’en 1722. C’est alors qu’ils furent transportés à la Bibliothèque, où on disposa, pour les loger, la salle où ils sont encore aujourd’hui et qui prit le nom de salle des Globes.

[17] A cette époque, les médailles étaient encore à Versailles.

[18] Le Prince, p. 80.

[19] M. Delisle, T. I, p. 364 et suiv.

[20] Pour la série musicale, cette règle a été strictement observée dans la suite; tous les ouvrages modernes de musique, imprimés ou manuscrits, que la Bibliothèque possède sont réunis en un seul fonds compris dans les collections imprimées.

[21] Mémoire manuscrit de Van Praët cité par Fétis dans sa Biographie des Musiciens.-C’est le double titre de bienfaiteur de la Bibliothèque et de fondateur de la collection musicale qui a fait inscrire le nom de Sébastien de Brossard à une place d’honneur dans la galerie de la Réserve du département des Imprimés.

[22] Le Prince, p. 212.

[23] M. Delisle, T. I, p. 439 et suiv.

[24] Eloge de l’abbé Bignon, par Fréret.

[25] Blondel. L’architecture française.

[26] Pour reconnaître ce don et aussi les services que Jean Racine avait rendus dans la charge de gentilhomme ordinaire du roi, Louis XV, par brevet et décision des 29 janvier 1756 et 23 avril 1763, accorda à la veuve de Louis Racine une pension viagère de 1,000 livres. Cette rente était justifiée par le modeste état de fortune des héritiers du grand poëte. Louis Racine avait en effet compromis son léger patrimoine en le plaçant dans la banque de Law. Son mariage avec Marie Presle, fille du secrétaire du roi, l’avait remis dans une position meilleure. Cependant en 1791, sa veuve, qui avait 90 ans passés, ne devait pas jouir d’une grande aisance, car le directeur général de la liquidation demandait des renseignements sur la valeur du don fait en 1756 afin de pouvoir maintenir la pension de 1,000 livres qui était comprise dans la suppression générale.

[27] Duchesne. Notice des estampes exposées à la Bibliothèque du roi. (p. 1.)

[28] Le Prince, p. 213.

[29] Page 219.

[30] Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises; 1752-1767, 7 vol. in-4o.

[31] «La culture de l’esprit et des sciences n’est pas plus négligée à Paris que les misères humaines: vous y avez au moins douze bibliothèques publiques. Il est fâcheux que celle du Roi ne soit ouverte à tout le monde que deux fois la semaine; mais pour peu que vous soyez connu par quelque production littéraire, vous y êtes admis les autres jours avec toute l’honnêteté possible par M. l’abbé Desaulnais, garde des livres de Sa Majesté, toujours charmé d’être utile aux gens de lettres et par ses lumières et par le vaste dépôt confié à ses soins; il a même la complaisance de vous accorder jusqu’à deux heures, au lieu qu’autrefois il fallait se retirer à midi précis; il seconde et prévient les vues de M. Lenoir, bibliothécaire du Roi...»-Les historiettes du jour par M. Nougaret. T. 1, p. 253.

[32] En 1753.

[33] Ces observations étaient adressées aux membres du Comité des finances de l’Assemblée nationale.

[34] Crébillon, le poëte tragique et Duclos, l’historien, furent attachés à la Bibliothèque «le premier, écrivait M. de Maurepas le 5 septembre 1747, pour y être occupé à l’arrangement et à la traduction des poëtes anciens et modernes et le second au même travail pour les manuscrits français et latins.»

[35] Dans cette somme se trouvaient compris les intérêts des 100,000 fr. montant du brevet de retenue payé par Lenoir à la famille de Bignon. Le successeur de Lenoir, Lefèvre d’Ormesson, acheta la charge de bibliothécaire du roi pour une somme égale.

[36] La chapelle de la Bibliothèque était encore ouverte en 1791.

[37] L’abbé des Aulnays, censeur royal, était garde du département des Imprimés depuis 1775. Il avait remplacé Capperonnier, de l’Académie des inscriptions, professeur de grec au Collége royal, qui, lui-même avait succédé à l’abbé Sallier en 1761.

[38] Neveu du prédécesseur de l’abbé des Aulnays.

[39] Van Praet était entré à la Bibliothèque en 1784, et sa réputation était déjà si bien établie, que le bibliothécaire Strattmann, de Vienne, avait voulu l’attacher à la Bibliothèque impériale d’Autriche.

[40] De 1741, date de la mort de l’abbé Sevin, jusqu’à 1787, époque où Caussin de Perceval fut nommé, trois gardes s’étaient succédé au département des Manuscrits: Melot, de l’Académie des inscriptions, de 1741 à 1759; Capperonnier de 1759 à 1761, qui passa aux Imprimés et Béjot, de l’Académie des inscriptions, professeur d’éloquence latine au Collége royal, de 1761 à 1787.

[41] M. Delaborde, p. 110 et suiv.

[42] «Les nielles, dit M. Delaborde, sont des empreintes sur papier qu’il est arrivé parfois aux orfèvres niellatori de prendre pour s’assurer du degré d’avancement de leur travail et pour en apprécier l’effet avant de remplir les tailles creusées par le burin dans une plaque d’argent ou d’argent et d’or, d’un mélange de plomb, d’argent et de cuivre, dont la fusion avait été facilitée par une certaine quantité de borax et de soufre. Ce mélange, de couleur noirâtre (nigellum, d’où niello, niellare), laissait à découvert les parties non gravées et s’incrustait en se refroidissant dans les tailles où on l’avait introduit. Alors la plaque, soigneusement polie, présentait à l’œil un émail noir sur le champ métallique et l’opposition, sur une même surface, de parties mates et de parties brillantes.» La pièce de Finiguerra est exposée sous le numéro 1, dans les galeries du département.

[43] Carra périt sur l’échafaud. Quant à Chamfort, suspect et arrêté une première fois en 1792, il fut de nouveau décrété d’accusation l’année suivante. Au moment où les gendarmes se présentèrent pour le conduire en prison, il passa dans une salle voisine et se fracassa le front d’un coup de pistolet sans se tuer. Il saisit alors un rasoir et essaya, mais encore en vain, de se couper la gorge. Il ne succomba que trois mois plus tard à ses horribles blessures. (Paulin Paris. Notice sur Van Praet.)

[44] Le 16 août 1793, le Comité de sûreté générale prenait l’arrêté suivant:

Le Comité de sûreté générale, après avoir entendu la lecture des dénonciations faites contre les citoyens employés de la Bibliothèque nationale,

Considérant que les relations des savants étrangers avec la Bibliothèque nationale commandent impérieusement de n’y placer que des patriotes prononcés, qui ne laissent plus de doute, dans l’esprit des étrangers, sur le véritable esprit national;

Arrête que le Ministre de l’Intérieur sera invité à nommer aux places de la Bibliothèque nationale des citoyens dont le patriotisme soit éprouvé et les sentiments conformes à la Révolution du 31 mai dernier, qu’il ne laissera en place que le citoyen Tobiesen Duby de tous ceux qui sont employés à la Bibliothèque nationale;

Arrête, en outre, que les citoyens Laviconterie, Laignelot et Chabot sont nommés commissaires pour présenter au Ministre de l’Intérieur des savants dont le civisme soit connu et capables de remplir les places de la Bibliothèque nationale.

[45] Barthélemy de Courçay, neveu de l’abbé Barthélemy, avait succédé à son oncle, mort le 30 avril 1795.

[46] Le projet de cette commission a été rédigé par une sous-commission composée de MM. Heumann, conseiller d’Etat, Naudet, administrateur général de la Bibliothèque et Taschereau, député.

[47] Le nom de Dom Maugerard a été inscrit dans la nouvelle galerie de la Réserve, en compagnie des Huet, des Falconet, des de Thou, des frères Dupuy, de François Ier.

[48] A cette époque l’Opéra était situé place Louvois.

[49] Malgré l’accroissement des collections, l’état des bâtiments n’avait pas changé depuis 1724. On avait même installé dans la partie orientale de l’ancien palais Mazarin un service tout-à-fait étranger à la Bibliothèque, celui de la trésorerie qui y resta jusqu’en 1833. Des artistes, comme Houdon, le sculpteur, Saint-Aubin, le graveur, y avaient leurs ateliers. Le conservatoire ne put obtenir le déplacement du Trésor public, et Saint-Aubin, moins opiniâtre que Houdon, fut le seul à partir. Les démêlés de ce dernier avec le conservatoire, à ce sujet, sont assez piquants. Le conservatoire eut beau lui signifier son congé à diverses reprises, le citer devant le juge de paix comme un locataire récalcitrant, ce fut la Bibliothèque qui céda; l’artiste occupait encore son atelier en 1816, puisqu’à cette époque le sculpteur Millehomme en demandait la concession qui d’ailleurs lui fut refusée. Peut-être Houdon avait-il gagné le conservatoire en laissant placer dans nos salles le plâtre original de sa célèbre statue de Voltaire, qui fut donné à la Bibliothèque par Madame Duvivier en 1810, et qui y est encore conservé.-La statue de Cicéron, de Houdon, qu’on voit également dans nos galeries, a été achetée par la Bibliothèque en 1836 et payée 150 francs.

[50] Gosselin avait succédé à Barthélemy de Courçay, mort le 9 brumaire an VIII.

[51] En 1872, l’Assemblée nationale a voté un crédit extraordinaire de 200,000 francs pour l’acquisition des monnaies gauloises de M. de Saulcy.

[52] Le personnel de la Bibliothèque comprend 165 agents de tous grades dont 23 conservateurs, conservateurs-adjoints et bibliothécaires, 1 professeur d’archéologie, 69 employés, auxiliaires et attachés, 19 ouvriers et ouvrières et 53 hommes et femmes de service.

[53] V. le Rapport de M. Barthélemy Saint-Hilaire publié dans le Journal officiel du 19 juin 1878.

[54] Carcavy n’eut pas officiellement ce titre, quoiqu’il exerçât en réalité les fonctions de garde.

[55] La section des cartes a été constituée en département spécial de 1828 à 1839. Elle a été rattachée en 1839 au département des Estampes sous la direction d’un conservateur spécial et en 1858 au département des Imprimés, où elle ne forme plus qu’une division, dont M. Cortambert est le bibliothécaire.

[56] Le Cabinet des titres n’est plus, depuis la Révolution, qu’une division du département des Manuscrits.


TABLE


AVERTISSEMENT. 1
ORIGINES DE LA BIBLIOTHÈQUE. 3
Charlemagne et ses successeurs. 3
Charles V. 6
Charles VI. 8
Charles VII et Louis XI. 9
Charles VIII. 10
Louis XII. 11
François Ier. 13
De Henri II à Henri IV. 15
Henri IV. 19
Louis XIII. 21
COLBERT ET LOUVOIS. 23
La bibliothèque de 1643 à 1661. 23
De 1661 à la mort de Colbert en 1683. 27
De la mort de Colbert à la mort de Louvois (1683-1691.) 43
De la mort de Louvois à la fin du règne de Louis XIV (1691-1715). 49
LA BIBLIOTHÈQUE AU XVIIIe SIÈCLE. 63
Administration de Jean-paul Bignon. (1718-1741). 63
La Bibliothèque de 1743 à la fin du règne de Louis XV. 94
Règne de Louis XVI. 108
LA BIBLIOTHÈQUE PENDANT LA RÉVOLUTION. 127
CONSULAT ET EMPIRE. 142
PÉRIODE CONTEMPORAINE. 152
BUDGET, CATALOGUES, STATISTIQUE DES COLLECTIONS. 157
Département des imprimés. 160
Département des manuscrits. 164
Département des médailles. 165
Département des estampes. 166
GARDES, DIRECTEURS ET CONSERVATEURS DE LA BIBLIOTHÈQUE DEPUIS SON ORIGINE JUSQU'A NOS JOURS 169

Péronne.—Imprimerie Trépant, 19, Grande Place.


Au lecteur

Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version originale. Les erreurs manifestes de typographie ont été corrigées.

La table des matières a été modifiée pour mieux refléter le plan du livre

La ponctuation a pu faire l'objet de quelques corrections mineures.


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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™
Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life.
Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws.
The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact
Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS.
The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate.
While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate.
International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
Please check the Project Gutenberg web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
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