LA
PÉNÉTRATION SAHARIENNE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE
L’ALGÉRIE
PAR
AUGUSTIN BERNARD
Professeur
à l’École Supérieure des Lettres d’Alger
Chargé de Cours à la Sorbonne
N. LACROIX
Chef de Bataillon d’Infanterie h.
c.
Chef du Service des Affaires Indigènes
au Gouvernement Général de l’Algérie
ALGER
IMPRIMERIE ALGÉRIENNE
1906
Pages | |
Introduction | V |
CHAPITRE PREMIER | |
LES PREMIÈRES TENTATIVES (1830-1852) | |
L’occupation étendue et l’occupation restreinte. — Les renseignements anciens et nouveaux. — Cartes de Rennell et de Lapie. — D’Avezac. — La Commission scientifique de l’Algérie. — Carette (1844). — Daumas (1845). — Carte du Sahara algérien. — El-Aïachi et Moula Ahmed. — Expéditions dans l’Atlas Saharien (1844-47). — Les Établissements Français. — L’expédition Cavaignac et le docteur Jacquot. — Nouvel ouvrage de Daumas. — Projets commerciaux : Subtil, Jacquot. — Tentatives d’exploration : Prax, Berbrugger. — Conclusion | 1 |
CHAPITRE II | |
LA PÉRIODE DU MARÉCHAL RANDON (1852-1864) | |
Gouvernement du maréchal Randon. — Voyages de Barth. — Traduction d’Ibn Khaldoun. — Grammaire tamacheq de Hanoteau. — Occupation de Laghouat (1852) et capitulation du Mzab. — Renou (1853). — Rôle des Ouled-Sidi-Cheikh. — Si Hamza, Cheikh-Othman et Ikhenoukhen. — Projets commerciaux. — Double objectif des explorations : le Touat et Ghadamès | 16 |
I. Explorations dans l’Ouest. — Dastugue (1853). — El-Ouazzani (1854). — Mac-Carthy (1854). — De Colomb (1854-59). — Correspondance de 1858 concernant Si Hamza. — Colonieu et Burin (1860). — Projets sur le Touat et le Niger. — Rohlfs (1864) | 24 |
II. Explorations dans l’Est. — Occupation de Touggourt (1854). — Forages de Jus dans l’Oued-Rir (1856). — Ville (1855-63). — Pomel (1862). — Bonnemain à Ghadamès (1856-57). — Bou-Derba (1858). — Duveyrier (1859-61). — Mission et traité de Ghadamès (1862) | 39 |
Conclusion. — Cartographie. — Faidherbe au Sénégal | 53 |
[II]CHAPITRE III | |
LA PÉRIODE DE STAGNATION (1864-1879) | |
L’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh. — La guerre franco-allemande de 1870. — Colonnes du Sud-Ouest : de Colomb, Colonieu ; expédition du général de Wimpffen dans l’Oued-Guir. — Colonnes du centre : de Lacroix, de Galiffet. — Les explorations : Dournaux-Dupéré et Joubert (1873-74). — Soleillet (1874). — Largeau (1875-77). — Louis Say (1876-77). — Les missionnaires du cardinal Lavigerie : les Pères Paulmier, Ménoret et Bouchard (1875-76) ; les Pères Richard et Kermabon (1879). — Colonisation de l’Oued-Rir. — La mer intérieure : mission Roudaire (1876). — Le Sahara de Pomel. — Masqueray au Mzab. — Conclusion | 57 |
CHAPITRE IV | |
LA PÉRIODE DU TRANSSAHARIEN (1879-1881) | |
La question du Transsaharien. — L’ingénieur Duponchel. — La mission Pouyanne (1879) ; renseignements recueillis par MM. Sabatier et Coyne ; hypothèse de M. Sabatier sur l’Oued-Saoura. — La mission Choisy (1879-80). — Les deux missions Flatters (1880-81). Résultats scientifiques. Véritables causes du massacre de la mission. — Occupation de la Tunisie (1881) | 73 |
CHAPITRE V | |
LA PÉRIODE D’EFFACEMENT (1881-1890) | |
I. Conséquences du massacre de la mission Flatters. — Création du poste d’Aïn-Sefra et insurrection de Bou-Amama (1881). — Projets de Saussier sur Figuig (1882). — Occupation du Mzab (1882), de Ouargla, de Touggourt, d’El-Oued, de Djenien-bou-Rezg (1885). — Inauguration des voies ferrées d’Aïn-Sefra (1887) et de Biskra (1888). — Sondages artésiens dans l’Oued-Rir et à Ouargla. — Idées du commandant Rinn | 93 |
II. Explorations. — Les Pères Richard, Morat et Pouplard (1881). — Première mission Foureau (1883). — Teisserenc de Bort (1885). — Palat (1886). — Douls (1889) | 97 |
[III]III. Cartographie. — Renseignements recueillis par MM. de Castries (1882) et Le Châtelier (1885-86). — Missions de M. René Basset. — Ouvrages de MM. de Motylinski, Masqueray, Amat sur le Mzab. — Les Touareg Taïtoq prisonniers : travaux de MM. Masqueray et Bissuel | 103 |
Mission Crampel. — Fondation du Comité de l’Afrique française | 108 |
CHAPITRE VI | |
LA PÉRIODE DU PARTAGE DE L’AFRIQUE (1890-1900) | |
I. — La convention de 1890 avec l’Angleterre. — Occupation d’El-Goléa (1891). — Voyage de M. Cambon à El-Goléa (1892). — Projets d’expédition au Touat. — Les bordjs (1892-93). — Prise d’In-Salah (1899). — Progrès dans l’Afrique occidentale et centrale. — Prise de Tombouctou. — Politique saharienne du Soudan. — La « course au lac Tchad ». — La convention de 1899 | 111 |
II. — Explorations : Jacob (1892). — Godron (1895). — Flamand (1896-1900). — Germain et Laperrine (1898). — Cornetz (1891-94). — Foureau (1890-1900). — La mission Foureau-Lamy (1898-1900). | 119 |
III. — Tentatives de pénétration commerciale. — G. Méry (1892-93). — D’Attanoux (1893-94). — Morès (1896). — Question des marchés francs (1893). — Question du Transsaharien | 139 |
IV. — Renseignements recueillis par MM. Deporter (1890) et Sabatier (1891). — Ouvrages de MM. Schirmer, Vuillot, de la Martinière et N. Lacroix. — Cartographie saharienne | 148 |
CHAPITRE VII | |
LA SOLUTION (1900-1906) | |
I. L’occupation des oasis du Sud-Ouest et ses conséquences. — La question de la Zousfana. — Protocoles de 1901 et 1902. — Attentats de 1902. — Bombardement de Zenaga. — Affaire de Taghit. — Le général Lyautey (septembre 1902). — Occupation de Béchar (novembre 1903). — Organisation de la région entre Zousfana et Oued-Guir. — Le chemin de fer. — Le commerce. — Reconnaissances et explorations. — Cartographie. | 153 |
[IV]II. La question Touareg. — Les raids Cottenest, Guillo-Lohan, Laperrine, Pein, Besset, Touchard. — Action du Soudan. — Jonction de l’Algérie avec le Soudan (18 avril 1904). — Missions Etiennot, Gautier, Chudeau. — Occupation de Taoudeni. — Résultats scientifiques | 170 |
III. L’organisation du Sahara. — La limite sud de l’Algérie. — La limite Nord du Soudan. — Les communications transsahariennes : le télégraphe, le chemin de fer | 181 |
Conclusion | 193 |
Carte hors texte : Sahara septentrional en 1830, 1852, 1866, 1881, 1900, 1906. |
Le Sahara peut être défini la zone à pluies irrégulières et rares (moins de 20 centimètres par an), comprise entre la zone des pluies subtropicales d’hiver, c’est-à-dire les pays méditerranéens, et la zone des pluies tropicales d’été, c’est-à-dire le Soudan. Ses limites n’ont rien de précis, et, surtout en l’état actuel des connaissances, ne peuvent être fixées avec certitude.
De cette immense zone désertique, la partie qui nous intéresse le plus directement est la région qui s’étend au sud de nos possessions d’Algérie et de Tunisie et se prolonge d’une part jusqu’au bassin du Niger, de l’autre jusqu’au lac Tchad. La moitié septentrionale, comprise entre l’Atlas et l’Ahaggar, se rattache à nos établissements de l’Afrique du Nord.
La géographie physique du Sahara septentrional, entre l’Atlas et l’Ahaggar, est des plus simples. A l’Ahaggar ou massif central Targui, composé de terrains cristallins anciens surmontés de roches éruptives et dont les sommets atteignent 2.000 mètres d’altitude, s’adossent une série de plateaux gréseux dévoniens, notamment le Mouydir et le Tassili des Azdjer. Une grande auréole de plateaux crétacés, comprenant le Mzab, le Tademayt, le[VI] Tinghert, la Hamada-el-Homra, sépare les deux bassins d’atterrissements du Melrir à l’Est et du Gourara à l’Ouest, recouverts d’alluvions tertiaires et quaternaires. Le bassin du Melrir ou de l’Igharghar, constituant le Bas-Sahara (700-300 mètres), a sa pente générale du Sud au Nord, celui du Gourara s’incline du Nord au Sud. Deux grands massifs de dunes, l’Erg occidental et l’Erg oriental, occupent une surface importante dans chacun de ces deux bassins hydrographiques.
La cause de l’aridité du Sahara ne doit pas être cherchée dans la nature du sol : il ne diffère pas géologiquement des autres contrées du globe ; il n’est pas, comme on le croyait, entièrement formé de sables (1/9 à peine de sa surface), et d’ailleurs les sables sont loin d’être aussi stériles que les plateaux caillouteux ou hamadas. La cause de cette aridité n’est pas non plus le relief : le Sahara n’est pas une immense plaine comme on se l’imaginait : il a ses montagnes, ses plateaux et ses dépressions ; ce qui domine dans l’ensemble, ce sont les plateaux aux couches sensiblement horizontales, traversés par des vallées sèches ou oued, limités par de grandes lignes de falaises découpées, au profil souvent assez accentué pour recevoir le nom de djebel ou montagne. « Ce n’est pas le sol infécond qui se refuse à produire, c’est le climat qui le condamne à la stérilité[1]. »
Le Sahara septentrional, pour une superficie plus[VII] vaste que celle de la France, ne compte pas plus de 300.000 habitants. C’est que la vie sédentaire n’est possible que près des points d’eau permanents, autour desquels on trouve des cultures irriguées, et qui constituent les oasis. Les deux groupes d’oasis situées au Sud de nos possessions méditerranéennes occupent le fond des deux grands bassins d’atterrissements : c’est, d’une part, la série des oasis d’Ouargla, de l’Oued-Rir (Touggourt), des Ziban (Biskra) et du Djerid tunisien, dans le bassin du Melrir ; d’autre part, le chapelet des oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt, dans le bassin de l’Oued-Saoura. Ces dernières oasis, quoique à une latitude plus méridionale que celles de l’Oued-Rir, en forment le pendant au point de vue géographique et sont, comme ces dernières, dans la dépendance naturelle de l’Algérie. Quant aux oasis du Mzab, situées sur le plateau crétacé, elles occupent une situation anormale et en quelque sorte contre nature, qui s’explique par des raisons historiques.
En dehors de ces quelques oasis habitées par des populations sédentaires, le Sahara est vide. Les explorateurs, à la suite de leurs reconnaissances, ajoutent indéfiniment des noms sur la carte de ces solitudes, mais ces noms ne s’appliquent qu’à des puits, à des dunes et à certains accidents de la topographie saharienne (Ghourd, Gassi, Feidj, Draa, etc.) Les points qu’ils désignent n’ont aucune importance économique ou politique.
[VIII]Dans le désert proprement dit vivent des groupes de Berbères nomades, les Touareg. On a coutume de diviser en deux grandes confédérations, celle des Hoggar et celle des Azdjer, les Touareg que l’on rencontre en abordant le Sahara par nos possessions de l’Afrique du Nord. En réalité, le lien qui unit les diverses tribus est très lâche ; les chefs ou amenokal n’ont aucune autorité effective, et personne ne peut se flatter de parler au nom de la confédération tout entière. La cohésion est très faible et l’anarchie complète. La vie pastorale ne procurant au désert que des ressources tout à fait insuffisantes, le pillage est admis comme moyen d’existence par toutes les tribus errantes du désert, qui, mourant littéralement de faim, vivent dans un état de désordre et de guerre perpétuel. Les nomades sont les véritables maîtres des oasis, qu’ils exploitent et où ils se ravitaillent ; le centre de ravitaillement des Hoggar est In-Salah, celui des Azdjer est Ghadamès.
La valeur économique du Sahara est nécessairement des plus faibles ; il s’y fait deux sortes de commerces : le commerce de ravitaillement et le commerce de transit. Au point de vue du commerce saharien proprement dit, les deux seuls objets susceptibles d’échange sont la datte et le sel. Au point de vue du commerce transsaharien, le désert doit être regardé comme un obstacle aux communications et aux relations commerciales. Cet obstacle n’est pas infranchissable. Des relations[IX] ont toujours existé à travers le désert entre le Soudan et l’Afrique méditerranéenne. Mais on s’est bien mépris sur leur importance ; la valeur du commerce total du Soudan à la mer par le Sahara est évalué à environ 9 millions, le mouvement d’un port de vingtième ordre. L’importance de ce commerce va sans cesse en diminuant, non seulement dans les possessions françaises de l’Afrique du Nord, mais aussi en Tripolitaine et au Maroc. Les entraves au commerce des esclaves et l’ouverture des voies de la côte occidentale d’Afrique sont les principales causes de cette décadence, à laquelle on espère remédier par la construction de voies ferrées transsahariennes.
Le Sahara septentrional, entre l’Atlas et l’Ahaggar, a été le théâtre de tentatives d’exploration et de pénétration parties de nos colonies de l’Afrique du Nord. Ces tentatives se présentent sous trois formes principales. On peut rechercher uniquement le progrès des connaissances géographiques, dresser la carte de territoires inconnus, recueillir sur le sol, le climat, les populations des renseignements de tous ordres, sans viser le moins du monde à s’établir dans la contrée. On peut avoir pour objet l’occupation directe ou indirecte des régions sahariennes, prendre possession de tel ou tel groupe d’oasis et y établir l’autorité française, que cette autorité soit d’ailleurs exercée par des Européens ou par des indigènes. On peut enfin se livrer à des entreprises culturales, chercher à reconnaître[X] et à exploiter des richesses minérales, s’efforcer de nouer des relations commerciales et de créer un mouvement d’échanges. Ces trois modes de pénétration peuvent être appelés la pénétration scientifique, la pénétration politique et la pénétration économique. Nous nous proposons de les passer en revue et d’en faire l’historique sommaire, depuis 1830 jusqu’à nos jours.
La première édition de la présente brochure avait été publiée à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900. Nous l’avons remaniée et augmentée. Ainsi qu’on en pourra juger, la pénétration saharienne a fait, dans ces dernières années, des progrès considérables et la plupart des questions sahariennes sont résolues ou sur le point de l’être.
[1]Schirmer, Le Sahara, Paris, 1893, p. 23.
[1]LA
PÉNÉTRATION SAHARIENNE
LES PREMIÈRES TENTATIVES (1830-1852)
L’occupation étendue et l’occupation restreinte. — Les renseignements anciens et nouveaux. — Cartes de Rennell et de Lapie. — D’Avezac. — La Commission scientifique de l’Algérie. — Carette (1844). — Daumas (1845). — Carte du Sahara algérien. — El-Aïachi et Moula Ahmed. — Expéditions dans l’Atlas Saharien (1844-47). — Les Etablissements français. — L’expédition Cavaignac et le docteur Jacquot. — Nouvel ouvrage de Daumas. — Projets commerciaux : Subtil, Jacquot. — Tentatives d’exploration : Prax, Berbrugger. — Conclusion.
Lorsque la France, en 1830, fut amenée par la prise d’Alger à s’établir sur la côte barbaresque, il ne pouvait être encore question d’entrer en contact avec le Sahara. Il fallut d’abord conquérir le Tell, et d’ailleurs, pour le Tell même, les discussions durèrent plusieurs années entre les partisans de l’occupation étendue et les partisans de l’occupation restreinte, voire de l’évacuation.
Les événements, plus forts que les théories, se chargèrent de résoudre la question. On fut amené par la force des choses à conquérir l’Algérie toute entière ; on s’aperçut[2][2] qu’il fallait être maître partout, sous peine de n’être en sécurité nulle part.
Cependant, dès le début de la conquête, on s’était préoccupé de rechercher et de réunir des renseignements sur les régions sahariennes, en attendant qu’on pût en faire l’exploration directe. Il y a lieu, disait le capitaine Carette[3], de distinguer la géographie mathématique, c’est-à-dire les éléments obtenus par les opérations exactes, ayant le caractère de la certitude, et la géographie critique, c’est-à-dire les indications fournies par des voyageurs auxquels l’usage des instruments de précision était interdit, ou par des géographes dont le témoignage n’est pas irrécusable. C’est de 1830 que date l’ère de la géographie positive en Algérie : le Sahara, au contraire, restait et devait rester longtemps encore le domaine de la géographie critique.
Parmi les renseignements dont on disposait, les uns remontaient à une époque antérieure à 1830. Les auteurs principaux auxquels on les empruntait étaient, outre les géographes grecs et romains, El-Bekri (XIe siècle)[4], Edrisi (XIIe siècle)[5], Léon l’Africain (XVIe siècle)[6], Thomas Shaw (XVIIe siècle)[7], enfin les naturalistes français Peyssonnel,[3] Desfontaines[8] et Poiret (XVIIIe siècle)[9]. Le major Laing (1825-1826), puis René Caillié (1827-1828) avaient visité Tombouctou, mais leurs traversées du Sahara avaient fourni peu de résultats scientifiques. La carte d’Afrique publiée par Rennel en 1790 (revue en 1803), dont nous reproduisons la partie relative au Sahara, peut être considérée comme représentant assez exactement l’état des connaissances avant la conquête française. La carte publiée par le colonel Lapie (1828)[10], appuyée surtout sur Shaw, ne marque pas un progrès bien sensible sur la carte de Rennel, bien que Carette ait dit « qu’il était impossible de faire un usage plus judicieux de matériaux incohérents[11] ».
Mais des faits nouveaux s’introduisirent bientôt dans le domaine de la discussion et agrandirent le cercle des connaissances. On avait rencontré à Alger même des Mozabites et des Biskris organisés en corporations de métiers, et on avait obtenu d’eux quelques renseignements sur leur pays d’origine[12]. En 1835, d’Avezac publiait ses Etudes de géographie critique[13]. Il avait pris pour point de départ un itinéraire fourni à William B. Hodgson, consul général des Etats-Unis à Alger, par un habitant de[4] Laghouat. Hodgson avait traduit en anglais la relation d’El-Hadj ebn ed Din el Laghouati, et d’Avezac en avait fait une version française. Les itinéraires de cet indigène vont de Laghouat à In-Salah et d’El-Goléa à Ghadamès. Désirant tracer ces itinéraires sur une petite carte, d’Avezac sentit la nécessité de faire table rase de tous les travaux antérieurs et de construire à neuf la carte de la région ; il fut ainsi amené à discuter de nombreux itinéraires, et à utiliser divers renseignements qui lui furent communiqués par l’état-major français. Cette discussion savante et approfondie est le commentaire de la carte, datée de février 1836.
En 1837 fut constituée une Commission pour l’exploration scientifique de l’Algérie[14] qui, organisée en 1839, commença à fonctionner vers 1840, et publia les excellents travaux géographiques du capitaine du génie Carette. Les deux ouvrages qu’il fit paraître en 1844 sont la mise en œuvre d’informations indigènes[15].
Où commençait le Sahara ? Telle était la première question qu’on se posait alors. « A une époque où l’on connaissait à peine le Tell algérien, pour qui était à Oran et à Alger, les villes de Mascara, de Tlemcen et de Médéa étaient des oasis en plein désert ; pour qui était dans ces villes de l’intérieur, Saïda, Tiaret, Teniet-el-Had, tous les postes qu’on venait de créer sur les limites du Tell, étaient au bout du monde. Ceux de nos officiers qui faisaient la guerre, qui observaient, savaient seuls à quoi[5] s’en tenir. Mais pour tout le monde le désert commençait au-delà de ces postes, et il fut un temps, dans la province d’Oran, par exemple, où une colonne qui s’était hasardée jusqu’au Chott croyait être arrivée aux limites du possible, et avoir atteint une ligne au-delà de laquelle l’air n’était plus respirable que pour les nègres et les antilopes[16] ».
On comprend d’ordinaire dans le Sahara algérien la région des steppes ou hautes plaines, souvent appelées aussi le Petit-Désert, qui s’étend au sud de la dernière ride de l’Atlas Tellien, au-delà de Daïa, Tiaret et Boghar. Cependant d’autres auteurs[17] reconnaissaient que le Sahara ne commence qu’au sud des montagnes de la Kibla, c’est-à-dire au sud de l’Atlas Saharien. Carette s’efforçait à son tour[18] de marquer les limites entre le Tell, région des laboureurs et des céréales, et le Sahara, région des pasteurs et des palmiers. Il était amené à distinguer entre la zone des landes (les steppes), et la zone des oasis, qui s’étend jusque vers Ouargla, « limite naturelle de l’Algérie ». Au-delà s’étend le désert proprement dit, « parcouru plutôt qu’habité par les Touareg ». Cette distinction se retrouve dans la plupart des ouvrages de cette époque. Carette étudiait successivement les lieux d’échange du commerce saharien, les moyens d’échange et voies de commerce, les objets d’échange. Il examinait en détail les[6] divers itinéraires et les reportait sur sa carte. Il fournissait également, dans sa Carte des tribus[19], bon nombre de renseignements sur les populations de l’Algérie méridionale. La Description de l’empire du Maroc, de Renou, parue aussi dans l’Exploration scientifique de l’Algérie[20], contenait des documents sur le Sahara oranais.
En 1845, le lieutenant-colonel Daumas, autorisé et encouragé par Bugeaud, publiait le Sahara Algérien, résultat des études poursuivies pendant plus de dix ans par la direction centrale des affaires arabes et des témoignages recueillis de la bouche de plus de 200 indigènes[21]. Le colonel Daumas les interrogeait, le capitaine Gaboriaud dessinait et coordonnait le tracé, Ausone de Chancel, secrétaire archiviste de la direction des affaires arabes, prenait des notes et rédigeait. Une carte du Sahara algérien, publiée sous les auspices du maréchal Bugeaud et gravée sous la direction du dépôt de la guerre, servait de complément à l’œuvre de Daumas. On avait pris pour limite même de nos possessions, « les forts de séparation qui couronnent le Tell et dominent le Sahara », c’est-à-dire la ligne de postes Tiaret-Boghar-Tébessa. Au Sud, on avait choisi comme limite une ligne brisée passant par Nefta, le Souf, Ouargla et In-Salah. On divisait la région considérée en deux parties, orientale et occidentale, séparées par la grande ligne d’Alger à Ouargla. On étudiait[7] d’abord cette ligne, puis l’Est et enfin l’Ouest, en procédant par itinéraires et en s’avançant de renseignements en renseignements. « Dans son ensemble, disait le colonel Daumas[22], le Sahara présente, sur un fond de sable, ici des montagnes, là des ravins ; ici des marais, là des mamelons ; ici des villes et des bourgades, là des tribus nomades dont les tentes en poil de chameau sont groupées comme des points noirs dans l’espace fauve. » On est donc revenu de l’idée qui considérait le Sahara comme entièrement inhabitable et inhabité. Peut-être même tend-on à tomber dans l’excès contraire ; on remarque que les centres de population sont, dans la première zone du Sahara, beaucoup plus nombreux que dans le Tell[23].
La méthode d’utilisation des informations indigènes fut dès le début portée par Carette, et surtout par Daumas, à une perfection qu’on n’a pas dépassée depuis et qu’on a rarement égalée. Carette avait insisté sur l’usage que l’on pourrait faire des voyageurs algériens dans l’intérêt des sciences économiques et géographiques. « Il est possible, dit-il[24], sans quitter les villes abordables du continent africain, d’obtenir sur l’intérieur des renseignements de toute nature. Ces renseignements, recueillis avec persévérance, rapprochés et contrôlés avec discernement, conduiraient à la connaissance des faits généraux. » Il concluait en demandant la fondation d’une école pratique d’explorateurs indigènes.
[8]Dans les bibliothèques mêmes, il était possible de trouver des documents indigènes intéressants pour la connaissance du Sahara. Berbrugger, membre titulaire de la Commission scientifique de l’Algérie, conservateur de la bibliothèque et du musée d’Alger, traduisit (1846), d’après deux manuscrits de la bibliothèque d’Alger, le voyage de deux pèlerins musulmans, El Aïachi (XVIIe siècle) et Moula-Ahmed (XVIIIe siècle), qui se rendirent du Maroc en Tripolitaine par les oasis du Sahara septentrional[25].
Cependant les progrès de notre domination et le souci même de la sécurité du Tell avaient amené les troupes françaises jusque dans les oasis sahariennes. En février-juin 1844, le duc d’Aumale, commandant la province de Constantine, s’avançait jusqu’à Biskra et occupait les Ziban. Le cheikh de Touggourt, Ben Djellab, reconnaissait notre autorité. La même année, dans la province de Titteri, la colonne du général Marey-Monge, opérant contre les Oulad-Naïl, s’était avancée jusqu’à Laghouat[26]. En 1845, dans l’Oranie, le colonel Géry, du 56e de ligne, passant par Stitten et Rassoul, s’emparait de Brézina[27] ; le commandant de Martimprey, alors chef du service topographique de la division d’Oran, avait accompagné la colonne. En 1847, les généraux Renault et Cavaignac allaient visiter les ksour du Sud-Oranais ; la colonne[9] Cavaignac s’avançait jusqu’au Djebel Haïmeur, au sud de Moghrar, et poussait une pointe sur l’Oued-Namous, jusqu’à l’endroit où cet oued sort des montagnes pour déboucher dans le Sahara[28]. En 1849, le général Pélissier se montrait à son tour dans les mêmes régions. En 1850, après la prise de Zaatcha, on occupait Bou-Saâda. Ainsi, dans l’Est comme dans l’Ouest, à El-Kantara comme au défilé d’Arouïa, où dépassait l’Atlas Saharien, on franchissait le bab-es-Sahra[29].
Une notice rédigée d’après les renseignements contenus dans le journal de l’expédition du colonel Géry[30] et dont les matériaux ont été fournis par Martimprey et Maire, donne des renseignements sur les ksour du Petit-Désert de la province d’Oran. Cette notice se termine par un aperçu sur le Gourara, d’après des renseignements recueillis par le commandant Charras, chef de poste de Daïa ; il sera facile, dit l’auteur, de nouer dans un avenir rapproché des relations avec ces oasis.
L’expédition du général Cavaignac eut pour historiographe le docteur Félix Jacquot, dont l’ouvrage[31] est accompagné d’une carte de la contrée parcourue par la colonne et d’un certain nombre d’intéressants dessins d’après nature. Ce qui fait aujourd’hui le principal intérêt de la relation du docteur Jacquot, c’est qu’il fut le premier[10] à signaler[32] les sculptures rupestres de Tiout et de Moghrar Tahtani, représentant entre autres choses des scènes de chasse et divers animaux, parmi lesquels l’éléphant. Mais le docteur Jacquot ne pense pas que ces dessins soient vraiment préhistoriques, et croit qu’ils sont l’œuvre d’individus originaires du Soudan.
Nos colonnes avaient vérifié l’exactitude des renseignements consignés par Daumas dans son ouvrage sur le Sahara algérien à une époque où on ne l’avait pas encore parcouru. Daumas forma alors le projet d’utiliser des renseignements puisés aux mêmes sources sur les contrées situées encore plus au Sud, sur le commerce de l’intérieur de l’Afrique et sur les usages des peuples qui habitent ou traversent le Sahara. De là le livre, fort inférieur à son Sahara Algérien, qu’il publia en 1848 en collaboration avec Ausone de Chancel[33]. C’est le récit de voyage d’un Chaânbi de Metlili, El Hadj Mohammed, qui était allé trois fois dans le Haoussa pour y acheter des esclaves dont il faisait le commerce. L’itinéraire passe par El-Goléa, Timmimoun, In-Salah, le Mouydir, l’Ahaggar, Assiou et l’Aïr, Agadès, le Damerghou. Il est accompagné d’une carte du Sahara au 1/10.000.000 par Mac-Carthy.
Dès le début de la conquête, on s’était préoccupé de recueillir des détails sur la marche annuelle des caravanes et le commerce de la régence avec l’Afrique intérieure. On avait cherché à se renseigner sur l’importance que ce commerce avait eue jadis, sur les nouvelles directions que la guerre l’avait forcé de prendre, sur les moyens de le rappeler dans les lieux qu’il avait si longtemps fréquentés,[11] et peut-être de lui donner d’utiles développements[34] ». On étudiait aussi les rapports de Constantine avec Biskra et Touggourt[35].
C’est en 1840 que Youssef, pacha de Tripoli, fit reconnaître son autorité à Ghadamès, et c’est de cette époque que date l’abandon à peu près complet du débouché commercial de Ghadamès sur la Tunisie par Gabès et sur l’Algérie par le Souf et Ouargla[36]. En 1842, la Régence devenait une simple province de l’empire Ottoman, et Ghadamès reçut un représentant de l’autorité turque.
Un certain E. Subtil pensait avoir trouvé les moyens de faire arriver en Algérie les caravanes de l’Afrique centrale[37] ; il suffisait pour cela, selon lui, d’établir deux agents consulaires français à Ghadamès et Touggourt et de s’entendre avec Mohammed, fils d’Abd el Gelil, prince des Tibbous. L’auteur avait vu ce Mohammed à Linouf, en Tripolitaine, et avait passé avec lui, en 1841, un traité de commerce par lequel il s’engageait à faire aboutir à Constantine toutes les caravanes de l’intérieur : l’original de ce traité avait été remis, paraît-il, aux mains du maréchal Soult.
C’était dans un but commercial autant que pour des motifs politiques, et dans l’espoir d’ouvrir des débouchés à notre industrie, que, depuis 1844, on était intervenu à diverses reprises dans le Sahara, notamment dans le Sahara oranais[38]. On insistait[39] sur le rôle commercial des[12] populations du Sud-Oranais, qui, dans leurs migrations annuelles, sont les intermédiaires naturels entre les habitants du Tell et les peuplades des contrées méridionales : « Aux uns elles apportent du Sud des dattes, de la laine, des plumes d’autruche, des plantes tinctoriales, des esclaves noirs et même de la poudre d’or ; aux autres elles livrent en échange, sur les marchés des oasis, des céréales et des produits de l’industrie européenne. »
Dans un rapport du 13 Juillet 1844, le duc d’Aumale, commandant supérieur de la province de Constantine, marquait les résultats commerciaux qu’on était en droit d’attendre de la prise de possession des Ziban, et indiquait que des commerçants se proposaient, vers la fin de novembre, d’aller juger par eux-mêmes de l’importance du marché de Touggourt. Le docteur Félix Jacquot[40] se livrait à une comparaison entre les deux grands courants de caravanes passant l’un par Touggourt à l’Est, l’autre par In-Salah à l’Ouest. Il donnait la préférence à cette dernière ligne, parce que, dit-il, elle est plus facile et plus courte, et parce que Tombouctou est le principal centre du commerce du Soudan et beaucoup plus important que le pays Haoussa.
C’est aussi de l’intérêt économique et commercial que s’inspiraient la plupart des explorations ou reconnaissances individuelles entreprises pendant cette période, explorations d’ailleurs peu importantes et médiocrement fructueuses. En 1836, Loir-Montgazon[41] avait passé un mois à Touggourt. En 1848, un autre voyageur, Garcin, négociant à Constantine, s’y rendait également de Biskra. En 1848, Prax[42], ancien officier de marine, accomplissait dans le[13] Sud algérien le premier voyage qui ait eu un caractère un peu plus scientifique. Parti de Tunis, il se rendit au Souf et rentra en Algérie par Touggourt et Biskra. L’année suivante, il publia une brochure[43] sur le commerce transsaharien ; il énumérait les produits que l’on pouvait tirer du centre de l’Afrique et les denrées qu’on pouvait porter dans le Soudan. Il concluait à la nécessité d’avoir un consul au Touat, lieu d’étape commode entre les dernières pentes de l’Atlas et les rives du Sénégal.
En 1850, J.-B. Renaud, ancien soldat au 48e de ligne, qui avait embrassé l’islamisme et pris le nom d’Abdallah, résolut, à la suite d’un pèlerinage à la Mecque et d’un voyage de trois mois au Darfour, de se rendre d’Algérie à Tombouctou par le Touat. Ce projet n’aboutit pas ; le cheikh de Ngoussa, instruit du dessein de Renaud, l’obligea à retourner sur ses pas à cause de l’insécurité des régions qu’il voulait traverser.
La même année, Berbrugger entreprenait, avec un succès bien différent, un voyage dans l’Est. Il avait formé le projet[44] d’explorer la « deuxième ligne » des oasis algériennes, par Gabès, le Souf, Touggourt, Ouargla, El-Goléa, le Touat avec retour par le Mzab ; il devait s’attacher surtout à l’étude des faits qui importent à la politique et au commerce. Son voyage ne le mena pas si loin ; il se rendit[45] en Tunisie par Souk-Ahras, visita le Djerid,[14] le Souf, l’Oued-Rir, Ouargla et le Mzab ; il rapporta nombre de renseignements géographiques et archéologiques sur les régions traversées[46].
En 1851, Ducouret (Hadj Abd el Hamid Bey) partait de Tunis avec une mission du Ministre de l’instruction publique dans le Sahara. Il sollicita l’appui de l’autorité militaire pour gagner Ouargla et le Mzab, mais il parut dangereux de l’autoriser à parcourir ce pays, où Berbrugger avait rencontré d’assez grandes difficultés l’année précédente.
Résumons, au triple point de vue auquel nous nous sommes placés, les résultats obtenus pendant cette période.
La connaissance scientifique du Sahara a considérablement avancé par les informations indirectes, surtout celles de Carette et de Daumas. L’exploration directe, si on en excepte le voyage de Berbrugger, n’a encore donné aucun résultat. L’occupation a rapidement progressé, puisque, malgré les hésitations du début, elle nous a amenés d’Alger à Laghouat. Enfin, au point de vue de la pénétration commerciale, on a formé des projets nombreux et souvent grandioses, mais on n’a en fait rien obtenu. La carte du Sahara algérien[47] de 1852 montre l’état des connaissances à cette date : c’est une nouvelle édition de la carte de 1845, dont les indications avaient guidé nos[15] colonnes ; on a réparé les omissions et comblé les lacunes que l’expérience avait signalées.
Une nouvelle période s’ouvre avec la prise de Laghouat (4 décembre 1852), bientôt suivie de la capitulation du Mzab. Grâce aux circonstances favorables, grâce aussi à l’impulsion donnée par le maréchal Randon, cette période, comme on va le voir, est une des plus brillantes et des plus fructueuses de l’histoire de la pénétration saharienne.
[2]Daumas, Le Sahara Algérien, in-8o, Paris, 1845, p. 5.
[3]Carette, Etude sur les routes suivies par les Arabes dans la partie méridionale de l’Algérie et de la Régence de Tunis, in-8o, Paris, 1844, p. 3 et suiv.
[4]Traduction française de la Description de l’Afrique, publiée par Quatremère dans le tome XII des Notices et Extraits des Manuscrits.
[5]Traduit par A. Jaubert en 1836.
[6]Leo Africanus, De l’Afrique, traduction de Jean Temporal, Paris, 4 vol. in 8o, 1830. « Imprimé aux frais du Gouvernement pour procurer du travail aux ouvriers typographes. » La même année était réimprimée, à Venise, la traduction italienne de Ramusio.
[7]Th. Shaw, Travels and Observations relating to several parts of Barbary and the Levant, in-4o, Oxford, 1738. Traduction française à La Haye, 1743.
[8]Dureau de la Malle, Voyages dans les Régences de Tunis et d’Alger, par Peyssonnel et Desfontaines, 2 vol. in-8o, Paris, 1838.
[9]Poiret (l’abbé), Voyage en Barbarie, 2 vol. in-8o, Paris, 1789.
[10]Carte comparée des Régences d’Alger et de Tunis, dressée par le chevalier Lapie, premier géographe du roi, officier supérieur du Corps royal des Ingénieurs (les noms anciens revus par Hase, les noms arabes par Jaubert), Paris, 1828, chez Picquet.
[11]Routes suivies par les Arabes, p. VII. Cette remarque semble s’appliquer à la carte de 1828 ; la date de 1838, donnée par Carette, paraît une faute typographique : nous n’avons pas découvert de carte d’Algérie de Lapie portant cette date.
[12]Tableau de la Situation des Etablissements Français dans l’Algérie, 1838, p. 161.
[13]Paris, 1836, in-8o.
[14]Etablissements Français, 1838, p. 113 ; 1840, p. 109.
[15]E. Carette, Recherches sur la géographie et le commerce de l’Algérie méridionale, avec 3 cartes (Exploration scientifique, in-4o, Paris, 1844). Id., Etude des routes suivies par les Arabes dans la partie méridionale de l’Algérie et de la Régence de Tunis (Exploration scientifique, in-8o, Paris, 1844).
[16]De Colomb, Notices sur les Oasis du Sahara, 1860, p. 1. « Dès le débarquement, en 1830, il fut question du désert à propos du terrain sablonneux de Sidi-Ferruch. Plus tard, les sables reculèrent jusque dans la Mitidja où, selon l’expression de Pellissier, on n’en ramasserait pas de quoi poudrer une lettre ». (Berbrugger, Voyages dans le Sud de l’Algérie, par El-Aïachi et Moula-Ahmed, Paris, 1846, p. 4).
[17]Berbrugger, ouvrage cité.
[18]E. Carette, Recherches sur la géographie et le commerce de l’Algérie méridionale, p. 7.
[19]Etablissements Français, 1844, p. 377 et 396 ; Carte de l’Algérie divisée en Tribus, par Carette et Warnier, à 1/1.000.000e (avril 1846).
[20]In-8o, Paris, 1848, avec Carte du Maroc à 1/2.000.000e, datée de 1845. Cf. Carte du Maroc de Beaudouin, 1848 (excellente pour l’époque et encore utile à consulter).
[21]Daumas (Lieutenant-colonel), Le Sahara Algérien, études géographiques, statistiques et historiques sur la région au Sud des établissements français, in-8o, Paris, 1845.
[22]P. 5.
[23]Daumas, p. 1, reproduit et défiguré dans les Etablissements Français de 1850-52, p. 651. Il convient de dire que, précisément à l’époque ou Daumas écrivait ces lignes, le traité de 1845 avec le Maroc reproduisait l’ancienne conception du Sahara inhabitable et inhabité.
[24]Recherches sur la Géographie et le Commerce de l’Algérie méridionale, p. 142.
[25]Adrien Berbrugger, Voyages dans le Sud de l’Algérie et des Etats barbaresques par El-Aïachi et Moula-Ahmed (Exploration Scientifique de l’Algérie), in-8o, Paris, 1846.
[26]Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, Alger-Paris, 1854, tome III, p. 123-126.
[27]H. M. P. de la Martinière et N. Lacroix, Documents pour servir à l’étude du Nord-Ouest africain, réunis et rédigés par ordre de M. Jules Cambon, Gouverneur général de l’Algérie. Gouvernement général de l’Algérie, Service des Affaires indigènes, 4 vol. in-8o et 1 vol. de pl., 1894-97 ; tome III, p. 73 et 791. Nous citerons cet ouvrage en abrégé sous le titre de Documents.
[28]H. Duveyrier, Historique des Explorations au Sud et au Sud-Ouest de Géryville, Bull. Soc. Géogr. de Paris, 1872, p. 229.
[29]Etablissements Français, 1845, p. 4. Pellissier de Reynaud, Annales Algériennes, III, p. 160.
[30]Tableaux des Etablissements français dans l’Algérie, 1846, p. 515. On sait que cette collection des Etablissements français est la source la plus précieuse pour l’histoire des débuts de la conquête et de la colonisation.
[31]Dr Félix Jacquot, Expédition du général Cavaignac dans le Sahara Algérien en avril et mai 1847, in-8o, Paris.
[32]P. 149 et 165.
[33]Daumas et de Chancel, Le grand désert, ou itinéraire d’une caravane du Sahara au pays des nègres, in-8o, Paris, 1848.
[34]Etablissements français, 1837, p. 324.
[35]Id., 1840, p. 371.
[36]Colonel Rebillet, Les relations commerciales de la Tunisie avec le Soudan (Revue gén. des Sciences, 1896, p. 1158).
[37]Revue de l’Orient, 1845, tome VI, p. 6.
[38]Etablissements français, 1850-52, p. 651.
[39]Id., 1846, p. 515.
[40]Expédition du général Cavaignac, p. 199.
[41]Revue de l’Orient, 1844, tome IV, p. 76.
[42]Instructions pour le voyage de M. Prax dans le Sahara septentrional, in-8o, Paris, 1847. — Prax, Tougourt, le Souf (Revue de l’Orient et de l’Algérie, 1848, tome IV, p. 129).
[43]Prax, ancien officier de la marine nationale, Commerce de l’Algérie avec la Mecque et le Soudan, Paris, 1849. Cf. Carte des routes commerciales de l’Algérie au pays des Noirs, dressée par M. Prax à 1/10.000.000, s. d. (très intéressante).
[44]Berbrugger, Projet d’exploration de la 2e ligne des oasis algériennes, in-8o, Alger, 1850.
[45]Résultats obtenus jusqu’à ce jour par les explorations entreprises sous les auspices du Gouvernement de l’Algérie pour pénétrer dans le Soudan, in-8o, Alger, 1862. Cette brochure, due au capitaine de Polignac, a paru dans le Bull. de la Soc. de Géogr. de Paris, 1862, p. 222. Nous la citerons en abrégé sous le titre Résultats.
[46]Mémoire publié dans l’Akhbar, Alger, 1853.
[47]Etablissements français, 1849, p. 719 et 1850-52, p. 651. Cf. Carte des divisions politiques, administratives et militaires de l’Algérie, dressée sur les documents officiels par ordre de M. le général Randon par Ch. de la Roche, attaché au Ministère de la Guerre, 1851, à 1/1.000.000.
LA PÉRIODE DU MARÉCHAL RANDON (1852-1864)
Gouvernement du maréchal Randon. — Voyages de Barth. — Traduction d’Ibn Khaldoun. — Grammaire tamacheq de Hanoteau. — Occupation de Laghouat (1852) et capitulation du Mzab. — Renou (1853). — Rôle des Ouled-Sidi-Cheikh. — Si Hamza, cheikh Othman et Ikhenoukhen. — Projets commerciaux. — Double objectif des explorations : le Touat et Ghadamès.
I. Explorations dans l’Ouest. — Dastugue (1853). — El-Ouazzani (1854). — Mac-Carthy (1854). — de Colomb (1854-59). — Correspondance de 1858 concernant Si Hamza. — Colonieu et Burin (1860). — Projets sur le Touat et le Niger. — Rohlfs (1864).
II. Explorations dans l’Est. — Occupation de Touggourt (1854). — Forages de Jus dans l’Oued-Rir (1856). — Ville (1855-57). — Bou-Derba (1858). — Duveyrier (1859-61). — Mission et traité de Ghadamès (1862).
Conclusion. — Cartographie. — Faidherbe au Sénégal.
Le maréchal Randon est une des figures les plus intéressantes de l’histoire moderne de l’Algérie. « Après le maréchal Bugeaud, le second rang dans l’histoire de la conquête appartient de droit au maréchal Randon ; au génie de l’un a succédé la persévérance de l’autre ; celui-ci a parachevé l’œuvre de celui-là[48]. » En même temps qu’il conquérait la Kabylie, il préparait et organisait l’expansion de l’Algérie vers le Sud.
Le maréchal Randon fut gouverneur de l’Algérie de 1851 à 1858 ; mais la brillante période de pénétration saharienne ne commence guère qu’en 1852, pour se continuer[17] jusqu’en 1864, parce que l’impulsion ne se fit pas immédiatement sentir et se prolongea d’autre part pendant un certain temps après le départ de celui qui l’avait imprimée. Le mouvement d’exploration et d’expansion fut arrêté net par l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh, qui eut des conséquences si fâcheuses à tous égards pour nos rapports avec le Sahara.
Un événement considérable dans l’histoire des découvertes géographiques s’accomplissait alors. Un des plus grands voyageurs des temps modernes, Barth, effectuait sa magnifique exploration à travers le Sahara et le Soudan (1850-1855). « Il faudrait de longues pages[49] pour faire ressortir les nombreux résultats du voyage de Barth. Avant lui, tout n’était que fables ou données vagues sur l’Afrique centrale et ses habitants ; il était réservé à Barth de rapporter au monde civilisé des notions précises aussi bien sur la région du Tchad que sur le Sahara, de fixer la géographie encore incertaine de ces pays, d’étudier l’histoire des tribus qui les habitent, enfin de recueillir des renseignements d’une valeur inestimable sur l’ethnographie, l’histoire ancienne et l’état politique des vastes étendues de territoire qu’il a parcourues. » Il est le premier et le plus grand des explorateurs vraiment scientifiques du continent noir[50].
Vers la même époque paraissaient en Algérie, sous les auspices du Gouvernement général, deux des ouvrages les plus remarquables qui aient été publiés depuis la conquête :[18] la traduction de l’Histoire des Berbères d’Ibn-Khaldoun[51] par de Slane (1852), et la grammaire de la langue des Touareg par Hanoteau, commandant supérieur du cercle de Dra-el-Mizan[52]. Le premier de ces ouvrages faisait connaître le document capital sur l’histoire et les traditions des populations sahariennes, le second nous initiait à leur langue ; Duveyrier a pu contrôler l’exactitude de la grammaire de Hanoteau et il a rendu hommage à l’excellence de cet ouvrage[53], comme bien d’autres l’ont fait après lui.
Le gouvernement du maréchal Randon, le voyage de Barth déterminèrent une période des plus actives dans notre œuvre de pénétration au Sahara central, œuvre à laquelle d’autres circonstances, qu’il convient d’indiquer, étaient par ailleurs très favorables.
L’insurrection soulevée en 1852 par le chérif Mohammed ben Abdallah parmi les tribus du Sud détermina la prise d’assaut et l’occupation définitive de Laghouat[54] (4 décembre 1852). Quelques jours après, les habitants du Mzab, redoutant des représailles de notre part, en raison de l’hospitalité[19] donnée par eux au chérif Mohammed, prirent la résolution d’entrer en négociations avec nous.
Dans une convention du 24 janvier 1853, décorée plus tard du nom de traité, mais qui mérite bien mieux le titre de capitulation[55], Randon posait aux Mozabites ces conditions : « Il ne saurait être question, disait-il, d’un traité de commerce entre vous et nous, mais bien nettement de votre soumission à la France. En dehors de cette pensée, il ne peut y avoir aucun arrangement. Vos ressources de toute espèce nous étant connues, chaque ville ne paiera que ce qu’elle doit raisonnablement payer. Comptés dès lors comme nos serviteurs, notre protection vous couvrira partout, dans vos voyages à travers nos tribus et pendant votre séjour dans nos villes. Nous ne voulons en aucune façon nous mêler de vos affaires intérieures ; vous resterez à cet égard comme par le passé. Nous ne nous occuperons de vos actes que lorsqu’ils intéresseront la tranquillité générale et les droits de nos nationaux et de nos tribus soumises. » Ainsi le maréchal Randon trouvait dès le premier jour la véritable formule qui doit présider à nos relations avec les populations sahariennes, formule dont on s’est trop souvent écarté depuis, soit en traitant de puissance à puissance avec les Sahariens, soit en intervenant à outrance dans leurs affaires intérieures.
Peu après, Renou, collaborateur de l’Exploration Scientifique de l’Algérie, après une excursion d’Alger à Laghouat, se décida, sur les conseils du général Yousouf, commandant les troupes indigènes, à pousser jusqu’au Mzab. Il partit de Laghouat en compagnie du lieutenant Carrus, chef du bureau arabe, et se rendit à Berrian, où il fut parfaitement accueilli ; il profita de son séjour dans cette localité pour en déterminer la longitude et la latitude.
[20]C’est à partir de cette époque que les Ouled-Sidi-Cheikh commencent à jouer un rôle considérable dans nos projets de pénétration. On songe d’abord à se servir d’eux pour ces projets, et des résultats dont on ne saurait méconnaître l’importance sont obtenus par cette voie. Mais ces résultats ne sont pas aussi complets qu’on l’avait espéré, d’abord parce que, comme on le verra, ils ne s’y prêtent pas toujours sans réticences et sans hésitations, puis parce qu’on s’exagère, peut-être sur leurs propres indications, leur pouvoir sur les populations sahariennes et qu’on leur demande plus qu’ils ne peuvent donner.
Le chef de la branche aînée des Ouled-Sidi-Cheikh était alors Si Hamza ben bou Bekeur. Ce personnage[56] était d’une humeur très versatile, tour à tour sérieux et capricieux comme un enfant gâté ; malaisé à mettre en selle, mais y restant des journées entières ; curieux comme une femme ou indifférent à l’excès ; aujourd’hui flexible comme un roseau, demain ferme comme un chêne. Cependant sous cette versatilité apparente se cachait une rare ténacité lorsque ses intérêts étaient en jeu. Enfin, un des traits les plus frappants de son caractère était son extrême avidité ; il entassait dans ses magasins, où ils se perdaient sans profit pour personne, les dons en nature qu’il recevait des indigènes et ne craignait pas de s’abaisser en faisant le commerce des œufs d’autruche. Malgré ces graves défauts, il faut convenir avec M. Jules Cambon[57] que « Si Hamza montra, dans le cours de sa vie, une grandeur peu commune, associa sa cause à la nôtre et nous témoigna[21] une fidélité dont on ne s’est peut-être pas toujours souvenu. Il détruisit le sultanat d’Ouargla pour le remettre entre nos mains et fut ainsi le principal agent de notre expansion dans l’Extréme-Sud. »
L’ambition de Si Hamza était de commander à tout le Sud, sinon jusqu’à Tombouctou[58], du moins depuis Ouargla jusqu’au Touat. En 1852, il fut investi d’un grand commandement et nommé khalifa. En même temps, on plaçait auprès de lui un officier pour jouer le rôle de nos résidents actuels dans certains pays de protectorat ; on choisit le lieutenant de Colomb, qu’on chargea de le guider et de l’initier à nos exigences administratives. La mesure fut complétée par la création d’un poste à El-Biodh (Géryville), où s’installa le lieutenant de Colomb avec une petite garnison. Cet officier reçut d’abord le titre de « chef politique », titre qui se transforma au fur et à mesure que l’organisation du nouveau commandement se développait, et devint successivement celui de chef de poste en 1853, chef d’annexe en 1854, commandant supérieur en 1855.
A peine installé, le nouveau khalifa fut appeler à coopérer à la lutte engagée avec Mohammed ben Abdallah et dut, avec ses contingents, poursuivre les Larbaâ et les Ouled-Naïl qui avaient pris fait et cause pour le chérif ; il en vint à bout pendant que nos troupes assiégeaient Laghouat. Quelques mois plus tard, à la fin de 1853, Si Hamza, bientôt suivi par le colonel Durrieu et une colonne légère, nous faisait sans coup férir traverser Metlili, le Mzab, et planter pour la première fois notre drapeau sur les vieilles kasbas de Ngoussa et de Ouargla. Il tenait ainsi la promesse qu’il avait faite de conquérir pour nous l’Extrême-Sud[59].
[22]Le maréchal Randon avait aussi témoigné à Si Hamza le désir de nouer des relations avec les Touareg. En 1854, le khalifa était allé à Ghat et avait décidé divers personnages touareg, appartenant aux tribus des Oraghen, des Ifoghas et des Imanghasaten, à l’accompagner à Alger[60]. L’un d’eux était le cheikh Othman, de la tribu maraboutique des Ifoghas et de l’ordre des Tidjani, neveu de Sidi Ahmed el Bekkay qui avait accueilli Barth à Tombouctou[61]. Cheikh Othman, homme d’intelligence et de cœur, d’un dévouement éclairé et sincère, semble avoir souhaité réellement faire régner la sécurité et la paix — une paix relative — chez les Touareg.[62] Le cheikh fut l’objet de l’accueil le plus favorable de la part du maréchal Randon, auquel il promit une alliance avec la France, en son propre nom et au nom d’Ikhenoukhen, amenokal des Azdjer. Ikhenoukhen, vieillard énergique, guerrier respecté pour sa force, paraît lui aussi avoir éprouvé une certaine sympathie pour les Français[63]. Après un séjour d’un mois à Alger, Cheikh Othman repartit pour le Sud. Sa visite devait être féconde en résultats, puisqu’elle a abouti, comme on le verra, à l’exploration de Duveyrier et au traité de Ghadamès.
Une des principales occupations de Randon était d’établir des relations commerciales avec le Soudan[64]. A son[23] avis, l’arrivée régulière sur nos marchés des caravanes qui, en échange des produits de notre industrie, nous donneraient les matières dont Tripoli et le Maroc profitent seuls, était de nature à procurer à la France d’incontestables avantages. Personne ou à peu près ne mettait en doute, à cette époque, l’importance du commerce saharien et transsaharien, quoique dès 1854 le comte H. de Sanvitale eût émis à cet égard des appréciations assez pessimistes[65]. Quant aux « pays noirs », on s’en faisait une idée assez vague ; on les considérait comme uniformément riches et peuplés ; la renommée antique de Tombouctou attirait particulièrement les imaginations[66].
Cependant c’est seulement en 1860 que furent rapportées les mesures douanières de l’ordonnance du 16 décembre 1843, qui avait interdit toute importation en Algérie par les frontières de terre. Un décret du 25 juin 1860 déclara la ligne Géryville-Laghouat-Biskra ouverte à l’importation en franchise de droits de douane des produits naturels et fabriqués originaires du Sahara et du Soudan.
Les projets de Randon se résumaient en ceci : étant donné que des échanges s’effectuent avec le Soudan à travers le Sahara, attirer les caravanes vers les possessions françaises, et frayer également à des caravanes parties de nos possessions le chemin du Soudan. Ce résultat devait être obtenu autant que possible d’une manière pacifique, en agissant à l’Ouest dans la vallée de l’Oued Saoura, à l’Est dans la vallée de l’Igharghar, en pénétrant à In Salah[24] et à Ghadamès. D’où un double objectif des explorations : le Touat et Ghadamès. Nous allons passer en revue successivement les tentatives faites dans ces deux directions, en commençant par celles qui furent dirigées vers le Sud-Ouest.
C’est sous le patronage du khalifa Si Hamza que le général de Lussy de Pelissac, commandant par intérim la province d’Oran, proposa en 1853 de pousser une mission d’exploration au Gourara, qui serait confiée au sous-lieutenant Dastugue, adjoint au bureau arabe de Mascara. Cet officier devait partir avec la caravane annuelle des Trafi, et le terme extrême du voyage devait être Timmimoun. Là, le lieutenant Dastugue recueillerait une foule de renseignements, principalement sur Insalah, sur l’importance du commerce qui s’y fait et sur les routes qui y conduisent. Les événements politiques qui se déroulaient dans l’Extréme-Sud empêchèrent les nomades d’envoyer des caravanes au Gourara à la fin de 1853, et le projet d’exploration présenté par Dastugue ne fut pas exécuté. Mais Dastugue est un des officiers qui ont le plus fait pour la connaissance scientifique du Sud-Ouest Algérien, un de ceux dont les travaux, aujourd’hui encore, présentent le plus d’intérêt. Plus tard colonel, puis général, il a recueilli et publié avec intelligence des données sur le Sahara orano-marocain[67] ; il a donné notamment un excellent travail sur la géographie du Tafilelt, d’après des renseignements recueillis en 1859-61.
[25]En 1854, de nouveaux essais furent projetés ou tentés dans la direction de Tombouctou. Un indigène appartenant à la famille des Cheurfa d’Ouezzan, El Hadj Mohammed ben Ahmed el Ouezzani, qui avait déjà fait pour son compte à différentes reprises le voyage de Tombouctou, était chargé d’une mission dans le Sud en vue de lier des relations avec ces régions et de préparer les moyens d’y expédier plus tard des caravanes. Cet individu, après une absence de quatre mois et demi, forgea un récit de voyage, un itinéraire à Tombouctou, et présenta un morceau de houille soi-disant trouvé dans les environs d’In-Salah, mais pris en réalité au Maroc. Sa fable fut découverte et on put reconnaître l’inutilité de cette mission[68].
Le géographe Mac-Carthy fut aussi chargé de se rendre à Tombouctou par le Sahara. C’était un homme original et intéressant, le prototype, dit-on, du Vandell dont Fromentin, dans Une année dans le Sahel, a retracé la physionomie. « Chez Vandell et chez Mac-Carthy, même ouverture d’esprit et même curiosité de toutes choses, même insouciance et mépris de la vie matérielle, même philosophie douce et tranquille, même négligence à utiliser les matériaux péniblement amassés[69]. » Au milieu des préparatifs de départ de Mac-Carthy, des renseignements venus de Gourara présentèrent le voyage comme trop périlleux. Il sembla préférable d’attendre le résultat des efforts tentés à la même époque pour nouer des relations avec le Touat, avec les principaux personnages touareg et même avec les notables de Tombouctou. En attendant, on proposa à Mac-Carthy d’explorer le Sahara central en partant de Tripoli, et de rentrer en Algérie par le Touat,[26] si auparavant une caravane parvenait à y effectuer un premier voyage comme on l’espérait. Cet itinéraire ne fut pas plus exécuté que le précédent. On prétend que, plus de vingt ans après, le biscuit préparé pour l’expédition existait encore et que Mac-Carthy parlait toujours de son prochain départ. S’il n’exécuta aucun de ses grands projets, il renseigna et guida souvent les explorateurs. Devenu conservateur de la bibliothèque d’Alger après Berbrugger, Mac-Carthy prit notamment une grande part à la préparation scientifique du voyage au Maroc du vicomte de Foucauld : ceux qui ont fréquenté la bibliothèque à cette époque savent combien les conseils du vieux savant furent précieux à l’illustre explorateur.
D’autres propositions furent faites pour le voyage à Tombouctou, qui hantait à ce moment les esprits, et pour lequel la Société de Géographie de Paris avait voté quelques fonds. Vignard, chef du bureau arabe départemental de Constantine, se mit sur les rangs, ainsi que Cusson, d’Oran. Un israélite d’origine allemande, nommé Joseph Benjamin, domicilié à Oran chez le grand rabbin, demanda les moyens de parcourir le Sahara pour y retrouver les tribus perdues d’Israël ; l’enquête faite démontra qu’on avait affaire à un personnage suspect, et on l’embarqua pour Marseille. Un certain Auguste Krafft, né à Mulhouse, et se recommandant de la grande duchesse Stéphanie de Bade, ne mérite pas plus d’intérêt[70]. En 1856, un habitant du Touat, El Hadj Abd el Kader ben Aboubekeur, de passage en Algérie, fut chargé de lettres pour les principaux personnages de son pays ; il revint en Algérie, où il reçut 1.500 francs de gratification, mais ne rapporta aucune réponse. Ainsi les grands projets de traversée[27] saharienne dans la direction de l’Ouest n’avaient donné aucun résultat.
Il en est autrement des expéditions moins ambitieuses de De Colomb, un des hommes qui ont le plus contribué à nous faire connaître le Sud-Ouest Oranais. Il convient de rappeler les travaux de cet officier, en y rattachant ceux de ses collaborateurs et de ses compagnons, notamment le docteur Paul Marès et de la Ferronays[71].
C’est en 1854 que commence l’ère des travaux de De Colomb ; au mois de décembre, prévenu qu’un fort parti de Doui-Menia s’était réuni pour piller nos tribus, il part d’El-Abiod-Sidi-Cheikh et s’enfonce dans la direction de Figuig, en prenant par le sud des montagnes vers l’Oued-Namous, qu’il coupe à El-Outed. Arrivé à Oglat-el-Hadj-Mohammed, il défait les Doui-Menia et rentre à Géryville.
L’automne de l’année 1856 voit encore de Colomb sur les routes du Sahara ; il était cette fois accompagné du docteur Paul Marès, qui se livra à des observations météorologiques et géologiques, et détermina les altitudes des principales stations. La colonne traversa la région du Chott-Tigri et s’avança jusqu’aux redirs de Meharroug, à 43 kilomètres Nord-Ouest d’Hassi-el-Aricha ; elle revint par la région de Figuig.
En janvier 1857, un voyage pacifique mena de Colomb jusqu’à moitié route entre El-Abiod-Sidi-Cheik et les premières oasis du Gourara. A peine rentré à Géryville, il en repartit aussitôt, emmenant encore avec lui le docteur Marès : « C’est, dit de Colomb[72], un jeune médecin[28] touriste, qui s’occupe beaucoup de géologie et de météorologie. Il désirait autant que moi s’égarer dans les solitudes sahariennes et explorer un pays que jamais pied européen n’avait foulé, et qui semblait promettre bien des révélations, bien des merveilles à sa science favorite. Il nous accompagna et donna à notre excursion une tournure d’exploration savante qui lui seyait à merveille. » Le lieutenant de la Ferronays, adjoint au bureau arabe, se chargea du levé géographique de la route parcourue. Les voyageurs, partant d’El-Abiod-Sidi-Cheikh, suivirent la vallée de l’Oued-el-Khebiz (Oued-Gharbi), passant à Benoud et à Mengoub et s’avançant jusqu’au redir de Metilfa. De là, ils se dirigèrent vers le S. S. E., entrèrent dans la région des dunes et des daïas qui se trouvent à leur lisière nord, et regagnèrent Géryville par la vallée de l’Oued-Seggueur. La relation du voyage de Colomb[73] est fort intéressante et marque un progrès notable des connaissances. L’auteur décrit très bien[74] et à peu près comme on pourrait le faire aujourd’hui, les régions naturelles qu’il a parcourues : chaîne saharienne avec les Kheneg par lesquels débouchent les grands oueds du Sahara oranais ; hammadas avec leur gour « qui s’élèvent, coupés à pic, au-dessus des plaines sahariennes, semblables à ces témoins que, dans un déblai, les ouvriers terrassiers laissent de distance en distance pour que l’ingénieur puisse cuber leur travail ; indices du gigantesque travail de nivellement qui s’est accompli dans ces solitudes ; » vallées des grands oueds avec leur cours souterrain et leurs redirs ; région des daïas où ces grands oueds, sauf l’Oued-Saoura qui tourne la digue, sont arrêtés[29] par les dunes et créent à la lisière des pâturages magnifiques, « magnifiques pour des Sahariens, bien entendu[75] ». De nombreux renseignements sont donnés sur la flore, la faune, les habitants de ces régions, leur genre de vie et leurs légendes. Justice est faite de la légende de la Daïa-el-Habessa[76] qui, au dire des indigènes, engloutissait les voyageurs. Enfin Marès rapportait de ce voyage des documents pour l’étude géologique de la région, dont il traçait peu après lui-même les premières grandes lignes avec beaucoup de sagacité[77]. En 1858, Marès accompagnait encore Cosson dans son exploration botanique des parties méridionales de l’Algérie, et visitait successivement l’Oued-Rir, le Souf, Touggourt, Ouargla et le Mzab.
Le repos de De Colomb fut de courte durée. Une colonne expéditionnaire, réunie sous ses ordres, quittait El-Abiod-Sidi-Cheikh au mois d’avril 1857, se dirigeait vers l’Ouest, en longeant le versant sud des montagnes ; après avoir passé El-Outed et franchi l’Oued-Namous, elle arrivait par le Kheneg-Zoubia en vue de Figuig. Elle parcourait tout le pays des Douï-Menia, s’avançant jusque près de la zaouïa de Kenadsa et du ksar d’Aïn-Chaïr. En 1859, pendant que l’expédition placée sous les ordres du général de Martimprey opérait contre les Beni-Snassen, le colonel de Colomb conduisait une colonne légère jusqu’à Athnacher-Gara-ou-Gara, chez les Beni-Guil, non loin de la région des sources[30] de l’Oued-Guir[78]. En 1860, de Colomb rédigeait un mémoire complet par renseignements sur les oasis du Gourara et du Touat, leur commerce, leurs lignes de communication ; il dressait une carte de ces oasis dont l’exactitude a été vérifiée ultérieurement[79]. Enfin, dans trois rapports sur le décret du 25 juin 1860, il étudiait d’une manière très complète la question du commerce transsaharien ; il montrait les difficultés que soulèverait dans le Sud la création de postes de douanes, déconseillait l’établissement d’agences de commerce au Touat, et proposait de créer des comptoirs à Géryville et plus tard à Laghouat[80].
Cherbonneau rééditait en 1857 un Itinéraire de Touggourt à Tombouctou[81], traduit de l’arabe, qui donnait quelques détails sur le Touat. En 1860, le docteur Maurin[82] racontait le voyage fait au Gourara par un indigène à la solde d’un négociant de Saïda, nommé J. Solari, et recueillait de nouveaux renseignements sur le commerce des caravanes.
Jusqu’à la fin de son commandement, le maréchal Randon n’avait cessé de poursuivre, en les développant et les précisant, la réalisation de ses projets de pénétration économique au Sahara. Il en vint à penser (mai 1858) que[31] la solution de cette question serait indéfiniment ajournée si les négociants du Soudan se trouvaient livrés à l’avidité peu scrupuleuse d’une certaine classe de commerçants. Pour réussir, il ne fallait pas seulement attirer à nous les marchands par la sécurité des routes, il fallait y joindre la loyauté dans les transactions. Dans ce but, le maréchal fit appel au concours d’une maison de commerce importante et se recommandant par sa haute moralité, la maison Lafon et Cie de Marseille. Un de ses membres, désigné particulièrement par sa longue pratique des choses algériennes, L. Bourilhon, fut chargé d’exposer au Gouvernement les combinaisons commerciales qu’il croyait propres à assurer, sous le patronage et avec le concours de l’administration, l’arrivée régulière des caravanes sur les marchés d’Algérie. En même temps, il manifestait aux Ouled-Sidi-Cheikh le mécontentement que lui causait leur peu d’empressement à seconder ses desseins ; des documents inédits, qu’il nous a paru intéressant d’analyser, font connaître les différentes phases de ces pourparlers :
Plusieurs fois, écrivait le maréchal Randon[83], des renseignements qui me sont parvenus m’ont fait connaître le peu d’empressement de Si Hamza, khalifa des Ouled-Sidi-Cheikh, à favoriser nos projets de relations avec le Sud. Loin d’engager, selon mes désirs, les habitants du Touat et du Tidikelt à entrer en rapports avec nous, je crois savoir qu’il les en détourne.
La famille des Ouled-Sidi-Cheikh a gardé dans toute la région saharienne, sur le Gourara, le Timmi et même le Tidikelt, une influence qui ne saurait être contestée. Si le khalifa actuel, Si Hamza, avait voulu mettre à notre service cette influence puissante, nul doute que déjà nous n’eussions atteint notre but ; mais loin de là, nous en sommes encore à chercher les moyens d’entrer en relations, parce que le mauvais vouloir de ce chef tend à neutraliser nos efforts.
[32]En faisant donner à Si Hamza la récompense qu’il ambitionnait avec tant d’ardeur, j’avais en vue non seulement ses services passés, mais surtout ceux qu’il devait rendre. Il n’ignorait pas à cette époque combien je souhaitais établir le courant commercial entre le Soudan et l’Algérie, et ses promesses me laissaient croire qu’il était disposé à me seconder dans cette entreprise. Il paraît non seulement avoir oublié et la récompense et ses promesses, mais encore il semble animé du désir d’entraver nos desseins.
Je vous prie d’inviter M. le Général commandant la subdivision de Mascara à faire connaître à Si Hamza que je suis bien disposé à ne pas subir une telle situation ; que je le rends personnellement responsable des empêchements que les Chaanba pourraient chercher à mettre au parcours des caravanes, ainsi que de tous les bruits fâcheux qui pourraient être lancés dans le pays. Il lui appartient de les démentir et de nous montrer sous notre véritable jour. Je regarderais même l’inaction et l’inertie de Si Hamza comme une protestation contre ce que nous voulons faire.
Je désire que des observations très sérieuses soient faites à Si Hamza et qu’on ne lui laisse pas ignorer que je ne suis nullement satisfait de son attitude en ce qui concerne les relations commerciales avec le Touat et le Soudan. Il ne tient qu’à lui de me faire modifier mon opinion à son sujet en déployant le zèle qu’il aurait déjà dû mettre au service de mes intentions.
Conformément aux instructions du Gouverneur, le général Durrieu, commandant la subdivision de Mascara, fit venir Si Hamza et lui fit part, avec tous les ménagements que comportait son caractère et sa position importante dans le Sud, du mécontentement du maréchal. Une lettre du général Durrieu[84] fait connaître le résultat des conférences qu’il eut avec le khalifa :
Si Hamza se plaint que trop de monde ait voulu à la fois se mêler de la question qui intéresse M. le Gouverneur général à un si haut degré, l’ouverture du Sud à nos relations commerciales. Combien de fois n’a-t-il pas eu, dit-il, à prêter son concours à des émissaires qui ont traversé son pays pour chercher à pénétrer dans le Sud ; mais ces émissaires n’avaient ni le courage, ni la capacité[33] nécessaires pour réaliser leurs promesses ; ils ont préféré rejeter sur lui l’insuccès dont ils n’avaient à accuser qu’eux-mêmes ; son aide ne leur a jamais manqué. Il se plaint aussi de n’avoir jamais reçu à cet égard de mission nette et définie : on ne lui a jamais dit ce qu’on attendait de lui[85]. Quant il a été chargé spécialement par M. le Gouverneur général de faire venir du Sud une djemaâ des Touareg, il s’y est employé de toute son activité et a eu la satisfaction de la conduire lui-même à Alger. Depuis cette époque, toutes les négociations avec le Sud ont été entreprises en dehors de lui, soit par Laghouat, soit par Biskra, sans qu’il ait eu aucun rôle à jouer. En examinant sa conduite, le khalifa m’assure qu’il ne croit avoir aucun reproche à se faire, et du moment qu’on recherche encore ses services, il est tout prêt à les donner et à mettre en cela à la disposition de M. le Gouverneur général, pour seconder ses vues, tout ce qu’il peut emprunter à sa position politique et religieuse et à sa connaissance personnelle du pays.
D’après le résumé de mes conversations avec lui, voici à peu près à quoi il s’engage : 1o à conduire de sa personne jusqu’à El-Goléa, et au besoin jusqu’à Tidikelt, une mission française de quatre personnes, dont le choix serait naturellement fait par M. le Gouverneur général ; 2o à constituer et gréer un convoi de 50 chameaux destiné à transporter le matériel nécessaire à la mission et des marchandises à lui appartenant, lesquelles, d’après ses calculs, peuvent s’écouler dans le Sud ; 3o à faire arriver la mission de Tidikelt à Tombouctou, par son influence et ses relations avec les chefs des Touareg Hoggar et des Nabeugh. Aujourd’hui, et avant de savoir si un projet de cette espèce sera agréé par M. le Gouverneur général, je n’entrerai point dans les détails qui, d’après Si Hamza, doivent assurer le succès de la mission. Il les a développés devant moi avec une certaine complaisance et des appréciations qui indiquent une grande connaissance du pays à traverser. Je me borne à vous dire que l’époque favorable pour le départ de cette mission, qui serait réunie à Géryville, serait le commencement de novembre.
D’après Si Hamza, une fois arrivée à Tombouctou, pays organisé, où l’autorité est respectée, la mission n’aura plus d’inquiétude à avoir, surtout si elle s’annonce comme attirée par le seul désir de nouer des relations commerciales. Il ne doute pas que si, par ses cadeaux, elle gagne les bonnes grâces du chef de Tombouctou, elle ne parvienne à visiter tous les autres états du Soudan.
M. le Gouverneur général a, sur la nature de la mission à donner[34] à des Européens dirigés sur Tombouctou, des idées plus nettes que celles que je puis avoir. Aussi ne hasarderai-je qu’avec une grande réserve celles qui me sont suggérées par ma conversation avec Si Hamza. La mission, d’après moi, devrait être à la fois politique, scientifique et commerciale. Les éléments qui la composeront devraient donc répondre naturellement à ces conditions. J’y mettrais : 1o un officier instruit, chef de mission ; 2o un homme connaissant la physique, la minéralogie et la botanique ; 3o un médecin ; 4o un commerçant. Tous parlant l’arabe et pouvant sous le costume arabe, qui leur est indispensable jusqu’à Tombouctou, passer au besoin pour des indigènes. Au dire de Si Hamza, le costume européen sera leur meilleure garantie une fois qu’ils seront dans le Soudan. Je ne m’étends pas davantage sur ces détails d’exécution, avant de savoir s’il convient à M. le Gouverneur général de tenter cette entreprise telle que la présente Si Hamza, qui parle de son succès, je le répète, avec une confiance qui me gagne.
Il semble naturel de voir l’exécution au moins partielle de ces projets du maréchal Randon dans le voyage accompli en 1860-62, par le commandant Colonieu[86] et le lieutenant Burin, accompagnés de Si Bou Bekeur, fils du khalifa Si Hamza. Mais Randon n’était plus là ; la mission fut organisée par le Ministère des Colonies, auquel l’Algérie venait d’être rattachée, et le plan adopté diffère sensiblement de celui que Si Hamza avait exposé au maréchal.
Colonieu et Burin s’adjoignirent à la caravane annuelle qui, du cercle de Géryville, se rend dans les oasis septentrionales du Touat, en vue d’y échanger les produits des troupeaux algériens contre les dattes des oasis[87]. Le but de la mission était d’étudier les moyens de développer les relations commerciales avec le Touat et d’y porter des échantillons de nos produits. On partit[88] d’El-Abiod-Sidi-Cheikh[35] au mois de novembre 1860. On suivit l’Oued-Gharbi en passant par Mengoub, itinéraire précédemment relevé par de Colomb. Puis on traversa la région des Meharreg, zone de bas-fonds qui s’étendent au nord de l’Erg. On s’engagea ensuite dans l’Erg, pour aboutir à la petite oasis de Sidi-Mansour, la première palmeraie du Gourara. Assez bien accueillis dans ce ksar, ainsi qu’aux Oulad-Aïach et à Ksaïba, les officiers adressèrent aux djemaâs des principales oasis des lettres les avertissant de leurs intentions toutes pacifiques et de leur désir d’entrer avec les ksour en relations d’amitié et d’affaires[89]. Mais lorsque, se rapprochant de la grande sebkha du Gourara, ils voulurent entrer aux Oulad-Saïd, ils trouvèrent les portes du ksar fermées et les habitants en armes sur les remparts. Il en fut de même à Timmimoun, la principale oasis du Gourara, puis à Taoursit, à Ouakda, et l’exemple fut contagieux. Assurés d’une réception analogue dans toutes les oasis du Timmi, où leurs envoyés avaient été accueillis par des cris de mort, et afin de ne pas empêcher les Arabes de la caravane d’effectuer leurs transactions, les officiers préférèrent ne pas continuer leur route vers le Sud ; après une pointe vers l’Aouguerout, où la réception des Khenafsa, serviteurs religieux des Ouled-Sidi-Cheikh, fut un peu meilleure que celle des oasis berbères, ils revinrent à Géryville en janvier 1861.
A quoi faut-il attribuer l’échec de cette tentative ? On a parlé[90] des inquiétudes des négociants de Timmimoun qui, intermédiaires actuels du commerce, craignaient de se[36] voir déposséder par nos commerçants. Mais la principale cause fut le caractère hybride de ce voyage, qui, comme plus tard la mission Flatters, n’était ni une mission pacifique ni une expédition militaire[91]. Le commandant Colonieu le dit expressément[92] : les populations des oasis, croyant que les envoyés arrivaient en forces, jugeaient la résistance inutile et avaient résolu de subir la loi du plus fort. Mais lorsqu’elles surent qu’ils n’avaient pas de troupes et surtout pas de canons, qu’ils n’étaient accompagnés que d’une escorte de cavaliers indigènes, leur attitude changea du tout au tout, et elles refusèrent le contact avec eux. Le simple retour en arrière d’une mission pacifique passa à leurs yeux pour l’échec d’une expédition qui, devant leur ferme contenance, n’avait pas osé se mesurer avec eux ; ce bruit se répandit rapidement jusqu’à Tombouctou, comme le prouva une lettre du cheikh El-Bakkay au Gouvernement Général de l’Algérie au sujet du mauvais effet produit par cette mission[93]. C’est à partir de ce moment que les Touatiens se tournèrent vers le Sultan du Maroc, espérant de lui protection contre les Français[94].
La relation du voyage de Colonieu et Burin, publiée seulement beaucoup plus tard (1892-94), contient nombre de renseignements géographiques intéressants sur la route parcourue et de données sur le commerce des oasis. En ce qui concerne le commerce transsaharien[95], elle fait justice des illusions trop répandues tant sur son importance que sur la facilité d’en détourner le maigre courant[37] vers nos possessions, puisque le principal objet de ce trafic n’est autre que l’esclave : « Pourquoi, dirent les Ksouriens à Colonieu[96], avez-vous rendu la liberté aux nègres ? Vous avez brisé là notre commerce le plus important. Vous voulez, dites-vous, les produits du Soudan : mais avant tout achetez donc les négresses, nous vous en enverrons, le reste du commerce soudanien n’est rien[97]. »
Pendant les années qui suivirent, les projets d’exploration dans la direction du Touat et du Niger ne reçurent même pas un commencement d’exécution. A peine convient-il de mentionner, en 1862, la fondation par Jules Gérard d’une Société africaine internationale, cynégétique, zoologique et protectrice, qui se proposait d’ouvrir des relations permanentes avec le pays des nègres. La même année, Cosson, d’Oran, forma également divers projets d’exploration saharienne, mais il ne dépassa pas Aïn-Sfissifa. Les demandes du lieutenant Moulin, qui souhaitait se rendre au Touat, du capitaine au long cours Maignan, qui voulait établir un service de navigation par vapeurs démontables jusqu’à Tombouctou, et de là une route de caravanes pour l’Algérie, ne furent pas davantage prises en considération.
Cette période, féconde en somme au point de vue de l’exploration, se termine par une importante tentative individuelle, le voyage de l’Allemand Gerard Rohlfs ; il réussit à aller au Touat, qui, désormais fermé aux Français, s’ouvre encore à un étranger venu du Maroc et dissimulant sa qualité de chrétien. Né à Vegesack, près[38] de Brême, en 1832, Rohlfs s’était engagé dans la Légion étrangère dans le but de se familiariser avec la langue arabe et les coutumes indigènes afin de pouvoir se faire passer pour musulman. Son premier voyage fut en quelque sorte un voyage d’essai ; il visita le Sahara marocain (région du Draa et du Tafilelt), sans grand profit pour la science, car il n’avait ni les instruments ni l’expérience nécessaires (1862). Aguerri par cette première exploration, il se disposa à traverser le Sahara pour gagner Tombouctou par le Touat. L’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh ayant éclaté au moment où il se disposait à partir, il prit la voie du Maroc et se rendit de Tanger à Insalah, muni de recommandations du chérif d’Ouezzan. Après avoir visité le Tafilelt, il suivit la vallée de l’Oued Guir, puis celle de l’Oued Zousfana-Saoura à partir d’Igli. Il visita les oasis du Touat et du Tidikelt, et réussit à entrer à Ksar-el-Kebir, où il rencontra Cheikh Othman, qui devina en lui un voyageur Européen non-Français et lui fit assez mauvais visage. N’ayant pu réussir à se rendre à Tombouctou avec des garanties suffisantes de sécurité, Rohlfs se résigna à reprendre le chemin de la côte. Il longea le bord sud du plateau du Tademayt, passa à Hassi-Messeguem, à Temassinin, gagna enfin Ghadamès et Tripoli.
Rohlfs, comme voyageur scientifique, est bien loin d’égaler Barth et même Duveyrier, surtout dans ses premiers voyages. Cependant les régions qu’il a parcourues étaient jusqu’à ces derniers temps si fermées aux Européens, qu’on lui doit beaucoup de renseignements géographiques importants sur la vallée de l’Oued Saoura et sur les oasis du Touat et du Tidikelt. Notons enfin que son itinéraire est le seul voyage transversal, d’Ouest en Est, effectué à cette époque au nord du massif touareg.
Rohlfs a toujours professé en termes non équivoques[39] que le Touat fait partie du hinterland de l’Algérie et qu’il est de l’intérêt des Français d’en prendre possession sans retard. Malheureusement, l’insurrection du Sud-Oranais (1864), puis diverses autres circonstances fâcheuses, vinrent arrêter pour longtemps notre expansion du côté du Sahara.
Dans l’est du Sahara algérien, les Français n’étaient pas demeurés inactifs pendant cette période. Ils avaient commencé à accomplir dans l’Oued-Rir l’œuvre qui au désert leur fait le plus d’honneur, les sondages artésiens. A ce pays déshérité, la sonde artésienne donnait ce qui lui manque par-dessus tout, l’eau. Ainsi se réalisait la parole du Prophète : « Alors dans le désert il jaillira de l’eau, et la terre desséchée aura ses fontaines. »
A la mort de Ben-Djellab, survenue en 1854, un usurpateur nommé Sliman s’empara de l’Oued-Rir et se déclara contre nous ; son attitude et les troubles causés par les querelles de çof nécessitèrent l’intervention française ; à la suite du combat de Meggarin[98] (29 novembre 1854), le colonel Desvaux entra à Touggourt à la tête d’une petite colonne[99]. Un officier français, M. Hauer, détaché du bureau arabe de Biskra, y résida seul pendant sept ans. Une petite garnison y fut envoyée en 1861.
La région de l’Oued-Rir était alors en complète décadence.[40] « L’art primitif des puisatiers[100] ne suffisait plus à lui procurer l’eau nécessaire. Malgré les efforts des plongeurs qui en retiraient les sables, les sources artésiennes se faisaient de plus en plus minces à l’orifice des puits, et plus d’une s’était tarie. » Le colonel Desvaux fit demander en France des hommes et un matériel de puits artésiens. En 1856, l’ingénieur Jus débarquait ce matériel à Philippeville, et le 17 mai on donnait le premier coup de sonde à Tamerna. « Le 7 juin[101], après avoir percé une couche de grès très dur, qui fit plusieurs fois douter du succès de l’entreprise, on rencontra une nappe de 4.000 litres par minute, qui jaillit avec force à la surface du sol. En un clin d’œil, la population accourut : on arracha les branches de palmiers qui entouraient l’équipage, chacun voulait voir de ses yeux cette eau que les Français avaient su faire venir au bout de cinq semaines, tandis que les indigènes avaient eu besoin de tant d’années. » En quelques heures, sous la direction du commandant Lehaut et du capitaine Zickel, les oasis qui se mouraient furent reconquises, presque toutes furent dotées de fontaines nouvelles, et on avait achevé une trentaine d’anciens puits ; en même temps, M. Jus découvrait des nappes jaillissantes dans le Hodna, et deux oasis nouvelles étaient créées dans le désert qui séparait Biskra de l’Oued-Rir[102]. Rien n’était mieux de nature à frapper l’esprit des indigènes et à nous encourager dans l’œuvre de la pénétration saharienne.
[41]Pour ceux qui, comme nous, mesurent l’importance d’une exploration moins à la témérité de l’entreprise qu’aux résultats effectivement obtenus, il convient de mentionner à cette place les missions des géologues Ville et Pomel. Ces missions se relient d’ailleurs à la question des sondages artésiens, puisque c’est la géologie qui fait connaître dans quelle mesure les bienfaits de la sonde peuvent être étendus au Sahara.
Dès 1862, Dubocq avait étudié la constitution géologique des Ziban et de l’Oued-Rir, au point de vue des eaux artésiennes de cette partie du Sahara[103]. De 1855 à 1863, Ville, ingénieur en chef des mines, entreprit dans le Sud de la province d’Alger quatre voyages, pour faire la géologie de ces contrées et rechercher des eaux jaillissantes dans le bassin des Zahrez et sur la route d’Alger à Laghouat[104]. En 1861, il reçut la mission d’étudier les nappes artésiennes du Hodna, du Zab et de l’Oued-Rir, afin de les comparer aux nappes artésiennes de la province d’Alger. Il poussa jusqu’à Ouargla et revint par le Mzab. Il fit connaître les résultats géologiques de ses explorations dans deux ouvrages importants[105], qui formèrent la base de nos connaissances jusqu’aux travaux de Pomel et de M. Rolland et qui sont encore utiles à consulter aujourd’hui. Dans le second de ces ouvrages, un chapitre, dû au lieutenant Cajard, commandant de l’escorte qui ramena Ville d’Ouargla à Laghouat, traite de l’origine,[42] des mœurs, de la religion et de l’organisation politique des Mozabites.
Quant à Pomel, après avoir parcouru la région des Ksour avec le commandant Dastugue, il eut la bonne fortune d’accompagner en 1862 le commandant Colonieu à Ouargla[106] ; il était attaché à la colonne comme naturaliste, et eut même à lever le plan de l’oasis[107]. Ce voyage d’exploration, par Géryville, Laghouat et Metlili, lui procura d’importantes observations de tout ordre qu’il devait utiliser plus tard (1872) dans sa publication sur le Sahara.
Dans le but de développer ou de faire renaître, dans l’Est comme dans l’Ouest, le commerce de caravanes, le Gouvernement général résolut (1856) d’envoyer à Ghadamès le capitaine de spahis de Bonnemain, avec la mission d’étudier la situation commerciale de la ville et de démontrer aux autorités et aux principaux commerçants tout l’intérêt qu’ils avaient à lier avec les marchés sud-algériens des relations plus suivies. Profitant de la présence d’une colonne dans le Souf, le capitaine de Bonnemain partit d’El-Oued le 26 novembre 1856, avec une petite caravane de gens du pays conduite par le cheikh Ahmed ben Touati. Sa route, toute entière à travers les dunes, fut assez pénible. A son arrivée, quoique recommandé par le pacha de Tripoli, il fut froidement accueilli ; il réussit cependant dans une certaine mesure à dissiper les défiances du hakem (gouverneur), Osman-Bey, prévenu, paraît-il, contre les Français par le consul anglais à Tripoli, Dickson. Le capitaine de Bonnemain rapportait un[43] itinéraire de son voyage dans l’Erg et un mémoire sur le commerce de Ghadamès[108].
Après s’être rendu compte de l’accueil qui serait fait aux caravanes algériennes à Ghadamès, il importait de savoir comment elles seraient reçues plus au Sud, chez les Touareg Azdjer. Vers le milieu de 1856, Cheikh Othman revint à Ouargla[109], et se chargea de conduire une caravane composée de nos sujets indigènes, avec leurs marchandises, jusqu’à la ville de Ghat. A trois jours de marche de la ville, ils furent rejoints par El Hadj Ikhenoukhen, qui entra avec eux à Ghat. La protection du cheikh et de l’amenokal se montra efficace et réussit à calmer les habitants de Ghat, fort mal disposés pour ces amis des Français. La caravane regagna Ouargla au mois de Mars 1858, rapportant des présents pour le Gouverneur de la part de quelques négociants de Ghat, entre autres d’un Tunisien nommé Younès ben Sala, partisan des Français.
Au mois d’août de la même année, Cheikh Othman repartait pour Ghat avec une caravane dont faisait partie un jeune indigène algérien, Ismaïl Bou Derba, né d’un père musulman et d’une mère chrétienne, ayant reçu une éducation toute française et ayant dans l’armée le grade d’interprète militaire. Le choix de Bou Derba était fort heureux. La caravane passa par Guerrara et Ngoussa, laissant Ouargla un peu à l’Est, traversa l’Erg jusqu’à El-Biodh et gagna Ghat par la route ordinaire, qui passe par Temassinin et le lac Menghough. A Ghat, l’agitation à son arrivée fut très grande, et il fut question de faire un mauvais parti à l’envoyé du Gouverneur général. Cette fois encore, le dévouement d’Othman et d’Ikhenoukhen[44] réussit à rétablir la tranquillité. Le retour à Laghouat s’effectua sans rencontre fâcheuse. Les études de Bou Derba sur Ghat concordent avec celles de Barth ; il avait en outre reconnu la route de Ouargla à Ghat avec les points d’eau qui la jalonnent.
Ces résultats satisfaisants donnèrent un nouvel essor aux études commencées et stimulèrent les explorateurs. Un jeune homme de dix-huit ans, doué d’une rare énergie et de remarquables qualités d’observateur, Henri Duveyrier, allait rapporter le premier travail complet et sérieux sur le pays des Azdjer. « Il était[110] le fils d’un Saint-Simonien de marque et l’élève de Barth. Son père, disciple d’Enfantin, ami intime de Michel Chevalier, de Barrault, de Péreire, de d’Eichtal, d’Urbain, de Félicien David, avait embrasé son âme d’idées généreuses, et son maître lui avait indiqué, comme le plus beau terrain d’apostolat scientifique, son propre champ d’action, le Sahara central. Il y ajoutait de sa personne un patriotisme élevé, que la conquête de l’Algérie à peine achevée excitait au dévouement, et qui ne s’est jamais démenti jusqu’à sa dernière heure. »
Duveyrier commença d’abord son exploration dans les limites modestes d’un voyage privé, avec des ressources dues à la libéralité de son père, d’Arlès-Dufour et d’Isaac Péreire. Après un voyage d’essai qui, en 1857, le mena à Laghouat, en compagnie de Mac-Carthy[111], il revint en Algérie le 8 mai 1859, et se rendit aussitôt à Biskra, ne[45] redoutant qu’une chose, écrivait-il à son père, que « soit par raison politique, soit par défiance de mes forces, soit par un faux intérêt pour mon sec individu, on me refuse la liberté d’aller plus loin[112]. » Il n’en fut rien heureusement. Il put parcourir le Mzab, dont il étudia à fond la constitution si curieuse, et s’avança par Metlili jusqu’à El-Goléa[113]. Mais le fanatisme des habitants du ksar arrêta ses projets ; il les stupéfia par sa témérité, faisant tranquillement ses observations astronomiques sur la place, malgré la population ameutée ; il fut retenu prisonnier trois jours, et n’échappa à la mort qu’en revenant sur ses pas. Après une deuxième excursion au Mzab, en novembre 1859, il partit de Biskra le 1er février 1860, et visita successivement le Souf, Ouargla, Touggourt, le Djerid tunisien et Gabès.
Ces voyages n’étaient pour Duveyrier que les préliminaires de la grande exploration qu’il projetait de faire dans le Sahara central, une préparation et un entraînement ; ils complétaient ses connaissances techniques et son expérience des populations africaines. Ils attirèrent sur lui l’attention du général de Martimprey, qui obtint pour lui une mission officielle chez les Touareg Azdjer, avec lesquels il devait, complétant la mission de Bou Derba, nouer des relations amicales.
D’El-Oued, Duveyrier, accompagné de Cheikh Othman et de quelques autres Touareg, se rendit d’abord à Ghadamès, où Ikhenoukhen vint le rejoindre. Arrêté quelque temps dans cette ville par les tracasseries des autorités turques, il n’en triompha qu’en se rendant lui-même à Tripoli, d’où il revint muni de fortes recommandations[46] du pacha et du consul général de France, Botta. Il put alors partir pour Ghat avec Cheikh Othman et Ikhenoukhen. Ce dernier l’accompagna ensuite à Mourzouk où il le quitta pour rentrer dans ses campements, tandis que Duveyrier, achevant son voyage, aboutissait à Tripoli.
Duveyrier regagna aussitôt Alger, après un long voyage qui avait duré près de trois ans. Mais une maladie terrible, une fièvre typhoïde compliquée d’accidents pernicieux, ébranla si fort sa santé et même sa mémoire, qu’il ne put rien ajouter aux notes qu’il avait précédemment rédigées. Par bonheur, la carte était gravée et le manuscrit en partie imprimé. Le concours du docteur Warnier, qui avait soigné Duveyrier, permit de mettre le volume sur pied. Ce volume, les Touareg du Nord[114] est dans les mains de tous ceux qui s’occupent du Sahara. L’auteur s’est effacé devant les faits qu’il rapporte ; il a proscrit de ce compte rendu tout ce qui lui est personnel, tout ce qui n’est que pittoresque, tout ce qui a trait aux obstacles rencontrés sur la route, aux fatigues supportées, aux dangers courus[115]. Il a préféré la forme d’un ouvrage méthodique à celle d’un récit de voyage. L’œuvre est divisée en quatre livres : le premier est consacré à la géographie physique, à la géologie et à la minéralogie ; le second aux productions minérales, végétales et animales ; le troisième, aux centres de rayonnement commerciaux et religieux ; le quatrième traite des Touareg du Nord, de leurs origines, de leur division en tribus, de leur constitution sociale, de l’historique des tribus, de leurs caractères distinctifs, de leur vie intérieure et extérieure[116]. La carte jointe au volume comprend une partie positive et une[47] partie hypothétique. La partie positive est la réduction des itinéraires du voyageur ; la partie hypothétique est basée sur des itinéraires par renseignements, et sur le plan en relief des parties inexplorées du territoire Touareg qu’à la prière du voyageur, Cheikh Othman fit pour lui sur le sable. La carte de Duveyrier, à laquelle étaient empruntés, jusqu’à ces dernières années, la plupart des renseignements portés sur nos cartes pour le massif central, a été reconnue très fidèle dans les parties où on a pu la vérifier, et la mission Foureau-Lamy en a loué l’excellence.
Quant à l’ouvrage même, Duveyrier s’y révélait le digne élève de Barth, élève bien inférieur au maître assurément, mais le fait n’a pas lieu de surprendre, si l’on songe à son extrême jeunesse. Il faisait connaître la véritable nature du relief saharien et du massif central targui, pays très accidenté et nullement plat comme on se l’imaginait ; il indiquait le véritable caractère du climat saharien, avec ses extrêmes brusques de température. Il a mérité cet éloge d’un juge sévère, lui-même un des maîtres de la géographie moderne[117] : « Henri Duveyrier a été le type accompli de l’explorateur consciencieux et modeste. En voyage, il a fourni à lui seul, au prix d’un labeur de tous les instants, autant de travail utile que toute une mission scientifique ; et pourtant, nul n’a moins que lui entretenu le public de sa personne, nul n’a fait à la fois plus de besogne et moins de bruit. »
Les journaux de route de Duveyrier, c’est-à-dire les volumes de notes d’où a été tiré le livre des Touareg du Nord, étaient demeurés inédits : M. Ch. Maunoir s’était proposé de combler cette lacune en faisant connaître un[48] des principaux journaux, celui du 13 janvier-15 septembre 1860. Son œuvre interrompue par la mort, a été achevée par M. Henri Schirmer[118]. Dans ces notes, Duveyrier se révèle plus vivant que dans le cadre sévère des Touareg du Nord, plus personnel aussi que dans cette encyclopédie écrite sous le contrôle d’un autre et où l’on risque de trouver parfois l’écho d’une pensée qui n’est pas la sienne. Le livre apporte encore du nouveau après 45 ans de découvertes, et fait honneur aux savants qui l’ont fait connaître comme au grand voyageur qui l’a écrit.
On a reproché à Duveyrier, non sans raison, d’avoir apprécié avec trop d’optimisme le caractère des Touareg. Nul n’a contribué plus que lui à propager sur leur compte d’étranges illusions. A sa suite, « on les a dépeints généreux, hospitaliers, pleins de droiture et de franchise, fidèles à leur parole, même vis-à-vis d’un ennemi ; on s’est plu à les parer de toutes les vertus chevaleresques, on leur a fait une auréole d’héroïsme et de poésie[119]. »
Les vrais coupables sont ceux qui ont reproduit son témoignage sans en faire la critique. Les généreuses illusions de Duveyrier s’expliquent par les circonstances exceptionnellement favorables de son exploration. A cette époque, les populations d’au-delà des Areg ne nous craignaient ni ne nous haïssaient ; elles ne voyaient en nous que les successeurs et les continuateurs des deys d’Alger, dont l’autorité politique ne s’était jamais fait sentir de ce côté. Elles étaient du reste rassurées par la présence entre elles et nous de la principauté héréditaire des Ouled-Sidi-Cheikh, et le Sahara n’était encore qu’un grand fief musulman, que notre khalifa Si Hamza administrait à sa[49] guise[120]. On s’explique aussi les sentiments de gratitude, bien naturels chez Duveyrier, pour le marabout d’une rare intelligence qui l’avait protégé et guidé[121]. Enfin, comme on dit vulgairement, il prêtait ses qualités aux autres : « Il était, dit Masqueray[122], doué d’un tact très sûr et né pour se concilier les barbares. Il était devenu l’hôte préféré du chef de guerre de ce peuple sauvage. Le vieux Targui, âgé de près de 80 ans en 1860, et qui mourut centenaire, s’était pris d’une sorte de tendresse pour ce jeune homme imberbe qui osait pénétrer seul dans ces immenses déserts, n’ayant pour armes qu’une politesse parfaite et un mépris absolu de la mort. J’ai eu la bonne fortune de découvrir, dans une lettre de Si Othman, l’impression qu’il avait produite sur l’élément commerçant et maraboutique. Si Othman ne trouvait qu’une chose à reprendre en lui, son extrême courage. Nous ne savions, dit-il, comment faire pour le retenir. »
Le succès de Duveyrier devait-il rester à l’état isolé, ou devait-il être le prélude d’une pénétration pacifique ? C’est ce que l’avenir allait se charger de démontrer. Une belle vie, a-t-on dit, est un rêve de jeunesse réalisé dans l’âge mûr : Duveyrier, qui avait vécu son rêve dans sa jeunesse, n’eut de l’âge mûr qu’amertumes et déceptions. Condamné au repos par les suites de son mal, bien que son intelligence fût redevenue vigoureuse, il passa le reste de son existence à voir s’élever, obstacles sur obstacles, la barrière qui nous sépara si longtemps du Sud. Les bulletins de la Société de Géographie de Paris témoignent qu’il n’avait pas cessé de s’intéresser aux choses du Sahara et d’en parler avec compétence.[50] Quoi qu’on en ait dit, il se rendait parfaitement compte des changements survenus depuis son exploration dans les conditions de pénétration chez les Touareg[123]. Mais, « enseveli lentement[124] dans un passé irrévocable, que de fois a-t-il dû se dire qu’il eût mieux valu pour lui mourir à 25 ans dans la splendeur de sa jeune gloire, quand aucune déception ne l’avait encore frappé ! Pour son coup d’essai, il avait égalé ses devanciers les plus illustres, et depuis il n’avait fait qu’assister à la ruine de son œuvre comme au déclin de sa gloire. La fièvre avait été trop clémente quand elle avait lâché prise sur son corps inutile après son séjour chez les Azdjer. »
Pour profiter des résultats obtenus par le voyage de Duveyrier, on avait songé d’abord à envoyer de nouveau une caravane indigène à Ghat et même à Kano, sous la conduite de Cheikh Othman, puis à installer à Ghadamès un agent consulaire, français ou indigène ; ce dernier projet émanait de Léon Roches. Les lettres d’Ikhenoukhen au général de Martimprey et au général Pélissier témoignaient d’ailleurs des meilleures dispositions : « Quiconque de chez vous viendra ici ne rencontrera que le bien, la paix et la plus grande sécurité, soit actuellement, soit dans l’avenir. Dieu soit loué, notre main s’étend jusqu’au Soudan[125]. » Cheikh Othman, à la même époque, vint en France et fut présenté à l’Empereur. On résolut de signer directement un traité d’amitié et de commerce avec Ikhenoukhen, et Ghadamès fut choisi comme lieu de[51] l’entrevue[126]. Une mission, placée sous la direction du commandant Mircher, et dont faisaient partie le capitaine d’état-major de Polignac et l’ingénieur des mines Vatonne, partit de Tripoli pour Ghadamès et y signa un traité par lequel les Adzjer « s’engageaient à faciliter et à protéger à travers leur pays et jusqu’au Soudan le passage des négociants français ou indigènes algériens. » Ikhenoukhen et les autres chefs auxquels on avait donné rendez-vous ne vinrent pas ; la mission les attendit en vain ; seul, El Hadj, frère de l’amenokal, et le Cheikh Othman, avec un chef des Imanghasaten, signèrent la convention, le 26 novembre 1862. La mission Mircher rentra à El Oued par Bir-Ghardaïa, route déjà suivie en 1857 par le capitaine de Bonnemain. Elle rapportait[127] diverses études sur les régions traversées, notamment des travaux géologiques et hydrologiques de Vatonne, des observations médicales recueillies par le docteur Hoffmann, divers renseignements sur l’état politique et social du Soudan, enfin une notice très complète sur Ghadamès, avec un plan exact de la ville et de l’oasis.
Quelle était exactement la valeur de ce traité de Ghadamès ? On a beaucoup discuté sur ce point. Dès le moment où il fut signé, on émit des doutes sur sa portée. On lit dans un rapport du lieutenant Villot, adjoint au bureau arabe de Géryville, du 17 décembre 1862 : « Aucun chef touareg n’est assez puissant pour garantir la traversée du Sahara à quelque prix que ce soit. Gens misérables, vivant sur un sol misérable, disséminés sur des espaces immenses, les Touareg ne reconnaissent aucun chef, si ce n’est les plus habiles à conduire les razzia ».[52] La franchise de ce rapport valut au lieutenant Villot un blâme énergique de ses supérieurs.
On fit remarquer aussi que le traité avait été signé avec des chefs qui n’apportaient en fait de pouvoirs que des assurances verbales[128] et qu’on peut avoir quelques doutes sur un accord conclu « au nom de la nation Touareg » par deux personnages secondaires, alors que les chefs influents ne daignaient ni se montrer ni répondre. Le ministre Rouher s’avançait beaucoup lorsqu’il assurait que ce traité donnait une entière sécurité aux caravanes françaises et algériennes[129]. En admettant même qu’Ikhenoukhen se crût engagé par la convention, « au Sahara, la parole d’un chef n’engage que lui-même et il n’est pas de nation Touareg avec laquelle on puisse traiter[130]. Au reste, ce chef, « dont la main s’étend jusqu’au Soudan », n’a pu, appuyé par presque toutes les tribus, obtenir d’un petit groupe de guerriers la restitution de chameaux pris à une tribu alliée[131]. Enfin le véritable sens de ce traité, s’il en a un, est qu’Ikhenoukhen se réserve le bénéfice éventuel du passage des caravanes françaises. Au Sahara, le droit de protéger, c’est-à-dire de recevoir d’un étranger le prix du passage, se dispute avec la plus grande âpreté[132]. D’ailleurs, nous savons aujourd’hui ce que valent ces traités signés avec des roitelets africains, noirs ou blancs ; ils n’ont d’intérêt qu’en tant qu’opposables à d’autres puissances européennes.
Ceux qui croient à la valeur du traité de Ghadamès[53] répondent qu’on n’a rien fait, du moins au début, pour en tirer parti. « Il fallait, dit Masqueray[133], tenter d’établir un commerce régulier avec les féaux d’Ikhenoukhen et de Si Othman. Les bonnes relations avec les Azdjer nous ouvraient sans combat les deux tiers du Sahara. On pouvait, grâce à leur exemple et par leur intermédiaire, se concilier les Touareg de l’Aïr, leurs voisins ; des négociations de même sorte avec les Ahaggar et les Aouelimmiden auraient pu suivre. En somme, dès 1862, la solution du problème de la jonction de l’Algérie au Tchad et au Niger était sûre, sinon proche encore. Rien de tout cela ne fut tenté. Les Touareg, n’entendant plus parler de la France, la dédaignèrent. Nos adversaires leur apprirent à la braver. » Ces paroles contiennent une grande part d’exagération et d’optimisme ; il faut convenir cependant que, par suite d’une série d’événements, le traité de Ghadamès se trouva rélégué dans les archives ; quand on voulut l’en tirer il était trop tard : il y avait prescription.
Résumons, comme nous l’avons fait pour l’époque précédente, les résultats obtenus pendant la période 1852-1864, au triple point de vue de l’occupation, de l’exploration et du commerce.
L’occupation française, ou tout au moins l’influence française, règne désormais sur presque tout le pays situé au nord des Areg, notamment sur les points importants de Laghouat, Ghardaïa, Ouargla et Touggourt. Ce sont des limites qu’elle ne devait pas dépasser sensiblement jusqu’à la fin du XIXe siècle.
[54]Au point de vue de l’exploration, les travaux de Colomb, de Colonieu et Burin, de Rohlfs, ont fourni des données, encore incomplètes, sur la région oranaise et le bassin de l’Oued Saoura. Les voyages de Bonnemain et Bou-Derba, surtout la belle exploration de Duveyrier, suivie de la mission Mircher, ont fait connaître le pays des Touareg Ahaggar par renseignements, le Tassili des Azdjer, les routes de Ghadamès et Ghat au Souf et à la Tripolitaine. La carte de Duveyrier est le plus important document graphique pour le Sahara central. D’autre part, le Dépôt de la guerre a publié en 1855 une première carte du Sud-Oranais à 1/400.000e en noir, qui a longtemps servi pour la partie méridionale de cette province, et en 1861 une carte du Sahara oriental (région de l’Oued-Rir), également à 1/400.000e.
Au point de vue économique, de merveilleux résultats ont été obtenus par les sondages de l’Oued-Rir. En revanche, toutes les tentatives de commerce transsaharien avec le Soudan et même de commerce saharien sont restées sans efficacité. Elles reposaient d’ailleurs sur une connaissance imparfaite des données du problème. Du côté de l’Ouest, la tentative de Colonieu et Burin n’a servi qu’à aviver le fanatisme des Touatiens ; l’échec a été complet. Du côté de l’Est, les résultats, sans être mauvais, n’ont pas été aussi brillants qu’on l’a prétendu. Il faut remarquer que Duveyrier n’a réussi à entrer à Ghat que sur la recommandation des Turcs de Tripoli. Quant au traité de Ghadamès, sa portée est très contestable. La bonne volonté d’Ikhenoukhen n’est pas certaine, et en l’admettant même, son efficacité reste douteuse.
Peut-être cependant eût-il été possible de tirer parti de la situation, à condition de le faire immédiatement. Il fallait agir au Touat par les armes aussitôt après l’expédition[55] Colonieu et éprouver le traité de Ghadamès en envoyant des caravanes dans la direction de l’Aïr. La puissance des Européens au Sahara, comme aux colonies en général, est surtout une puissance morale, une puissance d’opinion : avant qu’on n’y eût laissé porter de graves et nombreuses atteintes, peut-être eût-on réussi à faire brèche, en quelque sorte par surprise, dans le monde saharien. Mais on le laissa se ressaisir, et les tentatives faites n’eurent d’autre résultat que de jeter les Sahariens dans les bras des Turcs à l’Est, du Maroc à l’Ouest[134]. Le Sahara, un instant entr’ouvert sur les pas de Duveyrier, s’est refermé : l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh, puis la guerre franco-allemande de 1870, enfin le massacre de la mission Flatters ont tout arrêté, et on peut dire que nous en étions restés, jusqu’aux environs de l’année 1900, au même point qu’en 1864.
Enfin les conditions de la pénétration saharienne se sont trouvées modifiées, vers la même époque, par d’autres facteurs étrangers à l’Algérie. Le gouvernement de Faidherbe au Sénégal (1856-1862) est contemporain de celui de Randon en Algérie. Comme Randon, il cherche systématiquement l’expansion de la colonie ; dès 1863, il indique à Mage et Quintin que leur mission est de préparer la jonction des établissements du Sénégal avec le Niger ; grâce à lui, un obscur comptoir est devenu le point de départ d’un grand empire. C’est alors qu’a commencé l’expansion de la France dans l’Afrique occidentale, qui s’est poursuivie avec de si brillants résultats jusqu’à aujourd’hui. L’ouverture des voies de la côte ne pouvait manquer d’influer sur le commerce transsaharien : « Cheikh[56] Othman me fait remarquer, écrivait Duveyrier[135], que les convois d’or entre In-Salah et Ghadamès sont moins fréquents depuis que M. le gouverneur Faidherbe a donné aux routes du Sénégal une sécurité qu’elles n’avaient jamais connue jusque là, et il craint que la concurrence de nos possessions sénégaliennes n’achève de priver les routes du Nord de ce riche produit. »
[48]C. Rousset, La Conquête de l’Algérie, in-8o, Paris, 1889, II, p. 373. Cf. A. Rastoul, Le général Randon, in-8o, Paris, 1890. Randon, Mémoires, 2 vol. in-8o, Paris, 1875-77.
[49]Paul Vuillot, L’Exploration du Sahara, étude historique et géographique, gr. in-8o, Paris, 1895, p. 41.
[50]Gal-Lieut von Schubert, Heinrich Barth der Bahnbrecher der deutschen Afrikaforschung, in-8o, Berlin, 1897. C’est une biographie intime d’après des papiers de famille. Cf. une notice de Duveyrier sur Barth dans la Revue contemporaine du 28 février 1866. Barth n’a pas encore été l’objet d’une biographie digne de lui.
[51]4 vol. in-8o, Alger, 1852, publiés par ordre du Ministre de la Guerre.
[52]Hanoteau, chef de bataillon du génie, Essai de grammaire de la langue tamachek, Paris, Impr. imp., 1860. Les plus anciens travaux sur la langue des Touareg sont ceux de Judas, Note sur l’alphabet berbère usité chez les Touareg, Journ. asiat., mai 1847 ; F. de Saulcy, Observations sur l’alphabet tifinag, Paris 1849 ; Richardson, Vocabulaire arabe, Ghadamès et Touareg, Londres, in-fol. 1846 ; l’abbé Bargés (Rev. algér. et col. 1853, p. 72). Voir aussi Revue de l’Orient, 1857, tome V, p. 333, tome VI, p. 25, 162 et 224.
[53]Duveyrier, Les Touareg du Nord, in-8o, Paris, 1864, p. 388.
[54]Mangin, Notes sur l’histoire de Laghouat (Revue Africaine, 1894 et 1895). Voir notamment les raisons données par le général Pélissier en faveur de l’occupation définitive de Laghouat (Revue Africaine, 1895, p. 8).
[55]Dr Ch. Amat, Le Mzab et les Mzabites, in-8o, Paris, 1888, p. 20.
[56]Documents, II, p. 809. Cf. les portraits de Si Hamza donnés par le colonel Trumelet, Les Français dans le Désert, p. 96 ; L’Algérie légendaire, p. 153 et par F. Gourgeot, Situation politique de l’Algérie, p. 11.
[57]Documents, II, préface, p. X.
[58]C’est, semble-t-il, une exagération de Vuillot (p. 48).
[59]Trumelet, Les Français dans le Désert, in-8o, Paris, 1862. Cet ouvrage est un récit de l’expédition d’Ouargla, à laquelle l’auteur avait pris part. Cf. E. Mangin, Revue Africaine, 1895, p. 19-23.
[60]Randon, Mémoires, I, p. 251. Cf. Depont et Coppolani, Les Confréries religieuses musulmanes, in-8o, Alger, 1897, p. 272, note.
[61]A. le Chatelier, L’Islam au Soudan, in-8o, Paris, 1899, p. 167.
[62]Voir le portrait qu’en fait Duveyrier (Touareg du Nord, p. 363).
Rohlfs a porté sur son compte un jugement tout différent.
[63]Duveyrier (Touareg du Nord, p. 352) a également tracé un portrait d’Ikhenoukhen.
[64]Randon, Mémoires, I. p. 447.
[65]Comte H. de Sanvitale, Tribus du Sahara Algérien (Revue de l’Orient, mars 1854).
[66]Les documents qu’on utilisait étaient, outre ceux de l’époque précédente, Ibn Khaldoun, Barth qu’on lisait dans l’édition anglaise, et des renseignements recueillis auprès de nègres habitant l’Algérie, peut-être avec une méthode moins sûre que celle de Daumas. (V. Résultats, etc., p. 10.)
[67]H. Dastugue, Quelques mots au sujet de Tafilet et de Sidjilmassa (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1867, p. 337, avec cartes). Id., Hauts-Plateaux et Sahara de l’Algérie Occidentale (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1874, p. 113 et 239).
[68]Résultats, etc., p. 3.
[69]E. Cat, Biographies Algériennes : Mac-Carthy (L’Algérie Nouvelle, 1898, p. 91).
[70]C’était un aventurier, écrivait Botta, consul de France à Tripoli, dans une lettre inédite à Duveyrier. (Renseignement communiqué par M. Maunoir.)
[71]Duveyrier, Historique, etc., p. 229. Cf. la biographie du Général de Colomb, mort en 1902, dans Bull. Afr. Fr., 1902, p. 431.
[72]De Colomb, Exploration des ksours et du Sahara, in-8o, Alger, 1858, p. 10.
[73]L. de Colomb, Exploration des ksours et du Sahara de la province d’Oran, avec une carte de l’itinéraire par M. de la Ferronays, Alger, Impr. du Gouvernement, 1858.
[74]Voir notamment p. 57 et suivantes.
[75]P. 36.
[76]Il y a une autre Daïa-el-Habessa dans l’Oued-Mya au sujet de laquelle on raconte la même chose (Documents relatifs à la mission Flatters, in-4o, Paris, 1884, p. 283).
[77]P. Marès, Note sur la constitution générale du Sahara dans le sud de la province d’Oran (Bull. Soc. Géol. de France, 1857, p. 524). Cf. Bull. Soc. Géol. de France, 1864, p. 686. C. R. Ac. Sc., 1857, tome XLV, p. 26 et Ann. Soc. Météorol. de France, 1857, p. 172 ; 1859, p. 222 ; 1860, p. 34 ; 1864, p. 174.
[78]Duveyrier, Historique, etc., p. 234-235.
[79]L. de Colomb, Notice sur les oasis du Sahara et les routes qui y conduisent (extrait de la Revue Algérienne et Coloniale, 1860). Il existe de de Colomb une carte des oasis du Touat à 1/1.600.000 et une autre à 1/400.000 gravée au Dépôt de la Guerre (toutes deux de 1860). Cf. Documents, IV, p. 583.
[80]H. Simon (capitaine), Trois rapports du lieutenant-colonel de Colomb sur la question du commerce transsaharien (Bull. Soc. Géogr. d’Oran, 1905, p. 167 et suiv.).
[81]A. Cherbonneau, Itinéraire descriptif de Touggourt à Tombouctou et aux Monts de la Lune (Ann. Soc. Archéol. de Constantine, 1853, p. 91 ; Revue Alg. et Col., 1857, t. V, p. 224 (t. à p. 1860).
[82]Dr A. Maurin, Les Caravanes françaises au Soudan, in-8o, Paris, 1863.
[83]Lettre du maréchal Randon au Général commandant la division d’Oran, du 26 juin 1858.
[84]14 juillet 1858.
[85]Sans doute parce qu’on ne le savait pas exactement.
[86]V. la biographie du général Colonieu, mort en 1902, dans Bull. Afr. fr., 1902, p. 371.
[87]Duveyrier, Historique, etc., p. 236.
[88]Colonieu (commandant), Voyage au Gourara et à l’Aouguerout. (Bull. Soc. Géogr. de Paris, 1892, p. 51 ; 1893, p. 53 ; 1894, p. 430), avec carte dressée par Duveyrier, en 1864.
[89]Vuillot, L’Exploration du Sahara, p. 73. — Schirmer, Le Sahara, in-8o, Paris, 1893, p. 380.
[90]Résultats obtenus, etc., p. 11.
[91]Vuillot, p. 71.
[92]Id. p. 72.
[93]Bull. Soc. Géogr. Paris, 1894, p. 457.
[94]Duveyrier, Historique, etc., p. 240.
[95]Voir notamment Bull. Soc. Géogr. Paris, 1893, p. 94 ; 1894, p. 430 et suivantes.
[96]Bull. Soc. Géogr. Paris, 1894, p. 431.
[97]Les Ksouriens, pas plus que Si Hamza, ne se rendaient bien compte de ce qui nous poussait à pénétrer dans ces régions désolées et à vouloir y créer des relations commerciales.
[98]Mangin, Revue Africaine, 1895, p. 29.
[99]Ce sont ces événements qui ont été racontés et dramatisés par le romancier Hugues Le Roux (L’Épopée du Sud. — Gens de poudre). Il a fait revivre les intéressantes figures du Basque Séroka, chef du bureau arabe de Biskra, et du Corse Carbuccia, commandant la légion.
[100]Schirmer, Le Sahara, p. 422.
[101]Id., Ibid., p. 423.
[102]Jus, Les forages artésiens de la province de Constantine, Constantine, 1870, p. 8 et suiv. — Rapport du colonel Séroka (Rev. Alg. et Col., 1859, p. 339). — Rapport du lieutenant Rose (Ibid., p. 17). — Ville, Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna et du Sahara, p. 345-417.
[103]Annales des Mines, 1852.
[104]Ville, Notice sur les sondages exécutés pendant les années 1859 à 1862 dans le territoire militaire de la province d’Alger (Ann. des Mines, 1864).
[105]Ville, Voyage d’exploration dans les bassins du Hodna et du Sahara, Paris, Impr. imp., 1868. Id., Exploration géologique du Beni-Mzab, du Sahara et de la région des steppes de la province d’Alger, Paris, Imp. nat., 1872.
[106]Colonieu, Voyage dans le Sahara Algérien de Géryville à Ouargla (Tour du Monde, 1863, p. 161).
[107]E. Ficheur, Notice Biographique sur A. Pomel (Bull. Soc. Géolog. de France, 1899, p. 191).
[108]Cherbonneau, Relation du voyage de M. le Capitaine de Bonnemain à R’damès, Paris, 1857, in-8o.
[109]Résultats, etc., p. 7. — Cf. Randon, Mémoires, I, p. 453.
[110]E. Masqueray, Journal des Débats, 14 mai 1892. — Henri Duveyrier, Journal de Route, publié et annoté par Ch. Maunoir et H. Schirmer, précédé d’une biographie de H. Duveyrier par Ch. Maunoir, in-8o, Paris, A. Challamel, 1905.
[111]H. Duveyrier, Journal d’un voyage dans la province d’Alger, p. p. Ch. Maunoir, in-8o, Paris, 1900 (non mis dans le commerce).
[112]Cité par Vuillot, p. 60.
[113]Bull. Soc. Géogr. Paris, 1859, p. 217 et Revue Alg. et Col., 1860, tome II.
[114]Duveyrier, Les Touareg du Nord, in-8o, Paris, 1864.
[115]H. Schirmer, Henri Duveyrier (Ann. de Géogr., 1891-92, p. 415).
[116]Duveyrier, Introduction, p. XII.
[117]H. Schirmer, Duveyrier (Ann. de Géogr., 1891-92, p. 416).
[118]Henri Duveyrier, Journal de Route, publié et annoté par Ch. Maunoir et H. Schirmer, in-8o, Paris, 1905.
[119]H. Schirmer, Le Sahara, p. 278 et 281.
[120]L. Rinn, Nos Frontières Sahariennes, in-8o, Alger, 1886, p. 32.
[121]Schirmer, Le Sahara, p. 381.
[122]Journal des Débats, art. cité.
[123]Henri Wolff (Commandant), Duveyrier ; son dernier projet de voyage dans le Sahara (Congr. nat. de Géogr. de Marseille, 1898, p. 490).
[124]Masqueray, art. cité.
[125]Résultats, etc., p. 13.
[126]Vuillot, p. 77.
[127]Mission de Ghadamès, in-8o, Alger, 1862.
[128]Mission de Ghadamès, p. 121.
[129]Schirmer, Le Sahara, p. 382.
[130]Schirmer, Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts (Extr. du Bull. de la Soc. de Géogr. de Lyon, 1896, p. 20).
[131]Schirmer, Le Sahara, p. 271.
[132]Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 15-16.
[133]Journal des Débats, 14 mai 1892.
[134]Schirmer, Le Sahara, p. 390 et 391.
[135]Duveyrier, Les Touareg du Nord, p. 360. Cf. Marcel Dubois et A. Terrier, Un Siècle d’Expansion Coloniale, 8o, Paris, 1901, notamment p. 280 et 658.
LA PÉRIODE DE STAGNATION (1864-1879)
L’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh. — La guerre franco-allemande de 1870. — Colonnes du Sud-Ouest : de Colomb, Colonieu ; expédition du général de Wimpffen dans l’Oued-Guir. — Colonnes du centre : de Lacroix, de Galiffet. — Les explorations : Dournaux-Dupéré et Joubert (1873-74). — Soleillet (1874). — Largeau (1875-77). — Louis Say (1876-77). — Les missionnaires du cardinal Lavigerie : les Pères Paulmier, Ménoret et Bouchard (1875-76) ; les Pères Richard et Kermabon (1879). — Colonisation de l’Oued-Rir. — La mer intérieure : mission Roudaire (1876). — Le Sahara de Pomel. — Masqueray au Mzab. — Conclusion.
La date de 1864 marque une coupure profonde dans l’histoire des explorations sahariennes. Jusque-là, la pénétration avait suivi une marche régulière et normale. Nous n’avons eu garde d’exagérer les résultats des explorations de Duveyrier et de Rohlfs, non plus que du traité de Ghadamès. Cependant c’étaient là des faits d’une importance indéniable. En 1864 survient un arrêt prolongé ; une suite de circonstances malheureuses, que nous indiquerons successivement, interrompt la marche en avant : elle n’a été reprise que tout récemment, malgré quelques efforts trop passagers et souvent malheureux. L’esprit de suite, la confiance en soi, l’exacte compréhension des conditions physiques et économiques nous ont presque toujours fait défaut et ont paralysé notre politique.
La grande insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh est le premier de ces fâcheux événements qui ont arrêté la pénétration au sud de l’Algérie. Si Hamza mourut subitement[58] à Alger le 21 août 1861, probablement empoisonné à l’instigation du parti intransigeant de la famille, qui ne pardonnait pas au marabout sa soumission à la France[136]. Son fils Si Sliman, nommé bach-agha, ne sut pas comme son père résister aux sollicitations de son entourage. Poussé par son oncle Si Lala, il fit défection et souleva contre nous les populations de son commandement[137]. La révolte des fils de Si Hamza et du Sud-Oranais, commencée en 1864 par l’anéantissement à Aouinet-bou-Beker de la petite colonne du colonel Beauprêtre, devait durer près de vingt ans (1864-1883). « La longue durée de cette rébellion surprend au premier abord. Il en faut sans nul doute chercher la cause dans le dévouement des populations du Sud-Oranais envers leurs chefs religieux, dans la nature du pays, dans la difficulté des communications, et aussi dans les événements de 1870, qui vinrent se jeter à la traverse de toute action vigoureuse dans ces contrées lointaines[138]. » Il faut aussi tenir compte de l’ignorance où l’on était trop souvent à Paris des véritables données du problème, des tiraillements entre Alger et Paris et des incertitudes qui en résultaient. Enfin, « pour prolonger la lutte, les Ouled-Sidi-Cheikh avaient, au-delà et en dehors du rayon de notre influence, des points d’appui et des asiles, des partisans et des moyens de ravitaillement dans les oasis de l’Extrême Sud. Par là, ils étaient pour ainsi dire insaisissables, et ils nous le firent bien connaître[139]. » Toujours vaincus et semblant chaque fois à la veille d’un anéantissement complet[140], les Ouled-Sidi-Cheikh reparaissaient[59] bientôt à la tête de nouvelles forces, lançant à l’improviste les bandes de pillards à leur dévotion sur nos administrés, trouvant des auxiliaires non seulement parmi les quelques dissidents de nos tribus restés attachés à leur fortune, mais encore parmi ces turbulents nomades marocains qui ont leurs parcours au sud-ouest de l’Algérie.
C’est de ce côté qu’il fallait agir, comme nous y autorisait d’ailleurs le traité de 1845, et qu’on agit en effet. En 1865, le colonel de Colomb[141], après un repos de cinq ans, poursuivit ses expéditions antérieures dans le Sud-Ouest. En avril 1866, il vint camper à El-Ardja, à 2 kilomètres des ksour de Figuig, mais sans qu’il lui fût permis de s’attaquer à ce foyer de désordre. En 1867, le général Deligny[142] proposa au Gouverneur général, le maréchal de Mac-Mahon, de diriger une expédition contre Figuig. Il montrait que l’apparition d’une force imposante devant Figuig aurait un immense retentissement dans toute la zone saharienne, aussi bien celle dépendant de l’Algérie que celle relevant du Maroc : « Dans ma conviction, disait-il, l’opération est très bonne, sera fructueuse en résultats et pourra clore pour des années l’ère des insurrections. Dans aucun cas, elle ne saurait rien présenter de dangereux et de compromettant[143]. » Mais cette manière de voir ne fut pas adoptée par le Gouvernement.
Cependant les nécessités de la lutte avec les rebelles amenèrent encore une fois sous les murs de Figuig le colonel Colonieu, en avril 1868[144]. Ce fut la dernière expédition jusqu’à celle du général de Wimpffen en 1870.
[60]Le général de Wimpffen ne fut autorisé à entreprendre son expédition de l’Oued-Guir, rendue nécessaire par une situation menaçante, qu’à la condition expresse de ne point s’attaquer à Figuig et de ne pas même s’en approcher. En ne lui laissant pas toute latitude, on empêcha sa colonne d’avoir tous les résultats qu’on en pouvait attendre. Les conséquences furent néanmoins importantes, tant au point de vue géographique qu’au point de vue politique[145]. L’expédition de l’Oued-Guir imprima aux turbulentes populations du Sud-Ouest une haute idée de notre puissance, en enlevant aux Ouled-Sidi-Cheikh la plus grande partie de leurs moyens d’action ; elle maintint dans le devoir les tribus hésitantes ; surtout, c’est grâce à elle que la guerre franco-allemande de 1870 et l’insurrection algérienne de 1871 n’eurent pas leur contre-coup dans le Sud-Oranais, dont la tranquillité ne fut pas troublée[146]. Deux succès remportés à Benoud (1871) et à Nefich (1874) sur les Ouled-Sidi-Cheikh achevèrent la défaite des dissidents.
En Algérie comme dans le monde entier, la guerre de 1870 nous imposa une période de réserve pendant laquelle nous dûmes en quelque sorte nous replier sur nous-mêmes, pour guérir nos blessures et attendre le retour de nos forces. Cependant l’insurrection de 1871 avait rendu une intervention nécessaire dans la région du Sud-Est. En[61] 1866, à la suite de l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh, l’aghalik d’Ouargla avait été rattaché à la province de Constantine et placé sous le commandement d’un grand chef indigène, le caïd Ali Bey ben Ferhat, qui commandait en même temps l’Oued-Rir et le Souf et s’installa à Touggourt. Il se montra insuffisant, et son action maladroite amena en mai 1871 le massacre de la garnison et d’une partie de sa propre famille par le faux chérif Bou-Choucha[147]. Peu de temps après (décembre-janvier 1871), Touggourt et Ouargla étaient réoccupés par le général de Lacroix ; le lieutenant-colonel Gaume et le commandant Rose poursuivirent quelques révoltés jusqu’à Aïn-Taïba, à la limite du grand Erg[148]. L’année suivante (janvier 1873), la colonne du général de Galiffet[149], forte de 700 hommes environ, se dirigeait sur El-Goléa par la route de l’Ouest, qui passe par Hassi-el-Hadjar, Hassi-Berghaoui, Hassi-el-Zirara. Arrivée à El-Goléa le 24 janvier, elle trouvait l’oasis évacuée par les habitants, qui avaient seulement laissé quelques nègres à la garde des maisons. Le 1er février, le général de Galiffet reprenait le chemin d’Ouargla qu’il atteignait par la route directe en sept jours[150]. Cette petite expédition[62] eût dû avoir pour conséquence immédiate l’occupation du Touat et du Tidikelt, qui s’attendaient à nous voir continuer notre marche en avant et nous envoyaient des protestations d’amitié. Malheureusement, ce fut un effort sans lendemain. Ne pas dépasser Ouargla était une politique, occuper le Touat en était une autre ; nous n’avons su nous arrêter à aucune de ces deux solutions, et nos hésitations ont duré vingt-cinq ans.
Dans les conditions nouvelles où se trouvait l’arrière-pays de nos possessions algériennes par suite de l’insurrection algérienne et de la guerre de 1870, l’exploration individuelle ne pouvait guère être fructueuse. Aussi les tentatives isolées faites pendant cette période, le plus souvent sans l’aveu ou contre le gré du Gouvernement, n’ont-elles guère donné de résultats, pas plus pour la géographie que pour la pénétration économique ou commerciale. Les rares explorateurs sahariens de cette époque sont d’ailleurs, pour la plupart, des hommes sans culture et sans préparation, incapables de voir et d’observer, pleins d’ignorance et de présomption. Nous sommes loin des espérances qu’avaient fait concevoir les Duveyrier et les de Colomb. Au point de vue scientifique comme au point de vue politique, nous entrons dans une période d’effacement et de stagnation.
En 1874, Dournaux-Dupéré, ancien commis de marine, ancien instituteur à Frenda, accompagné de deux négociants,[63] l’un Français, Joubert, l’autre originaire du Souf, projetèrent de gagner le Niger par l’Ahaggar, mais, modifiant leurs plans primitifs, ils voulurent auparavant s’assurer l’appui d’Ikhenoukhen. C’était en somme faire l’épreuve de la valeur réelle du traité de Ghadamès[151]. Dans ce but ils se rendirent d’abord à Ghadamès, pour de là gagner Ghat : « Les Touareg que j’ai vus ici, écrivait Dournaux-Dupéré à Duveyrier, se souviennent parfaitement du traité et s’en félicitent ; le moment est des plus favorables à une reprise sérieuse des relations avec eux[152]. » Cependant, quelques jours plus tard, les trois voyageurs étaient assassinés au sud de l’Oued Ohanet, à l’instigation, dit-on, des négociants de Ghadamès, jaloux de voir les Français s’engager sur les routes suivies par leurs caravanes. D’après le récit fait par un chef targui de Ghat à l’explorateur allemand Erwin de Bary, les Ifoghas et les Imanghasaten n’auraient pas été étrangers au meurtre[153].
La même année, un voyageur de commerce, Paul Soleillet, qui avait déjà visité le Sud-Algérien et le Mzab, se propose, comme tant d’autres avant et après lui, de réunir l’Algérie au Sénégal par Tombouctou. Il était chargé par la Chambre de Commerce d’Alger de « reconnaître la route d’Alger à l’oasis d’In-Salah par Laghouat, le Mzab et El-Goléa ; de présenter aux populations du Sahara central des échantillons de nos produits manufacturés et de tâcher de ramener avec lui, à son retour, des négociants du Sahara central, porteurs de quelques marchandises du désert et du Soudan ». Une pareille mission, comme l’événement le[64] démontra, n’avait aucune chance de succès. Quittant El-Goléa, accompagné de quatre indigènes seulement, il se dirigea rapidement sur In-Salah ; arrêté au ksar le plus septentrional de ce district, celui de Miliana, il reçut l’ordre de sortir immédiatement de l’oasis ; il demanda une réponse aux lettres de la Chambre de Commerce et de l’agha de Touggourt, on ne voulut même pas les ouvrir ; menacé de mort, il dut remonter sur son mehari à onze heures, le même soir[154]. Son voyage n’avait eu aucune espèce de résultat « M. Soleillet, écrivait très justement M. Duponchel[155], voit plutôt le fait du voyage en lui-même que l’utilité des renseignements qu’il pourrait en rapporter. Ne s’imposant d’autre tâche que de nous tenir au courant de ses moindres incidents de route, il croit fort inutile de porter son attention ou d’appeler la nôtre au-delà. » Son rapport à la Chambre de Commerce[156] témoigne qu’il était presque sans culture ; aucune route, aucun croquis d’itinéraire ne permet de suivre sa marche, et les observations d’orientation qu’il a faites sont si défectueuses, qu’on sait à peine quelle route il a suivie[157].
Une proposition d’un avocat, nommé Léon Seror, qui voulait aller installer un marché à El-Goléa et créer un poste de résident commercial à In-Salah, avec le titre de consul de France, ne fut pas prise en considération et ne méritait évidemment pas de l’être.
[65]Les seules explorations qui, dans cette période, offrent quelque intérêt, sont celles de Victor Largeau, quoiqu’elles n’aient pas eu non plus de bien grandes conséquences. Largeau résolut de s’adresser aux négociants mêmes de Ghadamès, pour essayer d’ouvrir ces régions au commerce français ; en 1875, remontant d’abord l’Igharghar, il gagna Ghadamès par Hassi-Bothin et rentra par El-Oued, après avoir obtenu des promesses encourageantes ; les négociants s’engageaient à faire bon accueil à nos commerçants et à entrer en relations d’affaires avec nos marchés du Sud-Algérien. L’année suivante, accompagné cette fois de trois jeunes gens, Louis Say, Gaston Lemay et Faucheux, Largeau se rendit de nouveau à Ghadamès par Berresof. Il garantissait aux Ghadamésiens la vente de leurs marchandises aux prix de Tripoli et une entière sécurité pour la route, s’ils voulaient bien se rendre en Algérie avec des produits du Soudan. Il reçut de belles paroles et se croyait certain de détourner au moins une caravane vers Touggourt[158]. Mais, quand le jour fut venu de l’accompagner à son retour, les Ghadamésiens prétextèrent les menaces des Turcs de Tripoli, tandis que le kaïmakam niait avoir reçu aucune lettre du pacha. Il fut contraint de reprendre la route d’El-Oued, ne ramenant ni un négociant, ni une charge de marchandises.
En 1877, Largeau tenta de se rendre au Tidikelt. Après un séjour prolongé à Ouargla, il s’avança jusqu’au Hassi-Zmeïla dans l’Oued-Mya, mais, effrayé des menaces des gens d’In-Salah, qui avaient écrit aux Chaanba d’Ouargla de ne pas conduire d’infidèles dans leur pays, il abandonna ses projets et revint sur ses pas. Largeau a raconté ses deux voyages à Ghadamès dans de nombreux articles et[66] dans un ouvrage sans prétention scientifique, mais qui n’est pas dépourvu d’intérêt et de couleur[159]. En 1876-77, l’enseigne de vaisseau Louis Say descendait d’Ouargla à Aïn-Taïba, explorait les Gassi jusqu’à El-Biodh et s’avançait jusqu’à Temassinin.
Le cardinal Lavigerie avait rêvé de répandre le christianisme parmi les populations noires de l’Afrique et il espérait lui aussi atteindre le Soudan par la voie du Sahara. La Société des Missionnaires d’Alger ou Pères Blancs, fondée après la famine de 1867, fut organisée définitivement en 1874. Les Pères Blancs furent d’abord établis à Biskra, Géryville, Laghouat et Metlili. De cette dernière ville partirent, en 1876, les Pères Paulmier, Ménoret et Bouchard ; ils furent assassinés par leurs guides un peu avant d’arriver à Hassi-Inifel. Ces guides étaient des Touareg qui, chassant avec des Chaanba dissidents au sud du Mzab, avaient été capturés par les nomades algériens et envoyés à Alger ; l’année précédente, on les avait déjà proposés comme guides à Largeau, qui les avait refusés. Ils offrirent eux-mêmes leurs services au cardinal Lavigerie, qui eut le tort d’ajouter foi à leurs protestations de dévouement.
Cet insuccès ne découragea pas Lavigerie ; il résolut d’essayer de la voie de Ghadamès, qui avait toujours été reconnue un peu moins dangereuse que celle de l’Ahaggar. En 1879, les Pères Richard et Kermabon partent de Ghadamès, parcourent la région des Azdjer pour l’étudier, se mettre en rapport avec ses habitants et chercher le point le plus favorable à l’établissement d’une station[67] de missionnaires. Guidés par les Touareg Ifoghas, ils s’avancent jusqu’à l’Oued-Tikhammalt, au nord-ouest de Ghat, gagnent de là le lac Mihero, pour remonter ensuite sur l’Oued-Tidjoujelt, et Temassinin, d’où ils gagnent Ghadamès après une absence de 56 jours. Ils avaient recueilli d’utiles renseignements géographiques et noué de bonnes relations avec les plus importantes tribus Azdjer, notamment les Ifoghas et les Imanghasaten.
Les sondages de l’Oued-Rir[160], interrompus en 1866, furent repris en 1873 : le débit de la nappe artésienne avait diminué dans la plupart des oasis, et Sidi-Khelil, où l’on n’avait pu creuser profondément, par suite de la fluidité des sables, souffrait de la sécheresse malgré ses 27 puits. Un sondage poussé à 90 mètres lui donna une source de 1.200 litres, tandis qu’une autre de près de 2.000 litres rendait la vie à l’oasis d’El-Berd[161]. Enfin l’initiative privée intervenait aussi dans cette région. En 1878, comme l’Administration des Domaines mettait en vente les terrains séquestrés après la petite insurrection d’El-Amri, MM. Fau, Fernand et Albert Foureau se firent adjuger la petite oasis de Foughala, au Zab, et deux autres oasis ; ce fut l’origine de la Compagnie de l’Oued-Rir.
[68]C’est également à la création de quelques oasis nouvelles qui devaient aboutir en fin de compte les missions et les projets du commandant Roudaire. Les grands chotts qui s’étendent au Sud de la province de Constantine et de la Tunisie, jusqu’au fond du golfe de Gabès, sur une longueur de 375 kilomètres, avaient déjà depuis longtemps attiré l’attention des savants[162] et dès 1845, M. Virlet-d’Aoust établissait qu’un des plus importants de ces bas-fonds, le chott Melrir, était au-dessous de la Méditerranée. Plus tard, les observations barométriques faites par MM. Vuillemot, Marès, Dubocq, Ville, avaient également donné des altitudes inférieures au niveau de la mer ; mais les résultats obtenus présentaient entre eux d’assez grandes discordances. En 1872, le Ministre de la Guerre chargea le capitaine Roudaire et le capitaine Villars d’exécuter les opérations géodésiques de la méridienne de Biskra. Le nivellement trigonométrique fait en 1873-75 fournit la preuve que le fond des chotts Melrir et Rharsa se trouvait à 24 mètres en moyenne au-dessous du niveau de la mer. M. Roudaire conçut alors la pensée qu’il serait possible, en introduisant les eaux de la Méditerranée dans la région des chotts, de faire pénétrer la fertilité, le commerce, la vie jusqu’au cœur du Sahara algérien. M. de Lesseps prêtait à ce projet l’appui de son influence. Il fallait tout d’abord s’assurer de l’altitude du chott Djerid et de la véritable nature des seuils qui le séparent de la mer et du Rharsa. Tel fut l’objet de la mission que reçut M. Roudaire en 1875 ; vérification faite, il dut convenir que le niveau du Djerid se trouvait au-dessus du niveau de la mer.
[69]Pomel[163], directeur de l’Ecole supérieure des Sciences d’Alger, contesta qu’il y ait eu dans l’antiquité, comme le soutenaient les partisans de la mer intérieure, communication entre la Méditerranée et les chotts ; il exposa les faits dans diverses notes présentées par lui à l’Académie des Sciences, en 1874-75. En 1879, Pomel obtint une mission à l’effet d’étudier les formations littorales de la côte orientale de la Tunisie, le seuil de Gabès et les dépôts du voisinage des chotts tunisiens ; ses idées sur la véritable nature de ces dépôts et sur l’existence d’un seuil crétacé se trouvèrent pleinement démontrées[164]. Pomel refusait aussi de croire à la modification du climat de l’Algérie qu’on escomptait, et estimait la dépense nécessaire à un chiffre beaucoup plus élevé que M. Roudaire. D’autres objections étaient formulées par Fuchs, Cosson, etc., sur les conséquences plus que douteuses de l’entreprise. Aussi, dès cette époque, le projet de mer intérieure peut être considéré comme condamné. En 1882, une Commission chargée par le Gouvernement d’examiner le projet Roudaire, conclut qu’il n’y avait pas lieu, pour le Gouvernement français, d’encourager l’entreprise.
Des idées plus exactes sur la constitution géologique et la véritable nature du Sahara commençaient d’ailleurs vers cette époque à pénétrer dans le public. En 1872, Pomel[165], mettant à profit les observations recueillies au cours de son voyage de 1862 et les documents fournis par les[70] explorateurs, publiait une étude d’ensemble sur le Sahara[166], œuvre de haute valeur, dans laquelle il rectifie les idées erronées qui avaient cours sur la géographie physique de cette contrée et discute, pour répondre au désir exprimé par Edouard Lartet, les questions relatives à l’hypothèse d’une mer saharienne à l’époque quaternaire. Pomel montre que les pays de l’Atlas se rattachent à l’Europe par leur structure géologique et sont séparés de l’Afrique par le Sahara. Il présente un aperçu géographique des différentes régions naturelles du Sahara, bassin des chotts, hamadas, areg. Il fait justice des conceptions répandues alors sur l’extension des dunes et leur infertilité absolue et montre que les parties les plus stériles et les plus désolées du désert sont au contraire les hamadas. Au Congrès de l’Association française pour l’avancement des Sciences à Clermont-Ferrand, en 1876, Pomel revint sur ces questions et exposa, dans un résumé d’une remarquable précision, l’Etat actuel de nos connaissances sur la géologie du Soudan, de la Guinée, de la Sénégambie et du Sahara. Comme directeur de l’Ecole Supérieure des sciences et du Service de la carte géologique de l’Algérie, Pomel devait, pendant de longues années encore, contribuer à l’étude scientifique du Sahara, de sa constitution stratigraphique, des phases de son climat, de ses faunes anciennes, de ses dessins rupestres.
Une autre mission scientifique nous a fait connaître exactement les curieuses populations du Mzab : ce fut celle qu’obtint Masqueray en 1878. Il séjourna au Mzab près de deux mois[167] et en rapporta de précieux documents, les[71] livres historiques, législatifs et religieux des Beni-Mzab, la Chronique d’Abou-Zakaria, le Kitab-en-Nil. Il traduisit et commenta la Chronique, histoire de la secte ibâdite et des origines de ce curieux groupe religieux, publia l’année suivante une Comparaison du dialecte des Zenaga du Sénégal avec le vocabulaire des Chaouïa et des Beni-M’zab[168]. Lorsqu’on organisa l’enseignement supérieur à Alger, en 1880, Masqueray, comme professeur et directeur de l’Ecole des Lettres, continua à donner, tant par lui-même que comme directeur du Bulletin de Correspondance Africaine, de précieuses contributions à la connaissance de la géographie, de l’histoire, de la linguistique du Sahara.
En 1876 parut la première édition de la carte générale de l’Algérie à 1/800,000e en 4 feuilles, publiée par le Dépôt de la guerre ; elle s’étend jusqu’à la latitude d’El-Goléa[169].
Sauf ces résultats scientifiques et les résultats locaux obtenus dans l’Oued-Rir, on voit que la période qui va de 1864 à 1879 mérite véritablement le nom de période de stagnation sous lequel nous l’avons désignée. Si l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh et la guerre de 1870 expliquent assez l’origine de cette stagnation, on ne voit pas pourquoi elle s’est prolongée aussi longtemps. Or, en pareille matière, ne pas avancer c’est reculer. Au point de vue de l’occupation, la marche naturelle des choses[72] nous conduisait à prendre possession du Touat et à nous assurer de gré ou de force de la route de Ghadamès et de Ghat. Nous n’avons osé agir ni à l’Est, ni à l’Ouest ; l’expédition d’El-Goléa a été une demi-mesure sans utilité, qui n’a fait en quelque sorte que souligner notre faiblesse, de même que, dans nos expéditions du Sud-Ouest, nous semblions avoir peur des ksouriens de Figuig. Enfin, en 1874, Ghat, qui avait vécu indépendante jusque là, fut occupée par les Turcs. L’importance de cette prise de possession, contre laquelle nous aurions pu protester et que nous aurions pu empêcher, nous échappa complètement à ce moment[170]. Au point de vue de l’exploration, les résultats sont nuls ; ceux des rares explorateurs qui ne sont pas de simples martyrs de la foi ou de la science sont trop mal préparés et passent trop rapidement pour pouvoir faire œuvre utile. Ils ne rapportent ni itinéraires soigneusement levés, ni observations scientifiques, trop heureux de rapporter leur tête sur leurs épaules. Au point de vue commercial, les illusions, explicables pendant la période précédente, se maintiennent et s’aggravent, malgré les démentis de l’expérience. Dans la pratique, les caravanes du Sud ont complètement abandonné le chemin de l’Algérie et aucun échange de quelque importance ne se fait par cette voie avec le Soudan. Les projets de chemins de fer transsahariens vont pendant quelques années modifier cet état de choses et provoquer toute une série de missions importantes.
[136]Documents, II, p. 817-818.
[137]Id., II, p. 823.
[138]Jules Cambon, Documents, II, préface, p. XI.
[139]J. Cambon, ibid.
[140]Documents, II, p. 81.
[141]Duveyrier, Historique, p. 242.
[142]Documents, II, p. 515.
[143]Id., II, p. 517.
[144]Duveyrier, Historique, p. 245 (d’après Perrot). — Léon Perrot, Itinéraire de Géryville à Figuig et retour (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1881, p. 273). — Colonieu, Colonne de Géryville en 1868 (Bull. Soc. Géogr. d’Oran, 1891, p. 293).
[145]De Wimpffen, L’Expédition de l’Oued-Guir (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1872, 1er semestre, p. 34, avec carte). — A. Fillias, Récits Militaires, L’Expédition de l’Oued-Guir, in-8o, Alger, 1880. — Itinéraires de la colonne Wimpffen à 1/400.000e, levé par le capitaine Kessler, autographié au bureau de l’Etat-Major, Alger, 1870. — D’Oran à l’oasis de l’oued Guir (Spectateur militaire, 1878, 4e série, t. III, p. 215 ; t. IV, p. 72, avec carte).
[146]Documents, II, p. 82.
[147]L. Rinn, Histoire de l’Insurrection de 1871 en Algérie, in-8o, Alger, 1891, p. 483 et 611.
[148]L. Rinn, ouvr. cité, p. 631 (d’après le rapport du commandant Rose, avec croquis à l’appui). — Cf. Colonne Gaume d’Ouargla à Aïn-Taïba, 7-25 janv. 1872 ; rapport du commandant Rose (Bull. d’Oran, 1891, p. 99-121).
[149]H. Tarry, Colonne Expéditionnaire du Général de Galiffet dans le Sahara (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1873, p. 327). — Capitaine Parisot, D’Ouargla à El-Goléa (ibid., p. 325). — Duveyrier, La région entre Ouargla et El-Goléa (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1876. 1er sem. p. 577) avec carte des Itinéraires dans le pays des Chaanba 1859-73 (Duveyrier, Rose, Parisot) à 1/1.600.000e.
[150]Il résulte des recherches faites à notre demande par M. le lieutenant-colonel Laquière, ainsi que des renseignements recueillis par lui auprès du bachagha Lakhdar, que le général de Galiffet n’a laissé aucune garnison à El-Goléa, contrairement à l’assertion de M. P. Vuillot (p. 115), qui paraît reposer sur une erreur.
[151]Schirmer, Le Sahara, p. 382.
[152]Bull. Soc. Géogr. Paris, 1874, p. 161.
[153]Schirmer, Le dernier Rapport d’un Européen sur Ghat et les Touareg de l’Aïr, in-8o, Paris, 1898, p. 22-23. Cf. la version donnée par le P. Richard, Missions Catholiques, 1881, p. 161.
[154]P. Soleillet, Afrique Occidentale, Algérie, Mzab, Tidikelt, in-8o, Paris, 1877, p. 90, 222. Cf. Schirmer, Le Sahara, p. 381.
[155]Duponchel, Lettre à la Commission du Transsaharien, Montpellier, 1880, p. 14.
[156]P. Soleillet, Exploration du Sahara Central, Voyage d’Alger à l’Oasis d’Inçalah. Rapp. présenté à la Chambre de Commerce d’Alger, Alger, fo, autogr., 1876. V. aussi Mac Carthy, Le Cas de M. Soleillet (Bull. Soc. Géogr. d’Alger, 1880, p. 116).
[157]Documents, IV, p. 238.
[158]Schirmer, Le Sahara, p. 383.
[159]V. Largeau, Le Pays de Rirha, Ouargla, Voyage à Rhadamès, in-16, Paris, 1879. Cf. Bull. Soc. Géogr. Paris, 1877, 1er sem., p. 35. — V. Largeau, Le Sahara Algérien, in-16, Paris, 1881.
[160]Schirmer, Le Sahara, p. 424.
[161]Rolland, Sur les sondages artésiens et les nouvelles oasis françaises de l’Oued-Rir, in-8o, Paris 1887, extr. C. R. Ac. Sc. — Id., L’Oued-Rir et la Colonisation française du Sahara (Bull. Soc. Géogr. comm., 1887, p. 663). Cf. Revue Scientifique, 18 juin 1887.
[162]Nous empruntons tout l’exposé qui suit à L. Lanier, L’Afrique, Lectures Géographiques, p. 338 (9e édition, 1897). M. L. Lanier donne la bibliographie complète de la question, p. 344.
[163]E. Ficheur, Notice biographique sur Pomel, Bull. Soc. Géol. Fr., 1899, p. 191.
[164]Pomel n’a publié ses observations en détail qu’en 1884, sous le titre de Géologie de la côte orientale de la Tunisie et de la Petite Syrte. (Bull. de l’Ec. supér. des Sciences d’Alger, in 8o, Alger).
[165]Ficheur, Notice nécrologique, p. 199 et 212.
[166]Pomel, Le Sahara, observations de géologie et de géographie physique et biologique (Bull. Soc. climatolog. d’Alger, 1872).
[167]Augustin Bernard, Emile Masqueray, notice nécrologique (Revue Africaine, 1894, p. 350). Cf. E. Masqueray, Chronique d’Abou-Zakaria, in-8o, Alger, 1879, introduction.
[168]Archives des Missions, 1879, 3e série, tome V.
[169]Documents, II, p. 941.
[170]Rebillet (commandant), Revue générale des Sciences, 1890, p. 1162.
LA PÉRIODE DU TRANSSAHARIEN (1879-1881)
La question du Transsaharien. — L’ingénieur Duponchel. — La mission Pouyanne (1879) ; Renseignements recueillis par MM. Sabatier et Coyne ; hypothèse de M. Sabatier sur l’Oued-Saoura. — La mission Choisy (1879-80). — Les deux missions Flatters (1880-81). Résultats scientifiques. Véritables causes du massacre de la mission. — Occupation de la Tunisie (1881).
La question de la pénétration saharienne entre dans une phase nouvelle avec les projets de chemins de fer transsahariens. Puisque le Sahara, dans son état actuel, se montrait si hostile et si fermé, n’y avait-il pas moyen d’en faciliter l’accès par des travaux publics et de l’ouvrir en employant les moyens de locomotion modernes ? Puisque le commerce de caravanes s’obstinait à se détourner de l’Algérie et demeurait d’ailleurs insignifiant, ne pouvait-on créer un courant plus intense par la voie ferrée ? Le Sahara, sans valeur économique en lui-même, n’est-il pas la route que suivront, une fois les chemins de fer construits, toutes les richesses du Soudan pour aboutir aux ports de l’Afrique septentrionale ?
C’est à l’ingénieur Duponchel que revient l’honneur d’avoir appelé l’attention de la France sur le Soudan. Assurément, l’idée d’atteindre les régions tropicales par l’Afrique du Nord n’était pas neuve. Dès 1830 avait paru un mémoire signé Augier La Sauzaie « sur la possibilité de mettre les établissements de la côte septentrionale d’Afrique en rapport avec ceux de la côte occidentale, en leur donnant pour point de raccord la ville de Tombouctou[171]. »[74] Dans la préface de la grammaire tamachek de Hanoteau, publiée en 1860, apparaît pour la première fois nettement l’idée d’un chemin de fer transsaharien. On venait d’inaugurer la ligne de Blida : « Qui sait, dit Hanoteau, si un jour, reliant Alger à Tombouctou, la vapeur ne mettra pas les tropiques à six journées de Paris[172]. » Mais ces précurseurs sont à Duponchel ce que Néchao est à de Lesseps : ils ne peuvent lui contester la véritable paternité de son idée.
Dès 1875, Duponchel préconisait la construction d’un chemin de fer d’Alger à Tombouctou par le Touat, en suivant soit l’Oued-Mya, soit l’Igharghar[173]. En 1878, il sollicita et obtint une mission pour étudier la question du Transsaharien. Sa reconnaissance du terrain ne dépassa pas Laghouat, mais il publia l’année suivante un rapport détaillé sur les voies de communication entre l’Algérie et le Soudan[174]. Les plaidoyers enflammés de Duponchel émurent l’opinion. Dans la discussion qui s’en suivit, mille projets se firent jour. Chaque grande route du Sahara eut ses partisans convaincus, d’autant plus intraitables que derrière les arguments scientifiques se cachait la rivalité des principaux ports algériens[175]. Une commission fut nommée par M. de Freycinet, ministre des travaux publics, pour étudier la question[176]. Le résultat des travaux[75] de cette commission fut l’envoi d’importantes missions scientifiques au Sahara : les missions Pouyanne, Choisy et Flatters.
La mission confiée à Pouyanne, ingénieur en chef des mines (1879), était chargée d’étudier un tracé à travers le Sud-Oranais, dans la direction du Touat ; Pouyanne était assisté de M. Clavenad, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, et de M. Baills, ingénieur. La mission devait comparer le tracé des trois lignes partant de Tiaret, Saïda et Ras-el-Ma ; elle donna la préférence au tracé par Ras-el-Ma, surtout sous le rapport commercial et politique. Elle aboutit à l’établissement d’un avant-projet jusqu’à Moghrar et El-Outed, mais ne dépassa pas Tiout et ne pénétra pas dans le Sahara proprement dit. Plus au Sud, on avait songé à une mission concertée avec la Société de Géographie d’Oran et confiée à MM. Sabatier et Troyon : on y renonça par crainte d’un rezzou des tribus marocaines.
Les renseignements personnels de Pouyanne s’arrêtent au Kheneg-en-Namous ; au-delà, le rapport de mission contient de très intéressantes informations indirectes sur le Sahara proprement dit[177].
Il reproduit notamment des renseignements indigènes sur un itinéraire du Figuig au Touat, publié par M. C. Sabatier dans le Mobacher en 1876, et d’autres renseignements publiés par Coyne[178], qui donnent l’itinéraire de la ghazzia faite en 1875 sur les Beraber par les Chaanba[76] de Metlili et d’El-Goléa. D’autres renseignements inédits, recueillis par MM. Coyne, Sabatier, Graulle et par Pouyanne lui-même, forment une annexe au mémoire. En utilisant ces documents nouveaux et en discutant les documents déjà connus, Pouyanne est arrivé à dresser une carte à 1/1.250.000e du bassin de l’Oued-Saoura, qui améliore notablement les cartes antérieures.
Sur la région comprise entre le Touat et le coude du Niger, M. C. Sabatier recueillait et publiait aussi des renseignements indigènes. Il émettait l’hypothèse, reprise depuis sous une forme d’ailleurs différente, que l’Oued-Saoura aboutirait au Niger[179]. Ses mémoires, malgré ce que ses conclusions présentent d’un peu aventureux, n’en sont pas moins d’un vif intérêt[180].
La mission Choisy (1879-80) était chargée de comparer les tracés de Laghouat-El-Goléa et de Biskra-Ouargla. Elle était composée de MM. Choisy, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées ; Barois, ingénieur des Ponts ; Rolland, ingénieur des Mines ; Dr Weisgerber, lieutenant Massoutier, Descamps, Pech et Jourdan. Partie de Laghouat, la mission gagna El-Goléa en passant par l’Oued-Nili, Aïn-Massin et Hassi-Charef, et en laissant le Mzab à l’Est. Elle revint ensuite sur Ouargla pour atteindre Biskra par Touggourt et l’Oued-Rir. Elle rapportait la conviction que la ligne de Biskra-Ouargla était préférable à tous égards.
En dehors de ce point de vue spécial de l’établissement de la voie ferrée, la mission Choisy, et l’éminent géologue qui en fit partie, M. Georges Rolland, ont puissamment[77] contribué à faire progresser nos connaissances sur la géologie et la géographie physique du Sahara septentrional[181]. Outre un rapport d’ensemble de M. Choisy, les documents de la mission comprennent une étude des lignes par M. Barois et un important travail d’ensemble sur la géologie du Sahara par M. G. Rolland. Des planches et des cartes en grand nombre accompagnent l’ouvrage. Les rapports géologique et hydrologique de M. Rolland, réédités et publiés à part[182], forment encore aujourd’hui la base des études qui se poursuivent sur l’arrière-pays de nos possessions. Outre des aperçus généraux sur l’histoire géologique et sur les diverses formations du Sahara, M. Rolland a donné une étude détaillée des terrains crétacés et des atterrissements tertiaires et quaternaires du Sahara. Le volume d’hydrologie contient une étude d’ensemble sur le régime des eaux souterraines du Sahara crétacé et du Sahara quaternaire oriental ou Bas-Sahara. En somme, l’ouvrage de M. Rolland donne autre chose que les études préliminaires d’une ligne de chemin de fer et conserve son intérêt indépendamment même de cette question ; il renferme non-seulement le résultat des observations de la mission Choisy, mais celui de tous les travaux qui ont eu pour objet la géologie et l’hydrologie du Sahara septentrional jusqu’à la publication, du moins en ce qui concerne le bassin du Melrir, car le bassin de[78] l’Oued-Saoura est presque complètement laissé de côté et n’est l’objet que de renseignements très sommaires.
Pendant que la mission Pouyanne se trouvait dans le Sud-Oranais et que la mission Choisy quittait Laghouat pour se diriger vers El-Goléa, le lieutenant-colonel Flatters, ancien commandant supérieur du cercle de Laghouat, était chargé d’étudier le tracé du Transsaharien au sud d’Ouargla.
Flatters nourrissait sans doute depuis longtemps déjà des projets d’exploration, car, en mai 1862, le maréchal Pélissier ayant cru devoir, relativement aux projets de Jules Gérard, prendre l’avis de Jomard, membre de l’Institut et vice-président de la Société de Géographie de Paris, celui-ci, dans sa réponse au maréchal, « signalait l’aptitude pour les découvertes en Afrique de M. Flatters, jeune homme élevé par les soins du baron Taylor et qui paraissait bien préparé pour un voyage dans l’Afrique intérieure. » Il envoyait en même temps au Gouverneur une lettre du lieutenant Flatters à la Société de Géographie, lui demandant son appui pour un voyage au Touat et à Tombouctou. Ses projets avaient été, disait-il, approuvés par Elie de Beaumont.
Vingt ans plus tard, nous retrouvons Flatters à la tête d’une mission saharienne, qui se composait de MM. Masson, capitaine d’état-major ; Béringer, ingénieur de l’Etat ; Roche, ingénieur des Mines ; Guiard, médecin aide-major ; Bernard, capitaine d’artillerie ; Brosselard et Le Châtelier sous-lieutenants ; Cabaillot et Rabourdin[183].
[79]Le caractère et le but de la mission étaient indiqués dans la lettre que le Ministre des Travaux publics adressait à Flatters, le 7 novembre 1879 : « Je vous charge, y était-il dit, de diriger une exploration, avec escorte indigène, pour rechercher un tracé devant aboutir dans le Soudan entre le Niger et le lac Tchad. Vous aurez à vous mettre en relations avec les chefs des Touareg et à chercher à obtenir leur appui. Je vous invite à me faire connaître, dans le plus bref délai, les bases d’organisation de l’expédition dont il s’agit, de manière à lui conserver un caractère essentiellement pacifique, ce qui est la condition sine qua non de la mission[184]. »
La majorité de la Commission transsaharienne s’était montrée, en effet, absolument opposée à toute expédition affectant une allure militaire, et croyait à la possibilité de nouer des relations pacifiques avec les Touareg. Lorsque le colonel Flatters avait proposé à la Commission supérieure[80] de se charger de la direction de la mission, quelques membres avaient fait à ce choix les plus graves objections[185]. Il leur semblait impossible que la mission pût conserver son caractère pacifique aux yeux des populations sahariennes, si elle avait à sa tête un ancien commandant supérieur, connu pour tel de toutes nos tribus du Sud. C’est alors que Flatters avait offert de renoncer à l’escorte de troupes régulières que la 3e sous-commission, par l’organe de M. Georges Périn, avait déclarée nécessaire à la sécurité de la mission. D’après cette proposition nouvelle, le colonel devait constituer son escorte avec la population indigène, de manière à enlever toute apparence agressive à sa colonne. Ainsi furent levés les scrupules de la majorité de la Commission ; la mission conserva son chef militaire, mais elle n’avait plus l’escorte qui devait la faire respecter. A sa place furent recrutés 50 chameliers et 30 cavaliers méharistes, appartenant presque tous aux Chaanba d’Ouargla. Quelques membres de la Commission s’étaient vivement élevés contre cette manière de faire, notamment le général Arnaudeau, ancien officier de bureau arabe fort au courant des choses du Sud : « On dit, s’écriait-il, qu’on veut être pacifique. N’est pas pacifique qui veut. A quoi bon se faire assassiner pacifiquement ? 150 à 200 soldats aguerris, partie français, partie tirailleurs algériens, peuvent affronter l’attaque des plus fortes bandes sahariennes. Si l’instant n’est pas venu d’agir ainsi, continuons à laisser les explorateurs isolés se lancer à leurs risques et périls, et plutôt que de faire les choses[81] à demi, remettons à plus tard la grande et sérieuse entreprise[186]. »
Quelle était la situation réelle en pays targui ? Elle s’était profondément modifiée depuis l’exploration de Duveyrier et la convention de Ghadamès. Dournaux-Dupéré en 1874, le naturaliste allemand Erwin von Bary en 1877, avaient signalé ces changements. Une guerre civile, qui avait duré dix ans, avait éclaté entre les deux tribus Azdjer des Oraghen et des Imanghasaten, ces derniers faisant cause commune avec la confédération des Hoggar.
Les Turcs avaient profité, pour s’installer à Ghat (1875), de ce que l’émir aux abois leur avait demandé secours, et cette acceptation de la domination étrangère était aux yeux des Touareg une tare ineffaçable. L’émir Ikhenoukhen, à l’époque où Flatters sollicitait son concours, avait près de cent ans ; ce n’était plus le rude guerrier dont les colères étaient jadis redoutées de tous les Azdjer ; son bras s’était affaibli, sa clientèle réduite dans la guerre malheureuse soutenue contre les Hoggar, et, même dans sa propre tribu, son autorité n’était plus acceptée sans conteste. A côté de lui avaient grandi des personnalités rivales, telles que ce cheikh Bou Beker, qui avait laissé tuer Mlle Tinné, confiée à sa garde, et qu’Ikhenoukhen n’avait pas osé punir[187]. Quant aux Hoggar, leur hostilité farouche ne faisait pas de doute et s’était manifestée à plusieurs reprises.
Partie de Biskra le 1er février 1880, la mission Flatters se dirigea sur Ouargla, puis gagna Temassinin par Aïn-Taïba[82] et El-Biodh, à travers la région des dunes. A Temassinin, Flatters apprit qu’Ahitaghel, amenokal des Hoggar, se trouvait campé très loin, au Sud-Ouest du massif de l’Ahaggar, et qu’Ikhenoukhen et les chefs Azdjer se trouvaient à Ghat. Au lieu de descendre vers le Sud comme c’était son intention première, il résolut de s’approcher de Ghat pour avoir une entrevue avec Ikhenoukhen[188] ; d’ailleurs, les Chaanba de l’escorte menaçaient de faire défection si on les menait chez les Hoggar. Flatters remonta donc la vallée des Ighargharen jusqu’au lac Menghough, située par 26° 30′ de latitude Nord[189].
Arrivé en ce point, le colonel dut entamer avec les Touareg des négociations qui traînèrent en longueur. Ikhenoukhen ne venait pas, les approvisionnements de la mission s’épuisaient par suite des exigences des Touareg et étaient devenus insuffisants pour poursuivre la marche en avant[190]. Un certain nombre d’incidents, auxquels le Journal de route ne fait qu’une allusion lointaine, mais qui furent révélés par les récits concordants des divers membres de la mission, montrent les véritables causes de cette retraite. L’attitude équivoque des Chaanba de l’escorte faisaient craindre qu’ils n’en vinssent à refuser le service. Flatters, d’après ses instructions, ne devait pas passer de vive force et n’était d’ailleurs pas maître de son personnel indigène. Or, les Imanghasaten avaient une attitude trop menaçante pour qu’on pût espérer qu’ils laisseraient la mission parvenir jusqu’à Ghat ; plusieurs fois sur le point d’être attaquée, elle était presque prisonnière des Touareg qui entouraient son camp. Quant à Ikhenoukhen, s’il est[83] resté inactif lors de la mission Flatters, « ne serait-ce pas, dit M. Schirmer[191], qu’il n’avait plus guère le pouvoir de commander et de punir ? Et de fait, lorsqu’il réclama aux Imanghasaten le droit de passage versé par Flatters et qui aurait dû lui revenir, on ne lui répondit que par une dénégation hautaine. Ce n’est donc pas de son plein gré que Flatters est retourné en arrière[192], et l’on ne peut lui reprocher sans injustice d’avoir manqué de patience et de résolution. La vérité est qu’il a été constamment paralysé par le mauvais vouloir des Touareg et de son personnel indigène. »
La première mission Flatters avait obtenu d’importants résultats géographiques ; elle avait fait un levé de plus de 1.200 kilomètres dans un pays à peu près inconnu. Elle rapportait des renseignements précis sur la région au sud d’Ouargla ; elle avait reconnu la région des grands gassis, c’est-à-dire la trouée de l’Igharghar, passage à peu près libre de sables à travers les dunes de l’Erg oriental ; elle avait relevé topographiquement le contour septentrional du Tassili des Azdjer, le relief des montagnes et les pentes des vallées[193]. Outre le Journal de route, les documents de la première mission comprennent un mémoire géographique et météorologique avec tableaux explicatifs, dû à M. Béringer ; un mémoire géologique et hydrologique avec plan, dû à M. Roche ; un avant-projet, dû à M. Béringer, d’une ligne de chemin de fer dirigée d’Ouargla vers Amguid sur 610 kilomètres ; une note sur les collections végétales rapportées par la mission ; un mémoire de M. L. Rabourdin sur les âges de pierre du Sahara central.
[84]Au point de vue politique, la première mission Flatters avait échoué. M. Schirmer indique très clairement pour quelles causes. « Elle a échoué[194] parce qu’on s’était mépris sur l’état politique des peuplades qui occupent le Sahara central ; parce que, cherchant des chefs d’Etat, elle n’avait trouvé que des bandes uniquement préoccupées de l’accaparer à leur profit ; parce que Flatters avait recruté son escorte parmi des éléments sur lesquels il n’avait pas de prise, et qu’il s’était trouvé, au moment décisif, sans autorité sur les uns, sans force vis-à-vis des autres, à la merci des Chaanba et des Imanghasaten. »
Malheureusement, Flatters ne voulut convenir, ni vis-à-vis de lui-même, ni vis-à-vis des autres, que sa retraite avait été forcée et non volontaire. Il ne voulut pas se souvenir de la situation grave où s’était un moment débattue la mission, il prodigua les déclarations rassurantes, dans son ardent désir d’être admis à renouveler ses tentatives et de réussir. En vain quelques membres de la commission lui objectèrent qu’il avait été arrêté et presque spolié en route. « L’insuccès pouvait être douteux l’an dernier, écrivait Duponchel[195], il est parfaitement certain aujourd’hui. Dans tout nouvel explorateur qu’on leur enverra sans un appareil militaire suffisant pour garantir sa sécurité et lui ouvrir un passage à main armée, les indigènes du Sahara ne verront qu’une proie facile. »
Flatters n’osa pas non plus dénoncer les inconvénients de ce système bâtard[196], qui ôtait à la mission toute force militaire sans désarmer les défiances et les convoitises ;[85] il repartit sans emmener cette escorte régulière de 200 hommes que pendant son premier voyage il regrettait de ne pas avoir. Les règles qui auraient dû servir de base à l’organisation d’une entreprise de ce genre existent nettement tracées[197] dans les rapports et les écrits des Daumas, des Margueritte, qui ont commandé dans le Sud à l’époque où nous prenions pied dans cette région ; le colonel Flatters avait trop étudié les ouvrages écrits sur la matière pour ne pas savoir parfaitement ce qu’aurait dû être sa mission ; il ne fut pas maître d’appliquer ses idées et se vit forcé de composer sa caravane suivant l’opinion qui avait prévalu dans la Commission transsaharienne.
Le 4 décembre 1880, le lieutenant-colonel Flatters[198], ayant réorganisé sa mission, quitta Ouargla pour se diriger vers l’Ahaggar. La nouvelle mission comprenait quatre membres de l’ancienne, MM. Masson, Béringer, Roche et Guiard, auxquels étaient venus s’adjoindre MM. Santin, ingénieur civil, de Dianous, lieutenant au 14e de ligne, Dennery, Pobéguin, Marjolet et Brame. Le chef de la mission avait renoncé aux chevaux, eu égard aux inconvénients résultant de la nécessité d’emporter vivres et eau pour ces animaux ; le fait était très regrettable, car la première mission avait probablement dû son salut à ses chevaux. Pendant qu’il organisait sa caravane, Flatters reçut une réponse d’Ahitaghel, amenokal des Hoggar, auquel il avait annoncé son intention de revenir vers son pays. Cette réponse était négative, hautaine et menaçante : « Vous nous avez dit de vous ouvrir la route, nous ne vous[86] l’ouvrirons pas[199] ». Le colonel eut le tort d’ajouter foi à deux autres lettres, destinées à atténuer le mauvais effet de celle-là, et de ne pas tenir compte des avis peu rassurants qu’il recevait de toutes parts, notamment de M. Féraud, consul général à Tripoli[200]. En outre, il n’observa pas l’ordre de marche sévère qui est indispensable au Sahara, se gardant mal, ne craignant pas de faire lui-même, en avant de la colonne, des reconnaissances qui duraient plusieurs jours, laissant les visiteurs parcourir son camp à leur gré et leur accordant les cadeaux qu’ils demandaient[201]. Flatters allait être victime chez les Hoggar de son optimisme systématique, après avoir risqué le même sort chez les Azdjer.
D’Ouargla, la mission suivit une route non encore relevée par les Européens : l’Oued-Mya et le rebord oriental du Tademayt, pour aller rejoindre la vallée de l’Igharghar à Amguid. Elle donna de ses nouvelles d’Hassi-Inifel, d’Hasi-Messeguem, d’Amguid, enfin d’Inziman-Tikhzin (25° 30′ lat. N.), près de la saline d’Amadghor. Chacune de ses dépêches contenait une portion du journal de route, une carte dressée par l’ingénieur Béringer et une note géologique rédigée par l’ingénieur Roche. Dans la dernière, Flatters annonçait qu’il comptait atteindre en 25 jours Assiou, sur le grand chemin des caravanes qui vont de Tripoli à Kano par l’Aïr. Mais, 18 jours après avoir écrit ces lignes, à quelques journées de marche au Nord du puits d’Assiou, le colonel Flatters et ses compagnons étaient massacrés dans un guet-apens préparé par les guides, résolu à l’instigation des gens d’In-Salah, et pour lequel[87] toutes les fractions des Hoggar, sauf une, avaient fourni des contingents[202].
Après avoir quitté Inziman-Tikhzin, la mission passa à la Sebkha d’Amadghor et gagna le puits de Temassint. Le 16 février 1881, Flatters n’hésita pas à s’éloigner de son camp et à aller avec une faible escorte, poussant tous ses chameaux devant lui, rechercher l’emplacement du puits où il voulait abreuver ses animaux[203]. C’est là que lui et ses compagnons trouvèrent une mort héroïque, en faisant chèrement payer leur vie à leurs agresseurs. Le puits tristement célèbre où eut lieu le massacre, connu jusqu’ici sous le nom de Bir-el-Gharama, s’appelle en réalité Hassi-Tadjenout, dans l’Oued-Inhoaoene, ainsi que la mission Foureau-Lamy l’a depuis lors fait connaître. Ce point est situé à 108 kilomètres Ouest-Nord-Ouest de Tadent[204]. Les ossements ont été brûlés, il ne reste pour ainsi dire rien sur les lieux qui témoigne de la tragédie qui s’y déroula. Le puits est à sec et la région paraît n’être plus fréquentée depuis longtemps.
Les survivants de la mission s’enfuirent précipitamment, la plupart périrent dans leur longue et douloureuse retraite, semant la route de leurs cadavres ; manquant de vivres, mourant de faim, ils en étaient réduits à manger les cadavres de leurs compagnons, parfois même à achever les mourants pour les dévorer ; les bandes de Touareg rôdaient autour d’eux comme des hyènes, tantôt leur offrant des dattes empoisonnées avec la bettina (Hyosciamus[88] faleslez), tantôt leur disputant le passage. Une vingtaine d’indigènes seulement parvinrent à regagner Ouargla. On ne compte pas un seul Français parmi les survivants. Telle fut l’issue fatale de cette entreprise.
Les progrès que le colonel Flatters et ses compagnons ont fait faire à la géographie saharienne sont très considérables. De la deuxième exploration, on recueillit des fragments du journal de route provisoire, des feuilles d’itinéraire, des notes géologiques et météorologiques, des observations barométriques et astronomiques. On y joignit des extraits de la correspondance officielle et privée des explorateurs[205]. D’autre part, le Service des Affaires indigènes du Gouvernement général de l’Algérie publiait de son côté le journal de route de la deuxième mission, en le reconstituant à partir d’Inziman-Tikhzin avec les renseignements recueillis auprès des hommes qui avaient échappé au massacre. Les détails anecdotiques tiennent nécessairement la plus grande place dans les dépositions de ces survivants indigènes, qui furent interrogés à Laghouat par le lieutenant Massoutier, à Alger par le capitaine Bernard. Des pièces justificatives, lettres et rapports, avec quelques itinéraires par renseignements, complètent cet ouvrage[206].
La carte de l’Afrique septentrionale à 1/2.500.000e dressée par M. L. Pech et publiée par décision du Ministre des Travaux publics résume les travaux des missions Pouyanne, Choisy et Flatters, et fait connaître les progrès[89] qui leur sont dûs en ce qui concerne la géographie du Sahara septentrional[207].
Au point de vue politique, comme l’a très bien établi M. Schirmer[208], le massacre de la mission Flatters n’a pas été un de ces accidents qui défient les prévisions humaines : c’est l’épilogue retentissant d’un échec politique. « Il n’y a que deux moyens, ajoute M. Schirmer[209], de pénétrer dans cette région du Sahara : ou bien y aller seul, sans compagnon et sans escorte, en s’assurant par avance le patronage personnel d’un ou plusieurs chefs influents ; se faire petit, aussi peu encombrant que possible, convaincre ces nomades ombrageux et cupides qu’on est un personnage à la fois généreux et inoffensif : c’est le système que Duveyrier a employé jadis. Ou bien, et c’est le cas d’une mission proprement dite, constituer une petite colonne d’hommes disciplinés à toute épreuve, qui puisse s’avancer sans provocation, mais négocier sans faiblesse, et passer outre aux manœuvres dilatoires qu’emploient si volontiers les diplomates du désert.
L’émotion fut grande en France et en Algérie quand on connut la triste fin de la mission Flatters[210]. Cet échec était un coup décisif porté à notre prestige dans le Sahara. Les conséquences en furent encore aggravées par la décision prise alors par le Gouvernement de renoncer à châtier les[90] coupables. Divers projets avaient été mis en avant[211] : le lieutenant-colonel Belin, commandant supérieur de Laghouat, proposait une harka faite exclusivement au moyen d’indigènes ; le général Loysel, un coup de main indigène sur In-Salah, appuyé par une colonne sur El-Goléa ; le capitaine Bernard préconisait une mission scientifique sans objectif militaire, mais assez forte pour parer à tout danger et passer où il lui plairait. D’autres officiers préparaient un projet d’expédition chez les Hoggar, qui devait comprendre 250 hommes armés de fusils à répétition et 2 mitrailleuses. Ils se placèrent sous le patronage de Duveyrier, qui devait être leur chef ; l’illustre explorateur écrivit à son vieil ami Ikhenoukhen, et fit le voyage de Tripoli pour se renseigner sur la situation politique des régions sahariennes et sur les relations des Azdjer avec les Turcs[212].
Ces projets, tous parfaitement exécutables, furent écartés, et, à la grande surprise des Touareg, nous ne cherchâmes pas à venger nos morts.
Quant au Transsaharien, l’idée en fut momentanément abandonnée, et, pour clore la grande enquête ouverte en juillet 1879 par M. de Freycinet sur cette vaste conception, le conseil général des Ponts et Chaussées émit l’avis, dans sa séance du 21 juin 1881, « que, puisque l’entreprise d’un chemin de fer transsaharien ne pouvait être abordée que lorsqu’on aurait occupé d’une manière permanente et définitive le Sahara algérien, il y avait lieu d’ajourner toute décision sur le choix d’une ligne pour amorce de ce chemin de fer, et de ne donner suite aux avant-projets présentés[91] qu’autant que l’exécution en serait réclamée dans un intérêt politique et stratégique. »
En cette même année 1881, qui vit le massacre de la mission Flatters, se produisait un événement considérable dans notre histoire coloniale, événement vraiment décisif pour l’avenir de la France dans l’Afrique du Nord. Par le traité de Kasr-Saïd, du 12 mai 1881, la France établissait son protectorat sur la Tunisie. Les conditions de la pénétration saharienne allaient se trouver de ce fait profondément modifiées et améliorées, puisque cette pénétration, au lieu d’avoir pour base l’Algérie seule, allait s’appuyer également sur la régence de l’Est ; celle-ci, présentant par le golfe des Syrtes une échancrure du continent africain qui met la mer en contact direct avec le désert, semblait devoir offrir des facilités particulières pour l’établissement de relations politiques ou commerciales avec le hinterland saharien.
Du côté du Sénégal, après un long temps d’arrêt, les grands projets conçus par Faidherbe étaient repris et poursuivis. Le colonel Brière de l’Isle et l’amiral Jauréguiberry se firent les champions de ces projets, qui donnaient les postes du Haut-Sénégal, et non l’Algérie comme têtes de lignes aux routes commerciales du Soudan. Un poste était établi à Bafoulabé en 1879, à Kita en 1881. Diverses missions d’études furent envoyées ; la principale fut celle du capitaine Gallieni en 1881, qui entra en relations avec le roi de Ségou, Ahmadou, et obtint des résultats géographiques et politiques considérables. Les levés de la mission Derrien ayant démontré l’absence de grands obstacles, on décida, en 1881, la construction d’une[92] première section du chemin de fer du Sénégal au Niger, celle de Kayes à Bafoulabé[213].
Le Gabon comme le Sénégal servait de point de départ à l’acquisition de vastes domaines. Les explorations de Marche, de Brazza et de Ballay attirèrent l’attention publique sur le bassin du Congo. En 1879, P. Savorgnan de Brazza, déjà connu par une exploration de trois ans dans l’Ogooué (1875-78), fondait Franceville, et en 1880 Brazzaville sur le Congo.
[171]In-8o, Paris, 1830.
[172]Cité par P. Leroy Beaulieu, Le Chemin de fer Transsaharien, R. D. M. 1er juillet 1899, p. 94.
[173]A. Duponchel, Le Chemin de fer de l’Afrique centrale, Montpellier, 1875. — Id., Le Chemin de fer de l’Afrique centrale, extr. de la Revue de France, 1877.
[174]A. Duponchel, Le Chemin de fer transsaharien, études préliminaires du projet et rapport de mission, Paris, 1879.
[175]Schirmer, Le Sahara, p. 401.
[176]C. R. des Séances de la Commission supérieure du transsaharien, 1879-1880 (autogr.).
[177]Ministère des Travaux publics, Documents relatifs à la mission dirigée au Sud de l’Algérie par M. Pouyanne, Paris, Impr. Nat., in-4o, 1886.
[178]Coyne, Une ghazzia dans le Grand Sahara, in-8o, Alger, 1881. Coyne est également l’auteur d’une excellente brochure sur le Mzab, in-8o, Alger, 1879.
[179]Documents, III, p. 137.
[180]C. Sabatier, Mémoire sur la géographie physique du Sahara Central (Bull. Soc. Géogr. d’Oran, 1880, p. 271). — Id., La question du Sud-Ouest, in-8o, Alger, 1881. Cf. Mission Pouyanne, p. 178.
[181]Ministère des Travaux Publics. Documents relatifs à la mission dirigée au Sud de l’Algérie par M. Choisy, in-4o, Paris, Impr. Nat. 1890.
[182]Georges Rolland. Géologie et Hydrologie du Sahara algérien, 2 vol. de texte et 1 atlas, in-4o, Paris, Impr. Nat., 1890-94. Cf. Id., Sur le Terrain crétacé du Sahara septentrional (Bull. Soc. Géol. Fr., 1881, p. 508). — Id., Sur les grandes dunes de sable du Sahara (Bull. Soc. Géol. Fr. 1882, p. 31). Id., Hydrographie et orographie du Sahara algérien (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1886, p. 203).
[183]Ministère des Travaux Publics, Documents relatifs à la mission dirigée au Sud de l’Algérie par le lieutenant-colonel Flatters, Paris, Impr. Nat. 1884, in-4o. Il existe, du Journal de route imprimé dans ce volume, un texte autographié qui a été remis en 1881 aux membres de la Commission supérieure du Transsaharien. Cf. Derrécagaix, Les deux Missions du Colonel Flatters (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1882, p. 131). — F. Bernard, La sebkha d’Amadghor et le massacre de la mission Flatters (Bull. Soc. Géogr., Paris, 1882). — Id., Deuxième mission Flatters, historique et rapport rédigés au Service central des affaires indigènes, avec carte, in-8o, Alger, 1882. — Id., Deux missions françaises chez les Touareg, Alger, in-8o, 1882. — Id., Quatre mois au Sahara, Paris, 1882. — Id., Deux missions françaises chez les Touareg, Alger, in-8o, 1896. — Anonyme (le capitaine Bernard) Les deux missions Flatters, par un membre de la première mission, in-18, Paris, Dreyfous, 1884. — H. Brosselard, Voyage de la mission Flatters au pays des Azdjer, in-8o, Paris, 1883. — Id., Les deux missions Flatters, Paris, 1888, in-16. — F. Patorni, Les tirailleurs algériens au Sahara. Récits de trois survivants de la mission Flatters, in-8o, Constantine, 1884. — Récits d’un des survivants indigènes de la deuxième Mission (Mohamed ben Haoua), dans Chron. trimestr. des Missions d’Afrique, juillet 1881. — Rabourdin, Algérie et Sahara, in-8o, Paris, 1882.
[184]Documents relatifs à la mission Flatters, p. 1.
[185]Schirmer, Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts (Bull. Soc. Géogr. de Lyon, 1896). Nous prendrons cette excellente brochure pour guide dans l’exposé de ce qui est relatif aux deux missions Flatters.
[186]Cité par Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 22-23.
[187]Sur le meurtre de Mlle Tinné, v. H. Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 19, note 1 ; Ann. de Géographie, 1898, p. 183, et la polémique avec M. P. Vuillot dans Questions Dipl. et Col. 15 janv. et 15 fév. 1898, et Bull. Afr. Fr. 1898, p. 313.
[188]P. Vuillot, p. 178.
[189]F. Bernard, Deux missions françaises chez les Touareg, p. 134.
[190]Documents relatifs à la mission Flatters, p. II.
[191]H. Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 20.
[192]Schirmer, art. cité, p. 13.
[193]Vuillot, p. 185.
[194]Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 20.
[195]A. Duponchel, Lettre à la Commission supérieure du Transsaharien, Montpellier, 1880, p. 12.
[196]H. Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 21.
[197]Deuxième mission Flatters, Historique et rapport rédigés au Service central des Affaires indigènes, p. 333.
[198]Ibid., notamment 327 et suiv.
[199]Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. réd. au Serv. centr. des Aff. indig., p. 3-4.
[200]Ibid., p. 141 et suiv.
[201]Vuillot, p. 197.
[202]Cela résulte très clairement de l’enquête qui suivit la catastrophe (Histor. et Rapp. du Serv. centr. des Aff. Indig.).
[203]Deuxième Mission Flatters, Histor. et Rapp. du Serv. centr. des Aff. Indig., p. 97 et suiv., 201 et suiv.
[204]F. Foureau, D’Alger au Congo par le Tchad, 8o, Paris, 1902, p. 104 et suiv.
[205]Documents relatifs à la mission dirigée au Sud de l’Algérie par le colonel Flatters, Paris, Impr. Nat. in-4o, 1884.
[206]Gouvernement Général de l’Algérie, Deuxième Mission Flatters, Historique et rapport rédigés au Service central des Affaires indigènes, in-8o, Alger, 1882.
[207]Carte d’une partie de l’Afrique Septentrionale, résumant les travaux des missions dirigées en 1879-81 par MM. Flatters, lieutenant-colonel ; Pouyanne, ingénieur des Mines ; Choisy, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, complétée à l’aide des cartes des voyages de Barth, Duveyrier, Rohlfs, dressée par L. Pech, publiée par décision du Ministre des Travaux Publics, à 1/2.500.000e 1883, 4 feuilles.
[208]Schirmer, Pourquoi Flatters, etc., p. 8.
[209]P. 23.
[210]Kryzanowski, Quest. Diplom. et Colon., 1899, t. VII, p. 132.
[211]Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. rédiges au Serv. Centr. des Aff. indig., p. 137 et suiv., 345 et suiv.
[212]Commandant Wolff, Henry Duveyrier, son dernier projet de voyage dans le Sahara, lettres inédites (Congrès Nat. des Soc. Fr. de Géogr., XIXe session, Marseille, 1898, p. 490).
[213]Paul Bourde, La France au Soudan, Revue des Deux-Mondes, 1880, 1er déc., p. 659 ; 1881, 1er févr., p. 689.
LA PÉRIODE D’EFFACEMENT (1881-1890)
I. Conséquences du massacre de la mission Flatters. — Création du poste d’Aïn-Sefra et insurrection de Bou-Amama (1881). — Projets de Saussier sur Figuig (1882). — Occupation du Mzab (1882), de Ouargla, de Touggourt, d’El-Oued, de Djenien-bou-Rezg (1885). — Inauguration des voies ferrées d’Aïn-Sefra (1887) et de Biskra (1888). — Sondages artésiens dans l’Oued-Rir et à Ouargla. — Idées du commandant Rinn.
II. Explorations. — Les Pères Richard, Morat et Pouplard (1881). — Première mission Foureau (1883). — Teisserenc de Bort (1885). — Palat (1886). — Douls (1889).
III. Cartographie. — Renseignements recueillis par MM. de Castries (1882) et Le Châtelier (1885-86). — Missions de M. René Basset. — Ouvrages de MM. de Motylinski, Masqueray, Amat sur le Mzab. — Les Touareg Taïtoq prisonniers : travaux de MM. Masqueray et Bissuel.
IV. Mission Crampel. — Fondation du Comité de l’Afrique française.
Le massacre de la mission Flatters marque un nouveau temps d’arrêt dans la pénétration saharienne. Ce temps d’arrêt a plus de gravité et entraîne des conséquences plus fâcheuses que celui qui s’était produit en 1864. En 1864, on nous savait occupés ailleurs ; nous remettions à plus tard pour profiter d’un succès, la convention de Ghadamès ; en 1881, notre effacement ne pouvait être attribué qu’à la timidité et à la crainte, car nous attendions pour tirer vengeance d’un échec, le désastre de la mission Flatters. Aussi l’audace de nos adversaires sahariens, enhardis par notre faiblesse, va-t-elle sans cesse en croissant,[94] et de nouvelles victimes viennent s’ajouter à la liste déjà longue des explorateurs qui ont trouvé la mort dans le Sahara. « Si vous ne faites rien, disait un indigène de Tripoli à M. Féraud, qu’aucun des vôtres n’essaie plus de s’avancer dans le Sud : le Targui, convaincu de votre faiblesse, tuera et tuera toujours les vôtres[214]. »
La Division d’Oran proposait depuis longtemps d’envoyer une colonne dans le Sud pour y montrer notre drapeau[215]. Les événements allaient bientôt se charger de démontrer la nécessité d’une action vigoureuse. C’est alors, en effet, qu’éclata l’insurrection de Bou-Amama, petit marabout indigène qui ne fut en somme que l’habile instigateur d’un grand rezzou. Bou-Amama n’a pas créé de toutes pièces une rébellion ; son action a été la résultante d’une situation telle, qu’à son défaut un autre instigateur plus redoutable eût pu se dresser contre nous. On put alors se rendre compte de la prévoyance du général Cérez, commandant de la division d’Oran, lorsqu’il demandait avec instance, depuis deux ans, l’envoi d’une colonne dans ces régions pour y rétablir notre autorité et y fonder un poste permanent. Dès que les événements le permirent, on reprit le projet d’installation de ce poste. On choisit la localité d’Aïn-Sefra, au centre de la région des Ksour, qui allait nous permettre désormais d’exercer sur la contrée une active surveillance. Mais cette installation demandait à être complétée par une action vigoureuse de nos troupes. En 1881, le général Delebecque reparut dans la région de Figuig, que nous n’avions pas abordée depuis 1870[216]. En 1882, le commandant Marmet, en poursuivant[95] des dissidents, eut un engagement sous Figuig avec les habitants de l’oasis, qui accentuaient de plus en plus leur hostilité. Le général Saussier proposait d’en finir avec ces Ksouriens et d’assurer enfin la sécurité de notre frontière ; mais il ne reçut pas l’autorisation d’agir.
Cependant les velléités d’énergie que nous avions montrées dans le Sud-Oranais, où nous avions poussé jusqu’à Fendi[217], sur la rive droite de l’Oued-Zousfana, et jusqu’à l’Oued-Zelmou, un des affluents supérieurs de l’Oued-Guir, allaient bientôt porter leurs fruits. En 1883, le général Thomassin obtenait la rentrée des Ouled-Sidi-Cheikh Cheraga, éloignés de nous depuis 1864. C’était la fin de cette guerre d’escarmouches perpétuelles qui durait depuis vingt ans[218].
En mars 1885, le général Delebecque décidait d’élever un poste fortifié à Djenien-bou-Rezg, destiné à couvrir les communications qui relient Figuig à Aïn-Sefra à travers les montagnes et à surveiller l’oasis marocaine. Djenien fut occupé en juillet 1885 ; malheureusement, les travaux d’installation du nouveau poste, à peine commencés, durent être interrompus, et le bordj ne fut achevé qu’en décembre 1888. La réserve que nous nous étions imposée en cette circonstance ne pouvait qu’être mal interprétée par les indigènes de ces régions, et c’est ce qui eut lieu en effet.
Entre temps, on s’était décidé à donner au nouveau poste d’Aïn-Sefra toute sa force en prolongeant la voie ferrée jusqu’à ce ksar ; parvenue à Méchéria en 1882, elle atteignit Aïn-Sefra en 1887.
Dans les deux provinces de l’Est, Laghouat et Biskra[96] étaient restées, en somme, les limites de notre occupation effective. Sous prétexte que les Ouled-Sidi-Cheikh avaient tiré du Mzab une partie de leurs approvisionnements pendant l’insurrection, on transforma en annexion le protectorat du maréchal Randon[219]. Cette mesure fut peut-être inutile ou même nuisible, car elle était de nature à compromettre l’avenir de ce pays artificiel[220]. On la compléta en occupant ou réoccupant successivement Touggourt et El-Oued, dans la division de Constantine, et Ouargla dans celle d’Alger. En 1888 fut inaugurée la voie ferrée de Biskra.
Dans l’Oued-Rir, l’exemple donné par la Compagnie de l’Oued-Rir fut bientôt suivi par d’autres Européens, qui y créèrent à leur tour des exploitations prospères. MM. G. Rolland et de Courcival fondèrent la Société de Batna et du Sud-Algérien, qui créa les oasis nouvelles d’Ourir et de Sidi-Yahia (1882), et de Ayata (1884), pendant que la Compagnie de l’Oued-Rir créait Chria-Saïa (1881), et acquérait du capitaine Ben-Driss l’oasis de Tala-en-Mouidi, créée par lui en 1879[221]. De 1856 à 1890, le nombre des oasis de l’Oued-Rir a été porté de 33 à 42 ; le chiffre de la population a doublé. Le nombre des palmiers a monté de 360.000 à 630.000, leur valeur de 1.300.000 francs à plus de 10 millions de francs ; 136 puits artésiens ont été[97] forés suivant la méthode française, débitant plus de 200.000 litres à la minute[222].
Dans la région d’Ouargla[223], depuis 1883, époque où le premier coup de sonde fut donné, 54 sondages ont été tentés, dont la grande majorité a réussi (débit total de 7.440 litres à la minute en 1892). A El-Goléa, des puits artésiens ont été forés avec succès.
En Tunisie, une organisation militaire fut créée dans l’Arad de Gabès, peu de temps après la conquête : c’est le système des trois points de Médenine, Metameur et Tatahouine.
En 1886, le commandant Rinn[224], étudiant l’état des frontières sahariennes de l’Algérie, conseillait de porter notre ligne de postes militaires tout contre les Areg, et préconisait notamment l’occupation d’Igli, à défaut de celle du Touat. Igli, placé sur la rive de l’Oued-Saoura, à proximité de l’Oued-Guir et de l’Oued-Zousfana, fermerait l’ouverture entre nos derniers établissements du Sud-Oranais et les Areg[225]. M. Rinn conseillait surtout la construction progressive de voies ferrées, ouvrant le pays à l’avant et garantissant sa soumission à l’arrière.
Au delà de nos frontières et de la région occupée par nos troupes, le Sahara se fermait de plus en plus. La[98] douloureuse émotion causée par le désastre de la mission Flatters était à peine calmée, que le Sahara faisait de nouvelles victimes. Le bon accueil relatif que le P. Richard avait trouvé en 1879 chez les Imanghasaten et les Ifoghas avait fortifié sa résolution d’aller fonder une mission à Ghat même[226]. Ce missionnaire, brillant tireur, cavalier intrépide, médecin réputé infaillible, était devenu Arabe au point de voyager avec les caravanes sans laisser soupçonner qu’il fût Français, et put faire ainsi à plusieurs reprises la course dangereuse d’Ouargla à Ghadamès[227]. A la fin de décembre 1881, le Père Richard, accompagné des Pères Morat et Pouplard, partit de Ghadamès, suivi de quelques Chaanba et guidé par des Touareg Imanghasaten, avec l’intention de gagner Ghadamès. On apprit bientôt que les trois Pères Blancs avaient été assassinés par les Touareg peu de jours après leur départ. En 1893, M. Foureau, au retour d’une de ses missions, put visiter le lieu du massacre, à 11 kilomètres seulement à l’ouest de Ghadamès, un peu au nord de la route de Ghadamès à Hassi-Imoulay ; il rapporta les ossements de deux des victimes. Le cardinal Lavigerie, à la suite de ce meurtre, renonça à la voie du Sahara pour étendre ses missions dans le centre africain. Il se borna désormais à entretenir des stations de missionnaires à Ghardaïa, Ouargla et El-Goléa[228].
Le Gouvernement de l’Algérie parut lui aussi se désintéresser désormais des explorations sahariennes. Aussi ce fut au Ministère de l’Instruction publique que s’adressa M. Foureau pour obtenir l’appui qui lui était nécessaire, et c’est avec son aide qu’il put entreprendre, en décembre[99] 1882, son premier voyage saharien. Son intention était d’aller au moins jusqu’à Hassi-Messeguem. Partant d’Ouargla, il gagna directement Aïn-Taïba par Hassi-Djeribia. Ses guides Chaanba refusant d’aller plus loin, à cause de l’insécurité du medjebed d’In-Salah à Ghadamès, il revint à Hassi-Djeribia, puis poussa une pointe dans le Sud-Ouest sur Hassi-Ouled-Aïch par Hassi-Tamesguida et Hassi-Chaanbi. Il reprit ensuite le chemin d’Ouargla, laissant à sa gauche la vallée de l’Oued-Mya. Bien qu’il n’eût pas accompli son programme primitif, il rapportait des renseignements intéressants sur le Sud du Sahara d’Ouargla. Son itinéraire du Hassi-Djeribia au Hassi-Ouled-Aïch est entièrement nouveau, et le voyageur a fixé l’emplacement de tous les puits visités sur une carte au 1/500.000e qui reproduit dans ses moindres détails le relief de la région parcourue[229].
En 1883, M. Bourlier, qui venait de visiter Ouargla, songea à pousser une pointe sur In-Salah. Mais on le dissuada de donner suite à ce projet ; pour qu’une pareille entreprise réussisse, lui disait-on, il faut qu’elle soit exécutée avec rapidité, afin de ne pas laisser à ceux qui pourraient y porter obstacle le temps de se reconnaître ; mais alors les résultats en sont peu profitables pour la science.
En 1885, M. L. Teisserenc de Bort, accompagné de M. R. Deschellereins, ingénieur civil, et de M. Bovier-Lapierre, préparateur au Muséum, partit de Touggourt et s’avança jusqu’à Hassi-Ould-Miloud, dans l’Igharghar. Puis, inclinant vers le Sud-Est, il alla passer à Bir-Aouidef[100] et remonta ensuite sur Berresof, gagnant de là le Nefzaoua et Gabès[230]. En 1888, M. L. Teisserenc de Bort parcourut le sud de l’Algérie ; il s’avança jusqu’à El-Goléa, et remontant l’Oued-Seggueur, par Daïat-el-Hamra, atteignit Brézina[231].
Ces excursions sur les confins immédiats de nos possessions demeurent seules possibles pendant cette période ; ceux qui tentent de s’avancer au-delà succombent. L’un de ces derniers fut Marcel Palat, lieutenant de cavalerie, qui avait publié, sous le pseudonyme de Marcel Frescaly, plusieurs volumes de poésies ou de nouvelles algériennes qui ne sont pas sans quelque mérite. Palat, qui avait obtenu une mission et des fonds du Ministère de l’Instruction publique, comptait d’abord partir du Sénégal. L’opposition des bureaux de la Marine et la promesse de Si Hamza de l’accompagner jusqu’à In-Salah le décidèrent à pénétrer par la province d’Oran (1885). Mais Si Hamza, empêché au dernier moment, le confia à un de ses parents éloignés ; Si Kaddour devait le rejoindre au Gourara et le conduire à In-Salah. Palat se rendit d’abord à El-Goléa, puis suivit l’Oued-Meguiden ; il séjourna quelque temps dans les ksour du Tinerkouk (Gourara septentrional), où il fut rejoint non par Si Kaddour, mais par son fils Mohammed. Palat se rendit dans l’Aouguerout[232] et de là poussa seul une pointe jusque chez Bou-Amama, dans le Deldoun, où il reçut un bon accueil. De retour dans l’Aouguerout, il quitta définitivement ses compagnons de route, les Ouled-Sidi-Cheikh, pour se confier à des gens des Ouled-ba-Hammou,[101] venus soi-disant le chercher de la part d’Abd-el-Kader ben Badjouda, cheikh d’In-Salah. Quatre jours après, Palat était assassiné à Hassi-Cheikh, à l’Ouest d’In-Salah, avec son interprète Belkassem.
Quoique les détails de cette fin tragique et ses causes ne soient pas exactement connus, et que l’endroit même où périt le jeune officier n’ait pas pu être déterminé d’une façon exacte[233], il semble qu’il ne faut pas en accuser seulement une bande de pillards des Ouled-ba-Hammou[234] ; ni la responsabilité de Bou-Amama, ni celle des gens du Gourara ne parait engagée dans cette mort ; mais il n’en est pas de même des gens d’In-Salah, qui avaient fourni à Palat les guides qui le tuèrent. D’ailleurs, une pareille issue était plus que probable, étant donné les conditions de l’exploration de Palat ; si Rohlfs avait pu parcourir les oasis en 1864, c’est qu’il voyageait, comme il le dit lui-même, sous le masque de l’Islam, à une époque où les populations du Touat ne se sentaient pas encore menacées par la venue des chrétiens : il en était autrement en 1885. Peut-être cependant la mission eût-elle fini moins tristement si le Gouvernement général et les Ouled-Sidi-Cheikh avaient déployé en sa faveur une action plus énergique.
La fin de Camille Douls est enveloppée de plus d’obscurité encore que celle de Palat. Elle n’est connue que grâce à des renseignements recueillis par les officiers français dans le Sud-Algérien, et consignés dans une lettre adressée au Président de la Société de Géographie de Paris par le général Poizat, commandant la division d’Alger[235]. Douls était un jeune voyageur français qui voulait[102] parcourir le Sahara en se faisant passer pour musulman et même pour hadji ; mais il n’avait qu’une connaissance insuffisante des idiomes et des coutumes de l’Afrique musulmane. Après un premier voyage au Sahara occidental, il partit en compagnie de deux pèlerins marocains ; il s’était muni, paraît-il, de lettres de recommandation du chérif d’Ouazzan. Il se rendit au Touat, refaisant vraisemblablement l’itinéraire suivi par Rohlfs en 1864. Il fut reconnu comme Européen bien avant d’atteindre le Reggan ; tout alla à peu près bien jusqu’à l’Aoulef, mais avant d’atteindre les oasis d’Akabli, au lieu dit Iliren, le voyageur fut assassiné par des Touareg avec qui il avait fait marché pour être conduit à Tombouctou[236].
Mentionnons encore quelques projets d’exploration ou de pénétration commerciale qui n’eurent pas de suite. En 1886, le général Philebert propose de conduire à Amadghor, en passant par El-Goléa, Farès-oum-el-Lil, Teganet, Kheneg-el-Hadid et Idelès, une colonne suffisante pour n’avoir rien à craindre des Touareg, et de former en ce point des caravanes qui seraient envoyées dans les directions de Tombouctou par Timissao, de Kano par l’Aïr et de Kouka par Ghat, Kaouar et Bilma. Si la seconde partie de ce projet paraît peu pratique, la première en revanche, qui consistait à se montrer en force dans l’Ahaggar, aurait eu sans doute les meilleurs résultats.
En 1889, M. E. Bonhoure propose d’occuper pacifiquement le Touat et le Tidikelt et d’y fonder un établissement commercial, en un point bien choisi entre In-Salah et Akabli. Le Gouvernement général émit l’avis que ce projet, pour produire des résultats avantageux, devrait être[103] précédé de tentatives qui permettraient à nos négociants de s’initier aux choses du Sahara.
En 1890, MM. Hackemberger, ancien officier, et Flault, commis à l’inspection académique de la Sarthe, sollicitent du Ministre de l’instruction publique une mission pour se rendre d’Algérie à Tombouctou et au Sénégal. Sur un rapport de Duveyrier et un avis conforme du Gouvernement général, ces demandes sont rejetées parce que leurs auteurs ne sont nullement préparés par leurs études antérieures à accomplir un tel voyage et que les dangers à courir sont trop grands pour des résultats bien précaires.
A défaut d’explorations, il faut se contenter, pendant cette période, de progrès cartographiques ou scientifiques et de renseignements indirects. En 1885, le Service géographique de l’armée commençait la publication d’une carte d’Afrique à 1/2.000.000e, dressée par le commandant Lannoy de Bissy, qui mit à profit toutes les cartes françaises et étrangères, ainsi que les renseignements fournis par les recueils géographiques et les relations de voyages ; elle donnait autant que possible tous les itinéraires des explorateurs. La première édition de cette carte fut publiée de 1881 à 1890, en deux couleurs (planimétrie en noir, figuré du terrain en gris bleuté).
Lors de la réapparition de nos armes dans la région de Figuig en 1881-82, le capitaine Henry de Castries avait souvent campé dans les environs des oasis avec nos colonnes, mais sans pénétrer dans aucun ksar[237]. Après avoir levé la partie ouest des plateaux oranais en 1878, il[104] avait dressé la carte de la région des ksour en 1880-82[238]. En juin 1883 paraissait une réédition de la carte du Sud-Oranais au 1/400.000e, revue et complétée d’après les travaux de M. Castries et de diverses autres officiers[239]. En 1886, le Service géographique publiait également une carte provisoire du Sud-Oranais à 1/200.000e[240]. La même année, le Gouvernement général publiait une carte de l’Extrême-Sud de l’Algérie à 1/800.000e[241].
Après l’occupation de la Tunisie, le progrès géographique marche de pair avec le progrès de la pacification. Une première carte du Djebel-Douirat accompagne Le Sud de la Tunisie, par le commandant Rebillet (1886). Vers la même époque paraît la carte du Service géographique de l’armée à 1/200.000, dite Carte de reconnaissance, œuvre tout à fait remarquable comme rapidité topographique et aussi comme exactitude. La limite sud de cette carte longe le bord méridional du Djerid et du Nefzaoua : elle pousse ensuite une pointe dans le Sahara jusqu’au poste romain d’El-Haguef ; elle donne le Djebel-Douirat et ses ksour[242].
En matière de cartographie privée il faut mentionner la carte du Sahara septentrional par laquelle M. Foureau préludait à ses explorations ultérieures[243].
[105]En outre de ses travaux cartographiques, le capitaine de Castries avait recueilli, dans la région de Figuig, les éléments d’un remarquable et consciencieux mémoire[244], demeuré jusqu’à ces dernières années le meilleur guide sur la grande oasis saharienne.
En 1886, le capitaine Le Châtelier publiait dans le Bulletin de la Société de Géographie[245] un intéressant mémoire sur le Régime des eaux du Tidikelt, et, dans le Bulletin de Correspondance Africaine[246], une Description de l’oasis d’In-Salah d’après les renseignements recueillis pendant un séjour de 18 mois à Ouargla. Il y traite de la géographie du territoire d’In-Salah, des populations nomades et sédentaires, de leur constitution sociale et politique, de la situation commerciale. Les renseignements et itinéraires indigènes ont été vérifiés et critiqués avec soin[247] ; c’est une œuvre de recherches minutieuses et savantes autant que d’érudition. Le même auteur a écrit l’histoire d’une bande de pillards Chaanba, qui ont tenu le Sahara pendant dix ans, de 1874 à 1883, et dont l’épopée forme un curieux chapitre de l’histoire saharienne[248].
Diverses missions de M. René Basset intéressent la géographie saharienne, celle notamment qu’il accomplit en 1881 à Aïn-Madhi, et au cours de laquelle divers itinéraires au Sahara central lui furent communiqués par le bureau arabe de Laghouat ; il les a publiés et commentés[106] avec l’érudition la plus sûre et la plus étendue[249]. Dans un autre ordre d’idées, la mission de M. René Basset au Mzab et à Ouargla en 1886 doit être mentionnée ; il y faisait des recherches sur les manuscrits arabes des zaouïas des oasis du Sud[250] et en rapportait de précieux matériaux non seulement sur le dialecte parlé par les Mozabites, mais aussi sur d’autres dialectes berbères, notamment sur celui des Aoulimmiden[251].
Les curieuses populations du Mzab continuent d’ailleurs à intéresser les savants. En 1885, M. de Motylinski donnait une excellente notice sur Guerara[252] ; il dressait le catalogue des livres des Beni-Mzab et analysait leurs principales chroniques[253]. En 1886, Masqueray publiait son œuvre la plus considérable au point de vue historique, la Formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie[254] ; un tiers de ce bel ouvrage est consacré aux populations du Mzab, que le Dr Ch. Amat, chargé de l’organisation du service médical au Mzab, étudiait peu après à son tour à un point de vue différent[255].
Vers la fin de 1887, des Touareg Taïtoq et Kel Ahnet[107] furent amenés à Alger et internés au fort Bab-Azoun, à la suite d’une expédition malheureuse qu’ils avaient entreprise chez les Chaanba Mouadhi. Masqueray se mit en relations avec eux, fit faire à deux d’entre eux, Kenan-ag-Tissi et Chekkad-ag-Râli, le voyage de Paris en 1889, et publia son Dictionnaire français-touareg[256], celui-là même qu’il avait dû se faire pour converser avec eux dans leur langue. La mort ne lui a pas permis d’achever cette publication, mais le dernier fascicule du Dictionnaire, ainsi que les textes, ont été publiés par les soins de M. René Basset, qui a succédé à Masqueray dans la direction de l’Ecole des Lettres d’Alger. Masqueray a publié aussi, dans divers journaux, des contes touareg, des descriptions de la vie et des mœurs des Touareg, où l’imagination a peut-être une trop grande part, mais qui sont néanmoins une importante contribution à la connaissance des populations du Sahara.
Ces mêmes Touareg du fort Bab-Azoun fournirent à M. le capitaine Bissuel, chef de bureau arabe, la matière d’un ouvrage qui intéresse plus directement encore la géographie. Chargé par le général Poizat, commandant la division d’Alger, d’interroger ces captifs et d’obtenir d’eux le plus de renseignements possible sur leur pays, M. Bissuel réussit au delà de toute espérance, et se fit donner de précieuses indications géographiques, consignées dans son ouvrage Les Touareg de l’Ouest[257], accompagné de deux cartes portant, l’une les routes suivies par[108] les Touareg de l’Ouest, l’autre l’Adrar-Ahnet à l’échelle approximative de 1/800.000e, d’après un plan en relief exécuté par ces indigènes. Les renseignements recueillis par M. Bissuel sur la direction des vallées de ce massif ne concordent pas avec ceux de M. Sabatier[258].
Les Touareg Taïtoq sont encore liés d’une autre manière à l’histoire de l’expansion française en Afrique. L’un d’eux, Chekkad, fut donné comme guide au jeune explorateur Paul Crampel, qui se proposait, partant du Congo, de gagner le lac Tchad. La mission Crampel fut anéantie, et le Targui, malgré les protestations d’amitié qu’il envoyait à Masqueray, doit vraisemblablement porter la responsabilité du massacre.
Le domaine de la France dans l’Afrique occidentale s’est considérablement étendu pendant cette période décennale. En 1890, les Etats situés sur les rives du Sénégal sont, ou directement administrés par nos agents, ou soumis à notre influence. A l’Est et au Sud, nous avons débordé sur les pays soumis de trois côtés à la fois, au Soudan (Haut-Niger), dans le Fouta-Djallon, aux Rivières du Sud. Ces résultats ont été obtenus avec des forces militaires très restreintes. En 1887, le lieutenant de vaisseau Caron s’est même avancé sur le Niger jusqu’à Kabara, port de Tombouctou. Mais l’exécution de la voie ferrée du Sénégal au Niger a été poursuivie avec une extrême lenteur. Les changements de personnel, la cherté des envois, faits souvent pendant la mauvaise saison, le[109] gaspillage du matériel, enfin deux épidémies de fièvre jaune absorbèrent la majeure partie des crédits[259] ; au bout de deux ans, 40 kil. seulement étaient construits, et c’est seulement en 1888 qu’on atteignit Bafoulabé (132 kil.)[260].
Pendant ce temps se passait sur le Bas-Niger un événement d’une bien autre portée. En 1884, les Compagnies françaises qui avaient remonté le Niger et y avaient fondé des comptoirs, lassées d’une lutte inégale et n’étant pas soutenues par le Gouvernement, se laissèrent acheter leurs comptoirs par leurs concurrents anglais. La Compagnie anglaise ne perdit pas de temps. Pour prévenir le retour d’un semblable péril, elle se fit décerner en 1886 une charte royale lui donnant le droit d’administrer le pays, et dès le 18 octobre 1887, l’Angleterre notifiait officiellement son protectorat sur les territoires possédés par la Compagnie du Niger[261].
Nos comptoirs de la Côte-d’Ivoire, Grand-Bassam et Assinie, ont servi de point de départ à de nombreux explorateurs qui ont entrepris la conquête pacifique de l’arrière-pays. En 1888, le capitaine Binger signait à Kong un traité de protectorat qui nous attribuait une partie de l’immense boucle du Niger, jusque là à peu près inconnue.
L’acquisition de la nouvelle colonie donnée à la France par de Brazza avait été ratifiée par le Parlement en 1882 ; à la suite du Congrès de Berlin, l’Association internationale africaine devenait l’Etat indépendant du Congo, dont le roi des Belges, Léopold II, était reconnu souverain. Les limites entre cet Etat et le Congo français furent fixées par un traité de 1887, qui assignait comme limite à la France la rive droite de l’Oubangui, depuis[110] son confluent avec le Congo jusqu’à sa source. De même que l’Ogooué nous avait conduit au Congo et le Congo à l’Oubangui, l’Oubangui à son tour nous conduisit vers le lac Tchad et vers le Haut-Nil.
C’est par cette voie que nos explorateurs ont pénétré dans l’Afrique centrale, cherchant d’une part à relier par le lac Tchad le Congo à l’Afrique nigérienne et soudanienne, de l’autre à se rapprocher de la vallée du Nil.
La pénétration saharienne prend une allure différente à partir de 1890. C’est cette année-là que fut fondé le Comité de l’Afrique française, qui a joué un si grand rôle dans la fondation de l’empire colonial français en Afrique, et a provoqué le grand mouvement d’opinion qui rendit les entreprises africaines populaires en France. La mort de Crampel n’arrêta pas l’action du Comité ; les projets du jeune explorateur furent repris et exécutés par d’autres missions. Enfin, le 5 avril 1890, une convention franco-anglaise partageait entre la France et l’Angleterre une partie des territoires sahariens et soudaniens. Le « partage de l’Afrique », commencé pendant la période précédente, va marcher à pas de géant pendant la période décennale qui termine le XIXe Siècle. Du côté de l’Afrique septentrionale, notre politique, quoique bien timide encore, est un peu plus active que dans la période précédente. M. Jules Cambon, Gouverneur général de l’Algérie, manifeste de diverses manières l’intérêt qu’il porte aux questions sahariennes, et, bien que cet intérêt soit généralement demeuré platonique, son gouvernement marque une reprise de la pénétration saharienne. En dernier lieu, la mission Foureau-Lamy et la mission Flamand-Pein sont venues apporter ou tout au moins préparer la solution de questions pendantes depuis plus de trente ans, et ouvrir véritablement une ère nouvelle.
[214]Deuxième mission Flatters, Histor. et rapp. rédigés au Serv. Centr. des Aff. Ind., p. 164.
[215]Documents, II, p. 103.
[216]Id., II, p. 525.
[217]Documents, II, p. 119.
[218]Id., II, 115.
[219]Robin, Le Mzab et son Annexion à la France, Alger, 1884.
[220]Dr Amat, Le Mzab et les Mzabites, in-8o, Paris, 1888, p. 297.
[221]Jus, Les Forages artésiens de la province de Constantine, Constantine, 1890. Weisgerber, Notes sur l’Oued Rir et ses habitants, Paris, 1886. Id., Aperçu sur les conditions sanitaires et hygiéniques du Sahara algérien et de l’Oued-Rir, Paris, 1885. Georges Rolland, C. R. A. Sc., janvier 1887 ; Revue Scientifique, 18 févr. et 2 juillet 1887, 18 mars 1888 ; Bull. Soc. Géogr. comm., 1887, p. 663 ; Afas, Oran, 1888, t. I, p. 47 (av. carte).
[222]G. Rolland, Hydrologie du Sahara algérien, p. 56. Id., L’Oued-Rir et la colonisation Française, in-8o, Paris, 1887.
[223]Gouvernement Général de l’Algérie. Notes sur le pays d’Ouargla et les sondages opérés dans ses Oasis de 1883 à 1888, Alger, Giralt, in-4o, 1889. — Cf. P. Blanchet, L’Oasis et le pays d’Ouargla, Ann. de Géogr., 1900. p. 47.
[224]Rinn (commandant), Nos frontières sahariennes, Alger, 1886.
[225]Documents, II, p. 145.
[226]Vuillot, p. 201.
[227]Baunard, Vie du Cardinal Lavigerie, p. 201.
[228]Vuillot, p. 213.
[229]Vuillot, p. 219. Cf. Foureau, Excursion dans le Sahara Algérien (l’Exploration, tome XVI, p. 335 ; Bull. Soc. Archéol. de Constantine, 1888, p. 34). Une Excursion au Sahara Algérien : Rapport au Ministre de l’Instruction publique, in-8o, Paris, 1883.
[230]C. R. Soc. Géogr. Paris, 1885, p. 326, 421, 437, et 1887, p. 531.
[231]Id., 1892, p. 172.
[232]La carte donnée par Vuillot indique un ksar d’Ygrouth ; il n’existe pas de ksar de ce nom : il faut entendre l’Aouguerout ; par contre, Deldoun n’est pas un ksar, mais un district.
[233]Documents, III, p. 225, note.
[234]Vuillot, p. 227.
[235]C. R. Soc. Géogr. 1898, p. 52.
[236]Deleuze (Ct), Monument élevé à l’explorateur Camille Douls (Bull. Soc. Géogr. d’Alger, 1902, p. 408-412).
[237]Documents, II, p. 539.
[238]Documents, II, p. 459.
[239]Carte du Sud-Oranais à 1/400.000e publiée par le dépôt de la Guerre en 1855, revue et complétée en 1883 d’après les travaux du capitaine de la Croix de Castries, des lieutenants Delcroix et Brosselard, 4 feuilles.
[240]Carte du Sud-Oranais à 1/200.000e, édition provisoire, héliogravure sur zinc en couleurs, 15 feuilles, 1886.
[241]Mentionnée par Deporter, Extrême-Sud de l’Algérie, p. 1.
[242]V. Cornetz, Bull. Soc. Géogr. Paris, 1896, p. 521.
[243]Carte d’une partie du Sahara septentrional, dressée par F. Foureau, d’après l’Etat-Major, les documents les plus récents, les travaux, cartes et itinéraires de Duveyrier, Parisot, Le Châtelier, Bajolle, F. Bernard, Pech, Teisserenc de Bort, Foureau, à 1/100.000e, 1888.
[244]Bull. Soc. Géogr. Paris, 1882, p. 401. Cf. Documents, II, p. 461.
[245]3e trim. 1886, p, 364.
[246]Bull. Corr. afric. (Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger), 1885, p. 266. — Cf. Documents, IV, p. 286.
[247]Documents, IV, p. 286.
[248]Le Chatelier, Les Medaganat, in-8o, Alger, 1888.
[249]René Basset, Documents géographiques sur l’Afrique septentrionale, in-8o, Paris, 1898 (Articles parus depuis 1883 dans le Bull. de la Soc. de Géogr. de l’Est).
[250]René Basset, Les manuscrits arabes des bibliothèques de Aïn-Mahdi et Temacin, de Ouargla et de Adjadja, in-8o, Alger, 1885.
[251]René Basset, Notes de lexicographie berbère, Paris 1883-88, 1re partie : Ghat et Keloui ; 3e partie ; Sud-Oranais et Figuig ; 4e partie : Touat, Gourara, Aoulimmiden. — Id., Etude sur la zenatia du Mzab, de Ouargla et de l’Oued-Rhir, Paris, 1893.
[252]A. de C. Motylinski, Guerara depuis sa fondation, Alger, 1884.
[253]A. de C. Motylinski, Les livres de la secte abadite, Bull. Corresp. afric., 1885, tome III.
[254]In-8o, Paris.
[255]Ch. Amat, Le Mzab et les Mozabites, in-8o, Paris, 1888.
[256]E. Masqueray, Dictionnaire français-touareg (Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger, 3 fascic., Paris 1893-95). — Id., Observations grammaticales et textes de la tamahaq des Taïtoq, publiées par R. Basset et Gaudefroy-Demombynes (Publicat. de l’Ec. des Lettres d’Alger, 3 fascic., Paris 1896-97).
[257]In-8o, Alger, 1888. V. notamment p. 39 et suiv.
[258]Documents, III, p. 158. — Schirmer, Le Sahara, p. 182. — C. Sabatier, Touat, Sahara, Soudan, p. 10.
[259]Schirmer, p. 404.
[260]Bull. Afr. fr., 1896, p. 332.
[261]Schirmer, p. 405.
LA PÉRIODE DU PARTAGE DE L’AFRIQUE (1890-1900)
I. — La convention de 1890 avec l’Angleterre. — Occupation d’El-Goléa (1891). — Voyage de M. Cambon à El-Goléa (1892). — Projets d’expédition au Touat. — Les bordjs (1892-93). — Prise d’In-Salah (1899). — Progrès dans l’Afrique occidentale et centrale. — Prise de Tombouctou. — Politique saharienne du Soudan. — La « course au lac Tchad ». — La convention de 1899.
II. — Explorations : Jacob (1892). — Godron (1895). — Flamand (1896). — Germain et Laperrine (1898). — Cornetz (1891-94). — Foureau (1890-1900). — La mission Foureau-Lamy (1898-1900).
III. — Tentatives de pénétration commerciale. — G. Méry (1892-93). — D’Attanoux (1893-94). — Morès (1896). — Question des marchés francs (1893). — Question du Transsaharien.
IV. — Renseignements recueillis par MM. Deporter (1890) et Sabatier (1891). — Ouvrages de MM. Schirmer, Flamand, Vuillot, de la Martinière et N. Lacroix. — Cartographie saharienne.
Par la convention du 5 août 1890, « le gouvernement de S. M. B. reconnaît la zone d’influence de la France au Sud de ses possessions méditerranéennes, jusqu’à une ligne de Say, sur le Niger, à Barroua, sur le Tchad ». Cette convention a été assez diversement appréciée[262]. Suivant les uns, elle nous permet de réunir toutes les colonies françaises du nord et de l’ouest de l’Afrique et d’en faire un tout. Suivant les autres, cette union est purement[112] fictive et imaginaire ; pour la satisfaction de teinter aux couleurs françaises, dans nos atlas, les vastes espaces vides du Sahara, nous avons abandonné aux Anglais les véritables portes de sortie de l’Afrique centrale, le Niger inférieur et la Bénoué. Sous prétexte de nous autoriser à prolonger l’Algérie vers le Sud, autorisation qui ne nous était nullement nécessaire et que personne ne songeait à nous refuser, nous nous sommes laissés exclure des riches territoires du Sokoto. Lord Salisbury se vanta, non sans quelque apparence de raison, de nous avoir attribué la mauvaise part, en nous donnant « les terres légères » du Sahara, où le coq gaulois trouverait « de quoi gratter ».
Quoi qu’il en soit, si nous voulions tirer parti de cette convention, la première chose à faire était de prendre possession du Touat sans plus tarder. Tel paraît bien avoir été un moment notre pensée. Un projet d’expédition aux oasis du Sud-Ouest par Igli et l’Oued-Saoura fut étudié en 1890, puis ajourné[263]. On se contenta de créer en 1891 un poste permanent à El-Goléa, à cheval sur l’Oued-Mya qui va à l’Igharghar et l’Oued-Seggueur qui va à l’Oued-Saoura ; en ce point, l’Oued-Seggueur, sortant de l’Erg, bute contre le plateau crétacé et repart par un coude brusque dans une direction perpendiculaire, en prenant le nom d’Oued-Meguiden et en se dirigeant à l’W. S. W. vers l’Aouguerout[264].
Cette mesure aurait dû être le prélude d’une action sur In-Salah. Au mois d’août 1891, M. Jules Cambon écrivait combien il lui paraissait nécessaire qu’enfin la France prît une résolution qui assurerait définitivement la tranquillité de l’Algérie et sa domination dans le Sud : « Les oasis du[113] Touat, du Gourara et du Tidikelt, disait-il, ont servi de refuge à tous les hommes de nos tribus plus ou moins compromis, et ont été le centre de toutes les agitations qui se produisent contre nous ; c’est là, au Deldoun, que s’est réfugié Bou-Amama, qui cherche par tous les moyens à encourager les insurrections, les razzias et les défections. D’un autre côté, le souvenir de la mission Flatters, qui n’a pas été vengée, écarte de nous les Touareg qui l’ont concertée. Enfin les nécessités de la politique nous ont conduits à reconnaître la suzeraineté de la Porte sur Ghadamès et sur Ghat ; il en résulte que, si nous laissons échapper le Touat, qui est la plus grande ligne d’eau et de la population se dirigeant à travers le Sahara vers l’intérieur de l’Afrique, comme d’autre part la ligne des oasis de Ghadamès-Ghat ne nous appartient plus, nous n’avons plus de voie de pénétration facile et sûre dans le Sahara, et le traité conclu avec l’Angleterre l’an dernier relativement à l’hinterland algérien sera devenu une lettre morte entre nos mains[265] ».
Mais M. J. Cambon ne parvint pas à faire partager cette manière de voir par le Gouvernement de la métropole. On s’en tint à décider l’augmentation des forces militaires dans le Sud, et le prolongement du chemin de fer d’Aïn-Sefra sur Djenien-bou-Rezg, c’est-à-dire des mesures préparatoires qui ne furent suivies d’aucune action. Les essais faits pour utiliser des influences indigènes, notamment celle du chérif d’Ouazzan, demeurèrent sans grand résultat. En 1892, nous perdîmes une des plus belles occasions d’agir qui se soit présentée. M. Cambon, exécutant un projet conçu par son prédécesseur M. Tirman, se rendit à El-Goléa,[114] accompagné du général Thomassin, et les Ouled-Sidi-Cheikh vinrent l’y saluer. C’est alors qu’on songea à reprendre avec Si-Kaddour la politique qui nous avait jadis donné avec le concours de son père Si-Hamza, le sultanat d’Ouargla[266]. Le chef des Ouled-Sidi-Cheikh promettait de diriger au profit de notre cause ses efforts vers les oasis du Touat. Ce projet n’aboutit pas plus que les autres. Pendant ce temps, la cour de Fès poursuivait ses menées et investissait des caïds dans les oasis ; les efforts du Sultan, évidemment dirigés par les puissances européennes, ne manquaient ni de persévérance ni d’intelligence. En 1893, le sultan Moulay el Hassan visita le Tafilelt, pour y prier, disait-on, sur la tombe de ses ancêtres ; il dut revenir en toute hâte, rappelé par les événements de Melila, et notre situation dans le Sahara n’eut guère à souffrir de ce voyage. La mort du Sultan (1894) rendit encore impossible l’année suivante l’expédition du Gourara.
C’était une compensation insuffisante à notre inaction que la construction de quelques caravansérails fortifiés ou bordjs, au-delà des points extrêmes de nos possessions. En 1893, on créa de ces forts, ainsi qu’on appelle un peu pompeusement ces petits ouvrages, à Berresof, sur la route du Souf à Ghadamès, à Hassi-el-Mey, au sud d’El-Oued et à Hassi-Inifel sur l’Oued-Mya, près du confluent de l’Oued Insokki. En 1894, on construisit Hassi-bel-Heïrane (Fort Lallemand), dans les gassis de l’Igharghar, Hassi-Chebaba (Fort Miribel) à 135 kilomètres Sud d’El-Goléa, sur la route d’In-Salah par le Tademayt, Hassi-el-Homeur (Fort Mac-Mahon), à 165 kilomètres S. W. d’El-Goléa, dans l’Oued-Meguiden, sur la route du Gourara. En 1895, on occupa dans la province d’Oran El-Abiod-Sidi-Cheikh et[115] Djenien-bou-Rezg, postes qui, installés sur le revers de l’Atlas Saharien, allaient nous permettre de surveiller le pays en avant, ce que n’avaient pu faire nos postes de Géryville et d’Aïn-Sefra, placés au débouché nord des montagnes. Enfin, en 1897, le chef-lieu du cercle de l’Extrême-Sud, qui était primitivement à Ghardaïa, fut transféré à El-Goléa.
Ces mesures étaient parfaitement justifiées s’il fallait y voir une solution d’attente, si ces bordjs devaient être des gîtes d’étape et des points d’appui en vue d’une marche immédiate sur In-Salah ; c’était une charge sans compensation si l’on devait s’imposer pendant des années le ravitaillement coûteux et parfois dangereux de ces postes. Avec les nomades, quand on occupe un point, on n’occupe que ce point. Bugeaud l’avait déjà dit[267], et ce principe stratégique, déjà vérifié aux confins du Tell, devient un axiome en pays saharien. La garde d’un point d’eau ou d’un défilé n’empêchera jamais un djich, un rezzou ou une harka de « passer à côté ». Selon le mot de M. de Castries[268] « on ne tient pas les nomades avec des bordjs, on les tient par le ventre ». Ce n’est pas par une progression lente de notre base d’opérations et par la création de postes perdus dans les immensités sahariennes que nous établirons notre domination ; c’est en allant tout droit occuper les oasis où se trouve une population sédentaire et agricole, où, par suite, notre installation est facile, et d’où nous pouvons tenir « par le ventre » les turbulents et les insoumis. C’est en occupant In-Salah, carrefour de routes et lieu de ravitaillement des Touareg, que nous les aurons à notre merci[269].
[116]En 1898, M. Laferrière prit possession du Gouvernement général de l’Algérie. Il montra en maintes circonstances qu’il s’intéressait vivement aux questions de l’Extrême-Sud, et qu’il était résolu à en finir avec les difficultés que nous rencontrions dans le Sud-Oranais et au Touat. La présence à ses côtés du capitaine Levé, officier familier avec les problèmes sahariens et apportant à préparer leur solution l’activité la plus énergique, était un indice certain que la pénétration saharienne entrait dans une phase nouvelle. En effet, les questions posées depuis 1890, voire depuis 1864, se sont trouvées rapidement résolues à la suite de l’attaque de la mission de M. G.-B.-M. Flamand, qui mit fin à des hésitations inexplicables.
Cette mission scientifique était escortée d’un goum d’environ 140 hommes, commandé par le capitaine Pein ; chef du poste de Ouargla, cet officier s’était distingué dans la poursuite d’un rezzou jusque dans la région de Ghadamès, et c’est à lui qu’était échue, en 1898, la difficile mission de ravitailler, dans un pays inconnu, la mission Foureau-Lamy. La mission Flamand, arrivée le 27 décembre 1899 dans la région d’Iguesten, fut attaquée le lendemain au point du jour par une troupe de 1.200 hommes venus d’In-Salah et des ksour voisins, et ayant à leur tête les chefs du sof antifrançais des Badjouda. Le capitaine Pein, malgré le faible effectif dont il disposait, repoussa les agresseurs, qui eurent 50 tués ou blessés et laissèrent plus de 60 prisonniers, parmi lesquels Badjouda. Les portes de Ksar-el-Kebir lui furent ouvertes. A la nouvelle du combat, le capitaine Pein avait été rejoint par le capitaine Germain, commandant les spahis sahariens, qui avait reçu l’ordre de se maintenir en contact avec la mission, de manière à pouvoir lui porter secours en cas de[117] besoin. Le 5 janvier 1900, un nouveau combat, livré près du petit ksar de Deghamcha, amena la soumission de la population de tout le groupe d’In-Salah. Le maintien de l’occupation de cette oasis fut décidé, et le 18 janvier arrivaient des forces de soutien, envoyées d’El-Goléa sous les ordres du commandant Baumgarten. La pénétration saharienne se présentait dans des conditions toutes nouvelles, par suite de cet événement décisif.
Dans nos possessions de l’Afrique occidentale, nous avons acquis un domaine immense pendant la période décennale 1890-1900, et déployé une très grande activité. Celui de tous ces événements coloniaux qui intéresse le plus directement le Sahara est la prise de Tombouctou en 1895 ; notre entrée dans cette ville eut un grand retentissement au Sahara. Les campagnes de la flottille du Niger de 1895-96, grâce, en particulier, au lieutenant de vaisseau Hourst, ont fait connaître le cours complet de ce grand fleuve. La pacification de la partie septentrionale de la boucle a été assurée par l’établissement de postes à Bamba, Gao, Tozaye et Ansongo, qui tiennent le fleuve contre les incursions des Touareg de la rive gauche. Les questions sahariennes ont été étudiées au Soudan avec un soin vraiment digne d’éloges, et le gouvernement de cette colonie a publié sur les Touareg du Sud d’intéressantes études.
En 1898, M. Coppolani, administrateur-adjoint de commune mixte, fut chargé d’une mission du Gouvernement général de l’Algérie pour étudier les rapports entre les confréries religieuses musulmanes de l’Algérie et celle du Soudan. Il entra en relations avec les tribus de Maures et de Touareg Aouelimmiden dont les parcours s’étendent au nord du Sénégal et du Niger et contribua à leur pacification. Il traversa le Tagant, le Hodh, l’Azaouad, et s’avança jusqu’à Araouan.
[118]En 1890, le capitaine Monteil, parti de Bammako, atteint Say en traversant le Massina, reconnaît les limites assignées par la convention franco-anglaise et aboutit à Tripoli en traversant le Sahara par la route de Bilma et du Fezzan. A la fin de la même année, le lieutenant de vaisseau Mizon remonte le bas Niger, sur la foi des traités qui assuraient la liberté complète de navigation du fleuve et de ses affluents. Malgré les embarras de toutes sortes que lui suscite la Royal Niger Company, il réussit à remonter la Bénoué jusqu’à Yola. Il ne parvient pas à atteindre le lac Tchad, mais il effectue sa jonction avec de Brazza, venu à sa rencontre par la Sangha ; il avait ainsi fermé le hinterland du Cameroun, qu’une convention franco-allemande de mars 1894 délimita.
Au Dahomey, les postes de Wydah et de Kotonou servent de point de départ à une action énergique contre le Dahomey, qui aboutit à la prise d’Abomey par le colonel Dodds. Les années suivantes sont employées à effectuer la jonction du Dahomey avec nos possessions de la Côte-d’Ivoire et du Haut-Niger, jonction réalisée de 1896 à 1897.
La capture de notre vieil ennemi Samory, en 1898, abat les dernières résistances dans l’Afrique occidentale. Enfin une convention du 14 juin 1898, par laquelle nous faisions à l’Angleterre des concessions étendues, partage entre elle et nous les territoires de la boucle du Niger[270] ; elle n’est en somme que la conséquence de la fâcheuse convention de 1890.
Dans l’Oubangui, les missions Dybowski, Maistre (1892-94), Gentil (1895-97), s’avançaient vers le bassin du Chari et le Tchad, pendant que les missions Liotard[119] (1892) et Marchand (1896-98) étendaient notre domaine dans la direction du Nil.
La période de grande expansion en Afrique, la « course au lac Tchad », inaugurée par l’exploration de Crampel, peut être considérée comme close par la convention franco-anglaise de 1899, qui a fixé d’une manière à peu près définitive les limites de notre empire colonial dans l’Afrique Centrale[271]. La jonction au moins virtuelle des possessions françaises du Soudan, de l’Algérie et du Congo français sur les bords du lac Tchad est effectuée. La convention de 1899 consacre nos efforts dans la région du Haut-Oubangui, du Chari et du Baguirmi ; elle nous attribue le Ouadaï et le Tibesti, sans parler de vastes régions purement sahariennes. Malgré ce qu’a eu de pénible pour nous l’évacuation de Fachoda et notre exclusion des régions du Haut-Nil, on reconnaîtra sans doute à la réflexion que la part qui nous est faite par la convention n’est pas négligeable. A notre avis, c’est en 1890 que les fautes irréparables ont été commises, lorsque nous nous sommes laissé exclure du Bas-Niger et surtout de la Bénoué, où Mizon nous avait acquis les droits les plus sérieux.
La période décennale 1890-1900 n’a pas été sans profit au point de vue de l’exploration et de la connaissance scientifique du Sahara. Le martyrologe des victimes des Touareg semble à peu près clos ; sauf le lieutenant Collot, tué au sud d’El-Goléa par des Chaanba dissidents dans une reconnaissance topographique[272], et le marquis de[120] Morès, qui périt dans le sud de la Tunisie, aucun nouveau désastre ne s’est produit dans le Sahara. Avant de parler des diverses missions de M. Foureau, qui figurent au premier rang pendant cette période, il convient de rappeler les autres explorations accomplies dans l’arrière-pays de la province d’Oran et de la Tunisie.
En 1891, le capitaine de Saint-Julien reconnaissait la vallée de l’Oued-Namous. En 1892-93, M. Jacob, ingénieur des Mines, chargé de l’étude hydrologique du sud des divisions d’Oran et d’Alger, parcourait les vallées de l’Oued-Namous et de l’Oued-Gharbi, s’avançait jusqu’à Hassi-Ouchen, à deux jours de Tabelkoza, puis allait passer à Hassi-bou-Zid et gagnait de là El-Goléa. Il déterminait divers points astronomiques, et M. le lieutenant Fariau, qui l’accompagnait jusqu’à Hassi-bou-Zid, levait son itinéraire. Divers itinéraires dans la région de Fort-Mac-Mahon étaient reconnus et levés par le capitaine Pein, le lieutenant Pouget et d’autres officiers[273]. En 1895, le commandant Godron, accompagné des lieutenants S. du Jonchay et de Lamothe et de l’interprète militaire Palaska, descendait l’Oued-Gharbi, franchissait l’Erg et allait toucher à l’oasis de Tabelkoza[274].
Mais le principal explorateur du Sud-Ouest est M. G.-B.-M. Flamand, professeur à l’Ecole des Sciences d’Alger et collaborateur du Service de la Carte géologique de l’Algérie ; il a fait du Sahara oranais son domaine propre et y a accompli ces mêmes explorations méthodiques que M. Foureau a poursuivies plus particulièrement dans le Sahara algéro-constantinois. C’est en 1890 qu’il commença à voyager dans l’Atlas saharien et les régions limitrophes.[121] En 1896, il accomplit un voyage dont les résultats scientifiques ont été importants. Parti d’El-Abiod-Sidi-Cheikh, M. Flamand aboutit à Fort-Mac-Mahon (Hassi-el-Homeur) ; il reconnut la série des régions naturelles parallèles, dirigées S.-W.-N.-E., que l’on rencontre entre la chaîne saharienne et le plateau crétacé du Tademayt, visitant l’Oued-Gharbi, l’Erg, le Tinerkouk, le Meguiden. Le voyageur a signalé l’importance de la zone d’épandage des grands oueds, réceptacle des eaux des grandes crues de l’Oued-Seggueur, de l’Oued-Gharbi, de l’Oued-Namous ; cette zone n’a pas moins de 400 kilomètres de développement, et sa largeur maximum dépasse 80 kilomètres. La lisière septentrionale du grand Erg est reculée par M. Flamand jusqu’à Oum-es-Sif ; il va se terminer à l’Est à El-Goléa, au sud de la grande vallée du Meguiden ; il est large de 100 kilomètres à peine dans la partie où l’explorateur l’a traversé. Une particularité de structure de cette région est la présence de tar’tar (plur. tr’atir), plateaux sableux sans alignement défini[275].
M. G.-B.-M. Flamand s’est fait une place dans les études sahariennes non seulement comme explorateur, mais comme géologue et comme archéologue. Il a montré la grande extension dans le Sud-Oranais des terrains tertiaires (dépôts gréseux et caillouteux) analogues à ceux des gour de Brézina[276]. Il a publié un ouvrage relatif à la géologie et aux productions minérales de l’Oued-Saoura[277].[122] On sait en outre l’importance de ses recherches et de ses publications sur les monuments rupestres qu’il a décrits sous le nom de « Pierres Ecrites », et qu’il a déterminés comme appartenant à trois périodes distinctes (néolithique, libyco-berbère, musulmane[278]).
A la suite de sa mission au Tidikelt à la fin de 1899, M. Flamand a fait connaître la tectonique et le régime hydrographique de cette dépression. Des chaînes orotectoniques à direction méridienne ou subméridienne et à axe cristallophyllien relient transversalement le Tademayt à l’avant-pays du massif central targui. Les oasis ont bien une direction nord-sud, mais les drains souterrains des feggaguir ont une direction est-ouest. Les eaux dérivent des grès paléozoïques du Sud par des synclinaux subméridiens, et non du Nord comme on l’avait cru jusqu’à ce jour ; la nappe artésienne paraît beaucoup moins importante que celle de l’Oued-Rir. D’autres notes[279] font connaître la présence au Tidikelt du Dévonien inférieur et du[123] Carboniférien (calcaires à polypiers), reliant les assises carbonifériennes du pays des Azdjer signalées par Foureau à celles du Sahara marocain rencontrées par Lenz[280].
M. Flamand a également présenté[281] des observations sur les nitrates du Sahara, à propos d’un échantillon de terre salpêtrée provenant de la sebkha des Ouled-Mahmoud.
En 1898, MM. Germain et Laperrine, officiers de spahis sahariens, traversaient le plateau du Tademayt de Fort-Mac-Mahon à In-Salah, par Hassi-Aflissès, levant 662 kilomètres d’itinéraires nouveaux. Ils reconnaissaient la configuration exacte du plateau et des oueds qui l’entaillent, configuration assez mal indiquée jusqu’ici sur les cartes. Le versant sud du Baten est abrupt et plonge tout d’un coup sur le reg, où l’on descend par de profondes et difficiles échancrures, telles que la gorge d’Aïn-Souf[282].
Dans le Sud-Tunisien, la région située au sud des grands chotts, parcourue souvent encore par des razzias pendant les premières années après l’occupation de la Tunisie, n’était guère connue, jusqu’en 1891, au-delà de la limite de la carte au 1/200.000e du Service géographique de l’armée, que par quelques renseignements indigènes. Seul, M. de Béchevelle, officier du Service des renseignements, chargé d’organiser le petit pays du Nefzaoua, s’était avancé jusqu’à Bir-Kessira, sur la route de Douirat à[124] Ghadamès. Aucun voyageur européen n’avait encore parcouru les routes conduisant de la Tunisie à Ghadamès.
C’est ce que se proposa un jeune ingénieur suisse, M. V. Cornetz, qui accomplit, en 1891, un voyage de Douirat à Ghadamès et entra même dans cette dernière ville. De 1891 à 1894, il a vécu sous la tente avec les dernières tribus tunisiennes et fait de grandes excursions cynégétiques, son principal point de départ ayant été le village de Douz, au sud-est du Nefzaoua. M. Cornetz a dégagé avec beaucoup de clarté[283] les traits généraux de la géographie du Sahara tunisien, où la division fondamentale est, comme dans le Sahara algérien, celle du Sahara quaternaire ou pays des Puits (Bled-el-Biar) et du Sahara crétacé ou pays de la Soif (Bled-el-Ateuch). Entre Ghadamès et le Nefzaoua. M. Cornetz distingue 5 régions : une région de hammada ; une région de chebka, longée par une large plaine d’érosion, le Djelel ; une région de gour ; la région des Toual (gour allongés) et la plaine des puits. M. Cornetz a étudié les Areg tunisiens et leurs limites, les points d’eau, les tribus, les principaux trajets de caravanes.
En 1893, MM. Cazemajou, capitaine du génie, et Dumas, lieutenant au 4e spahis, exécutaient un voyage de reconnaissance vers Ghadamès en suivant la route Nefta-Ghadamès, non encore reconnue. Partis de Berresof Cherf, ils s’avançaient à travers l’Erg jusqu’à la zaouïa de Sidi-Maabed, à 2 kil. à l’ouest de Ghadamès, levant leurs itinéraires à 1/100.000e[284].
[125]Le principal explorateur de cette période décennale est M. Foureau, qui reprend et continue, dans des conditions singulièrement plus difficiles, les traditions de Duveyrier. Presque chaque année, depuis 1890, nous trouvons M. Foureau sur les routes du Sahara. La surface des régions explorées par lui de 1890 à 1897 représente un carré de 750 kil. du nord au sud et autant d’est en ouest compris entre les latitudes de Touggourt et d’Edeyehouen, dans l’Oued-Mihero, entre les méridiens d’In-Salah et de Ghadamès[285]. Les itinéraires de M. Foureau, divergeant presque tous de Biskra, embrassent la région comprise entre le Sud Algérien et le Tassili des Azdjer, en passant par l’Erg et la hammada de Tinghert. Il a franchi treize fois les grandes dunes de l’Erg oriental, trois fois le massif de dunes au sud du Djoua (Erg d’Issaouan des cartes). Il a résolu le problème du cours de l’Igharghar, reconnu des bras très excentriques de ce fleuve fossile dans l’Erg de l’Est, alors qu’on admettait avant lui qu’il suivait en un cours unique le Gassi Touil. Il a déterminé l’altitude, la nature du sol et la végétation dans les régions ainsi parcourues par lui, dont ses itinéraires, soigneusement relevés, ont aidé à fixer la carte. Ses missions ont eu d’importants résultats géologiques : il a notamment fait connaître l’existence de larges bandes de calcaire carbonifère dans l’Erg d’Issaouan, entre la hammada crétacée de Tinghert et le plateau dévonien du Tassili.
En 1890, M. Foureau[286] part de Touggourt, va passer[126] à Bir-Ghardaya, Hassi-Botthin et Aïn-Taïba. Puis, traversant l’Erg dans la direction du sud-ouest, par une contrée fort difficile, il va aboutir à Menkeb-Souf, dans la région dite du Maader, estuaire terminal des rivières descendues du Tademayt sur le versant nord-est. Il passe à Hassi-Aouleggui, non loin de Hassi-Messeguem, coupant en ce point la route de la deuxième mission Flatters. Puis il longe le versant sud du Tademayt, cheminant sur une hammada noire qui s’étend entre l’Oued-Massin à gauche et le Djebel-el-Abiod à droite, le long du Baten. Arrivé au Koudiat-Mrokba, à partir duquel le Baten s’éloigne dans la direction Ouest plein, il reprend la route du retour, repasse à Menkeb-Souf, puis se dirige sur Guern-el-Messeyed. De là, il suit la hammada Dra-el-Atchan ou hammada de l’Oudje nord et rentre à Touggourt.
En 1892, M. Foureau se propose[287] de reconnaître la région au sud d’Aïn-Taïba, entre Temassinin et Hassi-Messeguem. Il franchit l’Erg deux fois, par des routes presque entièrement nouvelles, pousse une pointe à travers le plateau rocheux de Tinghert jusqu’au puits de Tabankort, visite Temassinin, petit jardin de 2 à 300 palmiers, où habite seul un hartani d’In-Salah, gardien de la zaouïa, à dix jours de marche de tout centre habité. De Temassinin, M. Foureau fait route sur Hassi-Messeguem en passant par El-Biodh, et remonte ensuite sur Touggourt par Aïn-Taïba.
En 1893, M. Foureau parcourt de nouveau[288] le Sahara[127] algérien et relève des itinéraires nouveaux dans la région s’étendant entre Ouargla, Temassinin et Ghadamès. A partir d’Aïn-Taïba, il gagne El-Biodh par une route nouvelle et intermédiaire entre ses anciens itinéraires de 1890 et 1892. A Temassinin, il apprend la présence, près Ghadamès, de plusieurs nobles Azdjer qu’il désire rencontrer ; il se décide alors à se rapprocher de cette ville en suivant l’Oudje sud de l’Erg, au nord de la route suivie par Rohlfs, région curieuse et jusqu’alors inexplorée, en sol de hammada rocheuse extrêmement dure. Arrivé au Hassi-Imoulay, il ne crut pas devoir s’approcher plus près de Ghadamès. Quelques Ifoghas, auxquels il avait envoyé des émissaires, vinrent l’y visiter ; ils déclarèrent que la convention de 1862 était ignorée de la masse des tribus, et qu’ils ne pouvaient, pour le moment, lui assurer le passage à travers leur territoire. D’après ces indigènes, le commerce serait nul entre In-Salah et Ghadamès, peu important entre l’Aïr, la région du Tchad et la Méditerranée. M. Foureau, traversant l’Erg de nouveau entre les itinéraires de Largeau et de Duveyrier, rentra à Touggourt par Hassi-Tozeri et Bir-el-Hadj.
En 1894, de même qu’en 1893, le but de M. Foureau[289] était de pénétrer chez les Touareg Azdjer, de traverser leur territoire et d’atteindre l’Aïr. Cependant, avant de prendre la direction de Temassinin et du Tassili des Azdjer, il dut, afin de déférer au désir du Gouvernement général de l’Algérie, faire un levé rapide de la route d’El-Goléa[128] au Tidikelt à travers le Tademayt. Seul, sans bagages, ni tente, ni convoi, accompagné de cinq Chaanba seulement, il passe par Hassi-Chebaba et s’avance jusqu’à Hassi-el-Mongar, à 35 kilomètres N.-E. d’In-Salah. Il se dirige ensuite sur El-Biodh et Temassinin, suit le Djoua par l’Oued-Ohanet, puis, coupant à travers l’Erg d’Issaouan, il gagne par une route complètement nouvelle le puits de Tadjentourt, situé sur la route de Ghadamès à Ghat et qu’avait jadis visité Duveyrier. De là, il traverse le plateau d’Eguélé et atteint l’Oued-Tikhammalt (Oued-Mihero), où il a une entrevue avec les chefs Azdjer, notamment Guedassen, Mohammed ben Ikhenoukhen, et Moulay-ag-Khaddadj. Guedassen, le chef des Azdjer, est très hostile aux Européens ; Mohammed ben Ikhenoukhen est plus calme et plus sympathique ; Moulay ag Khaddadj, cousin d’Ikhenoukhen, est peu influent[290]. Il n’y a d’ailleurs plus d’amenokal depuis la mort d’El Hadj Ikhenoukhen ; l’anarchie complète règne chez les Azdjer. Après de longues et pénibles discussions, les chefs finirent par accepter de faire traverser leur territoire à M. Foureau. Celui-ci remonta la vallée, encaissée dans le Tassili, massif montagneux de grès noir hérissé de pics aigus, mais sa marche vers le Sud-Est fut bientôt arrêtée, au point dit Edeyehouen, avant le lac Mihero, par une bande de fanatiques à l’encontre desquels les notables Azdjer ne montrèrent qu’une médiocre bonne volonté. Le retour en arrière s’effectua à travers l’Erg d’Issaouan et le plateau de Tinghert, par Hassi Tabankort, Mouilah Maatallah, Hassi-Mokhanza et Touggourt.
Ces deux missions de M. Foureau à Hassi-el-Mongar et à Edeyehouen sont parmi les plus importantes qu’il ait[129] accomplies à tous les points de vue. Il rapportait un itinéraire de 4.600 kilomètres levé à 1/100.000e. Sa tentative de janvier 1894 pour traverser le Tassili et pénétrer dans l’Aïr est celle qui fut le plus près de réussir.
Pendant les années qui suivent, M. Foureau fait encore plusieurs explorations plus ou moins longues dans l’arrière-pays de nos possessions de l’Afrique du Nord ; d’octobre 1894 à mars 1895, il effectue deux nouvelles tentatives[291]. Dans un précédent voyage, il avait pris contact et séjourné quelque temps avec les chefs Azdjer au milieu de leurs campements ; arrêté dans sa marche vers le Sud par les efforts d’un chérif fanatique et la mollesse voulue des chefs Azdjer, il rapportait une réclamation des Touareg qui demandaient au Gouvernement français la restitution de chameaux à eux razziés en 1885 par des nomades algériens d’El-Oued. Après règlement de cette question, ils assuraient, disaient-ils, le libre passage aux explorateurs français. Le Gouverneur général voulut bien consentir, par mesure bienveillante, à payer aux Touareg leurs chameaux ; mais ils devaient envoyer à Touggourt des mandataires pour toucher cette somme, fixée à 9.000 francs.
M. Foureau se rendit chez les chefs Azdjer pour les informer de cette décision. Passant par Aïn-Taïba, El-Biodh et Temassinin, il traversa l’Erg d’Issaouan, où il reconnut l’existence d’un grand gassi se dirigeant vers Aïn-el-Hadjadj ; il s’avança jusqu’au lac Menghough, doublant à peu près l’itinéraire de la première mission Flatters, et poussa jusqu’à Tadjentourt, où eurent lieu avec les chefs des pourparlers qui durèrent 6 jours. Il se[130] décida à leur payer 2.000 francs à titre d’acompte, et ramena deux mandataires auxquels fut versé le reste de la somme. Il rentra à Touggourt par Hassi-bel-Haïrane, rapportant environ 1.000 kilomètres d’itinéraires nouveaux, notamment dans le grand Erg, et ayant recueilli divers fossiles du dévonien et du carboniférien.
Les mandataires des Touareg, ayant reçu en janvier 1895 à El-Oued le solde de leur compte, repartirent avec une lettre par laquelle Foureau donnait rendez-vous aux chefs Azdjer au pied du Tassili pour le mois de mai. Ayant rempli[292] toutes les conditions exigées par eux, il devait trouver son escorte au jour dit. Mais cette fois, il fut arrêté par un rezzou de Chaanba dissidents habitant avec Bou-Amama. Il dut rentrer à Biskra, après avoir couru de réels dangers, et ne rapportant que fort peu de renseignements géographiques. La même année survenait un événement fâcheux pour l’influence française, la mort de Mohammed ben Ikhenoukhen, fils du protecteur de Duveyrier[293].
En 1896, les Touareg avaient accusé officiellement réception des sommes versées le 3 février 1895 par les autorités françaises à leurs mandataires. Leurs dispositions semblaient assez favorables, mais le Gouvernement général s’opposa à ce que M. Foureau pénétrât cette année-là chez les Touareg, où on signalait un état troublé, et il dut se borner à une course dans le grand Erg algérien et tunisien[294]. Il distingua dans l’Erg un certain[131] nombre de zones bien distinctes, différentes par l’aspect et la végétation, reconnut un bras très oriental de l’Igharghar et constata que la région de l’Ouar (la difficile), qui succède à l’Oudje nord, recouvre tout un système montagneux, aujourd’hui à peu près complètement enseveli.
En 1897, M. Foureau tente une fois encore la traversée du Tassili des Azdjer[295]. De Temassinin, il remonte la vallée des Ighargharen, passe à Aïn-el-Hadjadj et au lac Menghough. Il a de longs palabres avec les Azdjer au puits de Tassindja, dans l’Oued-Lezy, mais sans plus de succès que précédemment. Il doit renoncer à gagner l’Aïr, faute d’argent et de temps (il était parti trop tard, en mars, et avait rencontré des températures très pénibles) ; mais le principal obstacle résidait toujours dans l’attitude des Azdjer « dont les appétits, au point de vue de l’argent, sont aussi grands que leur complaisance l’est peu. »
Les explorations de M. Foureau donnent la conviction, à peu près établie d’ailleurs dès sa mission de janvier 1894, que le système employé par Duveyrier, et consistant à se présenter presque sans compagnons en s’assurant le patronage de chefs influents, n’est plus de mise et ne saurait désormais réussir, si bien préparé que soit l’explorateur et quelle que soit sa connaissance des choses du Sahara.
Il ne restait donc qu’à tenter la traversée du Sahara « avec une petite colonne d’hommes disciplinés à toute épreuve, qui puisse s’avancer sans provocation, mais négocier sans faiblesse, et passer outre aux manœuvres dilatoires qu’emploient si volontiers les Touareg, qui ne[132] sont forts que de notre apparente faiblesse[296]. » « Seule, écrivait M. Foureau[297], une escorte de 150 fusils bien recrutés assure absolument la sécurité et la réussite ; avec elle, on peut se passer des Touareg, solder les droits de passage régulièrement dus, ne pas faire de cadeaux ». Il restait en somme à recommencer la mission Flatters dans des conditions meilleures, et avec la résolution ferme de passer de force si l’on ne pouvait passer de plein gré. C’est ce qu’a exécuté la mission Foureau-Lamy en 1898. Cette mission a prouvé la justesse des vues de ceux qui avaient toujours affirmé qu’une petite troupe bien organisée, placée sous le commandement d’officiers ayant pratiqué le désert, ne devait rencontrer au Sahara d’autre résistance, d’autre obstacle que ceux provenant de la nature.
Le legs fait[298] à la Société de Géographie de Paris par M. R. des Orgeries permit à M. Foureau de réaliser ce programme, qui reçut l’approbation des divers ministères et du Gouvernement général de l’Algérie. Le commandant Lamy, ancien chef du poste d’El-Goléa en 1891, alors officier d’ordonnance du Président de la République M. Félix Faure, devint le second de M. Foureau dans l’entreprise et fut spécialement désigné pour commander l’escorte. La mission comprenait en tout 5 membres civils : MM. Foureau, Villatte, Ménard-Dorian, Louis Leroy, du[133] Passage (ces deux derniers ne dépassèrent pas Temassinin) ; 10 officiers : MM. Lamy, Reibell, Métois, Verlet-Hanus, Britsch, Oudjari, de Chambrun, Rondeney, docteurs Fournial et Haller, et 277 hommes de troupe.
Le 23 octobre 1898, la mission quitta Ouargla, emmenant avec elle un immense convoi de 1.000 chameaux chargé d’approvisionnements de toutes sortes. La mission passa d’abord par Aïn-Taïba, El-Biodh et Temassinin. Un poste provisoire fut fondé en ce dernier point pour rester le plus longtemps possible en relations avec la mission et la couvrir au besoin ; grâce à cette précaution, négligée bien à tort par Flatters, la mission, qui avait d’ailleurs avec elle des forces suffisantes, devait être plus respectée encore des populations touareg[299]. Le capitaine Pein fut chargé du commandement de ce poste ; il avait avec lui 120 méharistes, dont 50 spahis sahariens aux ordres du lieutenant de Thézillat, et une quinzaine de chevaux ; il accomplit sa difficile tâche avec un succès qui lui fait le plus grand honneur. Dès que la mission Foureau-Lamy eut quitté Temassinin, le capitaine Pein partit en reconnaissance vers le S.-W. jusqu’au puits d’In-Kelmet, à deux jours au N.-E. d’Amguid, couvrant le flanc droit de la mission. De retour à Temassinin, il en repartit pour s’avancer jusqu’à Tikhammar et à l’Oued-Affatakha, qu’il ne comptait pas dépasser ; mais la nécessité d’assurer le retour de l’escorte d’un dernier et important convoi, que le lieutenant de Thézillat avait dû accompagner à Assiou, le contraignit de pousser jusqu’à Tadent. C’est seulement lorsque tout son monde fut rentré qu’il se décida à revenir en suivant une route nouvelle, qui le ramena à la Sebkha d’Amadghor et à[134] Amguid[300]. Partout où il avait passé, il avait fait le levé de son itinéraire, exécuté de nombreuses reconnaissances, recueilli d’utiles renseignements auprès des indigènes.
Quant à la mission Foureau-Lamy, elle fut retardée par la difficulté d’abreuver et de nourrir un si grand nombre de chameaux, difficulté encore aggravée par une sécheresse persistante. En outre, la route présente des obstacles très rudes au point de vue de la nature et du relief du sol. Jusqu’à Aïn-el-Hadjadj, la mission suivit l’itinéraire de la première mission Flatters ; mais à partir de ce point, elle entra en pays complètement inconnu, jusqu’auprès d’Assiou (In-Azaoua), où elle rejoignit l’itinéraire de Barth.
La carte de la région était complètement erronée, bien que la succession des oueds, puits et points importants, fixée par Duveyrier d’après renseignements soit tout-à-fait exacte et rende de précieux services au voyageur. Mais il est nécessaire de faire subir aux diverses régions des corrections de report soit vers l’Est, soit vers l’Ouest, soit vers divers azimuts. On traversa d’abord, non sans peine, le Tindesset, portion ouest du Tassili des Azdjer, région gréseuse offrant des altitudes de 1.400 mètres, et entourée vers l’Est d’étendues volcaniques ; la mission y rencontra des températures très basses de − 8° et − 10°. On découvrit ensuite l’Adrac, région difficile et tourmentée ; elle se relie par son angle S. W. au massif d’Ahorrène, qui porte ses sommets principaux à 1.800 mètres, ne le cédant en rien du reste aux pics majeurs situés plus à l’Est et appartenant à l’Adrar proprement dit. La ligne de partage entre la Méditerranée et l’Atlantique fut franchie par 1374 mètres d’altitude et presque sur le 25e parallèle Nord. Puis, devant l’Oued-Tafassasset,[135] il fallut marcher dix jours dans une nouvelle région montagneuse, le massif de l’Anahef, composé de granit, de gneiss et de schistes, absolument dépourvu d’eau.
La mission arriva ensuite à Tadent, sur la route des caravanes de Ghat à l’Aïr. De ce point, MM. Foureau et Lamy allèrent, avec une faible escorte de 30 Chaanba, visiter les parages où eut lieu, en 1883, le massacre de la mission Flatters. La traversée entre Tadent et Assiou fut encore très pénible par suite du manque de toute espèce de végétation ; la mission perdit un grand nombre de chameaux. Le puits d’Assiou n’existe pour ainsi dire plus comme point d’eau ; il est remplacé par In-Azaoua, situé un peu plus loin dans l’Oued-Tafassasset, qui draine toutes les eaux du flanc oriental de l’Anahef.
D’In-Azaoua, une marche de 11 jours, à travers une région montagneuse parfois très difficile, où un seul puits intermédiaire, celui de Taghazi, permit de renouveler la provision d’eau, amena la mission à Iferouane, premier village de l’Aïr, habité par des Touareg. Le manque d’animaux de transport, pour remplacer ceux très nombreux qui avaient péri en route depuis l’Algérie, la mauvaise volonté des indigènes, les tromperies des guides, retinrent longtemps les voyageurs dans l’Aïr. Ils y endurèrent de cruelles souffrances, notamment par suite du manque de vivres, et durent se résoudre à sacrifier une grande partie de leurs bagages. Ils furent attaqués à deux reprises par les Touareg, sans aucun succès d’ailleurs ; sur un des Touareg tués on trouva des fragments de papiers, ayant appartenu à Erwin de Bary. M. Foureau est d’accord avec l’explorateur allemand qui l’avait précédé sur le régime climatique, la végétation de l’Aïr et le degré d’importance d’Agadès.
Arrivée dans cette ville le 28 juillet, la mission ne la[136] quitta définitivement que le 17 octobre, et, par des marches longues et pénibles, traversa l’Azaouak, zone désertique, puis le Tagama, relativement boisé, le Damergou, plus découvert, avec des champs de mil. Elle parvint enfin à Zinder, grande et belle ville, où elle trouva un détachement d’une centaine de tirailleurs sénégalais. De Zinder, Foureau-Lamy se dirigèrent vers le Tchad, traversant Kouka en ruines ; arrivés sur les bords du lac, ils opérèrent leur jonction avec deux autres missions françaises : la mission de l’Afrique centrale, ancienne mission Voulet-Chanoine devenue la mission Joalland-Meynier, qui s’était avancée du Niger au Tchad, et la mission Gentil qui provenait du Congo et du Chari. Pendant que Foureau rentrait en France par l’Oubangui, ayant parcouru près de 10 degrés de latitude en passant par le centre du continent noir, les forces réunies des trois missions, sous les ordres du commandant Lamy, livraient bataille à Rabah à Koussri ; le conquérant noir était tué, mais ce succès était trop chèrement payé par la mort de Lamy enseveli dans son triomphe (22 avril 1900). La défaite des bandes de Rabah était achevée à Dikoa par le capitaine Reibell. La mission Foureau-Lamy, c’est en somme la mission Flatters reprise et réussissant. Il est seulement fâcheux qu’on ait attendu 20 ans pour cela. La preuve est faite dorénavant qu’on peut traverser le Sahara avec une petite troupe bien commandée.
Les résultats scientifiques de la Mission Saharienne sont trop considérables pour qu’il soit possible d’en donner ici même un aperçu. Les Documents rapportés par la mission et l’exposé méthodique des résultats de la grande expédition ont été publiés par M. Foureau[301]. Les observations[137] astronomiques et météorologiques, l’orographie et la structure du pays, l’hydrographie, la carte, la nature géologique, la flore et la faune, l’ethnographie, les découvertes d’ordre préhistorique sont successivement passés en revue. C’est en quelque sorte l’encyclopédie des connaissances acquises sur cette longue bande d’Afrique qui va d’Ouargla à l’Oubangui[302]. L’Atlas, dressé par le capitaine Verlet-Hanus, d’après les travaux exécutés sur le terrain par M. F. Foureau et par les officiers de l’escorte militaire comprend 16 planches en couleur contenant l’itinéraire général de la mission entre Ouargla et Bangui, à l’échelle de 1/400.000e. Cet itinéraire est appuyé sur plus de cent positions astronomiques. Il est complété par une série de profils qui donnent une impression très nette de la région traversée.
Au point de vue géologique, c’est à M. Foureau que nous devons les documents paléontologiques permettant d’établir une chronologie précise des formations géologiques qui affleurent dans le grand désert : schistes siluriens du Tindesset, caractérisés par la présence de graptolithes, grès dévoniens, grès et calcaires carbonifères, argiles et grès albiens. Si l’on rapproche les faits observés par M. Foureau de ceux qui ont été constatés depuis à l’Ouest de l’Ahaggar, on constate[303] que le Sahara septentrional et central comprend deux régions essentiellement distinctes : une région de plissements postcarbonifères, et une région tabulaire où les plissements[138] sont antérieurs au dévonien. Les terrains crétacés forment une vaste nappe transgressive, qui s’étend indistinctement sur les deux systèmes de plissements. M. E. Haug déclare que, parmi les faits stratigraphiques mis en lumière au cours de ces dernières années, il n’en est certainement pas qui dépassent en intérêt ceux qu’a moissonnés M. Foureau au cours de ses voyages successifs en pays touareg.
Dans le chapitre consacré à la géographie physique, le Sud Algérien, le grand Erg, la hammada de Tinghert, l’Erg d’Issaouan, les massifs montagneux et les plateaux du Sahara central, les massifs de l’Aïr, les plateaux sahariens du Tagama et du Damergou sont décrits de main de maître ; M. Foureau y a joint des observations sur les dunes et sur les phénomènes éoliens. Pour la richesse des renseignements météorologiques, M. Foureau a toujours satisfait les plus difficiles. L’hydrographie contient des considérations sur le bassin de l’Igharghar, sur l’Oued Tafassasset, qui parait s’acheminer vers le S.-S.-W., dans la direction de Sokoto et du Niger, sur les oueds de l’Aïr, sur le problème du Tchad. Les collections botaniques et zoologiques sont malheureusement incomplètes, détruites par les accidents de la route.
Les collections préhistoriques reccueillies par M. Foureau et commentées par le Dr Haug et le Dr Verneau, sont des plus précieuses. Le chapitre ethnographique apporte beaucoup de renseignements nouveaux sur les Touareg du Nord et sur les Keloui de l’Aïr. Enfin l’aperçu commercial et les conclusions démontrent que toute la partie du Sahara qui s’étend depuis le Sud Algérien jusqu’aux confins septentrionaux de l’Aïr est improductive, stérile et n’offre aucune ressource sérieuse. Dans la région même de l’Aïr, les cultures sont extrêmement réduites, et il y a peu de chances d’étendre ces petits jardins entretenus à[139] grand’peine. Dans l’état actuel des choses, le Sahara n’a aucune valeur, ne produit absolument rien, et il y a lieu de procéder à son organisation de la façon la plus économique possible[304].
Parmi les missions sahariennes, il convient de mettre à part celles de MM. G. Méry et B. d’Attanoux, à cause du caractère de tentatives commerciales qui leur est propre.
En 1892, M. G. Méry fut chargé par M. Georges Rolland, ainsi que par la Société d’études pour la construction d’une voie ferrée de Biskra à Ouargla et prolongements, d’une mission géographique et commerciale au sud d’Ouargla vers le pays des Touareg Azdjer. Parti d’El-Oued avec 3 indigènes et 4 chameaux seulement, il gagna El-Biodh par Aïn-Taïba, reconnaissant le grand Gassi découvert par la première mission Flatters, le plus beau couloir de la région tant par son sol régulier de reg que par sa largeur, qui atteint jusqu’à 12 kilomètres, et constatant que l’établissement d’une voie ferrée ne rencontrerait aucune difficulté provenant de la nature du terrain[305]. D’El-Biodh, il marcha vers le S.-S.-E., comptant atteindre Tabalbalet, d’où les premiers campements Azdjer n’étaient pas éloignés, mais, après 3 jours de marche dans cette direction, il fut contraint de revenir sur ses pas par suite du refus de son guide Chaanbi de l’accompagner plus loin à cause des Touareg. Il revint à Aïn-Taïba,[140] où il rencontra M. Foureau revenant d’Hassi-Messeguem, et rentra à El-Oued par Hassi-bel-Haïran et Hassi-Mey.
En 1893, M. G. Méry est envoyé de nouveau par le syndicat de Biskra-Ouargla, avec mission de chercher à s’entendre avec les chefs des Azdjer et d’obtenir le libre passage sur leur territoire pour des caravanes à destination du Soudan central. M. Méry était allé au préalable à Tripoli se renseigner sur le mouvement des échanges existant entre ce port et le Soudan, ainsi que sur la nature des marchandises échangées. D’El-Oued, M. Méry accompagné de M. Guilloux, se dirigea sur Hassi-Mey et Hassi-bel-Haïran. Là, il fut rejoint par un miad de Touareg revenant d’Alger, où ils étaient allés, dans un but mal défini, pour voir le Gouverneur et échanger des salutations, dirent-ils, mais surtout pour se renseigner sur nos intentions à leur égard[306].
La mission, conduite par Abd-en-Nebi, marabout des Ifoghas et arrière-neveu de Cheikh Othman, se dirigea sur le lac Menghough par Tabalbalet et Aïn-el-Hadjadj, suivant la route de la première mission Flatters. Au lac Menghough, elle eut des entrevues avec les chefs Azdjer Guedassen et Mouley. Elle regagna ensuite El-Oued par Temassinin, El-Biodh, Aïn-Taïba et Hassi-bel-Haïran. L’itinéraire avait été relevé à la boussole par M. Méry, qui avait fait en outre des observations météorologiques, recueilli des échantillons géologiques et botaniques, tandis que M. Guilloux faisait des observations astronomiques.
Au point de vue scientifique, le voyage de M. G. Méry n’a donc pas été sans résultats. Au point de vue économique,[141] les assertions de cet explorateur étaient en complète contradiction avec celles de M. Foureau. M. Méry affirmait que « tous les Touareg, même les bergers, connaissaient le traité de Ghadamès, et que pas un ne manquerait à la parole donnée par un chef au nom de toutes les tribus[307] ». M. Foureau déclarait que la masse de la nation ne connaissait point la convention de 1862. Le courant d’échanges entre la Méditerranée et le Soudan est très important d’après M. Méry, insignifiant d’après M. Foureau[308]. Une vive polémique s’est engagée là-dessus ; elle ne présente d’ailleurs plus qu’un intérêt rétrospectif, puisque les conditions de la pénétration saharienne sont aujourd’hui complètement changées.
« Je ne crains pas, disait M. G. Méry, d’affirmer que nous avons la route du Soudan ouverte par le Nord, et à ceux qui me contrediraient, je me contenterais de répondre que je m’offre à en faire pratiquement la preuve. » Cette réponse eût en effet convaincu les plus incrédules. Malheureusement, elle ne fut pas faite. En octobre 1893, le Syndicat Ouargla-Soudan, avec l’appui officiel du Gouvernement général de l’Algérie, envoya une mission pour essayer de tirer parti de la première mission Méry. Cette mission comprenait M. Méry, chef de mission, M. B. d’Attanoux, ancien officier, rédacteur au Temps, M. Bonnel de Mézières, ancien membre de la mission Maistre, et deux Pères Blancs, le P. Hacquart, supérieur de la station d’Ouargla, et le P. Ménoret. Mais, dès les premiers jours, un désaccord survint entre M. Méry et ses compagnons au sujet de l’organisation de la caravane et des mesures à prendre pour assurer sa sécurité. M. Méry, souffrant, rentra en[142] France : il alla de là à Tombouctou, où il ouvrit avec beaucoup de succès des comptoirs commerciaux commandités par le Syndicat Ouargla-Soudan ; il mourut à Tombouctou, après un séjour de plusieurs années. M. B. d’Attanoux fut désigné comme nouveau chef de la mission, et le départ fut ajourné pour utiliser le retour dans son pays d’une députation de Touareg qui venait d’arriver à El-Oued, où elle fut reçue par le général de la Roque.
La mission d’Attanoux reprit la route du Sud au mois de janvier 1894, accompagnée des membres du miad Touareg et du marabout Abd-en-Nebi. Elle passa par Hassi-bel-Haïran, Aïn-Taïba, Temassinin, et gagna le lac Menghough par Tabalbalet et Aïn-el-Hadjadj. L’attitude des Touareg fut exactement la même que dans les autres tentatives pour franchir leur territoire. La mission rencontra, sur la route du Menghough, des Hoggar qui exigeaient le droit de passage et avec lesquels la discussion faillit mal tourner ; les Ifoghas suivaient la mission comme des chiens affamés, demandant sans cesse des vivres et des cadeaux ; les chefs des Azdjer, campés à 3 jours du Menghough, ne se dérangèrent point, et la mission n’alla pas les trouver : « Des raisons d’ordre matériel et moral, également impérieuses les unes et les autres, s’opposent à ce que nous allions jusque-là. Nos provisions ne résisteraient pas aux premiers assauts que leur donnerait la multitude que nous y trouverions et pour laquelle la venue d’un voyageur bien approvisionné est une bonne fortune inespérée. » On se borna à des échanges de propos avec un représentant de la Djemaa, nommé Kounni, qui déclara bien que les Azdjer « se considéraient comme liés par le traité de Ghadamès », mais qu’ils exprimaient « le désir de ne pas voir la mission aller plus loin cette année ». On reprit la route de l’Algérie, en[143] suivant le même chemin qu’à l’aller jusqu’à Temassinin ; puis la mission gagna Hassi-Tabankort, et, coupant à travers le grand Erg, se dirigea sur Hassi-bel-Haïran et Touggourt. Bien qu’elle se déclarât très satisfaite des résultats obtenus, elle n’avait pas réussi, pas plus que celles qui l’ont précédée ou suivie, à traverser le territoire des Azdjer avec le concours de ces derniers.
Un essai d’envoi de Souafa à Ghadamès, en 1896, ne réussit pas davantage ; le kaïmakam, sur des ordres de Tripoli, à ce qu’il prétendit, s’opposa à la mise en vente des marchandises, et déclara que seuls les Anglais avaient le droit de faire le commerce de l’ivoire avec Ghadamès[309].
La tentative du marquis de Morès eut une issue plus malheureuse encore. Il cherchait à faire pénétrer vers le centre africain des caravanes tunisiennes, avec l’appui de la Chambre de Commerce et d’Agriculture de Sousse. Il quitta Djeneïen le 31 mai 1896 : le 9 juin, il était massacré avec ses compagnons au lieu dit El-Ouatia (Bir-el-Oti), entre Sinaoun et Ghadamès, victime de la traîtrise de Touareg et de Chaanba dissidents entre les mains desquels il s’était remis, faisant preuve ainsi d’une funeste méconnaissance de ces contrées et de leurs habitants[310].
Un essai assez original fut fait en 1896, par le général de la Roque, pour fixer aux environs de Berresof un certain nombre de tentes touareg ; on espérait, par l’entremise de ces Sahariens, développer nos relations avec leurs congénères du désert. Ils se laissèrent nourrir pendant un certain temps, puis, lorsqu’on les invita à planter quelques palmiers, repoussèrent l’offre d’un travail indigne d’hommes libres, et firent comprendre que, si on voulait[144] leur donner des jardins, il fallait auparavant y attacher quelques esclaves nègres. Ils se mirent ensuite à voler les chameaux de nos nomades, pratiquant la razzia en quelque sorte sur place, et finirent par reprendre le chemin du Sud, dûment engraissés et repus[311].
L’échec des tentatives commerciales de MM. Méry et d’Attanoux fit songer à l’emploi d’un autre moyen. Puisque nous ne pouvions aller commercer au Sahara, il fallait amener le Sahara à venir commercer chez nous. On pensa qu’il fallait avant toute chose s’attacher à modifier le tarif douanier appliqué, lors de leur entrée dans les ports algériens, aux marchandises françaises. Les prix de nos produits se trouvaient majorés des 2/3 par les taxes qu’ils subissaient comparativement aux denrées similaires parvenant à la même latitude par Tripoli ou le Maroc[312]. Dans le Sahara oranais, le sucre, le thé, le café et les objets de quincaillerie étaient de provenance marocaine. En 1892, une caravane de Rezaïna, chargée de denrées diverses d’une valeur de 65.828 fr., n’emportait qu’un seul produit de notre industrie française : 96 francs de bougie de Marseille ; ce chiffre a son éloquence. A Figuig, les marchandises venues de Melila étaient meilleur marché que celles d’Aïn-Sefra[313].
Une commission fut instituée en 1903, par ordre de M. J. Cambon, pour chercher les moyens de remédier à cet état de choses. Elle reconnut que le régime appliqué stérilisait notre action, et conclut en demandant l’entrée en franchise des produits destinés à traverser du N. au S. le territoire algérien pour se répandre dans le Sahara[314].[145] Comme conséquence, elle réclamait la création non de territoires francs, mais simplement de postes de sortie où l’on s’assurerait que les exportations sont bien réelles. La caravane emportant les produits détaxés serait escortée pendant un certain temps pour prévenir toute fraude[315]. Un décret du 17 décembre 1896 réalisa cette mesure et indiqua comme postes de sortie El-Oued, Touggourt, El-Abiod-Sidi-Cheikh, Djenien-bou-Rezg[316].
En Tunisie, la frontière saharienne est restée franche de toute barrière douanière et la pénétration commerciale se présente sous certains rapports dans des conditions plus favorables qu’en Algérie. On pouvait espérer faire concurrence à Tripoli et faire aboutir au golfe de Gabès une partie du commerce, faible d’ailleurs, de Ghat et de Ghadamès. En y intéressant les Azdjer, on comptait créer une voie indépendante de ces deux villes ; le mouvement devait se produire par l’arrivée à Tataouïn de caravanes conduites par les Sahariens eux-mêmes, et effectivement un léger mouvement de reprise se produisit vers 1895, bientôt arrêté par le meurtre de Morès. Ce mouvement ne paraît pas s’être beaucoup accentué depuis[317]. Sans abandonner complètement tout espoir de trafic transsaharien, on s’occupe surtout actuellement, et avec juste raison, du développement économique des diverses régions qui constituent l’Extrême-Sud tunisien[318].
Restait à essayer de la pénétration économique par les[146] voies ferrées, l’instrument évidemment le plus efficace au point de vue politique comme au point de vue commercial. La question du Transsaharien, un moment enterrée après la mission Flatters, renaît de ses cendres vers 1890. Cette résurrection[319] est due en grande partie aux efforts de M. G. Rolland, ancien membre de la mission Choisy. Par ses brochures et ses conférences, M. Rolland a ému l’opinion publique et suscité de nouvelles controverses. M. Ed. Blanc, le général Philebert, furent également parmi les plus chauds partisans du Transsaharien, examinant la question économique, les rapports avec les Touareg, les difficultés techniques[320]. « Faire un tout de l’Algérie, du Sénégal et du Congo, par le Sahara touareg et par le Soudan central et occidental », tel est le but que se proposent MM. Philebert et Rolland[321], M. Rolland examine les divers tracés : occidental, d’Aïn-Sefra au Niger[322] ; central, de Laghouat à El-Goléa et au Niger[323] ; occidental, de Biskra au lac Tchad par Ouargla, l’Igharghar et Amguid. Enfin M. Ed. Blanc préconise plus particulièrement le tracé du golfe de Gabès au Soudan par Ghat et Ghadamès[324]. En somme, quatre tracés principaux étaient proposés, correspondant à chacune des provinces algériennes et à la Tunisie, les tracés par le Touat conduisant[147] au Niger et ceux par l’Igharghar menant au Tchad, quoique chacun d’eux puisse « faire la fourche[325] » vers le Tchad et vers le coude du Niger. Les préférences de M. G. Rolland, de M. Schirmer[326] et de beaucoup d’autres personnes compétentes en matière saharienne paraissent être à cette époque pour le tracé qui passe par Biskra, Ouargla et Amadghor et aboutit au Tchad.
En 1899, à la suite des progrès nouveaux de la domination française dans l’Afrique centrale, il y a eu un troisième réveil de la question du Transsaharien. Cette fois, c’est M. Paul Leroy-Beaulieu qui prend la tête du mouvement[327]. Il fait ressortir l’incohérence de notre empire africain, à laquelle il espère remédier par la construction d’un Transsaharien. Il reprend les arguments économiques et politiques précédemment développés, en y ajoutant des considérations tirées d’événements récents, tels que la mission Marchand. Il préconise la construction de deux lignes allant l’une au Niger, l’autre au Tchad, et évalue les dépenses à 100 millions pour la première ligne et 150 ou 160 millions pour la seconde. Cette fois comme les précédentes, de nombreuses objections n’ont pas manqué de se produire[328].
La pénétration du Sahara par le Nord est demeurée jusqu’à ces dernières années si difficile, que l’ère de la géographie positive, pour reprendre l’expression de Carette, n’a encore commencé que pour une faible partie de ces régions. Pour le reste, il faut continuer à se contenter de renseignements indirects fournis par les indigènes.
En 1890, le commandant Deporter publiait une volumineuse étude sur l’Extrême-Sud Algérien[329], divisée en trois parties, la première, concernant El-Goléa et son territoire, la deuxième le Gourara, le Touat et le Tidikelt, la troisième le pays des Touareg de l’Ouest. Le volume se termine par plusieurs itinéraires à Tombouctou et à Agadès. Il n’est que le commentaire de la carte du Sahara, publiée en même temps. La méthode suivie par Deporter dans cet ouvrage a été, de la part de M. C. Sabatier, l’objet de critiques très justifiées[330]. Deporter n’indique pas ses sources ; on ignore si ses itinéraires sont dus à la déposition d’un seul, ou s’ils sont appuyés par plusieurs témoignages, et jusqu’à quel point ces témoignages sont concordants. « Nous aimerions à connaître ses informants[331], savoir combien de fois ils ont fait le voyage, savoir s’il y en a d’autres qui ont vu comme eux, et faute par Deporter de nous fixer à ce sujet, on n’utilisera le plus souvent ces itinéraires qu’à titre de simple renseignement, quand ils combleront les lacunes de Barth et non quand ils contrediront ses informations. »
Une faute grave de Deporter est d’avoir traduit en kilomètres les distances accusées par ses informateurs en[149] journées ou heures de marche. Il y a là une précision inquiétante. On se demande dans quelle mesure il a pu substituer son appréciation personnelle à celle des indigènes. « Lorsque, comme Deporter, on accompagne ses itinéraires d’une carte, on est tenté, très loyalement d’ailleurs, de tirer sur les itinéraires comme sur un fil élastique, tantôt les laissant se raccourcir, tantôt les allongeant pour permettre une construction cartographique qui concilie les renseignements qui sont venus de diverses sources[332]. » La carte devient par suite incontrôlable. Ce n’est pas ainsi qu’avait procédé M. Bissuel, qui enregistre comme un simple notaire et indique lui-même dans quelles limites ses informateurs sont susceptibles d’erreur.
L’ouvrage de M. C. Sabatier[333], paru en 1891, est au contraire un véritable travail de géographie critique, digne pendant de ceux des d’Avezac, des Daumas, des de Colomb. M. C. Sabatier donne d’abord une note justificative à l’appui de sa carte du Sahara central et méridional. Après un aperçu générale de la géographie physique et économique de la région, il étudie les divers tracés de Transsaharien et donne la préférence au tracé par Igli. Puis il étudie la question du Touat et du Sahara. En appendice on trouve une note intéressante sur la valeur, la recherche et l’emploi des informations géographiques d’origine indigène, puis des itinéraires indigènes recueillis par l’auteur et déjà en partie connus. Malgré certaines exagérations et quelques illusions en ce qui concerne le rôle économique du Transsaharien et du Touat, l’ouvrage de M. C. Sabatier conserve une réelle valeur.
L’utilisation des informations indigènes peut encore fournir nombre de documents. M. le capitaine Fariau[150] a donné un itinéraire du Kheneg-el-Hadid au pays d’Adrar[334] d’après le Targui Mohamed Ould Ali ben Besis, qui donne de très intéressants renseignements sur le Mouydir ; il est accompagné de deux cartes, dont l’une est due au Targui lui-même, qui l’a dessinée d’une main sûre, rapidement et sans hésitation. Enfin le Bulletin de la Société de Géographie d’Alger publiait[335] quelques indications dues au Naïb des Kadrïa d’Ouargla sur l’itinéraire d’Hassi-el-Mongar à In-Salah, complétant les renseignements de MM. Le Châtelier et Deporter.
Parmi les ouvrages scientifiques et les travaux d’ensemble publiés sur le Sahara, il convient de mentionner en première ligne l’ouvrage de M. Schirmer[336]. Cette thèse magistrale a contribué, plus qu’aucun autre livre, à rectifier et à préciser les idées répandues dans le public sur la géographie du Sahara. Les idées de M. H. Schirmer sur la géographie physique et le climat du Sahara sont aujourd’hui admises par tout le monde et ne soulèvent plus d’objections. Quant à ses conclusions économiques, les objections présentées par M. Fock[337] ne les atteignent en rien. Depuis lors, M. Schirmer a fait entendre à plusieurs reprises son avis toujours autorisé dans les questions sahariennes, traduisant Erwin de Bary[338], combattant, en compagnie de M. Foureau, les illusions que quelques[151] personnes nourrissent soit à l’égard des Touareg, soit à l’égard du Transsaharien.
L’Exploration du Sahara de M. P. Vuillot[339] est un ouvrage des plus utiles et un répertoire commode, auquel nous avons fait de nombreux emprunts. Il est édité avec soin et accompagné de cartes-itinéraires hors texte, précieuses pour les travailleurs. Malheureusement, les appréciations de l’auteur paraissent avoir été faussées par des idées préconçues, notamment en ce qui concerne le traité de Ghadamès.
L’un de nous a publié, en collaboration avec M. H. M. P. de la Martinière, et par ordre de M. Jules Cambon, des Documents sur le Nord-Ouest africain[340] qui constituent une sorte de dossier des affaires concernant l’Ouest et le Sud-Ouest de l’Algérie. La question du Touat et les questions connexes y sont étudiées sous leurs divers aspects. On a utilisé, outre les ouvrages imprimés, divers documents des archives du Service des affaires indigènes, des itinéraires européens et indigènes inédits, dont on trouvera la liste à la fin de chaque volume.
La cartographie saharienne a fait aussi de notables progrès. En 1890 paraissait la carte dite de l’Extrême-Sud, de Deporter, à 1/800.000e, en 13 feuilles. En 1891, le Service géographique de l’armée entreprenait une nouvelle édition de la carte d’Afrique à 1/2.000.000e, sous la direction du capitaine Rouby ; cette édition est en trois couleurs, la planimétrie en noir et en bleu, le figuré[152] du terrain en bistre. En 1894, le même Service rééditait la carte générale de l’Algérie à 1/800.000e en six feuilles : les deux feuilles méridionales s’étendent jusqu’à la latitude d’In-Salah. En 1895, M. P. Vuillot accompagnait son historique des explorations d’une carte du Sahara à 1/4.000.000e. De nombreuses cartes accompagnent l’ouvrage que l’un de nous a publié en collaboration avec M. de la Martinière ; l’une d’elles, à 1/2.000.000e, qui donne la région touatienne et les itinéraires qui la relient à l’Algérie, rectifie utilement pour cette région la feuille correspondante du 1/800.000e.
En Tunisie, la carte à 1/400.000e de la région frontière, carte par itinéraires et renseignements publiée en novembre 1890 par le commandant Rebillet, complète la lacune dans la géographie de l’Arad entre la carte de reconnaissance à 1/200.000e et la frontière tripolitaine. Au cours des années 1892 à 1894, M. le lieutenant de Larminat a effectué la triangulation de la région représentée sur cette carte, avec la topographie définitive à 1/50.000e[341]. Enfin la feuille Sud de la carte à 1/800.000e de la Tunisie comprend le Sahara tunisien jusqu’à Ghadamès et une partie de la Tripolitaine ; mais les renseignements qu’elle contient sont fort incomplets. La carte que M. V. Cornetz a jointe à son travail était destinée à remplacer ce document et à servir de carte de reconnaissance aux triangulateurs et topographes ; elle a servi à améliorer les éditions ultérieures de la carte à 1/800.000[342].
[262]H. Schirmer, Les voies de pénétration au Soudan (Ann. de Géogr., 1891-92, p. 16). — Id., Le Sahara, p. 406.
[263]Documents, III, p. 59.
[264]Documents, II, p. 143 ; IV, p. 130.
[265]Documents, III, p. 63-64. — Pour l’historique de la question du Touat, v. Documents, III, ch. II, et G. Mandeville, L’Algérie Occidentale et le Touat (Quest. diplom. et colon., 1898, t. III. p. 137).
[266]Documents, III, p. 80.
[267]Rinn, Nos Frontières Sahariennes, p, 46.
[268]Journal des Débats, 17 février 1899.
[269]Bull. Afr. fr., 1897, p. 250.
[270]Bull. Afr. fr., 1898, p. 207.
[271]Bull. Afr. fr., 1899, p. 100.
[272]Id., 1896, p. 381.
[273]Ces travaux ont été utilisés dans les Documents (voir notamment tome IV, p. 199, et l’atlas joint aux Documents).
[274]Documents, III, p. 105.
[275]G.-B.-M. Flamand, De l’Oranie au Gourara, in-8o, Paris 1898. — Id., La traversée de l’Erg occidental. (Ann. de Géogr. 1899, p. 231.)
[276]Id., L’Atlas Saharien. (Nouvelles géographiques, 1892). — Id., Caractères généraux des régions qui bornent à l’ouest la province d’Oran. (Documents II, chap. III., p. 172 et suiv., 1896.)
[277]Id., Aperçu général sur la géologie et les productions minérales du bassin de l’Oued-Saoura et des régions limitrophes. (Documents, III, et tirage à part, 1897).
[278]G.-B.-M. Flamand, Les pierres écrites (Hadjrat mektoubat) du nord de l’Afrique et spécialement de la région d’In-Salah. (L’Anthropologie, 1897-1901). Id., Hadjrat mektoubat ou les pierres écrites. Premières manifestations artistiques dans le Nord Africain. (Bull. Soc. Anthropol. de Lyon, 1901, et Bull. Soc. Géogr. Alger, 1902). Id., Note sur les inscriptions et dessins rupestres de la gara des chorfa du district de l’Aoulef (Tidikelt). (Bull. Géogr. historique et descriptive, 1903).
[279]Id., Une mission d’exploration scientifique au Tidikelt. Aperçu général sur les régions traversées. (Annales de Géog., 1900.) Id., Au Tidikelt. Le programme saharien. (Questions diplomatiques et coloniales. 1900). Id., L’occupation d’In-Salah et l’action française dans le Sahara. (Bulletin de la Réunion d’Etudes algériennes, 1900). Id., Sur la position géographique d’In-Salah. (C. R. Acad. Sc., 1902). Id., Sur le régime hydrographique du Tidikelt. C. R. Acad. Sc., 21 juillet 1902, p. 212).
[280]G.-B.-M. Flamand, Sur la présence du Dévonien à calceola sandalina dans le Sahara occidental (Ibid., 1901). Id., Sur la présence du terrain carbonifère dans le Tidikelt. Id., Sur la présence du Dévonien inférieur dans le Sahara occidental. (C. R. Acad. Sc., 1902). Ces deux notes, ainsi que la précédente, ont été reproduites dans le Bull. de la Réun. d’études algériennes, 1902, p. 304 et suiv.
[281]Id., Observations sur les nitrates du Sahara. (Bull. Soc. Géol. Fr., 1902, p. 366).
[282]Bull. Afr. fr., juillet 1898, p. 227, av. carte par P. Vuillot.
[283]V. Cornetz, Le Sahara tunisien, étude géographique. (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1896, p. 518, av. carte à 1/800.000e).
[284]P. Vuillot. Note sur un voyage de Nefta à Ghadamès, exécuté par MM. Cazemajou et Dumas. (Bull. Soc. Géogr. Paris, 1896, p. 145).
[285]F. Foureau, Mes Missions dans le Sahara (Bul. de la Soc. de Géogr. de Marseille, 1897, tome XX, p. 360). — Id., Coup d’œil sur le Sahara français (Ann. de Géogr., 1894-95, p. 61). — J. Bergeron, Résultats des voyages de M. Foureau au point de vue de la géologie et de l’hydrologie (Extr. des Mém. de la Soc. des Ingén. civils, janvier 1897).
[286]Id., Mission du Tademayt (Bull. Soc. Géogr. de Paris, 1891, p. 5). — Id., Une mission au Tademayt (territoire d’In-Salah) en 1890 : rapport au Ministre de l’Instruction publique, in-8o. Paris, 1890. Cf. P. Vuillot, p. 248.
[287]C. R. Soc. Géogr., 1892, p. 244. Cf. Vuillot, p. 263.
[288]F. Foureau, Une mission chez les Touareg (C. R. Soc. Géogr., 1893, p. 256 ; Bull. Soc. Géogr. 1893, p. 500). — Id., Au Sahara : Mes deux missions de 1892 et 1893 (Réédition du rapport de mission de juillet 1893), in-8o, Paris, 1897. — Cf. Vuillot, p. 286.
[289]F. Foureau, C. R. Soc. Géogr. 1894, p. 132 ; Bull. Soc. Géogr., 1895, p. 10. — Id., Rapport sur ma mission au Sahara et chez les Touareg Azdjer (octobre 1893 à mars 1894), 1 vol. texte et 1 vol. carte, in-8o, Paris, 1894. Cf. Documents, Atlas, pl. X. et Vuillot, p. 302.
[290]B. S. G. P., 1895, p. 32.
[291]F. Foureau, C. R. Soc. Géogr., 1895, p. 45, 171, 210, 303. — Id., Mission chez les Touareg, Mes deux itinéraires sahariens d’octobre 1894 à mai 1895, in-8o, Paris, 1895.
[292]C. R. Soc. Géogr., 1895, p. 172-173.
[293]Id., 1895, p. 306.
[294]F. Foureau, C. R. Soc. Géogr., 1896, p. 99. — Id., Dans le grand Erg : Mes itinéraires sahariens de décembre 1895 à mars 1896 : rapport au Ministre de l’Instruction publique, in-8o, Paris, 1896.
[295]F. Foureau, Mon neuvième voyage au Sahara et au pays Touareg. (C. R. Soc. Géogr., 1898, p. 229 ; B. S. G. P., 1898, p. 229).
[296]H. Schirmer, Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts, Bull. Soc. Géogr. Lyon, 1896.
[297]B. S. G. P., 1898, p. 229.
[298]Sur la mission Foureau-Lamy, voir F. Foureau, D’Alger au Congo par le Tchad, in-8o, Paris, 1902. — Id., Documents scientifiques de la mission Saharienne, Texte et atlas in. 4o, Paris, 1905. — Ct Reibell, Le commandant Lamy d’après sa correspondance et ses souvenirs de campagne, in-8o, Paris, 1903. Cf. aussi La Géographie, 1900, t. II, p. 433 et suiv.
[299]Bull. Afr. fr., 1899, p. 176.
[300]Bull. Afr. fr., 1899, p. 177.
[301]F. Foureau, Documents scientifiques de la mission Saharienne, Paris, 1905 (Publicat. de la Soc. de Géogr.) 1 vol. in-4o de 1210 p., av. 428 fig., 30 pl. et 1 atlas.
[302]H. Schirmer, Ann. de Géogr. 1904, p. 83 et suiv. — L. Gentil, Bull. Afr. fr., 1905, p. 321-428. — E. Haug, La Géographie, 1905, t. XII, p. 297 et suiv.
[303]Haug, art. cité, p. 302.
[304]Documents scientifiques de la Mission Saharienne, p. 1160-1164.
[305]C. R. S. Géogr., 12 juin 1892.
[306]Depont et Coppolani, Les confréries religieuses musulmanes, p. 273.
[307]C. R. Soc. Géogr., 5 mai 1893.
[308]P. Vuillot, p. 228 (d’après M. Fock). — Cf. Foureau, B. S. G. P., 1893, p. 529.
[309]Bull. Afr. fr., 1896, p. 44.
[310]Bull. Afr. fr., janvier 1895 ; ibid., 1896, p. 202 et 209. V. aussi Dépêche Algérienne du 28 juillet 1902.
[311]Bull. Afr. fr., 1896, p. 127 ; 1898, p. 232.
[312]Id., II, p. 157.
[313]Documents, II, p. 168.
[314]Bull. Afr. fr., 1899, p. 202.
[315]Documents, II. p. 163-164.
[316]Bull. Afr. fr. 1898, p. 42.
[317]P. Rebillet, Relations commerciales de la Tunisie avec le Soudan, in-8o, 1896 (n. m. d. l. comm.). — Id., Relations commerciales de la Tunisie avec le Soudan, (Revue générale des Sciences, 1896, p. 1151).
[318]E. Fallot, Etude sur le développement économique de l’Extrême-Sud tunisien (Bull. Dir. Agr. et Comm. de Tunis, 1899).
[319]Schirmer, Le Sahara, p. 405.
[320]G. Rolland, C. R. Soc. Géogr., 7 mars et 11 avril 1890.
[321]Philebert et Rolland, La France en Afrique et le Transsaharien, Paris, 1890.
[322]Recommandé notamment par M. Bouty, Bull. Soc. de Géogr. d’Oran, passim.
[323]Préconisé notamment par M. Broussais, de Paris au Soudan, in-8o, Alger-Paris, 1891.
[324]Lanier, L’Afrique, Lectures géographiques, p. 421. Cf. C. R. Soc. Géogr. années 1889-90. V. aussi G. Rolland, Le Transsaharien : Un an après, Paris, 1891. — A. Fock, Algérie, Sahara, Tchad, Paris, 1891.
[325]Philebert et Rolland, La France en Afrique et le Transsaharien, p. 65.
[326]Schirmer, Le Sahara, p. 414.
[327]Journal des Débats, 30 sept. et 9 nov. 1898, 18 mars et 31 août 1899, et surtout R. D. M., 1er juillet 1899, p. 4 et 113. On trouvera la plus récente et la plus complète expression des idées du savant économiste sur la question dans Paul Leroy-Beaulieu, Le Sahara, le Soudan et les chemins de fer, in-8o, Paris, 1904.
[328]V. notamment P. Lefébure, Correspondant, 25 juillet 1899, p. 324. — Général Cosseron de Villenoisy, Bull. Afr. fr., 1899, p. 259. — Augustin Bernard, La question du Transsaharien, in-8o, Alger, 1899.
[329]In-8o, Alger, 1890.
[330]C. Sabatier, Touat, Sahara, Soudan, p. 3.
[331]Ibid., p. 5.
[332]C. Sabatier p. 9.
[333]Id., Touat, Sahara, Soudan, in-8o, Paris, 1891.
[334]Bull. Soc. Géogr. d’Alger, 1899, p. 181.
[335]Id., 1899, p. 197.
[336]H. Schirmer, Le Sahara, in-8o, 1893.
[337]Revue générale des sciences, 30 octobre 1893.
[338]Schirmer, Le dernier rapport d’un Européen sur Ghat et les Touareg de l’Aïr, in-8o, Paris, 1898.
[339]P. Vuillot, L’exploration du Sahara, étude historique et géographique, gr. in-8o, Paris, 1895.
[340]4 vol., de texte et 1 atlas.
[341]De Larminat, Etude sur les formes du terrain dans le Sud de la Tunisie (Ann. de Géogr., 1895-96, p. 386).
[342]Bull. Soc. Géogr., Paris, 1896, p. 521-522.
LA SOLUTION (1900-1906)
I. L’occupation des oasis du Sud-Ouest et ses conséquences. — La question de la Zousfana. — Protocoles de 1901 et 1902. — Attentats de 1902. — Bombardement de Zenaga. — Affaire de Taghit. — Le général Lyautey (septembre 1902). — Occupation de Béchar (novembre 1903). — Organisation de la région entre Zousfana et Oued-Guir. — Le chemin de fer. — Le commerce. — Reconnaissances et explorations. — Cartographie.
II. La question Touareg. — Les raids Cottenest, Guillo-Lohan, Laperrine, Pein et Besset. — Action du Soudan. — Jonction de l’Algérie avec le Soudan (18 avril 1904). — Mission Etiennot. — Résultats scientifiques. — M. Emile F. Gauthier.
III. Les Territoires du Sud et leur organisation. — La limite Sud de l’Algérie. — La limite Nord du Soudan. — Les communications transsahariennes : le télégraphe, le chemin de fer.
« L’Algérie n’est pas achevée, écrivait Rohlfs ; il est absolument nécessaire que tout le système de l’Oued-Saoura, et par suite le Gourara, le Touat et In-Salah soient attirés dans la sphère d’action de la France. Il est tout-à-fait étonnant qu’on ne l’ait pas reconnu après le massacre de la mission Flatters. » L’expérience a démontré combien cette appréciation était exacte. Par le retentissement qu’elle a eu parmi les populations sahariennes, par le point d’appui qu’elle a donné à notre politique, la prise de possession des Oasis du Sud-Ouest a été un événement décisif, le plus décisif de tous dans l’histoire de la pénétration saharienne, dont les conditions[154] se sont trouvées complètement modifiées à notre très grand avantage. Cette occupation a été effectuée par à-coups, sans plan d’ensemble, sans vues d’avenir, sous la pression des circonstances, et c’est en partie pour cela qu’elle a été extrêmement coûteuse. Mais enfin elle a été effectuée, c’est l’essentiel.
C’est seulement au mois de mars 1900[343] qu’on se décida à l’occupation de tout le groupe des oasis du Sud-Ouest, conséquence nécessaire de la prise d’In-Salah.
Une colonne commandée par le lieutenant-colonel d’Eu fut mise en route pour achever l’occupation du Tidikelt, pendant qu’une seconde colonne s’avançait de Duveyrier vers Igli sous les ordres du colonel Bertrand. La première de ces colonnes eut à soutenir, le 19 mars, un combat acharné et sanglant, à la suite duquel on s’empara des oasis d’Inrar, situées à environ 50 kilomètres à l’ouest d’In-Salah. Le chef Ed Driss ben Naïmi, qui avait pris le titre de « pacha de Timmi », et n’avait pas cessé d’être, depuis la prise d’In-Salah, l’agent le plus actif de l’hostilité contre la France, avait rassemblé des contingents tirés du Touat, de l’Aoulef, de Sali et évalués à 3.000 hommes environ. La kasba du ksar Lekhal, où un grand nombre de combattants s’étaient réfugiés, fut bombardée et s’écroula en partie sur ses défenseurs. Les pertes de l’ennemi furent d’environ 600 tués ; parmi les prisonniers se trouvait Ben Naïmi. Nous eûmes 9 tués et plusieurs blessés[344]. Le combat d’Inrar fut suivi de la soumission des[155] oasis de l’Akabli et de l’Aoulef, les plus occidentales du Tidikelt. D’autre part, la colonne Bertrand, forte de 2.000 hommes, partie de Duveyrier le 25 mars, occupait Igli sans coup férir le 5 avril. Enfin des forces venues d’El-Goléa et de Géryville convergeaient sur Tabelkoza et Timmimoun, les premières par l’Oued-Meguiden, les secondes par l’Erg, et occupaient le Gourara.
Quelques semaines plus tard, le général Servière, nommé au commandement de la division d’Alger, entreprenait une tournée dans les oasis ; n’ayant comme escorte qu’une section de tirailleurs et un peloton de spahis sahariens, avec un convoi de 200 chameaux, il visitait d’abord les ksour du Tidikelt, entrait le 30 juillet à Adrar (Timmi), le plus important des ksour du Touat, et revenait à El-Goléa par le Gourara sans avoir perdu ni un homme ni un chameau. Il réclamait la création à Adrar d’une circonscription administrative semblable à celles que l’on venait d’organiser à In-Salah et à Timmimoun.
Cependant certaines oasis du Gourara faisaient appel aux Beraber pour organiser la résistance à notre domination. Le 30 août, le capitaine Falconetti, chef de l’annexe du Gourara, se heurtait à ces adversaires avec lesquels nous ne nous étions pas encore mesurés ; il les rencontrait à Sahela-Metarfa, à 80 kil. environ au sud de Timmimoun. Retranchés dans les kasbas, les Beraber résistèrent à toutes les attaques, et les nôtres durent se retirer sur Deldoul, après avoir perdu un officier (lieutenant Depardieu) et quatre hommes[345]. Le 5 septembre, un nouveau combat, qui coûta la vie au capitaine Jacques, n’eut pas plus de succès. On fut obligé d’envoyer dans le Sud-Ouest des renforts assez considérables.
[156]En janvier 1901, le général Servière[346], revenu aux oasis, installa à Adrar une petite garnison qui devait occuper ce nouveau poste. Pendant son séjour il apprit que, le 18 février, une harka de Beraber, forte de 650 hommes, avait surpris la garnison de Timmimoun et n’avait été repoussée qu’après un combat meurtrier. Il l’atteignit à Charouin (28 février) et lui infligea des pertes sérieuses. Après son départ, il poussa jusqu’au petit ksar de Talmin, qui nous avait, comme Charouin, manifesté de l’hostilité et qui, après un court engagement, fit sa soumission. Depuis lors, la paix a régné d’une manière complète dans les oasis, et aucun combat ne s’y est plus livré.
Au printemps de 1901, la « question du Touat » proprement dite peut donc être considérée comme réglée et résolue. Cette prise de possession ne s’est pas opérée sans d’assez grandes difficultés, les unes inhérentes à l’opération elle-même, les autres résultant d’hésitations ou d’erreurs de méthode : hésitation à occuper les oasis après la prise d’In-Salah, hésitations à s’établir à Adrar après la tournée du général Servière ; erreurs de méthode consistant à accumuler inutilement dans ces régions pauvres les inutiles, lourds et onéreux effectifs de troupes régulières qui ne peuvent y subsister qu’au prix d’énormes sacrifices d’argent et d’animaux, au lieu de s’en tenir simplement à des tournées de police exécutées par des éléments sahariens[347].
Au Touat comme dans tout le Sahara, on vient facilement à bout des sédentaires, habitant des oasis ; les nomades, plus guerriers et échappant plus facilement au châtiment, sont autrement redoutables. Ce sont les nomades[157] du Zegdou et la puissante tribu des Beraber, dont le territoire s’étend derrière le leur, qui attaquent nos postes et nos convois de ravitaillement. Nous avons été amenés à utiliser la ligne de communication naturelle de la Zousfana et de la Saoura pour relier les oasis à la région du Sud-Oranais : c’est même par là qu’on aurait dû commencer si l’on avait agi suivant un plan d’ensemble au lieu d’avoir la main forcée par les événements. Pour assurer sa ligne de ravitaillement, l’autorité militaire avait multiplié les postes dans cette région dangereuse et exposée aux coups de main. En 1902, une nouvelle annexe était installée à Beni-Abbès, et l’annexe d’Igli était transférée à Taghit, au centre des oasis des Beni-Goumi. En 1901, une autre annexe avait été établie à 13 kilomètres au sud de Figuig, à Djenan-ed-Dar, où un poste destiné à surveiller cette oasis avait été placé dès le mois de décembre 1900. Le 1er avril 1902, un décret avait créé les compagnies des oasis sahariennes, dans le but de remplacer les troupes régulières qui avaient jusqu’alors été maintenues au Gourara, au Touat et au Tidikelt, par des unités plus mobiles et d’un entretien moins onéreux. Ces compagnies, pourvues de cadres français, sont composées d’hommes recrutés parmi les habitants du Sahara et qui, au moyen de la solde qui leur est attribuée, se nourrissent et s’entretiennent eux-mêmes. Chaque compagnie comprend des fantassins, des cavaliers et des méharistes. Elle est pourvue de pièces d’artillerie légère. Les officiers appartenant au service des affaires indigènes sont chargés à la fois du commandement de ces troupes spéciales et de l’administration du pays[348]. En même temps, les Oasis sahariennes,[158] qui jusqu’alors avaient relevé de la division d’Alger, étaient rattachées à la division d’Oran.
Cependant ces mesures se montraient assez peu efficaces. C’est qu’il n’était pas possible d’occuper le fossé, c’est-à-dire la Zousfana, sans être obligé de s’assurer en même temps du talus qui le borde, c’est-à-dire de la région des Ouled-Djerir et des Douï-Menia qui s’étend entre la Zousfana et l’Oued-Guir[349]. Quand on veut couvrir quelque chose, on s’interpose entre ce quelque chose et l’ennemi[350]. Il n’y avait évidemment qu’à user, comme nous l’avions fait à plusieurs reprises, des droits qui nous sont conférés par le traité de 1845, et à reprendre la politique que nous avions suivie jadis avec de Colomb en 1855-57, avec de Wimpffen en 1870. Mais on craignait de se trouver entraîné trop loin et d’ouvrir inopinément de ce côté la question du Maroc.
Au mois de juin 1901, M. Paul Révoil était appelé au Gouvernement Général de l’Algérie, où il succédait à M. Jonnart. Après avoir été longtemps à Tunis, et représenté la France à Tanger, il allait, comme gouverneur de l’Algérie, appliquer la politique consistant à donner plus d’unité à notre action dans l’Afrique du Nord. C’est à l’instigation de M. Révoil qu’avait été signé à Paris, le 20 juillet 1901, un protocole[351] destiné à interpréter[159] et à compléter le traité de délimitation du 18 mars 1845, et à inaugurer dans ces régions la politique de collaboration avec le makhzen. Il avait été stipulé que la France resterait maîtresse du territoire des Ouled-Djerir et des Douï-Menia, et que ceux de ces indigènes qui refuseraient de se soumettre à la France devraient se transporter dans la région du Maroc que le Gouvernement chérifien leur assignerait comme résidence. Cet arrangement fut suivi de deux accords complémentaires (20 avril et 7 mai 1902) établissant entre l’Algérie et le Maroc un modus vivendi pour les relations politiques, administratives et commerciales dans les régions-frontières. Mais, sur le terrain, ces conventions ne purent être mises à exécution. Les commissaires français et marocains chargés de notifier aux Douï-Menia et aux Ouled-Djerir les arrangements les concernant avaient été fort mal accueillis à Kenadsa. Ils avaient cependant réussi à éloigner de Figuig notre vieil ennemi de 1881, Bou-Amama, qui y résidait depuis plusieurs années ; Bou-Amama n’avait pas voulu profiter de l’aman qu’on lui avait accordé en 1899, et se tenait depuis lors à l’écart, cherchant en apparence à nous servir, mais en réalité excitant en toute occasion les populations contre nous et prélevant sa part du butin fait à notre détriment, le plus souvent par des bandits de son entourage. Aussi sa présence dans l’oasis constituait-elle pour nous une source d’ennuis de tous les instants. Sur notre demande, Si Mohammed Guebbas, chef de la mission marocaine, invita le vieux marabout à quitter Figuig ou à se soumettre ; il gagna, par étapes successives, la région d’Oudjda, où il alla faire cause commune avec le prétendant Bou-Hamara.
Cependant les vols et les agressions contre nos postes[160] et nos convois, enlèvements de troupeaux, assassinats de sentinelles, attentats contre les isolés, vols de fils télégraphiques se multipliaient d’une manière de plus en plus inquiétante dans la région de la Zousfana. Au mois d’octobre 1901, deux enfants avaient été assassinés sur la route de Duveyrier ; le 19 janvier suivant, deux capitaines du 1er régiment étranger, MM. de Cressin et Gratien, étaient tués dans la même région. Dans les premiers mois de 1903, des convois étaient enlevés ou attaqués entre Djenan-ed-Dar et Taghit, et la situation devenait de plus en plus intolérable.
M. Jonnart, député, ancien ministre des Travaux publics, replacé à la tête du Gouvernement général de l’Algérie en mai 1903, était décidé à mettre un terme à cet état de choses. Il se rendit aussitôt dans le Sud-Ouest ; au cours de sa tournée, le 31 mai, son escorte fut attaquée par les habitants de Zenaga, le principal des ksour de Figuig. Cet incident ne fit que hâter l’exécution des mesures de police prévues. Le 8 juin, le ksar de Zenaga fut bombardé. Aussitôt après, les habitants de Figuig vinrent faire des offres de soumission sans conditions. L’aman leur fut accordé. Une petite colonne avait été envoyée en même temps à l’ouest du Chott Tigri et une autre s’était avancée jusqu’à Bechar sans incidents.
Depuis cette époque, la population sédentaire de Figuig peut être considérée comme pacifiée ; mais les nomades n’ont pas cessé les hostilités. Quelques agressions se sont encore produites dans la deuxième partie de l’année 1903. Le 16 juillet, un détachement de la compagnie saharienne du Touat fut attaqué à Hassi Rzell, dans la Saoura ; le capitaine Regnault, chef de l’annexe de Beni Abbès, atteignit les Beraber auteurs de ce coup de main et les défit à Noukhila, le 28 du même mois.
[161]Le poste de Taghit fut investi, du 17 au 21 août, par une horde de plus de quatre mille Beraber, secondés par quelques Ouled-Djerir et Chaanba dissidents. La petite garnison, sous les ordres du capitaine de Susbielle, fit une admirable résistance et contraignit les assaillants à la retraite. Le 2 septembre, un convoi fut attaqué à El Moungar, dans la Zousfana ; la défense fut héroïquement dirigée par le sergent-fourrier Tisserand après la mise hors de combat des deux officiers qui commandaient l’escorte.
Cette dernière affaire, venant à la suite de la tentative heureusement avortée de Taghit, avait ému l’opinion publique. Aussi le gouvernement se décida-t-il, sur les instances du Gouverneur général, à confier le commandement de la subdivision d’Aïn-Sefra au général Lyautey, qui s’était déjà trouvé aux prises avec de semblables difficultés au Tonkin et à Madagascar et y avait fait ses preuves comme organisateur. Bientôt après, on renforçait encore la situation du général Lyautey en dotant la subdivision d’Aïn-Sefra d’une organisation autonome. Son chef était investi de l’autorité directe sur toutes les troupes stationnées dans son commandement, sous le contrôle du Ministre de la Guerre et du Gouverneur général.
La situation troublée que rencontrait à son arrivée le général Lyautey avait surtout pour origine le manque de mobilité de nos troupes, en face d’un ennemi insaisissable, connaissant admirablement le pays et qui apparaissait aussi vite qu’il disparaissait. La multiplicité de nos postes, échelonnés tous les 50 kilomètres environ le long de la Zousfana[352], ne pouvait suffisamment remédier à un[162] pareil état de choses, car, avec leur effectif souvent restreint, leur action ne pouvait guère s’étendre, et leur ravitaillement nécessitait l’envoi de fréquents convois qui excitaient les convoitises de l’ennemi et devenaient finalement fort onéreux. Il fallait donc de toute évidence se décider à reporter plus à l’Ouest nos postes de couverture, organiser des forces essentiellement mobiles et donner à celles-ci l’appui d’une artillerie légère dont l’effet moral est toujours très grand sur les populations primitives qui peuplent ces régions. Il fallait enfin donner plus de cohésion à nos différents postes en les reliant entre eux le plus vite possible par le télégraphe afin de leur permettre de parer rapidement aux surprises inopinées de l’adversaire[353].
Déjà la nécessité de réduire des adversaires aussi actifs que les auteurs des récents coups de main avait amené au mois d’août précédent l’occupation d’El-Ardja, pour surveiller les massifs montagneux qui sont au nord de Figuig, puis celle de Ben-Zireg à la pointe septentrionale du Djebel Bechar. L’œuvre ainsi ébauchée fut bientôt complétée par la création (11 novembre 1903) d’un poste à Colomb, près de l’oasis de Béchar, de façon à couvrir la route qui suit la vallée de la Zousfana et à amener les Douï-Menia et les Ouled-Djerir, jusqu’alors insoumis, à accepter notre juridiction, conformément aux droits que nous avaient reconnus le protocole du 20 juillet 1901. Un cercle des affaires indigènes était en même temps installé à Colomb.
L’année 1904 a été marquée par le perfectionnement de l’organisation défensive de nos confins du Sud et du Sud-Ouest. Deux nouvelles compagnies montées furent créées[163] l’une à la légion étrangère, l’autre au 2e régiment de tirailleurs ; une quatrième compagnie saharienne fut constituée à Beni-Abbès, et une cinquième à Colomb. D’un autre côté, un détachement important alla s’établir le 15 juin à Berguent, point d’eau de l’Oued-Charef, à 4 kilomètres au Sud de Ras-el-Aïn, afin de parer aux incursions de Bon Amama et de ses contingents, et d’enlever au marabout la possibilité de revenir dans le pays compris entre Figuig et le Haut-Guir.
L’heureux résultat de ces efforts ne tarda pas à se manifester : de nombreux groupes des Douï-Menia et d’Ouled-Djerir vinrent faire leur soumission et les Beni-Guil, dans une entrevue solennelle à Aïn-Sefra, affirmèrent leur désir de vivre en paix avec nous.
En 1905, des opérations sont dirigées contre un djich qui, au mois de décembre 1904, avait attaqué une caravane à Hassi-Ouchen, aux abords du Gourara. Les auteurs de ce coup de main sont battus et dipersés sur le Guir, à Garet Douifa. A la suite de cette affaire, le lieutenant Canavy s’avance jusqu’au ksar Es Saheli, dans le Haut Guir, où se trouve la petite zaouïa de Moul-Sehoul dont les marabouts reçoivent fort bien notre reconnaissance.
En janvier 1906, le groupe mobile de Berguent, appuyé sur une compagnie de la légion montée, surprend dans l’Oued Nesly un rezzou de Chaanba de Bou-Amama qui depuis plusieurs années inquiétait nos postes et nos caravanes et lui inflige une sérieuse leçon.
En mai 1906, trois détachements partis de Berguent, de Forthassa et de Beni-Ounif, viennent converger à Metarka, dans l’Oued Charef, à proximité des campements des Beni Guil dissidents qui, en janvier 1905, avaient enlevé 145 chameaux à nos Hamyan. Cette démonstration[164] suffit pour amener les bandits à composition et les contraindre à restituer leurs prises.
La situation s’est donc beaucoup améliorée dans le Sud-Ouest depuis quelques années. Il n’y a plus eu de grand rezzou depuis celui d’Hassi-Ouchen, et l’excellence de la méthode du général Liautey a été démontrée par les faits.
Les négociations qui ont précédé la conférence d’Algésiras ont reconnu et confirmé notre droit exclusif à assurer la police dans la région-frontière « sur les territoires où résident, campent et se meuvent traditionnellement les tribus marocaines, sédentaires ou nomades en relations ou en contact habituels avec les tribus algériennes[354] ».
Le Tafilelt est désormais la région la plus hostile à notre influence. C’est là que vivent les Ouled Djerir et les Douï Menia dissidents. C’est du Tafilelt que partent les grandes harkas dirigées contre nos postes et nos administrés. L’une d’elles, au mois de juillet 1904, s’avance même jusqu’auprès de Tombouctou pour razzier les populations soumises à l’Afrique occidentale française. Elle essuie dans cette région, au mois de novembre, une sanglante défaite.
Les routes que suivent les harkas du Tafilelt pour aller au Sahel ou au Niger échappaient jusqu’ici par leur éloignement à la surveillance des postes extrêmes du Sud Algérien ; cependant quelques-uns de leurs points de passage ont été reconnus en 1905 par le capitaine Flye-Sainte-Marie, commandant la compagnie saharienne du Touat, qui a traversé l’Iguidi, poussé une très belle reconnaissance dans l’ouest de la Saoura jusqu’à 9° 11′ Ouest, à 160 kilomètres seulement de Tindouf et recoupé, aux puits de Marabouti et de Bir Aouina, les[165] itinéraires d’Oskar Lenz et de René Caillié[355]. Le capitaine Flye-Sainte-Marie a reconnu ainsi toutes les routes du Maroc méridional au Soudan ; elles seraient aisées à dominer en occupant quelques points de l’Iguidi par lesquelles elle doivent forcément passer. Elles sont d’ailleurs aujourd’hui entièrement désertes, et aucun commerce n’y existe plus[356].
En même temps que s’effectuaient avec autant de bonheur que d’activité ces opérations de police, à l’abri de notre puissance militaire, tous les procédés pacifiques étaient mis en œuvre pour assurer définitivement notre influence. Le chemin de fer du Sud-Ouest a été poussé dans ces dernières années avec une grande activité. En réalité, il eût fallu, ainsi que l’a dit M. Etienne[357], opérer comme les Anglais dans leur marche sur Khartoum et poursuivre notre voie ferrée en même temps que nos colonnes avançaient : c’eût été une grande économie. En 1900, la ligne de pénétration de l’Oranie atteignait Djenien-bou-Rezg. La mise en chantier du tronçon suivant, de Djenien à Duveyrier-Zoubia (33 kil.), au confluent de l’Oued Dermel et de l’Oued Douis, suivait immédiatement et, le 31 août 1901, ce tronçon était ouvert à son tour. Le 2 août 1903, la voie ferrée s’avançait jusqu’à Beni-Ounif (27 kil.), à 4 kil. de Figuig. On laissait de côté l’oasis mais on s’en rapprochait assez pour que les ksouriens pussent profiter des facilités commerciales que leur offrait le chemin de fer. C’est ce qu’ils ne manquaient pas de faire, et Beni-Ounif devenait aussitôt un centre de transactions important. Le[166] 4 février 1905, on ouvrait la section de Beni-Ounif à Ben-Zireg (61 kil.), et le 3 juillet 1905 la locomotive arrivait à Colomb[358] (51 kil.), à 744 kil. du littoral. En même temps le télégraphe était posé jusqu’à Forthassa d’un côté, Beni-Abbès de l’autre.
Une fois à Colomb-Bechar, la question se pose de savoir si la ligne doit être prolongée par la vallée de l’Oued-Guir dans la direction du Gourara et du Touat, comme on en avait d’abord eu le projet, ou si elle ne doit pas plutôt, dans un avenir plus ou moins lointain, s’orienter vers l’Oued Draa et l’Atlantique. Quel que doive être le sort futur des projets de Transsaharien, on s’est décidé à agir au lieu de discuter, et à commencer par le commencement : poser le rail et assurer la sécurité des confins militaires de l’Algérie. Dès à présent, la voie ferrée remplit vis-à-vis de la Zousfana le rôle de protection en vue duquel elle a été essentiellement construite.
Le commerce a d’ailleurs pris un développement assez notable dans cette région entre Zousfana et Oued-Guir, beaucoup moins misérable que l’archipel touatien. Un décret du 1er février 1902, complétant celui du 17 décembre 1900 qui avait autorisé l’entrée en franchise de certains produits destinés à traverser le territoire algérien pour se répandre dans le Sahara, exemptait des droits de douane et d’octroi de mer les marchandises suivantes transitant par Aïn-Sefra et Djenan-ed-Dar : les toiles de coton pur, unies, écrues ou blanchies pesant plus de 5 kilos aux 100 mètres carrés, les guinées originaires des établissements français de l’Inde et les thés de toute provenance.
Le marché franc ouvert à Beni-Ounif en 1903 est devenu rapidement un centre de transactions important, qui attire le commerce non seulement des habitants de Figuig,[167] mais de toutes les populations environnantes. En 1904, le chiffre des transactions s’y est élevé à 696.000 francs[359]. Les commerçants européens qui ont ouvert la voie ont été bientôt suivis par les indigènes. A côté du mouvement croissant des caravanes, le commerce de détail a suivi une marche ascendante très rapide. Les nomades ont appris le chemin de Beni-Ounif et y ont amené plus de 20.000 moutons. Cette œuvre de pénétration commerciale du Sud-Marocain fait le plus grand honneur à notre armée et au Gouverneur général de l’Algérie[360].
Quant aux oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt, elles sont et demeureront de bien pauvres contrées. La population, que M. Sabatier estimait jadis à 400.000 habitants, ne dépasse pas 60.000 individus, qui meurent littéralement de faim. Notre occupation a modifié l’essence même des transactions[361] ; le commerce en boutique s’est substitué au commerce de caravanes, le commerce de vente et d’achat contre argent au commerce d’échanges. La ligne Gabès-Ouargla-In-Salah tend à submerger la ligne Ghadamès-In-Salah ; d’autre part, les relations avec l’Oranie ont diminué. Notre installation a achevé de faire disparaître le commerce des esclaves, et les dattes ne trouvent plus que difficilement preneur. Aussi conseille-t-on aux ksouriens de développer leurs cultures de céréales et de légumes. Des puits artésiens ont été creusés au Tidikelt : les feggaguir ont été refaites partout. Mais on n’augmentera pas indéfiniment les ressources en eau et on n’améliorera que très lentement les terres de culture[168] dans un pays où les matières de fumure et d’amendement artificiel font défaut. Quant aux gisements de nitrate sur lesquels on fondait des espérances, bien qu’on ne soit pas entièrement fixé sur le point de savoir s’ils s’enrichissent en profondeur, ils ne semblent pas jusqu’ici avoir une réelle importance[362].
Grâce à notre situation nouvelle dans le Sahara et dans le Sud-Ouest, d’intéressantes reconnaissances ont pu être accomplies, qui nous ont procuré de précieux renseignements géographiques. En 1901 et 1902, le commandant Pierron, le capitaine Regnault, les lieutenants Cabon, Huot, Niéger, Rousseau ont levé des itinéraires, déterminé des positions, reconnu des points d’eau et des pistes dans la région située à l’ouest de la Zousfana-Saoura dans la direction de Tabelbalet et du Tafilelt, sur la rive droite du Guir, dans les massifs montagneux situés à l’ouest de Figuig[363]. Nous avons parlé plus haut de la reconnaissance du capitaine Flye-Sainte-Marie dans la direction de Tindouf.
De ces explorations et reconnaissances, ainsi que de celles qui ont été effectuées dans les régions nouvellement occupées, sont sorties des publications cartographiques intéressantes : la carte des Oasis sahariennes du commandant Laquière[364], celle du lieutenant Niéger[365] et la carte provisoire de l’Extrême-Sud de l’Algérie[169] (partie occidentale) à 1/800.000e, dressée par ordre de M. Jonnart, Gouverneur général, et exécutée par le capitaine Prudhomme, du Service géographique de l’armée[366]. Cette carte est limitée au Nord par le parallèle de Si-el-Hadj-Eddine, à l’Ouest par l’Oued-Guir et l’Erg-er-Raoui jusqu’à Tabelbala, au Sud par le Mouydir septentrional, à l’Est par le méridien 3° 30′, légèrement à l’Est d’Ouargla.
M. Emile F. Gautier professeur à l’école supérieure des Lettres d’Alger, connu par ses explorations antérieures à Madagascar, a fait connaître[367] les grands traits de la géographie physique de la région qui s’étend au sud de Figuig, le long des oueds Zousfana et Saoura, et de la sebkha du Gourara. Au point de vue géologique, le Sahara commence exactement au Djebel-Moumen, à Ksar-el-Azoudj : c’est là qu’on quitte les sierras secondaires de l’Atlas pour les hammadas primaires du Sahara, constituées ici par le calcaire carboniférien horizontal. Au-delà d’Igli se montrent les terrains dévoniens en couches très plissées, qui paraissent représenter, selon l’expression employée pour la première fois par M. Flamand, une ancienne chaîne hercynienne. M. Emile F. Gautier déclare[368] que la cuvette du Touat n’existe pas, au moins en tant que bassin fermé où viennent mourir l’Oued-Saoura et l’Oued-Botha. A l’ouest du Touat, au lieu d’un fond de lac desséché, on trouve un grand réseau quaternaire dont l’artère principale était l’Oued-Messaoud (Oued-Saoura prolongé). Tous les oueds descendant de l’Ahaggar et de l’Atlas (y[170] compris ceux du Tafilelt) convergeraient vers les salines de Taoudeni.
M. Edmond Doutté, qui accompagnait la commission franco-marocaine de 1902, a publié de très intéressantes notes sur Figuig et ses habitants[369]. Le capitaine Flye-Sainte-Marie a consacré à la situation économique du Touat une étude approfondie et impartiale[370].
Ainsi, depuis 1900, en l’espace de cinq ans, nous nous sommes établis dans les oasis sahariennes, puis dans la Zousfana et la Saoura, et en dernier lieu à l’ouest du Bechar. Enfin la question touareg s’est trouvée résolue à la suite de l’occupation d’In-Salah. On l’avait toujours prédit : « les Touareg n’étaient forts que de notre apparente faiblesse. » Des témoignages autorisés évaluaient à 1.000 ou 1.200 hommes le nombre de guerriers Hoggar, à 300 celui des Azdjer. Armés de lances et de fusils à pierre, impuissants à se concentrer sur un point donné à cause des distances, des difficultés d’eau et de pâturage, ils ne devaient pas tenir devant quelques centaines d’Européens, et un très faible effort suffisait pour les réduire. La grosse difficulté à vaincre au Sahara ne vient pas des hommes, mais de l’espace ; les officiers des oasis sahariennes ont forgé très rapidement l’instrument propre à en triompher : ce sont les méharistes des compagnies sahariennes,[171] qu’on a très bien définis « une tribu nomade militairement encadrée »[371] ; ils nomadisent comme les Touareg eux-mêmes, mais sont assez forts pour pouvoir le faire partout et en tout temps.
Dès que notre installation à In-Salah fut consolidée[372], les investigations des officiers se portèrent sur le massif de l’Ahaggar. Au printemps de 1902, le lieutenant Cottenest[373] envoyé à la poursuite d’un rezzou de Touareg qui avait dévalisé quelques indigènes du Tidikelt, fit le tour de ce massif en passant par Idelès, Tazerouk, Tarhahaout, Tamanrasset, Tit et In-Amdjel. Le 7 mai, il fut attaqué, à Tit, par 300 Touareg qu’il mit en fuite après leur avoir infligé de grosses pertes. Le combat de Tit eut pour effet de faire constater aux Touareg notre puissance. C’est incontestablement à l’impression salutaire qu’il a produite qu’est due en grande partie la tranquillité dont nous avons joui par la suite. Du 16 mai au 15 juin 1902, le chef d’escadron Laperrine[374], commandant militaire des Oasis sahariennes, s’étant porté au devant du lieutenant Cottenest revenant de sa tournée, en profita pour reconnaître le plateau du Mouydir, qu’il traversa par Arak, Tadjemout et l’Oued el Abiod.
Le 1er octobre 1902, le lieutenant Guillo-Lohan[375] partit d’In-Salah à la poursuite d’un groupe de Touareg qui[172] étaient venus voler des chameaux dans l’Oued-Botha ; il fit le tour de l’Ahaggar par un itinéraire légèrement différent de celui du lieutenant Cottenest[376]. Il passa par Irhafok, Idelès, Tazerouk, Tin-Tarabin, Aïtoklan, Tarhahaout, Tamanrasset, In-Amdjel.
Au mois de janvier 1903, le commandant Laperrine alla d’In-Salah à In-Zize par le Mouydir et revint à Akabli par l’Adrar-Ahnet.
Ces diverses reconnaissances se sont faites de la façon la plus pacifique, sans que les Touareg, qui avaient sans doute reçu une leçon suffisante à Tit, aient cherché à s’y opposer. Notre attitude à la fois bienveillante et ferme, dans ces circonstances, a certainement contribué pour beaucoup à amener la soumission des Hoggar, qui étaient jusqu’alors le groupe réputé le plus hostile à notre domination. Certains désormais que nous pourrons devenir leurs maîtres par la force, il sont venus à nous non pas en vaincus implorant le pardon, mais en adversaires qui reconnaissent la valeur de la leçon reçue et qui acceptent simplement la réconciliation offerte. Le 20 janvier 1904, l’amenokal Moussa-ag-Amastan est venu se présenter au capitaine Métois, chef de l’annexe du Tidikelt. La soumission des Hoggar avait été précédée de celle des Kel-Ouï et des Ifoghas de l’Adrar. Seuls quelques groupes infimes de Hoggar sont demeurés irréductibles ; ce sont en général ceux qui, se groupant autour du chef Tissi-ag-Chikat, ont été le plus compromis dans le massacre de la mission Flatters et dans quelques autres événements dont nous avons conservé le souvenir. Ils craignent que nous ne puissions pas oublier le rôle odieux qu’ils ont joué dans ces circonstances.
[173]C’est ce groupe hostile qui est allé rejoindre les Azdjer et qui a organisé, avec la complicité de ces derniers, quelques coups de mains à la suite desquels une opération de police fut jugée nécessaire. Au mois de juin 1903, deux reconnaissances furent dirigées simultanément d’Ouargla et d’In-Salah contre les campements de ces Touareg rassemblés dans la région de Tarat. La première, commandé par le capitaine Pein, passa par Temassinin et Aïn-el-Hadjadj ; la seconde, sous les ordres du lieutenant Besset, prit la route d’Amguid. Dans cette tournée, le lieutenant Besset raccorda son itinéraire à celui de la mission Foureau-Lamy à Hassi-Tikhammar[377]. Les Touareg n’attendirent pas nos contingents et se dispersèrent avant leur arrivée.
Une autre reconnaissance importante a été accomplie à la fin de l’année 1904 dans le pays des Azdjer par le capitaine Touchard, chef du bureau des Affaires indigènes de Touggourt. Déjà, en 1903, cet officier avait été chargé d’achever et de compléter la ligne de puits commencée en 1899 dans le Gassi de l’Igharghar, entre Fort-Lallemand et Temassinin, par le commandant Pujat, et d’édifier un petit bordj en ce dernier point. Mais cette entreprise n’avait pu être complètement réalisée, en raison principalement d’une tentative des Azdjer qui avait inquiété nos travailleurs et leur avait fait perdre un temps précieux. Le projet fut repris en 1904 ; les travaux commencés furent, cette fois, menés à bien et on les compléta par le forage d’un puits artésien à proximité du nouveau bordj de[174] Temassinin, qui reçut le nom de Fort-Flatters. Pendant l’exécution de ces travaux, le capitaine Touchard, avec un goum du cercle de Touggourt, parcourait sans encombre la région comprise entre l’Oued Erineren et l’Oued Mihero, la plaine d’Admar jusqu’à Djanet, puis la vallée de l’Oued Mihero. Durant son séjour au Tassili, il obtenait la soumission de trois fractions des Azdjer. Sa présence à Djanet, petite oasis comprenant six ksour peuplés d’environ 1.200 habitants, était l’affirmation de nos droits sur cette localité.
Telles ont été jusqu’ici les étapes de la pacification. En somme, sauf le combat de Tit du 7 mai 1902, aucune manifestation hostile ne s’est produite depuis la prise d’In-Salah. Sans doute, il ne faudrait pas en conclure qu’il n’y aura plus au Sahara aucune affaire, aucun rezzou, mais les procédés du lieutenant-colonel Laperrine et de ses collaborateurs ont montré leur efficacité pour y remédier et la question touareg est aujourd’hui résolue.
Notre domaine d’Afrique occidentale était constitué dans ses grandes lignes en 1900 ; cependant une rectification à l’accord de 1898, survenue par la convention du 8 avril 1904, recule vers le Sud la frontière tracée autour du Sokoto, et permet ainsi la communication entre nos postes du Niger et du Tchad, jusque-là très difficile. De fréquents changements ont été opérés dans l’organisation administrative de nos colonies soudanaises, changements qui se comprennent, parce que l’étendue, la valeur, le centre de gravité de ces colonies se sont peu à peu déplacés. Les différents tronçons se sont soudés ; comme l’a dit M. le Gouverneur général Roume, « l’Afrique[175] occidentale française est devenue une réalité, et une réalité vivante. »
La pénétration saharienne du côté du Soudan a également été poursuivie avec une remarquable activité dans ces dernières années, et les résultats obtenus ont été considérables. En 1900, Paul Blanchet, accompagné de M. Dereims et du lieutenant Jouinot-Gambetta, explorait l’Adrar de l’Ouest. Chez les tribus Maures qui vivent entre le Sénégal et l’Oued-Noun, Coppolani, poursuivant l’œuvre commencée par lui en 1898, avait réussi en 1902 et 1903 à amener l’annexion pacifique des régions Trarza et Brakna ; en 1904, investi du titre de commissaire du gouvernement général en Mauritanie, il avait pour objectif le Tagant et l’Adrar, et l’annexion du Tagant était considérée comme faite lorsque, le 12 mai 1905, il fut assassiné à Tidjikja. M. Roume envoyait immédiatement le colonel Montané-Capdebosc à Tidjikja et donnait l’assurance que l’œuvre entreprise par Coppolani avec tant de dévouement ne serait pas interrompue par sa mort tragique[378]. Sans doute cette œuvre serait singulièrement facilitée si elle se combinait avec des efforts de pénétration par la côte Atlantique, par exemple par la baie du Lévrier.
Dans la région de Tombouctou, les Kounta sont entièrement soumis et l’amenokal des Touareg Aoulimmiden, Fihraouen, est venu le 3 février 1903 faire sa soumission à Tombouctou ; les Touareg du Sud reçoivent désormais les instructions du poste de Gao.
La politique suivie à Zinder par le colonel Peroz, le commandant Gouraud et le colonel Noël nous a concilié les Kel-Ouï et ramené les Kel-Gherès, qui sont en[176] relations avec le poste de Thaoua. Un détachement parti de Zinder est parvenu à Agadès, d’où l’on peut surveiller les routes commerciales jusqu’à Bilma, tandis que les reconnaissances algériennes ont atteint, comme on l’a vu, Djanet. Bientôt sans doute les Azdjer suivront l’exemple que leur ont déjà donné les autres groupes de Touareg et viendront à composition.
Au Tchad enfin, la puissance des successeurs de Rabah a été définitivement anéantie et la région du Chari pacifiée. Le Kanem a été dégagé des hordes du cheikh El-Mahdi-Senoussi, à la suite de la prise de la zaouïa de Bir-Alali par le commandant Tétart en 1902. Seule la question du Ouadaï donne encore de ce côté des inquiétudes[379].
Ainsi, de toutes parts, le Sahara et ses habitants sont enserrés dans les mailles de notre réseau d’exploration. Restait à effectuer la jonction de l’Algérie et du Soudan[380]. Rien ne pouvait plus s’opposer à cette liaison du Tidikelt au Niger, que les coloniaux réclamaient depuis longtemps. La question était virtuellement résolue depuis que les compagnies sahariennes avaient eu raison du fantôme touareg et que le commandant Laperrine s’était rendu à In-Zize en 1903. En 1904, deux reconnaissances, parties l’une du Nord, l’autre du Sud, se rencontraient au cœur du Sahara. Le détachement du Sud, sous[177] la conduite du capitaine Théveniaut, parti de Bourroum, avait remonté l’Oued-Tilemsi, dont la vallée forme la voie la plus directe et la mieux fournie en pâturages pour se rendre à Teleyet, le principal centre visité[381]. Le groupe du Nord, dirigé par le commandant Laperrine, avait passé par In-Zize et Timissao. Le 18 avril, ils firent leur jonction au puits de Timiaouine, à 150 kilomètres environ de Timissao. Le commandant Laperrine alla ensuite jusqu’au puits de Tin-Zaouaten, situé par 19° 45′ de latitude Nord et 1° de longitude Est. Les deux détachements se séparèrent enfin et revinrent à leur point de départ.
En 1905, M. Etiennot[382], inspecteur des postes, chargé d’étudier l’établissement d’une ligne télégraphique entre le Tidikelt et Tombouctou, se mettait en route vers l’Ahaggar avec une escorte saharienne fournie par le lieutenant-colonel Laperrine et commandée par le capitaine Dinaux, chef de l’annexe du Tidikelt. Sidi-ag-Gueradji, chef des Taïtoq, accompagnait la mission. Bientôt rejointe par M. Emile F. Gautier et par M. Chudeau, professeur au lycée de Constantine, elle gagnait par une route nouvelle l’Adrar-Ahnet et de là In-Zize, où elle arrivait le 16 juin. M. Etiennot, poursuivant l’étude de la ligne télégraphique jusqu’à Tin-Zaouaten, revenait aux oasis par l’Ahaggar et rentrait à In-Salah le 27 août. M. Gautier, se séparant de ses compagnons le 13 juillet, à l’Oued-Tougsemin, près de Timiaouine, continuait à travers l’Adrar des Ifoghas et l’Oued-Tilemsi, et arrivait le 18 août à Gao sur le Niger, d’où il rentrait en Europe par Tombouctou. Enfin M. Chudeau explorait la Koudia de[178] l’Ahaggar, suivant, de Timissao à Silet, un itinéraire entièrement nouveau, et gagnait Zinder en passant par l’Aïr. Le fait que deux professeurs de l’Académie d’Alger ont ainsi effectué un voyage d’études transsaharien marque la transformation profonde qui s’est opérée en peu d’années au Sahara français.
En 1906, une petite troupe soudanaise, commandée par le capitaine Cauvin, de l’infanterie coloniale, s’est rendue, accompagnant une caravane de Berabich, de Tombouctou à Taoudeni, dont les salines, possédées à peu près par moitié par les gens de Tombouctou et par ceux de Tamgrout, dans l’Oued Draa, approvisionnent tout l’Ouest du Sahara. Il n’est donc pas sans importance que nous ayons fait acte de présence et d’autorité sur ce point. Les méharistes des Territoires du Sud de l’Algérie ont concouru à cette occupation.
Indépendamment des résultats politiques, les résultats scientifiques ont été considérables. Nous possédons actuellement un excellent canevas de tout le pays compris dans notre zone d’influence jusqu’à la limite méridionale de l’Ahaggar. Le lieutenant Cottenest ayant perdu à l’affaire de Tit ses notes et ses instruments, une partie des résultats de son voyage ne nous a pas été connue. Mais le lieutenant Guillo-Lohan a rapporté de sa reconnaissance des documents géographiques abondants. Il a reconnu le point culminant du massif de l’Ahaggar, le pic d’Ilamane, aiguille de trachyte de 3.000 mètres d’altitude. Le capitaine Pein a trouvé, comme jadis M. Foureau, le lac Menghough désséché, ce qui prouve que la mission Flatters[383] s’était[179] trompée en y voyant un redir permanent. Le lieutenant Besset a rapporté de nombreux documents géologiques, qui ont été étudiés, ainsi que ceux de MM. Cottenest et Guillo-Lohan, par M. G.-B.-M. Flamand ; grâce à des échantillons recueillis par le capitaine Cottenest et provenant d’Hassi-el-Kheneg, à 110 kil. au sud-est d’In-Salah, dans la vallée de l’Oued-Botha, M. G.-B.-M. Flamand a reconnu[384] l’existence du terrain silurien dans le Sahara central, sous la forme de schistes à graptolites ; cette découverte vient à l’appui de celle qu’avait faite M. Foureau beaucoup plus à l’Est, et confirme en même temps les vues de M. Flamand sur l’alimentation par le Sud des feggaguir du Tidikelt. Des mêmes observations ressortent la superposition directe en discordance des assises gréseuses dévoniennes au substratum schisteux et la disposition subméridienne des chaînes hercyniennes de cette région du Sahara. Mêmes constatations par M. Emile F. Gautier, qui a accompagné le commandant Laperrine dans sa tournée de 1903, explorant le Mouydir et l’Ahnet, recueillant des fossiles, constatant la présence de nombreuses gravures rupestres[385].
Dans sa tournée de 1904, le commandant Laperrine[386] emmena M. Villatte, calculateur à l’Observatoire d’Alger, ancien membre de la mission Foureau-Lamy. M. Villatte a publié une très belle carte s’étendant du Tidikelt à l’Adrar des Ifoghas, œuvre excellente de géographie astronomique reposant sur la détermination de 60 positions importantes de latitude et de longitude[387]. Le Père de[180] Foucauld, tout en continuant ses études de langue tamachek, recueillait le plus possible d’itinéraires par renseignements. Le lieutenant Besset, déjà initié à ce genre de recherches par son étude très sérieuse du Mouydir et de l’Ifetessen, s’occupait de la géologie des régions traversées. Le lieutenant Bricogne notait les renseignements sur la route ; le lieutenant Nieger était chargé de la topographie et levait l’itinéraire à 1/100.000e (2.500 kil., dont 2.000 nouveaux). La composition géologique de ces régions est très uniforme : grès dévoniens en discordance sur le massif schisto-cristallin, plis anticlinaux et synclinaux orientés Nord-Sud ; c’est l’extension aux plateaux du Sahara central de la disposition déjà reconnue pour le Tidikelt, le Mouydir et la partie nord-est de l’Ahaggar.
M. Emile F. Gautier, dans la région qu’il a parcourue en 1905, a constaté[388] l’extension énorme du silurien, extrêmement plissé et presque partout métamorphisé, accusant l’existence d’une grande chaîne calédonienne. D’après lui, d’importants effondrements postpliocènes se seraient produits au Sahara comme dans l’Afrique des grands lacs. M. Chudeau a cheminé à travers une pénéplaine silurienne et archéenne accidentée de saillies volcaniques.
Si les oasis de l’archipel touatien n’ont pas tenu plus qu’elles ne promettaient, c’est-à-dire peu de chose, en revanche les massifs touaregs dans leur ensemble sont peut-être un peu moins misérables qu’on ne le supposait ; ils renferment çà et là quelques pâturages et quelques traces d’anciennes cultures. M. Gautier a reconnu d’autre part que la limite méridionale du Sahara reste très au[181] nord de Tombouctou ; tout l’Adrar des Ifoghas rentre dans le domaine de la steppe, à saison de pluies insuffisante, mais annuelle. Ces observations concordent avec celles de M. Villatte et de M. Chudeau ; ce dernier attribue à l’Aïr une valeur économique un peu plus grande que ne le pensait M. Foureau.
Ainsi, les questions qui se posaient au Sahara depuis tant d’années sont résolues ou sur le point de l’être. Aussitôt après l’occupation du Touat, la question s’est posée de savoir s’il ne conviendrait pas de donner à ces régions désertiques une organisation distincte, et quelle organisation. Nous ne pouvions raisonnablement prolonger indéfiniment vers le Sud nos trois provinces d’Oran, d’Alger et de Constantine ; il fallait bien en finir avec la division artificielle dans le sens de la longitude et lui substituer la division naturelle dans le sens de la latitude. D’autre part, l’Algérie venait d’être dotée d’un budget spécial et l’on ne pouvait faire supporter à ce budget les dépenses du Sud, qui, par leur nature même, constituent presque exclusivement des charges de souveraineté. Enfin on espérait par ce moyen exercer une surveillance plus étroite sur les crédits et mettre un terme aux dépenses exagérées comme celles qu’avait entraînées l’occupation du Touat. Le 23 décembre 1901, la Chambre adoptait une résolution de M. André Berthelot invitant le Gouvernement à étudier un projet d’organisation administrative et financière du Sud algérien[389]. La loi du 24 décembre 1902 constituait un groupement spécial, dénommé Territoires du Sud, dont l’administration et le budget devaient[182] être distincts de ceux de l’Algérie. Elle fixait la limite septentrionale de ces territoires, leur accordait la personnalité civile, faisait du gouverneur général de l’Algérie leur gouverneur. En vertu de l’article 5 de la loi, chaque année le budget de la métropole accorde au budget du Sud une subvention, qui figure au budget de la Guerre ; ainsi le Parlement et l’opinion publique sauront exactement, par ce chiffre global, la somme des sacrifices qui leur sont demandés. Pour le surplus, la loi s’en remettait à des décrets rendus dans la forme de règlements d’administration publique. Ces décrets sont intervenus en date des 30 décembre 1903, 12 avril, 14 août et 12 décembre 1905[390] ; ils réalisent la séparation budgétaire, fixent la nature et la quotité des recettes et des dépenses civiles de ces territoires, déterminent leur organisation administrative et militaire et les pouvoirs du gouverneur général de l’Algérie en ce qui les concerne. Ces pouvoirs sont très étendus : le gouverneur y cumule les fonctions qu’exercent en Algérie le gouverneur général d’une part, et d’autre part le préfet ou le général de division dans les territoires de commandement. En matière militaire, le gouverneur général a le droit d’ordonner des mouvements de troupes, mais il doit faire passer ses ordres par l’intermédiaire du général commandant le XIXe corps. Les commandants militaires des territoires sont nommés par décret rendu sur la proposition des deux ministres de l’Intérieur et de la Guerre, sur une liste de présentation du Gouverneur.
Les territoires qui entrent dans la constitution de ce groupement distinct sont ceux qui se trouvent au sud des circonscriptions suivantes : cercle de Marnia, annexe[183] d’El-Aricha, annexe de Saïda, cercle de Tiaret, annexe d’Aflou, cercle de Boghar, annexe de Chellala, annexe de Sidi-Aïssa, cercle de Bou-Saâda, annexe de Barika, poste de Tkout, cercle de Khenchela, cercle de Tébessa. Ces circonscriptions doivent être graduellement rattachées au territoire civil de l’Algérie.
Les Territoires du Sud sont divisés en quatre circonscriptions : les territoires d’Aïn-Sefra, des Oasis, de Ghardaïa et de Touggourt, subdivisés en cercles et annexes[391].
La limite nord des territoires sahariens étant tracée, il restait à définir leur limite méridionale. Les diverses autorités chargées d’assurer notre influence dans le Sahara ayant fini par opérer leur jonction, il fallait déterminer leurs zones d’action respectives. Quelques peuplades nomades de la région intermédiaire avaient déjà posé la question. On a vu des Hoggar, razziés par des gens du Niger, hésiter à aller demander protection aux Français de Tombouctou ; on a vu les Ifoghas craindre de froisser les susceptibilités des autorités de l’Afrique occidentale en venant faire leur soumission à In-Salah.
Le problème ainsi posé comportait deux solutions : la création d’un gouvernement du Sahara, ou le partage des territoires sahariens entre l’Algérie et le Soudan. La première solution semble au premier abord la plus simple. L’unification serait faite. Plus de conflits possibles entre colonies voisines, plus de doutes pouvant germer dans[184] l’esprit de nos sujets. Mais où serait le centre de ce Gouvernement ? Où seraient ses voies d’accès et ses débouchés ? Forcément dans l’une des colonies déjà existantes. Il deviendrait donc tributaire de cette colonie, c’est-à-dire que le Sahara deviendrait une annexe de l’Algérie ou de l’Afrique occidentale française et alors on verrait cette anomalie, que les habitants de la banlieue d’In-Salah auraient leurs attaches administratives au Niger ou que les habitants de l’Adrar, proche de Tombouctou, seraient appelés à In-Salah pour le règlement de leurs affaires. En réalité, le Sahara n’a pas de vie propre ; il est trop pauvre pour exister par lui-même et reçoit l’impulsion et l’organisation des pays qui lui confinent au Nord et au Sud, Afrique du Nord et Soudan.
Dans ces conditions, on a préféré, pour le moment du moins, à répartir les populations sahariennes entre nos colonies, laissant à l’Algérie les Touareg du Nord et à l’Afrique occidentale ceux du Sud[392]. Cependant de bons esprits et des hommes aussi compétents que M. Foureau et M. Emile F. Gautier estiment que c’est là une solution provisoire ; que tôt ou tard l’entité géographique et ethnique que constitue le Sahara touareg deviendra une entité administrative distincte[393].
La limite de l’Algérie et du Soudan a été définie en juin 1905 par le ministre de l’Intérieur d’accord avec le ministre des Colonies. C’est du pays Hoggar que part la ligne qui sépare nos deux colonies, une section se dirigeant vers l’Est, l’autre, beaucoup plus longue, allant vers l’Ouest. Cette dernière part de la source de l’Oued-Tin-Zaouaten ; de là, elle suit la ceinture du bassin du[185] Tilemsi jusqu’à son point le plus septentrional au sud d’In-Zize. La ligne séparative traverse ensuite le Tanezrouft occidental et va couper la route Marabouti-Taoudeni à mi-chemin environ entre ces deux points, pour se diriger ensuite directement vers le cap Noun. Dans la section Est, la ligne de démarcation part du faîte de l’Ahaggar pour suivre l’Oued Tin-Zaouaten jusqu’à sa perte dans le Tanezrouft occidental ; la ligne idéale traverse ce Tanezrouft en laissant la rive nord à l’Algérie et la rive sud à l’Afrique occidentale française ; elle coupe la frontière tripolitaine à peu près à mi-distance entre Ghat et le point où la route directe d’Agadès à Mourzouk franchit cette frontière. La limite ainsi indiquée pourra bien entendu recevoir des modifications lorsque le pays sera mieux connu.
Bien entendu aussi, cette limite n’est pas une frontière, encore moins une barrière. Ce partage doit aboutir en réalité à une unification, en faisant disparaître la seule cause susceptible de provoquer des conflits d’attributions ou d’influences. Lorsque chacun connaîtra ses droits, il les exercera normalement, sans arrière-pensée possible, sans à-coups et sans jalousie. Pour éviter des difficultés au sujet des passages de frontières par les tribus, il suffira d’adopter des règles très simples dans le genre de celles qui fixent les rapports des autorités civiles et militaires lors des migrations annuelles de certaines tribus algériennes[394].
Pour que les deux colonies se prêtent un mutuel appui, il convient d’étudier comment on pourrait faciliter leurs[186] communications. Le commandant Laperrine déclare que l’organisation d’une ligne continue de postes ou d’une route au Sahara coûterait fort cher et serait inefficace ou même nuisible[395]. Reste à envisager la simple transmission de nouvelles, qui nécessite l’établissement d’un télégraphe et le transport de matériel et de personnel qui demanderait la construction d’un chemin de fer.
La question des communications télégraphiques transsahariennes est dès à présent à l’étude. Les incidents de chaque jour fournissent des arguments en faveur de cette création. Il importe à la sécurité de nos postes et des routes commerciales qu’on puisse signaler sans retard, d’une rive à l’autre du Sahara, les départs et les arrivées de convois ou de caravanes, les migrations de tribus, leur attitude politique, les rassemblements hostiles. Le télégraphe coûterait trois millions et doublerait utilement les câbles sous-marins. Une grosse difficulté consistait dans le transport des poteaux, car on ne peut pas trouver sur place le bois nécessaire. Un essai intéressant a été fait en 1900, par le capitaine du génie Bassenne, pour la construction de la ligne électrique d’El-Goléa à Timmimoun. Il consiste à employer des poteaux très courts, en bois du pays, fichés dans des piliers de maçonnerie. On trouve sur place de la pierre, du plâtre et des essences ligneuses suffisantes, de sorte qu’on évite les transports de matériaux encombrants. L’expérience a démontré que la ligne ainsi construite se détériore très vite. Il fallait donc trouver autre chose. Un autre capitaine du génie parait avoir résolu le problème, en utilisant des poteaux formés de tubes métalliques légers, facilement transportables. C’est le système Nou (du nom de l’inventeur), qu’on utilise actuellement dans le Sud[187] Oranais et qui paraît devoir être appliqué également à la ligne transsaharienne[396]. Celle-ci, partant d’In-Salah, devra aboutir à un point du Niger qui sera vraisemblablement Bourroum ou Gao. Nous avons mentionné plus haut la mission Etiennot, chargée de reconnaître la ligne télégraphique transsaharienne par In-Zize et Timiaouine. Pour la protection de la ligne, il faut réduire au minimum les véritables postes occupés par les Européens, en utilisant les centres de cultures dits arrems pour y installer des surveillants indigènes. Les garnisons de ces postes, excessivement réduites, devront pouvoir se ravitailler sur place au moins en grains et en viande, les méharistes toujours en mouvement dans la région tenant le pays sous la crainte de représailles[397].
Quant au chemin de fer, c’est une autre affaire, et il ne semble pas que les explorations et reconnaissances de ces dernières années aient fortifié les arguments de ses partisans, ni affaibli ceux de ses adversaires. Innombrables sont les livres, brochures, articles écrits sur le Transsaharien. Réunis, ils formeraient toute une bibliothèque. A de rares exceptions près, c’est une littérature vide et encombrante. Cette question a eu le fâcheux privilège d’être traitée le plus souvent par des personnes qui en ignoraient les premiers éléments ; leurs affirmations tranchantes cachaient en général leur ignorance des véritables données du problème[398].
L’étude du Transsaharien, comme le nom l’indique, comporte l’étude non seulement du Sahara, mais du Soudan.[188] Ce serait sortir de notre cadre que de l’entreprendre ici. Chose singulière, on s’est presque toujours occupé surtout du point de départ, chacun des ports algériens en faisant l’objet d’ardentes rivalités locales ; on s’est soucié beaucoup moins du point d’arrivée. Le Soudan est décrit en termes vagues comme uniformément riche et fertile, ce qui dispense d’entrer dans les détails[399]. D’autre part, ou n’a pas toujours assez tenu compte des évolutions successives de la question, qui s’est posée en 1890 autrement qu’en 1881, et autrement encore en 1900 et en 1906.
Le problème peut être envisagé soit au point de vue économique, soit au point de vue politique, et, sous chacun de ces aspects, il faudrait le considérer successivement sous le rapport purement Saharien et sous le rapport Transsaharien.
Sur les ressources que peut offrir au commerce le Sahara lui-même, on s’est fait quelquefois de dangereuses et coûteuses illusions. Mais tout le monde reconnaît à peu près aujourd’hui que le bilan des échanges se réduit à presque rien. Ce serait se leurrer profondément que d’attribuer une grande importance au commerce des groupes d’oasis du Sahara en général et du Touat en particulier[400].
Quant au Soudan, la convention de 1890 nous avait attribué des pays subsahariens qui ont à peu près la valeur de la Tripolitaine, pas une région vraiment soudanienne, à part les 200 kilomètres de pays en amont de Say[401]. Nous avons perdu les pays haoussa, et les pays qu’on nous a donnés au nord de la ligne Barroua-Say ne valent pas la peine que nous construisions un chemin de[189] fer pour les coloniser. Reste la boucle du Niger d’une part, les pays du Tchad de l’autre.
La région de Tombouctou et du coude du Niger a joui jusqu’ici en France d’une faveur singulière. Nombre de publicistes en ont, sans examen, vanté la richesse. M. Schirmer a fait justice de cette légende[402]. La richesse n’est pas à la lisière du désert, elle est plus au Sud, sous les latitudes favorisées par des pluies plus abondantes ; or, ces régions échappent déjà à l’attraction de Tombouctou. L’intérêt de la France est de détourner le trafic de ces pays vers ses colonies du Sénégal et de la Côte-d’Ivoire. Ce serait folie de construire pour les atteindre un chemin de fer de 2.600 kilomètres[403]. La pacification de la vallée du Niger, provoquée par notre établissement à Tombouctou, a eu un retentissement sur le commerce transsaharien, dans le sens d’une diminution, bien entendu, puisqu’il tend à faire abandonner aux marchandises cette voie longue, dangereuse et dispendieuse du désert[404]. Il suffit de jeter un coup d’œil sur une carte d’Afrique pour se convaincre que le vrai débouché de ces produits du Soudan occidental est la côte Ouest, vers laquelle nous travaillons et non sans succès à les attirer.
Le prolongement du chemin de fer au-delà de Bafoulabé jusqu’au Niger a été étudié dès 1892[405] ; le pont de Mahina, qui franchit le Bafing, était inauguré en 1896 ; enfin, le 19 mai 1904, la voie ferrée arrivait à Bammakou, terminus aval d’un bief navigable du Niger de 350 kilomètres qui s’étend jusqu’à Kouroussa. Le 10 décembre 1904, un embranchement de 60 kilomètres parvenait à Koulikoro,[190] au-delà des rapides de Sotuba, tête du bief navigable de 1.500 kilomètres du Niger moyen vers Tombouctou, Say et Boussa. Du côté de la Guinée française, la ligne de Konakry à Kouroussa, étudiée en 1898 par le capitaine Salesses[406], est en construction, ainsi que les chemins de fer de pénétration de la Côte-d’Ivoire et du Dahomey. Enfin des études et des travaux sont faits pour améliorer la navigabilité du Sénégal et du Niger.
Comme l’a dit M. Salesses[407], nos colonies côtières sont les points d’arrivée et de départ du commerce, des sortes de bouches nourricières de ce grand corps qu’est le Soudan : chacune a sa zone d’attraction qu’elle dessert actuellement comme elle peut, mais qui existe. De chacune on peut atteindre le Niger ou l’un de ses affluents.
Restent les royaumes du Tchad. Le domaine qui nous a été réservé par la convention de 1899, quoique en partie ruiné par Rabah, est vraiment riche et fertile dans plusieurs de ses parties. Mais M. Chevalier pense qu’une longue période d’incubation est nécessaire au Soudan central avant que l’on puisse en tirer le moindre parti. Il ne suffit pas[408] d’ailleurs qu’un pays renferme nombre de produits utiles pour qu’il y ait lieu de l’exploiter. Il faut qu’on ait intérêt à transporter ses produits sur les marchés où ils se consomment. Or, il n’est pas un des produits du Soudan central qui ne se trouve également dans l’une ou l’autre de nos colonies africaines, d’où nous pourrons le tirer à meilleur compte. D’ailleurs, à ces produits du Soudan central s’ouvrent la voie de la Bénoué, la voie du Chari et[191] de l’Oubangui, et aussi la voie du Nil, qui en draineront chacune leur part[409]. Enfin, ces régions du Tchad, annexées sur le papier, restent à explorer, puis à conquérir et à occuper effectivement.
L’utilité des chemins de fer de pénétration dans le Sud de l’Algérie est indépendante de la question de savoir si ces chemins de fer seront jamais poussés jusqu’au Soudan[410]. « Avoir la prétention, écrivait M. Duponchel[411] dans des termes qu’on a souvent cités depuis, de soumettre et de pacifier le Sahara avec des colonnes militaires péniblement ravitaillées par des bêtes de somme sera toujours une chimère irréalisable ; obtenir ce résultat par la construction progressive d’une voie de fer ouvrant et explorant le pays à l’avant, en même temps qu’elle en garantit la soumission à l’arrière, est au contraire une opération des plus simples et qui ne livre rien au hasard. »
Quant au Transsaharien, c’est également par des arguments politiques et par ceux-là seulement que cette conception peut se défendre. Les chances de trafic du chemin de fer sont des plus médiocres, de l’aveu même de ses partisans. Ce serait, comme on l’a dit, une artère sur un cadavre. Mais au point de vue politique on peut le considérer comme « une dépense nécessaire dans la balance générale de l’entreprise[412] ». On ne peut que se rallier sur ce point aux conclusions de M. F. Foureau[413] : « Considéré en tant qu’affaire commerciale, dit-il, je n’ai[192] qu’une très médiocre confiance dans le rendement probable du Transsaharien, devant le néant du trafic que j’entrevois. Mais si on ne veut le considérer que comme un instrument de domination (d’autres disent un chemin de fer impérial, et c’est évidemment la même la chose), le Transsaharien, sous ce point de vue spécial, serait alors une œuvre splendide, aplanirait bien des difficultés, supprimerait bien des obstacles. »
Contentons-nous pour le moment de poursuivre l’inventaire du Sahara, si bien commencé dans ces dernières années, et qui malheureusement se réduit jusqu’ici à un procès-verbal de carence. Nous nous demanderons ensuite si l’entreprise du chemin de fer transsaharien est vraiment aussi urgente que le prétendent ses partisans, et si, dans l’ensemble des travaux s’imposant à l’activité de la France, elle n’est pas primée par quantité de projets d’une utilité incontestablement supérieure.
[343]Nous empruntons la plus grande partie de cet exposé de la période 1900-1906 à l’excellente Revue des questions sahariennes du capitaine Simon, (Revue Africaine, 1905, p. 244).
[344]Bull. Afr. fr., 1900, p. 142 et 177. — Quest. dipl. et col., 1900, t. IX, p. 495. — Colonel d’Eu, In-Salah et le Tidikelt, in-8o, Paris, 1903. — Capitaine Tillion, La conquête des oasis sahariennes, Paris, in-8o, s. d.
[345]Bull. Afr. fr., 1900, p. 324.
[346]Commandant E. Laquière, Les reconnaissances du général Servière dans les oasis sahariennes (Bull. Af. fr., Suppl., 1902).
[347]Eug. Etienne, Questions dipl. et col., 16 juin 1903.
[348]Capitaine Simon, art. cité, p. 246.
[349]Augustin Bernard, Touat et Maroc (Quest. dipl. et col., 1er juin 1900).
[350]*** L’attaque de Taghit (Revue de Paris, 15 oct. 1903).
[351]Rouard de Card, La frontière franco-marocaine et le protocole du 20 juillet 1901, in-8o, Paris, 1902. — René Pinon, L’Empire de la Méditerranée, in-18, Paris, p. 251 et suiv. — Augustin Bernard, L’évolution de la question marocaine (Revue polit. et parlement., 10 décembre 1903). — Livre Jaune sur les affaires du Maroc, 1901-1905, in-4o, Paris, 1905. On trouvera le texte des accords au Livre Jaune, p. 16, 34, et 39.
[352]C’était, depuis Djenan-ed-Dar, Fendi (poste récemment installé), Ksar-el-Azoudj (caravansérail avec quelques goumiers), Hassi-el-Mir (caravansérail), Hassi-el-Morra (caravansérail), Taghit, Igli, Beni-Abbès et Ksabi.
[353]Bull. Afr. fr., 1903, p. 313.
[354]Livre Jaune, p. 309.
[355]Bull. Afr. fr., 1905, p. 75-76 et ibid., Suppl., p. 381-406.
[356]Ann. de Géogr., 1906, p. 185.
[357]Bull. Afr. fr., 1900, p. 274 et suiv.
[358]Bull. Afr. fr., 1905, p. 309.
[359]Gouvernement Général de l’Algérie, Direction des Douanes, Documents statistiques sur le commerce de l’Algérie, année 1904.
[360]Bull. Afr. fr., 1905, p. 117.
[361]Capitaine Flye-Sainte-Marie, Le commerce et l’agriculture au Touat (Bull. d’Oran, 1904. p. 345).
[362]Les gisements de nitrate au Sahara algérien (Bull. Afr. fr., 1905, p. 245).
[363]Capitaine Simon, art. cité, p. 252-253.
[364]A 1/400.000e, non mise dans le commerce. Une réduction à 3.000.000e de cette carte a été jointe au tirage à part des Reconnaissances du général Servière, publiées par le même auteur au Bull. Afr. fr., 1902.
[365]Lieutenant Nieger, Carte des oasis sahariennes, 9 feuilles à 1/250.000e, Paris, 1904.
[366]4 feuilles, Paris, 1904.
[367]Emile F. Gautier, Sahara oranais (Ann. de Géogr. 1903). — Id., Sur les terrains paléozoïques de l’Oued Saoura et du Gourara (C. R. Ac. Sc., 1902).
[368]Ann. de Géogr. 1905, p. 460.
[369]Edmond Doutté, Figuig : notes et impressions (La Géographie, 1903, t. VII, p. 177).
[370]Capitaine Flye-Sainte-Marie, Le commerce et l’agriculture au Touat (Bull. Soc. Géogr. Oran, 1904, p. 345).
[371]Bull. Afr. fr., 1904, p. 245-250. — Cf. La vie aux oasis, ibid., 1904, p. 33.
[372]Capitaine Simon, art. cité, p. 250.
[373]R. de Caix, La reconnaissance du lieutenant Cottenest chez les Hoggar (Bull. Afr. fr., 1902. p. 307 et 317).
[374]Lieutenant Réquin, Trente jours au Mouydir (Bull. Afr. fr., Suppl., 1902, p. 170). Le lieutenant Réquin accompagnait le commandant Laperrine dans sa première tournée au Mouydir.
[375]Lieutenant Guillo-Lohan, Un contre-rezzou au Hoggar (Bull. Afr. fr., 1903, Suppl., p. 205, 239, 257).
[376]Bull. Afr. fr., 1904, p. 83.
[377]Lieutenant Besset, D’In-Salah à Amguid et à Tikhammar, Bull. Afr. fr., 1904, Suppl. p. 68-78. — Capitaine Pein, Chez les Touareg Azdjer : d’Ouargla à Tarat, ibid. p. 73. Ces deux documents ont été réunis en une brochure par le Comité de l’Afrique française. 1904).
[378]Bull. Afr. fr., 1905, p. 248-249.
[379]Bull. Afr. fr., 1905, p. 239.
[380]Ann. de Géogr., 1904, p. 203. — Commandant Laperrine, Une tournée dans le Sud de l’annexe du Tidikelt du 4 mars au 30 juillet 1904 (Bull. Afr. fr., 1905, Suppl. p. 37-63). — Capitaine Besset, Esquisse géologique des régions de l’Ahnet, du Tanezrouft, de l’Adrar (nord), du Tassili des Ahaggar, du Ahaggar et du Tifedest (Ibid., 1905, Suppl., p. 123-138).
[381]Ann. de Géogr., 1905, p. 94, et La Géographie, 15 octobre 1904, p. 238.
[382]Ann. de Géogr., 1905, p. 383 et 459 ; 1906 p. 184. — Bull. Afr. fr., 1905, p. 30 ; 1906 p. 58.
[384]C. R. Ac. Sc., 3 avril 1903 et Bull. Afr. fr., mai 1905.
[385]E. F. Gautier, Le Mouydir-Ahnet. (La Géographie, 1904, t. X., p. 1 et 85).
[386]Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 37 et 45.
[387]N. Villatte, Du Tidikelt vers Tombouctou (La Géographie, 1905, t. XII, p. 209, avec remarques par M. C. Trépied).
[388]Ann. de Géogr. 1905, p. 159.
[389]Bull. Afr. fr., 1902, p. 12.
[390]V. le texte de ce dernier décret dans Bull. Afr. fr., 1905, p. 327.
[391]Bull. Afr. fr., 1906, p. 9 et 11. Pour les critiques qu’on a adressées à la nouvelle organisation, v. Bull. Réun. Et. algér. 1905, p. 296 et suiv. M. A. Girault (Principes de législation coloniale, II., p. 410), regrette que la loi ait déterminé elle-même les limites et, par contre, laissé à des règlements d’administration publique le soin de statuer sur plusieurs points essentiels.
[392]Bull. Afr. fr., 1905, Suppl. p. 43.
[393]F. Foureau, Documents scientifiques de la mission Saharienne, p. 1159. — Emile F. Gautier, Bull. Afr. fr., 1905, p. 400.
[394]Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 43.
[395]Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 43.
[396]Bull. Afr. fr., 1904, p. 185 et suiv.
[397]D’après Laperrine, Bull. Afr. fr., 1905, Suppl., p. 43, 44.
[398]Pour l’énumération de ces brochures, nous renvoyons à Playfair, Bibliography of Algeria, s. v. Transsaharian railway, et à l’ouvrage de M. Broussais. V. aussi Maurice Honoré, Le Transsaharien et la pénétration française en Afrique, in-8o, Paris. 1901 (bibliographie p. 131-143).
[399]H. Schirmer, Ann. de Géogr., 1891, p. 12.
[400]Documents, III, p. 16.
[401]Schirmer, Le Sahara, p. 408.
[402]Schirmer, Le Sahara, p. 410 et suiv.
[403]Id., p. 413.
[404]Documents, III, p. 17 et 37.
[405]Bull. Afr. fr., 1899, p. 334.
[406]Camille Guy, Résultats géographiques et économiques des explorations du Niger, (Bull. Afr. fr., 1899).
[407]Bull. Afr. fr., 1896, p. 374.
[408]H. Schirmer, La pénétration commerciale au Soudan central (Revue génér. des Sciences, 15 décembre 1897).
[409]Augustin Bernard, La question du Transsaharien, p. 4.
[410]G. Rolland, La colonisation française au Sahara (Afas, Oran, 1888, 1er partie, p. 47 (carte p. 48).
[411]Duponchel, Les oasis et la culture du dattier dans le Sahara, R. D. M., 15 mai 1881, p. 388.
[412]Schirmer, art. cité.
[413]F. Foureau, D’Alger au Congo par le Tchad, p. 797.
Quelles conclusions tirer de cet historique de la pénétration saharienne ?
En résumant tous ces voyages et en les étudiant, on peut se convaincre de la fragilité extrême autant que de la pauvreté des résultats qu’ils ont produits jusqu’en 1900, pendant près de 70 ans, si on en excepte la belle et studieuse exploration de Duveyrier et quelques-uns des itinéraires de Foureau. Pas un seul itinéraire parti du Soudan n’avait abouti en Algérie, aucune exploration partie d’Algérie n’avait dépassé l’Ahaggar ou le Tassili des Azdjer ; seule la mission Foureau-Lamy a rompu le charme, parce qu’elle a employé des procédés différents. Au point de vue économique, le bilan des entreprises sahariennes est plus misérable encore : « Une énorme dépense d’argent, d’héroïsme, de vies humaines, et comme résultat : néant ».
A quoi faut-il attribuer ces résultats décourageants ? Le problème saharien est-il donc insoluble, et le coq gaulois est-il destiné à gratter indéfiniment ces immensités sablonneuses ?
Il faut convenir tout d’abord que la pénétration saharienne présente d’indéniables difficultés. Mais le peu d’efficacité de nos efforts tenait surtout à une erreur de méthode. Les affaires sahariennes ont absolument changé d’aspect à partir de 1900, et l’expérience de ces six dernières années a mis en lumière ce fait trop méconnu, qu’au Sahara la pénétration politique devait précéder la pénétration scientifique et économique.
[194]Il faut, suivant les régions, employer pour la pénétration les moyens les mieux appropriés. Nous sommes pleins d’admiration pour un Brazza ou un Binger, soumettant par la douceur et sans tirer un coup de fusil de grands royaumes nègres. Mais les résistances que nous rencontrions au Sahara ne pouvaient être brisées que par la force. Cette force ne doit d’ailleurs pas être hors de proportion avec les obstacles à détruire et les résultats à espérer, les uns et les autres nécessairement médiocres et limités.
A coup sûr, le Sahara ne vaut pas qu’on y dépense beaucoup d’hommes ni beaucoup d’argent. Le traité de Ghadamès, les projets de Transsaharien avaient faussé les véritables données du problème. Le Sahara paraît être d’une valeur économique faible et presque nulle tant en lui-même que comme voie d’accès au Soudan. « Quand la terre sera si pleine d’habitants, dit Scott Keltie, que tous les autres pays auront été utilisés par l’homme, il restera le Sahara comme dernière ressource. » Il faudra donc prendre garde de ne pas développer outre mesure les quelques organes rudimentaires dont on l’a pourvu.
L’expérience a montré qu’un très faible effort suffit pour faire la police au Sahara, ce qui est l’essentiel. Grâce à notre établissement dans les oasis de l’archipel touatien et dans la région entre Zousfana et Oued-Guir, des questions qui se posaient depuis plus d’un demi-siècle sont résolues ou sur le point de l’être : résolue la question du Sud-Oranais, résolue la question du Touat, résolue la question touareg, résolue la question des relations entre l’Algérie et le Soudan. On peut affirmer que, de 1900 à 1906, on a fait plus de progrès au Sahara que dans les soixante-dix années précédentes.
Ce n’est pas à dire que les attaques doivent cesser au[195] Sahara comme par enchantement et encore moins du côté de la frontière marocaine. Nous avons mis trente ans à venir à bout de l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh : l’insécurité, reportée plus à l’Ouest par nos progrès, ne disparaîtra pas immédiatement du « pays des fusils », comme l’appelait en 1845 Mustapha ben Ismaïl. Au Sahara même, il reste, au sud de la Tripolitaine et au sud du Maroc, deux lacunes dans notre organisation, deux trous dans notre filet, qu’il n’est pas en notre pouvoir de combler immédiatement. Mais si la pacification n’est pas complète, elle est bien avancée. La question de la pénétration saharienne ne doit donc plus encombrer notre politique, et c’est vers les territoires autrement intéressants qui s’étendent à l’ouest de l’Algérie qu’il nous faut surtout désormais porter nos regards.
FIN