*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 77414 *** Le debat de Cuidier et de Fortune composé par messire Olivier de la marche lui estant prisonnier de la journee de nansi. Par ung matin ainsi qu’on se resveille N’a pas loing temps qu’en repos traveilloye Fantasiant en mon cas par merveille Ou je trouvay matiere non pareille Car j’ay eu et de dueil et de joye Autant et plus que souhaidier vouldroye Et de chascun tele part et partie Que je ne sçay duquel plus en ma vie Cyceron dit qu’en ce monde n’a riens Que bien & mal dont le bien est le meindre S’il est ainsi pour contens je me tiens Car j’ay eu et des maulz et des biens A tel egal que je ne me doy plaindre Boece aussi par raison veult constraindre D’estre constant en plaisir ou en dueil Qui puet venir soit ou corps ou a l’ueil En ce monde a doloureuse leesse Honteux honneur. et plaisir angoisseux Joye dolant souffraiteuse richesse Bien incertain et doubteuse promesse Seurté tremblant. et chemin perilleux Je trouvay tant de couroux et de jeux Ou souvenir qui vint en ma memoire Qu’on en feroit un petit purgatoire En ce penser demouray longuement Content d’amours/ hayneux de fortune Dont troublé fus en mon entendement Par tel parti que tout soubdainement J’entr’oubliay toute chose commune Et me sembla que j’oÿs par rancune Cris et tenchons entre deux personnages Divers de meurs en semblables langaiges L’un ressembloit ung jone saudoyer Frisque mignon gorgias par cointise D’abit paré comme un grant chevalier Hault en devise. et se nommoit cuidier Qui par semblant nul ne doubte ne prise Bel d’acointier/ perilleux a hantise Doulz en attrait/ fier a continuer Et commença par telz mos a parler Cuidier Je fay gaignier joustes/ tournois/ et pris Villes/ chasteaux/ empires/ et royames Par moy Cuidier les haulz fais sont empris Qui riens n’emprent il est de petit pris Qui n’a hault cuer il n’assemble que blames Je fay avoir amour et cuer des dames Vuaucrer la mer et saillir les chevaulx Et conquester et les mons et les vaulx L’acteur Ainsi cuidier declairoit son povoir Qui lui sembloit estre soubz sa puissance Et en tous cas il cuidoit dire voir Mais tost rompy son orguilleux voloir Car le bruit vint le son et la muance D’une roe tournant sans arestance Par tel effort et par si grant hutin Comme feroit la roe d’un molin Celle roe tourneoit une dame Couronne en chief et richement vestue Les yeulx bendez. car veoir ne veult ame Tout lui est un. cabaret/ ou royame Noble et villains lui sont d’une entendue L’estat des grans volentiers change et mue Et s’esjoÿst a muer par cautele Incessamment le tour de sa roele Fortune Je suis fortune dist la dame tout hault Sergent du ciel/ et verge de la terre De toy cuidier en riens il ne me chault Au long aler par mes mains passer fault Ou est le bruit la se tourne ma guerre Je dompte tout/ qui ne le croit il erre Et se n’estoit que je vis et ne muers On oubliroit honneur et bonnes meurs L’un destruiroit tout par sa cruauté Comme neron qui fist sa mere fendre L’autre de vices feroit felicité Sardanapaule en fist auctorité Qui des femmes voult meurs et habis prendre Alexandre ne voult il pas emprendre De conquerir tout le monde et avoir Mais a tous ceulx j’ay rompu le povoir Puis que dieu veult estre de moy servi Pour espantal de toutte ambition Par qui sera mon povoir asservi A nul ne touche s’il ne l’a desservi Et qui de moy fait lamentation S’il pense bien en sa condition La trouvera calculant conscience Que sans raison je ne fiers ne ne lance Doncques cuidier qui en tes premiers saulz Cuides voler comme fist dedalus Sace et cognois que tu pues et que vaulz Je t’avise que j’en vueil aux plus haulz Va le moyen/ tu en dureras plus Plus ne t’en dy/ mais ainsi je conclus Par corps par sens/ par amis/ par sçavoir Prent l’omme gloire qui le fait decevoir Cuidier Cuidier oÿ la dame hault parler Dont a bien pou n’enraga de despit Et dist ainsi. J’ay volu ascouter Voz haultains mos qui sont a rebouter Pour tant mon cuer ne sera desconfit Vous faittes tout/ perte/ honneur/ & prouffit Dieu ne s’en mesle/ fortune a tout en main Semblant perdu le franc arbitre humain Fortune puet pou faire bien ou mal Quant l’omme veult qui le quiert et deslie Qui veult la mer vaulcrer sans gouvrenal Qui veult courir sans bride son cheval Et tout perir. fortune n’y est mye Ne moy cuidier. mais est pure folie Rage de cuer et desespoir terrible Et querir eur par le bout impossible Doncques je preuve par forme de logique Que fortune n’est riens. ne ne peut estre Fors un hault nom mis en parolle antique Pour le samblable mettre mieulx en practique Et discerner bien et mal de leur estre Mais moy cuidier. je suis et si dois estre Par moy se font les fais chevalereux Et tendre main pour parvenir aux preux Mais qui vouldra sans courroux ou arrogue Chascun de nous prouvera sa value Par ung argu fondé en dyalogue En delaissant le devant du prologue Fortune dist. j’acorde qu’on argue Et jugera sentence qui ne mue Sur le debat qui nous meut et traveille Ce corps gisant qui ne dort ne ne veille L’acteur Ainsi je fus ordonné pour jugier Le different de ces deux dessudis Ce ne m’avint par dormir ne songier Mais par raison qui me vint resveillier Pour tous oÿr et leurs mos et leurs dis La commença le debat que je dis Qui est d’oÿr. Car riens ne se cela Et dist cuidier qui le premier parla Cuidier Se je suis né grace dieu en ce monde Parfait de corps et entier de tous membre Ne vaulz je pas. je le croy et m’y fonde Pour avoir part en l’avoir qui habonde Sur la terre si grand en son estendre Povres sont nés. cesar et alexandre Qui tant ont sceu gaignier et conquerir Si puis je moy se je le sçay querir Fortune Deux beaux jumeaux au monde se trouverent Ypicleüs et hercules son frere Mais deux serpens tel assault leur livrerent Que ypicleüs hors du bers devorerent Et hercules les mist a mort amere Je ris. je tue. je destruis. je prospere Sur deux enffans j’ay livré divers sort Dont l’un vainquit et l’autre si fu mort Cuidier Se ypicleüs tu as fait devorer Enffans ou bers en nouvelle naissance Et hercules garantir et sauver C’est contre ce que tu me veulz monstrer Que sans cause tu ne donnes la chance L’un eut bon eur. l’autre dure meschance Nez en une heure et sans riens desservir Doncques raison ne fault en toy querir Fortune En la vie des peres on liroit Que l’angle occist un enffant et tua A un preudomme pour ce que trop l’amoit Et si noya cellui qui le passoit Une planche. pour ce qu’il savoit ja Qu’a mal regner il se delibera Ces deux occist et murdrist le bon ange Dont l’euvre est bonne/ mais elle semble estrange Cuidier Or suis je nez de riche parenté Pour moy soef eslever et nourir Et me garder de toutte adversité Qui bien commence il suit en qualité Et qui bien semme il voit le blé flourir Dieu ne m’a fait pour moy laissier perir Bien commencier tousjours mieulz se parfait Le mal nourri de legier se deffait Fortune Soef nourist edyppus ses enffans Monstrant devoir et nature de pere Qui depuis firent mout de maulz en leur temps Destruirent thebes leurs amis leurs parens Puis s’entr’ocirent par cruauté amere Tant de dueil firent et a pere et a mere Que edippus meismes les deux yeux se creva Pour non veoir les maulz qu’il engendra Cuidier Estre nourri j’enteray en doctrine Et verray tout ce qui se met en lettre Pour estre grant a qui je tens et cline Riche puissant de hault renom et cline Soit en estat seculier ou de prestre Qui beaucoup scet il est tousjours le maistre Et si ne puet science estre perie Pour quelque perte tant que l’homme est en vie Fortune Voy de senecq le grant clerc de renom Que neron fist sans desserte morir Archithophel qui fust frere absalon Dont le conseil fut si grant et si bon Contre fortune ne peut son sens furnir Helenus troye si ne puet garantir Car bien souvent il avient tel dangier Qu’on ne se puet de sa science aidier Cuidier Et se je prens des armes le chemin Harnas. escu. hache. lance. et espee Ne vault je pas l’orguilleux de montclin Pour avoir part en los et en butin Autant ou plus que cesar ou pompee Je feray tant ains que passe l’anee Que j’aray bruit avoir ou hault renon Soit par mal faire. ou soit par estre bon Fortune Qui quiert la guerre il doit fortune craindre Hector de troye des preux le pardessus En fier estour fut ocis de son meindre Et pour prouver ma raison et attaindre Ja hercules. et le fort theseüs Par deux femmes se trouverent batus Et ramenez dessoubz leur estandart Suivir la guerre est un jeu de hazart Cuidier Dont je prendray l’estat de marchandise Par mer par terre et tant traveilleray Qu’argent et or acquerray par tel guise Que une province en porroit estre acquise Ou que je tourne mon argent porteray Prenant parti quelque part que voldray Fuiant la guerre. ou lieu d’ympedimie La ou la terre si ne me suivroit mie Fortune Pour alleguier qui fist plus grant tresor Et dont acteurs font mention et feste Ce fut le roy nabugodonosor Mais malgré tout avoir argent et or La terre dit qu’il fut mué en beste Et se tu prens en la mer gaing et queste Tu trouveras pour un venu a port Mille dangiers de peril et de mort Cuidier Se je prens femme qui soit et riche et belle De noble lieu jone courtoise et sage Est il plaisance seurté et joye tele Tel passetemps en la vie mortelle Que vivre ainsi au plaisir de mesnage C’est un sollas que d’estre en mariage C’est le plusseur et le meilleur parti Qui may y pense je dy qu’il a menti Fortune Gard le serpens qui soubz l’erbe se dort Gard le filé qui l’homme prent et lye Agamenon fut par sa femme mort Menelaüs eut moult grant desconfort Pour sa femme par les troyens ravie Maints ont perdu par leurs femmes la vie Par trouver cuers plus aspres que la bouche Mais en mes dis aux bonnes je ne touche Cuidier Se je deviens un ouvrier mecanique Fevre. machon. tondeur ou charpentier D’autre mestier ainsi que l’on s’applicque Feray je pas a fortune la nicque Ne ne seray q’un pou en son dangier Par tout a gaing un homme de mestier Ainsy vivray sans le dangier d’envie Ne doubter perdre tresor ou seignourie Fortune Argus perist et lui et son navire Qu’il avoit fait par soubtil sens et art Bien je confesse que le mal est trop pire Cheoir de hault que d’une basse tire Et qui plus pert plus a de regart part Mais touteffois ou soit tost ou soit tart Je suis sur ele pour ferir soir et main Sans espargnier ne noble ne villain Cuidier Je devendray de terre cultiveur De blé de vin ou autre utilité Et merray vie d’un leal laboureur Fuiant envie et convoiteuse ardeur A sobre joye et nette povreté Le franc gontier a ce m’a enhorté Ainsi vault mieulx le goust d’une noisette Q’une perdris en debat ou noisette Fortune Noble labeur fist le tresjuste abel Dont du fruit fist tresleal sacrifice Et quoy qu’a dieu fust agreant et bel Ainsi avint que par courroux mortel Caÿm l’occist en cruel malefice Se dont je fiers cellui qui est sans vice Bien doit doubter l’omme qui dieu attaine Moy et mon dart. et sentence hautaine Cuidier Se dieu me donne en jones jours beauté Je me rendray des dames serviteur Et feray tant soubz sainte leauté Que je seray des femmes en chierté Et par amer j’auray plaisir et eur Ainsi vivray en plaisance de cuer En demenant l’amoureuse leesse Servant amours. et ma belle maistresse Fortune Dieu ne fist oncques plusbelle creature Comme absalon. mais pour son beau visage Je ne lessay que par mesaventure Il ne morust en grant desconfiture Par ses cheveulz pendu au bois ramage Par amours fist un piteux vasselage Le beau paris quant sa dame ravist Dont luy et troyes et ses amis perist Cuidier Se je suis fort je feray de mes bras Tele vertu que je me feray craindre Comme ung ogier ou comme ferabras En despitant tout ce que tu porras Sans aconter ne au grant ne au moindre L’on dit souvent qui veult le sien attaindre Par bataille soit a droit ou a tort L’on doibt querir tousjours champion fort Fortune Le fort sanson de sa force s’occist Quant du palais abati les estages Le grant nembrot qui tant de gens occist Qui la grant tour en babilone emprist Ne peut fournir ses outrageux ouvrages La muerent tous les divers langaiges Ainsi je sers de rebouter l’emprise De l’orguilleux qui trop se cuide et prise Cuidier Je devendray un voleur un chasseur Et auray chiens et oyseaulx a foison Querant les champs par froit & par chaleur La trompe au col comme un gentil veneur L’oisel sur poing chascun en sa saison C’est un esbat qui moult plait et prise on Sans mal penser et villonnie attaindre En ce deduit de quoy te dois je craindre Fortune De reymondin te pues tu remembrer Qui espousa la faee melusine Par grant meschief sceut son maistre tuer Cuidant ferir un merveilleux senglier Dont de doleur il fut en grant saisine Tel cuide avoir venoison en cuisine Dont le deduit tourne en tele maniere Que le chasseur en est mis en la biere Cuidier Prendre le temps ainsi que mandeville A voyagier ou a pelegriner Ou se je quiers des ambassades mille Vaulcrant pays alant de ville en ville L’esté ponnant et levant en yver Que me pourra fortune demander Ne suis je seur et de corps et d’estat Pres de ma paix et loing de tout debat Fortune Garde toy bien d’aler et voyagier En tel peril que le roy d’ermenie Qui pour avoir son choix a souhaidier Il entreprist de veillier l’esprivier Dont il perdy toutte sa seigourie Bristo anglois perdy chemin en vie Par le monstre qui avoit en saisine A garder l’uis du tresor palatine Cuidier Se je deviens pastour gardant brebis Chassant pourceaux ou gouverneur de vaches Prenant en gré et pain blanc et pain bis Et faire joye d’avoir simples habis Fuyant pompes & leurs meurs & leurs traches En tel estat je vueil bien que tu saches Puis je bien vivre quitte de ta fureur Sain de mon corps en leesse de cuer Fortune Digne bergier fut le noble david Qui pour garder ses bestes moult soustint Ours et lion par sa valeur occist Le grant gayant golias desconfist Eur lui ayda/ fortune le maintint Puis que cellui que dieu pour ami tint Convint passer par l’estroy de ma lance Il appert bien que j’ay grande puissance Cuidier Je seray d’armes poursuivant ou herault Roy en l’office pour plusgrant dignité C’est noble estat qui moult sert qui moult vault Seur en tous cas/ point n’y a de deffault Par ce moyen je ne crains ta fierté Je verray tout et yver et esté Des biens de tous je feray ma richesse Car tel estat est fondé sur noblesse Fortune Charlemaine les voirs disans fonda Que nous noumons en armes officiers Nobles de meurs les eslut et crea Aux nobles hommes il les recommanda Car pour noblesse furent ilz fais premiers Se honneur le scet plusavant n’en enquiers Mais je sçay bien que malgré leurs blasons Mains sont meurdris es bors & es prisons Cuidier Je me rendray cordelier d’observance Meisme convers hermitte ou regulier Fuyant tresor. mondanité chevance Le bien le mal j’auray en pacience Dieu me sera espoir et conseillier Contre fortune ne me fauldra veillier Je seray hors de tout mondain soussi Que me feras. se je puis vivre ainsi Fortune Marie eslut des chemins le plus beau Car dieu servir est le meilleur parti Mais soit fortune/ ou dieu/ ou son appeau Berthelemi y a laissié la peau Pierre pendu/ et saint laurens rosti Saint jehan perdy son chief qui ne menti Tant ont souffert de tourment pour la foy Que c’est assez pour renoyer la loy Cuidier A dieu ne aux sains ne se faut point jouer C’est ung apart hors des choses mondaines Leur ferme foy les a fait martirer Leale amour leur a fait endurer Terribles maulx afflictions et paines Leurs euvres sont contre fortune saines De toy vanter qu’ilz ont par toy passez N’est vray/ mais ont sur toy povoir assez Fortune Tu trouveras des propos un millier Pour estre aux miens contraire et nuisans Tout debatu/ tu demourras cuidier Souvent chopant/ legier a trebuchier S’un jour prouffites tu en perdras dix ans Nos fais seront tousjours contredisans Car tu desires le ramper et monter Et je ne puis souffrir le hault voler L’acteur Cuidier rougist de grant courroux et d’ire Et fortune se monstroit moult tourblee Ainsi chascun voloit parler et dire Et cuidoit l’un a l’autre contredire Parlans sans ordre par une grant meslee De cestui bruit j’ay la teste levee Dont je fus moult troublet et en effroy Mais tout s’estoit esvanouy de moy Si regarday par derriere ma gourdine Dessoubz le lit par muces et ruelle Se j’ay riens veu ou se je la devine Ou se le monde. ou la grace divine M’ont envoyé une aventure tele Riens je ne vis/ mais moult me sembla belle L’invention si l’ay enregistree Priant a tous qu’elle soit amendee Or me souvint que juge fus requis Sur le debat de ces deux personnages Mais je n’ay pas assés de sens acquis En remembrant que j’ay leu et enquis Des grans perilz des outrageux dommages Que paris eut par semblables ouvrages Quant il juga par la pomme doree Si me garde dieu d’une tele journee A grant loysir. et beaucoup empeschié Sans maladie desirant garison Ayant compte sans estre despeschié Franc de lyens fort prins et athachié Sain de mon corps et en grant languison En tel estat fis les vers en prison Prins la journee de plains et de doleur La ou morut mon souverain seigneur Tant a souffert La marche. Imprimés a Vallenchiennes par Jehan de liege demorant Devant le convent de saint pol. NOTE DU TRANSCRIPTEUR L’orthographe, la ponctuation et l’usage des majuscules sont conformes à l’original. On a toutefois résolu les abréviations par signes conventionnels (de type q̄ pour que), distingué les lettres i/j, u/v, et ajouté accents, cédilles et apostrophes. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 77414 ***